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Livraisons de l'histoire de l'architecture

14 | 2007 Piscines

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/lha/421 DOI : 10.4000/lha.421 ISSN : 1960-5994

Éditeur Association Livraisons d’histoire de l’architecture - LHA

Édition imprimée Date de publication : 10 décembre 2007 ISSN : 1627-4970

Référence électronique Livraisons de l'histoire de l'architecture, 14 | 2007, « Piscines » [En ligne], mis en ligne le 21 mai 2015, consulté le 18 juillet 2020. URL : http://journals.openedition.org/lha/421 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/lha.421

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SOMMAIRE

Les baignades en rivière d’Île-de-, des premiers aménagements à la piscine parisienne Joséphine-Baker Isabelle Duhau

La piscine de Pantin (1935-1937), une réalisation architecturale et sociale d’envergure Christelle Inizan

Bains-Baden, les piscines bruxelloises Isabelle Pauthier

La piscine du palais de cristal à Metz : une « apocalypse joyeuse » Christiane Pignon-Feller

Strasbourg, Colmar, Mulhouse : les programmes de bains municipaux en Alsace au début du XXe siècle. Une politique volontaire d’hygiène publique Patrice Triboux

La piscine municipale de Bruay-en-Artois et le socialisme municipal d’Henri Cadot Marc Verdure

De la « fresque primitive » au mur « où tout est ornement » : les contributions d’André Lhôte à une théorie de l’art mural (1920-1940) Jean-Roch Bouillier

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Les baignades en rivière d’Île-de- France, des premiers aménagements à la piscine parisienne Joséphine- Baker1 Swimming in the of the Ile-de-France: from the first facilities to the swimming pool Flussbadeanstalten in der Île-de-France, von den ersten Einrichtungen zu dem Schwimmbad Josephine Baker

Isabelle Duhau

« En général, tout établissement de bains sur les eaux ne peut manquer d’avoir une grande supériorité sur ceux construits dans l’intérieur d’une grande ville. L’illusion de la belle peut-elle jamais naître au milieu de ces petits jardins factices, circonscrits dans un étroit terrain ? Vous n’avez pas quitté la fatigue des rues, le bruit des cabriolets, des fiacres, la scène n’a pas changé : au lieu que dans les bains sur la , c’est un nouvel air que vous respirez, un nouveau monde sur la plage duquel vous abordez, en laissant sur la rive, comme un souvenir importun, les idées sombres et mélancoliques qui ne cessent de vous obséder dans les fracas de la ville2. » Si l’homme se baigne depuis la nuit des temps en milieu naturel, la construction d’équipements spécifiques sur les rives de nos cours d’eau ou de nos lacs ne semble pas remonter à plus de trois siècles. Le bain public est une pratique courante dans les mondes antique ou arabe ; ceux-ci ont construit des édifices publics à cet usage au cœur de leurs villes. Notre imaginaire évoque sans difficulté les thermes romains ou les hammams orientaux. Cependant, en Occident, la tradition du bain avait disparu (seul le bain thérapeutique restait quelquefois prescrit), la religion chrétienne rejetant la nudité et édictant des règles de pudeur strictes. Le thème mythologique de Venus au bain sert de prétexte aux artistes, dans la tradition classique, pour représenter le corps féminin nu dans un paysage champêtre. À , au XIIIe siècle, on trouve le long de la Seine de rares installations stables d’étuves dont on ne connaît pas les caractéristiques

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architecturales et qui disparaissent à la Renaissance, l’usage des pommades et les onguents venus d’Italie devenant la règle de la toilette. Pour ceux qui aiment l’eau, il ne reste que le bain en rivière. Le mois d’août des Très riches heures du duc de Berry (musée Condé, Chantilly) montre quelques baigneurs s’ébattant dans la , tout près d’Etampes. On sait que le roi Henri IV était friand de ces bains froids qu’il pratiquait à Saint-Germain tandis que Louis XIV se baignait également à Valvins3. À partir du XVIIe siècle, les Parisiens sont plus nombreux à se baigner dans la Seine, comme à la porte Saint-Bernard4, mêlant un souci d’hygiène au plaisir rafraîchissant de l’eau, aux beaux jours. Leur nudité troublant l’ordre public, la nécessité d’installations spécifiques s’impose, la baignade sauvage demeurant la règle partout ailleurs dans les lieux isolés. Les établissements de bains se multiplient au XVIIIe siècle, le naturel et l’exercice physique étant mis en avant par les nouvelles théories des Lumières et les médecins se montrant de plus en plus favorables aux bains. Ces institutions proposent baignoires et bassins collectifs mais il faut attendre la fin du siècle pour qu’apparaissent les premières écoles de natation. Dès lors, les établissements au bord de nos rivières se multiplient afin de répondre à la demande d’une pratique sportive naissante, tandis que le bain d’hygiène se replie peu à peu dans la sphère privée5.

1 Les évolutions techniques et architecturales des équipements répondent à leurs évolutions fonctionnelles. D’abord structures rudimentaires, les baignades se perfectionnent afin de garantir davantage de sécurité aux nageurs (cloisonnement pour réguler le courant, fond artificiel en pente douce), de leur proposer plus de confort (vestiaires individuels, location de serviettes et de costumes), des services complémentaires (espaces de repos, restaurants, salons privés ou dancings) ou bien encore des aménagements ludiques (plages, toboggans ou plongeoirs). Les établissements flottants, installés pour la belle saison et remisés l’hiver, côtoient ceux devenant définitifs au fur et à mesure que leurs équipements se développent, que les rivages sont aménagés ou que les constructions en béton se substituent aux premiers bains en bois. Paris, pionnière en matière de baignades en rivière, se voit à partir de la seconde moitié du XIXe siècle peu à peu distancée par les nombreuses installations des rivages franciliens suscitées par la mode de la partie de campagne dominicale. Dans l’entre-deux-guerres, les baignades, de plus en plus sophistiquées, deviennent de véritables établissements nautiques polyvalents baptisés « plages », rivalisant avec les établissements balnéaires attirant la haute société dans des villégiatures luxueuses. Tandis que les premiers bains en eau vive étaient nés d’une réhabilitation de l’eau dans l’hygiène et la santé corporelles, la nudité des corps dans l’espace urbain ainsi que la sécurité des baigneurs constituent des problèmes récurrents pour les pouvoirs publics, contraints à réglementer et surveiller strictement les baignades. Après guerre et jusqu’aux années 1960, grâce au développement des loisirs aquatiques, les baignades en rivière connaissent encore quelques saisons d’engouement, avant que la multiplication des piscines couvertes artificielles répondant aux besoins croissant de l’enseignement de la natation aux scolaires et de la pratique sportive, et surtout la pollution des rivières, n’oblige les établissements à fermer définitivement leurs portes.

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Installations démontables et structures pérennes

Limites lexicales

2 Aucun terme spécifique ne qualifie les dispositions qui permettent les bains en eau vive, dits froids. On y pratique la natation dans ce que les textes mentionnent successivement ou alternativement comme des bains, des écoles de natation, des baignades, des plages ou des piscines. L’absence de définition pour ce lieu (qu’il borde une rivière ou qu’il soit totalement artificiel) dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse (1866) est symptomatique et atteste le caractère récent de l’encadrement de la baignade. Selon la dernière édition du Grand Robert de la langue française (2001), la piscine « est un grand bassin où l’on se baigne en commun » (l’expression « piscine de natation » apparaissant en 1865) ; le bain est défini entre autres comme « l’action d’entrer dans l’eau pour le plaisir et éventuellement dans l’intention d’y séjourner, de nager » tandis que la baignade « est à la fois l’action de se baigner en mer, en lac ou en rivière et l’endroit d’un cour d’eau ou d’un lac où l’on peut se baigner ». Cette dernière définition sous-entend que la baignade se pratique en plein air mais dans des lieux qui ne sont cependant pas nécessairement aménagés pour cet usage. Les techniciens décrivent ceux-ci plus précisément. Selon eux6, les baignades sont des bassins naturels ouverts, des plages aménagées en bordures des rivages de la mer ou englobant des portions de cours d’eau, ou bien encore utilisant des lacs et des étangs naturels. Les bassins constituent des établissements de natation que l’eau traverse en circuit ouvert, partiellement naturel et partiellement artificiel. Enfin, les piscines comportent un bassin en plein air ou couvert et sont un aménagement totalement artificiel, fonctionnant en circuit fermé. Ainsi, aujourd’hui encore en Île-de- France, on se baigne en rivière dans quelques lieux plus ou moins façonnés par l’homme, de la crique naturelle dégagée de ses herbages aux installations techniques plus sophistiquées.

Des bateaux – pontons…

3 L’Encyclopédie explique que les bains sont un terme d’architecture correspondant à de grands et somptueux bâtiments. Elle distingue les bains artificiels de ceux dits naturels qui sont, ou chauds, comme ceux des eaux minérales, ou froids, comme l'eau des rivières. L’ouvrage ajoute qu’à cette date :

4 Les bains publics sur la rivière, ne sont autre chose que de grands bateaux, appelés toue7, faits de sapin, et couverts d'une grosse toile, autour desquels il y a de petites échelles attachées par des cordes, pour descendre dans un endroit de la rivière où l'on trouve des pieux enfoncés d'espace en espace, qui soutiennent ceux qui prennent le bain8.

5 Ainsi, dans le bateau amarré à la rive, le public dépose ses vêtements, abrité sous la toile tendue, puis descend dans l’eau, toujours protégé des regards par la toile prolongée en auvent au-dessus de l’eau et maintenue par les pieux délimitant le bassin. Cependant, les gens de qualité ne fréquentent pas ces établissements. Pour les gens riches, les bateliers ont installé, au-dessus et au-dessous de Paris, des petites cabanes nommées gores qui se composent de quatre pieux ombragés par une toile ; un autre pieu, planté au milieu, permet de se soutenir sur l’eau. Paul Négrier mentionne le Journal du citoyen selon lequel « les dames sont conduites et descendues dans ces gores,

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sûrement, commodément et secrètement » ; Négrier précise que ce sont les femmes des mariniers qui guident ces baigneuses.

6 Vers 1780, le sieur Turquin ouvre un nouvel établissement sur le petit bras du fleuve parisien, près du : il place dans son bateau des baignoires percées, maintenues sur un plancher à une certaine profondeur et traversées par le courant de la rivière. Trois personnes qui disposent de cabines pour se déshabiller peuvent prendre place dans ces baignoires. La maison est bientôt baptisée « bains chinois »9. Devant le succès, Turquin ouvre un autre établissement en 1785 : il supprime les baignoires mais aménage un bassin collectif. L’entrepreneur crée encore un troisième bain au . En 1808, il s’associe à son gendre Deligny. Turquin se fait l’ardent défenseur des bains froids et du concept d’école de natation10. Le terme est nouveau mais seule la terminologie change, il s‘agit pour l’entrepreneur d’attirer une clientèle privilégiée qui dédaignait jusque là les bains collectifs. En effet, les aménagements évoluent finalement peu par rapport aux bains collectifs existants. L’ordonnance de police du 3 juin 1783 exige simplement le cloisonnement total du bain dans ses parties supérieures (afin d’éviter que les passants ne voient les baigneurs) et dans ses parties latérales (la sécurité des usagers imposant de se prémunir du courant). Toutefois devant le succès de ces équipements, les dimensions de ceux-ci augmentent et leur mise en place saisonnière tend à se muer en installation durable. Longtemps, les bateaux avaient été soumis aux aléas du dégel et étaient parfois endommagés coulés par des blocs de glace charriés par la rivière. Ils étaient remisés à l’abri durant la saison d’hiver, désencombrant les berges et le trafic fluvial.

7 Au début du XIXe siècle, les bains établis sur la Seine, à Paris, se composent désormais de quatre ou six pontons portant plateforme, cabines, portiques, restaurant, qui forment ensemble une enceinte rectangulaire, au milieu de laquelle se prennent les bains. Les espaces annexes se développent, comme aux premiers bains Deligny où « la rotonde » appelée encore « l’amphithéâtre »11 permet aux nageurs de se réunir et de discuter. À partir de 1830, le fond du bassin peut être formé de planches de bois mobiles susceptible de modifier la profondeur et de créer une pente artificielle. En 1840, les frères Burgh, nouveaux propriétaires, reconstruisent l’école de natation Deligny (ill. 1) :

8 Elle est formée par l’assemblage de plusieurs bateaux. Un bateau d’entrée contient le bureau de recette, la lingerie, le logement du gérant, et des cabinets dans sa partie supérieure. Un bateau-rotonde, placé à la tête de l’école, contient le café, sa cuisine et son divan ; en aval, au bas de l’école, est un autre bateau-rotonde. Dix bateaux, rangés sur deux lignes, dans l’ordre d’un parallélogramme, achèvent l’enceinte de l’école. Ajoutons le bateau séchoir, qui sert de logement au gardien, et la buanderie flottante. Cet ensemble est décoré avec beaucoup de goût, de luxe, et atteste la légèreté, la fantaisie élégantes, les teintes vives, les nuances variées et les découpures de l’architecture orientale. Le divan est à lui seul un kiosque délicieux, et dans lequel la lumière du jour ne pénètre qu’à travers des verres de couleur qui en adoucissent l’éclat.

9 Trois cent quarante cabinets règnent le long des galeries du rez-de-chaussée et du premier étage : chacun est meublé de glaces, de patères, de tapis, de chaises en frêne couvertes en canne. Il y a, en outre, six salons particuliers, loués à l’année, sept salles communes, avec des cases pour les effets des baigneurs, six salles pour les pensions, et six autres salles à l’étage supérieur. Les galeries sont garnies d’un tapis de laine. Indépendamment de tous ces lieux ouverts au public, on a réservé trois cabinets avec onze cents cases numérotées pour le dépôt des objets précieux, une salle pour les

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leçons à sec, et une chambre de secours, munie des appareils nécessaires pour rappeler les noyers à la vie ; et je ne parle pas des pièces de service, du salon de coiffeur et du salon de pédicure.

10 Le fond d’un des deux bassins a été dragué pour faire disparaître toutes les aspérités du sol : l’autre bassin est muni d’un fond en bois, long de trente mètres, dont la profondeur va de soixante centimètres à deux mètres. Devant le bateau-divan se trouve un escalier en spirale à deux paliers, dont le second s’élève à six mètres au-dessus de l’eau. Cette montée, d’une construction élancée est entourée de filets : un mât et une flamme lui donnent un aspect pittoresque. Les plongeurs donnent à cet appareil qui leur est destiné le sobriquet de perchoir. Ils ont aussi, sur le pont qui joint les deux galeries, des gradins d’où ils peuvent prendre leur élan.

11 Les bains Deligny sont le prototype du genre12.

Ill. 1 : Les bains Deligny

Edmond Texier, Op. cit., p. 5. © Inventaire général, repro. Stéphane Asseline

12 Effectivement, durant des décennies, nombre d’établissements s’inspirent du modèle créé par l’architecte Galant (élève de Visconti) et les décorateurs Philastre et Cambon. Leur mise en scène orientalisante, style associé aux bains dès le XVIIIe siècle à Paris13, marque les esprits. Un confort matériel inédit est offert aux clients. Les bassins sont entourés de filets pour éviter aux nageurs de rejoindre la pleine eau et assurer ainsi leur sécurité. La pente progressive du premier bassin satisfait les nageurs débutants tandis que les plus expérimentés peuvent plonger dans le second bain, où le fond naturel de la rivière atteint ici 4,50 m. de profondeur. Enfin, les baigneurs profitent du ciel parisien car l’école est construite près de la rive, à l’abri d’un rideau d’arbres élevés et de grands peupliers et ne nécessite pas d’être recouverte d’une toile14. Près de cent ans plus tard, la réglementation atteste du peu d’évolution techniques des bassins parisiens qui sont toujours construits selon le même modèle (ill. 2 et 3) :

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13 1. Les bateaux devront toujours être en bon état et bien gibassés15 de manière qu’il n’y ait jamais d’eau en cale. Ils seront fréquemment nettoyés à fond pour éviter dépôts de vases ou d’ordures. Ils seront solidement amarrés.

14 2. Le fond en bois sera composé d’un plancher en charpente solidement boulonné, il ne sera pas cloué, mais maintenu au moyen de vis à tête ronde et noyée dans le bois.

15 3. Le périmètre interne du bain sera garni dans toute sa hauteur, ou de herses en charpente à claire-voie, dont les pièces ne seront pas écartées l’une de l’autre de plus de 0,15 ou de filets métalliques suffisamment forts dont les mailles auront au plus 0,15 de coté16.

Ill. 2 : Les bains parisiens

Photographiés à la fin du XIXe siècle par Armand Guérinet © Ministère de la Culture, médiathèque du patrimoine, Archives photographiques

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Ill. 3 : Les bains de la Samaritaine vers 1930

Photographiés par les frères Séeberger © Ministère de la culture, médiathèque du patrimoine. Archives photographiques

16 Cependant, à partir de la fin du XIXe siècle, les rivages des alentours de la capitale voient se développer une nouvelle typologie de baignades : tandis que le bassin demeure délimité par des pontons flottants, les aménagements annexes sont installés directement sur la berge. Ils complètent les guinguettes et autres ateliers de constructeurs de bateaux dont les propriétaires gèrent également des établissements de bains, la polyvalence de leurs activités étant gage de succès. Ces équipements complémentaires présentent les mêmes caractéristiques de précarité. Conçus en partie en bois, agrandis et reconstruits autant que de besoin, l’éclectisme et la fantaisie de leurs décors répondent aux aspirations de dépaysement de la clientèle recherchant l’évasion à leur porte. Les berges sont le plus souvent aménagées en conséquence mais les investisseurs exploitent, dès qu’elles existent, les richesses naturelles des rivages, tel le premier établissement de la plage de l’Isle-Adam, la plage de sable de Gournay- sur- ou le banc de sable de Joinville-le-Pont17. Les évolutions formelles de ces bassins restent liées aux évolutions techniques. Longtemps bâtis tout en bois, les plus sophistiqués permettent un réglage de la hauteur du fond, suspendu à des chaînes.

17 Après la seconde guerre mondiale, les constructeurs initient une production industrielle, substituant le métal au bois et assemblant des modules préfabriqués les uns aux autres, permettant ainsi la fabrication de bassins de dimensions et de formes variées et facilitant leur démontage hivernal. Le bassin-école flottant que la société des constructions métalliques SES installe à Meaux, en 1951, donne toute satisfaction à la fois à la municipalité, au service technique de l’équipement du secrétariat d’État à l’enseignement technique, à la jeunesse et aux sports et à la fédération française de natation18. Bientôt la première loi-programme d’équipements sportifs (1962-1965) encourage la construction de bassins de natation et de piscines, les villes françaises

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demeurant largement sous équipées. La loi préconise la normalisation des types et la fabrication à l’avance, en atelier, de leurs éléments. Sport, Eau et Soleil présente alors dans ses pages, un modèle de piscine-école en site terrestre de plein air ainsi qu’un bassin école flottant, celui de Neuilly-sur-Marne, construits conformément aux prescriptions du haut-commissariat à la jeunesse et aux sports et à celles de la fédération nationale. Ce type de bassin flottant, utilisable en rivière, lac ou mer, est déjà installé dans plus de cent cinquante sites en France19. Il est formé de pontons rectangulaires en tôles d’acier soudées. Une des faces du ponton, sur laquelle est fixé le caillebotis en bois, est amovible. Sur chacun de leurs cotés, les pontons présentent des ferrures spéciales d’accrochage : ils peuvent être réunis les uns aux autres dans quatre directions et former un bassin de la forme et des dimensions désirées. Sur l’un des petits cotés du rectangle de chaque ponton se trouve un assemblage destiné à faciliter la manutention et l’amarrage aux berges et au fond. Lorsque le bassin est installé, les accessoires (échelles, garde-corps, passerelles…) peuvent être placés sur les pontons20.

18 Si ce type de bassin connaît un réel succès du fait de sa souplesse et de son faible prix de revient, l’entre-deux-guerres voit se créer un certain nombre d’établissement où les bassins sont construits en dur.

… aux piscines maçonnées

19 Ces premiers bassins réalisés en maçonnerie sont encastrés dans la berge ; ils constituent un prolongement presque naturel au quai en béton, aménagement de plus en plus fréquent du rivage. À Ris-Orangis, à Corbeil ou encore à Maisons-Alfort, les bassins sont encore des pontons flottants sur trois côtés, mais le quatrième côté est constitué du quai maçonné, construit plus ou moins au niveau de l’eau. La baignade du Banc de sable de Joinville-le-Pont n’est d’abord qu’une petite crique naturelle avant d’être aménagée : le bassin est encadré par des gradins en arc de cercle du côté du rivage, et fermé du côté de la rivière par une digue. Le premier niveau de gradin est en béton afin de résister aux crues hivernales, deux autres niveaux sont d’abord recouverts de sable puis engazonnés. Au-delà du premier bain, des bouées délimitent un second bain pour les nageurs expérimentés, directement dans la rivière21.

20 Des préoccupations liées à la sécurité mais aussi des questions d’hygiène et de pollution justifient la tendance à isoler de plus en plus souvent le bassin du lit du cours d’eau. Même si Sport, Eau et Soleil ne mentionne ces problèmes qu’au sujet des plages de bord de mer souillées par le mazout, les conditions sanitaires des baignades en rivière sont abordées dès le XIXe siècle. Les bains Deligny, fleuron du genre et alors point de rencontre de la haute société, sont situés après la traversée de Paris. Déjà, en 1844, Eugène Briffault remarquait que « l’école de Deligny s’est faite opulente et magnifique, mais la moindre pluie, la moindre indisposition atmosphérique rend quelquefois ses bassins vaseux. Il est alors difficile de nager longtemps dans ces eaux, sans avoir la poitrine toute souillée d’un dépôt boueux et les oreilles embarrassées »22. Il faut attendre 1919 pour qu’un système de filtrage soit installé à Deligny (et même 1953, au Bain-Royal23, quai du ). Durant l’entre-deux-guerres, à Paris, la question devient plus pressante. Le syndicat des piscines modernes et plages artificielles, dans un document d’information de 1935, évoque la question des différents systèmes d’épuration et de renouvellement de l’eau : tandis que les établissements les plus anciens comportent seulement un filtrage mécanique à travers des couches de sable fin

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qui retiennent les déchets et débris organiques, les établissements plus modernes sont dotés d’un système de stérilisation de l’eau soit par le chlore gazeux, soit par l’eau de Javel du commerce, soit par des dérivés tels que la Chloramine. Cependant, cette dernière méthode présente l’inconvénient de produire une eau au goût désagréable et irritante pour les muqueuses et les yeux. Le syndicat indique qu’il a acquis l’exclusivité d’un brevet mis au point en Hollande, source de progrès depuis plusieurs années déjà, et qui exclut l’emploi de tout produit chimique. Le procédé repose sur l’action destructive de certaines classes de bactéries sélectionnées, intensifiée par une oxygénation énergique24. Pourtant, encore en 1936, la directive officielle dispose que les établissements de bains froids doivent seulement être dératisés régulièrement25. En 1939, Jacques Meuley, étudiant en médecine lui-même adepte des bains dans la Marne, étudie dans sa thèse une pathologie qu’il attribue à la baignade en rivière, raison pour laquelle il exprime le souhait de voir de nouvelles dispositions se généraliser26. Il explique que l’eau de la Seine ne devrait plus être utilisée directement, car sa souillure est bien connue. Il prône la réalisation de bassins clos avec filtration d’« eauchloration » et renouvellement constant, tandis que les plages en rivière devraient selon lui être « ratproof » en étant installées loin des déversements d’égouts et dotées de grilles pour empêcher les animaux d’accéder à la rivière.

21 Désormais les établissements les plus prestigieux proposent des bassins où l’eau est filtrée, construits plus ou moins en bordure du rivage afin de conserver l’esprit de liberté de la baignade en rivière, ainsi la Plage de Villennes, qui ouvre en 193527 (ill. 4).

Ill. 4 : Coupe longitudinale des bains flottants de Levallois-Perret

Dans Nouvelles annales de la construction, Bains et lavoirs publics, n°18, septembre 1873, planche 42 © musée de la batellerie, Conflans-Sainte-Honorine.

22 Dès 1850, les amateurs fréquentent la plage naturelle de l’Isle-Adam sur un bras de l’, mais il faut attendre 1910 pour qu’un investisseur construise les premiers aménagements à l’origine de l’immense succès de l’établissement, première plage fluviale de France par sa taille, près de trois hectares. Après la Seconde Guerre mondiale, à la suite de l’interdiction de se baigner dans l’Oise, de notables améliorations sont apportées. L’eau est traitée, les bassins de filtration par le sable, à ciel ouvert, étant dissimulés par les bâtiments de cabines ; le petit bassin est cimenté ; le grand bassin, auparavant directement dans la rivière, est remplacé par une structure en résine, encastrée au milieu de la plage et longeant seulement la berge (un pédiluve la ceinture qui évite qu’elle ne soit souillée pas le sable). Enfin, Johnny Weissmuller, l’ancien champion de natation, alias Tarzan, inaugure le « bassin-record » en 1949. Celui-ci n’est pas enterré, mais construit hors-sol. Des tribunes entourent la cuve, à l’exception d’un des deux petits côtés où est placé le plongeoir. Les élévations

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extérieures sont ornées de faux colombage, eux aussi en béton, qui rappellent l’architecture des cabines28. La piscine de Viry-Chatillon présente quant à elle une configuration tout aussi exceptionnelle : son bassin rectangulaire s’implante perpendiculairement au rivage et seul un petit côté, fermé par une digue, borde visuellement l’eau vive, dominé par un imposant plongeoir.

Autour du bassin

23 Le plongeoir, aujourd’hui intrinsèquement lié au bassin de natation, en devient un accessoire incontournable dès le milieu du XIXe siècle. Le plongeoir des bains Deligny n’échappe pas à la description des commentateurs. Constructions similaires aux premiers bassins flottants en bois, leur précarité explique que seules les images anciennes en conservent le souvenir. Ceux qui dominent les enceintes délimitées par de simples bouées sont les plus spectaculaires : la profondeur du lit de la rivière autorise les exploits. Les tentatives de record peuvent même être l’occasion d’assembler des structures éphémères, comme lors des championnats du monde de natation à Joinville en 1906 ou les championnats de France organisés par les Pingouins de la Marne au Perreux en 1922, lors du « Plongeon de la mort [en vélo !] exécuté par Vaissade le 28 juillet 1907 » ou encore lors du record du monde à 31,50 m. de Peyrusson, toujours à Joinville29. Pour le plus grand nombre, les tremplins sont avant tout des accessoires ludiques et les propriétaires de baignade cherchent à multiplier ce type d’éléments afin de satisfaire leur clientèle. Pour les architectes qui dessinent ces plages à partir des années 1920, ils sont l’occasion de concevoir des structures élancées qui fonctionnent comme des signaux dans le paysage. Dès 1921, l’Isle-Adam possède un grand toboggan où les nageurs glissent et tombent directement dans la rivière, comme à la Plage de Villennes quinze ans plus tard ou à celle de Beaumont-sur-Oise. À la plage des Lys- Chantilly (sur la commune de Boran-sur-Oise), les baigneurs sont précipités dans l’eau dans des petits chariots dévalant une rampe sur des roulettes, très similaires à un manège. Dans ce dernier établissement, un système de vagues artificielles est installé dans le bassin et les plus aventuriers peuvent même s’exercer en pleine rivière à l’aquaplane, ancêtre du ski nautique30. À Neuilly-sur-Marne ou à Corbeil, les enfants essaient de marcher sur une roue à aubes qui les précipite dans l’eau au moindre écart d’équilibre.

24 Si ces jeux d’eau restent gravés dans le souvenir des jeunes baigneurs qui les pratiquèrent, ce sont davantage les bâtiments annexes construits le long des plages qui suscitent aujourd’hui l’intérêt. Bien qu’édifiés pour durer, les ensembles construits à partir des années 1920 ont quasiment tous fermé. Ils ont disparu l’un après l’autre avant que leur valeur patrimoniale ne puisse être reconnue. Ces équipements rappellent l’architecture « paquebot » en vogue durant l’entre-deux-guerres, notamment pour tous les équipements sportifs liés à l’eau31. Hublots, bastingages et mats à haubans garnis de flammes triangulaires garnissent les bâtiments tout en béton, peint d’un blanc immaculé, qui s’étirent le long du quai. Généralement, un corps principal accueille guichet, buvette, restaurant, solarium et autre boutique, tandis que les cabines et sanitaires se succèdent dans de longues ailes, plus basses. Ainsi les installations de la Plage de Champigny, réalisées suivant les plans dressés par Fromonot, architecte parisien, ouvrent en 1933. Une étendue recouverte de sable (aujourd’hui d’herbe) longe la rive ; elle est encadrée de deux bassins en béton placés dans le lit de la rivière et précédée d’un long bâtiment de cabines côté quai. Cette

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dernière construction est surélevée afin de se trouver protégée des crues de la rivière32. L’année suivante, ouvre la plage de Meaux-Trilport dont bientôt les bâtiments, notamment ceux du Cercle nautique, s’élèvent le long de l’étendue de sable, face aux bassins flottants formés de pontons. En 1935, les architectes de Poissy, Lucien et Paul- Edmond Bourgeois, réalisent la spectaculaire plage de Villennes. Citons également la plage de Gournay (le Petit-Deauville), la baignade Sainte-Catherine à Créteil, la plage municipale de Maisons-Alfort, ainsi que la plage de Lys-Chantilly où une grande rotonde aux terrasses étagées était couronnée d’un mat spectaculaire. Les bâtiments de la plage de Melun, dessinés en 1942 par l’architecte départemental Maxime Verdeaux33, et surtout ceux de l’Isle-Adam, plus anciens, se rattachent davantage à la mode néo- normande que l’on retrouve également dans l’architecture sportive34. Hautes toitures étagées, toits débordants, aisseliers ouvragés, fenêtres à petits bois, faux colombages renvoient ici au pittoresque néo-régionaliste. Le restaurant de la plage est d’ailleurs baptisé « le Pavillon normand ». La baignade d’Élisabethville (sur les communes d’ et d’Épône dans les ), surnommée Paris-Plage ou, elle aussi, le Petit-Deauville, ainsi que son luxueux hôtel complètent un lotissement de villégiature. La reine Élisabeth de Belgique réside dans la commune durant la guerre 1914-1918. Dès le début des années 1920, les actionnaires de la Belgique prévoyante et de la Prévoyance mutuelle créent un ensemble pavillonnaire, parrainé par la souveraine. La cité-jardin, conçue sur un plan radioconcentrique, rayonne autour de la gare de chemin de fer35. La plage et son bassin en bois flottant ouvrent en 1929. Un embarcadère permet des excursions sur la Seine en vedette ou en voilier, les touristes peuvent également profiter du casino ou du golf. Dans les années 1950, lorsqu’on ne peut plus se baigner dans la Seine, l’usine Renault de Flins, implantée tout à côté, finance la construction d’une piscine artificielle dont le bassin est encastré sur le quai. L’hôtel est reconvertit avant d’être abandonné puis squatté jusqu’à la destruction récente des vestiges encore existants36.

25 Le dimanche, des trains spéciaux, souvent directs depuis Paris, desservent ces établissements à la renommée grandissante. Après la seconde guerre mondiale, face au développement de l’automobile, les gestionnaires tentent d’aménager des parkings au plus près de leurs installations. Les Parisiens, autrefois cantonnés aux établissements installés au cœur de la capitale, ont désormais la possibilité de chercher de plus en plus loin leur baignade idéale.

Nager au fil de l’eau

À Paris37

26 Depuis fort longtemps, les berges du fleuve parisien sont encombrées : elles se partagent entre bateaux à lessive, passages d’eau (on en dénombre neuf en 1788) qui pallient l’encombrement des ponts, porteurs d’eau, pécheurs professionnels ou occasionnels, activités portuaires, bateaux moulin, marchés flottants… et bientôt établissements de bains. Ainsi, dès le XVIIe siècle, une réglementation organise le fonctionnement de ceux-ci ; en 1688, les époux Villain obtiennent l’autorisation d’installer des bains au pont Marie. Ces premiers établissements demeurent très rudimentaires. Au cours du XVIIIe siècle, ils se multiplient le long des rivages parisiens, certains mis en place uniquement pour la saison d’été (du 1er mai au 30 septembre). Ils sont démontés à l’automne ; chaque ponton est remorqué pour l’hiver et abrité en

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dehors de Paris (à l’île des Cygnes au Bas- ou dans le de l’ par exemple). Les principaux bains sont situés à la Rapée, près de l’Archevêché38 et plus généralement aux pointes orientales de l’île de la Cité et de l’île Saint-Louis, quai de Morfondus (aujourd’hui quai de l’Horloge), de part et d’autre du , square du Vert-Galant, au port Saint-Nicolas39 ainsi que , au port de la Grenouillère40 et à la barrière des Invalides41. Le sieur Poitevin installe les premiers bains chauds parisiens en 175742, amarrés près du pont Royal, puis d’autres aux Tuileries, au pont Neuf et enfin au pont de la Tournelle ; son affaire est bientôt rachetée par Viguier. Les établissements proposant une eau chauffée sont rares, l’eau alimentant les bains demeurant le plus souvent à sa température naturelle, assez fraîche même durant l’été. Les bains publics regagnent leurs lettres de noblesse : le sujet est donné en concours aux étudiants en architecture de l’École des beaux-arts43. À la fin du XVIIIe siècle, les établissements parisiens proposent souvent des bains complets, c’est-à-dire comprenant douches, bains, bains de vapeur et bassin collectif. Turquin, propriétaire de plusieurs d’entre eux, semble inventer le concept d’école de natation qui devient un nouveau lieu de sociabilité, stimulant l’imagination des auteurs44.

27 En 1805, dix-neuf bains froids dont deux assignés aux juifs, quatre bains chauds appartenant au sieur Viguier et deux écoles de natation sont installés à demeure45. Depuis le XVIIIe siècle, les autorités rejettent nombre de demande d’autorisation d’installation de bains car la priorité est donnée à la navigation et le trafic augmente sans cesse. Lorsque des autorisations sont accordées, elles précisent d’ailleurs que les bains pourront être déplacés sans indemnité à la moindre injonction. Pourtant les écoles restent nombreuses parce qu’il faut répondre au besoin grandissant de la population et les ordonnances du préfet de police réitèrent chaque année l’interdiction « de se baigner en rivière dans Paris, si ce n’est dans les bains ou écoles de natation autorisés ». Cette interdiction vaut également pour le canal Saint-Martin, le bassin de la Villette, le canal de Saint-Denis et celui de l’Ourcq, dans le département de la Seine46. Seuls quelques mariniers et les établissements structurés ont l’autorisation d’organiser des baignades en pleine eau (depuis un bateau, le bachot que toute école de natation doit obligatoirement posséder pour des raisons de sécurité) qui se déroulent sept à huit fois par jour : « La pleine eau, c’est le dernier enseignement de la natation ; c’est l’essai que l’on va faire de ses forces au dehors de l’enceinte du gymnase. » Les nageurs déjà expérimentés, encadrés d’un maître de nage, remontent le fleuve dans une embarcation, plongent et suivent la barque descendant le courant en évoluant au milieu de la rivière, faisant « route avec des charognes flottantes et mille autres agréments semblables. Enfin […] on remonte dans le bateau, qui ramène à l’école la cargaison vivante »47. À partir de 1877, devant l’augmentation du trafic fluvial (transport de marchandises mais aussi trafic de voyageurs), aucune nouvelle autorisation d’installation des bains sur la Seine n’est plus finalement accordée. Les bains endommagés ou très anciens ne peuvent plus être réparés ni remplacés et doivent être définitivement supprimés. Toutefois devant la pression des exploitants et en l’absence de solution de substitution, les bateaux bains et les écoles de natation se révèlent plus difficiles à supprimer que les bateaux lavoirs. Le nombre des installations permanentes demeure quasiment constant durant le siècle : dix-neuf en 1833, vingt en 1875 et encore quatorze en 1910 (ill. 5).

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Ill. 5 : Bains à Valvins

Carte postale, coll. part. © Inventaire général, repro. Stéphane Asseline.

Le long des rivages franciliens

28 Si les premiers bains organisés sont tout d’abord installés dans Paris, ils se développent également au bord de tous les rivages de la région car la baignade en rivière est bientôt interdite en dehors des établissements de bains et de quelques lieux listés par les autorités. Ainsi en 1888, dans le département de la Seine, ne restent accessibles que quarante mètres en aval du barrage de Port-à-l’Anglais à Alfortville, un site à Vitry, cinquante mètres à l’abreuvoir de (mais après 9 heures du soir), un autre site à , un vis-à-vis de l’île de -Carrière et en Marne, un site à Nogent, un autre à Saint-Maur au lieu-dit « le Banc de Sable », un rivage à Champigny en amont de l’île du Martin-Pêcheur, un autre à Bonneuil en aval de l’île du Moulin-Bateau sur quatre-vingt mètres, et enfin un dernier site à Créteil dans le bras du Chapitre. Les services d’archives, grâce aux autorisations nécessaires, conservent la trace de nombre d’installations et les collections de cartes postales anciennes nous en fournissent une iconographie précieuse : les rivages de la Seine, en amont comme en aval de la capitale, de la Marne, de l’Oise, du voient se multiplier les bains froids, les baignades et les écoles de natation plus ou moins élaborées48 (ill. 6).

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Ill. 6 : La baignade Prud’homme au Perreux-sur-Marne

Carte postale, coll. part. © Inventaire général, repro. Stéphane Asseline

29 À Melun par exemple, dans les années 1840, le sieur Bertrand obtient l’autorisation de réinstaller chaque année un établissement de bains froids destinés aux femmes, composés de toiles tendues et de pieux enfoncés dans la rivière. Un peu plus loin, l’établissement de M. Doyen est entouré de bateaux (qui accueillent les cabinets des baigneurs) qui supportent un plancher où prennent place les personnes qui souhaitent se baigner. Des piquets et des cordes à l’intérieur du bassin sont disposés de manière à empêcher que l’on puisse s’engager sous les bateaux. Le bassin, dragué, dispose d’un fond de cinquante centimètres à deux mètres au plus en pente continue. Les bains sont entièrement recouverts de toile flottante, occultant ainsi la vue depuis le rivage49. Ce type d’établissement se rencontre à Mantes, Meulan, Lagny-sur-Marne, Valvins, Choisy- le-Roi, , Saint-Denis, etc.

30 La plupart des équipements sont des entreprises simplement commerciales tirant bénéfice du nouvel engouement pour le sport et la baignade, telle la plage d’Élisabethville, celle de Villennes ou encore la plage de l’Isle-Adam (l’une des rares qui n’ait jamais cessé son activité). D’autres projets n’aboutissent pas, comme le complexe du Sport international, projeté en 1869 sur l’île Saint-Germain à Issy-les- et qui aurait compris deux écoles de natation, l’une pour les femmes, l’autre pour les hommes, sa trop vaste ampleur et le flou de son programme effrayant sans doute les investisseurs potentiels50 ; c’est également le cas du projet datant de 1893, composé de bains, lavoir et hydrothérapie, prévu sur la Seine à et dont on conserve de très beaux dessins signés de l’architecte Louis Ducastel51. Quelques équipements sont réalisés à l’initiative d’associations sportives, ainsi le bassin de l’USM (union des sauveteurs de la marne) à Nogent-sur-Marne52 ou ceux de la société d’éducation physique alsacienne-et-lorraine53 et de la société de natation et de sauvetage des pingouins de la Marne au Perreux-sur-Marne54 (ill. 7).

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Ill. 7 : La Seine et la plage de Villennes sur l’île du Platais à Médan

Carte postale, coll. part. © Inventaire général, repro. Jean-Bernard Vialles

31 Plus récemment, afin d’encadrer les baignades sauvages et de développer la pratique sportive, certaines municipalités créent leurs propres équipements ou en reprennent d’anciens à leur compte, comme à Saint-Maurice en 192255 ou Neuilly-sur-Marne en 193756. D’autres communes, faute du financement disponible pour construire un établissement municipal57, accordent des concessions sur leur rivage. C’est le cas de la plage de Maisons-Alfort-Charentonneau qui ouvre en 1930 (dont le bassin, en partie encastré sur la berge, constitue l’un des derniers vestiges encore existant des baignades en Marne)58 ou de celle de Champigny, en 1933. Ici, malgré l’interdiction préfectorale, on se baignait dans la rivière en maints endroits, pourvus d’équipements plus ou moins précaires, voire carrément sauvages (comme au pied du pont de Champigny)59. Aussi, le conseil municipal autorise-t-il l’installation d’une plage, en raison de l’intérêt de tous « au triple point de vue de l’hygiène, du sport et de la sécurité ». Il négocie avec le concessionnaire des tarifs particuliers pour les Campinois et la gratuité à certains horaires pour les enfants et les sociétés sportives locales. Cas de figure exceptionnel, le bain du Banc de sable à Joinville-Le-Pont est construit en 1930 pour les ouvriers de l’usine Pathé-Natan et ne devient un établissement municipal que quelques années plus tard (avant d’être finalement mis en concession par la commune)60.

32 Au début des années 1960, les plages de rivières franciliennes sont encore très prisées. I.-L. Prevost, PDG de la SA Plage de Meaux-Trilport, devient le tout nouveau président du Syndicat national des exploitants de bains de rivière. Cette organisation a pris le relais en 1961 du Syndicat des plages, piscines et baignades de France, fondé en 1935, sur l’initiative de plusieurs propriétaires de bains de la région parisienne, soucieux d’assurer la défense de leurs intérêts61. Le syndicat est affilié à la fédération des syndicats d’exploitants des piscines, patinoires et établissements de bains de mer et de rivière, fondée la même année et qui dispose de sa revue Sport, Eau et Soleil, pour soutenir la profession. Les membres y exposent leurs revendications : la réglementation sur les débits de boissons alcoolisées les pénalise ; le régime juridique fixant leurs conditions d’occupation du domaine public maritime ou fluvial les maintient dans une grande précarité qui interdit les investissements importants ; ils s’élèvent contre l’arbitraire administratif qui augmente sans justification leur redevance pour l’occupation du domaine public ; en outre, l’administration des domaines aurait tendance selon eux à renoncer aux contrats de gré à gré pour l’attribution des lots de terrains du domaine public, préférant l’adjudication publique, procédure « qui fait bon marché » des droits acquis comme des frais engagés par les concessionnaires ; faute d’une convention collective, ils éprouvent les plus grandes peines à recruter des maîtres nageurs pour la saison estivale ; ils s’élèvent également contre les prétentions

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exorbitantes de la SACEM ; ils souhaitent enfin une application plus stricte des textes réglementant la circulation des bateaux à moteur. Moins de dix ans avant l’interdiction des baignades en rivière pour cause de pollution, on ne trouve pas un mot de ce sujet. Pourtant, la santé des nageurs, à l’origine des baignades en eau vive, sera aussi la raison de leur disparition.

Se baigner : le corps, l’eau, le plaisir

Entre hygiène et santé

33 Le bain en rivière se développe à partir du XVIIIe siècle car son bénéfice pour la santé est désormais acquis, il préviendrait même certaines maladies. La définition du « Bain de santé ou de propreté (en Médecine.) » de l’Encyclopédie explique que :

34 Les médecins toujours attentifs à chercher des secours contre les maladies, remarquèrent les bons effets qu'il produisait, et le mirent au nombre de leurs remèdes.

35 Willis nous en donne un exemple dans son traité de la Phrénésie62, à l'occasion d'une fille qui fut guérie de cette maladie par un seul bain froid que l'on lui fit prendre : cette malade était dans cet état depuis plusieurs jours ; les saignées, les délayants63, les amples boissons émulsionnées, etc. n'avaient pas pu diminuer la fièvre violente dont elle était attaquée, et la soif qui la dévorait. Le bain d'eau simple pris dans la rivière, pendant un quart d’heure, calma tous les accidents, lui procura un sommeil tranquille, et elle fut guérie sans avoir besoin d'autres remèdes. On trouve dans la pratique plusieurs exemples de ces guérisons miraculeuses arrivées par hasard ; car souvent des gens attaqués de frénésie se sont jetés d'eux-mêmes dans des fontaines ou bassins, et ont été guéris. Ce que l'on peut encore assurer, c'est que l'usage des bains de rivière, pendant les chaleurs de l'été, est un sûr préservatif contre les maladies qui règnent ordinairement dans cette saison64.

36 La terminologie évolue peu à peu ; il n’y a qu’un pas du concept de simple baignade à celui de la pratique de la nage, laquelle n’est pas initialement considérée comme une activité sportive mais comme un principe d’hygiène corporelle. « La natation a toujours été l’un des amusements de la jeunesse ; il est de plus un des exercices les plus utiles pour la santé. Aucun autre ne favorise au même degré le développement des muscles et l’extension de la poitrine » précise Larousse en 1866. Cette nouvelle hygiène corporelle est même prescrite pour les femmes : Depuis quelques années, il se fait dans les grandes villes, et surtout à Paris, une révolution remarquable dans les habitudes des femmes. Autrefois, on comptait à peine quelques établissements de bains de rivière qui leur fussent destinés ; et encore ces bains avaient-ils une fort mauvaise réputation. Maintenant, les personnes auxquelles leur position, leurs occupations ou des liens de famille interdisent les voyages et les bains de mer, trouvent des établissements fort bien tenus, où l’on veille tout à la fois au confortable, à la sécurité et à la décence. La mode a pris les bains froids sous son patronage, et, cette fois au moins, elle se trouve d’accord avec les lois de l’hygiène. Chaque été […] les femmes […] qui restent prisonnières dans nos villes se rendent aux écoles de natation. […] La plupart des femmes, à Paris surtout, abusent des bains chauds. Ces bains sont pris trop souvent à cette température, ramollissent beaucoup les chairs et leur donnent une blancheur blafarde. Les bains de rivière et surtout ceux de mer peuvent très bien porter remède à ces inconvénients.

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37 La respiration de l’air méphitique des passages, des cafés, des restaurants, des salles de spectacle, de bal et de concert, dans tous les lieux de réunion nombreuse, attaque la vie par sa base en altérant directement la composition du sang et les matériaux qu’il cède à tous nos organes. La vie inactive et sédentaire, le séjour prolongé au lit, viennent encore en aide à cette cause puissante de maladie. Aussi les femmes ont-elles, en général, une santé déplorable dans les grandes villes.

38 Cet ouvrage, datant de 1876 et traitant des effets hygiéniques des bains, conclut aux bienfaits pour tous des bains froids :

39 De tout temps on a reconnu que les bains froids ont une influence précieuse et incontestable pour guérir, et surtout prévenir les maladies nerveuses. L’impression de froid sur la peau, les mouvements de la natation, la respiration d’un air pur, la gaîté même qui préside toujours à cet exercice, tout contribue à donner du ton à nos tissus, à faciliter les fonctions, à rendre la circulation du sang et des humeurs plus rapide, la digestion plus complète, la respiration plus large. Et cette dispersion puissante de l’activité vitale dans toutes les parties du corps contrebalance pour quelque temps la concentration intellectuelle dans laquelle la civilisation moderne nous fait vivre65.

40 Pourtant, malgré cette réhabilitation irréversible, la baignade collective continue de gêner la société, parce que sa connotation érotique perdure dans une culture judéo- chrétienne.

La nudité

41 L’indécence des chairs nues exposées aux regards, la volupté des corps ondulant dans l’élément liquide sont constamment condamnés et la puissance publique ne cesse, au cours des siècles, de réglementer les baignades afin d’éviter les infractions aux bonnes mœurs. La réputation de lieu de prostitution s’attache même à certains établissements de bain. Non seulement les baignades seraient des lieux propices à la licence mais la seule vue des baigneurs heurte les passants. À partir du XVIIIe siècle, dans les ordonnances parisiennes régulièrement renouvelées, un article précise qu’aucune communication ne peut être établie entre les bains d’hommes et ceux de femmes ; ils doivent être séparés, éloignés les uns des autres et les bassins occultés. En 1777, le lieutenant de police évoque l’occasion de libertinage que fournit la baignade dans la Seine, ce qui suscite un sujet de scandale, des plaintes de riverains, qui se disent obligés d’installer les enfants dans les chambres reculées pour les soustraire à ce spectacle indécent et contraire aux bonnes mœurs. L’ordonnance de 1783 confirme l’interdiction de la baignade en plein jour en Seine, ne la tolérant qu’en amont ou en aval de la ville, ainsi que la nuit.

42 En 1822, dans leurs établissements respectifs les mieux tenus (qui s’adressent à une clientèle aisée), les hommes portent « un pagne génital » et les femmes une chemise. Malgré tout, ces dernières préfèrent la partie du bateau du côté du quai, davantage à l’abri des regards indiscrets. Peu à peu, le costume de bain se spécifie et quelques années plus tard, dans les écoles de natation, « les baigneuses, vêtues de laine foncée noire ou brune, n’ont de nu que le col, les pieds et les bras ; le pantalon-caleçon est à plis, en blouse, afin qu’il ne puisse pas coller sur les formes ; presque toutes les femmes portent un -tête »66. L’atmosphère semble tout opposée dans les bains à quatre sous67 :

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43 La nature, en ces lieux, vigoureuse et sauvage,

44 D’un plaisir frelaté ne connaît point l’usage ;

45 Mais la santé robuste, et la mâle vigueur,

46 La bruyante gaîté, coloris du bonheur,

47 Répand sur ce tumulte et la joie et la vie.

48 L’eau tiède et captive, en ces bains, est bannie,

49 Et la Seine, en son cours fier de sa liberté,

50 Fait rouler dans ses flots la force et la santé.

51 Tel on voit un essaim de fraîches Néréides,

52 Ondulant leurs contours sur les plaines liquides,

53 La grisette, sans voile, offre, nus, au soleil

54 Ses appas rebondis, son teint frais et vermeil.

55 Dans cette catégorie d’établissement :

56 composé de quelques pieux enfoncés dans le sable, auxquels sont mal ajustés des planches grossières qui forment la ceinture […], une toile à voiles interdit aux Actéons modernes la vue de toutes nos Dianes au bain : non pas que beaucoup en fussent formalisées, et qu’aucune même voulut changer les curieux en cerfs ; mais c’est ici, à défaut de pudeur, une mesure de police ; et dans l’absence de la vertu, on impose un règlement de décence. On voit là pèle mêle des filles de tous âges se baignant totalement nues toutes ensembles. Les vêtements sont mis par paquets et fixés à des cerceaux qui soutiennent la toile en demi-cintre68.

57 En fait, dans les bains à quatre sous, les troubles les plus fréquemment mentionnés sont les disputes de poissardes ou les plongeurs intrépides qui se glissent entre deux eaux parmi les baigneuses.

58 L’auteur, Cuisin, mentionne également l’existence de bains à six sous destinés à une population moins modeste mais « alors, vous êtes seul entre quatre planches, comme un fou dans son cabanon ». Malgré cet isolement, la licence n’est pas l’apanage de la classe populaire, en témoigne le séjour, certes vénitien, durant l’été 1865, de la comtesse Livia pendant lequel le lieutenant Remigio devient son amant, au bain flottant de Rima69.

59 Durant tout le XIXe siècle, les mêmes interdits sont reconduits d’année en année, allant jusqu’à s’appliquer aux enfants, comme à Noisy-le-Grand en 1888. Dans son règlement des baignades, le conseil municipal dispose qu’il leur est interdit de se baigner sans caleçon70. La baignade de pleine eau est également rigoureusement encadrée : les bachots des mariniers doivent être surmontés d’une tente quand les baigneurs se déshabillent à bord71. Le poème de Raymond Radiguet, écrit vers 1918 et évoquant la Marne, atteste du caractère implicitement érotique de la baignade en rivière. Le jeune prodige a vécu l’essentiel de sa trop brève vie à Saint-Maur-des-Fossés, à deux pas de la rivière :

60 Le rendez-vous solitaire

61 Emprunte aux oiseaux leur berge

62 Au feuillage d’ardoise tendre !

63 Loin des fatigues, ma cycliste,

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64 Qui t’épanouis sur nos berges,

65 Future fleur comme Narcisse,

66 Tu sembles toi-même t’attendre !

67 Mais pour que nul gêneur ne vienne

68 Je nomme la Marne gardienne,

69 Ô peu chaste, de tes appâts.

70 La Marne fera les cent pas.

71 Si son eau douce va semblant

72 Plus douce et plus chaste que d’autres,

73 Ses désirs pourtant sont les nôtres :

74 Voir bouillir à l’heure du thé

75 Que l’on prend en pantalon blanc,

76 Au soleil, ta virginité !72

77 Durant l’entre-deux-guerres, la nudité, même partielle, reste choquante et continue d’être proscrite dans l’espace public. Ainsi, le règlement sanitaire de la Ville de Paris de 1936, dans son article relatif aux bains froids, précise que les établissements doivent être couverts de telle sorte que des quais, des ponts ou des habitations riveraines, la vue ne puisse plonger à l’intérieur. Les établissements implantés en ville, placés à l’abri des regards grâce à un rideau d’arbres et proposant une baignade totalement découverte, n’en ont que plus de succès. Toujours dans les années 1930, à Villennes-sur- Seine, afin d’éviter tout problème devant l’incompréhension qu’elle suscite, la communauté naturiste de Physiopolis indique dans son règlement qu’« en bordure de Seine, à l’embarcadère, ainsi que pour les baignades, les hommes doivent porter des culottes courtes arrivant à la naissance des cuisses et les femmes des maillots de bain complets » ; les slips pour les hommes et les maillots deux pièces pour les femmes sont interdits73.

78 À partir du milieu du XXe siècle, la libération des mœurs, le développement de la natation comme pratique sportive et des différents loisirs aquatiques au cœur des villes, expliquent l’assouplissement des règlements : désormais, la vue d’un nageur en costume de bain ne choque plus le citadin ; la piscine constitue un lieu de flirt, désormais parmi tant d’autres.

Du sport aux loisirs

79 « Si le bain en baignoire est salutaire, combien préférable est le bain en piscine, où l’on n’a pas besoin de garder l’immobilité, et dont l’exercice de la natation vient décupler les bons effets » expose en 1886 Paul Christmann, président de la société des gymnases nautiques74. Dans son ouvrage, il explique la nécessité pour tout homme de savoir nager et vante la natation comme pratique sportive à part entière. Pour cela, il estime nécessaire de bâtir des établissements un peu partout, à commencer par Paris, ville largement sous-équipée si on la compare à Londres ou à d’autres grandes villes étrangères. Il se trouve d’ailleurs à l’initiative de la construction de la première piscine parisienne totalement artificielle : la piscine de Château-Landon qui ouvre en 1884. Par ailleurs, il indique que les baignades en rivière, activité largement saisonnière, ne

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peuvent pas répondre au besoin d’un entraînement régulier et rigoureux. L’encyclopédie des sports, en 1924, précise :

80 Il nous faudra pendant de longues années encore nous contenter des seules baignades en mer ou en rivières […] De ce côté même, la situation de la France est encore loin d’être des plus brillantes car ces installations sont le plus souvent rudimentaires et condamnent, en même temps que toute pratique hygiénique, toute pratique sportive. Il n’est pas en effet de natation sportive, pas d’enseignement même théorique et naturellement de progrès possible dans des bassins mal délimités, au courant naturellement irrégulier, quelquefois violent, circonstances matérielles qui empêcheront tout renseignement précis, tout contrôle de l’effort et de la performance75.

81 Effectivement, les bassins en rivière destinés à la natation sportive, à l’instar de celui de l’Institut national des sports à Nogent-sur-Marne, constituent-ils une exception. Encore le contexte est-il spécifique puisque ce bassin succède, dans l’entre-deux-guerres, à un précédent équipement plus sommaire, réalisé pour l’École normale militaire de gymnastique (fondée en 1852 et devenue le bataillon de Joinville) dans laquelle les soldats s’exerçaient depuis la fin du XIXe siècle76 (ill. 8).

Ill. 8 : Le bassin et son plongeoir de l’institut national des sports à Nogent-sur-Marne

L’équipement, photographié en 1986, est aujourd’hui détruit © Inventaire général, phot. Christian Décamps.

82 Ainsi, tandis que les piscines artificielles peinent à se construire, les bassins en rivière, longtemps les plus nombreux, conservent une double vocation. Ils offrent au plus grand nombre la possibilité d’un apprentissage encadré de la natation et se confirment comme espace de loisirs pour tous. Dès le XIXe siècle, les bains de rivière comprennent des espaces de détente variés : ils disposent de divers aménagements autres que le bassin qui permettent aux clients d’y passer du temps et d’y dépenser de l’argent agréablement. Eugène Briffault note en 1844 qu’ « une journée à l’école de natation est

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un des plus piquants tableaux de la vie parisienne ». À la mi-journée, « s’organisent des déjeuners que le boulevard Italien et la rue Montorgueil pourraient envier. Le bain reste désert et l’eau n’est fréquentée que par quelques gens à jeun, et ceux qui se baignent du bout des pieds, en attendant que les côtelettes soient cuites ; on entend quelques explosions de bouteilles de vin de Champagne ; le café, le gloria et le punch parfument l’atmosphère : le cigare fume partout ».

83 Eugène Chapus dans Le sport à Paris renchérit en 1854 à propos des bains Deligny :

84 On se baigne, on boit, on fume, on cause, on observe, on fume surtout : car le cigare, dont il se vend en moyenne à l’école de natation plus de douze cents par les beaux jours d’été, le cigare est l’indispensable complément de ce plaisir du bain froid, qui prend, grâce à cet accessoire, tout le charme des rêveries et des nonchalances de l’Orient77.

85 Le fameux amphithéâtre constitue un lieu de regroupement et de discussions entre deux baignades. Mais « la plupart de ces prétendus nageurs ne nagent et ne se mouillent jamais : ils viennent là comme au bal masqué » pratiquer la « conversation en déshabillé » conclut un troisième chroniqueur78. On a vu qu’aux alentours de la capitale, les baignades sont fréquemment associées à des guinguettes, des bals musette ou des locations de barques. Les bords de Marne, dans les derniers méandres de la rivière avant qu’elle ne se jette dans la Seine, concentrent sur quelques kilomètres des dizaines d’établissements qui font, dès les beaux jours, la joie des Parisiens. Bientôt, sur ces plages enfin « libres », hommes et femmes se baignent ensemble. Un bassin est spécialement aménagé pour les enfants ainsi que de nombreux jeux. Durant l’entre- deux-guerres, quelques établissements d’envergure acquièrent une telle renommée qu’il faut y être vu, pas nécessairement dans le bassin, mais aussi à la terrasse du restaurant ou le long de la promenade79. Après guerre, face à cette demande croissante de loisirs nautiques des populations citadines et devant le coût des piscines artificielles couvertes, auparavant plutôt conçues pour la pratique sportive, les pouvoirs publics réévaluent leurs prescriptions et encouragent des ensembles comprenant plusieurs bassins aux vocations variées, dont certains peuvent être découverts. En 1963, le haut- comité des sports crée une commission « loisirs et sports de plein air » qui prescrit l’ouverture d’installations polyvalentes comprenant espace caravaning, divers équipements sportifs et bassin de natation80. C’est dans ce contexte que le district81 inscrit au schéma directeur d’aménagement de l’Île-de-France la création de bases de loisirs, pour la plupart implantées près des rivages de la Seine ou de la Marne82. Les municipalités disposant de rivages construisent des établissements artificiels, mais en plein air et au plus près de l’eau afin de conserver une certaine atmosphère ; ainsi la piscine de l’île aux Dames à Mantes-la-Jolie, due à l’architecte Lemercier et donnée en exemple par le ministère de la jeunesse et des sports en 196683 (qui ferme pourtant en 1996), ou bien encore le centre nautique de Nogent-sur-Marne qui ouvre en 197184. Quelques entrepreneurs s’avèrent des précurseurs en la matière, comme le propriétaire de la piscine du Lido à Chennevières-sur-Marne, construite en 193785, tandis que d’autres se lancent dans l’aventure hasardeuse pour sauver leur établissement, ainsi le beach sports nautiques de la Varenne-Sainte-Hilaire (Saint-Maur-des-Fossés) où un bassin artificiel, implanté de l’autre côté du quai, remplace le bassin en rivière86. La piscine disparaît pourtant dans les années 1990 remplacée par un ensemble immobilier.

86 Les bains en rivière ne sont pas une particularité de l’Île-de-France, on connaît des piscines dans toute la France, tels les bains municipaux de Chalons-en-Champagne87, les piscines en bord de Seine de Vernon ou de à Tours, les baignades de Bordeaux88,

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Lyon ou Avignon89. Cependant, l’absence de rivage marin à proximité et l’importance de la clientèle potentielle expliquent le nombre d’équipements le long des cours d’eau franciliens. Ces installations sont d’ailleurs généralement conçues selon les mêmes critères esthétiques que les installations balnéaires en vogue depuis le XIXe siècle le long des côtes françaises.

87 À partir du milieu du XXe siècle, le développement des transhumances estivales et celui de l’automobile, les aléas du climat parisien, enfin la pollution des rivières expliquent la baisse de fréquentation des établissements, jusqu’à leur fermeture complète lorsque le couperet de l’arrêté préfectoral d’interdiction de la baignade tombe. Les vastes bases de loisirs régionales ainsi que quelques autres, initiées par d’autres collectivités territoriales, accueillent désormais les Franciliens qui souhaitent nager en eau vive90. Les échecs des tentatives de reconversion ou la terrible pression foncière entraînent la disparition des anciennes baignades fluviales et de leurs installations. Espérons que la plage de Villennes, actuellement l’une des mieux conservées, fermée il y a quelques années et tout récemment vendue, ne disparaîtra pas à son tour. Son charme et sa situation toutes particulières – implantée sur une île de la Seine non viabilisée, elle n’est accessible qu’en bateau – devrait permettre de la sauver. La transformation réussie de la plage de Champigny en base nautique, dès 1973, atteste une possible solution. Depuis 2006, celle-ci accueille la manifestation Champigny-Plage durant le mois de juillet, malheureusement sans possibilité de baignade.

88 Symbolique d’une pureté retrouvée, les édiles souhaitent désormais pouvoir autoriser de nouveau les baignades en rivière. On connaît la promesse de Jacques Chirac, alors maire de Paris, de se baigner à Paris dans la Seine à la fin de son mandat ou bien encore le syndicat mixte « Marne vive »91 dont l’objectif est la restauration de la baignade en Marne. Sous l’impulsion de Paris-plage, les opérations se multiplient – même sans rivière – telle la « plage au » en juillet 2007. Durant l’été 2007, la ville de Meaux a quant à elle, réellement rouvert sa plage. Le lieu, acquis par la municipalité, a été restauré : 800 m² de sable fin, un large espace engazonné, des pontons en bois et une zone de baignade longue de 80 mètres dans la Marne accueillent désormais les habitants durant l’été92. Malheureusement, les bâtiments des années 1930 sont perdus. En revanche, ceux de la piscine de Boran-sur-Oise devraient voir leur rénovation commencer à la fin de l’année 2007, en vue de leur réouverture au public. Le conseil général du Val-de-Marne, dans son engagement 112 concernant l’amélioration des berges de la Seine et de la Marne, programme l’aménagement du site de la plage de Vitry-sur-Seine en 2008. Face à cette nouvelle demande, le ministère de l’écologie et du développement durable vient de modifier la législation. Un décret du 15 mai 2007 impose, pour la première fois, un recensement des eaux de baignade avant le 30 avril 2008. Ces eaux seront inscrites au registre des zones protégées dans le code de l’environnement.

89 D’ores et déjà, on se baigne à nouveau dans la Seine à Paris, depuis l’ouverture de la piscine Joséphine-Baker, en juillet 2006 – la dernière piscine flottante, les bains Deligny, a coulé treize ans auparavant. L’atelier Architectures (Robert de Busni, architecte) a conçu une coque en béton garnie de flotteurs acier en sous-face. L’eau d’alimentation du bassin est pompée dans le fleuve et traitée avant d’être épurée et rejetée après usage. La couverture coulissante en verre et en acier permet d’ouvrir le bassin aux beaux jours tout en le maintenant en activité en toutes saisons. Des espaces de remise en forme, hammam, sauna, jacuzzi, salle de musculation ainsi qu’une

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cafeteria, un solarium et un deck sur le quai complètent l’ensemble93. Dès 2006, la Ville de Paris a annoncé le lancement d’un second projet similaire, prévu dans le quinzième arrondissement, près du parc André Citroën, et qui devrait être livré en 2010. Le conseil général des Hauts-de-Seine affiche quant à lui un projet de piscine constituée d’une barge flottante, dans la future base nautique de l’île de Monsieur à Sèvres : une nouvelle page de l’histoire des piscines en rivière d’Île-de-France est en cours d’écriture, qu’il s’agisse de plages fluviales ou de bassins flottants.

NOTES

1. Cette étude se fonde sur les travaux du service de l’Inventaire général du patrimoine culturel de la région Ile-de-France. J’en remercie les chercheurs Antoine Le Bas, Brigitte Blanc et Judith Förstel pour leur aide, ainsi que Marianne Castan, conservatrice adjointe au musée de la batellerie de Conflans-Sainte-Honorine et Joanne Vajda, enseignante associée à l’école nationale supérieure d’architecture de Paris-la Villette et auteur de Paris : rendez-vous cosmopolite. Du voyage élitaire à l’industrie touristique. 1855-1837, thèse EHESS, 2005. 2. . Les Bains de Paris et des principales villes des quatre parties du monde ; ou le Neptune des dames, orné de jolies gravures. Description hydrographique des thermes, bains, étuves, eaux minérales et fontaines les plus célèbres du globe ; renfermant des leçons d'hygiène, précieuses pour la beauté des femmes et la santé des hommes ; ainsi que des vers, des anecdotes, des tableaux instructifs et amusants, des moeurs de divers peuples ; des galanteries décentes et des folies de bon ton. Dédié au beau sexe. Par Cuisin…, Paris, Verdière, 1822, vol. 1, p. 63. 3. Commune de Vulaines-sur-Seine, à côté de en Seine-et-Marne. 4. « Tout le monde, dit La Bruyère, au chapitre VII de ses Caractères, connaît cette longue levée qui borne et qui resserre le lit de la Seine du côté où elle entre à Paris avec la Marne, qu’elle vient de recevoir. Les hommes s’y baignent au pied pendant les chaleurs de la canicule ; on les voit de fort près se jeter dans l’eau, on les en voit sortir, c’est un amusement. Quand cette saison n’est pas venue, les femmes de la ville ne s’y promènent pas encore ; et quand elle est passée, elles ne s’y promènent plus. » Les satires du temps n’ont pas épargné la promenade de la porte Saint- Bernard. Une comédie représentée au Théâtre-Italien en 1696 a pour titre Les Bains de la porte Saint-Bernard. ». Commentaire (appel de note n° 4) de la lettre datée du 9 août 1732 de Buffon à Richard de Ruffey, dans la version publiée par Henri Nadault de Buffon, Correspondance inédite de Buffon, à laquelle ont été réunies toutes les lettres publiées jusqu'à ce jour, Paris, Hachette, 1860. Dans cette lettre, Buffon indique que, durant ces chaleurs, les princesses vont voir nager les jeunes gens à la porte Saint-Bernard. 5. Françoise de Bonneville, Le Livre du bain, Paris, Flammarion, 1997 ; Paul Négrier, Les Bains à travers les âges, Paris, la Construction moderne, 1925 ; Paul Benoit, Karine Berthier, Joséphine Rouillard, « Laver et baigner son corps en Île-de-France à la fin du Moyen Âge », Paris et Île-de-France, mémoires, t. 56, 2005, p. 27-48. 6. Selon M. Carayon-Gentil, ingénieur hygiéniste à la préfecture de la Seine, Sport, eau et soleil, n° 4, octobre 1963, p. 28-29.

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7. Bateau à fond plat destiné au transport du fret. La remontée de l’embarcation à son lieu d’origine étant très coûteuse, arrivée à destination elle pouvait être détruite ou vendue. 8. Première édition de l'Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d'Alembert (1751-1772). http://portail.atilf.fr/encyclopedie/index.html (projet ARTFL de l’université de Chicago et laboratoire ATILF du CNRS). 9. À ne pas confondre avec les fameux bains chinois du boulevard des Italiens. 10. Avis au public sur l'établissement d'une école de natation. [Paris : Imprimerie polytype, 1786]. (Prospectus concernant les bains publics établis à Paris au pont de la Tournelle par le sieur Turquin). [Turquin]. Projet d'une école de natation en faveur de la garde bourgeoise nationale de Paris, [Paris], impr. de Valleyre aîné, [1790]. 11. Eugène Briffault, Paris dans l’eau, Paris, J. Hetzel, 1844. p. 63. 12. Edmond Texier, Tableau de Paris, Paris, Paulin et Le Chevalier, 1852, t. 2, p. 5. 13. Bernard Toulier, « Un parfum d’Orient au cœur des villes d’eaux », In Situ, février 2006. 14. Paul Négrier, Deux siècles d'architecture sportive à Paris : piscines, gymnases, Exposition, mairie du XXe arr., mairie du XVIIe arr., Paris, délégation à l'action artistique de la Ville de Paris, 1984 et Eugène Briffault. op. cit. p. 69-76. 15. Les gibasses sont des renforts placés en surépaisseur aux endroits les plus vulnérables des flancs du bateau. Voir Dictionnaire fluvial et batelier, http://projetbabel.org/fluvial/g.html. 16. Ordonnance portant règlement sanitaire de la Ville de Paris, 10 août 1936, article 52, relatif aux bains froids. 17. Thomas Deschamps, Plages en ville, baignades en Marne, Paris, éd. Johanet, 2003, p. 45. 18. Thomas Deschamps, ibid., p. 160-163. 19. Selon le rapport de François Missoffe, L’Équipement sportif et socio-éducatif en France et ses perspectives d’avenir, établi en 1966, cette première loi-programme a permis la réalisation de 445 piscines de plein air. Voir Évelyne Combeau-Mari, « Les premiers équipements sportifs à la Réunion : une politique de l’État (1956-1971) », Staps, Revue internationale des sciences du sport et de l'éducation physique, n° 61, 2003. 20. Sport, Eau et Soleil, n° 3, 1963. 21. Thomas Deschamps. op. cit. p. 80-81. 22. Eugène Briffault. op. cit. p. 67-68. 23. Voir sa photographie par Marcel Bovis www.culture.gouv.fr, base de données Mémoire, réf AP73L05412. 24. Note sommaire sur le développement des piscines modernes et des plages artificielles en France par le syndicat des piscines modernes et plages artificielles. Vers 1935. Sceaux, centre de documentation de l’Île-de-France. 25. Règlement sanitaire de la ville de 1936, article 52, paragraphe 7. 26. Jacques Meuley, À propos de la spirochétose ictéro-hémorragique d'origine fluviale : nécessité d'une nouvelle réglementation des bains de natation en rivière, Paris, Vigot frères, 1939. 27. Située en bord de Seine sur la commune de Médan. Voir Inventaire général, Isabelle Duhau (réd.), Jean-Bernard Vialles (phot.), Autour d’Orgeval, de la boucle de Poissy au pays de Cruye, Yvelines, Paris, APPIF, 2000, (Images du patrimoine n° 200), p. 76-77 et « La plage de Villennes », La Construction moderne, 13 octobre 1935. 28. Thomas Deschamps. op. cit., p. 14-16. 29. Cartes postales. . dép. Val-de-Marne, 2Fi. 30. France 3 Nord Pas-de-Calais / Picardie. Journal télévisé 12/13 H du 05 septembre 2007. 31. Inventaire général, Antoine Le Bas (réd.), Architectures du sport. Val-de-Marne – Hauts-de-Seine, Paris, Connivences, 1991. Cahiers de l’inventaire, 23.

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32. Inventaire général, Isabelle Duhau (réd.), Stéphane Asseline (phot.), Bry et Champigny. Dans les méandres de la Marne, , Lieux-Dits, à paraître fin 2007. Images du patrimoine n° 247, p. 82. 33. Voir le dossier d’inventaire IA77000573. 34. Inventaire général, Antoine Le Bas (réd.), Architectures du sport, op. cit. 35. En 1927/28 est également construite la chapelle du quartier, commandée à l’architecte Paul Tournon qui réalise un édifice innovant, tout en béton armé. 36. Voir le Courrier de Mantes, 7 septembre 2000, 17 septembre 2003 et 22 février 2006. www.epone.fr. Marc Brabant et Stéphane Degoutin, « Quand le péri-urbain était un idéal », Urbanisme, n° 328, janv-fév. 2003. Élisabethville est également connu pour la cité pavillonnaire construite par Bernard Zehrfuss en 1953. 37. Paul Négrier, Deux siècles d'architecture sportive à Paris, op. cit., Isabelle Backouche, La Trace du fleuve : la Seine et Paris, 1750-1850, Paris, Éd. de l'École des hautes études en sciences sociales, 2000. (Civilisations et sociétés ; 101) ; Sylvie Hamel, L’Espace des loisirs : les établissements balnéaires à Paris-Ile-de-France de 1850-1950, économie des loisirs, innovations techniques et reconversions, mémoire de DEA, Histoire des techniques CDHT 2002, sous la direction de Liliane Hilaire-Perez, conservatoire national des arts et métiers, 2002. 38. Situé sur l’île de la Cité, derrière Notre-Dame, jusqu’en 1831. 39. Au pied du Louvre. 40. Au niveau de l’actuel musée d’Orsay. 41. Au niveau de la rue Constantine, bordant l’esplanade des Invalides. 42. La première tentative de réaliser un bassin de natation sur la Seine avec de l’eau chauffée remonte à 1848. La construction n’aboutit pas, son entrepreneur ayant été ruiné par les événements révolutionnaires. La règle resta la température naturelle pour les baignades d’eau vive en plein air. Voir Sylvie Hamel, op. cit. p. 46. 43. Épreuves en avril 1765, pour des bains publics sur l’île aux cygnes ; en janvier 1770, pour des bains publics à la pointe de l’île Saint-Louis. Voir Jean-Marie Pérouse de Montclos, Les Prix de Rome : concours de l'Académie royale d'architecture au XVIIIe siècle, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, Berger-Levrault, 1984. 44. Louis Debuire du Buc. Les Dames à l'école de natation, chansonnette. Lille, imp. de A. Lévy, 1859 ; Charles de Livry, Adolphe de Leuven et Alphonse Signol. L'École de natation, tableau-vaudeville en 1 acte, [Paris, Variétés, 5 août 1828], Paris, J.-N. Barba, 1828. 45. Arch. nat., F13 593, cité par Isabelle Backouche, op. cit., p. 319. 46. Eugène Briffault, op. cit., p. 128. Malgré l’interdiction de se baigner dans le canal de l’Ourcq, les cartes postales gardent la mémoire de quelques baignades « sauvages » aux Pavillons-sous- Bois, au Vert-Galant, à Villeparisis ou à Mitry-Mory. 47. Eugène Briffault, op. cit., p. 116. 48. Delcampe, portail multinational de ventes d’objets de collection, dont les cartes postales, représente aujourd’hui une source iconographique accessible à tout moment et d’une étonnante richesse. 49. Arch. dép. Seine-et-Marne, 3 S 118. 50. Y étaient également prévus une école de gymnastique, un centre d’hydrothérapie, une école d’équitation, une piste pour les courses de chevaux, une tribune des joutes et une seconde des régates, etc. Voir Inventaire général, Antoine Le Bas (réd.), op. cit., p. 34-37. 51. Arch. dép. , 3526. Inventaire général, Antoine Le Bas (réd.), Philippe Ayrault (phot.), Juvisy-sur-. Un territoire et des réseaux, Lyon, Lieux-Dits, à paraître fin 2007, Cahiers du patrimoine. 52. Thomas Deschamps, op. cit., p. 83. 53. L’association, fondée en 1876 par des exilés des régions annexées en 1870 par la Prusse, s’installe sur un terrain de trois hectares en bord de Marne en 1889. Voir Inventaire général,

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Isabelle Duhau (réd.), Stéphane Asseline (phot.), Nogent et Le Perreux, l’eldorado en bord de Marne, Paris, APPIF, 2005, Images du patrimoine n° 237, p. 90. 54. Association créée en 1908. Voir Thomas Deschamps. op. cit., p. 93. 55. La baignade, créée en 1898, était auparavant privée. Voir Thomas Deschamps, op. cit., p. 48-49. 56. La municipalité communiste inaugure la plage municipale populaire le 1 er août. Le bulletin municipal du 1er octobre suivant relate l’événement : « Les municipalités communistes [font] les plus grands efforts pour l’hygiène et la santé de l’enfance et de la population. Les travailleurs ont obtenu de haute lutte les congés payés, la semaine de 40 heures, nous devons leur procurer ce qu’il faut pour passer agréablement les loisirs, reposer leur corps et vivifier les poumons empoisonnés par les poussières des usines. C’est ce qu’a pensé la Municipalité de Neuilly-sur- Marne. » Voir Thomas Deschamps, op. cit., p. 98-99 et 150. 57. À partir de la seconde moitié du XIXe siècle, des investisseurs privés urbanisèrent la banlieue en multipliant les lotissements sans se préoccuper des équipements et aménagements sanitaires nécessaires et placèrent bien des municipalités dans une situation d’urgence. 58. Thomas Deschamps, op. cit., p. 50-51. 59. En bord de Marne notamment, la baignade « sauvage » demeure longtemps une pratique fréquente, malgré son interdiction, si l’on en croit les fameux clichés de Willy Ronis ou les souvenirs de François Cavanna, racontés avec truculence dans Les Ritals (1979) : « En semaine, le jeudi ou pendant les vacances, la Marne est à nous, les nez sales. On plonge dès qu’on voit une péniche qui se pointe au tournant, on nage à fond de train pour agripper le petit canot de sauvetage qui est accroché derrière […] ou des fois on se faufile à l’USM, le club sportif où les mecs barbotent dans leurs trente-trois mètres sous surveillance, pas le droit de s’éloigner, sifflet. On se glisse parmi ces cons branques, c’est le tremplin qui nous intéresse, on se paie des périlleux avant, des sauts de l’ange, pas spécialement impec mais on se marre. » Voir Inventaire général, Isabelle Duhau (réd.), Stéphane Asseline (phot.), Nogent et Le Perreux, op. cit., p. 72-73. 60. Thomas Deschamps, op. cit., p. 80-81. 61. Les deux vice-présidents sont E. Élefant de la plage de l’Isle-Adam et A. Richard, des bains Deligny. Les autres établissements adhérents sont : Au Banc de sable, L’île rouge à Saint–Maurice ; le Bain Royal, quai des Tuileries à Paris ; la Plage bleue à Valenton ; la plage de Champigny-sur-Marne ; les bains Convert, 15, boulevard de la Marne à Nogent- sur-Marne ; la plage de Gournay-sur-Marne ; la baignade municipale de Joinville-le- Pont ; la plage de Meaux-Trilport ; la plage de Melun ; la plage de la Varenne-Saint- Hilaire, à Saint-Maur-des-Fossés ; la plage de Villennes-Medan et la plage du Lys- Chantilly à Boran-sur-Oise. 62. Jusqu’au XVIII e siècle terme médical pour qualifier un délire provoqué par une affection cérébrale. 63. Terme de médecine vieilli désignant un médicament qui rend le sang moins épais. 64. Première édition de l'Encyclopédie, ou Dictionnaire Raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, op. cit. 65. La Natation naturelle à l'homme et l'art de nager, suivi de considérations sur les traitements hydrothérapiques et sur l'effet hygiénique des bains froids et des bains chauds, 3e édition, Paris, 1876. 66. Eugène Briffault. op. cit. p. 98. 67. Cette appellation perdure bien après que les tarifs aient augmenté. Voir Eugène Briffault, op. cit., p. 34. 68. Les Bains de Paris…, op. cit. p. 81. 69. « J’avais pour habitude d’aller tous les matins au bain flottant de Rima, entre le petit jardin du Palais royal et l’extrémité de la douane. J’avais pris pour une heure, entre sept et huit heures, une « sirène », c’est-à-dire une des deux vasques réservées aux dames et suffisamment grandes pour y nager un peu […]. Comme personne d’autre

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ne pouvait entrer, je ne prenais pas le soin de passer mon costume de bain. La vasque, entourée de parois de bois, couverte d’une toile gris cendré à larges bandes rouges, avait un fond de planches placées à telle profondeur que les dames de petite taille n’avaient que la tête hors de l’eau. Moi, j’avais toutes les épaules découvertes. Oh, la belle eau émeraude mais limpide où je voyais ondoyer mes formes jusqu’aux pieds que j’avais gracieux ! Parfois, un poisson tout petit et argenté me frôlait. Je nageais autant que la longueur de la « sirène » me le permettait ; je battais l’eau des mains jusqu’à ce que l’écume blanche recouvrît le vert diaphane ; je m’allongeais sur le dos, laissant baigner mes longs cheveux et tentant de rester ainsi un moment immobile ; […] je riais comme une enfant. Des ouvertures nombreuses et larges, au- dessous du niveau de l’eau laissaient entrer et passer librement l’eau. Les parois, mal jointes, si on y appliquait l’oeil, permettaient à travers les fissures de voir quelque chose du dehors : le campanile rouge de San Giorgio, une ligne de lagune où fuyaient les barques légères, un petit morceau du bain militaire qui flottait à peu de distance de ma « sirène ». Je savais que tous les matins, à sept heures, le lieutenant Remigio allait y nager. Dans l’eau, c’était un héros : il sautait du plus haut, tête la première, repêchait une bouteille au fond, sortait de l’enceinte en passant par-dessous les cabines. J’aurais donné je ne sais quoi pour réussir à la voir, tant j’étais attirée par son agilité et par sa force. Un matin, pendant que je regardais sur ma cuisse droite une petite tache pâle, sans doute une légère contusion qui gâtait un peu la blancheur rosée de ma peau, j’entendis à l’extérieur un bruit, comme quelqu’un qui aurait nagé rapidement. L’eau s’agita, un frisson dû à la fraîche ondulation parcourut tous mes membres et, par l’un des larges trous, entre le sol et les parois, un homme entra soudainement dans la « sirène ». Je ne criais point, je n’eus point peur. Il me sembla de marbre tant il était blanc et beau, mais une respiration profonde agitait son large thorax, ses yeux bleus brillaient, et de ses cheveux blonds tombaient des gouttes comme une pluie de perles brillantes. Debout, à demi voilé par l’eau encore frissonnante, il leva ses bras musclés et blancs : on aurait dit qu’il remerciait les dieux et disait : « Enfin ! » C’est ainsi que commença notre liaison. » Camillo Boito, Senso, carnet secret de la comtesse Livia, 1883. Boito (1836-1914), par ailleurs architecte, fut un théoricien de la restauration du patrimoine. 70. Thomas Deschamps, op. cit., p. 100. 71. Ordonnance du préfet de police de mai 1888. 72. Raymond Radiguet, Les Joues en feu, 1925. 73. Isabelle Duhau, « La doctrine naturiste du docteur Durville à Physiopolis, la cité de nature de Villennes-sur-Seine », Paris et Ile-de-France, mémoires, t. 56, 2005, p. 287-308. Un bassin de natation commença d’être réalisé dans l’ensemble des équipements sportifs de Physiopolis. Mais la proximité de la plage de Villennes, sur la même île de la Seine, l’aisance en matière de baignade en pleine eau des sportifs de la communauté et la modestie de leurs moyens entraînèrent son abandon rapide. 74. Paul Christmann, La Natation et les bains. Suivi de quelques indications sur l'art de nager, Paris, A. Picard et Kaan, 1886. 75. Encyclopédie des sports, publiée sous le patronage de l'Académie des sports et du Comité national des sports C.O.F. Paris, impr. Villain et Bar, Libr. de France, 1924 (1927). 76. Christmann explique dans son ouvrage de 1887 que l’école normale militaire de gymnastique de Joinville exerce les hommes dans la Marne, et que presque tous ceux qui y suivent les cours durant la saison d’été retournent à leur régiment sachant nager. Il s’empresse de préciser que

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cela ne suffit pas car tous les hommes devraient savoir nager et qu’on ne parviendra à ce but qu’en construisant des piscines de natation. Pour le bassin maçonné voir Inventaire général, Isabelle Duhau (réd.), Stéphane Asseline (phot.), Nogent et Le Perreux, op. cit., p. 73. 77. Cité dans Deux siècles d'architecture sportive à Paris, op. cit., p. 27. 78. Edmond Texier, op. cit., p. 7. 79. Au sujet de l’Isle-Adam, voir « Sport et distraction », La vie à la campagne, 1er août 1935, p. 324 ou « Plages d’eau douce aux portes de Paris », La Vie à la campagne, 1er juin 1938, p. 235. Voir également « Les plages fluviales », L’Illustration, 1er septembre 1934 pour les plages d’Élisabethville, Boran-sur-Oise, l’Isle-Adam et Beaumont-sur-Oise. 80. Sport, Eau et Soleil, n° 11, juillet 1965. 81. Entité administrative ayant précédée celle de la région. 82. Les bases des boucles de la Seine à Moisson et de Val-de-Seine à Verneuil-sur-Seine dans les Yvelines, celle de Cergy-Pontoise dans le Val-d’Oise, celles de Vaires-Sur-Marne, Torcy et Jablines le long de la Marne en Seine-et-Marne et celle de Bois-le-Roi le long de la Seine dans le même département, enfin celle du Port-aux-Cerises à Draveil dans l’Essonne, également près de la Seine. Voir Jérôme Maunoury, Patrice Pourtanel, Christian Mueller, « Les bases de plein air et de loisirs d’Île-de-France. Pôles structurants de la politique de loisirs », Espaces, n° 249, juin 2007, p. 17-23 ; Guide des bases de loisirs ; temps libre, temps forts, Paris, région Île-de-France, [2007]. 83. Ministère de la jeunesse et des sports. Équipement. Piscines couvertes et en plein air, Paris, Institut pédagogique national, service d'édition et de vente des publications de l'éducation nationale, 1966. 84. Inventaire général, Isabelle Duhau (réd.), Stéphane Asseline (phot.), Nogent et Le Perreux, op. cit., p. 92. 85. Thomas Deschamps, op. cit., p. 68 et Inventaire général, Antoine Le Bas (réd), Architectures du sport, op. cit., p. 96. 86. Thomas Deschamps, op. cit., p. 64-65 et Inventaire général, Antoine Le Bas (réd), Architectures du sport, op. cit., p. 96. 87. http://www.chalons-en-champagne.net. 88. « École flottante de natation (dite bains d’Orléans), construite sur la Garonne devant d’après les plans et sous la direction de l’architecte J. Lafargue », Revue de l’architecture et des travaux publics, 1844, col. 490-493, pl. 25-26 ; La Question des bains de natation, Bordeaux, imp. de J. Belmas, [1860]. 89. Alain Maureau, Bains froids et écoles de natation dans le Rhône à , du XVIIIe au XXe siècle, Avignon, chez l'auteur, 1970. 90. Voir par exemple la base de loisirs de Varennes-sur-Seine (77), relevant de la communauté de communes des Deux Fleuves ou celle du parc de Chanteraines à Villeneuve-la-Garenne, appartenant au conseil général des Hauts-de-Seine. 91. Il est constitué de huit communes, deux communautés d'agglomération, le port autonome de Paris à Bonneuil-sur-Marne et la chambre de métiers du Val de Marne. 92. « Seine-et-Marne : réouverture de la plage de Meaux », Le Moniteur, 29 juin 2007 ; « Meaux inaugure sa plage », Batiactu, 05 juillet 2007. 93. « Nager dans Paris, nouvelles piscines » Techniques et architectures, oct-nov 2005.

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RÉSUMÉS

On ne se baigne plus à Paris dans la Seine depuis plus de trois siècles. Les équipements, d’abord d’éphémères installations, se perfectionnent et sont réglementés par les pouvoirs publics au fur et à mesure qu’ils se pérennisent. Les simples piquets, plantés dans le lit de la rivière et couverts d’une toile tendue, sont rapidement remplacés par des établissements formés de pontons flottants qui délimitent au centre un bassin. Puis, les vestiaires et les équipements annexes sont édifiés sur les quais des rivages avant que les bassins eux–mêmes ne soient maçonnés et encastrés dans la rive afin de faciliter l’épuration de l’eau.À la baignade en eau vive, née de l’attrait renaissant pour le bain d’hygiène, succède l’école de natation à la fin du XVIIIe siècle. Dès les beaux jours, hommes et femmes se rendent dans leurs établissements respectifs, décence oblige, pour se rafraîchir, entretenir leur santé, pratiquer un sport, se retrouver entre amis et pour les plus jeunes, oser des jeux intrépides. Les Franciliens privés de rivages marins plébiscitent les plages fluviales, où enfin, la séparation des sexes n’est plus de mise. La région compte finalement ses établissements par dizaines. Les mieux équipés proposent hôtel, casino, restaurant ou dancing pour s’attirer toujours plus de clientèle. Cependant, dans une rivière après l’autre, à partir des années 1950, la pollution entraîne bientôt l’interdiction de se baigner et sonne le glas de ces piscines d’un genre particulier qui ont presque toutes disparu

No one has ever swum in the Seine in Paris since more than three centuries. The facilities, first short-lived structures, got improved and controlled by the authorities as they became permanent constructions. Simple stakes driven in the bed of the river and supporting a stretched canvas would be replaced by facilities composed of floating landing stages around a pool. Then changing-rooms and annexes would be erected on the banks, before the pools got built into the embankments so as to make water purification easier.The fashion of swimming in river water, aroused by the renewed interest for health bath, was followed by the one of the swimming school in the late XVIIIth century. In summertime, men and women had to have the sense of decency and so would go to separate places so as to freshen up, to keep in good fit, to do sport, to meet friends and, as for the youngest, to dare play bold games. The riverside beaches where, at last, sexual separation was no longer imposed, would prove a success with the inhabitants of the Ile-de- France, missing the seaside shores. In the region, these facilities were in dozens in the end. The best equipped ones would include a hostel, a casino, a restaurant or a dance hall to draw an ever bigger clientele. However, since the 1950’s, in one river after another, swimming has been prohibited because of the pollution, putting an end to these swimming pools of a particular kind which, for most of them, no longer exist.

Seit wenigstens drei Jahrhunderten wird in der Seine in Paris nicht mehr gebadet. An den Ufern existierten zuerst vorläufige Badeeinrichtungen, die sich allmählich in dauerhafte Anstalten verwandelten, die immer mehr gesetzliche Anforderungen berücksichtigen mussten. Bald wurden einfache, in das Flussbett gerammte Holzpfähle mit Tuchbedeckung durch Schwimmpontons ersetzt, die mittlere Becken abgrenzten. Nach dem Bau von Umkleideräumen und Nebenausstattungen an den Uferstegen wurden die Becken selber ausgemauert und in das Ufer eingebaut, um eine bessere Wasserreinigung zu ermöglichen. Nach dem Erfolg des Badens im freien Gewässer, entsprungen aus hygienischen Gründen, entwickelte sich am Ende des 18. Jahrhunderts die Begeisterung für den Schwimmunterricht. Mit den ersten Frühlingstagen begaben sich Männer und Frauen aufgrund der guten Sitten in geschlechtsgetrennte Anstalten, um sich zu erfrischen, gesund zu bleiben, einen Sport zu treiben oder Freunde zu treffen. Die Jüngeren erfreuten sich auch an waghalsigen Spielen. Da die Franciliens (Einwohner der Île de France) keine Meeresstrände zur Verfügung hatten, begeisterten sie sich für ihre Flussstrände,

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wo schließlich keine Trennung nach Geschlecht mehr gefordert wurde. In der Pariser Gegend zählte man Dutzende solcher Bäder. Die besten Ausstattungen mit Hotel, Casino, Restaurant und Tanzsaal waren für die Kunden besonders attraktiv. In den Jahren ab 1950 führte jedoch die zunehmende Wasserverschmutzung eines Flusses nach dem anderen zum Badeverbot, so dass nun fast alle diese besonderen Badeanstalten verschwunden sind.

INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle, époque contemporaine Mots-clés : piscine Keywords : swimming pool Schlüsselwörter : Schwimmbad

AUTEUR

ISABELLE DUHAU Isabelle Duhau, née en 1963, est diplômée de l'École Boulle et de l'École du Louvre (1er cycle et muséologie). Elle a également soutenu une maîtrise et un DEA à l'université de Paris IV, sous la direction de Bruno Foucart. Elle est actuellement chercheur au service de l'inventaire général du patrimoine culturel de la région Île-de-France où elle travaille plus particulièrement sur le patrimoine des départements des Yvelines et du Val-de-Marne. Dans ce cadre, elle a publié ou participé à la publication de plusieurs études ainsi que de cinq volumes dans la collection nationale du ministère de la culture des Images du Patrimoine. Adresse électronique : isabelle.duhau@îledefrance.fr

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La piscine de Pantin (1935-1937), une réalisation architecturale et sociale d’envergure The swimming pool of Pantin: an ambitious architectural and social achievement Der Bau des Schwimmbads von Pantin, ein architektonisch und sozial weittragendes Programm

Christelle Inizan

Le socialisme municipal pantinois

Les historiens se souviennent que, lors des élections municipales de 1919, vingt-quatre communes de la Seine banlieue furent remportées par la SFIO1. Tout l’arc de cercle des communes ouvrières jouxtant Paris passèrent ainsi du communisme au socialisme orthodoxe de la section française de l’internationale ouvrière ou à un socialisme plus indépendant tel que l’incarna de 1919 à 1938 le sénateur-maire Charles Auray à Pantin.

1 Curieusement, les équipements urbains voulus par Charles Auray sont longtemps restés dans l’ombre des réalisations architecturales entreprises par Henri Sellier, maire emblématique de de 1919 à 1941, fondateur et président de l’office public du département de la Seine. Les deux hommes illustrent pourtant une même idéologie « municipaliste », empruntée à la sociale-démocratie mise en place dans les capitales autrichienne et néerlandaise2. La longévité du mandat de ces deux maires et le chevauchement de leurs actions dans le temps constituent un autre de leurs traits communs. Ce mode inédit de gestion municipale se caractérise par la volonté politique nouvelle de déconcentrer l’action communale en sortant enfin de l’hôtel de ville, lieu de la représentation municipale et de ses prestations publiques. Par la création de nouveaux services collectifs communaux et le redéploiement d’équipements de proximité au pied des cités, le « socialisme municipal » trouve là son type d’expression privilégiée.

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Charles Auray, qui remplaça le maire radical Charles David dont l’équipe était majoritairement constituée d’industriels et de notables, s’employa durablement à modifier la morphologie de cette ville ouvrière en engageant de gros travaux urbains, proposant du même coup à ses administrés quantité d’emplois dans le bâtiment. En ces années de rigueur économique et de pertes d’emplois, sur fond de conflits politiques aigus, les grandes entreprises sociales menées par les élus offraient de salvateurs appels d’air pour la population locale. La municipalité de Pantin pronostiquait que la réalisation d’une piscine sur la commune permettrait à elle seule l’emploi, sur un chantier d’environ sept mois, d’un effectif de 100 à 150 chômeurs, et de 25 à 30 personnes pour l’exploitation proprement dite de la piscine3 Aussi Pantin vit-elle fleurir en quelques années, au sud d’abord, sur les coteaux, les premières habitations à bon marché, une innovante école de plein air destinée à accueillir les enfants souffrant de maladies respiratoires, un stade et une maison de retraite. Ces réalisations furent complétées par une cité jardin rue des Pommiers4. Parallèlement, un certain nombre de quartiers furent dotés d’équipements spécifiques tels que bains-douches ou crèches. La création d’une piscine près de la mairie vint parachever ces programmes d’équipements municipaux.

Les années trente : une vague constructive de piscines

Offrir des installations sportives dans une vision hygiéniste idéale, tel est le credo de nombreux nouveaux maires de banlieue pour qui le sport est une pièce importante du dispositif social et politique. En 1924, les jeux olympiques d’été de Paris avaient mis en lumière le retard pris en France, tant en matière de pratiques sportives que d’équipements, au regard des pays du nord notamment l’Angleterre et l’Allemagne. La « VIIIe Olympiade de l’ère moderne » avait néanmoins permis l’édification à Paris, dans le XXe arrondissement, de la – premier bassin découvert de 50 mètres – où brilla le médaillé d’or Johnny Weissmuller.

2 Des revues spécialisées se firent bientôt le relais de ce mouvement en faveur de l’architecture du sport. L’Architecture d’aujourd’hui (AA), dont le premier numéro paru en novembre 1930, est à la pointe de cet engagement. Le numéro 3 d’avril 1934 est ainsi entièrement consacré aux constructions sportives et une large place occupée par les piscines et plages. La même année, Charles-Edmond Sée publie dans La Construction moderne une série de réflexions sur les piscines. La revue propose en conclusion le plan- type d’une piscine élaboré à la demande de la fédération française de natation, par les architectes Chollet et Mathon5. « Dans les années 1920-1930, la plupart des maîtres d’œuvre d’édifices sportifs pratiquèrent une architecture intégrée à la ville, au quartier, au lotissement6. » Les architectes urbanistes et hygiénistes qui partagent ce goût de l’équipement public et de l’œuvre sociale sont alors moins soucieux d’élaborer un style que de penser la construction sportive d’une manière neuve7. Certains ensembles jouent la polyvalence, d’autres sont intégrés à des bâtiments administratifs8. Une troisième voie consiste à les associer à d’autres constructions. Le plus adaptable de ces équipements sportifs est sans conteste le gymnase. Ce dernier peut en effet se loger facilement dans presque tous les types de bâtiments publics.

3 En matière de piscine, les combinaisons architecturales sont moins aisées. Le plus souvent, ce sont les bains-douches qui y sont intégrés ; ainsi, la piscine de la Butte aux

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Cailles à Paris XIIIe (1922-24) de Louis Bonnier, celle de Jeumont (1926) ou de Carpentras (1931), celle de Bègles (1930-32). On la trouve également associée à des casinos : casino d’Hossegor (1927-28), casino Balneum de Dinard (1928), aujourd’hui démoli, et plus largement à des stades comme la piscine de plein air de Bruay-la-Buissière (1931), la piscine judaïque de Bordeaux (1934-35) de Léon Madeline. Pour sa part, le groupe scolaire Paul Langevin à Suresnes (1927) de Payret-Dortail accueille en son centre un gymnase-piscine. Dans la même ville, une configuration identique se retrouve à la cité- jardin, conçue par les architectes Maistrasse, Quoniam, Dumail, Bazin. Quant au groupe scolaire Marius Jacottot de Puteaux (1933-1938) des frères Niermans, il présente l’exceptionnel avantage d’intégrer une piscine à l’ensemble. La plus insolite des compositions reste cependant la piscine-usine de traitement d’ordures ménagères de la Butte rouge à Châtenay-Malabry, dans les Hauts-de-Seine. La combustion des déchets de la cité-jardin servait à chauffer l’eau de la piscine. Assainissement et pratique sportive sont ici réunies avec audace dans un bâtiment double, conçu et réalisé entre 1931 et 1935 par les architectes Bassompierre, de Rutté et Sirvin.

Pantin, un projet mixte : sportif et industriel

4 La réalisation de Châtenay-Malabry – première piscine couverte construite dans la banlieue parisienne – à la pointe de l’innovation et de l’économie, ne peut avoir été ignorée par l’équipe municipale de Pantin lorsqu’elle conçut, en 1936, son propre projet de piscine, projet qui s’est imposé par la décision de la compagnie générale des eaux (C.G.E.) de créer dans la ville un point d’eau alimenté par des puits. En édifiant une piscine à proximité, on faisait ainsi coup double en l’alimentant directement avec les eaux les plus profondes de ces forages, eaux à la fois chaudes et moins calcaires. Le terrain que la C.G.E. immobilisa pour la création de son usine et de ses installations de pompage faisait partie d’une propriété de deux hectares environ sur lesquels 6 000 m² restaient disponibles9. Cette parcelle, occupée par des ateliers et des magasins divers, appartenait à la société Félix Potin, fut bientôt acquise par la commune10. Sa situation, proche à la fois de l'hôtel de ville et de la gare, en bordure des voies de chemins de fer du réseau Est, se prêtait particulièrement bien à la construction d’une piscine municipale et à l’aménagement d’une plaine de jeux dont les accès se trouvaient dans le prolongement des cours de deux écoles limitrophes11. Le maire de Pantin décida de confier à son fils Charles, pour un budget de quatre millions de francs de l’époque – acquisition du terrain comprise –, la construction de la piscine. Au bassin de natation, pouvant recevoir des compétitions sportives, vinrent s’ajouter d’autres équipements : un terrain de sports et des salles de culture physique implantées au dernier étage de la piscine. La ville ne pouvant se procurer les fonds nécessaires à l’exécution du projet sollicita un emprunt sur trente ans auprès de la caisse de crédit aux départements et aux communes12. La commande s’élargit à l’usine des eaux ainsi qu’au pavillon d’habitation destiné au directeur de l’usine, situé entre les deux édifices.

5 Charles Auray, alors jeune architecte de vingt-quatre ans, trouve là l’occasion de signer sa première œuvre, tandis que son père justifiait son choix par l’économie des honoraires du maître d’œuvre ainsi dégagée. À l’architecte débutant est adjoint un ingénieur expérimenté de la C.G.E., Jean Molinié. Le tandem ainsi constitué prit en

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charge l’ensemble de l’opération. Les travaux commencèrent le 15 juin 1936 et s’achevèrent un an plus tard.

6 Architecte diplômé par l’État (DPE) en 1937, Charles Auray fut l’élève de Jean Trouvelot et de Georges-Henri Pingusson qui écrivit en 1934 un article remarqué donnant des « Renseignements utiles pour l’étude d’une piscine »13. Auray a travaillé chez Florent Nanquette14, architecte spécialisé dans les programmes sociaux et actif à la périphérie de Paris notamment à Montreuil et à Pantin où il est le maître de l’œuvre de l’école de plein air (1932-1933) et de la maison de retraite (1935). Charles Auray a probablement participé à l’élaboration de ce dernier projet avant de se voir confier la construction de la piscine municipale et de l'usine des eaux. Après la guerre, Charles Auray n'eut malheureusement plus l'occasion de réaliser de projets aussi librement. Il construisit des logements sociaux et des lycées, esclave désormais « de la trame 180 et des normes réduites ». Charles Auray interrogé en 1996 lors de la procédure de protection au titre des monuments historiques s’exprima en ces termes : « La piscine et l'usine des eaux de Pantin conservent une place privilégiée dans ma carrière15. »

7 Molinié et lui apportèrent beaucoup de soin à la réalisation de ce double programme, fortement inspirée de l'architecture néerlandaise. Du reste, peu avant sa commande, Charles Auray a effectué un voyage aux Pays-Bas pour étudier l'architecture épurée de Willem Marinus Dudok, influencé par Frank Lloyd Wright et le mouvement De Stijl. L’hôtel de ville d', construit entre 1928 et 1932, deux écoles d’Hilversum et le magasin Bijenkorf de Rotterdam (ill. 1) servirent en partie de source d'inspiration aux deux constructions de Pantin16.

Ill. 1 : Façade nord-ouest de l’hôtel de ville d’Hilversum en 1931

L’Architecture d’aujourd’hui, mars 1932 Cliché de l’auteur

8 D’autres architectes français (Mathon et Chollet à l’hôtel de ville de Cachan en 1938, Dubreuil et Hummel pour le groupe scolaire de Maisons-Alfort entre 1930 et 1934,

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Lhôtelier et Robin au poste de coupure de la société Nord-Lumière à en 1939) firent également référence à ces édifices insignes, internationalement reconnus, et publiés dans L’Architecture d’aujourd’hui de mars 1932 17. La leçon de Dudok sera retenue : fort ancrage du bâti dans son environnement, jeu exclusif des masses, volumes horizontaux, fenêtres basses en ruban, toit plat, soin extrême apporté aux détails et décoration reléguée aux espaces intérieurs.Pour sa part, Françoise Hamon voit une parenté très nette entre « la piscine de Pantin et le gymnase-tribune d’André Lurçat à l’école Karl Marx de Villejuif : même esthétique radicale du bunker, efficace et impressionnante, absence de tout ornement, rationalité nue »18.

L’architecture de la piscine

9 La piscine constitue évidemment le bâtiment phare de cet ensemble urbain. Elle domine par sa masse imposante la totalité de la composition (ill. 2).

Ill. 2 :Le magasin Bijenkorf de Rotterdam

L’Architecture d’aujourd’hui, mars 1932 Cl. de l’auteur

10 D'un côté, se trouve la parcelle du point d'eau, autrefois jalonnée de plusieurs pavillons bas, de l'autre, un terrain plat de 4000 m2 qui sépare la piscine du groupe scolaire Sadi Carnot construit en 1889. Cette surface a été aménagée en terrain de jeux avec abris, procurant ainsi à l’école l'espace qui lui manquait. Un garage à bicyclettes à ossature et toiture en béton armé, hourdis de briques, construit à proximité de la piscine, complète l’agencement général. Les murs de clôtures et les portails sont également élevés en briques de parement. Le toit plat de la piscine et sa façade d'entrée en retrait d’alignement de l’avenue confèrent au bâtiment monumentalité et représentativité. Cette disposition semble

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avoir été inspirée par le stade municipal de Courbevoie réalisé en 1930 par Nanquette ; comme en témoigne le premier projet d’élévation des façades de la piscine de Pantin daté d’octobre 1935 et conservé aux archives communales. Néanmoins, la silhouette de blockhaus de la piscine de Pantin renvoie une nouvelle fois aux réalisations de Dudok. Il n’est pas inintéressant de savoir que l’architecte avait travaillé, entre 1910 et 1913, à un projet de bunker19. La filiation néerlandaise est renforcée par l’utilisation en revêtement de la brique rouge des Comptoirs tuiliers du Nord, matériau par excellence de la banlieue, économique et facile à transporter. Le remplissage entre les éléments de l'ossature en béton armé est exécuté, à l'extérieur, en briques de parement apparentes et en briques de remplissage vers l'intérieur20. Du même fabricant proviennent les éléments en grès émaillé noir qui couronnent l’édifice et encadrent les baies. Les joints horizontaux sont nettement accusés, largement creusés, tandis que l'appareillage a fait disparaître les joints verticaux (ill. 3).

Ill. 3 :Le magasin Bijenkorf de Rotterdam

L’Architecture d’aujourd’hui, mars 1932 Cl. de l’auteur

L'architecte a voulu rompre l'imposante masse de l'édifice par des effets de volumes à différents niveaux, en jouant sur des avancées et des retraits de travées qui viennent briser le rythme horizontal des baies21. La verticalité rigoureuse de la cheminée surmontée d’un aérateur en béton armé et placée à l’arrière du bâtiment, contribue à cet effort (ill. 4).

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Ill. 4 : Vue perspective du site de Patin

La Construction moderne, 6-13 nov. 1938 Cl. de l’auteur

Les châssis métalliques pivotants des fenêtres rondes rappellent les hublots d'un navire, mais également la fonction aquatique de l'édifice. La différence de taille des caractères formant les inscriptions de la façade, participe à cette volonté d'allègement du bâtiment. Davantage encore que la façade principale, les façades latérales et antérieure de la piscine évoquent celles du grand magasin de Rotterdam et, de façon moindre, la façade sud-est de l’hôtel de ville d’Hilversum dont la rigueur atténuée se retrouve dans le traitement différencié de l’aile de l’usine de Châtenay Malabry ou la façade arrière de la piscine parisienne de la rue Édouard-Pailleron (édifiée en 1934).

11 L'entrée de la piscine se fait par un emmarchement conduisant à un porche abrité22. Un large perron, divisé en son milieu par un volume convexe, sorte de loggia en fer à cheval dissimulant intérieurement des bancs fixes, sépare l’entrée de la sortie. Autour du hall, très lumineux grâce à ses baies supérieures horizontales, sont répartis plusieurs locaux : le logement du gérant (avec loge, salle à manger et cuisine au rez-de- chaussée, chambre au sous-sol), le cabinet médical et l’infirmerie, le bureau du directeur23. La caisse de forme arrondie, située dans l'axe de la loggia, surveille à la fois les allées et venues côté vestibule et, par une vitre, le bassin. De part et d'autre de la caisse, deux entrées débouchent sur un espace délimité par des barrières, faisant face au bassin de natation. Deux escaliers latéraux partiellement hors œuvre, dont les cages sont éclairées par de hautes verrières d’angle, conduisent les visiteurs, encore chaussés, aux étages où se trouvent des déshabilloirs collectifs pour les écoles et les groupes, de simples cabines réparties sur tout le pourtour du bassin, et de plus spacieuses placées à l’avant du bâtiment. Les arrivants empruntent ensuite « pour descendre à la plage » un

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escalier double situé à l’arrière du bâtiment, également vitré. Ce parcours hygiénique imposé les oblige à passer au rez-de-chaussée par les douches de propreté (il y a quinze douches côté hommes et quinze douches côté dames) en communication directe avec le trottoir des baigneurs (ill. 5).

Ill. 5 : Façade principale de la piscine de Pantin

Cl. de l’auteur, CRMH Île-de-France, 1996

12 Le type adopté pour l’intérieur de la piscine est celui qu'avait mis en avant quelques années auparavant, à Paris, l'ingénieur Lucien Pollet, architecte de la célèbre piscine de la rue de Pontoise, de la rue de la Jonquière et de la rue Édouard-Pailleron.

13 Le bassin – petit et grand bains – de 33 mètres, aux normes de compétition, est éclairé par une verrière zénithale de même surface et entouré des quatre déshabilloirs communs et des deux cents trente-deux cabines de déshabillage individuel réparties sur deux niveaux auxquelles on accède par des galeries surplombant le bassin24. Comme les escaliers, ces cabines prennent jour en façades. Le dispositif théâtral est complété par un mur, initialement parabolique, véritable fond de scène, qui supporte l'horloge et accueillait autrefois le plongeoir à étages avec tremplin. Cet écran recouvert d’un granito bleu accroche le regard et axe toute la composition. Il contribue à souligner les silhouettes des plongeurs ainsi que les poutres de rive et les garde-corps des galeries- balcons (ill.6).

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Ill. 6 : Façade antérieur de la piscine de Pantin et la plaine de jeux vers 1945

Cl. Archives municipales de Pantin.

14 On retrouve ce même dispositif d’écran à la piscine judaïque de Bordeaux.

15 Un soin extrême a été apporté à tous les détails de l'aménagement intérieur. La tonalité générale des revêtements intérieurs est le blanc. À l'origine, la plupart des sols étaient carrelés « en mosaïque de hasard » – céramique en opus incertum – en grès cérame beige clair et disposés pour recueillir par des caniveaux sous caillebottis les eaux de ruissellements. Les parois verticales autour du bassin étaient tapissées jusqu'à hauteur de soubassement de carreaux de faïence blanche, notamment pour les banquettes des plages25, tandis que le reste du revêtement (les piliers de soutènement à mi-hauteur et le sol des plages) était constitué d’éclats de faïence blanche avec semis de mosaïque bleue bordée par des carreaux rehaussés d'émaux de Briare bleu. La cuve du bassin était également tapissée de faïence cassée à l’exception du brise-vague où les carreaux étaient entiers afin de faciliter le nettoyage par aspiration. Cinq lignes de nage en faïence bleu foncé ornent toujours le fonds du bassin, refait depuis.

16 Comme toujours, l'indépendance est complète entre la cuve du bassin et l'ossature de l'édifice. La cuve est sur poteaux. Elle a été construite en béton Portland, tassé par vibration. L'intérieur est enduit par projection au mortier. En cas de compétition sportive, le plan d'eau pouvait être remonté de 0m25 au moyen d'un système spécial. Au-dessus de l'entrée, de larges encorbellements accueillaient les spectateurs souhaitant assister aux compétitions. L’accès aux galeries-balcons était condamné par un système de portillons isolant les visiteurs des nageurs.

17 La toiture vitrée est à double pente constituée de fermes métalliques légères permettant une ventilation effective et un bon éclairage zénithal. Le plafond proprement dit est en dalles de verre démontables. Elles sont posées librement sur un système de croisillons de fers en T. Un pont roulant permet d'opérer le nettoyage des verres et de placer des appareils d'éclairage du bassin lors des épreuves sportives. En

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temps normal, il est placé contre le pignon opposé à l'entrée principale. Une porte pratiquée dans ce pignon permet de passer de la cabine à la terrasse.

18 La salle de culture physique située au troisième et dernier étage de la piscine, en proue du bâtiment, est éclairée par les bandeaux horizontaux des baies et les deux oculi de la façade principale. De petites pièces secondaires se greffent à cette grande salle : vestiaires avec douches, salle de gymnastique médicale, salle d’escrime et de boxe, cabinets de mensuration26.

19 Au sous-sol, les installations sont groupées : la chaufferie près du système de ventilation, l’équipement électrique avec le réseau sanitaire (traitement de l'eau et appareils de régénération de l'eau27).

20 Ouverte au public en mai 1937, la piscine de Pantin connut un succès considérable : 230 000 entrées. La municipalité contribua largement à cette réussite en finançant une vaste campagne publicitaire de lancement dans les journaux et par affichage tout en promouvant Jean Taris, champion d’Europe de natation, directeur de l’établissement. Le tarif très bas du prix d’entrée a également contribué à ce succès28. La piscine fut utilisée dès son ouverture par les élèves du collège qui bénéficiaient d’un accès gratuit (ill. 7).

Ill. 7 : Plans de l’étage et du rez-de-chaussée

La Construction moderne, 6-13 nov. 1938 Cl. de l’auteur

21 Ceux-ci durent cependant attendre octobre 1948 avant d’utiliser la salle de culture physique29, disponible seulement pendant les jours de pluie de la période d’hiver, la culture physique se pratiquant habituellement en extérieur, sur le terrain de sport. Malgré ce succès populaire les critiques ne manquèrent pas. Les communistes dénoncèrent vivement la gestion du maire de Pantin et « les tromperies de son action

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en faveur du sport », le premier magistrat encourageant selon eux « le sport spectacle » en dépit de son engagement à gauche30.

L’usine élévatoire et de traitement des eaux

La station de pompage et de production d'eau souterraine de Pantin est implantée à proximité immédiate de la piscine mais très en retrait, à l’arrière des bassins de stockage. Un premier puits artésien profond d'environ 800 mètres avait d’abord été foré. L'eau obtenue, bactériologiquement pure, peu chargée en sels minéraux, atteignait environ 30° C. Une eau de cette température convenait parfaitement à l'alimentation d'une piscine mais ne pouvait être distribuée sans correction aux abonnés. C'est la raison pour laquelle trois autres puits, moins profonds, furent forés dans une autre nappe aquifère, à 100 mètres de profondeur, procurant une eau froide. Á l'origine, de petits pavillons disséminés sur le terrain du point d'eau abritaient ces différents forages. Ces constructions dispersées étaient apparentées par leur style. Seul le pavillon le plus important subsiste. Il abrite l'usine de pompage et de déferrisation. Construit entre 1935 et 1936, en même temps que la piscine, il en épouse l'architecture (baie centrale, fenêtres d’angle, bandeau). La petite usine domine un monticule gazonné qui cache un réservoir semi-enterré où se mélangent les eaux. Une grille sépare toujours le pavillon et le grand espace traité en jardin de la voie publique.

22 Sous un châssis vitré, dans un ronronnement continu, quatre moteurs pompaient l'eau dans les nappes phréatiques. Certaines machines élévatoires d'époque subsistent. Des cinq puits de forage d’origine, un seul fonctionne aujourd’hui. « Cette eau de très bonne qualité est déferrisée puis chlorée avant d’être stockée dans deux réservoirs enterrés. Les 150 m3 d’eau potable traités par heure sont utilisées pour alimenter une partie de la région de Pantin. L'usine fonctionne automatiquement et à distance à partir du poste de commande de Neuilly-sur-Marne31. »

23 L'usine de forage, aujourd’hui propriété du syndicat des eaux d’Île-de-France et exploitée par la C.G.E., a été soumise depuis sa création à bon nombre d'aléas de fonctionnement et a subi certaines transformations architecturales, au demeurant habilement menées : suppression de l'avancée centrale et du vestibule d’entrée, installation de claustras en brique dans les baies, encadrements des fenêtres peints en noir dans l’esprit chromatique de la piscine (ill. 8).

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Ill. 8 : Volume intérieur de la Piscine

Cl. de l’auteur, CRMH Île-de-France, 1996

24 Paradoxalement, la parenté stylistique des deux édifices est plus évidente aujourd'hui qu'elle ne l'était à l'époque32. À cet ensemble sportif et industriel, était associé un petit pavillon d’habitation (la maison du directeur de l’usine), de facture très soignée, qui récapitulait en tout point les grandes options stylistiques des deux édifices manifestes33. Cette construction a été malheureusement démolie en 1994.

25 En 1937, Charles Auray se vit de nouveau confier la construction d’une petite usine de la C.G.E. à Épinay-sur-Seine fortement inspirée de sa première réalisation34. Dans le paysage de Pantin, la piscine et l’usine élévatoire des eaux constituent un élément fort du paysage. Ils s'insèrent magnifiquement dans le site de la mairie. La brique sert de trame à ce subtil jeu visuel où les deux édifices des années trente répondent à l’école voisine, plus ancienne. L’espace alentour met tout particulièrement en valeur cette architecture peu altérée par le temps, renvoyant au concept néerlandais primitif, soucieux d'une symbiose entre environnement et bâti. L’ensemble de Pantin apparaît comme un témoignage particulièrement intéressant des grands équipements urbains de la petite couronne, illustrant l’une des grandes périodes de l’architecture utilitaire et sociale en France, 1925-1935. La piscine de Pantin « l’une des plus modernes de la région parisienne »35 fait partie de ces bâtiments méconnus qui ont contribués à la notoriété d’une banlieue progressiste et audacieuse.

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NOTES

1. http://biosoc.univ.-paris1.fr/histoire/lieux/departmt/soc1.htm, loc. cit. Jean-Paul Brunet, Le Socialisme en banlieue nord et nord-est de Paris de 1945 à nos jours, table ronde de l’AHMO aux arch. dép. 93, le 13 décembre 2001, introduction.. 2. http://www.Ville-pantin.fr/download/pdf/ logement, loc. cit. Daniel Tajan, Le Logement social, parcours d’architecture du 3 décembre 2000. 3. Arch. mun. Pantin, M21, Rapport de lutte contre le chômage. Construction d’un bassin municipal à Pantin. Exposé des principaux motifs qui ont poussé la municipalité à envisager la réalisation de ce projet, s.d., 2 p. 4. http://www.ville-pantin.fr/fileadmni/MEDIA/Histoire de Pantin, consulté en mai 2007, p. 5. 5. Antoine Le Bas, Architectures du sport - 1870-1940, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Cahiers de l’Inventaire n° 23, Paris, éd. Connivences, 1991, p. 62. 6. Antoine Le Bas, Architectures du sport […], op. cit., p. 63. 7. La Construction moderne, 1er avril 1934, p. 463-464. 8. Antoine Le Bas, Architectures du sport […], op. cit., p. 63. 9. Arch. mun. Pantin, M21, délibération du conseil municipal, séance du 30 octobre 1935. 10. Arch. mun. Pantin, M21, promesse de vente du 1er décembre 1935. 11. Arch. mun. Pantin, M21, plan aquarellé d’aménagement du point d’eau de la C.G.E. et de la piscine municipale, 30 oct. 1935. 12. Arch. mun. Pantin, M21, délibération du conseil municipal, séance du 30 octobre 1935. 13. L’Architecture d’aujourd’hui, n° 3, avril 1934, p. 56-57. 14. Paul Chemetov, Bruno Dumont, Bernard Marrey, Paris-banlieues 1919-1939, Paris, Dunod, 1989, p. 217. 15. Témoignage oral. 16. Ministère de la culture, direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France, dossier de recensement de la conservation régionale des monuments historiques, Christelle Inizan, juin 1996. 17. L’Architecture d’aujourd’hui, mars 1932, n° 2. 18. Antoine Le Bas, Architectures du sport, op. cit., p. 15. 19. Emma Lavigne, Le Collège néerlandais, Dudok: la leçon de l’architecture militaire, mémoire de DEA, Paris I, sous la direction de Gérard Monnier, oct. 1996, p. 12. 20. Arch. mun. Pantin, M21, cahier des charges, conditions générales de l’appel à la concurrence, s.d., 34 p. 21. Arch. mun. Pantin, M21, élévation de la façade latérale, s.d. 22. Arch. mun. Pantin, M21, élévation de la façade principale, s.d. 23. Arch. mun. Pantin, M21, plan du r.d.c., oct. 1935. 24. Arch. mun. Pantin, M21, plan des étages, coupes longitudinale et transversale, oct. 1935, La Construction moderne, 6-13 nov. 1938, ill. p. 60, 62. 25. La Construction moderne, 6-13 nov. 1938, p. 62. 26. Arch. mun. Pantin, M21, plan du 3e étage, oct. 1935. 27. Arch. mun. Pantin, M21, plan du sous-sol. 28. Arch. mun. Pantin, M21, lettre de Lafaille, exploitant de la piscine à un conseiller municipal, 1951.

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29. Arch. mun. Pantin, M21, inauguration de la salle de culture physique, photographie ancienne, s.d. 30. http://www.wearefootball.org/PDF/le-football-ouvrier-en-region-parisienne.pdf, loc. cit. Nicolas Ksiss, Société et représentations, revue publiée par l’université de Paris XIII, 1998. 31. CAUE 93 et DRAC Ile-de-France, Le Patrimoine du XXe siècle, 100 visites pour 100 monuments, septembre 2000, 100 fiches. 32. Paul Chemetov, Bruno Dumont, Bernard Marrey, Paris-Banlieues, op. cit., p. 188-189. 33. Arch. mun. Pantin, M21, pavillon d’habitation du directeur de l’usine, photographie ancienne, v. 1945 ; La Construction moderne, 6-13 nov. 1938, ill. p. 60. 34. L’Architecture d’aujourd’hui, n° 6, juin 1939, p. 56. 35. Arch. mun. Pantin, M21, Le point d’eau de Pantin, 1935.

RÉSUMÉS

En 1935, à l’occasion du projet de construction d’une usine élévatoire et de traitement des eaux par la C.G.E, la mairie de Pantin décide d’édifier à proximité une piscine municipale. Elle serait alimentée par les eaux chaudes extraites d’un des puits avoisinants. Le maire de l’époque, Charles Auray, passe commande à son fils, jeune architecte de vingt-quatre ans et lui adjoint un ingénieur plus expérimenté, Jean Molinié. Les deux bâtiments possèdent une parenté architecturale certaine, paradoxalement accentuée par les dernières modifications effectuées sur les façades de l’usine. Tout en récapitulant les traits propres aux piscines de l’époque, la piscine de Pantin emprunte sans complexe aux réalisations d’une des personnalités les plus marquantes du mouvement moderne néerlandais, l’architecte Willem-Marinus Dudok

In 1935, while the construction of a sewage pumping and treatment plant was planned by the administration of the French water utility, the town council of Pantin decided to have a municipal swimming pool built nearby. It would be supplied with warm waters drawn from one of the neighbouring wells. The mayor of the time, Charles Auray, commissioned his son, as a twenty-four-year-old architect, and appointed Jean Molinié, as a more experienced engineer, to him. The two buildings were definitely architecturally related, which would be paradoxically emphasized by the eventual alterations of the factory façades. Combining all the features characteristic of the contemporary swimming pools, the swimming pool of Pantin freely borrows from the works of one of the most outstanding personalities of the Dutch Modern Movement, the architect Willem-Marinus Dudok.

Die Compagnie Générale des Eaux (Gesellschaft für Wasserversorgung) plant 1935 die Errichtung einer Pumpen- und Abwasserreinigungsanlage in Pantin. Sogleich entschließt sich die Stadtverwaltung in deren Nähe ein städtisches Schwimmbad zu bauen, welches mit Warmwasser durch eine nahe artesische Quelle versorgt werden soll. Der damalige Bürgermeister Charles Auray beauftragt damit seinen Sohn, einen 24 jährigen jungen Architekten, und den erfahrenen Bauingenieur Jean Molinié als Mitarbeiter. Die Kläranlage und das Schwimmbad führen eine gewisse architektonische Verwandschaft vor Augen, die besonders deutlich wird nach den Veränderungen an den Fassaden der Abwasserreinigungsanlage. An dem Schwimmbad von Pantin lassen sich zwar alle Charakterzüge der zeitgenössischen Schwimmanstalten erkennen,

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aber auch der Einfluss der Werke des Architekten Willem-Marinus Dudok, einer bedeutenden Figur der niederländischen modernen Architektur

INDEX

Index chronologique : XXe siècle Mots-clés : piscine Keywords : swimming pool Schlüsselwörter : Schwimmbad

AUTEUR

CHRISTELLE INIZAN

Christelle Inizan, née en 1964 à Paris, est titulaire d’une maîtrise d’histoire de l’art sur Dubuffet et son rapport à la matière, université de Paris I. Elle a poursuivi un cursus en art contemporain à Paris IV. Après avoir été journaliste en presse jeune, enseignante en histoire de l’art en lycée, elle entre en 1991 au ministère de la culture à la conservation régionale des monuments historiques d’Île-de-France. Chargée d’études documentaires, elle a instruit plus de 80 protections au titre des monuments historiques, a donné plusieurs conférences notamment à l’École d’architecture de Versailles et à l’Institut national du patrimoine. Elle a participé à de nombreuses publications consacrées à l’architecture en Île-de-France. Adresse électronique: [email protected]

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Bains-Baden, les piscines bruxelloises

Isabelle Pauthier

1 La signification sociale de la pratique de la baignade a connu de fortes évolutions dans l’histoire de la culture occidentale. Au XIXe siècle, les divertissements et les loisirs restent réservés à la noblesse et à la bourgeoisie dont ils constituent un signe distinctif. Après la première guerre mondiale, ils prennent progressivement de l’importance dans le quotidien de toutes les classes sociales. Les établissements de bain traditionnels qui allient bassin de natation, bains, douches, hydrothérapie et parfois salle de gymnastique résultent de la volonté des pouvoirs publics de promouvoir l’hygiène corporelle et la promotion de la santé auprès des classes laborieuses dont les logements ne sont pas équipés en eau courante. Ces préoccupations laissent progressivement place à la pratique sportive et récréative. Les bains traditionnels s’adaptent dans les années 1930 à la concurrence d’un type inédit d’établissements, les solaria, qui mettent en avant la pratique sportive de plein air. Ceux-ci ont aujourd’hui disparu, à l’inverse des bains traditionnels, dont certains sont particulièrement remarquables sous l’angle architectural et décoratif. À partir des années 1950, chaque commune bruxelloise se dote d’une piscine dans un objectif d’éducation sportive. À part l’exemple notable du Neptunium à Schaerbeek et de la piscine Longchamp à Uccle (C. De Meuter et J. Koning, architectes, 1965), la qualité architecturale laisse le plus souvent place à la fonctionnalité1.

Conditions de vie et progrès social

2 La révolution industrielle s’est développée précocement en Belgique. Elle place les ouvriers dans des conditions d’existence difficiles : allongement constant du temps de travail, bas salaires, conditions d’existence a minima. À Bruxelles, la densité augmente spectaculairement après l’indépendance du pays (1830). Entre 1830 et 1890, la population du centre de Bruxelles passe ainsi de 90.000 à 159.000 habitants. À partir du milieu du XIXe siècle, les pouvoirs publics prennent conscience du caractère insupportable de l’entassement et les courants philanthropiques établissent les bases

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de l’amélioration des conditions de vie. Il s’agit, par la prophylaxie, de conserver et de reproduire la force de travail. Les bases théoriques de la démocratisation de la culture du bain apparaissent au XVIIIe siècle dans le cadre du mouvement hygiéniste. Médecins et pédagogues font la preuve de l’influence bénéfique de l’eau sur la santé. La purification du corps à l’aide d’immersion et d’aspersion se propage comme moyen efficient pour améliorer les conditions sanitaires des ouvriers et les fortifier grâce à différentes pratiques d’hydrothérapie et de natation.2 L’hygiène publique est perçue au début du XXe siècle comme « une manifestation les plus certaines du progrès moderne3 ». « La foi en l’hygiène est générale4 ». « Allez au bain, ça fait du bien5 ».

3 La seconde moitié du XIXe siècle voit fleurir nombre d’initiatives destinées à encourager l’application des principes d’hygiène : l’assainissement des quartiers ouvriers, la construction des premiers logements sociaux, l’aménagement d’un réseau public de distribution d’eau potable dans les années 1850 ou encore la création, sur l’initiative du ministre des affaires intérieures Charles Rogier, de divers organismes dont la mission est d’améliorer l’hygiène publique : le service central de santé et d’hygiène, le conseil supérieur d’hygiène et les comités de salubrité. Pendant l’épidémie de choléra de 1850, le ministre adresse une missive aux gouverneurs de province pour promouvoir la construction de bains publics sur le modèle anglais. Les idées novatrices relatives à l’hygiène corporelle se répandent également grâce à des journaux comme « La Santé », distribué à partir de 1849, et aux travaux du congrès général d’hygiène qui s’est tenu à Bruxelles en 1851-1852. Les bains y sont investis d’un rôle moral : ils contribuent aux valeurs sociales et à l’ordre moral. Ils assouplissent les membres et contribuent à une éducation virile, les « exercices natatoires6 » étant généralement réservés aux garçons.

Une œuvre de propagande hygiéniste

4 Victor Boin, président du comité olympique, milite dans les années 1930 pour que la natation soit rendue obligatoire dans les écoles. Certains complexes scolaires bruxellois modèles se dotent dès leur création d’un bassin de natation, à l’instar de la piscine de l’école de la rue de la Ruche, construite en 1907 par l’architecte Henri Jacobs (1864-1935)7. Victor Boin écrit : « En 1890, quelques sportsmen aux idées avancées, désireux de rendre populaire un exercice salutaire et pratique, fondèrent la première société belge de natation. Ils la baptisèrent : " Cercle de natation de Bruxelles " et commencèrent dans notre pays une propagande qui resta longtemps nulle et sans effets heureux. […] Avant 1880, on ne nageait pas en Belgique ou, du moins, si l’on nageait, c’était à l’encontre de toute méthode et d’une façon désordonnée8 ». La natation ne devint un sport reconnu que lorsque le cercle des régates de Bruxelles créa sa section de natation, puis en 1897, grâce à la fondation du « Brussels Swimming Club ».

Les Bains économiques, rue des Tanneurs, 1854

5 Pendant l’épidémie de choléra de 1848-1850, le prolifique architecte Wynand Janssens (1827-1913) propose aux autorités communales la construction de bains dans le quartier populaire des Marolles. Il s’inspire des « bath and waterhouses » anglais. La façade des Bains économiques, sobre et rigoureusement symétrique évoquait un petit établissement scolaire. Elle était organisée autour des entrées séparées pour les hommes et les femmes. Le prix d’accès modique fixé à 20 centimes – le salaire moyen

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d’une heure de travail s’élevait à 30 centimes – contribua au succès de ces installations. Les bains économiques furent utilisés jusqu’à la première guerre mondiale puis furent démolis en 1953 pour laisser place à des logements sociaux construits par le Foyer bruxellois (cité de la Querelle).

Le Bain royal, rue du Moniteur, 1879

6 Construite par la société anonyme du Bain royal, c’est la première piscine couverte de Bruxelles. Comme son nom l’indique, cet établissement se voulait prestigieux et s’adressait à un public bourgeois attiré par le faste et la représentation sociale. Il comprenait une piscine, des bains individuels, des bains thérapeutiques, un atrium, un jardin, un café… L’architecte Adolphe Vanderheggen (1839-1906) déploya dans un certain luxe des matériaux modernes comme le fer et le verre. La coupe du Bain royal (ill. 1) évoque le dispositif architectural centré des halles métalliques doté d’une charpente elliptique 9.

Ill. 1 : Le Bain royal

Coupe transversale sur le bassin Cl. Archives d’architecture moderne, Bruxelles

7 Il n’y a pas encore de circuit élaboré qui permette de séparer la circulation des pieds chaussés et des pieds nus. L’intérieur a été complètement démoli en 1969 pour réaliser une école. La façade, qui donne sur la rue de l’Enseignement, présente encore les motifs décoratifs qui évoquent la destination originelle du bâtiment : poissons, coquilles, hippocampes.

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Les complexes de bains communaux au tournant du XXe siècle

8 Plusieurs communes bruxelloises prennent l’initiative d’édifier des complexes de bains publics assortis de piscines couvertes dans des quartiers ouvriers. Le prix d’entrée était compris entre 20 et 50 centimes. Les bains turcs étaient plus coûteux, jusqu’à 2 francs.

9 La piscine d’Ixelles, construite 10 rue de la Natation par les architectes Jules Rau (1854-1923) et Alexandre Cooreman (1880- ?), est la plus vieille piscine existante en région bruxelloise. Elle établit une typologie d’organisation qui restera en vigueur jusque dans les années cinquante : l’avant-corps est séparé du bassin, une galerie abrite les cabines. Sa construction fit l’objet d’un concours d’architecture en janvier 1899. La piscine comprend un bassin de natation avec lavabos, douches et cabines mais était dépourvue de bains turcs. La façade en briques est soulignée par des bandeaux en pierre bleue et est animée par des carreaux de céramique blanche, Jules Rau ayant un intérêt particulier pour les recherches chromatiques sur les matériaux. L’armature métallique apparente, les colonnes en fonte dotées de chapiteaux corinthiens, la balustrade en fer forgé aux dessins géométriques préservent en grande partie l’aspect d’origine malgré une rénovation lourde en 2000.

10 Les bains de Saint-Gilles, 38 rue de la Perche, réalisés entre 1902 et 1905 par les mêmes architectes présentaient un programme architectural identique. En 1938, l’architecte Inghelbrecht fut chargé d’agrandir la piscine en lui ajoutant deux étages de cabines et la toiture d’origine fut remplacée par un toit escamotable sur une structure en béton armé. Les bains douches ont été supprimés mais les bains turcs sont toujours en fonction et possèdent leur association de défense. Les carreaux en faïence blanche et jaune et les robinetteries et mains courantes en bronze poli sont d’origine. Les chaudières au charbon ont été adaptées au mazout en 1958 puis au gaz naturel en 1972. Le centenaire de la piscine a coïncidé avec l’installation 185 m² de panneaux solaires sur la toiture.

L’évolution de la pratique sociale du bain dans l’entre- deux-guerres : de l’hygiène à la détente

11 À l’instar du cinéma, le sport et le jeu deviennent des loisirs très populaires dans l’entre-deux-guerres. L’exercice physique est valorisé et l’adage « un esprit sain dans un corps sain » répond à l’aspiration de libération du mouvement moderne. Le sport et l’hygiène corporelle, d’abord objets d’injonction, deviennent une pratique sociale répandue. Les sportifs incarnent les héros populaires de l’entre-deux-guerres.

12 L’écrivain Paul Werrie, dans un article du premier numéro de la revue Bâtir, en 1933, stigmatise Bruxelles qu’il considère, au regard des villes allemandes « qui, toutes, possèdent leurs bains aquatiques et solaires », comme une « ville croupissante ». Il dénonce la piètre qualité des eaux de baignade, qualifiée par lui de « bouillon de culture ». Il souligne que le congrès d’oto-rhyngologie de Paris stipule que l’eau des établissements de bain doit être filtrée, désinfectée et renouvelée quotidiennement, conditions qui sont loin d’être remplies à Bruxelles. Les dispositions sanitaires imposeront bientôt que les cabines doivent être à deux entrées et désinfectées chaque jour, les douches et brossages préalables des pieds au savon doivent être obligatoires.

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Les usagers se plieront bien volontiers à ces contraintes de salubrité. L’aération est fondamentale. Les contraintes liées à l’hygiène forcent ainsi l’évolution des programmes architecturaux.

Les bains de Saint-Josse, 21-23 rue Saint-François, 1930-1933

13 Les bains communaux sont construits selon les plans des architectes Joseph Bytebier (1880-1941) et Charles Schaessens (1880-1953) à l’emplacement d’anciennes impasses ouvrières expropriées en 1913 dans le cadre d’un projet d’assainissement. Ils sont associés avec un complexe de logements sociaux.

14 La façade des bains s’étage le long d’une rue en pente. Elle se compose de trois niveaux de huit travées rythmées au niveau des étages par des pilastres reposant sur un puissant socle en pierre bleue percé de petites ouvertures. L’élévation est en brique jaune et en pierre blanche dite de France. L’appareil de briques est animé de motifs de chevrons. La conception architecturale se réclame de l’Art déco utilitaire, animé de formes géométriques et empreint d’une certaine monumentalité. De grandes baies en plein cintre éclairent le rez-de-chaussée dans cette rue étroite. Les ouvertures rectangulaires des étages sont jumelées ou en agencées en triplet. L’inscription « Bains- Baden » est gravée dans la pierre en lettrage Art déco. Le bâtiment est couronné par une corniche saillante interrompue par deux pignons triangulaires à tympan ajouré (ill. 2).

Ill. 2 : Le Neptunium

Façade sur la rue Cl. de l’auteur.

15 Les parties centrale et droite du bâtiment abritent le bassin de natation et les bains turcs. La partie gauche, plus sobre, correspond au caractère humble des bains individuels. Des entrées séparées desservent ces deux départements, reprenant le modèle d’organisation considéré comme idéal dans la littérature spécialisée. Un dispositif de sas sépare la circulation pieds nus et pieds chaussés. La piscine est couverte d’une voûte en berceau reposant sur des arcs de béton en anse de panier. À la retombée de cette voûte, les parties supérieures des murs sont percées de larges baies vitrées sous lesquelles court une galerie fermée. Un étage de cabines donne, au niveau du premier étage, sur une galerie périphérique, l’autre, au niveau du rez sur le bord étroit du bassin. Les éléments fonctionnels constituent le support d’une sobre décoration. Le hall d’entrée monumental est dallé de marbre tacheté noir et blanc. La cuve du bassin est carrelée de faïences blanches, bleu clair et foncé et noir.

16 Les bains seront inaugurés en 1934. À l’époque, on espérait que les habitants prendraient au moins un bain par mois car la préoccupation sanitaire reste primordiale. Dans le cadre du débat sur la longueur du bassin, l’architecte met l’accent

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sur le fait que le bassin se doit de répondre prioritairement à des buts d’hygiène plutôt qu’à des objectifs sportifs. L’ensemble du complexe a largement gardé son aspect d’origine (ill. 3) hormis quelques interventions malheureuses réversibles (portes de cabines en formica, gardes corps en verre fumé, statue de naïade en plastique).

Ill. 3 : Bains Saint-Josse

Vue du grand bassin Cl. Archives d’architecture moderne, Bruxelles

Des panneaux de mosaïque représentant un paysage aquatique ont été rajoutés en 1967-68.

17 Comme la plupart des bassins bruxellois qui présentent un déficit d’exploitation de 375.000 euros en moyenne10, leur situation financière fut très critique à la fin des années 1990. Les bains douches et les bains turcs furent abandonnés en 1975. Les bains douches furent remis en service en 2005 sur l’initiative d’une association d’aide aux sans-abri. La piscine est défendue comme outil d’intégration dans ce quartier populaire à forte population immigrée.

18 « Qui construit un solarium, supprime un hôpital »11

19 Durant l’entre-deux-guerres, plusieurs solaria furent aménagés à Bruxelles dans plusieurs communes de l’agglomération. Il s’agit de grandes piscines en plein air assorties de plaines de jeux, de terrasses et de buvettes qui mettaient l’accent sur la détente et le sport. Les tabous traditionnels comme la séparation des espaces réservés aux hommes et aux femmes disparaissent. Ils illustrent l’évolution de la pratique de la baignade qui n’a plus pour objectif central l’hygiène mais acquiert une fonction sportive et récréative.

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20 Le plus célèbre est le solarium Van Schelle, construit à Saint-Gilles en 1932, rue de la Glacière, sur l’initiative du champion de natation Martial Van Schelle selon les plans des architectes Léon Emmanuel Govaerts (1891-1970) et Alexis Van Vaerenbergh (1885- ?). Dans les années soixante, la mode de la baignade en plein air est oubliée et ces solaria ont fermé les uns après les autres. Ils ont tous été démolis.

L’après-guerre

21 Plusieurs complexes de bains sont édifiés à Bruxelles dans les années cinquante sur base des principes d’avant-guerre dans leur conception. Ce sont les derniers exemples où la piscine est couplée à des bains individuels.

Les Bains du centre, 28 rue du Chevreuil, 1950-1953

22 Après la construction des Bains économiques en 1854, plusieurs projets sont développés afin d’étendre l’offre sanitaire dans le quartier populaire des Marolles. En 1949, l’architecte Maurice Van Nieuwenhuyse (1891-1964) réalise le projet le plus moderne et le plus spectaculaire de l’époque. Il s’agit du premier bassin dans lequel les cabines de déshabillage sont séparées des bains. La galerie sert aux spectateurs. Les travaux se révèlent particulièrement laborieux en raison de la qualité du sous-sol sablonneux dans lequel affleure un véritable lac souterrain.

23 La façade largement vitrée constitue un manifeste moderniste dont la verticalité est encore accentuée par des hampes de drapeau. Un large portique ouvert met l’entrée en valeur. L’architecte s’est inspiré de la piscine de la Sauvenière à Liège, réalisée par Georges Dedoyard12 en 1940, qui comprend deux bassins superposés. Compte tenu du poids de l’eau et de l’instabilité du sous-sol, ce parti architectural constitue une prouesse technique. La structure portante des deux bassins, réalisée en béton, est indépendante de la structure du bâtiment. Les réservoirs d’eau et les installations d’épuration se trouvent dans les caves et l’eau était pompée vers les bassins dans un circuit fermé. Les bassins sont éclairés par une gigantesque verrière à l’arrière qui donne vue aux nageurs sur les toits du quartier (ill. 4).

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Ill. 4 : Bains du Centre : vue du grand bassin et des galeries superposées

Cl. Archives d’architecture moderne, Bruxelles

24 Le rez-de-chaussée comprend le hall d’entrée, les espaces de circulation, les quatre- vingt-quatorze douches et baignoires pour hommes et dames. Le premier étage accueille les bureaux d’administration, le gymnase, les vestiaires scolaires, les lavatorys et la piscine scolaire de 18 mètres sur 10 qui comprend d’étonnants bords surélevés. Le deuxième étage abrite un salon de coiffure et de manucure, un dispensaire, le logement du concierge. La grande piscine de natation est un vaisseau de 650 m² sur double hauteur (9 mètres de haut) constitué par de puissants arcs en béton armé de 19 mètres de portée, sur lesquels reposent des poutres longitudinales qui soutiennent les parois verticales au plafond vitré disposé en gradins. Une galerie réservée aux spectateurs prolonge l’espace de la buvette. Le bassin présente des dimensions de 25 mètres par 12. Il est équipé de plages latérales garnies de gradins destinés au public des compétitions. La plupart des revêtements de sol est d’origine.

25 Les troisième et quatrième étages accueillent la salle de réunion réservée aux cercles sportifs, les nombreux vestiaires et lavatorys pour hommes et dames. Le cinquième étage accueille principalement l’appartement destiné au directeur gérant de l’établissement.

26 La piscine est inaugurée le 18 décembre 1953 par un gala de natation organisé par le Brussels Swimming Club. La structure en verrière, la toiture, le système de filtration, de chauffage et de ventilation, les châssis des portes et fenêtres, les vestiaires ont été rénovés par les services communaux en 2005 pour un montant de quatre millions d’euros. Elle accueille 200.000 nageurs par an.

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Neptunium, 56 rue de Jérusalem, 1950-1957

27 Le Neptunium constitue avec les Bains du centre un témoignage majeur de l’architecture sportive moderniste de l’après-guerre. C’est la plus grande piscine bruxelloise de l’époque. Elle se distingue par sa « grande liberté formelle et d’organisation »13 et la qualité de son éclairage. C’est également la première piscine dotée d’un système à pulsions d’air pour désembuer le hall des bassins.

28 L’architecte est Laurent Senterre, architecte communal, probablement rompu aux programmes utilitaires. Le terrain mis à disposition est situé au centre de la commune, à proximité des écoles et des principales voies de communication. Il présente une superficie de près d’un hectare, ce qui a permis d’éviter des travaux importants de terrassement puisque aucun sous-sol n’a été creusé. La construction repose sur des pieux Franki. Elle se compose deux blocs séparés par un joint de dilatation : un bloc en façade, un à l’arrière. Cette façade de style moderniste affirme son caractère novateur. La vocation rationnelle et sociale du mouvement moderne s’exprime dans la simplification des formes, la géométrisation des volumes, des arrêtes soulignées, la volonté de rendre accessible à tous la beauté et la rigueur.

29 La façade monumentale en parement clair est étirée sur un socle en granit bleu du Hainaut, dit « pierre bleue » en Belgique. Elle présente une symétrie stricte relativement imposante et comprend trois niveaux et dix-sept travées. La façade des étages est divisée en trois, un corps central sur deux niveaux largement vitré et légèrement en surplomb et deux parties latérales symétriques un peu plus basses. Le corps central, composé de sept travées étroites, arbore des pilastres de section carrée auxquels sont fixées des hampes de drapeaux qui confèrent à cette section une verticalité qui contraste avec le reste de la façade. Les cinq portes d’entrée en métal occupent une position centrale. Un bandeau horizontal relie les trois éléments de la façade et porte l’inscription bilingue « Bains-Baden ». La façade se caractérise par sa planéité, elle est totalement dépourvue de relief autre que celui que confère le jeu des volumes. Elle est percée de larges ouvertures placées dans le plan de la façade et munies de châssis métalliques.

30 Les auteurs de projets ont voulu valoriser le caractère ornemental de l’édifice en organisant un concours ouvert à tous les artistes belges en juillet 1954. Le concours fixait que le programme décoratif devait valoriser les bienfaits de l’élément aquatique et de la natation. Le premier prix fut attribué à une sculpture en cuivre réalisée par Stan Hensen qui représente deux sirènes qui se détachent devant une grande mosaïque destinée au mur principal du hall. Cette mosaïque réalisée par Géo de Vlamynck14 mesure 15 mètres de long sur 2,70 mètres de haut. Le groupe de deux sirènes en ronde bosse en cuivre repoussé se détache au centre. La dynamique de ce groupe est rendue par leurs bras levés qui appellent le public à jouir des joies de la natation. Un fond composé de larges champs colorés évoque les reflets bleus, verts et mordorés de l’océan, rendus par l’alternance de tesselles mates et brillantes. La composition se lit de droite à gauche. À l’extrémité droite se trouve un groupe de trois naïades. L’une, alanguie, énonce les joies de la baignade. Ses deux compagnes, assises dans une posture qui évoque les demoiselles d’Avignon, tournent la tête vers le groupe de nageurs situés à l’autre extrémité de la composition. L’une d’elle abrite sous son bras un hippocampe, évocation du nom de l’établissement. Deux nageurs abandonnés aux ondes, attirés par le champ de sirènes, sont portés par une vague. Les tesselles en pâtes de verre de

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quatre centimètres sur quatre proviennent de Murano. Des espaces transitionnels en tesselles blanches délimitent les contours des figures et leur confèrent relief et lisibilité 15.

31 Le toit de la piscine était prévu en béton armé mais en 1950, le conseil communal a décidé de construire un toit en verre et en métal afin de permettre l’éclairage naturel du bassin. Le hall, qui comprend les deux bassins, s’élève sur quatre niveaux de galeries. Des gradins sont réservés aux spectateurs. Une paroi latérale vitrée de 28 mètres sur 12 s’ouvrait au sud sur un solarium qui a été englobé en 1996 avec des châssis en P.V.C.

32 Le bassin mesure 33,33 mètres de long sur 16 mètres de large, dimensions qui correspondaient aux normes olympiques de l’époque. Il est recouvert de carreaux lisses bleu pâle, les plages sont en carreaux de grès beige. La profondeur s’étale entre un et trois mètres, la partie la plus profonde du bassin se situe à l’avant, face à la cafétéria. Le bassin d’apprentissage se situe sous un plafond bas qui lui confère une certaine intimité qui contraste avec l’ampleur de l’espace dévolu au grand bassin. Ses escaliers sont interrompus par une plate forme rehaussée par une sculpture en granit poli de René Harvent (1925-2004) qui figure une otarie.

33 Dès l’entrée, la qualité des matériaux employés s’impose. Le hall est couvert de dalles de marbre rose serties par des joints en laiton. Les poignées des portes d’entrée représentent le sceptre de Neptune, les bouches d’aération propagent de l’air chaud au travers de lyres situées sur des grilles dont les ondulations rappellent les flots. Des supports en formes de vaguelettes supportent les mains courantes des escaliers. Le style architectural évoque immanquablement l’architecture des grands paquebots transatlantiques de l’entre-deux-guerres, en particulier avec la référence au bastingage pour la balustrade en métal et l’usage des hublots qui décorent les portes des cabines et les parois du bassin. Le grand bassin est entouré de deux terrasses. Le deuxième étage est réservé à une vaste salle de culture physique de 200m² assortie de vestiaires et de douches. Les bains douches ont été désaffectés puis remplacés par des saunas, bancs solaires et bains à bulles. Le complexe comprenait également un salon de coiffure, un salon de pédicure et une infirmerie dans la mesure où un examen médical était obligatoire dans les compétitions de polo et de natation.

34 La piscine a été dotée en 1995 d’équipements récréatifs comme un toboggan pour répondre à la concurrence des centres sportifs. Le Neptunium a été menacé de fermeture définitive en 1979 et en 2002. Cette menace a suscité une mobilisation importante des habitants et des associations de protection du patrimoine16. La piscine a finalement été rénovée pour un montant de deux millions d’euros avec l’aide de la Région, qui édicte les normes d’hygiène relatives aux bassins de natation et de l’État. La commune a récemment fait nettoyer la façade dans le cadre d’un programme de revitalisation urbaine.

35 Les bains publics des années 1950 présentent, outre les bassins de natation, des bains individuels destinés à l’hygiène. Une part non négligeable des habitations bruxelloises est à cette époque encore dépourvue de sanitaires. Dans les années 1960 et 1970, la construction de bassins de natation s’accélère. Ils sont prioritairement orientés vers le sport et les loisirs et non plus vers les soins du corps et l’hygiène.

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Un patrimoine à prendre en compte

36 L’histoire des bains bruxellois apporte une contribution importante à l’histoire des conceptions architecturales et à l’histoire sociale d’une grande ville. Les piscines répondent aux besoins pédagogiques des écoles, les bains aux besoins d’hygiène des populations les moins favorisées et les bains turcs au besoin de délassement d’une population plus aisée. L’évolution de ces complexes d’hygiène puis de détente illustre le changement de signification de la pratique sociale de la baignade et de la natation. La diffusion des installations sanitaires dans les logements a fait perdre de leur utilité aux bains publics. Les bains douches ont été abandonnés à Ixelles, rénovés à Saint-Josse, remplacés par des fonctions contemporaines (salles de sport, saunas, jacuzzis, …) à Schaerbeek… Les Bains de Forest ont perdu leur fonction d’origine et sont occupés par un collectif d’artistes. Les bains de Bruxelles centre sont aujourd’hui les seuls à maintenir des bains douches. Les bains turcs ont été maintenus à Saint-Gilles.

37 Le programme organisationnel des piscines est particulièrement contraignant puisqu’il impose l’éclairage naturel, la limitation des déperditions de chaleur, un relatif confort acoustique, la résistance à la température et à l’humidité, la sécurité des baigneurs... Les bains constituent un patrimoine fragile du fait de l’exposition à la corrosion et des évolutions des normes d’hygiène et des techniques qui imposent ou justifient des interventions parfois malheureuses sur le plan architectural.

38 En région bruxelloise, une seule piscine est protégée, l’ancienne piscine du Résidence Palace (ill. 5), complexe d’appartements de luxe construit dans les années vingt. Propriété de l’État, elle est fermée depuis 2002.

Ill. 5 : La piscine du Résidence Palace

Cl. Archives d’architecture moderne, Bruxelles

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39 Une étude globale des bassins de natation bruxellois a été commandée par la commission royale des monuments et des sites qui devrait contribuer à promouvoir la protection des autres piscines citées dans cet article.

NOTES

1. Une étude globale des piscines en région bruxelloise a été réalisée à l’initiative de la commission royale des monuments et des sites : CORDEIRO P., BASYN J.M., PATRICIO T., Étude des bassins de natation situés en Région bruxelloise, 2 vol., 1900-1960 et 1960 à aujourd’hui, non publiée, Bruxelles, février 2006. Elle actualise les travaux de Griet Meyfroots, qui font référence en la matière (voir bibliographie). 2. Une Piscine pour les Marolles, Cent ans de projets, Bains de Bruxelles, Archives de la Ville de Bruxelles, 2004. 3. Notice de présentation des Bains de Saint-Gilles, circa 1905. 4. Ibid. 5. Tiré d’un spectacle de revue, vers 1905. La revue est, en Belgique, une forme de théâtre satirique populaire. 6. Débats au Conseil communal d’Ixelles, cités dans la brochure La Piscine d’Ixelles a cent ans, 1904-2004. 7. Photographie dans l’Émulation, 1907. Le bassin de natation était assorti à un gymnase doté d’une façade monumentale côté rue, qui subsiste, et à des douches individuelles. 8. Victor Boin, « Natation, un sport qu’il faut encourager, il est utile et hygiénique, la question des bassins », La vie moderne, 15 mars 1911. 9. Plans publiés dans L’Émulation, 1880. 10. La Tribune de Bruxelles, 12 novembre 2004. 11. Dixit Jean Paulis, concepteur du Daring-solarium de Molenbeek, aujourd’hui démoli. 12. Georges Dedoyard (1897-1988) fut une figure importante du mouvement moderne à Liège. La piscine de la Sauvenière est publiée dans L’Art de bâtir, août 1942, n° 8. 13. P. Cordeiro, J.M. Basyn, T. Patricio, Étude des bassins de natation situés en Région bruxelloise, 2 vol., 1900-1960 et 1960 à aujourd’hui, non publiée, Bruxelles, février 2006. 14. Géo de Vlaminck (1897-1980) obtint en 1921 le premier prix en composition monumentale au cours de Constant Montald, maître du symbolisme en Belgique. Lors d’un voyage en Italie, il se passionne pour la fresque et la mosaïque qu’il intègrera par la suite dans des réalisations architecturales qui relèvent de l’Art déco. Il a participé aux travaux de l’École de La Cambre, ouverte à Bruxelles en 1926 par Henri Van de Velde, issu du Bauhaus. 15. On peut voir entre autres choses, dans l’atelier de l’artiste admirablement mis en valeur par l’association des Amis de Géo de Vlaminck, l’un des onze cartons préparatoires conservés réalisés pour la mosaïque, des photographies de la mise en œuvre et un petit cabinet de curiosité qui rassemble les coquillages, coraux et hippocampes qui figurent sur la mosaïque. Géo De Vlaminck a réalisé une autre composition destinée à la piscine de Salzinnes : « Ballet aquatique de poissons poursuivant des naïades autour d’un récif de corail ». Cette fresque peinte

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a été recouverte d’une couche de peinture en 1994 par l’administration de la ville de Namur, qui gère la piscine. 16. Piscines en ébullition ?, Rapport du colloque des 12 et 13 novembre 2004, organisé par les Amis de Géo de Vlaminck.

RÉSUMÉS

Avant que la rivière ne fût enterrée et polluée par les industries, les Bruxellois se baignaient dans la Senne. Les premiers établissements de bain, à l’instar du bain Royal (1879), étaient d’initiative privée et réservés à la bourgeoisie urbaine. Au tournant du XIXe et du XXe siècle, les communes des faubourgs industriels ouvrent des bains publics assortis de baignoires et de bains douches dédiés avant tout à des finalités d’ordre hygiéniste et prophylactique. Ces établissements de bains subsistent dans les communes d’Ixelles et de Saint-Gilles. À partir de l’entre-deux-guerres, l’agglomération bruxelloise se dote progressivement de bassins de natation à de fins sportives et de détente. Les contraintes liées à l’hygiène révolutionnent l’organisation des espaces et s’affirment dans le choix des matériaux et d’une esthétique fonctionnelle. C’est le cas des Bains de Saint-Josse (1930-1933), de ceux du centre (1950-1953) ou au Neptunium (1950-1957). Ces piscines constituent des lieux d’un intérêt patrimonial et historique indéniable.

Bains-Baden, swimming pools in Brussels Before the river got drained and polluted by industries, the inhabitants from Brussels used to bath in the Senne. After the fashion of the “bain Royal” (1879), the first bath houses resulted from private initiative and were used by the urban bourgeoisie. At the turn of the XIXth century, the suburban industrial towns opened public bath houses with bathtubs and shower rooms with hygienist and prophylactic aims in view. These facilities remain intact in the towns of Ixelles and Saint-Gilles. From the interwar years, Brussels and its suburbs gradually equipped with swimming pools for sport and leisure. Constraints of public health revolutionized the spatial layout and got really noticeable while choosing materials and a functional design. They were so in the “Bains de Saint-Josse” (1930-1933), the “Bains du centre” (1950-1953) and the Neptunium (1950-1957). These swimming pools are definitely significant historic places worthy of preservation.

Bains-Baden , die Brüsseler Badeanstalten Vor der Überbauung des Flusses und dessen Verschmutzung durch die Industrie badeten die Brüsseler noch in der Senne. Die ersten Badeanstalten wie das Royalbad (1879), die durch private Initiative entstanden, waren den wohlhabenden Stadtbürgern zugänglich. Um die letzte Jahrhundertwende bauten die Gemeinden der industriellen Vororte öffentliche Dusch-und Wannenbäder zu hygienischen und gesundheitsfördernden Zwecken. Solche Badeanstalten existieren noch in den Gemeinden Ixelles und Saint-Gilles. Ab der Zwischenkriegszeit stattete sich die Groβstadt Brüssel mit Schwimmbecken für Sport und Erholung aus. Der Bau von Badeanstalten nach hygienischen Vorschriften bietet ein hervorragendes Beispiel funktionaler Ästhetik, die sich in der innovativen Veränderung des Raumkonzepts und der Verwendung zweckmäβiger Materialien ausdrückt. Insofern sind die Bains de Saint-Josse (1930-1933), die Bains du Centre (1950-1953) oder das Neptunium (1950- 1957) Einrichtungen von besonderem historischen und kulturellen Interesse.

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INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle, époque contemporaine Mots-clés : piscine Keywords : swimming pool Schlüsselwörter : Schwimmbad

AUTEUR

ISABELLE PAUTHIER Isabelle Pauthier est née en 1968. Après avoir fait ses classes d’hypokhâgne et de khâgne, elle obtient une maîtrise d’histoire à l’université de Nancy II. À Paris, elle suit, parallèlement aux classes préparatoires au concours de l’École du patrimoine à l’École du Louvre puis à la Sorbonne, le séminaire de Jean-Michel Leniaud à l’École pratique des hautes études. Attachée d’éditions auprès de CFC-Éditions à Bruxelles en 1996, elle est directrice de l’Atelier de recherche et d’action urbaines, association sans but lucratif, à Bruxelles, depuis 1997. À ce titre, elle rédige des articles de fonds et des textes de conférences de presse sur les principaux enjeux de l’aménagement urbain à Bruxelles principalement dans les champs du logement, de la mobilité, de la protection du patrimoine, des enjeux du développement économique et de l’évolution institutionnelle de Bruxelles. www.arau.org. Elle est également administratrice d’Inter-Environnement Bruxelles, fédération des comités d’habitants et des Archives d’architecture moderne.

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La piscine du palais de cristal à Metz : une « apocalypse joyeuse » The swimming pool of the “palais de cristal” in Metz: a merry apocalypse Der frohe Untergang der Badeanstalt Kristallpalast in Metz

Christiane Pignon-Feller

1 Lorsque, par le traité de Francfort, en 1871, Metz fut annexée au deuxième Reich allemand et fit partie du Reichsland Elsass-Lothringen, la ville, parcourue par les cours et les bras morts de la Moselle et de la Seille, venait tout juste de se doter d’un système moderne de captation d’eaux de source, de s’enrichir de vingt-six nouvelles fontaines publiques et d’ouvrir deux bains et lavoirs municipaux qui firent l’admiration des nouveaux occupants1. Le projet d’un « établissement balnéaire complet » était, malheureusement, resté lettre morte2. Trente ans plus tard, l’état sanitaire déplorable de la vieille ville fut l’une des multiples causes qui accélérèrent la décision d’abattre les remparts obsolètes qui l’enserraient et de fonder ex novo, sur des terrains limités rachetés par la municipalité à l’autorité militaire, une nouvelle ville3.

2 Celle-ci fut planifiée selon les concepts les plus modernes de la science naissante de l’urbanisme et mêla harmonieusement les théories progressistes aux principes culturalistes. Si dans cette ville à croissance interne diversifiée, les questions de voirie et la situation, la fonction, la forme des équipements publics et semi publics étaient réglées de manière magistrale, si les initiatives privées apportaient une bonne part des équipements de culture et de loisirs, on pouvait cependant déplorer l’absence d’un établissement moderne capable de suppléer les établissements du XIXe siècle, les écoles de natation, les Wannenbäder privés, le premier Brausebad4 public et les bains de rivière5.

3 Ce n’est pas que la municipalité se désintéressât de la question des établissements de bains puisque le bureau d’architecture de la ville avait acquis une série de recueils et d’ouvrages illustrés traitant des constructions balnéaires en Europe6. Mais, comme il était couramment admis que « la construction d’une piscine n’est jamais rentable financièrement et que son fonctionnement ne l’est que très rarement »7, la municipalité avait évité d’accroître son endettement par la construction d’un établissement aussi

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peu lucratif déclaré cependant « œuvre de progrès nécessaire à la ville »8 et que les théories hygiénistes et les débuts du culte du corps mettaient à l’ordre du jour.

Où la municipalité se décharge d’un devoir contraignant

4 En 1906, un particulier se déclara acquéreur, dans la prestigieuse rue menant à la nouvelle gare en construction, d’une parcelle de 23 ares sur un îlot de la zone de constructions fermées9 afin d’y construire un établissement de bains. Au préalable il soumettait à la municipalité une esquisse de cahier des charges : l’établissement comporterait « deux bassins de natation (250 m2 pour hommes, 180 m2 pour dames), une soixantaine de baignoires (séparées en 3 classes), des bains électriques, des bains d’air chaud et de vapeur avec cabinet de massage et de repos, des bains médicinaux, des bains d’air et de soleil, un institut de gymnastique hygiénique, un inhalatoire »10. De ces thermes antiques ressuscités il n’existait, aux dires du promoteur, que trente-sept exemples dans toute l’Allemagne. Sautant sur cette occasion inespérée qui la libérait d’une charge qu’elle ne pourrait remplir de sitôt, l’approvisionnement en eau étant jugé suffisant et la moralité de la population étant garantie par la séparation des sexes, la municipalité gela la parcelle (obligatoirement balnéaire) mais vota en compensation, à la demande de l’acquéreur, une clause de non concurrence qui engageait la ville à ne pas construire de piscine municipale pendant vingt-cinq ans11. Pressentant probablement les aléas de l’entreprise, ce premier promoteur se désista. Un an plus tard, la municipalité vendait à Johann Balassa, jeune architecte juif hongrois, né à Vienne en 188112 et installé à Metz depuis 1903, la « parcelle balnéaire » rétrécie à 10 ares qui fut néanmoins augmentée de 4 ares supplémentaires13. C’est ainsi que, après avoir parsemé les communes avoisinantes de quelques immeubles inspirés des travaux viennois d’Otto Wagner et d’Adolf Loos, Balassa fut investi du devoir de construire un établissement sportif et hygiénique au cœur de la nouvelle ville, dans une zone d’habitat serré, sur un petit terrain meuble, non dégagé, comportant une partie approximativement carrée, de 30 mètres de façade. Ce carré se prolongeait par un appendice latéral en fond de parcelle, ce qui donnait à l’ensemble une forme particulièrement ingrate. À ces premières difficultés s’ajoutait l’obligation de se plier aux contraintes du nouveau règlement urbain très exigeant14. Celui-ci déterminait, dans la zone donnée, l’occupation de la parcelle (7/10e du terrain, les espaces libres ne devant pas occuper moins de 40 m2), la longueur et la largeur des saillies autorisées, la hauteur du bâtiment (de 15 à 18 mètres), la hauteur du faîtage (pas plus de la moitié de la profondeur de la parcelle y compris la saillie de la corniche), l’inclinaison de la corniche (pas plus de 50°), le nombre d’étages « habitables » outre le rez-de-chaussée (quatre), le nombre d’escaliers, la hauteur des pièces (2,80 mètres)15. En outre, dans cette nouvelle ville s’appliquait une politique esthétique volontariste qui n’admettait en principe que l’emploi de la pierre de taille.

5 Balassa releva tous ces défis avec brio par une approche inédite du cahier des charges dont il outrepassa même les termes dans un programme d’une étonnante liberté. Pour ce faire, il s’adjoignit la collaboration d’un entrepreneur de Sarreguemines Jean-Nicolas Dietsch (ill. 1), « spécialiste de béton armé, de constructions aériennes et souterraines de toutes sortes, de bâtiments industriels clés en main, de béton précontraint de tous les genres et de béton armé »16 qui devint administrativement maître d’ouvrage de la

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construction mais déclara laisser les pleins pouvoirs architecturaux, techniques et commerciaux à Balassa17.

Ill. 1 : Papier à en-tête de l’entreprise Dietsch montrant notamment la structure de la piscine, 1909

Arch. mun. Metz, PC 39 avenue Foch. Cl. de l’auteur

6 À chaque contrainte et à chaque difficulté, architecte et entrepreneur trouvèrent des solutions inusitées. En premier lieu, pour lever d’éventuelles réticences quant à l’utilité de l’établissement, ils firent donner une conférence vantant les bienfaits de la natation et en profitèrent pour expliquer les concepts techniques qui les guidaient18. La question de l’approvisionnement en eau fut réglée par le creusement de puits à fort débit qui rendait l’établissement indépendant du réseau municipal.

7 Le sous-sol étant meuble, ils creusèrent des fondations profondes de onze mètres et stabilisèrent le bâtiment par l’emploi de pilotis de béton armé. La parcelle étant relativement exiguë, ils développèrent leur établissement en hauteur ; mais la hauteur étant limitée ainsi que le nombre d’étages, ils multiplièrent les surfaces efficaces par un entresol et des mezzanines. Le terrain étant irrégulier, ils aménagèrent des cours intérieures, des escaliers et des dégagements par le fond de la parcelle. Enfin, un bassin de natation au rez-de-chaussée étant malaisé à éclairer, ils le hissèrent au deuxième étage afin de profiter d’un éclairage zénithal diurne. Les cours intérieures latérales leur permirent également de multiplier les baies du corps de bâtiment principal et de résoudre la question de l’ouverture des espaces intérieurs à l’air et à la lumière. Ils adhéraient ainsi au slogan « Licht und Luft », ligne de conduite de toutes les constructions de la nouvelle ville.

8 Les travaux de fondation commencèrent en novembre 1907. Malheureusement, Balassa avait négligé de suivre la procédure légale et ne déposa son dossier de demande d’autorisation de construire qu’en février 1908. Cette première entorse au règlement urbain fut le début d’une éprouvante lutte avec la municipalité qui, devant l’audace du projet, fit preuve d’une incroyable pusillanimité et ne cessa de retarder et de contrecarrer la construction du nouvel établissement. Ainsi, elle fit expertiser par un professeur suisse les calculs statiques de Dietsch, elle différa sine die l’agrément technique de la construction ou se déchargea sur des fonctionnaires intérimaires de la responsabilité de cet agrément, elle récusa l’esthétique du dessin d’élévation de l’architecte et lui demanda des dessins hors normes ; le comble de la défiance fut atteint lorsqu’elle fit boucler l’ensemble du quartier par la police et les pompiers lors

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de la mise en eau du bassin (qui se fit sans dommages) ; enfin, lorsque les essais de chauffage provoquèrent des retombées de suies, une campagne de presse virulente s’éleva contre l’entreprise. Ces entraves municipales expliquent en partie le naufrage d’une des plus belles réalisations dont la ville s’était pourtant déchargée au profit du privé19.

Le pari du béton armé et la prouesse de la piscine autoportante

9 Si l’on avait déjà expérimenté à Metz les performances du béton armé, notamment dans son emploi en pilotis, en dalles et en porte-à-faux20, si les Moniergewölbe (voûtes Monier) étaient d’usage courant, si de nouveaux couvrements en dalles de verre plastique commençaient à se répandre, en revanche, la construction entièrement en béton armé était inédite. Non seulement l’architecte construisit en béton armé mais il se fit fort de n’employer aucune pierre de structure ou de parement, allant ainsi à l’encontre de la règle implicite d’esthétique urbaine21.

10 La révolution conceptuelle et technique de l’établissement résidait surtout dans l’idée incroyablement audacieuse de monter un bassin autoportant (selbstragend) de 250 m2 (d’une profondeur de 80 cm à 3 mètres) au deuxième étage (ill. 2) !

Ill. 2 : Coupe, dessin Hugues Duwig d’après planche 11/11 au 1/100e, février 1908

Arch. mun. Metz, 1M 56

11 Cette idée montrait l’étonnant crédit que les concepteurs accordaient aux performances des matériaux nouveaux dont ils assumaient les risques en toute confiance. Tous les moyens des techniques modernes avaient d’ailleurs été mis en

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œuvre : bétonnière à tambour ininterrompu actionnée par un moteur électrique et servie par huit ouvriers qui déversait le béton dans des wagonnets, abattant ainsi le travail de vingt-cinq journaliers22. Les impressionnantes fondations des deux niveaux de caves contenant la chaufferie à air pulsé et la salle des machines, l’épaisseur des éléments porteurs et des dalles, notamment la dalle supérieure supportant le réservoir d’eau montrent que l’on n’avait pas lésiné sur la qualité et la modernité des moyens. On ne fit pas davantage l’économie d’ascenseurs qui assuraient, avec des escaliers et des galeries, les nécessaires circulations ascendantes.

12 La structure de l’établissement transparaissait nettement en façade avec ses pleins et ses vides et son réseau graphique, le ressaut central des bow-windows, ses balcons, son imposante corniche. La découpe des multiples baies rectangulaires, étroites et hautes attestait l’exigeante inspiration viennoise d’un Adolf Loos. Alors que les immeubles voisins déguisaient leur ossature sous des parements de pierres de taille et des décors historicistes ou pseudo régionalistes, Balassa osait affirmer la primauté de la structure sans la travestir, affirmant publiquement la collaboration de l’architecte et de l’ingénieur.

Le scandale d’un programme et d’un plan au service de l’hédonisme

13 Mêler les plaisirs des thermes antiques, les délices décadentes des villes d’eau hongroises, les folies viennoises de la Belle Époque et les jouissances des loisirs modernes, tel était le programme hédoniste de l’établissement qui détermina la complexité de son plan.

14 C’est dans les étages supérieurs que Balassa répondait aux données du programme sanitaire, sportif et hygiéniste préconisé. Le toit pour partie en terrasse était réservé à un solarium (bains d’air et de lumière) évidemment non mixte. Des bains sanitaires et médicaux [sic] et un atelier de photographe y trouvaient également place. Le bassin de natation du deuxième étage était de forme rectangulaire (ill. 3).

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Ill. 3 : Plan du deuxième étage, dessin Hugues Duwig d’après planche 7/11

au 1/100e, février 1908

Arch. mun. Metz, 1M 56

15 Un bassin d’eau chaude de forme triangulaire et moins profond prolongeait le bassin principal. Un petit bassin d’eau froide enfin rappelait le « parcours » des thermes antiques : tepidarium, caldarium et frigidarium. Un couvrement en verre coloré assurait l’éclairage diurne et des lustres électriques l’éclairage nocturne. Le grand bassin était entouré de cabines et de cellules qui prenaient jour sur les cours intérieures et où officiaient barbiers, coiffeurs, manucures, pédicures, dentistes23. Il était surmonté d’une mezzanine qui comportait des cabines de massages, des bains de vapeur, des bains électriques, des cabines à air chaud, des douches froides et des distributeurs automatiques. À l’étage supérieur se trouvaient des baignoires simples et doubles (de deuxième classe) et des bains familiaux. Toutes les cabines étaient pourvues de téléphones pour les communications locales24.

16 En bref, Balassa offrait aux Messins les inventions les plus modernes des soins du corps que les établissements des villes thermales avaient réinventées sur le modèle antique en les rebaptisant bains romains, bains irlandais, bains écossais ou bains allemands25.

17 Les autres étages de l’établissement, quant à eux, étaient réservés à des plaisirs moins hygiéniques ou sportifs. Champagne, vin, cuves de bière alimentant les « bars automatiques » remplissaient les caves qui leur étaient spécialement affectées. Au rez- de-chaussée, un restaurant automatique (service debout ancêtre de nos fast-foods), un restaurant traditionnel, une salle de billard et une grande salle de cinéma avaient pris la place des boutiques, du glacier, du pressing initialement projetés. À l’entresol enfin régnait le Zillertal. Ce café-concert baptisé du nom d’une pittoresque vallée tyrolienne26 était une sorte de mystérieuse grotte labyrinthique parée de faux rochers et de stalagmites dans lesquels jouait un éclairage électrique coloré. Une estrade en bois en bouleau non écorcé était destinée à divers orchestres invités. Tout un cheminement secret menait à des cabinets particuliers sûrement moins bucoliques que le Zillertal ! Ce programme dionysiaque concrétisé par un plan minutieux ne pouvait évidemment que susciter des remous scandalisés dans une ville d’ordre militaire et dont les pratiques civiles étaient en général plus dévotes qu’hédonistes !

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Le défi du cristal et la provocation du décor palatial viennois

18 Le Viennois ne pouvait achever son œuvre sans une dernière provocation : celle du décor. Ce palais d’Atlas et de Dionysos devint le champ expérimental de toutes les audaces décoratives. Plus fort que les concepteurs du Crystal Palace de Londres (1851), du Glaspalast de Munich (1853) ou du palais de cristal de Madrid (1887) qui n’étaient que de pâles métaphores, Balassa allait étonner le monde en proposant une métonymie de la transparence de l’eau et employer, pour décorer son chef-d’œuvre, du vrai cristal de Bohème (« echtem Krystall Böhmische Glaserei »). La tentation de l’imitation à bas prix étant rejetée avec hauteur27, les carreaux de cristal recouverts d’une couche de peinture irisée couvrirent non seulement les parois des bassins de natation mais le cristal de couleur en plaques et en cabochons irradia la totalité de la façade de ce palais qui ainsi mérita sa double appellation de Krystall Palast / Palais de cristal (ouvert aux autochtones francophones). La leçon de la noblesse des matériaux et leur emploi en plaques de surface lui venaient d’évidence de Vienne où elle avait été expérimentée par Otto Wagner28. La réalisation du travail fut, en revanche, confiée aux ateliers locaux Baudinet où Balassa convoqua en vain les responsables municipaux pour les persuader de la qualité de son travail. Il reste de cette façade un dessin aquarellé ponctué d’or (ill. 4) où, à la demande de la municipalité, l’architecte a tenté de reproduire sa coruscante invention.

Ill. 4 : Dessin aquarellé de la façade

Arch. mun. Metz, 1M56. Cl. de l’auteur

19 Les motifs géométriques que l’on y voit rappellent autant les recherches graphiques de Josef-Maria Olbrich que celles de l’atelier viennois des arts appliqués appelés Wiener Werkstätte. Vienne et sa précieuse et trouble sensualité étaient encore sur la façade où deux panneaux en mosaïque donnaient le ton de l’établissement. Des baigneuses nues y

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étaient traitées dans une facture qui rappelait celle de Klimt et dans des attitudes inspirées par le sulfureux Egon Schiele ou Kolo Moser.

20 Vienne était enfin dans les détails ; moins dans l’imitation assez populiste du Zillertal, où la bière coulait à flots et qui résonnait des flonflons d’orchestres bavarois, que dans le décor de ferronnerie, de stucs29 et de vitraux. On était loin des contorsions de l’Art nouveau ! L’élégance austère et abstraite de la ligne s’inspirait encore de la Sécession viennoise. Et probablement aussi la couleur.

21 L’austérité du graphisme semblait, si l’on en croit les témoignages, compensée par la richesse des coloris. Certes, la carte postale colorisée qui nous reste de l’intérieur de la piscine semble un rien bariolée (ill. 5).

Ill. 5 : Le bassin de natation du palais de cristal

Carte postale, 1912 Collection de l’auteur

22 Mais la presse contemporaine ne parle-t-elle pas d’une « haute façade agrémentée de cabochons et de verrerie multicolore, d’une vaste construction constituant un ensemble problématique et d’aspect prétentieux et toc [sic]. Si les architectes et l’entrepreneur ont voulu faire quelque chose d’original, ils y ont réussi, car il y a de l’originalité dans tous les échelons du goût, du mauvais au bon30 » ? Qu’aurait dit le chroniqueur messin devant l’American Bar viennois de Loos ou la Majolica Haus de Wagner qui avaient manifestement inspiré Balassa ?31

23 Et que pouvait faire l’artiste devant tant d’incompréhension sinon clamer son génie et assurer la municipalité qu’il lui offrait la plus belle réalisation jamais conçue en Allemagne ?32

24 Le 19 février 1910 enfin, après des retards dus aux refus d’autorisation de la mairie, l’établissement était inauguré et ouvert à la folle curiosité du public. Précédée par un défilé, en fanfare, des employés, cette inauguration attira des milliers de curieux qui finirent, avec la presse, enfin unanime33, par convenir que l’établissement était le plus

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beau, le plus original, le plus prestigieux, le plus extraordinaire de la ville. Le plus cher aussi puisqu’il fut estimé à plus de 1 200 000 marks.

Le naufrage

25 Tel un conte des 1001 nuits se dévoilent toutes les magnificences que cache le palais de cristal34 assurait encore la publicité le 10 mars 1910. Hélas, début avril, le commanditaire Dietsch déposait son bilan. Le 27 avril, six semaines après l’ouverture, le syndic de faillite fit fermer l’établissement, les recettes ne suffisant plus à couvrir les frais d’exploitation.

26 Après une première adjudication sans résultats, le 30 juin 1911, une deuxième vente, de gré à gré, mit en concurrence la maison qui avait fourni l’ameublement, un consortium formé par Dietsch et un consortium de Nancy. C’est ce dernier, sous le nom de Josef Barazsy35, un Français d’origine hongroise, qui l’emporta. L’établissement rouvrit en juillet 1911, à grand renfort de publicité.

27 Pendant la guerre de 1914-1918, le Palais de cristal fut séquestré comme bien ennemi. Barazsy n’en reprit possession qu’après la guerre. En 1920, reconnaissant que « la maison est entièrement en béton armé, les travaux de transformation sont à exécuter avec les plus grandes précautions36 », l’architecte Dedun envisagea quelques modifications. Mais c’est l’architecte Boivin qui assura son naufrage. Il fit recouvrir le bassin de natation par une dalle de béton. La piscine devint alors salle de réunion puis salle de bal, le reste de l’immeuble étant occupé par divers commerces et dépôts (ill. 6).

Ill. 6 : Le palais de cristal dans son environnement urbain

Carte postale, 1912 Collection de l’auteur

28 Au cours de la deuxième guerre mondiale, la jeunesse hitlérienne réquisitionna toute la tuyauterie de cuivre et acheva de dénaturer le décor intérieur. Après quelques minimes

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dégâts subis lors de la Libération de Metz, l’immeuble fut réparé sur des fonds du ministère de la reconstruction et de l’urbanisme37.

29 En 1960, des plaques de cristal se détachant de la façade, le maire somma les nouveaux propriétaires de rénover cette dernière en entier38. Ce fut la fin du palais qui fut rehaussé de deux étages de bureaux et dont la façade fut recouverte de plaques de comblanchien. On ne conserva de l’intérieur que le volume de la cage d’escalier et les volées de marches. Les autres espaces servirent de bureaux à diverses associations tandis que le fonds incliné de la piscine accueillait des archives. Irréversiblement modifiée, la plus belle piscine d’Allemagne qui conjuguait tous les fantasmes et tous les arts s’en tint à la fugacité d’un rêve de cristal.

30 Balassa qui avait accompli le prodige de relier l’antiquité des thermes et des palais byzantins à la contemporanéité, de poursuivre la folle chimère de la transparence et d’apporter à ses semblables un nouvel art de vivre paya le prix de son audace. Considéré par les tribunaux correctionnels comme paranoïaque et violent39 (termes que l’on peut traduire par artiste incompris revendiquant la reconnaissance de son avant- gardisme), Balassa fut expulsé du territoire en 1912 après des épisodes assez rocambolesques. Dès lors, on perd la trace du concepteur du pharaonique palais de cristal.

31 Il fallut attendre 1937 pour voir se construire la première piscine municipale de Metz.

NOTES

1. « Bade-und Waschanstalt in der Kapuzinerstrasse in Metz », Centralblatt der Bauverwaltung, 1886, n° 48. 2. Michèle Kuntz, Metz l’impériale, une aventure urbaine, 1850-1870, Metz, Serpenoise, 1985. 3. Christiane Pignon-Feller, Metz 1848-1918, les métamorphoses d’une ville, Metz, Serpenoise, 2006. 4. Wannenbäder, bains en baignoires ; Brausebad, douches. 5. Arch. mun. Metz, 5I 208-216, Bains de rivières (1801-1870), 5I 217, Écoles de natation, (1827-1850) 6. Georg Osthoff, Die Bäder und Badeanstalten der Neuzeit, Leipzig, 1887. Rudolf Schultze, Bau und Betrieb von Volksbadeanstalten, Bonn, 1893. Leo Vetter, Moderne Bäder, Stuttgart, 1894. Et aussi proposé par un éditeur, W. Schleier, Bäder und Badeanstalten, Leipzig, s. d. 7. « Hallenbadeanstalten », Wasmuth’s Baulexikon, Leipzig, 1926, t. 2/3, p. 20-27. 8. Conseil municipal de Metz (CMM), 13 décembre 1906. 9. Les 46 îlots de la nouvelle ville se répartissaient en trois zones : zone d’immeubles serrés, à l’alignement, zone résidentielle de villas à jardinets et zone mixte. Chacune de ces zones était dotée d’un règlement spécifique. 10. CMM, 11 octobre 1906. 11. CMM, 13 décembre 1906. 12. Renseignement porté sur la « Fiche domiciliaire » de Johann Balassa qui reste hélas muette sur sa formation. 13. CMM, 7 novembre et 5 décembre 1907.

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14. Arch. mun. Metz, Règlement sur les constructions pour la ville de Metz du 1er février 1903. 15. Articles 15, 29, 36, 37, 39, 41 du règlement urbain. 16. Lettres à en-têtes de la société. 17. Arch. mun. Metz 1M 56, lettre du 19 août 1909. 18. Le Lorrain, mars 1908 19. La surabondante correspondance de Balassa et de Dietsch avec la municipalité ne laisse aucun doute sur les obstacles que dut surmonter l’entreprise. La presse germanophone et francophone ne fit qu’exacerber les débats. 20. Sur le système des pilotis à chasse d’eau employés à la poste de fret, à la gare et à la poste centrale de Metz, voir Deutsche Bauzeitung, 1906, p. 600. 21. Arch. mun. Metz, 1M 56, correspondance de Balassa avec la municipalité. 22. Cette information donnée par Le Lorrain le 1er avril fut confirmée deux jours après avec l’assurance qu’il ne s’agissait pas d’un poisson d’avril ! 23. Nous proposons les traductions littérales, plus savoureuses : Fingernägelschneider, coupeurs d’ongles, Hühneraugenoperator, extracteur de cors aux pieds, Zahnreiniger, détartreur de dents. 24. Le Lorrain, publicité, février 1910. 25. Les ouvrages allemands sur les établissements de bains déclinent également toutes les possibilités. 26. Rappelant les origines austro-hongroises de Balassa. 27. Arch. mun. Metz, 1M 56, lettre du 25 mai 1909. 28. Arch. mun. Metz, 1M 56, Balassa fait état de voyages à Vienne, en Allemagne et en France au cours de la construction de son palais. 29. Il en reste. 30. Le Messin, 9 février 1910. 31. Une des cellules commerciale du palais était également réservée à un American Bar. 32. Arch. mun. Metz 1M 56, lettres de juin 1909. 33. C’est surtout le Zillertal qui fascina les Messins et la presse francophone et germanophone. 34. Le Lorrain, 10 mars 1910. 35. Français d’origine hongroise demeurant à Pagny sur Moselle, frontière entre la France et la Moselle annexée. 36. Arch. mun. Metz, 1M 56, liasse 2. 37. Archives dép. Moselle, fonds Bouchard. 38. Arch. mun. Metz, 1M 56, liasse 3. 39. Le Lorrain, 1911, pour les procès de Balassa et ses suites.

RÉSUMÉS

Au cours de l’annexion de la Moselle au deuxième Reich allemand, un jeune architecte austro- hongrois, Johann Balassa, se substitue à la municipalité et entreprend de construire un établissement balnéaire (1907-1910) totalement nouveau dans la nouvelle ville. Au grand scandale des édiles et s’opposant à la réglementation urbaine et esthétique en vigueur, il

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outrepasse le programme imparti et, sur le modèle des thermes antiques et des établissements des villes d’eau du XIXe siècle, il donne à Metz un exemple de modernité technique, de décor inédit, de culte ludique du corps et de philosophie hédoniste. Dans le premier bâtiment entièrement en béton armé de Metz, aidé par l’entrepreneur et maître d’ouvrage spécialiste du béton armé Nicolas Dietsch, il hisse le bassin de natation (autoportant) au deuxième étage et pare les bassins, les parois et la façade de plaques de cristal et de mosaïques conférant ainsi à l’établissement le nom de palais de cristal. Il offre aux Messins tous les soins du corps et les délassements modernes et conviviaux de l’époque (cinémas, restaurants automatiques, salles de jeux…). Il puise le décor de stuc, de verre et de ferronnerie chez les meilleurs maîtres de la Sécession viennoise et des Wiener Werkstätte. Après quelques semaines d’exploitation, « le plus bel établissement de ce genre en Allemagne » sombra dans une faillite retentissante et au cours des vicissitudes de l’histoire de la ville fut, hélas, totalement dénaturé.

While the department of Moselle was being annexed to the German Second Reich, a young Austro-Hungarian architect, Johann Balassa, substituted himself for the local authority and undertook to have brand new bath houses built (1907-1910) in the New City. He went far beyond the agreed program, which scandalized the town councillors and went against the urban and aesthetic regulations in force, and, as he modelled them on the antique thermal baths and the XIXth century spa resorts, he brought the town of Metz a model of technical modernity, of an original decoration, of an entertaining body worship and of a hedonist philosophy. In this building that was the first to be all made of reinforced concrete in Metz, as he was helped by Nicolas Dietsch as the contractor and the commissioning specialist in reinforced concrete, he set the main pool up to the second floor and had the pools, the sides and the façade covered up with crystal and mosaic plates, thus naming the establishment the “palais de cristal”. He offered the inhabitants of Metz all the body care and the modern convivial relaxations of the time (cinemas, automats, gaming rooms…). As for the stucco, glass and iron decoration, he inspired from the best masters of the Viennese Secession and of the Wiener Werkstätte. After a few weeks of running, “the most beautiful place of this kind in Germany” went a spectacular bankrupt and was, alas, completely altered throughout the vicissitudes of the town history.

Während der Annektierung der Mosel durch das Deutsche Kaiserreich übernimmt Johann Balassa, ein junger österreichisch-ungarischer Architekt, eigenmächtig die Aufgabe der Stadtverwaltung, in der Stadt Metz eine ganz neuartige Badeanstalt zu bauen (1907-1910). Zum großen Ärger der Stadtväter und entgegen der bestehenden urbanen und ästhetischen Regeln sprengt er den ihm zugestandenen Rahmen. Er setzt sich zwar als Modell die Thermen der Antike und die Badeanstalten der Kurorte des 19. Jahrhunderts, bietet aber in Metz eine beispielhafte Mischung aus technischer Modernität und ungewohntem Dekor, die auf spielerische Art den Kult des Körpers und die hedonistische Philosophie zelebriert. Das erste Gebäude wird aus Metzer Stahlbeton von dem Bauunternehmer und Baumeister Nicolas Dietsch gebaut. Dank dessen fortgeschrittener Technik wird das selbsttragende Schwimmbecken in die zweite Etage gehoben. Becken sowie Wände und Fassade werden mit Kristall- und Mosaikscheiben geschmückt, was der Anstalt seinen Namen Kristallpalast verleiht. Die Ornamente aus Gips, Glas und Kunstschmiedeeisen werden bei den besten Meistern der Wiener Sezession und der Wiener Werkstätte ausgesucht. Die Anstalt bietet den Metzern außerdem alles mögliche für Körperpflege an, so wie jede moderne und benutzerfreundliche Unterhaltung dieser Zeit, unter anderem Kinos, Automatenrestaurants, Spielsäle… Schon nach ein paar Wochen Betrieb aber versinkt “die schönste Anstalt dieser Art in Deutschland” in einem Bankrott ohne Beispiel und wird im Verlauf der wechselvollen Stadtgeschichte leider völlig unkenntlich gemacht.

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INDEX

Index chronologique : XIXe siècle, XXe siècle, époque contemporaine Mots-clés : piscine Keywords : swimming pool Schlüsselwörter : Schwimmbad

AUTEUR

CHRISTIANE PIGNON-FELLER Christiane Pignon-Feller, née en 1940, après une carrière de professeur de lettres, reprit des études en histoire de l’art à l’Université de Nancy II. Dès son mémoire de maîtrise, en 1992, elle se tourna vers l’étude de la ville de Metz au XIXe siècle (Quand l’ornement n’était pas un crime, les arts décoratifs à Metz au XIXe siècle, université Nancy II). L’année suivante, elle obtint un DEA (La petite illusion, les petits théâtres en images de Metz ) et se lança alors dans un travail de thèse sur l’architecture et le décor à Metz dans la seconde moitié du XIXe siècle, sous la direction du professeur François Pupil, soutenue en 1999 (Du Second Empire au deuxième Reich, de la vieille ville à la nouvelle ville, urbanisme, architecture, décor, Metz, 1848-1918). Depuis 1999, elle est chargée de missions d’étude et d’inventaire pour la ville de Metz, l’inventaire général de Lorraine, le conseil général de Moselle et participe à de nombreux colloques et publications sur l’architecture, les arts décoratifs et les arts graphiques. Publications principales : Metz 1848-1918, les métamorphoses d’une ville, Metz : éditions Serpenoise, 2006. Moselle XVIIe-XXe siècle, Architecture protestante, Metz : conseil général de la Moselle / éditions Serpenoise, 2006. Adresse électronique : [email protected]

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Strasbourg, Colmar, Mulhouse : les programmes de bains municipaux en Alsace au début du XXe siècle. Une politique volontaire d’hygiène publique Strasbourg, Colmar, Mulhouse : the municipal baths programs in Alsace in the early XXth century, about a wilful policy on public health Straßburg, Colmar, Mülhausen : Bauprogramme von städtischen Bädern im Elsass anfangs des 20.Jahrhunderts, eine resolute Politik für öffentliche Hygiene

Patrice Triboux

1 Dans ses rapports architecturaux avec l’eau, l’Alsace entretient une relation privilégiée puisque la tradition des bains y est établie de longue date et connaît, à la fin du Moyen Âge, une période propice où l’on trouve, ouverts au public, étuves, bains en cuve et bains aromatiques1. Aucune cité d’importance ne s’est abstenue de s’en doter2. Au cours du XIXe siècle, à Strasbourg comme à Mulhouse et Colmar, les bains de rivière et les bains publics organisés et gérés par les municipalités ont précédé la construction d’un programme intégré de bains municipaux avec bassins de natation, rendus désormais nécessaires par le fort accroissement de la population urbaine. L’âge des piscines à vocation sportive commence au début du XXe siècle, alors que l’Alsace est annexée à l’Allemagne. Cette période d’intense modification et d’extension urbaine de Strasbourg, Colmar et Mulhouse, voit se concrétiser trois importants programmes de bains municipaux conjuguant hygiène et loisir, bassins de natation et bains médicaux dans l’esprit des programmes déterminés en Europe centrale et en Allemagne à la charnière des XIXe et XXe siècles.

2 Les bains municipaux de Strasbourg, en projet dès 1898, sont inaugurés en 1908. Ils sont les plus ambitieux et liés à la volonté municipale de contrer l’administration impériale en matière de transformations architecturales de la ville. Ceux de Colmar sont

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approuvés par le conseil municipal du 28 septembre 1904 et ouvrent leurs portes en 1906. Enfin, ceux de Mulhouse, conçus à partir de 1911 ne sont inaugurés qu’en 1925. Ce sont, au début du XXe siècle, les trois piscines les plus modernes d’Alsace, qui reflètent la volonté des édiles locaux de fournir à la population des équipements intégrés offrant à la fois une dimension sportive, sanitaire et sociale. Le cas de la piscine de Guebwiller (détruite) ne sera pas évoqué ici bien qu’elle fût la première des piscines construites en Alsace en béton armé par l’entrepreneur Édouard Zublin, entre 1898 et 1900.

Piscines et béton armé

3 La maison Zublin & Cie, alors installée à Strasbourg, est, en effet, chargée du gros œuvre des trois établissements. L’importance de cette compagnie, pionnière dans l’expérimentation et la mise en œuvre du béton armé, fait de ces piscines les réalisations les plus novatrices sur le plan technique. Outre le Palais des Fêtes conçu par les architectes Kuder et Müller en 1903, les bains municipaux figurent parmi les premières applications du béton armé à Strasbourg. Le catalogue des réalisations menées par Zublin publié en 1923 consacre dans sa section « Architecture » un encart consacré aux bains publics. On peut y lire :

4 Les questions d’hygiène et de culture physique ont pris, depuis une vingtaine d’années, une grande importance et de remarquables progrès ont été accomplis dans les institutions qui s’occupent du développement du corps humain. C’est pourquoi nous consacrons un chapitre aux établissements de bains populaires dont un certain nombre, entre autres, ceux de Colmar, Guebwiller, Markirch et Strasbourg ont été construits par la maison Ed. Zublin et Cie 3.

5 La nouveauté consiste en effet à utiliser le béton armé au lieu du béton damé, non seulement pour la réalisation des bassins, mais aussi pour les planchers et la couverture. L’étanchéité nouvellement obtenue par les propriétés physiques du béton armé dispensait ainsi « de forts revêtements et garnitures »4

6 Le bureau d’études de Zublin met en œuvre le béton armé pour la voûte en berceau à lunette et, au niveau du bassin, réalise une coque de béton armé reposant sur des pieux de fondation, telle que le montre la coupe transversale sur le bassin des hommes réalisé à Mulhouse5. La maison Zublin précise par ailleurs que, pour en permettre la dilatation, le bassin n’est fixé sur le sol qu’à une extrémité, les autres parties étant supportées par des piliers et séparées des planchers par des joints de dilatation de trois centimètres, comme cela se vérifie sur la coupe longitudinale et le plan du bassin des hommes de Mulhouse6. La stabilité de l’ensemble étant ainsi assurée, un simple enduit recouvre la cavité afin d’en assurer l’étanchéité absolue, avant d’être revêtu de catelles blanches. Enfin, la protection du bassin et son isolation exigent l’emploi de parois et de planchers isolants creux et de toitures à double cloison7. La même technique est scrupuleusement utilisée à Strasbourg, à Mulhouse et à Colmar. Après la première guerre mondiale, Zublin acquiert une excellente réputation dans le domaine de la construction en béton armé et intervient tant en France (grands moulins de Pantin, ouvrages d’art…) qu’en Allemagne.

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Les piscines de Strasbourg

7 L’idée de doter la ville de Strasbourg de bains municipaux date de la séance du conseil municipal du 30 juin 1894 présidée par le maire Otto Back, mais la décision de poursuivre le projet ne sera prise qu’en octobre 1898. Johann Karl Ott, architecte de la ville, présente un premier projet en 1901. Ce n’est qu’avec l’arrivée à Strasbourg de l’architecte Fritz Beblo au poste de Stadtbauinspecktor auprès du service municipal d’architecture, que le projet aboutit. Fritz Beblo précise néanmoins s’être inspiré de la conception d’ensemble pensée par son prédécesseur, le Stadtbaurat Karl Ott. Beblo est assisté sur ce chantier par l’architecte Ernst Fettig, un de ses collaborateurs habituels, qui signe de nombreux plans. En 1905, année de l’inauguration du Palais des Fêtes à Strasbourg, débutent les travaux du gros œuvre. L’année suivante, la commission municipale visite des piscines en Allemagne et notamment Augsbourg, Düsseldorf, Francfort, Giessen, Munich, Stuttgart, afin d’évaluer et de comparer les réalisations les unes aux autres. À la suite de cette visite, des modifications interviennent sur le projet initial. Après plusieurs projets concernant le système de charpente, les travaux s’achèvent et l’établissement de bains municipaux de Strasbourg est inauguré en août 1908 avec les deux bassins de natation ; le bâtiment annexe des bains médicinaux n’étant quant à lui opérationnel qu’en 1911. Des transformations ultérieures sont entreprises jusqu’en 19428.

8 Le coût final du projet s’élève à 1 500 000 marks ce qui en fait le projet le plus coûteux mené par Beblo durant son activité à Strasbourg. Les bains municipaux constituent l’une des œuvres les plus abouties de l’architecte9, particulièrement actif comme Stadtbauinspektor puis Stadtbaurat entre 1903 et 1918 10 dont le style est proche des maîtres de Darmstadt et de Karlsruhe, Josef Olbrich et Hermann Billing. En comparaison, les réalisations de son prédécesseur, le Stadtbaurat Ott, offrent un style néo-renaissance germanique alors que les bains de Beblo parviennent à allier nouveauté technique (emploi du béton armé) et éclectisme architectural teinté de régionalisme pittoresque non dépourvu de légers accents Jugendstil. Il « rappelle la tradition par sa manière de faire la cohésion entre les habitudes optiques et les modernismes tactiles11 ».

9 Pour le décor, l’architecte fait appel à différentes entreprises allemandes dont certaines strasbourgeoises comme la maison Ott Frères, chargée de la réalisation des cartons des vitraux ou le peintre verrier Joseph Ehrismann (1880-1937) qui signe les verrières des deux oculi des bains romains. La Steinindustrie Schachenmühle fournit les marbres et les pierres dures ; le décor peint et les stucs sont réalisés par Maechling & Cie, la peinture et les enduits par la Firma Griesbach und Grossmann de Strasbourg tandis que les travaux de serrurerie d’art sont l’œuvre de Haug, Hagenstein, Unselt, Roehlend & Brennstuhl, Rupp.

10 Le nouvel établissement des bains est implanté au sud du Palais universitaire et de l’axe est-ouest qu’il forme avec le Palais impérial12, sur le Nikolausring, actuel boulevard de la Victoire, non loin de la caserne de la Porte des Pêcheurs, en limite du quartier dit « allemand »13. La parcelle triangulaire a nécessairement posé des contraintes à l’implantation de deux bassins rectangulaires, mais prouve la volonté municipale de faire des bains un équipement de proximité pour la population, ce qui en justifie le coût élevé, tout en parvenant à l’ériger en vitrine fastueuse pour les nouvelles piscines. Le plan de 190614 montre clairement la juxtaposition des volumes dévolus chacun à une

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activité différente : deux masses disposées orthogonalement abritent les bassins de natation de part et d’autre d’un espace intermédiaire consacré aux bains médicinaux, le tout situé derrière la façade antérieure abritant les bains en baignoire et le grand vestibule de réception ovale saillant en façade15. Cette tripartition de l’espace à partir de la rotonde de réception de l’établissement n’impose pas de hiérarchie entre les activités : baignade, thermalisme, ou hygiène du corps. La rotonde couverte d’une coupole à lanternon comprend un niveau de galerie à portique. Le sol est revêtu d’un dallage de marbres en deux tons irradiant d’un octogone inscrit dans un disque central. Au rez-de-chaussée, des arcs en anse de panier ornés d’une agrafe stuquée à thème zoologique ou aquatique reposent sur des piles de section rectangulaire. L’agrafe axiale est ornée d’un décor de grotesques avec concrétions. À l’étage, des colonnettes en pierre dure veinées de gris rythment l’élévation et font office de tambour à la coupole nervurée de bandes décoratives. Le plafond de la galerie supérieure est scandé de huit cartouches décoratifs de style néo-rocaille disposés aux emplacements des luminaires. Les tailloirs des piles rectangulaires sont prolongés en élévation par des pilastres revêtus d’un enduit de fines stries verticales ondulées imitant des chutes d’eau. Ainsi la domestication de l’eau et l’affirmation des plaisirs qu’elle procure sont présentées dans le décor de la rotonde à dominante de couleurs tendres, sourdes et pastels, comme dans les piscines où le programme iconographique se décline sur des thèmes aquatiques, sans référence directe à la mythologie.

11 Les élévations des deux bassins de natation, à l’est comme à l’ouest sont clairement identifiables de l’extérieur (ill. 1).

Ill. 1 : Städt schwimmbad Strassburg, facade am Nicolausring

Élévation de l’aile principale nord, signée et datée : fettig 22 X 06 Archives municipales de Strasbourg, police du bâtiment. Cl. CRMH / B 2169.

12 Ils se présentent en retrait de la façade antérieure qu’ils surpassent d’un niveau d’arcades en plein cintre, de combles brisés et d’un toit à croupes et à longs pans, percé de lucarnes. Le décor et l’organisation spatiale annoncés dès la rotonde de réception se retrouvent dans les deux bâtiments hors œuvre des piscines. La voûte en béton armé en berceau à lunettes du bassin des hommes s’étend sur cinq travées, chacune d’entre elles étant ouverte, vers l’ouest, par une grande baie en plein cintre. L’intrados des lunettes

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est revêtu d’un décor de faux caissons octogonaux tandis que l’espace couvert par le berceau est souligné d’une corniche décorée d’agrafes ornées d’un décor végétal pour chaque travée. Le milieu de la voûte est percé d’oculi à grille derrière lesquels est disposé l’éclairage électrique.

13 L’extrémité sud du bâtiment est ouverte au rez-de-chaussée de trois baies rectangulaires et d’un vaste triplet au premier niveau qui constitue une variation sur le thème de la fenêtre thermale et une des rares références du bâtiment à l’architecture des thermes antiques. Celle-ci est ornée d’un décor de colonnes engagées avec entablement baroque sur lequel deux groupes latéraux figurent des putti déversant des jarres à côté d’une fontaine à candélabre et à vasques. La fenêtre est flanquée de volutes latérales retombant en queue de sirène. Les trois lunettes aveugles du côté oriental sont décorées d’un médaillon figurant un drakkar, un cygne de profil et un dauphin.

14 L’accès à l’intérieur des piscines s’effectue à l’ouest pour les dames et à l’est pour les hommes. Les deux bassins adoptent la même organisation spatiale. Un vestibule, muni d’une fontaine lavabo en marbre et revêtu au sol d’un carrelage décoratif et, paradoxalement, de forme ovale pour le bassin masculin, rectangulaire aux angles abattus pour le bassin féminin, mène aux galeries de cabines de déshabillage. Les galeries de cabines étant disposées au rez-de-chaussée et au premier étage, en arrière des bassins pour les enfants et, de part et d’autre des bassins, pour les adultes sur les deux niveaux. Le bassin de natation rectangulaire d’une dimension de 12 m. de large sur 25 m. de long et d’une profondeur maximale de 3 m. est fermé, du côté sud, par une imposante fontaine de marbre beige à plot central rectangulaire, orné d’un masque à grotesque dont la bouche béante laisse jaillir l’eau. De part et d’autre de la fontaine, sur le muret séparant le bassin de l’espace des douches et des pédiluves, six niches, décorées de coquilles baroques revêtues de mosaïque d’or crachent des jets secondaires. Le bassin de natation pour dames (ill. 2), de forme cintrée à l’ouest, est plus petit : 9,5 m. de large sur 17 m. de long pour une profondeur maximale de 2,80 m.

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Ill. 2 : Anonyme, Bains municipaux de Strasbourg : vue d’ensemble du bassin de natation pour dames vers l’Ouest

1er quart du XXe siècle Archives des bains municipaux, Strasbourg

15 Couvert d’une voûte en berceau à lunettes revêtue d’un décor néo-baroque, il comporte deux niveaux de cabines superposées. Une abside en cul-de-four constituée de deux niveaux d’arcatures ouvertes sur des galeries fait office de pignon occidental. Une horloge murale à décor polychrome est insérée entre les deux niveaux. Le rang d’arcades supérieures est flanqué de deux discrets claustra, tandis que la voûte est nervurée. Au sommet de l’arc diaphragme, deux putti tiennent une guirlande encadrant un blason baroque à décor végétal. Le pignon opposé, plus sage, superpose une tribune à l’espace des douches au fond duquel s’ouvre la cage de l’escalier à vis desservant le niveau supérieur.

16 Les bains municipaux de Strasbourg n’ont pas pour seule vocation d’offrir un équipement sportif à la population, même si, dès 1910, leur administration établit les statistiques des fréquentations scolaires16 qui totalisent 568 149 entrées entre 1910 et 1919, sans pour autant organiser un enseignement de la natation, qui ne débute que vers 1920. L’institutionnalisation progressive au sein de l’école d’un enseignement de la natation permet aux bains municipaux d’augmenter radicalement le nombre d’écoliers nageurs et de brevets décernés, si bien que Strasbourg obtient en 1934 un prix d’honneur et les éloges du ministre de la santé publique et de l’éducation physique17. La fréquentation scolaire constitue par ailleurs un enjeu économique pour l’établissement. Il s’agit donc de doter la ville d’un équipement moderne, intégré, comprenant bains douches à vocation hygiéniste, bains médicinaux et piscines de natation, à l’instar des grandes villes allemandes qui à la veille de la première guerre mondiale, possèdent toutes ce type de structure.

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17 La construction des bains municipaux de Strasbourg sous la direction de Beblo s’inscrit dans une politique architecturale à caractère fortement municipale opposée à l’impérialisme architectural et au style emphatique des trente années précédentes. La plupart des projets auxquels s’attèlent les architectes possèdent un caractère social, sanitaire ou médical. Beblo est le principal maître d’œuvre de l’architecture strasbourgeoise de la décennie 1904-1914. L’architecte n’est d’ailleurs pas insensible à l’héritage de l’architecture française, bien qu’il considère qu’il faille « épurer la merveilleuse ville » dénaturée par certaines constructions de l’époque française, ainsi le Palais Rohan, « corps étranger » dans la vieille ville18 ; mais il fustige également les excès des débuts de l’Annexion. Pour Beblo, Blondel reste une référence incontestable. Cependant, les bains municipaux apparaissent alors soit comme une référence aux palaces des stations balnéaires d’Allemagne du Nord ou de Hollande19, soit comme une expression du style « Alt deutsch20 » caractérisé par une certaine indifférence vis à vis du foyer Art nouveau de l’École de Nancy, et un regard insistant porté vers l’outre-Rhin. Le style volontairement thermal21 utilisé par Beblo l’affranchit des références antiquisantes et orientalisantes de ce type de programme, même s’il ne se dispense pas, sur l’un des projets, d’une frise de grecques dessinée sur l’architrave de la rotonde de réception.22

18 Si les piscines des bains municipaux de Strasbourg apparaissent vite comme les plus modernes du genre, celle de Colmar, édifiée en 1906, jouit d’une fortune critique moindre.

La piscine de Colmar

19 Dans les premières années du vingtième siècle, la ville de Colmar se préoccupe avant tout d’édifier des bâtiments à vocation éducative, sanitaire, sociale ou sportive : ainsi le bâtiment de la soupe populaire (actuelles Archives municipales) et les bains municipaux. À la fin des années 1880, Jean-Baptiste Krempp ouvre un bain froid en aménageant un bassin sous le barrage de l’Ill. L’entreprise ferme en 1903 et, aussitôt, l’administration militaire allemande érige près du bassin Krempp une piscine pour son propre usage, utilisée par les Sports réunis de Colmar jusque dans les années 196023.

20 La construction d’une piscine municipale, symbole d’une ville saine et moderne24, est, comme à Strasbourg et Mulhouse, pressentie dès la fin du XIXe siècle. L’idée d’un lieu où s’adonner à la natation et aux bains est aussi évoquée en 1896 dans un opuscule traitant du projet d’un établissement de bains populaires (Volksbadeanstalt) publié par l’ancien directeur de l’usine à gaz et de l’adduction d’eau de Colmar, M. G. Kern25. À partir de cette date, l’idée d’une piscine moderne ne quitte plus les services municipaux. Un projet est élaboré par l’entreprise spécialisée Göhmann & Einhorn26 établie à Dortmund mais le budget municipal n’en permet pas l’investissement. Une réunion est ensuite organisée par le maire Riegert le 6 novembre 1899 dans le foyer du théâtre. La tentative de déléguer la maîtrise d’ouvrage à une initiative privée étant demeurée lettre , la municipalité décide d’entreprendre la construction en régie directe. Les ingénieurs Hamann et Thomé de l’entreprise Schaffstaedt conçoivent un projet, examiné, à la demande de l’administration municipale, par des ingénieurs berlinois – dont l’inspecteur des bâtiments Matzdorff, relativement sceptique. Le projet de l’architecte Haman, critiqué en raison de son esthétique (« architektonische Ausbildung ») est abandonné par la municipalité qui lui préfère le projet néo-baroque de

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son propre service, sous la direction de Bertsch, architecte municipal. Le projet présenté par ce dernier est adopté le 28 juillet 1903. Le coût estimé est de 330 000 marks pour le gros œuvre et de 63 333,12 marks pour le second œuvre. Ce projet initial prévoyait deux bassins (hommes/femmes) placées symétriquement par rapport à un axe central ; seule l’une des deux piscines fut réalisée, ce qui explique la dissymétrie du bâtiment (ill. 3).

Ill. 3 : Vue d’ensemble des Bains municipaux de Colmar

S.d. Stadtarchiv Colmar, Archives municipales de Colmar.

21 Contrairement à Mulhouse et Strasbourg, où les établissements de bains sont bâtis en périphérie directe du noyau urbain primitif, les bains de Colmar s’inscrivent au sein du centre historique, face au couvent des dominicaines d’Unterlinden, sur le lieu-dit « Ackerhof ». La façade néo-baroque27, avec avant-corps et fronton curviligne, est placée en retrait de 6 mètres sur la rue Unterlinden et ménage un espace de jardinets sur rue de part et d’autre d’un escalier avec fontaine centrale semi-circulaire.

22 La piscine des hommes (ill. 4), en l’absence de la construction de l’aile réservée aux dames, est finalement utilisée alternativement par les deux sexes.

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Ill. 4 : Anonyme, La piscine de Colmar

S.d., inscrit au verso n°1244 Stadtarchiv Colmar, Abteilung X, Nummer 6, Archives municipales de Colmar

23 Constituant initialement l’aide ouest, elle adopte le principe du plan basilical fermé par une abside semi-circulaire au nord, clos par une haute fontaine en marbre figurant la face d’un poisson barbu anthropomorphe d’où jaillit l’eau. L’élévation intérieure est à trois niveaux. Moins convenue que la façade néo-baroque, pastiche directement inspiré des palais du XVIIIe siècle allemand, la piscine adapte dans son élévation extérieure le vocabulaire plus traditionnel de l’éclectisme allemand de la fin du XIXe siècle.

24 Elle est couverte d’un plafond cintré d’une portée de 12 mètres doté en son centre d’une vaste verrière à vitraux colorés dont les nervures de béton armé ne sont pas revêtues d’un berceau en plein-cintre ou en anse de panier, comme à Strasbourg et Mulhouse. Une tribune à l’extrémité nord forme un belvédère, et une rangée de cabines de déshabillage placées entre les arcades flanque le niveau inférieur du bassin éclairé par de grandes appliques en ferronnerie. Les lunettes en arcs brisés ouvertes sur des baies en plein-cintre confèrent à l’élévation intérieure une référence au gothique mais s’apparentent également à la piscine de Prenzlauer Berg à Berlin édifiée en 1900, en style néo-médiéval28, tandis que les appliques lumineuses de ferronnerie disposées sur chaque travée dérivent de la piscine des Müller’sches Volksbad de Munich édifiée en 1901 par Carl Hocheder. La piscine de Colmar s’adresse à une population moins nombreuse qu’à Strasbourg ou à Mulhouse. Si elle ne constitue pas un modèle, elle s’affranchit, grâce à son budget et son échelle limités, des artifices qui monumentalisent les piscines de Strasbourg et Mulhouse, notamment les doubles galeries de cabines et la modénature néo-baroque. Ouverte en 1906, la piscine de Colmar synthétise les enjeux de la construction d’une piscine moderne et devance en cela les réalisations strasbourgeoises et mulhousiennes,

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c’est-à-dire la mise en œuvre du béton armé, un couvrement en berceau avec verrière ou non et des cabines en batterie disposées autour du bassin.

La piscine de Mulhouse

25 C’est Maurice Baumeister, formé aux Écoles polytechniques de Zurich et de Stuttgart, administrateur des travaux municipaux de 1911 à 195329, qui est chargé de la conception des bains municipaux de Mulhouse, assisté de Josef Müller. Ils constituent l’œuvre principale de Baumeister et lui valent une médaille d’or et un diplôme d’honneur à l’exposition internationale de Barcelone30.

26 En 1911, précisément, alors que la ville est confrontée à un fort accroissement de sa population (50 790 habitants en 1900 ; 197 022 habitants en 1924), elle approuve la construction d'un établissement de bains avec piscines de natation destiné à pallier la disparition progressive des bains ouvriers et des bains de rivière. Après une interruption de chantier durant la première guerre mondiale, l'établissement est inauguré en 1925. Il est alors lui aussi considéré comme le plus moderne de France, proposant un grand nombre de prestations de qualité, allant des bassins de natation au simple bain en baignoire, en passant par les bains romains ou les « douches à effet ».

27 La façade néo-classique d’inspiration allemande s'étend le long de la rue Curie sur près d'une centaine de mètres de long de part et d'autre d'un avant-corps central muni d'un portique à quatre colonnes d’ordre ionique et précédé d'un large degré. La façade sur rue abrite de part et d'autre du vestibule les cabines avec douches ou baignoires, réservées, au nord pour les hommes, au sud pour les femmes. Comme à Strasbourg, les bâtiments sur cour dont les combles et les toitures surpassent la façade principale, abritent les deux piscines réservées aux femmes et aux hommes (ill. 5), dont les espaces sont disposés perpendiculairement.

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Ill. 5 : Bains Municipaux de Mulhouse : bassin des hommes

Plan du bassin ; coupe longitudinale, au 1/50e. Tirage héliogr. & crayons de couleurs sur papier ; 103 x 100 cm ; Ed. Zublin & Cie Ingenieurbureau & Beton-Bau Gesch äft. Strassnurg. Den 31. März 1913 Archives municipales de Mulhouse, cliché service régional de l’inventaire du patrimoine culturel – région Alsace, Menninger, 1984.

28 Le corps central du bâtiment, comme à Strasbourg et Colmar, renferme les bains thermaux ou médicinaux, selon une organisation propre aux bains romains. Relié au nord, un petit bâtiment muni de grandes baies rectangulaires et d'une cheminée circulaire en brique hors oeuvre, abrite la chaudière à charbon à double entrée conçue par la Société alsacienne de constructions mécaniques, qui alimente les piscines en eau chaude.

29 L’accès se fait par un corridor sans vestibule. L’ordonnance de l’élévation conçue par Baumeister et Müller reprend le principe des voûtes en berceau à lunettes reposant sur des piles soutenant une galerie supérieure garnie de cabines de déshabillage (ill. 6).

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Ill. 6 : Bains municipaux de Mulhouse : vue d’ensemble bassin des hommes

Cl. CRMH Alsace, Triboux 06 487

30 Les voûtes à double paroi reçoivent une mouluraton imitant des faux caissons pour la piscine des femmes, et une mouluration soulignant simplement les travées pour la piscine des hommes, dont le bassin, d’une dimension de 12,50 m. de large pour 25 m. de long est plus grand que celui des dames, long de 17 m. Des oculi placés au centre des voûtes dissimulent derrière des grilles soit un éclairage électrique, soit une communication avec un lanternon en toiture, permettant ainsi un éclairage zénithal. Un niveau de tribune ferme l’extrémité de chaque piscine devant une vaste fenêtre thermale assurant un éclairage naturel. Enfin, les bassins sont arrondis à l’extrémité opposée au côté portant la fontaine.

31 Des vitraux à décor de verres colorés et à décor végétal avec inclusion de cabochons de verre réalisés en 1925 par Joseph Ehrismann garnissaient les baies des deux piscines qui ont conservé leur robinetterie en laiton, leurs pédiluves et leur réseau d’adduction d’eau.

32 Si le parti stylistique de la façade reprend des modèles néo-classiques allemands, les piscines reçoivent un décor tendant vers l’Art déco de façon assez marquée, notamment avec les horloges et les garde-corps de ferronnerie des galeries supérieures. Les parois des bassins sont, comme à Strasbourg et Colmar, revêtues de céramiques blanches par les établissements Zublin.

33 Les piscines alsaciennes conçues dès la charnière des XIXe et XXe siècles témoignent de l’intérêt des municipalités pour ce type de programme assurant tout à la fois un service d’hygiène à la population (bains) et un équipement sportif (piscine), sans que la natation comme discipline sportive soit à l’origine de ces commandes dispendieuses. Érigées durant l’Annexion avec des architectes formés outre-Rhin, les édifices se réfèrent aux programmes de piscines qui se multiplient en Allemagne à partir de 1900.

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Les bains de Strasbourg tentent de donner la réplique à ceux de Baden-Baden par Carl von Dernfeld dès 187731, mais les modèles persistants mêlant le Jugendstil au néo- baroque sont les piscines pour hommes et femmes du Müller’sches Volksbad de Munich construites en 1901 par Carl Hocheder32. D’un point de vue technique, l’utilisation du béton armé selon la mise en œuvre établie par Zublin fait de ces édifices des bâtiments particulièrement novateurs. Enfin, d’un point de vue social et politique, ces piscines non mixtes révèlent l’affirmation du pouvoir municipal en matière d’hygiène publique. La nécessité pour ces architectes de concevoir des ensembles intégrés où les bâtiments abritant les piscines sont élevés hors œuvre, en quête de lumière naturelle, a constitué une contrainte non négligeable.

NOTES

1. Roland Oberlé, La Vie quotidienne en Alsace au temps de la Renaissance, Strasbourg, Éditions Oberlin, 1983, p. 119. 2. Catherine Grodecki, Archives du Bas-Rhin, guide des sources de l’histoire de l’art et de l’architecture en Alsace, XIe XVIIIe siècles, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1996, p. 185-186. 3. Zublin et Cie, Ingénieurs, entreprise de constructions en béton et béton armé et de travaux publics, Strasbourg, catalogue V : Architecture, Paris, impr. Thevoz, s.d. [1923 ?], bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg. 4. Ibid., p. 18. 5. Arch. mun. de Mulhouse, M II a 9, Zublin & Cie, Mannerschwimmhalle, Coupe transversale sur le bassin des hommes, Strassburg, 31 mars 1913. 6. Arch. mun. de Mulhouse, M II a 15, Ed. Zublin & C ie Ingenieurbureau Eisenbeton, Coupe transversale et plan du bassin des hommes, 31 mars 1913. 7. Zublin & Cie, Ingénieurs, entreprise de constructions en béton…, op.cit., p. 18. 8. Dominique Toursel-Harster, Dossier de protection au titre des monuments historiques, conservation régionale des monuments historiques, DRAC Alsace, 1999. 9. Bauen auf Tradition, Fritz Beblo 1872-1947, Stadtbaurat in Strassburg und München, Austellung im Stadtarchiv München, 25 sept 1991 – 9 nov. 1991, p. 27. 10. Ibid., p.29. 11. Shelley Hornstein-Rabinovitch, Tendances d’architecture Art nouveau à Strasbourg, thèse de doctorat, Strasbourg, université des sciences humaines, institut d’histoire de l’art, octobre 1981. 12. Klaus Nohlen, Construire une capitale. Strasbourg impérial de 1870 à 1918 – Les bâtiments officiels de la Place impériale, Collection « Recherches et documents », t. 56, publications de la société savante d’Alsace, 1997, p. 189 et suiv. 13. Georges Foessel, Jean-Pierre Klein, Strasbourg, panorama monumental et architectural des origines à 1914, Barcelone, Mémoire d’Alsace G4J, 2003, p. 325. 14. Arch. mun. de Strasbourg, 947 W 68, piscine de la ville de Strasbourg, Plan du rez-de-chaussée, signé et daté : Beblo, déc. 1905.

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15. Arch. mun. de Strasbourg, 709 W 153, piscine de la ville de Strasbourg, Élévation de la façade principale sur le Nicolausring, signé et daté : Fettig, 1906. 16. Alexis Fassel, La Natation aux bains municipaux de Strasbourg (1920-1950), A. Rauch (dir.), Sports et loisirs en Alsace au XXe siècle, Paris, centre de recherches européennes en éducation corporelle / Revue E.P.S., 1994, p. 31. 17. Ibid., p. 35. 18. Denis Durand de Bousingen, « L’architecture à Strasbourg de 1903 à 1918 : styles, écoles et hommes », Annuaire de la Société des Amis du Vieux-Strasbourg, Strasbourg, 1985, p. 60. 19. Ibid., p. 67. 20. François Loyer, Histoire de l’architecture française de la Révolution à nos jours, Paris, Mengès / Éditions du patrimoine, 1999, p. 198. 21. Théodor Rieger, D. Durand de Bousingen, Strasbourg Architecture 1871-1918, Collection Art Alsace, Obernai, Le Verger éditeur, 1991, p. 27. 22. Arch. mun. de Strasbourg, 709 W 153, Coupe longitudinale sur la rotonde de réception, signé et daté : Beblo, 1906. 23. Gabriel Braeuner, Francis Lichtlé, Dictionnaire historique de Colmar, Association pour la restauration des édifices historiques de Colmar, Colmar, 2006, p. 31. 24. Thomas Goldstein, Intégration d’un bâtiment accueillant de nouveaux bains municipaux dans le centre historique de Colmar, mémoire de TPFE, Diego Peverelli (dir.), école nationale supérieure d’architecture de Strasbourg, septembre 1999, p. 6. 25. Philippe Heinitz, Les Relations entre architecture et urbanisme dans le Reichsland, 1870-1914, éléments pour une histoire urbaine de la ville de Colmar, mémoire de D.E.A. sous la dir. de Pier Giorgio Gerosa, 9 oct. 2003, 2e éd. 2005, p. 160. 26. Arch. mun. de Colmar, 786, Errichtung eines volksbads. 27. Direction de l’architecture de la ville de Colmar, janvier 1984, non coté, Bains municipaux : façades sud et ouest au 1/100e. 28. Kristin Feireiss, Badetempel : Volksbader aus Gründerzeit und Jugendstil, Berlin, Ernst & Sohn, 1993, p. 46. 29. Charles Seither, « Maurice Baumeister 1880-1954 », Bulletin du musée historique de Mulhouse, t. LXIV, 1956, p. 155. 30. Ibid., p. 156. 31. Kristin Feireiss, op. cit., p. 26. 32. Ibid., p. 50.

RÉSUMÉS

Les premières années du XXe siècle voient se concrétiser à Colmar, Strasbourg et Mulhouse trois importants programmes de bains municipaux avec bassins de natation et bains médicinaux dans la lignée des programmes de bains déterminés en Europe centrale et en Allemagne à la charnière des XIXe et XX e siècles. Les piscines qui y sont conçues dans une perspective de non-mixité participent alors d’un projet sanitaire et social global à visée hygiéniste, en cette période où l’Alsace est encore Reichsland d’Empire mais souhaite se détourner des commandes impériales, ou

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se consacrer à des chantiers à destination du peuple. Ni totalement Art nouveau ni complètement éclectiques, ces piscines mises en œuvre avec le concours du savoir-faire pionnier de l’entrepreneur en béton armé Édouard Zublin parviennent à doter les capitales alsaciennes d’équipements nautiques capables de rivaliser avec les plus récentes réalisations des grandes cités allemandes.

In the early years of the XXth century were carried out three important municipal baths programs, in Colmar, Strasbourg and Mulhouse, with swimming pools and medicinal baths in the wake of the baths programs determined in Central Europe and Germany at the turn of the XIXth century. The swimming pools, planned for a non mixed public, were part of an overall hygienist- designed social and health project, at a time when Alsace as a Reichsland was still annexed to the Empire but intended to turn away from imperial commissions or to devote itself to some new constructions for its people. Neither completely Art nouveau, nor completely eclectic, these swimming pools built with the help of the leading expertise of the reinforced concrete contractor ED Zublin, enabled the Alsatian capitals to get swimming facilities that were likely to compete with the most recent achievements of the big German cities.

In den ersten Jahren des 20.Jahrhunderts kommen drei bedeutsame Bauprogramme von städtischen Bädern mit Schwimmbecken und Heilbädern zustande. Sie übernehmen die Tradition der Badeeinrichtungen in Mitteleuropa und in Deutschland um die Jahrhundertwende. Die Gesamtplanung dieser Badeanstalten verfolgt sanitäre, soziale sowie hygienische Absichten. In dieser Zeit versucht das Elsass, immer noch deutsches Reichsland, sich gegen kaiserliche Aufträge zu wehren und bevorzugt selber für die Bevölkerung zu bauen. Weder ganz im Jugenstil noch völlig im eklektischen Stil werden diese Badeanstalten dank des technischen Könnens des Unternehmers Ed. Zublin aus Stahlbeton gebaut. So verfügen die elsässischen Hauptstädte über Schwimmbadausstattungen, die den Vergleich mit den modernsten Anstalten der deutschen Gro βstädte nicht zu scheuen brauchen.

INDEX

Index chronologique : époque contemporaine, XIXe siècle, XXe siècle Mots-clés : piscine Keywords : swimming pool Schlüsselwörter : Schwimmbad

AUTEUR

PATRICE TRIBOUX Patrice Triboux, né en 1970, après un premier cycle à l’École nationale supérieure d’architecture de Marseille-Luminy, a suivi des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Provence. Son mémoire de maîtrise en sciences et techniques de l’archéologie et du patrimoine méditerranéens a porté sur l’étude du parc archéologique et des antiques de Glanum sous la direction de Brigitte Sabattini. Conférencier agréé par le centre des monuments nationaux en 1995, puis conférencier pour la direction des musées de Marseille et conférencier pour la réunion des musées nationaux, il est en poste au département des estampes et de la photographie de la Bibliothèque nationale de France entre 1998 et 2000. Il œuvre ensuite au musée national Picasso comme chargé d’études où il publie des articles sous la direction de Dominique Dupuis-Labbé et est commissaire de l’exposition « Picasso et la Grèce » à la Fondation Goulandris en 2004. Il est

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chargé de la protection des monuments historiques de la région Alsace depuis 2006. Adresse électronique : [email protected]

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La piscine municipale de Bruay-en- Artois et le socialisme municipal d’Henri Cadot The swimming pool of Bruay-en-Artois and its links with local socialism Der Bau der Badeanstalt in Bruay-en-Artois unter der sozialistischen Stadtverwaltung Henri Cadots

Marc Verdure

« Construire un hôpital, c’est de l’assistance ; construire un stade, c’est de la prévoyance » Édouard Herriot1

1 L’entre-deux-guerres fut, dans le Nord-Pas-de-Calais, une période de concurrence entre les édiles politiques de gauche et les compagnies des mines, dont le paternalisme se heurtait aux préoccupations socialistes. Les nécessités de la reconstruction dans les zones ravagées par les combats, du retard à rattraper dans le logement social et de l’évolution démographique expliquent l’essor de la commande publique qui s’intéresse de plus en plus aux équipements sportifs.

2 D’autre part, cette période fut celle d’un intérêt grandissant pour le sport. Si l’on accorde au Front populaire et à Léo Lagrange le mérite du développement de ces pratiques, un examen plus précis des exemples municipaux montre que les habitudes locales précédèrent la théorisation nationale. En quoi la piscine de Bruay-en-Artois, piscine de plein air construite en 1935-1936 au cœur d’un habitat ouvrier, illustre-t-elle ce double contexte de conquête municipale et socialiste et de naissance d’un nouvel idéal sportif ?

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Le contexte sociopolitique de l’entre-deux-guerres.

Henri Cadot et la compagnie des mines de Bruay : l’enjeu sportif

3 La compagnie des mines de Bruay occupa la concession de Bruay-en-Artois de 1852 à 1945 et exploitait, en 1938, quatorze puits répartis entre les communes de Bruay, Haillicourt, Divion et Houdain. Son patrimoine était immense et elle avait encerclé le cœur de Bruay d’une ceinture de cités pavillonnaires. Employant environ 18 000 ouvriers à Bruay2, la Compagnie était omniprésente dans la vie quotidienne des habitants. Dirigée notamment par la famille Marmottan, son influence dans la région fut très importante, elle contrôla jusqu’en 1914 la vie politique du bassin, parfois même en prenant les rênes de la vie municipale locale. Jules Marmottan fut le maire de Bruay entre 1870 et 1879.

4 Face à une telle omniprésence, les syndicats s’activaient, entre autres grâce à Henri Cadot dès 18893. Comme tous les grands chefs de mineurs du Pas-de-Calais de la première génération, il mena une carrière politique parallèle à son engagement syndical : élu vice-président du syndicat des mineurs du Pas-de-Calais en 1892, il se présenta à tous les scrutins municipaux et nationaux mais ne fut élu député qu’en 1914, puis maire en 1919. À l’Assemblée nationale et au Sénat, Cadot intervint dans tous les débats budgétaires et charbonniers, militant pour l’amélioration du sort des ouvriers mineurs. Outre cette activité parlementaire, il fut un chef syndicaliste virulent lors des diverses grèves qui secouèrent le Pas-de-Calais.

5 Dans ce contexte de concurrence entre la mairie socialiste et la compagnie des mines pour la maîtrise de la vie locale, il semble que les échanges furent assez vifs dans un premier temps, les socialistes n’hésitant pas à critiquer l’action délétère du patronat. La presse d’opposition4 se fit ainsi l’écho de conflits et de mots très durs prononcés par Henri Cadot à l’encontre de la Compagnie. Le sport et les loisirs firent, semble-t-il, partie des éléments de concurrence entre les deux rivaux ; une des marques essentielles du pays minier pendant l’entre-deux-guerres fut en effet l’existence et la vitalité d’un grand nombre de sociétés presque toutes placées sous la présidence d’honneur des autorités minières et municipales dont elles recevaient le soutien pécuniaire. Les Marmottan versèrent ainsi un don de 50 000 francs en faveur des associations musicales et sportives ; la plupart des associations musicales étaient présidées par des ingénieurs des mines (à l’exception de celles créées par la municipalité), de même que quelques- unes des associations sportives. D’autre part, on remarque, à travers l’itinérance du club de football de l’Union sportive bruaysienne (USB) qui joua jusqu’en 1933 sur un stade construit par la compagnie des mines puis après cette date dans le stade municipal, l’esquisse d’une rivalité pour attirer à soi la population et un loisir populaire.

L’évergétisme d’une municipalité socialiste

6 Au sortir de la première guerre mondiale, la ville de Bruay-en-Artois se retrouva avec un grand nombre d’édifices dévastés, vétustes ou trop étriqués pour ses besoins. En outre, la ville dut faire face à un accroissement démographique rapide, passant de 2 500 habitants en 1875 à 32 000 en 1936. La plupart des édifices publics étaient inutilisables ou inexistants, sans compter le problème de l’habitat. La mairie socialiste élue en 1914,

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qui se maintint aux affaires pendant toute l’entre-deux-guerres, lança ainsi dès les années 1920 un grand programme de travaux guidés par l’architecte communal de l’époque, Paul Hanote, probablement en lien avec la loi Cornudet de 19195. Paul Hanote, aidé de son fils René, reconstruisit entièrement l’hôtel de ville en 1928-1930 dans un style néo-Renaissance ; une salle des fêtes fut édifiée dans un style Art déco par les mêmes architectes en 1930 ; des habitations à bon marché furent construites à partir de 1930. D’autres programmes plus spécifiques concernèrent les écoles et groupes scolaires, nombreux à s’édifier avec l’aide de la compagnie des mines.

7 La construction de la piscine en 1935-1936 s’inscrit ainsi dans l’ère des grandes entreprises sociales6, période où les urbanistes et édiles prirent la ville en compte dans sa globalité, en concevant de véritables « équipements », harmonieusement insérés dans la vie urbaine. En outre, si les thèmes de l’hygiène, de la santé, du logement, des arts et de la culture furent mentionnés très tôt dans la politique locale française, celui du sport n’apparut qu’à la veille de la première guerre mondiale. Le patrimoine nautique français faisait ainsi largement défaut en 19227 avant de progressivement s’accroître8. Jean-Paul Callède a résumé, autour de l’exemple de Bègles, le contexte de l’époque9 : le modèle d’Édouard Herriot et de sa politique en matière d’équipement sportif à Lyon10, l’influence des écrits de Tony Garnier ainsi que la redéfinition, au début des années 1930, du programme d’action sportive du parti socialiste SFIO11. Cela fut probablement un stimulant pour l’action municipale bruaysienne.

8 À travers la lecture du Bulletin municipal de Bruay-en-Artois 12, document électoraliste publié par la municipalité sortante de Bruay en avril 1935, à la veille du scrutin municipal de mai, on s’aperçoit que le souci des élus socialistes, ultra-majoritaires à l’hôtel de ville, fut bien la santé, le bonheur, la vitalité de la population, « la défense de la race contre la maladie et la déformation ». Les déclarations du maire Henri Cadot en conseil municipal13 se firent l’écho des demandes des associations et la mention, dans le Bulletin, des sections de football, athlétisme, basket-ball, tennis et gymnastique, des sections sportives de l’École primaire supérieure et du Sport ouvrier bruaysien, montre l’utilité des chantiers municipaux. Le projet de piscine, aussi désigné dans le Bulletin comme une « école de natation avec piscine de plein air » (p. 4) était décrit comme la réponse de la mairie au vœu de la population, la municipalité recherchant « l’intérêt de l’hygiène et de la santé publique ».

9 Il semble que le « socialisme municipal des années 193014 » à Bruay-en-Artois ait fait son miel de ce contexte interventionniste. Ce socialisme d’action, dominé par le souci de servir les intérêts généraux de la cité par delà les problèmes de rivalité idéologique nationaux, souhaitait également rompre avec une certaine inactivité et compenser le retard accumulé par une série de grands travaux à l’échelle de la commune. Ainsi, prévenant la critique possible d’immobilisme et d’opportunisme politique, qui n’eût pu manquer de surgir en considérant que la plupart des équipements urbains furent construits dans les années 1930 alors que la municipalité socialiste était en place depuis 1914, le Bulletin évoquait la difficulté d’aménager une cité ancienne, à l’espace contraint et son souhait d’intervenir « sans tapage avec le souci du Bien public » (p. 4).

Les critiques de l’action municipale

10 « Vieux retraité du parlementarisme »15, Henri Cadot fut volontiers critiqué par la presse locale. Le Journal de Bruay lança ainsi en mai 1935 une longue campagne de

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dénigrement et d’accusations à l’égard des socialistes et de leur chef local, le principal reproche étant son ambiguïté à l’égard de la compagnie des mines de Bruay, qu’en tant qu’ancien mineur, Cadot surveillait avec attention. Citant le Bulletin présenté la veille des élections municipales de 1935, le Journal s’interrogeait sur le financement des grands chantiers, passé sous silence, à l’exception notable de celui de la piscine, payée par emprunt16. Le journal estimait à trente millions de francs le montant des travaux, presque intégralement financés par la Compagnie. En fin de compte, il soulignait l’hypocrisie des socialistes qui disqualifiaient auprès de l’opinion publique ceux auprès desquels ils obtenaient ensuite le financement de leurs projets. L’ « homme des trente deniers » admit par la suite un emprunt de cinq millions de francs auprès de la Compagnie mais il est probable que les opposants eurent une responsabilité dans sa non-réélection au fauteuil de sénateur en 1935. Il faut toutefois noter que les édifices sportifs, payés par emprunt auprès de la caisse des dépôts et par une subvention de l’État, ne furent jamais critiqués, ni au moment de leur présentation au public dans la presse, ni après leur ouverture. Il faut probablement en conclure que la contestation de ces équipements ne recevait pas un grand écho auprès de la population.

La piscine communale de Bruay-en-Artois et le nouvel idéal sportif

Le Nord de la France et le développement des sciences sportives

11 Dès le début du XXe siècle, le Nord de la France se montra pionnier, en organisant des compétitions et des clubs de natation dans les canaux (Tourcoing). Si les premiers bassins aux normes olympiques (50 m) furent édifiés à Paris et en région parisienne, le Nord ne recevant sa piscine olympique qu’en 1933 (à Tourcoing encore), la pédagogie se développa grâce à l’activisme d’un maître-nageur ingénieur, Paul Beulque. Jusqu’à cette époque, la leçon collective était souvent difficile dans un espace qui ne comportait pas de petite profondeur, et peu nombreuses étaient les piscines conçues dès l’origine avec un espace spécifique pour l’apprentissage17. Si l’idée du petit bain (ou « petite profondeur ») existait dès la fin du XIXe siècle, il était rarement destiné aux débutants. La règle était plutôt à la petite piscine à profondeur progressive, on n’imaginait pas encore alors de différencier systématiquement le bassin sportif du bassin d’apprentissage. Une véritable pratique scolaire vit néanmoins le jour à Tourcoing grâce à l’action combinée du sénateur maire Gustave Dron et de Paul Beulque, dès 1911. Ce dernier inventa ainsi une potence montée sur une poutre transversale au bassin susceptible de permettre à l’élève de répéter les mouvements appris à sec sur le bord du bassin. Un tel type de potence existait, au témoignage des usagers, à Bruay-en- Artois.

12 Concernant le cas de Bruay-en-Artois, il est intéressant de noter que la piscine portait aussi le nom d’ « école de natation », soulignant ainsi le souci pédagogique des maîtres d’ouvrage ; un bassin était même entièrement destiné au public scolaire et débutant. Néanmoins, la mention répétée des « attentes » de la population pose question, car il n’existait pas de club avant la création de la piscine18 : le club nautique bruaysien fut créé en 1936, l’année de l’inauguration, et le club nautique franco-polonais « Les Requins » vit le jour en 1937 ; ce dernier réclama rapidement l’accès privilégié à la piscine pour ses entraînements. Il semble ainsi que l’offre ait occasionné la demande…

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La piscine, une œuvre hygiéniste et sociale

13 Pour prendre la pleine mesure des intentions de la municipalité en matière de pratique sportive, il faut élargir le propos à l’ensemble du stade-parc19, dans lequel s’intégra le projet de la piscine (ill. 1), et lire les déclarations de l’architecte justifiant les buts poursuivis20 :

14 Encourager et favoriser le développement du sport en général. Permettre à la jeunesse d’occuper sainement ses loisirs. Permettre à tous de respirer un air assaini. Encourager les parents à faire donner l’éducation physique à leurs enfants. Prêter un concours efficace aux sociétés sportives en mettant à leur disposition des terrains21.

Ill. 1 : Plan d’ensemble du stade-parc comportant la piscine municipale

1942 Cl. de l’auteur

15 On a déjà souligné précédemment combien l’enjeu sportif pouvait occasionner de rivalités entre la commune et la compagnie des mines : accueillir le club de football fondé en 1906 (union sportive bruaysienne), la section d’athlétisme du sport ouvrier bruaysien, le lawn-tennis club créé en 1925, les sociétés de gymnastiques, organiser le championnat d’athlétisme du Nord Pas-de-Calais en juillet 1935, permit à la commune de mettre en pratique, bien avant l’heure, l’adage de Léo Lagrange : « Notre but, simple et humain, est de permettre aux masses de la jeunesse de trouver dans la pratique des sports la joie et la santé22.» La création de la piscine, qui vient combler une « lacune inconcevable », permit ainsi à la municipalité sortante d’éviter à la population « de chercher ailleurs que dans la Cité la satisfaction de [son] sport favori ».

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16 Cependant, la crise économique frappa durement la région dès 1931. Le département du Pas-de-Calais prit alors l’initiative en février 1932 de financer à Bruay des chantiers employant une cinquantaine de chômeurs, ceux-ci étant payés par le département dans une proportion de 58%. Les travaux concernèrent ainsi l’aménagement et le terrassement, la construction de murs de soutènement et de clôtures, les entrées du terrain de football et des vestiaires. Il en fut de même pour la piscine : le cahier des charges particulières, clauses et conditions générales du 27 janvier 1935, stipulait (article 11) que « l’employeur [serait] tenu d’employer exclusivement sur son chantier la main d’œuvre non spécialisée de la commune de Bruay-en-Artois »23.

17 Le coût du chantier de construction de la piscine, estimé à 971 560 francs lors du conseil municipal du 15 février 1935, fut couvert, comme le précisait le Bulletin de 1935, par un emprunt de 650 000 francs auprès de la caisse des dépôts et consignations et par une subvention de 200 000 francs de l’État. Le droit à cette dernière se justifia en raison de la vocation sociale de l’entreprise : dans sa correspondance avec l’État, la ville de Bruay rappela sans cesse qu’il s’agissait d’accéder à la demande d’une population de 32 000 habitants et de lutter contre le chômage en favorisant la renaissance économique. La multiplication des édifices sportifs, guidée tout d’abord par des intérêts privés puis par ceux des pouvoirs publics, ouvrait en effet un marché nouveau à une économie de la construction en perte de vitesse24.

L’ouverture de la piscine : les usages

18 Après sept mois de travaux, le 1er août 1936, eut lieu l’inauguration de la piscine en même temps que le baptême officiel de plusieurs nageurs, en présence du député-maire Henri Cadot, de son collègue député Gaston Beltrémieux et de l’architecte Paul Hanote25.

19 La piscine était prévue pour accueillir environ un millier de nageurs par jour, les prix d’entrée devant être les plus bas possibles. Le centre de l’école de natation est occupé par la piscine composée de deux bassins séparés par une claire-voie (ill. 2).

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Ill. 2 : Projet de construction d’une école de natation avec bassin en plein air

Plan de 1934 Cl. de l’auteur

20 L’un est rectangulaire de 25 x 33,33 m et l’autre pour scolaires en demi-cercle de 12,5 m de rayon. Le grand bassin rectangulaire, en pente dans le sens de la largeur (de 0,7 m à 2,2 m), accueille une fosse à plongeon dotée de quatre plongeoirs superposés (ill. 3).

Ill. 3 : École de natation, vue d’ensemble des bassins

1935 Cl. de l’auteur

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21 Les deux bassins sont carrelés de panneaux de céramique bleue, afin de faciliter le nettoyage et de donner à l’eau un aspect agréable.

22 Les 246 cabines (ill. 4) et les quatre vestiaires collectifs sont établis sur trois épaisseurs sur les longs côtés du bassin et sur un unique rang dans le fond (cabines pour deux personnes).

Ill. 4 : Couloir d’accès aux cabines

2007 Cl. de l’auteur.

23 Les deux ailes sont surmontées d’une terrasse « solarium ». À l’angle de deux ailes est installé un poste de secours surmonté d’un réservoir (ill. 5).

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Ill. 5 : Poste de secours et réservoir d’eau

2007 Cl. de l’auteur

24 Les bassins, entourés d’un promenoir dallé et de gradins, ne sont accessibles qu’aux baigneurs préalablement passés par la « douche de propreté ». L’alimentation en eau des bassins provient d’un forage accordé par la compagnie des mines. Le parti est donc traditionnel, notamment dans la disposition des cabines de déshabillage autour du bassin de nage et, dans le passage, par un pédiluve avant d’entrer dans le bassin.

Une réalisation architecturale fonctionnelle

25 La construction de la piscine s’inscrit dans un projet global qui inclut plusieurs équipements sportifs ainsi qu’un espace vert de détente. Les préoccupations sont donc bien davantage celles d’un urbaniste que d’un architecte et il ne faut pas voir dans le chantier de la piscine de Bruay-en-Artois un manifeste architectural comme celui de la piscine de Bègles. À Bruay, comme à Bordeaux ou à Lyon, l’édifice est fonctionnel et rationnel, utilisant les matériaux modernes et un vocabulaire simple et dépouillé. L’architecte a ainsi prévu, comme beaucoup de ses confrères à la même époque (Léon Madeline à Bordeaux), l’installation de locaux techniques (buanderie, réservoirs d’eau, filtrage de l’eau) et l’emploi de matériaux simples, d’entretien facile, peu onéreux et résistant à toute épreuve. Le cahier des charges particulières, clauses et conditions générales du 27 janvier 1935 soulignait ainsi que les matériaux de construction (sable, ciment, briques, bois, fers, peinture, vitrerie) devaient être de « première qualité et de premier choix », agréés par le maître d’œuvre26.

26 Le parti général évoque immédiatement celui d’un navire, dans l’élévation basse et rythmée par les supports verticaux des ailes en retour, la couleur pâle de la peinture, la

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présence d’une tour semblable à la cheminée d’un transatlantique et le choix d’oculi décoratifs faisant penser à des hublots. Quelques détails évoquent en outre le mouvement moderne international, qui se développe dans les années 1920-1930 à partir des recettes de l’Art déco : le portique d’accès sur la rue (ill. 6), le dessin des kiosques d’entrée (ill. 7), l’aspect général des façades sur les bassins, qui mêlent à peu de frais ampleur et monumentalité (ill. 8).

Ill. 6: Portique d’accès sur la rue

2007 Cl. de l’auteur

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Ill. 7 : Kiosque d’entrée

2007 Cl. de l’auteur

Ill. 8 : Vue d’ensemble des bassins

2007 Cl. de l’auteur

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27 Paul Hanote ne cherchait probablement pas à s’inscrire dans un style ; l’eût-il voulu, cela aurait été compromis par l’utilisation d’une main d’œuvre peu qualifiée. Comme beaucoup d’architectes urbanistes de cette époque, qui trouvaient à s’exprimer dans les revues spécialisées27, il mêla le goût de l’équipement public à celui de l’œuvre sociale. Parmi ses sources possibles figure la piscine construite à Madrid en 1932 par Luis Gutierrez Soto28. Trois piscines y sont alignées sur une île étroite : une piscine populaire en plein air et deux piscines de luxe couvertes et chauffées, accompagnées sur toute leur longueur de cabines. Les deux piscines de luxe, mitoyennes, ont la même forme que les bassins de Bruay (rectangle et demi-cercle). Enfin, les couleurs utilisées, le motif du hublot, le parti général29 rappellent la métaphore navale. On peut plus généralement rapprocher l’étirement monotone des bâtiments de cabines de Bruay du modèle de la plage, souvent d’élévation basse (plage du Lys-Chantilly, 1934 ; Meaux-Trielport, Wiesbaden) ; l’idée des « solariums » sur les terrasses emprunte d’ailleurs aussi à ce type de construction. Mais le plongeoir, qui représente souvent un morceau de bravoure (Bordeaux, Trouville), n’est pas particulièrement mis en valeur à Bruay.

Des partis pris esthétiques spécifiques ?

28 Situé au cœur de plusieurs cités minières, l’ensemble se voulait probablement un manifeste de la présence municipale, une preuve de son souci du bien-être des habitants. Le parti pris esthétique des bâtiments n’est donc pas innocent. Paul Hanote30, qui travailla à Bruay et aux environs pendant presque toute l’entre-deux-guerres, semble avoir développé deux styles en fonction de la commande, l’un traditionnel et l’autre plus moderne. Pour les hôtels de ville de Bruay en 1930 (avec son fils René31) et de Labuissière (1938), il choisit ainsi un vocabulaire néo-Renaissance traditionnel dans la région, maniant les frontons élevés à pas-de-moineau, les baies à meneaux ou en plein cintre (souvent superposées) et la polychromie brique et pierre, la monumentalité étant obtenue par l’usage de la symétrie des travées et d’une élévation à plusieurs niveaux. L’architecture de loisirs, elle, destinée aux rassemblements populaires, reçut un traitement particulier, recourant comme pour la piscine et le stade-parc aux recettes de l’Art déco : la salle des fêtes de Bruay (1930), de plain-pied, au toit en terrasse, fit ainsi appel à un rythme de dosserets cannelés évoquant la façade de la piscine ; la salle des fêtes de Labuissière (décembre 1936) offrit une élévation plus originale, jouant sur l’alternance en hauteur et en couleur des travées et sur les horizontales des corniches et des appuis. Paul Hanote rechercha ainsi à exprimer de plusieurs façons une certaine dignité sociale à la collectivité, en exploitant le vocabulaire traditionnel et des schémas plus modernes, et en exécutant des bâtiments mêlant axialité, frontalité et monumentalité avec des moyens simples et économiques.

29 Ainsi, à travers l’exposé d’un contexte politique animé, on constate que la construction de bâtiments sportifs rend possible la promotion de la collectivité ; d’une part, celle-ci montre son souci du bien-être des habitants, d’autre part elle fait valoir le dynamisme de sa gestion, en optant pour un parti architectural spectaculaire ; enfin, les pratiques sportives administrent la preuve de la vitalité de la population et tout ce qui vient la valoriser augmente encore le prestige local. La volonté qui a présidé à la réalisation de cet aménagement urbain mêlant sport et nature est emblématique de la tendance des années 1930 à l’affirmation de l’autorité municipale, au travers de grands projets à destination populaire. Le sport de masse et le

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loisir de tous sont ainsi mis à l’honneur, en préfiguration de l’œuvre du Front populaire. L’étude de cette période est ainsi tout à fait primordiale pour comprendre le processus d’individualisation des politiques sportives municipales. Si l’intérêt architectural de l’ensemble de Bruay-en-Artois est assez limité, la piscine, majestueusement ouverte sur l’horizon des terrils de la fosse n° 6, témoigne de conceptions hygiénistes et sociales originales.

NOTES

1. Bulletin officiel de la ville de Lyon, 31 août 1913, cité par Élisabeth Lê-Germain, « Lyon, une longueur d’avance », Le Sport et ses espaces, XIXe-XXe siècles, Paris, CTHS, t. 120-3, 1995. 2. Charles Toursel, Bruay-en-Artois et sa région de 1918 à 1945, édité par l’association des anciens élèves du lycée de Bruay-en-Artois, 1980, p. 60. 3. Henri Cadot (1864-1947) : il travailla très jeune à la mine et milita dans les mouvements socialistes et syndicalistes, fondant avec Émile Basly le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais en 1889 (il le présida à partir de 1928). Il devint en 1893 directeur politique de La Tribune, organe du syndicat des mineurs où il s’employa à marquer l’importance des revendications ouvrières. Il intégra la SFIO en 1905 et, après trois échecs aux élections législatives, fut élu en 1914 dans le 4e arrondissement de Béthune. En 1919, il fut réélu député et devint maire de Bruay, charge qu’il occupa jusqu’en 1944. Entre 1930 et 1935, il exerça un mandat au Sénat mais ne fut pas renouvelé. Cf. Jean Maitron, Claude Pennetier, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, t. XXI, Paris, les Éditions ouvrières, 1984, p. 46. – Charles Toursel, op. cit., p. 33-35. 4. Le Pas-de-Calais, grand hebdomadaire régional de sensibilité républicaine (Archives départementales du Pas-de-Calais, G53/49), Journal de Bruay (id., G192/5). 5. Cette loi contraint les villes de plus de dix mille habitants à dresser un plan d’aménagement, d’embellissement et d’extension dans un délai maximal de trois ans. 6. Antoine Le Bas, Architectures du sport. Val de Marne-Hauts-de-Seine, Cahiers de l’Inventaire, 1991, introduction, par Françoise Hamon, p. 15. 7. Bruno Dumons, Gilles Pollet, Muriel Berjat, Naissance du sport moderne, Lyon, 1987, p. 66 et suiv. Vingt établissements de bain sont recensés en France en 1922, quand l’Allemagne en possède 1 362. 8. En 1935, environ cent dix-huit villes françaises possédaient 169 installations nautiques homologuées par la fédération de natation sportive : petites dimensions (25x12 m), forme rectangulaire, eau limpide et transparente. Thierry Terret, « L’eau, l’école et l’espace. Normes scolaires et pratiques de la natation au XXe siècle », Le Sport et ses espaces, op. cit. 9. Jean-Paul Callède, « Notes d’architecture sportive. Le socialisme municipal des années trente à Bègles », Annales du Midi, t. 102, n° 92, octobre-décembre 1990. 10. Édouard Herriot, Créer, Paris, Payot, 1920, 2 vol., cf. Jean-Paul Callède, art. cit., note 23. 11. Pierre Marie, Pour le sport ouvrier, éditions du Parti Socialiste SFIO, Paris, Librairie populaire, 1934. Il y était notamment question de concurrencer les organisations sportives bourgeoises et d’imiter les autres réalisations des communes socialistes.

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12. Arch. dép. du Pas-de-Calais, bibliothèque. 13. Arch. mun. de Bruay, délibération du conseil municipal du 15 février 1935. 14. L’expression est tirée de l’article de Jean-Paul Callède, art. cit. 15. Le Pas-de-Calais, 10 mai 1936. 16. On sait aujourd’hui que la plupart des chantiers municipaux furent possibles grâce à des emprunts réalisés à des taux avantageux pour la commune auprès de la compagnie des mines (Ch. Toursel, op. cit., p. 184-195). 17. Le bassin d’initiation de Villeurbanne (1932) est de faible profondeur et de petite taille (18 x 5,5 m). 18. Ch. Toursel, op. cit., p. 325. 19. Le devis de Paul Hanote incluait un terrain de football, deux courts de tennis, une salle de culture physique et des tribunes. L’élément le plus intéressant de ce chantier achevé en 1933 est peut-être la salle de culture physique, avec une ossature en fer et une façade ornée de trois reliefs représentant des athlètes en action (réalisés par A. de Coninck, d’Anzin-Saint-Aubin). 20. DRAC Nord-Pas-de-Calais, Anne Lefebvre, dossier de protection au titre des monuments historiques, février 1997. 21. Bulletin municipal de Bruay-en-Artois, avril 1935, p. 12. 22. Ch. Toursel, op. cit., p. 319 et suiv. 23. Archives courantes des services techniques de la ville de Bruay-la-Buissière. 24. Bruno Dumons, Gilles Pollet, Muriel Berjat, Naissance du sport moderne, op. cit. 25. Réveil du Nord, 2 août 1936. 26. Archives courantes des services techniques de la ville de Bruay-la-Buissière. 27. L’Architecte, L’Architecture d’aujourd’hui et La Construction moderne. L’Architecture d’aujourd’hui consacre dans ses numéros 9 (septembre 1935, p. 61-67) et 10 (octobre 1935) plusieurs articles dédiés aux piscines, la seconde livraison étant même dévolue presque exclusivement à ce genre d’équipement (les exemples de Bordeaux, Trouville, Villefranche-sur-Saône, Boran (plage) et Meaux-Trielport (plage), Wiesbaden et Paris (28 avenue d’Orléans, Croix-Catelan) sont abordés). 28. L’Architecte, janvier 1934, p. 8, planches 3-4. 29. Édifice à trois niveaux dominant le bassin extérieur, domination des horizontales, ailes basses en retour. 30. Paul François Hanote, né à Sin-le-Noble (Nord) le 30 juin 1873, décédé à Bruay-en-Artois le 9 février 1953, étudia à l’école des beaux-arts de Douai et obtint sa patente en 1897. Il fut lauréat d’un concours d’architecture et de charpente, reçut une médaille d’argent à l’exposition de Douai et fut expert près des tribunaux pour l’évaluation des dommages de guerre. Il était installé à Bruay-en-Artois en 1920 et participa aux chantiers de Bruay, Labuissière (salle des fêtes en 1936, hôtel de ville en 1938), Houdain (monument aux morts en 1921, école en 1923), Divion (monument aux morts en 1922). Il fut membre du conseil municipal de Bruay en 1941. Registres de Bruay-la-Buissière ; archives départementales du Pas-de-Calais, 10 R 1/4016 (cote provisoire) ; Ch. Toursel, op. cit., p. 184 et suiv. 31. René Hanote, son fils, naquit à Douai le 5 août 1897. Il fit ses études à Douai et travailla avec son père. Il fut reçu architecte en 1923 par le département du Pas-de-Calais, les communes de Bruay-en-Artois, Divion et Labuissière et l’office public des HBM de Bruay. Il devint en 1935 conseiller municipal de . Nath Imbert (dir.), Dictionnaire des contemporains, Paris, éd. Lajeunesse, 1938. – Le dossier aux Archives municipales de Rouen ne mentionne rien après 1939.

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RÉSUMÉS

Pendant l’entre-deux-guerres, beaucoup de municipalités se mirent à rivaliser avec les organismes privés au sujet de l’urbanisme, considéré désormais comme un outil au service de l’amélioration du cadre de vie des habitants. Dans ce contexte, l’architecture sportive tient une place particulière, en particulier à l’époque où l’on tente de remettre le sport à l’honneur. L’exemple de la commune de Bruay-en-Artois (aujourd’hui Bruay-Labuissière dans le Pas-de- Calais) et de la construction de sa piscine en plein air vers 1935-1936 illustre les débats électoralistes qui s’élevèrent à ce moment, en particulier sur le climat de lutte politique entre les socialistes (ici Henri Cadot, député et sénateur) et la puissante compagnie des mines de Bruay, pour s’assurer de la mainmise sur les habitants. En outre, la piscine est l’une des premières en France à s’intégrer au sein d’un ensemble sportif cohérent (parc, stade), dénotant ainsi le souci des concepteurs de lier sport et santé publique. Enfin, sur ce chantier, l’architecte Paul Hanote (1879-1953) se montre comme un tenant de l’Art déco (goût pour les horizontales, la symétrie, les lignes droites) et applique les principes fonctionnalistes énoncés dans les revues spécialisées autour de l’utilisation de matériaux modernes et simples mais privilégiant le monumentalisme.

This article means to describe how, in the town of Bruay-en-Artois (Pas-de-Calais), during the interwar years, the local authority began to consider urban planning as a way to enlighten people’s life, and how sport architecture and sport practice held a place in this evolution. On the one hand, through the description of this construction period (1935-1936), at a time when sport turned to be a matter for debate and a way to win people over, one can have an idea of the rivalries between local socialists, such as mayor and deputy Henri Cadot, and powerful coal companies, for running local policies. On the other hand, this building, nestled in a stadium and a huge garden, is one of the first in France to take into account both public health and physical education, and symbolizes the growing concern about public health. Eventually, since this swimming pool displays many Art Déco shapes (taste for horizontals, symmetry, straight lines), one can relevantly underline that the architect, Paul Hanote (1879-1953), got involved in an intellectual movement discussing on the functionalist architecture and the use of modern and simple materials, which can nonetheless conveyed monumentality and dignity.

In der Zwischenkriegszeit entwickelt sich eine urbane Politik, die auf die Verbesserung des Lebensrahmens der Stadtbewohner ausgerichtet ist. Besonders in dieser Zeit der allgemeinen Begeisterung für Sport erweist sich der Bau von Sportanlagen als eine ganz bedeutsame Aufgabe der Stadtverwaltungen im Wettbewerb mit privaten Trägern. Das Beispiel des Freibads von Bruay in den Jahren 1935-1936 führt alle politischen Interessen vor Augen. Aufgrund des damaligen Wahlkampfes gibt der Bau Anlass zu dauernden Auseinandersetzungen zwischen den sozialistischen Behörden und der mächtigen Compagnie des Mines de Bruay ( Bergwerkgesellschaft), die beiderseits die Zustimmung der Einwohner erringen wollen. Das Schwimmbad von Bruay, das zu den ersten Experimenten dieser Art in Frankreich zählt, wird als eine Erholungsanlage mit Park und Stadium gebaut, wo sowohl Sport als auch öffentliche Gesundheit gefördert werden sollen. Der Architekt Paul Hanote (1879-1953) entschließt sich für Symmetrie, waagerechte und gerade Linien je nach dem Art Déco Stil. Er übernimmt andererseits die in den Fachzeitschriften geäußerten Prinzipien des Funktionalismus : zwar moderne einfache Materialien verwenden, aber monumentale Formen bevorzugen.

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INDEX

Index chronologique : XXe siècle, époque contemporaine Mots-clés : piscine, Art déco, socialisme Keywords : swimming pool, Art Deco, socialism Schlüsselwörter : Schwimmbad, Art déco, Sozialismus

AUTEUR

MARC VERDURE Marc Verdure, archiviste paléographe, est l’auteur d’une thèse d’École des chartes, Recherches sur le monastère byzantin Saint-Jean-Prodrome à Serrès, XIIe–XVe siècle (inédite). Également conservateur du patrimoine, il travaille aujourd’hui au conseil général du Pas-de-Calais (mission patrimoine, musées, mémoire).

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De la « fresque primitive » au mur « où tout est ornement » : les contributions d’André Lhôte à une théorie de l’art mural (1920-1940) From ‘primitive frescoes’ to a mural aesthetic where ‘ornament is everything’ : André Lhote’s contributions to a theory of mural art Von primitiven Fresken zur Auffassung der Wand als Ornament : der Beitrag André Lhôtes zu einer Therorie der Wandmalerei

Jean-Roch Bouillier

1 La vitalité de la peinture murale dans la France du début du XXe siècle est si sensible dans la pratique de nombreux artistes et dans les écrits contemporains sur l'art qu'on peut discerner, à cette époque, l'émergence d'une véritable théorie de l'art mural1.

2 André Lhote (1885-1962), figure marquante du mouvement cubiste et des tendances du « rappel à l'ordre », à la fois peintre, auteur et pédagogue, prend part à ce mouvement de théorisation, qui tend à définir un cadre autour de pratiques cherchant souvent à mêler référence à la tradition artistique et renouvellement moderne.

3 Lhote pratique la peinture murale, tout d'abord, en tant que peintre, dans des chantiers privés2 puis, comme pour beaucoup de ses contemporains, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1937, dans deux grandes compositions, intitulées La houille — les fours à coke et Le gaz, effectuées pour la salle de la chimie organique, au Palais de la découverte. L'année suivante, il réalise une nouvelle peinture murale, sur le thème de l'agriculture industrielle, pour l'École des arts et métiers de Paris3. Il y revient après la deuxième guerre mondiale, en 1955, pour une grande composition sur la Gloire de Bordeaux, à la faculté de médecine de cette ville4.

4 Mais c'est surtout en tant que théoricien qu'André Lhote démontre sa foi dans la valeur de l'art mural, qu'il exprime sa combativité en faveur de sa pratique et qu'il fait preuve d'une grande fidélité à ce thème, au fil des centaines d'articles qu'il publie, entre 1919

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et 1940. La régularité de son recours à cette notion, la mise en place d'un vocabulaire spécifique et la place réservée à la question du mur, dans son élaboration d'une théorie de l'art, autorisent à parler, dans le cadre de l'étude de ses écrits, de « théorie de l'art mural »5.

5 Cette théorie apparaît de différentes manières : tout d'abord, à travers ses commentaires sur les œuvres d'art héritées du passé ou celles de ses contemporains ; à travers ses leçons de pédagogue et ses conseils pour la pratique de la peinture et enfin, à travers ses commentaires sur l'architecture de son temps.

La fresque primitive

6 André Lhote exprime une conception mythique de la « fresque primitive », comme en témoigne une lettre sur ce sujet, adressée à son ami Jacques Rivière (1886-1925), dès 1909 :

7 Pour expliquer l'idée fort simple que je me fais du tableau, il faudrait recourir à un procédé lyrique dans le genre de Développement de l'Église [de Paul Claudel]. Il faudrait partir de cette histoire de la fille du potier qui traça sur le mur le contour de l'ombre du visage de son fiancé — le modèle parti, on imagina de signifier l'opacité absente par un sommaire et précis remplissage. Quant à la paroi de la demeure succède le mur du temple, il s'agit toujours de décorer la nudité stable et crue. L'habitation est pleine de calme et de rectitude. L'artiste habille le mur de contours plats et tranquilles, adéquats à la sévérité des lignes architecturales. Mais de nos jours, voici qu'aux murs grimpent les meubles dont le déplacement incessant en abolit la totale et harmonieuse figure. Leur surface ne peut supporter d'empreinte durable. Alors, imaginativement, on en découpe des parcelles que l'on orne et que l'on réapplique pour un instant : le tableau qu'encadrent des baguettes, au lieu des boiseries le mur6.

8 Dans ce passage, Lhote dit tout de sa conception du mur et du tableau. Il n'est pas surprenant de trouver dans ses articles de critique d'art, à partir de 1919, des références régulières à la « fresque primitive » en tant que source originelle de l'art, dont il ne faut oublier ni l'essence ni les enseignements. En 1920, il reprend, à propos de Paul Cézanne (1839-1906), l'idée selon laquelle le tableau de chevalet est le succédané moderne du mur :

9 Cézanne, après avoir utilisé uniquement les richesses dangereuses de l'arsenal romantique […] dut y renoncer pour redevenir en quelque sorte son propre primitif. Comprenant tout à coup les exigences du mur dont la toile est le symbole, il retrouva [...] le langage plastique dans sa limpidité originelle7.

10 Le fait que Lhote invoque ici Cézanne, comme dans presque chacun de ses textes, mais que parallèlement, il ne fasse allusion à Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) dans aucun de ses écrits montre que sa conception de l'art mural est plus théorique que véritablement centrée sur les seules peintures murales. La capacité d'un artiste à « retrouver le mur » devient alors, pour Lhote, un critère parmi d'autres pour juger la qualité de son œuvre, quel qu'en soit le support :

11 Gauguin, au moins, se posa les problèmes suivants, à résoudre par des moyens qu'il croyait strictement plastique : 1. retrouver le mur [...] 2. ramener en larges nappes l’intensité colorée dispersée en touches brisées par l'impressionnisme8.

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12 Ce regard critique vaut aussi pour les œuvres contemporaines et, en tout premier lieu, pour les peintures cubistes. En 1924, devant définir les caractéristiques de ces dernières, il insiste sur leur capacité à épouser la surface de la toile ou le plan du mur et à s'opposer ainsi à l'idée du tableau conçu, depuis Leon Battista Alberti (1406-1472), comme une fenêtre illusoire. Ce souci de l'aplat rapproche, selon lui, les cubistes de l’art des primitifs9. Quatre ans plus tard, Lhote parle, à propos de son propre travail de peintre, de la nécessité de remonter aux sources et de s'inspirer des disciplines techniques les plus éprouvées : celles des Primitifs, amenant à utiliser des teintes plates, localisées, appliquées par couches successives, selon la technique du peintre en bâtiment. Le mur, d'où sortit la fresque originelle et dont le tableau n'est qu'une réduction est toujours suggéré, d'après lui, dans l'œuvre du Primitif, sans qu'il n'y ait jamais d'échelonnement en profondeur. La Renaissance et l'impressionnisme ayant bouleversé cela, il convient, à travers des habitudes nouvelles, de retrouver la maîtrise ancienne10.

13 À la fin des années 1930, plusieurs articles montrent que Lhote conserve, près de trente ans après sa lettre à Jacques Rivière, citée ci-dessus, sa vision mythique de l'art mural. Rendant compte de l'exposition des Chefs-d'œuvre de l'art français, organisée au Petit- Palais, en 1937, il clame son admiration devant les enluminures, les tableaux, les fresques, les tapisseries et les vitraux médiévaux : « C'est que derrière la tapisserie et le tableau est le mur. [...] tout est ornement car l'ornement est ce qui parle le mieux, le plus directement aux sens et à l'esprit11. »

14 Il parle ensuite du « passage de l'ornement pur à l'ornement incarné », à travers les œuvres de Jean Fouquet (c. 1425-1480), de Nicolas Froment (c. 1435-1483) et du Maître de Moulins (seconde moitié du XVe siècle). Mais « avec le XVIIe siècle s'ouvre l'ère du fruit défendu », c'est-à-dire celle de la lumière qui fait saillir les plans, au lieu de les niveler, et de l'objet qui penche « dangereusement en dehors de la toile »12. Quant au XVIIIe siècle, c'est une « monstrueuse époque où tout le monde, même les portraitistes, peignait dans le vide »13. Heureusement, l'art de Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) est celui du « rétablissement sur le plan, à la façon des Primitifs, de gestes qui tendent à se déployer en profondeur »14. Lhote renchérit un an plus tard dans le même sens :

15 Bien entendu, c'est à ses débuts que la tapisserie produisit ses chefs d'œuvre les plus purs. Ypodame ravie par les Centaures, pièce sortie des ateliers de Tournai au XVe siècle, constitue un spécimen parfait de cet art, qui est soumis aux lois tyranniques de l'à-plat mural, de la superposition des motifs, de la réduction des gammes colorées, et du dessin ornemental, c'est-à-dire synthétique et géométrisé. [...] Dans les tapisseries du XVIIe siècle, au contraire, nous sommes entraînés dans un tourbillon général15.

16 La conception d'un « art mural », chez Lhote, n'est donc pas restreinte aux seules peintures murales et à tout ce qui pourrait s'y apparenter. Elle est beaucoup plus large et trouve sa naissance dans son observation de l'histoire de l'art. Les textes cités permettent à la fois de souligner la permanence de ce concept, chez l'artiste-auteur, des années 1900 aux années 1930, sa forte dimension mythique et son importance pour juger les œuvres. Celles des XVIIe et XVIIIe siècles ne méritent ainsi, selon lui, que peu d'attention, en raison de leur éloignement de la technique « primitive ».

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Peinture murale et tableau de chevalet

17 Si André Lhote considère que le tableau de chevalet est l'héritier légitime du mur, il ne pense pas que tout tableau doit receler une anamnèse de ce dernier. Il met en balance, dès 1924, des artistes spécialisés dans la peinture murale et d'autres qui se consacrent aux tableaux de chevalet :

18 Qui a raison, en définitive ; est-ce cet homme [Sert] [...] qui couvre autant de surface en quelques mois que Rubens en cinq années — ou bien sont-ce ces jeunes peintres [...] ? Celui-ci se collète avec les sujets les plus nombreux et les plus dangereux ; ceux-là, à la suite de Braque et de Picasso, réduisent insensiblement la peinture à une spéculation purement technique sur des sujets de plus en plus minuscules16.

19 Au fil des années, le mot « technique » prend sous la plume de Lhote un sens plus précis. Chaque artiste doit, selon lui, adopter un langage différent et une technique spécifique en fonction du support choisi : la peinture murale ou le tableau de chevalet ou encore le croquis sur le motif… Il sous-entend ainsi que la peinture murale ou le tableau de chevalet doivent donner lieu à des approches différentes. Ce souci de cohérence entre un support, un outil et une certaine approche esthétique permet au critique de juger, dans les années 1930, l'adéquation entre la technique choisie et ce qui est exprimé :

20 On pouvait constater devant leurs œuvres [Friesz, Dufy, Segonzac], que les meilleures aquarelles sont celles qui se différencient le plus de la peinture à l'huile. [...] On s'étonne de voir des peintres obtus, insensibles aux nécessités de leur technique. [...] Peindre à l'aquarelle le même objet qu'à l'huile est une monstruosité17.

21 Chassériau, « conscient d'être soumis à des modes d'expression opposés, les assume avec courage et en légitime l'emploi par la destination même des surfaces peintes. Lorsque le goût des arrangements calmes le hante, c'est à la décoration du mur qu'il l'applique ; ce sont alors les belles fresques apaisées de la cour des Comptes, ou même de grands tableaux comme Les Troyennes, qui sont des tableaux-fresques, en mal d'architecture. Lorsque au contraire la passion du mouvement le prend, c'est au tableau de chevalet qu'il la confie : celui-ci, qui ne s'accroche au mur que provisoirement, que l'on peut placer sur un chevalet ou tenir dans les mains comme un organisme palpitant, se plie à toutes les fantaisies. [...] Chassériau adopte des conceptions picturales différentes selon qu'il s'adresse au mur ou au tableau18. »

22 Chassériau représente aux yeux de Lhote l'artiste le plus apte à adapter son vocabulaire. Cet exemple lui permet d'opposer des langages spécifiques : l'un convenant à la décoration du mur, considéré comme statique ; l'autre aux tableaux de chevalet, supposés dynamiques. Toujours au milieu des années 1930, André Lhote en arrive ainsi à une deuxième opposition, découlant de cette première : « Est-il possible d'atteindre l'humain à travers le décoratif ? […] Le dilemme Décoration-Expression existe depuis l'invention même de la peinture occidentale, depuis les enluminures et les fresques19. »

23 L'opposition mur-tableau se transforme donc en un « dilemme Décoration- Expression », Lhote nommant enfin clairement les approches esthétiques spécifiques qu'il appelle de ses vœux depuis deux décennies. Au passage, il donne une légitimité à son idée par une pirouette généalogique, faisant remonter le décoratif-mural et l'expressif-tableau à l'époque médiévale.

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Leçons pour la pratique de la peinture

24 Comme souvent chez André Lhote, les idées développées dans le cadre de ses articles de critique d'art se transforment en idées générales et en théories, pour être utilisées, dans un second temps, comme préceptes à transmettre. Le recours à la notion d'art mural vient ainsi justifier la nécessité, définie par l'artiste-auteur, dès 1914, de tenir compte de la bidimensionalité de la surface pour asseoir la composition, y compris dans les tableaux de chevalet : « Une seule loi profonde, de tous temps, régit mes tentatives : la nécessité, pour l’œuvre accrochée au mur, de soutenir un rapport avec l’architecture intérieure, que cette architecture soit déterminée par la construction même de l'édifice ou par les lignes des meubles qui le garnissent20. »

25 Près de dix ans plus tard, Lhote décortique encore, à des fins d'explication, les « moyens nouveaux » utilisés par les cubistes : « Ce sont : 1° La composition murale, par répartition du haut en bas de la toile, des éléments plastiques, sans trou, ni perspective trompe l'œil. [...] 2° La répartition rythmique des ornements géométriques, la répétition de l'angle droit et la franchise des tons locaux21. »

26 Et il explique à nouveau, plusieurs années après, la méthode à adopter pour atteindre tout à la fois, en peinture, une dimension décorative et une dimension murale : Le caractère décoratif, qui convertit le tableau de chevalet en un vêtement du mur, provient d'une opération quasi magique qui consiste à faire chavirer sur la surface de la toile le spectacle (vu ou imaginé) de façon que les parties les plus éloignées de l'œil remontent et viennent s'installer au sommet de la composition, sous un ciel devenu aussi solide que le premier plan.

27 Le deuxième précepte mis en avant par André Lhote, en lien avec la notion d'art mural, porte sur la nécessité de tenir compte de la bidimensionalité du support dans l'utilisation de la couleur. Il débouche sur la notion de « teinte plate ». La « teinte plate exigée par le mur »22 correspond tout d'abord, chez lui, à une utilisation de la couleur qui renonce à la représentation réaliste et qui épouse, là encore, la planéité de la surface. « Les modernes un peu honnêtes et conscients, délaissant l'art perdu des glacis, ont adopté l'antique, le primitif métier de la teinte plate23. » La teinte plate correspond aussi à une approche décorative de la couleur, vis-à-vis de laquelle André Lhote n'est pas toujours bienveillant, mais à laquelle il reconnaît, dans certains cas, une valeur : « Leur technique est celle de la teinte plate, remplissant des formes qu'une ligne continue délimite entièrement. [...] Cette ligne continue, ces teintes plates, ces ornements complices ressortissent à la décoration24. »

28 Les leçons tirées par Lhote de ses considérations sur l'art mural, qu'elles touchent au respect de la bidimensionalité ou à l'utilisation de la couleur, aboutissent ainsi à une définition de l'art décoratif et aux liens que ce dernier doit entretenir avec l'architecture.

Liens de l'art mural avec l'architecture contemporaine

29 Si André Lhote défend la dimension décorative de l'art mural, c'est d'abord pour mieux la condamner, s'il la perçoit dans des tableaux de chevalet. Le caractère ornemental ou décoratif d'une toile est, en effet, un des critères auquel il recourt régulièrement pour

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juger une œuvre. Comme il importe avant tout, pour Lhote, de prendre en compte le support de celle-ci, la surface murale autorise, selon lui, une approche décorative alors que le tableau de chevalet ne le permet pas : « La hâte et le calcul poussent trop d'artistes à confondre le tableau, surface où se ramassent et se concentrent le plus d'éléments possible, avec le panneau décoratif, superficiellement recouvert d'ornements empruntés au réel25. »

30 Le « panneau décoratif » trouve en revanche, pour Lhote, toute sa légitimité dans le contexte architectural. L'artiste-auteur interpelle vivement, dans ses écrits, pouvoirs publics et architectes pour que la construction moderne laisse une place à la décoration. Parlant de « l'architecture inhumaine des façades et des meubles nus »26, il critique l'absence de peinture ou de sculpture dans les bâtiments contemporains : Si l'on excepte l'admirable théâtre de Perret et l'ambassade de Mallet-Stevens, aucune nécessité profonde ne semble motiver les proportions de la plupart des bâtiments qui se parent, selon un nouveau poncif, de mensongère nudité27. Pour ma part je me réserve de défendre un jour l'idée suivante : la grandeur d'une architecture se vérifie à son ornementation28.

31 Ces prises de position expliquent le conflit qui l'oppose, au milieu des années 1930, à Le Corbusier (1887-1965). André Lhote écrit, le 25 septembre 1934, une lettre de félicitations à Jacques Guenne pour son article critique sur l'Union des artistes modernes (UAM), publié dans l'Art vivant, qui ne laisse aucun doute sur ses sentiments à l'égard de l'architecte : « Il faut oser dire enfin combien nous, artistes et rêveurs, et amis justement de cette fantaisie dont vous faîtes si bien de parler, sommes fatigués de cette architecture fonctionnelle, hygiénique et parpaillotte que prône avec un manque de réserve étonnant cet enfant gâté de l'Helvétie qui a nom Le Corbuzier [sic]29. »

32 Le 7 février 1935, Lhote réagit à un article de Le Corbusier, que l'auteur vient de lui envoyer, destiné à la revue Prélude30 :

33 Mon cher Le Corbuzier [sic], [...] Naturellement, je ne me comprends pas dans le nombre des « froussards, des indigents d'esprit, des faibles de vitalité, qui s'emploient avec un acharnement néfaste à détruire ce qu'il y a de plus beau dans ce pays et dans cette époque » : l'architecture de Le Corbuzier. Non, pas plus que vous n'aurez à vous comprendre parmi ces « énergumènes qui veulent nous forcer à renifler l'époque à travers les fumées d'un moteur à explosion et qui se croient seuls détenteurs de lucidité et d'enthousiasme »31.

34 Lhote poursuit sa lettre par une série de questions visant à savoir s'il accepte que la maison d'habitation se différencie extérieurement de l'usine, s'il ne se sent pas coupable de l'oubli dans lequel on tient la peinture et la sculpture (un amateur pour qui Le Corbusier a bâti une immense maison ayant dû mettre ses œuvres dans des placards), ou encore si l'on pourrait égayer les façades des « machines à habiter »32 par des éditions de sculptures de Zadkine ou de Laurens.

35 Le fait que Lhote condamne la nudité des bâtiments, qu'il loue les constructions d'Auguste Perret (1874-1944), de Robert Mallet-Stevens (1886-1945) et, à l'opposé, qu'il parle du Petit-Palais comme du « temple de l'imbécillité architecturale »33 permet de voir en Lhote l'amateur d'une architecture située entre les deux, celle précisément de l'art déco. C'est ainsi qu'il apparaît comme un des défenseurs de l'art mural et de l'ornement, dans l'entre-deux-guerres, période où ces notions se trouvent au centre des débats artistiques.

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Au pied du mur

36 Les débats sur l'art mural donnent lieu, en 1935, à la création d'un salon de l'art mural, dont Amédée Ozenfant est président du comité technique et André Lhote, avec de nombreux autres artistes, membre du comité d'honneur34. Par ailleurs, Lhote rend compte d'une des expositions de ce Salon, en 1938. Il rappelle qu'il a été créé par Saint- Maur et Schœdelin. Toutes les tendances artistiques y sont représentées, mais le cubisme et le surréalisme sont selon lui dominants. Il mentionne les envois importants de Matisse et de Picasso. Robert et Sonia Delaunay, Gleizes, Villon, Herbin, Power, Dyl sont fidèles à l'art abstrait. Saint-Maur, Schœdelin, Lurçat, Vérité, Survage, Kuss font des efforts « pour ré-humaniser la peinture décorative ». Léger, Freundlich, Valensi, Caroline Hill tendent vers un art décoratif pur. Enfin quelques jeunes peintres sont « séduits par l'art roman, le seul qui, à l'époque du béton armé, puisse inspirer l'art décoratif moderne35 ».

37 Un objectif militant n'est pas étranger à l'existence de ce Salon36. Créé deux ans avant l'Exposition de 1937, il permet à des artistes de mettre en avant leurs aptitudes à la peinture monumentale à un moment où les commandes publiques doivent se développer. La perspective de ce nouveau marché aiguise d'ailleurs le sens des revendications :

38 On entend des jeunes peintres enflammés par une idéologie sociale appeler de leurs vœux la fin du capitalisme, l'instauration d'un régime étatiste où ils seraient, chacun selon ses forces, chargés d'accomplir des œuvres décoratives, monumentales ou de moindre envergure pour l'État, patron et mécène équitable, généreux, mais ménager de ses munificences37.

39 Toute grande époque s'est chantée sur ses murs [...] Les arts muraux n'ont jamais prospéré que dans les époques où le sens collectif existait [...] L'égoïsme individualiste est déjà en régression. Les arts d'usage collectif pourront renaître quand d'un statut collectif nouveau émanera un esprit nouveau38.

40 Il reste cependant à observer que la cause de l'art mural, celle du retour au métier et de la réhabilitation de valeurs artistiques ancestrales est susceptible de faire l'objet d'un large consensus, illustré par les propos officiels tenus, dès 1934, avant l'arrivée du Front populaire au pouvoir, au sujet des peintures murales de l'Exposition internationale de 1937. Celles-ci devront « montrer que le souci d'art dans le détail de l'existence journalière peut procurer à chacun, quelle que soit sa condition sociale, une vie plus douce, qu'aucune incompatibilité n'existe entre le beau et l'utile » 39.

41 Il n'est pas anodin, dans ce contexte, qu'André Lhote prenne le soin, au fil de ses articles, de distinguer et de définir ce que doivent être, selon lui, le tableau de chevalet et l'art mural. Sa position sur ces questions reste toutefois prudente et modérée. Il veille justement à ne pas les politiser et à les aborder d'un point de vue technique, qui trouve toujours sa justification dans l'histoire. Contrairement à certains de ses confrères, associant revendications sociales et appels à la peinture murale, Lhote s'en tient à une analyse froide des paramètres picturaux. Alors que la référence au métier traditionnel, à l'art mural et a fortiori à la fresque – en tant que technique exigeante, sous-tendant une implication physique et morale totale de l'artiste – peut avoir une connotation idéologique très forte, Lhote en retire surtout pour sa part un pur concept

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plastique : le mur, dont il postule, sans chercher à en faire la démonstration, qu'il est le support légitime de l'œuvre d'art et, d'autre part, une injonction, tout aussi peu démontrée : l'impératif de respecter cette bidimensionalité et de ne pas se laisser aller à la perspective. Ces deux données lui servent à étayer à bon compte ses propres théories et à exploiter la garantie de sérieux que confère l'aura de la peinture murale :

42 La verticalité sur l'horizontalité, correspond aux éléments architecturaux de la pièce. Les écarts entre les surfaces principales ont été calculés avec le fameux nombre d'or. Le panneau carré, impliquant le cercle, m'a incité à choisir la courbe comme rythme dominant. [...] Le peintre de chevalet peut être un joyeux drille au maintien débraillé ; le fresquiste (même s'il peint sur toile) doit, tout passionné qu'il soit, composer avec la raison40.

43 Par ailleurs, alors que certains auteurs cherchent, à travers cette question de l'art mural, à donner une dimension collective à la création artistique, confiant à l'architecte un rôle de coordonnateur et à l'artiste un rôle d'exécutant – modèle à rapprocher de l'idéal mythique du chantier médiéval41, Lhote se pose au contraire, en tant qu'artiste-auteur, en rival de l'architecte, condamnant les constructions modernes nues et réclamant la réhabilitation du grand décor d'architecture, non pour y être inféodé mais pour que le peintre y apparaisse en bonne place42.

44 La notion d'art mural occupe une place importante dans les écrits d'André Lhote entre 1920 et 1940, période la plus riche de sa carrière d'auteur, même s'il n'a pas conçu une théorie de l'art mural à part entière comme il a élaboré, en 1939, un Traité du paysage ou, en 1950, un Traité de la figure. En effet, non seulement il met lui-même en avant cette notion mais, en outre, en tant que critique d'art, il rend compte d'une actualité où l'art mural tient une place également importante.

45 Après 1940, André Lhote continue à aborder cette question, d'abord dans des articles épars comme « Saint-Savin "Sixtine" française », en 1944, à l'occasion de l'édition d'un album sur les peintures murales de Saint-Savin-sur-Gartempe43. Il y vante le dessin dynamique des six ouvriers de la Tour de Babel, qui n'est pas disproportionné mais qui serait diminué par la perspective et le clair-obscur. Il loue les vides entre les personnages, qui sont aussi expressifs que les pleins. Il ne s'agit pas, pour Lhote, de revenir aveuglément aux procédés des XIe et XII e siècles, « mais de s'y référer avec passion pour retrouver le sens perdu du rythme constructif et celui, légèrement compromis par les abstracteurs de quintessence, de l'expression, transposée, de la vie » 44. De même, en 1949, il parle encore des tentatives de Gauguin pour « faire rentrer dans l'à-plat mural » les rondeurs de l'impressionnisme. Il indique deux manières de lutter contre le trou que constitue le ciel dans le tableau : dessiner un horizon haut ou diffuser de la clarté dans le reste de la composition45.

46 Mais c'est surtout dans un de ses derniers ouvrages que Lhote revient longuement sur la question de la peinture murale. Après sa découverte, de 1950 à 1952 des peintures des temples en Égypte, il publie, en 1954, Les Chefs-d’œuvre de la peinture égyptienne46. Il y décrit les peintures pharaoniques et leurs liens avec la peinture moderne. Il les oppose aux peintures murales des cavernes qui, pour lui, sont inutilisables, parce que nullement ordonnées47. Il essaie au contraire de montrer que le chevauchement des plans, le faux bois, l’importance émotive des objets, la conjugaison de la face et du profil, du plan et de l’élévation se retrouvent à la fois dans la peinture égyptienne et dans le cubisme. Pour Lhote, la peinture moderne tend donc, elle aussi, vers l’à-plat mural, en raison de son goût pour « l’absolu décoratif ». Ce dernier conduit, certes, à

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l'art abstrait. Lhote le reconnaît en même temps qu'il le déplore. En ce milieu des années 1950, la scène artistique a beaucoup évolué depuis ses premières phrases sur le mur et le tableau. Mais sa vision de l'art mural, elle, n'a pas changé.

NOTES

1. Ce texte correspond à une communication pour le colloque La Peinture murale au début du XXe siècle en France : 1920-1940, Saint-Savin-sur-Gartempe, Centre international d'art mural, 19-21 mars 2003, dont je remercie ici les organisateurs. Je remercie également MM. Dominique Jarrassé, Jean-Michel Leniaud, Laurent Ferri et Emmanuel Luis pour leurs conseils. 2. Dans une lettre à Jacques-Émile Blanche, du 28 décembre 1934, André Lhote écrit que sa lecture du livre de Jacques-Émile Blanche, Mémoires de Joseph Perdillon a été interrompue « à cause d'une peinture murale (oui par ces temps!) qu'un architecte de province m'a commandée ». Bibliothèque de l'Institut de France, lettres d'André Lhote à M. et Mme Jacques-Émile Blanche, cote Ms 7048, feuillet 102. 3. Voir Philippe Dufieux, « Lhote et le décor monumental », dans le catalogue d'exposition André Lhote (1885-1962), Paris, Réunion des musées nationaux, Valence, musée des beaux-arts, 15 juin - 28 septembre 2003, p. 80-93. 4. Voir Françoise Garcia, « Lhote : la gloire de Bordeaux », dans le catalogue d'exposition André Lhote (1885-1962), 2003, op. cit., p. 94-99. 5. . Voir Jean-Roch Bouiller, Définir et juger l'art moderne. Les écrits d'André Lhote (1885-1962), thèse sous la direction de Mme Françoise Levaillant, directrice de recherche au CNRS, université Paris I Panthéon - Sorbonne, 2004. 6. Lettre d'André Lhote à Jacques Rivière, du [1]3 février 1909, publiée dans La Peinture, le cœur et l’esprit, correspondance inédite (1907-1924), texte établi par Alain Rivière, Jean-Georges Morgenthaler et Françoise Garcia, Bordeaux, William Blake and co. et musée des Beaux-Arts, 1986, premier volume, p. 105. 7. André Lhote, « Le quatrième centenaire de Raphaël », NRF, n° 81, 1er juin 1920, p. 928. 8. André Lhote, « Exposition Gauguin (Galerie Dru) ; Matisse (Bernheim jeune) ; Marie Laurencin (Paul Rosenberg) », NRF, n° 117, 1er juin 1923, p. 968. 9. André Lhote, Réponse à l’enquête « Chez les cubistes » (IV), Bulletin de la vie artistique, n° 24 (5e année), 15 décembre 1924, p. 552-554. 10. André Lhote, « André Lhote », L’Art d’aujourd’hui, 1928, p. 13-14. 11. André Lhote, « Première promenade à l’exposition », NRF, n° 288, 1er septembre 1937, p. 493. 12. Ibid., p. 493-495. 13. Ibid., p. 497. 14. Ibid., p. 498. 15. André Lhote, « La tapisserie, du XVe au XVIIe siècle », NRF, n° 297, 1er juin 1938, p. 1039-1040.

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16. André Lhote, « Visite à J.M. Sert — Expositions J. E. Blanche, Bonnard, Picasso, Kisling, Lurçat, O. Des Garets, Yves Alix », NRF, n° 128, 1er mai 1924, p. 645. 17. André Lhote, « Menkès - Aquarelles 1830-1930 (chez G. Bernheim) », NRF, n° 204, 1er septembre 1930, p. 431. 18. André Lhote, « De 1900 au baroquisme. Chassériau et l’inquiétude moderne », NRF, n° 238, 1er juillet 1933, p. 127. 19. André Lhote, « Gauguin et ses amis (Galerie des beaux-arts) », NRF, n° 248, 1er mai 1934, p. 876. 20. André Lhote, Réponse à une interview : « L'art de M. André Lhote », Revista nuova, 6 juin 1914, p. 8. 21. André Lhote, « Le 34è salon des Indépendants », NRF, n° 115, 1er avril 1923, p. 715. 22. André Lhote, « Art mural », NRF, n° 299, 1er août 1938, p. 341. 23. André Lhote, « L’art italien et les artistes français », NRF, n° 262, 1er juillet 1935, p. 118. 24. André Lhote, « Les créateurs du cubisme (Galerie des beaux-arts) », NRF, n° 260, 1er mai 1935, p. 788. 25. André Lhote, « Exposition Dunoyer de Segonzac », NRF, n° 178, 1er juillet 1928, p. 142. 26. André Lhote, « De 1900 au baroquisme. Chassériau et l’inquiétude moderne », NRF, n° 238, 1er juillet 1933, p. 124. 27. André Lhote, « L’exposition des arts décoratifs », NRF, n° 142, 1er juillet 1925, p. 124. 28. André Lhote, « Livres d’art », NRF, n° 191, 1er août 1929, p. 289. 29. Documentation du MNAM-CCI, fonds André Lhote, chemise Lho C29, cote 5490, lettre d'André Lhote à Jacques Guenne, du 25 septembre 1934. 30. Cette revue, qui paraît de 1933 à 1935, est la troisième que publie Le Corbusier, après L’Esprit nouveau (1920-1925) et Plans (1931-1932). Voir Darlene Brady, Le Corbusier. An Annotated Bibliography, New York et Londres, Garland, 1985, p. 55. 31. Documentation du MNAM-CCI, fonds André Lhote, chemise Lho C29, cote 5490, lettre d'André Lhote à Le Corbusier, du 7 février 1935. 32. Expression de Le Corbusier lancée dans L'Esprit nouveau, en 1921, à travers la formule « La maison est une machine à habiter », à laquelle André Lhote semble implicitement répondre, en 1933, par celle d'« engins à émouvoir », pour désigner les œuvres d'art. Voir André Lhote, La peinture, le cœur et l’esprit, Paris, Denoël et Steele, 1933, préface et Yvonne Brunhammer, « Les années 1920-1930 : entre deux guerres mondiales, entre deux expositions internationales », catalogue d’exposition Les réalismes 1919-1939. Entre révolution et réaction, Paris, Centre Georges Pompidou, 17 décembre 1980 – 20 avril 1981, p. 346 33. André Lhote, « Première promenade à l’exposition », NRF, n° 288, 1er septembre 1937, p. 492. 34. Voir Laurence Bertrand Dorléac, Histoire de l’art à Paris 1940-1944. Ordre national. Traditions et modernités, Paris, Publications de la Sorbonne / Seuil, 1986, p. 209, note 1. 35. André Lhote, « Art mural », NRF, n° 299, 1er août 1938, p. 340-342. 36. Il resterait à comprendre les liens entre l'émergence de cette question dans le débat public français et l'existence, à l'échelle internationale, de pratiques d'art mural empreintes d'une dimension politique. Les relations d'étroite amitié entretenues par André Lhote avec Diego Rivera, à la fin des années 1910, à Paris, pourraient laisser supposer que Lhote est, pour le moins, au courant des expériences réalisées dans ce

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registre sur la scène artistique mexicaine. Mais rien n'est moins sûr, dans l'état actuel des recherches. 37. Jacques-Émile Blanche, « La profession du peintre », Encyclopédie française, tome XVII, décembre 1935, p. 72-78, cité par Blandine Chavanne et Christianne Guttinger, « La peinture décorative », dans Bertrand Lemoine (sous la direction de), catalogue d'exposition Paris 1937. Cinquantenaire de l'Exposition internationale des arts et des techniques de la vie moderne, Paris, Institut français d'architecture / Paris-Musées, 1987, p. 369. 38. Amédée Ozenfant, « Divorce de l'architecture et de la peinture », Encyclopédie française, tome XVI, octobre 1935, p. 70-76, cité par Blandine Chavanne et Christianne Guttinger, op. cit., p. 369. 39. Ibid., p. 364. 40. Documentation du MNAM-CCI, Fonds André Lhote, chemise Lho C29, cote 5490, lettre du 13 février 1935 à M. Charensol. 41. Voir la communication de Dominique Jarrassé au colloque cité en note 1. 42. Voir par exemple André Lhote, « L’exposition des arts décoratifs », NRF, n° 142, 1er juillet 1925, p. 124 ; « Livres d’art », NRF, n° 191, 1er août 1929, p. 289 ; « De 1900 au baroquisme. Chassériau et l’inquiétude moderne », NRF, n° 238, 1er juillet 1933, p. 124. 43. Probablement celui de Georges Gaillard même si Lhote ne mentionne pas le nom de l'auteur. Je remercie Georg Germann pour cette précision. 44. André Lhote, « Saint-Savin "Sixtine" française », Les Lettres françaises n° 33, 9 décembre 1944, p. 3. 45. André Lhote, « À propos de la rétrospective Paul Gauguin », Arts, 7 octobre 1949, p. 1 et p. 5. 46. André Lhote, Les Chefs-d’œuvre de la peinture égyptienne, Paris, Hachette, collection « Arts du monde », 1954. Photographies de Hassia. Préface de Jacques Vandier, conservateur en chef du département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Sur cet ouvrage, voir Philippe Dufieux, op. cit., p. 83-84. 47. Il restera à comprendre comment Lhote, à cet instant, prend le contre-pied d'auteurs comme Georges Bataille ou André Malraux ou d'artistes comme Tal Coat ou Raoul Ubac.

RÉSUMÉS

André Lhote (1885-1962) pratique à plusieurs reprises la peinture murale en tant que peintre mais c'est surtout en tant qu'auteur qu'il définit et défend les vertus de l'art mural et en tant que professeur qu'il encourage ses élèves à y avoir recours. Sa « théorie de l'art mural » apparaît dans ses commentaires sur des œuvres historiques ou contemporaines, dans ses leçons et conseils concrets et dans ses commentaires sur l'architecture de son temps. Il en ressort qu'il voit une forme de continuité entre des formes artistiques primitives et le cubisme. Il défend l'idée d'un « art décoratif », dévoué au mur sur lequel il s'inscrit et s'oppose à l'idée d'architecture nue.

André Lhote (1885-1962) practiced murals many times as a painter but it is especially as an author that he would define and defend the qualities of mural art and as a professor that he

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would encourage his students to practice it. His “theory of mural art” appeared in his comments on historical or contemporary works of art, in his lessons and concrete advices and his comments on contemporary architecture. This reveals that he saw some form of continuity between primitive artistic shapes and cubism. He would defend the idea of a “decorative art”, meant to be integrated on the walls and was opposed to the idea of a bare architecture.

André Lhôte (1885-1962) beschäftigt sich zum wiederholten Male mit Wandmalerei, erstens in seiner eigenen Arbeit als Maler, dann in seinen theoretischen Schriften, in denen er den künstlerischen Wert der Wandmalerei verficht, schließlich in seinem Unterricht, in dem er seine Schüler immer wieder dazu anregt, sich diese Kunst anzueignen. Seine Theorie der Wandmalerei findet in seinen Erläuterungen über ehemalige wie zeitgenössische Kunstwerke Ausdruck sowie in seinen Betrachtungen über die Architektur seiner Zeit. So unterstreicht er eine gewisse unterbrochene Entwicklung von den primitiven Kunstformen bis zum Kubismus. Er vertritt die Idee einer dekorativen Kunst, ganz der Wand gewidmet, ebenso sehr, wie er sich gegen Architektur ohne Schmuck wehrt.

INDEX

Index chronologique : époque contemporaine, XXe siècle Mots-clés : piscine, peinture murale Keywords : swimming pool, wall painting Schlüsselwörter : Wandmalerei, Schwimmbad

AUTEUR

JEAN-ROCH BOUILLIER Jean-Roch Bouiller est né en 1973. Après des études universitaires d'ethnologie et d'histoire de l'art, à Lyon et à Francfort-sur-le-Main, il a rédigé une thèse de doctorat sous la direction de Françoise Levaillant intitulée « Définir et juger l'art moderne. Les écrits d'André Lhote (1885-1962) », soutenue en juin 2004 à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. Lauréat du concours de l'École nationale du patrimoine en 1997, il est depuis juillet 2000 conservateur des monuments historiques à la direction régionale des affaires culturelles de Provence-Alpes-Côte d'Azur. Il est par ailleurs chargé de cours à la faculté d'histoire de l'art de l'université de Provence, membre correspondant du centre André Chastel (UMR 8150, DAPA-CNRS-université Paris IV), et membre du comité français d'histoire de l'art (CFHA). Il a publié plusieurs articles sur André Lhote, sur l'art contemporain ou sur le patrimoine. Il a co-organisé en mars 2006 avec Dario Gamboni et Françoise Levaillant des journées d'études sur les bibliothèques d'artistes aux XXe et XXIe siècles (actes à paraître).

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