Les Cahiers d’Outre-Mer Revue de géographie de Bordeaux

262 | Avril-Juin 2013 Dynamiques rurales

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/com/6816 DOI : 10.4000/com.6816 ISSN : 1961-8603

Éditeur Presses universitaires de Bordeaux

Édition imprimée Date de publication : 1 avril 2013 ISBN : 978-2-86781-852-3 ISSN : 0373-5834

Référence électronique Les Cahiers d’Outre-Mer, 262 | Avril-Juin 2013, « Dynamiques rurales » [En ligne], mis en ligne le 01 avril 2016, consulté le 04 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/com/6816 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/com.6816

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Le dossier thématique « Dynamiques rurales » est composé de trois articles qui, pris dans leur ensemble, ont pour objectif de montrer la diversité des dynamiques en cours dans les pays du Sud, et les difficultés méthodologiques que cette complexité suscite. L’un concerne Madagascar, le deuxième le Maroc, le dernier le Pérou. Les ruralités des Suds sont en effet plus que jamais en mouvement, comme l’ont bien montré les ouvrages Dynamiques rurales dans les pays du Sud publié en 2013 à la suite des Journées de Géographie Tropicale de Toulouse, et Une nouvelle ruralité émergente, à propos de l’Afrique, dont un compte rendu figure dans ce numéro.

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SOMMAIRE

Dynamiques rurales : introduction François Bart

La culture d’orge de brasserie en contre-saison (Région Amoron’i Mania, Hautes Terres Centrales de Madagascar) James S. Ravalison

L’exploitation du bois-énergie dans les arganeraies : entre soutenabilité et dégradation (région des Haha, Haut-Atlas Occidental, Maroc) Hassan Faouzi

Caractérisation et diagnostic de familles paysannes andines au sein de leurs communautés, selon une méthode typologique (haute vallée du Cañete, province de Yauyos, Pérou) José Carlos Barrio de Pedro

Au Laos, la nouvelle aventure minière pourra-t-elle se dérouler sans conflits ? Éric Mottet

Les retombées du « Mécanisme pour un Développement Propre » pour les pays en développement : une faible réception de technologie et un développement durable vague Moïse Tsayem Demaze

Notes de lecture

Losch B., Magrin G. et Imbernon J., dir., 2013 - Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le Programme Rural Futures du NEPAD Montpellier : Cirad, 46 p. François Bart

Leclerc Christian, 2012 - L’adoption de l’agriculture chez les Pygmées baka du Cameroun, Dynamique sociale et continuité structurale Paris/Versailles : MSH/Quæ, 244 p. François Bart

Monnier Y., 2013 - De l’hégémonie du Nord au triomphe des Suds Paris : L’Harmattan, coll. « Les Tropiques entre mythe et réalité », 171 p. François Bart

Abalot Émile-Jules, Carlos Jérôme, préf. et Dansou Pierre H., préf., 2009 - Les Écureuils du Bénin et les sabliers d’Afrique Cotonou (Bénin) : CAAREC Éditions, Collection Études, 131 p., biblio., lexique et index des sigles Jean-Paul Callède

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Dynamiques rurales : introduction

François Bart

1 Le dossier thématique « Dynamiques rurales » est composé de trois articles qui, pris dans leur ensemble, ont pour objectif de montrer la diversité des dynamiques en cours dans les pays du Sud, et les difficultés méthodologiques que cette complexité suscite. L’un concerne Madagascar, le deuxième le Maroc, le dernier le Pérou. Les ruralités des Suds sont en effet plus que jamais en mouvement, comme l’ont bien montré les ouvrages Dynamiques rurales dans les pays du Sud1 publié en 2013 à la suite des Journées de Géographie Tropicale de Toulouse, et Une nouvelle ruralité émergente 2, à propos de l’Afrique, dont un compte rendu figure dans ce numéro.

2 L’exemple du développement de la culture de l’orge de brasserie dans quelques bassins intramontagnards des Hautes Terres de Madagascar, décrit par James Ravalison, est révélateur des capacités d’adaptation au marché, en l’occurrence ici à l’échelle nationale, pour la production de la bière, d’une société paysanne plus connue pour la riziculture. L’orge y est devenu une production de contre-saison, dont l’essor a été appuyé par une entreprise industrielle privée soucieuse de limiter ses importations pour son activité. Dans quelques terroirs, l’orge s’est ainsi fait une place à côté du blé et de la pomme de terre, contribuant à améliorer l’ordinaire d’un certain nombre de communautés, proches de la route asphaltée, qui permet l’expédition de la production vers les brasseries. 3 Dans un milieu et un contexte bien différents, l’étude de l’arganeraie menée par Hassan Faouzi dans la Confédération des Haha, dans le sud-ouest du Maroc, met en avant les enjeux environnementaux de l’exploitation du bois ainsi que leur imbrication avec la question des ressources des populations rurales concernées et donc avec des problèmes de développement. Cette question est étroitement liée au poids croissant de la pauvreté rurale, qui a été aggravé par des épisodes de sécheresse. L’exploitation du bois de l’arganeraie obéit ainsi à des logiques de survie, plus qu’à des objectifs de développement. 4 Quant à l’article de José Barrio de Pedro, il a un double intérêt : celui de présenter la complexité des communautés paysannes d’une région des Andes péruviennes, la haute vallée du Cañete, celui aussi de proposer une réflexion méthodologique pointue susceptible de mettre clairement en valeur la mosaïque de ces populations qui, en

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fonction des diverses facettes de la montagne, montrent une extrême diversité de combinaisons d’activités agricoles et pastorales. 5 En dehors de cette thématique sont joints un article sur l’exploitation et la politique minières du Laos par E. Mottet ; un autre aborde une problématique plus générale et mondiale : « Les retombées du “Mécanisme pour un Développement Propre” pour les pays en développement » (M. Tsayem-Demaze). 6 En lien avec le dossier thématique, outre le compte rendu de l’ouvrage « Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le Programme Rural Futures du NEPAD », un autre compte rendu complète cette palette et pose un problème spécifique classique, celui de la sédentarisation des populations « traditionnellement » mobiles. Il s’agit de l’exemple des Pygmées Baka, au Cameroun, dont Christian Leclerc montre bien que, tout en développant des activités agricoles, ils conservent et même inventent des mobilités très diverses. 7 Deux autres comptes rendus complètent l’ensemble. L’essai de Y. Monnier, « De l’hégémonie du Nord au triomphe des Suds », livre son diagnostic et ses inquiétudes sur « le coût environnemental » (quatrième de couverture) d’une pression démographique dont il estime qu’elle « devrait se stabiliser autour de 10 milliards d’habitants vers 2100 ». Quant à l’ouvrage d’Éric Abalot, publié en Afrique, il évoque l’importance du sport, du football en particulier, dans les sociétés africaines.

NOTES

1. Charlery de La Masselière B., Thibaud B. et Duvat V., dir., 2013 - Dynamiques rurales dans les pays du Sud, l’enjeu territorial. Toulouse : Presses Universitaires du Mirail, coll. « Ruralités nord-sud », 410 p. 2. Losch B., Magrin G. et Imbernon J., dir., 2013 - Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le Programme Rural Futures du NEPAD. Montpellier : Cirad, 46 p.

AUTEUR

FRANÇOIS BART

Professeur émérite, Laboratoire « Les Afriques dans le Monde (LAM) »

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La culture d’orge de brasserie en contre-saison (Région Amoron’i Mania, Hautes Terres Centrales de Madagascar) Favourable conditions to dry season cultivation of malting barley in Amoron’i Mania Region, Central Highlands of Madagascar

James S. Ravalison

1 À partir de 1997, les Hautes Terres centrales de Madagascar et plus particulièrement la région d’Amoron’i Mania, dans le pays Betsileo nord, ont adopté l’orge comme culture de contre-saison. D’une part, il s’agit d’une nouvelle pratique agricole très rémunératrice avec adéquation de l’offre et de la demande en tenant compte des potentialités naturelles de la région. D’autre part, la vulgarisation de la culture, l’encadrement technique des paysans et l’achat de la production sont assurés par la Société privée Malto. L’orge de brasserie est une plante des régions tempérées mais les conditions naturelles locales ont permis aux paysans de pratiquer cette culture dans une zone typiquement tropicale d’altitude avec deux saisons bien distinctes : une saison pluvieuse et chaude de novembre à avril et une saison sèche et fraîche de mai à octobre. Une culture pratiquée pendant la période sèche et fraîche est qualifiée de contre- saison : c’est justement le cas de l’orge de brasserie. La plupart des cultures saisonnières, à commencer par le riz, sont cultivées en saison de pluies. Deux autres cultures sont aussi pratiquées en saison sèche : celles du blé et de la pomme de terre.

2 Dans notre zone d’étude, les conditions climatiques et plus particulièrement pluviométriques ne sont pas perçues comme une contrainte agricole, même si la quantité de pluie recueillie n’arrive pas à satisfaire les besoins de l’orge. D’une part, les paysans sont fortement motivés par les valeurs marchandes de la production et sont prêts à affronter toutes les difficultés qui se présentent, d’autre part, l’encadrement technique offert par la Société privée Malto constitue une assurance pendant la période culturale.

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3 Si la fluctuation des données pluviométriques reste le principal problème, les solutions adoptées pour y remédier sont l’irrigation et le drainage. La culture de l’orge de brasserie est une occasion d’améliorer le niveau de vie pour les paysans dans notre zone d’étude où les conditions écologiques sont très favorables. 4 L’adoption de cette innovation va marquer le cadre économique des échanges. En outre, la présence de la route nationale (RN) 7 facilite l’évacuation de tous les produits agricoles destinés au marché : la zone d’étude commence à figurer dans un contexte d’économie de marché.

Caractéristiques de la zone d’étude

5 Les bassins d’Ambohimanjaka, d’Ilaka centre et d’Ambositra, situés dans le pays Betsileo nord (fig. 1), possèdent des conditions écologiques très favorables à l’agriculture.

6 L’alvéole d’Ambohimanjaka se trouve à 40 km au sud de la ville d’Antsirabe, à 20°13’ Sud et 47°5’ Est, et a une superficie de 350 ha. Celui d’Ilaka centre se trouve à 50 km au sud d’Antsirabe, à 20°18’ Sud et 47°8’ Est (superficie : 400 ha). L’alvéole d’Ambositra se trouve à 90 km au sud d’Antsirabe, à 20°32’ Sud et 47°22’ Est (superficie : 700 ha). 7 Le champ d’activité de la société privée Malto s’étend à travers l’ensemble du pays Betsileo nord (fig. 2), mais nous avons choisi les trois alvéoles car ils sont desservis par la RN 7. Celle-ci facilite l’écoulement de la production, ce qui favorise la motivation des paysans à pratiquer la culture de l’orge. 8 À eux seuls, ces trois alvéoles fournissent environ la moitié de la production d’orge de brasserie du pays Betsileo nord, même si les surfaces de cette culture restent encore peu importantes, de l’ordre de 5 % des terres cultivables, soit environ 10 % pour les deux premiers et 1 à 2 % pour le troisième. Le reste de la production régionale provient de parcelles dispersées, sur des terroirs de bas-fonds du pays Betsileo nord. 9 Les trois bassins ont des conditions pédologiques bien adaptées à la culture de l’orge à savoir des sols profonds à structure grumeleuse perméable et fraîche, des sols riches en limons et en matière minérale, une zone inondable constituée par des sols argilo- limoneux et un glacis de raccordement avec les versants périphériques constitués de sols riches en limons et sable, bien adaptés à la culture de l’orge.

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Figure 1 – Localisation des alvéoles dans le pays Betsileo nord

10 Enfin, ces trois alvéoles sont fortement drainés par des cours d’eau, permettant de mettre en place des réseaux d’irrigation pour pallier les déficits pluviométriques en contre-saison : la rivière Manandona arrose Ambohimanjaka, celles de Saharevo et Ampampana alimentent Ilaka centre et celle d’Isaha irrigue l’alvéole d’Ambositra.

Méthode et démarche

11 L’indice agro-climatique de l’ETP (Évapo-Transpiration Potentielle), calculé au moyen de la formule de Penman constitue la meilleure méthode pour étudier les échanges énergétiques entre un couvert végétal et l’atmosphère. Mais la validité de l’ETP climatique doit tenir compte d’un laps de temps très long et d’une étude comparative entre plusieurs stations d’observation. De ce fait, plusieurs problèmes sont à signaler : • notre zone d’étude ne dispose pas de stations synoptiques météorologiques d’observation. Les stations d’Ilaka centre et d’Ambositra ne relèvent que les données pluviométriques. Elles ne disposent pas d’appareil adéquat pour mesurer les différents éléments intervenant dans le calcul de l’ETP Penman comme la durée d’insolation, la vitesse du vent et la tension de la vapeur d’eau. Par conséquent, nous sommes obligés d’utiliser tout simplement les données pluviométriques correspondantes à la période végétative de l’orge ; • étant donné que la culture de l’orge a été introduite dans la zone d’étude très récemment, vers la fin des années 1980, la première véritable production a eu lieu en 1997. Par conséquent, seules les données pluviométriques de 1997 à 2004 seront utilisées. La méthode est fondée sur un raisonnement physique simple en confrontant des valeurs brutes de précipitations et des valeurs de rendement de l’orge. Cette période concerne donc la période sèche et fraîche de mai à octobre ;

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• la période sèche et fraîche de mai à octobre n’est pas totalement dépourvue d’humidité. C’est pourquoi, pour avoir un ordre de grandeur dans la répartition des pluies, nous utilisons le CPM (Coefficient Pluviométrique Mensuel) de Ravet et Péguy (1958) :

12 Un coefficient mensuel égal à 1 signifie que la pluie pendant le mois considéré est égale à celle correspondant à une répartition uniforme de la pluviosité annuelle ; un coefficient mensuel égal à 2 signifie que la pluie pendant le mois considéré est le double de celle correspondant à une répartition uniforme de la pluie annuelle

Des alvéoles couloir et cuvette dans le bassin-versant de la Mania

13 Les trois alvéoles font partie du bassin-versant de la Mania. Cette rivière prend sa source à la limite de la forêt humide du versant oriental de Madagascar, traverse les Hautes Terres centrales pour rejoindre le fleuve Tsiribihina du versant occidental. L’ensemble du bassin-versant occupe une superficie de 7 000 km2, est marqué par le caractère très disséqué des reliefs avec plusieurs unités topographiques très complexes et variées où se succèdent montagnes, plateaux, collines, vallées, et alvéoles (fig. 2). Les trois alvéoles sont localisés au niveau de l’axe central des Hautes Terres Centrales, dans un couloir dépressionnaire et alignés selon une orientation nord-nord-ouest/sud-sud- est : du nord au sud se trouvent successivement, et sur 50 km, l’alvéole d’Ambohimanjaka, l’alvéole d’Ilaka centre, tous deux situés au pied de l’escarpement de faille Manandona, et enfin l’alvéole d’Ambositra.

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Figure 2 – Les principales unités topographiques du pays Betsileo nord

14 Deux domaines climatiques font l’originalité de Madagascar. D’une part, le domaine soumis au vent de l’alizé (versant oriental) où il pleut pendant toute l’année, et d’autre part, le domaine sous-le-vent (les Hautes Terres Centrales, le versant occidental et le sud) présentant deux saisons bien distinctes (saison pluvieuse et saison sèche). Ainsi, selon les valeurs de CPM de Ravet et de Péguy (1958) notre zone d’étude avec la station pluviométrique d’Ambositra présente deux saisons bien distinctes : • une saison pluvieuse de novembre à mars dont les CPM sont supérieurs à 1 ; • une saison sèche d’avril à octobre dont les CPM sont inférieurs à 1.

Tableau 1 - Pluies et CPM entre 1997 et 2004, station d’Ambositra

(Source : Service Météorologie Antananarivo)

15 Pendant la saison pluvieuse de novembre à mars la station enregistre 1 038 mm de pluies soit 81 % du total annuel, contre 275 mm soit 18 % du total annuel pour la saison sèche d’avril à octobre.

16 Qu’en est-il des mécanismes pluviogènes ?

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Plusieurs facteurs interviennent pour que la pluie se déclenche : l’humidité de la masse d’air et l’instabilité de l’air. Pendant la saison pluvieuse de novembre à mars, plusieurs mécanismes interviennent pour apporter des précipitations : • l’anticyclone de l’océan Indien qui se trouve au Sud-Est de Madagascar pendant toute l’année apporte l’alizé chargé d’humidité et le moindre contact avec le relief crée une ascendance forcée responsable des pluies orographiques ; • une autre masse d’air venue du Nord-Ouest de Madagascar véhicule la mousson, un vent très humide : quand le mécanisme d’ascendance provoqué par le relief est amorcé, elle donne de fortes précipitations ; • le contact de la mousson avec l’alizé crée un mouvement convectif responsable de pluies très persistantes ; • le réchauffement de la terre, surtout pendant l’après-midi, crée une convection par l’ascendance thermique de l’air qui, par la suite, est responsable des fortes précipitations de fin d’après-midi ; • enfin, les perturbations cycloniques sont aussi la cause de fortes précipitations. La plupart des cyclones tropicaux qui touchent Madagascar viennent de l’Océan Indien et une fois dans la région ils sont affaiblis par le relief du versant oriental de Madagascar. Cependant ils apportent des fortes précipitations, au moins 10 % des précipitations recueillies pendant la saison pluvieuse.

17 Pendant la saison sèche d’avril à octobre, tous les mécanismes pluviogènes cités précédemment sont absents. Les quelques pluies enregistrées proviennent du débordement de la couche d’air humide de la côte orientale sur les Hautes Terres Centrales dû à la présence en permanence de l’Anticyclone de l’océan Indien dans le Sud-Est de Madagascar. Les alvéoles d’Ambohimanjaka, d’Ilaka centre sont abrités par l’escarpement de la Manandona, dont la dénivellation est supérieure à 300 m. Le sommet de l’escarpement avec le plateau de Soanindrariny à 1 900 m d’altitude constitue un écran au flux de l’alizé d’Est et provoque des effets de foëhn locaux qui affaiblissent la quantité des précipitations recueillies. L’alvéole d’Ambositra par contre est protégé par le plateau d’Imady. Ce dernier se trouve à 1 420 m d’altitude et provoque aussi des effets de foëhn locaux responsables de la faible quantité de pluies recueillies. En somme, l’ascendance de l’air une fois déclenchée, quelle que soit son origine (orographique, dynamique, cinématique ou thermique) constitue la principale cause des précipitations.

Une orge à cycle végétatif relativement court

18 L’orge de brasserie appartient à la famille des Triticales ; sa durée de cycle végétatif varie de 120 à 170 jours. Plusieurs phases marquent son cycle végétatif : la levée de tallage, la montaison, la floraison et la maturation des grains. • La levée de tallage dure entre 3 à 5 semaines au cours desquelles le jeune plant acquiert 5 à 6 racines et quelques feuilles. La température favorable pour cette phase s’étale entre 5 °C et 38 °C. • La montaison s’étend sur 5 semaines et est marquée par l’apparition de la dernière feuille et le renflement de la tige. La température optimum doit être supérieure à 6 °C et inférieure à 38 °C.

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• La floraison a lieu quand le grain de pollen et l’ovule apparaissent et sont prêts pour la fécondation. La fin de cette phase est caractérisée par l’écartement des glumelles et la sortie des anthères. Il faut environ 16 °C pour que le processus de floraison soit effectif. • La maturation est marquée par le grossissement de chaque fleur et au bout de 3 à 4 semaines, le grain a acquis sa forme et sa taille définitives. La maturation se manifeste par l’inclinaison des épis sous le poids de la graine. Le plant requiert une température moyenne de 20 °C pour la maturation.

19 Les besoins en eau de l’orge sont de 500 mm pendant le cycle végétatif. L’eau est indispensable à l’orge aux stades de sa germination et de sa levée de tallage. Pendant les phases de floraison et de maturation, la demande en eau devient de moins en moins importante et l’orge est peu sensible au déficit d’humidité.

20 Les variétés cultivées dans notre zone d’étude sont issues de la recherche faite par la société Malto elle-même. Il s’agit des variétés 469, BK, et 831, qui sont très résistantes aux conditions écologiques des Hautes Terres centrales de Madagascar.

Une contre-saison adaptée à la culture de l’orge de brasserie

21 Ici la véritable contre-saison commence à partir du mois de mai, pour prendre fin au mois d’octobre. Cette période correspond effectivement au cycle végétatif de l’orge.

22 Pendant cette période, la zone d’étude recueille 275 mm de pluie soit 18 % du total annuel (tabl. 1) la répartition des quantités d’eau recueillies est plus ou moins équilibrée. En fait, la quantité pluviométrique recueillie est de 275 mm, alors que le besoin au cours du cycle végétatif est de 500 mm, ce qui traduit un manque de 225 mm d’eau en moyenne. Pour pallier cette insuffisance, les paysans ont recours à l’irrigation, les trois alvéoles étant drainés par des cours d’eau, permettant de construire des infrastructures et des réseaux d’irrigation. 23 Étant donné que la riziculture est la principale activité dans les trois alvéoles pendant la saison des pluies, les cultivateurs d’orge ont pu bénéficier de la mise en place des infrastructures hydrauliques depuis l’Indépendance du pays (1960) jusqu’à nos jours. Le volet projet hydro-rizicole a pris une place fondamentale dans le cadre de l’ODR1 (Opération de Développement Rizicole : 1983-1989) et l’ODR2 (1990-1996) pour soutenir la riziculture. À partir de 2000, la gestion et l’entretien des canaux d’irrigation ont été confiés aux paysans. Ces derniers sont encouragés à former des associations ou groupements qui assurent effectivement la gestion des réseaux d’irrigation (AUE : Association des Usagers de l’Eau). Et bien entendu, les cultures de contre-saison ont pu bénéficier de la présence de ces infrastructures. Pour que la culture de l’orge de brasserie soit très productive, la société Malto assure aussi l’approvisionnement en semence et en intrants (engrais, insecticides, etc.) auprès des paysans. Par exemple, la norme préconisée par la société Malto est de 350 kg de NPK/ha et 100 kg de Dolomie/ha pour une semence de 150 kg/ha. 24 Le prix de ces produits est fixé au début de chaque campagne, et le paiement est fait au moment de la livraison de la récolte à la société Malto. La culture de contre-saison de l’orge apporte une certaine fertilisation du sol et la culture du riz va profiter de cet engraissement. Il en résulte que le rendement moyen rizicole est de 4 t/ha (Rakotoarivony, 2004). La double culture annuelle de l’orge et du

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riz est bien maîtrisée par les paysans. Après la culture de contre-saison le champ est travaillé afin de ne pas y trouver des pousses d’orge gênantes pendant la saison rizicole. La culture de l’orge débute au mois de mai par le labour, le semis se fait en juin, les sarclages en août et la récolte en octobre (photo 1).

Photo 1 : Culture d’orge de brasserie à Ilaka centre. Au premier plan culture d’orge, au fond versant périphérique

(Cliché : J. S. Ravalison, 2009)

25 L’orge a besoin d’eau au cours des deux premières phases de sa croissance, c’est-à-dire la levée de tallage et la montaison. Pour les deux dernières phases, la floraison et la maturation, les besoins deviennent de moins en moins importants. Par contre la maîtrise et la capitalisation de l’eau nécessitent son utilisation d’une manière rationnelle pour éviter les excédents ou les déficits. Des hydrauliciens (envoyés par la société Malto) rendent régulièrement visite aux paysans pour contrôler et doser la quantité d’eau dont la plante a besoin. Les canaux d’irrigation hérités de l’ODR1 et de l’ODR2 permettent d’assurer les besoins en eau. Ainsi la Société Malto assure l’encadrement technique des paysans.

26 La société Malto, sise à Antsirabe, travaille avec la brasserie STAR de cette ville. Elle a été créée par cette dernière en 1981 pour lancer et vulgariser la culture de l’orge de brasserie afin d’en produire du malt. Elle transforme l’orge brute en malt qui servira de matière première à la fabrication de la bière. La société Malto est une société anonyme dont le principal actionnaire est la STAR, en raison d’un apport de 75 % de son capital. La STAR est une société privée fabriquant des boissons et gère, jusqu’à présent, l’unique brasserie de Madagascar. Elle est le débouché final de toute l’orge de brasserie vendue par les agriculteurs. Une autre société s’apprête à ouvrir une deuxième brasserie. 27 Qu’en est-il de la production ? La société STAR a besoin en moyenne de 6 308 t de malt par an (2005), or la production nationale est estimée à 2 250 t, ce qui oblige la société à

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importer 4 058 t. Sur les 2 250 t de production d’orge locale, la société Malto a pu économiser 250 000 Ariary1 (96 €) de devises par tonne, soit 1 014 500 000 Ar (390 000 €) par an. Le pays Betsileo nord a fourni 620 t (tabl. 2) ; le reste, 1 630 t, a été produit par la région du Vakinankaratra, située au nord du pays Betsileo nord. Sur les 620 t, au moins 400 t sont produites par les trois alvéoles de notre zone d’étude et le reste est fourni par quelques parcelles éparpillées à travers le pays Betsileo nord.

Tableau 2 - La production d’orge dans le pays Betsileo nord

(Source : Rakotoarivony, 2005)

28 Le rendement/ha enregistre une hausse progressive depuis la mise en pratique de cette culture (tabl. 3).

Tableau 3 - Pluies de mai à octobre 1997-2004 et rendement de l’orge à Ilaka centre

(Sources : auteur, service météorologie Antananarivo, société Malto)

29 L’approvisionnement en eau de l’orge ayant été maîtrisé, cela explique la hausse progressive du rendement. Les déficits en eau pendant la saison sèche sont comblés par l’irrigation par canaux.

30 D’après le tableau 2, on constate une baisse de la superficie cultivée en orge de 1997 à 1998, passée de 62 à 34 ha. Le débit des rivières en saison sèche dépend de l’abondance ou non de la quantité des précipitations tombées durant la saison pluvieuse précédente. La saison pluvieuse 1996-1997 a été déficitaire avec des précipitations de 50 mm de mai à octobre et un faible écoulement des rivières. L’irrigation a été insuffisante d’où le faible rendement avec 2 t/ha. Aussi, découragés par cette situation, les paysans ont diminué la surface cultivée en orge en 1998.

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31 L’intervention de la société Malto auprès des paysans se fait dans le cadre d’une association ou d’un regroupement de ménages mais non pas à titre individuel. La mise en place d’une telle organisation est obligatoire, pour que la distribution de la semence et des intrants soit confiée à chaque association. Par conséquent, les membres sont solidairement responsables du paiement de ces produits lors de la récolte. Une association est constituée de 5 à 12 ménages. Par exemple à Ambohimanjaka, il y a eu 6 associations, à Ilaka centre 12 et à Ambositra 3, soit approximativement 150 ménages pour les trois alvéoles, avec une taille moyenne de 7 familles chacune (pour les trois alvéoles). La surface moyenne cultivée par ménage peut varier d’une année à une autre, mais en général, elle est de 0,7 ha par ménage (2005). 32 La culture de contre-saison de l’orge est très bien adaptée aux conditions climatiques des bassins d’Ambohimanjaka, d’Ilaka centre et d’Ambositra. Les parcelles des terroirs rizicoles de la zone inondable représentent des champs de culture par excellence de l’orge et occupent presque la moitié de la superficie de ces terroirs à Ilaka centre et à Ambohimanjaka. Par contre à Ambositra, la pratique de la culture de l’orge reste encore à un stade embryonnaire, avec une superficie approximativement inférieure à 5 ha ; l’insuffisance des infrastructures d’irrigation constitue un handicap majeur à cette activité. 33 L’orge collectée par la société Malto est traitée dans l’usine de malterie d’Antsirabe. Rappelons que la société Malto fournit la semence et les intrants nécessaires (insecticides, engrais, etc.). Les agents de la société viennent sur place pour acheter la récolte dont le prix unitaire par kilogramme accuse une fluctuation selon la conjoncture : par exemple, 240 Ar/kg en 1997 contre 370 Ar/kg en 2004. La société décide du prix en fonction de la variation du prix d’importation de l’orge de brasserie. À partir de cette situation, on peut avancer qu’il y a une certaine tendance à la hausse du prix de l’orge. Après chaque récolte, les paysans doivent acquitter les montants des fournitures de semence et d’intrants ; la somme restant aux paysans après les remboursements constitue le bénéfice. Ainsi en 2004, sur une superficie de 1 ha, les coûts des semences et des intrants s’élevaient à 1 029 700 Ar (396 €), le prix de vente de l’orge à 1 850 000 Ar (711 €), le bénéfice était donc de 820 300 Ar (315 €).

*

34 La pratique de la culture de l’orge de brasserie est très avantageuse pour les paysans. Le remboursement de toutes les dépenses relatives à l’orge se fait lors de la récolte. La collecte de la production se fait sur place sans qu’il y ait des dépenses de transport. La culture de contre-saison de l’orge de brasserie est aussi très bien adaptée aux conditions écologiques et climatiques des alvéoles d’Ambohimanjaka, d’Ilaka centre, et d’Ambositra dans la région d’Amoron’i Mania.

35 Bien sûr, l’assistance technique de la société Malto et la présence des infrastructures hydrauliques marquent cette activité surtout pour la gestion de l’eau pendant son cycle végétatif. Les contraintes climatiques sont maîtrisées, surtout l’approvisionnement en eau, et il en résulte que le rendement de la récolte a connu une hausse progressive de 1997 jusqu’à nos jours (de 3 t/ha jusqu’à 5 t/ha) même si certaines années accusent des déficits de précipitation. Pour les paysans, la culture de l’orge constitue une activité de contre-saison très rémunératrice et d’appoint permettant de bien préparer la prochaine saison culturale. Mais étant donné le volume du tonnage de la production

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actuelle, elle reste encore insuffisante pour le besoin de la société Malto même si elle constitue une opportunité pour les paysans d’améliorer leurs revenus. Le support écologique (sol, climat, etc.) étant favorable, une deuxième brasserie vient d’ouvrir ses portes à Madagascar. La marge d’extension est grande car l’orge n’entre pas en concurrence avec la culture du blé ni avec celle de la pomme de terre, cultures bien plus étendues en surface. En fait la culture de l’orge a pris le relais de celle du blé quand celle-ci a connu des difficultés vers la fin des années 1980, avec la fermeture de l’usine de minoterie Kobama d’Antsirabe. Les nombreux casiers rizicoles aux sols appropriés et proches d’un cours d’eau à écoulement pérenne pourraient être utilisés pour la culture d’orge de brasserie. Cependant, un éloignement des routes carrossables serait une forte contrainte car il rendrait difficile l’assistance technique et la commercialisation. 36 Une autre plante pourrait être introduite par la société Malto : le houblon, qui entre aussi dans la fabrication de la bière. Elle pourrait être adaptée au milieu, comme elle l’a été sur les plateaux d’Éthiopie, mais elle supposerait un encadrement technique poussé. Cela achèverait l’intégration nationale et géographique de la filière, fortement aidée par les conditions naturelles et techniques.

BIBLIOGRAPHIE

Petit M., 1999 - Présentation physique de la grande île de Madagascar. Antananarivo : éd FTM, 307 p.

Rakotoarivony A., 2005 - Les aspects géographiques des cultures de contre saison de l’orge et du blé dans la Betsileo nord. Antananarivo : Mémoire de maîtrise de Géographie, Université d’Antananarivo, 108 p.

Raunet M., 1981 - Potentialités écologiques de Madagascar pour la culture de l’orge de brasserie. Montpellier : IRAT, 66 p.

Ravalison J.-S., 2003 - Les alvéoles du bassin supérieur de la Mania : unités morphologiques et cadres de vie sur les Hautes Terres Centrales de Madagascar. Antananarivo : Thèse de doctorat, Université d’Antananarivo, 276 p.

NOTES

1. 1 € = 2600 Ariary (2004) ; Ar = Ariary.

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RÉSUMÉS

Les conditions topographiques, pédologiques et surtout pluviométriques sont très favorables à la culture de l’orge de brasserie dans les alvéoles d’Ambohimanjaka, d’Ilaka centre et d’Ambositra. La culture est pratiquée pendant la période de contre-saison de mai à septembre sur des parcelles ayant porté du riz en saison des pluies. C’est une période de faibles précipitations, c’est-à-dire 257 mm de pluies recueillies soit 18 % du total annuel. Le cycle végétatif de l’orge exige 500 mm de précipitations. Aussi, pour combler le besoin en eau de l’orge, on pratique l’irrigation, grâce à la présence d’infrastructures hydrauliques locales héritées des projets rizicoles ODR1 et ODR2. L’orge est une culture génératrice de revenus pour les paysans grâce à l’appui technique et aux achats de la société privée Malto. Actuellement, la production nationale d’orge de brasserie ne couvre qu’un tiers de la demande de cette société ; cette culture peut encore s’étendre.

The topographic conditions, the soil properties and especially the weather conditions are appropriate conditions for cultivation of malting barley in the basins of Ambohimanjaka, Ilaka centre and Ambositra. This activity occurs during the dry season from May to September, on fields producing rice during the rainy season. The mean of precipitation during this period is 257 mm, or 18 % of the annual rainfall. The vegetative cycle of the barley requires 500 mm of precipitations. Irrigation brings the needed balance through the minor hydraulic works inherited from ODR1 and ODR2 rice cultivation projects. The production of malting barley generates incomes for the population thanks to the technical assistance and purchases from Malto private brewery society. The present national output of malting barley reaches only one third of the society needs ; the crop may be extended.

INDEX

Keywords : Madagascar, Ambositra country, Northern Betsileo region, malting barley, dry season cultivation, rainfall, irrigation, commercial crop Mots-clés : Madagascar, région d’Ambositra, pays Betsileo nord, orge de brasserie, culture de contre-saison, précipitations, irrigation, culture commerciale

AUTEUR

JAMES S. RAVALISON

Maître de Conférences, Département de Géographie, Université d’Antananarivo, B.P 907 101 Antananarivo, Madagascar ; mél : [email protected]

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L’exploitation du bois-énergie dans les arganeraies : entre soutenabilité et dégradation (région des Haha, Haut-Atlas Occidental, Maroc) The exploitation of the wood energy in argan forests : between sustainability and degradation (the case of Haha, Western High Atlas, Morocco) La exploitación de la leña en la arganeria : entre sostenibilidad y degradación (caso de Haha, Alto Atlas Occidental, Marruecos)

Hassan Faouzi

1 Élevée au deuxième rang des problématiques environnementales les plus préoccupantes, après les changements climatiques, la déforestation est souvent un processus important dans les pays en développement (World Bank, 2003). L’une des principales causes est la croissance démographique qui a conduit l’ensemble des utilisations traditionnelles pour la satisfaction des besoins domestiques à des niveaux élevés avec, pour conséquence, une réduction rapide des ressources forestières. Au nombre de ces besoins, se trouve l’approvisionnement des familles en bois-énergie. En effet, le combustible ligneux est la source première d’énergie surtout pour les pauvres. Près de 80 % des populations dans les pays en voie de développement l’utilisent comme source d’énergie (Lawani, 2007).

2 Au Maroc, on estime à 6,35 millions de tonnes de bois de feu prélevé annuellement en forêt, entraînant la disparition de plus de 20 000 ha par an. La consommation est essentiellement rurale à 88 % pour des usages domestiques avec en premier lieu la cuisson des aliments et le chauffage des foyers dans les régions montagneuses les plus froides. 3 L’arganeraie1 marocaine (fig. 1) s’étend sur environ 870 000 ha (Benchekroun et Buttoud, 1989) et assure la subsistance de quelque 2 à 3 millions de personnes : elle constitue un exemple des écosystèmes forestiers marocains qui souffrent le plus du

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prélèvement du bois-énergie et du défrichement pratiqués par les populations riveraines pour satisfaire leurs besoins domestiques.

Figure 1 - Aire de l’arganier. L’arganeraie s’étend de part et d’autre de l’oued Souss (versant sud de la partie occidentale du Haut-Atlas, et versant nord de l’Anti-Atlas), de Safi jusqu’aux confins sahariens

(Source : H. Faouzi d’après M’hirit O., 1989)

4 La surexploitation de l’arganeraie n’est pas récente et est particulièrement liée à la production de bois-énergie issu de l’arganier. Ce dernier donne un bois et un charbon de bois d’excellente qualité, très apprécié dans tout le Maroc pour la cuisson des repas ; il a longtemps approvisionné la plupart des grandes villes. Pendant la Première Guerre mondiale, il a même été exporté jusqu’en France. Des surfaces considérables de la forêt ont été exploitées pour produire ce combustible recherché, ce qui a eu pour conséquence la disparition d’environ 200 000 ha d’arganeraie (Monnier, 1965). Face à cette exploitation minière des arganeraies qui menace de désertification toute la région, un dahir (décret royal) a été promulgué en 1925 pour protéger l’arganier et réglementer l’utilisation de la forêt. (Chaussod et al., 2005) 5 Ce dahir demeure aujourd’hui un des fondements de la législation concernant l’arganier. Il fait de l’arganeraie une forêt domaniale dans laquelle les populations locales ont des droits d’utilisation étendus. Mais l’exploitation de l’arganeraie obéit aussi à d’autres sources de Droit : la Loi coranique et le Droit coutumier. Malgré cet arsenal juridique, l’équilibre de l’écosystème arganeraie reste toujours très menacé (Chaussod et al., 2005).

6 Dans le Sud-Ouest marocain, la quasi-totalité des besoins en énergie combustible des ménages est couverte par la production forestière. Plus de 80 % de la population vivant dans la région arganière utilisent le bois-énergie dont la demande est de plus en plus

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importante du fait de facteurs comme la croissance démographique et la pauvreté (Faouzi, 2009). Cet article propose d’analyser la consommation du bois-énergie et son impact sur les arganeraies, cherche à faire émerger la question de l’approvisionnement durable en combustibles domestiques dans les arganeraies, et ceci à travers la confédération des Haha (Haut-Atlas occidental). 7 La confédération des Haha (fig. 2) est l’une des régions du Maroc qui a le plus souffert ces dernières décennies des crises. Les crises naturelles (sécheresse) et les crises économiques des années 1980 et 1990, sont autant de facteurs qui, conjuguées à une forte croissance démographique, ont renforcé la pauvreté dans cette région. Face à cette situation d’extrême pauvreté, les populations ont développé des stratégies de survie qui comportent entre autres l’exploitation du bois-énergie pour ravitailler les ménages. C’est ainsi, et malgré la fragilité de leur écosystème arganier, que les populations vont attaquer la couverture ligneuse dans le but de produire du bois de chauffe et de cuisson ainsi que du charbon de bois. Ce produit est la source d’énergie prédominante dans la région puisqu’il représente en moyenne 90 % de l’énergie totale consommée. Il est demandé par les familles qui ne peuvent pas, à cause de leurs faibles revenus, s’approvisionner en gaz domestique ni accéder à l’électricité.

Figure 2 – Région des Haha

(Source : H. Faouzi, 2003)

8 Avec à peu près 870 000 hectares de superficie boisée, l’arganeraie apparaît comme un véritable réservoir de biomasse ligneuse. Le bois d’arganier (photo 1) donne un charbon d’excellente qualité, et des surfaces considérables ont été exploitées pour produire ce combustible.

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Photo 1 – Un arganier

(Cliché H. Faouzi, janvier 2013)

9 Malgré l’ampleur de la problématique, très peu d’études ont été faites sur l’exploitation du bois de feu, sa consommation, ainsi que son impact sur la déforestation de l’arganeraie, et cela reste un domaine peu traité par les géographes quoique L’énergie a depuis longtemps été identifiée comme une clé fondamentale de lecture des territoires. (Mérenne-Schoumaker, 2007). 10 Les données relatives à la demande et à l’offre de bois-énergie sont largement incomplètes ou obsolètes. La consommation nationale de bois-énergie (bois de feu) a toujours fait l’objet d’estimations diverses. Seuls les volumes cédés et contrôlés par l’Administration sont maîtrisés. Il découle de ces données chiffrées que le secteur des ménages ruraux est le premier consommateur de bois-énergie, avec 6 à 10 millions de tonnes prélevées annuellement du patrimoine forestier, soit plus de 88 %. Vient en deuxième position le secteur urbain avec 1 273 801 t par an, soit 11,2 %. Le bois, y compris son dérivé le charbon de bois, représente 30 % de l’énergie totale consommée au Maroc. D’après l’ADEREE2, la demande nationale de bois-énergie dépasse 11 millions de tonnes par an et représente 30 % de la demande énergétique totale du Maroc. Presque 88 % de cette demande de bois-énergie vient du milieu rural où la pauvreté s’accroît.

11 La rareté, l’incohérence et l’imprécision des études et des données statistiques sur le sujet, ainsi que la réticence des acteurs lors de nos entrevues, ne nous ont pas permis de faire une étude plus fine. Celle-ci est menée à partir d’une enquête réalisée en 2003 auprès de 20 ménages de la région des Haha, complétée en 2012 par une deuxième enquête qui a concerné 30 ménages. Ces deux enquêtes de terrain, qui ont été menées dans six douars (villages) 3 de la région des Haha, nous ont permis de collecter des données concernant la consommation du bois, le nombre de personnes par famille, les revenus de la famille. Elles ont été complétées par des observations directes sur le terrain et par des entretiens avec les paysans, les charbonniers et les commerçants. La population sur laquelle a porté notre étude est constituée majoritairement de femmes :

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ce sont elles qui sont chargées avec leurs enfants de collecter le bois dans la forêt. L’analyse de différents documents montre que personne, à l’heure actuelle, n’est capable de fournir des données fiables concernant la problématique de bois-énergie et de ses conséquences environnementales, surtout que la majorité des prélèvements de bois échappent au contrôle de l’État.

La région des Haha est caractérisée par une forte pauvreté

12 La région des Haha est une région de vieille sédentarisation où vivent environ 190 218 habitants (Haut Commissariat du Plan, 2004). Elle correspond au terroir de la célèbre tribu du Haut-Atlas occidental, les Haha (fig. 3). Les caractéristiques socio-économiques et les conditions de vie y sont de plus en plus dures, phénomène qui s’est accentué avec les récentes années de sécheresse. C’est une région de basses montagnes très disséquées et peu favorables à l’installation humaine. L’aridité y constitue un facteur défavorable, surtout si l’on en croit les autochtones qui insistent sur une dégradation climatique notable depuis une soixantaine d’années. Cela est corroboré par les statistiques climatiques officielles (Faouzi, 2003). À cela s’ajoutent l’exiguïté et l’émiettement de la propriété foncière qui accentuent la déstructuration de l’activité agricole (tabl.1), ce qui fait de cette région l’une des plus pauvres du Maroc (tabl. 2). Si l’on prend une autre dimension spécifique de la pauvreté, en l’occurrence l’alimentation des populations, on remarque qu’elle est restée sensiblement la même depuis la fin du XVe siècle. En effet, Léon l’Africain (1515) la décrivait comme étant constituée principalement d’huile d’argan ou d’olive et de pain d’orge.

Tableau 1 – Structure foncière (en %) des communes rurales d’Imgrad et des Ida Ou Tghoumma

(Source : DPA, )

Tableau 2 – Quelques indicateurs socio-économiques des communes rurales d’Imgrad, d’Aït Aïssi et de

(Source : Haut Commissariat au Plan, 2004)

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13 Les effets conjugués des sécheresses fréquentes et quasiment cycliques et de la croissance démographique, ont exacerbé la pauvreté dans la société hihi.

Figure 3 – Tribus des Haha (Source : H. Faouzi, 2003)

14 Plus de 80 % de la population vivent en dessous du seuil national de pauvreté. Soucieuses de leur survie, la plupart ces familles pauvres adoptent des stratégies de survie parmi lesquelles l’exploitation du bois qui est nécessaire à la vie de la population (cuisson des aliments, chauffage, etc.). Malheureusement, son exploitation traditionnelle et anarchique est dommageable pour l’écosystème forestier de l’arganeraie. N’ayant pas d’autres alternatives énergétiques du fait de la pauvreté, les populations, pour qui la couverture forestière est synonyme de fort potentiel énergétique, sont contraintes de s’attaquer à cette ressource.

Le bois-énergie, un produit très demandé

15 La notion hybride de bois-énergie renvoie à toutes les applications du bois en tant que combustible. En plus de l’huile, l’arganier fournit un bois dur, résistant et lourd, combustible pour la cuisson et le chauffage. Avec les besoins accrus d’une population haha toujours en croissance, l’arganeraie a été sollicitée pour donner plus de bois : les ligneux sont perçus comme une ressource d’accès libre qui satisfait les besoins primaires : bois-énergie pour la cuisson des repas quotidiens et le chauffage et, dans les régions les plus enclavées, pour l’éclairage. Ceux qui n’ont pas les moyens d’acheter du bois de chauffage envoient leurs enfants ou se déplacent eux-mêmes dans les régions environnantes pour couper des branches d’arganier (photo 2) ou pour récupérer des brindilles, des feuilles ou toute matière combustible.

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Photo 2 – Arganier dont les branches ont été coupées pour les besoins domestiques en énergie

(Cliché H. Faouzi, janvier 2013)

Par suite des caractères climatiques de la région, le chauffage est nécessaire pendant l’hiver, surtout dans les grandes maisons. Si l’on ajoute à cela une croissance démographique forte, avec un taux annuel moyen évalué à 3,1 % pour la période 1982-2004, le bois devient un produit de grande nécessité dans la consommation énergétique domestique. Plus de 80 % de la population des Haha tirent leur énergie du bois provenant de l’arganeraie. Selon le Service des Eaux et Forêt d’Essaouira, la demande en bois-énergie est estimée à 250 000 t/an.

La consommation domestique de bois-énergie

16 À part le bois de feu annuellement mis en vente par l’administration des Eaux et Forêts, il n’existe pas de statistiques fiables concernant les prélèvements directs effectués par les populations rurales en forêt. Seules quelques estimations ont été formulées çà et là. Selon la direction des Eaux et Forêts d’Essaouira, la consommation de bois et de charbon de bois pour les besoins énergétiques dans la région des Haha est de 45 000 m3, les trois-quarts provenant de l’arganier et un cinquième du thuya. La plupart des ménages collectent directement le combustible mais une minorité l’achète à des revendeurs de la région.

17 Chez les Haha, la quasi-totalité du bois-énergie provient des arganeraies et des formations forestières. Le prélèvement du bois de feu en forêt s’effectue selon deux circuits différents et d’inégale importance : un circuit officiel consistant en la vente annuelle, par voie d’adjudication publique par le département des Eaux et Forêts, de coupes de bois de feu. Les volumes ainsi mis en vente proviennent en général de coupes d’intervention sylvicoles dans l’arganeraie (Huygen, 1984). D’autre part, il y a des prélèvements directs en forêt par la population et ceci dans le cadre des droits d’usage

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reconnus par la législation forestière aux collectivités riveraines de l’arganeraie, ou dans le cadre de coupes délictueuses de bois vert en vue de la satisfaction des besoins en bois-énergie pour le chauffage et la cuisson des aliments. Le volume collecté par ce dernier circuit constitue l’écrasante majorité des prélèvements totaux annuels de bois de feu. Ce circuit de collecte « illégale » de bois de feu forme la principale contrainte et pression anthropique sur l’arganeraie. Il s’agit, là, d’un phénomène « plus social qu’économique » qui constitue une des causes principales de la dégradation progressive de l’arganeraie (Huygen, 1984). 18 D’une certaine façon, la monétarisation de l’économie villageoise oblige de fait les plus pauvres à disposer à leur tour de revenus qu’ils se procurent par le commerce du bois récolté dans les espaces boisés domaniaux. De tout temps, des convois de mulets chargés de bois de chauffage – au prix moyen de 25 dh la charge – ou de sacs de charbon de bois issus de la forêt, ont circulé, le plus souvent la nuit, pour alimenter les souks locaux. À un moment où la raréfaction de ces produits entretenait une forte pression de la demande finale et donc une augmentation permanente des prix, la grande tolérance dont on a fait preuve à l’égard de ces pratiques a suscité depuis une dizaine d’années une sorte d’industrialisation de la filière, qui s’opère désormais parfois par camions entiers. Les boulangeries et les hammams de la région sont ainsi en partie ravitaillés par ce moyen dont l’illégalité n’est pas toujours facile à démontrer (Faouzi, 2003). 19 La recherche de bois, autrefois simple corvée, est devenue le travail d’une journée entière dans certaines régions. D’après les témoignages, il y a encore une dizaine d’années, les groupes de femmes assuraient la récolte dans l’arganeraie par charges portées. Aujourd’hui, les équidés sont principalement utilisés. Dans la majorité des ménages, c’est l’épouse qui récolte le bois. Dans quelques douars cette tâche est désormais confiée aux hommes et aux jeunes garçons, mutation qui traduit la diminution de quantité du combustible et l’augmentation des distances à parcourir. En effet, une journée de travail est aujourd’hui nécessaire pour ramener un chargement de bois, deux jours si l’on désire un combustible de meilleure qualité. 20 L’approvisionnement d’un ménage nécessite en moyenne cinq à six voyages pendant les mois d’hiver. Les femmes vont chercher le bois à plus de 5 km, voire parfois 10 km, ce qui représente pour elles plus de 50 % de leur temps et de leur énergie en effectuant ce seul travail physique. Les outils utilisés pour couper les arbres sont traditionnels et manuels. L’absence de tout chemin ne permet pas d’utiliser des charrettes et les principaux moyens de transport restent le portage à dos de mulet ou d’un âne, ce dernier peut porter jusqu’à 70 kg, mais souvent, les femmes et les filles se chargent de collecter et transporter le bois sur leurs dos. La femme pourvoit la maison en combustible par prélèvement direct sur la végétation environnante, usant d’une connaissance intime des plantes et des ressources végétales au gré des saisons et des itinéraires de transhumance et en ramassant le bois mort. Les techniques de récolte n’ont guère changé : on coupe çà et là des brins vifs à l’aide de serpes ou de hachettes. 21 La répartition du travail entre les sexes est rigoureuse. La corvée de bois comme la préparation des aliments sont des activités féminines, même si parfois certains agriculteurs y participent. Les femmes vont chercher du bois deux à trois fois par semaine et le rapportent sur leur tête (le chargement peut atteindre jusqu’à 13 kg). Cette activité représente de 500 à 1 500 heures de travail par an pour 2 femmes par foyer. La pénibilité de la collecte peut être extrême : la lourdeur des charges (jusqu’à

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40 kg) transportées sur plusieurs kilomètres est dangereuse (dénivelés importants, sentiers périlleux). Avec la dégradation de l’arganeraie du fait de la forte demande en bois de feu, ce produit est devenu très rare. Plusieurs paysans ont fait allusion au problème d’approvisionnement en fûts, indiquant qu’il fallait désormais aller les chercher en camion assez loin, alors qu’auparavant on pouvait se servir directement près de chez soi. Les forêts sont en effet éloignées et parfois situées dans des endroits d’accès malaisé, dans des cuvettes, aspect caractéristique du plateau des Haha (Faouzi, 2003). Les zones de collecte de bois sont des terres soumises au régime forestier et de statut collectif, dont l’accès dépend étroitement de la généalogie et de l’appartenance tribale. Il est important de signaler que, administrativement, l’arganeraie est une forêt domaniale sous la protection des services des Eaux et Forêts. Toutefois, la réglementation concède de très larges droits d’usage à la population. 22 L’étude de la consommation domestique de bois-énergie nous invite à poser la question des comportements énergétiques : la prise en compte de l’évolution est indispensable pour bien comprendre la consommation domestique des combustibles ligneux et quels en sont les éléments déterminants. De plus, il faut pouvoir bien appréhender la spécificité de la consommation d’énergie, c’est-à-dire les différences de comportements selon les usages (se chauffer, se laver, s’éclairer, cuisiner) et dans le temps.

Permanence et évolution des comportements énergétiques

23 Chez les Haha, le comportement énergétique apparaît d’une grande sobriété, adapté à la simplicité de leurs habitudes alimentaires et de leur mode de vie rustique. L’utilisation de la végétation spontanée comme ressource énergétique est la pratique la plus courante (fig. 4). Selon le ministère de l’Agriculture et de la Pêche maritime, un ménage moyen de 5 à 6 personnes utilise généralement de 14 à 16 kg de bois par jour, ce qui correspond à une consommation annuelle d’environ 900 kg par habitant : à peu près 90 % du bois consommé dans la région proviennent des espèces arborescentes.

Figure 4 – Taux de consommation de gaz et de bois chez les Haha, commune rurale d’Imgrad

24 Pour comprendre le comportement énergétique chez les Haha, on a divisé l’année en deux, la période d’hiver pendant laquelle le bois est utilisé plus pour le chauffage que

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pour la cuisson et le reste de l’année où le bois est utilisé pour des besoins autres (cuisson, thé, couscous, etc.). Pendant la période froide, tous les ménages utilisent exclusivement du bois comme source de chauffage. Les gens ayant les moyens de se procurer des bombonnes de gaz butane se passent de bois pour la cuisson. Pour ceux qui en ont les moyens, le gaz butane est utilisé seulement pour l’éclairage des maisons. Afin d’économiser le bois, les familles font cuire leurs aliments simultanément avec le chauffage. Pendant le reste de l’année, certaines personnes n’utilisent le bois que pour la cuisson du pain, alors que le gaz butane est utilisé pour cuire les autres aliments. Le foyer ouvert « à pierre » (afarnou) (photo 3) est principalement utilisé pour la cuisine ainsi que pour la cuisson des galettes de pain (aghrum n’tafarnoute) dans un poêlon de terre. Le pain cuit sous la braise à même le sable est aussi fréquemment préparé dans la région. Ainsi, la consommation de l’énergie reste dominée par les combustibles traditionnels (surtout le bois et ses dérivés). La consommation de gaz butane reste encore faible (fig. 4), compte tenu des difficultés d’approvisionnement et notamment de la grande pauvreté.

Photo 3 – Four à pain (afarnou) : malgré la généralisation des bombonnes de gaz butane, le bois et le charbon de bois restent les plus utilisés pour la cuisine et le chauffage, surtout pour la cuisson du pain (aghrum n’tafarnoute)

(Cliché Association Tigouga, 2011)

25 Afin de montrer l’importance de l’utilisation du bois, nous avons établi plusieurs questionnaires concernant l’utilisation d’autres sources d’énergie et leur participation dans la diminution de la pression exercée sur l’arganeraie ; d’après nos enquêtes, la consommation moyenne de gaz butane par ménage est faible et ne couvre qu’une faible partie des besoins de cuisson. La petite bonbonne de gaz butane est la plus utilisée dans la région, et ceci pour son poids léger et la facilité de son transport. De plus, on peut facilement la trouver dans les souks. Son utilisation pour l’éclairage représente 60 % des

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utilisations contre 40 % pour la cuisine. La durée moyenne de cette bonbonne de gaz pour chaque famille est de 21 jours, voire même 30 à 45 jours si elle est utilisée seulement pour l’éclairage et 20 jours quand elle est utilisée pour la cuisine. Nous avons remarqué dans quelques douars (près des routes et des souks) que le bois n’est plus guère utilisé que pour la cuisson quotidienne des galettes de pain ainsi que pour la préparation hebdomadaire du couscous (surtout le vendredi). Aujourd’hui, chez les Haha, l’arganier joue cependant encore un rôle énergétique très important (fig. 5). Quoique les techniques de cuisine soient en train de se transformer et que l’utilisation du gaz butane soit en expansion, l’emploi du foyer à pierre est encore généralisé, ne serait-ce que pour la cuisson du pain et du thé, surtout que le bois d’arganier donne un charbon d’excellente qualité.

Le charbonnage chez les Haha, une production artisanale

26 Si la consommation de bois apparaît très élevée, il en est de même pour celle du charbon de bois qui est utilisé dans les braseros traditionnels (kanoun) pour la préparation quotidienne du thé et pour le chauffage en hiver. Le charbon issu de l’arganier est apprécié par la population au regard de sa bonne combustibilité. L’arganier donne un bois lourd et un charbon très apprécié (les bois très légers donnent un charbon léger et friable). On évalue à 350 000 ha les forêts détruites dans le Sud- Ouest marocain par la population locale pour faire du charbon de bois. L’examen des rapports des services forestiers d’Essaouira nous a permis de constater que la région des Haha est parmi les grands fournisseurs en charbon de bois des grandes villes du Sud marocain et qu’il provient intégralement de l’arganeraie.

27 Dans la commune rurale de , on compte 22 exploitants. Ces derniers transportent le charbon de bois dans des camions vers les dépôts dans les grandes villes (Essaouira, Agadir, Marrakech, etc.) où il est stocké avant d’être revendu aux grossistes ou exporté vers les villes du Sud. Le charbonnage nécessite en effet de longs déplacements à dos d’animaux. La production nécessite un travail de 12 à 15 jours pour une petite équipe de charbonniers. La carbonisation consiste à brûler le bois jusqu’à sa décomposition partielle. Après la coupe, le bois frais est découpé en petits tronçons de 30 à 50 cm de long, laissés à sécher avant la construction du four (ou meule) (photos 4 et 5). Le charbonnier monte le four en déposant en cercle les morceaux de bois qui se chevauchent. Après ce travail, il obtient une meule avec une base assez large comportant une ouverture d’allumage. Ce tas de bois est soigneusement recouvert de terre pour contenir les flammes et la fumée. Après ce travail préliminaire, le charbonnier met le feu à la meule et bouche en même temps l’ouverture d’allumage. Le four est détruit après la carbonisation du bois et son refroidissement. Le charbon de bois obtenu est alors conditionné dans des sacs. Un grand four peut fournir en moyenne 100 sacs de charbon pesant entre 35 et 40 kg.

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Figure 5 – Le flux d’utilisation du bois énergie

28 Il est bien difficile d’estimer l’importance de l’activité charbonnière dans la région. Selon la direction des Eaux et Forêts d’Essaouira, la production des charbonniers dans la région est estimée à 41 000 q/an dont la moitié environ serait commercialisée dans les centres urbains et l’autre moitié, écoulée dans différents points de vente des Haha (, Smimou, Imgrad, etc.). Les 70 charbonniers que comptent les Haha produisent 7 876 sacs, soit 315 040 kg de charbon de bois. Toujours selon la direction des Eaux et Forêts, chaque semaine, 8 005 sacs de charbon (365 500 sacs/an) entrent dans les villes d’Agadir et d’Essaouira, et ceci n’est qu’une infime partie des ressources ligneuses qui entrent dans ces villes. Suite à l’importante demande urbaine en charbon de bois et aux prix de vente très élevés, le charbonnage est devenu l’une des activités rémunératrices les plus importantes dans la région et n’a pas cessé d’augmenter au cours des trois dernières décennies. Les revenus tirés de cette activité sont loin d’être marginaux ce qui explique qu’une bonne partie des exploitants agricoles, suite à la déstructuration de l’activité agricole, s’est reconvertie en bûcherons. 29 Le commerce du bois de feu et de son dérivé le charbon de bois représente un secteur en pleine évolution. Le réseau rural-urbain où interviennent de nombreux intermédiaires à divers niveaux, assure des revenus à de nombreux ménages.

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Photo 4 – Meule en cours de construction pour obtenir du charbon de bois. Partout dans les champs se dressent des meules, tas de tronçons de bois d’arganier recouvert de terre et qu’on carbonise en plein air pour en faire du charbon de bois

(Cliché H. Faouzi)

Photo 5 – Le charbon de bois est prêt à être acheminé par des camions vers les centres urbains où il sera commercialisé

(Cliché H. Faouzi)

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La filière bois-énergie, une activité lucrative

30 Chez les Haha, la filière bois-énergie est bien organisée, et comprend de l’amont à l’aval les producteurs de bois, les charbonniers, les grossistes, les transporteurs et les détaillants. Avec le développement de la pauvreté, on voit apparaître de plus en plus de micro-détaillants de charbon de bois. À partir des grossistes s’est développé un réseau de commercialisation du bois-énergie au détail. Deux types de véhicules assurent cette distribution : des camions, et des Pick-up. Les transporteurs assurent le transport par route jusqu’à Essaouira ou Agadir. Ils font en moyenne 3 voyages par semaine entre les villes, les centres ruraux et les douars.

31 Le prix du bois-énergie varie en fonction des lieux. Si dans les douars de production du bois il coûte moins cher, à Essaouira, Agadir, et dans les villes du Sud marocain, le prix devient plus élevé. Un charbonnier gagne en moyenne 85 000 dh par an. Les grossistes quant à eux gagnent 21 000 dh par rameau de bois. 32 Si cette activité est rentable et permet à la grande majorité de survivre et à un petit nombre, surtout les grossistes et les charbonniers, de s’enrichir, elle n’est pas sans conséquence sur l’arganeraie. Outre l’accroissement des distances de ramassage et la montée vertigineuse des prix, les conséquences sur les paysages sont inquiétantes. L’altération de ces derniers est continue : toutes les personnes enquêtées dans la région s’accordent à dire que tant les actions anthropiques que la sécheresse ont contribué à la diminution, voire même à la disparition de plusieurs zones jadis boisées. Nombreux sont les habitants gardant le souvenir de lieux boisés qui sont aujourd’hui totalement dénudés. Ces dernières décennies, plusieurs facteurs expliquent l’importante dégradation de l’arganeraie en relation avec la demande en bois-énergie. En premier lieu, la croissance démographique et le taux de la pauvreté très élevé de la population qui est fortement dépendante du bois-énergie. Même si la demande en énergie ligneuse n’est pas la seule force motrice de la dégradation de l’arganeraie, elle y participe largement.

L’arganeraie face à une demande croissante des produits ligneux

33 Au fur et à mesure que les années passent, nous assistons à l’accroissement de la population et de ce fait, les besoins énergétiques deviennent plus importants, ayant pour corollaire d’augmenter la demande en combustibles et d’accroître la déforestation. Pour alimenter les marchés fort lucratifs d’Essaouira et d’Agadir et des autres centres urbains, bûcherons et charbonniers n’hésitent pas à abattre les arbres partout dans l’arganeraie, là où ils ont la possibilité de le faire. Cela se traduit sur le terrain et dans les paysages par des traces de carbonisation qu’on rencontre partout dans la région des Haha, ce qui constitue une caractéristique des paysages de l’arganeraie des Haha.

34 Cette tendance au déboisement devrait s’amplifier dans les prochaines décennies suite à deux processus. Le premier est l’éclatement de la grande famille qui s’observe de plus en plus dans les villes, mais également dans les villages. En effet, la structure de la famille a un impact considérable sur la consommation individuelle de bois de feu. Cette consommation est de l’ordre de 0,5 kg de bois par personne et par jour dans les familles

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de plus de 20 personnes et s’élève à plus de 2 kg de bois par personne et par jour dans les familles nucléaires (ménages de moins de 5 personnes). 35 L’amoindrissement du couvert végétal et des ressources en bois mort, à l’instar des autres régions d’Afrique sahélienne (Minvielle, 2001), pousse les ruraux à effectuer des prélèvements sur le bois vivant qui remplace progressivement le ramassage traditionnel du bois mort se trouvant à des distances de plus en plus lointaines, alors qu’avant, les lieux d’approvisionnement se limitaient à la proximité immédiate des douars. Durant les entretiens effectués sur le terrain, plusieurs paysans ont affirmé que, progressivement, ils notent la disparition de plusieurs espèces ligneuses à cause de l’abattage des arganiers. Nos observations de terrain confirment ces déclarations : de larges auréoles de déforestation autour des villages et à l’intérieur de l’arganeraie ont été observées (photo 6).

Photo 6 – Photo satellite du douar Ihoumache, commune rurale d’Imgrad. On observe autour du douar une arganeraie mutilée sans sous-bois.

(Source : CNES/Spot, 2013)

36 Dans la région, la consommation de bois se fait par auto-approvisionnement, sans coût monétaire effectif ; la ressource est considérée par la population locale comme « gratuite ». Cette absence de coût économique réel des combustibles ligneux rend difficile la promotion d’énergies de substitution. Lorsqu’on examine les revenus familiaux dans la région, on constate que la majorité ne dispose pas des capacités économiques nécessaires à la consommation d’énergies marchandes. À cette contrainte s’ajoute le poids des habitudes culinaires (afarnoute4, thé, couscous5, etc.) qui rend difficile l’adoption des nouveaux modes de préparation dictés par les énergies nouvelles. D’après nos enquêtes auprès des ménages, la dépendance des populations par rapport aux combustibles ligneux est restée similaire au fil des années et ceci malgré l’importance des changements de comportements survenus dans le mode de vie des habitants haha.

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Figure 6 – Croquis illustrant la distance des communes rurales d’Imgrad, des Aït Aïssi et de Tidzi par rapport à la plus proche route goudronnée et leur consommation en produits ligneux et en gaz butane

37 À l’heure actuelle, le bois et son dérivé, le charbon de bois, satisfont encore plus de 90 % des besoins en énergie de la population locale pour laquelle le recours au gaz butane et à l’électricité est toujours trop coûteux (tabl. 3). Le bois, accessible, reste donc la source d’énergie la plus utilisée dans la région à cause des faibles revenus des familles qui ne peuvent pas s’approvisionner en bonbonnes de gaz butane. Notre enquête auprès des ménages a mis en évidence une forte corrélation entre le revenu et l’utilisation des combustibles à base de bois (bois, charbon de bois) ; ce sont des biens qui augmentent lorsque le revenu des familles baisse. Ce résultat a au moins une implication importante : les ménages à bas revenu consomment plus de bois de feu que les ménages à revenu élevé. Ce résultat contredit tous les rapports et les études qui évoquent l’évolution positive de la situation énergétique dans la région, et citent l’isolement, l’enclavement et l’éloignement géographique des routes comme les principaux facteurs déterminant le comportement énergétique de la population rurale. Ces études montrent que lorsqu’on se déplace des centres ruraux et des douars proches des routes vers des zones isolées et enclavées, on constate une augmentation de l’importance du bois et de ses dérivés comme source d’énergie. Notre enquête de terrain ainsi que les données du Haut-commissariat du Plan (HCP), viennent préciser et contredire tout cela. D’après les figures 6 et 7, on remarque que dans la commune rurale de Tidzi, malgré un indice d’enclavement très faible, seulement 9 familles sur 866 utilisent le gaz butane (1,1 % des familles), alors que le nombre de familles implantées le long de la route nationale n° 1 reliant Agadir à Essaouira dépasse 230. Contrairement à Tidzi, l’indice d’enclavement dans la commune rurale d’Imgrad est moyennement élevé : 70,4 % des familles se trouvent à plus de 10 km de la route goudronnée, néanmoins l’utilisation du gaz par rapport à Tidzi resté élevé : 21,6 % des familles l’utilisent. Aussi paradoxal que

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cela puisse paraître, la commune rurale des Aït Aïssi, dont le niveau d’enclavement est très élevé (100 %), connaît le taux le plus élevé de consommation de gaz butane : 61,7 % c’est-à-dire 533 ménages dont 266 utilisent à la fois du gaz et du bois. Cela remet en question l’hypothèse du facteur enclavement (éloignement géographique des routes) pour expliquer la consommation élevée du bois-énergie dans les arganeraies et conforte notre hypothèse selon laquelle la pauvreté est l’élément déterminant. Cette pauvreté peut être expliquée par l’exiguïté et l’émiettement de la propriété foncière qui accentue la déstructuration de l’activité agricole.

Figure 7 – Quelques indicateurs concernant le taux de consommation de gaz butane, de bois, le taux de pauvreté ainsi que le niveau d’enclavement6 des ménages dans les communes rurales d’Imgrad, des Aït Aïssi et de Tidzi

(Source : enquête personnelle)

38 D’après la figure 7, on remarque que la consommation énergétique, particulièrement celle du gaz butane, est très variable d’une commune à l’autre. Cette différence est due surtout à des critères socio-économiques, en l’occurrence la pauvreté. Mais le résultat le plus surprenant est la forte tendance de l’utilisation du bois d’arganier comme source d’énergie au lieu du gaz butane, spécialement à Tidzi. Selon la population locale, cette tendance trouve son explication dans la montée du coût de la vie et la stagnation des revenus des familles. Les familles à revenus très faibles éprouvent énormément de difficultés à s’approvisionner en gaz butane ou en charbon de bois, ce qui les conduit à chercher les stratégies d’économie de dépenses à travers la recherche de solutions gratuites pour faire face aux besoins quotidiens en énergie. (Aboudrare et al., 2009). 39 L’analyse de cette figure permet de constater une forte relation entre la consommation de bois de feu et la pauvreté. Même si les familles possèdent une bouteille de gaz butane, rares sont celles qui l’utilisent d’une manière continue. Les familles ayant un ou

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deux migrants, celles disposant de revenus plus ou moins réguliers possèdent toutes des bombonnes de gaz butane et les utilisent pour la cuisine durant toute l’année, sinon leur utilisation reste généralement occasionnelle. Cela est aussi valable pour le charbon de bois, qui n’est utilisé que rarement à cause de son prix jugé élevé -– 11,60 dh/kg – par la population rurale : cela la contraint à attaquer le bois vert pour le chauffage, la cuisson des aliments, faire le thé et même chauffer l’eau pour le bain (Benchekroun, 1987).

40 En effet, plus de 80 % des foyers ont des revenus plus ou moins réguliers estimés entre 100 et 2 000 dh mensuels. La sécurité alimentaire et le bien-être de la famille sont des priorités qu’ils ne sont pas prêts à sacrifier au profit d’une meilleure utilisation des ressources naturelles (Faouzi, 2009). Pour la population locale, les objectifs environnementaux ne sont pas prioritaires. D’après nos enquêtes sur le terrain, la conscience du processus de dégradation est très nette, et nombreux sont ceux qui expriment leur inquiétude. Partout on entend le même refrain : Ça cause des problèmes, mais la forêt, c’est grâce à elle que nous survivons [...]. Nous n’avons pas assez d’argent pour acheter les bonbonnes de gaz… 41 D’après les projections du HCP, le niveau de vie en milieu rural ne devrait pas augmenter et la croissance démographique se poursuivra. Parallèlement l’utilisation de combustibles ligneux va s’accroître. On ne doit donc pas s’attendre à des changements de comportements de consommation en matière énergétique, surtout que le coût des énergies traditionnelles connaît des augmentations significatives, liées à la conjoncture internationale. Cela mettra en péril pour les arganeraies qui seront plus sollicitées pour augmenter leurs productions d’énergie, ce qui dessine un futur préoccupant.

Discussion

42 Les conditions de vie chez les Haha (taux de pauvreté dépassant 80 %), font du bois issu de l’arganier la principale source d’énergie pour leurs besoins domestiques. Son coût modique (ramassage gratuit), et les goûts et préférences des consommateurs en ont fait un produit de grande consommation.

43 La pauvreté reste donc le principal facteur favorisant la dégradation de l’écosystème arganeraie. Il convient donc d’appliquer une approche systémique pour mieux appréhender le problème de la dégradation, en étudiant l’ensemble des mécanismes d’interaction qui interviennent dans l’écosystème arganeraie. 44 L’approche par les moyens d’existence et l’étude des conditions de vie de la population, se sont révélées, ces dernières années, être un cadre théorique et pratique pour l’analyse et la compréhension des liens entre la pauvreté et la dégradation des écosystèmes et permettent, dans notre cas, d’ouvrir plusieurs perspectives de recherche sur l’écosystème arganeraie. Cette approche est centrée sur les individus et les place au cœur du développement. Elle nous montre comment les ménages pauvres, en exploitant le bois-énergie dans un contexte de vulnérabilité, participent au processus de dégradation et de régression de l’arganeraie. Le contexte de vulnérabilité peut être appréhendé à travers l’environnement socio-économique (contexte de pauvreté), physique (dégradation des ressources naturelles consécutive à l’utilisation du bois-énergie et aux autres facteurs anthropiques), et institutionnel (législation forestière).

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45 Il est reconnu parmi les défenseurs de l’environnement, et ailleurs, que les écosystèmes forestiers en général ne peuvent être gérés de manières pratique, rationnelle et efficace si l’on ne prend pas en compte les populations qui vivent dans les environs (Fisher, 1999). Il ressort de notre étude que la pauvreté dans le milieu urbain intervient aussi, et de façon significative, dans le processus de dégradation de l’arganeraie en raison de la forte demande urbaine en charbon de bois issu de l’arganier. Ce charbon est préféré en milieu urbain pour son excellente qualité et est très apprécié dans tout le Maroc pour la cuisson des repas. Avec l’urbanisation croissante, on pensait que la substitution progressive d’énergies modernes (gaz) aux énergies traditionnelles permettrait d’épargner les arganeraies et que les subventions au gaz favoriseraient un changement des habitudes énergétiques. Or, il n’en est rien, et la pauvreté de la majorité des citadins y est pour beaucoup. 46 Sur le plan écologique, les dynamiques démographiques confèrent aux besoins énergétiques des impacts significatifs. La population de la région des Haha croît depuis 40 ans à un rythme élevé, de l’ordre de 3 % par an, qui l’amène à doubler en 40 ans. Mais la croissance des villes est nettement plus rapide. Or, la consommation des citadins est différente de celle des ruraux. 47 Dans un double contexte d’augmentation de la demande en bois-énergie et de volonté de préservation des fonctions écosystémiques (Courbaud et al., 2010 cité par Avocat et al., 2011), l’arganeraie apparaît plus que jamais comme un espace ambivalent, entre satisfactions des besoins de la population en bois-énergie et patrimoine naturel à protéger (Avocat et al., 2011). 48 Dans un contexte de changement climatique, de croissance démographique et de pauvreté accrue, il paraît indispensable de réfléchir aux capacités de résilience des arganeraies, afin de garantir un développement durable de la filière bois-énergie. 49 Notre étude illustre la pertinence d’une véritable approche territoriale à la croisée de préoccupations énergétiques, environnementales, socio-économiques et culturelles. Au final, l’exploitation du bois-énergie doit être pensée de manière intégrée, en tant que composante d’un système territorial complexe, aux configurations locales chacune singulière. 50 Depuis une vingtaine d’années, des efforts sont déployés pour déterminer les conditions d’un développement véritablement durable des arganeraies. La majorité des travaux de recherche se sont focalisés sur l’huile d’argan, comme produit sur lequel peuvent reposer des projets de développement socio-économique sans prendre en compte les autres productions de l’arganeraie. Il est désormais admis que les approches centrées sur la création des coopératives de production de l’huile d’argan ont montré leurs limites et leur inefficacité. Les mesures répressives contre les délits de prélèvements illicites de bois dans les arganeraies ont aussi montré leurs limites et leur inefficacité, ce qui fait que la législation forestière de l’arganeraie n’est plus adaptée à la situation actuelle. Malgré des règles d’usufruit édictées par les services forestiers, l’arganeraie reste dans sa globalité aménagée avec comme principale finalité la production de bois, et non comme un milieu cultivé multi-productif. Cet aménagement ne laisse que peu de place au développement des communautés locales. 51 Le caractère multifonctionnel des arganeraies et leur fragilité appellent une stratégie transversale. Les seules recherches biologiques, chimiques et agronomiques, si elles sont nécessaires, ne sont pas suffisantes dans la quête de solutions idoines à la

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problématique de la dégradation des arganeraies. Désormais, il apparaît indispensable de poursuivre les efforts entrepris pour perfectionner l’intelligence territoriale nécessaire à notre compréhension, encore imparfaite, de la complexité de l’écosystème arganeraie, et à l’ouverture de pistes collectives pour construire un référentiel de développement durable (Avocat et al., 2011) des arganeraies. L’arganeraie « est bien le modèle d’une problématique de développement durable dans un milieu fragile ». (Chaussod et al., 2005). 52 La forêt marocaine n’est plus ce qu’elle était. Elle couvrait 30 % du territoire national dans l’Antiquité. Elle ne représente plus aujourd’hui que 8 % de cette superficie. L’utilisation d’espèces ligneuses pour le bois de feu contribue de façon alarmante à la destruction de la forêt (Boudy, 1952). L’accroissement de la demande de bois de feu et de charbon de bois entraîne une dégradation lente et invisible de l’écosystème, jusqu’à ce que le système s’écroule ; les exemples de cette dégradation à l’échelle mondiale ne manquent pas, demandez au paysan qui vivait en Oklahoma en 1934, ou au Tchad en 1975. (Eckholm, 1977). 53 L’exemple de la région sahélienne illustre bien l’impact de l’utilisation du bois-énergie sur le milieu naturel (Lieugomg et Foudousia, 2005).

*

54 Au terme de cette étude, on remarque que plusieurs déterminants socio-économiques conditionnent le comportement et la relation de la population des Haha avec leur milieu naturel, dont les plus importants sont la pauvreté et la croissance démographique. La conjugaison de ces deux derniers se traduit par l’augmentation des besoins en bois-énergie entraînant une surexploitation de l’arganeraie, ce qui aboutit à une régression de la forêt en terme de densité, et ne fait que conforter cette tendance à la dégradation entamée depuis le début de XXe siècle.

55 La situation actuelle de l’arganeraie des Haha est un exemple qui démontre la nécessité incontournable de la prise en compte des facteurs humains et sociaux pour remédier au processus continuel de la dégradation des écosystèmes. Les questions d’énergie devraient être considérées dans leur perspective globale, c’est-à-dire sociale, économique et écologique. Les gens ne demandent pas de l’énergie en tant que telle mais les services qu’elle fournit : chauffage, cuisine et éclairage (Fridleifsson, 2000). Il faut penser le problème dans son contexte socio-économique de manière à pouvoir agir, non seulement sur les conséquences, mais aussi sur les causes. Cela « signifie comprendre les mécanismes de la pauvreté rurale » (Bret, 2007) et repenser les rapports fondamentaux entre l’homme et son environnement. 56 Seule l’amélioration des conditions de vie de la population rurale aura un grand impact sur la sauvegarde de l’arganeraie et empêchera que les personnes indigentes, par manque de moyens, enfreignent la Loi. Pour le succès des plans d’aménagement et de lutte contre la dégradation des arganeraies, il est indispensable de développer une approche participative de tous les acteurs concernés et d’essayer de répondre aux attentes des populations locales et de satisfaire leurs besoins prioritaires. (Fikri et al., 2004).

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57 Ceci sera possible grâce au développement de l’écotourisme dans l’arganeraie qui engendrera la création d’emplois et participera à la réduction de la pauvreté dans la région, et qui permettra aussi de remplacer le bois par d’autres sources d’énergie.

58 Les enjeux actuels ne sont pas simplement de faire croître les revenus des populations vivant dans l’arganeraie, mais de le faire dans le cadre d’une mise en valeur durable du milieu, ce qui nécessite forcément de dépasser la situation de conflits entre la population et les forestiers. Cela n’est possible que par une modification de la législation. 59 La vulgarisation du gaz naturel et surtout de l’énergie solaire, étant donné que l’ensoleillement dans la région est très élevé (3 000 heures/an), peut contribuer efficacement à réduire l’intensité de cette activité ethnobotanique, soulager l’arganeraie de prélèvements destructifs en bois. Des recherches (Benzyane, 1989) tentent de privilégier les formes renouvelables d’énergie en convertissant la biomasse forestière des peuplements d’arganiers en équivalent énergétique. Ces études ont montré qu’un hectare d’arganier produit cinquante tonnes de matières sèches : traduit en terme énergétique, un hectare d’arganier équivaut à 22 875 litres de fuel, soit 143 barils de pétrole brut. 60 L’arganeraie, actuellement fragile, a besoin d’être protégée car elle présente de nombreux atouts en rapport avec sa grande diversité biologique et son impact sur l’équilibre socio-économique du pays (Fikri et al., 2004) et par son rôle contre la désertification. Certes, chez les Haha, on est loin de l’exemple de l’arganeraie d’Admine ou de celle de Chtouka Aït Baha où la dégradation est très avancée, mais des signes semblables se profilent à l’horizon. 61 L’arganier est un produit social profondément implanté dans la vie quotidienne des populations. Sa disparition mettra en péril l’existence de toute une région avec toutes les lourdes conséquences, économiques, sociales, politiques et environnementales qui en découlent.

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NOTES

1. Écosystème dans lequel l’arganier est l’espèce dominante. 2. Agence Nationale pour le Développement des Énergies Renouvelables et de l’Efficacité Énergétique (http://www.aderee.ma/) 3. Les douars sont : Aït Ignane appartenant à la tribu des Aït Zelten ; Ihoumache, Taghzoute, Id Wachma qui appartiennent à la tribu Imgrade, douar Tidzi qui fait partie de la tribu des Ida Ou Gourd, et douar Aderdare de la tribu des Aït Aïssi. 4. Pain cuit au feu de bois dans un four rond traditionnel. 5. Qui a demandé des heures de cuisson, ce qui suppose beaucoup de gaz. 6. L’indice de l’enclavement est calculé par rapport à l’éloignement de la route nationale n° 1, laquelle est desservie par les autocars et les autobus.

RÉSUMÉS

Comme les autres régions du Maroc, l’arganeraie de la région des Haha subit depuis plusieurs décennies les conséquences des sécheresses cycliques, de l’explosion démographique et du développement de la pauvreté. En effet, les périodes de sécheresse des années 1970-1980-1990 ont exacerbé la pauvreté des Haha. Ceci a poussé l’essentiel de la population à développer des mécanismes de survie, comme l’exploitation du bois-énergie, dont les conséquences sur l’écosystème arganier, déjà fragilisé, sont énormes.

As other regions of Morocco, the argan forests of Haha country undergoes for several decades the consequences of the cyclic droughts, the population boom and the development of the poverty.

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Indeed, the periods of drought of the years 1970-1980-1990 aggravated the poverty of Haha people. This urged the main part of the population to develop mechanisms of survival, as the exploitation of the wood energy, the consequences of which on the argan ecosystem, already weakened, are enormous.

Como otras regiones de Marruecos, la arganeria de Haha sufre desde varias décadas las consecuencias de las sequedades cíclicas, de la explosión demográfica y del desarrollo de la pobreza. En efecto, los períodos de sequedad de los años 1970-1980-1990 exacerbaran la pobreza de los Haha. Esto empujó lo esencial de la población a desarrollar mecanismos de supervivencia, como la explotación de la lena (madera-energía), cuyas consecuencias sobre el ecosistema del arganeria, ya debilitado, son enormes.

INDEX

Palabras claves : Marruecos, region de los Haha, leña, el argán, degradación, arganeria Keywords : Morocco, Haha country, argan tree, wood energy, degradation, argan forest Mots-clés : Maroc, région des Haha, bois-énergie, arganier, dégradation, arganeraie

AUTEUR

HASSAN FAOUZI

Docteur en géographie, Aménagement de l’espace et paysages, GEOFAO, Bureau d’études et d’ingénierie, Agadir, Maroc ; mél : [email protected]

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Caractérisation et diagnostic de familles paysannes andines au sein de leurs communautés, selon une méthode typologique (haute vallée du Cañete, province de Yauyos, Pérou) Characterization and diagnosis of Andean peasant families inside their communities (upper Cañete valley, Province of Yauyos, Peru)

José Carlos Barrio de Pedro

Je remercie M. Dominique Hervé (IRD), qui a fourni les données nécessaires à cette recherche.

La caractérisation et le diagnostic de la diversité agricole en milieu paysan

1 La diversité extrême des hautes vallées andines décourage toute tentative de représentation simplifiée. Les systèmes de culture et d’élevage qui contribuent à façonner cette diversité sont gérés par des unités de production familiales, elles-mêmes très diverses sur des parcellaires et des parcours qui recoupent plusieurs étages écologiques. Pourtant, dans les Andes où ces unités de production font partie de communautés paysannes, on peut supposer qu’au sein de leur communauté, elles sont moins diverses qu’entre communautés d’une part, et que si elles étaient totalement intégrées dans un marché libre des facteurs de production (terre, travail, capital) d’autre part. L’objectif de ce travail est de rendre compte de la diversité des unités de production familiales au sein de communautés paysannes d’une région précise, au moyen d’une méthode typologique adaptée. L’hypothèse est que la différenciation sociale, économique et technique entre les exploitations est à la fois orientée et

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restreinte du fait des fortes contraintes du milieu montagnard qui limitent les ressources disponibles, et du fait de leur appartenance à des communautés paysannes qui en régulent l’accès et la distribution.

2 Le versant occidental des Andes centrales offre un contexte particulier d’une diversité considérable de situations réparties le long d’un gradient d’altitude (1000 à 5000 m). Un terrain de démonstration a été choisi dans une zone de montagne représentative de l’espace agricole de ce versant (Dollfus, 1991). L’agriculture de la vallée du Cañete au sud de Lima (Pérou) a fait l’objet de différentes études concernant l’ensemble de la vallée (entre autres Mayer et Fonseca, 1979 ; Eresué et Brougère, 1988), les 32 communautés du haut bassin-versant de la province de Yauyos (par exemple Malpartida et Poupon, 1988 ; Rodríguez et Muñoz, 1988 ; Hervé et al., 1989 ; Hervé, 1996 ; Hervé et Barrio, 2003 ; Barrio, 2006 ; etc.), ou quelques-unes d’entre elles à titre d’actualisation (par exemple Brougère, 1988 ; Sautier, 1989 ; Bey, 1992 et 1997 ; Meneses, 1999 ; Wiegers et al., 1999). Plusieurs organisations du ministère d’agriculture et du secteur associatif, ainsi qu’un réseau de municipalités du haut de la vallée (CODENY, 1998 ; INRENA, 2006…), ont entrepris des actions de développement dans la province de Yauyos. Dans ce contexte, le croisement d’une typologie des communautés paysannes dont les groupes correspondent aux différents systèmes agraires de la zone d’étude (Hervé et Barrio, 2003), avec la typologie des unités de production agricole présentée ici, fournit un outil de compréhension et d’aide à la gestion de la diversité agricole, depuis le niveau de la communauté jusqu’au niveau de la province. Cette contribution propose une méthode généralisable à terme à des situations semblables de petite agriculture traditionnelle et en général marginalisée (peu d’institutions de soutien et de conseil technique), qui se caractérisent par une faible quantité et qualité de données d’enquête disponibles, et par une considérable diversité des situations (Bravo et al., 1994 ; Castella et al., 1994). Elle propose, aussi, un diagnostic des familles paysannes andines au sein de leurs communautés et d’autres territoires plus larges, qui précise les différentes dynamiques locales (situations de crise, spécialisation, capitalisation, etc.), afin de permettre aux acteurs concernés de mieux intervenir sur ces aspects.

Les typologies d’exploitations en tant qu’outils pour l’analyse et le développement

3 Les typologies d’exploitation agricole sont des modèles des exploitations et de leur diversité établis à une échelle locale ou régionale. Une typologie définit un certain nombre de modes de fonctionnement homogènes (types), qui correspondent à des combinaisons cohérentes de productions et de facteurs de production en état d’équilibre plus ou moins stable avec leur environnement (Capillon et Manichon, 1978). Pour nous adapter aux dimensions de la petite agriculture familiale, on parlera d’unité de production agricole familiale (UPAF) plutôt que d’exploitation agricole.

4 Le modèle typologique se situe à un niveau moins détaillé que l’analyse du fonctionnement de l’exploitation, lequel nécessite le couplage d’un modèle spécifique (Capillon et Manichon, 1978 ; Osty, 1978 ; Capillon, 1993). Il convient de reconnaître avec Landais (1998) que les typologies ne sont pas non plus des « modèles de systèmes » représentatifs du fonctionnement d’ensemble des unités de production d’une région, car elles ne prennent pas en compte les relations entre ces unités, ni le fonctionnement

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du système comme un tout (Deffontaines et Osty, 1977). Il faut de plus en plus intégrer ces différentes analyses et procédures dans des séquences méthodologiques variables en fonction de l’objectif assigné (fig. 1) : la spatialisation d’une typologie, l’encadrement d’études expérimentales (Viaux et al., 1994), l’implémentation de référentiels stratégiques (Boussard et al., 1997), techniques (Duru, 1987) ou environnementaux (Pointereau et Bochu, 1997), le diagnostic (Benoît et al., 1988), etc. En tout cas, l’élaboration de typologies remplit plusieurs fonctions spécifiques utiles au développement agricole (Capillon et Manichon, 1978 ; Perrot, 1990 ; Capillon, 1993 ; Landais, 1998). 5 Représentation : fournir une image de l’activité agricole locale ou régionale (modèle du système agraire et des systèmes de production existants) et de ses évolutions, à destination des responsables de la prise de décisions ou comme cadre à des analyses de groupe. 6 Diagnostic : favoriser le conseil ou l’aide à la décision à travers un diagnostic qui mobilisera des corps de références de nature descriptive (statistiques issues d’enquêtes et de recensements et utiles pour le conseil technico-économique), prescriptive (issues d’études réalisées au sein de fermes de référence et utiles pour le conseil stratégique) et mixtes (utiles à l’étude de projet ou à l’orientation d’avenir). 7 Prédiction : établir des pronostics avec le recours au modèle de fonctionnement du type d’unité de production étudié, afin de prévoir le comportement stratégique de groupes d’agriculteurs et interpréter leurs pratiques, ou afin de prévoir les conséquences de la modification de certaines variables externes à l’unité de production mais liées au fonctionnement. 8 Évaluation : contrôler l’efficacité des actions entreprises par les organismes de développement ou l’impact local des politiques, à travers le suivi d’un échantillon d’unités de production de référence. 9 Dans la zone étudiée, l’agriculture n’est pas structurée par des organisations professionnelles agricoles ni appuyée par un tissu dense de vulgarisation ou par un secteur agro-alimentaire associé, alors que ce genre de contexte est celui qui a permis d’intégrer les fonctions citées à la méthode typologique. Il nous semble pourtant que ces fonctions restent valables partout même si leur intérêt relatif dépend du contexte. Il s’agit alors de rendre disponible cet outil en l’associant à une méthode d’élaboration adaptée au contexte traité, ne serait-ce que pour aider à l’accomplissement de la première fonction citée.

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Figure 1 - Une chaîne méthodologique cohérente pour le développement agricole

(Source : modifé de Landais, 1989)

10 Plusieurs méthodes permettent de construire des typologies (Perrot, 1990) (tabl. 1).

Tableau 1 - Méthodes typologiques utilisées

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11 Le principe de la dernière méthode citée dans le tableau 1 est l’agrégation autour de pôles virtuels définis par des experts et indépendants entre eux, un pôle d’agrégation étant un modèle simplifié qui résume les caractéristiques discriminantes spécifiques à un type d’unité de production. Cette méthode est plus facile à transférer vu qu’elle est largement formalisée (Leroy, 1995) et construite avec les experts responsables de leur application sur le terrain. Elle est applicable à plus large échelle (taille d’un département français, 5 000 km2, ou d’une région, 25 000 km2), peu sensible à des particularismes et à des biais d’agrégation (Erguy et al., 1996), modulable par un « pourcentage de ressemblance » des unités de production aux types et par une caractérisation des particularités de l’unité de production au sein de son type, et plus facile à actualiser (Perrot et al., 1995). Étant donné la spécificité de notre situation de terrain et le faible nombre d’experts disponibles, nous avons opté finalement par utiliser des données obtenues par une enquête indirecte comme base d’une nouvelle procédure de construction des pôles pour la typologie semi-automatique.

Synthèse des variables et les méthodes employées

Variables choisies pour décrire les communautés et les familles paysannes

12 On entend la communauté paysanne comme un territoire limité dans l’espace, qui détermine le type et la quantité des ressources disponibles. On peut donc décrire ce territoire à un moment donné comme une combinaison de zones de production agricoles (Mayer et Fonseca, 1979) et pastorales (Hervé et al., 1989) et des effectifs des différents troupeaux. On a obtenu dans chaque communauté, au moyen d’une photo- interprétation appuyée sur une reconnaissance du terrain, les surfaces et pourcentages de 24 types de zones appartenant à trois catégories : 4 zones non productives, 14 zones de production exclusivement pastorale (dont deux zones de terrasses de culture actuellement abandonnées) et 6 zones de production agricole.

13 La communauté paysanne n’est pas une unité administrative au même titre que le district ou la province. Les données des recensements n’étant pas recueillies à cette échelle, une enquête indirecte exhaustive a été menée dans 23 parmi 32 communautés, réparties dans tous les types ou groupes de communautés. Cette enquête a recensé plus de 2 000 chefs de famille, en assumant une correspondance entre chef de famille et Unité de Production Agricole Familiale (UPAF) et en n’utilisant qu’un petit nombre de variables : • Âge du chef de famille d’après les listes d’électeurs de district du Ministère de l’Agriculture, confirmé par des informateurs âgés sur place. C’est un indicateur de la situation de l’agriculteur dans le cycle vital de son UPAF (installation, croissance, déclin, succession, etc.). • Sexe du chef de famille. C’est un indicateur du fonctionnement ou des moyens de l’UPAF qui a une influence sur les activités complémentaires. Les femmes veuves ou célibataires peuvent être chefs de famille. • Résidence et inscription sur le registre ou padrón de comuneros. Les chefs de famille doivent en principe être inscrits comme comuneros pour avoir accès à des ressources dans la communauté, et y habiter pour conserver ces droits. En réalité, des chefs de famille non comuneros (résidents ou pas) peuvent par exemple avoir accès à des pâturages d’altitude en

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location dans les communautés d’élevage, ou à des parcelles d’arbres fruitiers dans les communautés de fond de vallée. Aussi, les chefs de famille qui ne sont plus résidents peuvent conserver un accès à des terres ou à des animaux. La condition de résident a dû faire l’objet d’une recherche spécifique dans les cas où le chef de famille n’était pas inscrit dans le registre. • Accès aux ressources agricoles dans les zones de culture. On se contente d’une donnée qualitative de type oui/non car on ne connaît pas le nombre et la taille des parcelles de chaque famille, ni leur statut foncier. Les zones de production sont : le secano (système communal de culture sous pluie et jachère), le pan llevar (secano privé), le maizal (cultures annuelles irriguées incluant le maïs), les cultures annuelles irriguées sans maïs, le potrero (luzernières encloses), et enfin les vergers. • Accès aux ressources d’élevage, c’est-à-dire nombre d’animaux de chaque famille d’espèces : auquénidés (lama ou alpaga), petits ruminants (ovin ou caprin), bovins, équins (âne, mule ou cheval). • Activités extérieures du chef de famille, en dedans ou en dehors de la communauté. À peu près la moitié des chefs de famille peuvent avoir une activité extérieure à l’exploitation (Figueroa et Hervé, 1988), laquelle peut prendre de 30 à 80 % du temps disponible (Brunschwig, 1986). Les catégories initiales sont : employé, commerçant, artisan, mineur ou ouvrier, employé agricole temporaire. • Parmi ceux qui n’ont pas de ressources agricoles ou d’élevage, on différencie les employés agricoles (permanents ou temporaires) des autres professions.

Analyses effectuées au niveau des communautés paysannes

14 Le haut bassin-versant du Cañete, inclus dans la province de Yauyos, constitue notre espace régional de référence. Dans cet espace 6 types ou groupes de communauté- territoire (on évitera désormais l’expression « type de communauté » et on la remplacera par « groupe », afin d’éviter toute confusion avec les types d’unités de production), caractérisés par les mêmes combinaisons de zones de production agro- pastorales, représentent des systèmes agraires différenciés (Hervé et Barrio, 2003). Ce regroupement a été obtenu par classification manuelle à partir des listes des zones de production présentes dans chaque communauté, puis validé par Analyse Factorielle Discriminante (AFD) à partir du pourcentage en surface de chacune de ces mêmes zones de production (Hervé et Barrio, 2003). L’analyse de la distribution de plus de 2000 unités de production (UPAF, procédant de l’échantillon des 23 communautés) entre les modalités des différentes variables d’accès aux ressources (zones de production, animaux d’élevage) ainsi que l’âge du chef de famille, par groupe de communautés, a permis de préciser, au niveau de chaque groupe de communautés, la composition de l’accès des unités de production agricole aux ressources.

15 En assumant l’équivalence entre unités de production et chefs de famille, il devient possible d’étudier la diversité des unités de production (UPAF) en décrivant leur accès aux zones de production. Cela est fait par groupe de communauté (système agraire), sans considérer dans un premier temps leur appartenance à une communauté concrète. La répartition de cette diversité des UPAF pourra ensuite, dans un deuxième temps, être comparée entre communautés. Il est intéressant pour les organismes de développement de connaître ces différentes distributions par niveau d’analyse, c’est-à- dire : de dépasser les études de cas trop spécifiques afin d’apprécier des voies de

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généralisation, ou de mesurer s’il existe localement un effet communauté sur des processus de différenciation ou d’accumulation.

Analyses effectuées au niveau des unités de production agricole (UPAF)

16 Les 2 004 UPAF ayant tous les renseignements nécessaires sont sélectionnés pour participer à la typologie, en excluant dans un premier temps les chefs de famille sans ressources agropastorales. Le sexe du chef de famille n’intervient pas dans la typologie mais est utilisé comme variable explicative supplémentaire. La condition de résidence est utilisée uniquement dans les 4 groupes de communautés pour lesquels elle est renseignée.

17 Les variables quantitatives sont transformées en modalités d’effectifs équilibrés sur l’ensemble de la population d’UPAF, car on ne dispose pas d’information a priori sur des seuils pertinents pour les différents types d’UPAF et groupes de communautés. Ce sera alors la différente répartition des UPAF dans les modalités des variables, à la fois dans les différents pôles ou groupes d’UPAF et dans les différents groupes de communautés, qui permettra de décrire les types d’UPAF. Le nombre de modalités, de 2 à 4 par variable, est choisi d’après les distributions des variables. Il en résulte 4 modalités d’âge (18-39, 40-52, 53-64, 65-95 ans), 2 classes d’activité extérieure (sans ou avec), 3 modalités de nombre de bovins (0, 1-9, > 9), 3 de nombre d’ovins ou/et de caprins (0, 1-29, > 29), 3 de nombre de lamas ou/et d’alpagas (0, 1-29, > 29), et 3 de nombre d’équins (0, 1-2, > 2). On obtient à la fin une table de données par groupe de communautés et on sélectionne pour chacune les seules variables pour lesquelles la somme de valeurs est différente de 0. 18 La typologie proprement dite comprend deux étapes. a. L’établissement des types par une technique de centres mobiles, laquelle permet d’assigner des individus à des groupes au moyen du calcul itératif des distances euclidiennes dans l’espace de l’ensemble des variables1. Le nombre de types est choisi pour optimiser l’univocité des classifications des individus dans les types. Suivant ce critère, les groupes de communautés les plus peuplés en UPAF ont logiquement plus de types que les autres : 6 types pour le groupe IV (578 UPAF), 7 types pour le groupe V (658 UPAF), 5 types pour le reste des groupes. On retient dans chaque cas le nombre d’itérations qui permet d’obtenir une stabilité satisfaisante dans le classement des individus. Ensuite on décrit la typologie obtenue pour chaque groupe de communauté. Pour cela, des tables de double entrée « type d’UPAF x modalités de la variable » sont construites pour chacune des variables, en indiquant les Chi-2 correspondants de manière à étudier la signification de chaque modalité dans la séparation de chaque type. Cette analyse des types d’UPAF nous amène à une sélection et à une description par modalité, des variables pertinentes spécifiques à chaque type. L’élaboration des « coefficients de ressemblance partielle » de Perrot (qui mesurent la ressemblance entre chaque modalité de variable et chaque type) se fait ici à partir du pourcentage d’UPAF du type étudié qui possède la modalité soumise à analyse, et en fonction de la signification de la valeur qui résulte du test de Chi-2. Ces coefficients de ressemblance partielle correspondent aux règles utiles pour le classement de nouvelles UPAF dans les types existants. Les modalités les plus spécifiques et les critères dominants permettent finalement de nommer chaque type, et leur comparaison entre types permet d’élaborer l’arbre de classement des individus dans les types, par groupe de communautés. b. Le reclassement des individus (UPAF) dans ces types au moyen de l’algorithme de Perrot (Perrot, 1990), lequel utilise les coefficients de ressemblance partielle obtenus plus haut, pour

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aboutir à des « coefficients de ressemblance totale » entre chaque unité de production et chaque type, ce qui permet une classification pondérée et relative des UPAF dans les différents types2. Le programme GENETYP (développé par le département « Systèmes d’Exploitation et d’Élevage » de l’Institut de l’Élevage : Leroy, 1995) assigne chaque UPAF au type d’UPAF pour lequel elle présente le coefficient de ressemblance totale le plus élevé. Les résultats obtenus peuvent être analysés afin d’optimiser la typologie et de réduire les confusions de classement3. Une analyse en composantes principales (ACP) construite à partir des tables des coefficients de ressemblance totale ( % de ressemblance entre chaque UPAF et chacun des types) permet de projeter types et individus dans un espace défini par la combinaison de ces coefficients. La signification des axes s’interprète à l’aide des coefficients de ressemblance partielle entre variables et types, pour les types qui contribuent le plus à l’axe étudié et qui se rapprochent le plus à lui. Cette analyse est une première approximation pour étudier des tendances relationnelles et évolutives entre les types de chaque groupe de communautés.

19 L’analyse de la stratification des UPAF dans les groupes de communautés permet donc de mettre en évidence les relations entre les systèmes de production et l’environnement géographique indicateur du système agraire. Comme on a dit, l’effet communauté peut aussi être étudié au sein d’un groupe donné. On intégrera aussi, dans ces analyses, les unités de production sans activité agricole ou d’élevage.

Caractérisation et premier diagnostic des groupes de communautés et des types de familles paysannes Les six groupes de communautés

20 Les 6 groupes de communautés sont composés de communautés voisines, situées sur les mêmes gradients d’altitude et ayant la même combinaison de zones de production (fig. 2 et 3). On développe ici une présentation d’ensemble des groupes et de la distribution des ressources et de l’accès des unités de production agricole à ces ressources (espèces d’élevage et zones de production agricole), dans ces groupes (cf. Hervé et Barrio, 2003) : • Le groupe I, « élevage d’altitude » (Atcas et Tanta inclus dans l’enquête indirecte exhaustive, Langaico et Poroche non inclus), intègre des communautés à éleveurs d’altitude avec souvent des grands troupeaux ovins et auquénidés (lamas, alpagas) sur parcours de graminées et bofedales (zones inondées), ou sur des sols avec peu de végétation dans l’étage sous-andin (<4.000 msnm4). • Le groupe II, « élevage diversifié et secano en altitude » (Huancahi, Tomas et Vilca enquêtés, Tinco non enquêté), est composé d’éleveurs ou d’éleveurs-agriculteurs sur secano (cultures non irriguées en rotation collective avec jachère longue), avec souvent des grands troupeaux bovins, ovins-caprins ou auquénidés, sur parcours de graminées dans l’étage andin, ou sur des surfaces particulièrement étendues de sols peu couverts par la végétation dans l’étage sous-andin. • Au groupe III, « agriculture et élevage de transition en altitude » (Huancaya enquêté, Vitis non enquêté), appartiennent des agriculteurs-éleveurs ou des agriculteurs, avec du secano et parfois des potreros (luzernières) ; troupeaux de bovins et d’ovins-caprins sur les mêmes types de parcours que dans le groupe II. • Le groupe IV, « agriculture diversifiée à dominante secano-maizal et élevage » (Alis, Carania, Huantán, Laraos, Miraflores et Piños, tous enquêtés), comprend des agriculteurs-éleveurs ou

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des agriculteurs, avec du secano mais aussi avec des cultures irriguées sur terrasses à mur de pierre du type maizal, souvent transformées en potreros ; ovins-caprins et bovins sur les mêmes types de parcours que dans le groupe II (graminées plus souvent sur des pentes fortes), plus de l’arbustif dense sous les 4 000 msnm. • Le groupe V, « agriculture diversifiée à dominante potrero et peu d’élevage » (Allauca, Aucampi, Auco, Cachuy, Casinta, Cusi, Quisque et Yauyos enquêtés, Achín, Aiza, Aquicha, Pampas et Tupe non enquêtés), comprend des agriculteurs-éleveurs ou des agriculteurs, avec éventuellement du secano privé (pan llevar), des cultures irriguées (maizal), et très souvent du potrero, parfois des vergers ; bovins et ovins-caprins sur les mêmes types de parcours que dans le groupe IV, plus de l’arbustif xérophytique. • Le groupe VI, « agriculture spécialisée de fond de vallée et élevage » (Capillucas, Catahuasi et Putinza, tous enquêtés), regroupe les fruiticulteurs de fond de vallée, parfois avec des potreros et du secano privé ; parfois quelques animaux sur parcours de graminées à faible pente en altitude, ou xérophytiques (arbustifs ou cactacées) dans l’étage sous-andin.

21 Seul le groupe I de communautés d’éleveurs d’altitude a une population de chefs de famille nettement plus jeune que les autres groupes. Le groupe VI de fruiticulteurs est celui qui a la population de chef de famille la plus âgée. Les groupes I et II sont à dominante d’éleveurs, III, IV et V à dominante d’agriculteurs-éleveurs et VI à dominante d’agriculteurs dont on sait que la moitié est composée d’agriculteurs stricts.

Figure 2 - Les groupes de communautés de la zone étudiée, province de Yauyos

22 Dans les deux groupes extrêmes d’altitude et de fond de vallée, les unités de production n’ont majoritairement pas de bovins, alors qu’environ 60 % des unités de production des autres groupes ont des bovins (et 30 % environ ont plus de 9 bovins). La proportion d’éleveurs d’ovins-caprins suit un gradient régulièrement descendant depuis le groupe I jusqu’au groupe VI, ce qui correspond assez bien à la diminution des zones de

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parcours utilisables toute l’année par des petits ruminants (y compris la diminution de l’accès à la jachère longue collective dans les groupes III à VI). En comparaison, l’accès aux auquénidés est limité par la présence de parcours d’altitude et de prairies permanentes inondées en aval des lacs glaciaires, dans les parties hautes des communautés des groupes I et II. 23 L’accès au secano révèle la présence de cette zone de production dans presque tous les groupes (sauf dans les communautés d’éleveurs situées trop en altitude pour pouvoir cultiver), y compris dans les communautés basses qui reposent essentiellement sur l’irrigation (même s’il y est nettement minoritaire et privatif : pan llevar dans les groupes de communautés V et VI). L’accès au maizal se trouve réduit aux groupes IV et V, étant donné que les communautés d’altitude ont très peu de cultures irriguées, et que dans le groupe VI les vergers prédominent largement sur toutes les autres cultures irriguées. L’accès au potrero est inverse de celui du secano (sauf pour le groupe VI), et particulièrement important dans les groupes V et IV qui combinent l’irrigation et l’élevage bovin5. Les vergers sont accessibles à 84 % des unités de production dans le groupe VI et à 34 % dans le groupe V. 24 Les espaces agricoles abandonnés sont particulièrement présents dans les groupes IV à VI, où ils se distribuent différemment selon le groupe. Ainsi, dans le groupe IV la présence des surfaces abandonnées anciennement irriguées (maizal, potrero) est importante, alors que le secano semble mieux tenir. Dans le groupe V la tendance est inverse, les surfaces irriguées étant surtout employées en potreros, maizales ou vergers, et le secano soumis à l’abandon étant très étendu. Dans le groupe VI le poids de l’abandon de surfaces irriguées s’accroît à nouveau, mais dans un contexte où la surface en irrigué (verger, potrero) domine largement par rapport au pan llevar en secano. 25 Concernant les zones de production pastorale, les formations végétales discriminantes des groupes de communautés sont principalement les formations extrêmes, bofedales en altitude (groupe I), végétation sèche de cactacées et xérophytes en fond de vallée (groupes V et VI) et zones érodées à végétation éparse dans les étages intermédiaires (groupes II à V). 26 Les zones sans possibilité d’utilisation agricole ou pastorale fournissent des indications géographiques qui apparaissent secondaires dans la typologie : les affleurements rocheux ont une présence significative partout, les surfaces enneigées sont importantes dans les groupes I et IV, et les zones érodées sans végétation dans les groupes I, V et VI.

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Figure 3 - Clé de classification des communautés de Yauyos à partir des principales variables des Analyses Factorielles Discriminantes (AFD)

27 Il apparaît dans la clé de classification (fig. 3) que les communautés peuvent être distinguées simplement par leur accès aux seules zones de production agricoles. 28 La classification en groupes de communautés a un taux de permanence (inertie) élevé et une portée globale à l’échelle du système agraire, caractéristiques qu’elle hérite des zones de production qui sont des variables synthétiques de caractère paysager6. Concernant les dynamiques strictement agraires des communautés, on peut avancer quelques éléments de diagnostic sur le moyen et le long terme : • Les oppositions les plus marquantes en termes de ressources des communautés sont celles entre altitude et fond de vallée, agriculture et élevage, spécialisation et diversification, culture sous pluie et irrigation, gestion collective ou privatisation, élevage à laine sur parcours et élevage laitier sur potrero. Ces combinaisons d’éléments opposés permettent de décrire les différences entre groupes de communautés. • Ces oppositions n’excluent pas des situations intermédiaires, notamment entre les groupes de communautés plus agricoles. Par exemple, certaines communautés du groupe IV se rapprochent de celles du V (Carania, Huantán), du fait de l’importance relative de leur domaine irrigué en potrero ou de la moindre emprise de leur secano. D’autres du groupe V se rapprochent de celles du groupe VI (Cachuy, Auco) du fait de l’importance de leurs zones fruitières, nouvelles ou issues de la reconversion de terrasses irriguées. Ces situations intermédiaires peuvent être indicatrices de phases de transition associées à des changements d’utilisation du sol. Ainsi, des trajectoires d’évolution des communautés entre groupes apparaissent, qui iraient du groupe IV vers le groupe V (privatisation et abandon du secano, reconversion du maizal en potrero à bovins), ou du groupe V vers le groupe VI (essor de la fruiticulture dans d’anciens potreros ou maizales). • Le secano a été moins abandonné dans les communautés (relativement plus peuplées) caractérisées dès le départ par un secano ou un maizal importants (types III et IV). Dans ces

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communautés, la présence de zones en abandon anciennement irriguées est indicatrice d’une diminution de la population et/ou de l’entretien collectif des infrastructures d’irrigation, c’est-à-dire d’une déstructuration du système social traditionnel (type IV). • La transformation de l’infrastructure irriguée collective (maizal), vers une production individuelle de cultures annuelles sans maïs (types IV et V), est liée à un abandon généralisé des zones de culture. En revanche lorsqu’elles ont été reconverties en vergers, les zones de culture irriguées n’apparaissent pas comme abandonnées (type V). • Les potreros et les vergers sont situés à proximité des maizales dont ils sont souvent issus (types IV et V). La reconversion au potrero s’est plutôt produite dans des communautés où le secano n’a jamais été très important (types V et VI), étant donné que dans les communautés où le secano était important, la transformation des maizales a plutôt impliqué leur privatisation ou/et leur abandon (type IV). • Les secteurs économiquement les plus porteurs sont souvent ceux qui permettent une spécialisation, comme l’élevage à laine en altitude, l’élevage bovin laitier associé à des potreros, ou les vergers en fond de vallée. On peut se demander si ces spécialisations correspondent à des évolutions démographiques, mais ce que l’on observe clairement est une tendance à la division des parties de communautés qui contrôlent les étages extrêmes concernés par la spécialisation, soit en altitude soit en fond de vallée. On aboutit ainsi à une réduction de diversité au sein du territoire communal résultant de la division. Par exemple, les communautés d’Atcas, Langaico et Poroche sont d’anciens secteurs d’altitude, et Casinta se consacre de plus en plus à la production fruitière à l’aval du bassin-versant de Pampas.

Les trente-trois types d’UPAF observés dans les différents groupes de communautés

29 On dispose, par groupe de communauté, de trois ensembles d’informations : • La description des types (tabl. 2) : nom (acronyme), nombre d’UPAF qui les composent par rapport au nombre d’UPAF du groupe de communautés, description sommaire avec signalement (gras) des critères les plus spécifiques et (souligné) des critères dominants qui donnent le nom au type. Les types que l’on considère les plus importants et stables ont leur acronyme souligné. • L’arbre de classement des UPAF dans les types (fig. 4). Les types que l’on considère les plus importants et stables sont entourés d’une double bordure. • La répartition des UPAF dans les types d’UPAF, en incluant ici les unités de production sans activité agropastorale (Figure 4). • De plus, pour chaque groupe de communauté on peut signaler trois indicateurs utiles pour le diagnostic, qui permettent d’estimer la possible évolution du système agraire : le % d’UPAF cumulé selon une hypothèse de stabilité des types (fonction de l’âge, de l’importance de l’accès aux ressources et du poids des activités extérieures concurrentielles à l’agriculture)7, le % de chefs de famille âgés ou éventuellement de non-résidents (lorsque cette variable est incluse dans le groupe de communautés), et le % d’unités sans activité agropastorale.

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Figure 4 - Clés pour classer les Unités de Production Agricole Familiale (UPAF) dans les types d’UPAF, par groupe de communauté

Groupe I (variable “résidence” incluse), 205 UPAF

J.Va. (27/205 =13,2 %). Jeunes ; propriétaires de bovins, 96 % avec beaucoup de petits ruminants, quelques-uns ou beaucoup d’auquénidés, 0 à 2 équins.

G. (61/205 =29,8 %). La plûpart (71 %) sans activité extérieure ; en général (76 %) sans bovins, mais beaucoup d’élevage (petits ruminants, auquénidés, équins).

J.AEx. (67/205 =32,7 %). Les plus jeunes du groupe ; 61 % avec activité extérieure ; 95 % sans bovins, moins d’élevage que les autres types. Plus de 85 % d’hommes.

NR. (22/205 =10,7 %). Non résidents ; seulement 62 % sans bovins, 88 % avec beaucoup de petits ruminants, quelques-uns ou beaucoup d’auquénidés, 83 % avec 0 à 2 équins

Vi. (28/205 =13,7 %). Les plus âgés du groupe ; en général (78 %) sans bovins, moins d’élevage que les autres types (sauf J.AEx.).

Groupe II (variable « résidence» exclue), 230 UPAF

G. (36/230 =15,6 %). Personnes d’âge moyenne ; plutôt éleveurs, seulement 32 % a une activité extérieure ; 74 % sans secano ; 87 % avec bovins, en général beaucoup d’élevage en petits ruminants, auquénidés et équins.

AG.Va. (51/230 =22,2 %). Personnes de tout âge ; 88 % éleveurs et agriculteurs (le reste éleveurs), et seulement 24 % avec activité extérieure ; 88 % avec secano ;

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spécialisés en bovins (90 % >9 bovins) et avec équins, mais situation variable concernant les petits ruminants, et 85 % sans auquénidés. 20 % de femmes.

J.G. (86/230 =37,4 %). Jeunes éleveurs ; 52 % avec activité extérieure, 95 % sans secano ; 90 % avec 0 (47 %) à <10 (44 %) bovins, mais 80 % avec beaucoup de petits ruminants et auquénidés, 0 à 2 équins.

J.AEx. (25/230 =10,9 %). Les plus jeunes du groupe ; 71 % avec activité extérieure ; type avec le plus d’agriculteurs exclusifs du groupe (14 %), 62 % avec secano ; 97 % avec 0 (68 %) à <10 (29 %) bovins, peu ou aucun élevage autre. 21 % de femmes. Au moins 15 % non résidants.

Vi. (32/230 =13,9 %). Les plus âgés du groupe ; 48 % combine une activité agricole (dont seulement 9 % exclusive) et uniquement 24 % a une activité extérieure ; 50 % avec secano ; en général sans (62 %) ou avec peu (26 %) de bovins, ou d’équins, situation variable concernant les petits ruminants, 80 % sans ou avec peu d’auquénidés.

Groupe III (variable “résidence” incluse), 71 UPAF

OC. (13/71 =18,3 %). A la fois éleveurs et agriculteurs, 100 % avec secano (et 11 % avec potrero) ; 78 % sans bovins (le reste avec <10), sans auquénidés, mais avec beaucoup de petits ruminants, 89 % avec équins.

Va.OC. (25/71 =35,2 %). A la fois éleveurs et agriculteurs, seulement 26 % avec activité extérieure ; 96 % avec secano (et 9 % avec potrero) ; 83 % avec beaucoup de bovins (le reste avec <10), et 87 % avec beaucoup de petits ruminants, 26 % avec auquénidés, 70 % avec équins.

J. (4/71 =5,6 %). Les plus jeunes du groupe (11 % non résidents) ; seulement 33 % avec activité extérieure ; c’est le type à moins d’agriculteurs, avec 44 % d’éleveurs exclusifs, seulement 56 % avec secano (et 11 % potrero) ; 56 % sans bovins, 89 % avec petits ruminants (67 % avec <30), mais sans auquénidés et 89 % sans équins.

Vi.Va. (13/71 =18,3 %). Les plus âgés du groupe (14 % non résidents) ; 57 % avec activité extérieure ; 71 % avec secano et 29 % avec potrero ; 100 % avec bovins, mais sans petits ruminants ni auquénidés, 86 % avec 0 à 2 équins.

A. (16/71 =22,5 %). Les plus agriculteurs du groupe (seulement 12 % ont quelques petits auquénidés), 100 % avec secano (et 12 % potrero) ; sans bovins et sans petits ruminants (94 %), sans auquénidés, sans équins.

Groupe IV (variable “résidence” incluse), 577 UPAF (ce groupe intègre une comparaison avec la typologie établie en 1997 dans la communauté de Huantán, par Meneses, 1999)

P.Va. Ages avancés ; à la fois éleveurs et agriculteurs, 39 % avec activité extérieure ; 71 % avec secano+ pan llevar, 70 % avec maizal, 89 % avec potrero ; 95 % avec bovins et équins, 69 % avec petits ruminants, 70 % sans auquénidés. Deux sous-groupes : J.(2) (87/577 =15,1 %) (Type IA de Meneses). Jeunes agriculteurs et éleveurs, 54 % avec activité extérieure ; 73 % avec secano et 8 % avec pan llevar,

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65 % avec maiz et 24 % avec des cultures irriguées sans maïs, 71 % avec potrero. Seulement 12 % de femmes. Vi.Va. (156/577 =27 %) (Type IB de Meneses). Vieux agriculteurs et éleveurs, seulement 34 % avec activité extérieure ; 70 % avec secano et 3 % avec pan llevar, 68 % avec maïs et 18 % avec des cultures irriguées sans maïs, 88 % avec potrero ; plus de bovins (94 % avec, dont 61 % avec beaucoup, contre respectivement 87 % et 35 %), 30 % avec auquénidés (contre 20 %). 20 % de femmes.

G. (63/577 =10,9 %) (Type IIA de Meneses). Les plus éleveurs du groupe (dont 57 % aussi agriculteurs), seulement 21 % avec activité extérieure (quoique 10 % de non résidents) ; seulement 44 % avec secano+ pan llevar, seulement 52 % avec maizal, 91 % sans potrero ; seulement 32 % avec bovins, en revanche 84 % avec beaucoup de petits ruminants, 79 % avec auquénidés, 34 % avec équins.

J. Les plus jeunes du groupe ; agriculteurs et/ou éleveurs, 48 % avec activité extérieure ; 74 % avec secano+pan llevar, 68 % avec maizal, seulement 32 % avec potrero ; 57 % avec bovins, 36 % avec petits ruminants et équins, mais 92 % sans auquénidés. 29 % de femmes. Deux sous-groupes : J.(1) (103/577 =17,8 %) (Type III de Meneses). Plus jeunes ; agriculteurs et/ou éleveurs, seulement 46 % avec activité extérieure ; plus avec maïs (mais moins avec des cultures irriguées sans maïs). 34 % de femmes. J.(2) (87/577 =15,1 %) (Type IIB de Meneses). Moins jeunes ; 95 % agriculteurs et éleveurs, 54 % avec activité extérieure ; plus avec des cultures irriguées sans maïs (24 % contre 3 %), et avec potrero (71 % contre 18 %) ; plus de bovins, petits ruminants et équins (éventuellement auquénidés). Seulement 12 % de femmes.

NR. (60/577 =10,4 %). Non résidents (58 % avec activité extérieure) ; relativement jeunes ; sont les plus agriculteurs du groupe (99 %, dont 38 % aussi éleveurs) ; 71 % avec secano+llevar, seulement 50 % avec maizal, mais 63 % avec potrero ; seulement 26 % avec bovins, sans ou avec peu de petits ruminants, auquénidés ou équins.

Vi. (108/577 =18,7 %) (Types IVA et IVB de Meneses). Les plus âgés du groupe ; 98 % agriculteurs (61 % aussi éleveurs), 41 % avec activité extérieure ; 75 % avec secano+pan llevar, 79 % avec maizal, seulement 42 % avec potrero ; 47 % avec bovins, mais sans ou avec peu de petits ruminants, auquénidés ou équins. 42 % de femmes.

Groupe V (variable “résidence” exclue), 656 UPAF

J.Va. Jeunes agriculteurs et éleveurs ; 41 % avec pan llevar, 44 % avec maizal et 92 % avec potrero, mais seulement 23 % avec vergers ; avec bovins (70 % avec beaucoup) et 87 % avec équins, situation diverse par rapport aux petits ruminants. Deux sous-groupes : J.Va.(1) (93/656 =14,2 %). Plus jeunes ; plus avec maïs (mais moins avec des cultures irriguées sans maïs) et avec vergers (33 % contre 16 %). J.Va.(2) (83/656 =12,6 %). Moins jeunes ; plus avec pan llevar (46 % contre 29 %) et cultures irriguées sans maïs, et avec potrero (92 % contre 87 %) ; plus de bovins, petits ruminants et équins.

Vi.Va. Agriculteurs et éleveurs d’âge avancé, la plupart (71 %) sans activité extérieure ; 55 % avec maizal, 96 % avec potrero, 31 % avec vergers ; avec des

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bovins (72 % avec beaucoup), 85 % avec équins, situation diverse concernant les petits ruminants. Deux sous-groupes : Vi.Va(1) (79/656 =12 %). Agriculteurs et éleveurs, plus avec activité extérieure (37 % contre 29 %) ; plus avec vergers (40 % contre 30 %) ; 81 % avec bovins (mais seulement 19 % avec beaucoup), 92 % sans ou avec peu de petits ruminants, 71 % sans équins. 27 % de femmes. Vi.Va(2) (88/656 =13,4 %). Agriculteurs et éleveurs ; plus avec des cultures irriguées sans maïs (28 % contre 11 %) et surtout avec pan llevar (44 % contre 19 %) ; 98 % avec bovins (87 % avec beaucoup), avec plus de petits ruminants, avec équins.

J.OCA. (128/656 =19,5 %). Jeunes agriculteurs et éleveurs (23 % uniquement éleveurs) ; seulement 21 % avec maizal, 48 % avec potrero et 27 % avec vergers ; sans ou avec peu de bovins, avec petits ruminants.

J.A. (96/656 =14,6 %). Jeunes agriculteurs (17 % aussi éleveurs), 53 % avec activité extérieure ; 39 % avec pan llevar, mais seulement 31 % avec maizal, uniquement 63 % avec potrero, 37 % avec vergers ; 83 % sans bovins, sans petits ruminants, 83 % sans équins. 25 % de femmes.

Vi.A. Les plus âgés du groupe ; 62 % uniquement agriculteurs (le reste agriculteurs et éleveurs) ; uniquement 25 % avec pan llevar, 44 % avec maizal, 80 % avec potrero et 50 % avec vergers ; sans ou avec peu de bovins, petits ruminants et équins. 33 % de femmes. Deux sous-groupes : Vi.A. (89/656 =13,6 %). Uniquement agriculteurs, plus avec activité extérieure ; plus avec pan llevar (27 % contre 19 %) et vergers (51 % contre 40 %) ; 99 % sans bovins, sans petits ruminants, 79 % sans équins. 33 % de femmes. Vi.Va(1) (79/656 =12 %). Agriculteurs et éleveurs ; plus avec maizal, plus avec potrero (93 % contre 76 %) ; 81 % avec bovins, 64 % avec petits ruminants, 71 % sans équins.

Groupe VI (variable “résidence” incluse), 260 UPAF

J.A. (57/260 =21,9 %). Les plus jeunes du groupe ; 96 % uniquement agriculteurs et 77 % avec activité extérieure ; 6 % avec potrero, avec vergers ; autour du 95 % sans bovins, petits ruminants et équins.

GA.OCA. (60/260 =23,1 %). Eleveurs (dont 26 % exclusifs) et agriculteurs, 47 % avec activité extérieure ; 7 % avec potrero, uniquement 63 % avec vergers ; 82 % sans bovins, 94 % avec petits ruminants, 53 % avec équins.

Vi.AG. (53/260 =20,4 %). Vieux agriculteurs et éleveurs, uniquement 14 % avec activité extérieure ; 32 % avec pan llevar et 39 % avec potrero, 89 % avec vergers ; 84 % avec bovins, 63 % avec petits ruminants et équins. 18 % de femmes.

Vi.A. (79/260 =30,4 %). Vieux agriculteurs (96 %), 49 % avec activité extérieure ; 19 % avec potrero, 90 % avec vergers ; sans bovins, 94 % sans petits ruminants, 78 % sans équins. NR.A. (11/260 =4,2 %). Non résidents ; 93 % uniquement agriculteurs et 67 % avec activité extérieure ; 20 % avec potrero, 73 % avec vergers ; 93 % sans bovins, petits ruminants et équins.

30 Types d’UPAF du groupe I (fig. 4a) : • Se caractérisent par leur activité d’élevage exclusif.

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• Les deux types les plus stables seraient les jeunes avec bovins (type J.Va.), et les grands éleveurs à laine traditionnels de la zone, plutôt sans bovins (G). Les autres types sont des jeunes à installation précaire, dont le manque de ressources est souvent compensé par des activités extérieures (J.AEx.), les non-résidents qui conservent une activité d’élevage (NR), et les vieux éleveurs en fin d’activité (Vi). • Le type le plus fréquent (32,7 % des UPAF) est celui des jeunes dont l’installation est en question, alors que les jeunes dont l’installation est plus consolidée ne représentent que 13,2 %, moins donc que le groupe des grands éleveurs (29,8 %) qu’ils sont censés remplacer. Les vieux éleveurs représentent 13,7 % des UPAF, et les non-résidents 10,7 %. Les unités de production sans activité agropastorale représentent 10,9 % de l’ensemble du groupe I de communautés.

31 Types d’UPAF du groupe II (fig. 4b) : • Ont une majorité de productions d’élevage. • Les deux types les plus stables forment un sous-groupe d’éleveurs avec bovins : premièrement les éleveurs à laine (G), et deuxièmement les éleveurs et agriculteurs de secano spécialisés dans les bovins (AG.Va.). À ces types il faut ajouter celui des jeunes, souvent pluriactifs, qui possèdent un important élevage pour l’essentiel à laine (J.G.). Finalement, les types les moins stables sont celui des jeunes dont l’installation semble difficile, et qui ont fréquemment recours aux activités extérieures (J.AEx.), et celui des vieux éleveurs-agriculteurs en fin d’activité (Vi). • Il semblerait que, dans ces communautés, la suite des activités soit moins compromise que dans le groupe I, vu que le groupe des jeunes ayant plus de difficultés d’installation ne représente que 10,9 % du total d’UPAF, alors que l’autre groupe de jeunes représente 37,4 %. L’ensemble des trois types les plus stables couvre 75,2 % des UPAF. Les vieux agriculteurs ne représentent que 13,9 % des UPAF. Les unités de production sans activité agropastorale représentent 19,3 % de l’ensemble du groupe II de communautés, ce qui est considérable et qui peut s’expliquer par l’activité minière de certaines communautés.

32 La typologie du groupe III (fig. 4c) ne se base que sur une communauté, elle est donc la moins fiable : • L’activité agricole y est plus importante : un plus grand nombre d’UPAF a accès au secano, une nouvelle zone de production apparaît, le potrero, et l’élevage de lamas-alpagas diminue drastiquement. • Les types les plus stables sont les éleveurs-agriculteurs de secano, avec beaucoup d’ovins (OC) ou avec à la fois beaucoup d’ovins et beaucoup de bovins (Va.OC.). Les autres types sont celui des jeunes qui s’installent avec plutôt peu d’ovins et souvent sans activité extérieure (J), ainsi que celui des vieux éleveurs-agriculteurs en fin d’activité et souvent pluriactifs, avec systématiquement un atelier de bovins (Vi.Va.). Il faut ajouter enfin le type des agriculteurs de secano (A). • Les pourcentages ont peu de sens dans ce groupe étudié sur une seule communauté. Signalons toutefois que l’addition des trois types les plus stables (dont le 18,3 % de vieux souvent pluriactifs) fait 71,8 %, alors que le groupe des jeunes à installation difficile ne porte que sur 5,6 % des UPAF. Il n’y a pas d’unités de production sans activité agropastorale. • À mesure que l’on a progressé dans les trois groupes de communautés d’altitude, les éleveurs à bovins semblent de plus en plus âgés. Les jeunes commencent à capitaliser des ovins ou des auquénidés avant d’accumuler des bovins, ce qu’ils font plus rapidement dans le groupe I que dans le groupe II ou III. Ces tendances disparaissent par la suite.

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33 Types du groupe IV (fig. 4d) : • Ce groupe présente, comme le III, une diversification des activités agricoles : 21 % d’agriculteurs stricts avec un moindre accès au secano mais avec du maizal et un accès plus fréquent au potrero, et avec globalement moins d’accès aux animaux d’élevage. • Les trois types les plus stables seraient les suivants : jeunes agriculteurs-éleveurs en cours d’installation, souvent pluriactifs, ayant fréquemment accès à toutes les zones de culture et espèces animales possibles (J2) ; éleveurs ou éleveurs-agriculteurs surtout spécialisés sur de l’ovin-caprin et quelques lamas-alpagas, sans potrero et avec un accès modéré au secano et au maizal (G) ; vieux agriculteurs-éleveurs ayant souvent accès à toutes les zones de culture (dont presque systématiquement au potrero), et à toutes les espèces animales avec souvent beaucoup de bovins (Vi.Va.). À ces types on peut ajouter les jeunes en cours d’installation en agriculture et/ou élevage pauvres et assez souvent pluriactifs (J1), les non-résidents qui ont conservé une activité agricole, parfois d’élevage (NR), et les vieux agriculteurs-éleveurs ou agriculteurs en fin d’activité et assez fréquemment pluriactifs (Vi). • La somme des trois types les plus stables représente 53 % des UPAF. Les trois types les plus instables seraient donc les jeunes qui s’installent (17,8 %), les non-résidents (10,4 %), et les vieux principalement agriculteurs (18,7 %). Cet ensemble de types est plus diversifié que ceux des groupes de communautés antérieures, mais ici les chefs de famille âgés sont très nombreux (45,7 %, soit plus du double en pourcentage) et les types les plus fragiles associent toujours une activité extérieure. Les unités de production sans activité agropastorale ne représentent que 6,2 % de l’ensemble du groupe IV de communautés.

34 Types du groupe V (fig. 4e) : • Les tendances agricoles décrites se poursuivent dans ce groupe, avec une diminution de l’accès au secano (dont la gestion devient exclusivement individuelle) et au maizal, et au contraire une augmentation de l’importance du potrero et des vergers. La diminution de l’élevage se poursuit. • Les types les plus stables seraient ceux à activité mixte qui associent du potrero et de nombreux bovins, souvent avec ovin-caprin, et une possibilité d’accès à diverses productions agricoles souvent dans un cadre privatif (non communal) : les jeunes (J.Va.2), et les vieux ayant plus d’accès aux vergers (Vi.Va.2). Suivent les jeunes avec une activité mixte ou d’élevage fondée sur un certain nombre d’ovins-caprins (J.OCA.), et les types (jeunes J.Va.1, ou vieux Vi.Va.1) dont l’activité mixte comprend un accès au potrero avec en général peu de bovins (éventuellement ovin-caprin) et une possibilité d’accès à diverses productions agricoles plus souvent dans un cadre de gestion communale, ou à des vergers. Enfin, il faut citer les agriculteurs diversifiés (souvent pluriactifs et assez souvent du sexe féminin) mais avec un accès modéré aux ressources : jeunes (J.A.) ou vieux (Vi.A.). • Les deux types les plus riches ne font que 26 % des UPAF, alors que les types d’éleveurs- agriculteurs moins riches sont les plus nombreux (19,5 % pour ceux à ovins-caprins, plus 26,2 % pour ceux à bovin-potrero), suivis par les agriculteurs (28,2 %). On trouve 39 % de chefs de famille âgés dans ce groupe. Les unités de production sans activité agropastorale représentent 9,1 % de l’ensemble du groupe V de communautés.

35 Types du groupe VI (fig. 4f) : • Finalement, ce groupe n’a que peu d’élevage et une activité agricole orientée vers la fruiticulture, avec quelques résidus de secano privé et de potrero. • On peut mentionner les jeunes pluriactifs spécialisés sur les vergers (J.A.), et surtout les éleveurs-agriculteurs souvent pluriactifs, à ovin-caprin et souvent des vergers (GA.OCA.). Les vieux agriculteurs-éleveurs en fin d’activité (Vi.AG.), peu pluriactifs, combinent souvent

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toutes les ressources disponibles : bovin, caprin, fruits, secano, potrero. Par ailleurs les vieux agriculteurs en fin d’activité (Vi.A.), souvent pluriactifs, n’ont pratiquement que des arbres fruitiers. Il y a enfin un petit nombre de non-résidents, généralement fruiticulteurs à temps partiel (NR.A.). • Les deux types les plus stables additionnent 45 % des UPAF, et le type des vieux agriculteurs- éleveurs 20,4 %, alors que les non-résidents ne représentent que 4,2 %. L’ensemble des vieux représente 50,8 % des UPAF. Les unités de production sans activité agropastorale représentent 16,9 % de l’ensemble du groupe VI de communautés : c’est la proportion la plus élevée après celle du groupe II.

36 Les trois derniers groupes de communautés ont des types d’UPAF représentés souvent par des chefs de famille âgés. On note aussi une diminution significative des pourcentages des types qualifiés de plus « stables » jusqu’à environ 50 % (souvent avec des chefs de famille âgés), alors qu’ils dépassaient 70 % dans les communautés des groupes II et III (normalement avec des chefs de famille moins âgés).

37 En tout, on dénombre 33 types d’UPAF pour l’ensemble des 6 groupes de communautés. Ces types peuvent être rapprochés les uns des autres de manière à établir une « typologie générique » au niveau de l’ensemble du territoire étudié, moins détaillée que celle établie par groupe de communauté. Cette typologie générique existe, mais elle n’est pas présentée dans le cadre de ce document.

De la caractérisation de la diversité aux diagnostics territorial et évolutif des familles

38 La connaissance de la diversité des communautés et des unités de production est un préalable pour l’accomplissement d’une fonction de diagnostic ou de prédiction utile au développement.

La démarche typologique en tant que modélisation de la diversité

39 Les solutions de développement et de spécialisation agraire mises en relief par la typologie ou regroupement des communautés paysannes peuvent constituer des références pour la viabilité des sociétés rurales étudiées8. La démarche typologique appliquée aux familles paysannes permet la stratification des populations d’agriculteurs et éleveurs, de façon à mieux intégrer leur diversité régionale ou locale dans une optique d’aide au développement. Cette démarche favorise entre autres9 l’objectivation et l’optimisation des échanges entre les experts et les agriculteurs, la mobilisation des référentiels disponibles, ainsi que l’élaboration raisonnée de politiques régionales de développement et leur application ou leur contrôle. Cet outil tarde à être mis à la disposition des régions d’agriculture traditionnelle ou marginale (et notamment des pays du Sud) afin qu’elles comprennent son intérêt et intègrent ses démarches de construction, de généralisation et d’actualisation. La haute vallée du Cañete, dans les Andes du Pérou, fait partie de ces grands espaces d’agriculture marginale caractérisés à la fois par une très faible intensité de l’information et du conseil technique disponibles, et par une très forte variation spatiale des systèmes agraires (espace montagnard, microsociétés différenciées en communautés).

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40 Dans ces conditions nous avons adapté la méthode typologique sélectionnée (démarche semi-automatique), et nous l’avons appliquée au sein de cadres géographiques cohérents avec les systèmes agraires (les groupes de communautés). En tant que partie d’une séquence méthodologique, cette analyse couplée entre ressources agropastorales, communautés et unités de production est une avancée dans la compréhension de la complexité de l’espace andin. D’une part, on obtient une description précise des groupes de communautés sur le plan de la combinaison des ressources disponibles, ainsi que sur le plan de la répartition de l’accès des unités de production à chacun des ressources. D’autre part, on obtient une typologie des unités de production agricole familiale (UPAF) par groupe de communauté, fondée sur l’accès aux ressources (zones de production agricole, familles d’espèces animales), l’âge, les activités extérieures ou le lieu de résidence. La méthode fournit, aussi, des éléments de comparaison entre communautés par la prise en compte des différentes situations de fonctionnement des familles à l’intérieur de chaque communauté. En définitive, cet outil peut être décliné autant au niveau local (la communauté), que micro-régional (le groupe de communautés) voire régional (l’ensemble des groupes de communautés). Comme résultat, nous obtenons une représentation nuancée de l’agriculture de la région et un ensemble d’indicateurs quantitatifs qui permettent d’évaluer, par exemple, le rôle des différents facteurs dans les types ou le poids des différents types dans un espace donné. 41 La méthode proposée vise à intégrer les conditions de formalisation et de souplesse qui manquent à d’autres procédures typologiques. Son coût est relativement faible à condition de tenir compte de son caractère progressif, progressivité qui concerne la construction de la typologie, son utilisation, et sa portée spatio-temporelle c’est-à-dire sa généralisation (comparaison entre territoires) et son actualisation (entre deux dates d’inventaire ou sur le long terme) : • Les besoins de comparaison, au-delà des communautés individuelles ou des groupes homogènes de communautés, peuvent apparaître à une échelle régionale entre groupes de communautés (procédure de regroupement des types), ou bien à une échelle interrégionale (ce qui demande une procédure d’expertise sur les délimitations des zones de production, des variables et de leurs modalités, des types d’UPAF). En tout cas, les questions génériques posées ne sont pas exclusives à une localité, mais caractéristiques de la petite agriculture familiale insérée dans des communautés villageoises et pour laquelle la notion de combinaison de zones de production a un sens en tant qu’indicatrice du système agraire. • Les besoins d’actualisation dépendent à plus ou moins long terme des évolutions des systèmes agraires ou groupes de communautés (abandon ou modification d’usage de certaines zones de production, spécialisations ou scission de secteurs en altitude ou en fond de vallée), des évolutions des types d’unités de production (des types peuvent apparaître ou disparaître, ce qui demande des actualisations de la clé typologique qui fait correspondre les types aux modalités de variables, au moyen d’une enquête indirecte et d’une participation d’experts), et des évolutions des unités de production à l’intérieur des types (ce qui peut être évalué en appliquant les procédures de reclassement de la typologie existante, au moyen d’une simple enquête indirecte locale). Ces actualisations dépendent des enjeux d’utilisations précises de la typologie, et devraient s’effectuer avec la collaboration des acteurs et organismes impliqués dans la zone, ce qui n’est pas sans poser problème étant donné le caractère souvent fragile de leur présence et la dimension opportuniste (projets, financements) de leur action.

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Le diagnostic sur le territoire et les dynamiques des familles paysannes

42 Les aspects qui déterminent la typologie se caractérisent par des oppositions définies par la topographie (altitude-fond de vallée), le système agraire et de production (élevage-agriculture, élevage à laine sur parcours-laitier sur potrero, agriculture sous pluie-irriguée) et les structures locales (diversification-spécialisation, pauvreté- richesse, gestion collective-privatisation). Les systèmes et les structures sont interdépendants et leur nature dynamique est explicative des évolutions observées et prévisibles. La tendance est vers la différenciation entre communautés d’éleveurs d’altitude et communautés d’agriculteurs-éleveurs, elles-mêmes caractérisées de plus en plus par une plus grande spécialisation et une gestion privative. En altitude, l’activité d’élevage est soumise à la concurrence de l’activité minière et touristique. En fond de vallée, se vérifie une concurrence croissante d’activités diverses plus orientées vers les services, ainsi qu’une présence accrue de non-résidents qui ont un accès facilité au territoire moyennant une amélioration des infrastructures de transport.

43 Par groupe de communautés, nous avons identifié, décrit et quantifié les types d’unités de production agricole familiale (UPAF) les plus « stables » (définis en fonction de l’importance de l’accès aux ressources, mais aussi de l’âge du chef de famille et du poids des activités extérieures concurrentielles à l’agriculture) et aussi les plus « instables » (fonction également de l’accès aux ressources et de l’âge, ainsi que du lieu de résidence). Les groupes de communautés avec un pourcentage supérieur de types d’UPAF qualifiés de stables sont, dans cet ordre, les groupes II, III et VI, suivis par des pourcentages croissants de types instables dans les groupes V, I et IV. Deux tendances principales se dessinent chez les unités de production les plus stables : • De spécialisation vers les élevages à laine d’altitude (dans les groupes I et II de communautés), l’élevage bovin laitier dans les terres basses à luzernières (dans les groupes II à V) ou la production fruitière en fond de vallée (dans le groupe VI). Il existe une tendance à la division des parties de communautés qui contrôlent les étages extrêmes concernés par la spécialisation, en altitude ou en fond de vallée. • D’accumulation au cours du cycle vital de l’exploitation, dans le cadre d’un système d’exploitation plus ou moins diversifié. • Quant aux unités de production les plus instables, elles se concentrent dans les groupes de communautés fragilisés par une proportion relativement élevée de chefs de famille âgés (groupes IV, V et VI), avec peu ou pas de ressources agro-pastorales (groupes I, II, III et VI) ou résidant en dehors de la communauté (groupes d’altitude et de fonds de vallée). • Les groupes de communautés d’altitude (I et II) ont une structure et un fonctionnement clairement différencié des autres groupes (cf. aussi Hervé et Barrio, 2003) : • Dans les groupes d’altitude (I et II, ainsi que III), les jeunes commencent à capitaliser des ovins ou des auquénidés avant d’accumuler des bovins, ce qu’ils font plus rapidement dans le groupe I, puis dans le groupe II (éleveurs à bovins de plus en plus âgés selon que l’on avance dans les groupes). • On observe des trajectoires d’évolution allant du groupe IV vers le groupe V à travers une privatisation et un abandon du secano ainsi que d’une reconversion du maizal en potrero à bovins et du groupe V vers le groupe VI (fruiticulture dans d’anciens potreros ou maizales), ainsi qu’un processus généralisé de privatisation.

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• On observe, particulièrement dans le groupe IV où il a subsisté pendant plus longtemps, un phénomène de déstructuration du système social traditionnel, une diminution de la population et/ou de l’entretien collectif des infrastructures d’irrigation et un abandon des zones anciennement irriguées, mais aussi une persistance de la culture sous pluie dans le secano (de même que dans le groupe III). Dans ce même groupe IV et un peu dans le V, on vérifie des situations d’abandon généralisé des zones de culture associées à la transformation de l’infrastructure irriguée collective vers la production individuelle de cultures annuelles sans maïs, du moins lorsque cette infrastructure n’a pas été transformée en potreros (groupe V) ou en vergers privés (groupe VI).

44 Quant au diagnostic par groupe de communautés, il se résume ainsi : • Le groupe I possède deux types d’éleveurs qualifiés de stables (43 % des UPAF), mais surtout un grand type de jeunes avec peu de ressources et souvent une activité extérieure, dont l’installation est en question (33 % des UPAF). • Le groupe II se caractérise par la présence de deux à trois types d’UPAF plus stables (75 % des UPAF, si l’on compte les jeunes avec quelques ressources), mais aussi par beaucoup de chefs de famille sans ressources agropastorales (19 % du total de chefs de famille). • Le groupe III inclut aussi deux ou trois types relativement stables (72 % des UPAF, si l’on rajoute les chefs de famille âgés ayant des bovins), de même que des nombreux chefs de famille avec peu d’activité agropastorale (22,5 % des UPAF). • Dans le groupe IV nous différencions trois types d’UPAF relativement stables (53 % des UPAF), mais aussi de nombreux jeunes avec peu de ressources et souvent des activités extérieures (18 % des UPAF). Les deux types avec un chef de famille âgé constituent 46 % des UPAF et les types les plus fragiles associent toujours une activité extérieure. La diversification productive est plus grande que dans les groupes de communautés précédents, et il y a peu de chefs de famille sans activité agropastorale (6 % du total de chefs de famille). • Le groupe V possède deux à quatre types d’UPAF relativement stables (60 % des UPAF, si l’on ajoute les deux types de jeunes avec quelques ressources) et diversifiés, mais aussi des jeunes agriculteurs avec peu de ressources et souvent des activités extérieures (15 % des UPAF). Les deux types avec chef de famille âgé additionnent 39 % des UPAF. • Le groupe VI se caractérise par la présence de trois types d’UPAF qu’on peut dire stables (65 % des UPAF), mais également par 51 % de chefs de famille âgés distribués dans deux types d’UPAF. On y trouve beaucoup de chefs de famille sans ressources agropastorales (17 % du total de chefs de famille).

45 La procédure d’actualisation typologique permet d’actualiser le diagnostic et de détecter les évolutions, qu’elles soient prévues ou imprévues, générales ou marginales, plus ou moins significatives des dynamiques du système agraire communal. Les évolutions démographiques, socioprofessionnelles ou migratoires pourraient être mises en relation avec ces changements.

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NOTES

1. Les noyaux des groupes sont constitués de points qui, d’abord distribués au hasard, sont ensuite recentrés par itérations sur les points moyens des différents groupes d’UPAF en cours de formation. À la différence d’autres méthodes de classification automatique (notamment l’analyse factorielle des correspondances), la technique des centres mobiles permet d’utiliser les effectifs déséquilibrés des modalités qui se produisent dans les populations d’UPAF au sein de chaque groupe de communautés, et de mieux assimiler des variables de nature hétérogène (âge, résidence, activité, système de production). Alors que l’analyse factorielle construit un espace multifactoriel dont l’objectif est d’absorber un maximum de variabilité statistique au moyen de combinaisons de variables, ce qui n’a pas forcément un sens typologique, la technique des centres mobiles permet de préserver l’indépendance supposée de chaque variable. 2. Alors que les techniques automatiques de construction de types à partir d’une population d’individus sont imprécises pour classer définitivement ces individus dans les types. 3. Les résultats obtenus permettent : 1) d’identifier les types qui présentent une plus grande ressemblance entre eux (nombre important d’UPAF ayant des coefficients de ressemblance totale élevés pour ces types ressemblants), 2) d’obtenir pour chaque type la distribution de ses UPAF dans les modalités des variables, ce qui peut être comparé avec la règle initiale citée ci-dessus pour étudier les correspondances. Ces deux analyses sont complémentaires et peuvent suggérer des changements dans le poids qui doit être donné à certaines variables pour certains types afin d’optimiser les résultats du reclassement, c’est-à-dire mieux séparer les types et mieux sélectionner les UPAF qui obéiront aux règles de chaque type. Une fois réalisés ces changements on relance les calculs avec GENETYP, pour ainsi réduire au maximum le nombre d’UPAF présentant des confusions importantes de classement entre types. 4. Msnm : metros sobre el nivel del mar, mètres au-dessus du niveau de la mer. 5. La diète bovine combine maïs et luzerne. Une partie des aliments est produite et vendue par des agriculteurs qui n’ont pas nécessairement de bovins 6. Pour ce qui est des phénomènes socio-économiques dont le pas de temps est plus court et qui marquent les dynamiques de la population (migration vers la ville, impact d’autres secteurs d’activité, demandes d’infrastructures et services…), on peut se demander quelle est la portée de cette classification en tant que cadre d’analyse. 7. Les acronymes des types en principe les plus stables apparaissent soulignés dans l’Encadré 1 et entourés d’une double bordure dans la Figure 4. 8. Les typologies des communautés sont des modèles des systèmes agraires et, en tant que tels, permettent la mise à l’épreuve de scénarios d’évolution sur place, ou la comparaison avec des situations analogues ou contrastées au sein du territoire étudié ou sur d’autres territoires.

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9. Des croisements avec des paramètres socioéconomiques comme par exemple, la richesse et la spécialisation des producteurs, deviennent possibles. L’emploi dans le cadre de politiques, programmes ou actions de développement (gouvernements, ONG, etc.) peut faciliter le déroulement de ceux-ci : par exemple, dans le cadre d’un programme de conservation et restauration des terrasses de culture, les UPAF concernées peuvent être aisément identifiées et caractérisées.

RÉSUMÉS

Une typologie d’unités de production agricole familiales (UPAF) est construite sur la base des 6 groupes de communautés qui différencient des systèmes agraires dans le haut bassin-versant du Cañete (département de Lima, Pérou). L’hypothèse est que la différenciation socioéconomique entre les unités de production est limitée du fait des fortes contraintes du milieu montagnard qui encadrent les ressources disponibles, et du fait de leur appartenance à des communautés paysannes qui en régulent l’accès et la distribution. On utilise une méthode semi-automatique d’agrégation sur des pôles virtuels définis avec une technique de centres mobiles, et caractérisés selon des modalités de variables descriptives. Le croisement de la typologie des communautés paysannes avec celle des unités de production familiales, facilité par l’utilisation d’un même concept de zone de production, fournit une représentation précise de la diversité des unités de production agricole familiales, qui s’étend depuis le niveau de la communauté à celui de la province. Plus de 2 000 UPAF se répartissent ainsi dans 33 types définis par des oppositions de topographie (altitude-fond de vallée), système de production (élevage à laine sur parcours ou laitier sur luzernière, agriculture sous pluie ou irriguée) et structure locale (diversification- spécialisation, pauvreté-richesse, gestion collective-privatisation). Deux tendances se dessinent chez les unités de production les plus stables : 1) de spécialisation vers les élevages d’altitude, l’élevage bovin laitier sur luzernières ou la production fruitière, et 2) d’accumulation au cours du cycle vital de l’exploitation. Il apparaît aussi que certaines communautés sont fragilisées par une proportion relativement élevée de chefs de famille avec peu ou pas de ressources agro-pastorales, âgés ou résidant en dehors de la communauté. Les deux groupes de communautés d’éleveurs d’altitude ont des caractéristiques clairement différenciées par rapport aux quatre autres groupes d’agriculteurs-éleveurs. En altitude, l’activité d’élevage (ovins et auquénidés, puis bovins) est soumise à la concurrence des activités minières et touristiques, ce qui est à mettre en rapport avec la présence de nombreux chefs de famille avec peu ou pas d’accès aux ressources agropastorales mais avec une activité extérieure. En milieu de vallée on observe un phénomène de déstructuration du système social traditionnel fondé sur l’entretien collectif des infrastructures d’irrigation, lesquelles sont soumises à l’abandon ou partiellement transformées vers la production individuelle de cultures annuelles sans maïs ou de luzerne à bovins. Ces communautés sont clairement fragilisées par la présence de nombreux chefs de famille âgés ou ayant un accès limité aux ressources agropastorales et, souvent, une activité extérieure dans les exploitations minières. En fond de vallée on trouve des communautés spécialisées en fruiticulture (dans d’anciennes parcelles à culture annuelle irriguée avec mais ou luzernières), avec aussi des nombreux chefs de famille âgés ou sans accès aux ressources agropastorales, mais souvent avec une activité extérieure. Dans ces communautés se vérifie une concurrence croissante d’activités diverses plus orientées vers les services, ainsi qu’une présence accrue de

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non résidents dont l’accès au territoire est facilité par l’amélioration des infrastructures de transport.

A farm household typology is built on the basis of 6 community groups which differentiate agrarian systems in the high Cañete watershed (department of Lima, Peru). The hypothesis is that socioeconomic differentiation between production units is limited first because mountainous constraints define available resources and secondly because peasant communities regulate rules of access and distribution. We use a semi-automatic method of aggregation on virtual poles defined by a “mobile centers” process, and explained with the modalities of descriptive variables. Crossing the peasant community typology and the farm household typology is allowed by the use of a common entity, the production zone. It gives a good image of production units diversity, from the community to the province level. More than 2000 production units are distributed within 33 types defined by oppositions of topography (altitude vs. valley bottom), production system (wool livestock on pasture land or dairy livestock on alfalfa, rain-fed or irrigated agriculture) and local structure (diversification-specialization, poverty-wealth, collective management-privatization). Two dynamics appear inside the more stable production units : 1) specialization to altitude breeding, milk production with alfalfa or fruit production, 2) accumulation along the farm vital cycle. Some communities are fragile because an high proportion of the family heads have few or any agro-pastoral resources, are old or live outside the community limits. The two groups of pastoralist communities in altitude have characteristics clearly differentiated from the other four groups of farmers and breeders. In altitude, the activity of livestock (sheep and camelid, then dairy cattle) is subject to competition from the mining and tourism, which is related to the presence of many heads of households with little or no access to agro-pastoral resources but with an outside activity. At the middle of the valley we observe a disintegration of the traditional social system based on the collective maintenance of irrigation infrastructure, which are subject to abandonment or partially converted to the individual production of annual crops without corn, or alfalfa for dairy cattle. These communities are clearly weakened by the fact that many heads of households are elderly or have limited access to agro-pastoral resources and often an outdoor activity in mining. In the valley bottom there are communities that specialize in fruit growing (in old parcels for irrigated annual crop with corn or alfalfa), with also many heads of households aged or without access to agro-pastoral resources, but often with an outside activity. In these communities there is an increasing competition with a variety of activities oriented to services, and a growing presence of non-residents for which land access is facilitated by improved transport infrastructure.

INDEX

Mots-clés : Pérou, Province de Yauyos, typologie semi-automatique, unités de production, zones de production, communauté paysanne, système agraire Keywords : Peru, Provincia de Yauyos, semiautomatic typology, farm household units, production zones, peasant community, agrarian system

AUTEUR

JOSÉ CARLOS BARRIO DE PEDRO

Chargé de recherches. Centro de Estudios del Desarrollo Local y Regional (CEDER). Universidad de Los Lagos (http://www.ulagos.cl/). C/Lord Cochrane Nº1056, Osorno, Chile ; +(56)64-2333056 ; mèl : [email protected]

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Au Laos, la nouvelle aventure minière pourra-t-elle se dérouler sans conflits ? The Lao Mining Adventure : Geopolitics of Resources Without Conflict ?

Éric Mottet

1 Au Laos, depuis une dizaine d’années, les Investissements Directs Étrangers (IDE) sont essentiellement orientés vers l’exploitation des ressources naturelles, notamment minières. De puissants voisins, la Chine, la Thaïlande et le Vietnam, se disputent le contrôle de ces ressources minières, et une petite dizaine de pays se mêlent à cette lutte, dont l’Australie. Par le passé, la position géopolitique du Laos, celle d’un État tampon et de transit au cœur de la péninsule indochinoise, représentait son principal atout. Aujourd’hui, ses réserves minérales abondantes constituent les nouveaux éléments de son capital d’attraction.

2 Pour la RDP lao1, les exportations minières représentent près de 42 % de la totalité des exportations (2003-2011) en valeur, alors que les recettes fiscales et redevances rapportent entre 10 et 15 % de l’ensemble des taxes collectées. Toutefois, l’afflux d’investissements étrangers ne s’est pas traduit par des volumes équivalents en terme de travail salarié. Sur la main-d’œuvre totale du pays, le secteur des mines fournit très peu d’emplois. L’État laotien compte surtout sur les investissements directs étrangers pour poursuivre son développement économique centré sur de grands projets miniers. En RDP lao, ces grands projets miniers symbolisent l’appropriation par l’État central et le secteur privé (joint-venture) des ressources au nom d’une politique d’intégration régionale et de reconquête des marges territoriales. En d’autres termes, ces politiques illustrent la priorité accordée aux intérêts nationaux – surtout de la classe politique – et à ceux du secteur privé, issus des pays voisins que sont la Chine et le Vietnam, au risque de négliger les préoccupations et les besoins des populations locales. 3 L’objectif de cet article est d’analyser les évolutions récentes de l’industrie minière au Laos pour identifier les innovations politiques, législatives et fiscales facilitant l’accès aux territoires et aux ressources et leur appropriation respectivement par le

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gouvernement central, le secteur privé et les pays voisins. Il s’agira également de comprendre les ambiguïtés et les limites de l’implication des populations locales dans les projets d’exploitation minière. En effet, la politique minière ainsi mise en place pose la question des relations entre le gouvernement central et les populations des régions marginales à travers les mécanismes d’attribution des concessions et l’encadrement des retombées socio-économiques. Certains aspects, déjà largement évoqués dans la littérature scientifique, tels que la question des minorités ethniques du Laos, la mise en place de permis d’exploitation minière ou de concession minière, les tensions suscitées par les contrats miniers, et la malédiction des matières premières, ne seront pas traités dans cet article, dont l’objectif essentiel est d’aborder le cas spécifique de la RDP lao. 4 Après avoir brossé le portrait du secteur minier à l’échelle du pays et mis en évidence les différents modes d’exploitation, l’article traitera des éléments législatifs et fiscaux mis en place par le gouvernement du Laos afin d’attirer des investisseurs potentiels, notamment étrangers. Cette mise en perspective nous conduira, d’une part, à mesurer l’impact réel de l’industrie minière sur l’économie nationale de la RDP lao et, d’autre part, à nous interroger sur les retombées économiques, sociales et environnementales directes et indirectes d’un projet minier industriel dans un espace reculé. Enfin, à travers l’exemple de Xaysomboun, zone marquée par de nombreux conflits historiques entre le gouvernement central et l’ethnie minoritaire hmong, nous mettrons en relief comment Vientiane, avec l’aide des investissements étrangers, exerce un meilleur contrôle sur son territoire.

Portrait du secteur minier au Laos : un potentiel en pleine croissance

Brève histoire de l’exploitation minière au Laos

5 Le Laos possède une véritable richesse minérale. On y prospecte2, explore3 et exploite des minerais et des roches tels que l’or, le cuivre, l’argent, le charbon, l’étain, le gypse, les pierres précieuses, la bauxite, le silicium, le lignite, le potassium, etc. (tabl. 1), l’or et le cuivre représentant de loin les plus importants minerais exploités et exportés. Cependant, les grandes exploitations minières industrielles sont très récentes : elles ne remontent qu’à une dizaine d’années4.

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Tableau 1 – Réserves prouvées5 et probables6 des ressources minières du Laos

(Source : Department of Mines, Ministry of Energy and Mines, 2012 ; Ministry of Natural Resources and Environment, 2012)

6 Pourtant, dès la fin du XIXe siècle, immédiatement après l’occupation de l’Indochine, les explorateurs français ont identifié des gisements miniers (étain, or, argent, fer, plomb). En 1898, le Service Géologique de l’Indochine (SGI) conduit les premières études afin d’identifier et de cataloguer les gisements (Government of Lao PDR, 2006, p. 6). Pendant l’époque coloniale, de petites exploitations familiales et commerciales voient le jour. C’est notamment le cas de l’étain de la Nam Pathene, province de Khammouane, ou de l’extraction de minerai de fer à Phou Nhuan et Phou Lek (montagne de fer en lao) dans le Xiengkhouang (Sisouphanthong et Taillard, 2000, p. 90). Dans les années 1920 à 1940, plusieurs exploitations sont entreprises, principalement par la France, mais le déclenchement de la Guerre d’Indochine (1946-1954) interrompt la production (Mixay, 2005, p. 9). Pendant cette période, les quantités extraites sont systématiquement envoyées dans des fonderies à l’extérieur du pays (World Bank, 2011, p. 5). À la fin de l’ère coloniale, la France renonce à mettre en valeur le territoire laotien malgré son fort potentiel en ressources naturelles, notamment minières (Stuart-Fox, 1995, p. 136). Pendant l’Entre-Deux-Guerres, c’est-à- dire jusqu’au déclenchement de la Guerre du Vietnam (1964-1975), la prospection et l’exploration minières sont entreprises avec la coopération du Japon, des États-Unis (Philadelphia Air Service Company) et/ou du Royaume Uni. Après 1975, la RDP lao, nouvellement créée, profite de ses très bons rapports avec l’URSS (1983), la Tchécoslovaquie, la Bulgarie (1985) et le Vietnam (Vietnam-Laos Geological Division, 1978), pour entreprendre des études conjointes afin d’évaluer l’importance des gisements et la possibilité d’attirer des investisseurs nationaux et étrangers (Government of Lao PDR, 2000, p. 21-26 ; Government of Lao PDR, 2006, p. 6). Finalement, il faut attendre l’adoption du Nouveau Mécanisme Économique (NME) en 1986 pour que les activités minières du Laos connaissent une forte croissance. Parallèlement, les grands bailleurs de fonds internationaux financent un programme de cartographie des ressources géologiques et minérales du pays (World Bank, 2011, p. 5). Du début des réformes à ce

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jour, le secteur a connu un essor considérable des investissements (tabl. 3), avec l’arrivée massive d’investisseurs étrangers, et une augmentation du nombre de mines et de propriétés minières au stade de l’exploitation ou de l’exploration avancée, en particulier dans le secteur de l’or et du cuivre. Jusqu’à aujourd’hui, le Ministry of Energy and Mines (MEN) a d’ores et déjà cartographié le potentiel géologique de près de 65 % du territoire national. Il vise une couverture complète pour 2015.

Structure nationale de la production de minerais

L’extraction minière artisanale

7 Très répandues dans les zones rurales, ces exploitations plus ou moins légales concerneraient près de 15 % des villages situés le long des cours d’eau riches en alluvions pendant la saison des pluies (or, étain). Pendant la saison sèche, ce chiffre se situerait entre 2 % et 5 % (Government of Lao PDR, 2006, p. 7). Différentes enquêtes indiquent qu’entre 15 000 et 50 000 villageois, dont 75 à 80 % de femmes, s’adonneraient de façon saisonnière à ce type d’exploitation (Hinton & al., 2003, p. 153 ; ICMM, 2011, p. 17). Modeste en volume, l’extraction artisanale d’or, de pierres précieuses (saphir) et d’étain générerait malgré tout des revenus complémentaires pour les villageois. En effet, on estime qu’un orpailleur peut extraire jusqu’à une once (environ 31,10 gr) d’or par an. Malgré le prix très élevé de l’or sur le marché international7, il est peu probable qu’un chercheur d’or artisanal empoche plus de la moitié de cette somme, victime qu’il est des ponctions des intermédiaires tels les raffineurs et les fondeurs-essayeurs de métaux précieux. Malgré tout, une enquête internationale évalue la valeur, quoique difficile à estimer, de la production annuelle des orpailleurs entre 8 et 25 millions US$ (World Bank, 2011, p. 7). Pourtant, ce secteur d’activité essentiellement informel fournit peu ou pas de recettes fiscales à l’État central étant donné que, dans la très grande majorité des cas, la production n’est pas déclarée (ICMM, 2011, p. 17).

8 Pas du tout intégrées à l’économie nationale et constituant une menace pour l’environnement local, ces innombrables petites exploitations demeurent difficiles à surveiller par l’État lao. En effet, ce type de prospection, qui utilise des produits chimiques non conformes aux normes internationales tel que le mercure destiné à amalgamer les paillettes d’or, engendre des problèmes environnementaux durables à l’échelle villageoise, à la fois pour les sols, les cours d’eau et l’atmosphère (Douangta, 2012). 9 Bien qu’autorisées par l’article 35 de la Loi sur les mines de 1997, confirmées par l’article 51 de la Law on Minerals de 2011, et naguère encouragées pour lutter contre la pauvreté des zones rurales, ces exploitations artisanales plus ou moins licites semblent dans le collimateur du pouvoir central, qui dans un souci de promotion de l’industrie minière, leur préfère de loin les petites, moyennes et grandes exploitations.

Les petites et moyennes exploitations minières

10 Ce sont principalement des entreprises nationales ou des sociétés appartenant à l’Armée ayant des partenaires et/ou des investisseurs régionaux venus notamment de Chine, du Vietnam et de Thaïlande (World Bank, 2011, p. 7). En l’absence de contrôles stricts par faute de moyens, on ne connaît ni le contenu des « contrats de coopération

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d’affaires » (durée, droits et obligations, etc.) liant les entités lao aux entreprises étrangères, puisque négociés de gré à gré sans l’intervention de l’État, ni le volume de minerais produit et expédié dans les pays voisins afin d’y être transformé. En conséquence, très peu d’informations sont disponibles sur leur contribution à l’économie du Laos. Tout comme pour l’extraction artisanale, ce format d’entreprise offre peu d’avantages fiscaux si ce n’est l’exonération de taxes sur les produits utilisés par la compagnie minière. Utilisant des procédés d’extraction rudimentaires exigeant une force de travail se situant entre 10 et 150 employés, elles embauchent une main- d’œuvre locale peu qualifiée et, dans certains cas, font venir des ouvriers de Chine ou du Vietnam (Kyophilvong, 2009, p. 94 ; World Bank, 2011, p. 7). Les technologies utilisées sont généralement simples, ce qui en l’absence d’expérience et/ou du manque de surveillance dans la manipulation des produits chimiques conduit souvent à des incidents environnementaux. Les dérives étant nombreuses, le gouvernement lao a saisi l’opportunité de la mise en application de la Loi sur les mines révisée (Law on Minerals, 2008 et 2011) pour y inclure des clauses sur la protection de l’environnement et la participation directe des communautés locales au projet (Articles 60 et 61). En 2010, 30 % des petites et moyennes entreprises minières ont fait l’objet d’un avertissement pour le non-respect de certaines clauses. La même année, 16 d’entre elles ont été frappées par une décision d’arrêt d’exploitation (Siramath, 2010, p. 9).

Les grandes exploitations minières

11 En 2013, deux grandes entreprises minières opèrent au Laos, Phu Bia Mining (PBM) située dans la province de Vientiane à approximativement 120 km au nord-est de la capitale (Phu Kham et Houayxai) et MMG Lane Xang Mineral (MMGLXM) à Sepon, dans la province méridionale de Savannakhet. Pour 2008 et 2009, la production cumulée des deux sites d’extraction8 représente près de 74 % de l’or et 68 % du cuivre laotien (OZ Minerals, 2009, p. 13-14 ; Government of Lao PDR, 2010, p. 61 ; PanAust, 2011, p. 10 ; Minmetals & MMG, 2011, p. 20-21). La présence de ces deux mines industrielles d’envergure sur le sol national a fait apparaître le Laos dans les classements des pays producteurs de minerais en Asie-Pacifique9, nomenclature dans laquelle il brillait par son absence avant 2002, année de la mise en exploitation de la mine d’or de Sepon (cuivre en 2004). En 2010, le Laos représentait 0,6 % de la production totale d’or en Asie- Pacifique. Quant au concentré de cuivre, 1 % du volume total régional a été extrait en RDP lao (USGS, 2012, p. 12-13). Très modestes, ces chiffres permettent de relativiser l’importance de l’industrie minière laotienne à l’échelle de l’Asie-Pacifique, zone dominée, il est vrai, par la production des deux géants miniers australien et chinois. Cependant, avec des réserves d’or prouvées et probables s’élevant à environ 2 millions de tonnes, soit 2,5 fois la production annuelle régionale (865 000 kg), le Laos devrait accroître son importance au sein des pays producteurs de minerais d’ici 2020-2025, d’autant que les estimations du gouvernement laotien sont bien plus élevées (Government of Lao PDR, 2012a, p. 6). En Asie du Sud-Est (2010), l’importance de la production annuelle laotienne d’or (3 %) et de cuivre (12 %) est plus élevée. En effet, les réserves d’or prouvées et probables représentent 12 années de production pour l’ensemble des pays de l’Asie du Sud-Est (164 000 kg) (tabl. 2).

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Tableau 2 - Production des principaux minerais au Laos10

(Sources : USGS/2010 Minerals Yearbook – Laos ; Laos. Department of Mines, Ministry of Energy and Mines, 2009, 2012 ; Laos. Department of Mines, Ministry of Energy and Mines, 2009 - Statistical Yearbook, 2010)

12 Le climat économique international défavorable des années 2008-2009 a contraint PBM et MMGLXM à suspendre des projets d’expansion. Le manque de liquidités sur les marchés financiers mondiaux a été fatal pour le groupe australien OZ Mineral exploitant la mine de Sepon depuis 2002, l’obligeant à vendre en juin 2009 la totalité de ses parts à la compagnie chinoise Minmetals Resources Ltd. pour un montant de 1,3 milliard US$. Le changement de direction a donné lieu à la création du groupe Minerals and Metals Group (MMG), basé à Melbourne, et dont la filiale laotienne se nomme Lane Xang Mineral (Thammavongsa, 2010, p. 10). Au cours de cette même période (mai 2009), PBM, qui appartient à la multinationale australienne PanAust (Brisbane), a également fait appel à un groupe d’investissement chinois, la Guangdong Rising Assets Management Co., Ltd. (GRAM)11, pour obtenir des liquidités, soit 188 millions US$ contre 19,9 % du capital, lui permettant de mener à bien ses opérations et ses projets d’expansion, principalement au Laos12 (PanAust, 2009, p. 7-8 ; World Bank, 2011, p. 8).

13 Cet apport chinois de liquidités a permis, d’une part, à MMGLXM et PBM de traverser les turbulences financières mondiales sans ralentir significativement leur activité et, d’autre part, d’absorber la chute rapide du cours des matières premières en 2008 et 2009, conséquence directe de la crise économique planétaire. En 2012, les prévisions pour la mine de Phu Kham (PBM) annoncent un triplement de la production d’or, de cuivre et d’argent par rapport à 2008. Les chiffres prévisionnels avancés par MMGLXM annoncent également une augmentation de la production de cuivre. 14 Le volume de la production nationale laotienne – notamment des deux grandes mines industrielles –, combiné à l’expansion du nombre de projets miniers, ne cesse d’augmenter (tabl. 2 et 3). Entre 2009 et 2012, le nombre de compagnies minières présentes au Laos a doublé, passant de 150 à 290. Entre la prospection, l’exploration

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(10 270 km²) et l’exploitation (5 500 km²), près de 25 % du territoire national ont déjà été attribués sous forme de concessions minières (Government of Lao PDR, 2012b, p. 40, 44). En 2010, sur les 269 projets miniers dispersés sur l’ensemble du territoire (fig. 1), 30 % étaient en phase de prospection (82), 41 % en phase d’exploration (110), 1 % en étude de faisabilité (3) et 28 % en phase d’exploitation (Government of Lao PDR, 2010b, p. 7). L’environnement favorable aux investissements étrangers mis en place par le gouvernement lao en 2004 (Law on the Management of Foreign Investment), se confirme dans l’industrie minière où près de 186 projets (70 %), réparties entre 119 compagnies (77 %), appartiennent à des intérêts étrangers (tabl. 3).

Figure 1 - Localisation des concessions minières exploitées au Laos

15 Fait intéressant : bien que la Chine exploite près de deux fois plus de mines que le Vietnam, la superficie moyenne d’un site exploité par des intérêts chinois est très inférieure à un gisement vietnamien (tabl. 3). En effet, une mine vietnamienne en activité occupant en moyenne une superficie de 73 km² dépasse largement les 15 km² d’une exploitation chinoise. Ce constat apparaît également dans la superficie totale des mines exploitées par des investisseurs des deux pays, le Vietnam exploitant 2 330 km² contre 975 km² pour la Chine (Government of Lao PDR, 2012b, p. 43). Toutefois, si l’on examine les superficies en cours d’exploration par le Vietnam et la Chine, c’est-à-dire respectivement 736 km² et 3 758 km², d’ici quelques années la Chine sera la première puissance minière présente sur le territoire laotien (Government of Lao PDR, 2012b, p. 47). 16 Le gouvernement lao, jusque-là peu regardant sur l’attribution des concessions, a décidé d’en suspendre l’attribution de nouvelles jusqu’à la fin de l’année 201513. Cette mesure fait suite aux inquiétudes soulevées par la Banque mondiale et des membres de l’Assemblée nationale après qu’une série de projets de développement eurent empiété

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sur les terres de villageois et porté atteinte à l’environnement. Les études d’impacts social et environnemental sont trop souvent bâclées ; les autorisations sont octroyées dans une certaine opacité avec, à l’arrivée, des conflits fonciers avec les communautés villageoises présentes dans les zones de concession.

Tableau 3 - Pays d’origine des investisseurs dans le secteur minier en RDP lao

(Source : Department of Mines, Ministry of Energy and Mines, mars 2010)

Vue d’ensemble sur la législation et la fiscalité minière au Laos

La Loi sur les minerais

17 Adoptée en mai 1997, la Loi sur les mines (Mining Law, n° 04/97/NA) constitue la seconde législation du Laos à traiter spécifiquement de l’exploitation minière14. Entrée en application par décret en 2002, cette loi a pour objectifs principaux de déterminer le système de gestion et d’exploitation de la ressource, de confirmer la propriété de l’État sur la totalité des minerais et d’accroître la contribution de ce secteur d’activité économique. Cette politique visant à promouvoir et à développer le secteur minier est régie conjointement avec plusieurs autres textes de lois tels que la Law on Investment Promotion (n° 02/09/NA), la Law on the Management of Foreign Investment (n° 11/04/NA), la Tax Law (n° 4/05/NA), etc.

18 La Loi sur les mines révisée en 2006 souffre de nombreuses carences la rendant non- opérationnelle, notamment l’insuffisance de moyens humains et législatifs pour encadrer, d’une part, l’industrie minière et, d’autre part, les répercussions

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environnementales du secteur. Ces modifications ont conduit à la définition d’un nouveau Code minier en décembre 2008 sous la forme de la Law on Minerals (n° 04/08/ NA), Loi de nouveau révisée en décembre 2011 (n° 04/11/NA), abrogeant du même coup le Code minier de 2008 et entrée en vigueur en mai 2012. C’est dans ce contexte « environnementaliste » que le gouvernement laotien a décidé de transférer une partie des responsabilités du Department of Geology and Mines (DGM 15) – sous tutelle du Ministry of Energy and Mines depuis 2006 16 –, au Ministry of Natural Resources and Environment (MoNRE), créé en août 2011. Concrètement, les questions concernant l’élaboration des politiques en matière de développement socio-économique en lien avec l’industrie minière autrefois réservées au DGM sont désormais sous la responsabilité du MoNRE. 19 L’introduction de la Loi sur les minerais de 2011 a permis d’amorcer un processus visant à amener une réelle prise en compte des risques environnementaux. Ainsi, selon cette dernière loi, les permis d’exploitation doivent être accordés à la condition que les entreprises suivent une procédure d’octroi de permis minier ponctuée de plusieurs étapes, prérequis obligatoire à la mise en œuvre d’un projet minier. Dans un premier temps, la compagnie doit obtenir un permis de prospection valable deux ans extensible pour une année supplémentaire (Article 36). Lorsque l’information est suffisante, un permis d’exploration (3 ans + 2 ans) est accordé (Article 36). Si l’entreprise décide d’exploiter le ou les gisements explorés, une étude de faisabilité (1 an + 1 an) doit être menée. Il s’agit d’un plan de développement et d’exploitation du gisement qui comprend une étude de la rentabilité économique et des impacts sociaux et environnementaux, un plan d’atténuation des impacts ainsi qu’un plan de suivi environnemental. Si l’étude de faisabilité est concluante, un permis de construction des infrastructures (2 ans + 1 an) et d’exploitation (20 ans + 5 ans) est attribué (Article 44). Les titulaires de permis d’exploitation doivent également ouvrir et alimenter un compte fiduciaire en vue de constituer un fonds qui servira à couvrir les frais de préservation et de réhabilitation de l’environnement. Plusieurs acteurs étatiques sont impliqués dans le processus d’octroi de permis minier. Grâce à ce jeu d’aller-retour de la demande de permis, trois ministères émettent un avis favorable (ou défavorable). Il s’agit des Ministry of Planning and Investment (MPI), Ministry of Energy and Mines- Department of Mines (MEN-DOM) et Ministry of Natural Resource and Environment (MoNRE). Au cœur du processus, le Prime Minister Office (PMO) a le pouvoir de bloquer toute demande. Bien qu’ayant perdu quelques pouvoirs au profit du MoNRE, le DOM reste le gestionnaire et le premier interlocuteur des entreprises minières présentes en RDP lao. De plus, en tenant compte, d’une part, qu’il faut attendre plusieurs années avant qu’une mine entre en exploitation et, d’autre part, qu’environ 70 % des projets miniers sont actuellement en phase d’étude (prospection, exploration et étude de faisabilité), il est bien difficile de mesurer la portée des politiques environnementales imposées à l’industrie minière laotienne. 20 Avec les lois successives sur les mines (1997) et sur les minerais (2008 et 2011), indissociables de la Loi sur la promotion de l’investissement, le gouvernement laotien s’est clairement prononcé en faveur d’un système néolibéral caractérisé par la mise en place d’un environnement favorable au développement du secteur minier. Ces investissements peuvent prendre différentes formes, c’est-à-dire, soit une « coopération d’affaires » à travers un contrat, soit la création d’une « coentreprise » (joint-venture) entre une compagnie étrangère et une compagnie laotienne, soit une entreprise détenue à 100 % par des intérêts étrangers ou des capitaux laotiens. Au Laos, une part très importante des entreprises exerçant une activité d’exploitation minière

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est détenue par des investisseurs nationaux (73 %, pour 1 137 km²), alors que 23 % (pour 3 548 km²) appartiennent en totalité à des investisseurs étrangers et seulement 4 % (pour 804 km²) sont des coentreprises (Government of Lao PDR, 2012b, p. 43,44). 21 À la suite de ces efforts gouvernementaux pour la promotion du secteur minier, le Laos entretient l’espoir que des investissements, à la fois nationaux et étrangers permettraient à cette activité de devenir l’un des premiers secteurs en matière de financement du développement de l’économie nationale et de l’éradication de la pauvreté d’ici 2020. La suspension jusqu’à fin 2015 de l’attribution de nouvelles concessions minières freine, sans pour autant le compromettre, le plan de développement minier approuvé en 2008 par le gouvernement laotien (Government of Lao PDR, 2008b).

Régime fiscal pour les investisseurs

22 Les différentes lois qui régissent le secteur minier définissent les contours d’un régime financier et fiscal pour les compagnies œuvrant dans le secteur minier, ou cherchant à y œuvrer. Afin de favoriser les investissements, notamment étrangers, plusieurs mesures fiscales incitatives ont été mises en place favorisant particulièrement les grandes compagnies minières (Government of Lao PDR, 2012a). • De généreux loyers, se situant entre 0,5 et 1 US$/ha/an, durant les phases de prospection, d’exploration et d’étude de faisabilité. Pendant les phases de construction des infrastructures et de production, le prix de la location est compris entre 3 et 12 US$/ha/an ; • Une redevance (royalty) minière basée sur une échelle allant de 1 à 7 % de la valeur brute des ventes, selon le type de minerais ; • Un impôt sur le revenu des compagnies minières compris entre 25 % et 35 % selon la taille de l’entreprise et le type de minerai extrait ; • Une exemption de droits et de taxes d’importation sur les matières premières et les biens d’équipements17 (sauf sur les véhicules et le carburant) ; • Une exemption de la taxe à l’exportation sur les produits destinés à l’exportation ; • Un taux d’imposition de 10 % sur les revenus des expatriés employés par les compagnies minières.

23 D’apparence rigide, le régime fiscal permet une certaine flexibilité quant à l’échéancier du paiement des redevances et des impôts sur les sociétés. De plus, pour les grandes exploitations minières, d’autres exonérations fiscales, notamment sur les taux d’imposition, peuvent être négociées directement avec Vientiane.

24 Les réformes juridiques et fiscales ont reçu un accueil favorable de la part des investisseurs. Mais dans quelle mesure les réponses du secteur minier aux changements politiques – c’est-à-dire l’augmentation des investissements étrangers, l’augmentation de la production et des exportations, la part du secteur dans le Produit Intérieur Brut (PIB), et le nombre d’emplois créés – ont-elles contribué au revenu national de la RDP lao ?

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Impact sur l’économie nationale

Arrivée massive d’investissements étrangers dans le secteur minier

25 L’un des arguments avancés par le gouvernement laotien pour inciter les investisseurs privés étrangers à prendre en charge la prospection, l’exploration et l’exploitation minières est sa très faible capacité de financement et d’expertise technique dans le secteur minier. En outre, la promotion de l’investissement dans les minerais contribuerait concrètement au développement du pays, et plus particulièrement à l’amélioration des conditions de vie des populations, notamment dans les zones rurales, lieux concentrant les ressources minières.

Tableau 4 - Investissements directs étrangers dans l’industrie minière de la RDP lao

(Sources : Investment Promotion Department, Ministry of Plan and Investment, 2011 ; Bank of Lao PDR - Annual Reports, différentes années)

26 Au cours des dix dernières années, l’offre de mesures incitatives pour les entreprises étrangères, notamment la Law on the Management of Foreign Investment (2004), a eu des retombées économiques importantes en terme d’Investissements Directs Étrangers (IDE). Ainsi, entre 2001 et 2011 près de 21 % des IDE ont été orientés en direction de projets miniers, pour un montant total de 4,87 milliards US$ (tabl. 4).

Poids considérable des exportations d’or et de cuivre

27 Les productions d’or et de cuivre constituent depuis 2005 la première source de devises étrangères pour le pays, loin devant les exportations de vêtements, de produits agricoles et forestiers, et d’hydroélectricité. Comme l’atteste le tableau 5, sur la période s’étalant de 2003 à 2011, les exportations de minerais représentent 42 % des exportations totales. Ce chiffre élevé passe à 50 % si l’on retranche les années 2003 et 2004, en l’absence d’exportation de cuivre. Ces résultats économiques sont essentiellement attribuables à l’entrée en exploitation des deux mines industrielles de Phu Kham (or : 2002 ; cuivre : 2007) et de Sepon (or : 2002 ; cuivre : 2004). En 2012

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(Government of Lao PDR, 2012a), avec 107 mines en exploitation et 183 potentiellement en instance d’ouverture (prospection, exploitation, étude de faisabilité), l’ensemble de ces mines promet l’extraction de 2 millions de tonnes d’or, 152 millions de tonnes de cuivre (non concentré), 442 millions de tonnes de bauxite, 326 millions de tonnes de potasse au cours des vingt prochaines années. Le poids des exportations de minerais et l’ampleur de la production en matière d’exportation pour la RDP lao devraient augmenter d’ici 2025.

Tableau 5 - Poids des exportations d’or et de cuivre dans l’économie de la RDP lao

(Source : Bank of Lao PDR - Annual Reports, différentes années)

Contribution importante au PIB national

28 L’analyse des revenus découlant de l’exploitation minière révèle des impôts sur le salaire des employés, des frais de douanes sur les produits importés, des impôts sur les bénéfices, des redevances sur les minerais, des redevances sur la location des concessions et des taxes sur le chiffre d’affaires des entreprises minières, constituant les principales sources de revenus gouvernementaux issus du secteur18. Comme l’illustre le tableau 6, pendant les années 2006 à 2008, le secteur minier représentait plus de 10 % du Produit Intérieur Brut (PIB), passé sous la barre des 8 % en 2009 ; cette baisse importante illustre bien la chute du prix des matières premières à la fin de 2008 ayant perduré en 2009. Depuis 2003, l’industrie minière laotienne est l’un des secteurs les plus dynamiques de l’économie bien que le pourcentage de ses recettes dans le PIB semble s’être stabilisé autour de 10 %.

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Tableau 6 - Part du secteur minier dans le PIB de la RDP lao (millions de kip)

(Source : Lao RDP. Department of Statistics, Ministry of Plan and Investment, 2010)

29 Au cours de la période 2002-2009, le secteur minier formel est demeuré, et c’est toujours le cas aujourd’hui, une activité économique importante au Laos. Toutefois, l’industrie minière reste une enclave présentant peu de liens directs avec le reste de l’économie, hormis l’emploi de main-d’œuvre.

Retombées faibles en terme d’emploi

30 Malgré son importance dans l’économie laotienne, le secteur minier démontre une faible capacité à créer des emplois et ne constitue donc pas, à ce jour, un employeur significatif dans le pays. On estime que moins de 1 % de la population active est employée par cette industrie (ICMM, 2011, p. 26). Toutefois, cette donnée ne suffit pas en elle-même à révéler correctement l’importance des retombées puisque, d’une part, seules les mines industrielles de MMGLXM et PBM publient des chiffres relatifs à l’emploi et que, d’autre part, les emplois indirects et induits générés par le secteur minier restent des estimations (tabl. 7). À ce titre, l’étude de référence de la Banque mondiale, évalue que chaque emploi direct créé dans une mine industrielle génère 2,5 emplois indirects et induits (McMahon & Remy, 2002).

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Tableau 7 - Les principales compagnies minières et leur contribution à l’emploi au Laos

(Sources : Mining Partnerships for Development, 2011 ; PanAust - Sustainability Report 2009, 2010 et 2011 ; Vientiane Times, 25/09/2012)

31 Les deux mines industrielles du pays sont responsables d’environ 30 000 emplois (directs, indirects et induits), ce qui représente seulement 0,9 % des 3,2 millions de travailleurs actifs (Banque mondiale, 2010). Toutefois, 20 % des travailleurs laotiens étant engagés dans des activités industrielles, la part relative de l’emploi généré par les mines passe à 5 % des actifs du secteur industriel. Les principales raisons de cette création d’emplois relativement faible sont, entre autres, les liens peu étroits entre le secteur minier et le reste de l’économie nationale, l’éloignement géographique des sites d’extraction ainsi que la part considérable de la main-d’œuvre agricole dans un pays très majoritairement rural (70 %). De façon surprenante, on assiste à l’augmentation de l’embauche d’expatriés alors même que le quota autorisé est fixé à 10 %. Chez PBM, la proportion d’employés expatriés comparativement au personnel laotien est passée de 15 % à 18 % de 2009 à 201119 (PanAust, 2012, p. 72).

32 De manière générale, les retombées de l’exploitation minière sur l’économie nationale, en particulier sur les recettes étatiques, apparaissent considérables. En dehors de ces recettes directement dirigées vers le Trésor national, les retombées sont également notables pour les communautés locales vivant à proximité des sites miniers. Cependant, alors que les résultats économiques semblent positifs au niveau national, les conflits fonciers et sociaux sont préoccupants dans bien des cas, notamment dans la région du développement minier de Phu Kham, dans la province de Vientiane.

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Le développement minier de Phu Kham (PBM) : un projet au cœur de l’ancien territoire révolutionnaire de Xaysomboun

Xaysomboun : ancienne zone militaire spéciale

33 Depuis la création de la RDP lao (1975), la suspicion à l’égard de certains groupes ethniques est permanente. Cette situation trouve en partie son explication dans les difficultés rencontrées au cours des premières années de son existence par le régime actuel, que ce soit maintenir l’intégrité territoriale ou prévenir la menace d’implosion sociale face aux nombreuses pressions internes…20 (Tan, 2011, p. 464). Dans un contexte politiquement et socialement instable, la question ethnique devint un enjeu de premier ordre d’autant que les particularités des populations montagnardes sont perçues comme des entraves sérieuses à la construction d’un État socialiste. En conséquence, les ethnies montagnardes sont stigmatisées : elles sont présentées comme étant responsables de la déforestation et de la production d’opium ; elles apparaissent suspectes du simple fait de leur isolement et de leurs pratiques religieuses archaïques (animisme, messianisme, conversion au christianisme). Dès lors, le principal souci de Vientiane fut de renforcer son contrôle sur des minorités perçues comme une menace pour le pouvoir en place (McCaskill & Kempe, 1997, p. 45-46).

Figure 2 - Localisation de la mine de Phu Kham

34 Parmi les Montagnards, le groupe ethnique hmong est considéré comme le plus dangereux puisqu’il bénéficie à la fois d’une diaspora active à l’étranger (États-Unis, France), d’une maîtrise de la production d’opium – donc de revenus –, et d’une religion lui permettant de garder une distance avec la culture lao (Culas, 2005). Surtout, les

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Hmong, utilisés comme « armée secrète » par la France et la CIA dans le combat contre le mouvement communisme du Pathet Lao21, payèrent très cher leur engagement au côté des « néocolonialistes » français et américains. À partir de 1975, plusieurs dizaines de milliers de Hmong quittèrent le pays par crainte de représailles. Une partie des Hmong restés en RDP lao continuèrent leur résistance dans les montagnes, lutte anti- communiste bien vite écrasée par l’armée laotienne avec l’aide de 30 000 soldats vietnamiens (Culas et Michaud, 1997, p. 95 ; Evans, 2002). Néanmoins, la défaite ne fut pas totale ; un petit nombre continua la lutte grâce au soutien financier et logistique de la diaspora hmong (Tan, 2011, p. 466). Pendant les années 1990, à partir des montagnes de Phou Bia, les Hmong menèrent des attaques contre les positions de l’armée régulière. La zone spéciale de Xaysomboun (7 105 km²), créée en 1994 et sous administration militaire – interdite aux observateurs étrangers – avait pour fonction de mieux contrôler et d’isoler les poches de résistance hmong. Dissout en 2006, le territoire de la zone spéciale a été réaffecté entre, d’une part, la province de Vientiane au Sud et, d’autre part, la province du Xiengkhouang au Nord. Depuis plusieurs années, le gouvernement laotien montre des signes d’apaisement avec la communauté hmong à travers le rapatriement de Thaïlande de plusieurs milliers d’entrées eux. Toutefois, d’après la diaspora hmong (Lao Hmong Human Rights Council), la paranoïa sécuritaire à l’approche des SEA Games22 de 2009, aurait débouché sur des offensives menées dans la province de Xiengkhouang par l’armée régulière, assistée d’unités spéciales vietnamiennes. Orientées contre les Hmong chrétiens et des groupes dissidents se cachant dans les montagnes de Phou Bia et de Phou Da Phao, ces attaques auraient fait plus d’une centaine de morts et de blessés confirmant du même coup l’instabilité politique et sécuritaire de la région, l’une des deux plus importantes zones d’exploitations minières du pays.

La Phu Kham Copper-Gold Operation

35 Située dans une région montagneuse dominée par le mont Bia (Phou Bia) – le point culminant de la RDP lao (2 820 m) –, la mine de Phu Kham (montagne d’or en lao) appartient à la compagnie Phu Bia Mining (PBM), filiale de la multinationale australienne PanAust Limited également présente en Thaïlande et au Chili. Enregistré au Laos en coentreprise (joint-venture), PBM appartient à 90 % à PanAust et à 10 % au gouvernement laotien23. Mine à ciel ouvert, Phu Kham, riche en or, cuivre et argent, a nécessité un investissement de 241 millions US$ auxquelles se sont ajoutés 95 millions US$ en 2012 afin d’augmenter la production. Ces installations ont la capacité de traiter 12 millions de tonnes de minerai annuellement. Toutefois, le minerai n’est pas transformé sur le site, mais transporté par camions24 sur une distance d’environ 1 000 km jusqu’au port thaïlandais de Sriracha (fig. 1), d’où le concentré de minerais est dirigé vers différentes fonderies situées en Chine, en Inde et en Corée du Sud, tandis que la BHP Billiton (multinationale anglo-australienne) – première compagnie minière du monde – gère la totalité des ventes de concentrés de minerais (ICMM, 2011, p. 21). PBM, qui exploite Phu Kham depuis 2007, estime que la mine peut être exploitée jusqu’en 2025. En 2011, le site a produit 53 590 onces d’or (7 g/tonne), 538 123 onces d’argent (60 g/tonne) et 59 897 tonnes de concentré de cuivre (25 %/tonne). Les estimations pour 2012 se situent entre 55 000 et 60 000 onces d’or, 400 000 et 450 000 onces d’argent et 63 000 et 65 000 tonnes de concentré de cuivre. La production va même s’intensifier à partir de 2013 avec la mise à jour des équipements et

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l’amélioration des méthodes de traitements pour atteindre 16 millions de tonnes de minerais traités par an. Ayant obtenu une concession d’une superficie de 2 636 km² (fig. 2), PBM exploite depuis mai 2012 la mine d’or, de cuivre et d’argent de Houayxai située à 25 km à l’ouest du site de Phu kham (200 millions US$ d’investissement). De plus, deux zones sont en cours d’exploration confirmant du même coup la volonté de PBM d’exploiter durablement le sous-sol de la région25.

Un projet minier à la fois source de coopération et de conflits

36 Implantée en plein cœur d’une zone habitée, la mine de Phu Kham est imbriquée dans la vie quotidienne de différentes communautés locales. À ce titre, PanAust considère comme « communautés locales » les populations directement ou indirectement affectées par l’ensemble des opérations de la société minière (PanAust, 2012, p. 52). Pour la Phu Kham Copper-Gold Operation, PBM considère que les villages de Nam Mo (ethnie khmou) et Nam Gnone (ethnie hmong), de par leur proximité, sont directement affectés par la mine. À cela s’ajoutent 18 autres villages ruraux situés le long des routes empruntées jour et nuit par le personnel et le matériel de la mine. Afin de minimiser les impacts sur les populations locales, des systèmes de compensation et d’atténuation ont été mis en place par PBM.

37 Les créations d’emplois pour les populations locales26 sont sans conteste les compensations économiques les plus visibles dans les communautés directement touchées par l’exploitation minière. En 2011, 21 % des employés étaient des habitants des communautés avoisinantes, soit 688 sur 3 312 personnes. Si l’on enlève les travailleurs étrangers (580) provenant des pays du Sud-Est asiatique et occidentaux (Australie principalement), le pourcentage des ouvriers locaux correspond à 25 % du total. Sur les 688 travailleurs locaux, 415 (60 %) sont des ethnies hmong (283/41 %) et khmou (132/19 %), le reste étant classé comme Lao Loum27 (273/40 %). Les employés locaux proviennent principalement des villages de Nam Mo (282/41 %), de Nam Gnone (211/31 %) et de Xaysomboun, le chef-lieu de district (141/21 %). Si l’on compare le volume des emplois locaux générés par PBM en rapport à la population totale du district de Xaysomboun (environ 50 000 habitants), entre 1 et 2 % des habitants du district bénéficient des retombées directes de l’extraction minière (Government of Lao PDR, 2005b ; PanAust, 2012, p. 74). Principalement cantonnées dans des postes d’opérateurs machines et de personnel non qualifié (90 %), les populations locales sont totalement absentes des postes de gestionnaires dévolus à 79 % aux expatriés et pour 21 % aux Laotiens originaires d’autres districts et provinces (PanAust, 2012, p. 73). Cette situation n’est pas sans poser de sérieux problèmes. En effet, la méconnaissance du contexte local, le remplacement (turnover) permanent des employés et la rigidité du système mis en place par la mine créent des tensions récurrentes entre les villageois et le personnel laotien de la mine28. Bien que PBM prospecte et explore d’autres sites dans le district de Xaysomboun, il semble peu probable que des membres des communautés locales concernées par l’activité minière puissent obtenir massivement des emplois directs dans l’une des mines (fig. 2). 38 Au-delà de la création d’emplois, PBM investit également dans les communautés où la mine de Phu Kham est implantée en achetant une partie de sa nourriture chez les producteurs locaux. En 2011, la Phu Bia Mining a acheté pour près de 360 000 US$ de denrées alimentaires (184 000 US$ en 2010). Les légumes frais, les poissons d’élevage,

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les oranges et l’eau potable sont fournis par environ 150 petites entreprises familiales issues principalement de Nam Mo ainsi que de quatre villages voisins. Ces entreprises familiales ont été mises en place entre 2009 et 2011 par le Community Development Fund (CDF)29 à travers un programme de micro-finance s’élevant à près de 65 000 US$ sur 3 ans (PanAust, 2012, p. 55, 56). Une partie de l’argent versé pour l’achat de nourriture est directement déposée dans le Village Savings and Credit Fund. D’après PanAust, ce fonds aurait permis en 2011 à près de 615 villageois d’accéder à des services financiers en contractant différents types de prêts auprès du Fonds (PanAust, 2012, p. 56). Ayant donné approximativement 262 000 US$ (2011) aux villages, via le CDF, PBM se concentre également sur l’éducation (construction d’écoles, achat de fournitures, programmes extrascolaires, programmes d’alphabétisation des adultes, etc.), la santé (ouverture de deux cliniques, achat d’une ambulance, campagnes de préventions sanitaire et routière, etc.) et les infrastructures (construction de latrines dans les maisons villageoises, amélioration du drainage des routes, reconstruction de routes et de ponts, etc.). Dans le cas des villages de Nam Mo et Nam Gnone, directement affectés par la mine, les retombées économiques positives des activités minières sur les communautés concernées restent réelles, bien qu’incertaines à moyen et long termes. Toutefois, les deux villages, aux origines ethniques différentes, semblent connaître des trajectoires opposées. 39 Le village khmou de Nam Mo, situé en contrebas de la mine de Phu Kham, est sans conteste le grand bénéficiaire des systèmes de compensation et d’atténuation instaurés par PBM. Effectivement, environ 70 % (250 000 US$) des denrées alimentaires achetées aux villageois par la mine de Phu Kham sont fournies par le seul village de Nam Mo30. En l’espace de quelques années, le fonds villageois autogéré aurait atteint un montant de 90 000 US$31. Ce fonds finance entre autres des prêts alloués aux villageois désireux de construire une habitation de plain-pied en dur, ce qui fait que les maisons traditionnelles sur pilotis ne font pratiquement plus partie du paysage de Nam Mo. La réalité du village hmong de Nam Gnone est toute autre. Hormis les emplois directs, l’activité économique autour du nouveau marché et quelques infrastructures financées par PBM (centre communautaire), l’apport réel de l’extraction minière dans l’amélioration des conditions de vie des villageois reste beaucoup moins tangible. Tout d’abord, l’extrême proximité des activités minières a un impact sur Nam Gnone et sa population. Situé sur une colline, le village est littéralement ceinturé par les activités extractives de la Phu Kham Copper-Gold Operation (photo 1). Paradoxalement, bien que localisée en hauteur par rapport à la mine à ciel ouvert, la population est exposée en permanence aux poussières diffuses provenant de la mine, notamment soulevées par le ballet incessant de camions à benne basculante de plus de 100 tonnes chacun (Caterpillar 777D). Les nuisances y sont telles que la vie des villageois est désormais rythmée par le son des explosions sans cesse programmées. Ces nuisances importantes sont la source d’un désaccord au sein de la communauté hmong entre, d’une part, les anciens et, d’autre part, la jeune génération. Si tous s’entendent sur la volonté de faire financer le déménagement du village de Nam Gnone – condamné à disparaître à moyen terme face à l’inexorable avancée de la mine en direction du village – par PBM et le gouvernement laotien, les vieux désirent une réimplantation sur l’ancien site du village, celui d’avant 1975, alors que les jeunes souhaitent un déplacement dans la province voisine du Boulikhamsay. Cette situation explique l’absence d’implication du village de Nam Gnone dans l’agriculture et la vente de denrées alimentaires à la mine. Pour tous, « le village est sans avenir »32.

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Photo 1 – Au pied du village de Nam Gnone, les activités de la mine de Phu Kham

(Cliché Éric Mottet, février 2012)

40 En outre, la mine de Phu Kham est une source d’inquiétants conflits sociaux. Les tensions graves entre l’ethnie hmong du district de Xaysomboun et les employés lao de PBM sont légion. Plusieurs fusillades ont eu lieu en 2006 et 200933 mais, sans conteste, l’accrochage le plus sérieux date de mai 2011. En effet, plusieurs individus armés sont entrés de nuit dans le camp de PBM ouvrant le feu sur les gardes de sécurité faisant plusieurs morts et blessés. La nuit suivante, une autre fusillade tout aussi meurtrière s’est déroulée dans le village de Nam Gnone. Minimisant l’ampleur des événements, PanAust, dans un communiqué de presse daté du 16 mai, s’est contenté d’indiquer que des assaillants inconnus avaient tiré sur un véhicule de sécurité de PBM34, provoquant temporairement la suspension de la production de la Phu Kham Copper-Gold Operation. Certaines sources locales affirment néanmoins que les incidents, semble-t-il minorés à la fois par PBM et le gouvernement laotien, auraient fait 7 morts35. Les semaines qui ont suivi ces incidents graves ont été particulièrement tendues, le personnel de la mine se déplaçant dans les villages uniquement accompagné d’une escorte armée36. À Nam Gnone, les systèmes de compensation et d’atténuation sont loin d’avoir conquis les villageois et restent considérés comme très nettement insuffisants. Dans ce cas précis, il ne faut pas minimiser le poids de l’histoire récente dans cet échec. Les Hmong perçoivent les activités de PBM comme celles de l’État lao, ce qui inspire une très grande méfiance envers les intentions du gouvernement à leur sujet. Dans ce cas précis, les tensions entre Hmong et gouvernement, déjà réelles car les Hmong sont historiquement antisocialistes, sont avivées par les faibles retombées du projet minier de Phu Kham.

*

41 Entre 2007 et 2012, le gouvernement laotien a suspendu l'octroi de nouvelles concessions minières à travers la mise en place de trois moratoires37, en raison, entre

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autres, de la superposition des zones de concession par les titulaires multiples et les conflits que cela engendrait. Pendant cette époque, les moratoires successifs semblent ne pas avoir eu d’effets notables, d’une part, sur les IDE directement orientés en direction des ressources minières et, d’autre part, sur la progression constante des sites miniers prospectés, explorés ou exploités.

42 Or, malgré l’entrée en vigueur de la nouvelle Loi sur les minerais (2012), la limitation des capacités étatiques restreint non seulement la maximisation des retombées économiques et financières de l’industrie minière sur les économies locale et nationale, mais favorise grandement la pénétration des investissements étrangers. Dans cette logique du « modèle de développement néolibéral » des ressources minières utilisées par le gouvernement laotien, la Chine et le Vietnam ont pris une importance considérable dans l’industrie minière de la RDP lao. Cependant, le Vietnam, menant sur son territoire ses propres prospections minières (bauxite), il est fort probable que sa capacité d’investissement en direction du Laos s’amenuise rapidement laissant ainsi le champ libre à la seule Chine au risque de voir la marge de manœuvre géopolitique du Laos vis-à-vis de Beijing se réduire comme peau de chagrin. 43 Dans le cas de la mine de Phu Kham, il apparaît que l’activité minière industrielle peut générer des retombées directes. Toutefois, ce projet développé dans une zone éloignée des grands centres apporte peu de retombées indirectes pour les populations locales dans leur ensemble. Pour que l’industrie minière soit en mesure de contribuer à réduire la pauvreté à l’échelle des communautés, il apparaît essentiel que les villages situés dans des zones minières obtiennent une juste part des revenus miniers et que les retombées locales soient gérées prudemment, ce que les dispositions du code minier actuel ne permettent pas. 44 Devant les retombées décevantes des activités du secteur minier sur les économies locales et nationales, de nombreux observateurs étrangers ont tendance à pointer du doigt des problèmes internes au pays tels que la corruption et le manque de transparence. Sans vouloir minimiser l’importance de ces facteurs au Laos, il est nécessaire de considérer d’autres éléments telle la volonté de Vientiane de travailler activement à équilibrer l’influence des puissances voisines en utilisant « l’arme » des ressources minières. De plus, animé à la fois par une volonté de reconnaissance et la nécessité de pérenniser sa croissance économique, le Laos entend profiter de toutes les opportunités capables de soutenir son intégration régionale, certes timide, mais bien réelle au sein de la péninsule indochinoise. D’autre part, pour le gouvernement laotien, le choix d’un système de permis miniers souligne le désir de mieux contrôler les périphéries ou zones mal maîtrisées de son territoire, de sa géographie. 45 La géopolitique des ressources minières du Laos est loin d’être un bloc monolithique et la trajectoire nationale de ce secteur d’activité n’est pas écrite d’avance par Vientiane, les pays voisins et d’autres acteurs externes tels les multinationales. Néanmoins, la présence d’acteurs transnationaux au cœur des territoires nationaux riches en ressources minières atteste des nouvelles interactions qui provoquent, dans certains cas, des tensions, des conflits entre les différents niveaux d’échelle au sein du pays. Dans tous les cas, l’exploitation des ressources minières cristallise les enjeux géopolitiques locaux, nationaux et régionaux et fait prendre conscience de la nécessité de définir un nouveau modèle de gouvernance mettant les populations au cœur de son action.

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NOTES

1. Autrefois appelé « Pays du million d’éléphants » ou « Muang Lan Xang », le Laos est depuis 1975 la République démocratique populaire lao ou RDP lao (Phinith et al., 1998, p. 9). 2. La prospection concerne généralement la recherche de gisements dans une vaste zone géographique à travers l’analyse de la littérature et de la cartographie géologique existantes, des éclats de roches et/ou de photographies aériennes. 3. L’exploration englobe les travaux de prospection, d’échantillonnage, de cartographie et de forage visant à rechercher des gisements et à en déterminer l’emplacement. 4. Les exportations de minerais, notamment l’or, ont débuté en 2003.

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5. Dont l’existence est physiquement prouvée, sans considération de la possibilité d’extraction future. 6. Dont l’existence sous terre est considérée comme probable, compte tenu des caractéristiques géologiques, de gisements découverts à proximité, etc. 7. 1 399 US$/once. Cours du 4 juin 2013. 8. La mine de Hoauyxai est en exploitation depuis 2012. 9. Le classement Asie-Pacifique de l’USGS comptabilise la production de 32 pays. 10. Dans le cas de la RDP lao, il faut garder à l’esprit que ces projections sont fondées sur les renseignements actuels qui sont parcellaires, peu fiables et nécessitant une mise à jour. Cette remarque vaut également pour les chiffres émanent d’un seul et même ministère. En effet, dans bien des cas les méthodologies et les unités de mesure (concentré, once, kilogramme, tonne) utilisés sont différentes d’un rapport à un autre. 11. GRAM est une compagnie étatique basée à Guangzhou. Créée en 1999 avec un capital initial de 1 milliard de yuans (environ 158 millions US$), elle investit notamment dans les compagnies minières étrangères. Elle détient des intérêts dans 16 mines (plomb-zinc, cuivre, charbon, terres rares, etc.) installées dans 6 pays et sur 4 continents. 12. Sur les 188 millions US$ (460 millions de nouvelles actions), 100 millions ont été alloués à financer les opérations de la mine de Phu Kham Copper-Gold (Laos), 80 millions à rembourser un prêt arrivant à échéance le 30 juin 2009, contracté auprès de la Goldman Sachs JBW, célèbre banque d’investissement ; les 8 millions restant ont servi à rembourser le fonds de roulement (PanAust, 2009, p. 8). 13. « Laos halts new investment, land concessions », Vientiane Times, June 27, 2012. 14. La Mineral Exploration and Production Agreements (MEPA) servait de cadre de négociation avec le gouvernement laotien avant la Loi sur les mines. Elle a notamment été utilisée dans les négociations avec PanAust et OZ Minerals. 15. Depuis mars 2007, le DGM est structuré en deux départements distincts : Department of Geology (DOG) et Department of Mines (DOM). 16. Avant juin 2006, le DGM était sous tutelle du Ministry of Industry and Handicraft. 17. Une fois le projet terminé, l’exploitant a l’obligation de donner la totalité des infrastructures et matériels utilisés au gouvernement laotien. 18. Depuis son entrée en production en 2003, les activités de la mine de Sepon auraient rapporté près de 800 millions US$ au gouvernement lao (Vientiane Times, 25 septembre 2012). 19. Il est de 7 % pour la mine de Sepon (Vientiane Times, 25 septembre 2012). 20. Persistance de la guérilla hmong anti-communiste ; blocus économique de la Thaïlande ; fuite des élites urbaines dans les pays étrangers ; politique de collectivisation désastreuse (1978) ; détérioration des relations diplomatiques avec la Chine suite au conflit sino-vietnamien (1979). 21. Le Laos est depuis 1975, et la victoire du mouvement communiste du Phatet Lao, la République démocratique populaire Lao ou RDP lao. 22. Organisés pour la première fois à Vientiane (9-18 décembre 2009), les SEA Games sont une compétition multisports à laquelle les 11 pays d’Asie du Sud-Est prennent part tous les deux ans. 23. En mai 2011, le gouvernement laotien a exercé son droit d’option sur 10 % des actions du capital de PBM. Ce sont les futurs dividendes (royalties et intérêts) issus de l’exploitation qui permettront de rembourser la somme empruntée auprès de PanAust. 24. Un convoi de trois camions (et deux 4x4), appartenant à la compagnie thaïlando-laotienne Deuan Sawanh Group Co, Ltd., part chaque jour en direction de Sriracha avec du concentré or/ cuivre/argent stocké dans des conteneurs sécurisés de 25 tonnes. Au retour, les conteneurs vides sont utilisés pour le transport de marchandises en direction du site de Phu Kham. 25. Entre 1994 et 2011, PBM aurait investi près de 900 millions US$ au Laos (PanAust, 2012, p. 27). 26. Population villageoise présente dans le district avant 2005 (PanAust, 2012, p. 73).

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27. Le nom Lao Loum désigne les populations résidant dans les plaines et les vallées par opposition aux Lao Theung (Lao des versants) et aux Lao Soung (Lao des sommets). Bien que ces trois grandes catégories, créées en 1950 par le Gouvernement royal, aient été bannies en 1975 par le régime communiste, cette terminologie reste très populaire (Pholsena, 2011, p. 30). 28. Entretien avec un ancien chef du village de Ban Gnone, Ban Gnone, février 2012. 29. En 2011, PanAust a reçu trois distinctions valorisant son travail auprès des communautés villageoises pour la mine de Phu Kham : le « Community Development Initiative » au Asia Mining Congress Global Mining Sustainability Awards, l’« Australian-based Ethical Investor Sustainability Award » et le « Best Development in a Rural Area » attribué par le gouvernement laotien (PanAust, 2012, p. 56). 30. Entretien avec un ancien chef du village de Ban Mo, Xaysomboun, mars 2012. 31. Entretien avec un ancien chef du village de Ban Mo, Xaysomboun, mars 2012. 32. Entretien avec un ancien chef du village de Ban Gnone, Ban Gnone, mars 2012. 33. Entretien avec un ancien superviseur général de Phu Bia Mining, Vientiane, février 2012. 34. Phu Kham security incident won’t affect production. PanAust, 16 mai 2011. 35. Entretiens, district de Xaysomboun et Vientiane, mars 2012. 36. Entretien avec un ancien superviseur général de Phu Bia Mining, Vientiane, février 2012. 37. Mai 2007 : 1er moratoire sur les concessions minières de plus de 100 hectares (moratoire suspendu en juin 2009) ; 2e moratoire en juillet 2009 fixant la surface maximale d’une concession minière à 1 000 ha (moratoire qui autorise des exceptions délivrées par le gouvernement central) ; 3e moratoire en juin 2012 suspendant jusqu'à 2015 l’octroi de toute nouvelle concession minière.

RÉSUMÉS

Le Laos dispose d’abondantes ressources minérales. Il connaît depuis une dizaine d’années un essor des activités minières [de l’extraction minière] dont il fait la promotion au sein et en dehors de ses frontières. Devenue un secteur essentiel de son économie, l’exploitation des ressources minières, assurée principalement par des investissements directs étrangers, soutient le développement du pays dans un contexte d’intégration du Laos à son environnement régional et à une économie mondialisée. Au-delà de leurs retombées pour l’économie nationale, ces ressources minières devraient assurer au Laos une marge de manœuvre nouvelle dans sa quête de reconnaissance en Asie du Sud-Est, singulièrement au sein de l’ASEAN où il faisait jusqu’ici figure de parent pauvre… Toutefois, la gestion de ces ressources suscite des manœuvres politiques préoccupantes et se fait le plus souvent sans tenir compte des conséquences environnementales et sociales sur les populations directement affectées par l’extraction minière. Le modèle de développement du secteur minier adopté par la RDP lao, en partie dicté par des intérêts extérieurs, renforce cependant la légitimité du gouvernement central sur des territoires, des ressources et des populations jusqu’ici mal intégrés à l’entité nationale.

Laos or the Lao PDR, which possess a wide range of mineral resources, has enjoyed for about ten years a boom in mining it has been promoting inside and outside its boundaries. Exploiting its mining resources has become a major sector in its economy. Essentially financed by direct foreign investments, it supports the economic development of the country in a context of regional integration and globalization. Beyond the economic dimension, these resources turn out

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to be decisive in an approval process in which Laos tries to carve out some geopolitical room for manoeuvre in South East Asia. Their management, however, is subjected to worrying political moves, most often leaving out the environmental and social consequences for the populations directly impacted by mining sites. The mining sector development pattern adopted by the Lao PDR, partially dictated by foreign interests, reinforces the legitimacy of the central government on territories, resources and peoples.

INDEX

Keywords : Lao PDR, mining, geopolitical resources, regional integration, foreign direct investment, conflict Mots-clés : Laos, exploitation minière, géopolitique des ressources, intégration régionale, investissement direct étranger, conflit

AUTEUR

ÉRIC MOTTET

Professeur, Université du Québec à Montréal, Département de géographie, Case postale 8888, Succursale Centre-Ville, Montréal (Québec) H3C 3P8 ; mèl : [email protected]

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Les retombées du « Mécanisme pour un Développement Propre » pour les pays en développement : une faible réception de technologie et un développement durable vague The benefits of the Clean Development Mechanism for developing countries: a weak technology reception and a hazy contribution to sustainable development

Moïse Tsayem Demaze

ERRATA

Les titres des figures sont exacts mais les figures ont été décalées. Corriger comme suit : Figure 1 : conserver le titre, p. 248, mais voir la carte mise p. 268 ; Figure 2 : conserver le titre, p. 250, mais voir la carte mise p. 248 ; Figure 3 : conserver le titre, p. 252, mais voir la carte mise p. 250 ; Figure 4 : conserver le titre, p. 261, mais voir la carte mise p. 252 ; Figure 5 : conserver le titre, p. 263, mais voir la carte mise p. 261 ; Figure 6 : conserver le titre, p. 266, mais voir la carte mise p. 263 ; Figure 7 : conserver le titre, p. 268, mais voir la carte mise p. 266.

1 Par le Protocole de Kyoto, les pays dits de l’annexe I de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques se sont engagés à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (EGES), conformément au principe des « responsabilités communes mais différentiées » (Lavallée, 2010). Ce principe considère que les pays dits de l’annexe I, qui sont essentiellement les pays développés, sont historiquement responsables du réchauffement de la Terre et qu’il leur incombe d’abord de lutter contre le changement climatique. Ainsi, seuls ces pays développés sont appelés à réduire leurs EGES, une

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dispense étant accordée aux pays en développement. Pour faciliter la réduction des EGES par les pays développés, le Protocole de Kyoto a institué des mécanismes de flexibilité. Le Mécanisme pour un Développement Propre (MDP) est sans doute le plus important d’entre eux. Il permet aux pays développés de réduire une partie de leurs EGES dans les pays en développement, où cette réduction est censée être moins coûteuse que dans les pays développés. Grâce à ce Mécanisme, les pays en développement sont finalement impliqués et participent à la réduction des EGES, dans une optique de coopération avec les pays développés (Tsayem, 2009).

2 Pour les pays développés, la participation au MDP, essentiellement par les entreprises tant publiques que privées, débouche sur l’obtention d’une quantité de Gaz à Effet de Serre (GES) qui peut soit être commercialisée dans les marchés du carbone, soit être déduite des engagements de réduction des EGES au titre du Protocole de Kyoto. Pour ces pays développés, les bénéfices du MDP sont clairement énoncés et font l’objet d’une procédure de vérification et de certification par le conseil exécutif du MDP au sein du secrétariat des Nations Unies en charge de la convention sur les changements climatiques.

Figure 1 – Nombre de projets acceptés dans les pays en développement

3 Pour les pays en développement, en plus de la technologie que les projets MDP devraient leur procurer, les bénéfices escomptés de la participation au MDP portent essentiellement sur le développement durable (fig. 1). Mais ce développement durable n’est pas explicité. Son caractère non explicite est renforcé par le fait que les Accords de Marrakech, qui ont défini en 2001 les modalités de mise en œuvre des projets MDP, ne prévoient pas de méthodes ou de critères pour l’évaluation et l’approbation du développement durable attendu des projets MDP dans les pays en développement. Cette évaluation est laissée à la libre appréciation et approbation de chaque pays en développement, et ne fait l’objet d’aucune vérification par les instances en charge de la mise en œuvre du MDP. La question de l’évaluation des retombées du MDP pour les pays en développement apparaît alors cruciale. Ces pays reçoivent-ils des technologies grâce aux projets MDP qu’ils accueillent ? Les projets MDP génèrent-ils des bénéfices pour le développement durable des pays en développement ?

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4 À partir d’une recherche effectuée en mars 2011 dans les principales bases de données bibliographiques internationales (ISI web of Knowledge et Science Direct), cet article apporte des réponses à ces deux principales questions. La synthèse réalisée montre que les retombées du MDP sont mitigées pour les pays en développement. Au-delà des deux aspects fondamentaux qui sont examinés, l’article aborde d’autres problèmes critiques concernant le MDP (l’additionnalité, la fuite du carbone, l’éthique) et propose une matrice de questions pour l’évaluation de l’efficacité des projets MDP dans les pays en développement.

Un dispositif associant les pays développés aux pays en développement pour réduire les EGES

5 C’est l’article 12 du Protocole de Kyoto qui institue le MDP. D’après cet article, l’objet du MDP est d’aider les [pays en développement] à parvenir à un développement durable ainsi qu’à contribuer à l’objectif ultime de la Convention [sur les changements climatiques], et d’aider les [pays développés] à remplir leurs engagements chiffrés de limitation et de réduction de leurs émissions. 6 Cet article ajoute que les pays en développement bénéficient d’activités exécutées dans le cadre de projets MDP, qui se traduisent par des réductions d’émissions certifiées. 7 Les GES non émis grâce aux projets MDP pouvant être utilisés par les pays développés pour remplir une partie de leurs engagements chiffrés de limitation et de réduction des émissions. 8 Concrètement, par le MDP, un pays développé (ou une entreprise de ce pays développé), ayant un engagement de réduction des EGES, peut financer la réalisation d’un projet MDP dans un pays en développement et obtenir en retour une quantité de GES appelée Unités de Réduction Certifiée des Émissions (URCE). Ces URCE peuvent être vendues dans les marchés carbone, ou être comptabilisées dans les engagements de réduction des EGES du pays développé ou de l’entreprise de ce pays développé.

9 Les Accords de Marrakech ont précisé en 2001 les modalités de fonctionnement du MDP. À la suite de ces Accords, les procédures et les structures de mise en œuvre des projets ont été créées1 : • le conseil exécutif, en charge de la supervision générale et garant du bon fonctionnement du dispositif ; • les Autorités Nationales Désignées (AND), en charge de l’approbation des projets aussi bien dans les pays développés que dans les pays en développement ; • les Entités Opérationnelles Désignées (EOD), en charge de la vérification et du monitoring des projets.

10 Supervisé par le Conseil exécutif qui a approuvé les procédures de montage des projets et les méthodes de comptabilisation des EGES réduites ou évitées grâce aux projets, le MDP associe les pays en développement aux pays développés (fig. 2).

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Figure 2 - Le MDP : un cadre de mise en œuvre associant les pays développés et les pays en développement

11 Puisque la réduction des EGES incombe aux pays développés conformément au protocole de Kyoto, il revient à ces pays de financer cette réduction dans les pays en développement, en y transférant des technologies « propres », c'est-à-dire peu émettrices de GES en comparaison des technologies existant dans les pays en développement. Le financement des projets par les pays développés, qui se fait essentiellement par les entreprises publiques et privées, leur permet d’obtenir des URCE. Quant aux pays en développement qui sont hôtes des projets, ils sont censés recevoir des technologies propres et bénéficier des retombées des activités réalisées dans le cadre des projets. Puisque ces retombées sont regroupées dans le vocable « développement durable », elles peuvent être environnementales, sociales et économiques, conformément à la définition classique du développement durable (Tsayem, 2011 ; Theys et al., 2010). 12 Jusqu’au 9 mai 2012, 4 075 projets MDP avaient été enregistrés par le Conseil exécutif2. À la fin de l’année 2012 (fin de la première période d’application du Protocole de Kyoto,

2008-2012), ces 4 075 projets représentent 2,1 milliards de tonnes équivalent CO2 non émises dans l’atmosphère. La Chine (48 % des projets), l’Inde (20 %), le Brésil (4 %) et le Mexique (3 %) sont les principaux pays hôtes des projets. Ce sont donc les pays émergents, au sein des pays en développement, qui sont les principaux bénéficiaires des projets MDP. Quant aux pays développés, ce sont le Royaume Uni (29 % des projets), la Suisse (20 %), le Japon (10 %) et les Pays-Bas (9 %) qui participent le plus au MDP. Les projets portent surtout sur les industries énergétiques3 (69 % des projets), le traitement et l’élimination des déchets (13 %), et les industries manufacturières (5 %).

Un faible transfert de technologie

13 Bien que le transfert de technologie entre les pays développés et les pays en développement soit un aspect essentiel du MDP, il n’a pas de caractère obligatoire (Article 12 du Protocole de Kyoto instituant le MDP). Mais les Accords de Marrakech stipulent qu’au-delà des obligations mentionnées dans la Convention sur les changements climatiques, les projets MDP devraient conduire à un transfert de technologie et de savoir faire au bénéfice des pays en développement (Cox, 2010). Les technologies et les modalités de transfert sont variées, aucun cadrage rigoureux

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n’ayant été institué par les autorités en charge du MDP. Les documents cadres (UNFCCC, 2011), ainsi que la pratique en la matière, indiquent qu’il s’agit de technologie « environnementalement saine », compatible avec la nécessité de réduire les EGES (climatefriendly technology). Il peut s’agir de matériels ou d’équipements, de logiciels ou d’outils, de techniques, de connaissances ou de savoir faire, etc. Le transfert et l’utilisation de la technologie se font dans le cadre d’arrangements (joint-venture ou partenariats) entre le fournisseur et le receveur (fig. 3), et obéissent à des dispositions contractuelles variées (licence, royalties, gratuité).

14 Pour faire approuver et enregistrer un projet MDP, ses porteurs doivent soumettre au Conseil exécutif un document descriptif du projet (Project Design Document, PDD). Il est demandé aux porteurs de chaque projet d’indiquer dans le PDD comment le projet envisage le transfert de technologie au bénéfice des pays hôtes. Ce transfert de technologie est implicitement préconisé comme étant l’exportation/importation d’un matériel ou d’un savoir faire n’existant pas encore dans le pays en développement qui va recevoir le projet MDP.

Figure 3 - Mécanismes de transfert et d’utilisation de la technologie dans le cadre du MDP

15 Le dépouillement des PDD permet de faire l’inventaire des projets comportant le transfert de technologie. De nombreux chercheurs ont utilisé cette approche pour l’évaluer. L’étude la plus récente et la plus complète a été publiée en 2011 (UNFCCC, 2011). Elle porte sur le dépouillement des PDD de 3 276 projets approuvés et enregistrés au 31 juillet 2011. D’après cette étude, les PDD de 21 % des projets ne font aucune mention explicite concernant le transfert de technologie4 ; 42 % des projets, représentant 64 % du total des réductions annuelles des EGES, indiquent comporter le transfert de technologie. Les taux les plus élevés de transfert de technologie (tabl. 1) concernent les projets dans les secteurs des gaz industriels (92 %), la destruction du méthane (84 %) et l’efficacité énergétique (73 %). Les taux les plus bas concernent les projets dans les secteurs de l’énergie issue de la biomasse (35 %), les énergies renouvelables (22 %), le boisement et le reboisement (37 %).

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Tableau 1 - Transfert de technologie par catégorie de projets MDP

(Source : UNFCCC, 2011)

16 Une étude similaire à celle publiée par le Conseil exécutif du MDP indique que sur 3 296 projets MDP dépouillés, 36 % des projets, représentant 59 % des réductions annuelles des émissions, annoncent faire du transfert de technologie (Seres et al., 2009).

17 Le taux de transfert de technologie dans les pays hôtes des projets MDP a baissé continuellement entre 2006 et 2010 : 68 % en 2006, 42 % en 2007, 32 % en 2008, 30 % en 2009 et 29 % en 2010 (UNFCCC, 2011). Plus les projets sont mis en œuvre dans un pays hôte, plus le transfert de technologie dans ce pays baisse, car au fur et à mesure qu’un pays reçoit des projets MDP dans un domaine donné, il y a de moins en moins de nouveaux transferts de technologie dans ce domaine, les technologies du pays hôte étant progressivement enrichies par les transferts opérés dans le cadre des projets MDP5. Les travaux de Seres et al. (2009) le démontrent, en particulier en Chine et au Brésil, pays dans lesquels le taux de transfert de technologie a chuté significativement en quelques années. 18 Les 10 pays ayant les taux les plus élevés de transfert de technologie dans les projets MDP sont mentionnés dans le tableau 2. Les 3 premiers pays en nombre de projets (Chine, Inde, Brésil) ont les plus faibles taux de transfert de technologie. Le transfert de technologie n’est pas significatif dans la majorité des pays hôtes des projets. 19 L’influence du pays hôte, en particulier dans la phase de montage du projet et d’arrangements avec les partenaires du pays développé, semble significative dans le transfert de technologie (UNFCCC, 2011).

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Tableau 2 - Transfert de technologies indiqué dans les projets MDP dans les pays en développement

(Source : UNFCCC, 2011)

20 Aronsson et al. (2010) soulignent la nécessité de la coopération entre les deux entités (pays développés et pays en développement) pour tirer réciproquement parti des incitations relatives au transfert de technologie. Dechezleprêtre et al. (2009) ont comparé le transfert de technologie dans les projets MDP au Brésil, en Chine, en Inde et au Mexique. Ils ont montré que les transferts de technologie au Mexique et au Brésil s’expliquent par la forte implication des partenaires étrangers et les bonnes capacités technologiques de ces deux pays. Au-delà de ces facteurs, le taux très élevé du transfert au Mexique semble être dû à la nature et à la taille des projets MDP (Serres et al., 2009). L’implication des partenaires étrangers est moins fréquente dans les projets en Inde et en Chine. Dans ces deux pays, les opportunités d’investissement engendrées par la forte croissance économique semblent jouer un rôle plus important dans le transfert de technologie associée aux projets MDP. Les transferts de technologie sont également en relation avec les capacités technologiques croissantes en Chine, alors que le faible taux de transfert de technologie en Inde s’explique par une bonne capacité de diffusion des technologies domestiques. L’étude de Dechezleprêtre et al. (2009), basée sur les PDD de 644 projets enregistrés au 1er mai 2007, souligne la diversité des formes de transferts de technologie : connaissances, savoir-faire, informations, assistance technique, en provenance d’un partenaire étranger et bénéficiant localement au projet MDP dans un pays en développement. Il peut aussi s’agir d’un transfert d’équipement (turbines, brûleurs de gaz), à partir d’un fournisseur situé dans un pays étranger. Un projet peut impliquer à la fois un transfert d’équipements et un de connaissances (Seres et al., 2009).

21 Dans une précédente étude, Dechezleprêtre et al. (2008) ont décrit de manière générale le transfert de technologie dans les projets MDP (fréquence, répartition par pays et par secteurs d’activités MDP). Cette étude a montré que le transfert de technologie a tendance à augmenter avec la taille des projets MDP. D’après Doranova et al. (2010), dans des pays ayant une solide base de connaissances dans les technologies respectueuses du climat, les développeurs de projets MDP ont tendance à utiliser la technologie locale, ainsi qu’une combinaison de technologies locales et étrangères, en complément des technologies exclusivement étrangères. Selon cette étude, basée sur le

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dépouillement des PDD de 460 projets dans 36 pays en développement, 257 projets (55,9 %) utilisent des technologies locales, 94 projets (20,4 %) utilisent des technologies étrangères, et 109 projets (23,7 %) utilisent une combinaison de technologies locales et étrangères. Le transfert de technologie se limite parfois à une opération de maintenance d’une technologie importée, sans qu’il y ait transfert de savoir faire pour le développement des capacités locales (UNFCCC, 2011). 22 De nombreux articles ont été publiés sur les projets MDP en Chine. Dans leur article, Wang et Chen (2010) abordent le problème du manque d’incitations au transfert de technologie, et indiquent que le MDP est une indispensable incitation et un choix viable pour promouvoir le déploiement des énergies renouvelables qui connaît un boom dans ce pays. Toujours à propos de la Chine, Teng et Zhang (2010) posent la question de savoir si le MDP induit effectivement un transfert de nouvelles technologies ou s’il s’engouffre dans la continuité des transferts technologiques déjà en cours ou prévisibles. D’après ces auteurs, si le MDP peut induire l’adoption de nouvelles technologies, alors il améliore les standards technologiques dans le pays hôte. Ils suggèrent que le transfert de technologie est plus ou moins passif dans le MDP. Ils rapportent que dans plusieurs cas, le transfert de technologie dans le pays hôte a eu lieu avant la mise en œuvre des projets MDP, de sorte que le MDP ne fait qu’augmenter le transfert de technologie, sans induire un transfert de nouvelles technologies. L’exemple du transfert de technologie dans le domaine de l’énergie éolienne, qui a commencé en Chine bien avant l’avènement du MDP, et qui se poursuit dans le cadre du MDP, sans transfert d’une nouvelle technologie dans ce domaine, illustre les réticences exprimées par Teng et Zhang (2010). Selon Wang (2010), le transfert relativement faible de technologie dans le cadre des projets MDP en Chine s’explique par la difficile compatibilité des procédures générales du MDP avec les procédures nationales chinoises, les effets de la diffusion des technologies et le fonctionnement politique de la Chine. 23 D’une manière générale, le transfert de technologie dépend aussi de la possibilité de réduire les émissions par des moyens autres que l’investissement dans de nouvelles technologies (Hagem, 2009). Les dimensions économiques et juridiques semblent aussi avoir une influence sur ce transfert de technologie. Wang (2010) suggère que la proportion du revenu total issu des URCE joue un rôle clé dans la décision des porteurs de projets de faire appel à une technologie étrangère. Ockwell et al. (2010) examinent les liens entre droits de propriété intellectuelle et transfert de technologie faiblement carbonée. Dans l’étude qu’ils ont consacrée au MDP au Chili, en Chine, en Israël, au Kenya et en Thaïlande, Karakosta et al. (2009a et b, 2010) proposent d’identifier au préalable les besoins en technologies peu émettrices de GES, en particulier pour la production de l’énergie électrique, afin de s’assurer que le transfert de technologie est efficace et bénéfique. Dans cette optique, Pueyo et al. (2011) soulignent les défis auxquels sont confrontés les pays en développement et montrent que la réussite du transfert de technologie au Chili dépend de plusieurs facteurs : une demande interne, l’accès aux marchés régionaux pour attirer des fournisseurs étrangers, l’identification des types de technologies bénéfiques au pays, l’apprentissage et l’utilisation des technologies par les bénéficiaires. 24 D’après Teng et Zhang (2010), un transfert réussi de technologie dans un projet MDP devrait inclure les étapes suivantes : • la définition des priorités de transfert technologique ;

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• l’établissement de partenariats public/privé impliquant les parties prenantes ; • la prise en compte des préoccupations des fournisseurs et des destinataires ; • le regroupement des projets de même nature pour des économies d’échelles ; • le regroupement des projets de réduction des émissions pour réduire les coûts de transaction ; • et les coûts de mise en œuvre des projets.

25 Par le transfert de technologie, bien que ce transfert soit en baisse, le MDP contribue à l’assouplissement des barrières et à l’amélioration des technologies (Schneider et al., 2008). D’après le secrétariat de la Convention sur les changements climatiques (UNFCCC, 2011), 58 % des technologies transférées dans le cadre du MDP proviennent de 5 pays : l’Allemagne, les États-Unis, le Japon, le Danemark et la Chine ; 84 % des technologies transférées proviennent des pays développés. Les technologies les plus utilisées dans les projets MDP sont le plus souvent des équipements et des savoir-faire élaborés dans un nombre restreint de pays développés. Les pays en développement qui fournissent aussi les technologies sont essentiellement la Chine, l’Inde, Taipei, le Brésil et la Malaisie (UNFCCC, 2011). Les transferts de technologie au titre du MDP sont en grande partie axés sur la réduction des EGES à moindre coût pour les pays développés tenus de réduire leurs EGES conformément au Protocole de Kyoto. Cet objectif de réduction des EGES à moindre coût apparaît décisif par rapport aux besoins internes de développement et aux priorités technologiques des pays en développement (van der Gaast et al., 2009).

Un développement durable vague

26 La contribution du MDP au développement durable des pays en développement est une condition sine qua non pour qu’un projet soit accepté et enregistré par le Conseil exécutif du MDP. Mais cette condition ne fait l’objet d’aucune vérification préalable, contrairement aux autres aspects du MDP, par exemple la réduction envisagée des EGES, qui fait l’objet d’une vérification préalable suivant les procédures et les méthodes approuvées par le Conseil exécutif du MDP. Les Accords de Marrakech stipulent qu’il est de la prérogative de chaque pays hôte d’indiquer qu’un projet contribue au développement durable. En l’absence d’une définition internationalement acceptée du développement durable, il revient à l’AND de chaque pays en développement d’apprécier ce bénéfice attendu des projets MDP. L’AND de chaque pays en développement hôte des projets MDP mentionne dans la lettre d’approbation de chaque projet que le projet contribuera au développement durable. Dans le fonctionnement du MDP, le développement durable est donc une question de souveraineté nationale pour chaque pays hôte des projets, contrairement aux autres aspects qui sont soumis à une vérification internationale. Cette situation signifie une marginalisation internationale des préoccupations relatives au développement durable (Boyd et al., 2009). Elle a entraîné une faiblesse des exigences en la matière, la plupart des pays en développement étant soucieux d’attirer un maximum de projets (Kenny, 2009). D’après Alexeew et al. (2010), l’absence ou l’insuffisance de la contribution au développement durable est rarement la cause du refus d’un projet MDP par un pays en développement.

27 Les approches utilisées par les pays en développement pour attester que les projets MDP vont contribuer au développement durable sont très diverses, d’autant plus que les conceptions et les standards de développement durable varient énormément.

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Généralement, l’AND d’un pays en développement examine les PDD des projets qui lui sont soumis et vérifie que les projets prévoient des retombées économiques, sociales et environnementales, conformément à la conception classique du développement durable qui recouvre au moins ces trois aspects (Tsayem, 2011 ; Theys et al., 2010). Olsen et Fenhann (2008) ont étudié les procédures utilisées par les pays hôtes pour valider la contribution du MDP au développement durable. Leur étude montre que la définition des critères de développement durable diffère d’un pays à l’autre. Alors que des pays comme l’Inde, l’Afrique du Sud et le Maroc définissent chacun leurs critères nationaux de développement durable avec trois composantes principales, le Brésil et le Mexique utilisent une liste de critères de durabilité, basée non seulement sur les politiques existantes, mais aussi sur des critères comme le seuil qualitatif que les projets MDP doivent au moins satisfaire. L’AND du Pérou accorde une priorité à l’évaluation du développement durable attendu des projets MDP, alors que cette évaluation semble moins prioritaire dans de nombreux pays, comme en Inde et au Brésil (Boyd et al., 2009). La Chine utilise une approche différente qui discrimine les projets suivant leur nature. Ses projets favorisant les politiques environnementales et énergétiques sont considérés comme étant prioritaires. Les projets dans le secteur des

industries chimiques (N2O, HFC et PFC) sont discriminés par des impôts élevés. Une taxe de 65 % est prélevée sur la vente des URCE issues de ces projets (Liu, 2010 ; Lecocq et Ambrosi, 2007 ; Boyd et al., 2009). Cette taxe alimente un fonds spécial destiné à financer les activités de développement durable et de lutte contre les changements climatiques. En outre, les revenus supplémentaires que les municipalités chinoises obtiennent des projets MDP de capture ou d’enfouissement des gaz, peuvent être utilisés pour améliorer les services municipaux de collecte des déchets (Lecocq et Ambrosi, 2007). Alors que les traités internationaux préconisent que les bénéfices du MDP soient « réels et mesurables », les PDD ne mentionnent que vaguement la contribution des projets au développement durable. Aucun pays en développement n’exige que cette contribution soit estimée de manière rigoureuse ou quantitative par les porteurs de projets. Dans la rubrique développement durable qui figure dans les PDD, il est généralement mentionné que « quelques » emplois seront créés pour les populations locales (Boyd et al., 2009). 28 Plusieurs chercheurs ont essayé d’évaluer la contribution du MDP au développement durable des pays hôtes des projets en se basant sur le type de projet. Les enseignements tirés de ce type d’évaluation suggèrent que les projets du secteur des industries

chimiques, en particulier les projets HFC et les projets N2O, sont ceux qui produisent moins de bénéfices pour le développement durable (UNFCCC, 2011). Il est admis que les projets du secteur des énergies renouvelables et du secteur de l’efficacité énergétique ont tendance à contribuer au développement durable (Lecocq et Ambrosi, 2007). Les projets d’approvisionnement énergétique en milieu rural peuvent être particulièrement positifs mais ne constituent qu’une faible quantité de projets (Boyd et al., 2009). Les projets de production de l’énergie à partir de la biomasse peuvent profiter directement aux agriculteurs locaux à travers la vente des résidus de culture. Ces projets peuvent produire indirectement des bénéfices pour la santé, suite notamment à la baisse de la pollution issue du carburant. Outre les projets portant sur l’efficacité énergétique, ceux portant sur le transport et sur l’agriculture peuvent aider au développement des infrastructures locales. Les projets sur les énergies renouvelables, sur la commutation des sources d’énergie et sur la biomasse augmentent la sécurisation des ressources et améliorent la qualité de l’air au niveau local. La plupart des projets

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ont un potentiel de génération des revenus locaux et de transfert de technologie. Boyd et al. (2009) citent par exemple la création de 30 emplois permanents et 200 emplois temporaires durant la phase de mise en œuvre du projet Poechos I au Pérou. Certains projets peuvent aussi avoir des effets néfastes sur la santé, comme les projets d’enfouissement des gaz et de capture du méthane, ou aussi des projets de production d’énergie à partir de la biomasse, qui génèrent des poussières qui dégradent la qualité de l’air en Thaïlande (Parnphumeesup et Kerr, 2011). Les avis divergent sur d’autres types de projets, considérant qu’ils appartiennent à une zone grise ou floue, ne permettant pas de savoir s’ils contribuent au développement durable ou pas. Il en est ainsi des projets portant sur l’hydroélectricité (Lecocq et Ambrosi, 2007), sur les boisement et reboisement, notamment en Indonésie (Murdiyarso et al., 2008). 29 D’après Bakker et al. (2011), l’apport du MDP au développement durable des pays hôtes est très limité. Pour les projets du secteur des énergies renouvelables (solaire, éolien), cette situation s’explique par le fait qu’ils n’engendrent pas beaucoup d’URCE par rapport aux projets du secteur des industries chimiques qui génèrent une grande quantité d’URCE commercialisable dans les marchés du carbone (Del Rio, 2007). Or les projets dans le secteur des énergies renouvelables ont des retombées économiques (emploi, opportunités d’investissement), sociales (formation, renforcement des capacités locales) et environnementales (diversification des sources d’approvisionnement énergétique, amélioration des conditions environnementales). N’étant pas incorporée dans les aspects marchands, la composante développement durable du MDP semble reléguée au second plan et ne satisfait donc pas aux besoins et aux attentes (Karakosta, 2009, Liu, 2008 ; Olsen et Fenhann, 2008 ; Muller, 2007). Dans ce contexte, il est illusoire d’envisager que le MDP aide efficacement à résoudre le problème de la pauvreté dans les pays en développement (Lloyd et Subbarao, 2009). Ces évaluations qualitatives mettent en évidence, de manière générale, le bilan du MDP, mitigé, voire médiocre, en ce qui concerne le développement durable (Alexeew et al., 2010 ; Olsen et Fenhann, 2008). La nécessité d’une évaluation méthodique rigoureuse apparaît cruciale. 30 La littérature scientifique montre que deux principales approches méthodologiques ont été développées pour évaluer de manière rigoureuse le développement durable attendu des projets MDP dans les pays en développement. La première utilise une check-list pour vérifier et extraire de manière qualitative dans les PDD les informations relatives au développement durable. La deuxième utilise une grille multicritère pour procéder à une évaluation combinant une dimension qualitative et une dimension quantitative. Les évaluations se fondent sur la conception classique du développement durable (composantes économique, sociale et environnementale) et définissent, pour chaque composante, des critères qui sont appréciés qualitativement et/ou quantitativement. Olsen et Fenhann (2008) ont évalué ainsi 744 projets MDP qui étaient en cours de validation par le Conseil exécutif du MDP en mai 2006. Ils ont conçu une méthode dite taxonomique consistant à dépouiller les PDD de ces projets pour relever systématiquement leur contribution au développement durable (fig. 4). 31 Cette évaluation a montré que l’amélioration de la qualité de l’air est le bénéfice environnemental. En ce qui concerne les bénéfices sociaux, c’est la création d’emplois. Pour les bénéfices économiques, c’est la croissance économique. Les 5 contributions au développement durable qui figurent le plus fréquemment dans les PDD sont la création d’emplois (bénéfice social), la croissance économique (bénéfice économique), une

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meilleure qualité de l’air (bénéfice environnemental), l’accès à l’énergie (bénéfice économique) et l’amélioration du bien-être (bénéfice social). Peu de bénéfices relatifs

au développement durable sont générés par les projets HFC et N2O. Olsen et Fenhann (2008) proposent que leur méthode soit utilisée pour répondre aux faiblesses de la procédure d’approbation de la durabilité des projets MDP par les AND des pays en développement. Ils suggèrent que cette méthode devienne la base d’un protocole de vérification internationale à effectuer par les Entités Opérationnelles Désignées (EOD) pour contrôler et confirmer ou invalider les avantages potentiels des projets MDP en ce qui concerne le développement durable. Nussbaumer (2009) a procédé à une évaluation similaire, en utilisant une grille multicritère avec 3 composantes : la composante environnementale (ressources énergétiques fossiles, qualité de l’air, qualité de l’eau, ressources en terre), la composante économique (économie régionale, efficacité micro- économique, création d’emplois, transfert de technologie durable), et la composante sociale (participation des parties prenantes, amélioration de la disponibilité et de l’accès aux services, développement des capacités).

Figure 4 - Méthode taxonomique pour l’évaluation de la contribution du MDP au développement durable

(Source : Olsen et Fenhann, 2008)

32 Alexeew et al. (2010) ont adapté la méthode proposée par Olsen et Fenhann et l’ont appliquée à 40 projets choisis parmi 379 projets en Inde (projets enregistrés par le Conseil exécutif du MDP au 1er janvier 2009). Ils ont retenu 11 critères pour évaluer la contribution des projets MDP au développement durable suivant trois composantes : la composante sociale (participation des parties prenantes, bénéfices sociaux pour les pauvres, soutien au développement des régions pauvres, impact sur la qualité de vie), la composante environnementale (impact sur l’air, impact sur le sol, impact sur l’eau), la composante économique (technologie innovante et durable, création d’emplois,

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bénéfices financiers, coût et efficacité de la réduction des EGES). Chaque critère retenu a fait l’objet d’une appréciation qui a débouché sur l’attribution d’une note comprise entre -1 et 1. La somme des notes attribuées à chaque critère a permis de donner une note moyenne à chaque projet. Les projets ainsi évalués ont obtenu chacun une note moyenne comprise entre 2 et 5,6. Même si ces notes sont loin de la note maximale qui est 11, les résultats indiquent que les projets examinés ont une contribution faible à moyenne. Ces résultats semblent diverger avec la tendance générale selon laquelle les projets MDP, en ce qui concerne le développement durable, ont une contribution insignifiante. Mais l’analyse suivant les types de projets confirme la tendance générale, car Alexeew et al. (2010) montrent que les projets dans les secteurs de la biomasse, de l’hydro-électricité et de l’énergie éolienne, ont une contribution moyenne élevée, alors que les projets dans les secteurs de l’efficacité énergétique et des HFC obtiennent un score faible et ont un impact environnemental faible, voir négatif.

33 D’autres évaluations ont été faites avec quelques nuances méthodologiques. Ainsi, Subbarao et Lloyd (2011) ont évalué les retombées du MDP sur la base de la contribution de l’énergie dans 4 domaines : santé, éducation, revenus, environnement. Ils ont proposé 11 groupes d’indicateurs pour évaluer la contribution des projets MDP au développement durable : création d’emplois, migration des populations, accès à l’électrification, santé, éducation, développements socio-économique et humain, distribution des revenus, utilisation des ressources locales, aspects environnementaux, perception et commentaire par les parties prenantes. Ils concluent que dans son état et sa conception actuels, le MDP a échoué par rapport à l’objectif d’engendrer des bénéfices pour le développement durable dans les zones rurales. D’après leur évaluation, des projets réussis sont ceux qui ont bien impliqué les populations et ces projets sont généralement gérés par des coopératives et non par des entreprises à but lucratif. Leur publication souligne que le problème clé demeure la question de savoir comment résoudre la contradiction inhérente entre développement et durabilité. 34 L’évaluation la plus récente et la plus complète est celle qui a été publiée par le secrétariat de la Convention sur les changements climatiques (UNFCCC, 2011). Pour cette évaluation, 15 indicateurs reflétant la conception classique du développement durable ont été élaborés à l’issue du dépouillement d’un échantillon de 350 PDD. Ces 15 indicateurs permettent d’identifier et d’évaluer les retombées économiques, sociales et environnementales des projets MDP (fig. 5).

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Figure 5 - Cadre pour l’évaluation de la contribution des projets MDP au développement durable des pays en développement

(Source : adapté de UNFCCC, 2011)

35 Le cadre ainsi conçu avec 15 indicateurs, a été utilisé pour évaluer la contribution au développement durable telle qu’elle est annoncée dans les Project Design Documents (PDD) de 2 250 projets MDP dépouillés par le secrétariat de la Convention sur les changements climatiques (projets enregistrés au 31 juillet 2011). Beaucoup de projets affichent la réduction des EGES comme la contribution au développement durable. Mais elle n’est pas prise en compte dans l’évaluation, puisque cette réduction est un prérequis pour un projet MDP (UNFCCC, 2011). La création d’emplois est la contribution au développement durable qui est la plus mentionnée dans les projets : 516 projets, soit près de 23 % des 2 250 projets dépouillés, affichent cette contribution. La deuxième contribution concerne la réduction des bruits, des odeurs, de la poussière et des polluants. Elle est affichée dans 374 projets, soit près de 17 % de la totalité des projets. Alors que les retombées économiques sont affichées dans 50 % des projets et les retombées environnementales dans 42 % des projets, seuls 5 % des projets affichent des retombées sociales (tabl. 3), ce qui montre que les aspects sociaux du développement durable sont marginaux dans les projets MDP dans les pays en développement.

36 Des initiatives pour labelliser et promouvoir des projets MDP qui ont des retombées pour le développement durable local ont été prises. Les labels les plus connus sont le Gold Standard et le Community Development Carbon Fund (Drupp, 2011 ; Nussbaumer, 2009). La labellisation Gold Standard émane d’une coalition d’Organisation Non Gouvernementales (ONG) sous la houlette du World Wildlife Found for nature (WWF), alors que la labellisation Community Development Carbon Fund émane de la Banque Mondiale. Le label Gold Standard identifie et certifie les bonnes pratiques de développement durable engendrées par les projets MDP, alors que le Community Development Carbon Fund identifie et certifie les projets MDP qui contribuent au développement dans des régions pauvres, enclavées et marginalisées. La Banque Mondiale achète au préalable, ou garantit l’achat des crédits carbone de ces projets, pour que les difficultés éventuelles de vente de ces crédits, qui sont peu importants et rapportent peu, ne soient pas un obstacle quant à l’aboutissement et la mise en œuvre de ces projets : 28 projets MDP dans les pays en développement ont reçu le label Community Development Carbon Fund au 27 juin 2012.

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Tableau 3 - Répartition des projets MDP en fonction de leur contribution annoncée pour le développement durable dans les pays en développement

(Adapté de UNFCCC, 2011)

37 La labellisation Gold Standard utilise 3 éléments interdépendants : la matrice de durabilité (pour évaluer de manière participative la contribution du projet au développement durable), l’évaluation de l’impact environnemental et la consultation des parties prenantes (pour s’assurer de la réalité des bénéfices en terme de développement durable). Seuls 69 projets MDP dans les pays en développement ont reçu le certificat Gold Standard au 27 juin 2012. Ces projets certifiés représentent 1,6 % de l’ensemble des projets approuvés par le Conseil exécutif du MDP. Au total, 97 projets MDP ont reçu l’un ou l’autre label, ce qui représente 2 % de la totalité des projets MDP approuvés par le Conseil exécutif du MDP. D’après Nussbaumer (2009), les projets MDP ainsi labellisés ont tendance à être plus performants en terme de contribution au développement durable, par rapport aux projets ordinaires.

38 Les différentes initiatives d’élaboration de méthodes pour évaluer la contribution du MDP au développement durable montrent que cette question est devenue préoccupante et qu’elle a été négligée dans la conception et la mise en œuvre du MDP. L’objectif d’aider les pays développés à réduire les coûts de leurs engagements de réduction des EGES semble l’avoir emporté sur l’objectif de contribuer au développement durable des pays en développement. Pour donner un caractère monétaire à la composante développement durable du MDP, comme les URCE le sont pour la composante réduction des EGES, Liu (2008) a suggéré et conçu une compensation financière que les projets MDP alimenteraient, au titre du développement durable, et qui serait attribuée aux pays en développement hôtes des projets.

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De l’évaluation ex-ante à l’évaluation ex-post

39 Que ce soit à propos du transfert de technologie ou à propos de la contribution au développement durable, le MDP suscite des doutes et des critiques qui mettent en cause son insuffisance ou ses faibles capacités. Les technologies sont-elles effectivement transférées dans les pays en développement ? Si oui, s’agit-il de technologies « propres », c’est-à-dire peu émettrices de GES par rapport aux technologies disponibles dans les pays hôtes des projets ? Les projets engendrent-ils réellement un développement durable dans les pays en développement ? Ces questions sont d’autant plus justifiées que les évaluations qui ont été réalisées et publiées par de nombreux auteurs, que ce soit sur le transfert de technologie ou sur la contribution au développement durable, utilisent en général les informations mentionnées dans les documents descriptifs des projets (PDD). Ces documents étant remplis par les porteurs de projets, il n’est pas exclu qu’ils présentent une vision idyllique des projets, notamment en ce qui concerne la contribution au développement durable, qui n’est vérifiée officiellement par aucune structure indépendante légitimée par les instances de supervision du MDP. Les évaluations, qui sont ex-ante, ne mesurent donc que des suppositions et non la réalité concrète issue de l’exécution des projets. Cette situation préoccupante est à mettre en lien avec d’autres aspects critiques du MDP, qui sont débattus dans la littérature scientifique.

40 L’additionnalité de la réduction des EGES est sans doute l’aspect le plus critique. C’est un principe qui stipule que les EGES, dont la réduction (ou l’évitement) est envisagée grâce à un projet MDP, ne peuvent être réduits ou évités que grâce à ce projet. Autrement dit, on considère que si le MDP n’avait pas été créé, il n’aurait pas été possible de réduire ou d’éviter, dans les pays en développement, y compris dans les pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Mexique et le Brésil, les émissions dont la réduction ou l’évitement sont prévus dans les projets MDP. Faire une telle démonstration relève intellectuellement et méthodologiquement d’une véritable gageure. Elle est pourtant faite en prélude à l’acceptation des projets par le Conseil exécutif du MDP, qui a approuvé des méthodes à cet effet. Ces méthodes sont fondées sur des scénarios prédictifs qui établissent deux courbes dont l’une représente l’évolution supposée des émissions en l’absence du projet MDP, et l’autre représente l’évolution supposée des émissions en tenant compte des réductions qui seront réalisées grâce au projet MDP (fig. 6).

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Figure 6 - Le principe de l’additionnalité des réductions des émissions grâce a priori au MDP

(Source : adapté de Fragnière, 2009)

41 Il existe une unanimité dans la littérature scientifique selon laquelle la démonstration de l’additionnalité est une construction hypothétique qui est impossible à vérifier avec certitude (Kenny, 2009 ; Millard-Ball et Ortolano, 2010 ; Möllersten et Grönkvist, 2007 ; Partridge et Gamkhar, 2010 ; Alexeew et al., 2010 ; Yunna et Quanzhi, 2011 ; Zhang et Wang, 2011 ; Wang et Chen, 2010). De nombreux auteurs évoquent en outre le fait que des projets MDP, s’ils réduisent localement les émissions à un endroit, peuvent déplacer le problème ailleurs, de sorte que les émissions augmentent dans d’autres endroits. C’est la problématique de la fuite du carbone ou carbon leakage (Girling, 2010 ; Bertram, 2010 ; Kallbekken et al., 2007). Ces aspects critiques du MDP soulignent sa difficulté et révèlent les insuffisances de sa gouvernance, caractérisée par l’existence de biais ou de zones sombres, la variété des acteurs et la faiblesse de la cohérence et de la coordination du dispositif (Newell et al., 2009 ; Newell, 2009 ; Lloyd et Subbarao, 2009 ; Michaelowa et Jotzo, 2005). Pour certains auteurs, les limites inhérentes au MDP posent des questions relatives à ses intégrités environnementale et socio-économique, à l’éthique et au traitement de l’injustice environnementale ou climatique dont seraient victimes les pays en développement (Vlachou et Konstantinidis, 2010). Nussbaumer (2009) stigmatise le fait que les bénéfices du MDP sont supposés sur la base de la confiance faite aux porteurs des projets, à qui le crédit de la bonne foi est accordé, dans un contexte dominé par le marché et l’appât du gain.

42 Le MDP est un mécanisme de flexibilité pour les pays développés ou pour les entreprises de ces pays, qui financent les projets MDP dans les pays en développement. Pourquoi les EGES qui seraient évitées ou réduites dans les pays en développement grâce au MDP donnent-elles lieu à des crédits d’émission que les pays développés, ou les entreprises de ces pays développés peuvent revendre dans les marchés carbone ou comptabiliser au titre de leurs engagements de réduction des EGES ? Cette interrogation a conduit Alexeew et al. (2010) à considérer que le MDP est un jeu à somme nulle (zero sum game) pour l’atmosphère. 43 Les insuffisances et les critiques, dont le MDP est l’objet, soulignent la nécessité d’une évaluation ex-post des projets. Cette évaluation ex-post pourrait répondre à une

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attente ou à une préconisation internationale, réitérée lors des conférences des parties, pour le Monitoring, le Reporting et la Vérification (MRV) des activités conduisant à la réduction des EGES. Une telle évaluation constituerait la base d’une analyse permettant de s’assurer de l’efficacité des projets MDP dans les pays en développement. Conformément aux bénéfices attendus du MDP dans les pays en développement, cette efficacité pourra être appréciée à l’aune de la capacité réelle des projets MDP à engendrer le transfert de technologie et le développement durable, en plus de sa capacité à permettre la réduction des EGES (fig. 7). Le cadre proposé, qui est une ébauche de matrice pour une évaluation qualitative, contient une liste de questions pour lesquelles des réponses devraient alimenter la réflexion et l’analyse en vue d’éventuels réajustements pour améliorer le fonctionnement et les retombées des projets.

Figure 7 - Matrice pour l’évaluation ex-post des projets MDP dans les pays en développement

*

44 Le MDP génère peu de technologies pour les pays en développement hôtes des projets. La contribution de ces projets au développement durable de ces pays est imprécise. Comment expliquer ces insuffisances du MDP ? Elles semblent inhérentes à la conception et à la mise en œuvre de ce Mécanisme. Alors que le transfert de technologie et le développement durable sont prévus dans les textes fondateurs du MDP, le fonctionnement de ce Mécanisme n’incorpore aucune vérification de la réalité de ces bénéfices escomptés pour les pays en développement. Le Conseil exécutif du MDP a approuvé des méthodes et a accrédité des organismes a priori indépendants (les EOD), pour vérifier les projets et évaluer les EGES que ces projets envisagent de réduire. La priorité semble avoir été accordée à la quantification des EGES, sans doute du fait que ces EGES sont commercialisées dans les marchés du carbone, et peuvent être utilisés par les pays développés, ou par les entreprises de ces pays, au titre de leurs engagements dans le cadre de l’application du protocole de Kyoto. La composante du MDP qui est bénéfique aux pays développés et aux marchés du carbone a été davantage prise au sérieux que la composante qui est censée bénéficier aux pays en

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développement. En l’absence de rigueur et de standards internationaux de vérification, le transfert de technologie et le développement durable au bénéfice des pays en développement reposent largement sur le bon vouloir des porteurs de projets MDP. Or ils sont essentiellement des agents économiques, intéressés par la possibilité d’engranger des URCE pour les commercialiser afin de rentabiliser leurs investissements. La gouvernance du MDP a fait reposer sur ces agents, ou leur a délégué, la responsabilité de transférer la technologie et de contribuer au développement durable des pays en développement.

45 L’imbrication des logiques économique et commerciale (générer et vendre des URCE) et des logiques climatique, socio-économique et environnementale (transférer la technologie propre, réaliser le développement durable) ne s’avère pas être une réussite dans le MDP. Cette situation illustre les difficultés de la gouvernance internationale qui a été mise en œuvre pour amener les États à lutter contre les changements climatiques (Gemenne, 2009 ; Vieillefosse, 2009). Maljean-Dubois et Wemaëre (2010) désignent cette gouvernance par l’expression « diplomatie climatique ». Elle a été laborieusement construite au fil des conférences et des meetings des parties, qui réunissent chaque année les États qui ont ratifié la Convention sur les changements climatiques et ou le Protocole de Kyoto (Tsayem, 2012 ; Aykut et Dahan, 2011). Elle est caractérisée par l’intrusion de multiples acteurs, publics et privés (experts, ONG, médias, lobbys économiques, technologiques, etc.), qui essayent de peser sur les décisions prises par les États (Encinas de Munagorri, 2009 ; Orsini et Compagnon, 2011). Bien que le rôle et le poids des États apparaissent subsidiaires par rapport aux logiques économique et commerciale qui sous-tendent le fonctionnement du MDP, les États ne sont pas pour autant complètement éclipsés (Denis, 2009). La prééminence des intérêts économique et commercial du MDP est associée au rôle politique dévolu aux États, en particulier aux pays en développement, qui gardent la souveraineté de l’approbation du développement durable que le MDP leur confère, même si ce développement durable est flou et n’obéit à aucune définition ou évaluation scientifique. Le bilan mitigé du MDP pour les pays en développement semble s’inscrire dans le cadre conceptuel de la dialectique hégémonie/périphérie qu’utilise Quantin (2011) pour analyser les relations Nord-Sud, même si dans son analyse, il n’évoque pas le changement climatique et l’environnement. Dans ce cadre théorique, les pays en développement sont des périphéries qui sont arrimées aux pays développés pour permettre à ces derniers d’obtenir des crédits carbone dans un contexte de mondialisations économique et environnementale. L’intérêt et les besoins de la périphérie importent peu. 46 Il apparaît indispensable d’améliorer la gouvernance du MDP, en renforçant les régulations internationale et nationale des projets et en agrégeant les échelles de prise de décisions et d’actions, pour qu’une véritable gouvernance transnationale multi- scalaire, depuis le niveau global (Conseil exécutif du MDP), jusqu’au niveau local (lieux de réalisation des projets), soit mise en œuvre de manière cohérente (Betsill, 2010 ; Bemstein et Betsill, 2010). Il apparaît aussi indispensable d’améliorer l’efficacité des projets, en réalisant des évaluations ex-post à la suite desquelles des réajustements pourraient être opérés. 47 Après une phase d’émergence et de montée en puissance entre 2005 et 2009, le MDP semble être actuellement dans une phase de croissance faible du nombre de projets soumis pour validation et enregistrement par le Conseil exécutif. Cette phase de faible croissance coïncide avec les débats et les négociations d’une part pour réformer le

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MDP, d’autre part pour élaborer un accord global pour l’après Kyoto 1. Les dernières conférences des parties (à Durban en 2011 et à Doha en 2012) ont permis d’amorcer une période transitoire qui a commencé en 2013 et qui est censée déboucher en 2015 sur un nouvel Accord international dont l’entrée en vigueur est prévue pour 2020. La baisse du dynamisme du MDP coïncide aussi avec la forte baisse du prix du carbone dans les principaux marchés, en particulier le marché européen. Quelles que soient les perspectives d’avenir du MDP, plusieurs milliers de projets ont été acceptés et mis en œuvre. Jusqu’à quel point contribueront-ils à la dé-carbonisation des économies des pays en développement et à la modification de la trajectoire des EGES ? Il convient pour l’instant de veiller à ce que ces projets soient correctement réalisés pour produire les bénéfices escomptés.

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NOTES

1. Pour un aperçu du dispositif de fonctionnement du MDP, voir http://cdm.unfccc.int/ (consulté le 9 mai 2012). 2. Voir http://cdm.unfccc.int/Statistics/index.html 3. essentiellement les énergies renouvelables (éolienne, solaire, etc.). 4. Comme le transfert de technologie n’est pas obligatoire et ne constitue pas une condition sine qua non pour l’approbation et l’enregistrement d’un projet MDP, certains porteurs de projets ne renseignent pas cette rubrique dans les PDD. Une enquête effectuée par le secrétariat de la Convention sur les changements climatiques (UNFCCC, 2011) indique que 57 % des projets qui ne mentionnent pas le transfert de technologie dans les PDD ne l’effectuent pas réellement, alors que 87 % des projets qui mentionnent le transfert de technologie la transfèrent réellement (transfert de savoir faire et d’équipements). 5. Le MDP n’est pas l’unique cadre de transfert de technologie dans les pays en développement. Les autres canaux de transferts (acquisition de licences, investissements directs à l’étranger, recherche et développement, etc.) fonctionnent parallèlement au MDP.

RÉSUMÉS

Cet article offre un aperçu critique des retombées attendues des projets de Mécanisme de Développement Propre (MDP) dans les pays en développement. L’analyse de la bibliographie dépouillée montre que les retombées escomptées sont mitigées : faible réception de technologie et vague contribution au développement durable. Ce bilan mitigé s’explique par le caractère non obligatoire du transfert de technologie des pays développés vers les pays en développement. Il s’explique aussi par l’absence de rigueur et de standards internationaux relatifs au développement durable auquel les projets MDP sont censés contribuer dans les pays en développement. Le MDP fait confiance aux porteurs de projets pour qu’ils fassent en sorte que les projets engendrent des bénéfices pour les pays en développement. Or les porteurs de projets sont des investisseurs ou des industriels, préoccupés par les crédits carbone issus des projets MDP et pouvant être commercialisés ou utilisés par les pays développés tenus de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (EGES) en vertu du protocole de Kyoto. L’article montre que la gouvernance du MDP a négligé l’effectivité de ses retombées dans les pays en développement. Une matrice est alors proposée pour l’évaluation ex-post de l’efficacité des projets MDP dans ces pays.

This paper provides a critical overview of the benefits expected from CDM projects in developing countries. The literature review shows that these benefits are weak: low technology reception and hazy contribution to sustainable development. This weak impact is explained by the fact that technology transfer for developing countries is not mandatory in the CDM framework. It is also explained by the lack of rigorous international standards for defining and assessing sustainable development that is expected from CDM projects in developing countries. CDM gives confidence to projects holders to ensure that projects generate benefits for developing countries. But projects holders are investors or manufacturers, interested primarily by carbon credits generated by CDM projects. These credits can be marketed or used by developed countries who have to reduce their green house gases emissions according to the Kyoto protocol. The paper

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shows that CDM governance has neglected the effectiveness of its impact in developing countries. A matrix is then proposed for the ex-post evaluation of the effectiveness of CDM projects in developing countries.

INDEX

Palabras claves : green house gases emission, climate change, clean development, technology transfer, sustainable development Mots-clés : émission de gaz à effet de serre, changement climatique, développement propre, transfert de technologie, développement durable

AUTEUR

MOÏSE TSAYEM DEMAZE

Maître de Conférences HDR en géographie, UNAM, Université du Maine, UMR CNRS 6590 ESO, ESO Le Mans ; mèl : [email protected]

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Notes de lecture

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Losch B., Magrin G. et Imbernon J., dir., 2013 - Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le Programme Rural Futures du NEPAD Montpellier : Cirad, 46 p.

François Bart

RÉFÉRENCE

Losch B., Magrin G. et Imbernon J., dir., 2013 - Une nouvelle ruralité émergente. Regards croisés sur les transformations rurales africaines. Atlas pour le Programme Rural Futures du NEPAD. Montpellier : Cirad, 46 p.

1 Autant le dire d’emblée, ce petit ouvrage est fondamental, pour les géographes africanistes, pour tous ceux qui s’intéressent aux dynamiques rurales affectant ce continent, pour les décideurs aussi. Comme l’indique la préface, « cet atlas sur les transformations rurales africaines a été conçu à la demande du NEPAD » ; il « s’inscrit dans le cadre du partenariat entre le Cirad et le NEPAD et a été préparé, avec le soutien financier de l’AFD, pour alimenter les travaux et débats du Forum africain pour développement rural (FADR) organisé à Cotonou, Bénin, du 2 au 4 mai 2013 ». Sa réalisation a été assurée par plusieurs équipes du Cirad et a été dirigée par trois membres bien connus de ce centre, Bruno Losch, Géraud Magrin et Jacques Imbernon. Ils ont piloté une équipe de huit auteurs au sein de laquelle ils ont travaillé avec Nicolas Bricas, Benoît Daviron, Bruno Dorin, Valéry Gond et Gwenaëlle Raton.

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2 Le livre, broché, de format « paysage », présente 29 cartes, et 9 figures (graphiques, tableaux, diagrammes) réalisées en couleurs. Il est aussi consultable en ligne sur le site du Cirad (http://www.cirad.fr/publications-ressources/edition/etudes-et-documents/ atlas-une-nouvelle-ruralite-emergente-en-afrique), en français et en anglais. L’ensemble est structuré en trois grands thèmes : peuplement/démographie/ urbanisation, dynamiques économiques/performances agricoles et ressources naturelles/dynamiques régionales. Chacun est alimenté par un ensemble de cartes, figures et un texte. 3 Une introduction, intitulée « Villes et campagnes à la recherche d’un nouveau modèle : il faut “désegmenter” les territoires et les politiques ! », signée par Bruno Losch et Géraud Magrin, donne le ton général de l’ouvrage, dont l’une des lignes directrices principales consiste à dire que « les vieilles catégories du rural et de l’urbain » « ne correspondent plus aux réalités des “espaces vécus” par les populations du continent » (p. 13). Ce choix important, qui rend le volume très actuel, se concrétise, au fil des 12 planches, d’une part par des cartes, classiques, fondées sur les données les plus récentes (démographiques, économiques…), mais aussi par d’autres tout à fait inédites. Citons, parmi celles-ci, deux cartes d’« accessibilité aux villes » (p. 18), sur les exemples du Mali et du Kenya ; une carte, à l’échelle du continent, des « noyaux de peuplement urbain », représente « la taille des villes dans un rayon de 100 km », essai cartographique très intéressant de représentation de l’intégration d’espaces ruraux aux dynamiques urbaines (p. 22) ; une autre associe « densités démographiques et aires protégées » (p. 36). Trois des douze planches développent des exemples régionaux, les relations villes-campagnes en Afrique de l’Ouest (Gwenaëlle Raton), le bassin du Congo (Valéry Gond), qui « a subi une déforestation dispersée » (p. 41), et le lac Tchad (Géraud Magrin). 4 Tout cela constitue un ensemble riche qui contribue à renouveler l’approche géographique des espaces ruraux africains, en mettant systématiquement en valeur l’originalité des dynamiques en cours : par exemple, « la dernière transition démographique mondiale » (planche I), « une ruralité recomposée » (pl. 2), la « recomposition des armatures urbaines » (pl. 4), « Alimentation : l’Afrique à la conquête de son marché intérieur » (pl. 8)… La complémentarité textes/documents est très forte. Chaque notice est rythmée de sous-titres évocateurs, souvent à même de contrer idées reçues et stéréotypes : « les villes se nourrissent majoritairement de produits africains » (p. 33), et, à propos de la question foncière, « de fausses représentations et vraies incertitudes » (p. 37). 5 Il est important de noter que la problématique de l’ouvrage fait qu’on y trouve autant de données sur les dynamiques urbaines que sur les dynamiques rurales. On peut seulement regretter que les auteurs n’aient pas saisi l’occasion de fournir une bibliographie plus fournie sur ces mutations africaines – mais tel n’était pas sans doute l’objectif poursuivi. On peut aussi, à propos de l’agriculture d’exportation (pl. 7), ajouter l’émergence spectaculaire de l’horticulture et de la floriculture d’exportation, au Kenya et en Éthiopie tout particulièrement. 6 L’essentiel est ailleurs : cet atlas est devenu une référence incontournable. Il faut souhaiter qu’il soit très largement diffusé dans les milieux académiques et professionnels, et auprès de tous ceux qui, à des titres divers, sont concernés par les mutations de l’Afrique contemporaine.

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AUTEURS

FRANÇOIS BART

Professeur émérite, Laboratoire « Les Afriques dans le Monde (LAM) »

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Leclerc Christian, 2012 - L’adoption de l’agriculture chez les Pygmées baka du Cameroun, Dynamique sociale et continuité structurale Paris/Versailles : MSH/Quæ, 244 p.

François Bart

RÉFÉRENCE

Leclerc Christian, 2012 - L’adoption de l’agriculture chez les Pygmées baka du Cameroun, Dynamique sociale et continuité structurale. Paris/Versailles : MSH/Quæ, 244 p.

1 Cet ouvrage a été rédigé par un chercheur, docteur en ethnologie et sociologie comparative, qui poursuit des recherches au CIRAD. Il est préfacé par Serge Bahuchet, éminent spécialiste des populations pygmées, qui, dans sa préface, écrit : « l’étude de Christian Leclerc reste unique parce qu’elle affronte dans toute sa complexité sociale et historique l’analyse d’un double changement : l’installation dans un habitat permanent et l’adoption d’une nouvelle technique de production, l’agriculture » (p. 6). On voit d’emblée combien, autour de cette thématique en particulier, cet ouvrage s’avère d’un intérêt géographique certain.

2 Ce volume, 244 pages, petit format, comprend une introduction d’une vingtaine de pages, puis huit chapitres. Il est complété par une bibliographie très fournie (plus de 250 références) qui, à elle seule, constitue un outil de travail précieux pour tous ceux qui s’intéressent aux populations forestières d’Afrique centrale, du Cameroun en particulier : tous les grands noms, tous les travaux de référence, dans un spectre de disciplines bien au-delà de l’anthropologie et de la sociologie, comprenant la géographie, y figurent. C’est d’ailleurs là une caractéristique globale du livre : il est à la fois très pointu dans son domaine et sur son terrain, et en même temps susceptible de

Les Cahiers d’Outre-Mer, 262 | Avril-Juin 2013 123

toucher tous ceux qui souhaitent réfléchir à la dialectique mobilités/sédentarisation, qui concerne, sous des formes variées, beaucoup de populations de l’Afrique tropicale forestière. 3 L’ouvrage est dense, riche de données de terrain très précises, glanées sur place depuis 1994, en particulier lors d’un séjour de deux ans chez les Baka ; il est néanmoins relativement facile à lire, car il est éclairé de nombreuses figures (mais sans qu’elles soient répertoriées dans une table) : quelques cartes, beaucoup de schémas et de graphiques, bâtis à partir des résultats d’enquêtes et d’observations de l’auteur. L’un de ses grands intérêts est qu’il a comme objectif, très clairement affiché dès les premières pages, de battre en brèche les nombreuses idées reçues concernant les Pygmées. Il montre ainsi une société baka en changement, en transition, s’applique à déconstruire l’équation agriculture = sédentarité, en montrant, avec des arguments précis et convaincants, que le développement de l’agriculture, loin de diminuer les mobilités, les modifie et en crée même de nouvelles : « la mobilité n’interdit pas l’agriculture » (p. 29). Il met ainsi régulièrement en garde contre l’interprétation hâtive qui consiste à déduire le passage à un mode de vie sédentaire d’une simple observation des « villages » développés au cours des dernières décennies le long des routes, villages à propos desquels il démontre que les Baka n’y habitent que très épisodiquement, beaucoup moins longtemps que dans les campements en forêt. Tout cela est riche de réflexions et d’informations essentielles pour la géographie des régions forestières d’Afrique centrale. 4 L’analyse menée est d’une grande minutie, nourrie d’une grande connaissance du terrain, d’un sens aigu de l’observation, et des innombrables questions, parfois qualifiées d’énigmatiques (p. 90), que posent certains phénomènes. Parmi les nombreuses pages particulièrement stimulantes, on peut noter celles qui traitent des mobilités, de la dispersion, de la méfiance et de la jalousie (« La jalousie et l’aménagement de l’espace », p. 168). Signalons aussi le rôle essentiel des cérémonies de partage de viande et l’impact de la difficulté croissante de la chasse à l’éléphant ; on retient également « la correspondance entre la cosmologie chrétienne et baka comme cause du regroupement », qui fait que « l’appel des missionnaires aurait retenti comme dans les temps mythiques » (p. 222), l’évocation de la relation à l’environnement qui est en même temps une relation aux esprits, etc. 5 Il est impossible d’évoquer toute la richesse de ce livre, qui réfléchit finalement à la place actuelle et future de la société baka dans un monde contemporain où l’environnement subit de profonds bouleversements. Il met en garde contre les politiques de développement reposant sur une méconnaissance ou une non prise en compte des dynamiques sociales. L’auteur fournit une série de cartes originales, qui auraient gagné à être plus lisibles et à être recensées dans une table. Elles portent, par exemple, sur la dispersion des Baka en forêt, sur les superficies qu’ils cultivent près de la route ou sur la structure des villages. Des données précises sur les liens entre Baka et Nzimo, relatifs en particulier au système de production agricole, aux flux et aux mobilités, esquissent, d’une façon très fine une passionnante géographie de cette région périphérique du Cameroun méridional. Bref il s’agit bien, dans un format très maniable, et dans un langage accessible, d’un ouvrage de « référence non seulement pour les milieux académiques mais aussi pour les non-spécialistes, gestionnaires ou décideurs » (quatrième de couverture).

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AUTEURS

FRANÇOIS BART

Professeur émérite, Laboratoire « Les Afriques dans le Monde (LAM) »

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Monnier Y., 2013 - De l’hégémonie du Nord au triomphe des Suds Paris : L’Harmattan, coll. « Les Tropiques entre mythe et réalité », 171 p.

François Bart

RÉFÉRENCE

Monnier Y., 2013 - De l’hégémonie du Nord au triomphe des Suds. Paris : L’Harmattan, coll. « Les Tropiques entre mythe et réalité », 171 p.

1 Ce livre, l’auteur le dit lui-même dans la dédicace initiale, est un essai. Yves Monnier, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, est connu pour ses travaux en Afrique de l’Ouest et dans le monde tropical insulaire, centrés sur l’étude des paysages, dans leurs dimensions naturelles (botanique en particulier) et sociales. Très sensibilisé de longue date aux questions d’environnement et de développement, il livre ici son diagnostic et ses inquiétudes sur « le coût environnemental » (quatrième de couverture) d’une pression démographique dont il estime qu’elle « devrait se stabiliser autour de 10 milliards d’habitants vers 2100 » (ibid.).

2 L’ouvrage, de lecture aisée, est structuré en quatre chapitres ; ils abordent d’abord la question démographique (chap. 1), puis la mettent en relation avec l’inégalité de développement entre le Nord et les Suds (chap. 2) ; suit une histoire des relations Nord- Suds (chap. 3), avant une brève évocation de « la vraie-fausse réconciliation entre le Nord et les Suds » (chap. 4). 3 Deux impressions majeures se dégagent de la lecture : le pessimisme d’une part, la très vaste culture de l’auteur d’autre part. 4 Le pessimisme se manifeste jusqu’au sous-titre (« Vers l’inévitable catastrophe démographique et environnementale »), ainsi que dans la dédicace « à 1 milliard d’humains souffrant de la faim dans les Suds, à la population du Quart-Monde du Nord… ainsi qu’aux femmes et aux hommes du monde entier qui auront 20 ans en 2100 ». Et les derniers mots de l’ouvrage sont dans la même tonalité quand ils parlent

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d’avertissement qui « permet de retarder l’inévitable annonce de l’imminence du désastre » (p. 163). 5 Cette inquiétude omniprésente est néanmoins nuancée, relativisée même, quand l’auteur, faisant preuve d’une grande sensibilité nourrie de nombreuses références historiques, scientifiques, littéraires, artistiques…, a recours à « des encarts, qui sont autant de réflexions sur le monde d’aujourd’hui », sorte de « petits billets, drôles ou grinçants, de caricatures malicieuses mais sans acrimonie » (p. 11). 6 Le diagnostic démographique est à la fois sans appel et nuancé. Il évoque les conséquences de l’accroissement des effectifs, « le dangereux accroissement des déchets » (p. 26), « l’angoissante érosion de la biodiversité » (p. 29), « les premiers indices du désastre annoncé » (p. 34) si le plafond des 10 milliards d’individus est dépassé. L’auteur est plus original quand il détaille « la perspective d’un plateau démographique et ses conséquences » (p. 36 sqq) et qu’il fait le lien avec le vieillissement des sociétés occidentales (p. 43) et la nécessité conséquente pour les pays riches du recours à l’immigration. Dans ce sillage, il développe l’idée du vivre ensemble en s’appuyant sur l’exemple de la France (p. 54 sqq). Le troisième chapitre, sur cette lancée, est consacré à ce qui fait l’intérêt majeur de la pensée d’Yves Monnier, une mise en perspective concomitante des enjeux socio-économiques et politiques des Suds et du Nord, qui se déroule sur près de 80 pages. On retient tout spécialement les pages très riches sur « Fortune et infortune des Suds » (p. 69 sqq), où, avec une grande liberté de pensée, l’auteur décrit avec vigueur, conviction et érudition l’histoire de la domestication des plantes cultivées. Citons par exemple de superbes passages sur les épices, les produits coloniaux, exotiques, tropicaux. Il en profite pour réfléchir au concept de « natures tropicales », en évoquant une « singulière fascination mortifère », fondement d’une « curieuse relation, quasi viscérale, entre les hommes du Nord et les natures tropicales, qui confère à ces dernières leur spécificité » (p. 99). 7 La conclusion, intitulée « Quelle feuille de route pour demain ? », confirme la personnalité d’Yves Monnier. Elle décline neuf constats, qui vont globalement dans le sens d’une inversion possible du « tropisme actuel Suds-Nord » (p. 160). Et, dans son évocation des inégalités Nord-Suds, sans craindre de briser un tabou, s’il dénonce « l’horreur de l’esclavage », il ajoute : « Mais la colonisation n’explique pas tout ». Il évoque en parallèle les sacrifices de « ces femmes et ces enfants mal nourris, mal logés, mal vêtus qui ont travaillé dans des conditions exécrables et qui ont perdu leur enfance, leur jeunesse, leur bonheur, leur santé afin que s’accomplisse au XIXe siècle la Révolution industrielle » (p. 161). 8 La revanche des Suds est-elle à l’ordre du jour ? Telle est finalement la question essentielle que défriche Yves Monnier dans cet essai documenté et passionné, qui séduit par l’ouverture d’esprit, le doute et l’inquiétude qu’il exprime, même si ses convictions peuvent ne pas systématiquement susciter l’adhésion.

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AUTEURS

FRANÇOIS BART

Professeur émérite, Laboratoire « Les Afriques dans le Monde (LAM) »

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Abalot Émile-Jules, Carlos Jérôme, préf. et Dansou Pierre H., préf., 2009 - Les Écureuils du Bénin et les sabliers d’Afrique Cotonou (Bénin) : CAAREC Éditions, Collection Études, 131 p., biblio., lexique et index des sigles

Jean-Paul Callède

RÉFÉRENCE

Abalot Émile-Jules, Carlos Jérôme, préf. et Dansou Pierre H., préf., 2009 - Les Écureuils du Bénin et les sabliers d’Afrique. Cotonou (Bénin) : CAAREC Éditions, Collection Études, 131 p., biblio., lexique et index des sigles.

1 Émile-Jules Abalot a publié tout à la fin de l’année 2009 un ouvrage qui, profitant de l’actualité des préparatifs de la Coupe du monde de football 2010, s’interroge sur la réalité du football en Afrique et sur son évolution récente. Disponible et diffusé au début de l’année 2010, son livre s’intitule « Les Écureuils du Bénin et les sabliers d’Afrique ». Les « Écureuils » est le nom donné aux équipes nationales (seniors et juniors) de football. L’introduction (p. 5-8) permet à l’auteur de dégager les enjeux d’une connaissance visant à s’affranchir du sens commun (p. 6). « Le discours scientifique, quant à lui, tire sa force intrinsèque de l’idée juste qu’il se voit contraint de diffuser » (ibid.). Le livre s’articule en quatre chapitres traitant successivement des métamorphoses du football béninois (p. 9-44), des rapports entre les dirigeants sportifs et les pouvoirs publics (p. 45-69), des nouvelles perspectives d’organisation du football au Bénin (p. 71-98), avant d’opérer un retour sur les métamorphoses du football dans ce pays au regard de l’évolution du football international (p. 99-120). Dans une courte conclusion (p. 121-123), l’auteur récapitule les éléments qui lui ont permis de caractériser « le système concret de fonctionnement du sport » au Bénin. Pareille

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démarche d’objectivation vise à mettre en évidence des points positifs autant que les insuffisances et les échecs, avant de formuler quelques souhaits de changement dans le sport au Bénin pour un proche avenir.

2 Destinée prioritairement aux spécialistes, cette étude a été voulue accessible au grand public qui s’intéresse au sport en général et au football en particulier en tant que fait de société (introduction, p. 5). Maître-assistant des Universités africaine et malgache, c’est en universitaire que l’auteur envisage de traiter le thème. Il en accepte le risque. Sous l’angle de la sociologie ou de la science politique, le sport risque toujours de perdre de son charme… 3 Il faut souligner l’effort de clarification conceptuelle et de maîtrise didactique dont chaque chapitre témoigne : « construction de l’argumentaire », chap. 1, p. 28 et suivantes ; concepts mobilisés, chap. 2, p. 47 et suivantes ; « précisions conceptuelles », chap. 3, p. 74 et suivantes ; « cadre référentiel » et « clarification des concepts », chap. 4, p. 101, p. 103 et suivantes. De même la construction de quelques typologies (p. 34-40, p. 78 et suivantes, p. 106-107), est toujours bien venue. Ce niveau d’exigence fait de ce livre consacré à l’analyse du football abordé sous l’angle des sciences humaines et sociales un manuel de familiarisation du lecteur à ces mêmes disciplines. Ajoutons que de belles pages inspirées par l’anthropologie culturelle traitent du « débat sur l’identité de l’écureuil » (p. 92-94), un marqueur identitaire pertinent pour les athlètes, avant de s’interroger sur la place des « ressources » traditionnelles qui interfèrent avec d’autres « rites psycho-régulateurs » de préparation aux compétitions : « problèmes que pose le recours aux magiciens, aux marabouts pronostiqueurs, aux griots, aux charlatans »… (voir p. 95-96). 4 En définitive, M. Abalot n’instruit pas le procès du football au Bénin, voire en Afrique. C’est d’abord en fonction de la maîtrise adéquate du dynamisme local et des structures de base de la société, qu’il convient, selon lui, de trouver une voie raisonnable et raisonnée pour ce sport populaire. Seule cette assise permettra de bâtir l’échelle supérieure, en termes d’« espace-réseau ». « Or, s’interrogeait l’auteur en engageant son analyse, les critères objectifs des développements économique, culturel et social de l’Afrique en général et du Bénin en particulier ne sont pas suffisamment identifiés et réunis pour s’engager dans ce football mondial »… En outre, alors que de meilleures conditions se mettent progressivement en place pour un véritable développement du football, ou que tout au moins les bonnes solutions se dessinent, l’Afrique subit une nouvelle colonisation, caractérisée par « l’hégémonie d’une nouvelle race de marchands d’illusions » qui se complaisent dans l’affairisme douteux ou le clientélisme… Des marchands de sable, en d’autres termes, qui font oublier aux Africains eux-mêmes que le temps qui s’écoule, celui des « sabliers d’Afrique », ne joue pas en faveur d’une éducation physique et d’un sport pour le plus grand nombre, représentatifs de chaque nation concernée… À la lecture des dernières pages du livre, la pertinence des repères s’impose avec force. 5 « Le sport, en définitive, rapproche pour mieux diviser puisque c’est le point de départ de toutes les distinctions sociales, les vaincus et les vainqueurs, les joies et les peines, les riches et les pauvres », notait l’auteur dans l’introduction (p. 7). Gageons que l’effort de compréhension scientifique du sport opère à l’inverse ; il passe par une étape analytique, identifie, décompose, distingue, avant de dégager une explication objectivement partagée et perfectible. L’auteur nous montre le chemin à suivre.

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6 Sans doute pourra-t-on regretter l’absence d’un sous-titre qui permettrait, en arrière- plan de l’image première, poétique et philosophique, doublée peut-être d’une pointe d’amertume, de saisir d’emblée le thème envisagé et le défi majeur qui lui est associé. Ajoutons que la remarque n’est que secondaire. Le livre d’Émile-Jules Abalot s’adresse en définitive à un public élargi, qui s’intéresse à l’analyse du sport en Afrique sub- saharienne. Mais par la clarté des démonstrations et l’appui sur d’autres recherches dont il bénéficie (voir la bibliographie, p. 125-128), c’est d’abord une investigation réussie, combinant la sociologie et la science politique, qui sera utile aux enseignants chercheurs et aux doctorants engagés sur ces terrains d’étude. C’est un outil de travail, un diagnostic et une réflexion intellectuelle à recommander.

AUTEURS

JEAN-PAUL CALLÈDE

Sociologue, chargé de recherches au CNRS à la Maison des Sciences Humaines d’Aquitaine (MSHA) (Pessac)

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