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Frédéric Tristram, « Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr

Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981

Frédéric Tristram

Dans le flot d’études consacrées aux entourages politiques, celui de Valéry Giscard d’Estaing a été relativement négligé. Les raisons de cet oubli sont diverses. Elles tiennent à une certaine proximité chronologique et à la présence active, jusqu’à une date récente, de l’ancien Président dans le débat politique national et européen. Elles sont également la conséquence de la réserve longtemps observée par les anciens conseillers, après une défaite de 1981 vécue souvent comme un traumatisme. Elles ressortissent, plus fondamentalement, à la difficulté de cerner avec précision les contours d’un libéralisme français dont l’ancien Président a été la principale figure. Pourtant, l’entourage de Valéry Giscard d’Estaing présente des caractéristiques tout à fait originales. Celles-ci découlent d’abord d’un parcours politique en grande partie atypique. Valéry Giscard d’Estaing n’a en réalité occupé qu’un seul département ministériel, celui des Finances, mais sur une durée exceptionnellement longue, près de douze ans au total entre 1959 et 1974. Puis il a été élu très jeune président de la République, à l’âge de quarante-huit ans, sans bénéficier toutefois, comme ces concurrents gaullistes et socialistes, de l’appui d’un parti important et structuré. Ces circonstances n’ont pas été sans conséquences. Elles ont induit un réel renouvellement du personnel de l’Elysée, après la longue période gaullo-pompidolienne, mais elles ont également limité le vivier dans lequel Valéry Giscard d’Estaing a pu puiser et perpétuer, voire renforcer, l’emprise des grands corps administratifs sur les structures de la présidence. Le contexte politique du septennat a également joué un rôle. Les relations entre Valéry Giscard d’Estaing et ses Premiers ministres successifs, l’actualité électorale ou le fonctionnement de la majorité présidentielle ont pesé sur les choix organisationnels du secrétariat général, ainsi que sur certain de ses recrutements. Enfin les conceptions personnelles du président de la République n’ont pas été sans conséquences. Valéry Giscard d’Estaing a voulu cantonner le secrétariat général dans des fonctions purement administratives, refusant, pour reprendre une expression d’Yves Cannac, d’en faire « un outil de son pouvoir1 ». Mais il a aussi mis en place en son sein des structures politiques très innovantes, notamment en matière d’analyse de la presse et de communication. Aussi ces influences contradictoires façonnent-elles un organisme hybride. Le secrétariat général de l’Elysée est-il une simple structure technique, chargée de d’informer le Président et d’instruire ses dossiers ? Est-il au contraire un instrument politique, d’exercice et de conquête du pouvoir ?

1 Entretien de Yves Cannac avec Frédéric Tristram, entretien n° 1, le 14 avril 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine.

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Ces questions n’appellent pas de conclusions univoques. Pour tenter d’y répondre, une analyse de type prosopographique est sans doute nécessaire. Elle doit cependant être complétée par des éléments d’ordre qualitatif qu’apportent en particulier l’utilisation des sources orales2. Un entourage au profil très classique

Le terme même « d’entourage » n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Le plus simple est de partir de la définition qu’Yves Cannac lui-même donne du secrétariat général de l’Elysée : « une équipe de collaborateurs directs, choisis par le président en toute liberté, et qui normalement change avec lui3 ». De cette définition se dégage un double critère, à la fois institutionnel et personnel : les membres de l’entourage sont rattachés à une structure administrative, d’ailleurs relativement souple, mais ils dépendent aussi directement du président de la République qui les nomme et peut les révoquer à tout moment. Ce double critère apparente le secrétariat général de l’Elysée à un classique cabinet ministériel. Il permet aussi de dresser la liste des membres de l’entourage présidentiel. L’appartenance, ou non, à l’administration élyséenne a ainsi été déterminante. Ont été par principe exclus des personnalités, indiscutablement très proches du Président, parce qu’elles exerçaient des responsabilités politiques, notamment au niveau ministériel. C’est le cas notamment de Jean ou Michel d'Ornano. Des personnalité auvergnates, également très liées à Valéry Giscard d’Estaing, n’ont pas davantage été retenues. Il s’agit en particulier du maire de Chanonat, Pierre de Neufville, ami d’enfance du Président et un des rares à le tutoyer, de son suppléant dans la 2e circonscription du Puy-de-Dôme, le docteur Jean Morellon, ou de son successeur à la mairie de Chamalières, Claude Wolff. Si le critère institutionnel a prévalu, il n’a pas été poussé jusqu’à son terme. Les fonctionnaires affectés dans les services permanents de l’Elysée, formellement rattachés au secrétariat général mais fonctionnant en réalité selon les règles ordinaires de l’administration, n’ont pas été retenus. Relèvent de cette catégorie le service du protocole, dirigé par l’ambassadeur Jean-Bernard Mérimée, ou celui de l’intendance, confiée au colonel Guy Hennequin. Il en va de même pour les personnes placées au service personnel du Président : son valet de chambre, Walter Luttringer, son chauffeur, Gabriel Lavert, ou sa secrétaire particulière Margueritte Villetelle. Dans ce dernier cas, le choix est d’ailleurs contestable. Les fonctions exercées sont, il est vrai, relativement modestes dans l’ordre administratif, mais la proximité avec le Président est évidente. Car à la différence de la plupart des membres du secrétariat général, ces collaborateurs particuliers ont un accès quotidien au président de la République. Aussi, pour ne pas prendre les chemins habituels de la haute fonction

2 Un travail de constitution de la source orale a été effectué pour réaliser cet article. Neuf entretiens ont été menés, pour une durée d’environ 18 h, avec les personnalités suivantes : François de Combret, Daniel Pouzadoux, Jean-Philippe Lecat, Jean Riolacci, Yves Cannac, Anne Méaux, Jean Serisé, Jean François- Poncet et Bernard Rideau. Ces personnalités ont été choisies afin d’offrir une certaine diversité de point de vue et reflètent donc des domaines de compétences, des niveaux hiérarchiques et des fonctions relativement variés. Les entretiens, fixés sur format numérique, sont en cours de dépôt au Centre d’histoire de Sciences Po. Les modalités de leur consultation seront définies ultérieurement. 3 Yves Cannac, « La « machine élyséenne » (1974-1981) », dans Serge Berstein, René Rémond et Jean- François Sirinelli (dir.), Les années Giscard. Institutions et pratiques politiques, 1974-1978, , Fayard, 2003, p. 90.

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4 Entretien de Daniel Pouzadoux avec Frédéric Tristram, le 13 mars 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine. 5 Entretien de François de Combret avec Frédéric Tristram, entretien n°1, le 10 février 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine. 6 Ces arrêtés sont repris dans les fascicules que publie régulièrement La Documentation française. Pour le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, on compte neuf publications, respectivement datées des 19 juillet 1974, 21 mars 1975, 21 mars 1975, 11 mars 1976, 19 octobre 1976, 16 juin 1977, 7 juin 1978, 9 octobre 1979, novembre1980. 7 Réné Rémond et Aline Coutrot et Isabel Boissard, Quarante ans de cabinets ministériel. De Léon Blum à Georges Pompidou, Paris, FNSP, 1982. 8 Le terme même d’officieux n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Ainsi Anne Méaux ne figure sur aucun arrêté de nomination au secrétariat général mais dispose d’un contrat en bonne et due forme à la présidence de la République. Entretien de Anne Méaux avec Frédéric Tristram, le 22 avril 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine, FNSP 9 René Bargeton, Dictionnaire biographique des préfets : septembre 1870-mai 1982, Paris, Archives nationales, 1994. 10 Il faut également noter d’existence de courtes présentations biographiques dans l’inventaire des archives de la présidence de la République.

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L’ensemble dessine un profil très classique, semblable dans ses grandes lignes à celui qui peut être dressé à partir des travaux existant sur les époques antérieures11. Trois points principaux se dégagent.

Le poids de la haute fonction publique

Les collaborateurs de Valéry Giscard d’Estaing sont dans leur immense majorité des fonctionnaires de l’Etat12. Les personnalités issues du secteur privé sont très minoritaires. Sur les quarante-neuf recensés, seul six sont dans ce cas. Il s’agit, pour l’essentiel de collaborateurs spécialisés dans la presse, journalistes (Michel Bassi, François Archambault), ou conseillers en communication (Bernard Rideaux, Anne Méaux ou Odile Warin). Valéry Giscard d’Estaing amplifie ainsi une tendance déjà remarquée chez ses deux prédécesseurs13 et, plus largement, dans les cabinets ministériels de la Ve République. Les transformations institutionnelles de 1958 sont en effet allées de pair avec une baisse des recrutements politiques ou partisans au profit des hauts fonctionnaires et de techniciens14. Comment se répartit ce fort contingent issu de la fonction publique ? On constate tout d’abord une forte domination des grands corps de l’Etat. Sur les quarante-trois fonctionnaires recensés, plus de la moitié, vingt-quatre exactement, en est membre. Sur ce point encore, Valéry Giscard d’Estaing ne diffère pas du général de Gaulle ou de Georges Pompidou15. Plus l’on monte dans la hiérarchie, plus les grands corps sont d’ailleurs représentés. Les cinq secrétaires généraux et secrétaires généraux adjoints qui se succèdent à l’Elysée appartiennent tous, sans exception, à cette forme d’aristocratie d’Etat. On compte deux inspecteurs des Finances (Claude Pierre- Brossolette et Jacques Wahl), un membre du corps diplomatique (Jean François- Poncet) et un membre de la Cour des comptes (François de Combret). Chez les conseilleurs techniques, en revanche, la proportion est un peu plus modeste, avec seulement treize membres recensés16.

11 Trois types de travaux concernant les entourages politiques sous la Ve République sont disponibles et peuvent fournir des éléments de comparaison. Il s’agit d’abord d’études générales, d’histoire ou de sciences politiques, dans la lignée de l’ouvrage précité de René Rémond et Thomas Coutrot. Celles-ci peuvent être complétées par des études de cas : l’entourage du général de Gaulle a ainsi fait l’objet d’une thèse récemment soutenue et plusieurs communications ont été prononcées dans le cadre du séminaire dirigé par Gilles Le Béguec et Christine Manigand. Enfin, les travaux plus larges portant sur les politiques publiques, notamment dans les secteurs économiques, abordent volontiers la question des cabinets ministériels. 12 Dans la première équipe mise en place en 1974, les membres officiels du secrétariat général sont tous des fonctionnaires, comme le remarque sur le ton de l’évidence Yves Cannac, dans « La « machine élyséenne (1974-1981) », p. 91. 13 Eric Chiaradia, L’entourage du général de Gaulle, juin 1958-janvier 1969, thèse soutenue à l’université de Bordeaux III sous la direction de Bernard Lachaise, 2006. L’auteur note une forte prédominance des fonctionnaires (88% des membres civils de l’entourage sont issus de la fonction publiques), p. 85. 14 Francis de Baecque et Jean-Louis Quermonne, Administration et politique sous la Ve République, Paris, FNSP, 1982. 15 Eric Chiaradia, L’entourage du général de Gaulle, op. cit., p. 93 et suivantes. L’auteur calcule que sur cinquante-trois membres du secrétariat général, quarante sont issus de grands corps, la proportion étant légèrement inférieure, 44%, au cabinet. 16 Cette concentration des membres de grands corps dans les postes de direction des cabinets est un phénomène ancien, perceptible au ministère des Finances dès le début de la IVe République. Cf. Frédéric Tristram, « Les cabinets des ministres de l’Economie et des Finances sous la IVe République »,

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Quels sont les grands corps représentés ? Une nette prédominance apparaît au profit du corps diplomatiques. Sept membres du cabinet en sont issus, suivi de la préfectorale (cinq), de l’inspection générale des Finances et du Conseil d’Etat (quatre). En revanche, les membres des corps techniques sont peu recrutés, malgré la présence à la tête de l’Etat d’un polytechnicien, le premier depuis Albert Lebrun. Une autre catégorie est très peu représentée, celles des enseignants ou des universitaires. Certes, le secrétariat général compte quelques agrégés, dont trois sont d’anciens élèves de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Mais cette formation présente un caractère incident puisqu’elle précède en réalité l’entrée dans un grand corps, le Conseil d’Etat pour Yves Cannac ou Jean-Marie Poirier, et le corps diplomatique pour Gabriel Robin. La proportion d’universitaires de profession est particulièrement faible, un seul cas étant à signaler, celui du professeur de droit Charles Debbasch. Ce profil général n’est pas sans conséquences. Recruté majoritairement dans la haute fonction publique, l’entourage de Valéry Giscard d’Estaing est encore très masculin. Les femmes sont rares : quatre sur quarante-neuf collaborateurs. Et encore sont-elles cantonnées à des postes très particuliers. Une partie d’entre elles occupe un rang modeste dans la hiérarchie élyséenne, secrétaires ou simples chargées de mission17. Une autre catégorie, comprenant Anne Méaux et Odile Warin est constituée des chargées de communication. Se perpétue de la sorte une conception très traditionnelle du rôle des femmes dans les milieux de gouvernement. A cet égard, le cabinet de Valéry Giscard d’Estaing ne diffère guère de celui de ses prédécesseurs, et constitue même un recul si l’on songe à la présence, dans l’entourage immédiat de Georges Pompidou, d’une personnalité aussi marquante que Marie- Garaud. Mais si elle tient beaucoup aux modes de représentation, cette place restreinte a aussi des causes plus immédiates. Elle reflète la difficile accession des femmes aux postes les plus élevés de la hiérarchie administrative, où recrutent en priorité les cabinets. Il faut en effet attendre 1967 pour qu’une femme soit nommée sous-directrice dans un ministère, en l’occurrence celui des Finances, Valéry Giscard d’Estaing ayant d’ailleurs joué dans cette nomination un rôle non négligeable18. Ces logiques administratives induisent également sur le niveau d’études et la nature de la formation reçue par les membres du secrétariat général. Sans surprise, les titulaires de diplômes supérieurs de droit et d’économie sont très fortement majoritaires. Les collaborateurs ayant suivi des études littéraires sont rares, sept au total, souvent cumulées d’ailleurs avec une autre formation. La culture scientifique ou ingénieuriale est également très peu représentée, avec trois anciens élèves de l’Ecole polytechniques et un ancien élève de l’Ecole navale. Mais le fait marquant reste, dans ce domaine, la présence massive des anciens élèves de l’ENA. Le secrétariat général en compte vingt-quatre, sans compter le Président lui- communication prononcée le 9 novembre 2006 au séminaire sur les Entourages politiques, sous la direction de Gilles Le Béguec et Christine Manigand, Centre d’histoire de Sciences Po. 17 Ainsi Jeannine Monin, collaboratrice de Robert Roques à la cellule Auvergne, ou Patricia D’Incelli et Elianne Signorini, chargées de missions. On ne sait pas beaucoup de choses sur ces personnalités. Les témoignages oraux n’en font pas mention, à l’exception de celui de Daniel Pouzadoux. Il s’agit de fonctionnaires des Impôts, figurant déjà au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing Rue de Rivoli. 18 Il s’agit d’Yvette Lassagne, nommée sous-directrice des Assurances à la direction du Trésor. Sur les conditions de cette nomination et le rôle de Valéry Giscard d’Estaing, cf. Entretien de Guy Delorme avec Frédéric Tristram, CHEFF, 1997.

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Des modes de sélection traditionnels

Le même traditionalisme se retrouve dans la façon d’entrer à l’Elysée. Trois voies d’accès se dégagent, d’ailleurs non exclusives l’une de l’autre et que consacre toujours l’accord personnel du président de la République.

Des logiques administratives

La nomination au secrétariat général répond d’abord à une logique administrative. Elle s’inscrit dans une carrière répondant à des règles qui, pour n’être pas toujours écrites, n’en sont pas moins très précises. Aussi ce parcours professionnel suppose-t-il souvent une première expérience en cabinet. Sur les quarante fonctionnaires dont la carrière a pu être reconstituée avec une précision suffisante, trente-trois ont une telle expérience, très souvent dans un cabinet ministériel, plus rarement au cabinet d’un Premier ministre21 ou d’un précédent président de la République22. Les fonctionnaires entrant directement au secrétariat général sont en revanche plus rares puisqu’on n’en compte que sept. Il s’agit pour la plupart d’éléments relativement jeunes, recrutés dans la seconde partie du septennat. Mais dans l’un ou l’autre cas, le recrutement ne doit rien au hasard. Les fonctionnaires retenus ont en effet souvent subi une première sélection au sein leur administration d’origine. Cette sélection s’effectue en fonction de règles coutumières, prenant en

19 Sabrina Tricaud a ainsi calculé que l’entourage de Georges Pompidou comptait 27 énarques, soit 38% de ses collaborateurs. Ces chiffres portent, il est vrai, sur l’Elysée et Matignon. 20 Eric Chiaradia, L’entourage du général de Gaulle, op. cit., p. 98-99. L’auteur compte seulement 31 énarques dans les 210 membres de l’entourage recensé sur l’ensemble de la présidence. On note cependant une certaine montée en charges puisque les énarques ne sont que trois dans le premier cabinet de 1958. 21 Deux cas sont recensés, Jean-Philippe Lecat au cabinet de Georges Pompidou entre 1966 et 1968 et Yves Cannac au cabinet de Jacques Chaban-Delmas de 1969 à 1972. 22 Deux cas sont également recensés, René Journiac, membre de secrétariat général de l’Elysée sous de Gaulle et Pompidou et Gabriel Robin, membre du secrétariat général de l’Elysée sous Pompidou.

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23 On retiendra notamment Aude Terray, Des Francs-tireurs aux experts : l’organisation de la prévision économique au ministère des Finances (1948-1968), Paris, CHEFF, 2002, Laure Quennoüelle-Corre, La direction du Trésor, 1947-1967. L’Etat banquier et la croissance, Paris, CHEFF, 2000 et Frédéric Tristram, Une fiscalité pour la croissance. La direction générale des Impôts et la politique fiscale de 1948 à la fin des années 1960, Paris, CHEFF, 2005. A ces études sectorielles s’ajoutent les archives orales des hauts fonctionnaires des Finances conservées par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France. Dans le cas particulier de la DGI, où les postes de direction sont le monopole quasi exclusif du corps de l’Inspection, le passage au cabinet du ministre intervient à un moment précis dans un parcours professionnel très normé. Le jeune inspecteur est recruté après quelques années passées à la direction comme chargé de mission, reste entre trois et quatre ans comme conseiller technique au cabinet et est ensuite nommé directeur de la législation fiscale. Guy Delorme entre 1962 et 1966 et Jean-Marie Weydert entre 1969 et 1973 reproduisent ce schéma au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing. Ni l’un ni l’autre n’entre au secrétariat général mais de 1974 à 1976, Guy Delorme est directeur de cabinet du ministre des Finances, Jean-Pierre Fourcade, lui-même inspecteur des Finances et très proche politiquement de Valéry Giscard d’Estaing. On voit ici l’interaction entre des pratiques administratives fortement régulées et la constitution d’un entourage présidentiel entendu au sens large. 24 Entretien précité de François de Combret.

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Il ne faudrait cependant pas conclure de ces exemples que la constitution des l’entourage est dictée par de simples règles administratives. Le choix de ses collaborateurs relève toujours en définitive de l’instance politique. Ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing a ainsi écarté, pour des raisons politiques ou personnelles, des collaborateurs pressentis par leur corps d’origine25. A contrario, les recrutements de circonstances n’empêchent pas des processus de fidélisation. François de Combret est ainsi une pièce maîtresse de la machine élyséenne, d’abord comme conseiller technique puis, entre 1978 et 1981, comme secrétaire général adjoint. Des liens personnels, en l’occurrence familiaux, sont même tissés avec Valéry Giscard d’Estaing après le départ du Président.

Des logiques politiques

Les règles complexes de la haute fonction publique ne sont cependant pas le seul moyen d’accéder à l’Elysée. D’autres voies existent, politiques celles-là. Encore ne faut-il se méprendre : le choix du président relève souvent de considérations d’opportunité et consacre plus rarement une proximité idéologique ou partisane. Plusieurs collaborateurs sont ainsi choisis par le Président afin de renforcer, à des moments cruciaux, son équipe élyséenne. Le cas le plus notable est sans doute celui de Jean-Philippe Lecat qui remplace, à l’été 1976, Xavier Gouyou-Beauchamps au poste de porte-parole. Le nouvel arrivant dispose d’un profil tout à fait atypique : il s’agit d’un homme politique déjà expérimenté, ancien député et plusieurs fois ministre sous Georges Pompidou26. Dans le contexte de crise créé par la démission de , ce gaulliste pompidolien de stricte obédience présente toutefois un double avantage politique : non seulement il connaît bien l’adversaire mais il démontre également que Valéry Giscard d’Estaing peut, malgré les circonstances nouvelles, rassembler autour de lui des fidèles du président défunt27. Il entretient par ailleurs de bonnes relations avec l’ancien ministre des Finances dont il a été, en 1973, l’éphémère secrétaire d’Etat au Budget, juste avant sa nomination à l’Information. Jean-Philippe Lecat résume bien les différents éléments expliquant sa nomination : « Et Giscard donc me connaissait ; j’avais une expérience de la communication ; j’étais d’origine pompidolienne, gaulliste si on veut ; donc j’avais un certain profil, utile, dans l’hypothèse où il y aurait une rupture entre Giscard et Chirac. Et c’est d’ailleurs ce qui s’est passé. C’est-à-dire que quand Jacques Chirac a rompu, a annoncé à Giscard qu’il allait quitter, vous savez que Giscard lui a demandé un mois de délai. Et donc, moi, à ce moment-là, j’ai été approché28. »

25 Ainsi en 1959 Dominique de la Martinière, trop proche sans doute des milieux gaullistes, est-il écarté au profit de Max Laxan. 26 Jean-Philippe Lecat est de 1968 à 1972 député de la Côte-d’Or. Il est nommé à cette date secrétaire d’Etat à l’Information, puis en 1973 secrétaire d’Etat au Budget, avant de devenir, la même année, ministre de l’Information de plein exercice. Pressenti à l’Agriculture, il n’est finalement pas repris dans le gouvernement de Jacques Chirac et échoue lors d’une législative partielle organisée à l’automne 1974. 27 Entretien Jean-Philippe Lecat avec Frédéric Tristram, le 31 mars 2009, Archives d’histoire contemporaine, FNSP. Jean-Philippe Lecat est, entre 1966 et 1968, chargé de mission au cabinet de Georges Pompidou. Jeune député en 1968, il reste proche de l’ancien Premier ministre pendant sa courte traversée du désert. Il a, de 1969 à 1972, ses entrées à l’Elysée et est, comme Jacques Chirac, Pierre Mazeaud ou Jacques Sourdille, régulièrement convié aux discussions impromptues qui, dans le bureau Marie-France Garaud et Pierre Juillet, réunissent la garde rapproché du Président. Il est tout naturellement en 1974 un des signataires de l’appel des 43. 28 Entretien précité de Jean-Philippe Lecat.

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Les mêmes considérations d’opportunité politique jouent en faveur du recrutement de Jean Riolacci en 1978. Le contexte est alors différent. La majorité présidentielle connaît une « période de déprime électorale » après la perte des cantonales de 1976 et des municipales de 1977 et les législatives à venir s’annoncent pour le moins difficiles29. Renforcer l’équipe politique de l’Elysée apparaît dans ces circonstances indispensables et Jean Riolacci, qui se définit lui même comme un « spécialiste des élections », apparaît pleinement qualifié. L’ancien préfet de Corse présente également un autre avantage qui tient à son positionnement politique. Proche des milieux radicaux ou socialistes modérés, où ses contacts sont nombreux, il peut être utile alors que le président cherche à mieux structurer sa majorité et à l’ouvrir vers le centre gauche. Si l’opportunité prévaut, la fidélité partisane est plus rarement récompensée. Rares sont les collaborateurs de l’Elysée pouvant justifier un engagement suivi au sein des républicains indépendants et leur place dans la hiérarchie élyséenne reste de surcroît modeste. Deux cas ont ainsi pu être recensés. Le premier est celui d’Anne Méaux qui, jeune étudiante à Sciences Po, participe activement à la campagne de 1974 et se fait alors remarquer par son « tropisme fort en communication et en presse30 ». Lorsqu’en 1976 est créée à l’Elysée une « cellule d’observation de l’opinion et des médias », Bernard Rideaux, qui en est le maître d’œuvre, fait naturellement appel à elle. Ce n’est pourtant qu’en 1977 qu’Anne Méaux prend formellement sa carte au parti républicain dont elle devient d’ailleurs rapidement, sur les recommandations d’Alain Madelin, un membre du bureau politique. Le second cas se situe sur un autre plan, plus local celui-là. Chargé de mission à la cellule « Auvergne », Daniel Pouzadoux a également un engagement militant. Il est en effet, depuis 1966, membre des républicains indépendants dans le Puy-de-Dôme, ce qui lui permet de côtoyer le futur président de la République, notamment au cours de ses campagnes cantonales ou législatives31. Lorsqu’en 1976 Robert Roques souhaite renforcer la cellule, le choix se porte sur ce militant confirmé, ayant une bonne connaissance du terrain et des relations avec la presse. Ces deux exemples mis à part, il n’y pas à l’Elysée de membres actifs du parti présidentiel. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette lacune. La première tient sans doute à la faiblesse du libéralisme français et de ses structures partidaires. La fédération nationale des républicains indépendants, puis le parti républicain qui lui succède, sont des partis d’élus, de dimension modeste et au vivier militant extrêmement restreint. Ces structures ne sont donc pas en mesure d’exercer le rôle de sélection traditionnellement dévolu aux partis politiques. La différence est ici très nette avec la situation antérieure, sous le gaullisme, et surtout avec celle qui prévaudra après 1981 lorsque les collaborateurs de l’Elysée auront souvent un engagement socialiste très marqué32. On voit une constante de l’entourage de VGE : la faiblesse partidaire.

29 Entretien de Jean Riolacci avec Frédéric Tristram, le 2 avril 2009, Archives d’histoire contemporaine, FNSP. 30 Entretien précité de Anne Méaux. 31 Entretien précité de M. Daniel Pouzadoux. Daniel Pouzadoux aurait attiré l’attention du futur président de la République en plaidant, au cours d’une réunion, en faveur du choix, comme suppléant, du docteur Jean Morellon. 32 A commencer par le premier secrétaire général de l’Elysée, Pierre Bérégovoy.

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Cette remarque doit cependant être nuancée par un effet de génération. Car pour ce qui concerne les jeunes militants, le vivier dans lequel aurait pu puiser l’Elysée est loin d’être négligeable. Portés par le renouveau des idées libérales qui gagne alors la France ou plus certainement par le rejet des mouvements contestataires d’extrême gauche, des jeunes gens promis à un bel avenir rejoignent en effet les jeunes républicains indépendants au début des années 1970. Mais s’ils essaiment dans les cabinets ministériels après 1974, aucun ne trouve refuge au secrétariat général. Jean- Pierre Raffarin est conseiller technique chez Lionel Stoléru, secrétaire d’Etat aux Travailleurs manuels puis aux Immigrés de 1976 à 1981 ; Bernard Lehideux, qui avait joué un rôle important lors la campagne présidentielle, reste auprès du secrétaire général des républicains indépendants, Michel d’Ornano ; Dominique Bussereau est chargé de mission au cabinet du ministre de l’Intérieur, d’abord Michel Poniatowski puis , de 1976 à 1978, avant d’intégrer le cabinet de Jean-Pierre Soisson, ministre de la Jeunesse et des Sport de 1978 à 1981. Quant à Gérard Longuet, il est directeur de cabinet de Jacques Dominati, éphémère secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre en 1977 et 1978. Beaucoup entament alors une carrière électorale à l’instar d’Alain Madelin et de Gérard Longuet, élus députés en 1978. Très proche de ce groupe, Anne Méaux est la seule à travailler à l’Elysée. Aussi la principale raison à l’absence de ces personnalités engagées est-elle probablement autre. Elle tient à la volonté personnelle du président de la République et à la conception qu’il se fait du secrétariat général : celle d’une structure essentiellement administrative, respectant une relative neutralité et ne privilégiant donc pas des choix militants. En d’autres termes un état-major plus qu’un instrument de combat politique.

Des logiques personnelles

La dernière voie d’accès à l’Elysée est tout aussi traditionnelle que les deux précédentes. Elle passe par les relations personnelles que les candidats ont pu nouer avec le président de la République ou avec ses principaux collaborateurs. Et d’abord avec Valéry Giscard d’Estaing lui-même. Les témoignages concordent tous : le président de la République connaît personnellement la grande majorité de ses conseillers. Pour certains, ces liens sont anciens, avec Jean Serisé par exemple qu’il rencontré alors qu’il était au cabinet d’Edgar Faure en 195433, ou avec son camarade de l’Inspection, de deux ans son cadet, Claude Pierre-Brossolette34. De façon plus générale, une première expérience de travail en commun est déterminante dans le choix du Président, notamment pour les postes les plus importants de l’Elysée, secrétaires généraux, secrétaires généraux adjoints et chargés de mission directement placé auprès de lui. Mais si le pouvoir de nomination revient toujours à Valéry Giscard d’Estaing, celui-ci peut être sensible aux suggestions qui lui sont faites, notamment lorsqu’elles émanent du secrétaire général.

33 Entretien de Jean Serisé avec Frédéric Tristram, le 6 mai 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine. Jean Serisé est, en 1954, au cabinet du président du Conseil Pierre Mendès France, dans l’équipe économique qu’anime Simon Nora, tandis que Valéry Giscard d’Estaing est, depuis 1953, conseiller technique au cabinet du ministre des Finances Edgar Faure. Des liens personnels se nouent à cette époque et se renforcent au cours des années 1960. 34 Claude Pierre-Brossolette participe au cabinet de Valéry Giscard d’Estaing au ministère des Finances et est, de 1971 à 1975, directeur du Trésor.

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Claude Pierre-Brossolette affirme avoir ainsi plaidé, en 1974, en faveur de la création d’un poste de secrétaire général adjoint, chargé de le seconder, et d’avoir recommandé le recrutement d’Yves Cannac35. De même c’est lui qui propose à François de Combret de venir à l’Elysée en 1974, en lui annonçant d’ailleurs que le Président lui avait laissé une large latitude dans la composition de l’équipe36. Inversement, Claude Pierre- Brossolette semble avoir émis des réserves sur certains membres pressentis au secrétariat général et qui ne seront finalement pas retenus37. Après 1976, la même marge de manœuvre est reconnue à Jean François-Poncet, qui parvient à faire nommer l’un de ces proches, Jacques Blot, à un poste de conseiller diplomatique38. D’autres personnalités que le secrétaire général peuvent également jouer ce rôle de conseil dans les nominations. Jean Riolacci a ainsi bénéficié de la recommandation d’Yves Cannac, qu’il connaît bien pour l’avoir accueilli comme stagiaire de l’ENA, à la préfecture de Paris, en 196539.

Une originalité : un faible accélérateur de carrière

Si l’entrée dans un cabinet obéit à des règles précises, la sortie constitue un enjeu non négligeable. La collaboration avec un ministre, et a fortiori avec le président de la République, peut constituer, dans un carrière administrative, un réel accélérateur. Qu’en est-il sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing ? La question n’admet pas de réponse simple, une distinction devant de toute façon être faite avant et après 1981. Les reclassements avant 1981 n’ont pas donné lieu à des nominations hors des règles. Certes, un certain nombre d’anciens collaborateurs sont appelés à des postes importants. Claude Pierre-Brossolette prend ainsi, en 1976, la tête de la première banque française, le Crédit Lyonnais. Cette nomination ne semble toutefois pas être la conséquence directe de son poste de secrétaire général : elle consacre sa longue expérience des affaires financières et s’inscrit dans la droite ligne du poste de directeur du Trésor qu’il a occupé de 1971 à 1974. De la même manière, la nomination, en 1979, du conseiller d’Etat Yves Cannac à la présidence d’une Agence d’Havas encore propriété publique n’a rien en soi d’inhabituel. Encore ses nominations prestigieuses constituent-elles des exceptions. Dans la plupart des cas, les anciens collaborateurs de l’Elysée poursuivent une carrière administrative normale dans leur direction et leur corps d’origine. La situation après 1981 est plus complexe. Certaines carrières connaissent une réelle éclipse. Yves Cannac perd en 1982 la présidence d’Havas au profit d’un très proche de François Mitterrand, André Rousselet, et est réintégré au Conseil d’Etat. Plus gravement, Jean Riolacci reste cinq ans préfet hors-cadre et ne retrouve un poste qu’en 1986 à la faveur de la première cohabitation40. Dans certains cas, l’attitude du nouveau pouvoir socialiste est même ressentie comme un brimade, sur fond de fortes

35 Entretien de Claude Pierre-Brossolette par Anne de Castelnau, entretien n° 12, disquette n° 12, 1996- 1998. 36 Entretien précité de François de Combret. 37 Idem. 38 Jean François-Poncet, 37, quai d’Orsay. Mémoires pour aujourd’hui et pour demain, Paris, Odile Jacob, p. 109. 39 Entretien précité de Jean Riolacci. 40 Parce qu’ils occupent des postes aux marges de la politique, les membres du corps préfectoral semblent avoir connu, après 1981, un traitement particulièrement sévère. Autre grand préfet de l’ère giscardienne, directeur de cabinet des deux ministres de l’Intérieur successifs, Michel Poniatowski et Christian Bonnet, Jean Paolini reste lui aussi hors cadre de 1981 à 1986.

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Le secrétariat général de l’Elysée est proche dans sa composition d’un classique cabinet ministériel. En est-il de même dans son fonctionnement ? Valéry Giscard d’Estaing a voulu cantonner son entourage de l’Elysée dans un rôle purement administratif. Celui-ci a cependant été amené à exercer une influence politique, reflétant, à son niveau, la logique des institutions de la Ve République qui attribue au président de la République un rôle prépondérant au sein du pouvoir exécutif.

Une volonté de cantonner l’entourage dans un rôle administratif

Le secrétariat général effectue d’abord un travail de cabinet relativement classique, proche dans sa nature de celui des entourages ministériels. Il suit l’activité gouvernementale, en informe le président de la République, instruit les dossiers les plus importants. En revanche, le président de la République ne souhaite pas que son entourage entreprenne le travail gouvernemental ou que ses conseillers se substituent au ministre compétent. De cette conception politique de l’Etat, où la légitimité est essentiellement conférée par l’élection, découle trois conséquences différentes.

Une structure allégée

Le secrétariat général est une structure légère, et d’abord dans son organisation. De manière significative, Valéry Giscard d’Estaing renonce à la double structure qui prévalait avant lui. Charles de Gaulle et Georges Pompidou avaient en effet divisé les

41 Entretien précité de François de Combret, entretien n° 2.

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42 Valéry Giscard d’Estaing refuse de constituer une « maison », terme qui avait cours sous de Gaulle et Pompidou et que de manière significative, il n’emploiera jamais. 43 Le secrétaire général est successivement Claude Pierre-Brossolette de 1974 à 1976, Jean François- Poncet de 1976 à 1979 et Jacques Wahl de 1979 à 1981. Trois secrétaires généraux adjoints se succèdent, Yves Cannac de 1974 à 1978, Jacques Wahl de juin à novembre 1978 et François de Combret de 1978 à 1981. 44 Entretien précité de Claude Pierre-Brossolette. 45 Idem. 46 Cette division du travail est confirmée par tous les témoins ; cf. notamment, les entretiens précités de François de Combret et Yves Cannac. 47 Entretien précité de Yves Cannac, entretien n° 3. 48 Selon le mot de François de Combret, cf. entretien précité n° 1.

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49 Entretien de Jean Serisé avec Frédéric Tristram, 50 D’abord Philippe Sauzay puis Michel Moser. 51 Six grands domaines peuvent être distinguer : la diplomatie ; l’outre mer ; l’économie et les finances ; les affaires sociales et intérieures; l’éducation et la jeunesse. 52 En 1974, Ruault suit les dossiers macroéconomiques, François de Combret les questions industrielles et Jean-Pierre Dutet les relations économiques extérieures. A ce trio s’ajoute, entre 1974 et 1976, un « conseiller économique » spécialement rattaché au président, Lionel Stoléru. 53 Xavier Gouyou-Beauchamps de 1974 à 1976 et Pierre Hunt de 1978 à 1980 ont clairement un profil de hauts fonctionnaires. Jean-Philippe Lecat de 1976 à 1978 et Jean-Marie Poirier de 1980 à 1981 sont au contraire des hommes politiques déjà chevronnés.

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Une structure centralisée

La deuxième caractéristique du secrétariat général est la centralisation du pouvoir en son sein. Le secrétaire général et son adjoint ont, dans cette architecture, un rôle prépondérant. Leur influence se fonde non seulement sur leur place privilégiée dans les organigrammes, mais également sur des pratiques plus informelles qui révèlent, à leur manière, de plus subtiles hiérarchies. Il s’agit tout d’abord d’un lien direct et qui peut être établi avec le président de la République. Jean-Philippe Lecat résume bien la question : « Alors dans la hiérarchie qui existe à l’intérieur d’un organisme comme ce qu’on peut appeler l’entourage, la vrai hiérarchie, c’est l’accès au Président. C’est celle-là la vraie56. » Or le secrétaire général et le secrétaire général adjoint rencontrent quotidiennement le président57. En revanche, les autres membres du secrétariat général voient très peu le Président. Leurs témoignages sont, sur ce point unanimes58. Et s’il arrive qu’un conseiller technique rencontre le Président, l’initiative en revient toujours à Valéry Giscard d’Estaing et le secrétaire général – ou son adjoint selon les sujets abordés – en est systématiquement informé59. Ce pouvoir hiérarchique est renforcé par la procédure écrite adoptée à l’Elysée. Le Président aime travailler par notes et refuse systématiquement, autant par souci d’efficacité que par goût personnel, les conversations trop longues60. Le secrétaire général collecte ainsi chaque jour les notes produites par les conseillers techniques et le soir, vers 18h, les porte personnellement à Valéry Giscard61. Ce système bien réglé est connu à l’Elysée sous le nom de « notes pour les urgences ». Il permet en réalité aux deux têtes du secrétariat d’exercer un rôle de contrôle, voire de filtre, ainsi qu’en témoigne François de Combret : « Yves Cannac collectait de toutes parts, de l’Elysée, ces notes pour les urgences, faisait un tri d’ailleurs, il y en a qu’il annotait lui-même, en disant « : « oui, non, faites, allez-y, soit ». Donc il faisait, il avait un espèce de droit de veto, il disait : « celle-là [la note rédigée par les conseillers techniques] je ne la passerai pas ».

54 De 1976 à 1978, on trouve ainsi quatre personnes au service de presse : Jean-Philippe Lecat ; André Arnault, diplomate de formation affecté aux affaires internationales ; Bernard Archambault et enfin Jean- Michel Bassi « un journaliste très dans le coup ». Bernard Archambault est le fils du directeur de La Nouvelle République du Centre-Ouest, Pierre Archambault, et fait le lien avec la presse régionale. Cf. Entretien précité avec Jean-Philippe Lecat. 55 On se référera sur ce point à une étude à paraître. 56 Entretien précité de Jean Philipe Lecat. 57 Entretien précité de Yves Cannac, entretien n° 2, le 14 avril 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine. 58 Entretiens précités de François de Combret, Jean Serisé et Anne Méaux. 59 Entretien précité de Yves Cannac. 60 Entretien précité de Jean Serisé. 61 Entretien précité de Claude Pierre-Brossolette et entretien de M. Jean François-Poncet avec Frédéric Tristram, 13 mai 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine.

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Soit. Et puis ensuite, lui seul avec Brossolette avait l’honneur, le privilège d’aller porter solennellement le dossier des urgences au président tous les soirs entre 18 et 20 heures62. » Mais le pouvoir se manifeste également dans l’occupation de l’espace. Dans le système extrêmement centralisé qu’est la présidence, tout part de Valéry Giscard d’Estaing et aboutit à lui, la disposition des bureaux est loin d’être anecdotique. La géographie de l’Elysée est aussi une géographie de l’influence. Il s’agit de n’être pas situé trop loin de Valéry Giscard d’Estaing et d’avoir facilement accès à lui. Yves Cannac dispose ainsi d’une position stratégique, à l’entrée du bureau présidentiel : « Comme je vous le dis, il fallait passer chez moi pour allez chez le Président, et donc quand le Premier ministre ou un ministre allaient le voir, nous nous parlions un peu, à l’entrée comme à la sortie. (…) Ce petit détail anecdotique n'était pas dénué d’importance. J’avais à cet égard le meilleur de tous les bureaux des collaborateurs du Président, y compris celui du secrétaire général. Cela m’a donné beaucoup, beaucoup d’occasions de contacts informels avec ces dirigeants63. » François de Combret confirme d’ailleurs l’importance de cette disposition spatiale et le « grand changement » intervenu dans sa vie professionnelle lorsque, nommé secrétaire général adjoint, il s’installe à son tour dans l’ancien bureau d’Yves Cannac64. La forte centralisation qui régit le fonctionnement de l’Elysée connaît cependant quelques exceptions. Celles-ci concernent les structures strictement politiques. Les règles d’organisation et notamment les conditions d’accès au président de la République sont dans ce domaine tout à fait particulières. Aussi Jean Riolacci ne passe-t-il pas par le secrétaire général ou son adjoint. Il rencontre directement le président, à l’appel de celui-ci, deux fois par semaines environ65. La même remarque peut être faite pour l’ensemble de la cellule « Auvergne » qui traitent principalement des questions électorales de la région d’origine de Valéry Giscard d’Estaing. Son dirigeant, Robert Roques, a un accès direct au bureau présidentiel et ses notes ne passent pas par la voix ordinaire des « urgences », échappant ainsi au filtre de la hiérarchie. Elles atteignent généralement le bureau présidentiel par l’intermédiaire de la secrétaire particulière, Marguerite Villetelle, en vertu d’une pratique ancienne datant de la Rue de Rivoli66. Enfin, les organes traitant de communication ou d’analyse des médias échappent eux aussi aux règes ordinaires. Jean-Philippe Lecat témoigne ainsi de ses liens directs avec le Président :

62 Entretien précité avec François de Combret. 63 Entretien précité de Yves Cannac. 64 Entretien précité de François de Combret. Il ne faudrait cependant pas avoir de répartition de l’espace élyséen une conception trop mécanique. Un éloignement du président n’est pas toujours synonyme d’influence restreinte et d’autres logiques, plus fonctionnelles celle-là, peuvent à l’occasion se manifester. C’est ainsi que le service de presse est situé dans des bureaux donnant sur la cour de l’Elysée, où s’effectue chaque jour le ballet des journalistes et où se prononcent les principales déclarations politiques. Cf. entretien précité avec Jean-Philippe Lecat 65 Entretien précité de Jean Riolacci. 66 Entretien précité de Daniel Pouzadoux. Un certain manque de formalisme règne dans ce domaine et il arrive même que le président de la République vienne, de façon impromptue, dans le bureau de ces collaborateurs pour leur donner ses instructions ou recueillir des informations.

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« Je voyais le Président tout le temps. Parce que moi-même, j’avais un accès facile au Président et en plus, lui-même téléphonait tout le temps en disant : " Est-ce que vous pouvait monter deux minutes" (…)67. » Plusieurs raisons peuvent expliquer ce traitement spécifique. La première est sans doute la moins flatteuse. Elle résulte d’un relatif désintérêt de la hiérarchie élyséenne pour des sujets jugés secondaires. C’est au moins l’analyse qu’en fait Jean Riolacci qui estime que : « (…) Jean François-Poncet était tout content que je le débarrasse de la broutille électorale68 ». De la même manière, les secrétaires généraux successifs ne semblent guère s’être passionnés pour les affaires politiques auvergnates même s’ils pouvaient, à l’occasion, manifester une certaine irritation face à leur systématique mise à l’écart69. Inversement, le président de la République veut sans doute conserver une faculté d’intervention directe sur des questions qu’il juge, lui, essentielles. C’est le cas en particulier des relations avec la presse. La personnalité de Jean-Philippe Lecat joue, il est vrai, en ce sens, même si l’ancien ministre se garde de revendiquer un traitement particulier et s’efforce au contraire d’informer régulièrement le secrétaire général et son adjoint de ses conversations avec le Président. Enfin, des raisons techniques peuvent être avancées. Les questions politiques ou de communication se prêtent en effet peut-être plus mal que d’autres aux procédures écrites et centralisées. Elles réclament davantage de réactivité et en tout cas moins de formalisme. C’est ainsi que la jeune Anne Méaux peut distribuer ses notes d’analyse de presse à tous les conseillers techniques, sans passer par le secrétaire général : « Moi, mes notes, je ne sais pas d’ailleurs si elles allaient au Président, je pense qu’il les voyait mais je n’en sais rien, nous, nos notes, on les distribuait aux conseillers techniques. Notre travail était un élément d’évaluation des dérapages éventuellement dans les médias, de comment était perçue l’action du président et du gouvernement dans les médias. Et c’était un outil de travail pour l’équipe de l’Elysée. Donc, à la grande différence des gens qui étaient eux conseillers techniques et qui faisait des notes à l’attention du Président70. » Ces quelques exceptions mises à part, l’Elysée apparaît bien comme un ensemble centralisé et hiérarchisé. Le choix de cette organisation répond à un souci de bonne gestion. Mais il reflète également une conception purement administrative du secrétariat général, voulue par le président de la République.

Des conseillers sans visibilité

Valéry Giscard d’Estaing va même plus loin. Il refuse à son entourage toute forme de fonctionnement collégial qui pourrait transformer le secrétariat général en un second gouvernement. Il institue sur ce point une rupture nette avec le cabinet de Georges Pompidou.

67 Entretien précité avec Jean-Philippe Lecat. 68 Entretien précité de Jean Riolacci. 69 Entretien précité avec Daniel Pouzadoux. 70 Entretien précité d’Anne Méaux. En revanche, Bernard Rideau, qui dirige la cellule « Evaluation » adresse des notes régulières au président qui suivent la voie ordinaire des « urgences » et passent donc par le secrétaire général adjoint. Cf. entretien de M. Bernard Rideau avec Frédéric Tristram, le 14 mai 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine.

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Frédéric Tristram, « Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr

Ce principe strict a sur la vie de l’Elysée des conséquences non négligeables. Les membres du secrétariat général ne se réunissent officiellement qu’une fois par semaine, le lundi matin. Cette réunion de cabinet, qui se tient toujours en présence de Valéry Giscard d’Estaing, n’aborde en aucun cas les sujets de fonds. Elle se limite aux question d’organisation du travail en commun ou d’agenda du président de la République71. En dehors de ce rendez-vous purement formel, les consignes présidentielles sont claires : interdiction est faite aux collaborateurs de se réunir. Jean François-Poncet en témoigne très clairement : « Giscard nous avait donné instruction, curieusement, de ne pas nous réunir, parce qu’il voulait à tout prix éviter qu’on puisse dans Paris dire : "L’Elysée ceci… L’Elysée cela…". Qu’il y ait en somme une entité qui se constitue à côté de lui mais un peu en dehors de lui »72. Yves Cannac est lui aussi très explicite sur ce point : « Le point important est le suivant : pour Giscard, les membres de son cabinet, c’étaient des collaborateurs individuels, rien d’autres. (…) Il ne voulait surtout pas que nous constituions le moindre commencement de quelque gouvernement bis. Pas question de cela et il l’avait dit très fermement73. » Cette prescription complique d’ailleurs singulièrement le travail du secrétariat général… au point que les principaux collaborateurs avouent ne pas en tenir vraiment compte. Les réunions se tiennent donc, de façon plus ou moins discrètes, suscitant, lorsqu’elles sont découvertes, l’agacement présidentiel74. Valéry Giscard d’Estaing est en revanche beaucoup plus intraitable sur un second point. Les collaborateurs de l’Elysée n’ont pas d’existence publique et ne doivent en aucun cas apparaître dans les médias. Tous les membres du secrétariat général, y compris les plus élevés dans la hiérarchie, témoignent de cet impératif absolu, évoquant même, en cas de manquement, « la sanction la plus impitoyable75 ». L’ordre vaut d’ailleurs pour les conseillers politiques et Jean Riolacci avoue crûment « ne pas rechercher les contacts avec les médias76 ».

Un pouvoir d’influence ?

Des principes ont donc été définis par Valéry Giscard d’Estaing et ils inspirent bel est bien un certain nombre de pratiques. Ils permettent de conclure que le secrétariat général n’entreprend pas sur les compétences du gouvernement, pas plus d’ailleurs qu’ils n’exerce sur lui une tutelle77. Mais à l’inverse, le secrétariat général n’est sans doute pas une simple courroie de transmission du pouvoir présidentiel, ni un organe d’assistance technique, dont le rôle se résumerait à instruire des dossiers. Les membres du secrétariat général exercent un pouvoir qui n’est pas absolu, mais qui n’est pas non plus inexistant.

71 Entretiens précités de Jean François-Poncet, Yves Cannac et François de Combret. 72 Entretien précité avec Jean François-Poncet. 73 Entretien précité avec Yves Cannac. 74 Idem. 75 Entretiens précités avec Jean François-Poncet, Yves Cannac et François de Combret. L’expression est de François de Combret. 76 Entretien précité avec Jean Riolacci. 77 Le terme de tutelle est récusé, à juste titre, par Yves Cannac, cf. entretien précité n° 1.

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Quel est la nature de ce pouvoir ? La question n’admet pas de réponse univoque, car les marges de manœuvre de l’entourage varient fortement selon les circonstances ou les sujets abordés. Le mot qui, sans doute, le résume le mieux est celui d’influence. Encore faut-il préciser les voies et les moyens de cette influence, ainsi que son contenu. Cela suppose d’analyser les relations que les membres du secrétariat général entretiennent avec les membres du gouvernement, mais également d’essayer de mieux cerner leurs positions et leur facultés d’intervention sur un certain nombre de dossiers.

Des contacts gouvernementaux fluctuants.

Les relations entre le secrétariat général et le gouvernement semblent régies par un principe simple : les contacts sont établis en priorité avec Matignon, et non pas avec les différents ministères, afin de ne pas fragiliser l’autorité du chef du gouvernement. C’est en tout cas ce qu’exprime François de Combret : « Normalement, au début en tout cas, tout passait, je n’avais de correspondant direct avec les ministères. Je passais systématiquement par Matignon. Le chef du gouvernement, selon la constitution, celui qui est chargé de diriger la politique du gouvernement, c’est le Premier ministre. De même que je ne devais pas apparaître (vis-à-vis de l’opinion publique je n’existais pas), de même vis-à-vis des ministres, je ne devais pas court-circuiter le Premier ministre. Donc, je passais systématiquement par Matignon, donc par les divers homologues à Matignon, et notamment par un garçon qui jouait le rôle de secrétaire général adjoint de Matignon qui s’appelle François Heilbronner78. » La réalité est cependant plus complexe. Très rapidement, les conseillers de l’Elysée vont prendre l’habitude de traiter directement avec les ministères. Plusieurs raisons expliquent cette attitude. La première justification est d’ordre pratique. Elle tient à la nature du travail à l’Elysée et notamment à la nécessité de recueillir rapidement des informations. Des contact étroits finissent ainsi par se créer, d’ailleurs à plusieurs niveaux. Le secrétariat général peut d’abord saisir le ministre lui-même. Il s’agit cependant d’une procédure rare et exclusivement réservée à la haute hiérarchie élyséenne, principalement le secrétaire général, plus rarement son adjoint79. Généralement, les contacts s’effectuent au niveau du cabinet et l’interlocuteur privilégié est ici le directeur de cabinet du ministre80. Parfois encore, l’instance politique est négligée et des relations sont directement établies, sur un mode informel avec les grands directeurs d’administration centrale81. C’est le cas notamment au ministère des Finances, avec les directeurs du Trésor et du Budget ou au ministère de l’Intérieur, avec les principaux préfets. Ces relations de travail sont grandement facilitées par des solidarités de corps ou d’institutions qui existent entre les conseilleurs de l’Elysée, les membres des cabinets

78 Entretien précité avec M. de Combret. 79 Entretiens précités avec Jean François-Poncet et Yves Cannac. François de Combret affirme cependant avoir, comme conseiller technique, traité directement avec Norbert Ségard, secrétaire d’Etat chargé des Postes et télécommunication de 1976 à 1980. Les questions d’affinités personnelles peuvent aussi expliquer des relations avec un ministre plutôt qu’avec ses conseillers. 80 Entretien avec Yves Cannac. 81 Entretien précité avec François de Combret.

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Une intégration des entourages ?

Il est vrai que dans ce domaine comme dans d’autres, les choses changent du tout au tout après 1976. Les membres du secrétariat général interrogés sont sur ce point unanimes : autant les relations avec l’entourage de Jacques Chirac avaient été tendues, autant celles avec l’entourage de sont d’emblée excellentes85. Pour ne citer que lui, François de Combret retrouve le chemin de Matignon. Ses correspondant sont alors Albert Costa de Beauregard86, conseiller économique du Premier ministre et son directeur de cabinet et Philippe Mestre. De la même manière, Yves Cannac témoigne avec de ses relations suivies avec l’équipe de Matignon. Faut-il aller plus loin et conclure à une véritable intégration des entourages giscardiens et barristes ? Certaines pratiques politiques tendraient à le montrer et d’abord des processus de coordination entre l’Elysée et Matignon extrêmement poussés. Plusieurs exemples peuvent ici être présentés. Le premier concerne les relations avec la presse. A sa demande expresse, Jean- Philippe Lecat assiste en spectateur silencieux au Conseil des ministres. A l’issu du Conseil, une courte réunion est organisée avec Valéry Giscard d’Estaing et Raymond Barre au cours de laquelle les trois hommes rédigent de concert le compte rendu qui sera distribué à la presse87. Cette pratique, qui témoigne au passage de l’importance

82 Entretien précité avec François de Combret. 83 Entretien précité avec Jean Riolacci. 84 Entretien précité avec François de Combret, qui témoigne de « rapports personnels [avec l’entourage de Jacques Chirac à Matignon] d’abord difficiles puis franchement désagréables, pour finir carrément hostiles ». 85 Fait écho à la question classique de la dyarchie de l’exécutif dans la constitution de 1958, régulièrement étudiée par les juristes ou les spécialistes de sciences politiques. Semble conclure que l’attelage fonctionne quand le Premier ministre est très proche politiquement et dépendant du président de la République 86 X-Mines. Ancien secrétaire général adjoint du SGCI. 87 Entretien précité de Jean-Philippe Lecat.

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Un pouvoir d’appréciation propre

Intégrés à une machine gouvernementale conçue au sens large, les conseillers de l’Elysée disposent cependant d’un pouvoir d’appréciation propre.

88 Assistant au Conseil des ministres, travaillant en étroite collaboration avec le chef du gouvernement, Jean-Philippe Lecat pourrait presque être considéré comme un quasi ministre de l’Information si Valéry Giscard d’Estaing, par souci de modernité, n’avait supprimé le poste dès 1974. 89 Journaliste de télévision ayant commencé sa carrière outre-mer, Jacques Alexandre est directeur adjoint de l’information de la 2e chaîne en 1969, puis de la 1ère chaîne en 1972. Il est de 1976 à 1981 conseiller technique et chef du service de presse de Raymond Barre. 90 Entretien précité de Bernard Rideau. 91 Le Service d’information et de documentation est un organe administratif directement attaché au Premier ministre et chargé de coordonner la politique de communication de l’ensemble du gouvernement. 92 Entretien précité avec Jean Riolacci. Daniel Doustin est une des figures du corps préfectoral. Ancien directeur de la DST au ministère de l’Intérieur, il est successivement préfet de région en Auvergne (1969) et en Aquitaine (1972). Il est de 1976 à 1978 directeur de cabinet du Premier ministre avant de présider à partir 1979 la Compagnie nationale du Rhône.

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Le premier domaine sur lequel ce pouvoir peut s’exercer est celui des nominations. Pour ce qui est une des prérogatives essentielles du président de la République93, les membres du secrétariat général joue un rôle de proposition et d’instruction, la décision finale revenant toujours à Valéry Giscard d’Estaing. La présentation des candidatures, leur éventuel classement, les préférences, habilement relayées, émanant des institutions concernées peuvent cependant influer sur le choix présidentiel. C’est en tout cas ce dont témoigne Claude Pierre-Brossolette à propos d’une nomination à la tête de la Marine en 197494 ou Jean Riolacci qui veille de près aux promotions dans le corps préfectoral95. L’influence de l’entourage peut également s’exercer sur un certains nombre de grands dossiers techniques. Elle s’inscrit alors dans des processus de décision longs et complexes qui impliquent, pour ne s’en tenir qu’à la sphère gouvernementale, l'Elysée, Matignon, les différents ministres concernées et leurs administrations. Il est donc, dans ce cadre, extrêmement compliqué de mesurer l’influence réelle du secrétariat général et des études de cas sont ici absolument indispensables. Certaines, qui ont été réalisées, montrent d’ailleurs que le rôle joué par les conseillers techniques de la présidence est loin d’être nul. Michel Margairaz a ainsi montré comment François de Combret a participé à la définition d’une politique relativement libérale en matière de restructuration industrielle, alors que des divergences de fond existaient entre l’Elysée, les Finances et l’Industrie96. Cette attitude peut-elle être généralisée ? Y a-t-il une doctrine, au sens administratif du terme, propre au secrétariat général ? Celle-ci se définit-elle au niveau de l’institution ou au contraire à des niveaux plus personnels ? La réponse à ces questions n’est là encore, pas univoque. Le témoignage d’Yves Cannac montre en tout cas que des sensibilités existent et le secrétaire général adjoint peut même, à l’occasion, se montrer critique sur la politique menée : « Si j'adhérais totalement à la politique de réforme du Président dans de très nombreux domaines, tels par exemple que l'amélioration des institutions politiques et du fonctionnement de la démocratie, de l'action sociale, de la politique européenne et étrangère, et ainsi de suite, il y avait néanmoins des domaines sur lesquels j’étais assez réservé. Ainsi, dans le domaine économique, je trouvais que l'on dépensait excessivement. Dans la politique d’Education nationale, je pensais qu’on était trop complaisant envers les profs et dans la politique de décentralisation, qu’on n'allait pas assez loin97. »

Le secrétariat général de l’Elysée a donc bien, au terme de cette enquête, une dimension politique.

93 Jean Massot, L’arbitre et le capitaine. La responsabilité présidentielle, Paris, Champs Flammarion, 1987, p. 108. 94 Entretien précité de Claude Pierre-Brossolette. Claude Pierre-Brossolette pousse la candidature de l’amiral Joire-Noulens, qui est finalement retenu, au détriment du candidat de Matignon, l’amiral Alexandre Sanguinetti. 95 Entretien précité avec Jean Riolacci. Jean Riolacci, Jean Paolini et Daniel Doustin tentent d’abord de s’accorder sur un nom qui, présenté, au président de la République est généralement accepté. 96 Michel Margairaz, « L’Elysée et la politique industrielle en question : politique de l’architecte ou du pompier ? », dans Jean-François Sirinelli, Serge Berstein et Jean-Claude Casanova (dir.), Les années Giscard. La politique économique, 1974-1981, Paris, Armand Colin, 2009. 97 Entretien précité avec Yves Cannac. Version complétée par Yves Cannac.

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Certes, la structure peut, par certains côtés, se rapprocher de l’administration ordinaire. C’est le cas en particulier en ce qui concerne le recrutement de ses membres, qui obéissent, pour certains d’entre eux au moins, aux règles écrites ou coutumières de la haute fonction publique. C’est également le cas en matière d’organisation et de fonctionnement, les procédures écrites et centralisées qui prévalaient déjà Rue de Rivoli ayant été transposées au Palais de l’Elysée. Pour autant, le secrétariat général n’est pas absent de la scène politique. Ses membres participent, au sein de chaînes de décision complexes, à la définition des grandes orientations publiques. Ils s’intègrent dans une organisation gouvernementale entendu au sens large et s’ils ne contrôlent jamais les ministres, cette mission revenant au premier d’entre eux, ils peuvent à l’occasion impulser des actions de coordination. Enfin existent à l’Elysée des structures strictement spécialisées dans l’analyse politique et la stratégie électorale. Cet investissement politique a d’ailleurs plusieurs causes. S’il s’explique en partie par le contexte des années 1974-1981, il tient aussi à la nature des institutions et à la primauté reconnue, dans le régime de 1958, au président de République. Le problème n’est donc pas que le secrétariat général soit, en partie au moins, un organe politique. Il est que cette dimension n’a pas été totalement assumée, ou ne l’a été que par intermittence.

L’auteur Frédéric Tristram est docteur en histoire contemporaine et chargé de conférence à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a notamment publié Une fiscalité pour la Croissance. La direction générale des impôts et la politique fiscale en France de 1948 à la fin des années 1960 (CHEFF, 2005). Résumé Le secrétariat général de l’Elysée est, durant le septennat de Valéry Giscard d’Estaing, une structure hybride. Par sa composition, ses règles de fonctionnement et son domaine de compétences, il présente tous les traits d’un organe administratif, chargé d’assister le Président sans entreprendre sur les prérogatives gouvernementales. La logique institutionnelle ainsi que le contexte si particulier des années 1974-1981 ont cependant conduit le secrétariat général à assumer de plus en plus des fonctions politiques, s’écartant ainsi des conceptions premières de Valéry Giscard d’Estaing. Mots clés : Valéry Giscard d’Estaing ; entourage ; administration ; expertise ; présidence de la République. Pour citer cet article : Frédéric Tristram, « Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009.

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