Frédéric Tristram, « Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 Frédéric Tristram Dans le flot d’études consacrées aux entourages politiques, celui de Valéry Giscard d’Estaing a été relativement négligé. Les raisons de cet oubli sont diverses. Elles tiennent à une certaine proximité chronologique et à la présence active, jusqu’à une date récente, de l’ancien Président dans le débat politique national et européen. Elles sont également la conséquence de la réserve longtemps observée par les anciens conseillers, après une défaite de 1981 vécue souvent comme un traumatisme. Elles ressortissent, plus fondamentalement, à la difficulté de cerner avec précision les contours d’un libéralisme français dont l’ancien Président a été la principale figure. Pourtant, l’entourage de Valéry Giscard d’Estaing présente des caractéristiques tout à fait originales. Celles-ci découlent d’abord d’un parcours politique en grande partie atypique. Valéry Giscard d’Estaing n’a en réalité occupé qu’un seul département ministériel, celui des Finances, mais sur une durée exceptionnellement longue, près de douze ans au total entre 1959 et 1974. Puis il a été élu très jeune président de la République, à l’âge de quarante-huit ans, sans bénéficier toutefois, comme ces concurrents gaullistes et socialistes, de l’appui d’un parti important et structuré. Ces circonstances n’ont pas été sans conséquences. Elles ont induit un réel renouvellement du personnel de l’Elysée, après la longue période gaullo-pompidolienne, mais elles ont également limité le vivier dans lequel Valéry Giscard d’Estaing a pu puiser et perpétuer, voire renforcer, l’emprise des grands corps administratifs sur les structures de la présidence. Le contexte politique du septennat a également joué un rôle. Les relations entre Valéry Giscard d’Estaing et ses Premiers ministres successifs, l’actualité électorale ou le fonctionnement de la majorité présidentielle ont pesé sur les choix organisationnels du secrétariat général, ainsi que sur certain de ses recrutements. Enfin les conceptions personnelles du président de la République n’ont pas été sans conséquences. Valéry Giscard d’Estaing a voulu cantonner le secrétariat général dans des fonctions purement administratives, refusant, pour reprendre une expression d’Yves Cannac, d’en faire « un outil de son pouvoir1 ». Mais il a aussi mis en place en son sein des structures politiques très innovantes, notamment en matière d’analyse de la presse et de communication. Aussi ces influences contradictoires façonnent-elles un organisme hybride. Le secrétariat général de l’Elysée est-il une simple structure technique, chargée de d’informer le Président et d’instruire ses dossiers ? Est-il au contraire un instrument politique, d’exercice et de conquête du pouvoir ? 1 Entretien de Yves Cannac avec Frédéric Tristram, entretien n° 1, le 14 avril 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine. - 1 - Frédéric Tristram, « Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr Ces questions n’appellent pas de conclusions univoques. Pour tenter d’y répondre, une analyse de type prosopographique est sans doute nécessaire. Elle doit cependant être complétée par des éléments d’ordre qualitatif qu’apportent en particulier l’utilisation des sources orales2. Un entourage au profil très classique Le terme même « d’entourage » n’est pas dépourvu d’ambiguïté. Le plus simple est de partir de la définition qu’Yves Cannac lui-même donne du secrétariat général de l’Elysée : « une équipe de collaborateurs directs, choisis par le président en toute liberté, et qui normalement change avec lui3 ». De cette définition se dégage un double critère, à la fois institutionnel et personnel : les membres de l’entourage sont rattachés à une structure administrative, d’ailleurs relativement souple, mais ils dépendent aussi directement du président de la République qui les nomme et peut les révoquer à tout moment. Ce double critère apparente le secrétariat général de l’Elysée à un classique cabinet ministériel. Il permet aussi de dresser la liste des membres de l’entourage présidentiel. L’appartenance, ou non, à l’administration élyséenne a ainsi été déterminante. Ont été par principe exclus des personnalités, indiscutablement très proches du Président, parce qu’elles exerçaient des responsabilités politiques, notamment au niveau ministériel. C’est le cas notamment de Jean Poniatowski ou Michel d'Ornano. Des personnalité auvergnates, également très liées à Valéry Giscard d’Estaing, n’ont pas davantage été retenues. Il s’agit en particulier du maire de Chanonat, Pierre de Neufville, ami d’enfance du Président et un des rares à le tutoyer, de son suppléant dans la 2e circonscription du Puy-de-Dôme, le docteur Jean Morellon, ou de son successeur à la mairie de Chamalières, Claude Wolff. Si le critère institutionnel a prévalu, il n’a pas été poussé jusqu’à son terme. Les fonctionnaires affectés dans les services permanents de l’Elysée, formellement rattachés au secrétariat général mais fonctionnant en réalité selon les règles ordinaires de l’administration, n’ont pas été retenus. Relèvent de cette catégorie le service du protocole, dirigé par l’ambassadeur Jean-Bernard Mérimée, ou celui de l’intendance, confiée au colonel Guy Hennequin. Il en va de même pour les personnes placées au service personnel du Président : son valet de chambre, Walter Luttringer, son chauffeur, Gabriel Lavert, ou sa secrétaire particulière Margueritte Villetelle. Dans ce dernier cas, le choix est d’ailleurs contestable. Les fonctions exercées sont, il est vrai, relativement modestes dans l’ordre administratif, mais la proximité avec le Président est évidente. Car à la différence de la plupart des membres du secrétariat général, ces collaborateurs particuliers ont un accès quotidien au président de la République. Aussi, pour ne pas prendre les chemins habituels de la haute fonction 2 Un travail de constitution de la source orale a été effectué pour réaliser cet article. Neuf entretiens ont été menés, pour une durée d’environ 18 h, avec les personnalités suivantes : François de Combret, Daniel Pouzadoux, Jean-Philippe Lecat, Jean Riolacci, Yves Cannac, Anne Méaux, Jean Serisé, Jean François- Poncet et Bernard Rideau. Ces personnalités ont été choisies afin d’offrir une certaine diversité de point de vue et reflètent donc des domaines de compétences, des niveaux hiérarchiques et des fonctions relativement variés. Les entretiens, fixés sur format numérique, sont en cours de dépôt au Centre d’histoire de Sciences Po. Les modalités de leur consultation seront définies ultérieurement. 3 Yves Cannac, « La « machine élyséenne » (1974-1981) », dans Serge Berstein, René Rémond et Jean- François Sirinelli (dir.), Les années Giscard. Institutions et pratiques politiques, 1974-1978, Paris, Fayard, 2003, p. 90. - 2 - Frédéric Tristram, « Un instrument politique mal assumé ? L'entourage de Valéry Giscard d'Estaing à l'Elysée de 1974 à 1981 », Histoire@Politique. Politique, culture, société, N°8, mai-août 2009. www.histoire-politique.fr publique ou ne pas porter sur des sujets traditionnels de la vie politique, leur influence n’est-elle sans doute pas totalement négligeable. Daniel Pouzadoux témoigne ainsi du rôle du chauffeur Gabriel Lavert, un des seuls à pouvoir parler spontanément au président de la République, et parfois utilisé par l’entourage « classique » faire passer un certain nombre de messages4. L’exclusion de l’entourage militaire peut également être discutée. L'état-major particulier est bien intégré au secrétariat général mais il constitue, aux dires de plusieurs témoins « un monde à part5 », ayant ses propres règles, ses propres centres d’intérêt et son propre mode de fonctionnement. A partir de cette définition qui reste relativement large, un travail de recension a été effectué. Il s’appuie sur la liste du secrétariat général issue des différents arrêtés de nomination6. Cette liste officielle doit cependant être complétée par les membres officieux du secrétariat général. Leur dénombrement est un problème ancien, régulièrement évoqué depuis les travaux pionniers de René Rémond, Aline Coutrot et Isabel Boussard7. Dans le cas de Valéry Giscard d’Estaing, sa résolution est facilitée par l’évocation, dans le catalogue des archives du septennat, d’un certain nombre d’entre eux, en particuliers des trois membres de la « cellule Auvergne », Robert Roques, Jeannine Monin et Daniel Pouzadoux. Les archives orales sont également d’une aide précieuse et permettent, par exemple, de certifier la présence au sein d’une « cellule d’observation de l’opinion et des médias » d’Anne Méaux8. A partir cette définition, quarante-neuf conseillers ont pu être recensés, dont quarante-cinq officiels et quatre officieux. Cette liste, placée en annexe ne prétend pas à l’exhaustivité, mais semble assez complète. Il s’agit d’ailleurs d’un chiffre modeste, si on le compare à l’entourage de Charles de Gaulle et de Georges Pompidou et qui résulte, comme on le verra, d’un choix délibéré de Valéry Giscard d’Estaing. Qui sont ces conseillers ? La carrière de quarante-quatre d’entre eux a pu être entièrement reconstituée, à partir de différents instruments, les curriculum vitae très complets établis par l’inspection générale des Finances, les annuaires des ministère des Finances, les annuaires diplomatiques et consulaires et, pour le corps préfectoral, le dictionnaire de René Bargeton9. A défaut les notices du Who’s Who ont été utilisées10. 4 Entretien de Daniel Pouzadoux avec Frédéric Tristram, le 13 mars 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine. 5 Entretien de François de Combret avec Frédéric Tristram, entretien n°1, le 10 février 2009, Centre d’histoire de Sciences Po, Archives d’histoire contemporaine.
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