La Méthode Du Riddim : Esthétique, Pratique Et Propriété Dans Le Dancehall Jamaïcain the Riddim Method: Aesthetics, Practice, and Ownership in Jamaican Dancehall
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Volume ! La revue des musiques populaires 13 : 2 | 2017 Inna Jamaican Stylee La méthode du riddim : esthétique, pratique et propriété dans le dancehall jamaïcain The Riddim Method: Aesthetics, Practice, and Ownership in Jamaican Dancehall Peter Manuel et Wayne Marshall Traducteur : Alexandre Tanase Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/5288 DOI : 10.4000/volume.5288 ISSN : 1950-568X Éditeur Association Mélanie Seteun Édition imprimée Date de publication : 21 avril 2017 Pagination : 25-59 ISBN : 978-2-913169-42-5 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Peter Manuel et Wayne Marshall, « La méthode du riddim : esthétique, pratique et propriété dans le dancehall jamaïcain », Volume ! [En ligne], 13 : 2 | 2017, mis en ligne le 21 avril 2020, consulté le 08 janvier 2021. URL : http://journals.openedition.org/volume/5288 ; DOI : https://doi.org/ERREUR PDO dans /localdata/www-bin/Core/Core/Db/Db.class.php L.34 : SQLSTATE[HY000] [2006] MySQL server has gone away L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 25 ument Doc La méthode du riddim : Esthétique, pratique et propriété dans le dancehall jamaïcain* par Peter Manuel (City University of New York) Wayne Marshall (Berklee College of Music / Harvard University) Traduit de l’anglais (États-Unis) par Alexandre Tanase Résumé : La scène et l’industrie du disque jamaï- Abstract: The Jamaican system of recording caines, des années 1950 jusqu’à nos jours, ont une and performance, from the 1950s to the present, manière bien particulière d’aborder les notions de constitutes a distinctive approach to notions of composition, d’œuvre originale et de propriété. composition, originality and ownership. Emerg- Prolongeant une tradition où la performance live ing from a tradition of live performance practice implique l’utilisation de disques (et influence en mediated by (and informing) sound recordings, retour leur production), la relative autonomie, the relative autonomy of riddims and voicings dans ce système, des riddims et des parties vocales in the Jamaican system challenges conventional Volume [voicings **] remet en cause les idées habituelles ideas about the integrity of a song and the degree sur ce qui constitue l’identité d’une chanson. to which international copyright law applies ! n° 13-2 * Traduit de Manuel Peter & Marshall Wayne (2006), « The riddim method : aesthetics, practice, and ownership in Jamaican dancehall », Popular Music, no 25, Cambridge, Cambridge University Press, p. 447-470. [Toutes les notes appelées par des * sont du traducteur.] ** Voicing désignant déjà en français une technique d’harmonisation propre au jazz, nous traduisons ce terme par « partie vocale » (parfois par « interprétation vocale ») lorsqu’il s’agit d’un substantif, comme dans riddim/voicing system ou riddim plus voicing, et par l’expression idiomatique « poser » (ou « poser sur ») quand il s’agit d’un verbe. 26 Peter Manuel & Wayne Marshall Cette autonomie pose aussi la question de la façon to local conceptions, as enshrined in decades of dont le droit international en matière de copyright practice, of musical materials as public domain. peut s’appliquer là où des décennies de pratique With the spread of the “riddim method” to the sites musicale vont de pair avec l’idée que le matériau of Jamaican mass migration, as evidenced by sim- musical fait partie du domaine public. Avec la ilar approaches in hip hop, reggaeton, drum‘n’bass propagation de la « méthode du riddim » dans les and bhangra, reggae’s aesthetic system has found aires d’immigration jamaïcaine, l’esthétique propre adherents among artists and audiences outside of au reggae a pu toucher hors de Jamaïque d’autres Jamaica. This paper maps out, through historical publics et d’autres artistes – comme le montrent des description, ethnographic data, and musical anal- genres voisins comme le hip-hop, le reggaeton, le drum‘n’bass ou encore le bhangra. L’article conjugue ysis, the Jamaican system as a unique and increas- ainsi récit historique, données ethnographiques et ingly influential approach to music-making in the analyse musicologique en vue de montrer comment digital age. le système jamaïcain constitue une manière à la fois unique et de plus en en plus influente d’aborder la Keywords: creative commons – copyright – dancehall création musicale à l’ère numérique. – DJ – Jamaican music – riddim – sound system Mots-clefs : communs créatifs – copyright– dancehall– DJ – musique jamaïcaine – riddim – sound system au xxe siècle la seconde moitié du siècle dernier, toutefois, sous L’avènement de la musique l’influence notamment des nouvelles technologies populaire et commerciale de masse a contribué à et de l’emploi dans les musiques africaines-améri- la diffusion, dans de nombreuses cultures et par- caines de l’ostinato, sont apparues plusieurs alter- tout sur la planète, d’un certain type de chanson. natives remarquables. Par exemple, les remixes, Selon ce type, devenu dominant, la chanson doit qui combinent des éléments provenant de plu- être un objet reproductible, autonome et original, sieurs chansons déjà connues, le hip-hop, qui se et celle-ci doit articuler de manière relativement sert d’un riff samplé pour l’accompagnement, ou inédite paroles, mélodie et accompagnement har- les chansons funk à la James Brown, avec une monique. Dans la culture musicale occidentale, structure plutôt libre et un ostinato pour colonne ! n° 13-2 par exemple, la structure AABA en 32 mesures, vertébrale. L’objet de cet article est d’étudier l’une éventuellement répétée deux ou trois fois avec de ces alternatives : une autre manière, unique et quelques variations, est un bon exemple de ce bien spécifique, de construire une chanson, incar- Volume modèle consacré et dominant de chanson. Dans née par le reggae dancehall. 27 La méthode du riddim... Depuis les débuts des années 1970, le reggae n’est pas propre au morceau : on le retrouve dans de – dont la forme la plus populaire s’appelle, depuis nombreux autres, ce qui n’est pas vrai du rap, par 1980 environ, le « dancehall 1 » – utilise ce qu’on exemple, qui pourtant utilise lui aussi des ostinatos appelle le riddim : une piste d’accompagnement samplés en accompagnement 2. Il peut par ailleurs autonome, typiquement construite à partir d’un arriver qu’à l’inverse une même partie vocale soit ostinato, celui-ci comprenant souvent une mélodie réutilisée sur différents riddims. Ainsi, le riddim instrumentale et des percussions. Or si un titre de dispose d’un nom à lui, de son producteur et de son dancehall consiste en un deejay chantant ou posant propriétaire, ainsi que d’une vie musicale propre, [voicing] sur un riddim, ce riddim, en revanche, indépendante des parties vocales des deejays. Volume ! n° 13-2 Figure 1 : Loydie Coxsone, selector installé à Londres, place l’aiguille pendant que le DJ est au micro. Crédits : UrbanImage.tv/Jean Bernard Sohiez. 28 Peter Manuel & Wayne Marshall Ce qu’on peut appeler le système « riddim-plus- qu’y prennent les sound systems, et la production en partie-vocale » construit donc les chansons à partir studio, relativement aux groupes jouant sur scène. d’éléments séparables. Cette façon de faire est Retracer et décrire cette évolution, cependant, est familière et va même de soi pour tous ceux qui par- en général plus aisé qu’arriver à l’expliquer. ticipent à la culture dancehall : fans, producteurs Bien que le système « riddim-plus-partie vocale » ou encore critiques musicaux. Elle est pourtant ne soit devenu la norme dominante dans la bien spécifique, et, à ce titre, mérite amplement de musique populaire jamaïcaine que vers la fin retenir l’attention des chercheurs. Nous nous pro- des années 1970, ses racines remontent aux posons ainsi dans cet article de décrire ce système années 1950, c’est-à-dire aux débuts de la culture à grands traits, de donner quelques repères concer- de la musicale commerciale en Jamaïque. En effet, nant son évolution, et d’étudier ses traits distinc- l’une des conditions essentielles de ce système date tifs : règles de composition, attitudes esthétiques, de cette période : l’habitude, qui domine tou- déterminants historiques, relation avec la perfor- jours aujourd’hui, d’aller danser sur des disques mance live, et conception spécifique de la propriété passés par des sound systems, plutôt que sur de la telle qu’elle se manifeste dans les pratiques cou- musique jouée live. Ce trait est caractéristique de rantes et la question du copyright. la Jamaïque : on ne le retrouve pas dans les pays avoisinants, en particulier dans les Caraïbes his- Naissance et évolution du système paniques. Pendant les années 1950, pour aller danser le samedi soir, un habitant de Santiago riddim/partie vocale en République dominicaine allait là où on jouait Une explication commune de la pratique consistant du merengue à l’accordéon ; au même moment, à recycler les riddims est de dire que la Jamaïque est à Kingston, les classes populaires allaient là où un pays pauvre, et qu’il est donc normal de cher- un sound system passait de la musique, avec son cher à diminuer les coûts de production en réutili- matériel, son personnel, ses habitués, et sa propre sant les pistes d’accompagnement, au lieu de payer collection de disques. Dans les années 1950, celle- pour avoir un studio et des musiciens. S’il y a pro- ci était essentiellement composée de singles de bablement du vrai dans cette explication, la réalité R&B venus des États-Unis – ce n’est qu’au début est néanmoins plus complexe – il suffit pour s’en des années 1960, avec le ska, que commencera à rendre compte de constater que beaucoup de socié- émerger une musique populaire et commerciale tés, pourtant plus pauvres encore que la Jamaïque, spécifiquement jamaïcaine. Une conséquence de n’ont pas développé d’équivalents du riddim. Il est cette appétence jamaïcaine pour les sound systems ! n° 13-2 donc plus pertinent d’étudier l’usage des riddims fut que la créativité et la production musicales comme un produit et un déterminant de l’évolu- se concentrèrent principalement dans les studios tion de la culture musicale jamaïcaine moderne – d’enregistrement.