Thiers Et Le Baron Cotta. Étude Sur La Collaboration De Thiers À La Gazette
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ROBERT MARQUANT . THIERS ET LE BARON COTTA TRAVAUX ET MÉMOIRES DES INSTITUTS FRANÇAIS EN ALLEMAGNE 7 - ROBERT MARQUANT THIERS ET LE BARON COTTA ÉTUDE SUR LA COLLABORATION DE THIERS A LA GAZETTE D'AUGSBOURG 1959 PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE . PARIS 108, BOULEVARD SAINT-GERMAIN INTRODUCTION Les relations entre Thiers et Cotta sont demeurées peu connues jusqu'à présent. Elles ont toujours gardé aux yeux des contempo- rains un caractère secret et ce silence devait persister longtemps encore après la mort de Thiers, grâce aux précautions prises de leur vivant par les intéressés. Il devenait gênant, au surplus, de rappeler dans les ouvrages écrits après la guerre de 1870-71 en l'honneur du «Libérateur du Territoire», que c'était à un Allemand qu'il devait, pour une bonne part, la notoriété et les premiers succès acquis sous la Restauration, au temps de sa jeunesse. Ces rapports qui durèrent presque dix ans, de novembre 1823 à la mort de Cotta en 1832, eurent deux aspects. Thiers accepta, en effet, de servir d'homme de paille à l'éditeur allemand pour cer- taines affaires de presse menées en France, tandis que par ailleurs il fournissait régulièrement à la Gazelle d'Augsbourg une correspon- dance parisienne. Le secret semble avoir été plus soigneusement gardé dans ce dernier domaine que dans le premier. La collaboration à la Gazelle d'Augsbourg et la correspondance adressée par Thiers à Cotta, qui en est la base, sont demeurées réellement inconnues jusqu'à une date récente. Le premier travail qui signale cette chronique est celui de Schâffle sur Cotta 1 en 1895, puis vient l'étude de Heyck sur la Gazelle d'Augsbourg 2, parue en 1898. Henri Malo y consacre en 1932 une seule ligne dans son travail sur Thiers 3. Récemment, Frédéric Hirth, éditeur des lettres de Heine et dont l'érudition se trouve rarement en défaut, donne en 1949 et 1951 quelques détails sur cette correspondance, puisés aux sources mêmes, dans les archives Cotta 4. Il s'agissait pour lui d'ailleurs de trouver une sorte de 1) Schaffie, Colla, p. 187-195. 2) Heyck, Die Allgemeine Zeitung, p. 190-191. Heyck trouve la résonance (Nach- klang) des rapports entre Cotta et Thiers fâcheuse. Elle ne serait honorable que par la confiance témoignée par Cotta envers Thiers (?). 3) H. Malo, Thiers, p. 61. 4) Heinrich Heine, Briefe, IV, p. 233-334 et Heinrich Heine und seine franzôsi- schen Freunde, p. 171-172 et p. 181-184. Hirth avait cru que Ph. Albert Stapfer, dès le mois de février 1830, avait révélé caution morale à son poète et de prouver que Heine pouvait bien émarger aux fonds spéciaux du gouvernement français, puisque le ministre qui lui versait ces mensualités avait, jeune journaliste, perçu d'un éditeur allemand de l'argent pour lui fournir des ar- ticles et gérer ses intérêts en France. Sans doute Gentz, l'âme damnée de Metternich, dans une lettre du 18 décembre 1831 adressée à Pilat (et publiée en 1840), avait-il noté que Thiers, alors attaqué par la Gazelle d'Augsboul'g, avait été autrefois ami et correspondant de Cotta, mais personne n'avait fait attention à cette incidente, perdue dans un recueil de lettres peu consulté 1. Seules les publications du marquis de Montmorillon ont donné quelques textes extraits de la correspondance de Thiers avec Cotta. Il ne s'agit pas de la rédaction originale, mais de brefs résumés effectués vraisemblablement par la poste qui ouvrait les lettres adressées à Stuttgart. En effet, le marquis de Montmorillon a utilisé des documents en possession de la famille de Vaulchier dont un membre se trouvait, d'août 1824 à novembre 1828, directeur général des Postes, et comme tel, chargé du Cabinet noir. Ce sont ces extraits qui ont été publiés, et seulement pour la période qui s'étend de septembre 1824 à août 1826 2. L'aspect financier des rapports entre les deux hommes a été moins caché, mais n'a fait cependant jusqu'à ces derniers temps, que l'objet de mentions erronées ou vagues. Thiers, qui fut victime, particulièrement sous la monarchie de juillet, d'une foule de pam- phlets, de brochures injurieuses, d'allusions blessantes où l'origine de sa fortune, son mariage, sa famille, sa moralité, faisaient la joie des échotiers de l'époque, de petit ou de grand talent, n'a presque jamais été attaqué pour ses rapports avec Cotta 3. Le premier à avoir parlé des fonds que Cotta mit à la disposition de Thiers pour acheter l'action de Constitutionnel est Lœve-Veimars. Ce redoutable polé- miste, juif d'origine allemande, traducteur de Heine et d'Hoffmann, chroniqueur de nombreux journaux parisiens, poursuivait Thiers d'une haine particulière 4. Dans un article de la Revue des Deux à Usteri le secret de cette correspondance. Mais, en réalité, Stapfer communique a Usteri les noms des différents journalistes du National et les abréviations dont ils signaient leurs articles. Briefwechsel, tome II, p. 375-76. Il ajoutait simplement: « Thiers ist Cotta's besonderer Freund : dieser interessiert sich tatig für den National. » 1) Friedrich von Gentz, Schriften, V, p. 207-210. 2) Voir les différents articles du marquis de Montmorillon dans la mmiograpnie. Les plus utiles sont ceux qui ont paru dans la Revue politique et littéraire, Revue Bleue de 1919 et où sont sans doute publiés la plupart des textes existant aux archives du Deschaux. Nous n'avons pu malheureusement avoir accès à ces documents qui au- raient peut-être apporté d'importants compléments à notre étude. 3) Deux hommes, qui ont été journalistes et en relations très suivies avec Thiers pendant sa jeunesse, n'ont fait dans leurs souvenirs aucune allusion à ces rapports avec Cotta, qu'il s'agisse d'un ami comme Chambolle, ou d'un ennemi comme le doc- teur Véron. 4) H. Malo, Thiers, p. 165-66 et Monchoux, L'Allemagne devant les lettres françaises, p. 156 et suiv. Le gouvernement français qui ouvrait les correspondances devait être mondes de 1835, Lœve-Veimars brosse un tableau peu bienveillant de l'homme d'État et fait allusion aux relations de Thiers et Cotta, précise avec assez d'exactitude les rôles respectifs de Thiers, Cau- chois-Lemaire et Laflite dans ces tractations financières, mais sans insister particulièrement sur cette question et sans trouver qu'il y ait là matière à blâmer. Il reproche seulement à Thiers son in- gratitude envers Schubart, un libraire allemand qui résidait à Paris. Schubart avait aidé ses débuts, l'avait mis en rapport avec Cotta, mais plus tard, ruiné et abandonné de tous, il ne fut nullement aidé par celui dont il avait favorisé la fortune 1. Les Nouvelles à la main de Roqueplan, les Guêpes d'Alphonse Karr fourmillent d'allusions malveillantes envers Thiers. On chercherait en vain mention des rapports financiers entre l'éditeur allemand et le jeune journaliste. Le fait est d'autant plus frappant que c'est vers 1840 que parurent ces publications, c'est-à-dire au moment de la crise où Thiers pratiqua une politique extérieure si téméraire et si maladroite. Celle-ci avait déclenché notamment une violente campagne de presse nationaliste en Allemagne et il aurait été piquant, pour ses adversaires, de lui rappeler ses débuts 2. En 1846, Laya, dans ses Etudes historiques sur Thiers, fait une rapide allusion à un « ami » qui l'aida à acquérir une action du Constitutionnel 3. Cette formule est reprise avec de légères variantes dans l'ouvrage de Franck en 1877 4 et l' Histoire complète de A7. A. Thiers parue en 1878 5. Louis de Loménie, dans sa Galerie des Contemporains illustres, cite le nom de Cotta, en indiquant seulement que celui-ci, enthou- siasmé par le talent de Thiers, lui fit « cadeau » d'une action du Constitutionnel, aflirmation reprise en 1858 par II. Castille 6. La Nouvelle biographie générale de Firmin-Didot fait un pas en avant et déclare que Cotta « fit consentir » Thiers à accepter le partage de tout ce qui dépassait un revenu de 15000 fr. Les livres de Martin, Spuller et Zévort 7 consacrés à Thiers, à la fin du xixe siècle, men- tionnent brièvement l'achat de l'action du Constitutionnel par au courant de ces faits. De toute façon, le ministre de France à Stuttgart lui fit savoir en 1829, avec quelque exagération, que Cotta, à ce qu'on assurait, était propriétaire « d'une grande partie des actions du Constitutionnel de France )J. Affaires étrangères correspondance politique, Wurtemberg, vol 57, fol. 65, dépêche du 17 juillet 1829. 1) Lettres sur les Hommes d'Etat de la France. L'article est anonyme et se donne comme extrait du West End Beview; mais il est dû à Lœve-Veimars, p. 660-661. 2) Les Nouvelles à la main de N. Roqueplan ont commencé à paraître le 20 décembre 1840. Les Guêpes d'Alphonse Karr avaient débuté en novembre 1839. 3) Laya, Etudes historiques sur M. Thiers, I, p. 23. 4) Franck, Vie de M. Thiers, p. 21. en aide5) L'éditeur à Thiers. de l'Histoire complète, parle (p. 10) d'un « protecteur éclairé » qui vint 6) L. de Loménie, Galerie des contemporains illustres. II. Castille, Portraits historiques, M. Thiers. 7) Martin, Histoire complète de A. Thiers, p. 25. Zévort, Thiers, p. 32, SpülIer, Monsieur Thiers, p. 1175-76. Thiers avec les fonds du libraire allemand et indiquent, avec de nombreuses inexactitudes, les gains obtenus. C'est dans le livre d'Henri Malo qu'on trouve pour la première fois une étude un peu précise de cette affaire, l'historien utilisant partiellement des lettres échangées entre Thiers et Cotta à ce sujet, documents que la Bibliothèque Thiers avait pu acheter en 1919 1.