Les textes et les illustrations de cette rubrique historique sont protégés par l’article L-111-1 du code de la propriété intellectuelle, pour toute utilisation nous contacter.

© Studio Différemment PATRIMOINE Le grand œuvre de

Pierre-Paul Riquet (1re partie)

UN IMMENSE OUVRAGE POUR RELIER À LA MÉDITERRANÉE Creusé à partir de 1667 au départ de Toulouse, le Canal royal de , futur , aurait dû passer bien plus près du centre ville. Mais les Capitouls en décidèrent autrement...

agricoles) qui, autour de Toulouse, ne créèrent pas de problèmes, les in- demnisations étant élevées et payées par les États de Languedoc. Ensuite commence le chantier proprement dit avec le terrassement qui consiste Ci-dessus la à creuser le lit du canal à même le sol. Toulouse de la Les ouvriers sont nombreux car fi n du 17e siècle tout se fait à la main et faciles à trouver contournée par le car la paye est bonne. Sans compter Canal qui passait alors en pleine t si le Canal du Midi n’était pas d’abord le faire passer dans le fossé des les ouvrières, Riquet privilégiant leur campagne. passé par Toulouse ? Dans ses murailles, soit à peu près à l’emplace- embauche car elle lui coûtent moins premiers projets, au début des ment des actuels boulevards mais les cher : « Toutes les femmes qui me vien- années 1660, le biterrois Pier- Capitouls s’y opposent, offi ciellement dront, je les prendrai, écrit-il à Colbert Ere-Paul Riquet, s’il est assez précis sur par peur d’inondations dans la ville, en 1669, dans la pensée que ces femmes la portion techniquement stratégique en fait car ils sont fachés que le Canal travaillant à forfait feront autant de autour du seuil de Naurouze en Laura- échappe à leur juridiction, étant « fi ef » travail que les hommes qui travaillent gais, reste dans le fl ou pour le reste du de Riquet et ses descendants par ordre à journée, qu’il ne m’en coûtera pas tant trajet : son canal des deux mers pour- du Roi. Ils ordonnent donc qu’il passe et que je verrai plus tôt la fi n de mon rait rejoindre la par l’Agout à 600 toises, soit plus d’un kilomètre au entreprise »... et le Tarn ou bien, mieux, par la vallée large. Riquet obtempère et commence La tranchée et les talus faits, du Girou, ce qui aurait l’avantage de le à tracer avec ses arpenteurs la longue arrivent les hommes de faire passer au bas des jardins du châ- boucle évitant la ville. l’art, teau de Bonrepos où Riquet a l’une de Après l’arpentage , les expro- ses demeures. Mais il faut à Riquet des priations (essentiellement appuis pour mener son grand œuvre à de terrains  bien, particulièrement à Toulouse où siègent deux puissances : le Parlement,  effi cace relais de l’État royal dans tout le Midi central, et l’archevêque qui dirige les États de Languedoc, l’une des administrations autonomes les plus puissantes et les mieux gérées du royaume. Le canal partira donc de Tou- louse, un peu en aval du Bazacle, mais  ensuite ? Pour faire des écono- mies, on pense





 60 AVRIL 2009 à Toulouse Ci-dessous l’écluse de Garonne, point de départ du Canal du Midi à la fi n du 17e siècle. Ce n’est qu’à la fi n du 18e siècle que la construction du Canal de Brienne (et des ponts jumeaux) permettra aux navires venus des Pyrénées par la Garonne d’accéder directement au Canal du Midi en évitant un transbordement au Bazacle. Au 19e siècle, l’œuvre de Riquet sera prolongée jusqu’à par le Canal latéral à la Garonne. artisans maçons qui exécutent les ouvrages, ponts et surtout écluses. Cel- les de Toulouse, en chantier dès 1667 (jusqu’à 12 000 (l’édit du Roi autorisant la construction personnes au plus fort du Canal est de fi n 1666) permettront de la saison de travail), une à Riquet de se faire la main : d’abord vingtaine de contrôleurs et ins- rectangulaires , elles ne résisteront pecteurs « généraux » sous les ordres pas à la pression des talus de terre qui de Riquet. À Toulouse, le Canal est mis les bordent, formés avec les quanti- en eau dès 1674 avec sans doute une sont lé- tés creusées et qui seront ensuite inauguration en grande pompe : Capi- gion et il faudra attendre plantés d’iris ou de joncs pour mieux touls, parlementaires, archevêque 1683 pour autoriser la navigation com- les maintenir. Finalement, la forme et Riquet, se demandant sans doute merciale et 1685 pour signer la récep- ovale s’imposera sur tout le tracé du s’il verra la fi n du plus grand chantier tion des travaux. Pas encore suffi sant Canal car elle permet d’équilibrer les de l’Europe de son temps et surtout si pour assurer la pérennité de l’ouvrage Ci-dessous, pressions, lui donnant en plus ce petit cela lui rapportera quelque chose. Car qui souffre de tous côtés du terrible ré- la double écluse air baroque qui a tant contribué à son si le Canal permet alors d’aller jusqu’à gime hydrographique régional. Le Ca- de Bayard depuis l’arpentage et charme. Les maisons éclusières, ou Castelnaudary, les années 1670 voient nal ne pourra devenir véritablement début du chantier les moulins sont construits dans la s’accumuler les ennuis : Louis XIV se opérationnel qu’après les très impor- en 1667 jusqu’à la foulée. Ces derniers, source de revenus lance dans une guerre qui va assécher tants travaux menés par Vauban de première mise en complémentaires, sont accompagnés les fi nances publiques alors que Riquet 1686 à 1694. Enfi n eau et inauguration en 1674. d’un bâtiment faisant offi ce de maga- a dépensé presque toute sa fortune Aujourd’hui en sin (entrepôt), d’habitation et d’écu- de grand percepteur face de la gare rie pour la famille qui l’exploite et des gabel- Matabiau, elle a d’un bief, voie d’eau permettant de été remaniée au 20e siècle où elle a faire tourner la meule . On  perdu son moulin et trouve aussi sur le l’un de ses bassins. chantier 

 

  

achevé 14 ans après la les, ces fruc- mort de son créateur, le Canal va faire tueux impôts sur l’admiration de l’Europe car c’est alors le sel qui en ont fait le plus important ouvrage public du l’un des hommes les plus continent et peu à peu prendre toute riches du Midi. Les devis sa place dans l’économie toulousaine, sont largement dépassés et sujet de notre prochain numéro de le Canal ne peut encore rien juillet-août.  rapporter. Le créateur du Ca- nal passe les dernières années de sa À lire : « Toulouse et le Canal du Midi », vie à courir d’un bout à l’autre de son Nicolas Marqué, Empreinte 2007. des for- grand œuvre, accumulant les chantiers « Le Canal du Midi, Merveille de l’Euro- gerons pour comme s’il voulait mettre l’État dans pe », Michel Cotte, Belin-Herscher 2003. les outils, des charpentiers l’impossibilité de revenir en arrière et pour fabriquer les portes des éclu- meurt fi nalement en 1680 en laissant ses ou les grues nécessaires aux une énorme dette à ses héritiers. Quel- travaux et une nuée de charretiers ques mois plus tard, le 15 mai 1681, le Texte : Jean de Saint Blanquat pour transporter les matériaux au bon Canal est pour la première fois totale- Illustrations : PX Grézaud endroit. Pour diriger tout ce monde ment mis en eau. Mais les problèmes Merci à Samuel Vannier de VNF pour son aide

JUIN 2009 à Toulouse 61