<<

: 50 ans de vie politique ENTRETIEN

« À Matignon, j’ai eu un Chirac affectueux » C’est l’histoire d’un giscardien du Poitou qui aura infiltré sur ordre de son chef le pays ennemi, la Chiraquie. Au point de finir un jour à Matignon, où nul ne l’attendait. Une fois nommé Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin deviendra un infaillible soutien du président Chirac, et réciproquement. Un ami de la famille qui tiendra bon, malgré l’agitation de quelques forcenés dans son gouvernement.

Propos recueillis par Mathilde Siraud portraits Arnaud Meyer

44 Charles Jacques Chirac : 50 ans de vie politique Jean-Pierre Raffarin

« Giscard et Chirac sont deux personnages qui se sont bagarrés et qui ne s’aiment guère. Mais ils ont été tous les

otre histoire avec Jacques Chirac est la réélection de Giscard. Mon contact avec la chiraquie deux présidents de la République ancienne, et s’est construite lentement. d’une manière générale n’était pas évident, c’était une grâce à l’autre. Et moi je vais Racontez-nous les tout premiers moments. période très difficile, je faisais partie des gens qui étaient être l’envoyé de la Giscardie VJ’ai rencontré Jacques Chirac quand j’étais secrétaire très intransigeants vis-à-vis du RPR de l’époque. J’étais un général des jeunes giscardiens dans les années 1970. militant UDF très engagé. En 1978, je suis candidat aux dans la Chiraquie dans le À ce moment-là, il construit ce qui sera son opposition élections législatives et je bats en primaire à Poitiers un gouvernement de 1995. » à Valéry Giscard d’Estaing. Pendant toute ma jeunesse ancien ministre du RPR envoyé contre moi, André Fanton, politique, je suis partagé entre l’image qu’a Chirac chez qui est par ailleurs un orateur de bonne qualité. Chirac est les giscardiens − l’image de quelqu’un de peu réfléchi, venu le soutenir à Poitiers. Il fera une salle exceptionnelle, d’assez brutal, plutôt court-termiste − et celle qu’en a mais en janvier, longtemps avant le scrutin. Jusqu’en mon père, un dirigeant agricole qui éprouve pour lui une mars, j’ai eu le temps d’effacer l’effet de sa visite. Je m’en très profonde estime. Je suis donc partagé entre ma piété souviens précisément : il n’y a pas de relation personnelle Comment avez-vous intégré le gouvernement filiale et mon sacerdoce giscardien ! ou bienveillante avec la chiraquie durant cette période. Juppé, après l’élection de Jacques Chirac ? Valéry Giscard d’Estaing est ensuite élu président Comment s’est fait le rapprochement ? Giscard et Chirac sont deux personnages qui se sont de la République. Jacques Chirac est le Premier Progressivement, en 1994, quand Édouard Balladur a bagarrés et qui ne s’aiment guère. Mais ils ont été tous les ministre et les relations se compliquent. Quel rôle annoncé une « OPA » sur l’UDF. Giscard à ce moment-là deux présidents de la République grâce à l’autre. Giscard avez-vous joué entre les deux hommes ? n’exclut pas d’être candidat à la présidentielle en 1995 et est élu avec le concours de Chirac, et en 1995 Chirac est En 1974, pendant la campagne, je vais à une ou deux Balladur va séduire François Léotard, Gérard Longuet, élu avec le concours de Giscard. Et moi je vais être l’envoyé réunions où Jacques Chirac est présent. Je suis ensuite François Bayrou, et pas mal de jeunes dirigeants de l’UDF de la Giscardie dans la Chiraquie dans le gouvernement de reçu avec Dominique Bussereau au mois d’avril 1975 : qui vont partir avec lui. Ce faisant, Giscard est un peu 1995. Juppé a demandé à Giscard qui il souhaitait comme Chirac est à Matignon, et nous venons de perdre les canto- dépossédé de l’UDF. Et là, selon ce que j’appelle « le principe ministre et Giscard a donné mon nom. nales. La tension est réelle entre Giscard et Chirac. Il nous de la dernière haine », la haine Giscard / Chirac s’efface À ce moment-là, vous bâtissez une vraie relation reçoit pour nous expliquer qu’il est le dernier rempart derrière la dernière haine qu’est la haine Chirac / Balladur avec Jacques Chirac. Comment Valéry Giscard pour le président. Et que tous ceux qui le critiquent ne ou Giscard / Balladur. À ce moment-là, je suis secrétaire d’Estaing vit-il ce rapprochement ? se rendent pas compte qu’il lui sert en fait de bouclier. Il général de l’UDF. Chirac entreprend alors de convaincre Giscard m’a reproché ce rapprochement de temps en essaie de nous convaincre que sa situation n’est pas du Giscard qu’il n’est pas l’individu primaire et sommaire que temps. Je lui ai répété que c’est lui qui a négocié mon tout celle d’un rebelle mais au contraire d’un soldat au pense Giscard, Il vient au siège de l’UDF, rue François 1er, entrée au gouvernement pour que l’UDF existe dans le service de son chef. Mais nous avions été convoqués dès rencontrer Giscard, pendant de longues heures. J’ai pu gouvernement d’Alain Juppé. J’ai les PME, le commerce et 7 heures du matin ce jour-là par le ministre de l’Intérieur assister à certains tête-à-tête. Je faisais patienter les jour- l’artisanat, je profite d’une grande proximité avec Juppé Michel qui nous avait expliqué que la volonté nalistes parce que ces entretiens duraient très longtemps, et Chirac. Progressivement, Chirac s’intéresse à la de Chirac était de déstabiliser Giscard. Nous avions donc bien plus que prévu. Ils parlaient de l’histoire de France, de l’agriculture, des artisans, des PME, des territoires, etc. été dopés à l’ « EPO Ponia » avant même de voir Chirac. de l’Asie, du Japon, de géopolitique. Pendant cette période, C’est à ce moment-là qu’il construit des relations avec Les débuts sont donc plutôt difficiles entre vous et Chirac a réussi à se rendre giscardo-compatible. La famille Philippe Vasseur, ministre de l’Agriculture, ainsi qu’avec Jacques Chirac. UDF se divise en deux, les giscardiens se scindent ensuite : moi. J’ai travaillé en très bons termes avec Chirac qui Pendant toute cette période j’en ai beaucoup voulu à une partie avec Léotard, Bayrou et Balladur et l’autre avec m’a soutenu, m’a fait gagner mes arbitrages. Je retrouve Chirac et aux chiraquiens de 1981 qui n’ont pas facilité Madelin, moi, Giscard et donc Chirac. aussi la paix familiale – même s’il n’y a jamais eu de

46 Charles Jacques Chirac : 50 ans de vie politique Jean-Pierre Raffarin

Avec Jacques Chirac je n’ai rien négocié. Pendant la « Je suis allé voir Jacques campagne de 2002, à laquelle je participe, Chirac voit que Chirac dès juillet 1997 pour lui je suis un bon orateur, il m’observe. Il m’envoie beaucoup sur le terrain, mais les autres aussi. Il veille à ce qu’il n’y demander s’il avait l’intention ait pas une tête qui dépasse. À Poitiers, le 10 avril, c’est d’être candidat en 2002, sachant un grand succès, il me fait monter sur scène, ce qui n’était pas arrivé jusque-là. Les médias pensaient que j’allais être qu’il était au plus bas, que ça choisi à Matignon. Le lendemain, Sarkozy est invité par n’allait pas fort. J’ai compris que Jean-Louis Debré à Évreux. Trois jours plus tard, c’est au si le président de la République tour de Fillon d’être choisi pour un plateau télé. On voit qu’à chaque fois, un ou deux sont avancés. sortant était candidat, c’est lui À ce moment-là, vous vous préparez à devenir qui serait au second tour. Au Premier ministre ? Je ne pense pas devenir Premier ministre mais je pense moment où beaucoup ont décidé être appelé à un poste important, parmi les quatre ou cinq de le lâcher, moi j’ai décidé de poids lourds du gouvernement. Je me prépare en faisant un livre, qui s’appelle Pour une nouvelle gouvernance. Avec travailler avec lui. » une équipe d’experts, on a travaillé sur le fond. Vous voulez dire qu’il y a eu du suspense jusqu’à tensions –, mon père étant alors très heureux de cette l’élection de Jacques Chirac ? évolution ! Je me rapproche de cette équipe, notamment Le soir de l’élection de Chirac, nous sommes au QG, il de Juppé, même s’il a des relations compliquées avec nous fait quelques commentaires avant qu’on parte sur certains autres ministres. Je le soutenais activement. Puis, les plateaux télés. Il y a Philippe Douste-Blazy, Nicolas avec la dissolution, j’avais le sentiment que le septennat Sarkozy, Alain Juppé… Je vais saluer Chirac en me disant : s’était interrompu trop brutalement. Je me suis interrogé « Il va me dire quelque chose. » Je lui dis : « Au revoir monsieur sur ce qu’il fallait faire. Je suis allé voir Jacques Chirac dès le Président, je vais à TF1 »… Et il me répond : « Merci Jean- juillet 1997 pour lui demander s’il avait l’intention d’être Pierre pour tout ce que tu as fait et surtout ce soir, pas de triom- candidat en 2002, sachant qu’il était au plus bas, que ça phalisme. » C’est le seul message. Je traîne un peu avant de n’allait pas fort. J’ai compris que si le président de la Répu- partir pour écouter ce qu’il va dire à Sarko qui est derrière blique sortant était candidat, c’est lui qui serait au second moi. Je l’entends dire : « Nicolas, merci pour tout ce que tu as tour. Au moment où beaucoup ont décidé de le lâcher, moi fait pour moi, et ce soir pas de triomphalisme. » Donc rien. j’ai décidé de travailler avec lui. J’ai composé une équipe Mon seul vrai indice sera que, sur l’écran de contrôlé situé qui s’appelait « dialogue et initiative », qui allait être la à côté de moi, je vois Sarko sur la 2. Moi je suis sur TF1, maquette de l’UMP. C’est-à-dire constituée de deux gaul- et je vois qu’il fait une mauvaise mine. Je vois qu’il n’est listes (Perben et Barnier), d’un centriste (Barrot) et d’un pas heureux. Je me dis qu’il se passe quelque chose. Entre- libéral (Raffarin). On a décidé de créer cette préfiguration temps Chirac nous avait demandé des notes. Le lendemain du rassemblement de la droite et du centre. On a fait un matin je suis réveillé à 7 heures par Olivier Mazerolle qui livre, des meetings en province tous les quatre. De 1997 à veut m’inviter au journal de France 2, en me disant : « Vous 2002, on a milité pour la création de l’UMP. J’ai beaucoup allez être Premier ministre. » Je refuse, lui disant que je n’ai rencontré Jacques Chirac, je l’ai vu évoluer sur des sujets pas de nouvelles de cela, et je raccroche. Puis ma mère comme la décentralisation où il devient plus audacieux. m’appelle pour me dire qu’il y a des journalistes devant Vous construisez alors une sorte d’alliance ma maison. Je lui réponds : « Il est 9 heures, je suis avec mon

politique, stratégique, pour la suite. épouse, il y a encore rien. » J’ai un coup de suite p.48 © arnaud meyer pour charles

48 Charles Jacques Chirac : 50 ans de vie politique Jean-Pierre Raffarin

fil vers 11 heures de Villepin qui me demande de venir à heures après, votre poitrine se serre, on sent qu’il y a un Et les relations entre l’Élysée et Matignon ? « Le lendemain du premier tour, l’Élysée. Là, je comprends que c’est vrai. certain nombre de décisions à prendre. À tous les instants, et cela a duré pendant trois ans, j’ai Villepin m’avait dit : "Tu seras On raconte que Jacques Chirac a appelé directe- Vous nommez une quarantaine de ministres pour eu un Chirac affectueux. Il me protège. Alors que d’après ment votre mère pour lui annoncer votre nomination ? former un « gouvernement de mission ». Comment ce qu’on disait, il harcelait Juppé au téléphone de 1995 le Premier ministre, je serai ton Oui, il m’a demandé son numéro et il l’a appelée. J’étais avez-vous procédé ? Quelles étaient les consignes de à 1997, avec moi il est souvent passé par mon assis- successeur." CHIRAC a beaucoup son ministre quand mon père est mort, et il l’avait aussi Jacques Chirac ? tante Aude pour demander à me parler, pour ne pas me appelée à cette occasion. À plusieurs reprises il a demandé Jacques Chirac était très respectueux des autres, et n’était déranger. Il est très attentif à ce que je suis. Le mercredi hésité entre moi et Sarkozy, mais à l’appeler, quand on a eu des bons moments. Lors du pas ambigu sur ce qu’il voulait. Il m’a dit tout de suite matin quand nous nous voyons, c’est le meilleur moment il voulait absolument quelqu’un vote sur la réforme des retraites par exemple, il était qu’il avait consulté les généraux pour pouvoir nommer de ma semaine ! Quand j’ai des difficultés, des batailles, de provincial, d’apaisant, d’UDF, tout content et il a voulu appeler ma mère, pour lui faire une femme aux armées. Pour Michèle Alliot-Marie, c’était quand au Parlement ça bouge, le mercredi matin avec le partager cette victoire. donc décidé. Sarkozy voulait l’Économie, Chirac voulait lui président on regarde les choses, il est très mobilisé sur ses compte tenu du contexte et du À l’époque, certains observateurs soulignent l’im- donner l’Intérieur. Et le transfert de Villepin aux Affaires propres actions, moi il me laisse faire, mais il m’apporte score de Le Pen. » provisation qui règne autour de la formation du gou- étrangères était acté. Pour le reste, il m’a laissé discuter, des solutions, s’il y a un problème il passe les coups de fil vernement, de votre nomination. On dit même que on a choisi Francis Mer ensemble, ainsi que Luc Ferry. Il nécessaires. Pour un Premier ministre c’est un très bon François Fillon aurait été appelé par Jacques Chirac, était très ouvert à mes propositions. Sarkozy voulait un président dans la mesure où il m’aide plus qu’il ne me mais qu’il a manqué l’appel, étant occupé à la messe. ministre proche de lui, il voulait Estrosi, et Chirac a proposé contraint. On va construire une relation de fiabilité d’un C’était pour lui proposer Matignon ? Devedjian. Après, il y avait quelques noms auxquels il bout à l’autre. Je ne crois pas une seconde qu’il ait pensé à François tenait : Christian Jacob et Pierre Bédier notamment. Je suis Vous avez quand même connu quelques différends Fillon. Jérôme Monod, qui était conseiller du président, allé le voir le soir, ça s’est fait assez facilement pour que avec le président… m’a indiqué par la suite que Chirac avait décidé le mardi l’on soit prêt le lendemain. On a eu un désaccord sur l’ouverture du capital d’EDF et précédant le second tour que je serais Premier ministre. En plus de tous ces ministres, vous deviez composer de GDF. Il m’a dit : « Tu sais, la petite voiture bleue d’EDF, L’indice que j’ai, c’est que le dernier meeting du jeudi soir, votre cabinet. Était-ce facile ? elle sillonne la Vienne, tu vas voir, ça va être difficile, ça ne Monod vient me chercher, m’emmène au premier rang à J’ai choisi mon directeur de cabinet, de Villepin n’était va pas être accepté, tu vas faire beaucoup de mécontents. » côté de Bernadette et me dit : « Vous comprendrez pourquoi, pas d’accord avec mon choix. Mais on m’avait appris Mais j’ai tenu tête. Parce que l’ouverture du secteur de il faut que vous me suiviez. » Le lendemain du premier tour, dans ma vie politique que le choix du directeur de cabinet l’énergie était l’un des sujets sur lequel Bruxelles nous Villepin m’avait invité à déjeuner et m’avait dit : « Tu seras était autonome. J’ai choisi Pierre Steinmetz qui avait attendait pour savoir si on était réformateur ou pas. Moi le Premier ministre, je serai ton successeur. » Dans la tête de déjà travaillé avec à Matignon, il avait je suis très européen, j’avais de bonnes relations avec les Villepin, j’étais le Premier ministre. Je pense que l’hypo- été avec des ministres UDF et centristes, il avait été mon commissaires, je voulais envoyer un signal à l’Europe. Ça thèse Fillon n’a jamais existé. Il a beaucoup hésité entre préfet dans la Vienne, donc je le connaissais bien. Villepin s’est fait. J’ai gagné cette bataille-là, mais j’ai perdu celle moi et Sarkozy, mais il avait de vrais problèmes person- voulait me donner un préfet dans sa main à lui, pour avoir de l’exonération de la résidence principale dans l’ISF. Glo- nels avec lui. Il voulait absolument quelqu’un de provin- un correspondant à Matignon. Le président souhaite qu’un balement le président a toujours été avec moi extrême- cial, d’apaisant, d’UDF, compte tenu du contexte et du membre de son cabinet soit dans mon équipe. Il m’envoie ment attentif. En trois ans, le « Chirac des mauvais coups » score de Le Pen. Les circonstances ont joué en ma faveur, Jean-François Cirelli qui est secrétaire général adjoint et que j’ai connu sous Giscard – qu’on m’a plus raconté que j’avais le profil qu’il recherchait. qui est aujourd’hui l’un de mes meilleurs amis. La greffe a je n’ai connu, d’ailleurs –, je ne l’ai pas rencontré en tant À partir du moment où vous êtes nommé, tout bien pris, mais au départ c’était un peu l’envoyé spécial de que Premier ministre. Je n’ai eu que cette relation transpa- va très vite : annonce à 11h30, passation à 15 heures l’Élysée dans mon équipe. Je l’ai accepté volontiers. rente, fiable, avec quelqu’un de généreux, d’attentif. avec Lionel Jospin, composition du gouvernement le Comment assure-t-on la cohésion gouvernemen- Comment avez-vous géré les arbitrages avec lendemain à 20 heures… Comment avez-vous vécu tale quand les ministres se combattent entre eux ? les fortes têtes du gouvernement ? D’autant que cette pression ? Il y avait des ministres qui n’étaient pas simples, qui beaucoup vous jalousaient, voulaient prendre votre L’angoisse vient le lendemain ou le surlendemain. Sur le avaient des problèmes avec le président. Je pense à Luc place, notamment . moment tout va très vite, la pression aide à tenir. Tout le Ferry, aux conflits entre Alain Lambert et Francis Mer, Ma relation avec Jacques Chirac était enviée. Nicolas monde filme mes déplacements. Dès qu’on se repose, 48 entre Ferry et Darcos, donc c’était compliqué. Sarkozy a toujours considéré que j’avais usurpé sa

50 Charles Jacques Chirac : 50 ans de vie politique Jean-Pierre Raffarin

place à Matignon. Dès le départ, il ne comprend pas qu’à avoir des agitateurs, mieux vaut en avoir plusieurs par cette éviction. Est-ce que vous souhaitiez déjà « Quand Sarkozy voulait pourquoi il n’est pas à Matignon. Jusqu’à maintenant, qu’un seul. Parce qu’il s’agitent entre eux. quitter Matignon ? participer à une émission dans une élection toute particulière, je suis le seul qui Quand vous surnomme Je lui avais dit que je voulais partir, dès le début de l’année en matière de pouvoir ait battu Sarkozy. Ce qu’il n’aime « Raffa-rien », ça vous blesse ? 2005. Trois ans me paraissaient le terme, mon départ me de télévision alors que le pas. Ça revient toujours un peu de temps en temps. Il Il l’a peut être dit une ou deux fois mais ce n’était pas semblait naturel. Je pensais qu’il fallait qu’il change de président parlait le lendemain. n’a pas coché cette case Matignon et se demande bien quelque chose qui m’était rapporté. Ce sont des trucs de Premier ministre tous les trois ans. Dans un quinquen- pourquoi un provincial a pris sa place. On avait un petit- presse qui n’existent pas vraiment. Ce qui était clair, c’est nat, il y en a un qui doit mettre en œuvre les promesses, Jacques Chirac me demandait de déjeuner avec les poids lourds de la majorité, le mardi qu’il voulait ma place. Et il l’a eue. et l’autre qui doit préparer l’échéance, les promesses qui le convaincre de ne pas aller matin. Là, s’exprimaient les tempéraments des uns et Nicolas Sarkozy n’était pas tendre avec vous et seront faites. Moi j’avais à gérer le programme. Mais au faire un 20 heures. Parfois, des autres. Avec Nicolas Sarkozy, c’était sportif mais pas ne cachait pas ses ambitions. Comment l’avez-vous bout de deux ans et demi, trois ans, le quinquennat passe difficile : vous savez ce qu’il pense. Ce n’est pas quelqu’un supporté ? de l’engagement du président à qui sera le prochain il fallait aussi lui dire qu’il de cachotier, c’est facile de prévoir ce qu'il pense, de tra- Au fond, je n’ai jamais voulu m’engager dans une destruc- candidat. C’est d’ailleurs ce qu’on vit actuellement, la ne pouvait pas forcément vailler avec lui. Mais il ne faut jamais laisser un problème tion ou une opposition à Sarkozy. J’ai toujours essayé de question du prochain candidat s’impose à gauche, on vit s’embourber, sinon ça s’infecte fortement. le contenir, sans m’en faire un adversaire, Je ne voulais le basculement. avoir l’avion présidentiel. » Qu’est-ce que vous voulez dire ? pas de cela, j’étais attentif à ce qu’il soit au courant de Vous étiez, avant d’être un élu, un expert en com- Par exemple quand il voulait participer à une émission l’affaire Clearstream, qu’il ne soit pas dans la situation munication. Au sein de la société Jacques Vabre, de télévision alors que le président parlait le lendemain. de provoquer l’échec en 2007. Il fallait le contenir mais mais aussi auprès de Lionel Stoléru, au ministère du Jacques Chirac me demandait de le convaincre de ne pas en même temps ne pas le torpiller. C’était un pilotage Travail. Est-ce que ces compétences vous ont servi aller faire un 20 heures. Parfois, il fallait aussi lui dire quotidien. Il y en a qui font de la gymnastique, d’autres du pendant vos trois années à Matignon ? qu’il ne pouvait pas forcément avoir l’avion présidentiel. rugby, moi je jouais au Sarkozy tous les jours. Une disci- Un petit peu. Mais moins que ma bonne connaissance de C’était des sujets qui n’étaient pas agréables à amorcer, et pline à part entière. La difficulté était de le rendre compa- la fonction présidentielle. Avoir fréquenté Giscard, un peu parfois quand ça montait, on mettait le téléphone un peu tible avec Chirac car Chirac disait : « C’est moi qui décide », Mitterrand – il était Charentais – m’a donné une bonne à distance ! Ça se réglait tout le temps et je dois dire que ce et l’autre contestait. Je devais doser. Pour un Premier vision de la fonction présidentielle. Pendant trois ans, il n’était pas le plus compliqué. ministre, avoir un ministre qui conteste le président n’est n’y a pas eu de difficultés entre le président et le Premier Je cite un nom, je vois comment il réagit. Chirac s’inté- Quel ministre était le plus compliqué à gérer ? pas facile. Ce n’est pas le cas aujourd’hui, par exemple. ministre. C’est d’ailleurs ce que j’ai expliqué à Manuel resse à ceux qui peuvent être président de la République. Je pense que Villepin était plus compliqué parce qu’il était Quand vous étiez Premier ministre, toutes les Valls avec qui j’ai déjeuné il n’y a pas très longtemps. Il a des avis assez profonds sur ceux qu’il a observés. Il moins direct. Il avait un match avec Nicolas Sarkozy, ils élections intermédiaires ont été perdues par la droite. Vous voyez Manuel Valls ? Que lui avez-vous dit ? pouvait travailler avec tout le monde, mais il les analysait étaient mêlés et divisés dans l’affaire Clearstream. J’ai dû Même le Poitou-Charentes, votre région, est passée On a fait part de nos expériences. Tout le monde conseille en même temps. Ça lui arrivait de dire à propos d’untel : gérer cela et Chirac a toujours été d’un grand soutien pour à gauche avec Ségolène Royal en 2004. Comment tout le monde. Je lui ai dit qu’avoir une bonne connais- « Sur un marché de Corrèze on dirait que ce n’est pas une moi. avez-vous vécu ce désamour avec les Français ? sance du président aide bien. On voit que l’expérience de bonne bête. » Ou : « Celui-là est un peu court sur pattes. » J’ai Jacques Chirac a-t-il pris votre défense au J’ai vu dans les élections régionales suivantes que c’était Valls l’aide par rapport à un Ayrault qui n’avait pas circulé toujours gardé un lien avec lui. J’ai une relation person- détriment de Villepin ? encore pire, ce qui m’a rassuré. Tous ceux qui m’ont à l’intérieur de cette relation. Un Premier ministre qui nelle, affectueuse, affective avec Chirac et Bernadette. Un jour à la radio, en 2004, Villepin dit : « Il faut aller plus attaqué, notamment Sarkozy et Fillon qui contestaient n’a pas la conscience de la personnalité profonde de son Avec Giscard aussi. C’est une relation proche de l’intimité. vite, plus loin, plus fort. » Donc c’est interprété comme mon action en 2004, quand ils ont eu les régionales de président et de la fonction présidentielle, ça ne fonctionne Sa fille Claude Chirac dit qu’il n’a pas d’ego. une contestation envers moi. Parce que Villepin se sert 2010, ils gouvernaient, et ça m’a consolé. À Matignon pas. Nous en avons beaucoup discuté avec Manuel Valls. Êtes-vous d’accord ? toujours du fait que quand il parle, c’est un peu Chirac qui j’étais là pour protéger le président et faire en sorte qu’à Quand avez-vous vu Jacques Chirac pour la Oui. En tout cas par rapport à sa fonction, son ego est parle, dans la mesure où il est très proche de lui. Donc en l’issue de ce quinquennat la droite l’emporte. J’ai accompli dernière fois ? Continuez-vous à entretenir une infime. C’est une phrase juste. Ce n’est pas quelqu’un qui pleine réunion, j’appelle le président, je lui dis : « Monsieur ma mission. Quand je suis arrivé, le chômage augmentait, relation privilégiée avec lui ? se valorise personnellement. Il cherche à bien gérer. le Président, si vous approuvez les propos de Villepin, je quand je suis parti le chômage baissait. Je l’ai vu en septembre. Je continue à le voir régulière- Continuez-vous à vouvoyer l’ancien président de démissionne immédiatement. » Le président me répond tout Jacques Chirac décide de se séparer de vous après ment. Il n’est pas toujours très en forme, mais on parle la République ? de suite : « Mais pas du tout, c’est une connerie ! » Donc de l’échec du référendum européen, le 29 mai 2005. Il beaucoup d’événements qui nous ont marqués, des gens. Oui je continue à le vouvoyer, et je lui ai souhaité temps en temps, il y avait quelques problèmes. Mais tant raconte dans ses Mémoires que vous n’êtes pas étonné Il a toujours des convictions fortes sur les personnes. récemment son 82ème anniversaire. —

52 Charles