Le Syndrome Perroquet
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
JEAN-NOËL BLANCHETTE, M.A. Le syndrome perroquet Explorations critiques de la dimension spirituelle des arts martiaux japonais dans la culture francophone occidentale Thèse présentée à l'Université Laval comme exigence partielle du doctorat en théologie offert à l'Université de Sherbrooke en vertu d'un protocole d'entente avec l'Université Laval pour l'obtention du grade de Philosophiae Doctor (PH.D.) FACULTÉ DE THÉOLOGIE, D'ÉTHIQUE ET DE PHILOSOPHIE UNIVERSITÉ DE SHERBROOKE Octobre 2003 © Jean-Noël Blanchette, 2003 RÉSUMÉ Les arts martiaux japonais proposent différentes approches dont l’une vise le développement spirituel de l’être. Or, en s’acculturant, cette vision originale des arts martiaux n’aurait-elle pas dû s’ouvrir à d’autres horizons spirituels, tel le christianisme, par exemple? Ce n’est malheureusement pas le cas. Dans la culture francophone occidentale, l’approche spirituelle repose sur un rapport exclusif entre l’art martial et la tradition religieuse japonaise, dont le zen. L’objectif de cette recherche est d’amorcer une réflexion critique sur ce type de rapport exclusif. Pour atteindre cet objectif, après avoir exploré certaines avenues, nous avons choisi de référer à un exemple représentatif: Roland Habersetzer. Auteur de nombreux ouvrages sur les arts martiaux, Habersetzer se distingue plus particulièrement dans le domaine du karaté, où il est passé maître. Dans l’un de ses ouvrages, il oriente le discours spirituel du karaté dans un rapport exclusif avec le bouddhisme zen. Nous contestons la thèse d’Habersetzer en nous appuyant sur une relecture de la dimension spirituelle des arts martiaux japonais. À cet effet, nous avons postulé que la dimension spirituelle des arts martiaux est une création culturelle, l’aboutissement d’une tension dynamique entre deux pôles de la culture japonaise: le profane et le sacré. C’est à partir de cette perspective que nous avons abordé notre investigation, basée sur une méthodologie mettant l’accent sur l’analyse de contenu. Notre exploration nous a permis de démontrer que le discours actuel soutenu par le maître Habersetzer trahit le sens fondamental que la culture japonaise véhicule sur la dimension spirituelle des arts martiaux dans son propre pays. À partir d’un objectif qui vise essentiellement le développement spirituel de la personne, la diversité des options religieuses et martiales offrent, au Japon, un éventail de possibilités. En ne tenant pas compte de ce point de vue, le discours d’Habersetzer encourage l’existence d’une situation contradictoire qui prive actuellement les Occidentaux d’un héritage spirituel qui leur permettrait d’aborder un art martial à partir de leurs propres convictions religieuses. REMERCIEMENTS Ce travail d’exploration sur la dimension spirituelle des arts martiaux japonais a nécessité le concours de plusieurs personnes sans lesquelles il n’aurait pu voir le jour avec cette rigueur qui différencie le chercheur de l’adepte fanatique. Déposée en 1990 sous la direction éclairée de M. Jacques Fillion, une première esquisse en a été présentée dans le cadre d’un mémoire de maîtrise intitulé Le croyant peut-il concilier le christianisme et les arts martiaux japonais? Je tiens ici à assurer M. Fillion de toute ma gratitude. Je témoigne la même reconnaissance à Mme Yuki Shiose, avec qui j’ai poursuivi, pendant quelques années, cette merveilleuse aventure au coeur de la culture martiale japonaise. J’ai une pensée envers M. Raymond Vaillancourt, professeur de théologie, qui le premier et en peu de mots m’a encouragé à poursuivre mes recherches sur la dimension spirituelle des arts martiaux japonais dans le cadre d’études supérieures. J’exprime mes plus sincères remerciements à Mme Monique Beaulieu et à M. Yves Vignault pour leurs critiques appropriées tout au long de mes recherches, à M. Rune Ingebrigtsen, de Norvège, qui m’a aimablement permis de consulter son impressionnante bibliothèque privée; et finalement, à Mmes Germaine Blanchette, Christiane Grenier, Céline Côté et Monique Vaillancourt pour le traitement et la révision des textes. AVANT-PROPOS Tout au long de mon expérience des arts martiaux japonais et particulièrement au cours de mon apprentissage du karaté, je me suis heurté à certaines intransigeances qui me semblent affecter la transmission occidentale des arts martiaux et qui ont été à la source des réflexions qui vont suivre. Pour bien signifier la distance nécessaire à la réalisation de la présente thèse, il m’apparaît donc opportun de m’attarder d’abord à exposer les raisons personnelles qui ont motivé ma démarche scientifique. UNE ÉDUCATION CATHOLIQUE Il m’arrive régulièrement d’arrêter le temps pour essayer de comprendre les aspirations de mon âme, lesquelles, j’en suis persuadé, conditionnent en partie mon destin. Plusieurs questions dépassent ma capacité d’entendement. Je prends seulement conscience des pulsions qui, au contact des êtres et des événements, stimulent mes choix de valeurs, me poussent à l’action et forgent ma personnalité. Parmi ces valeurs, la corrélation entre mes croyances religieuses (issues de ma tradition familiale) et ma passion pour les arts martiaux japonais occupe une place importante dans ma réflexion. Né un 25 décembre, je suis le deuxième enfants d’une famille de trois. Durant mon enfance, mon père était militaire et ma mère, comme la majorité des femmes de l’époque, reine du foyer. La base de mon éducation religieuse m’a été transmise lors de mes études primaires et secondaires. Elle a débuté sous la tutelle de religieuses qui nous faisaient apprendre par coeur le * Petit catéchisme + et s’est poursuivie à travers les différents programmes offerts par le ministère de l’Éducation du Québec; elle est donc empreinte de catholicisme. En plus de ces cours, et jusqu’au milieu de mon adolescence, j’ai participé activement à la vie de l’Église en étant tour à tour enfant de choeur, servant de messe et lecteur. J’ai souvent pensé au sacerdoce, mais ma vocation a pris une autre direction. UNE EXPÉRIENCE DE VIE ENRACINÉE DANS LA CULTURE MARTIALE Une grande partie de ma vie est étroitement liée aux arts martiaux. Dès l’âge de trois ans, mon père m’initia au défendo1, à la boxe et au tir à la carabine. Cependant, lorsque ma mère tomba gravement malade, mon père confia son petit soldat à sa soeur Jeanne qui vivait alors, avec son mari et cinq enfants, sur une ferme en Abitibi. Pendant près de trois ans, le rude climat du nord québécois, les travaux de la ferme, le caractère fier et souvent querelleur de mon entourage contribuèrent à forger mon corps et ma personnalité. 1 Pour faciliter la lecture, les mots spécifiquement de langue étrangère, c’est-à-dire ceux qu’on pourrait ne pas trouver dans un dictionnaire usuel du français, prendront l’italique à leur première occurrence, mais garderont ensuite la graphie régulière; ces mots pourront aussi apparaître dans le lexique fourni en fin de cette thèse. Par ailleurs, il arrive que l’orthographe de certains mots japonais (et coréens, chinois, sanskrits, etc.) varie légèrement d’un auteur à l’autre, ce qui sera constaté au fil des citations retenues. Dans un souci d’uniformité, nous avons tenté de maintenir, dans nos propres textes, l’orthographe utilisée dans l’ouvrage Encyclopédie technique, historique, biographique et culturelle des arts martiaux de l’Extrême-Orient, de Roland et Gabrielle HABERSETZER, Paris: Éditions Amphora, 2000, 816 p. ii C’est au début de mon adolescence que mon père reprit le flambeau de l’autorité familiale. De l’Abitibi, je pris le chemin d’une banlieue de Drummondville. C’est là que mon éducation aux arts martiaux japonais débuta véritablement. Depuis ce temps, de longues années se sont écoulées. Mes divers déplacements m’ont permis de m’initier à quelques arts martiaux japonais. Cependant, je garde une passion particulière pour le karaté chito-ryu que je pratique depuis plus d’une trentaine d’années déjà. Je me suis qualifié pour le premier dan en 1976. Par la suite, j’ai complété avec succès les programmes des deuxième au cinquième dans avant d’être reçu shihan (maître instructeur) en 1990. Finalement, j’ai obtenu le grade de 6e dan en 2001. Pour mieux comprendre la valeur des grades en karaté, on peut les comparer, par exemple, au système scolaire québécois. Ainsi, un adepte qui aurait atteint le grade de premier dan aurait un diplôme d’études secondaires et au deuxième dan, un diplôme d’études collégiales. Le troisième dan marquerait un baccalauréat, le quatrième, la maîtrise et le cinquième, un doctorat. Les autres grades, du sixième au dixième dan (un honneur encore très rare aujourd’hui pour les Occidentaux), seraient considérés post-doctoraux. Comme on peut le constater, il me reste une longue route à parcourir et encore bien des épreuves à surmonter, car le système des grades et les licences de * maître + s’échelonnent sur toute une vie. On peut comprendre que mon engouement pour le karaté chito-ryu dépasse largement celui d’une pratique occasionnelle et peut très bien être qualifié de *passionnel+, à la limite du fanatisme. Cette passion m’a permis de m’investir entièrement sous la tutelle de mes maîtres, dépositaires du savoir traditionnel. Tout au long de ma jeunesse et jusqu’à mes 35 ans environ, j’ai participé très régulièrement aux séminaires de perfectionnement et je me suis entraîné presque chaque jour, de manière à pousser mon corps à la limite de ce que la jeunesse pouvait lui offrir. Par exemple, j’aimais tout particulièrement les camps d’été qui offraient habituellement trois entraînements quotidiens. À chaque entraînement, le maître sélectionnait quelques techniques que l’on répétait inlassablement des centaines et des centaines de fois, jusqu’à l’épuisement physique. Mais alors que j’étais sur le point de m’effondrer, le ton énergique et martial du maître m’encourageait à ne pas abandonner.