Daphne Laureola L. (Tymelaeaceae) Dans Le Bas-Rhin
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Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 Daphne laureola L. (Tymelaeaceae) dans le Bas-Rhin par Frédéric Tournay Frédéric Tournay, Jardin botanique de l’Université de Strasbourg, 28 rue Goethe, F-67000 Strasbourg Courriel : [email protected] Résumé – Cet article présente l’origine et l’étendue des stations de Daphne laureola L. (Thymelaeaceae) situées dans le département du Bas-Rhin (France). L’expansion et le statut d’indigénat de l’espèce sont également brièvement exposés. Abstract – This paper reports the origin and distribution of Daphne laureola L. (Thymelaeaceae) populations i asi race e rage easio ad idigeous status o te secies are also briefy reseted Mots-clés : Alsace, Daphne laureola, Bas-Rhin, chorologie, Haut-Rhin, statut d’indigénat, Thymelaeaceae. Keyword : Alsace, Daphne laureola, Bas-Rhin, chorology, Haut-Rhin, indigenous status, Thymelaeaceae. aphne laureola, commu- cien, de Levoncourt à Leymen. À nément appelé Daphné ce titre, ce taxon figure dans la liste D lauréole ou Laurier des rouge de la flore menacée d'Alsace F. Tournay bois, est une espèce neutrocalcicole dans la catégorie NT (quasi menacé) à répartition subméditerranéenne- (Vangendt et al., 2014). atlantique. Elle pousse en Afrique Daphne laureola est mentionné sur du Nord, en Europe sud-occiden- les contreforts du massif du Jura tale et méridionale et jusqu’en Asie depuis le XVIIe siècle. Le botaniste mineure (Turquie). Cette vaste dis- bâlois Gaspard Bauhin (1560-1624) tribution géographique rend l’espèce note le premier sa présence « in relativement polymorphe mais la monte versus Reichenstein »1 (Bauhin, validité des taxons infraspécifiques 1622), information reprise un siècle d’origine pyrénéenne (subsp. phi- plus tard par Marcus Mappus lippi (Gren.) Nyman) ou natifs du fils (1666-1736) qui précise « in sud de l’Espagne et d’Afrique du Sundgovia umbrosis in monte versus Nord (subsp. latifolia (Coss.) Rivas Reichenstein »2 (Mappus, 1742). Mart.) est aujourd’hui remise en Figure 1 : Daphne laureola e feur sur la question (Nieto Feliner, 1996). colline du Geierstein. Le Laurier des bois est dispersé de Introduction de Daphne façon assez homogène dans toute pèce en 1932 au jardin botanique la France, mais il est très localisé laureola dans le Bas- du Col de Saverne qu’il a fondé à l’est du massif vosgien. Au nord, Rhin avec quelques compagnons un an l’espèce ne dépasse pas le plateau auparavant (Walter, 1950). Il sou- lorrain au-delà de la région de Le botaniste et pharmacien Émile haite présenter dans ce jardin les Nancy (Meurthe et Moselle) et de Walter (1873-1953) introduit l’es- espèces les plus emblématiques de Sarreguemines (Moselle). Au sud, 1. « vers la colline de Reichenstein » la flore alsacienne. Le Daphné lau- l’arbrisseau se rencontre seulement 2. « dans les lieux ombragés du Sundgau, sur la colline réole, cantonné à l’extrémité méri- de Reichenstein ». Ce château se situe en Suisse sur la dans le Haut-Rhin, dans le Jura alsa- commune d’Arlesheim au sud-est de Bâle. dionale de l’Alsace, y trouve donc 59 NAFJ 15 (2017) corpus.indd 59 28/05/2018 21:58 Daphne laureola L. (Tymelaeaceae) dans le Bas-Rhin F. Tournay Figure 3 : Daphne laureola dans le sous- bois au col de Saverne. exposée au sud et assise sur du calcaire coquillier (Muschelkalk) serait favorable à l’implantation de Daphne laureola qu’il essaima par la suite. Étendue des stations bas-rhinoises en 2016 Saverne, route du col de Saverne, abords du Jardin botanique Près d’une quinzaine d’années après Figure 2 : spécimen collecté en 1947 par Paul Jaeger sur la colline du Geierstein. Herbier de l’Université de Strasbourg. France : Bas-Rhin, Geierstein, 08.04.1947. Leg. son introduction, Walter note déjà et Det. P. Jaeger, (STR-60580). Numérisation : G. Haan-Archipoff que Daphne laureola se ressème abondamment au sein du jardin naturellement sa place, cultivé à la colline du Geierstein située sur botanique, mais aussi parfois à l’ex- partir de graines ou de plants col- le ban communal de Westhoffen térieur du site. Au milieu du XXe lectés dans le Jura alsacien où Walter (figure 1). On sait que Walter a siècle, une trentaine d’exemplaires se rendit à de nombreuses reprises visité ce site où se trouve la station de tous âges sont présents à une pour herboriser. la plus septentrionale de l’aire alsa- centaine de mètres de la clôture cienne d’Anemone hepatica L., suite du jardin (Walter, 1950). Hormis Parallèlement à sa mise en culture à sa découverte par Florent Zubert le Daphné lauréole, le sous-bois à Saverne, Walter répand en 1935 en 1918 (Walter, 1923 ; Parent, situé entre l’entrée du jardin bota- 3 « dans le bois du Girschte près de 2006)4. Parcourant le Geierstein, nique et le Saut du Prince Charles Wasselonne des baies du Daphne récol- Walter s’est sans doute convaincu abrite aujourd’hui d’autres espèces tées dans le pays de Ferrette » (Walter, que cette colline sous-vosgienne cultivées qui se sont échappées à la 1950). Cette localité correspond à 4. Georges H. Parent indique n’avoir pas revu l’ané- faveur de déchets verts mis en tas mone hépatique lors de sa visite sur la colline du Geiers- Aremonia agrimonioides Geranium 3. Également orthographié comme suit : Gierschte, tein en 1999. Je l’y ai observé à plusieurs reprises entre ( , Gürstein. 2014 et 2016 lors de mes prospections. macrorrhizum, Vinca minor) ou de 60 NAFJ 15 (2017) corpus.indd 60 28/05/2018 21:58 Les Nouvelles Archives de la Flore jurassienne et du nord-est de la France, 15, 2017 graines transportées par la faune Figure 4 : en gris clair, la station de (Cotoneaster bullatus, Cotoneaster Daphne laureola horizontalis, Taxus baccata). située à l’extérieur du Jardin botanique Toutefois, les sols podzoliques fil- du col de Saverne trants, acides et pauvres en argile, (relevés effectués au GPS par Frédéric qui recouvrent le grès vosgien et Tournay et Pierre le conglomérat principal sont peu Meppiel en mars favorables au développement de 2016). Coordonnées (Lambert II étendu) : Daphne laureola au caractère nette- X : 967888.87 ; ment neutrocalcicole. Les abords de Y : 2428498.78 ; la route du col de Saverne jouissent Altitude : 335 m. d’une caractéristique singulière qui n’est d’ailleurs pas étrangère au Figure 5 : en gris choix d’Émile Walter d’y implan- clair, la station de ter un jardin botanique. La route Daphne laureola sur la colline actuelle, construite dans la pre- du Geierstein à mière moitié du XVIIIe siècle, fut Westhoffen (relevés empierrée avec du Muschelkalk. effectués au GPS par Frédéric Tournay Pendant plus de deux siècles, les en mars 2016). eaux de pluie ont lessivé pous- Coordonnées (Lambert II étendu) : sières et boues calcaires résultant de X : 975580.37 ; l’usure des pierres. Celles-ci se sont Y : 2413511.98 ; ensuite déposées de part et d’autre Altitude : 366 m. de la route recouvrant ou impré- gnant le sol sablonneux en place (Walter, 1931). Ce substrat grisâtre, pulvérulent et empreint de calcaire Édouard Kapp (1900-1987) note lisé sur le site. À partir du présent s’est justement déposé en contrebas la présence de quelques individus état des lieux, il sera intéressant de du virage situé au-dessus de l’en- sur la colline (Kapp, 1972). Près suivre la dynamique de son exten- trée du jardin botanique, permet- d’un demi-siècle plus tard, ils sont sion dans les prochaines décennies. tant au Daphne laureola d’y croître plusieurs milliers. Daphne laureola Grâce au transport de ses graines et de s’y propager. Aujourd’hui, la s’étend aujourd’hui dans toute la par l’avifaune, peut-être retrouve- station s’étend sur environ 4000 m partie sud du Geierstein sur une sur- rons-nous dans l’avenir quelques et semble avoir atteint son exten- face de près de 8 hectares (figure 5). plantules du Laurier des bois sur sion maximale ; au-delà de ses Les populations les plus denses et les collines calcaires du Seelenberg contours actuels, l’absence de cal- comportant les plants les plus âgés (Westhoffen) et de l’Elschberg caire dans le substrat semble limi- (qui pourraient indiquer le lieu où (Wasselonne) qui sont situées, à ter l’essor du Daphné (figure 4 )5. ont été essaimées les graines à l’ori- vol d’oiseau, à moins de 2 km de gine de la station) se trouvent aux la gloriette du Geierstein. environs de la gloriette installée par Westhoffen, colline du le Club Vosgien (366 m d’altitude). Geierstein C’est à cet endroit, sous les cimes Quel statut d’indigénat de pins noirs (Pinus nigra) cente- Après la dispersion de graines effec- pour Daphne laureola naires, que se trouvent également tuée par Émile Walter en 1935, le les plus belles populations d’Ane- dans le Bas-Rhin ? professeur Paul Jaeger (1905-1999) mone hepatica poussant sur la colline. vit trois plants sur le site en 1947 Daphne laureola figure dans la liste (figure 2, Walter, 1950). En 1972, Comme l’avait pressenti Walter, la rouge de la flore menacée d’Alsace colline du Geierstein s’est révélée mais on sait qu’il a été introduit de 5. Un spécimen récolté lors du relevé de la station est déposé à l’herbier de l’Université de Strasbourg (STR) : extrêmement propice à l’expan- façon intentionnelle par l’homme France : Bas-Rhin, Saverne, col de Saverne, abords du Daphne laureola Jardin botanique, 27.04.2016. Leg. et Det. F. Tournay, sion du qui est dans le Bas-Rhin il y a plus de (STR- 89086). aujourd’hui complètement natura- quatre-vingts ans. Cette pratique 61 NAFJ 15 (2017) corpus.indd 61 28/05/2018 21:58 Daphne laureola L.