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Revue Langues, cultures et sociétés, Volume 4, n°2, Décembre 2018

Vers une vision unifiée des langues en contexte plurilingue : le cas des élèves amazighophones de la région El Haouz

Latifa OKHAYA Laboratoire Langage et société Université Ibn Tofail-Kénitra Email : [email protected]

Résumé - Le présent article s’inscrit au sein de la recherche sur le plurilinguisme et l’enseignement apprentissage des langues. Il prend pour objet d’étude les amazighophones de la région El haouz qui vivent dans le dédale de plusieurs langues « l’arabe dialectal, l’arabe standard, Tachlhit et les langues étrangères. Il interroge la possibilité d’opter pour une didactique intégrée des langues en vue de développer les compétences plurielles et pluriculturelles de l’apprenant ainsi que l’harmonisation voire l’unification des didactiques des langues facilitant ainsi le passage d’une langue à l’autre. Il s’agit d’établir un apprentissage linguistique décloisonné et ouvert s’appuyant sur toutes les ressources du répertoire de l’apprenant et d’identifier des espaces de communication et d’intercompréhension entre les didactiques des langues enseignées dans la région. Mots clés : plurilinguisme- didactique intégrée des langues- intercompréhension- transfert- enseignement apprentissage des langues. Abstract - This article is part of a research on plurilingualism and teaching language learning. It takes for public the amazighophones of the region who live in the maze of several languages (dialectal Arabic, standard Arabic, Tachalhit and foreign languages). It also questions the possibility of opting for an integrated didactic of languages to develop different skills and multicultural teaching of the learner as well as the harmonization and unification of the languages, thus facilitating the transition from one language to another. It is about how to establish a kind of learning that can be de compartmentalized and open the resources of the learner's dictory also to identify spaces of communication and mutual understanding between the didactics the languages taught. Keywords: Multilingualism- integrated didactics of languages- intercomprehension- transfer- teaching language learning.

Introduction Cette recherche s’articule autour des liens que l’enseignement du français pourrait entretenir avec celui de l’arabe et de l’amazigh ou plus précisément comment la didactique du français pourrait décloisonner son enseignement et profiter des apports de l’enseignement de ses deux langues. Nombreuses, donc, sont les questions qui nous interpellent :  Quelles sont les langues en présence dans la région ?  Est-ce que le professeur s’appuie sur la langue maternelle de l’apprenant ?  Peut-on créer un rapprochement voire une harmonie entre les didactiques des langues susmentionnées ?

1- Cadre théorique et méthodologique 2-1 La compétence plurilingue et pluriculturelle La compétence plurilingue et pluriculturelle renvoie à la capacité d’un individu à maitriser à des degrés divers plusieurs langues. Ces compétences ne sont pas juxtaposées ou

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superposées mais composites, complexes et hétérogènes. (Coste, Moore & Zarate, 1997 : 12)1. Pour Coste, le répertoire d’un sujet plurilingue intègre des variétés linguistiques maitrisées à des degrés divers ce qui les qualifie d’être compétences déséquilibrées. Actuellement en linguistique et didactique des langues étrangères, le terme recouvre trois formes de capacités cognitives et comportementales : les compétences linguistiques, communicatives et socioculturelles. Cette compétence a été introduite par Coste, Moore et Zarate en 1997 pour remplacer le terme de compétence de communication qui se base sur une vision cloisonnée, additive et juxtaposée des langues. L’ensemble des acquis de l’individu dans les différentes langues constituent une compétence plurilingue et pluriculturelle qualifiée par Candelier d’être unique et complexe (Candelier, 2005 : 37)2. Elle renferme l’ensemble des ressources langagières de l’individu ce qui la rend composite. Cette compétence « englobe l’ensemble du répertoire langagier à disposition » (Conseil de l’Europe, op. cit.)3

2-2 Le bi-plurilinguisme La didactique du bi- plurilinguisme est apparue suite à l’évolution de la réflexion méthodologique en didactique des langues. L’émergence du bi-plurilinguisme découle des limites du monolinguisme en milieu plurilingue et aux insuffisances constatées dans la mise en œuvre des types d’enseignement bilingue. 4. Lors de l’acquisition des langues, ce concept doit être conçu dans un cadre global (dans lequel les langues entretiennent des relations et interagissent) et non dans un cadre monolingue ou binaire. Il s’agit d’un processus dynamique dans lequel le répertoire linguistique d’un individu peut évoluer d’une manière croissante ou décroissante selon ses besoins et en fonction des situations auxquelles il se trouve confronté. Les recherches actuelles en didactique des langues dévoilent les limites de la notion du bilinguisme et l’importance de l’utilisation du terme plurilinguisme. Cette notion va être mentionnée dans les travaux de Haugen depuis 1956 comme synonyme de multilinguisme (Haugen 1956, p.11)5. Or, cette définition sera complètement changée dans Le CECR et dans les documents relatifs aux politiques linguistiques et éducatives en Europe. En effet, le guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe effectue une distinction entre les deux termes multilinguisme et plurilinguisme qui réfère à la présence, dans une aire géographique donnée, grande ou petite, de plusieurs variétés linguistiques (formes de la communication verbale, quel qu’en soit le statut) alors que le terme « Plurilinguisme » renvoie au répertoire de variétés linguistiques que peuvent utiliser les locuteurs - incluant la langue maternelle et toutes celles acquises ultérieurement, là encore, quel que soit leur statut à l'école et dans la société et à quelque niveau que ce soit »6. Ces différents travaux offrent une vision globale, flexible de la compétence et de l’individu bilingue. Ils considèrent que tout individu est en réalité plurilingue même celui qui maitrise à des degrés divers des compétences dans plusieurs langues ou celui qui possède des compétences dans une seule langue vu qu’il peut manipuler différents registres de discours dans sa langue maternelle.

1 Coste D., Moore D., Zarate G., 1997, Compétence plurilingue et pluriculturelle, Strasbourg, Conseil de l’Europe, Reproduit dans Le français dans le monde, Recherches et applications, Apprentissage et usage des langues dans le cadre européen, juillet 1998, Paris, Didier, p. 8-66 2 Candelier, M. (2005). L’éveil aux langues: une innovation au service du plurilinguisme. [Conférence publiée sur le site des Assises européennes du plurilinguisme : http://assisesplurilinguisme.affinitiz.com/] 3 Conseil de l’Europe (2001). Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer / Common European Framework of Reference for Languages: Learning, Teaching, Assessment. 4 Martine Derivry (2015) Les enseignants de langues dans la mondialisation: La guerre des représentations dans le champ linguistique de l’enseignement, Editions des archives contemporaines,2015, p.101 5 Haugen, Einar. 1956. Bilingualism in the Americas: A Bibliography and Research Guide. University of Alabama Press. 6 Guide pour l’élaboration des politiques linguistiques éducatives en Europe : de la diversité linguistique à l’éducation plurilingue – Conseil de l’Europe (page 40). 50

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L’individu plurilingue possède une compétence dynamique et évolutive car il peut apprendre une langue qui ne fait pas partie de son répertoire plurilingue pour des raisons professionnelles ou délaisser une autre pour une raison ou une autre. Les échelles de compétences fournies par le CECR permettent de développer et de valoriser les capacités communicatives, orales ou écrites de l’élève.

2-3 La didactique intégrée des langues C’est une approche plurielle de l’enseignement qui consiste à créer des liens entre les langues. Elle s’appuie sur la langue maternelle de l’apprenant pour faciliter l’accès aux langues étrangères. Elle vise l’harmonisation voire l’unification de ces dernières facilitant ainsi le passage d’une langue à l’autre. Pour la déclaration relative à la politique de l’enseignement des langues en Suisse normande, cette didactique exige l’inscription de l’apprentissage des langues à l’intérieur d’un curriculum intégré commun à l’ensemble des langues « ce curriculum définira la place et le rôle de chacune d’entre elles par rapport aux objectifs linguistiques et culturels généraux. Il précisera les apports respectifs et les interactions entre les divers apprentissages linguistiques »7. C’est une situation d’enseignement qui valorise les ressources du répertoire plurilingue de l’apprenant en mettant en œuvre des activités qui impliquent ses compétences plurielles et pluriculturelles. Elle favorise la mise en place d’un « concept global » des langues ainsi qu’un apprentissage linguistique décloisonné et ouvert.

2- La région Al Haouz 3-1 Localisation géographique de la province Le territoire sur lequel s’étend la province relève de la région de Marrakech-Tensift-Al Haouz. Administrativement, la province d'Al Haouz, créée en 1991 par Décret n°2-91-90 du 25/09/1991, comprend une commune urbaine (municipalité d’) et 4 cercles (Ait Ourir, , et ) découpés en 39 Communes dont 1 municipalité. Cercle Ait cercle cercle cercle Asni Ourir Tahannaout Amizmiz •Communes •Communes •Communes • Ait ourir/ •Tahannaout •Amizmiz •Communes • Sidi Abdellah • •Asni Ghiyat •Moulay •/ Brahim Tiguedouine • •Ighil • / •Ourika •Tlat •/ •/ N’Yaakoub • Ait Sidi Daoud/ •ouazguita • • Tamaguert •/ • • Ait Izid/ Ait Hkim

Source : la monographie de la région d’Al Haouz La province d'AI Haouz s'étend sur le versant septentrional du haut Atlas Occidental, entre l'oued Tassaoute à l'est et l'oued Assif El Mal à l'ouest, et sur la quasi-totalité de la plaine du Haouz central au sud de la ville de Marrakech. Elle couvre une superficie de 6212 km². La densité démographique est de 73 habitants/km2. Population Nombre de communes Superficie en Province Total Rural Urbain Rural KM2 Al Haouz 573128 488357 3 37 6212

7 Brohy. Claudine, Didactique intégrée des langues : évolution et définitions. P. 10. 51

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Source : AREF Marrakech Safi : Service du Recensement et des Etudes (fiches de synthèse de Recensement scolaire (Année scolaire : 2015/2016) Elle est limitée au Nord par la Préfecture de Marrakech et la Province d’El Kalâa des Sraghna, à l’Est par la Province d’Azilal, à l’Ouest par la Province de Chichaoua et au Sud par les Provinces de Ouarzazate et Taroudant comme l’indique la carte suivante :

Source : monographie de la région d’Al Haouz 3-2 Les langues en présence dans la province La région Al Haouz se caractérise par une forte présence de la population Amazighophone et Arabophone ainsi que la langue française et les langues étrangères utilisées dans le domaine de l’enseignement. On peut retenir parmi les critères de classement de la population la langue maternelle. Ce qui nous permet de déterminer des groupes d’autochtones parlant le berbère et d’autres parlant l’arabe.

3- Outils et techniques de l’enquête (collecte de données) Dans notre approche du terrain, nous avons opté pour deux formes de recueil de données à savoir : le questionnaire et l’entretien.

4-1 L’enquête par questionnaire C’est l’un des outils qui permettent de collecter des données et d’obtenir des informations sur un terrain d’étude. Il se compose d’une série de questions enchainées autour d’un ensemble de thèmes structurés. Le questionnaire, outil de notre recherche, est adressé à des professeurs qui exercent en milieu rural et plus particulièrement dans la région El Haouz. Il comprend des questions factuelles simples concernant l’âge, le sexe, l’expérience des enquêtés et des questions sur les pratiques de classe. L’enquête a été réalisée au moyen d’un questionnaire structuré en thèmes. Le premier correspond à un recueil d’informations générales sur les professeurs enquêtés. Le deuxième est relatif aux points de vue des enseignants à propos de l’utilisation de la langue maternelle en classe. Quant au troisième, il tente de saisir leurs avis sur les similitudes et les divergences entre les didactiques des langues enseignées (arabe, français, amazighe).

4-2 L’échantillonnage en grappes La technique d’échantillonnage préconisée a été construite à partir d’un modèle de sondage, celui du “sondage par grappe ”. Ce dernier se définit comme étant « un sondage aléatoire simple dans lequel chaque unité d’échantillonnage est un ensemble ou groupe

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d’éléments appelés grappe »8. Nous allons nous servir de l'échantillonnage en grappes qui consiste à diviser la population en groupes (ou en grappes comme son nom semble l’indiquer). La région se subdivise en communes. Chaque commune représente un sous- groupe (grappe). Nous avons opté, en premier lieu, pour un choix aléatoire d’un certain nombre d’écoles du cycle primaire qui représente les quatre communes de la région, Ensuite, nous avons distribué des questionnaires aux professeurs de ces écoles. La région El Haouz comprend quatre communes qui englobent un ensemble d’écoles primaires. Ces dernières regroupent 2954 professeurs monolingues et bilingues de l’enseignement primaire. Notre échantillon comprend 260 professeurs bilingues exerçant dans la région El Haouz.

4-3 L’échantillon Pour obtenir des résultats fiables, la taille optimale de notre échantillon est construite selon un grand nombre de critères : en premier lieu, la limitation à une population plus réduite, censée représenter la population-mère (les professeurs de la région). La taille de l’échantillon global est aussi déterminée en fonction du nombre de « sous populations ». Plusieurs raisons ont guidé notre choix de l’échantillon en l’occurrence :  La langue maternelle : la région el Haouz se caractérise par la présence de deux langues maternelles : l’arabe dialectal et tachlhit d’où le choix des communes qui comprennent ces deux dialectes.  Les langues enseignées : pour pouvoir effectuer une approche comparative entre les didactiques des langues enseignées dans la région, nous avons fait appel à des professeurs bilingues afin de mettre l’accent sur les convergences et les divergences entre les didactiques de ces langues.

4-4 Objectif de l’enquête Notre objectif est de déterminer le degré de ressemblance et de différence entre les didactiques des langues enseignées à l’école. Et ce, pour pouvoir s’interroger sur la possibilité d’appliquer la pédagogie convergente dans les écoles de la région El Haouz.

4-5 Le cadre de l’enquête Il est limité à l'enseignement des langues arabe, française et amazighe dans les écoles primaires de la région (cycle 2 et cycle 3)- enfants âgés de 7 à 11 ans.

4-6 Présentation des enquêtés Notre travail s’articule autour d’un questionnaire destiné aux enseignants de la région. Lesquels professeurs bilingues ont une connaissance des didactiques langues. Ce qui explique le nombre restreint des professeurs monolingues (arabisants) de l’échantillon des professeurs qui ont contribué à l’exécution de cette enquête. Dans cette optique, nous avons soumis aux professeurs un questionnaire destiné à établir des données statistiques précises. Nos interrogations visaient à identifier l’ensemble des informations liées aux langues dans la région notamment :  Profil sociolinguistique des enseignants : leurs statuts et origines ;  Profil pédagogique des enseignants ;  Formation professionnelle des enseignants ;  Formations sur les didactiques des langues « arabe, français, amazighe » suivies par les enseignants ;

8 Jean-Jacques Guilbert, Dominique Bédier, Guide pédagogique pour les personnels de santé, 1990, p.363.

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 Pratiques pédagogiques des enseignants ;  Recours à la langue maternelle dans la classe ;  Langues enseignées et le va et vient entre les didactiques des langues « arabe, français, amazighe ».

4-7 Dépouillement du questionnaire

a- Profil des enseignants enquêtés

Le tableau ci-dessous présente la répartition des profils des enseignants selon un grand nombre de variables en l’occurrence l’ancienneté et le sexe.

Tableau n° 1 : Age et ancienneté

Enseignant/ancienneté (1-5) (5-10) (10-15) (15-20) (20-25) (25-30) (+30) TOTAL

Masculin 5 9 19 40 21 8 32 134

Féminin 13 14 32 37 11 9 10 126

TOTAL 18 23 51 77 32 17 42 260

Il est à noter que notre échantillon est composé d’enseignants et d’enseignantes du primaire. Il ressort, donc, de ce tableau que le nombre des enseignants dépasse celui des enseignantes et que l’ancienneté professionnelle de la majorité d’entre eux dépasse les 15 ans. b- Profil sociolinguistique des professeurs

Graphique n°1 : la langue maternelle des professeurs

langue maternelle

arabe amazigh 26,5%

73,5%

Ce graphique révèle que la langue maternelle de plus de deux tiers des professeurs enquêtés est l’arabe dialectal (73,5 %) alors que (26,5 %) de professeurs ont pour langue maternelle l’amazighe.

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c- Profil sociolinguistique des apprenants Graphique n° 2 : la langue maternelle des apprenants

nombre d'élèves amazighphones 21,2%

21,2% 19,2%

16,5%

14,2% 13,5% 13,8%

1,5% 1,5% Non réponse Moins de 10 De 10 à 20 De 20 à 30 De 30 à 40 De 40 à 50 50 et plus Graphique n°3 : la langue maternelle des apprenants

nombre d'élèves arabophones 66,5%

66,5%

10,8% 8,8% 6,5% 2,3% 2,7% 1,5% 0,8% 0,8% Non réponse Moins de 10 De 10 à 20 De 20 à 30 De 30 à 40 De 40 à 50 De 50 à 60 60 et plus

A confronter les deux graphiques, le constat est que la majorité des élèves composant l’échantillon de cette étude est amazighophone. En effet, 21,2 % des professeurs questionnés confirment la présence de plus de 30 à 40 élèves amazighophones dans leurs classes. Alors que 66,5% témoignent de l’existence de moins de 10 élèves arabophones. Donc, dans ce milieu scolaire rural, la langue maternelle amazighe est dominante. d- Profil pédagogique des enseignants Graphique n° 4: les diplômes obtenus

Diplômes obtenus

500 0 Nb.cit. C.F.I Deug Licence

C.F.I Deug Licence Nb.cit. 233 7 43 Fréq 89,60% 2,70% 16,50%

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La plupart des professeurs qui composent l’échantillon de notre étude sont titulaires d’un diplôme de centre de formation des instituteurs et des institutrices (89,6 %). En deuxième rang viennent les titulaires d’un DEUG (2,7 %) et d’une licence (16,5 %).

e- La formation professionnelle

Graphique n° 5 : Profil des professeurs

Profil des professeurs 9,2O%

Arabisant 90,80% Bilingue

La plupart des professeurs ciblés par notre enquête sont des professeurs bilingues (90,8 %). Ils sont chargés de l’enseignement de l’arabe et du français alors qu’une infime proportion d’entre eux (9,20 %) est arabisante. Ce choix n’est pas fortuit, il demeure étroitement lié aux objectifs de notre recherche car les enseignants bilingues sont censés avoir une connaissance des didactiques des langues enseignées pour pouvoir les comparer.

Graphique n° 6: la formation professionnelle

La formation professionnelle

66,2%

32,3%

1,5%

0 ans 1ans 2ans

Les résultats montrent que les enseignants qui ont suivi une formation initiale au centre de formation des instituteurs avec une durée de deux ans représentent la majorité des enquêtés (66,2 %). Une faible proportion (1,5 %) affirme n’avoir bénéficié d’aucune formation (recrutement direct). Ils ont été embauchés directement selon le système du service civil, ce qui a un impact néfaste sur leur parcours professionnel. Cette catégorie de professeurs a rencontré des difficultés à remplir le questionnaire. Nous avons remarqué

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également qu’un nombre non négligeable de professeurs a bénéficié d’une formation d’une année (32,2 %) : ce sont des professeurs dépassant 22 ans de service.

Graphique n° 7 : la durée de la formation

La durée de la formation

Non réponse 47, 7%

1-7 jours 40, 4%

Mois 6, 5%

Année 5, 4%

Les chiffres les plus parlants dans ce tableau sont les 47,7 % des questionnés qui ne se sont pas prononcés sur cet item. Ce qui nous mène à croire que l’hypothèse de travail que nous avons déterminé au début de notre thèse, et selon laquelle il y a un manque de formation continue des professeurs, est bien fondé. Ceci est illustré également par le nombre élevé de professeurs (40, 4%) qui n’ont reçu qu’une formation de (1 à 7 jours) et qui demeure insuffisante pour améliorer le savoir-faire des professeurs. Seuls 6,5% ont pu suivre une formation d’un mois et 5,4 % d’une année.

Graphique n° 8 : Les niveaux pris en charge

Niveau(x) pris en charge

5,8% Non réponse 20,1% 10,3% 1AEP 2AEP 3AEP 4AEP 5AEP 11,8% 6AEP

17,1%

18,8%

16,2%

Ce graphique montre les niveaux pris en charge par les professeurs. Ce qui justifie le choix d’un grand nombre de professeurs pour les niveaux (1ère année, 2ème année et 3ème année du primaire). Ce qui n’est pas aléatoire car ces niveaux constituent des étapes très importantes dans le développement cognitif de l’apprenant. Ce sont également les périodes où s’effectue le premier rapport des apprenants avec les langues et où se manifeste la rupture entre la langue maternelle et les langues d’enseignement.

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Graphique n° 9 : les langues enseignées à l’école

les langues enseignées à l'école

arabe 20,2% français amazigh

47,8%

32,1%

Il ressort du graphique que la majorité des professeurs enquêtés enseignent les langues arabe et française tandis qu’un nombre restreint de professeurs 20,2 % est chargé de l’enseignement de la langue amazighe.

Les pratiques de classe Graphique n° 10 : Le recours à la langue maternelle en classe

la langue maternelle dans la classe 59,2%

59,2%

37,7%

3,1% 3,1%

Non réponse oui non

A observer ce graphique, on déduit que la plupart des professeurs interrogés 59,2% recourt à la langue maternelle en classe tandis que 37,7% s’y opposent fermement car ils pensent qu’une telle pratique gêne le processus de l’enseignement apprentissage de la langue française. En effet, lors des visites effectuées en classe, nous avons constaté qu’un nombre important de professeurs opte pour l’usage de cette langue en vue de faciliter la compréhension. Les professeurs interviewés l’ont affirmé, également, même s’ils admettent que cette attitude est interdite par les inspecteurs et le ministère de l’Education nationale.

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Graphique n° 11 : l’importance de la langue maternelle en classe de langue

L'importance de la langue maternelle 5%

un obstacle 38% 57% un atout Non réponse

Nous retenons du présent tableau que plus que la moitié des enquêtés (57 %) considère que le recours à la langue maternelle de l’apprenant constitue un obstacle. En revanche 38 % des questionnés admettent qu’ils font appel à cette langue dans leur pratique de classe et que celle-ci constitue un atout dans la mesure où elle leur facilite la compréhension. Ceux qui ne se sont pas exprimés (5 %) ont révélé, lors des entretiens, qu’ils y recourent en cas de besoin.

Graphique n° 12 : les similitudes entre les didactiques des langues enseignées dans la région

similitude entre les didactiques x le degré de similitude

1302 10,8%

11,8%

11,8%

12,7%

13,1%

13,9%

13,1%

0 12,6% 0,4% 100,0% oui non

Non réponse les thémes les méthodes la démarche les approches les supports les compétences visées l'evaluation le soutien

Les personnes interrogées affirment qu’il y a une ressemblance entre les didactiques des langues enseignées dans la région. Analogie qu'ils ont trouvée, presque à part égale, selon les niveaux qui leur sont proposés (les thèmes, les supports, les méthodes, les compétences visées, les approches, la démarche, le soutien). Le résultat obtenu nous a permis de mettre l’accent sur les raisons qui ont poussé certaines personnes à ne pas se prononcer et cela est dû, en premier lieu, au manque de formation continue des professeurs et en deuxième lieu, à l’existence d’un grand nombre de professeurs qui sont chargés de l’enseignement soit de l’arabe, soit du français durant leur parcours professionnel. Ceci les a empêchées d’effectuer une comparaison entre les didactiques des langues susmentionnées.

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Graphique n° 13 : la différence entre les didactiques

la différence entre les didactiques

7,7% Non réponse oui non

49,2%

43,1%

Notre enquête a permis de faire ressortir les divergences entre les didactiques des langues enseignées dans la région. En effet, 43,1 % de professeurs reconnaissent l’existence des différences entre les didactiques des langues, et sur plusieurs niveaux notamment la répartition séquentielle, l’évaluation et le soutien.

Graphique n° 14 : les passerelles entre les didactiques des langues enseignées dans la région

Les passerelles entre les didactiques des langues 72, 7% 72,7%

25,8%

1,5% 1,5%

Non réponse oui non

Le graphique ci-dessus montre que plus que les deux tiers des professeurs enquêtés (72,7 %) effectuent des passerelles entre les didactiques des langues enseignées (arabe, français, amazighe). Alors que (25,8 %) s’accordent pour dire que le recours à cette stratégie perturbe le processus de l’enseignement apprentissage du français et que chaque langue doit être enseignée séparément. Ceux qui ne sont pas prononcés (1,5%) n’ont pas une connaissance approfondie des didactiques des langues susmentionnées

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Tableau n°2 : les passerelles entre les langues (les niveaux)

Activités Nb. cit. Fréq.

Non réponse 73 28,1%

Communication et actes de langage 115 44,2%

Lecture 91 35,0%

Ecriture 16 6,2% Grammaire, conjugaison, orthographe, lexique 126 48,5% Expression écrite 83 31,9%

TOTAL OBS. 260

Nous retenons du présent tableau que presque la moitié des professeurs (48,5 %) opère des transferts entre les didactiques des langues (arabe, français, amazighe). Et ce dans les activités du fonctionnement de la langue (grammaire, conjugaison, orthographe, lexique) et les activités de communication et actes de langage (44,2 %). Les professeurs interviewés et ceux observés font appel à cette stratégie parce qu’elle facilite la compréhension des notions de langue et vu qu’il y a une similitude entre les didactiques des langues au niveau de la méthodologie, de la démarche et des approches. Nous constatons également que 35 % des enquêtés recourent à ce procédé dans les séances de la lecture surtout pour les niveaux inférieurs (2ème année du primaire pour le français, la 1ère année du primaire pour l’arabe et l’amazighe) vu que le premier contact des apprenants avec ces langues se fait pendant cette période. Les professeurs recourent à la même méthodologie lors de la présentation des phonèmes et l’exploitation des textes. Le tableau montre, en outre, que (31,9 %) des professeurs optent pour cette démarche lors des séances d’expression écrite et 6,2 % pour les séances d’écriture. Les sans réponses frappent par leur nombre (28,1 %). Ces derniers se composent des professeurs qui ont une connaissance non approfondie des didactiques des langues et ceux qui sont recrutés directement sans bénéficier d’une formation initiale au centre de formation des instituteurs.

4- L’entretien

Pour vérifier les résultats obtenus, nous avons opté pour des entretiens semi-directifs. Ces derniers ont été réalisés auprès d’un panel de (25) individus répartis dans les communes de la région El Haouz. Ces entretiens nous ont permis de recueillir deux types de données : des données objectives relatives aux catégories sociologiques des enseignants (âge, sexe, profession, origine sociale) ainsi que les données subjectives concernant leurs points de vue. Nous avons amorcé, par la suite, un travail d’interprétation, de retranscription des éléments les plus saillants des discours des enseignants. Nos interrogations visaient à identifier l’ensemble des informations et des problématiques liées aux langues dans la région notamment :  Le profil sociolinguistique des enseignants : leurs statuts et origines ; (Les professeurs ont des appartenances différentes (professeurs arabophones/ amazighophones) ;

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 Le profil pédagogique des enseignants ;  La formation professionnelle des enseignants ;  La diversité des langues auxquelles se trouvent confrontés les apprenants et son impact sur l’enseignement apprentissage de la langue française dans la région ;  Les moyens matériels et pédagogiques dédiés à l’enseignement des langues ;  Les formations sur les didactiques des langues « arabe, français, amazighe » suivies par les enseignants ;  Les pratiques pédagogiques des enseignants ;  Le recours à la langue maternelle dans la classe ;  Les langues enseignées et le va et vient entre les didactiques des langues « arabe, français, amazighe » ;  La pluralité des manuels scolaires proposés dans l’enseignement des langues dans la région ; Pour traiter les données recueillies, nous nous sommes appuyés sur l’analyse thématique, nommée également l’analyse verticale, qui nous a permis d’identifier les thèmes abordés notamment le contact des langues, le recours à la langue maternelle en classe et les convergences et les divergences entre les didactiques des langues enseignées dans la région.

5- L’analyse des enquêtes Les résultats obtenus suite à l’enquête réalisée dans l’ensemble des communes de la région nous ont permis de mettre l’accent sur la réalité de l’enseignement des langues dans la région. Elle propose également l’ouverture sur d’autres perspectives de recherche en socio- didactique. a- Le recours à la langue maternelle de l’apprenant Pour déterminer le rôle et l’apport de la langue maternelle dans l’apprentissage de la L2 et afin de mettre en exergue ses fonctions principales, nous avons effectué des questionnaires avec les professeurs de l’enseignement primaire de la région. La quasi-totalité des réponses s’articule autour de l’utilité de s’appuyer sur la langue maternelle de l’apprenant (l’arabe dialectal, tachlhit). Prof 1« J’ai accumulé pas mal d’expériences dans les pratiques de classe qui m’ont donné la conviction que les langues maternelles de l’apprenant demeurent utiles et efficaces pendant le déroulement d’une leçon. Et ce dans le respect de la nature et la spécificité de chaque langue ». En effet, lors des pratiques de classe, la langue maternelle intervient à certains moments du discours de l’enseignant comme le témoignent les interviews des professeurs. Plusieurs raisons mènent ces derniers à utiliser cette langue notamment leur volonté d’être compris et d’instaurer le lien avec les apprenants. Le professeur n’hésite pas à faire appel à la langue maternelle de l’apprenant pour transmettre un savoir culturel. Le recours à ce procédé sert à véhiculer un message en cas de blocage. Les enquêtés affirment qu’ils y recourent pour expliquer les consignes et faciliter la compréhension. Prof 4 : « Personnellement// je fais appel à la langue maternelle de l’apprenant pour expliquer quelques termes difficiles ou quand il s’agit d’évoquer la culture, les us et les traditions des autres pays » Les professeurs, qui tolèrent cette attitude, pensent qu’elle est indispensable, surtout aux niveaux inférieurs (2ème et 3ème années du primaire), pour transmettre les messages et assurer la communication avec les apprenants. Prof 5 : « Oui, surtout aux niveaux inférieurs pour expliquer les termes difficiles » Ceux qui s’y opposent fermement pensent qu’elle a une influence négative sur les élèves et risque de les perturber. Ils réagissent en fonction de la politique scolaire et par respect aux notes ministérielles qui interdisent le recours à cette langue au sein des classes.

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Prof 4 : « Je ne fais pas ça souvent pour ne pas perturber l’élève, car le recours systématique à sa langue maternelle crée une sorte de confusion chez lui ». Certains professeurs insistent sur l’importance d’enseigner les langues séparément car chaque langue a sa nature et sa spécificité. D’autres pensent que le recours à ce processus doit se faire quand le professeur trouve une certaine difficulté à expliquer les termes abstraits. Prof 10 : « Non, je pense que chaque langue doit être enseignée séparément (chaque langue à sa nature et sa spécificité »). Prof 11 « Oui, je suis obligé surtout quand l’apprenant n’arrive pas à comprendre certains termes (les termes abstraits) ». Il est à noter, également, que le refus de certains professeurs de faire appel à la langue maternelle de l’élève demeure étroitement lié aux notes ministérielles qui s’opposent fermement à ce genre de pratique. Prof 12 « Non, je pense qu’il faut respecter la nature et la spécificité de chaque langue. D’ailleurs, même les notes ministérielles interdisent le recours aux langues maternelles en classe ». b- Les convergences et les divergences entre les didactiques des langues enseignées Pour répondre aux questions suivantes : comment procéder pour opérer un rapprochement entre les langues ? Comment envisager l’enseignement/apprentissage de la LM et de la LE comme « un processus unifié » (Roulet, 1980), nous avons réalisé des entretiens avec les professeurs du secteur scolaire de la région. Notre objectif était de rapprocher l’enseignement des langues enseignées du point de vue méthodologique et pratique en effectuant un va-et-vient entre ces idiomes. Les similitudes sont nettement plus nombreuses comme le soulignent les interviews effectuées auprès des professeurs des langues de la région. Et ce, aux niveaux des objectifs, des programmes, des thématiques et de la méthodologie:  Au niveau thématique : La quasi-totalité des professeurs interviewés a affirmé l’existence d’une similitude entre les didactiques des langues enseignées dans la région surtout au niveau thématique. Ces professeurs ont cité l’exemple de quelques thèmes communs aux trois langues. Prof 1 : « on peut toucher cette convergence et même d’une manière évidente aux niveaux thématique, linguistique, vocabulaire, méthodologique. Par exemple, sur le plan thématique : il y a des thèmes communs (les thèmes du monde de l’internet, la communication). ».  Au niveau méthodologique Les professeurs questionnés soulignent l’existence d’une analogie au niveau de la méthodologie. En effet, ils optent pour la même démarche pour l’enseignement des leçons de la lecture, de l’écriture et du fonctionnement de la langue (observation, systématisation, appropriation, correction). Prof 1 : « Sur le plan méthodologique, je pense que les étapes que nous respectons dans une leçon, telle que la lecture, sont les mêmes qu’on adopte dans une leçon d’arabe. La même chose dans une leçon de fonctionnement de la langue » Prof 6 : « Je pense qu’il y a une ressemblance au niveau de la méthodologie (la même démarche et les mêmes étapes). En effet, dans l’enseignement de la lecture par exemple, on recourt à un support textuel, on repère la phrase, le mot, la syllabe et le phonème » Les professeurs recourent aux mêmes méthodes « implicite/ explicite, déductive /inductive » lors de l’enseignement des langues. Prof 15 : « Il y a une similitude également au niveau des méthodes (implicite/ explicite, déductive /inductive)». D’autres professeurs soulignent l’existence de cette ressemblance également au niveau des supports utilisés et de la démarche.

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Prof 9 : « Concernant le niveau que j’enseigne (la deuxième année de l’enseignement primaire), on utilise le manuel « mon livre de français » pour enseigner la langue française pour enseigner la langue arabe. Il y a une similitude au niveau des في رحاب اللغة العربية et الطفل و » thèmes enseignés notamment « identifier les membres de la famille » en français et .« الطفل والمدرسة » en arabe. On a également les thèmes « parler de son école » et « األسرة  Au niveau des unités de formations Certains professeurs ont affirmé que la ressemblance entre les didactiques des langues enseignées dans la région touche les unités de formation comme en témoignent les interviews : Prof 2 : « Je pense que oui/ on a les mêmes unités de formation et les mêmes matières : ⴰⵎⵙⴰⵡⴰⴹ / التىاصل الشفهي / Expression orale ⵜⵖⵔⵉ / القراءة / Lecture ⵜⵉⵔⵔⴰ / الكتابة / /Ecriture ⵜⴰⴼⵔⴽⵜ ⵏ ⵓⵙⵎⵓⵜⴳ ⵏ ⵓⴼⴰⵔⵙ ⵏ ⵜⵉⵔⵔⴰ / مرحلة اإلعداد واإلنجاز الكتابي/ Expression écrite ⵜⴰⵊⵕⵕⵓⵎⵜ ⴷⵓⵙⴼⵜⵉ / النحى والصرف / Conjugaison  Au niveau des supports et des approches Les professeurs interrogés recourent aux mêmes supports (écrits, iconiques, audio, audio-visuels, numériques) pour l’enseignement des trois langues. Prof 3 : « Oui sûrement sur plusieurs niveaux notamment : la méthodologie, les modules, les supports, les approches, les thèmes à titre d’exemple (l’environnement, les droits), les méthodes, la démarche ainsi qu’au niveau de l’évaluation ».  Au niveau des compétences Certains professeurs confirment l’existence d’une analogie au niveau des compétences visées. En effet, l’enseignement des trois langues vise à développer les mêmes types de compétences : stratégiques, pragmatiques, socioculturelles, linguistiques comme en témoignent les entretiens suivants : Prof 14 « Je pense que oui surtout au niveau de la démarche. Or, je ne pense pas qu’elles ont les mêmes compétences à développer ou qu’on ne développe pas les compétences de la même manière. La langue arabe est la langue maternelle de l’apprenant et il a déjà acquis un certain nombre de compétences au début de son apprentissage (1ère année de l’enseignement primaire). Ce qui explique que les compétences développées en langue arabe sont plus compliquées et plus approfondies. En 3ème année du primaire, l’élève commence à étudier des textes en revanche en français on lui enseigne les phonèmes. Il y a un décalage entre l’enseignement de la langue arabe et française. Prof 4 : « On peut constater une nette convergence au niveau des compétences visées (stratégiques, interpersonnelles »).  Au niveau des situations d’apprentissage Lors des entretiens effectués, certains professeurs ont insisté sur l’importance du choix pertinent et judicieux des situations d’apprentissage qui doivent être étroitement liées à l’entourage et à l’environnement de l’élève. Prof 4 : « l’enseignement des langues se base également sur des situations d’intégration et des situations contextuelles pour relier l’apprenant à son environnement et le mettre dans des situations réelles d’apprentissage ».  Les divergences Le travail du terrain nous a permis de relever des points de divergences entre les didactiques des langues enseignées dans la région en l’occurrence :  L’enveloppe horaire et la répartition Prof 2 : « il y a une différence au niveau de l’enveloppe horaire et de la répartition séquentielle ».

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 L’évaluation et le soutien Malgré la ressemblance entre les didactiques des langues enseignées dans la région, l’enveloppe horaire consacrée à l’enseignement de l’arabe est différent de celui réservée au français. Prof 7 : « A propos du soutien, je pense que l’enveloppe horaire réservée à l’arabe dépasse celui consacrée à la langue française alors quand doit procéder autrement. Mais ça est dû au nombre des unités qui sont plus nombreuses en arabe. »  La nature et la spécificité de la langue Notre enquête du terrain nous a permis de mettre l’accent sur la différence entre les didactiques des langues. En effet, certains professeurs ont insisté sur l’importance de l’enseignement cloisonné des langues vu la nature et la spécificité de chaque langue. Prof 3 : « La seule différence réside au niveau de la nature et la spécificité de chaque langue. De plus, l’enveloppe horaire diffère d’une langue à l’autre ».  Au niveau de la progression Certains professeurs ont mentionné qu’il existe une divergence entre les didactiques susmentionnées au niveau de la progression : Prof 15 : « Oui, surtout au niveau de la progression. En arabe, chaque unité didactique comprend trois semaines. La dernière semaine est réservée à l’évaluation. Il y a également une différence au niveau du degré de la difficulté du contenu proposé dans l’enseignement des deux langues ».  Créer des passerelles entre les didactiques L’enquête du terrain que nous avons menée dans la région nous a permis de mettre en relief les activités qui illustrent les possibilités de tisser des liens méthodologiques et un va-et- vient entre les langues. L'application pédagogique de ce postulat a permis aux enseignants de créer des rapports très étroits entre les langues à commencer par les éléments de la L2 les plus proches de ceux de la L1. Lors de l’analyse des entretiens, nous avons constaté que ce procédé est très sollicité par les professeurs dans la pratique de classe. Certains affirment que cette stratégie est très bénéfique, surtout au niveau psychique, pour combler et pallier les lacunes ressenties chez l’apprenant : Prof 1 : « réaliser ce transfert pour le bien de nos apprenants parce que franchement sur le plan psychologique, nos apprenants ont un handicap ». Prof 2 : « ceci me facilitera la tâche et m’épargnera le fait d’expliquer ces leçons à maintes reprises » La quasi-totalité des professeurs interviewés a souligné qu’il opte pour cette stratégie surtout dans les leçons de fonctionnement de la langue : Prof 2 : « oui, effectivement surtout au niveau de la grammaire et là je cite l’exemple des étant donné que l’élève « النعث » l’adjectif qualificatif ,مكىنات الجملة » constituants de la phrase a déjà acquis ces notions en langue arabe »  Le manque de la formation continue des enseignants L’enquête réalisée dans la région révèle le manque de formation continue des professeurs. Les données colletées du terrain varient entre une absence totale de formation (43 ,75) % et une formation de quelques jours (56,25 %). Les professeurs interviewés ont insisté sur le manque de formation continue. La majorité des professeurs n’a bénéficié que de quelques jours de formation dans le cadre des rencontres pédagogiques organisées par les inspecteurs. Prof 5 : « euh// franchement à part quelques rencontres pédagogiques d’une durée d’une journée qui ont été organisées par les inspecteurs et auxquelles j’ai assisté, je n’ai jamais participé à une formation ».

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D’autres professeurs souffrent de manque de formation continue. En effet, à part la formation qu’ils ont suivie au sein du centre de formation, ils n’ont jamais bénéficié d’aucune formation durant leur carrière. Prof 6 : « euh / à part celles que j’ai suivies au centre non, il y a un manque flagrant de formations » Prof 6 : « dans l’absence de la formation continue, chacun procède à sa manière. Dans l’absence de la formation continue, c’est le professeur seul qui souffre car il est en contact direct avec les élèves ». Conclusion L’enquête que nous avons réalisée dans le territoire de la région nous a dévoilé l’intérêt didactique et pédagogique d’une mise en interaction des langues enseignées et la nécessité d’un décloisonnement à travers la conception et la mise en œuvre d’activités pédagogiques. Plusieurs procédés peuvent contribuer à faciliter la création d’une telle démarche :  Identifier les éléments de convergence et de divergence entre les didactiques des langues enseignées dans la région  Concevoir des contenus thématiques communs dans les programmes conçus pour les trois langues ;  Opter pour les mêmes démarches et méthodologies lors de l’enseignement apprentissages de langues ;  Développer les mêmes compétences lors de cet enseignement apprentissage ;  Diffuser une culture de la diversité linguistique ;  Enrichir le répertoire plurilingue des apprenants.  Valoriser l’expérience langagière antérieure de l’apprenant en exploitant ses prérequis dans des activités pédagogiques qui visent l’amélioration, le développement et la construction de compétences plurilingues ;  Doter les élèves de savoirs, de savoirs faire et de savoirs être dans les différentes langues enseignées à l’école afin d’enrichir leurs compétences plurilingues ;  Harmoniser les démarches, les supports et les programmes des trois langues en tenant en compte la nature et la spécificité de chaque langue ;  Créer un climat au sein de l’école favorisant une convergence didactique entre les langues en effectuant des pans et des passerelles entre elles;  Faciliter l’accès à la langue étrangère en s’appuyant sur la langue maternelle de l’apprenant.  Veiller à la mise en synergie des langues à travers l’élaboration d’un curriculum qui vise le décloisonnement des apprentissages, en faisant appel à tous les intervenants dans le système éducatif. Ces derniers se composent de professeurs qui maitrisent la didactique des trois langues et de formateurs en langue.

Ce projet nous a permis, en outre, de distinguer clairement les distances et les proximités existantes entre les didactiques des trois langues. Les approches plurielles de l’enseignement constituent des modes particuliers d’interactions, d’interrelations qui se produisent lorsque des langues différentes entrent en contact. Ce travail de recherche a révélé également l’importance de l’intégration d’une didactique du bi- plurilinguisme dans le processus de formation continue des enseignants de langue, pour le renforcement des compétences linguistiques et didactiques. Cette formation aura pour objectif de sensibiliser les enseignants à l’importance de la valorisation de la langue maternelle de l’apprenant et l’intérêt d’une interaction entre les langues. Les témoignages des enseignants de langue de la région ont révélé en outre le manque flagrant de la formation continue des enseignants. Ces derniers ont bénéficié seulement de quelques jours de formations durant leur parcours professionnel.

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Des sessions de formation doivent être mises en œuvre afin d’amener les professeurs à éveiller l’intérêt des apprenants à la diversité linguistique. Dans ce dessein, les enseignants doivent être formés au plurilinguisme. En effet, l’élaboration des modules de formation sous forme d’activités qui sollicitent le plurilinguisme des apprenants et la sensibilisation à l’altérité s’avère nécessaire afin de valoriser leurs répertoires pluriels. Il s’agit de doter les professeurs de savoirs et de savoirs faire susceptibles d’améliorer leurs pratiques de classes. Afin d’enrichir les connaissances et la pratique des enseignants, il serait intéressant d’amener les professeurs à se familiariser avec les techniques d’enseignement bi-plurilingues afin d’adopter une approche plurilingue dans les classes de langues. L’objectif étant de promouvoir une didactique intégrée des langues qui a pour objet de rapprocher les langues et de mettre en œuvre de nouvelles approches et méthodes auprès des enseignants de la région.

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