<<

sOUS LA REPUBLIQUE Entretien CE PéTAINISTE QUI A VOULU TUER DE GAULLE

Personnage aussi secret qu’important de l’extrême droite française, le fondateur du mouvement néo-pétainiste l’Œuvre française se raconte pour la première fois dans un entretien fleuve qu’il a accordé à notre journaliste David Doucet. Son histoire personnelle traverse les moments les plus sombres de l’histoire de : la collaboration pendant la Seconde guerre mondiale, l’OAS et la défense de l’Algérie française ou encore l’attentat du Petit-Clamart contre le général de Gaulle. Elle rencontre aussi celle des futurs ministres de la droite dite traditionnelle, tels que Gérard Longuet, , ou encore Patrick Devedjian.

par David Doucet portraits Patrice Normand/Temps Machine

Notre enquête sur l’Œuvre française débute rival. Il avait deux guerres de retard quand Le Pen n’en par une après-midi pluvieuse de novembre à Reims, avait qu’une : c’est une première explication. dans le salon d’un ancien cadre du mouvement. Né en 1927, en pleine montée des fascismes, L’homme est nerveux. Sa main tremble. Au bout d’une Pierre Sidos s’engage dans un mouvement collabora- dizaine de minutes de discussion, il la passe dans son tionniste pendant la Seconde Guerre mondiale. Empri- dos, comme saisi d’un frisson… avant de rabattre sur sonné à la Libération, il fonde ensuite, avec ses frères, la table un flingue intimidant. « Vous vous dites jour- le mouvement , l’un des premiers groupes naliste mais vous êtes qui exactement ? Je ne parle pas d’extrême droite durables de l’après-1945. Suite à la de Pierre Sidos comme ça ! ». Il faut sortir une carte de dissolution de celui-ci le 15 mai 1958, Sidos poursuit presse et prononcer quelques mots apaisants pour son combat pour l’Algérie française en clandestinité et faire retomber la température. Approcher le mouve- aspire à renverser la jeune vème République. Après une ment parano-pétainiste fondé en 1968 par Pierre Sidos nouvelle période d’emprisonnement, il fonde . n’a rien d’une partie de plaisir. Quatre ans avant mai 68, il devient le mentor de toute Ses racines sont collaborationnistes, son une génération d’hommes politiques français, tels imagerie fasciste, sa méthodologie musclée. Et son Gérard Longuet, Alain Madelin et Patrick Devedjian. chef, un parrain mais méconnu du nationalisme Avant que ces derniers ne désertent l’extrême droite français. L’un des rares à pouvoir tenir la comparaison pour embrasser des carrières ministérielles. avec Jean-Marie Le Pen, du moins par la longévité et Les ennemis de Pierre Sidos sont le juif et le le bagage politique. D’un an l’aîné de l’ex-président bolchevik. C’est contre eux, et pour les valeurs de la frontiste, Pierre Sidos est resté dans l’ombre de son France éternelle, qu’il s’active. Depuis 1968, il peaufine

106 numéro 5 — 107 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

sans relâche la doctrine nationaliste au sein de À nos lecteurs Comment en êtes-vous venu à l’engage- l’Œuvre française. Surnommée « Église de la Sidolo- ment politique ? gie » par ses détracteurs, considérée comme le dernier Cet entretien avec Pierre Sidos est Le décès de mon frère aîné Jean a été un déclen- carré des pétainistes par ses fidèles, l’organisation à nos yeux un véritable document cheur. Quand il meurt le 16 juin 1940 en combat- cultive une discipline et une détermination rares dans historique qui restitue le témoignage tant les Allemands dans des conditions héroïques, l’extrême droite française. Sidos, qui entretient des le maire de La Rochelle Léonce Vieljeux est venu d’un acteur important de l’extrême relations ambiguës avec le pouvoir, les pays arabes dans notre maison familiale pour annoncer à ma droite française, qui a participé entre et l’armée, n’a jamais renoncé à son rêve d’un coup mère la nouvelle. J’avais 13 ans et j’étais parvenu d’État fasciste. Plus que nul autre, il s’est approprié la autres au Putsch des généraux, l'at- à me faufiler pour assister à la discussion. Le maire doctrine du fondateur de la Phalange espagnole, José tentat du Petit-Clamart ou encore à avait ajouté cette réflexion : « L’ouvrier allemand a Antonio Primo de Rivera, qui affirmait que « la révolu- la fondation d’Occident avec Alain gagné la guerre », sous-entendu : l’ouvrier français tion est l’œuvre d’une minorité résolue, inaccessible au Madelin et Gérard Longuet. l’a perdue. C’est ce qui m’a donné envie de m’en- découragement. » Nous avons fait le choix de ne pas gager à mon tour. Je me rappelle que ma mère Définitivement expulsé des feux de l’actualité à la censurer ses propos antisémites s’est évanouie. Personnellement, j’ai tout de suite fin des années 80, ce vétéran est un homme secret et et négationnistes qui vont à l’en- compris que je ne reverrais plus mon frère. Je n’ai taiseux, qui n’a accepté de nous rencontrer qu’à l’issue contre des travaux scientifiques pas pleuré car à l’époque, il y avait une telle fami- de nombreuses sollicitations. En mars 2012, il nous a sur la Shoah et l’extermination liarité avec la mort qu’il y avait une part de fierté de reçus au local de L’Œuvre française, en plein quartier savoir qu’il avait pu donner sa vie pour la France. systématique par l’Allemagne nazie chinois de Paris. Que représentait votre frère Jean pour de 6 millions de juifs pendant la Le xiiième arrondissement a changé depuis vous ? quarante ans, pas les habitudes de Sidos. Sept années Seconde Guerre mondiale, de façon à Nous étions six enfants, cinq garçons et une fille. de captivité politique ou de clandestinité et deux incul- ce que nos lecteurs puissent prendre Mais dans cette fratrie, j’avais une sympathie pations pour atteinte à la sûreté de l’État ont fini de le la mesure de la radicalité des valeurs toute particulière pour lui. C’était le plus sérieux, rendre extrêmement méfiant. d’un courant idéologique tel que celui le plus discipliné (dit-il avec les larmes aux yeux). Après nous avoir invités dans son bureau, où de l’Œuvre française. Lorsque nous étions enfants, nous nous amusions trône une croix celtique, il exhibe, sur plusieurs Ces affirmations attentatoires à la à reconstituer la marche sur Rome dans l’escalier feuilles imprimées, les informations glanées à notre mémoire des victimes du génocide de la maison familiale, c’était déjà très fascisant. sujet sur Internet. Avec une expression concentrée et juif ne sauraient engager que la res- Même si mon frère Jean est mort en combattant un vocabulaire légèrement suranné, l’interviewé se ponsabilité de son auteur. les Allemands, il partageait une ligne très natio- fait intervieweur. Avant tout entretien, il nous faudra naliste. Quand j’ai eu l’âge nécessaire, j’ai donc eu remplir une fiche de renseignements. Et le lendemain, moi aussi envie de m’engager politiquement. D’ le vieil homme postera une lettre à l’adresse que nous durant cette période troublée. C’est ce que j’ai fait lui avons indiquée, histoire de vérifier la fiabilité de au sein de la jeunesse franciste de son interlocuteur. Manière aussi de dire qu’il sait où que j’ai rejointe en 1943 (le Parti franciste fut un l’on habite, et qu’on est prié de tenir nos engagements. mouvement collaborationniste ultra – NDLR). Dans Ces formalités accomplies, nous avons revu Pierre ce mouvement qui s’apparentait à du scoutisme Sidos cinq fois, pour une durée totale d’entretien politique, j’ai participé à des activités sportives et approchant les treize heures. Au fil des interviews et de à quelques congrès. l’enquête menée en parallèle sur son parcours, Pierre Quelle était l’ambiance politique au sein de Sidos a, pour la première fois, fini par s’épancher. À votre famille durant votre jeunesse ? 86 ans, chargé de secrets, le parrain des « natios » s’est L’ambiance familiale était très nationaliste et très peut-être dit qu’il était temps d’en lâcher quelques- marquée. Mon père était lié au député de Gironde, © Patrice Normand/Temps Machine pour Charles © Patrice Normand/Temps uns... Philippe Henriot, qui deviendra par la suite

108 numéro 5 — 109 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« Mon père est tombé sous des balles françaises en criant "Vive la France !" »

secrétaire d’État de l’Information et de la Propa- 1944, il avait été nommé comme l’un des six ins- gande du gouvernement de Vichy (surnommé « le pecteurs généraux du maintien de l’ordre auprès Goebbels français » – NDLR). J’étais également très de Joseph Darnan, chef de la . (La justice l’a proche des parents de ma mère, qui habitaient accusé d’avoir livré des résistants aux Allemands l’Île de Ré. Il se trouve que mon grand-père Jean en 1944 – NDLR). Il a été fusillé le 28 mars 1946 Rocchi, d’origine corse, était bonapartiste. L’un des dans l’ère improprement nommée « épuration » où premiers livres que j’ai lus, c’était chez lui et c’était s’est accomplie l’élimination physique d’un grand Le Mémorial de Sainte-Hélène. Il parlait souvent nombre de fidèles du maréchal Pétain par leurs du nationalisme et du Second Empire et, parmi adversaires politiques. Il était âgé de 56 ans et ses amis, il y avait , un député de il était père de six enfants. Il est tombé sous des Charente-Maritime qui a fondé par la suite les Jeu- balles françaises en criant « Vive la France ! ». J’ai nesses patriotes, une ligue d’extrême droite fran- l’impression qu’il ne réalisait pas qu’il allait mourir. çaise importante dans l’entre-deux-guerres. Il me disait : « J’étais haut-fonctionnaire, je m’expli- Durant sa jeunesse, on a tendance à se querai devant le tribunal, je n’ai rien à me repro- placer dans le sillon politique de ses parents cher. » Il n’a pas compris que c’était une période puis lorsque l’on grandit, beaucoup d’enfants révolutionnaire et que dans ce genre de période, finissent par en prendre le contre-pied. N’avez- vous ne vous expliquez pas devant les tribunaux. vous jamais été tenté par une autre direction Nous étions à trois dans une geôle, il faisait très politique ? froid, nous étions sous-alimentés. Ma famille Non ce n’est pas le cas. Au contraire, je considère entière a été jugée. J’ai été condamné à cinq ans au que j’ai toujours défendu les mêmes idées depuis Struthof et mon frère Jacques, qui avait également ma tendre jeunesse. En quatre-vingts ans, je n’ai appartenu au Parti franciste, à dix ans de prison. guère varié. Il faut bien comprendre qu’à l’époque Je n’ai pas compris la raison pour laquelle j’avais tout était engagé politiquement. L’Europe hérité d’une peine inférieure à la sienne, c’était la était frappée par ce que l’on appelait « la croisade loterie de l’époque. Après le verdict du tribunal, des fascismes ». Et pour de jeunes esprits comme le mon père est resté seul. Nous avons appris via une mien, nous nous disions qu’ils gagnaient partout. coupure de presse qu’il allait être fusillé. Comme Que ce soit Mussolini en Éthiopie, Franco en dans la chanson « Le Temps des cerises », j’ai envie Espagne, Hitler ou bien encore la personnalité de de dire que c’est « de ce temps-là, que je garde au Léon Degrelle (journaliste fasciste, fondateur du cœur une plaie ouverte ». Dans une lettre qu’il nous rexisme, un mouvement fasciste belge – NDLR). a adressée avant de mourir, mon père nous exhorte Nous étions fascinés par cette promesse d’un ordre à « réparer l’injustice » dont il a été victime. nouveau. Quels souvenirs gardez-vous de cette À la Libération, votre père François Sidos période d’emprisonnement au Struthof ? est fusillé. J’avais 17 ans et après un court séjour à la prison Son arrestation avait été accompagnée de l’em- d’Angoulême, j’ai été transféré au camp de concen- prisonnement de toute ma famille. Ma mère a été tration du Struthof, en , seul camp sur le mise dans un camp et moi j’ai été mis dans une territoire aujourd’hui français. (Camp de concen- prison avec mon frère Jacques et mon père. J’ai tration de niveau III pendant la guerre, niveau le Pierre Sidos à 22 ans lors de son service militaire partagé ses derniers jours de mai 1945 à janvier plus dur du système concentrationnaire, il devient en Afrique du Nord en 1949. 1946. Militaire de carrière, mon père était devenu à la Libération un centre provisoire de détention

© Archives Pierre Sidos haut fonctionnaire sous le régime de Vichy. En pour les prisonniers de guerre et collaborateurs

110 numéro 5 — 111 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« Beaucoup d’anciens de l’armée nous ont rejoints avec le déclenchement de la guerre d’Algérie, dont Richard Bohringer. Depuis, ce dernier a réclamé la nationalité sénégalaise, ce qui ne manque pas de me faire sourire »

– NDLR). Je n’ai été libéré que trois ans plus tard. premiers mouvements d’extrême droite d’après- Il y avait à l’époque une usine à côté du camp qui guerre. Comment est née l’idée ? était intacte. On pouvait se former au travail du Après avoir été libéré en 1949, je me rendais régu- bois. Personnellement, je suivais des cours car lièrement dans un appartement huppé du vème il y avait parmi nous des professeurs qui étaient arrondissement, rue du Cirque, qui appartenait à des prisonniers politiques. Il y avait notamment Jeanne Pageot, femme d’un riche industriel spécia- l’ancien recteur de l’Université de Lyon. On avait lisé dans le sucre. Tous les samedis, elle tenait un constitué une bibliothèque et j’en ai profité pour salon qui s’intitulait « Le Souvenir napoléonien ». lire énormément de livres. J’ai fait mon université On y trouvait des bonapartistes et des nationa- au Struthof en quelque sorte. listes, jeunes et plus âgés. Jeanne Pageot m’avait C’est à cette époque que vous dessinez encouragé à lancer un mouvement en me disant Le bulletin d’adhésion de Richard Bohringer à Jeune Nation daté de 1958 exhumé par Pierre Sidos. cette croix celtique qui deviendra l’emblème de qu’il fallait « regrouper cette jeunesse ». Elle m’avait tous les mouvements d’extrême droite français proposé de me prêter son salon et elle m’avait éga- Jeune Nation s’est distingué par le refus d’une métropole. » d’après-guerre et de beaucoup de mouvements lement dit : « Si vous faites une plaquette pour lancer soumission aux Américains par antisoviétisme. Votre anticommunisme vous poussait à des néofascistes européens par la suite. votre mouvement, je vous l’imprimerai. » Comme on C’était notre caractéristique car la totalité des gens actions violentes… Durant la guerre, j’avais observé que baignait dans un milieu bonapartisant, on souhai- que l’on considère aujourd’hui comme à droite ou Oui, c’est vrai qu’on manifestait un anticommu- celtique avait été utilisée par ce qu’on appelait tait intituler notre mouvement « La Jeune Garde ». à l’extrême droite ont embrassé le bouclier amé- nisme virulent. Par exemple, mon frère Jacques, les Équipes nationales. C’étaient des groupes de Le problème c’est que c’était le nom d’un chant ricain. Beaucoup d’anciens de l’armée nous ont accompagné de militants de Jeune Nation, avait jeunes volontaires qui participaient à la protec- de la jeunesse communiste. Par glissement, on a rejoints avec le déclenchement de la guerre d’Al- intercepté le chauffeur qui allait distribuer L’Hu- tion et au secours des populations victimes de la donc décidé d’appeler notre mouvement « La Jeune gérie. On pourrait citer François d’Orcival, qui manité dimanche. Il l’a forcé à rabattre son camion guerre, notamment des bombardements aériens. Nation ». L’article a ensuite été supprimé et par utili- n’avait que 18 ans quand il a rejoint JN et qui sur le bas-côté de la route. Ils ont vidé la cargaison Durant mon temps de réclusion, j’avais travaillé à sation courante c’est devenu « Jeune Nation ». Nous fondera la FEN avant de devenir journaliste, l’en- qui s’y trouvait, à savoir 20 000 numéros de L’Hu- la recherche d’un emblème. J’avais remarqué que souhaitions suivre l’exemple et l’action politique seignant François Duprat qui deviendra numéro manité dimanche qui devaient être mis en vente et la plupart des mouvements nationalistes en France de Napoléon Bonaparte, notamment à l’époque deux du Front national (auteur adepte de thèses ils les ont jetés dans la Seine. possédaient des emblèmes qui n’étaient pas repro- du consulat. Après l’avoir présenté au sein du négationnistes – NDLR), l’historien Dominique Vous avez également attaqué le siège du ductibles comme l’aigle, la fleur de lys, le sanglier. Il salon du Souvenir napoléonien, nous avons donc Venner, qui dirige maintenant La Nouvelle Revue Parti communiste. n’y avait pas d’emblèmes simples, or les idées poli- officiellement déclaré sa création à la Préfecture d’histoire, Jean-Jacques Susini, futur fondateur de En réaction à l’intervention soviétique en Hongrie tiques se traduisent souvent par une image. Sur de police de Paris, le 28 mars 1950. Nous avions l’OAS alors étudiant en médecine ou bien encore en novembre 1956, une manifestation populaire l’un de mes cahiers de notes, j’avais donc dessiné l’impression que l’empire colonial français était en le comédien Richard Bohringer. Depuis, ce dernier avait été organisée sur les Champs-Élysées. Une une croix celtique, c’est-à-dire un cercle entourant danger et nous souhaitions le protéger. Nous étions a réclamé la nationalité sénégalaise, ce qui ne centaine de militants de Jeune Nation s’était greffée une croix. Elle symbolise le soleil en marche et la organisés comme une phalange prête à prendre le manque pas de me faire sourire (dit-il en sortant la à cette manifestation et avait détourné une partie vie universelle. Je ne pensais pas qu’elle serait pouvoir le moment venu. fiche d’inscription d’origine de ce dernier, datée du du cortège vers le siège du Parti communiste. Nous utilisée soixante ans plus tard à Moscou ou bien Comment expliquez-vous le succès de 30 septembre 1958). Quoiqu’il en soit, nous avons n’étions pas armés mais on s’est servis de cou- encore aux États-Unis. Jeune Nation ? eu un rôle important en Algérie, je me rappelle que vercles de poubelles pour se défendre. Le service À votre libération, vous décidez de lancer À l’époque, il y avait les communistes d’un côté et le commissaire Poiblanc m’avait dit : « Il n’y aurait d’ordre du PC présent dans le siège nous jetait des

Jeune Nation. En 1951, il s’agit de l’un des les gaullistes et royalistes de l’autre. Dès le départ, © Archives Pierre Sidos pas eu Jeune Nation, il n’y aurait pas eu d’OAS en plombs sur la tête. Nous sommes alors rentrés

112 numéro 5 — 113 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

Pierre Sidos en 1954 à la tribune « Avec Jeune Nation, de Jeune Nation, premier mou- vement d’extrême droite d’après nous avions fourni guerre. du matériel pour l’attentat du Petit Clamart contre de Gaulle »

armes au FLN. Tous les journaux internationaux nous avons estimé nécessaire de créer un nouveau Nous souhaitions nous emparer de l’École mili- se sont mis à s’intéresser à Jeune Nation. mouvement. En janvier 1959, nous fondons donc taire lors du putsch mais nous avons été écartés Comment était structuré le mouvement ? le Parti nationaliste. au dernier moment par les généraux d’Alger. Notre Il n’y avait aucun permanent, pas de locaux. Le 6 février, nous avons tenu un grand meeting à mouvement était considéré comme trop marqué Chacun avait un travail à côté. C’était un mouve- Paris qui a rassemblé des milliers de personnes. La politiquement. À Alger, des membres de Jeune ment spontané, de nombreux jeunes nous rejoi- réaction du gouvernement gaulliste n’a pas traîné. Nation ont toutefois participé aux opérations mais gnaient. Quelques jours plus tard, le 13 février 1959, Michel sans succès. Comme le disait si bien Maurice Comment le mouvement a-t-il été dissous ? Debré annonce la dissolution du mouvement. Je Barrès, « les militaires sont faits pour commander Ce n’est pas de Gaulle qui avait ordonné la dis- suis alors rentré en semi-clandestinité puis en mais non pour gouverner. » Je me rappelle par solution de Jeune Nation mais le gouvernement totale clandestinité lors du déclenchement à Alger exemple que l’un des conjurés, le colonel Godard, Pflimlin, le 15 mai 1958. Mais tout de suite, on de la semaine des barricades, le 24 janvier 1960. J’y ignorait que dans sa circonscription militaire, il y prend position contre lui. Après la dissolution de suis resté jusqu’au 5 juillet 1962. Je n’ai pas quitté avait des transmetteurs radio. Lors d’une réunion Jeune Nation, j’ai une discussion avec Noël Jac- la France, j’étais surtout à Paris. Des anciens de clandestine, il était venu me voir en stationnant quemart, journaliste, fondateur de L’Écho de Jeune Nation m’hébergeaient. On se préparait à ce sa voiture devant la maison où il avait rendez- la presse et de la publicité. Il me dit : « Créez un qui sera par la suite appelé le putsch des généraux vous. J’ai alors compris que les militaires français journal. » C’est ce que nous avons fait, nous lançons du 21 avril 1961. n’étaient pas faits pour la vie en clandestinité et le journal Jeune Nation le 5 juillet 1958, date d’an- Quels souvenirs gardez-vous de cette vie en que notre putsch était voué à l’échec, ce qui n’a pas à l’intérieur du bâtiment, nous l’avons mis à sac niversaire de la prise d’Alger. Noël Jacquemart clandestinité ? manqué d’arriver. Finalement, je suis arrêté pour et incendié en partie. L’affrontement a été violent. revient me voir inquiet : « C’est bien d’avoir lancé un La clandestinité vous met hors du monde et si vous dénonciation car j’avais été mêlé à l’attentat contre Et un an plus tard, c’est l’ambassade améri- journal mais pas au mois de juillet, vous allez droit ne faites pas attention, vous acquérez la conviction de Gaulle. caine que vous prenez pour cible. au naufrage. » Et pourtant ça a pris. Le journal était que la vie et la mort des autres n’ont pas d’impor- Vous avez participé à l’attentat du Petit- Nous avions appris que les États-Unis fournis- vendu dans les kiosques mais aussi par les mili- tance. Vous perdez la notion de la vie normale et de Clamart contre de Gaulle, le 22 août 1962 ? saient des armes au FLN (Front de libération natio- tants, trop heureux de se manifester. Mon premier la sociabilité. Je l’ai remarqué car il y a des gens qui Oui avec Jeune Nation, nous avions constitué du nale qui se battait pour obtenir l'indépendance de éditorial était sans équivoque : « Notre insatisfaction mettaient des bombes, qui tuaient sans réfléchir matériel, nous étions organisés. De Gaulle était le l'Algérie - NDLR) et jouaient double jeu. On a fait est totale. » Nous rejetions la nouvelle constitution parmi nous. Mais ce fut formateur. Au cours de ma dernier obstacle à l’Algérie française pour nous, placarder des affiches dans tout Paris, à l’époque de la vème République et ce que de Gaulle projetait vie, j’ai totalisé sept années de captivité politique « Morte la bête, morte le venin » en somme. J’ai donc c’était peu coûteux, où on appelait à manifester de faire avec l’Algérie. Nous étions les seuls avec le ou de clandestinité. J’ai eu deux inculpations pour rencontré le colonel Bastien-Thiry, qui a organisé contre l’ambassade américaine. Le 25 novembre Parti communiste à dire non. atteinte à la sûreté de l’État. Une pour reconsti- et dirigé l’attentat, et nous lui avons fourni des 1957, plusieurs milliers de personnes se sont Compte tenu du succès du journal, pourquoi tution de ligue dissoute et l’autre pour activité de armes car les militaires qu’il connaissait refusaient réunies place de la Concorde pour rejoindre l’am- décidez-vous de lancer un nouveau parti ? lutte contre de Gaulle. Je sais ce que veut dire la de participer. Mais finalement l’affaire a capoté. bassade américaine. Les forces de l’ordre se sont En raison de son succès, nous étions victimes de résistance au système. Quelles étaient vos conditions ? interposées, des échauffourées ont éclaté. Je me nombreuses saisies du journal par le gouverne- Quel était l’objectif du putsch des généraux ? J’étais opposé à l’idée qu’on fasse un attentat rappelle qu’il y avait des personnes en sang. Après ment. La loi disait que le gouvernement pouvait en Renverser de Gaulle. Nous souhaitions lancer ce lorsqu’il y avait Madame de Gaulle et j’ai dit que si ce coup de force, on parlait de nous partout parce saisir trois exemplaires mais souvent il saisissait putsch simultanément à Paris et à Alger. Jeune l’on ne respectait pas ces conditions, je ne fourni- que le lendemain le Premier ministre anglais Harold tout le journal chez l’imprimeur. Lorsque le procès Nation avait proposé son aide sur Paris car nous rais pas les armes. J’ai donc récupéré une partie Macmillan était de passage en France. Et son gou- arrivait, vous deviez payer une amende. Privés de avions constitué un stock d’armes et de tenues des armes mais on m’a dénoncé à la police et j’ai

vernement était également accusé de fournir des structures depuis la dissolution de Jeune Nation, © Archives Pierre Sidos militaires camouflées, des reliquats de la guerre. été ramassé. J’ai appris l’attentat en captivité

114 numéro 5 — 115 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« Gérard Longuet, Alain Madelin, Xavier Raufer, Hervé Novelli, Alain Robert sont venus me voir pour créer un mouvement. Ils cherchaient un nom, je leur ai proposé de l’appeler "Occident" »

en même temps que son échec. J’étais en cellule Alain Madelin, Hervé Novelli, Alain Robert et Xavier avec Bastien-Thiry en attente de son procès. Le Raufer (nom de plume de l’essayiste Christian de malheureux ne pensait pas être fusillé. Il m’était Bongrain, qu’il prend quand il devient journaliste à reconnaissant de l’avoir aidé et surtout un autre L’Express – NDLR), sont venus me voir pour créer attentat était prévu à l’École militaire, il espérait un mouvement. Ils cherchaient un nom, je leur ai qu’il puisse aboutir. Mais cet attentat a été déjoué proposé de l’appeler « Occident ». Ils étaient dans avant d’avoir commencé. la ligne de ce qu’avait été Jeune Nation. À leurs Peut-on dire que vous avez participé active- yeux, je représentais une sorte de caution pour ment à cet attentat ? leur action. À l’époque j’avais 40 ans et ils avaient Vous savez, quand on fournit le matériel, c’est déjà beaucoup de respect pour moi, j’étais une sorte de pas mal. Mais une partie des armes a été ramassée mentor politique. et n’a pas pu servir. Les personnes qui ont perpétré Quels souvenirs gardez-vous de cette ren- l’attentat avaient volé une voiture et ils avaient contre avec Gérard Longuet ? mis une plaque d’immatriculation qui correspon- Gérard Longuet était venu me voir en février Gérard Longuet écoute attentivement le discours de son mentor, Pierre Sidos, leader d’Occident (1964). dait à une plaque déjà en circulation. Un enfant a 74 dans mon local de la rue de Richelieu. Il m’a reconnu la plaque d’immatriculation de son père et demandé ma définition du nationalisme, je lui ai ont-ils de vous aujourd’hui ? il m’avait dit : « On continue à poursuivre le combat il lui a dit. Le père, bon citoyen, a suivi la voiture répondu que c’était « une conviction politique réaffir- J’ai une opinion plus sévère vis-à-vis d’eux mais autrement. » Je n’ai pas prêté beaucoup d’at- jusqu’aux Sables d’Olonne, il a prévenu la gendar- mant la prédominance du fait national consacré par (Madelin, Longuet etc.) qu’eux vis-à-vis de moi. Je tention à ses bavassages. merie. Parmi les personnes ramassées, l’un d’entre l’histoire ; avec en plus la ferme volonté exprimée de les ai parrainés au début de leur carrière politique Dans les années 80, la presse faisait état de eux avait le billet de location d’un box dans lequel il maintenir ou de revenir à la plénitude d’une unité mais je ne cautionne pas l’acte de gangstérisme qui bonnes relations entre vous et Jacques Toubon, avait entreposé les armes. Au moins une cinquan- nationale indépendante composée d’un État consti- a eu lieu en Libye, à savoir l’intervention française alors secrétaire général adjoint du RPR. Qu’en taine d’armes variées ont alors été saisies. tué, d’un peuple défini, d’un territoire reconnu. » La pour renverser Mouammar Kadhafi. Je le sais par est-il ? Pourquoi en 1964, Alain Madelin, Gérard définition est un peu académique mais c’est à peu des échos qui me sont parvenus. Longuet a une Oui nous entretenions de bonnes relations car il Longuet et d’autres viennent vous chercher près cela. Il était d’accord. Je me rappelle que lors maison en Provence et il s’est exprimé auprès d’un était maire du xiiième arrondissement mais ça ne pour fonder Occident ? de mes discours, il applaudissait à s’en chauffer ancien professeur d’histoire, M. Jean-Pierre Papa- dépassait pas la relation qu’il pouvait avoir avec Il y avait un grand trouble au sein de la FEN (Fédé- les mains. Il était moins potache que les autres dacci qui est un ancien membre de Jeune Nation l’un de ses administrés (le siège de l’Œuvre est ration des étudiants nationalistes), la branche estu- jeunes qui cherchaient à faire le coup de poing et de l’Œuvre. Il a dit qu’il continuait à avoir une situé au 4 bis rue Caillaux dans le xiiième arron- diantine de JN (Jeune Nation – NDLR) qui n’avait au quartier latin. Contrairement à Alain Madelin certaine estime pour moi. dissement – NDLR). Pour lui, j’étais un électeur pas été dissoute. , ayant été qui était très débraillé, Gérard Longuet avait de la Vous avez conservé des relations avec eux ? influent, il m’appréciait. Il avait d’ailleurs insisté libéré avant moi, avait mis la main dessus et avait tenue, son engagement était réfléchi. Mais j’ai rapi- J’ai eu la tentation de revoir Gérard Longuet pour marier mon fils. Lors de la cérémonie, une changé l’orientation du mouvement qui ne tenait dement écourté l’aventure Occident. Les dirigeants lorsqu’il était ministre de la Défense pour lui dire personne de ma belle-famille avait été étonnée de plus de position nationaliste. Il a défendu une ligne du mouvement ont pris leur distance avec moi car qu’une affectation à Moscou intéresserait mon fils voir à quel point il se montrait urbain à mon égard. américaniste sous prétexte d’anticommunisme et il ils me jugeaient trop pondéré et trop hostile à leur mais je ne l’ai pas fait. Parce que sur le plan poli- Comment vous est venue l’idée de créer avait des positions beaucoup plus racialistes. Il y ligne américaniste. De toute manière, cette activité tique, c’est du donnant donnant et je n’avais pas l’Œuvre française ? a eu une rupture dans le groupement de Venner et purement estudiantine ne me passionnait pas. envie d’être redevable. Dans les années 90, j’ai Dans Le Monde, il y avait un article qui s’intitulait

des jeunes sont venus me trouver. Gérard Longuet, Quelle opinion les Madelin et Longuet son aimable autorisation Seuil, 2005). Charpier (Le Avec © Photographie tirée de Génération Occident Frédéric revu Madelin avant qu’il ne devienne ministre et « La France s’ennuie » au début de l’année 68.

116 numéro 5 — 117 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« Hubert Lambert m’a fait comprendre que Pierrette le pen a eu des familiarités physiques avec lui et je pense que ça a joué dans la décision de faire de Jean-Marie Le Pen son héritier »

Quand on a connu de par mon âge quatre régimes Le Pen disposait d’une fortune que nous ne pos- politiques différents en France et sept pontificats, sédions pas (héritier de la dynastie des ciments on acquiert tout de même une certaine prescience Lambert, Hubert Lambert finance la plupart des des choses. Je savais que le milieu estudiantin mouvements nationalistes dans les années 70. remuait et j’ai donc pensé qu’il fallait créer un Fasciné par Jean-Marie Le Pen, il rédige un tes- mouvement. Je cherchais un nom non réductible tament en sa faveur. Quand il meurt à l’âge de 42 par des initiales et qui ne puisse pas être confondu. ans, Le Pen hérite d’une somme colossale de 30 En prenant un dictionnaire, je me suis rendu millions de francs qui va changer son destin poli- compte que l’Œuvre c’était le résultat de la pensée tique – NDLR). Dans le système politique actuel, et de l’action. D’abord adoptée comme emblème du il faut avoir beaucoup d’argent pour être indépen- mouvement Jeune Nation, la croix celtique a natu- dant. rellement été choisie comme symbole de l’Œuvre On vous présentait comme un héritier française. Aujourd’hui la croix celtique est indis- potentiel d’Hubert Lambert, pourquoi a-t-il sociable de la devise et du but ultime poursuivi préféré Jean-Marie Le Pen à vous ? par l’Œuvre : rendre la France aux Français. Elle Il était un peu faible de caractère et il avait symbolise la souveraineté de la couronne et de la tendance à demander régulièrement à ses amis de croix, l’idée d’enracinement aussi. Elle représente devenir ses héritiers. Il m’avait proposé plusieurs Pierre Sidos posant devant l’étendard tricolore à croix celtique de l'Œuvre française (années 70). la volonté d’un peuple et incarne même le mythe fois un testament, j’avais refusé et il avait même du nationalisme. été jusqu’à demander mon livret de famille à mon mais en plus de cela, je suis réservé et je ne porte auquel il aspirait pour obtenir un financement de Où a eu lieu le lancement ? épouse qui lui avait opposé une fin de non-recevoir. pas de jugements sur les dames. » Hubert sourit sa part. Surtout qu’à l’époque, son entreprise d’édi- Nous avons lancé le mouvement le 6 février 68 en Personnellement, je lui avais plutôt conseillé d’uti- alors et me répond : « Ah vous êtes toujours le même tion phonographique battait de l’aile. (Contacté, référence aux manifestations des ligues d’extrême liser son argent pour créer une fondation politique. Pierre. Moi je vais vous dire, c’est une cocotte. » Jean-Marie Le Pen trouve l’interprétation de Pierre droite du 6 février 1934. Un mois plus tard, nous Jean-Marie Le Pen n’a pas eu la même retenue. Il employait le terme utilisé sous le Second Empire Sidos tout à fait farfelue : « Le pauvre Hubert était avons organisé une réunion à l’aéroclub de France. Il lui a offert un titre ronflant au sein du Front pour qualifier les filles entretenues. Elle allait au en phase terminale de vie. Hubert avait une petite Dans le public, il y avait Mme Doriot, une nièce national et il a accepté l’héritage. cinéma avec lui, Hubert Lambert l’emmenait au amie qu’il voyait une fois par mois mais dans l’état de et Victor Barthélémy (ancien Vous pensez que Jean-Marie Le Pen a restaurant et autre. Il m’a fait comprendre qu’elle physique où il était, il était inapte à des activités numéro deux du FN et cadre du PPF de Jacques manipulé Hubert Lambert pour être légataire de a eu des familiarités physiques avec lui et je pense sexuelles. Il était groggy, K.O. Hubert était membre Doriot – NDLR). Nous nous placions dans la lignée sa fortune ? que ça a joué dans la décision de faire de Jean- du Bureau politique du Front national. Ce n’était du Maréchal Pétain, nous ne reniions rien. Hubert Lambert était un velléitaire fortuné. Il Marie Le Pen son héritier. pas un aréopage de 150 personnes et il écrivait un Vous avez quasiment le même âge que n’avait pas fait son service militaire, il buvait énor- Quelles étaient les relations entre Hubert papier dans le journal du mouvement. Au moment de Jean-Marie Le Pen. Pourquoi l’extrême droite mément. Sa chère mère me disait souvent : « Pierre, Lambert et Jean-Marie Le Pen ? choisir leur héritier, Hubert Lambert et sa mère ont a-t-elle choisi Le Pen et pas Sidos ? je suis content lorsque vous venez, vous êtes le seul Hubert Lambert vivait seul avec sa mère et il ne fait passer un examen à un certain nombre de gens On se situait en opposition radicale au système à ne pas le faire boire. » Il a largement subventionné sortait pas de chez lui. Le fait d’être replié lui faisait sans qu’on le sache. J’ai été choisi alors que je fré- tandis que Jean-Marie Le Pen acceptait le cadre plusieurs mouvements et organes de presse d’ex- perdre le sens des réalités. Il rêvait d’être ministre de quentais beaucoup moins Hubert que Pierre Sidos. » institutionnel. Nous, on ne s’accommode pas du trême droite à l’époque, comme La Nation française l’Intérieur et il le répétait régulièrement. Lorsqu’on – NDLR) système en place, de ce point de vue-là, il y a une de Pierre Boutang par exemple. Un beau jour, il me parlait, il me coupait en disant : « Si j’étais ministre Contrairement à Jean-Marie Le Pen, avez- rupture totale. Nous refusons cette pseudo démo- dit : « Est-ce que vous connaissez Madame Le Pen ? ». de l’Intérieur, je ferais plutôt ça. » Je pense que Le vous déjà été en position de soutenir un gou-

cratie. De plus, avec l’héritage d’Hubert Lambert, Je lui réponds : « Non seulement je ne la connais pas © Archives Pierre Sidos Pen a joué de ce désir de reconnaissance sociale vernement ?

118 numéro 5 — 119 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« Giscard d’Estaing était membre du Conseil des ministres sous de Gaulle et à cette époque, il transmettait des informations à l’OAS. L’intermédiaire c’était Poniatowski »

Non, jamais. Alors qu’une partie de l’extrême catholique, cette rupture l’a beaucoup pénalisée. droite a soutenu en son temps Giscard d’Estaing Quand les prêtres disaient tous la même chose, les en 1974, nous nous y sommes refusés. De toute églises étaient pleines. À partir du moment où il y a manière, dans nos principes on évite d’évoquer des voix divergentes, c’est la débandade. les personnes d’un système, on préfère parler du Quelle a été l’efficacité politique de l’Œuvre système en général. française ? J’ai pourtant appris au cours de mon Je pense qu’elle est très importante. L’Œuvre a enquête que vous avez fréquenté Michel Ponia- maintenu vivante la doctrine du nationalisme et a towski (ministre d’État et de l’Intérieur de défendu, souvent dans la tempête, le terme même Giscard entre 1974 et 1977 – NDLR). Quel était de nationalisme, rejeté par tous à l’exception de l’objectif de ces rencontres ? quelques royalistes. Un temps, le Front national Oui j’ai côtoyé Poniatowski au sein du club des amis fut philosémite et défendit la politique d’Israël, ça du Second Empire. Mon grand-père était corse et n’a jamais été le cas de notre mouvement. Nous donc il y avait une tradition bonapartiste au sein sommes porteurs de l’héritage intellectuel de de ma famille. Quant à Poniatowski, il était le des- Maurice Bardèche (considéré comme le fondateur cendant du maréchal napoléonien du même nom. du négationnisme en France après la Seconde Je me rappelle que j’avais demandé à Poniatowski guerre mondiale, il continue après la guerre à se ce qu’il pensait du fait que Le Pen serre la main réclamer du fascisme – NDLR), Charles Maurras, de Simone Veil. Il m’avait répondu qu’il avait fait Maurice Barrès ou bien Édouard Drumont (créateur le nécessaire pour que cela ne se reproduise plus. de la Ligue nationale antisémitique de France en Pierre Sidos posant dans son bureau. Au mur, une photo de son père François (au centre), fusillé à la Libération et de ses deux Mes relations avec Poniatowski se sont arrêtées à 1889 et auteur de La France juive – NDLR ). Je frères : Jean, à gauche, mort le 16 juin 1940 face aux Allemands, et Henri, à droite, tombé en Algérie le 14 mars 1957. ce club antigaulliste. crois à la stabilité sociale, je suis marié depuis Quelle opinion Poniatowski avait-il de vous ? cinquante-cinq ans et je ne m’en porte pas plus pression doctrinale c’est l’Œuvre française. Le tout tout État a besoin d’une opposition. Ma seconde Il était reconnaissant vis-à-vis de moi parce que mal. Quand des gens prêchent une chose et font le électoral est irréaliste. C’est la partie d’un tout et mesure serait ensuite de détacher notre nation de j’avais lutté pour l’Algérie française. Grâce à lui, j’ai contraire, ils cassent la baraque. À l’Œuvre ce n’est non le tout d’une partie qui permet de lutter contre toutes les servitudes sur le plan international. donc eu entre les mains des notes dactylographiées pas le cas, on écarte discrètement ceux qui ne sont le système. Nous considérons qu’il faut constam- Quel système de gouvernement prônez-vous ? de Giscard. C’est la raison pour laquelle beaucoup pas conformes socialement à l’idée qu’on se fait ment donner la priorité au national sur l’étranger, Le corps social n’est qu’une imitation du corps d’anciens de l’OAS ont fait sa campagne présiden- d’un nationaliste. Nous ne sommes ni du système aux principes sur les princes, aux idées sur les humain et il faut une tête. Je ne crois pas à la tielle en 1974 et ont assuré son service d’ordre. Je ni dans le système. Nous sommes un corps d’élite individus, à la sélection sur l’élection, à la politique monarchie héréditaire. Je suis partisan d’une élite pense notamment à Pierre Sergent. politique tel le mouvement monastique qui a sauvé sur l’économique, au talent sur l’argent et à l’ordre émanant de la nation. Je crois qu’il faut évoluer Est-ce qu’il y a eu une évolution idéolo- l’Europe des invasions barbares. L’Œuvre fran- sur le désordre. vers un système comparable à celui de la papauté. gique de l’Œuvre française en cinquante ans ? çaise doit être et continuer à être ce corps d’élite Quelles seraient vos premières mesures si Un ensemble de dirigeants politiques coopterait Non en ce sens que la nationalité constitue toujours au sein du mouvement national. vous arriviez au pouvoir ? d’autres dirigeants. Un mouvement comme l’Œuvre notre base idéologique fondamentale et que les Quel est votre projet politique ? Si j’arrivais au pouvoir, ma première mesure serait française constitue une élite politique qui serait à évènements vont dans ce sens. Il faudrait être Nous sommes partisans d’une deuxième révolu- de faire en sorte de détruire les lobbies. Je ne cher- même de remplir ce rôle. S’il y avait une transpo- complètement aveugle pour changer de discours tion nationale fondée sur une juste conception cherais pas à dissoudre le CRIF (Conseil représen- sition moderne à faire, ça serait les Frères musul- aujourd’hui. J’ai été assez frappé par les consé- de la nationalité : spirituelle, historique et philo- tatif des institutions juives de France – NDLR) mais mans. C’est-à-dire des gens qui, existant quel que

quences qu’a eues Vatican II au sein de l’Église sophique. L’expression électorale c’est le FN, l’ex- © Archives Pierre Sidos à informer les gens sur leurs activités. Après tout, soit le gouvernement, subsistant quelles que

120 numéro 5 — 121 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« Pour moi, Hitler est le Napoléon allemand et Mussolini, le dernier des Césars »

soient les époques, profiteraient des situations. Un peuple élu. Je dis qu’il y a eu ballottage. Le premier homme qui fait de la politique ne doit pas consi- round a été gagné par les Allemands vis-à-vis des dérer sa propre vie. Le nationalisme est un subs- juifs. Aujourd’hui les juifs ont gagné le second. Le titut à la défaillance du système monarchique et à mythe de la Shoah et le tabou de l’Holocauste font la carence des systèmes démocratiques. Pour moi qu’on ne peut plus parler d’Israël calmement. l’avenir, c’est le nationalisme. En 1957, L’Humanité vous a décerné Existe-t-il des régimes politiques actuels la palme de « l’hystérie fasciste » et dans vos qui obtiennent votre assentiment ? propos, vous semblez parfaitement assumer le La Russie et la Chine constituent aujourd’hui les fait d’être antisémite ? pays avec lesquels je m’entendrais. Chavez (l'entre- Qui ne l’est pas de nos jours ? Je ne le suis ni tien a eu lieu avant le décès du président vénézué- plus ni moins que Saint Louis. Saint Louis avait lien – NDLR), Poutine ou le ministre-président de une hostilité religieuse mais lorsqu’une personne Hongrie Viktor Orbán constituent des références juive se convertissait, il en était le parrain. C’est parce qu’ils résistent à l’impérialisme anglo-saxon. ma position, elle n’est pas raciale. Si je venais Y en a-t-il un dans l’histoire de l’humanité au pouvoir, il n’y aurait pas de politique spéci- qui y correspond le mieux ? fique vis-à-vis des juifs. Je suis hostile à la double Pour moi, Hitler est le Napoléon allemand et Musso- nationalité et hostile aux personnes qui font allé- lini, le dernier des Césars. Mais la doctrine raciste geance aux États-Unis ou à l’État d’Israël. C’est exprimée dans Mein Kampf n’est pas à la conve- une position nationaliste, ni plus, ni moins. nance d’un Français. Il exprimait des sentiments Croyez-vous vraiment qu’il y a des hommes anti-Français qui sont condamnables. Nous insis- supérieurs et des hommes inférieurs ? tons sur l’histoire passée car nous considérons Je refuse de croire que deux pieds sont supé- qu’un accord sur le passé commande toute vue sur rieurs à une tête parce qu’à ce compte-là, les l’avenir. Comment avoir ensemble de saines réac- cinq doigts de pied seraient supérieurs au pied. tions devant des évènements surprenants si l’on Je pense qu’une tête est supérieure à deux pieds ne possède pas en mémoire les mêmes références ? et que chaque être est unique. Je me refuse de Quelle est votre position concernant la croire qu’un homme en vaut un autre. Je crois à politique d’extermination des juifs ? la supériorité de notre civilisation gréco-latine sur En Égypte, Bonaparte a fusillé des prisonniers et lors les autres. de la retraite en Russie, il a ordonné la destruction Vous défendez donc des thèses supré- des villages. Ces hommes extraordinaires dans macistes. Quel était l’objectif des différents l’histoire sont parfois amenés à commettre ce voyages que vous avez pu faire ? Défendre genre de choses mais il n’y a rien de spécifique. cette doctrine à l’international ? N’oublions pas que les communautés juives aux J’ai rencontré plusieurs hauts personnages inter- États-Unis avaient déclaré la guerre économique nationaux au cours de ma vie. Je pensais faire en 1938. Hitler a sans doute eu une volonté une chose utile car j’ai rencontré des personnes d’élimination de l’influence juive mais il n’y a pas résolues sur le plan politique dans la lutte contre eu d’extermination sinon ils ne seraient pas aussi le communisme ou l’État d’Israël. Le 22 octobre nombreux et influents partout. En Allemagne, la 1972, par exemple, j’ai rencontré le général Perón

© Patrice Normand/Temps Machine pour Charles © Patrice Normand/Temps théorie de la race élue s’est heurtée à la théorie du à Madrid avant son retour triomphal à Buenos

122 numéro 5 — 123 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« J'ai rencontré le roi Fayçal d'Arabie en 1971 dans son palais de Ryad. L'entretien devait durer un quart d'heure, il a duré plus d'une heure »

Aires grâce à des amis présents en Espagne. Nous yeux brillaient. L’ambassadeur de France n’était avions eu une entrevue personnelle au cours de pas tenu au courant de notre rencontre. J’étais laquelle il m’avait dit : « Vous avez contre vous les d’ailleurs passé par l’Allemagne avant de m’envoler mêmes adversaires qui ont provoqué mon départ pour l’Arabie saoudite. d’Argentine : le grand capitalisme yankee, les diri- Avait-il souscrit un abonnement à la revue geants marxistes et l’internationale sioniste. » Il de votre mouvement intitulée Le Soleil ? m’avait dédicacé des livres et des photos. Perón Oui, le roi Faycal recevait Le Soleil comme d’ailleurs m’avait également demandé : « Quelle est la capitale d’autres partisans amis en Belgique, au Portugal, de la subversion dans le monde ? ». Il a lui-même en Italie ou bien encore au Canada avec les indé- répondu : « C’est Paris depuis 1789. » Dans la même pendantistes québécois. ville, j’ai également très bien connu le colonel SS L’un de vos anciens militants m’a dit que . Nous avions un projet pour consti- le financement de votre mouvement passait par tuer un siège de l’Œuvre française à Madrid mais cette revue. ça ne s’est pas fait. Je me rappelle qu’il m’avait dit : C’est faux. Je me suis appliqué à ne jamais recevoir « Si les braves ne luttaient plus, ce serait les lâches d’aide de l’étranger car je considère que lorsque qui gagneraient. » l’on accepte ce genre d’offrandes, on hypothèque Vous avez également rencontré le roi Fayçal son avenir. En tant que nationaliste, je me suis d’Arabie saoudite, quels souvenirs en gardez- fait un point d’honneur de ne jamais dépendre de vous ? l’étranger. Un militant de l’Œuvre française avait sympathisé Le même militant m’a dit que vous aviez avec l’ambassadeur d’Arabie Saoudite en France. rencontré Salazar. Je l’ai rencontré à plusieurs reprises et il m’a un Oui je l’ai rencontré au Portugal dans les années 60, jour demandé de rapporter à sa majesté « l’état de c’était un entretien court. Il était très au courant la situation en France et en Israël ». J’ai accepté. de ce qui se passait en France grâce à Jacques J’ai rencontré le roi Fayçal d’Arabie le 28 avril 1971 Ploncard d’Assac. On a échangé des banalités. dans son palais de Ryad. L’entretien devait durer J’ai également rencontré Marcello Caetano qui l’a un quart d’heure, il a duré une heure et quelques. remplacé. Sans donner de détails, je pourrais vous Il renvoyait les gens d’un geste lorsqu’ils rentraient dire que j’ai également rencontré plusieurs hauts dans la pièce. J’avais fait ce voyage avec mon frère personnages internationaux en Afrique du Nord. François qui parlait l’anglais et qui servait d’in- Quelles relations avez-vous entretenues terprète. Le roi cherchait à contrebalancer l’in- avec le Service d’action civique (SAC) ? fluence américaine et il m’a dit que la France avait J’ai rencontré plusieurs fois Pierre Debizet après un rôle important à jouer car elle était la porte de ma sortie de captivité. C’était un ancien résis- l’Europe. Il m’avait déclaré : « Je n’ignore pas que tant. Il est revenu en France à la demande de M. vous êtes un Français courageux, qui dénoncez la Pompidou pour faire le ménage dans le SAC. Je conspiration sioniste internationale et qui comme l’ai connu par l’intermédiaire de Michel Winter, un moi, avez découvert dans le sionisme et le commu- membre de l’Œuvre. Brochure de l'Œuvre française racontant la vie de son fondateur, intitulée nisme, les deux faces d’une même médaille. » Je me J’ai vu M. Debizet assez régulièrement dans un « Un homme politique français, hostile au marxisme, opposé à l'idéologie rappelle son visage au moment où il m’a dit que bistrot près de l’ancien siège du SAC, rue de Lenin-

sioniste, épris d'équité sociale, strictement nationaliste. » © Archives Pierre Sidos son but dans la vie était de prier à Jérusalem. Ses grad. Le bistrot en question était tenu par un

124 numéro 5 — 125 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

« L’action politique de l’OEuvre française passe par l’entrisme et l’infiltration stratégique de la police et de l'armée »

membre de l’Œuvre et il s’y rendait quand je devais En 1975, une bombe avait fait exploser les locaux le rencontrer. Parfois, je me rendais directement à de l’Œuvre. Elle avait été mise dans le couloir. son bureau. Lorsqu’elle a explosé, je tenais un papier à la main. À qui servaient ces discussions ? La déflagration a emporté la porte blindée qui a été (Silence gêné) Nous discutions de choses et projetée contre le mur d’en face. Elle est passée d’autres. Nous nous rencontrions assez régulière- à quelques centimètres de moi. J’en garde des ment au début des années 80 lorsque les socia- séquelles auditives. listes ont accédé au pouvoir. M. Debizet déplo- Comment recrutiez-vous vos membres ? rait que le pouvoir soit aux mains des socialistes. Nous recrutions beaucoup de monde au sein des C’était quelqu’un qui était extrêmement déçu de ce préparations militaires. Elles leur permettaient qu’il avait pu faire ou ne pas faire durant sa vie. d’avoir un grade à leur entrée dans l’armée. La Est-ce que vous lui avez rendu des services ? suppression du service militaire par Chirac nous Debizet voyait d’un très mauvais œil Chaban-Del- a beaucoup desservis car c’était une pépinière mas et nous lui avions rendu un service. Grâce à pour l’Œuvre. Il y avait des adhésions quasi auto- une secrétaire que nous connaissions, nous avions matiques. Les jeunes adhéraient par ambiance. À récupéré une cassette audio où Chaban tenait des l’époque on incitait ceux qui avaient des disposi- discours très gauchisants. Michel Winter la lui tions à rester dans l’armée, ce qu’ils faisaient par avait remise. Cette cassette était compromettante ailleurs. car Chaban-Delmas s’écartait de la ligne gaulliste Des membres de l’Œuvre ont-ils eu des notamment en matière de politique étrangère. postes à responsabilités au sein de l’armée ? Après m’avoir remercié, Debizet a pris la cassette Mon fils Philippe Sidos est aujourd’hui à l’état- mais je ne sais pas l’utilisation qu’il a pu en faire. major de l’OTAN et il y a de nombreux membres de Pierre Debizet vous a-t-il rendu la pareille ? l’Œuvre qui sont dans cette situation. Des militants de l’Œuvre française se recueillent sur la tombe du maréchal Pétain sur l'Île-d'Yeu en 2011. Non mais lorsque je me suis présenté à l’élection Et au sein de la police ? présidentielle en 1969, j’avais recueilli 112 signa- Oui c’est même sorti dans la presse. Frédéric tures, et le Conseil constitutionnel en avait invalidé Jamet appartenait à l’Œuvre et occupait un poste syndicat FN Police et il s’est fait épingler. (Parti nationaliste français et européen, groupus- 15. Du coup, ma candidature avait été invali- au sein des Renseignements généraux. Il avait un Vous avez fait de l’entrisme dans certains cule néonazi – NDLR). dée. et Jacques Ploncard d’Assac poste secondaire, il corrigeait les rapports sur le syndicats de police ? La police a-t-elle essayé de vous infiltrer ? m’avaient convaincu de me présenter pour présen- plan français (correction, mise en forme). Plutôt Non, ce n’était pas de l’entrisme. à une époque, Oui à plusieurs reprises. En 1981, un homme avait ter une ligne nationaliste. Quand j’ai rappelé cet que de mettre les documents dans le broyeur, il nous avions la moitié du bureau exécutif de la FPIP adhéré à l’Œuvre. Il nous avait rejoints lors d’un camp épisode à Debizet, il m’a répondu : « Vous m’auriez nous les fournissait. Durant une dizaine d’années, (Fédération professionnelle indépendante de la d’entraînement militaire du mouvement. Il nous avait demandé de vous aider à l’époque, j’aurais arrangé j’ai donc pu lire toutes les informations des RG police, syndicat classé à l’extrême droite – NDLR). un peu étonnés car il avait acheté un imperméable la chose. J’aurais pu disposer d’autant de signa- concernant les mouvements dits de droite dans On ne s’en cachait pas, les fonctionnaires de police kaki pour l’occasion. Le lendemain de cette prépara- tures de maires que je l’aurais souhaité. » les années 2000. Un membre de l’Œuvre française qui appartenaient à l’Œuvre se rendaient au local tion, un militant qui travaillait à la chambre syndi- Quel intérêt Debizet aurait-il eu à vous est un informateur en puissance. L’action poli- en uniforme. L’objectif avec Jean-Luc Carle qui cale de l’automobile le croise. Il se trouve que cette soutenir ? tique de l’Œuvre française passe par l’entrisme et était vice-président, c’était de renforcer ce syndicat chambre syndicale était située sur le même palier Il était partisan de l’Algérie française et de ce fait, l’infiltration stratégique de certaines administra- et d’obtenir des renseignements au sein de la que celui des Renseignements généraux. Surpris, il me considérait comme un camarade de combat. tions. Les notes des RG étaient incluses dans les police. Ça n’a pas réussi parce que Jean-Luc Carle l’indic’ lui a répondu : « Non mais je vais t’expliquer ». Nous étions proches politiquement. propres fiches que nous constituions. On corrigeait est parti en province, il est décédé aujourd’hui. Le militant a rétorqué : « Ce n’est pas la peine ». Nous

Avez-vous subi des violences ? les erreurs. Par la suite Fréderic Jamet a créé le © Archives Pierre Sidos Beaucoup de gens ont adhéré au PNFE ensuite ne l’avons jamais plus revu depuis.

126 numéro 5 — 127 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

On dit que vous avez constitué plusieurs nelle, chacun est estimé en fonction de son action « De nombreux militants de l’Œuvre centaines de milliers de fiches sur la classe poli- ou de sa valeur. Un militant de l’Œuvre française tique française. À quoi vous servent-elles ? doit participer aux activités du mouvement, aux appartiennent encore au FN, Oui, ce sont des fiches manuscrites cartonnées qui sorties en plein air, aux pèlerinages de l’église. Il n’en déplaise à » comportent les noms, prénoms et adresses succes- faut coller des affiches, distribuer des tracts. Il sives. Quand on a réussi à avoir des gens dans la faut pratiquer l’amitié en se réunissant souvent. Sécurité sociale, la police ou l’armée, c’est facile Il faut garder ou acquérir une bonne condition d’obtenir ces informations. Ensuite il y a des abré- physique. On s’appelle tous « amis » et on réserve viations. Par exemple, nous avons une prévention le terme de « camarades » aux nationalistes exté- Vous avez très peu de revenus, comment flanqué une lettre pour lui indiquer qu’il n’y avait vis-à-vis des gens aux mœurs particulières. Ça les rieurs au mouvement. On interdit de chanter « La financez-vous votre local depuis toutes ces aucune raison et que, s’il prenait cette décision, je regarde, mais seulement, politiquement, ça a de Marseillaise », chant symbole du système à abattre, années ? ferais appel devant le Conseil d’État et que, si ça l’importance, ça constitue un lobby. Les initiales on préfère « Nous voulons rester Français », chant Le loyer nous coûte moins de 1 000 euros par mois ne marche pas, j’irais à Strasbourg puis à l’ONU. pour les homosexuels c’est Déserteur du Chemin principal de l’Œuvre. Il est également interdit de et nous le payons grâce aux dons de nos adhé- (Contacté, Dominique de Villepin a refusé d’expli- des Dames (DCD), ça se disait dans l’entre-deux- tenir une de silence qui est une habitude rents. On fait de la récupération. À l’Œuvre, tout quer les raisons pour lesquelles le mouvement n’a guerres. Pour les journalistes sont indiqués les de la Franc-Maçonnerie. Nous considérons enfin marche à l’économie. pas été dissous – NDLR.) différents pseudos. Jamais on ne communique ces que la conduite de l’action civique est assimilable à Que faut-il lire quand on est militant de En 1993, la LICRA avait demandé la dis- fiches. la fonction militaire ainsi qu’à la fonction sacerdo- l’Œuvre ? solution de votre mouvement à la suite de la À quoi vous servent ces fiches ? tale. Dès lors, les femmes ne peuvent pas y prendre C’est le mouvement qui incite le plus à la lecture. tentative d’attentat sur Patrick Gaubert (alors Le fichier de l’Œuvre française nous sert à nous part. Il y a quelques livres de doctrine nationaliste membre du cabinet de Charles Pasqua, chargé renseigner sur les milieux nationalistes. Pour éviter Comment est structuré votre mouvement ? à lire quand on est militant : l’œuvre de Henry de la coordination de la lutte contre le racisme, les risques d’infiltration, pour éviter ceux qui ont J’ai été marqué par la guerre d’Indochine où les Coston, de Maurice Bardèche, les textes de Robert l’antisémitisme et la xénophobie – NDLR). Avez- été condamnés pour trafic de drogue. Savoir qui Vietminh ne portaient pas les marques de leurs Brasillach ou de Georges Bernanos. On les incite vous commandité cette action ? est qui dans les milieux nationaux, c’est important. grades. Nous avons capturé un général vietminh à également à se tenir au courant de l’actualité géné- Non, c’est une initiative personnelle de deux On se sert des fiches en permanence. Par exemple Diên Biên Phu, on ne l’a su que lorsqu’on a capitulé. raliste et nationaliste. membres de l’Œuvre française, Patrick Nouhaud à l’heure actuelle, le groupe de M. Escada De la même manière, le principe de l’Œuvre, c’est Est-ce qu’il y a un style vestimentaire par- et Thierry Verasani. Après cette affaire, nous avons est attaqué par des éléments de perturbation. qu’il n’y a pas d’organigramme ou de titres ron- ticulier à adopter ? décidé de les écarter. Ces fiches permettent de déterminer l’origine des flants. Aujourd’hui tout le monde est président, Lors des cérémonies, le militant doit porter cravate Lorsque la LICRA a demandé notre dissolution, personnes qui cherchent à leur nuire. Parmi nos c’est même devenu une marque de camembert. On rouge, chemise blanche et blazer bleu. Il ne doit j’ai pris le micro à et j’ai indiqué fiches, il y a beaucoup de journalistes recensés. sait que des gens appartiennent à l’Œuvre mais pas avoir de jean troué, de boucles d’oreilles. Il que la famille Gaubert ferait mieux de se taire en Ce qui est intéressant ce sont leurs relations. Nos on ne sait pas quelles sont leurs responsabilités. peut avoir des cheveux courts mais pas rasés. évoquant quelques informations que je connais- fiches sont bien cachées, personne ne sait oùça C’est une déformation de l’époque clandestine mais L’insigne de l’Œuvre se porte sur le revers gauche sais sur leur patrimoine immobilier. Ça a suffi à se trouve. C’est comme un trésor de guerre pour ça habitue aussi les gens à l’humilité. L’autre jour, du vêtement à l’exclusion de tout autre emblème les dissuader. (Contacté, Patrick Gaubert explique nous. La fiche de Jean-Marie Le Pen est tellement je voyais une correspondance interne du Front ou épinglette. L’insigne, tout comme la carte que les militants de l’Œuvre française en question longue que c’est un roman… national. La personne faisait suivre sa signature de membre du mouvement, s’obtient après une étaient très bien préparés : « Chez eux, en plus d’un Avez-vous une fiche sur moi ? de 80 titres, pour un peu il y avait son numéro période probatoire. Il ne se prête pas, il ne se perd important stock d’armes à feux, les policiers ont (Sourire gêné) Oui, banalement, rien que pour vous d’abonné au gaz, électricité, etc. Je n’arrive pas à pas. Lors d’une démission du mouvement, l’ancien trouvé des photos de ma maison à Deauville et mes joindre ça présente des avantages mais nous ne comprendre sur le plan de la méthode le fait que adhérent est tenu de le restituer. Tout membre de heures de sortie et d’arrivée à mon travail et chez mettons aucun renseignement touchant à la vie Marine Le Pen puisse révéler le nom de hauts fonc- l’Œuvre se doit d’avoir en permanence une tenue moi. Ils avaient promis d’intenter à la vie de mon privée des journalistes. Nous ne faisons des fiches tionnaires qui sont en mesure de l’aider. L’Œuvre vestimentaire irréprochable. fils et durant des années nous avons vécu avec la que dans un intérêt politique. est un mouvement d’idées. Les gens souvent ne Votre mouvement a été plusieurs fois crainte d’un attentat » – NDLR). Être militant à l’Œuvre française, ça con- sont pas militants, ils adhérent parce c’est leurs menacé de dissolution. Comment expliquez- Vous affirmez que c’est une initiative indi- siste en quoi ? idées. Au sein de la police et de l’armée, nous vous qu’il ne l’ait jamais été effectivement ? viduelle mais durant des mois, vous vous êtes Les obligations d’un membre sont permanentes. avions des soutiens mais nous ne souhaitions pas Lorsque Villepin était ministre de l’Intérieur, il avait déchaîné dans votre revue Le Soleil contre Quiconque adhère ne doit compter ou se préva- les compromettre inutilement. envisagé de supprimer six ou sept mouvements Patrick Gaubert que vous renommiez « Patrick loir d’aucune prérogative sociale ou profession- dont l’Œuvre française. Je lui ai immédiatement Gaubert-Goldenberg ».

128 numéro 5 — 129 Charles sOUS LA REPUBLIQUE Pierre Sidos

C’est son vrai nom. Il cherchait à dissoudre notre Après , de nombreux autres mouvement, c’était la réponse du berger à la membres de l’Œuvre ont été exclus du Front bergère. Mais c’était une controverse médiatique, national (Laura Lussaud et Alexandre Gabriac à aucun moment j’ai donné l’ordre qu’on s’attaque notamment). Avez-vous encore des troupes au à lui. C’est grandguignolesque ce qui s’est passé. sein du FN ? Que pèse l’Œuvre française au sein de l’ex- Oui et nous sommes sans doute plus informés sur trême droite française aujourd’hui ? ce qui se passe au Front national que Le Pen lui- Nous avons un poids important puisque des même. De nombreux militants de l’Œuvre appar- militants de l’Œuvre sont à la tête des journaux tiennent encore au FN, n’en déplaise à Marine Le Rivarol et Militant. Souvent lorsque je lis un texte Pen. dans Rivarol, un hebdomadaire qui a quand même Pourquoi n’écrivez-vous pas vos mémoires soixante ans d’existence, je me dis « Qui a écrit ça ? pour raconter votre vie politique ? On dirait que c’est moi. » Sans intervenir directe- Il s’agit de ne pas brûler ses vaisseaux, je laisserai ment sur ces publications, je me reconnais tota- ça à d’autres. Si on révèle trop tôt certaines choses, lement dedans. Notre impact est métapolitique et on ne vous confie plus rien. Je ne vois pas l’inté- ce qui est écrit demeure. En plus de cela, nous rêt de faire des confidences. Maintenant que je ne continuons à avoir une influence dans le dévelop- suis plus président de l’Œuvre française (depuis pement de la pensée révisionniste avec l’écrivain un an, Yvan Benedetti a remplacé Pierre Sidos à la Hervé Ryssen qui a écrit de nombreux ouvrages qui tête du mouvement – NDLR), j’ai parlé davantage ont renouvelé le genre. Enfin, avec les Jeunesses mais je n’irai pas plus loin car cela pourrait avoir nationalistes, nous développons une forme d’acti- de grandes répercussions politiques. Lorsque des visme de rue et nous multiplions les actions coup gens demandaient au Maréchal Pétain pourquoi de poing. il n’écrivait pas ses mémoires, il répondait qu’il En 2010, vous aviez pris parti pour Bruno n’avait rien à cacher et qu’il ne craignait pas le Gollnisch concernant la succession de Jean- jugement de l’histoire. Je pense la même chose que Marie Le Pen et Marine Le Pen s’en est servi lui. Je vous en ai assez dit. pour le discréditer. N’avez-vous pas été un soutien un peu trop embarrassant pour lui ? Sans les militants de l’Œuvre française, aurait été bien en peine de mener sa campagne. Nous pilotions ses publications et toute l’organisation logistique (réunions et dépla- cements). Son directeur de campagne, Yvan Benedetti, n’a jamais caché qu’il était membre de l’Œuvre française (Yvan Benedetti a été exclu pour À paraître : deux ans du FN par Marine Le Pen en juillet 2011, Dominique Albertini, David Doucet pour des propos où il s’était déclaré « antisémite » Histoire intérieure du Front national Cet objet en bois de chêne posé sur le bureau de Pierre Sidos est une «triade». Cet assemblage

– NDLR). septembre 2013, Éditions Tallandier Machine pour Charles © Patrice Normand/Temps de trois croix celtiques de forme sphérique est censé représenter «la croix celtique absolue».

130 numéro 5 — 131 Charles