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Études balkaniques Cahiers Pierre Belon

11 | 2004 Le sport dans le Sud-Est européen

Roland Étienne (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/etudesbalkaniques/61 ISSN : 2102-5525

Éditeur Association Pierre Belon

Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 2004 ISBN : 2-910860-11-6 ISSN : 1260-2116

Référence électronique Roland Étienne (dir.), Études balkaniques, 11 | 2004, « Le sport dans le Sud-Est européen » [En ligne], mis en ligne le 23 avril 2008, consulté le 22 mars 2020. URL : http://journals.openedition.org/ etudesbalkaniques/61

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SOMMAIRE

Introduction Roland Étienne

Le sport dans la civilisation étrusque : entre Grèce et Rome Jean-Paul Thuillier

Les Jeux Olympiques de 1896 : réflexions sur une renaissance Françoise Étienne et Roland Étienne

La communauté grecque orthodoxe de l’Empire ottoman et la culture physique. Réactions et application graduelle Georges Kokkinos

Genre et éducation physique en Grèce au XIXe s. Aspects idéologiques d’un nouveau champ pédagogique (1850-1900) Eleni Fournaraki

La formation de la vie sportive à Thessalonique (première moitié du XXe s.) Vassias Tsokopoulos

Le sport ouvrier en Grèce pendant l’entre-deux-guerres. Le cas de Thessalonique Alexandros Dagkas

Aux origines du basket-ball en Yougoslavie (1923-1940) Pero Jelić

Sport et éducation physique dans la Roumanie d’entre-deux-guerres : oui ou non ? Bogdan Popa

Le mouvement olympique en Roumanie Maria Bucur-Ionescu, Vlad Dogaru, Lia Manoliu, Dan Popper, Septimiu Todea et Anghel Vrabie

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Introduction

Roland Étienne

1 Les Jeux olympiques d’Athènes de 2004 furent à l’origine de ce fascicule sur le « Sport dans les Balkans », qui met en perspective cette manifestation exceptionnelle. C’est aussi ce qui explique, du moins en partie, le nombre des articles consacrés à la Grèce (5), par rapport à ceux qui concernent d’autres pays, deux pour la Roumanie et un pour la Yougoslavie. On pourra reprocher et ce déséquilibre et une certaine incomplétude, puisque tous les Balkans ne sont pas couverts, la période très contemporaine est à peine effleurée et sans doute tous les thèmes ne sont pas abordés, comme celui, par exemple, du sport professionnel. On trouvera aussi curieux de trouver ici un article isolé sur l’Antiquité, consacré au sport étrusque, en fait une comparaison entre la Grèce et l’Étrurie (J.-P. THUILLIER), dont je justifierai plus bas la présence et l’intérêt en cette place.

2 Ces défauts sont compensés par une richesse certaine dans la façon dont est traité le sujet et par la diversité de formation des auteurs, qui ne sont pas tous des universitaires patentés, et dont les contributions se transforment en véritables témoignages (M. BUCUR-IONESCU et alii, A. DAGKAS). Les méthodes d’analyse révèlent aussi et cette richesse et cette diversité : on reconnaîtra sans peine un courant « foucaldien » dans les discours qui, à travers le sport, font apparaître les enjeux de pouvoir sur le corps, les femmes et la jeunesse, c’est-à-dire ne cessent de questionner les sociétés sur les sexes et les classes ; d’ailleurs l’œuvre de Foucault est citée par G. Kokkinos et la Gender History, que représente brillamment E. Fournaraki, entretient des liens étroits avec les concepts du philosophe. Mais l’écriture très marxiste de A. Dagkas ne m’a pas paru déplacée et point trop vieillie, sinon dans son vocabulaire : après tout l’analyse du IVe congrès des jeunesses communistes en 1924 qui décrivait le sport comme « un moyen d’étendre pour la classe bourgeoise son influence politique, de préparer la jeunesse à l’armée, d’exalter le chauvinisme tout en constituant une source de profit » était-elle tellement éloignée des réalités ? N’est-ce pas les enseignements que l’on retire des études savantes publiées 60 ans plus tard par P. Arnaud pour la et par E. Hobsbawn pour l’Europe, et que confirment aussi les articles de ce recueil1 ? 3 Ce qui en fait le prix, c’est qu’ils permettent de faire le tour des problématiques liées au sport, reflet et moteur des systèmes politico-économico-sociaux et éclairent des aspects

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peu connus des sociétés balkaniques. Nous en soulignerons quelques traits parmi les plus saillants en évoquant l’éducation sportive, la diffusion des sports anglo-saxons et le mouvement olympique dans les Balkans, sous ses aspects institutionnels et idéologiques. 4 Les contributions sur la place de l’éducation physique à l’école apportent des témoignages qui lient l’histoire balkanique à celle de l’Europe occidentale : l’Allemagne, comme la France, ont engagé ce débat après des défaites militaires ; ce n’est pas un hasard si la législation grecque s’intéresse au sport scolaire après la guerre gréco- turque de 1897. On retrouve aussi en Grèce les mêmes thèmes dans le débat sur le sport : le discours médical sur l’hygiène, les vertus militaires de l’éducation physique et la question de l’extension aux femmes de cet enseignement (E. FOURNARAKI, G. KOKKINOS). L’enjeu était immense puisqu’il s’agissait de contrôler les corps comme les esprits. En ce sens, les associations post-scolaires étaient aussi importantes que l’éducation scolaire : les mouvements sportifs ouvriers rivalisaient avec les formations des Boy Scouts de Grèce ou la Young men’s Christian Association (A. DAGKAS), ce qui rappelle en France l’opposition vive entre les organisations laïques et les patronages. Si les débats sur l’école tournent autour de la gymnastique, les sports de groupe ont un rôle social de plus en plus important, à la fois mode d’identité du groupe, civil ou religieux, grâce à des rituels visibles (drapeau, couleurs ou chants) et moyen de rivalité par rapport aux autres, canalisant les émotions et la violence. 5 La réception des sports anglo-saxons, la grande nouveauté de la fin du XIXe s. et du début du XXe s., fut précoce et rapide, comme le montre bien Pero Jeliç en décrivant avec précision, et non sans humour, la pénétration du basket-ball en Yougoslavie, qui s’introduit dans les fourgons de la Croix-Rouge après la première guerre mondiale ( !). La fascination pour les sports anglo-saxons va de pair avec la puissance de l’Angleterre et surtout avec la fascination qu’exerce son modèle d’éducation. Mais, le plus curieux, c’est la mise à l’écart des sports nationaux, comme le montrent les Roumains quand ils évoquent le sort de l’oïna, une sorte de base-ball local (la savate française connut le même déclin au profit de la boxe anglaise). Il y a quelque ironie à penser que les nationalismes vont désormais s’exprimer sur des cours de football ou de basket-ball, c’est-à-dire à travers des traditions étrangères. Les Balkans ne marquent guère de retard sur l’Europe occidentale dans l’adoption et la diffusion des nouveaux sports. 6 Consciemment ou inconsciemment le sport offre à ces nations souvent jeunes un mode d’intégration dans un modèle américano-européen de pays développés, l’occasion de contacts internationaux, – les premiers Jeux balkaniques ont lieu en 1929 –, et un champ pour manifester leur identité et leurs qualités physiques comme peuple. Je suis assez sensible au rôle que put avoir dans les mentalités la diffusion de règles internationales, au niveau national et international, habituant les nations à vivre sous les mêmes lois (cf. M. BUCUR-IONESCU et alii à propos de la création de la F.S.S.R., Fédérations des sociétés sportives roumaines le 1er décembre 1912). 7 Le mouvement olympique synthétise toutes les contradictions. Lancé par un aristocrate français à l’idéologie réactionnaire – Coubertin s’oppose avec force au sport féminin –, mais féru de l’exemple anglais, il repose sur la défense de l’amateurisme, un concept très aristocratico-bourgeois (il faut des loisirs et donc des revenus pour pratiquer un sport à un haut niveau sans être rémunéré) et les premières épreuves témoignent du lien ombilical avec la formation militaire : tir et escrime servent aussi, ou avant tout, à la formation du citoyen soldat. A l’opposé, les sports de groupe, comme le football, ou le

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cyclisme (qui met en jeu des intérêts économiques importants) sont le fait de professionnels et donc de prolétaires. Rien d’étonnant à ce que la Grèce ait répondu avec enthousiasme aux propositions de Coubertin : il n’y eut guère que le premier ministre Tricoupis pour s’y opposer en raison des coûts, mais il fut remplacé et son successeur soutint l’entreprise. Coubertin reçut l’appui du pouvoir en la personne du diadoque Constantin, danois d’origine et formé à l’anglo-saxonne, et de ces intellectuels qui se souvenaient et rêvaient du passé athlétique de la Grèce ancienne (Fr. et R. ÉTIENNE ). Cette culture antique concernait aussi les autres pays balkaniques, puisque le poète roumain, Cosbuç, écrivit en 1888 un hymne intitulé « L’athlète d’Argos » et que le prince G. Bibescu entra dès 1899 au comité olympique (M. BUCUR-IONESCU et alii).

8 L’Antiquité appartenait à la culture des élites et servait de modèle récurrent pour exalter la Grèce, une conception de l’athlète citoyen, l’esprit « international » de l’Olympisme et l’importance de la trêve s’imposant à tous au moment des Jeux. Ces thèmes sont bien connus, mais ce qui l’est moins c’est le rôle du sport dans d’autres civilisations de l’Antiquité : la contribution de J-P. Thuillier opère un double décentrement. Elle permet d’échapper à une conception hellénocentriste et donc balkanique de l’athlétisme et elle inscrit les dérives du sport moderne dans des expériences antiques, – les sportifs étrusques sont des professionnels de classes inférieures – révélant l’ambiguïté du modèle historique. 9 Que reste-t-il aujourd’hui du modèle de Coubertin ? Bien peu de choses : le professionnalisme est rentré dans les mœurs olympiques et, avec lui, le capitalisme s’est emparé d’une manifestation qui touche par les médias des milliards d’individus sur la planète ; quant au discours hygiénique, il a fait long feu puisque le dopage est devenu un thème central des discours. Enfin, le discours sécuritaire sur le terrorisme met l’olympisme au cœur des contradictions politiques du moment, les Jeux devenant un motif supplémentaire d’angoisse plutôt que de paix. La démonstration en a été faite à Athènes en 2004 : la Grèce s’est sans doute endettée à très long terme, pour tenir son rang. Il en reste une solidarité nationale renforcée – droite et gauche ont contribué à la réussite –, des infrastructures, du moins pour Athènes, améliorées et une publicité qui devrait profiter au tourisme2. Ayant réussi à passer ce test de gestion d’un événement international, la Grèce a fait preuve de sa ‘modernité’, espérons qu’elle ne s’y soit pas ruinée. Les Jeux quittent les Balkans pour la Chine, qui a obtenu en 2004 32 médailles d’or contre 35 aux Américains et 27 à la Russie, ces résultats enregistrant et/ou anticipant les équilibres ou les déséquilibres actuels de la géo-politique internationale3 : quand y reviendront-ils ? 10 Décembre 2004

NOTES

1. P. ARNAUD éd., Les athlètes de la République, Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870-1914, Toulouse, 1987 ; E. HOBSBAWN and T. RANGER éds, The Invention of Tradition, 1983 (rééd. 2002).

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2. Sur le discours officiel de gauche à propos des Jeux de 2004, cf. l’interview d’Evanghélos Venizélos, ancien ministre de la culture dans le cabinet K. Simitis en 2004, en charge des Jeux, dans Fr. et R. ÉTIENNE, « Les Jeux olympiques », Dossier de l’Archéologie, 294 (2004), p. 88-91. 3. Rappelons que les pays balkaniques n’ont pas fait mauvaise figure, les uns, comme la Grèce comme pays organisateur ayant fait un effort particulier pour promouvoir ses sportifs, les autres profitant encore des infrastructures sportives développée sous les régimes communistes : Roumanie (8 or, total 19), Grèce (6 or, total 16), Bulgarie (2 or, total 12), Croatie (1 or, total 5), Serbie-Monténégro (total 2), Slovénie (4).

RÉSUMÉS

À l’occasion de la tenue des jeux olympiques de 2004 à Athènes, ce numéro des Etudes balkaniques fut consacré au sport dans le Sud-est européen. L’accent a été mis sur la Grèce, pays- hôte de JO de l’ère moderne à deux occasions. Les études présentées ici mettent l’accent sur la relation entre sport et éducation physique, sur le sport comme moyen de contrôle des corps et des esprits et sur l’introduction des « nouveaux » sports collectifs de la fin du XIXe s. comme faisant partie du processus et de la manière d’intégration de la région dans des plus vastes ensembles géopolitiques.

The 2004 Olympics offer the occasion of tackling the issue of sports in Southeastern Europe. Given the fact that has hosted twice the modern era Olympics, one can easily understand that there are more articles regarding this country. The studies united in this volume deal with the relationship between sports and physical education, underline the importance of sports as way of controlling bodies and spirits alike, highlight the introduction of “new” and “foreign” collective sports towards the end of the 19th and beginning of the 20th c. as partaking in the larger process of the region’s integration in wider geopolitical complexes.

AUTEUR

ROLAND ÉTIENNE

Université de I Panthéon-Sorbonne

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Le sport dans la civilisation étrusque : entre Grèce et Rome Sport in the Etruscan Civilization: between Greece and Rome

Jean-Paul Thuillier

1 Un des mots qui revient le plus souvent, et depuis très longtemps, à propos des Etrusques est celui de « mystère » : s’agissant de cette civilisation qui fut la première d’Italie et qui trouva son apogée aux VIIe et VIe s. av. J.-C., ce mot n’est pas sans danger car il peut ouvrir la porte aux explications les plus fantaisistes ou même les plus fantasmagoriques, mais il résume assez bien, quoique de façon un peu abrupte, les nombreuses ignorances qui sont encore les nôtres aujourd’hui. Il suffit de rappeler les problèmes délicats que pose toujours l’interprétation des longs – et rares – textes étrusques qui nous sont parvenus, et, à côté de celle de la langue, la question des origines de ce peuple reste ouverte, même si nous préférons aujourd’hui mettre l’accent sur la formation et l’histoire des Etrusques tout au long du premier millénaire av. J.-C1.

2 En revanche, dans le tableau général de nos connaissances sur cette civilisation, un thème comme celui des jeux et des sports étrusques a toujours été considéré comme assez privilégié. Voici par exemple ce qu’écrivait il y a une quarantaine d’années Jacques Heurgon dans son très beau livre sur la vie quotidienne chez les Etrusques : « Ce que nous savons peut-être de plus clair sur les mœurs des Etrusques, c’est à leurs jeux que nous le devons, parce que, sous la forme particulière de jeux funèbres, ils ont aimé les peindre sur les murs de leurs tombes ou les sculpter sur leurs cippes et leurs sarcophages »2. Rappelons que ces peintures de l’Etrurie antique sont d’autant plus intéressantes que la grande peinture grecque correspondante sur le plan chronologique a entièrement disparu : c’est parce que les anciens Toscans ont eu l’heureuse idée de décorer ainsi leurs hypogées, leurs tombes souterraines creusées dans le roc, que ces peintures ont été conservées, tout au moins jusqu’à l’ouverture des tombes et que les apports extérieurs ne commencent alors leur œuvre de destruction. Stendhal parlait au XIXe s. des petites caves peintes du Père-Lachaise de Corneto (nom médiéval de l’actuelle Tarquinia, qui a ainsi retrouvé son nom antique)3. Et c’est très justement que

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ces fresques tarquiniennes constituent le pôle d’attraction touristique principal : après tout, comme le rappelait le grand étruscologue Massimo Pallottino, nous ouvrons là le premier chapitre de l’histoire de la peinture italienne. 3 Et pour en venir donc à la question iconographique, si l’on prend l’exemple des fresques funéraires des VIe et Ve s., bien représentées à Tarquinia mais aussi à Chiusi, on constate en effet avec J. Heurgon que les motifs sportifs sont en très bonne place, à côté des scènes de banquet et de danse. Quelle est d’ailleurs la signification de ces images ? C’est là un problème plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord et qui a suscité de nombreux débats. Il est difficile de ne pas penser d’emblée que les peintures de ces hypogées évoquent des jeux organisés lors des funérailles du titulaire de la tombe : les Etrusques ont manifestement connu un rituel comme celui que nous décrit déjà Homère lors des funérailles de Patrocle au chant XXIII de l’Iliade, avec diverses compétitions hippiques – la course de biges est le moment le plus important – et athlétiques – parmi ces dernières, le pugilat et la lutte. Nous nous trouvons là devant une phase d’un rite de passage qui concerne le mort certes mais aussi les vivants : le clan familial et même au-delà les voisins et les habitants de la cité sont éprouvés et même un moment défaits par ce deuil qu’il s’agit de surmonter. Les compétitions, les danses, le banquet permettent au groupe de passer cette épreuve psychologique, de se restaurer dans tous les sens du terme et de retrouver des forces pour assurer l’avenir de leur communauté4. 4 Quant au défunt lui-même, il peut trouver un réconfort dans les peintures qui prolongent d’une certaine façon l’efficacité rituelle des jeux, et il peut se réjouir de cette vision, si l’on estime qu’il vit d’une vie ralentie dans l’au-delà. Quand on voit, dans deux tombes de Tarquinia (la Tombe des Augures et la Tombe justement dite des Inscriptions) datant des années 530, que le nom de certains athlètes, lutteurs ou boxeurs, est peint à côté de leur image, on peut se demander s’il ne s’agissait pas des vedettes favorites du défunt titulaire de l’hypogée : et l’on songe alors à Trimalcion, le célèbre parvenu du Satiricon de Pétrone, qui, six siècles après, demande à l’entrepreneur chargé de construire son tombeau, de peindre sur celui-ci les combats de Pétraitès, son gladiateur favori, « afin d’avoir le bonheur de vivre après sa mort »5. Nul doute que certains supporters de football aimeraient emporter dans leur tombe l’image de Zidane ou de Beckham si cela se faisait encore aujourd’hui. Des sociologues ont cité le cas de cette femme « tifosa » de la Juventus de Turin qui ne désirait qu’une seule chose dans son éloge funèbre : qu’on dise d’elle qu’elle avait été une fidèle supportrice de la « Juve » ! 5 Mais la présence de vedettes sportives sur ces fresques funéraires de Tarquinia avait sans doute aussi pour but de mettre l’accent sur le faste de ces cérémonies, sur les sommes qu’elles avaient coûtées, et donc sur le statut social des familles concernées. Il s’agissait sans aucun doute aussi de souligner le rang social du défunt et de sa gens : ce n’est pas par hasard que, dans la grande nécropole des Monterozzi, aujourd’hui située à la sortie du bourg moderne de Tarquinia, seules 2 % des tombes sont peintes. Il s’agissait là d’un investissement qui n’était pas à la portée de toutes les bourses et c’était encore plus vrai des jeux eux-mêmes qui constituent donc un des motifs fréquents sur les parois peintes. On peut même parfois aller au-delà de cette constatation. Dans une autre tombe de Tarquinia, la Tombe des Biges, qui est un peu plus récente que les deux précédentes déjà citées, on voit en effet un motif rare : des tribunes de bois qui sont remplies d’un public nombreux et varié, avec des hommes et

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des femmes, et même, allongés sous les tribunes, de jeunes esclaves qui sont en train de se livrer à des jeux érotiques. Le nombre de ces spectateurs, qui assistent donc à des épreuves hippiques et athlétiques, semble révéler qu’on n’est pas en présence d’une seule famille : on est là au-delà de la seule sphère du privé et il n’est pas interdit d’imaginer que le noble défunt était un magistrat de sa cité de Tarquinia, et que ses descendants ont organisé des jeux funéraires auxquels étaient conviés une partie au moins de ses « administrés ». En tout cas, c’est bien la position sociale du mort et de sa famille qui est ici une fois de plus exaltée6. 6 Certains historiens s’appuient sur le témoignage d’Hérodote pour ne faire remonter les origines des jeux étrusques qu’au milieu du VIe s. avant J.-C. environ. L’historien grec nous a en effet transmis l’anecdote suivante à propos des habitants de la ville de Caeré- Agylla : ces derniers, alliés aux Carthaginois, avaient remporté dans les années 540 une bataille navale, au large d’Alalia, sur les Phocéens et avaient ensuite lapidé une partie de leurs prisonniers. Le lieu de ce massacre devint maudit et toute une série de prodiges s’ensuivit : il fallait procéder à une purification et les Agylléens allèrent consulter l’oracle de Delphes. 7 « La Pythie leur ordonne de faire ce que de nos jours ils accomplissent encore : ils offrent aux mânes des Phocéens de riches sacrifices, et ils instituent en leur honneur des jeux gymniques et équestres »7. Comme on le voit, les éléments helléniques ne manquent pas dans ce tableau et l’Etrurie apparaît d’emblée en ce domaine comme la débitrice de Delphes et même comme une simple province de l’Hellade. Et sur le plan iconographique, pour ne citer que ce seul exemple, la présence de nombreux motifs de jeux athlétiques sur les fresques funéraires de Tarquinia appartenant à la seconde moitié du VIe s., paraît apporter une confirmation immédiate à cette indication de l’historien grec. 8 « Il faut pourtant remonter plus loin en arrière. Tite-Live, dans son récit du règne de Tarquin l’Ancien, note que celui-ci, pour fêter sa victoire sur les Latins, organisa – dans un Grand Cirque nouvellement aménagé – des jeux plus somptueux que ses prédécesseurs (peut-être Tite-Live songe-t-il, en disant cela, aux Consualia qu’aurait fondés Romulus ?). Le spectacle (ludicrum) comprenait à l’affiche des chevaux (equi) et des boxeurs (pugiles) « qu’on avait fait venir principalement d’Etrurie » (ex Etruria maxime acciti8) Ainsi, dans certaines cités étrusques tout au moins, des épreuves athlétiques étaient – elles connues dès la fin du VIIe siècle avant notre ère : on pensera par exemple à la cité la plus proche de Rome, Véies, l’éternelle rivale, qui devait s’opposer à l’Urbs non seulement pour la conquête de terres mais aussi et peut-être surtout pour la main-mise sur les salines situées aux bouches du Tibre. La maîtrise du sel, ce « pétrole de l’Antiquité », était en effet essentielle pour ces populations d’agriculteurs. Toujours est-il qu’un vase de bucchero incisé, trouvé à Véies au siècle dernier, et datant du dernier tiers du VIIe siècle avant notre ère, vient tout de suite illustrer cette proposition : à côté des différents motifs d’animaux réels ou fantastiques, on peut en effet observer sur la panse de cette olla une très belle scène de pugilat, avec deux boxeurs affrontés, la garde haute, et apparemment vêtus d’un maillot-tunique. Mais Véies n’est pas l’unique cité étrusque impliquée : à Caeré, l’actuelle Cerveteri, déjà citée plus haut, on a découvert une urne peinte, également du VIIe s., qui représente un match de boxe9, et on connaît même aujourd’hui, pour la même période et la même cité (tombe de San Paolo), une olpè de bucchero – cette céramique noire typique de l’Etrurie

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– qui est décorée de scènes mythologiques avec Médée et Dédale, et Jason peut-être, engagé en tout cas dans un pugilat10. Enfin, et toujours pour le VIIe s., une olla peinte attribuée au Peintre de Civitavecchia, qui travaillait peut-être dans la même région de Caeré, nous permet d’assister à un combat de boxe qui est pour la première fois accompagné par un musicien, un aulète : ce sera désormais, nous le verrons plus loin, une constante dans cette civilisation11. 9 La boxe n’est certes pas la seule compétition figurée dès cette haute époque en Etrurie, puisqu’un petit groupe de bronze récemment trouvé à Murlo, au sud de Sienne, et datant de la fin du VIIe s. également, représente deux lutteurs en pleine action sous le regard d’un arbitre armé d’une longue baguette, mais il n’en reste pas moins que le pugilat sera toujours le sport favori des Etrusques – avec les courses de chars bien entendu – ...ainsi que celui des Romains. (Et la réunion de ces deux spécialités, équestre et pugilistique, n’est pas sans faire penser d’ailleurs au patronage des Dioscures, maîtres et protecteurs de ces deux disciplines sportives respectives). La prédominance du pugilat se vérifie par le nombre des représentations aux VIe et Ve s. , en particulier sur les fresques de Tarquinia, où les boxeurs sont parfois les seuls athlètes figurés, et où ils occupent souvent une place de choix, encadrant par exemple la porte d’entrée comme deux gardiens venant menacer l’éventuel visiteur indésirable (Tombe Cardarelli)12. 10 Cette popularité de la boxe peut être aussi constatée à partir de l’examen des stèles funéraires de Felsina (Bologne) : elle est d’abord le seul sport athlétique représenté – parfois à côté de la course de biges, et l’on retrouve alors une fois de plus le programme sportif défini par Tite-Live à propos de Tarquin l’Ancien. Mais ce sport occupe également une place privilégiée dans la décoration : on peut relever en particulier le cas de la stèle n° 169 (d’après le catalogue de P. Ducati), où la scène de pugilat s’étale entièrement sur une zone figurée, avec les cinq mêmes personnages, disposés selon un schéma différent, que l’on va identifier sur la panse de l’amphore B 64 du Peintre de Micali (les deux athlètes, le soigneur à l’éponge, le musicien et l’arbitre)13. 11 Lorsque l’artiste a en effet voulu figurer un festival sportif de façon aussi complète que possible, montrant aussi bien la procession que les ludi hippiques et gymniques, comme sur l’amphore à figures noires du Peintre de Micali, conservée au British Museum (B 64), il n’a pas manqué de donner un relief tout particulier à la scène de pugilat, laquelle écrase, par sa situation et le nombre des personnages présents, le reste des compétitions14. Il est intéressant de constater à ce sujet que le tibicen, l’aulète (le flûtiste, comme nous disons souvent à tort en français, puisqu’il s’agit d’un instrument à anche), que ce musicien donc est presque toujours présent à côté des boxeurs étrusques15. Plusieurs auteurs anciens ont d’ailleurs relevé cette coutume, qui choquait certains esprits chagrins : on voulait en effet voir là un des signes de cette mollesse, de cette vie dissolue que l’on reprochait souvent aux Etrusques dans l’Antiquité, en particulier chez les auteurs grecs. En réalité, cette accusation de « truphê » – pour reprendre le terme hellénique – ne faisait que traduire la jalousie de ces mêmes Grecs à l’égard d’un peuple étrusque qui jouissait de conditions économiques très favorables et qui, ô scandale, permettait même aux femmes de jouer un rôle non-négligeable dans la vie sociale. Reprendre ce grief de « truphê » à propos de l’accompagnement musical du pugilat étrusque était particulièrement injuste et stupide : comme on le voit bien encore aujourd’hui par la boxe traditionnelle thaïlandaise, qui n’a rien de

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particulièrement doux, il s’agissait pour les musiciens de rythmer les assauts des deux adversaires et même de réveiller leur ardeur au combat, si celle-ci faiblissait par trop. 12 A côté des données chronologiques ou chiffrées, d’autres constatations révèlent encore l’importance du pugilat dans les mœurs sportives des Etrusques : on a pu identifier, sur un relief archaïque de Chiusi, l’existence d’un véritable ballet de la boxe, avec trois athlètes boxant et dansant en cadence, sous la direction, encore plus nécessaire ici, d’un aulète (et peut-être est-ce cette alliance entre boxe et danse qui est à l’origine de ces accusations grecques de « truphê » évoquées à l’instant…)16. On ne saurait trouver en tout cas d’illustration plus précise à l’expression de Jean Cocteau qui qualifiait les boxeurs de « danseurs qui tuent » et on notera là encore que de telles chorégraphies ne sont pas ignorées aujourd’hui – on pensera par exemple au ballet K.O.K. de Régine Chopinot. Avant de découvrir une scène de boxe classique sur un relief de Chiusi inédit jusqu’à une époque récente17, on aurait pu trouver surprenant de rencontrer un tel document à Chiusi, où l’on manifestait surtout un grand engouement pour la lutte, et où l’on assiste souvent, sur les reliefs comme sur les fresques, à une prise très spectaculaire qui voit un des adversaires accomplir un véritable vol plané au-dessus de l’autre concurrent : ce mouvement sportif, qui mettait fin à une des phases du match – si les Etrusques ont repris la règle grecque des trois « tombers » – apparaît en tout cas comme une signature, comme un « motivo-firma » des artisans de Chiusi. Il faut en effet tenir compte ici de la spécificité des cités étrusques qui, pour avoir tissé de nombreux liens au sein de la dodécapole, ont su cependant garder leur originalité dans bien des domaines. 13 Nous n’avons cité jusqu’ici que deux compétitions, la boxe et la lutte, qui ne sont plus considérées aujourd’hui comme des disciplines relevant de l’athlétisme : mais il n’en était pas ainsi dans l’Antiquité, où ces deux épreuves dites « lourdes » ou « pesantes » appartenaient bien aux jeux gymniques ou athlétiques au même titre que les épreuves légères du pentathlon. Les Etrusques ont certes connu ces dernières – mais un peu plus tard, si l’on se réfère à la seule iconographie ; un bon exemple nous est donné par la tombe peinte des Olympiades, datant des années 530 environ, et qui a été découverte en 1958 à Tarquinia, grâce aux méthodes modernes de détection de la Fondation Carlo Lerici de Milan18. 14 Sur les deux parois principales de cette petite tombe, on peut voir d’une part une course de biges et un combat de boxe – cette dernière scène est très abîmée, mais on retrouve là un autre exemple de ce programme que nous connaissons bien désormais – et d’autre part un ensemble de trois épreuves, avec des coureurs à pied, un sauteur en longueur et un discobole – et cette seconde paroi offre aussi le jeu typiquement étrusque du Phersu : un homme encapuchonné et armé d’une massue est attaqué par un chien féroce qu’excite un bourreau masqué. Ce dernier porte le nom de Phersu, c’est-à-dire le « Masque » (un mot qui correspond au latin persona). Certains ont voulu voir là, à tort, la préfiguration des combats romains de gladiateurs qui semblent en réalité trouver leur origine non pas en Etrurie mais en Campanie, comme le montrent bien des peintures funéraires de Paestum19. 15 La réunion des trois épreuves athlétiques citées plus haut pourrait laisser supposer que les Etrusques connaissaient aussi le pentathlon à la grecque, lequel comprenait encore lutte et lancer du javelot. : de même, sur certaines amphores panathénaïques, c’est un simple choix d’épreuves qui est représenté pour une victoire au pentathlon. Et cette impression est confirmée par d’autres documents comme l’amphore B 64 du Peintre de

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Micali déjà citée, où l’on peut voir côte à côte un discobole et un lanceur de javelot, et surtout un relief archaïque de Chiusi, conservé à Palerme, sur lequel un même athlète, au moment de la remise des récompenses, tient à la fois un disque et un javelot. Mais, sur un tel sujet, nous devons rester dans l’incertitude, en raison de l’absence de textes littéraires ou d’inscriptions – à supposer que nous puissions comprendre de tels documents épigraphiques en étrusque, et que nous sachions même que tel texte évoque des règles sportives ! Seul l’excellent Z. Mayani arrivait à déchiffrer sans problème les « règles de la lutte étrusque, dûment approuvées par le syndicat national des lutteurs » 20… 16 On n’aura pas l’audace non plus de décrire en détail le déroulement de certaines épreuves dont nous supposons simplement qu’elles étaient plus ou moins identiques à celles des Grecs. Les coureurs à pied de la Tombe des Olympiades sont en train de sprinter : mais disputent-ils un stade ? Sont-ils à la fin d’une course de fond ? Quelle était alors la distance de ce dolichos, et y avait-il aussi en Etrurie une épreuve de diaulos 21? Les images nous permettent certes de constater que le sauteur en longueur étrusque utilisait habituellement des haltères pour améliorer sa performance, que le lanceur de javelot propulsait son instrument grâce à une courroie qu’on appelle en latin l’amentum (et l’on en voit une très belle représentation sur les fresques de la Tombe du Singe à Chiusi). Tout cela est également présent chez les Grecs et l’on peut d’ailleurs penser, à voir la maladresse avec laquelle les artistes étrusques montrent par exemple le geste du discobole, que ce dernier exercice n’était pas très en faveur en Etrurie : ne faut-il pas penser la même chose des autres épreuves du pentathlon (lutte exceptée évidemment) ? e 17 On serait cependant tenté de noter un changement à partir du milieu du V s. environ. Nombreux sont en particulier les bronzes, ex-voto ou décorations de candélabres par exemple, qui représentent à cette époque un athlète de type pentathlonien. On connaît même un athlète qui ne peut guère être qu’un lanceur de poids : cette compétition existait-elle en Etrurie ? Mais il n’est pas aisé de savoir si cela correspond à la réalité sportive de l’Etrurie ou si ce sont seulement des motifs esthétiques ou fonctionnels qui entrent ici en jeu : il est plus facile de placer un discobole au sommet d’un candélabre qu’un match de boxe intégral. Dans certains cas, des particularismes locaux peuvent aussi être envisagés : on a constaté par exemple le nombre tout à fait remarquable de sujets athlétiques pentathloniens sur les bronzes de Spina, ce qui conduit J.-R. Jannot à s’interroger ainsi : « Les lanceurs de disque ou de javelot, les athlètes utilisant le strigile, les sauteurs, témoignent de la faveur des épreuves grecques dans des proportions qui n’ont pas de commune mesure avec celles des autres contrées de l’Etrurie. On mesure l’importance de cette thématique dans le port des bouches du Pô. Serions-nous en face d’une culture périphérique plus réceptive aux influences helléniques »22 ? 18 Tout en ne négligeant pas ces influences, il est important d’insister sur le fait que les jeux athlétiques étrusques ne sont pas un simple décalque des agônes helléniques : sur ce point comme sur d’autres, l’originalité étrusque n’est pas à sous-estimer. Nous avons déjà vu l’environnement musical spécifique de la boxe toscane, mais au-delà des détails techniques, d’autres différences plus sensibles doivent être soulignées. La question de la nudité pourrait être au premier abord un critère essentiel, puisque les Grecs eux- mêmes revendiquaient cette nudité athlétique comme un trait qui les distinguait radicalement des Barbares. En fait, sur ce point, il n’en est rien en ce qui concerne la

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société étrusque puisqu’on peut rencontrer par exemple des lutteurs étrusques entièrement nus, comme dans la Tombe des Augures de Tarquinia, qui date de 540-530 av. J.-C. (et, à analyser de près textes littéraires et documents iconographiques, on pourrait même se demander – mais la question est sacrilège... – si les Etrusques n’ont pas précédé leurs « maîtres » grecs en cette occasion23!). e e 19 Le réalisme de l’art étrusque, en tout cas à la fin du VI et au début du V s., permet de surcroît de mieux comprendre certaines pratiques que l’idéalisation de l’athlète, dans l’art attique contemporain, a presque totalement occultées. Ainsi constate-t-on par exemple que certains athlètes étrusques sont munis d’une ceinture « athlétique » et même plus précisément d’un « suspensoir »: le sexe est tenu relevé par une cordelette elle-même rattachée à une ceinture. Les fresques de la Tombe du Singe à Chiusi offrent des exemples particulièrement nets de cette pratique ; et dans certains cas les témoignages sont perdus : ainsi, pour rester à Chiusi, certains détails de ce type qui étaient peints sur les reliefs archaïques sont aujourd’hui effacés. A vrai dire, il n’en allait pas autrement dans la réalité pour les Grecs : d’ailleurs, quelques – très rares – peintures de vases, dont cependant un beau cratère d’Euphronios, viennent le confirmer24. Les athlètes grecs avaient les mêmes impératifs physiologiques et devaient donc pour la très grande majorité porter un appareil du type suspensoir. Ce qui n’empêchait pas que, du point de vue de la décence, ils fussent nus. Reste donc que sur cette question, les Etrusques n’étaient pas de vrais barbares ; mais nous avons aussi par là la preuve que les artistes étrusques ne se contentaient pas de reproduire des images grecques, comme on le suppose trop souvent, mais qu’ils montraient bel et bien les réalités locales.

Epreuves hippiques

20 En revanche, s’il est bien un domaine qui met en lumière l’originalité de l’Etrurie, c’est celui des courses hippiques, et surtout celui des courses de chars qui ont connu là, comme plus tard à Rome, un succès fantastique. Nous avons déjà vu que vers 610-600 av. J.-C., le roi Tarquin l’Ancien avait fait venir d’Etrurie des chevaux et des pugilistes. On ne s’attardera pas longtemps sur les représentations étrusques les plus anciennes : mais un peu après 600, des plaques de terre cuite, mises au jour dans une résidence seigneuriale à Murlo, nous montrent une course de chevaux montés à cru par des jockeys qui se dirigent vers le prix de la compétition, un chaudron juché sur une colonne. Murlo est à quelques kilomètres au sud de Sienne : c’est donc une sorte de Palio avant la lettre auquel nous assistons25!

21 Mais là encore, ce sont les fresques funéraires de Tarquinia ou de Chiusi qui nous offrent les attestations les plus frappantes. Revenons à la Tombe des Olympiades dont le nom contribue malencontreusement à cette impression d’hellénisation généralisée en Etrurie. Sur la paroi gauche de ce petit hypogée, à côté des boxeurs, quatre biges se précipitent vers la borne d’arrivée, un simple poteau rouge : le cocher de tête se retourne pour voir où en sont ses adversaires, et le quatrième est victime d’un « naufrage », autrement dit d’une chute spectaculaire. La tenue de ces cochers est tout à fait significative : ils portent tous une tunique courte qui arrive à mi-cuisse et pour certains d’entre eux ont un casque de cuir. Cette tenue n’a rien à voir avec celle des cochers grecs, qui, tels l’Aurige de Delphes, ont une longue tunique qui tombe à leurs pieds et ont normalement la tête nue. Par ailleurs, la technique de conduite appelle les

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mêmes remarques : les cochers étrusques ont, pour ne pas les perdre, les guides nouées autour de la taille – un nœud qui apparaît ici quelque peu démesuré – cependant que les cochers grecs tiennent simplement les guides dans les mains – un « peloton » de guides tombant dans la caisse du char permet là aussi de mieux les contrôler. Si l’on ajoute que les cochers étrusques manient un fouet, cependant que leurs collègues grecs ont un long aiguillon, le kentron, on constate qu’il y a un fossé entre les cultures hippiques de ces deux peuples26. En revanche, qu’il s’agisse de l’équipement ou de la technique de ménage du char, les Romains ont pratiquement tout appris des Etrusques... et très peu des Grecs : des milliers de documents, grands et petits, mosaïques, bas-reliefs, terres cuites, intailles, confirment cette constatation. 22 Une impression qui va encore se renforcer si l’on se penche maintenant sur le type des chars utilisés dans ces compétitions équestres. Nous avons parlé, à propos de ces fresques, de biges, c’est-à-dire de chars attelés à deux chevaux : il est curieux de voir que les Etrusques ne connaîtront jamais en course le quadrige qui est le char-roi en Grèce, où la victoire en quadrige est en fait réservée à une élite sociale et politique : on sait par exemple que l’Aurige de Delphes courait pour le compte d’un tyran sicilien. En revanche, les Etrusques ont une prédilection pour le trige, le char attelé à trois chevaux, avec deux chevaux timoniers et un cheval extérieur libre : ainsi, sur les reliefs archaïques de Chiusi, presque la moitié des courses attelées sont des courses de triges27. Et là c’est presque un cas d’école : en effet, les Grecs n’ont jamais organisé de courses de triges, alors que les Romains vont reprendre cette épreuve à leur compte, comme on le voit bien chez Denys d’Halicarnasse et par plusieurs inscriptions livrant les palmarès de cochers vedettes. C’est si vrai qu’il y avait à Rome, au Champ-de-Mars, le long du Tibre, un cirque d’entraînement, qu’on appelait le Trigarium, en raison bien sûr des triges qui s’y produisaient : il est certain que ce lieu ainsi baptisé remontait à la période « étrusque » de Rome, sous les Tarquins28. On versera un dernier argument dans ce débat : c’est l’intérêt des Etrusques et des Romains pour les épreuves de cavaliers- acrobates (en latin, les desultores), qui sautaient à bas de leur monture à tel ou tel moment de la course, ou qui sautaient d’un cheval sur l’autre, alors que les uns et les autres n’ont presque jamais montré de courses simples avec des jockeys classiques (après le cas de Murlo, on ne trouve plus de telle représentation en Etrurie)29. Il y a là un nouveau point de contact entre sports étrusque et romain, et une nouvelle divergence par rapport à la réalité hellénique.

Edifices de spectacle : du stade au cirque

23 Si l’on examine maintenant le cadre dans lequel se déroulaient de telles compétitions sportives, on va encore distinguer nettement les deux civilisations, grecque et étrusque, du point de vue sportif. On sait qu’en Grèce – et il suffit encore une fois de penser aux grands sites panhelléniques comme Olympie ou Delphes – les jeux gymniques avaient lieu dans le stade, cependant que les jeux hippiques étaient disputés dans l’hippodrome : ces deux « lieux » – on hésitera à parler d’édifices, en particulier pour l’époque archaïque – pouvaient d’ailleurs être séparés par une grande distance, comme on le voit à Delphes où l’hippodrome restera dans la plaine d’Itéa quand le stade sera transféré dans la partie la plus haute du sanctuaire, au pied de la roche Phédriade Rhodini30. A Olympie, les deux lieux étaient très proches, mais l’hippodrome a presque entièrement disparu, emporté par les divagations médiévales du fleuve Alphée.

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24 La situation en Etrurie, telle qu’elle apparaît sur les peintures ou les reliefs, est au contraire de type romain : compétitions équestres et athlétiques sont manifestement regroupées sur un même espace. Pensons simplement à l’exemple de la Tombe des Olympiades, déjà cité, où boxeurs et course de biges sont situés sur la même paroi, sans la moindre séparation. Et ce sera le cas dans le circus romain lors des ludi traditionnels, qui suivent l’exemple des origines : Tarquin l’Ancien « crée » le Circus Maximus, entre Palatin et Aventin, dans la vallée Murcia aménagée, et inaugure l’édifice par un ludicrum composé de pugiles et d’equi. Il faudra attendre la fin du 1er s. apr. J.-C. et l’hellénisation croissante des spectacles romains, pour assister, sur le site de l’actuelle Place Navone, et c’est un des plus beaux exemples de permanence urbanistique, à la construction du stade de Domitien destiné à accueillir les certamina graeca que Néron avait déjà essayé d’introduire dans l’Urbs. 25 On n’a pas retrouvé jusqu’à présent de « circus » étrusque et cela n’a certes rien d’étonnant, étant donné le caractère léger et provisoire des installations qui devaient être mises en place pour des jeux, en particulier au VIe s. Mais il n’est pas interdit de faire des hypothèses sur l’emplacement de ces cirques : ceux-ci ont toutes chances par exemple de se trouver dans la plaine la plus proche du plateau de tuf, sur lequel sont bâties la plupart des grandes cités de l’Etrurie méridionale, Caeré, Tarquinia, Orviéto… ; et si cette plaine est de surcroît voisine d’une des grandes nécropoles de la cité, là où se déroulaient les funérailles et les jeux funèbres, l’hypothèse acquiert encore de la crédibilité. Plus tard, le cirque romain sera souvent situé aussi à proximité d’une grande nécropole, assez loin du centre de la ville pour des raisons d’espace évidentes. On peut faire d’autres observations à partir des fouilles archéologiques. Et constater tout d’abord que dès le VIIe s., plusieurs tombes orientalisantes de Tarquinia présentent une structure qu’on a pu qualifier de « théâtriforme » : un dromos très large, semblable à une petite place, est souvent bordé, sur plusieurs côtés, de gradins destinés à accueillir des spectateurs qui pouvaient ainsi regarder des danses scéniques mais aussi des matches de boxe ou de lutte, dans le cadre bien entendu de jeux funéraires. Plus tard, au VIe s., d’autres tombes, à Bléra ou Vulci, présentent encore des structures du même type31. 26 Mais ce sont les fresques qui nous offrent encore la plus belle représentation d’installations pour des spectateurs avec la Tombe des Biges de Tarquinia, datée des années 500 et que nous avons déjà citée. On peut voir là de remarquables tribunes en bois protégées par des vela, et qui semblent de surcroît illustrer directement la description du Grand Cirque au temps du roi étrusque Tarquin l’Ancien, telle qu’elle nous est faite par Tite-Live ou encore Denys d’Halicarnasse32. Pendant que de jeunes serviteurs se livrent, étendus sous les tribunes, à des jeux plus ou moins innocents, de « nobles » spectateurs sont assis sur des bancs, hommes et femmes mêlés ; la mixité de ce public est un trait éminemment significatif, d’autant qu’en un cas au moins, c’est une femme qui semble occuper le premier plan, sinon la place d’honneur dans une tribune (ce qui n’est pas une raison suffisante pour parler, comme on l’a fait trop longtemps, de matriarcat étrusque). Tout cela nous éloigne bien sûr des stades grecs, et par exemple de celui d’Olympie où aucune spectatrice n’était accueillie, à l’exception de la prêtresse de Démèter Chamynè ; et cela nous rapproche encore une fois de Rome dont le Grand Cirque était, selon Ovide, un lieu privilégié pour les tentatives de séduction33!

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27 L’accent qui est mis sur le caractère spectaculaire des jeux étrusques ne se retrouve certainement pas en Grèce, où l’on note, non sans une certaine surprise, que le stade d’Olympie ne sera jamais équipé de gradins pour les spectateurs : c’est là un trait symbolique pour ce haut-lieu de l’agonistique grecque, et cela nous amène directement à une autre réflexion concernant cette fois la condition sociale des athlètes étrusques. Comme le montrent bien les quelques sources littéraires et épigraphiques que nous pouvons utiliser, ainsi que les documents iconographiques, qui font se côtoyer sans vergogne sportifs, bourreaux et bouffons, ce n’est pas le modèle agonistique grec de l’époque classique, qui était appliqué en Etrurie. En effet, ce ne sont pas des « éphèbes » issus pour la plupart des meilleures familles que nous voyons évoluer sur le sable de la piste, ou l’herbe de la plaine ; ce sont des professionnels, des « dépendants » rattachés en général à la troupe d’un seigneur, d’un lucumon peut-être – si ce mot bien connu n’est pas seulement un nom propre – comme celle de ce roi de Véies qui, à la fin du Ve s., l’avait retirée des jeux panétrusques de Volsinies, furieux qu’il était de ne pas avoir été élu sacerdos de la ligue par ses pairs. Cette anecdote, que nous a transmise Tite- Live34, semble surtout concerner les artistes de la scène (artifices), mais il est clair que les athlètes, que l’on ne distingue d’ailleurs pas toujours très bien des premiers, n’étaient pas dans une condition différente. Il paraît difficile par ailleurs de discerner des évolutions chronologiques et des disparités géographiques profondes quant à ce point. Enfin, cette condition sociale inférieure des sportifs étrusques rend plus que problématique l’hypothèse, imprudemment avancée sur la foi d’une inscription mutilée, d’une participation étrusque à de grands concours panhelléniques comme ceux de Delphes35. 28 Les Etrusques étaient, selon un mot bien connu de Tite-Live, les « plus religieux des hommes » et ils ne risquaient donc pas d’échapper à une situation qui est celle de toutes les sociétés méditerranéennes antiques : aussi nous faut-il encore revenir sur une dimension essentielle des jeux étrusques, qui est la dimension religieuse. Nous avons déjà évoqué ces jeux funèbres dont les images constituent l’essentiel de notre documentation, et qui soulignent le statut élevé de certains défunts. On retrouve aussi là des illustrations de la condition particulière de la femme étrusque. Sur des fresques (Tombe du Singe, Chiusi) ou sur une stèle de pierre (Bologne-Felsina), le défunt était plutôt une défunte : ainsi non seulement les femmes assistaient-elles aux compétitions sportives, mais celles-ci pouvaient aussi être célébrées lors de leurs funérailles. 29 Mais dans l’Antiquité classique, selon une distinction habituelle, il y avait, à côté des ludi funèbres, des ludi sacri, qui étaient offerts à diverses divinités, et les dieux se réjouissaient allègrement de ces spectacles : l’organisation de jeux pour les apaiser, par exemple en cas d’épidémie, la conception des ludi comme rituel de procuration semble bien être une tradition italique, étrusque d’abord puis largement diffusée à Rome – et contrairement à ce que laisse entendre le texte d’Hérodote que nous avons cité au début, l’oracle de Delphes n’avait pas du tout la même politique religieuse sur ce point. Cette source littéraire nous fait d’ailleurs connaître au passage un exemple de jeux parfaitement publics : c’est bien la cité de Caeré qui organise ces jeux après la bataille d’Alalia et la lapidation des prisonniers phocéens. On peut aussi supposer sans grand risque d’erreur que la plupart des cités étrusques célébraient – annuellement ? – des jeux, en l’honneur au moins de leur divinité poliade, sur le modèle des Ludi Magni romains célébrés en septembre en l’honneur du Jupiter Capitolin.

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30 Par ailleurs, nous savons avec certitude qu’il existait en Etrurie des jeux organisés dans le cadre de la confédération étrusque des douze cités, de même que la Grèce classique connaissait des jeux panhelléniques à Olympie, Delphes, Némée, ainsi qu’à l’Isthme de Corinthe. La dodécapole étrusque ne retrouvait son unité que lors de ces manifestations religieuses et spectaculaires qui devaient aussi accompagner une foire animée, un grand marché : en tout cas, elle ne réussira jamais à mettre au point une politique concertée et c’est bien ce qui a facilité la conquête romaine. A chaque fois qu’une cité étrusque appelait au secours devant les menées agressives de Rome, les autres cités toscanes avaient toujours un bon prétexte pour se défiler. A vrai dire, nous n’avons guère d’informations précises sur ces jeux étrusques, en particulier sur leur contenu, mais nous pouvons légitimement penser qu’ils avaient un programme sportif et scénique dont l’iconographie funéraire nous donne un reflet assez juste. Nous savons en tout cas qu’ils étaient dédiés à Tinia, le Zeus-Jupiter étrusque, le dieu principal (princeps) du panthéon toscan, célébré ici sous l’épiclèse de Voltumna, qui devait renvoyer précisément à son rôle de protecteur de la ligue des douze peuples. Ces ludi panétrusques étaient placés sous l’autorité d’un grand prêtre, d’un sacerdos et ils représentaient donc la marque la plus visible d’une unité étrusque des plus fragiles. Ils continuaient en tout cas d’être célébrés bien longtemps après la fin de l’indépendance étrusque, puisque nous les retrouvons mentionnés dans le rescrit de Spello, sous le règne de Constantin, sans doute en 337 de notre ère36. Un fait qui montre bien à lui seul l’importance et le rayonnement de cette manifestation : il ne reste plus aux archéologues qu’à mettre au jour les vestiges du Fanum Voltumnae, de ce grand sanctuaire panétrusque que Tite-Live signale par cinq fois dans son ouvrage, sans préciser son emplacement. Mais divers indices nous ont laissé penser depuis longtemps qu’il se trouvait près de Volsinies, qui est sans conteste l’actuelle Orviéto. Or, des fouilles actuellement menées au pied de cette magnifique cité juchée sur son rocher, au lieu-dit Campo della Fiera, semblent des plus prometteuses : dans quelque temps, la Delphes étrusque sera peut-être définitivement identifiée.

NOTES

1. Voir J.-P. THUILLIER, Les Etrusques. La fin d’un mystère ?, Paris, 1992 ; Id., Les Etrusques. Histoire d’un peuple, Paris, 2003. D. BRIQUEL, La civilisation étrusque, Paris, 1999. 2. J. HEURGON, La vie quotidienne chez les Etrusques, Paris, 1961, p. 241-242. 3. Sur cette question, A. HUS, « Stendhal et les Etrusques », in L’Italie préromaine et la Rome républicaine, Mélanges J. Heurgon, Rome, 1976, p. 437-469. 4. Par exemple, B. d’AGOSTINO, « Image and Society in Archaic Etruria », in JRS, 79, 1989, p. 1-10. 5. Pétrone, Satiricon, 71, 6. 6. J.-P. THUILLIER, Les jeux athlétiques dans la civilisation étrusque, Rome (BEFAR), 1985, p. 622-635. F.-H. MASSA-PAIRAULT, La cité des Etrusques, Paris., 1996, p. 131. 7. Hérodote, 1, 167. 8. Tite-Live, 1, 35, 8. 9. M. MARTELLI, La ceramica degli Etruschi. La pittura vascolare, Novare, 1987, p. 260, n° 36.

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10. Sur ce dernier vase – le bucchero est la céramique noire typique de l’Etrurie – voir par exemple le catalogue de l’exposition récente du musée de Villa Giulia à Rome, Veio, Cerveteri, Vulci. Città d’Etruria a confronto, Rome, 2001, p. 170-171 (texte de M. A. RIZZO). 11. Gli Etruschi (M. TORELLI éd.), catalogue de l’exposition de Venise, Palazzo Grassi, Venise, 2000, n° 51, p. 425 et 556. 12. On trouvera un catalogue de la plupart de ces documents dans notre thèse sur les Jeux athlétiques… (cf. note 6). Sur la peinture étrusque, voir S. STEINGRÄBER (éd.), Etruskische Wandmalerei, Stuttgard-Zürich, 1985. 13. G. SASSATELLI, « Giochi atletici in monumenti funerari di area padana », in Spectacles sportifs et scéniques dans le monde étrusco-italique, Rome, 1993, p. 45-67. 14. J. D. BEAZLEY, Etruscan Vase-painting, Oxford, 1947, p. 2, pl. 2, 2a. 15. J.-P. THUILLIER, Les jeux athlétiques…, p. 231-254. 16. J.-R. JANNOT, Les reliefs archaïques de Chiusi, Rome, Collection de l’Ecole Française de Rome, 1984, p. 329 sq. Id., « De l’agôn au geste rituel », in Ant. Class., 54, 1985, p. 66-75. 17. J.-P. THUILLIER, « Un relief archaïque inédit de Chiusi », in RA, 1997, p. 243-260 : sur cette image, les pugilistes sont bien accompagnés par un musicien. 18. S. STEINGRÄBER, op. cit., n° 92, p. 336-7, pl. 121-126. Le nom donné à cette tombe est un peu ambigu car il semble impliquer des ressemblances avec l’agonistique grecque : en fait, il n’est lié qu’aux Jeux Olympiques modernes qui devaient se tenir à Rome deux ans après la découverte de cet hypogée couvert de fresques à sujet sportif. 19. A. PONTRANDOLFO, A. ROUVERET, Le tombe dipinte di Paestum, Modène, 1992. 20. Z. MAYANI, Les Etrusques commencent à parler, Paris, 1961, p. 315. 21. Dans les concours grecs comme Olympie, on sait que le dolichos est la course longue qui doit faire un peu moins de 5,000 m ; quant au diaulos, c’est le double stade, autrement dit une distance un peu inférieure à 400 m. 22. J.-R. JANNOT, in JRA, 6, 1993, p. 280. 23. J.-P. THUILLIER, « La nudité athlétique (Grèce, Etrurie, Rome) », in Nikephoros, 1, 1988, p. 29-48. 24. Archölogischer Anzeiger, 1976, p. 500-501, pl. 17-20. 25. M. C. ROOT, « An Etruscan horse race from Poggio Civitate », in AJA, 77, 1973, p. 123 sq. 26. R. C. BRONSON, « Chariot racing in Etruria », in Studi in onore di L. Banti, Rome, 1965, p. 89-106. 27. J.-R. JANNOT, Reliefs archaïques… (n. 19), p. 350-355. 28. F. COARELLI, « Il Campo Marzio occidentale. Storia e topografia », in MEFRA, 89, 1977, p. 837 sq. 29. J.-P. THUILLIER, « Les desultores de l’Italie antique », in CRAI, 1989, p. 33-53. 30. J. F. BOMMELAER, Guide de Delphes. Le site, Paris-Athènes, 1991, p. 213-217. 31. G. COLONNA, « Strutture teatriformi in Etruria », in Spectacles sportifs… (n. 16), p. 321-347. 32. J.-P. THUILLIER, cf. n. 9. 33. Ovide, Amores, 3, 2 ; Ars amatoria, 1, 135-162. 34. Tite-Live, 5, 1. 35. J.-P. THUILLIER, « Mort d’un lutteur », in MEFRA, 97, 1985, p. 639-646. 36. CIL XI, 5 265. Sur cette inscription, J. GASCOU, « Le rescrit d’Hispellum », in MEFR, 79, 1967, p. 609 sq.

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RÉSUMÉS

Si la civilisation étrusque fut souvent caractérisée de « mystérieuse » du fait du manque d’éléments pour la cerner, il y a un domaine que nous saisissons relativement bien : celui des jeux funéraires connus grâce aux fresques retrouvées dans les tombes étrusques. L’article procède à une analyse de la pratique sportive chez les Etrusques telle qu’elle transparaît à travers ces peintures en la situant dans le contexte de son voisinage avec les deux autres grandes civilisations antiques voisines : Rome et la Grèce.

The Etruscan civilization has often been branded “mysterious” due to a lack of physical data regarding it. Nevertheless, there is a domain which is relatively well-know: the funerary ceremonies and the games included in them can be studied thanks to the frescos found in numerous Etruscan tombs. This article proceeds to an analysis of Etruscan sport practices as they can be figured out thanks to these paintings. It situates them within the framework of this civilization’s neighborhood with two other major civilizations of Mediterranean Antiquity: Rome and Greece.

AUTEUR

JEAN-PAUL THUILLIER

École Normale Supérieure (Paris)

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Les Jeux Olympiques de 1896 : réflexions sur une renaissance The 1896 Olympic Games: Thoughts about a Revival

Françoise Étienne et Roland Étienne

1 Des derniers jeux de l’Antiquité, à la fin du IVe siècle. ap. J.-C.1, aux premiers jeux de l’ère moderne en 1896, le cheminement est long et complexe2. C’est moins ce cheminement qui nous intéressera ici, avec ses tentatives toutes avortées, que les conditions précises du renouveau en 1896, et la façon dont la Grèce va y être impliquée.

La Grèce et l’olympisme : E. Zappas

2 Dès le milieu du XIXe siècle, la Grèce connut des « frémissements olympiques » dans un contexte de renaissance nationale et patriotique. L’idée de rétablir des jeux avait été popularisée par des intellectuels comme Panayotis Soutsos et elle sembla se concrétiser en 1856, lorsque Evangélis Zappas proposa au roi Othon une donation dans le but de financer ces nouvelles manifestations.

3 E. Zappas (1800-1865) était un Épirote du Nord, un combattant des guerres de Libération, qui, après l’Indépendance de la Grèce, s’installa en Roumanie, où il exerça la médecine avant de devenir un riche propriétaire foncier. Zappas rêvait du passé glorieux, de régénération des mœurs et, bien sûr, de Jeux Olympiques. Son offre généreuse fut acceptée, mais le ministre des Affaires étrangères, Alexandre Rangabé, suggéra de combiner les concours athlétiques avec des expositions industrielles et artistiques et de construire pour cela un bâtiment, le futur , pour les recevoir. 4 En 1858, les Olympiades furent créées par décret royal. La première eut lieu en octobre 1859 : si les expositions furent un succès – le grand peintre Nikiphoros Lytras y obtint un prix – il n’en alla pas de même des épreuves d’athlétisme : les concurrents n’étaient pas entraînés, les juges étaient incompétents et l’organisation était inexistante : des spectateurs furent piétinés et blessés par la police montée qui essayait de laisser libre passage dans les rues aux concurrents ; des athlètes furent arrêtés par la

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police, pris par erreur pour des spectateurs « resquilleurs ». Des enfants et des vieillards s’engagèrent à la dernière minute dans les compétitions ; un aveugle se présenta à une des épreuves.3 5 Le Journal Hestia du 29 avril 1896 rapporte que 20 000 personnes massées debout sur la place Ludovicou assistèrent aux Jeux. Aucun incident n’éclata pendant la course de chevaux et de chars que tout le monde pouvait suivre, quelle que soit sa place. Mais quand commencèrent les épreuves athlétiques (course, saut, disque, saut à l’outre et montée au mât), il était évident que seuls les premiers rangs profitaient du spectacle. Furieux, les autres spectateurs arrachèrent fès et chapeaux de ceux qui les gênaient et les poussèrent si violemment qu’ils rompirent les barrières. Ce fut une bousculade indescriptible. Timoléon Philémon, le futur maire d’Athènes, et correspondant du journal Aionos, malmené lui aussi par la foule, écrivit un article vengeur pour dénoncer cette parodie de concours olympiques. D’autres confrères, plus philosophes, ne donnèrent aucun compte-rendu de l’événement, considérant qu’il n’y avait rien eu à voir…

6 La deuxième olympiade n’eut lieu qu’en 1870, en raison des bouleversements politiques intervenus (déposition du roi Othon, accession au trône de Georges Ier) ; entre-temps, E. Zappas était mort, mais son cousin et exécuteur testamentaire, Constantin Zappas, poursuivait son œuvre. A la grande satisfaction de tous, les épreuves sportives se déroulèrent dans le stade panathénaïque, aménagé par Lycurgue au IVe s. av. J.-C. et reconstruit en marbre par Hérode Atticus au IIe s. de notre ère. ; on se contenta de le déblayer sommairement pour accueillir 30 000 spectateurs qui assistèrent à des prestations de meilleure qualité. 7 Mais, en 1875, les Jeux furent un fiasco complet ; selon certaines sources, la responsabilité en incombait au comité d’organisation qui menait une politique élitiste en écartant les concurrents issus des classes populaires. Quoiqu’il en soit, en 1888, les compétitions ne réunirent que 32 athlètes pour 12 épreuves et se déroulèrent dans l’indifférence générale. Ces fâcheuses expériences ne devaient pas encourager le gouvernement grec à renouveler l’aventure en 1896. L’olympisme fut relancé de France et s’incarne en P. de Coubertin.

Coubertin, la Grèce et l’Olympisme

8 L’olympisme ne fut pas pour le baron de Coubertin un but, mais un moyen pour populariser les exercices physiques et promouvoir le sport dans les établissements scolaires français. Les idées de Coubertin ne forment pas un corpus très clair – elles ont d’ailleurs évolué au cours du temps et couvrent 70 000 pages – et comportent quelques contradictions, celles que l’on retrouve dans un milieu aristocratique traditionaliste, mais cependant teinté d’une idéologie généreusement républicaine.

Les idées de Coubertin et leurs contradictions

9 Coubertin naquit à Paris le 1er janvier 1863, sous le Second Empire. Il est issu d’une famille aristocratique, royaliste et catholique du « Faubourg Saint-Germain ». Après des études secondaires chez les Jésuites où il acquiert une solide culture classique, il prépare l’école militaire de Saint-Cyr – voie toute tracée pour les jeunes gens de sa classe sociale –, mais abandonne très vite ce projet parce qu’il croit à un avenir de paix.

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Il s’inscrit à la Faculté de droit, mais, pas plus que pour les armes, il n’a d’inclination pour les disciplines juridiques. Il apparaît alors comme un jeune homme mondain, cultivé et dilettante, consacrant beaucoup de temps au sport : il pratique l’équitation, l’aviron, l’escrime, la boxe… Il suit aussi des cours à l’École libre des Sciences politiques et se passionne pour l’histoire contemporaine. Il lit beaucoup : Tocqueville, Auguste Comte et Taine, en particulier les ouvrages de ce dernier sur l’éducation anglaise, qui vont influencer toute sa carrière. Il fréquente la Société d’Économie libérale, créée par Frédéric Le Play, un des fondateurs de la sociologie moderne et un représentant du catholicisme social. Coubertin le considéra toujours comme un maître à penser qui lui fit prendre très tôt conscience de la question sociale.

10 C’est en 1883, lors d’un premier voyage en Angleterre, suivi de beaucoup d’autres, que Coubertin découvrit ce qui devint son champ d’action : l’éducation et la rénovation du système d’enseignement français qu’il jugeait archaïque et sclérosant. 11 Les enquêtes qu’il mène dans les collèges et les universités d’Outre-Manche mettent en évidence la place privilégiée accordée aux exercices physiques dans le système éducatif. D’ailleurs, dans toute l’Angleterre, on remarque le même intérêt pour l’athlétisme et pour les sports traditionnels ou d’essor plus récent, comme l’aviron, le cricket ou le football. Mais c’est surtout au Collège de Rugby que Coubertin perçoit la relation, fondamentale à ses yeux, entre la pratique des sports et la construction de la personnalité individuelle et sociale. Les exercices du corps développent l’autonomie des adolescents, contribuent à forger les caractères et à former des citoyens. 12 Ce sont les méthodes anglaises que Coubertin va s’efforcer de faire adopter en France qui, selon sa propre expression, « avait un pressant besoin de rebronzage pédagogique ». Désormais, il consacre sa vie à cette tâche dans laquelle il voit le facteur déterminant de l’avenir de la civilisation européenne. Ses idées firent leur chemin lentement : n’était-ce pas l’époque où Maurice Barrès, académicien et député de la droite, déclarait que le sport « faisait des ignares, des cardiaques, des éclopés et des brutes » ? Et si les responsables de l’Instruction publique appliquèrent progressivement le programme de Coubertin, ce fut sans jamais faire référence à celui qui en fut en quelque sorte l’initiateur. 13 Si ses biographes voient toujours en Coubertin un humaniste, un philanthrope, un idéaliste doublé d’un homme d’action lucide et efficace, des voix se sont élevées pour dénoncer, textes à l’appui, un homme politique conservateur, élitiste et sexiste, un colonialiste raciste4. Ses positions inacceptables au moment de l’affaire Dreyfus – il fut antidreyfusard non par antisémitisme, mais par respect du jugement d’un tribunal militaire – et son adhésion aux Jeux de Berlin en 1936, où il ne discerna pas le détournement de l’idéal olympique au profit de la propagande raciste nazie, viennent étayer cette thèse (il n’assista pas aux Jeux de Berlin, mais accepta les cadeaux du Führer !). D’autres historiens, en s’appuyant sur les écrits de Coubertin, ont dressé un tableau plus nuancé et qui s’inscrit mieux dans le contexte de son époque. 14 Le baron de Coubertin n’était pas à proprement parler un politique ; il ne fut jamais inscrit dans un parti. Les hommes de droite ne lui pardonnaient pas son adhésion à la République ; ceux de gauche se méfiaient de ses origines et de son libéralisme ; les intellectuels ne le prenaient pas au sérieux. Cet aristocrate, par ailleurs très représentatif du « Faubourg Saint-Germain », s’affirma dès 1887 républicain, dans un milieu où l’on aspirait plutôt au rétablissement de la monarchie : « la République dont je me réclame est celle de Gambetta, de Jules Ferry et de Carnot ». Le système

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républicain, qui fait de l’instruction le moteur du progrès humain, correspondait à sa vision de l’avenir de la société. Bourgeois libéral, partisan de l’ordre établi et du capitalisme, le concept de lutte des classes lui est étranger, tout comme lui échappe l’importance de la pensée de K. Marx, son contemporain. Mais sa foi dans le progrès et la modernité – dans la lignée des humanistes des Lumières – lui fait souhaiter des réformes d’inspiration libérale et chrétienne. Il considère que les masses doivent avoir accès à la culture et prône la création d’universités ouvrières : « Il n’est pas question d’associer brusquement la classe laborieuse à la haute culture, telle que l’âge précédent l’a comprise, mais il faut qu’elle en dresse elle-même l’inventaire, afin que si, demain, le temple où sont enfermées les richesses acquises de la civilisation venait à être confié à sa garde, ce temple soit respecté et entretenu »5. En quelque sorte, il craignait que le peuple accède à la démocratie sans avoir appris à s’en servir. 15 De son propre aveu, Coubertin fut un disciple enthousiaste de la politique coloniale française dans laquelle il voyait un facteur de la grandeur nationale. Il justifiait l’ordre colonial au nom de la supériorité de la race blanche sur les autres races. Et le sport qu’il préconisait pour les indigènes était avant tout « instrument de disciplination ». Même si ces théories étaient largement partagées par ses contemporains, il n’en reste pas moins que de tels propos, tenus par l’homme qui mit en place une institution internationale fondée sur une idéologie de fraternité, jettent une ombre sur l’humanisme de Coubertin et en montrent les limites. 16 Quant à l’accusation de sexisme, elle n’est pas non plus réfutable : il fut toujours farouchement opposé à la participation des femmes aux compétitions sportives au nom de la décence : « Impratique, inintéressante, inesthétique et, nous ne craignons pas de le dire, incorrecte, telle serait à notre avis cette demi-olympiade féminine »6. Disons que le féminisme n’en était qu’à ses débuts et que le baron ne faisait que refléter les préjugés de son époque. 17 Pierre de Coubertin fut donc une personnalité complexe, oscillant sans cesse entre deux courants opposés, d’où des positions confuses ou contradictoires. Il n’en reste pas moins un homme hors du commun qui engagea son siècle dans la modernité.

L’Olympisme de Coubertin

18 Pourquoi avoir rétabli les Jeux Olympiques ? P. de Coubertin apporte une réponse dans un article publié dans un journal belge en 1906 : « pour ennoblir et fortifier les sports, pour leur assurer l’indépendance et la durée et les mettre ainsi à même de mieux remplir le rôle éducatif qui leur incombe dans le monde moderne »7.

19 Le rétablissement des Jeux fut donc mis au service du grand projet pédagogique, intellectuel et moral qui est lié au renouveau de l’athlétisme au XIXe s. Et c’est grâce à l’immense prestige de l’Antiquité que Coubertin put imposer les Jeux modernes et établir les fondements philosophiques du nouvel olympisme. 20 On s’interroge sur les liens que Coubertin entretint avec l’Antiquité et plus généralement avec la Grèce : des liens passionnels, sans aucun doute, avec un pays qu’il définit comme « celui de l’attachement définitif » et avec un lieu, Olympie, où il demandera que son cœur soit déposé après sa mort. Pourtant, c’est tardivement – après la décision du Congrès d’inaugurer les Jeux d’Athènes – qu’il fit le voyage en Grèce et visita « le berceau des sports ». Jusqu’alors sa connaissance de la civilisation grecque ancienne tient à ses études classiques :

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Rien dans l’histoire ancienne ne m’avait rendu plus songeur qu’Olympie. Cette cité de rêve… dressait sans cesse devant ma pensée d’adolescent ses colonnades et ses portiques ; bien avant de songer à extraire de ses ruines un principe rénovateur, je m’étais employé en esprit à rebâtir, à faire revivre sa silhouette linéaire. L’Allemagne avait exhumé ce qui restait d’Olympie ; pourquoi la France ne réussirait-elle pas à en reconstituer les splendeurs ? De là au projet, moins brillant mais plus pratique et plus fécond, de rétablir les Jeux, il n’y avait pas loin8. 21 Le moment était en effet propice : au cours des trois dernières décennies du XIXe s., c’est un véritable bond en avant qu’accomplit l’archéologie grecque. C’est l’ère des grandes fouilles et des trouvailles spectaculaires qui suscitent la curiosité et l’enthousiasme d’un large public, nourri de culture classique. Depuis 1875 l’Allemagne a entrepris la « résurrection matérielle » d’Olympie9. Coubertin en a suivi toutes les étapes et il a dû rêver devant la restitution du sanctuaire, œuvre de l’architecte et ancien prix de Rome, Victor Laloux, présentée à l’Exposition universelle de 1889, toutes choses qui ne sont pas étrangères à sa volonté de faire revivre les Jeux.

22 En novembre 1894, Coubertin découvre enfin Olympie ; il y revient 33 ans plus tard, en 1927, lors de l’inauguration du monument commémoratif des Jeux ; il évoque sa première visite et laisse remonter les souvenirs : Un air pur, embaumé des senteurs, soufflait des rives de l’Alphée. Le clair de lune anima un moment un paysage vaporeux, puis la nuit étoilée tomba sur les deux mille ans dont je venais chercher l’émouvant contact. Le lendemain…, je me hâtai seul vers les ruines. Leur petitesse provenant d’une part de la proportion restreinte des édifices et, de l’autre, de leur entassement… leur petitesse donc ne me surprit pas, ni ne me déçut. C’est d’une architecture morale dont j’avais à recueillir les enseignements et celle-là magnifiait toutes dimensions10. 23 Pèlerin de l’histoire, Coubertin n’est pas pour autant un nostalgique du monde antique. Admirateur de la lutte acharnée des Grecs pour leur indépendance, il est un philhellène convaincu, même s’il récuse le terme dans l’acceptation qui est celle de la fin du XIXe s. Un philhellène est un Occidental cultivé qui sent tout ce que lui et ses pareils doivent à la Grèce antique et qui, par reconnaissance des services rendus par la Grèce antique à la civilisation, condescendent à témoigner beaucoup de bienveillance à la Grèce moderne… Eh bien, puisque c’est comme cela que l’opinion entend le mot de ‘philhellène’, je ne veux pas de ce qualificatif, parce que ce n’est pas à la Grèce antique que vont mon respect et mon admiration, c’est à la Grèce moderne11. 24 À Athènes, il s’émerveille de trouver, dans cette ville en pleine construction, tous les signes d’un peuple jeune. Les contacts avec la population l’enchantent, vexé seulement que son grec de collège ne lui servit à rien, grâce surtout à la prononciation qu’on nous avait apprise. Mais alors on parlait partout français… Mon étonnement était grand de trouver une Grèce si vivante, restée si semblable à elle-même, à la fois très antique et très moderne. Mon instinct ne m’avait pas trompé en m’inclinant fortement vers elle. Désormais, j’étais certain de son avenir. Je garderai toujours en ses destins renouvelés une foi solide12. 25 Parce que la Grèce était à la fois très antique et très moderne, parce que l’hellénisme était pour P. de Coubertin non chose du passé, mais chose d’avenir, l’idéal de l’ancienne Olympie pouvait, dans ses lignes essentielles, s’adapter au monde moderne. Le génie de Coubertin fut d’utiliser l’aura dont bénéficiait l’Antiquité grecque pour transposer certains traits caractéristiques des Jeux antiques en des équivalents symboliques, propres à son époque, dont il fit les fondements de l’olympisme rénové. Dans cette perspective, s’attacher aux ressemblances ou aux différences entre concours anciens et

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jeux modernes n’a pas grand sens. Peu importe que certaines épreuves antiques aient été remplacées par des sports modernes comme le cyclisme ou la natation – ce qui fut considéré par les puristes comme un monstrueux anachronisme. En revanche, la course de Marathon, imaginée par l’académicien français Michel Bréal, contribua à créer une mystique autour des Jeux rénovés, en raison des qualités physiques exceptionnelles qui étaient requises pour triompher et parce que ce fut un Grec qui l’emporta : le rayonnement de ces concours devait être à la hauteur de l’exemple antique.

26 Une notion commune à l’olympisme antique et au néo-olympisme est celle de rassemblement. L’échelle en est pourtant différente, puisque dans l’Antiquité, il ne s’agit que de réunir les Grecs, alors qu’à l’époque contemporaine il s’agit de concours à vocation internationale, « la grande fête quadriennale de la jeunesse ». D’autre part, des concours antiques étaient exclus les étrangers, les femmes et les esclaves. Cette idéologie discriminatoire allait à l’encontre de l’internationalisme de Coubertin (à ceci près qu’il refusait lui aussi aux femmes le droit de concourir !), mais, pour le baron, les pratiques sportives n’en étaient pas moins réservées à une élite : « une aristocratie d’originaire égalitaire puisqu’elle n’est déterminée que par la supériorité corporelle de l’individu et par sa volonté d’entraînement ». Cette élite est assimilée à une chevalerie, les athlètes à des frères d’armes, unis par l’estime réciproque, ce qui n’exclut pas l’esprit de concurrence, ni la recherche des records, d’où la devise : citius, altius, fortius (« plus vite, plus haut, plus fort »). L’olympisme de Coubertin peut constituer une « école de noblesse et de pureté morale », à condition que tous les éléments de corruption soient éliminés, ce qui implique que les Jeux soient réservés aux amateurs et non aux professionnels concourant pour de l’argent. 27 À la notion de rassemblement, Coubertin a voulu donner une connotation religieuse : « j’estime avoir eu raison de restaurer dès le principe, autour de l’olympisme rénové, un sentiment religieux, transfiguré et agrandi par l’internationalisme et la démocratie qui distinguent les temps modernes ». À la religio athletae, se substitue en fait l’idéal démocratique et l’internationalisme : le néo-olympisme doit avoir une base laïcisée. 28 Tout un rituel inspiré plus ou moins du modèle antique se met en place au fil des olympiades : formule solennelle d’ouverture et de clôture des Jeux, hymne olympique, plus tard serment des athlètes, drapeau, relais de la torche… Des cérémonies religieuses furent aussi associées aux concours : en 1896, à la Cathédrale d’Athènes et dans l’église catholique de Saint-Denys-l’Aréopagite. 29 Un des aspects de l’olympisme qui a le plus impressionné P. de Coubertin, c’est la trêve. Il était très attaché à l’idéal de paix et de fraternisation entre les peuples. Bien qu’appartenant à une génération traumatisée par la défaite de la France face à la Prusse en 1870, il a toujours dénoncé l’esprit de revanche de ses contemporains comme une « conception fausse et mesquine du patriotisme ». Ainsi fixa-t-il la paix, la compréhension et le respect mutuel entre individus, nationalités et races comme un des objectifs principaux des Jeux rénovés. Même si la trêve antique avait une tout autre signification, l’interprétation que Coubertin en proposait renforçait l’institution qu’il fondait en lui donnant la caution du passé antique. De même, Coubertin souhaita associer l’art aux Jeux modernes, sur l’exemple de ce qui se faisait non à Olympie mais à Delphes ou à Athènes. En 1906, il réunit à la Comédie française une « conférence consultative des Arts, Lettres et Sports »13. Mais au début du XXe s., l’idée que le sport pouvait faire partie de la culture et être mis sur le même plan n’était pas encore admise et ne séduisait ni les sportifs, ni les artistes. Cependant des concours d’architecture, de

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peinture, de sculpture et de musique se déroulèrent parallèlement aux Jeux, de 1912 à 1948. Dès la première olympiade des artistes grecs de renom apportèrent leur contribution. 30 Ainsi, à sa façon, dès l’origine, la célébration olympique était porteuse de toutes les valeurs essentielles héritées de l’hellénisme, quitte à en prendre à son aise avec les réalités historiques : on cherchait dans les références à la Grèce antique ce que l’on avait envie d’y trouver. Cet hellénisme de rêve appartenait à la culture des élites depuis la fin du XVIIIe s. Ce que mit en route Coubertin, s’apparente moins à une résurrection, celle des concours antiques, qu’à une création, celle de la culture moderne où les jeux du corps complétaient ceux de l’esprit.

Prolégomènes d’une renaissance

31 En 1891, Coubertin avait pris la direction de l’USFSA (L’Union des sociétés françaises de sports athlétiques) qui, un an plus tard, célébrait son cinquième anniversaire. C’est à cette occasion que le baron décida de lancer en public l’idée qu’il avait mûrie depuis longtemps de rétablir les Jeux Olympiques, lors d’une séance solennelle qui se tint le 25 novembre 1892 dans l’ancienne Sorbonne. De l’avis même de l’auteur, cette annonce fut un « message perdu » : Naturellement, j’avais tout prévu, hormis ce qui arriva. De l’opposition, des protestations, de l’ironie ? ou même de l’indifférence ?… Point du tout. On applaudit, on approuva, on me souhaita un grand succès, mais personne n’avait compris. C’était l’incompréhension totale, absolue qui commençait. Elle devait durer longtemps… L’hiver 1892-1893 se passa sans que l’idée eut le moins du monde rebondi dans l’opinion… La grande plaisanterie des gens « cultivés » était de s’enquérir si les femmes seraient admises parmi les spectateurs aux nouveaux Jeux et si, comme à certaines périodes de l’Antiquité, la nudité générale serait imposée pour mieux défendre l’accès de l’enceinte au sexe faible14.

Le congrès fondateur

32 Coubertin ne reçut le soutien que de trois pays, la Suède, la Jamaïque et la Nouvelle Zélande. La France ignorait le projet, tout comme l’Allemagne ; l’Angleterre était sceptique et considérait d’ailleurs que l’athlétisme était son apanage exclusif. Le projet semblait voué à l’insuccès. C’était mal connaître l’opiniâtreté et l’énergie de Coubertin. Son dessein était d’organiser un congrès international auquel participeraient les délégués des gouvernements et des universités sur le rétablissement des Jeux Olympiques et il le maintint, en le « truquant », selon ses propres termes, en lui donnant pour thème « l’amateurisme ». Pendant deux ans, il va se dépenser sans compter, multiplier les démarches auprès des chefs d’État et des dignitaires pour obtenir leur soutien, faire des voyages aux États-Unis et en Grande-Bretagne pour contacter les milieux sportifs et en particulier les universités. En France, ce sont d’autres difficultés qui l’attendent : certaines sociétés sportives refusaient de participer à un Congrès où seraient présents des délégués allemands ; il existait aussi un antagonisme entre les sociétés de gymnastique et les sociétés athlétiques…

33 Le succès ne vint qu’au printemps 1894 : les adhésions se multiplièrent : Américains, Anglais, Suédois, Espagnols, Italiens, Belges, Russes et Australiens. Le programme définitif avait été publié au début de 1894 : il comprenait deux parties, la première,

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« amateurisme et professionnalisme », la seconde, « Jeux Olympiques », avait une place beaucoup plus discrète. 34 Le 16 juin 1894 dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, sous les fresques de Puvis de Chavanne, deux mille personnes sont réunies, dont douze représentants de pays étrangers et de nombreuses personnalités du monde politique et artistique. Coubertin a soigneusement préparé cette séance qui, après les discours officiels, s’achève avec l’audition de l’hymne d’Apollon, dont le texte a été découvert à Delphes en 1893, transcrit par Théodore Reinach et mis en musique par Gabriel Fauré15. L’hymne est interprété par Jeanne de Remacle, soliste à l’Opéra, accompagnée de chœurs et de harpes. Coubertin avait souhaité créer un climat d’exaltation et son attente n’est pas déçue : Une sorte d’émotion nuancée se répandit comme si l’antique eurythmie transparaissait à travers les lointains âges. L’hellénisme s’infiltra de la sorte dans la vaste enceinte. Dès ces premières heures, le Congrès avait abouti. Je savais que, désormais, consciemment ou non, personne ne voterait contre le rétablissement des Jeux Olympiques16. 35 Effectivement, le 23 juin 1894, le Congrès vote à l’unanimité et par acclamation le rétablissement des Jeux Olympiques de l’époque moderne et se prononce pour leur organisation à Athènes, deux ans plus tard.

La préparation des Jeux d’Athènes et le Comité olympique

36 Aussitôt un Comité international – il deviendra le C.I.O. (Comité international olympique) – est constitué dans le but d’organiser la première olympiade. Il est composé de quatorze personnalités, proches de Coubertin et jouissant d’un certain prestige dans leur pays. Le baron assure le secrétariat général et Démétrios Vikelas, la présidence. Ce dernier était un homme de lettres vivant alors à Paris et qui était très actif dans tous les mouvements de défense de l’hellénisme (il fut même appelé à présider la Revue des Études grecques) ; il était le délégué de la Société panhellénique de gymnastique au congrès de 1894. La mission du Comité est définie de la façon suivante : Assurer la célébration régulière des Jeux Olympiques ; rendre cette célébration de plus en plus parfaite, digne de son glorieux passé et conforme aux idées élevées dont s’inspirèrent ses rénovateurs ; provoquer ou organiser les manifestations et en général prendre toutes les mesures propres à orienter l’athlétisme moderne dans les voies désirables. 37 Au delà de cette déclaration de principes, Coubertin a élaboré ce qui reste encore aujourd’hui la base de l’olympisme : • la périodicité des Jeux tous les quatre ans ; • le changement de lieu où ils se déroulent ; • l’égalité des sports ; • l’indépendance absolue du Comité olympique qui ne doit accepter aucune subvention et donc ne subir aucune influence ; • enfin, la constitution dans chaque État d’un comité national, chargé d’assurer la participation des différents pays aux Jeux Olympiques. Coubertin avait triomphé sur tous les points, on pouvait alors se tourner vers Athènes.

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Le choix d’Athènes

38 Inaugurer à Athènes les premiers Jeux Olympiques de l’époque moderne était un symbole fort, celui de la continuité de la tradition grecque, de l’Antiquité à l’époque moderne. Ce choix ne correspondait pas cependant au projet de Coubertin, qui avait envisagé Paris et l’Exposition universelle de 1900 comme cadre des premiers Jeux modernes. C’est Dimitrios Vikélas qui le fit changer d’avis : Trompé comme la plupart de mes contemporains sur les forces juvéniles de la Grèce ressuscitée, je ne pensais pas qu’elle fut en état de faire face à l’inauguration de rencontres sportives mondiales17. 39 Il n’était pas le seul à le penser. En Grèce, cette décision tout à fait imprévue suscita l’enthousiasme de la population : de retour à Athènes, D. Vikélas écrit le 4 octobre 1894 à Coubertin : « Depuis Brindisi jusqu’ici, tous mes compatriotes me parlent des Jeux Olympiques avec joie ». La presse dans son ensemble, fière de l’honneur fait à la Grèce, contribua à donner à l’événement athénien un grand retentissement. Le journal Hestia ouvrit ses colonnes à Vikélas ; Acropolis soutint également le rétablissement des Jeux Olympiques : Le rétablissement des Jeux Olympiques est l’occasion de montrer aux étrangers qui vont se réunir dans la métropole grecque que, si la Grèce des partis politiques a fait faillite, la Grèce des traditions éternelles n’est pas morte et peut surmonter toutes les difficultés afin de mieux ressusciter : ce sont les jeunes qui fréquentent les gymnases (« palaestra ») qui, dans peu de temps, vont apporter la renaissance… Allons-y ! nous devons tous travailler avec zèle et enthousiasme pour le succès des premiers Jeux européens. Montrons aux Éuropéens que la jeunesse grecque est toujours vivante, que le sang coule toujours dans nos veines et que notre nation va connaître des jours meilleurs18. 40 Ces sentiments patriotiques étaient largement partagés. De plus la nouvelle classe bourgeoise qui émerge en Grèce dans la seconde moitié du XIXe s. vit dans le projet olympique une occasion de développer des initiatives économiques et touristiques. Enfin le monde des intellectuels et des artistes, lui aussi en pleine évolution, se passionna pour les Jeux : les artistes les plus représentatifs du temps participèrent directement à la célébration (Gyzis, Lytras, Palamas). Il ne fait aucun doute qu’à Athènes, dans les salons et les cafés littéraires qui fleurissaient alors, les jeux étaient au cœur des discussions et des polémiques.

41 En effet, certains politiques ne partageaient pas l’enthousiasme général : Charilaos Trikoupis, le chef du gouvernement, était même bien résolu à décliner la proposition et chacun savait qu’il était difficile de s’opposer à sa volonté de fer. La Grèce n’était pas en mesure, selon lui, d’assurer l’organisation et d’assumer les dépenses inhére-ntes à une telle entreprise. Bref, les Jeux coûtaient trop cher.

La situation de la Grèce

42 La situation de la Grèce justifiait-elle ces réticences ? La Grèce était un petit État qui s’étendait jusqu’à la Thessalie et qui comptait 2 433 806 habitants en 1896. C’était un pays fondamentalement pauvre que Trikoupis avait eu l’ambition de développer afin de l’élever au niveau des nations occidentales. Pour ce faire, il avait engagé un grand programme de travaux publics – construction d’un réseau ferré et ferroviaire, aménagement des ports et percement du canal de Corinthe –, qui devait renforcer les

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activités commerciales, favoriser l’industrialisation et même lutter contre le brigandage qui sévissait encore dans les provinces19.

43 Pour mener à bien ce programme, la Grèce manquait de capitaux, mais aussi de techniciens. Elle fit appel au savoir faire des étrangers et particulièrement à des ingénieurs français, spécialisés dans les ouvrages hydrauliques et dans la construction des routes. L’œuvre des Français fut importante et contribua à resserrer les liens entre les deux pays (c’est au même moment en 1892 que les Grecs ont finalement donné aux Français le chantier archéologique de Delphes20) au point de susciter la jalousie des Anglais (même les rapports de certaines administrations grecques étaient rédigés en français !). 44 Le coût des infrastructures était très lourd et l’État grec, malgré l’augmentation considérable des impôts et des taxes ne pouvait y suffire. Il fallut donc contracter des emprunts à l’intérieur et à l’étranger, qui atteignirent la somme exorbitante de 630 millions de drachmes. Trikoupis comptait sur le développement rapide de l’économie grecque pour rembourser la dette, mais c’était surestimer les capacités du pays et, en 1893, la banqueroute fut inévitable. La faillite des finances publiques – vécue comme une humiliation nationale – porta un coup très dur, non seulement au crédit international du pays, déjà fort entamé, mais à l’hellénisme tout entier. L’élan de sympathie et de solidarité qui avait soulevé l’Europe lors de la guerre d’Indépendance de 1821 était retombé depuis longtemps. En cette fin de siècle, le philhellénisme était passé de mode. La Grèce moderne avait déçu et même irrité : déçu les visiteurs romantiques, partis sur les traces de Chateaubriand, et confrontés à une réalité tout autre ; irrité les politiciens qui s’attendaient à trouver dans ce nouvel État, créé en 1830, un instrument docile au service des intérêts des trois puissances protectrices : la Russie, l’Angleterre et la France. 45 Or, la Grèce est un pays agité qui, depuis sa création en 1830, réclame le rattachement de tous les territoires peuplés en totalité ou en majorité par des populations grecques : Thessalie, annexée en 1881, Épire, Macédoine, Thrace, Crète… Ses revendications territoriales s’opposent aux aspirations nationales des autres peuples balkaniques (Albanais, Serbes, Bulgares) ainsi qu’aux intérêts des puissances protectrices qui, au nom de l’équilibre européen, refusent toute rectification des frontières et défendent l’intégrité de l’Empire ottoman. Pourtant, lorsque la Bulgarie annexa la Roumélie orientale, en 1885, les puissances ne réagirent pas. Ulcérée par l’accroissement d’un État rival, la Grèce fit des préparatifs d’armement. Sommée d’y renoncer, elle fut soumise à un blocus maritime. Bien évidemment, comme l’avait déjà fait remarquer E. Burnouf, l’ancien directeur de l’École française d’Athènes, les dépenses militaires, les pertes financières liées au blocus, pesèrent lourd dans la dette publique21. L’Europe eut donc sa part de responsabilité dans la faillite de 1893 : si, dès 1830, les puissances avaient donné à la Grèce des frontières « rationnelles », elle aurait alors eu les moyens de se consacrer à son développement intérieur. 46 Dans ce contexte, l’hostilité de Trikoupis aux Jeux s’explique aisément. Aux impératifs purement financiers s’ajoutaient des raisons politiques : des dépenses somptuaires pouvaient indisposer les créanciers de la Grèce. Mais, d’un autre côté, comme le soutenait l’opposition, les Jeux d’Athènes pouvaient être une occasion de rehausser le prestige du pays et de réchauffer les relations avec l’Europe. La crise atteignit son paroxysme à l’automne 1894. Après Trikoupis, la Commission du Zappeion, qui devait

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être la cheville ouvrière des Jeux de 1896, émettait des conclusions décourageantes et renonçait à les organiser. 47 Coubertin se rend alors en hâte à Athènes. A Marseille, il s’embarque sur l’Ortigal à destination du Pirée, « inquiet et joyeux », joyeux d’aller à la rencontre de cette « patrie universelle ». A Athènes, les factions s’affrontent : le chef de l’opposition, Théodore Déligiannis, a pris parti pour les Jeux auxquels Trikoupis est de plus en plus hostile. Le chargé d’affaires de France, Monsieur Maurouard, est placé dans une situation embarrassante : « vous avez déclenché une crise politique », lance-t-il au baron. Ce dernier se rend compte qu’il est devenu un ballon de jeu entre deux équipes politiques. Avec Trikoupis, qui s’est déplacé en personne pour le rencontrer à l’hôtel Grande- Bretagne, c’est un dialogue de sourds : chacun campe sur ses positions. Coubertin sait que la situation est délicate : que penser de celui qui vient vous dire ‘vous avez de bien beaux salons’. Permettez que nous y organisions, à vos frais, une fête qui sera superbe22. 48 Il est donc décidé à passer outre à la volonté du ministre et à frapper plus haut. En l’absence du roi Georges, il obtint une audience du prince héritier Constantin. Ce dernier était âgé de 26 ans, sportif, courageux, idéaliste et très populaire. Le prince, sensible aux accents philhellènes de son interlocuteur, se laisse convaincre, accepte de prendre la tête de l’organisation et se fait fort d’emporter l’adhésion royale à l’organisation des Jeux.

49 Avant de quitter Athènes, Coubertin, assisté de ses nouveaux amis, Georges Mélas, le fils du maire d’Athènes, Georges Mercati, le fils du directeur de la Banque de Grèce, met sur pied le nouveau Comité et fait adopter le programme qu’il a apporté de Paris. Le 16 novembre, il donne une conférence à la grande société littéraire, le Parnasse, devant une salle comble, mais un auditoire extrêmement partagé. Est-ce l’admirateur de l’Antiquité qui parle, le philhellène convaincu ou l’adepte de la démocratie et de l’internationalisme ? Peu importe. C’est une vague de fond que Coubertin déclenche en faveur des Jeux. Désormais, malgré les atermoiements du Comité et les remous de la Chambre (Boulè), qui provoquent la démission de Trikoupis en 1895, les difficultés sont surmontées et il ne reste plus qu’à recueillir les fonds.

Le financement des jeux

50 Le premier défi était d’ordre financier : Pierre de Coubertin avait estimé le coût de l’organisation des Jeux à 150 000 drachmes : on était loin du compte ! Étant donné la médiocrité des subventions publiques, le Comité olympique grec devait trouver des fonds : émission de timbres postes commémoratifs – les seuls en circulation pendant la durée des Jeux, dont la recette atteignit 400 000 drachmes ; organisation de collectes auprès de riches particuliers, mais aussi des municipalités, des monastères et des sociétés privées ; appel aux Grecs de l’étranger : les dons affluèrent des communautés grecques des Balkans, de la Méditerranée orientale, de Marseille, de Londres, de Boston… Le secrétaire du Comité olympique, Timoléon Philémon, partit pour Alexandrie demander l’aide d’un riche mécène, Georges Averoff23. Ce Grec d’Épire, né à Metsovo (1808-1890), s’était expatrié en Égypte où il avait fait fortune dans le négoce du coton et des céréales, étendant le champ de ses activités en Russie (raison pour laquelle il changea son nom d’Augéros en Averoff). Il offrit un million de drachmes-or pour reconstruire le stade : sans lui les Jeux n’auraient pu avoir lieu, faute d’installations

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adéquates. Les Athéniens reconnaissants érigèrent à leur bienfaiteur une statue en marbre pentélique, œuvre du sculpteur Georges Vrontos, qui se dresse à l’entrée du stade et qui fut inaugurée le 24 mars, veille de l’ouverture des Jeux.

51 C’est dans ces conditions assez précaires que furent créés les premiers Jeux Olympiques et que naquit un de ces mouvements internationaux les plus représentatifs de l’ère contemporaine. Pourtant, cette « internationale » du sport reçut tellement peu d’attention de la part des autorités officielles que l’ambassade de France conseilla au ministère de l’Instruction publique de n’y prêter aucune attention et de n’envoyer aucune représentation officielle24. 52 Ce premier olympisme véhiculait ni plus ni moins de contradictions que le mouvement actuel. Certains des défauts originels ont été heureusement comblés comme la participation des femmes qui est aujourd’hui l’une des meilleures, sinon des rares justifications du phénomène, en espérant que cette participation favorise l’émancipation féminine dans les pays où elle n’existe pas. La professionnalisation et la « marchandisation » actuelle du sport étaient en revanche étrangères aux idées des fondateurs. Quant aux rapports avec l’Antiquité, ils contribuent au rêve grec d’être au centre de la culture européenne, à défaut d’être au centre de l’Europe marchande. Les « Jeux » olympiques – les Anciens parlaient de concours (agôn), car il ne s’agissait pas de spectacles – sont en tout cas un des rites les plus vivants qui fait entrer brusquement une Antiquité de rêve dans la réalité contemporaine.

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Appendice

L’humour et les Jeux olympiques

53 Les caricatures parues dans les journaux grecs mériteraient une étude exhaustive, car elles sont souvent d’une grande qualité et renseignent sur la façon dont les Grecs voyaient les Jeux et leur pays ; nous donnons deux exemples, tirés du journal, ΤΟ ΑΣΤΥ, qui nous ont paru particulièrement représentatifs de cet humour hellénique25.

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1. Frontispice du 24 mars 1896 (fig. 1)

54

55 L’auteur, anonyme, se moque de ce qui fait aux yeux de ses contemporains la valeur de l’hellénisme et ridiculise avec gentillesse le renouveau des Jeux Olympiques. 56 La composition est encadrée en haut et sur les côtés par une guirlande et par une série de consoles, qui donnent à la page un style résolument néoclassique. D’ailleurs, les références à l’Antiquité sont partout présentes : on reconnaît sur les consoles du haut, le Discobole de Myron et, en face, un drôle de personnage, reproduisant le geste du « Gladiateur Borghèse », statue du Louvre, mais alors que ce dernier est nu, celui-là est habillé d’une tunique et porte des moustaches (?). Au-dessus, dans un médaillon, est représentée une Victoire prenant son envol, dont le modèle doit être la célèbre statue de Paionios de Mendé, qui avait été récemment découverte dans les fouilles allemandes d’Olympie. Les consoles du haut sont soutenues par un Pan à lunettes tenant une cithare ; celles du bas reproduisent les Hermès doubles, retrouvés dans les fouilles du stade, mais les têtes accolées n’ont rien à voir avec les statues antiques et ressemblent plutôt à des académiciens du XIXe s. (l’inscription de gauche exalte la force, dynamis, et celle de droite la fécondité, gonimotis). En bas, un Héraclès plutôt obèse est encadré par deux petits tableaux, où l’on reconnaît, à gauche un vieillard, peut-être Éole soufflant dans des voiles (doit-on y voir une allusion à l’incertitude du temps qui provoqua l’annulation, au dernier moment, des épreuves d’aviron ?) et, à droite, un personnage sautant à la corde. Les sports modernes sont évoqués par les raquettes de tennis, à côté d’Héraclès, et les bicyclettes, qui occupent la partie centrale de la scène, soulignant la popularité du cyclisme en cette fin du XIXe s., comme nous l’avons rappelé ci-dessus.

57 L’auteur se moque de la culture antique, ridiculisant les divinités (Héraclès obèse ou Athéna sur un vélo) ou transposant les réalités du XIXe s. dans cette ambiance antique pour faire mieux ressortir le caractère désuet de ce perpétuel appel au passé : la jeune

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femme qui, au centre de la composition, incarne la Grèce moderne porte en guise d’égide un portrait moustachu (ce pourrait être une représentation de la reine Olga portant sur la poitrine la tête de son époux, le roi). Cette scène centrale se détache sur un fond d’Acropole. Cette auto-dérision, à un moment où la Grèce construit encore l’hellénisme sur les valeurs et les mythes de l’Antiquité, mérite d’être soulignée. 58 En ce sens, l’auteur rejoint P. de Coubertin qui affirmait sa passion pour la Grèce contemporaine et délivre un message pour l’avenir : ce sont des représentants de tous les continents qui entourent Athéna, alors que ni Noirs ni Jaunes n’ont participé à ces Jeux (même le Turc est bien présent avec son fez, mais il a cassé son vélo et ne peut plus avancer !). Autre message d’avenir : Athéna et son doublet du XIXe mènent la course, alors que les femmes n’ont participé aux Jeux Olympiques que plus tard, à Paris en 1900.

2. Les « Jeux » par M. Athanasiadis, mars-avril 1896 (fig. 2)

59 L’auteur du deuxième document est un remarquable dessinateur et un caricaturiste plus virulent que le précédent, même si les procédés restent les mêmes : dérision de la culture antique et sympathie pour la Grèce moderne. 60 Toute cérémonie, depuis l’Antiquité, commence par un défilé (pompé) : celui-ci occupe tout le haut de la page, et il est conduit par un Grec plutôt famélique, en costume traditionnel. Suit une vignette intitulée « L’Apoxyomène » (ou « celui qui se racle ou se gratte »), ridiculisant une des statues les plus célèbres de Lysippe, le grand sculpteur du IVe s. av. J.-C., qui avait représenté un athlète se nettoyant avec un strigile : le nouvel « apoxyomène » se gratte car il a des poux sur la tête. Au même niveau, le « Discobole », autre chef-d’œuvre classique de Myron, est représenté sous les traits d’un client furieux qui frappe un serviteur maladroit avec le plateau que ce dernier vient de renverser (le thème est en fait un jeu de mot sur diskos, qui désigne en grec moderne le plateau,

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parce qu’il a traditionnellement la même forme ronde que le disque des athlètes). Entre les deux vignettes, le buste d’un « vainqueur à Olympie », Olympionikai selon le titre, où il faut reconnaître Théodôros Déliyiannis, le nouveau premier ministre, qui avait remporté les élections de 1895. 61 Suit une scène de rue où les carrioles renversent les passants, comme cela devait arriver dans Athènes, pompeusement nommée armatodromia, ou « course de chars ». Milon de Crotone, plusieurs fois vainqueur à Olympie, en est réduit pour montrer sa force à transporter un âne récalcitrant sur ses épaules, comme un boucher transférant les quartiers de viande sur son étal. Les juges antiques, « Hellanodiques », sont incarnés par trois personnages à l’allure bien peu sportive ; quant au héraut, qui jouait un rôle important à Olympie dans l’Antiquité pour toutes les annonces, il est représenté sous les traits d’un vendeur de poisson à la criée, alors que le chantre qui le suit avec son chapelet est donné comme le choryphée du chœur d’Antigone. Deux garnements qui s’acharnent à lancer des pierres contre un lampadaire et deux autres qui se disputent un objet mal défini rappellent que le tir et la « lutte » faisaient partie des épreuves sportives en 1896 ; les cinq doigts de la main désignent le penthatle, autre discipline olympique. En revanche, la course de chevaux ne faisait pas partie du programme (contrairement à ce qui se pratiquait dans l’Antiquité), mais est tournée en dérision puisque c’est un âne qui se trouve en tête. En bas à gauche, il s’agit sûrement d’une caricature du buste de Périclès, avec casque sur la tête, auquel ont été rajoutées une jupette (la fustanelle traditionnelle) et une paire de bottes. 62 Cet humour mordant et roboratif s’exerce aux dépens de la Grèce antique et moderne comme aux dépens des Jeux. On aurait aimé que ceux qui ont conçu le spectacle pour la séance d’ouverture des Jeux de 2004 ait eu le même recul et la même ironie par rapport aux valeurs du passé ; il faut croire que plus la culture antique devient lointaine, plus on a tendance à la prendre au sérieux. Les caricaturistes de 1896 se sont montrés moins politiquement corrects ; il est vrai qu’il n’avait pas à ‘vendre’ la Grèce à des millions de téléspectateurs.

NOTES

1. Une liste de vainqueurs sur bronze, récemment trouvée à Olympie, prouve que les concours furent organisés au moins jusqu’à l’olympiade de 385 apr. J.-C., cf. J. EBERT, Niképhoros 10 (1997), p. 217-233. 2. Cf. A. ARVIN-BÉROD, Les enfants d’Olympie, 1796-1896, Paris, 1996 ; FR. et R. ÉTIENNE, « Les Jeux olympiques en Grèce », Dossiers d’Archéologie, juin 2004. 3. J. V. GROMBACH, Olympic Cavalcade of Sports, New York, 1936, p. 7. 4. J.-M. BROHM, « Pierre de Coubertin et l’instauration du néo-olympisme », dans La naissance du mouvement sportif associatif en France, P. Arnaud et J. Comy éds., Presses universitaires de Lyon, 1986, p. 380-389. 5. P. DE COUBERTIN, « Entre deux batailles : de l’Olympisme à l’université ouvrière », Revue de la semaine, 20 janv. 1922, p. 9.

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6. Par cette demi-olympiade, P. C. entend des concours féminins parallèles aux concours masculins ; cf. « Les femmes aux Jeux Olympiques », Revue olympique, juillet 1912, p. 110. 7. P. DE COUBERTIN, L’Indépendant belge, 23 avril 1906. 8. P. DE COUBERTIN, Une campagne de vingt et un ans, Paris, 1909, p. 89. 9. R. et FR. ÉTIENNE, La Grèce antique : archéologie d’une découverte, Gallimard, 2000 (2 ème éd.) ; H. KYRIELEIS (éd.), Olympia 1875-2000, 125 Jahre deutsche Ausgrabungen, Internationales Symposion, Berlin 9-11/11/2000, Ph. Von Zabern, 2002. 10. P. DE COUBERTIN, Mémoires olympiques, Lausanne, 1931, rééditées par Éditions Revue E.P.S., 1996, p. 206. 11. P. DE COUBERTIN, L’hellénisme, 1904. 12. P. DE COUBERTIN, Mémoires olympiques, 1931 (1996), p. 26 (cf. ci-dessus, n. 9). 13. P. DE COUBERTIN, Une campagne de vingt et un ans, 1909, p. 194 : « Il s’agissait de préparer d’une part la retentissante collaboration des arts et des lettres aux olympiades restaurées et, de l’autre, leur collaboration quotidienne, modeste et restreinte, aux manifestations locales de la culture physique ». 14. P. DE COUBERTIN, Mémoires olympiques, 1931 (1996), p. 9 et 11 (cf. ci-dessus, n. 9). 15. L’hymne a été republié par A. BÉLIS, Les hymnes à Apollon, Corpus des inscriptions de Delphes 3, Paris, 1992. 16. P. DE COUBERTIN, Mémoires olympiques, 1931 (1996), p. 18 (cf. ci-dessus, n. 9). 17. P. DE COUBERTIN, Mémoires olympiques, 1931 (1996), p. 19 (cf. ci-dessus, n. 9). 18. Ce texte est cité dans une conférence de Géorgiadis Kostas, doyen de l’Académie internationale olympique, sur le rôle de la presse dans la renaissance des jeux olympiques modernes, Olympie le 31 mai 1995, publiée dans Revue olympique, XXV, avril-mai 1996. 19. Sur le programme de Ch. Tricoupis, cf. L. TRICHA, Charilaos Trikoupis et les travaux publics, éditions Kapon, 2001. 20. Cf. La redécouverte de Delphes, Paris, 1992. 21. E BURNOUF, « La Grèce en 1886 », Revue des deux mondes, 1887. 22. Cosmopolis, avril 1896. 23. A. PAPANICHOLAOU-CHRISTENSEN, The , Athènes 2003, p. 76 sq. 24. « L’origine de ces Jeux est due à l’initiative d’une société privée. Leur objet est dépourvu de tout caractère scientifique : ils ne seront pas, comme leur dénomination pourrait le faire croire, une reconstitution des concours célèbres de l’Antiquité, mais une exhibition de sports athlétiques exclusivement modernes. Aussi le monde de la science et des lettres ne prêtent-ils aucune attention à ces Jeux et ils n’intéressent en réalité que les amateurs de divertissements frivoles et les catégories d’individus accoutumés à spéculer sur l’affluence des étrangers ; enfin, leur succès paraît encore assez problématique, même dans la sphère tant soit peu spéciale et tant soit peu vulgaire de leur programme… », Archives du Ministère des A. E., 30 mars 1896. 25. Signalons que deux recueils ont été publiés par l’Ethniko istoriko Mouseio avec une recension des articles de journaux concernant les Jeux olympiques, comportant un résumé (en grec) : Oi Olumpiakoi Agônes tou 1896, Eidisis apo tin éphémérida TO ASTY, Ioulios 1894-Aprilios 1896, Athina, 2002 et Oi Olumpiakoi Agônes tou 1896, Eidisis apo tin éphémérida AKROPOLIS, Ioulios 1894-Aprilios 1896.

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RÉSUMÉS

Cet article retrace la naissance et l’évolution du mouvement olympique moderne jusqu’aux premiers jeux de1896, en se concentrant sur la vie du baron de Coubertin et de la création du Comité olympique. Il rappelle les difficultés liées à la tenue des premiers Jeux olympiques à Athènes ainsi que le contexte grec de l’époque, l’enthousiasme suscité par les JO et les espérances qui y avaient été placées. Il termine sur un intéressant appendice iconographique fait de caricatures grecques de l’époque autour des Jeux.

This article reviews the birth and evolution of the modern era Olympic movement until it held its first games in 1896. It goes over the life of Baron de Coubertin and the creation of the Olympic committee. It reminds us of the difficulties that had to be tackled by the organizers of the first Olympics in Athens. Finally, it offers a panorama of the Greek context of the time as well as of the enthusiasm that the Olympics inspired and the hopes of a “young” nation that they were bestowed with. An interesting appendix is composed of an analysis two press drawings of the time dealing with the Olympics.

AUTEURS

FRANÇOISE ÉTIENNE

Université de Paris Sorbonne

ROLAND ÉTIENNE

Université de Paris Sorbonne

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La communauté grecque orthodoxe de l’Empire ottoman et la culture physique. Réactions et application graduelle The Greek-Orthodox Community of the and Physical Culture. Reactions and Gradual Implementation

Georges Kokkinos

1 Cette communication a pour objet la localisation et l’approche critique des discours qui mettent en évidence le mérite de la culture physique dans le système éducatif grec et dans le réseau scolaire de la communauté grecque orthodoxe de l’Empire Ottoman durant la période 1880-1920.

2 Plus précisément, je m’intéresserai à l’étude de la structuration et de la corrélation sociale des pratiques discursives qui régissent, donnent un sens et organisent les conceptions et l’argumentation de l’intelligentsia ecclésiastique sur l’éventuelle nécessité de la culture physique dans l’éducation et sur les usages les plus appropriés de l’exercice corporel. En même temps je m’efforcerai de montrer les résistances qu’opposa le mécanisme ecclésiastique à l’entrée de la leçon de Culture Physique dans l’enseignement, mais aussi son application graduelle et sélective dans les formations socio-culturelles, que fait apparaître l’époque nouvelle.

I. Europe : les trois discours sur l’utilité de la culture physique

3 Il s’agit de trois discours de genres différents, à diffusion européenne, qui reposent sur les processus de formation et d’apparition de la jeunesse sur l’avant-scène, en tant que catégorie de population particulière ayant des caractéristiques sociales et culturelles

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propres à son âge. Ces processus s’accomplissent dans l’espace européen occidental à la fin du XIXe siècle1 et au début du XXe.

4 Ces discours, qui sont compatibles entre eux et non-autoréférents et compacts, qui débouchent tous sur la science pédagogique et la « colonisent », se rapportent aux processus de modernisation économique, politico-administrative el culturo-éducative de l’État-nation. Ils organisent la théorie et la pratique pédagogique et constituent le cadre de référence de la science de la Culture Physique comme étant une technologie spécifique de formation et d’affermissement du réseau impersonnel du pouvoir dans la nouvelle société disciplinaire. À l’avenir, la culture physique ne sera plus seulement le canal de l’émancipation du corps, de la détente intellectuelle et de la décharge sentimentale, mais elle servira en même temps de mécanisme manipulateur de la particularité juvénile aux organes du pouvoir étatique, scolaire et médical. C’est la conjoncture dans laquelle, l’économie politique de la gestion du corps, du contrôle et de l’appropriation du temps libre de toute obligation sociale, fait presque imperceptiblement son apparition. 5 La pratique pédagogique depuis le milieu du XIXe siècle fait de l’école un rouage essentiel dans la socialisation du potentiel scolaire mais aussi un moyen de propagation de la nouvelle morale bourgeoise (modes de vie, comportements sociaux, systèmes de valeurs) dans la population en général. D’un autre côté, la théorie pédagogique ne se définit d’ailleurs pas à cette période par la distinction travail/jeu, mais par la distinction activité inutile voire dangereuse/activité utile et efficace2. Elle renvoie par la suite à une conception de rationalisation, d’utilitarisme et de surveillance de l’énergie de l’enfance et de la jeunesse, à une fonction disciplinaire et médicale de la culture physique qui fait de l’individu non seulement un sujet auto – agissant, mais également un élément organique de la société-collectivité. 6 Les discours qui codifient l’intérêt pour la culture physique sont dans l’ordre les suivants :

A – Le discours médical

7 Ce discours, impliqué dans le champ de la biopolitique, c’est-à-dire du contrôle administratif, politique et social des comportements de la population et imprégné de la logique du libéralisme économique, fonctionne préventivement comme dépositaire de la santé publique et individuelle, qu’il conçoit comme un bien public et individuel, comme un capital national et social. Nous n’oublions d’ailleurs pas que dès les XVIIe et XVIIIe siècles, le corps humain a été transformé en machine à produire et par conséquent « toutes les formes de consommation du corps qui ne contribuèrent pas à la constitution de forces productives – et qui se présentaient [...] comme superflues » furent interdites et réprimées3. En résumé, nous pourrions dire que ce discours institue la gymnastique médicale et révèle sa dimension préventive.

B – Le discours politique

8 C’est celui de la préparation militaire des citoyens, au moyen d’exercices physiques et de la discipline d’endurance. Dans ce cadre, la gymnastique a pour but soit la mobilisation nationale en vue de la libération et de l’unification de la nation et, par extension, la constitution de l’État national (modèle allemand), soit la défense de la

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patrie et de la république (modèle français), manifestations toutes deux de l’idéologie nationale.

9 Dans le premier cas, il est question d’un accessoire du nationalisme culturel autoritaire, qui trouve son expression idéale type dans l’aire allemande4. Ce schéma idéologique regroupe : 10 Le mouvement gymnastique structuré au-dessus des classes sociales, basé sur le discours de l’idéal athlétique classiciste (Turnbewegung) de Jahn, qui éleva en esthétique politique la fusion de l’individualité et de l’esprit de communauté nationale. Il recherchait au moyen de l’homogénéité des uniformes, des emblèmes, des marches, des défilés, des exercices gymmastiques, des fêtes nationales solennelles et des festivals de gymnastique, la création de l’Allemand idéal, l’unification symbolique des membres dispersés du tronc national allemand et la constitution de l’État unitaire allemand ; 11 Le modèle de culture physique de Spiess, qui se résume à l’usage scolaire des exercices ordonnancés, du mouvement collectif et de la discipline qu’accompagnaient des ordres gymnastiques d’inspiration militaire. Il nous faut signaler qu’après la révolution libérale, réprimée, de 1848 et principalement après l’unification de l’Allemagne en 1871, nous remarquons le tournant conservateur du mouvement gymnastique allemand. Les tendances idéologiques libérales qui le traversaient sont désavouées et ses objectifs primordiaux consistent désormais à élever la culture physique en un champ privilégié, dans lequel la suprématie morale et biologique de la nation allemande et plus généralement de la race arienne serait démontrée, et à intérioriser collectivement le modèle militaire autoritaire. Pendant cette période, le mouvement gymnastique allemand s’institutionnalise et se développe massivement atteignant en 1880 jusqu’à 170 315 membres, tandis que parallèlement, il se répand surtout en Europe Centrale, ainsi que dans les milieux nationalistes de l’espace balkanique et grec5. 12 Dans le second cas nous avons à faire principalement au modèle français de culture physique qui se place dans le code de valeur du nationalisme politique et démocratique occidental. Les valeurs qui soutiennent ce modèle sont la foi dans une classe morale cosmopolite basée sur la rationalité et le progrès, l’action en accord avec les principes politico-moraux de la liberté, de l’autonomie individuelle, de l’égalité civile et de l’harmonie sociale, la défense de la patrie et du régime républicain et enfin, le respect des lois qui sont le produit de la volonté collective6. Dans ce cadre, les exercices d’entraînement militaire se joignent à la culture physique sous le prétexte de la nécessité pour le futur citoyen (élève) de posséder les connaissances techniques qui lui permettront de se transformer volontairement en soldat, lorsque le sort de la patrie et du régime républicain se trouvera mis en danger (patriotisme constitutionnel). Il s’agit de l’idéal du « bon citoyen au service de la patrie » légalisé institutionnellement par les actes législatifs du 28 mars et du 6 juillet 1882 par lesquels le ministre français de l’Instruction Publique Jules Ferry fait entrer les exercices d’entraînement militaire dans les écoles et constitue les « bataillons scolaires » à caractère paramilitaire, mais à objectif républicain7. Un rôle catalytique ont joué dans ces prises de mesure, d’une part, la querelle stratégique de l’État républicain, déjà laïc, français avec l’Église Catholique pour le contrôle de l’instruction et, d’autre part, l’idée dominante de la revanche nationale après la défaite de la guerre franco-prussienne de 1870, qui signifiait pour la France la perte de l’Alsace et de la Lorraine, ainsi que la Commune de Paris. Ces deux facteurs fonctionnèrent également de manière catalytique tant en ce qui concerne la présence dominatrice du libéralisme politique qu’en ce qui concerne, à l’opposé, la

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remontée du mouvement antirévolutionnaire, la maladie du libéralisme économique (scandales, népotisme, exode rural de masse), la dynamique du Boulangisme, le rassemblement de la droite révolutionnaire française et la prédominance de l’idée de décadence jusqu’au début de la première guerre mondiale8. Ces mouvements politico- idéologiques opposés, de même que l’Église Catholique, redonnèrent un sens à l’association de la culture physique avec l’entraînement militaire et entreprirent de purger les bataillons scolaires des idées républicaines. Ainsi et jusqu’à leur disparition dans la décennie de 18909, fonctionnèrent-ils comme des mécanismes de mobilisation militaire aussi bien contre l’ennemi extérieur, les Allemands, que contre l’ennemi intérieur, les républicains, les socialistes et les Juifs10. Au contraire, dans le cas allemand, la notion encore imparfaite de citoyen, due à l’inexistence jusqu’en 1871 d’un État unitaire national et à la difficulté d’émergence autonome de la société civile, a entraîné l’assimilation totale du rôle du citoyen à celui du militaire et la promotion de la communauté gymnastique en accessoire matériel et symbolique servant à l’exécution des desseins de l’État despotique prussien. Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, la culture physique est prise comme un champ privilégié pour l’éducation politique et pour la formation de collectifs masculins militants sélectionnés, aux activités paramilitaires, et comme un mécanisme de martèlement propagandiste du sentiment national. 13 De ce point de vue, nous pourrions dire que bien que la tradition de la culture physique renferme de manière innée des pratiques à tendances militaires (escrime, tir, exercices collectifs rangés et en mouvement)11 ainsi que la possibilité d’y avoir recours pour le choix, c’est néanmoins justement le discours de la militarisation qui introduit sur la scène politique l’élément naturel, le corps, le capital de la force physique qu’il épargne et l’énergie qu’il délivre, au nom de la prépondérance guerrière, morale et biologique de la nation. 14 Il est évident que malgré la similitude du modèle idéal du nationalisme grec avec l’allemand, en Grèce au niveau de l’organisation institutionnelle et du cadre légal, on suit grosso modo le modèle français de culture physique, à cause de la tradition que créa le combat antidynastique de la Phalange Étudiante, mais aussi en raison de la dominante idéologique du patriotisme constitutionnel.

C – Le discours du classicisme grec

15 Il s’appuie sur les thématiques du développement équilibré du corps et de l’esprit, de l’idéal de la « sagesse », de la « vertu », de la « beauté » et de la « force » qui découvre dans la nostalgie de la Grèce antique le moyen de dépasser l’existence individuelle morcelée, massifiée et aliénée de l’époque nouvelle ; mais aussi parallèlement la possibilité d’affermissement de la personnalité et de formation morale du futur citoyen dans l’entrelace des capacités spirituelles, morales et corporelles, c’est-à-dire dans la conception de l’individu tant comme une entité psychosomatique que comme une fraction de la communauté nationale.

16 En résumant, nous dirions que le premier discours s’articule sur un principe organisateur et sur une valeur primordiale : la santé ; le second sur la force et la robustesse ; et le troisième sur l’idéal athlétique grec antique.

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II. Le Patriarcat de Constantinople et la Culture physique

17 On observera plus attentivement dans cette partie le périodique « Vérité Ecclésiastique » (1880-1923), la société Philologique Grecque de Constantinople (1861-1912) et l’entrée du cours de Gymnastique dans le système éducatif Rümmi.

18 Le périodique « Vérité Ecclésiastique » fait entendre la version officielle du discours du Patriarcat de Constantinople. Il fonctionne comme champ de rassemblement de l’intelligentsia ecclésiastique patriarcale et constitue le canal conducteur de base de la politique culturelle et particulièrement éducative du Patriarcat de Constantinople pour la population grecque orthodoxe de l’Empire Ottoman. La matière qui compose le fonds du périodique repose, d’une part, sur les articles de dignitaires cléricaux ou laïcs du Patriarcat et, d’autre part, sur les rapports d’évêchés sur les affaires ecclésiastiques et les établissements d’enseignement du Patriarcat. 19 Jusqu’au début du XXe siècle le Patriarcat de Constantinople « continuait à être le centre de la vie sociale des chrétiens orthodoxes »12. La position dominante du Patriarcat se remarque surtout dans le « réseau scolaire grec orthodoxe »13 dont il a l’entière responsabilité et l’attribution dans le cadre des réglementations du Hatti-Hümayün (6 février 1856) des Règlements Nationaux (1862), des réglementations de 1869 qui accordent aux communautés et aux personnes physiques la possibilité de créer des établissements scolaires, et, enfin, de l’encyclique du vizir du 22 janvier 189114, où « les programmes des établissements éducatifs correspondent à l’esprit de l’Église »15 à un tel point qu’il est légitime de parler d’un « système scolaire Patriarcal »16 malgré les nombreuses divergences qui apparurent sur les questions d’éducation, de personnel enseignant, de leçons, de livres didactiques17 et aussi malgré le fait que « tous les établissements éducatifs n’avaient pas le même poids social »18. 20 Aux environs de 1870 le Patriarcat confia officieusement l’organisation, le développement et le financement du réseau scolaire grec orthodoxe à la Société Philologique Grecque de Constantinople19. La SPGC fut créée par des savants, des littérateurs et des pédagogues. Elle était financée par les Grecs riches de la Diaspora. Ses priorités éducatives se résumaient à la propagation et au soutien de la langue grecque, à la formation de l’esprit national et à l’adoption sélective dans l’instruction donnée d’éléments scientifiques et pédagogiques de la modernisation qui, dans le cadre de l’incorporation du nouveau dans le traditionnel, ne renversaient pas la souveraineté de la cosmothéorie religieuse orthodoxe. 21 Les composantes fondamentales de la politique scolaire du Patriarcat de Constantinople sont les suivantes : 22 l’élévation de l’instruction au rang de bien universel mais en même temps la différenciation de l’éducation donnée en fonction de critères basés sur la stratification sociale de la population grecque orthodoxe20 ; 23 l’orientation unilatérale du processus éducatif vers une « formation globale de l’être intérieur » qui se définit comme « exercice réglementé et équilibré et développement de toutes les forces psychiques de l’être humain », c’est-à-dire l’association de « la connaissance éclairant l’esprit » et de « la probité moralisant le cœur » ou autrement comme le mélange de la « sagesse » et de la « vertu »21. Si le corps n’est pas dédaigné, du moins est-il ignoré, et bien qu’indirectement on reconnaisse l’utilité de la

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gymnastique et que l’on comprenne ses codes, elle n’est évoquée que métaphoriquement afin que soit démontrée en proportion la fonction formative de l’instruction : « En réalité, l’instruction est à l’âme ce que la gymnastique est au corps. Donc de même que celle-là tous les membres du corps, de même celle-ci toutes les forces de l’âme, au moyen d’exercices de toutes sortes et appropriés, se propose de renforcer et encourager »22. 24 Dans les milieux ecclésiastiques de Constantinople, la reconnaissance du caractère pédagogique et moralisant de l’instruction ne conçoit pas encore dans les années 1880, comme cela s’est fait quelques décennies auparavant en Europe, mais aussi en Grèce23, le rôle de la culture physique comme un moyen de contrôle de l’énergie de l’enfance et de la jeunesse, comme une intériorisation de la discipline, même au niveau symbolique de l’acception des structures hiérarchiques de la classe établie – ce qui eut lieu par exemple dans le cas de l’Église Catholique en France24. Elle ne l’envisage pas comme moyen de constitution de nouvelles formes de collectivité qui pourraient, en premier lieu, exercer un rôle moralisateur, en protégeant « l’âge innocent de spectacles et de lieux de rencontre nuisibles car, comme de la cire à modeler, il se prête toujours à recevoir sans distinction l’empreinte de la formation saine ou de la dissolution nuisible et de la malignité »25 et, en second lieu, façonner une jeunesse chrétienne entraînée et militante qui témoignerait dans les stades de la supériorité du dogme. Il est d’ailleurs connu que le Patriarcat et la communauté grecque orthodoxe dépendaient du pouvoir ottoman tandis que le caractère théocratique de l’état ottoman ne permettait pas l’apparition de nouvelles formes laïcisées de collectivité. Telles sont là les raisons dominantes de la persistance du modèle de contrôle policier et de surveillance extrascolaire de la population scolaire. Sont loués pour cela, les autorités policières de Patras et de Chalkida, ainsi que la « police centrale ottomane »26. 25 Même au début des années 1890, l’archevêque de Charkov Ambrosios perçoit comme comportement anti-réglementaire non seulement « les gestes et les paroles indécentes » mais, indirectement, toute pratique de mouvement des élèves qui s’oppose au cadre réglementaire qui détermine la fonction de « l’habitacle de la science » et ne correspond pas « à sa noble vocation ». Il va jusqu’à élever la « surveillance de la conduite bienséante des enseignés » au rang de but suprême du processus éducatif27. Même à la fin de cette décennie, un rédacteur de la « Vérité Ecclésiastique » non seulement ne comprend pas la culture physique dans les axes du processus enseignant, mais encore il recherche les causes de « l’éducation défectueuse » des enfants de la communauté grecque orthodoxe, dans l’instruction « boiteuse » qui leur est donnée, c’est-à-dire dans la surenchère du contenu gnostique des études et dans la négligence de l’éducation morale. Son argumentation d’ailleurs pleine d’un zèle anticulturel aboutit à la conclusion que « les lettres et les sciences sans éducation morale et sans instruction convenable ne conduisent nullement à une vie décente, ordonnée et en bonne santé morale, mais, plutôt, comme armes de perversité et de toute sorte de vices, elles contribuent à l’accroissement de notre infortune »28. 26 Le mépris de l’exercice physique en tant que phénomène d’innovation qui bouleverse le système de valeurs traditionnel et projette de nouvelles formes d’activité collective affranchies du discours opprimant et des pratiques de l’Église, se remarque déjà dès 1878 dans l’interdiction qui est faite aux élèves de la Grande École de la Nation de fonder tout type de « corporation, association ou confrérie »29 ou même d’y participer. Toutefois il trouve son expression la plus claire en 1898 quand la laïcité de l’État grec

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est indirectement accusée par l’intermédiaire de commentaires critiques divulgués par les milieux ecclésiastiques de Constantinople contre les autorités grecques, qui ont permis l’entraînement gymnastique des élèves au gymnase d’Athènes, « [...] en ce dimanche de Pentecôte, à l’heure où dans les églises on célébrait la Messe de la grande fête et que tout chrétien se devait d’y prier à genoux [...] »30. 27 Cependant, à la même époque c’est-à-dire dans la dernière décennie du XIXe siècle, l’Église Catholique de France commence à intervenir activement dans les mécanismes de la culture physique et de l’athlétisme. Bien qu’une importante partie du clergé demeure fixée au dogme qui méprise le corps et impose l’exercice de l’âme et de l’esprit31, l’Église Catholique progresse dans l’organisation d’associations gymnastiques voulant ainsi exploiter les occasions que lui donnaient les nouvelles formes de divertissement et poursuivre plus efficacement – au moyen de la jeunesse athlétique chrétienne – son combat idéologique contre l’état républicain, l’école laïque et le socialisme32. 28 Néanmoins, ces conceptions officielles ne sont d’accord ni avec la pratique de fondation de gymnases et de stades grecs33, ni avec la formation d’associations athlétiques34 ni avec le déroulement d’épreuves athlétiques locales et périphériques dans le cadre des activités culturelles ou des cérémonies religieuses des populations grecques orthodoxes de Constantinople et d’Asie Mineure35. Dans ce cas, l’exemple des épreuves athlétiques annuelles qui se déroulaient en Bithynie lors de la fête de saint Georges — saint patron de la ville d’Ortakiaï — est caractéristique. En effet, les habitudes novatrices sociales s’inscrivent dans le cadre de la société grecque orthodoxe traditionnelle, même si les codes intellectuels de ces populations dans le processus de constitution de leur identité culturelle nationale associaient ces nouvelles formes d’activité collective à une survivance de l’idéal athlétique grec antique36. 29 Par contre, les conceptions de l’intelligentsia ecclésiastique de Constantinople ne correspondent pas du tout aux pratiques éducatives en vigueur dans la communauté grecque orthodoxe, qui mêle les pratiques européennes occidentales aux pratiques grecques. Et cela parce que le statut législatif qui régit le système éducatif ottoman ne permettait pas, tout au moins jusqu’en 1880, l’enseignement de la Culture Physique à aucun degré de scolarité37, tandis que jusqu’à la ratification de la constitution de 1908 la gymnastique était accompagnée de la « méfiance gouvernementale »38. Malgré cela, dans l’école primaire modèle d’enseignement Lancastérien du quartier du Phanar, on enseigne depuis 1877, expérimentalement dirions-nous, la « gymnastique en salle »39. La leçon de Culture Physique, de « Gymnastique selon Shreber », d’« Exercice corporel hygiénique » et alternativement les « jeux »40 s’enseignent à la même époque à l’École Primaire et à l’École de Filles du quartier de Tsoubali41, à l’École Primaire de Tataavla42, aux trois classes du Jardin d’Enfants du quartier de Stavrodromi43 comme à l’École Primaire et à l’École Grecque de la paroisse de Panagia44. En 1880 l’ « Exercice corporel » est enseigné au Jardin d’Enfants de Xyloporta de la paroisse Saint-Dimitri de Constantinople45. En 1882 le rédacteur en chef jusqu’en 1883 de la « Vérité Ecclésiastique », Minas Hamoudopoulos, nous apprend que, dans certains Jardins d’Enfants et Écoles Primaires de Constantinople, on enseigne de manière sélective : « jeux éducatifs – jeux gymnastiques », une version que nous qualifierions de folklorique de la gymnastique sans agrès46. 30 Ces cas significatifs constituent l’argumentation selon laquelle, dans les Jardins d’Enfants à horaire continu – matin et après midi – fréquentés par les enfants de quatre

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à sept ans et dans les Écoles Primaires où l’âge des élèves va de six à quinze ans47, la leçon de Culture Physique était enseignée, sans revêtir, pour autant, d’un caractère officiel et sans qu’il existe de personnel qualifié. Au contraire, à la même époque et jusqu’en 1900, même si l’idée que la santé et la robustesse corporelle vont de pair avec la santé morale et intellectuelle se développe progressivement, fait qui met en doute le caractère formaliste de l’éducation donnée, il ne semble pas, malgré tout, que la culture physique soit enseignée de manière unitaire et systématique. En tout cas tel n’est pas le cas dans un rayon d’action assez satisfaisant autour de Constantinople et dans les degrés moyens et supérieurs de la pyramide éducative de la communauté grecque orthodoxe48. L’enseignement sporadique, sélectionné et déficitaire, tant du point de vue du temps dont il dispose, du genre et des connaissances des éducateurs en matière de culture physique que du point de vue des pratiques didactiques et évaluatrices suivies, était une conséquence du caractère non institutionnel, non « nécessaire » mais facultatif de la leçon49. 31 Finalement, désirant abolir le manque de corrélation entre la pratique didactique suivie et l’absence de ratification institutionnelle de l’enseignement de la Culture Physique, mais en même temps obéissant aux ordres de l’époque et à la dynamique des mœurs novatrices qui faisaient du souci de la santé publique et individuelle, une pratique sociale et politique de première importance, la commission éducative de la communauté grecque orthodoxe de Constantinople décida d’agir. Elle propose en novembre 1900, un an à peine après l’institutionnalisation de la leçon dans l’enseignement du premier degré en Grèce50, l’entrée de la Culture Physique dans le programme des Écoles de Filles (type d’école communale d’enseignement du premier degré) en association avec la leçon de chant. Elle s’appuie sur l’argument que la Culture Physique s’enseigne déjà dans les Écoles de Garçons (type correspondant à l’École de Filles d’enseignement du premier degré)51. Cet argument, même s’il fait ressortir l’identité de sexe comme critère fondamental de définition de l’aire de l’exercice physique, montre cependant bien, sans abolir la séparation austère et traditionnelle des sexes ni le rapport de leurs rôles respectifs avec le genre d’éducation, l’évolution progressive des codes intellectuels de la communauté grecque orthodoxe vers des formes de pratiques sociales propres à la nouveauté plutôt qu’à la notion de cosmothéorie encore dominatrice de la religion orthodoxe. En effet, grâce à l’adoption axiomatique de l’égalité dans la différence, les dits codes reconnaissent des droits semblables et correspondants, mais aussi intérieurement différenciés, à l’éducation et au divertissement, pour les deux sexes52. 32 Cependant, c’est seulement dans l’année scolaire 1902-1903 que la Culture Physique entre à la Grande Ecole de la Nation, associée à l’établissement d’examens périodiques médicaux des élèves, ayant pour but « l’assistance sanitaire ». Dans le considérant de cette décision, la leçon de Culture Physique est comprise comme « celle qui contribue le plus à endurcir les forces somatiques et la plus nécessaire au développement harmonieux de l’âme et du corps »53. La suprématie du discours sur la santé en union avec celui de l’Idéal Athlétique est évidente. L’absence totale du discours sur la vigueur et sur la militarisation est également manifeste. Ce discours ramène à l’idéologie nationale. Or, du fait du rapport antinomique de l’Orthodoxie et du nationalisme54, il n’était pas possible que ces deux notions en commun servent de base à l’argumentation sur la nécessité de la leçon de Cuture Physique dans l’éducation des populations grecques orthodoxes. À partir de ce moment et à l’avenir, la leçon de Culture Physique se pare, même à Constantinople, de l’aura des mœurs nouvelles qu’apportèrent dans la

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capitale cosmopolite « toutes les Écoles dignes de ce nom » (établissements éducatifs rivaux, privés et étrangers, les premiers de type surtout cosmopolite, les seconds à caractère prosélyte). C’est le cas de l’École Marasli à laquelle on se réfère expressément car elle assure à la Grande École de la Nation, son personnel didactique et la connaissance technique nécessaire, surtout au programme des deux dernières classes (7e et 8e) de cet établissement55 qui forme des enseignants. Nous remarquons cependant que dans la pensée des dignitaires religieux compétents du Patriarcat, le retard de l’admission de la culture physique à la Grande École de la Nation n’est lié en aucun cas au mépris du corps à caractère théologique, non plus qu’au caractère idéocratique, dogmatique et formaliste de l’éducation religieuse. Il est plutôt lié au manque d’infrastructure indispensable, ce qui oblige les pensionnaires de l’établissement à recourir à une forme originale d’exercice, au moyen de « la montée et la descente des escaliers »56. Cette remarque est intéressante car elle montre la familiarisation progressive et sélective du monde ecclésiastique avec le nouveau système de valeurs, fait qui lui assure un minimum d’adaptation aux transformations rapides de la vie contemporaine. Enfin, en 1912-13 tout juste, le Synode approuve l’entrée de la leçon de Culture Physique à l’Ecole Théologique de Halki, mesure qui est jugée comme une « innovation de bonne augure »57. Cette ratification, comme il ressort de l’argumentation du directeur de l’École lui-même, est la conséquence du bon accueil que fait « l’ensemble de la société grecque » à la culture physique, mais également de la prise de conscience de l’utilité médicale des exercices physiques pour « l’organisme harassé » des élèves et des étudiants à cause du « surmenage intensif et continuel que provoque le travail intellectuel »58. Ainsi l’entraînement physique doit fonctionner de manière bienfaisante pour le développement du corps, et en même temps servir aux élèves d’exutoire, de remède contre « la monotonie d’une vie ingrate et morne » consacrée à l’étude, contre les conséquences des « jeûnes austères et prolongés », contre les hérédités lourdes et enfin contre « l’alimentation et les repas trop frugaux du foyer familial »59. Encore une fois, le discours médical est prépondérant, mais sans les soutiens que le classicisme grec antique, avec ses manifestations anthropocentriques, païennes et vouées au culte de ce monde, pourrait lui apporter. 33 Les éléments que nous avons présentés démontrent que contrairement à ce qui s’est passé dans l’État grec, dans la communauté grecque orthodoxe de Constantinople le processus d’institutionnalisation de la Culture Physique commence – bien que non officiellement – à partir de l’échelon le plus bas du système éducatif et particulièrement à partir des Jardins d’Enfants. La création des Jardins d’Enfants constitue un phénomène d’incorporation, dans le cadre traditionnel de la communauté, d’une nouvelle institution d’esprit philanthropique, que financent presque exclusivement les milieux les plus élevés de la classe bourgeoise, de même que les couches moyennes dans leur totalité60 et qui vise à « […] suppléer au manque d’éducation familiale » et par conséquent à la « disparition du rachitisme comme partout dans l’Europe éclairée […] » 61. 34 À cause de l’inertie mentale et surtout des réserves dogmatiques de l’appareil ecclésiastique qui prennent un caractère de résistance face à l’expansion culturelle de l’Occident, le processus d’institutionnalisation de la culture physique dans le cadre du système éducatif de la communauté grecque orthodoxe de l’Empire Ottoman s’achève tardivement – aussi bien par rapport à l’État grec que par rapport au reste de l’Europe – c’est-à-dire au début du XXe siècle où elle fait son entrée dans le cycle supérieur de l’enseignement grec orthodoxe, non tant comme élément organique du processus plus

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général de modernisation que comme un besoin de suivre l’esprit du temps et de répondre aux demandes et aux pressions de la tendance vers l’autonomie intellectuelle, du moins partielle, de la classe bourgeoise de la communauté grecque orthodoxe. Cette dernière, au seuil du XXe siècle embrasse vivement les valeurs occidentales et prend des attitudes qui mettent en doute le système traditionnel de représentations mentales et de pratiques sociales. 35 Néanmoins, en ce qui concerne les milieux du Patriarcat, l’institutionnalisation totale de la culture physique est devenue possible grâce à une conception de pragmatisme formel et passif, qui sépare les modèles du système de valeurs qui les structure62, ainsi qu’à la mise en avant du discours médical et de l’approche utilitaire de la culture physique en tant que moyen de garantie de la santé. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard qu’au début du XXe siècle, et précisément sur le conseil du Patriarcat, la Société Philologique Grecque de Constantinople procède à un concours en vue de la rédaction d’un manuel scolaire de santé63, initiative qui montre l’adaptation lente, progressive et sélective, du mécanisme ecclésiastique aux nouvelles données. 36 Dans cette conjoncture historique positive, le métropolite de Smyrne (1910-1922) Chrysostome Kalaphatis (1867-1922), protagoniste de la réconciliation du Patriarcat de Constantinople avec le centre national d’Athènes64, éprouve le besoin de se référer avec soin dans son discours d’intronisation du 10 mai 1910, aux activités du « Panionio ». Plus particulièrement, il signale que le Panionio « a accompli une grande œuvre, en inspirant aux enfants de notre nation l’amour de l’eau, du grand air et de la lumière libre, l’amour du mouvement rythmique et de la gymnastique »65. 37 De même, le métropolite d’Amasia, ancien métropolite de Kastoria, Germanos Karavangélis (1868-1935), qui nourrit les mêmes idées que Chrysostome, construit dans la période 1908-1912 en annexe au Lycée d’Amasia un « parfait Gymnase Européen »66. En même temps, le métropolite de Césarée Ambrosios demande en 1912 à la commission des Jeux Olympiques de lui envoyer des agrès pour l’exercice des élèves du lycée qui se trouve sous sa juridiction, parmi lesquels des fusils Flobert pour l’entraînement des élèves au tir67. 38 Il s’agit là d’une série de brèches dans le mode de pensée traditionnel de l’Église patriarcale et, en même temps, d’une solution de continuité du discours médical dominant, qui laisse percevoir au travers du glissement du mot « race » vers la notion de « nation » et du besoin de familiariser les élèves avec les armes, le discours subversif de la militarisation. Ce dernier dénote en fait la nécessité d’une réorientation radicale de la politique du Patriarcat en direction de l’annulation de l’antinomie dans les rapports entre l’Orthodoxie et le nationalisme grec. 39 Cependant la critique de l’unilatéralité de l’éducation donnée et de l’indifférence par rapport au développement corporel des élèves avait commencé dès mai 1879 avec la motion du médecin Héroclis Vasiadis au Congrès des Associations Grecques à Athènes « sur la résurrection et la renaissance de la pédagogie gymnastique nationale et publique ». Dans cette motion Vasiadis suggérait de différencier les divers aspects de la culture physique selon l’âge, la particularité anatomique et physiologique de l’individu et le sexe68. 40 La critique se poursuivit avec la conférence de Dimitris Vikélas à la Société Philologique Grecque de Constantinople en 1890, dans laquelle avec un zèle puritain il dénonçait la maladie de la nouveauté. En ce qui concerne la culture physique, d’une part il exaltait

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le modèle des sports anglais en tant que pratiques symboliques, visant au contrôle et à la rationalisation de la vitalité naturelle des enfants et des jeunes, à la formation morale du caractère de la personne jeune et à l’intériorisation des principaux modèles sociaux (notamment du fair-play, de la prudence devant le bonheur et du courage devant le malheur) ainsi que des structures hiérarchiques en place et, d’autre part, il soulignait l’utilité de la culture physique en évoquant des arguments propres au discours de la santé et de la cosmothéorie classiciste69. 41 Cependant cette critique est exprimée avec une lucidité et une combativité toutes particulières dans la série d’articles de Louizos Iliou, professeur à l’école prosélyte américaine Robert College70 de Constantinople. Iliou traduisit en 1885 la partie concernant la philosophie grecque antique de l’Histoire Générale de la Philosophie (1815-1829) en trois tomes de Victor Cousin. Il fut également l’auteur d’un livre sur la morale chrétienne71 et collaborateur du périodique athénien « Anaplasis ». Les articles de Iliou montrent que le discours de l’intelligentsia ecclésiastique n’était pas étanche mais qu’il permettait la création de petites brèches par lesquelles il était possible de féconder le discours de l’Orthodoxie avec certains aspects de l’esprit nouveau et de réorienter les règles conceptuelles de la communauté grecque orthodoxe afin que soit acceptée l’importance de la culture physique. Fonctionnant comme un canal d’osmose culturelle et d’intégration sélective, c’est-à-dire en greffant des pratiques pédagogiques et gnostiques choisies du système américain sur le système scolaire grec orthodoxe, Iliou est le premier qui en 1896 parle du besoin de contact des enfants avec l’air pur et l’environnement naturel. Il fait entrer le discours de l’hygiène dans une série d’articles de la « Vérité Ecclésiastique », montrant le danger que représentent, comme il le soutient, les sept heures d’enfermement des élèves « entre les murs de l’école » ainsi que l’absence totale de mouvement, d’exercice et de jeu qui conduisent au marasme intellectuel et au rachitisme corporel. Bien que l’intérêt de Iliou ne soit pas sans rapport avec la célébration des Jeux Olympiques à Athènes au printemps de la même année, ses arguments semblent avoir une origine médicale et particulièrement les écrits des médecins français Proust et Lancereaux72. Toutefois dans son argumentation, le discours de l’hygiène est parsemé, de manière sélective, d’éléments qui appartiennent au discours de la cosmothéorie classiciste grecque permettant ainsi plus facilement l’accès des nouvelles mœurs dans la conscience collective, de même que la familiarisation de la culture traditionnelle avec les valeurs de la santé, de la décharge psychologique et de la plénitude affective qu’offrent l’exercice physique et l’entraînement sportif73. 42 Le modèle pédagogique de Iliou est celui des programmes des écoles anglo-saxonnes dans le cadre desquelles « les maîtres non seulement accompagnent leurs élèves dehors, mais encore participent à leurs sports ». D’après lui, cette pratique ne remet pas en cause la hiérarchie scolaire – crainte qui couve dans le refus du Patriarcat d’accepter en temps voulu l’institutionnalisation de la Culture Physique – mais elle canalise la « pétulance » « physiologique » et « non inconvenante » des enfants en comportements de kinésie, organisés et systématiques qui fortifient l’hygiène du corps, assurent l’harmonie entre le corps et l’esprit et contribuent à l’éducation morale au moyen de l’endossement de rôles et de l’empreinte de l’effort individuel organisé sur le caractère74. 43 Mais en dehors du fait que l’institutionnalisation de la Culture Physique à tous les degrés de l’éducation grecque orthodoxe semble accomplie vers 1912-1913, la Société

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Philologique Grecque de Constantinople éprouve le besoin, en 1909, de réunir un congrès éducatif. Ce dernier a pour thème la ratification du caractère obligatoire et la normalisation de l’enseignement de la gymnastique à travers l’évaluation et l’équilibre fonctionnel des multiples pratiques gymnastiques, ainsi que la recherche des moyens d’enseignement systématique et d’intégration de la culture physique dans le système éducatif grec orthodoxe. 44 Peu avant, en 1907, D. Damaskinos (qui participe en 1909 au congrès éducatif sur la culture physique), du point de vue du discours médical, révèle ce besoin de la manière éloquente suivante : « Ce qui se passe depuis peu est également mauvais. Nous nous sommes précipités dans la mode de la gymnastique sans étude préalable et sans collaboration médicale et avec manie vers les exercices athlétiques. Et je crains qu’à la fatigue intellectuelle ne s’ajoute celle aussi funeste du corps »75. La constatation que l’exercice physique a déjà dépassé les limites du cadre du programme scolaire et qu’il s’est transformé en mode, c’est-à-dire en une pratique sociale qui crée sans cesse de nouvelles formes incontrôlées et souvent atypiques d’activités collectives juvéniles, lesquelles mettent en doute l’ordre traditionnel, masque le caractère alarmant du texte. L’objectif immédiat de Damaskinos est la défense contre la peur du comportement contrevenant des jeunes, attitude répandue dans la société bourgeoise depuis le début du XXe siècle76, de même que le contrôle, la normalisation et la réglementation médicale de l’exercice. Indirectement sa cible est le rejet médical et pédagogique du sport de combat et de l’athlétisme. Cette critique reflète une conception qui veut faire paraître l’athlétisme non comme une pratique d’exercice conforme, mais comme un adversaire redoutable, qui brise les limites données de la collectivité contrôlée, qui cultive des habitudes individualistes et auto – disciplinaires et conduit à la partialité, à l’excès et en dernière analyse à la perversion de la nature humaine. Cependant, cette attitude critique envers l’athlétisme de la part d’un représentant de l’élite grecque orthodoxe n’a pas comme seul destinataire la jeunesse, mais également les milieux les plus élevés de la classe bourgeoise grecque orthodoxe. Depuis le début du XXe siècle, ces derniers se groupent en associations sportives77 et, en raison de leur suprématie économique sociale et culturelle, cultivent ces nouveaux modèles d’activités collectives dans les classes moyennes et dans les couches inférieures de la société grecque orthodoxe. 45 Entre le rapporteur du Congrès Educatif du 28 décembre 1909, son président et les dix orateurs (I. Valsamakis, N. Photiadis, A. Zamarias, M. Authentopoulos, D. Damaskinos, I. Hazapis, O. Andréadis, G. Pachtikos, L. Dimitriadis et H. Goudas) il ne semble pas qu’il y ait des différences importantes en dehors de la durée et de la répartition du temps d’entraînement ainsi que de la place de la leçon dans le programme horaire avec pour critère la plénitude énergétique de l’organisme et le besoin de détente intellectuelle. Les lieux communs de la discussion sont le caractère obligatoire de la leçon de Culture Physique, son approche surtout au travers du discours de l’hygiène, la condamnation de l’ancien système allemand de gymnastique avec agrès, la condamnation de l’athlétisme, la nécessité d’une formation supplémentaire du personnel éducatif déjà existant ou la création d’un nouveau personnel spécialisé, le choix des exercices physiques et l’organisation de programmes analytiques (curricula) de la Gymnastique basés sur des critères d’âge, de sexe, de fonction biologique, de rôle social particulier du jeune, ainsi que les conventions sociales établies, afin que les exercices « ne se heurtent pas à la pudeur ». L’entrée de la natation, du tir et des danses grecques dans les programmes analytiques de la Culture Physique et enfin la reconnaissance par l’État grec de la qualité de modèle référentiel concernant les actions menées en faveur de

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l’intégration fonctionnelle de la gymnastique dans le système éducatif grec orthodoxe, mais aussi l’invitation de gymnastes grecs qui apporteraient des connaissances techniques spécialisées utiles à la formation du personnel didactique du réseau scolaire de la communauté grecque orthodoxe, constituent également des thèmes qui retiennent l’attention. 46 Les points communs de la discussion aboutissent à un modèle éclectique et combiné de culture physique qui puise ses éléments principalement dans la tradition de la gymnastique suédoise avec ou sans agrès, dans les activités athlétiques des « Public Schools » anglaises et un peu dans le système gymnastique allemand. D’après le rapporteur, la gymnastique avec agrès allemande doit être rejetée car elle demande de la force, ne répond pas au mouvement naturel et parallèlement elle provoque une difformité du système musculaire des élèves78. De même, dans l’approche médicale mais relativement « ultra » de I. Valsamakis, la gymnastique avec agrès est accusée en bloc comme « une relique nuisible du temps de l’ignorance et de l’obscurantisme »79. D’un autre côté, les exercices libres suédois sont retenus, car ils « répartissent harmonieusement le travail musculaire » et affermissent l’esprit de discipline qui est abandonné pendant « les jeux gymnastiques »80, tandis que ces derniers (courses de vitesse, de demi-endurance, épreuves du stade, aviron) sont jugés nécessaires, car « […] ils apportent joie et satisfaction aux enfants, mais aussi comme exercices ils sont excellents car en eux se font des mouvements propres à exercer tout le corps »81. Argumentation qui montre que la gymnastique suédoise et les jeux gymnastiques sont envisagés comme des disciplines complémentaires et non incompatibles. 47 La prédominance du discours de la santé est évidente dans le rapport de A. Kritikos. Il a recours cependant au discours complémentaire de l’idéal athlétique82. Kritikos, connaisseur, après tout, en ce qui concerne la tradition de la culture physique et les différences entre les systèmes de gymnastique, base son analyse et ses propositions sur les résultats des recherches du physiologue italien Mosso et des médecins français Mairet et Florence. En particulier, il soutient le rôle compensateur de l’exercice physique non seulement pour remédier à la perturbation des « différentes fonctions de l’organisme, qui survient durant le travail intellectuel » mais aussi pour faciliter la fonction respiratoire et la croissance de l’organisme83. Il met également l’accent sur l’importance de l’exercice physique dans le développement du squelette et du système musculaire84, ainsi que dans le renforcement des facultés intellectuelles85. 48 Le fondement complémentaire de l’utilité de la culture physique dans la théorie Darwinienne de la sélection naturelle, une notion qui en s’alignant sur la mode socio- biologique de l’époque fait entrer violemment le monde de la nouveauté scientifique, de la laïcité et de la rationalisation dans le système de pensée traditionnel de l’Église Orthodoxe et jusqu’à un certain point de l’intelligentsia grecque orthodoxe, présente un intérêt particulier. Et surtout dans le champ de l’éducation qui était traditionnellement de la compétence de l’Église et se caractérisait par la notion dominatrice du religieux. Toutefois, si on en juge par l’absence de réactions des interlocuteurs on comprend que leur discret attachement aux principes de la théorie Darwinienne avait déjà précédé et qu’ainsi la référence qu’on y fait n’est pas perçue comme une aberration révolutionnaire. 49 Sur le plan de la formation individuelle Kritikos soutient donc que le développement équilibré des fonctions somatiques et intellectuelles, l’union harmonieuse des moyens spirituels et des mérites corporels, assure une adaptation plus facile aux circonstances

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extérieures modifiées et ménage à l’avance la dominance définitive à l’organisme le plus vigoureux86, le plus résistant et le mieux adapté. D’un autre côté, en prolongeant l’argument socio – Darwinien jusque dans le champ des relations entre États-nations, il aborde la Culture Physique d’une part comme un mécanisme fondamental de martèlement de l’esprit national et d’autre part comme une technologie garante de la santé publique et individuelle. Au sens bien sûr, de la vigueur collective, de la persévérance et de la combativité qui fonctionnent comme des indices suffisants de la supériorité de la nation grecque tant biologique que morale87. 50 Intéressante également est la référence de Kritikos à la tradition anglaise de culture physique qui unit l’exercice et les jeux gymnastiques au processus d’éducation morale du jeune. Il se base sur le livre de Pierre de Coubertin qui se réfère à l'« éducation anglaise »88 et évoque l’esprit de la conférence de Dimitris Vikélas faite à la Société Philologique Grecque de Constantinople. 51 Le rejet de l’utilité pédagogique de la gymnastique compétitive et de l’athlétisme peut avoir pour point de départ des arguments d’ordre médical et se faire au nom de la « gymnastique hygiénique », mais le dessein qu’il sert est d’ordre moral. Kritikos pense que athlétisme et pratique scolaire sont des champs inconciliables car l’athlétisme donne « un mauvais et funeste exemple »89. Le préjudice qu’il cause s’explique de la manière suivante : l’athlétisme est à exclure du spectre des activités de la leçon de Culture Physique « […] comme capable d’épuiser l’esprit de l’élève, comme favorisant le développement de son égoïsme et provoquant le découragement de ceux qui, n’étant pas capables d’accomplir les épreuves les plus difficiles, restent derrière quant aux performances et n’osent plus venir au gymnase[…]90». 52 La valeur morale qui entoure le rejet de l’athlétisme soit individuel soit collectif91 en tant qu’élément organique de la leçon de Culture Physique est évident d’ailleurs dans le terme employé par un des interlocuteurs de Kritikos, Alexandre Zamarias, proviseur de l’École Zographio, quand il énonce que « l’athlétisme est un miasme pour les écoles »92. 53 Il nous faut admettre que la critique qui s’adresse à l’athlétisme avec l’argument qu’il rompt l’esprit de la communauté, développe l’égoïsme et expose l’organisme des élèves au danger d’une croissance déséquilibrée et d’un excès musculaire est d’origine allemande et date des dernières décennies du XIXe siècle93. Cependant, dans le cas de la Société Philologique Grecque de Constantinople cette critique s’inscrit dans le cadre élargi du discours médical réglementaire, des inerties intellectuelles et des comportements réglés traditionnels de la communauté grecque orthodoxe. Dans ce cadre composite, l’athlétisme est dévalorisé car il est basé sur la réaction énergétique de l’individu. Il encourage l’initiative, excite la détermination et le jugement, minimise l’obéissance automatique, limite la surveillance, relâche la discipline et l’ordre, affaiblit les structures hiérarchiques scolaires inflexibles et reconnaît le besoin du déploiement de l’activité et de l’adresse individuelles non dans le cadre limité et surveillé de l’école, mais au stade et dans l’environnement naturel. C’est-à-dire que tandis que l’élève fonctionne sur la base du principe de la hiérarchie et de la discipline dans le cadre que limitent le contrôle et la réglementation du comportement spontané et de la manifestation de la libido, le quasi-athlète agit en sujet autodéterminé et spontané. Dans le cas justement des épreuves par équipe, l’autonomie devient collective et le déroulement du jeu est démocratique, fait qui met en doute le discours autoritaire et les pratiques du mécanisme éducatif. De plus les sports collectifs présupposent un raffinement technique individuel, l’égalité et l’alternance des joueurs, la composition

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des savoir-faire individuels et la différenciation des rôles pour atteindre le but commun de l’auto-réalisation en équipe en vue de l’obtention de la victoire. De ce point de vue, ils fonctionnent comme un microcosme de la société bourgeoise rationalisée, fonctionnellement différenciée, antagoniste, égalitaire et pluraliste. En conclusion, nous pourrions dire que le sport d’équipe, en particulier, soumet symboliquement l’idée du citoyen-producteur, occupé à sa réalisation individuelle, autonome et qui se transforme en sociétaire dans l’effort collectif d’accomplissement de la reproduction sociale et de la prospérité matérielle. Ainsi fait-il valoir des comportements et des principes d’activité propres à une société bourgeoise, laïque, rationalisée et égalisatrice et non, bien sûr, à des sociétés traditionnelles et hiérarchiques lesquelles, d’une manière sélective, formaliste et utilitaire transfusent dans leurs structures, leurs systèmes de mérite et dans leurs pratiques, les schémas structurels et les valeurs des nouvelles sociétés. 54 La transfusion sélective, formaliste et utilitaire des éléments nouveaux dans le corps de la culture grecque orthodoxe apparaît de façon caractéristique dans ces passages de l’analyse de Kritikos et de ses interlocuteurs qui parlent de l’utilité d’adopter dans le cadre de la leçon de Culture Physique, les pratiques suivantes : le tir dans le sens de la préparation militaire94, les danses nationales comme processus d’imprégnation symbolique de la conscience nationale et de l’identité culturelle nationale95 ainsi que les excursions comme moyen d’adaptation à l’esprit militaire de discipline et de solidarité 96. Pratiques qui – à l’exception des excursions – furent admises et entrèrent finalement dans le faisceau des mesures qu’entreprit de réaliser la Société Philologique Grecque de Constantinople en vue d’un enseignement homogène et d’une revalorisation du cours de Culture Physique. 55 Je pense que ces trois nouveaux contenus de la leçon de Gymnastique redéfinissent globalement le cadre et les coordonnées idéologiques de la Culture Physique dans la communauté grecque orthodoxe de l’Empire Ottoman. Ils entreprennent également de concilier, pour la première fois, le discours de la mobilisation nationale avec le discours de l’hygiène et de l’idéal athlétique et d’abolir la relation antinomique Orthodoxie – Nationalisme, en introduisant le discours de la vigueur et de la militarisation, dans l’horizon des valeurs de la population scolaire grecque orthodoxe. Il s’agit, de toute façon, d’une coupure, ou comme je le crois, d’une tentative de réorientation radicale. Cette réorientation reflète le danger de déstructuration de l’identité grecque orthodoxe et l’absence de convictions nationales dans le cadre de plus en plus cosmopolitain de la société de Constantinople et de la contestation de la suprématie culturelle de l’Hellénisme de la part des nationalismes rivaux97. Mais principalement elle prouve la vigilance de la conscience nationale, suite au sapement des droits égalitaires prévus dans la Constitution Ottomane de 1908, face à l’intransigeance des Jeunes-Turcs et à leur polémique contre les nationalités, en vue du nivellement ethnoculturel afin d’imposer la conscience nationale turque. La volte-face des Jeunes-Turcs signifiait, d’une part, la tendance à l’autonomisation d’une bonne partie de la classe bourgeoise grecque orthodoxe par rapport aux fonctionnements pro-nationaux et en même temps hyper-nationaux du Patriarcat Œcuménique dans le cadre de la tradition ethnarchique98. D’autre part, elle marquait la mutation progressive de la communauté grecque orthodoxe, de la politique stratégique de l’ « Helléno-ottomanisme », c’est-à- dire de la survivance d’un Empire Ottoman réformé, d’une co-souveraineté des Turcs et des Grecs et de l’Hellénisation graduelle, culturelle et économique, de l’État turc, vers celle de l’irrédentisme et du regroupement – après « la désottomanisation de la société

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et de l’espace » en 1914 – avec le seul pouvoir légitime qui lui reste, le centre national helladique99.

NOTES

1. A. LIAKOS, Νεανικές οργανώσεις. Η εμφάνιον των νεανικών οργανώσεων. Το παράδειγμα της Θεσσαλονίκης [Organisations de jeunesse. L’apparition des Organisations de jeunesse. L’exemple de Thessalonique], Athènes 1988, p. 7-8. 2. A. RAUCH, Le souci du corps. Histoire de l’hygiène en éducation physique, Paris 1983, p. 97. 3. M. FOUCAULT, Η μικροφυσική της εξουσίας [La petite physique du Pouvoir], traduction du français et commentaires L. TROULINOS, Athènes 1991, p. 109. 4. N. DÉMERTZIS, Ο λόγος του εθνικισμού. Αμφίσημο σημασιολογικό πεδίο και σύγχρονες τάσεις [Le discours du nationalisme. Champ sémantique ambigu et tendances contemporaines], Athènes 1996, p. 227-244. Les catégories qu’adopte Démertzis s’adaptent aussi au cas de valorisation idéologique du modèle français de culture physique, comme il apparaît à la page suivante. 5. Pour le modèle allemand de gymnastique et son rôle idéologique, cf. J. G. DIXON, « Prussia, Politics and Physical Education » in P. C. MAKINTOSH et als., Landmarks in the History of Physical Education, Londres – Boston 1981, p. 131 ; G. L. MOSSE, The nationalisation of the Masses. Political Symbolism and Mass Movements in Germany from the Napoleonic Wars through the Third Reich, New York 1975, p. 28, 43, 44, 83, 128-135 ; K. D. BRACHER, The German Dictatorship. The Origins, Structure, and Consequences of National Socialism, 1980, p. 41-42. Dans le deuxième cas nous avons à faire à un facteur de nationalisme politique libéral occidental, dont il faut chercher l’origine en France et particulièrement dans la tradition des idéaux politiques de 1789. Cf. N. DEMERTZIS, op. cit., p. 227-244. 6. P. ARNAUD, Les Athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870-1914, Toulouse 1987, p. 212. 7. Ibid., p. 30. 8. C. PROCHASSON, « Les années 1880 : Au temps du boulangisme » in Histoire de l’extrême droite en France, M. WINOCK éd., Paris 1993, p. 51-82. 9. P. ARNAUD, op. cit., p. 47. 10. Ibid., p. 213. 11. Le gymnaste français Amoros associe la culture physique à la formation et à la préparation militaire. Son argument est que l’exercice physique aide à compenser les conséquences de la technologie de la guerre. Cf. J. ULMANN, De la gymnastique aux sports modernes. Histoire des doctrines de l’éducation physique, Paris 1977, p. 295. 12. Cf. en général S. ANAGNOSTOPOULOU, Μικρά Ασία 19ος αιώνας 1919. Οι ελληνορθόδοξες κοινότητες. Από το Μιλλέτ των Ρωμιών στο Ελλινηκό Έθνος [Asie Mineure (XIXe siècle – 1919). Les communautés grecques orthodoxes. Du millet des Grecs ottomans à la Nation Grecque], Athènes 1997. Plus particulièrement H. EXERTZOGLOU, Εθνική ταυτότητα στην Κωσταντινούπολητον 19ο αιώνα. Ελληνικός Φιλολογικός Σύλλογος Κωσταντινουπόλεως 1861-1912 [Identité nationale à Constantinople au XIX e siecle. La Société Philologique Grecque de Constantinople 1861-1912], Athènes 1996, p. 76 ; D. STAMATOPOULOS, Μεταρρύθμιση και εκκοσμίκευση. Προς μια ανασυγκρότηση του Οικουμενικού Πατριαρχείου τον 19 ο αιώνα [Réforme et Laïcisation. Vers une reconstitution du Patriarcat œcuménique au XIXe siècle], Athènes 2003.

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13. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 29. 14. Avec le décret viziriel de 1891, c’est aux compétences respectives du Patriarcat et de la Commission Educative Centrale du Patriarcat, que sont confiés l’organisation, le contrôle et la ratification des programmes scolaires, la décision dans la création d’écoles orthodoxes de filles ou de garçons privées ou publiques, la rédaction des listes de livres scolaires approuvés, la composition détaillée des programmes et des horaires, l’émission de certificats d’études ainsi que la nomination et l’inspection du personnel enseignant. Cf. CH. SP. SOLDATOS, Η εκπαιδευτική και πνευματικί κίνηση του Ελληνισμού της Μικράς Ασίας (1800-1922), v. III : Η εξάρτηση και η δραστηριότητα των σχολείων [Le mouvement éducatif et intellectuel de l’Hellénisme d’Asie Mineure 1800-1922, v. III : La dépendance et l'activité des écoles], Athènes 1989, p. 17, 29-31 ; E. FOURNARAKI, « Institutrice, femme et mère » : Idées sur l'éducation des femmes grecques au XIXe siècle 1830-1880, Thèse de 3e cycle en histoire et civilisation, Paris 1992, p. 248-249. 15. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 93. Sur le rôle que joua le Patriarcat œcuménique dans le dernier quart du XIXe siècle, cf. CH. D. KARDARAS, Το Οικουμενικό Πατριαρχείο και ο αλύτρωτος ελληνισμός της Μακεδονίας-Θράκης-Ηπείρου μετά το Συνεδριο του Βερολίνου [Le Patriarcat Œcuménique et l’Hellénisme non libéré de Macédoine-Thrace-Epire après le Congrès de Berlin], Athènes 1996, et S. T. ANESTIDIS, Η εθναρχικί παράδοση της Μεγάλης Εκκλησίας και ο Μανουήλ Ιω. Γεδεών [La tradition Ethnarchique de la Grande Eglise et Manuel I. Gédéon], Thèse de doctorat, Ecole de Droit et de Sciences Politiques et Economiques de l’Université d’Athènes, Athènes 1993. 16. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 23. 17. Ibid., p. 144. 18. Ibid., p. 50. 19. Ibid., p. 23-24, et E. FOURNARAKI, op. cit., p. 249-250. 20. M. D. CH., « Δημοτικί εν Κωσταντινουπόλει εκπαίδευσις » [Education primaire à Constantinople] in Εκκλησιαστικί αλήθεια [Vérité Ecclésiastique], v. I, 9, 26 novembre 1880, p. 141. 21. « Περί της αληθούς παιδείας και του τρόπου της κτήσεως αυτής. Διατριβή Χριστοφόρου Ιεροδιδ. Προδρομίτου » [De la Véritable instruction et du moyen de l’acquérir. Thèse de Ch. PRODROMITIS] in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. IX, 39, 26 juillet 1889, p. 307. 22. Ibid., p. 306. 23. Pour référence, je cite qu’en 1887, le prytané de l’Université d’Athènes, médecin et professeur en Pharmacie et Botanique, Théodore APHENDOULIS juge la culture physique comme un moyen de déblocage de la « jeunesse fascinée par les cafés et les voluptés de la nicotine ». Cf. Λόγος εκφωνησθείς εν τη μεγάλη αιθούση του Πανεπιστημίου τη 29 Νοεμβρίου 1887 ημέρα της εγκαταστάσεως των νέων πρυτανικών αρχών [Le Discours prononcé dans la grande salle de l'université le 29 Novembre 1887 le jour de l'installation des nouvelles autorités Universitaires], Athènes 1887, p. 17. 24. ARNAUD, op. cit., p. 211. 25. M. GEDEON, « Αι εξετάσεις των παρ΄η μίν σχολείων » [Les examens de nos écoles], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. IV, 37, 4 juillet 1884, p. 542. 26. Ibid. 27. AMBROSIOS, Archevêque de Krakov, « Λόγος περί αισχύνης και αιδούς » [Discours sur la honté] in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XII, 26, 28 août 1892, p. 206. Jusqu’en 1870 à peu près, et en Grèce sous l’influence de la méthode Lancastérienne, s’est entreprise la répression de la mouvance enfantine dans l’école. 28. I. D. IOANNIDIS, « Οι ηθικοί καρποί της παρ΄η μίν εκπαιδεύσεως (τρίτη συνέχεια) » [Les fruits moraux de notre éducation], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XVIII, 38, 31 août 1898, p. 317. 29. « Έκθεσις της Μ. του Γ. Σχολής, 1878-1888 », [Rapport de la Grande Ecole de la Nation, 1878-1888] in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. VIII, 30, 8 juin 1888, p. 246.

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30. A. P., « Η θρησκευτικί ανατροφή θεμέλιον της ηθικής και της κοινωνίας » [L’éducation religieuse, base de la morale de la société], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XVIII, 45, 16 octobre 1898, p. 371. 31. ARNAUD, op. cit., p. 208. 32. Ibid., p. 205-221. 33. Pour exemple : l’Association « Apamée » à Moudania en Bithynie construit un gymnase en 1888, et celle de Trébizonde, « Prométhée », en construit un en 1890. On rencontre également des stades à Smyrne, à Pergame, Tralles, à Magnésie, à Ephèse, à Sardes et à Laodicée. Cf. CH. SP. SOLDATOS, Η εκπαιδευτική και πνευματικί κίνηση του Ελληνισμού της Μικράς Ασίας (1800-1922), v. II : Η οργάνωση και η λειτουργία των σχολείων (1800-1922), [Le mouvement éducatif et intellectuel de l’Hellénisme d’Asie Mineure 1880-1922, v. II : L’organisation et le fonctionnement des écoles], Athènes 1989, p. 237. 34. Pour exemple : L’Association Gymnastique « Hermès » de Constantinople est créée en 1877, cf. A. LIAKOS, op. cit., p. 13, note 8. De même l’Association Gymnastique Panionios (ancien « Orphée ») de Smyrne en 1890, tandis que cette pratique se répand rapidement – en tout cas jusqu’aux premières années du XXe siècle – même jusque dans la région du Pont. Cf. CH. SP. SOLDATOS, op. cit., v. II, p. 238 et 225 respectivement. Pour l’histoire du Panionio cf. P. LINARDOS, Η Σμύρνη του Πανιωνίου. Από τη μικρασιατική πρωτοπορία στην αθηναϊκή αναγέννηση [Smyrne du Panionio. De l’avant-garde d’Asie Mineure à la renaissance athénienne], Athènes 1998. 35. CH. SP. SOLDATOS, op. cit., v. II, p. 239 : « […] les jeux du Panionios étaient devenus une institution et se déroulaient à Smyrne du moins depuis 1898. Le programme général des jeux comprenait : athlétisme, escrime, cyclisme, natation, concours nautiques et avait été approuvé par l’Union des Associations Gymnastiques et Athlétiques de Smyrne [= Union des Associations Athlétiques Grecques] ». 36. Pour indications cf. G. D. PACHTIKOS, « Ολυμπιακοί αγώνες εν Βιθυνία » [Jeux Olympiques en Bithynie], Athènes 1893, dans sa réédition in Δελτίον Κέντρου Μικρασιατικών Σπουδών [Bulletin du Centre des Etudes sur l’Asie Mineure], 11, Athènes 1995-1996, p. 433-454. 37. « Το Υπουργείον της Δημοσίας Εκπαιδεύσεως εν Τουρκία » [Le Ministère de l’Instruction Publique en Turquie], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. I, 1, 1er octobre 1880, p. 9-11. 38. Cf. l’intervention de D. DAMASKINOS au deuxième Congrès éducatif spécial organisé par la Société Philologique Grecque de Constantinople sur le thème de la culture physique, in Πρακτικά των Εκπαιδευτικών Συνεδρίων [Actes des Congrès Educatifs], v. II, 1908-1909, supplément 32 volume, p. 44. 39. M. D. CH., « Δημοτικί εν Κωσταντινουπόλει εκπαίδευσις » [Instruction primaire à Constantinople], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. I, 8, 19 novembre 1880, p. 126. 40. Nous dirions qu’il s’agit d’une approche folklorique de l'exercice physique qui vise non seulement à développer le corps de l'enfant, mais en même temps à l'imprégner du sentiment national et à le familiariser avec la culture locale. I. K. PAGOUNIS, « Προλήψεις, δεισιδαιμονίαι και παιδιαί των νεωτέρων Ελληήνων μετά παραλληλισμού προς τας των Αρχαίων » [Préjugés, superstitions et jeux des Grecs modenes en comparaison avec ceux des Anciens], in Ελληνικός Φιλολογικός Σύλλογος Κωνσταντινουπόλεως [Société Philologique Grecque de Constantinople], v. XV, 1880-1881, p. 124-141, rapport, décrit et recherche la généalogie de quarante trois « jeux ». 41. TH. SALTELIS, « Έκθεσις της Εκπαιδευτικής Επιτροπής περί των εν Κωσταντινουπόλει τοις περιχώροις Σχολείων » [Exposés de la Commission Educative sur les écoles de Constantinople et des environs], in Ελληνικός Φιλολογικός Σύλλογος Κωνσταντινουπόλεως, v. XIII, mai 1878 – mai 1879, p. 58. 42. TH. SALTELIS, op. cit., p. 67. 43. Ibid., p. 68.

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44. Ibid., p. 68-69. 45. TH. SALTELIS, « Δημοτικί εν Κωσταντινουπόλει εκπαίδευσις » [Instruction primaire à Constantinople], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. I, 10, 3 décembre 1880, p. 156. 46. M. D. HAMOUDOPOULOS, « Σχολικά » [Affaires scolaires] in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. II, 39, 14 juillet 1882, p. 643-644 ; 40, 21 juillet 1882, p. 659 ; 41, 28 juillet 1882, p. 675. 47. CH. SP. SOLDATOS, op. cit., v. II, p. 28 et 42 respectivement. 48. K. XANTHOPOULOS, « Οποία παρ΄ημιν η εκπαίδευσις (1886)» [Notre éducation] in Ελληνικός Φιλολογικός Σύλλογος Κωνσταντινουπόλεως, tome du vingt-cinquième anniversaire 1861-1886, Supplément 14, Constantinople 1888, p. 161 ; « Προόγραμμα των μαθητών της Μεγάλης του Γένους Σχολής » [« Programme des leçons de la Grande Ecole de la Nation »] in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. I, 3, 10 juin 1881, p. 45-46 ; « Λογοδοσία του σχολικού έτους 1891-1892 αναγνωσθείσα τη 24η Μαΐου υπό του σχολάρχου αρχιμ. Μιχαήλ Κλεοβούλου » [Compte-rendu de l’année scolaire 1891-1892 lu le 24 mai par M. le directeur de l'école, l'archimandrite Michael Kléovoulos], ibid., v. XII, 13, 29 mai 1892, p. 102-104 ; « Λογοδοσία της Μ. του Γ. Σχολης του σχολικού έτους 1892-1893 αναγνωσθείσα υπό του Σχολάρχου Μ. Κλεοβούλου » [Compte-rendu de la Grande Ecole de la Nation pour l'année scolaire 1892-1893 lu par le directeur M. Kléovoulos], ibid., XIII, 15, 11 juin 1893, p. 118-120 ; du même, « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1893-1894 […] » [Compte-rendu de l’année scolaire 1893-1894], ibid., XIV, 17, 24 juin 1894, p. 134-136 ; du même, « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1894-1895 […] » [Compte-rendu de l’année scolaire 1894-1895], ibid., v. XV, 17, 23 juin 1895, p. 135-136 ; 18, 1er juillet 1895, p. 143-144 ; du même, « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1899-1900 […] » [« Compte-rendu de l’année scolaire 1899-1900 de la Grande Ecole de la Nation »], ibid., v. XX, 24, 16 juin 1900, p. 268-171 ; 25, 23 juin 1900, p. 275-278. 49. D. DAMASKINOS, « Γ΄έκτακτος ειδική εκπαιδευτική συνεδρία τη 29 Δεκεμβρίου 1907 » [Troisième Congrès éducatif spécial du 29 décembre 1907], in EΦΣΚ, Πρακτικά των εκπαιδευτικών συνεδρίων [Actes des Congrès Educatifs de la Société Philologique Grecque de Constantinople], supplément 41 du tome, Constantinople 1909, p. 73. 50. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 141, croit que chaque tentative de réorganisation partielle du système éducatif en Grèce pourrait légitimer une tentative analogue de réorganisation du système éducatif de la communauté grecque de Constantinople. 51. Π. Κ. Εκπαιδευτική Επιτροπή, « Έκθεσις της Π. Κ. Εκπαιδευτικής Επιτροπής υποβληθείσα τω Α.Θ.Π. και παραπεμφθείσα εις τα Δύο Σώματα προς μελέτην και έγκρισιν » [Commission Educative Patriarcale de Constantinople, « Exposé de la Commission Educative Patriarcale de Consantinople »] in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XX, 46, 17 novembre 1900, p. 503. 52. Pour les questions qui touchent à l'éducation scolaire des filles dans la communauté grecque orthodoxe de Constantinople, cf. E. FOURNARAKI, op. cit., p. 246-269. 53. « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1902-1903 της Πατριαρχής Μ. του Γ. Σχολης » [Compte- rendu de l'année scolaire 1902-1903 de la Grande Ecole de la Nation], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XXIII, 27, 4 juillet 1903, p. 303. 54. P. M. KITROMILIDIS, « Imagined Communities and the Origins of the National Question in the Balkans » in M. BLINKHORN – TH. VEREMIS éds., Modern Greece : Nationalism and Nationality, Athènes 1990, p. 51-53. 55. « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1902-1903 της Πατριαρχής Μ. του Γ. Σχολης αναγνωσθείσα εν τη αιθούση αυτής υπό του σχολάρχου μητροπολίτου Σάρδεων Μιχαήλ Κλεοβούλου [Compte- rendu de l'année scolaire 1902-1903 de la Grande Ecole de la Nation, lu dans la salle de celle-ci en présence du directeur de l'Ecole, le Métropolite de Sardes Michael Kléovoulos, le dimanche 8 juin 1903], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XXIII, 25, 20 juin 1903, p. 283. 56. « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1902-1903 […] » [Compte rendu de l'année scolaire 1902-1903], op. cit., v. XXII, 27, 4 juillet 1903, p. 303.

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57. G. P. STRINOPOULOS, Métropolite de Séleucie, « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1912-1913 […] » [Compte-rendu de l'année scolaire 1912-1913], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XXXIII, 29, 20 juin 1913, p. 238. 58. Ibid. 59. G. P. STRINOPOULOS, Métropolite de Séleucie, directeur de l'Ecole de Théologie, « Λογοδοσία περί του σχολικού έτους 1912-1913 […] » [Compte rendu de l'année scolaire 1912-1913], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XXXIII, 28, 13 Juillet 1913, p. 231. 60. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 55-56. 61. CH. SP. SOLDATOS, op. cit., v. II, p. 63. Dans les dernières décennies du XIXe siècle les Jardins d'Enfants se rencontrent de manière sporadique, même en Grèce. Cependant, la ratification officielle de l'éducation publique préscolaire et de son encadrement par un personnel spécialisé devient effective avec les dispositions prises par la réforme éducative du gouvernement Vénizélos. 62. Th. Lipovats pense que cette attitude passive et formaliste caractérise totalement l’acception de la nouveauté par l’Eglise Orthodoxe. Cf. TH. LIPOVATS, « Ορθόδοξος χριστιανισμός και εθνικισμός. Δύο πτυχές της σύγχρονης ελληνικής πολιτικής κουλτούρας » [Christianisme Orthodoxe et nationalisme : deux aspects de la culture politique grecque contemporaine], in Ελληνική Επιθεώρηση Πολιτικής Επιστήμης [Revue Grecque de Science Politique], 2, octobre 1993, p. 41-42. 63. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 106. 64. P. M. KITROMILIDIS, op. cit., p. 57-58, et « Το τέλος της εθναρχικής παράδοσης. Μαρτυρίες απο ανέκδοτες επιστολές του Χρυσοστόμου Σμύρνης προς τον Ίωνα Δραγούμη » [La fin de la tradition ethnarchique. Témoignages provenant de lettres inédites de Chrysostome métropolite de Smyrne à ] in Αμητός στη μνήμη Φώτη Αποστολόπουλου [Mélanges à la mémoire de Photis Apostolopoulos], Centre d'Etudes sur l'Asie Mineure, Athènes 1984, p. 486-507. Particulièrement à la page 503, Kitromilidis signale : « […] les plus jeunes les plus combatifs et les plus capables […] [des prélats] avaient abandonné la tradition ethnarchique et avaient adopté les valeurs du nationalisme ». 65. Cité par CH. SP. SOLDATOS, op. cit., v. II, p. 238. 66. M . EMMANOUELIDIS, Εξέχοντες Αιολείς Ιεράρχαι. Γερμανός Καραβαγγέλης [Grands Prélats Eoliens. Germanos Karavangélis], Stavros ANESTIDIS éd., Athènes 1962 et in Δελτίον Κέντρου Μικρασιατικών Σπουδών, v. XI, 1995-1996, p. 363. 67. CH. SP. SOLDATOS, op. cit., v. II, p. 236. 68. CH. G. PANTAZIDIS, « Συνοπτική έκθεσις των κατά την πεντηκονταετηρίδα (1861-1911) του Ελληνικού Φιλολογικού Συλλόγου πεπραγμένων […] » [Exposé synoptique des activités de la Société Philologique Grecque durant cinquante ans (1861-1911)], in Ελληνικός Φιλολογικός Σύλλογος Κωνσταντινουπόλεως, 1913-1921, p. 54-55. 69. D . VIKELAS, « Περί αγωγής » [De l'instruction], in Ελληνικός Φιλολογικός Σύλλογος Κωνσταντινουπόλεως, v. XXII, 1889-1891, p. 160-167. 70. Sur le Robert Collège et les autres écoles prosélytes américaines, cf. S. TH. ANESTIDIS, « Αμερικανοί ιεραπόστολοι στη Μικρά Ασία. Βιβλιογραφική επισκόπηση » [Missionnaires américains en Asie Mineure. Revue bibliographique], in Δελτίον Κέντρου Μικρασιατικών Σπουδών, v. XI, 1995-1996, p. 375-388. 71. Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XIX, 26, 11 juin 1899, p. 216. 72. L . ILIOU, « Παιδαγωγικά Μελετήματα Α ΄ : “Καθαρόν αέρα εις τα σχολεία” » [Études Pé dagogiques. I. Air pur dans les Ecoles], in Εκκλησιαστικί αλήθεια, v. XVI, 39, 22 novembre 1896, p. 319.

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73. L. ILIOU, op. cit., 41, 5 décembre 1896, p. 334 : « Si bien sûr Platon et tous les autres pédagogues au monde ne font pas d'erreur, l'hygiène du corps est nécessaire au développement intellectuel ». 74. Op. cit. 75. Γ΄Έκτακτος Ειδική Εκπαιδευτικί Συνεδρία [Troisième Congrès éducatif spécial], op. cit., p. 73. 76. A. LIAKOS, op. cit., p. 18. 77. H. EXERTZOGLOU, op. cit., p. 61. 78. Cf. le rapport de A. KRITIKOS, « Deuxième Congrès Educatif Spécial », op. cit., p. 34. 79. Ibid., p. 41. 80. Ibid., p. 33-34. 81. Ibid., p. 33. 82. Ibid., p. 31 et 32. 83. Ibid., p. 30. 84. Ibid., p. 30. 85. Ibid., p. 32-33. 86. Ibid., p. 31. 87. Ibid., p. 40. 88. Ibid., p. 32. 89. Ibid., p. 35. 90. Ibid., p. 35. 91. Pour exemple, H. VALSAMAKIS juge le football anti-hygiénique, car il porte préjudice à l'organisme à cause de l'hyperthermie qu'il provoque : ibid., p. 45. 92. Ibid., p. 42. 93. J. G. DIXON, op. cit., p. 136, et G. MOSSE, op. cit., p. 133. 94. Β΄ Ειδική Εκπαιδευτικί Συνεδρία [Deuxième Congrès Educatif spécial], op. cit., p. 44. Il s’agit d'une proposition de D. DAMASKINOS. 95. Ibid., p. 35. 96. Ibid., p. 39. 97. Ce point de vue est exprimé en référence à une période allant de 1870 à 1900 à peu près par E. FOURNARAKI, op. cit., p. 261-262. 98. E . KANNER, « Άφρονες εναντίον φρονίμων, όχλος εναντίον λαού. Ο ελληνικός τύπος της Κωνσταντινούπολης απέναντι στην Κομμούνα του Παρισιού » [Insensés contre sensés, plèbe contre peuple. La presse grecque de Constantinople face à la Commune de Paris], in Μνήμων [Mnémon], 18, 1996, p. 96, pressent que cette tendance à l'autonomisation ou plutôt à la libération apparaît déjà dès le dernier quart du XIXe siècle. 99. TH. VEREMIS – K. BOYRA éds., Αθανασιού Σουλιώτη-Νικολαΐδη. Οργαάνωσις Κωνσταντινουπόλεως [L'organisation de Constantinople d’Athanase Souliotis-Nicolaïdis], Athènes – Jannina 1984, p. 9-23. Sur l'émergence du schéma de l'hellénottomanisme dans le dernier quart du XIXe siècle, cf. E. SCOPETEA, Το « Πρότυπο Βασίλειο » και η Μεγάλη Ιδέα [Le « Royaume modèle » et la Grande Idée. Aspects du problème national en Grèce (1830-1880)], Athènes 1988, p. 309-324. Plus particulièrement, sur les points de vue de Ion Dragoumis et d’Athanase Souliotis-Nicolaïdis, cf. G. AUGUSTINOS, Consciousness and History : Nationalistic Critics of Greek Society 1897-1914, New York 1977, p. 126-134. Enfin pour une description détaillée, une analyse et une interprétation du passage de la communauté grecque orthodoxe du cadre de la tradition ethnarchique et plus tard de l'helléno-ottomanisme vers celui de la mobilisation nationale, cf. S. ANAGNOSTOPOULOU, op. cit., troisième et quatrième chapitres, p. 453-520 et 521-553 respectivement. J'emprunte à Sia Anagnostopoulou le terme de « désottomanisation de la société et de l'espace ».

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RÉSUMÉS

Cette communication a pour objet la localisation et l’approche critique des discours qui mettent en évidence le mérite de la culture physique dans le système éducatif grec et dans le réseau scolaire de la communauté grecque orthodoxe de l’Empire ottoman durant la période 1880-1920. Plus précisément, je m’intéresse à l’étude de la structuration et de la corrélation sociale des pratiques discursives qui régissent, donnent un sens et organisent les conceptions et l’argumentation de l’intelligentsia ecclésiastique sur l’éventuelle nécessité de la culture physique dans l’éducation et sur les usages les plus appropriés de l’exercice corporel. En même temps je m’efforcerai de montrer les résistances qu’oppose le mécanisme ecclésiastique à l’entrée de la leçon de la Culture physique dans l’enseignement, mais aussi son application graduelle et sélective dans les formations socio-culturelles, que fait apparaître l’époque nouvelle.

This article focuses on a critical analysis of the discourses stressing the advantages inherent to the introduction of physical culture in the Greek educational system of the school network of the Greek-orthodox communities situated in the Ottoman empire during the period 1880-1920. The author studies the structure and social correlations of the discursive practices, which offer a framework, give a meaning and organize the ideas and the arguments of the church intelligentsia on the issue of the possible need of physical culture in education and of the appropriate usage of corporal exercises. At the same time, the author tries to illustrate the resistance of the ecclesiastical mechanisms to the introduction of physical culture in the school curriculum resulting to its selective and progressive introduction, announcing a new era.

AUTEUR

GEORGES KOKKINOS

Université de la Mer Egée – Rhodes

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Genre et éducation physique en Grèce au XIXe s. Aspects idéologiques d’un nouveau champ pédagogique (1850-1900) Gender and Physical Education in Nineteenth Century Greece: Ideological Aspects of a New Pedagogical Field (1850-1900)

Eleni Fournaraki

e 1 Si l’on examine le processus selon lequel, dans la Grèce du XIX siècle, l’éducation physique devient un champ pédagogique autonome ainsi qu’une démarche publique sous la responsabilité de l’État, on est amené à deux constats initiaux. D’une part, que ce processus doit être situé dans la deuxième moitié du XIXe siècle, et plus particulièrement dans son dernier quart ; en effet, la production d’une législation spéciale sur l’exercice physique scolaire ne commence que dans les années 1860, par des tentatives plutôt fragmentaires et inefficaces1. D’autre part, on constate qu’au nom de « l’éducation des hommes libres » et des défenseurs de la patrie, l’éducation physique, comme idéal et comme pratique pédagogique, prit forme à la base d’une relation privilégiée avec l’instruction des garçons : l’exercice physique collectif et discipliné au sein du système scolaire fut plutôt associé au contrôle et à la normalisation de la nature « vive » de la jeunesse masculine ainsi que de sa sociabilité, à l’apprentissage de la citoyenneté et, bien sûr, au façonnement du corps et de l’esprit du futur soldat2.

2 Certes, cette liaison puissante, aussi bien symbolique que pratique, de l’éducation physique avec la formation des futurs citoyens et défenseurs de la patrie ne constitue pas une particularité grecque. D’ailleurs, l’histoire de la gymnastique et du sport modernes fut intimement liée à celle de la constitution des « stéréotypes » fondamentaux de la virilité dans le monde occidental3. Or, dans le cas grec, ce lien privilégié de la gymnastique scolaire avec la préparation militaire, et par conséquent avec l’éducation masculine, se manifesta avec une intensité particulière ; il fut renforcé

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par l’irrédentisme et les versions expansionnistes de la « Grande Idée » nationale, constamment alimentées par l’inachèvement des espérances d’unification nationale. La législation éducative afférente témoigne de cette intensité et de cette persistance : jusqu’à la fin du siècle, les exercices militaires constitueront un trait fondamental des intentions et des mesures concernant la gymnastique scolaire, matière pratiquement réservée pendant longtemps dans le cadre de l’enseignement secondaire masculin. Même lorsque l’exercice corporel s’autonomisera de la gymnastique militaire et de l’acquisition d’aptitudes nécessaires au champ de bataille, elle n’en restera pas moins liée à la préparation militaire. Indiquant, aussi bien sur le plan idéologique que pratique, une difficulté d’incorporer la population scolaire féminine, laissant également hors de ses priorités l’adaptation à la spécificité de l’enfance, le champ de l’éducation corporelle scolaire semblait prendre forme dans une dynamique concurrente à la tradition éclairée de l’universalité des préceptes hygiéniques et humanitaires, où le système de valeurs de l’éducation physique plongeait historiquement ses racines. Pour que l’exercice physique soit valorisé comme partie intégrante du processus éducatif, concernant l’ensemble de la population scolaire, il fallait sans doute une nouvelle conscience et un nouveau discours, non seulement sur l’excellence du corps sain et robuste en général, comme valeur sociale primordiale, intimement liée à la croissance urbaine et au processus plus général de la modernisation, mais aussi, plus spécialement, sur le corps féminin, sur le rôle des femmes dans la société bourgeoise, comme, d’ailleurs, sur la spécificité de l’enfance. À partir de ces hypothèses de travail, nous tenterons de présenter certains aspects de cette construction difficile du champs de l’éducation physique dans la Grèce du XIXe siècle, en proposant ici une optique plutôt qu’une analyse exhaustive des démarches institutionnelles et discursives.

I

e 3 Au cours des premières décennies du XIX siècle, au sein du courant des Lumières néo- helléniques, il ne manquait pas de tentatives visant à « illuminer » le public des lecteurs grécophones sur l’éducation physique au sens large du terme, en reproduisant les préceptes modernes occidentaux concernant l’hygiène familiale et individuelle et notamment les soins physiques de la petite enfance4. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les médecins étaient l’unique source de discours structuré sur l’éducation physique en général et sur la gymnastique en particulier. En Grèce de l’époque, aux prémices de la construction d’un nouvel espace public urbain à travers l’adoption relativement rapide d’institutions et de comportements occidentaux, la pratique de l’exercice physique reste pourtant dévalorisée, identifiée à la longue tradition populaire d’un athlétisme ambulant5. En revanche, le discours médical tente de familiariser l’opinion publique grecque avec les valeurs et les techniques de la gymnastique occidentale moderne, en faisant appel à la « grandeur » athlétique des Grecs anciens : la diffusion de la gymnastique ne signifie point l’importation d’une institution étrangère, mais plutôt le devoir de cultiver un « fruit ancestral » qui réaffirme l’illustre ascendance des Grecs modernes, en contribuant en même temps à la construction de leur identité nationale spécifique. Les médecins, dans leur approche hygiénique de l’exercice physique, en érigeant la santé en question primordiale d’intérêt public, construisent leur discours autour d’un principe fondamental : celui du besoin universel d’exercice physique, reconnu pour tout individu sans distinction de sexe ou d’âge – d’où leur préférence

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pour le système suédois –, et qui doit pouvoir être satisfait par une multiplicité de démarches privées et publiques, individuelles ou collectives (école, armée, gymnases publics)6. Pourtant, comme on le verra, ce n’est pas au sein de l’argumentation médico- hygiénique que la demande de l’introduction et de la généralisation de la gymnastique dans tous les niveaux de l’enseignement fut expressément formulée. D’ailleurs, le discours médical de l’époque, malgré l’importance qu’il accordait à l’exercice physique des enfants et de la jeunesse, n’insistait pas particulièrement sur la relation exclusive entre l’activité physique collective standardisée et le mécanisme scolaire, ce qui impliquerait la reconnaissance de l’État comme agent prépondérant de l’éducation corporelle.

4 Le petit nombre d’intellectuels sensibilisés à la question de l’athlétisme et qui, dans leur classicisme fort, aspiraient à la ‘rénovation’ du modèle classique du gymnase et de la palestre au sein de l’école, ne semble pas non plus concevoir suffisamment l’intégration de l’éducation physique dans le processus éducatif et le contrôle étatique. C’était de cette dimension de rénovation qu’on investissait l’institution moderne des regroupements gymnastiques ; notamment l’institution allemande du Turnplatz (gymnase en plein air) de Christian L. Jahn, créée au début du XIXe siècle au sein du mouvement gymnastique (Turnbewegung) des nationalistes libéraux prussiens. Réduisant l’éducation physique en une action collective fortement politique et morale, la soumettant à la lutte contre l’occupation napoléonienne, puis à la cause d’une nouvelle Allemagne « régénérée » (selon Fichte), unifiée et constitutionnelle, ce mouvement gymnastique aspirait à « l’invention » d’une « tradition » gymnastique uniforme, au service de la nation allemande. Ainsi, le système du Turnen, bien qu’il s’approprie l’œuvre gymnastique qui lui précède, celle des Philanthropiniens, s’éloignait en même temps de leur approche purement pédagogique et individualisée de l’exercice physique, à l’usage de petits groupes d’élèves7. Ce fut l’institution du Turnplatz et du Turnen qui inspira, de préférence, la première tentative de proposer un modèle d’activité physique scolaire à l’usage des instituteurs grecs. Dans son manuel (1837), le pédagogue G. Th. Pagon – lui-même formé à Munich et premier professeur de gymnastique au Didaskaleion (l’École Normale publique réservée au sexe masculin) – puise des éléments dans la tradition philanhtropinienne, mais s’appuie sur les écrits de Jahn pour donner une forme concrète à ses propositions8. Ainsi reproduit-il, en fait, cette collectivité masculine particulière et indépendante, qui, loin de faire partie intégrante d’une classe scolaire, est identifiée à l’espace particulier du gymnase, avec ses propres codes internes et sa discipline, sous la direction d’hommes ayant une formation plutôt empirique que scientifique, exemples vivants d’amour de la patrie et d’obéissance aux lois9. 5 Certes, il n’était pas difficile de construire des affinités entre le modèle ancestral de la palestre et l’institution moderne du Turnen. D’ailleurs, les inventeurs de cette tradition gymnastique allemande, avec ses propres techniques d’exercice corporel et ses propres rituels symboliques, justifiaient de surcroît leur démarche par rapport à « l’idéal athlétique » de la Grèce antique : par le principe du développement équilibré du corps et de l’esprit, mais aussi par l’invocation de la liberté, redéfinie, bien sûr, dans le contexte de l’idéologie moderne du nationalisme, notamment de sa version allemande. Selon la formulation caractéristique de Jahn, reprise par G. Pagon dans son manuel, si la gymnastique doit porter la marque du « caractère » particulier de chaque nation, « avant tout, elle ne prospère que chez les nations autonomes et n’appartient qu’à des

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hommes libres »10. Par le biais de ces redéfinitions de l’idéal de la liberté et du dévouement à la patrie, la performance athlétique d’une nation se transformait en critère de sa capacité à être libre ou digne de sa liberté, voire en critère de supériorité par rapport à d’autres nations. Pour les érudits grecs qui, chacun à sa manière, voyaient dans la culture du gymnase la reconstitution, au sein de l’école, du modèle éducatif et des valeurs de la Grèce antique, cette identification de l’idéal athlétique à « l’amour de la liberté », et par conséquent à la supériorité nationale, est très caractéristique : « l’histoire ancienne et moderne nous enseigne », écrivait un de ces érudits, « qu’un régime de vie mou paralyse et énerve le corps et l’âme des citoyens ; et qu’une nation lâche et énervée est incapable de sentiments de vaillance et de libre-pensée, donc incapable d’acquérir des libertés ou de garder et défendre celles qu’elle a acquises, et que de telles nations ne tardent pas d’apparaître en décadence et à périr »11. En même temps, cet usage symbolique du rapport entre exercice corporel et liberté, rapport dont la nation grecque fut l’héritière privilégiée grâce à son illustre ascendance, renforçait de façon décisive le besoin de construire l’identité nationale par opposition au despotisme et à l’obscurantisme, attribués au passé oriental de la domination ottomane : l’Orient est ainsi revêtu des connotations négatives de la relation inverse entre la mollesse et l’inertie, et par conséquent la servitude et la décadence, voire l’État dégénéré efféminée12. 6 Dans ce contexte idéologique, où la performance athlétique du corps de la nation reflétait de façon exemplaire son « caractère » et en même temps sa capacité de liberté, on peut distinguer un double déplacement ; il est exprimé de façon caractéristique par l’esprit du Turnen, bien que – ou est-ce justement parce que ? – celui-ci préconise un modèle d’éducation physique « national », uniforme et standardisé, qui tend à effacer toutes les particularités d’éducation, témoignant d’ailleurs de la société strictement hiérarchisée de l’ancien régime. Or, d’une part, l’exercice corporel est moins conçu comme la réalisation des vues hygiéniques et pédagogiques universelles, où toutes les diversités humaines ont le même droit de participation, mais il est prioritairement associé à la capacité, corporelle et psychique, de préparer ou de préserver la liberté de la patrie ; il est plus intimement associé à l’instruction militaire, comme du reste à l’éducation civique, en tant qu’apprentissage de soumission à la loi, commune pour tous. Ce qui manifeste, d’autre part, le déplacement du centre de gravité du corps humain théoriquement neutre vers le corps masculin, qui s’approprie en plus ce « caractère » national. Bien que le besoin d’éducation physique pour les filles ne soit pas contesté par principe, le contenu sexué profond de l’idéologie athlétique apparaît clairement dans le cadre de ces discours grecs qui, au nom du renouveau du modèle ancestral, expriment cette conception politique de l’éducation physique13. Au-delà du lieu commun que la gymnastique doit se différencier selon le sexe, ce qui constitue le noyau sexué de l’idéologie gymnastique est justement le fait que l’exercice corporel lui- même et les vertus morales qui lui sont attribuées sont définis en termes sexués : la gymnastique est définie comme un acte de « virilité » visant à façonner « une âme sage et virile », tandis que le corps mou, dépourvu d’exercice, est revêtu des connotations négatives du « caractère efféminé » et « lâche », voire dégénéré. D’ailleurs, à travers ces métaphores féminines de la mollesse et de l’inertie, attribuées à l’Orient, métaphores antagoniques aux valeurs occidentales du progrès, la supériorité ‘virile’ de la nation grecque est renforcée ; les corps mâles s’approprient ce progrès, ainsi que le « caractère » national grec « sain » et « robuste », tel qu’il est exprimé par la tradition gymnastique ancestrale. Révélant également la constitution sexuée de l’identité

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nationale, les discours sur la gymnastique en général sont centrés sur la construction de l’identité masculine, reproduisant souvent sur le plan symbolique les lieux communs de la supériorité du masculin et de la dévalorisation du féminin. 7 Au sein du classicisme qui marquait de son sceau l’idéologie et la pratique pédagogiques dans la Grèce de l’époque, on peut comprendre une certaine adhésion que pourrait connaître l’implantation dans le milieu scolaire du modèle gymnastique allemand du Turnen, enrichi d’éléments d’un passé national prestigieux. Cependant, selon l’expression caractéristique de G. Th. Pagon, cette « communauté des hommes gymnastes », tant comme idéal que comme pratique, restait effectivement à la lisière du mécanisme scolaire ; en inscrivant la nécessité de l’exercice physique collectif sur le plan d’une relation reliant directement l’individu à la société civile, elle reproduisait, en outre, l’esprit d’une collectivité masculine d’élite. 8 Or, c’est dans ce contexte de conception politique de l’éducation physique, qui fait appel à l’« éducation des hommes libres » et au sentiment patriotique, que la responsabilité de l’État en ce qui concerne l’éducation physique des jeunes sera mise en avant ; et que l’on soutiendra la demande de « l’introduction réelle, systématique et effective de la gymnastique dans tous les établissements scolaires de la nation, depuis la moindre école municipale jusqu’à l’université ». Ce sont les paroles du professeur et futur recteur de l’université d’Athènes, Konstantinos Fréaritis, qui exprimera de façon caractéristique cette demande ainsi que son fondement théorique, au sein d’un débat public sur l’éducation qui se déroule en 1855-56. Je résume les points principaux de l’argumentation K. Fréaritis14 : Contrairement à l’approche médico-hygiénique qui se soucie « du bien-être du corps humain en général », K. Fréaritis, lui-même un médecin, définira la gymnastique « d’un point de vue politique et purement patriotique », puisqu’elle agit sur « le corps du citoyen ». À travers cette distinction explicite, l’éducation physique est prioritairement conçue comme démarche liée non pas tant à la valeur universelle de la santé ou au principe pédagogique du développement équilibré du corps et de l’esprit, mais plutôt à l’éducation civique, à la formation « d’hommes libres », capables physiquement et moralement de garantir la liberté de la patrie ; mais plus qu’au développement de capacités physiques et de vertus utiles à la vie sociale, plus qu’au profit individuel, elle vise à servir « l’intérêt de la cité » en formant l’« esprit » des citoyens. Enfin, l’éducation physique au sein de l’école sert le besoin plus vaste de construire « une instruction nationale » qui se distingue clairement de « l’éducation humaine en général » et qui, sans cultiver « l’égoïsme national », lutte contre le « cosmopolitisme » ; de concert avec d’autres éléments essentiels du patrimoine culturel, comme la croyance orthodoxe, elle vise au façonnement d’un « caractère national commun ». Sous cette approche, l’invocation des valeurs athlétiques de la Grèce ancienne ne promeut plus tellement le lien symbolique avec la culture occidentale ; elle manifeste plutôt la quête d’une « pureté » grecque, l’idée d’une autarcie de l’héritage ancestral classique vis-à-vis de cette culture, et, bien sûr, le besoin de constituer une identité nationale opposée aussi bien à l’Orient qu’à l’Occident15. Tous ces arguments renforçaient donc la même idée principale : la diffusion de l’éducation physique ne pouvait plus être confiée aux consciences individuelles, ni même à la société civile, mais elle devait avant tout constituer une affaire de l’État et notamment de son mécanisme éducatif. 9 Cette argumentation semblait effectivement concevoir de façon plus cohérente la gymnastique comme mécanisme d’éducation civique et nationale de masse, et par

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conséquent comme élément intégrant du système éducatif. Or, en même temps, la nature même des arguments présentés ci-dessus minait la demande de généraliser la gymnastique dans tous les niveaux de l’enseignement, « depuis la moindre école » : dans cette conception politique et abstraite de la gymnastique, il n’y a pas de place pour l’adaptation à la spécificité de l’enfance, tandis qu’elle reproduit clairement l’association privilégiée de l’éducation physique à l’apprentissage de la citoyenneté, à la préparation militaire et donc à l’identité masculine. D’ailleurs, au niveau de la législation éducative, on cherchera à réaliser ces préceptes par l’institutionnalisation et ensuite par la militarisation de l’éducation physique au sein de l’enseignement secondaire masculin. Depuis les années 1850, face à la double dynamique de l’effervescence irrédentiste que provoqua en Grèce la crise de Crimée et du nouvel essor d’un mouvement libéral s’opposant au régime autoritaire du roi Otton, la demande d’institutionnaliser la gymnastique scolaire des garçons sous forme d’exercices militaires se concrétise davantage : « Parce que », selon l’affirmation d’un autre pédagogue connu de l’époque, « dans les cités libres, chaque citoyen est par nature un soldat »16. 10 En effet, ce n’est pas par hasard que la longue inertie officielle au sujet de cette institutionnalisation fut rompue, quelques années plus tard, dans une conjoncture révolutionnaire, qui traduisit en acte justement cet idéal volontariste du citoyen- patriote, toujours prêt à défendre la patrie et en même temps les principes constitutionnels. Je me réfère à la révolution anti-absolutiste d’octobre 1862, résultante de la double dynamique mentionnée plus haut, et qui aboutit à la destitution d’Othon, au vote de la nouvelle constitution de 1864 et au changement de régime consécutif : le nouveau régime limitait les pouvoirs du roi et instaurait le principe démocratique, surtout en établissant dans la constitution le suffrage universel masculin (sans distinction de fortune ou d’instruction) – une question qui provoqua, pourtant, d’intenses conflits idéologiques en 1862-64 et le mécontentement d’une large partie du monde politique grec, qui dura longtemps17. C’est donc au sein de cette dynamique conflictuelle de 1862, où la question du régime et la définition même de la citoyenneté restaient encore pendantes, que fut votée (en décembre 1862) la première loi concernant l’éducation physique scolaire. Le décret afférent introduisait la gymnastique dans l’enseignement secondaire masculin et l’escrime à l’Université. Le même décret officialisait, et donc soumettait au contrôle de l’État, le corps paramilitaire bénévole de la Phalange Universitaire18. Ce corps avait contribué à la sauvegarde de la révolution de 1862 et au maintien de l’ordre public, en tant que section autonome de la Garde Nationale, c’est-à-dire d’une institution typiquement révolutionnaire et de composition populaire19. De toute façon, ce premier acte législatif puisait explicitement sa légitimation idéologique dans la lutte anti-absolutiste : le délaissement de l’éducation physique des jeunes, qui les « condamnait » à un mode de vie non seulement « nuisible » mais aussi « opposé à la vocation du citoyen libre », était attribué à l’incurie de la « monarchie effondrée », voire à son intention de saper les intérêts du peuple et de la nation20. 11 Pendant la décennie suivante, le principe dominant dans les interventions législatives est celui de la militarisation de l’exercice physique collectif, où la qualité du « citoyen libre » semble absorbée par celle du soldat discipliné qui obéit machinalement aux commandements du pouvoir21. Selon tous les indices, le fait que ces interventions n’auraient pas été mises en pratique22, n’annule pas leur importance sur le plan idéologique. Dans les lois en question, concernant exclusivement l’enseignement

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secondaire masculin, il n’est plus question de « gymnastique », mais d’exercices militaires ; leur enseignement est confié à des sous-officiers de l’armée ou à des soldats du corps des sapeurs-pompiers, tandis qu’en 1876, sous la pression de la nouvelle crise nationaliste dans les Balkans, le maniement d’armes est introduit comme discipline obligatoire, théorique et pratique, pour tous les élèves de plus de 14 ans. Cette mesure ne fut pas appliquée, l’intensification de la crise n’ayant pas permis à l’armée de fournir des armes et des officiers aux écoles. Les intentions idéologiques sont pourtant indiquées par le fait que cette mesure fut instituée dans le cadre d’une tentative de militariser le cycle supérieur de l’enseignement secondaire masculin dans son ensemble : le « Règlement militaire pour les élèves des lycées de l’État » de 187623, resté lettre morte pour les raisons que nous venons de citer, constitue un monument d’instruction autoritaire, qui va bien au-delà de son objectif avoué, à savoir la préparation des futurs citoyens-soldats. En fait, ce « Règlement » établissait, à côté et au détriment de l’organisation scolaire en vigueur, un réseau parallèle et autonome de hiérarchie, de surveillance et de discipline, fondé sur des modèles purement militaires, transformant chaque établissement scolaire, avec ses élèves et ses professeurs, en un corps paramilitaire. De plus, par le biais de ce réseau parallèle, il institutionnalisait la surveillance extrascolaire des élèves. Pratique éventuellement courante au niveau de la société locale, cette surveillance était explicitement défendue par des partisans des conceptions pédagogiques très autoritaires. L’importance qu’ils accordaient à l’exercice corporel systématique (à l’intérieur et à l’extérieur de l’école) prenait la forme d’une démarche correctionnelle, destinée à réprimer la sociabilité indisciplinée et rebelle de jeunes hommes, considérée comme transgressive par nature24. L’argumentation utilisée est significative : selon un partisan de ces conceptions, la participation des jeunes à la Révolution de 1862 avait contribué à ce que « la liberté, mal interprétée chez nous » pénètre « impunément jusque dans le microcosme des élèves ; et pourtant, un raisonnement très simple suffirait pour persuader tout le monde que nous devons astreindre les élèves dans un régime, incompatible peut-être avec le régime de notre pays, mais qui soumettrait les jeunes à une surveillance stricte et à des châtiments inéluctables »25. 12 Pourtant, simultanément, des critiques modernisatrices du système scolaire commencent graduellement à dominer au niveau du discours, délégitimant les perceptions ci-dessus comme étant ‘anachroniques’. Même si ces critiques n’arrivèrent pas à pénétrer suffisamment les forces d’inertie existantes pour se transformer en une politique de réforme éducative systématique et durable26, elles élaboraient un nouveau cadre de discussion sur l’éducation physique scolaire, comme on verra dans les pages qui suivent.

II

13 Exclues du statut de citoyen, les femmes ne semblaient pas trouver de place dans le cadre idéologique que nous venons d’examiner et qui offrait la légitimation dominante de l’exercice physique en tant que nouveau terrain éducatif. En effet, la question fut posée dès le départ sur un plan différent. Nous venons de voir que les représentations du corps sportif et des vertus qui en découlent, constituaient a priori un discours qui construisait l’identité masculine par rapport au féminin, conçu en termes de dépréciation, voire d’infériorité. D’ailleurs, les représentations concernant le corps

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féminin définissaient de façon différente l’exercice physique, sa signification et son contenu : pour mettre en valeur la « grâce naturelle » du sexe féminin, la pratique la plus appropriée ne serait que la danse, proposée en substitution à la gymnastique ou conçue, tout simplement, comme une aptitude féminine entre autres, qui, séparée de toute notion d’éducation physique, était plutôt perçue comme le trait distinctif d’un rang social élevé, réel ou souhaité27.

14 En effet, cette conception réflète, entre autres, la fonction symbolique et ‘ostentatoire’ de l’enseignement des filles des couches moyennes et supérieures, notamment de leur scolarisation au niveau secondaire, qui relevait exclusivement de l’initiative privée et concernait uniquement les centres urbains, tout au long de la période que nous examinons ici28. Au sein de la nouvelle sociabilité de la ville, l’éducation féminine se voit assigner un caractère fortement « décoratif » : il s’agit d’acquérir des aptitudes qui symbolisent la participation aux modèles occidentaux dominants des groupes sociaux élevés, et qui, dans une stratégie d’ascension sociale, servent de complément ou de substitut de la dot29. Par ailleurs, cette ‘difficulté’ à valoriser l’exercice corporel comme élément important de l’éducation féminine reflète les représentations dominantes de la féminité, chères au courant romantique de l’époque : ‘ange’, ‘spectre’ ou ‘vision’, en tout cas pas de ce monde, ces images ‘transcendantes’ représentaient la féminité totalement dévêtue de son existence matérielle, ce qui creusait davantage sa conception antithétique par rapport au corps du citoyen30; et ce qui laissait peut-être entrevoir aussi l’absence d’un modèle rationnel nouveau concrétisant les rôles sociaux de la femme dans la société bourgeoise naissante. 15 Nous pouvons alors formuler une hypothèse de base : autant que, dans le discours normatif dominant, la scolarisation des filles n’est pas redéfinie en fonction d’un modèle féminin positif, alternatif et complémentaire par rapport à la qualité masculine du citoyen, l’éducation physique féminine aura du mal à être valorisée comme élément constitutif de cette scolarisation. Il faudra que les rôles traditionnels féminins soient redéfinis à travers l’idéal bourgeois de la « mère-pédagogue » et « ange gardien » des valeurs du foyer familial, pour que l’enseignement féminin en général puisse puiser une légitimation idéologique plus sûre, en d’autres termes, pour qu’il soit investi des valeurs d’utilité et de contribution sociale, à côté de l’éducation des futurs citoyens31. D’ailleurs, les usages ‘ostentatoires’ et ‘non productifs’ de l’éducation féminine au service de stratégies d’ascension sociale, loin de contribuer à la reconnaissance de ces valeurs, surtout aux yeux des porteurs de la nouvelle morale bourgeoise, proclamaient, par contre, le rôle ‘parasitique’ des femmes des couches sociales moyennes32. 16 Cependant, le processus de la modernisation en général et de la constitution de l’État libéral en particulier, accompagné de l’exclusion des femmes des droits politiques – du suffrage universel en l’occurrence –, déclenchait en Grèce, comme elle l’avait déjà fait dans l’Occident, une dynamique de redéfinition du rapport social des deux sexes, selon des arguments nouveaux, modernes ; c’est-à-dire en termes de réductionnisme et déterminisme biologiques et à la base de l’opposition normative entre la « sphère » du public et celle du privé. En fait, à partir des années 1860-70, un discours normatif nouveau commence à se constituer, un discours qui tente de définir minutieusement l’éducation et l’instruction spécifiques des filles, par rapport et par contraste à celles des garçons, et, par extension, leurs rôles sociaux respectifs. Ce discours puise désormais sa légitimation dans la notion du ‘sexe biologique’, telle qu’elle avait été constituée et élaborée par la modernité occidentale dès l’âge des Lumières33 : c’est-à-

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dire, à partir du double présupposé fondamental que les traits et les fonctions physiques des deux sexes, perçus comme fondamentalement différents, déterminent leur « caractère » psychologique, intellectuel et moral, également différent, voire opposé, en prédéterminant, ainsi, leurs sphères d’action sociale distinguées. Si cette conception essentiellement moderne de la différence sexuelle en termes d’une « physiologie d’incommensurabilité »34 permettait d’investir le corps masculin et féminin de qualités, de vertus et de valeurs opposées, la conception dichotomique des deux sphères, de sa part, cantonnait chacun des deux sexes à un seul ensemble de valeurs. C’est ainsi qu’on réinterprétait de façon plus rationnelle et en même temps plus absolue, l’identification des femmes avec l’espace privé et la famille et celle des hommes avec l’espace public et la politique : cette identification était ramenée à des principes naturels, immuables mais ouverts à l’‘objectivité’ de l’observation scientifique. En présupposant l’autorité de l’observation scientifique, la nouvelle démarche normative de l’interprétation biologisante de la différence de genre contribua de façon décisive à la rationalisation de la hiérarchie sociale existante entre les deux sexes, rendant sa mise en question encore plus difficile. En même temps, en réinterprétant les tâches traditionnelles de la femme au foyer comme une « vocation » sociale fondée sur une « nature féminine » spécifique, et en investissant cette nature de l’idéalisation de la maternité tant comme fonction biologique que comme rôle pédagogique, cette nouvelle démarche faisait sortir de leur banalité ces tâches traditionnelles et la notion même de la « nature » féminine. Moins conçue comme a priori inférieure, elle était plutôt redéfinie en fonction des notions de complémentarité et d’opposition, voir d’asymétrie ou d’incompatibilité par rapport aux valeurs masculines de l’espace public. La « nature » de la femme et sa « vocation » pour l’espace privé étaient donc dotées d’une définition en principe positive, en d’autres termes, d’une légitimation idéologique plus forte. 17 Dans la même direction opérait graduellement un autre processus, étroitement lié à celui de l’urbanisation de la société grecque (quoique tardive), à savoir la revalorisation de l’« intimité familiale » comme étant ce terrain « spécifique » de l’espace privé où l’individu, libéré des conventions et des contraintes de l’espace public, puisse trouver un refuge sûr pour développer plus librement sa subjectivité, ses sentiments et ses relations interpersonnelles35. Les instabilités et les bouleversements provoqués par la prédominance graduelle de l’économie de marché et les premiers indices d’industrialisation en Grèce du dernier quart du XIXe siècle, ne faisaient que renforcer ce tournant vers les valeurs de la vie privée et familiale, vers l’exaltation de l’« idéal domestique » (« ideal of domesticity »), qui concrétisait le modèle théorique de la « mère, épouse et maîtresse de maison » ; au sein des couches moyennes en cours de développement, les femmes étaient érigées pour la première fois en agent particulier de la cité : « apôtres par nature » de la paix et de la cohésion sociales, elles sont appelées à étendre sur le domaine social, par la charité et l’œuvre éducative, les vertus moralisatrices et civilisatrices « maternelles » qui leur sont attribuées36. Dans le contexte de cette nouvelle dynamique, alors que les femmes de ces couches tentent en effet, tant au niveau individuel que collectif, de s’approprier « les mots et les choses », leur exclusion de la cité n’est plus si absolue. Or, cette insertion, fondée sur la conception dichotomique-hiérarchique du rapport public – privé, ne conférait aux femmes qu’une position inférieure au niveau symbolique (et matériel, d’ailleurs). En effet, dans l’idéologie dominante de la différence de genre, les valeurs attribuées à l’espace privé, et par conséquent aux femmes, ne cessaient d’être hétéro-déterminées

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par celles, symboliquement plus puissantes, de l’espace public : celles de l’action, de la politique, de la productivité, de l’individualisme rationaliste, bref, celles du progrès et de la civilisation, que s’approprie le sexe masculin, dominant, d’ailleurs, aussi bien dans la cité que dans la famille37.

e 18 Ce processus de transformation redéfinit, dans le dernier quart du XIX siècle, le débat sur l’éducation des filles, en édifiant sur des bases plus solides le lieu commun que ce sont les mères qui jetteront les premiers fondements de l’instruction des futurs citoyens. D’une part, de nouveaux arguments plus convaincants viennent étayer la scolarisation des filles, dont la faible diffusion maintenait insuffisamment nationalisée la grande majorité de la population féminine, surtout dans les milieux ruraux. L’alphabétisation du sexe féminin, et donc la pénétration plus efficace du réseau scolaire public du primaire, apparaît comme une question d’une importance particulière, tandis que la nécessité d’améliorer le cycle « supérieur » (privé) de l’enseignement féminin, pour les filles des couches moyennes, est également posée. Dans le climat d’exaltation nationaliste depuis les années 1870, l’intégration efficace de la population scolaire féminine dans l’instruction nationale, dont on commence à considérer le cours de gymnastique comme véhicule important, fait, plus que jamais, l’objet de discours et d’initiatives de la part d’érudits, de collectivités, et même, en partie, de l’État. Or, d’autre part, on cerne d’une façon beaucoup plus structurée, minutieuse et absolue, les limites que l’éducation intellectuelle et corporelle des femmes ne doit pas dépasser, ouvrant ainsi un nouveau terrain de limitations et de contestations, axé sur les conceptualisations modernes de la « nature » féminine38. 19 Le nouveau discours sur la différence de genre, en présupposant de nouvelles perceptions rationnelles du corps féminin, créait un nouveau contexte selon lequel se posait la question de l’exercice physique des filles, et coordonnait le débat pédagogique avec les modèles occidentaux, centrés sur la spécificité de cet exercice. En effet, l’éducation physique féminine commence à constituer un objet de souci pédagogique particulier, axé sur la construction idéologique de la sensibilité physique et psychologique de l’organisme féminin : d’abord, sur la « fragilité » – voire faiblesse – physique du sexe féminin, comparable à « l’inachevé » mais « gracieux » de l’organisme enfantin, et, par ailleurs, sur la « susceptibilité » de son système nerveux, qui découle de la fonction biologique de la reproduction et conditionne ses qualités psychiques et morales. Ce fut justement pour offrir un remède à la sensibilité et faiblesse ‘naturelles’ de la femme, à sa santé fragile de ‘nature’, pour fortifier son système nerveux susceptible et pour l’armer contre les ‘passions’ de l’âme, que l’exercice physique et plus précisément la gymnastique des filles fut particulièrement valorisée, pour la première fois, peut-être. Il est intéressant de constater qu’à partir des années 1870, la gymnastique est comprise dans les programmes des matières enseignées à l’école « supérieure » de jeunes filles de la Société des Amis de l’Instruction (Filekpaideutiki Etairia), qui préparait aussi les futures institutrices, reconnue par l’État comme l’École Normale officielle de jeunes filles39. Cela témoigne d’un souci d’introduire la gymnastique dans l’enseignement primaire féminin, bien que ce souci ne semble pas se concrétiser en pratique pédagogique systématique avant les années 189040. C’est plutôt au niveau du discours qu’on commence à sentir la valeur de l’éducation physique féminine, et qu’on tente d’en définir plus nettement le contenu, à travers une argumentation qui reproduit la différence de genre et son fondement hiérarchique : selon les classifications adoptées, on exclut tout mouvement « athlétique »,

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« énergique » ou « violent » et « inconvenant » en général, qui menace cette sensible fonction reproductrice au lieu de la fortifier, qui nuit à la ‘grâce’ naturelle du corps féminin, et qui est incompatible avec cette existence féminine fragile et protégée au sein du privé, ainsi qu’avec l’austérité de la morale sexuelle. A partir de cette argumentation, le discours pédagogique prêche un modèle d’éducation physique féminine très modéré, qui est presque identique à la gymnastique de l’enfance, dont le contenu spécifique commence aussi à être défini, grâce au concours des spécialistes, c’est-à-dire des premiers gymnastes professionnels41. Selon le plus important de ceux- ci, Ioannis Fokianos, l’éducation physique des filles pourrait, sous certaines conditions, incorporer le jeu, élément essentiel de l’activité physique de l’enfance. Or, la construction de la différence des sexes l’emporte sur la qualité commune de l’enfance : d’après Fokianos, à partir de l’âge de 5 ans, l’exercice corporel des deux sexes doit se différencier selon les commandements de la nature. L’argumentation est caractéristique : « le petit garçon est bruyant et préfère les exercices qui permettent de faire preuve de force et d’habileté », alors que « la petite fille, qui a une nature faible et la sensibilité morale et physique au plus haut degré, se complaît dans des jeux moins téméraires »42. 20 Dans ce contexte moderne, l’invocation de la « nature » féminine et par conséquent de la « vocation » sociale des femmes à la sphère privée, ne conduit pas à une dévaluation latente mais plutôt à une démarcation rigoureuse de l’éducation physique féminine, en limitant, plus ou moins, l’éventail des mouvements acceptables. Mais, au-delà de ces démarcations, sujettes à des transformations et à des redéfinitions, ce qu’il est important d’observer, c’est que le discours dont elles sont entourées est un discours qui reformule sans cesse les identités et les rôles de deux sexes, qui reconstruit la notion même du genre et son contenu hiérarchique43.

III

21 La mise en valeur de l’exercice physique scolaire est reliée, de plusieurs manières, aux sensibilités naissantes dont nous venons de parler, aussi bien qu’à la demande d’une réforme globale du système d’enseignement public, selon les exigences du « progrès » économique et social. Cette demande commence à se cristalliser à partir des années 1870 et notamment les années 1880, entraînant la mobilisation de l’État, ne fût-ce que sous forme d’engagements et de projets de lois.

22 En réalité, le même discours qui commence à idéaliser le rôle moralisateur de la famille et la « mission » nationale et sociale de la « mère-pédagogue », commence aussi à revaloriser le rôle du mécanisme scolaire dans la formation de l’enfance en particulier et, plus généralement, dans la moralisation des couches populaires et le maintien de la division sociale établie. Ce discours, expression d’une conception « bourgeoise » plus structurée du rapport entre le système éducatif et la société, s’était déjà éloigné de la revendication abstraite des Lumières, en faveur de l’éducation comme valeur universelle. Dans la pratique, cette valeur avait légitimé la mobilité à l’intérieur du système éducatif, par l’offre étendue et gratuite de l’enseignement secondaire public des garçons, et par l’absence d’obstacles formels considérables concernant le passage d’un niveau de l’enseignement à l’autre. Par contre, maintenant, on souligne la nécessité de contrôler la mobilité vers le lycée et l’université (par l’imposition de droits de scolarité ou d’examens rigoureux), d’adapter l’éducation aux exigences de

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l’économie – ou de la « vie pratique », selon l’expression de l’époque – et de différencier le rôle social de chaque niveau d’enseignement44. En revanche, ce qui émerge maintenant comme question de pointe est la revalorisation de l’enseignement élémentaire, pour sa double fonction : d’une part, comme véhicule d’alphabétisation et de moralisation des classes inférieures, contrepartie nécessaire, d’ailleurs, au suffrage universel masculin sans distinction de fortune ou d’instruction ; et d’autre part, comme « fondement » de l’« instruction commune de la nation », c’est-à-dire comme mécanisme central d’unification de la population scolaire. Dans ce contexte, ce nouveau discours demande l’application rigoureuse des lois sur la scolarisation obligatoire à l’école primaire, et en même temps formule des propositions pour l’adaptation de celle- ci à la spécificité de l’enfance. 23 C’est ainsi que se cristallisent les éléments principaux d’une critique modernisatrice du système scolaire, dont toute une série de traits est mise en question : la standardisation et l’austérité exagérée, l’esprit scolastique et formaliste, l’orientation unidimensionnelle théorique et surtout philologique marquée de classicisme, résultant de l’accumulation de connaissances non fonctionnelles, qui par ailleurs épuisaient les possibilités mentales des enfants et des adolescents, sans pour autant que ce harassement futile soit modéré par la diffusion systématique et efficace de l’exercice physique45. Cette critique, exprimant la familiarisation plus systématique avec les tendances pédagogiques actuelles en même temps que l’organisation des instituteurs en corps professionnel, témoigne aussi d’un processus plus général : la cristallisation du « sentiment » particulier de l’enfance, voir son idéalisation, en tant que l’âge « de l’innocence », doté d’un psychisme spécifique et qui a besoin de protection. S’il avait des bases antérieures, ce « sentiment » particulier marque pourtant de son sceau – de concert avec le tournant vers les valeurs de la vie privée – les préoccupations intellectuelles et artistiques depuis les années 1880, où l’on observe la présence croissante de l’enfant, tant comme sujet que comme public ; la constitution d’une littérature que l’on peut qualifier de « spécialisée » pour les enfants, en témoigne46. Si l’image dominante jusqu’alors dans l’ensemble de la littérature normative éducative et scolaire était celle d’un enfant immobile, discipliné, qui se comporte comme un adulte, maintenant on commence graduellement à attribuer à l’enfant ses dimensions et ses comportements naturels. Dans ce contexte revalorisant l’adaptation de l’école aux traits spécifiques de l’enfance, des propositions formulées déjà depuis les débuts des années 1870 (et même antérieurement), sont renforcées : l’importance de l’établissement d’écoles maternelles, l’introduction de la mixité à l’école primaire, l’abolition du système d’enseignement mutuel, comme étant trop mécanique, la substitution de la langue puriste archaïsante (la « kathareuvousa ») par une forme plus simple ou même par la langue parlée (la « démotique »), l’orientation vers des matières plus pratiques et « proprement pédagogiques », comme la musique vocale et la gymnastique. 24 Ce qui caractérise ce nouveau discours est la prise de conscience croissante du besoin d’intégration de l’exercice physique dans la vie scolaire quotidienne et de sa différenciation selon le sexe et l’âge des élèves. En ce qui concerne l’enfance, en particulier, on souligne les bienfaits de l’alternance de l’exercice intellectuel et de l’exercice corporel et on préconise, outre une gymnastique moins ‘standardisée’, le jeu, les promenades et l’exercice en plein air47. C’est peut-être la première fois que l’éducation physique est valorisée en tant qu’élément essentiel du processus éducatif dans son ensemble, et que la gymnastique scolaire, telle qu’elle avait été jusqu’alors

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pratiquée, devient la cible de la critique pédagogique. On peut juger de l’envergure de ces critiques par les réadaptations modernisatrices de la législation afférente, effectuées par les gouvernements de Ch. Tricoupis pendant les années 1880, du moins en ce qui concerne l’enseignement secondaire masculin : le cours de gymnastique, nettement distingué des exercices militaires, devenait une discipline secondaire obligatoire, était intégré dans les emplois de temps officiels (trois heures par semaine), et était confié à des gymnastes spécialisés, issus du Gymnase Central d’Athènes, où une école provisoire de professeurs de gymnastique a même fonctionné en 188448. De surcroît, lors de la reconstitution de l’École Normale en 1878, une formation gymnastique systématique des instituteurs était prévue, avec l’intention de diffuser l’éducation physique dans l’enseignement primaire masculin. Mais, avant tout, ce nouveau discours pédagogique a un retentissement considérable dans le domaine de l’initiative privée, y compris certaines écoles de jeunes filles. C’est en effet au sein de l’enseignement privé que des initiatives sont prises, en collaboration avec le premier noyau de gymnastes professionnels, dont la contribution dans la vulgarisation du rôle pédagogique et disciplinaire moderne de la gymnastique fut d’ailleurs décisive : contrairement au modèle militaire de la réaction mécanique-automatique aux commandements du gymnaste, Ioannis Fokianos, dans son Manuel de Gymnastique (1883), attribue ce rôle à l’exécution consciente et spontanée d’exercices collectifs, à ce qu’il appelle, de façon significative, la « discipline mentale ». 25 La reconnaissance du rôle pédagogique particulier que peut jouer l’exercice corporel collectif dans l’intériorisation des règles de discipline, et en même temps dans l’enracinement du sentiment d’appartenance à la communauté, agrandit l’importance accordée à la gymnastique scolaire, en tant que démarche majeure de moralisation et de nationalisation de la population scolaire, notamment des couches inférieures. Ce rôle de nationalisation attribué à l’exercice corporel collectif, ne fut qu’intensifié par l’émergence plus dynamique des autres mouvements nationalistes balkaniques dans les régions disputées de l’Empire ottoman qui s’écroule. Là, la diffusion de la langue grecque et de l’instruction nationale par la diffusion du réseau scolaire grec devient une question d’importance stratégique. En vue de la réalisation promise des aspirations expansionnistes de la « Grande Idée » nationale, ressourcées dans la panacée du développement et du progrès bourgeois, la formation systématique, à l’aide du mécanisme scolaire, d’une jeunesse des deux sexes saine et disciplinée, c’est-à-dire des futures forces de « renaissance » de la nation, plaçait l’éducation physique scolaire au centre de toute tentative de modernisation. Certes, la gymnastique en particulier reste toujours associée plus étroitement et directement à la préparation militaire : Malgré ses adaptations modernisatrices, la législation scolaire des années 1880 introduit les exercices militaires dans l’École Normale et en fait l’unique forme d’exercice physique pour les deux dernières classes du lycée. En même temps, ces classes sont de nouveau soumises obligatoirement à un Règlement Militaire, qui introduit un système de discipline et de contrôle spécial, évalué dans les performances d’ensemble et la conduite scolaire des élèves, et qui prévoit le port d’uniforme et l’exercice sur les places publiques49. Mais là, ce n’est plus le Règlement précédent de 1876 qui sert de modèle ; ce sont les lois françaises républicaines de 1882, qui instituaient, sur une base volontaire bien sûr, les bataillons scolaires, au nom du revanchisme et en même temps au nom du citoyen-patriote, au service de la cité républicaine. Un argument central en faveur de cette mesure la reliait, de façon significative, avec les exigences de la

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croissance bourgeoise : ici, la « science des armes de la défense nationale » allait de pair avec « les œuvres de la science et de la production nationale »50.

e 26 Alors que le XIX siècle touche à sa fin, l’éducation physique de l’enfance et de la jeunesse est donc réévaluée à travers l’alliance des aspirations nationalistes avec celles de la croissance « de la production nationale », et avec les valeurs modernes de la santé, de la robustesse corporelle et de l’eugénique, qui commencent à prendre de la force et de l’envergure. La conjoncture des premiers Jeux Olympiques modernes de 1896 contribua de façon décisive à la diffusion de ces valeurs dans la société grecque et à la vulgarisation de l’idéal athlétique, comme le montre d’ailleurs la création accélérée d’associations gymnastiques et sportives, dans les années 1890 ; malgré leur caractère fortement conjoncturel, elles témoignent d’un processus d’élargissement des formes de sociabilité bourgeoise et préparent le terrain pour les années suivantes51. Par ailleurs, un an après la célébration des jeux, la guerre gréco-turque de 1897 contribua, elle aussi, au renforcement de tout ce réseau idéologique valorisant l’éducation physique et sportive, ne fût-ce que de façon négative : la défaite réalimenta un discours qui, entre autres facteurs, attribuait l’infortune grecque à la décadence des forces physiques, et par conséquent morales, de la nation et au relâchement du sentiment d’appartenir à la communauté, contre le développement de l’esprit individualiste « égoïste ». 27 Ce n’est pas une coïncidence si, au lendemain de la défaite, l’État interviendra pour la première fois d’une façon aussi dynamique, méthodique et globale, pour effectuer la rupture la plus importante jusqu’alors dans la constitution du terrain de l’éducation physique scolaire, par la loi 2821 « De la gymnastique et des compétitions gymnastiques et athlétiques » et les autres actes législatifs de 1899 signés par le ministre de l’éducation Athanasios Eftaxias. Ce n’est pas une coïncidence, non plus, si ces lois faisaient partie de la première tentative également méthodique et globale de réforme du système scolaire grec dans la direction des nouveaux besoins et des nouvelles conceptions bourgeoises52. En revanche, il est intéressant de constater que les mesures concernant l’éducation physique furent les seules parmi les projets de loi sur l’éducation de A. Eftaxias qui ne butèrent pas sur des réactions et qui trouvèrent finalement le chemin de la réalisation institutionnelle ; ce qui témoigne, entre autres, de l’intensité particulière qu’acquiert cette question au tournant du siècle, investie des vertus ‘magiques’ de la régénération de la nation. Manifestations exemplaires de la critique pédagogique modernisatrice, les mesures de Eftaxias tentent, pour la première fois, d’ériger le terrain de l’éducation physique en véhicule principal d’une réforme du système scolaire dans son ensemble. Par une référence sommaire aux « mots » et aux « choses » de ces textes de loi53, concrétisant un processus qui avait duré plus de deux décennies, nous tenterons d’esquisser, en guise d’épilogue, l’ambiance qui règne dans ce domaine au tournant du siècle. 28 D’abord les mots, tels qu’ils ressortissent du discours officiel. Selon le « Rapport Introductif » de A. Eftaxias, l’objectif principal de la loi 2821 et des actes supplémentaires, est de supprimer l’orientation unidimensionnelle vers le développement des forces intellectuelles qui caractérise le système scolaire. Le discours officiel, faisant appel à la critique scientifique, s’accordant avec le discours pédagogique modernisateur qui introduit cette critique, souligne les effets nuisibles que l’excès de travail intellectuel – le « surmenage » selon le terme français employé – peut avoir sur la santé des enfants et des adolescents et qui, ajoutés à l’insuffisance d’exercice physique, agissent de façon antipédagogique. C’est justement à partir de

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cette argumentation, puisée dans la science médicale et pédagogique, qu’on redéfinit à présent l’idéal classique ancestral du développement équilibré du corps et de l’esprit, mettant pleinement en valeur ses assises idéologiques modernes. La suppression promise du caractère unilatéral du système scolaire érige le souci pour l’éducation physique en objectif éducatif universel, et charge l’intervention législative de l’État de devoir de normaliser minutieusement, mais aussi d’élargir, l’éventail des exercices corporels. 29 Dans le même esprit, ce discours officiel critique aussi, la conception restrictive de l’éducation physique, imposée jusqu’alors par l’attachement de la gymnastique scolaire aux exercices militaires ou tactiques : contrairement à celles-ci, la gymnastique athlétique-compétitive et surtout les jeux, dont l’institutionnalisation est un apport novateur de cette loi, permettent le mouvement libre et varié et l’épanouissement plus complet des capacités de chaque individu, mais avant tout ils sont mieux adaptés au caractère particulier de la jeunesse et de l’enfance respectivement. Or, la prépondérance de ces deux formes d’éducation physique est toujours légitimée par rapport à leur rôle socialisant particulier. D’une part, l’athlétisme classique compétitif est une nouvelle forme « saine » de sociabilité, plus efficace pour le contrôle et la moralisation de la jeunesse : « la tendance à être toujours le meilleur […] s’avère un mobile important pour l’exercice sérieux et constant et pour une formation austère de la jeunesse », en l’habituant aux privations et au renoncement « aux plaisirs matériels largement répandus, nuisibles au corps et à l’âme ». D’autre part, les jeux, plus que toute autre forme d’exercice corporel collectif, assurent l’inculcation « du sentiment communautaire » : l’obéissance aux règles est plus spontanée et volontaire, donc efficace, tandis que « la loi du jeu » ne reconnaît « ni discriminations ni privilèges » ; ainsi les jeux constituent la meilleure « leçon de patriotisme » : « soumettre sa propre volonté à la volonté commune et sacrifier celle-là à celle-ci »54. D’ailleurs, un critère fondamental pour l’intégration des formes d’activité citées ci-dessus dans l’éducation physique scolaire fut leur affinité avec la tradition nationale et populaire : les jeux locaux et les disciplines athlétiques comme la course, le saut ou le lancement du poids, lèvent « la barrière artificielle » qui sépare cette tradition de la gymnastique « savante » moderne, contribuant à la popularisation de cette dernière. Ce même objectif de vulgarisation est servi par l’institution de démonstrations gymnastiques et de compétitions athlétiques (scolaires et autres), grâce à la « force dramatique » qu’elles contiennent ; cette institution constitue l’autre nouveauté principale de la loi. 30 Les choses maintenant. La loi 2821 et les actes supplémentaires de 1899 constituent la suite des interventions législatives des années 1890 ; or, ils se différencient sensiblement de celles-ci par les innovations citées ci-dessus et par leur intention de régler globalement le champ. Dans cette tentative – indépendamment de son application complète dont on peut douter – on distingue cinq éléments essentiels : 31 1. L’éducation physique se voit assigner un rôle dominant au sein du programme scolaire des deux sexes : aux deux premiers niveaux de l’enseignement et aux Ecoles Normales, elle est érigée en matière principale (obligatoire, trois heures de cours par semaine), alors que dans le primaire – où son enseignement est, pour la première fois, systématiquement organisé et minutieusement réglé – on introduit l’exercice quotidien pour les deux premières classes. 32 2. Le contenu de l’exercice physique scolaire (surtout celui des garçons) est élargi : outre les exercices tactiques, libres ou aux agrès, la gymnastique athlétique et

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l’introduction des jeux, les activités scolaires obligatoires comprennent aussi la marche à pied, la natation (exclusivement pour les garçons) et l’aviron. Or, cela n’empêche pas que « la préparation a la vie militaire » reste un objectif principal de l’exercice physique. 33 3. Des programmes détaillés pour cette matière sont rédigés, ce qui conduit à une spécialisation plus systématique selon l’âge et le sexe. 34 4. Cette tentative de standardisation et de contrôle s’étend aussi à l’athlétisme extrascolaire, en l’articulant étroitement avec l’éducation physique scolaire : la loi institutionnalise les compétitions athlétiques au niveau scolaire et national et prévoit des subventions de l’État aux associations sportives qui contribuent à la familiarisation de la jeunesse des écoles avec l’athlétisme. 35 5. De façon plus organisée et systématique, l’Etat crée une Ecole de Professeurs de Gymnastique et se charge de dispenser aux futurs gymnastes une formation scientifique avancée, aussi bien pratique que théorique. Il n’en va pas de même pour les femmes professeurs de gymnastique : leur formation est laissée à l’initiative privée, et plus précisément à la responsabilité de l’action féminine collective de l’époque et aux associations gymnastiques et sportives. En effet, les deux tentatives de création d’une école professionnelle pour femmes gymnastes proviennent de ce milieu : la première, éphémère, par l’Association Gymnastique Panhéllénique (Panellinios), en 1891, l’autre en 1897, réussie cette fois-ci, par la plus grande association féminine de l’époque, l’Union des Femmes Grecques. En 1898, cette école a obtenu la reconnaissance de l’État, qui se chargea du déroulement des examens finals, en intervenant ainsi sur le contenu de la formation des candidates pour le diplôme55. 36 Les initiatives ci-dessus illustrent la mobilité croissante que l’on peut observer dans le domaine de l’éducation physique féminine pendant la dernière décennie du XIXe siècle. Dans le cadre de l’enseignement comme au sein des associations gymnastiques, avec la participation active des femmes elles-mêmes, on voit se développer un courant de promotion de la gymnastique pour les filles des couches moyennes. Certes, cela se fait dans des conditions qui soulignent, de multiples façons, la différence des rôles des deux sexes et de leurs devoirs envers la nation et la société : si le nouveau cadre de valeurs sociales et de principes idéologiques dans lequel on revalorise l’éducation physique est censé concerner l’ensemble de la population scolaire sans distinction de sexe, l’exercice corporel systématique des filles les prépare, avant tout, pour la « belle œuvre laborieuse » de la maternité, qui garantira la « renaissance » corporelle et morale de la race. L’emprise moderniste des valeurs de l’eugénique et même du darwinisme social, favorisait la défense de l’éducation physique féminine, mais en même temps érigeait la capacité reproductrice des jeunes filles en enjeu principal et en critère normatif de tout débat concernant le contenu précis de cette éducation56. Si donc, le discours pédagogique sur la gymnastique de l’enfance devient plus neutre, la standardisation de l’exercice physique en fonction du sexe est, au contraire, accentuée pour l’adolescence et la jeunesse. Or, en même temps, de nouvelles représentations dynamiques du corps féminin sont créées, qui mettent en cause le vieil idéal romantique d’une féminité ‘immatérielle’, incompatible avec le mouvement et l’énergie. 37 Il s’agit d’une constatation intéressante. Contrairement à la méfiance traditionnelle à l’égard de tout excès d’exercice corporel pour les filles, certains porteurs du nouveau discours modernisateur n’entrevoient de menace pour la féminité et la fonction reproductrice du corps féminin que dans l’excès de travail intellectuel. C’est justement

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pour cette raison que le « surmenage » est critiqué comme beaucoup plus dangereux pour les filles, surtout pendant l’adolescence : le programme ‘scolastique’ des écoles secondaires de jeunes filles pourrait se passer du grec ancien, mais pas de l’exercice physique, voire athlétique, qui devient presque une panacée. Ce renversement est impressionnant et en même temps très significatif : l’argument qui souligne le danger que courent les futures mères par l’excès de travail intellectuel, légitime, en lui conférant du prestige scientifique, un discours qui, au nom de l’éducation physique, met finalement en cause la portée de la formation intellectuelle des femmes et, en particulier, l’ampleur des connaissances dispensées par l’enseignement secondaire féminin57. Agent principal de ce discours fut la critique radicale et d’inspiration démoticiste du statu quo éducatif. 38 Un nouveau discours, qui porte la marque de la première vague de contestation féminine, voire féministe, vient s’opposer tant à cette nouvelle dévalorisation de l’instruction intellectuelle des femmes qu’à la méfiance traditionnelle à l’égard de la gymnastique des filles. Cette contestation s’est exprimée, à partir de 1887, dans la tribune du Journal des Dames de Kallirroi Parrain : le périodique qui défendit en Grèce les idées de l’« émancipation » féminine, non par l’acquisition du droit de vote, mais « par l’éducation et le travail »58. En revendiquant pour les femmes « les mêmes besoins et les mêmes droits au développement physique et psychique », le cercle féminin du Journal des Dames placera au centre du débat l’éducation physique des femmes en termes de droits humains fondamentaux et d’accomplissement individuel et fera de l’exercice physique un synonyme de l’émancipation. Dans ce discours, les corps féminins « agiles » et « tonifiés » se transforment en symboles de la libération des femmes d’une situation de faiblesse et de dépendance qualifiée de naturelle, alors qu’elle était imposée historiquement par l’ordre social de la domination masculine. Or, plus encore que condition de liberté, l’éducation physique des femmes est, là aussi, prioritairement légitimée au nom de la maternité, vue comme service spécifique des femmes-membres de la société civile, envers la « renaissance » de la nation. Dans la conjoncture de la crise nationale de la fin du XIXe siècle, cette renaissance est revendiquée comme un terrain qui relève principalement de la responsabilité féminine individuelle et, surtout, collective. Plutôt donc que comme un droit, l’éducation physique féminine est revendiquée au nom des devoirs particuliers des femmes de la classe bourgeoise envers la nation et la cité et au nom de la « maternité patriotique », par le biais de laquelle cette première vague de contestation féminine tenta d’élaborer une version féminine de la citoyenneté59. Mais l’étude de leur discours sur l’éducation physique de leur sexe au sein de cette idéologie de la « maternité patriotique », du féminisme de « l’égalité dans la différence » et de ses contradictions intrinsèques, ouvre un terrain d’analyse particulier60.

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NOTES

1. Notons ici que les lois de 1834 et de 1836 sur l’enseignement public, régissant respectivement le niveau primaire pour les deux sexes et le niveau secondaire pour les garçons, ne se référaient que très vaguement aux exercices corporels, réservés pour les heures de repos ou les vacances d’été. À propos de l’inefficacité et du caractère fragmentaire des mesures concernant la gymnastique scolaire jusqu’aux années 1880, et même plus tard, voir Christina KOULOURI, Sport et société bourgeoise. Les associations sportives en Grèce 1870-1922, L’Harmattan, Paris 2000, p. 47-58. 2. Voir Eleni FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή των δύο φύλων στην Ελλάδα του 19 ου αιώνα » e (L’éducation physique des deux sexes en Grèce au XIX siècle), in Πρακτικά του Διεθνούς Συμποσίου : Οι χρόνοι της Ιστορίας. Για μια ιστορία της παιδικής ηλικίας και της Νεότητας, Αθήνα, 17-19 Απριλίου e 1997(Actes du III Colloque International : Les temps de l’histoire. Pour une histoire de l’enfance et de la jeunesse, Athènes, 17-19 avril 1997), Γενική Γραμματεία Νεάς Γενιάς/Ιστορικό Αρχείο Ελληνικής Νεολαίας, Athènes 1998, p. 293-315. Cette étude a fourni une grande partie des données et des idées du présent article. 3. Georg L. MOSSE, The Image of Man. The Creation of Modern Masculinity, Oxford University Press, Oxford – New York 1996. 4. E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 294-295. 5. Par ailleurs, la pratique occasionnelle de certains sports, tels que l’escrime, l’équitation ou le tir, réservée surtout aux officiers de l’armée, a une fonction d’utilité professionnelle plutôt que de loisir, ou bien une nuance d’appartenance « aristocratique », liée par exemple à la coutume du duel : Chr. KOULOURI, op. cit., p. 76-80, 89-92. Comme le montre cette étude, ce n’est qu’à partir des années 1870 et surtout à la fin du siècle, avec la croissance urbaine et l’élargissement de la sociabilité bourgeoise, qu’on assiste à la systématisation de l’exercice physique, organisée dans le cadre d’associations gymnastiques et sportives. 6. E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 301-303. Pour une analyse du discours médical voir aussi Chr. KOULOURI, op. cit., p. 50-53. 7. Comme le remarque J. ULMANN, chez Jahn, comme chez Fichte, la gymnastique n’est plus seulement « la condition de la santé, voire d’une hygiène morale », mais devient « l’instrument irremplaçable d’une action morale qui se traduit par la constitution d’une communauté nationale e solide » et gagne un caractère collectif : Jacques ULMANN, De la gymnastique aux sports modernes, 3 éd., Librairie Philosophique J. Vrin, Paris 1977, p. 285. Sur ces transformations du rôle de l’éducation physique depuis la naissance de la Turnbewegung, et en général sur l’évolution de celle-ci, l’apparition de différentes tendances politiques en son sein, sur l’absorption du Turnen par le mécanisme scolaire prussien et le changement consécutif de son caractère volontariste et indépendant, voir P. C. MCINTOSH, J. G. DIXON, A. D. MUNROW, R. F. WILLETS, Landmarks in the e History of Physical Education, 3 éd., Routledge & Kegan Paul, Londres 1980, p. 118-133. Sur l’usage du concept de « tradition inventée » pour étudier la fonction sociale et politique de la gymnastique et du sport, voir Eric HOBSBAWM, « Mass-Producing Traditions : Europe e 1870-1914 », in E. Hobsbawm – T. Ranger (éd.), The Invention of Tradition, 2 éd., Cambridge University Press, Cambridge 1984, p. 288-289, 298-303. 8. G. Th. PAGON, Περίληψης της γυμναστικής (Précis de Gymnastique), Athènes 1837. Sur G. Th. Pagon et son rôle important dans la tentative rudimentaire et ratée de diffuser le système gymnastique allemand pendant le règne du Bavarois Otton en Grèce, voir en particulier Minas DIMITRIOU, « Ο σχολικός αθλητισμός κατά την οθονική περίοδο (1830-1862) » (L’athlétisme

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e scolaire pendant le règne d’Otton), in Πρακτικά του Διεθνούς Συμποσίου... (Actes du III Colloque International…), op. cit., p. 287-292. 9. Pour une analyse du manuel de Pagon, voir E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 295-301. 10. G. Th. PAGON, op. cit., p. 19 (sauf indication contraire, les italiques dans les citations sont de l’auteur du présent article). e 11. Léon MELAS, Γεροστάθης (Gérostathis – Le Père Stathis), Athènes 1860, 2 édition, p. 63. Il est intéressant de noter que cet ouvrage pédagogique et édifiant, qui parût en 1858 et connut plusieurs rééditions successives, présente la relation d’apprentissage, informelle et extrascolaire, d’un groupe de garçons avec un érudit éclairé et libéral, un apprentissage dans lequel l’exercice physique libre en plein air joue un rôle important. 12. E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit. 13. Ibid. 14. Voir Konstantinos FRÉARITIS, [compte-rendu du livre de D. Stroumbos sur l’éducation], in Πανδώρα5 (1854-55), p. 525-531. 15. Voir E. FOURNARAKI« Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 302-303. 16. Antonios FATSEAS, Σκέψεις περί της δημοσίας και ιδιωτικής εκπαιδεύσεως των νέων Ελλήνων e (Réflexions sur l’instruction publique et privée des Grecs modernes), [2 Partie], Athènes 1856, p. 44. 17. Voir en particulier : Georges SOTIRELIS, Σύνταγμα και εκλογές στην Ελλάδα 1864-1909 (Constitution et élections en Grèce 1864-1909), Θεμέλιο, Athènes 1991. 18. Voir l’extrait du décret reproduit dans l’étude de Christos LAZOS, « Ένοπλα φοιτητικά σώματα (1862-1897). Η περίπτωση της Πανεπιστημιακής Φάλαγγας » (Corps armés d’étudiants. Le cas de la Phalange Universitaire), in Πρακτικά του Διεθνούς Συμποσίου : Πανεπιστήμιο. Ιδεολόγία και παιδεία. Ιστορικίή διάσταση και προοπτικές (Actes du Colloque Internationale : Université : Idéologie et culture. Dimensions historiques et perspectives, Athènes, 21-25 septembre 1987), Γενική Γραμματεία Νεάς Γενιάς/Ιστορικό Αρχείο Ελληνικής Νεολαίας, Athènes 1989, p. 250. 19. Antonis LIAKOS, « Οι φιλελεύθεροι στην επανάσταση του 1862. Ο πολιτικός σύλλογος Ρήγας Φεραίος » (Les libéraux dans la révolution de 1862), Μνήμων, 8 (1980-1982), p. 19. La Garde Nationale, force armée de la nation et conçue comme une garantie des droits du peuple contre les abus du roi, fut l’appui principal des libéraux et une concrétisation de l’idéal du citoyen-soldat patriote. 20. Voir le discours du ministre de l’Intérieur Epaminondas Deligeorgis, prononcé à l’Assemblée Nationale et publié dans la revue Εφημερίς των Φιλομαθών 11 (1863), p. 4-5. 21. Voir les textes législatifs afférents des années 1870, reproduits dans David ANTONIOU, Τα προγράμματα της μέσης εκπαιίδευσης(1833-1929) (Les programmes de l’enseignement secondaire 1833-1929), t. 1, Athènes 1987, p. 188-189, 192-198 et 206-221 (documents 26, 29-31 et 37-38). 22. Voir Maria A. KARANTAIDOU, Η φυσική αγωνή στην ελληνική μέση εκπαίδευση (1862-1990) και ιδρύματα εκπαίδευσης γυμναστών (1882-1982) (L’éducation physique dans l’enseignement secondaire grec et établissements de formation d’instituteurs 1862-1990), Αδελφοί Κυριακίδη, Thessalonique 2000, p. 18-21. 23. D. ANTONIOU, Τα προγράμματα..., op. cit., t. 1, p. 206-221 (document 37). 24. Sur cette conception correctionnelle de l’exercice physique, considéré d’ailleurs comme antidote non seulement à la sociabilité ‘malsaine’ des jeunes hommes, mais aussi à la sexualité ‘prématurée’ masculine, voir E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 297-298, 306. La prévention et la thérapie de cette ‘maladie’ de la jeunesse, l’onanisme, par le biais de l’exercice corporel laborieux agissant directement sur le désir, fut un trait fondamental de l’éducation

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physique et sportive moderne : Voir à titre indicatif, André ROCH, Le souci du corps, PUF, Paris 1984. 25. Vasileios FARSIS, Η δημοσία παίδευσις και το διδασκαλικόν εν Ελλάδι(L’instruction publique et la question des instituteurs en Grèce), Patras 1868, p. 55. 26. Sur les critiques modernisatrices à partir des années 1870 et, surtout, 1880, et sur les tentatives successives de réforme scolaire, dont la plupart est restée au niveau de projets de loi, voir notamment Alexis DIMARAS, Η μεταρρύθμιση που δεν έγινε. Τεκμήρια ιστορίας(La réforme jamais accomplie. Documents d’histoire), t. 1 (1821-1894), Ερμής, Athènes 1973. 27. Voir par exemple : D. S. STROUMBOS, Τομέλλονήτοι περί ανατροφής και εκπαιδεύσεως (L’avenir ou de l’éducation et de l’instruction), Athènes 1854, p. 27-33 et G. G., « Περί γυναικείας εκπαιδεύσεως. Εκμάθησις τεχνών » (De l’éducation féminine. Apprentissage des arts), in Βιβλιοθήκη του λαού (1855), p. 819-826. e 28. Tout au long du XIX siècle, en marge des projets éducatifs de l’Etat, tournés en priorité vers l’enseignement public masculin (gratuit au niveau secondaire), l’initiative privée offre aux filles des couches urbaines relativement aisées un cycle d’études varié de trois à cinq ans environ, qui complétait leur instruction élémentaire mais qui est difficilement comparable avec l’enseignement secondaire masculin. Dans le cadre de ce cycle limité sont aussi formées les futures institutrices, une tâche confiée depuis 1840 – et pendant toute la période examinée ici – à la Société des Amis de l’Instruction (Filekpaideutiki Etairia), dont les écoles « supérieures » répondaient à ce double objectif. Sidiroula ZIOGOU-KARASTERGHIOU, Η Μέση εκπαίδευση των κοριτσιών στην Ελλάδα(1830-1893) (L’enseignement secondaire des filles en Grèce), Γενική Γραμματεία Νεάς Γενιάς/Ιστορικό Αρχείο Ελληνικής Νεολαίας, Athènes 1986. 29. Sur ces phénomènes et plus généralement sur l’occidentalisation et la position sociale des femmes grecques, voir Eleni VARIKAS, La révolte des dames. Genèse d’une conscience féministe dans la e e Grèce du XIX siècle, thèse de doctorat, Université Paris VII, Paris 1986 (2 éd. en grec : Katavrti, Athènes 1997) et du même auteur, « Trop archaïques ou trop modernes ? Les citadines grecques face à l’occidentalisation (1833-1875) », Les femmes et la modernité, Peuples méditerranéens 44-45 (juil.-déc. 1988) ; sur la fonction symbolique de l’enseignement féminin, voir Eleni FOURNARAKI, e ‘Institutrice, Femme et mère’ : Idées sur l’Éducation des femmes grecques au XIX siècle (1830-1880), thèse de doctorat, Université Paris VII, Paris 1992. 30. E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 310-311. Sur ces images féminines romantiques, voir en particulier E. VARIKAS, La révolte des dames, op. cit. 31. A ce sujet, voir E. FOURNARAKI, ‘Institutrice, Femme et mère’, op. cit. 32. E. VARIKAS, La révolte des dames, op. cit. 33. Pour une analyse systématique de ce discours en Grèce, voir : E. FOURNARAKI, ‘Institutrice, Femme et Mère’, op. cit., t. 1, p. 183 et suiv. et du même auteur, « Περί μορφώσεως χρηστών μητερών και εκπαιδεύσεως μελλόν των πολιτών : έμφυλοι λόγοι στην ελληνική εκπαίδευση τον 19 ο αιώνα» e (Discours sur la différence de genre dans l’éducation grecque au XIX siècle), in Vaso THEODOROU – Vasiliki KONDOGIANNI (éds.), Το παιδί στην νεοελληνική κοινωνία 19 ος-20ος αιώνας e e (L’enfant dans la société grecque, XIX -XX siècle), Δημοκρίτειο Πανεπιστήμιο Θράκης, Σχολή Επιστημών Αγωνής Επιτροπή Ερευνών, E.L.I.A., Athènes 1999, p. 73-120. 34. Sur cette conception de la différence sexuelle qui caractérise la modernité, voir en particulier : Thomas LAQUEUR, Making Sex. Body and Gender from the to Freud, Harvard University Press, Cambridge et al. 1999. 35. Sur l’émergence tardive, en comparaison avec les pays occidentaux développés, de l’intimité familiale qui allait transformer les fonctions et les perceptions de l’espace privé et moderniser les conceptions sur les rôles des femmes dans la nouvelle société bourgeoise, voir E. VARIKAS, La révolte des dames, op. cit.

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36. Ibid. Sur la constitution de ces sensibilités modernes et leur impact sur les idées concernant l’éducation féminine, voir E. FOURNARAKI, ‘Institutrice, Femme et Mère’, op. cit. et du même auteur, Εκπαίδευση και αγωνήτων κοριτσιών. Ελληνικοί προβληματισμοί (1830-1910). Ένα ανθολόγιο(Instruction et éducation des filles. Les discours grecs 1830-1910. Une anthologie), Athènes 1987. Sur l’action des femmes des couches moyennes dans le domaine de la philanthropie et de la moralisation des couches populaires, voir notamment Maria KORASIDOU, Les misérables d’Athènes et leurs e thérapeutes. Pauvreté et philanthropie dans la capitale grecque au XIX siècle , thèse de doctorat, Université Paris VII, Paris 1991 (édition en grec :Γενική Γραμματεία Νεάς Γενιάς/Ιστορικό Αρχείο Ελληνικής Νεολαίας, Athènes 1999). 37. Sur le contenu hiérarchique du rapport privé-public dans ce discours bourgeois de la différence de genre, dans le cas grec, voir E. VARIKAS, La révolte des dames, op. cit. 38. E. FOURNARAKI, ‘Institutrice, Femme et Mère’, op. cit., p. 271-357 et du même auteur, « Περί μορφώσεως χρηστών μητερών… », op. cit. 39. Voir ces programmes et leur analyse statistique dans D. ANTONIOU, op. cit., t. 3, p. 186-207. 40. Cette question n’a pas encore fait l’objet d’une recherche systématique ; mais selon tous les indices, l’introduction de la gymnastique dans la plupart des écoles « supérieures » de jeunes filles commence dans les années 1890 : S. ZIOGOU-KARASTERGHIOU, op. cit., p. 226. Par ailleurs, comme on le verra, dans cette époque on a les premières tentatives issues de l’initiative privée de former des femmes (surtout des institutrices diplômées), afin qu’elles enseignent dans les écoles primaires de jeunes filles. 41. Voir E. FOURNARAKI« Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 312-313. 42. Ioannis FOKIANOS, Εγχειρίδιον Γυμναστικής(Manuel de Gymnastique), Athènes 1883, p. 70. 43. Sur les débats concernant la spécificité de l’éducation physique et sportive des femmes et le contenu idéologique sexué du discours qui la justifie, voir par exemple : J. A. MANGAN – Roberta J. PARK (éd.), From Fair Sex to Feminism, Frank Cass, Londres 1987 ; P. VERTINSKI, The Eternally Wounded Woman : Women, exercise and doctors in the late nineteenth century, Manchester University Press, Manchester 1990 ; Pierre ARNAUD – Thierry TERRET (textes réunis par), Histoire du sport féminin, L'Harmattan, Paris 1996, 2 vol. 44. Soulignons que les possibilités d’ascension sociale offertes par le système scolaire aux fils des familles d’origine sociale modeste, sont pour la première fois aussi clairement reliées à une instabilité sociale et politique potentielle. Cette dimension de menace est latente dans la critique contre l’accumulation de connaissances ‘inutiles’ et la surproduction de diplômés sans possibilité d’emploi : voir à ce sujet Stratis BOURNAZOS, « Η εκπαίδευση στο ελληνικό κράτος » (L’éducation dans l’État grec), dans Christos HADZIOSSIF (éd.), Ιστορία της Ελλάδος του 20 ου αιώνα(Histoire de la e Grèce du XX siècle), t. 1 : Οι απαρχές1900-1922 (Les prémices 1900-1922), partie II, Athènes [1999], p. 193-197. 45. Alexis DIMARAS, op. cit. 46. Il est significatif que la première revue destinée exclusivement aux enfants paraît en 1879, sous le titre Η Διάπλασης των Παίδων(La Formation des Enfants). Plusieurs études sont concernées, directement ou indirectement, par l’émergence de ce nouveau sentiment sur l’enfance. Voir à titre indicatif les études suivantes sur les images changeantes de l’enfant dans deux domaines très différents : Afroditi KOURIA, Το παιδί στη νεοελληνική τεχνή, 1830-1922, (L’enfant dans l’art grec moderne 1830-1922), Athènes 1985 et Dimitra MAKRINIOTI, Η παιδική ηλικία στα αναγνωστικά βιβλία, 1834-1919 (L’enfance dans les manuels de lecture 1834-1919), Δωδώνη, Athènes 1986. 47. E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 306-308. 48. Voir ces actes législatifs dans D. ANTONIOU, op. cit., t. 1, p. 224-225 (document 40) et p. 228-232 (documents 43-46) et t. 2, p. 118-120 (document 25). 49. Voir les actes législatifs dans D. ANTONIOU, op. cit., t. 1, p. 233-234, 237-238, 264-266 et 271-278 (documents 47, 49, 56 et 58) et t. 2, p. 121-122 (document 26).

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50. E. FOURNARAKI, « Σωματική αγωνή… », op. cit., p. 310. Sur les bataillons scolaires, leur naissance en 1882, leur appropriation par la droite française et leur disparition dix ans plus tard, voir, entre autres, les articles et les documents afférents dans Pierre ARNAUD (dir.), Les athlètes de la République. Gymnastique, sport et idéologie républicaine 1870-1914, Privat, Toulouse 1987. 51. Voir Chr. KOULOURI, Sport et société bourgeoise…, op. cit., p. 133 et suiv. 52. Voir notamment S. BOURNAZOS, « Η εκπαίδευση στο ελληνικό κράτος » op. cit., p. 199-203. 53. Je me réfère aux textes suivants : la Loi 2821 du 10 juillet 1899, le Décret Royal (DR) du 20 novembre 1899 et le Programme Détaillé de gymnastique de la même date, et au DR du 10 août 1899 « Περί οργανισμού της Σχολής Γυμναστών » (De l’organisation de l’École de Gymnastes) : D. ANTONIOU, op. cit., t. 1, p. 396-422 (documents 85-87) et t. 2, p. 203-209 (documents 45 et 45a). Mon approche de l’esprit de ces lois est basée sur le « Rapport Introductif » de A. Eftaxias accompagnant le DR du 20 novembre : ibid., t. 1, p. 398-408 (document 86). Sur cette œuvre législative de A. Eftaxias, par rapport aux mesures des années 1890 qui lui précèdent, voir Chr. KOULOURI, Sport et société bourgeoise, op. cit., p. 59-63. 54. A. Eftaxias, « Rapport Introductif », in D. ANTONIOU, op. cit., t. 1, p. 405-406. Les sports occidentaux, leurs valeurs individualistes et leur fonction récréative sont plutôt étrangères aux modèles de A. Eftaxias, qui exprime son opposition à leur introduction dans les écoles : voir Chr. KOULOURI, op. cit., p. 73, note 36. 55. Voir l’acte correspondant dans D. ANTONIOU, op. cit., t. 2, p. 194-196 (document 42). 56. Voir par exemple le débat qui se déroule sur l’éducation physique et sportive des filles, dans la revue pédagogique modernisatrice et démoticiste Εθνική Αγωνή (Éducation Nationale) (1898-1903), qui publie un nombre considérable d’articles sur ce sujet, notamment des traductions, qui familiarisent le public d’enseignants avec le débat correspondant dans les pays occidentaux. 57. Sur ces critiques, formulées depuis les années 1880, voir E. FOURNARAKI, ‘Institutrice, Femme et Mère’, op. cit., p. 340-342 et du même auteur, « Περί μορφώσεως χρηστών μητερών… », op. cit., p. 107-111. 58. Sur le profil idéologique de la revue et de sa directrice, et notamment sur la dimension féministe de son discours, voir E. VARIKAS, La révolte des dames…, op. cit. 59. Sur cette version et l’idéal de la « maternité patriotique », voir notamment : Efi AVDELA, « Between Duties and Rights : Gender and Citizenship in Greece, 1864-1952 », dans Faruk BIRTEK – Thalia DRAGONAS (éds.), Citizenship and the Nation State : Greece and Turkey, Frank Cass, (à paraître). 60. Sur ce sujet, voir notre étude récente : Eleni FOURNARAKI, « The Olympism of the ladies. The international Olympic events in Greece (1896, 1906) and the Ladies’Journal », in Christina KOULOURI (ed.), Athens, Olympic City, 1896-1900, Athens, IOA, 2004, p. 333-376.

RÉSUMÉS

Il s’agit ici d’une étude de la manière dont, dans la Grèce du XIXe s., l’éducation physique devient un champ pédagogique autonome ainsi qu’une démarche publique sous la responsabilité de l’État. On constate que c’est un processus de la deuxième moitié du siècle lié à la fois à la volonté de contrôle et d’une normalisation de « l’agressivité » de la jeunesse masculine et à un idéal politique et « patriotique » inspiré du « modèle » du citoyen antique. Quelle peut être donc la

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place de l’éducation physique dans l’éducation des femmes, alors qu’elles sont exclues du statut de citoyens ?

This article tackles the issue of the constitution of physical education in nineteenth c. Greece not only as an autonomous pedagogical field but also as a public action under state responsibility. One can observe that this is a process taking place during the second half of the century. It is linked to the will of control and normalization of the “aggressiveness” of young males as well as to the political and “patriotic” ideal inspired by the “citizen-soldier” model of Antiquity. Given the fact that women are excluded from citizenship, what then can be the place of physical education within female school curricula?

AUTEUR

ELENI FOURNARAKI

Université de Crète – Rethymno

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La formation de la vie sportive à Thessalonique (première moitié du XXe s.) The Formation of a Sports Environment in Salonica during the First Half of the Twentieth Century

Vassias Tsokopoulos

1 Thessalonique peut être à juste titre considérée comme un berceau de l’athlétisme en Grèce, puisque c’est dans cette ville que, assez tôt, le mouvement sportif acquit des structures complètes. Le phénomène sportif s’inscrit dans la conjoncture historique complexe du premier quart du XXe siècle, laquelle produisit au sein de la ville des équilibres continuellement changeants en ce qui concerne l’organisation sociale et politique. Entre 1900 et 1925, trois événements majeurs qui bouleversèrent la vie sociale de Thessalonique entraînèrent deux changements d’importance pour l’athlétisme de la ville : la révolution des Jeunes-Turcs en 1908, l’intégration de la ville à la Grèce en 1912 et, enfin, le grand incendie de 1917, désastreux pour l’organisation sociale et urbaine.

2 L’Empire ottoman, dont Thessalonique était un important centre urbain, formait le cadre traditionnel. La révolution des Jeunes-Turcs modifia les relations politiques entre ses sujets – le libéralisme du nouveau régime ayant permis aux communautés nationales vassales de s’exprimer plus ouvertement. Cette libéralisation eut des répercussions sur le domaine sportif, vu que les clubs sportifs sont eux aussi des formes d’organisation sociale et qu’ils acquirent ainsi un cadre d’expression plus souple. D’autre part, l’émergence des nationalismes, source de violents conflits entre communautés, pénétra les institutions de cette ville multiethnique. Ceci eut également des retombées sur l’athlétisme. L’intégration de Thessalonique à l’État grec bouleversa les relations entre communautés ethniques, du fait qu’elle donna la primauté à la communauté grecque. Pourtant, il fallut encore attendre longtemps pour que cette intégration soit vraiment effective. En effet, l’occupation des Alliés en 1916 et ladite « discorde nationale » annihilèrent en partie les avantages que l’intégration avait

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donnés à la communauté grecque. En outre, l’importante communauté juive faisait obstacle à toute prétention d’homogénéité ethnique. Ainsi le grand incendie de 1917, qui détruisit complètement le centre de la ville, touchant principalement la communauté juive, joua un rôle d’accélérateur vers l’intégration nationale de Thessalonique1. 3 Sous les Ottomans, le sport se présentait plutôt comme une branche de l’organisation culturelle, notamment au sein des communautés grecque et juive. Vers la fin du XIXe siècle, la gymnastique commença à se répandre dans les établissements scolaires grecs2. Cette discipline, enseignée suivant le système allemand, reflétait les évolutions de l’Europe – la redécouverte du corps et la culture physique, considérée comme une composante majeure de l’idéal humain de l’époque moderne.

e 4 La situation évolua au début du XX siècle. Suite à la fondation de l’« Association des amis des arts » (grecque) en 1899, et de l’Union Sportive (juive) en 1901, le sport, qui n’était jusqu’alors tenu que pour simple exercice physique, commença à se libérer de ce carcan et s’inscrivit dans le cadre d’une expression culturelle plus vaste. L’« Association des amis des arts » développa des activités sportives – athlétisme, football, natation, gymnastique, courses et randonnées cyclistes – qu’elle inclut dans son action culturelle. Néanmoins, la coexistence des activités sportives et culturelles ne fit pas long feu. Après 1906, l’Association déclina et ses membres supprimèrent la section sportive au profit de la musique, qui était son principal objet. Il en résulta la fondation, en 1908, de l’association « Hiraklis », club sportif à proprement parler3. Par contre, à l’intérieur de la communauté juive, les activités culturelles et sportives continuèrent à coexister harmonieusement, ainsi que le montre le cas de Maccabi.

Associations sportives de la communauté juive

5 La communauté juive, nombreuse et vigoureuse, était incontestablement le creuset le plus fécond du sport, du moins durant les premières années du XXe siècle. La population juive – la communauté juive de Thessalonique, qui remontait à l’époque byzantine, accueillit les Juifs chassés d’Espagne à partir de la fin du XVe siècle – était majoritaire dans la Thessalonique ottomane. Après l’intégration de la ville à l’État Grec, elle formait encore la plus importante communauté ethnique, non seulement en nombre, mais aussi en qualité. En 1915, les électeurs juifs étaient plus nombreux que les grecs4. La communauté juive contrôlait de plus la grosse part du commerce, du marché et du système de crédit. Installée au centre de la ville, elle donnait le ton à la vie sociale. En 1919, se tint à Thessalonique un Congrès Sioniste, où furent représentées 13 associations sionistes venues de toute la Grèce. C’est alors que fut fondée l’Union sioniste (grecque). Son Conseil d’administration comptait quinze membres, dont sept Juifs de Thessalonique. D’après un journal grec, quelques jours après les pogroms perpétrés contre les Juifs en Pologne, une manifestation de protestation rassembla plus de 15 000 Juifs5. C’est aussi du sein de la communauté juive qu’émergea le mouvement socialiste de Thessalonique. Il se concrétisa par la fondation de la « Fédération », qui organisa la classe ouvrière de la ville6.

6 L’activité sportive n’était donc qu’un seul des multiples aspects de la vie culturelle pluridimensionnelle de la communauté juive. On recensait des représentations théâtrales, des conférences, des bals, la publication de trois journaux (un en ladino et

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deux en français) etc. Cette vitalité se traduisit aussi dans un mouvement sportif florissant, articulé autour d’infrastructures inconnues aux associations de la communauté grecque – les équipes juives, par exemple, disposaient d’un terrain d’entraînement et de compétition qui était le fruit d’une donation de Modiano, grand bienfaiteur de la communauté. 7 La première association sportive issue de la communauté juive de Thessalonique, l’Union Sportive, fut fondée en 1901-1902. Elle organisait diverses activités sportives et détient le « privilège » d’avoir été à l’origine de l’introduction du football dans la ville. Même si elle était fortement attachée à la communauté juive cette association avait un caractère interethnique et comptait parmi ses membres le consul de Belgique, l’archiprêtre de l’Église anglicane, le commandant de la mission militaire italienne, etc. Il semblerait qu’elle eût aussi été ouverte aux Musulmans. En effet, nous lisons que lors d’une course qu’elle avait organisée, « un Turc »7 prit la deuxième place. L’Union Sportive déclina, puis disparut en 1908, mais fut remplacée par l’association sportive « Odax ». Ce déclin, qui était d’ailleurs parallèle à celui de l’« Association des amis des arts », coïncide avec l’apparition du nouvel esprit que le mouvement des Jeunes-Turcs avait répandu dans la ville. 8 Après 1912, sur les cinq associations sportives les plus importantes de la ville, quatre étaient juives. Il y avait d’abord « l’Union des anciens élèves de l’Alliance israélite universelle », qui était la section sportive de « l’Association des anciens élèves de l’Alliance israélite universelle ». Elle avait une équipe de football et disposait de son propre terrain (dont le propriétaire était Jacob Modiano, président d’honneur de l’Alliance). Il y avait ensuite « l’Union des anciens élèves de l’École franco- germanique », qui elle aussi avait une bonne équipe de football. À ces deux clubs, s’ajoutaient le « Progrès Sportif », petit club de jeunes Juifs, et l’« Association gymnastique de Thessalonique Maccabi ». Maccabi, fondée en 1908, était une annexe de l’Association sioniste Théodore Herzel. Cette association, la plus importante de toutes, comprenait un programme culturel, proposant des conférences, des spectacles de gymnastique et des représentations artistiques8. En 1909, la section théâtrale de l’Association représenta la pièce « Les Macchabées », inaugurant ainsi une série de spectacles, ayant lieu tous les ans à l’occasion de la fête juive de Hanoukka. Après que Thessalonique fut intégrée à la Grèce, l’activité théâtrale de Maccabi se poursuivit avec des œuvres tirées du répertoire classique, telles que Molière, etc. En outre l’intégration au Royaume de Grèce ne semblait pas ipso facto perturber le développement des associations sportives juives. En 1915, deux nouvelles équipes de football juives virent le jour : « Phénix » et « Victoria ». 9 Le véritable tournant se situe en 1917. Après le grand incendie de la ville, la plupart des équipes disparurent. Tel fut le cas de l’Alliance, de l’Union des anciens élèves de l’École franco-germanique et du Progrès Sportif. L’incendie détruisit de nombreuses installations sportives, les bureaux des associations, des fortunes s’envolèrent en fumée et une grande partie de la communauté juive fut ruinée et dispersée aux alentours de la ville. 10 Seule Maccabi, l’association la plus résistante de la communauté, survécut à l’incendie. C’est par les relations de cette association avec les clubs grecs que, dans le domaine du sport, les conflits avec la communauté grecque sont rendus sensibles. En effet, Maccabi avait de fréquentes frictions avec le club grec « Hiraklis ». Après 1917, celles-ci devinrent publiques et acquirent un « caractère racial et religieux ». S’inscrivant dans

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le cadre des différends opposant les communautés juive et grecque, ces conflits furent attisés par la presse et obligèrent Venizélos à stigmatiser au Parlement l’antisémitisme de certains journaux grecs9. 11 Néanmoins, la vitalité de la communauté juive continua à alimenter le sport après 1917. En dehors de Maccabi, une nouvelle association sportive, « Akoah », vit le jour et prospéra. Fondée en 1924, « par un travail et un entraînement systématiques, elle se hissa à la tête du mouvement sportif juif » de la ville. Ses activités sportives comprenaient l’athlétisme, le football, les sports nautiques, le cyclisme, etc. Elle comptait alors 400 membres, sportifs et non sportifs, et disposait d’un terrain pourvu de petites installations, que lui avait concédées Isak Modiano.

Associations au sein de la communauté grecque : le cas d’Hiraklis

e 12 Au sein de la communauté grecque du début du XX siècle, l’« Association des amis des arts » détenait une place spéciale et assumait un rôle important. Cette association, qui comprenait aussi une section sportive, s’était fixée comme objectif principal la promotion de l’éducation grecque. La fonction « nationale » de l’association fut exprimée dès le départ. En 1905, par exemple, lors du premier match de football contre l’Union Sportive (juive), ses footballeurs jouèrent sous les couleurs blanc-bleu, couleurs du drapeau grec. Par contre, en 1906, lorsque ces mêmes joueurs se rendirent à Athènes pour participer à l’Olympiade, ils portaient un « maillot noir » en signe de deuil pour l’ « hellénisme asservi ». La séparation entre activités sportives et activités culturelles était due à la méfiance de la plupart des membres de l’association vis-à-vis du football. L’« Association macédonienne de gymnastique Hiraklis », fondée en 1908, prit, organiquement et idéologiquement, la relève de la section sportive de l’« Association des amis des arts ». Dans ses statuts, elle prévoyait, parmi les moyens déployés pour atteindre ses objectifs, « l’entraînement physique de tous les Grecs » (même des « Grecs non-membres » contre une certaine somme d’argent). Les athlètes étrangers constituaient une infime minorité au sein de l’« Hiraklis », à l’opposé de l’Union sportive qu’on peut qualifier non seulement d’équipe juive, mais aussi d’équipe internationale.

13 Au sein de la communauté grecque, « Hiraklis » monopolisa les activités sportives. Il se chargea d’organiser la jeunesse grecque dans des objectifs aussi bien sportifs que nationaux10. En 1912, avant l’intégration de Thessalonique à l’État grec, il réussit à organiser les premières Compétitions sportives juniors avec la participation de toutes les écoles de la ville. Lors du défilé d’ouverture, les sportifs d’« Hiraklis » portaient un maillot « bleu-blanc », ce qui ne manqua pas de provoquer un commentaire réprobateur de la part du Gouverneur des officiers Jeunes-Turcs. 14 Cet attachement à l’identité nationale perdura au-delà de l’intégration de Thessalonique à la Grèce. En 1920, par exemple, « Hiraklis » tenta d’organiser une grande fête sportive avec l’organisation scoute. La fête fut finalement annulée, mais sa couleur idéologique nous est restituée dans les écrits de Christodoulou : « Tous ces diplômes imprimés pour ces Jeux sont des plus émouvants. Ils portent les noms des territoires grecs avec l’année de leur libération : îles de l’Égée 1821, Péloponnèse 1821, Grèce centrale 1821, îles Ioniennes 1864 […] Les noms des autres territoires encadrés de

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noir : Rhodes, Chypre, le Pont, Épire du Nord, Macédoine du Nord, Roumélie orientale ». En 1925, « Hiraklis » adressa un message exalté aux Jeux Panioniens, qui se déroulaient à Athènes : le club envoyait son message des « terres qui avaient vu naître des Philippe et des Alexandre » et avait « le secret espoir » que peut-être, un jour, de ces mêmes terres « naîtront de nouveaux Philippe et de nouveaux Alexandre, qui revendiqueront l’Antalcidas des temps modernes »11. Cependant, mise à part l’exaltation de l’identité « nationale » du club, « Hiraklis », comme nous l’avons remarqué, s’opposait, fréquemment et intensément, à Maccabi et autres clubs juifs12, par rapport auxquels, il est vrai, il présentait du retard tant en matière d’organisation qu’en nombre. Les équipes juives disposaient de leur propre terrain, à proximité de l’hôpital Hirsch, don de leur coreligionnaire Modiano, tandis qu’« Hiraklis » dût affronter bien des adversités avant d’acquérir son propre gymnase. Ce n’est qu’en 1914, après s’être adressé au Parlement grec, qu’il lui fut concédé un terrain pour la construction d’un gymnase lui permettant désormais de « tenir la face » par rapport à ses adversaires sportifs. Ce terrain se trouvait sur un ancien cimetière juif – ce qui constituait une offense pour la communauté juive. 15 Le caractère idéologique d’« Hiraklis » n’était pas incompatible pour un athlète comme St. Orologas, nationaliste et membre de l’organisation fasciste E.E.E13. 16 « Hiraklis », pendant toutes ces années, ne dépassa jamais les 200 membres,14 bien qu’il eût été le seul club sportif de la communauté grecque. Pendant la même époque, « Maccabi » et « Akoah » en comptaient chacun plus de 400. Néanmoins, « Hiraklis » continua à organiser des Jeux scolaires et juniors, qui se consolidèrent progressivement et formèrent un cadre institutionnel d’organisation régionale à l’intérieur du réseau sportif national. En 1922, il organisa les IIes Jeux sportifs juniors, en 1923, les Ier Jeux Thessaloniciens et, en 1925, les IIes Jeux Thessaloniciens et les Ier Jeux Macédoniens. Le fait que l’« Hiraklis » ait eu des appuis au Parlement (des députés le soutenaient), ainsi que ses propres journalistes qui supervisaient les rubriques sportives des journaux est révélateur de son influence au sein de la société locale15.

L’invasion du football

17 Le football, ainsi qu’il a été dit, apparut à Thessalonique au tournant du siècle, à l’initiative de l’« Union Sportive ». Après l’intégration de Thessalonique à la Grèce, il commença à se répandre. Le football, remplaçant la « guerre des pierres » — le jeu traditionnel des enfants –, devint rapidement le sport le plus populaire du monde sportif, stigmatisé cependant par les partisans de l’élégance, qui le taxèrent de « barbarie ». En 1914, fut organisé le premier tournoi, auquel participèrent l’« Hiraklis » et quatre équipes juives. Ces matches, qui se déroulaient le week-end, « sont restés dans les annales sportives de Thessalonique [car] ils électrisaient et passionnaient toute la jeunesse ».

18 Les années suivantes et jusqu’à la fin des années 1910, la passion du sport, et particulièrement du football, prit encore de l’ampleur, et, en 1925, comme le remarque Christodoulou avec une note de mépris, « la manie du football atteignit son comble »16. Le football se propagea surtout dans les écoles, dont plusieurs disposaient d’équipes organisées déjà en 191517. Le courant se renforça avec l’apparition de nouvelles équipes de football, la fondation de l’Union des Clubs de Football de Macédoine et de Thrace en

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1923, et l’organisation des premiers championnats régionaux. En 1914, la fondation de l’« Aris » de Thessalonique, une équipe pratiquant exclusivement le football, cristallisa la formation d’un clivage au sein de la communauté grecque, avec l’apparition d’un pôle opposé à « Hiraklis ». La lutte de deux équipes en vue de l’hégémonie sportive, est caractéristique de l’histoire du football au sein de la ville. Les sources relatives à ces premières années sont obscures, mais il semble que le fonctionnement d’« Aris » différait de celui d’« Hiraklis ». D’après Christodoulou, après un départ au ralenti, « Aris » se restructura en 1916 dans les conditions particulières, créées par la « discorde nationale », la présence des troupes de l’Entente dans la ville et le gouvernement vénizéliste de Thessalonique. « Aris », comme l’écrit Christodoulou, disputait alors de nombreux matches amicaux avec les équipes de la communauté juive et celles des troupes anglo-françaises, alors qu’elle avait de continuelles passes d’arme avec « Hiraklis ». Au-delà de l’antagonisme sportif, on peut s’interroger sur les prolongements idéologiques d’une rivalité, qui reflète sans doute la polarisation politique propre à la conjoncture de l’époque. Les sources sont laconiques à cet égard, mais il semble qu’« Aris » se trouvait, sur le plan social et politique, dans le camp des libéraux, à l’opposé d’« Hiraklis » qui inclinait vers les royalistes. Par exemple, en 1915, un membre du Conseil d’administration d’« Hiraklis », personnalité éminente de l’époque, était candidat du Parti Populaire aux élections parlementaires particulièrement polarisées de la même année18. En 1916, un contre-gouvernement vénizéliste de « Défense nationale » prit le pouvoir à Thessalonique, et, contrairement à la politique pro-allemande du gouvernement d’Athènes et du roi, se plaça aux côtés de l’Entente. L’épuration des éléments royalistes provoqua même l’éloignement de N. Kassapis, alors président d’ « Hiraklis »19. Dans son ouvrage, le vice-président d’« Hiraklis », N. Christodoulou, passe très hâtivement sur le sujet, évitant les détails embarrassants. 19 Une autre équipe de football importante fut fondée en 1924. Il s’agit du PAOK20, produit de l’afflux des réfugiés à Thessalonique. À ses débuts, alors que, sous le nom d’Union des Constantinopolitains, le PAOK n’était encore qu’un petit club local, il appela tous les sportifs originaires de Constantinople à se joindre à ses rangs. Certains répondirent à l’appel et quittèrent « Aris » et « Hiraklis » pour adhérer au PAOK. L’équipe trouva, par ailleurs, de puissants appuis dans la grande masse des réfugiés et devint rapidement le troisième pôle du football de Thessalonique. La fondation du PAOK acheva de donner à Thessalonique sa physionomie footbalistique, qui reste inchangée jusqu’à nos jours. « Hiraklis », dépositaire de l’esprit national, perdit progressivement influence et appuis sociaux, et son équipe rétrograda au second plan. « Aris » devint l’équipe des classes moyennes, des étudiants, des intellectuels, des hommes d’affaires libéraux21. En face d’elle, le PAOK était l’équipe par excellence des classes populaires et des réfugiés. Cette division et répartition des trois équipes reflètent la souveraineté du football, dont le contenu est, en fin de compte, moins national que social. Le football juif recula, proportionnellement à la situation difficile de la communauté juive après l’incendie de 1917, jusqu’à s’éteindre définitivement pendant la Deuxième Guerre mondiale22. 20 L’année 1923 connut les premières organisations de championnats locaux. « Aris » en est ressorti champion de Macédoine. Au fur et à mesure ce club joua plus généralement un rôle de leader dans la vie sportive de la ville. En 1925, l’Union des Clubs de Football de Macédoine et de Thrace comptait 20 clubs membres, et 14 autres équipes de football « officieuses » participèrent aux Championnats des clubs non enregistrés.

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Le parachèvement de la structure sportive

21 Au cours de la période que nous examinons, le football gagna une place prépondérante sur la scène sportive de la ville. L’athlétisme, quoique réduit à un rôle de second ordre, continua à se développer, notamment au travers des compétitions régionales. L’une des conséquences de la restructuration de la vie sportive de la ville fut le recul des sports introduits au XIXe siècle (gymnastique, vélo, etc.). Une course cycliste fut certes organisée en 1925, mais la portée de ces disciplines sportives était déjà minime. L’apparition et l’implantation de nouveaux sports d’équipe, tels que le basket et le volley, vinrent compléter le tableau de la vie sportive de Thessalonique. Le pionnier de ces sports fut l’Union Chrétienne de jeunes gens de Thessalonique – une annexe de l’Union Chrétienne de jeunes gens (de l’anglais YMCA, Young Men’s Christian Association). Cette organisation américaine avait pris en charge l’organisation des loisirs des troupes pendant la Première Guerre mondiale, puis, par le biais de l’armée, s’était introduite dans la société grecque. À partir de 1918, son action – un mélange de catéchisme chrétien et d’activités culturelles – s’étendit jusqu’à Athènes. En 1921, elle s’installa officiellement à Thessalonique. Par la suite, le gouvernement grec lui concéda un grand terrain près de la Tour Blanche, où elle construisit sa résidence. Les installations de l’Union Chrétienne à l’époque comprenaient des terrains de tennis et de volley23. Quoique le football fît partie de ses activités, cette organisation montrait une prédilection pour les sports américains, notamment le volley et le basket. C’est d’ailleurs grâce à elle que les clubs locaux s’initièrent à ces sports qui, à partir de 1919, commencèrent à se répandre avec des moyens rudimentaires. En 1924-25, le premier championnat régional de basket eut lieu. Dans la ville, existaient déjà 15 équipes, mais 6 seulement prirent part à ce championnat, (Hiraklis, Aris, VAO, l’Union arménienne, ainsi que les équipes juives Maccabi et Akoah). Bien implanté à Thessalonique, le basket se propagea ensuite dans le reste de la Grèce. En 1925, il fut introduit dans le programme sportif des forces armées et, en 1928, fut organisé le premier championnat de Grèce, d’où « Hiraklis » sortit vainqueur.

22 En 1925-26, l’Union Chrétienne organisa à Thessalonique un championnat de volley, auquel, en dehors de sa propre équipe, participèrent six autres équipes (Hiraklis, Aris, Union Macédonienne, Union des Constantinopolitains, Maccabi et Atlas). 23 Par ailleurs, l’Union Chrétienne organisa et dirigea de nombreux petits clubs, ainsi que les équipes scolaires. Elle contribua ainsi à la promotion organisée du sport dans l’ensemble de la jeunesse. Nous pouvons donc dire que, après 1920, Thessalonique disposait d’une structure sportive complète. L’introduction du sport féminin s’avéra un paramètre important de cette image. Le fait est d’une importance considérable pour l’histoire sociale24. C’est « Aris » – le club grec le plus novateur de la ville – qui donna le départ en créant la première section de volley féminin. Parmi les clubs juifs, Maccabi et Akoah25 avaient aussi une section sportive féminine, puis les autres clubs suivirent progressivement.

e 24 Durant le premier quart du XX siècle, la vie sportive de l’État grec était encore marquée par l’organisation régionale. Ce n’est qu’après 1927-1928 que le championnat national de football fut organisé, suivi du championnat national de basket. Cela signifie que le mouvement sportif de chaque ville était autonome. Les liens unissant les clubs de

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Thessalonique à la capitale étaient lâches. La venue à Thessalonique d’une équipe athénienne pour disputer des matches amicaux était un véritable événement. L’existence d’institutions nationales, telles que le SEGAS (Fédération hellénique d’athlétisme, fondée en 1899) et l’EPO (Fédération hellénique de football, fondée en 1926), n’est pas suffisante pour parvenir à l’unification du sport grec. L’EPO, par exemple, traversa une crise à partir de 1927, en raison de la politique « séparatiste » des trois grands clubs d’Athènes et du Pirée, qui avaient formé le POK (Podosfairikos Omilos Kentrou = Réunion de football du Centre), afin de protéger leur intérêt contre la progression des petits clubs qui, malgré leur moindre importance, n’en constituaient pas moins le réseau sportif national. Cependant, malgré ses efforts pour le dissocier du réseau régional, le POK ne réussit pas à s’associer « Hiraklis »26. Pour une équipe de Thessalonique, le coût de l’isolement était plus grand que les bénéfices qu’elle aurait pu en tirer par la participation a l’entourage des puissants clubs de la capitale. Au début des années 1920 les clubs de la ville, recherchant une communication avec d’autres clubs, se tournèrent vers la Serbie voisine, plus proche qu’Athènes. « Aris », champion de Macédoine, inaugura cette ouverture en organisant, à partir de 1923, les premiers matches internationaux. 25 Le fait est d’importance, parce qu’il s’inscrit dans une conjoncture internationale où se développent des initiatives pour l’entente entre les États balkaniques, après la fin des longues hostilités dans la péninsule balkanique. En Grèce, l’artisan de cette ouverture fut le Parti des Libéraux, son chef – Vénizélos – et d’autres personnalités du milieu libéral. Après avoir entretenu des relations avec les États balkaniques, le processus aboutit, en 1930, au Pacte d’Amitié gréco-turque et le Pacte d’« entende balkanique », signé en 1934 par les gouvernements grec, turc, yougoslave et roumain. Le sport joua un rôle important dans toutes ces évolutions. En effet, M. Rinopoulos, éminente personnalité du Parti des Libéraux et président du SEGAS, lutta âprement pour instituer l’organisation de Jeux Balkaniques d’athlétisme.27 Les premiers Jeux Balkaniques se tinrent en 1929 pour devenir, par la suite, l’institution la plus durable des rencontres internationales, après les Jeux Olympiques. De 1929 à 1931, fut également organisée la première Coupe Balkanique de football, à laquelle participèrent la Grèce, la Roumanie, la Yougoslavie et la Bulgarie. 26 Les clubs de football de Thessalonique se trouvent à l’origine de ce mouvement. Les rencontres internationales avec des équipes serbes, qu’« Aris » inaugura, eurent lieu en 1923 et 1924, à une époque où les relations gréco-serbes traversaient une passe difficile. En janvier 1923, « Aris » accueillit l’équipe serbe « Sport Klub », puis, l’année suivante, la championne de Serbie du Sud, « Perister » de Monastir. Cette deuxième rencontre se déroula dans un climat de fraternité, où les messages politiques étaient nettement flagrants. Le match eut lieu en novembre 1924. Le journal sportif Niki le présenta comme « un grand match de football entre la Grèce et la Serbie ». « Aris » reçut la délégation serbe et, le lendemain matin, les footballeurs serbes « guidés par des jeunes membres d’Aris sachant le serbe, visitèrent les divers sites de notre ville ». Sur le terrain, flottaient des drapeaux grecs et serbes et plus de 6 000 spectateurs assistèrent au match. Malgré la victoire d’« Aris » qui battit l’équipe serbe par un score de 5-0, le journal écrivit : « Les officiels et autres spectateurs accueillent chaleureusement l’équipe victorieuse et, au signal du capitaine, s’écrient trois fois ‘Vive la Serbie’ » (!). Le soir se tint un banquet accompagné de divertissements, qui dura jusque tard dans la nuit28. « Aris » rencontra, au cours du même mois, une équipe mixte de Skopje qui, par la suite, disputa également un match amical contre « Hiraklis ». En avril 1925, « Aris »

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se rendit à Monastir pour la revanche contre « Perister » devenant ainsi le premier ambassadeur de l’entente sportive balkanique.

e 27 Au cours du premier quart du XX siècle, Thessalonique passa d’une structure sportive rudimentaire à une organisation complète de la vie sportive. La ville devint ainsi l’animateur du mouvement sportif dans toute la Grèce du Nord qui, jusqu’à aujourd’hui, alimente le sport grec dans de plus grandes proportions que la Grèce du Sud et du Centre. L’introduction de cette structure sportive dans la vie sportive nationale et les répercussions du centralisme athénien sur le sport de la Grèce du Nord, constituent une vaste question débordant les limites temporelles de cet article. En tout cas, sur cette période du premier quart du XXe siècle, dominée par l’autonomie des structures régionales, la recherche sur le modèle de Thessalonique a encore beaucoup à donner.

NOTES

1. L’incendie réduisit en cendres 9 500 maisons et tous les édifices publics, laissant 73 000 habitants sans abri. De plus, il détruisit les bureaux et les archives de la plupart des associations, c’est-à-dire une grande part des sources de cette époque. Ainsi, la source la plus importante dont nous disposons est l’ouvrage de N. CHRISTODOULOU, L’Association Gymnastique « Hiraklis » de Thessalonique et l’évolution du sport à Thessalonique, (en grec), publié en 1927. Christodoulou était alors vice-président d’Hiraklis. 2. Ioannis Fokianos, initiateur de l’éducation physique en Grèce, y joua un rôle important. Voir N. CHRISTODOULOU, op. cit., Thessalonique, 1927, p. 7-9. Sur l’essor de la gymnastique et, plus généralement, de l’athlétisme en Grèce, v. Christina KOULOURI, Sport et sociabilité bourgeoise. Associations sportives en Grèce, 1870-1922, Paris, 2002. 3. Les conflits entre membres d’une même association conduisant jusqu’à la scission n’étaient pas rares. De nombreuses associations sportives, en Europe et en Grèce, virent le jour de cette manière. 4. Grecs : 13 683, Juifs : 14 319, Turcs : 9 826, autres : 1 889, d’après le journal Nea Alitheia, qui o rectifiait quelques manipulations frauduleuses des statistiques officielles (voir n du 12 février 1915). Sur la communauté en général, voir l’ouvrage classique de J. NEHAMA, Histoire des Israélites de Salonique, Communauté Israélite de Thessalonique, 7 tomes, republication 1978, et Rena MOLCHO, Les Juifs de Thessalonique, 1856-1919. Une communauté particulière (en grec), Athènes, 2001. 5. Journal Foni tis Makedonias [Voix de la Macédoine], 11 juin et 3 juillet 1919. 6. Sur la Fédération, voir A. BENAROYA, Le premier carrefour du prolétariat grec, (en grec), Athènes e (republication), 1975 ; K. MOSCOV, Thessalonique ; profil de la ville commerçante, 2 éd., (en grec), Athènes, 1978, p. 165-200, Ant. LIAKOS, La Fédération ouvrière socialiste de Thessalonique et la jeunesse socialiste. Ses statuts (en grec), Thessalonique, 1985. 7. CHRISTODOULOU, op. cit., p. 19. 8. CHRISTODOULOU, op. cit., p. 119, 196 et 200. 9. Les conflits remontent à l’époque ottomane. En 1903, de sérieuses bagarres éclatèrent à l’occasion de la représentation d’une pièce de théâtre, voir K. TOMANAS, Le théâtre dans la vieille Thessalonique, (en grec), Thessalonique, 1994, p. 55. Lors de la grande grève de 1914, où la

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Fédération joua un grand rôle, les journaux grecs accusèrent violemment la communauté juive de complots politiques contre la Grèce, voir Efi AVDELA, « Le socialisme des ‘autres’ : lutte des classes, conflits des nationalités et identités de genre dans la Thessalonique post-ottomane », (en o grec), Ta Istorika, n 18-19, juin-déc. 1993, p. 171-204. 10. Le fonctionnement monopolistique, dans l’organisation du sport, perdura en fait jusqu’en 1921, année de la fondation de l’Union Chrétienne de jeunes gens de Thessalonique. 11. CHRISTODOULOU, op. cit., p. 109. 12. Christodoulou réprouvait vivement le caractère racial que le conflit prenait, op. cit., p. 70. 13. Les initiales signifient « Ethniki Enossis Ellas » (= Union Nationale Grèce), mais le sous- entendu fut « Ellines Eksontoste Evraious » (= Grecs Anéantissez les Juifs). L’organisation était responsable des persécutions contre les Juifs de la ville en 1931. K. TOMANAS, Chronique de Thessalonique, 1921-1914, (en grec), Thessalonique, 1996, p. 90, note que St. Orologas participait aux défilés de l’Organisation, vêtu de sa tenue sportive et portant ses médailles. 14. D’après Christodoulou, il y avait 201 membres d’inscrits en 1917 et 150 en 1918, op. cit., p. 61. 15. Christodoulou mentionne les députés M. Négrepontis et Aristotélis Sakellariou, et deux rédacteurs responsables des rubriques sportives des journaux Fos et Tachidromos. 16. CHRISTODOULOU, op. cit., p. 97. 17. Lycée Stéfanos Noukas, École de Commerce, etc., ainsi qu’il ressort des informations de la presse de Thessalonique. 18. Il s’agit de Sot. Gotzamanis, voir journal Nea Alitheia, 23 mai 1915. 19. CHRISTODOULOU, op. cit., p. 59. 20. PAOK = Association Sportive Thessalonicienne de Constantinople. 21. Aris fut longtemps tenue pour l’équipe des intellectuels et des étudiants. Elle comptait parmi ses membres fondateurs l’écrivain moderniste Giorgos Délios, et Emilios Riadis, compositeur et directeur du Conservatoire de Thessalonique dans les années 1930, figurait au nombre des amis de l’équipe. Récemment encore, Henry Michel, entraîneur français de l’équipe, déclarait lors d’une interview qu’il avait été surpris d’être aussi souvent arrêté dans la rue par des intellectuels (avocats, médecins, artistes, etc.) qui lui parlaient de l’équipe. 22. La communauté juive se réduisit progressivement jusqu’à son extermination par les forces d’occupation allemandes, voir Communauté Israélite de Thessalonique, In Memoriam. Hommage à e la mémoire des victimes juives du nazisme en Grèce, (en grec), 2 éd., Thessalonique 1976, p. 20. 23. CHRISTODOULOU, op. cit., p. 80-1, 103. 24. Sur le sport féminin et la participation des femmes aux clubs sportifs, voir les remarques pertinentes de Ch. KOULOURI, op. cit., p. 116-7, 199, 203, 223-5. 25. Grâce aux bals, aux conférences et au sport, Maccabi donna aux filles leur liberté, voir Miriam VENEZIA, « Youth in ‘Maccabi’ » dans David A. Rekanati (éd.), In Memoriam of Salonike, Tel Aviv 1972 et 1986, t. 1, p. 305-6. 26. Voir Association Gymnastique Hiraklis : 1908-2003, (en grec), Thessalonique, 2003, p. 55-56. 27. L’idée germait déjà depuis 1921, sur l’initiative de l’Union Chrétienne de jeunes gens, qui avait un réseau dans les Balkans. Lors de l’Olympiade de Paris, en 1924, la question fut soulevée par la délégation grecque du SEGAS. Lors de l’Olympiade d’Amsterdam en 1928, la délégation grecque fit de nouveau de gigantesques efforts pour arriver à un accord avec les autres délégations balkaniques. L’accord fut finalement conclu, après que la Grèce accepta d’organiser les Jeux tous les ans, en prenant tous les frais à sa charge, jusqu’à ce qu’un autre pays demandât à en être l’organisateur. En 1934, les Jeux se déroulèrent pour la première fois hors de Grèce, en Yougoslavie. o 28. Journal Niki, n 21-22, 15-30 novembre 1924.

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RÉSUMÉS

Cet article entreprend une étude de la structure sportive de la ville de Thessalonique durant la période cruciale de 1900 à 1925 lorsqu’elle passe du statut de ville multiculturelle et avant-garde de l’Empire ottoman à celui de deuxième ville de l’État grec. Cette étude s’articule autour de trois événements clefs, la Révolution Jeune-Turque de 1908, l’annexion à la Grèce en 1912 et le grand incendie de 1917 qui bouleverse son tissu démographique et urbanistique. Elle présente le cadre du développement du sport et plus particulièrement pour les deux seules deux communautés de la ville présentes durant l’ensemble de la période étudiée : les grecs-orthodoxes et les juifs.

This study attempts to offer an image of Salonica’s sport structure during the crucial era of 1900-1925, when it changes status from multicultural and avant garde city of the Ottoman empire to second city of the Greek state. It is articulated around three milestones: the Young Turk revolution of 1908, the annexation of Greece in 1912 and the great fire of 1917, which upset the city’s urban and demographical organization. It concludes with a presentation of the framework serving to the development of sports practice for the two communities, which are present in the city during the whole of the period: Greek-orthodox and Jews.

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Le sport ouvrier en Grèce pendant l’entre-deux-guerres. Le cas de Thessalonique Workers’ Sports in Greece during the Interwar Era: The Case of Salonica

Alexandros Dagkas

1 Les thèmes généraux qui résultent de l’étude du sport ouvrier en Grèce concernent des problèmes beaucoup plus larges. Ils sont liés aux vues du Komintern de se révéler mondialement comme le guide de la classe ouvrière. La lutte des classes sur la voie de la conquête du pouvoir politique exigeait, conformément à la décision du IIe congrès du Komintern – en juillet 1920 –, une direction unique du mouvement ouvrier. Le centre, organisationnel et dirigeant devait être, en Grèce, comme dans tout autre pays, le parti politique de la classe ouvrière ; nous estimons que le mouvement ouvrier est un facteur de l’évolution de la société grecque de cette période. L’ensemble des thèmes de l’histoire politique de la Grèce pendant l’entre-deux-guerres, de l’histoire des luttes sociales qui se sont déroulées dans le pays, et l’histoire de la démocratie, se réfère au mouvement de la classe ouvrière ainsi qu’aux aspects de son action tel que le sport ouvrier.

1. Le modèle international du sport ouvrier

2 En novembre 1919, à Berlin, fut exprimée l’ambition des fondateurs de l’Internationale communiste de la Jeunesse de constituer l’Etat-major de la jeunesse de la classe ouvrière, l’organisation internationale révolutionnaire unitaire, dont les sections furent les différentes organisations nationales. Comme section du Komintern, l’organisation des jeunes fonctionnait sous sa conduite idéologique et organisationnelle1. Le dénominateur commun des actions de l’Etat-major international fut de servir « la finalité révolutionnaire » [soumission de tous au but de la révolution]. Sur la base de ce principe furent déterminées les relations avec les sections-membres et la politique globale. Dans les pays balkaniques, le suivi des évolutions de la part de

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l’Internationale communiste de la Jeunesse fut assuré par le biais de mécanismes qui fonctionnaient sur place. En 1921, la suggestion fut faite que la coopération des Jeunesses communistes dans les Balkans était nécessaire2. En juin 1922, fut constituée la Fédération communiste balkanique de la Jeunesse, qui était la conjonction des unions communistes de la jeunesse de Bulgarie, de Roumanie, de Yougoslavie et de Grèce. Elle était un membre constituant de la Fédération communiste balkanique [union des partis communistes de la région] et avait pour but de coordonner l’action dans les Balkans ; ses décisions étaient obligatoires pour les sections balkaniques de la jeunesse ouvrière3.

3 Des institutions telles que le sport ouvrier, ne naquirent pas du néant mais reflétaient l’expérience du mouvement révolutionnaire qui avait essayé dans le passé, au sein de la lutte plus générale en faveur des idéaux sociaux qu’elle professait, des formes alternatives d’action et d’organisation. Dans le cas concret, la particularité du sport, comme phénomène social s’inscrivant dans la culture dominante, et l’intensité et la satisfaction offertes par le sport comme activité sociale, ainsi que le contenu dont dispose la relation organique du sport avec des questions sociales plus larges, avaient été repérés et appréciés4. En Russie, après 1917, un poids particulier fut accordé à la culture de l’esprit sportif5. A une échelle internationale, dans les conditions d’évolution du mouvement ouvrier après la Grande Guerre, avec la scission entre socialistes et communistes, les premiers participaient à l’Internationale sportive de Lucerne et aux Olympiades ouvrières6, les seconds à l’Internationale Rouge des Sports et aux Spartakiades7. 4 Aux congrès de l’Internationale communiste des jeunes furent débattues des questions liées aux priorités du mouvement. Les résolutions des congrès parlaient des tâches des jeunes communistes. Le IIe congrès mondial (1921) a posé le mot d’ordre général « aux masses » et le IIIe congrès (1922) l’a concrétisé8. À ces deux congrès n’avaient pas été soulignées la question du sport ouvrier international ni son utilisation comme arme idéologique. Au IVe congrès, en 1924, la question du travail sportif fut mise en discussion. La position selon laquelle le sport était pour la classe bourgeoise un moyen d’étendre son influence politique, de préparer la jeunesse à l’armée, d’exalter le chauvinisme tout en constituant une source de profit, fut marquée. Les communistes devaient créer des clubs sportifs ouvriers et se regrouper autour de l’Internationale Rouge des Sports, transformer les fédérations sportives en organisations révolutionnaires9. Par la formation de fractions communistes10, ils pourraient entreprendre une action quotidienne intense dans la masse des sportifs ouvriers sur une base révolutionnaire. Les résolutions du IVe congrès, ainsi que les décisions des sessions plénières de l’Exécutif qui eurent lieu les années suivantes, relatives à l’activité que les jeunes communistes devaient développer parmi les « jeunes sportsmen ouvriers », ne furent pas prises en considération par plusieurs sections ou prises seulement en partie11. Nous constatons que la question du sport avait certes été mise sur le tapis mais demeurait théorique. C’était une conséquence de la ligne politique qui véhiculait l’idée d’après laquelle il était encore possible, malgré les échecs, de renverser le pouvoir bourgeois, c’est pourquoi le poids était donné à la pratique, à la préparation de la révolution. Ce n’est que quand fut reconnue la stabilisation du capitalisme que d’autres modes de propagande et d’opposition idéologique furent recherchés, à savoir que furent mises en place des actions en vue de la création d’une infrastructure propice à une lutte à long terme. Au Ve congrès de l’Internationale communiste des jeunes (du

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20 août au 18 septembre 1928, à Moscou), la question du travail sportif fut de nouveau posée en l’accentuant et en la systématisant12. 5 Dans les documents du Ve congrès, la description de la situation révélait la connaissance de la force du sport bourgeois et socialiste ainsi que la faiblesse du sport communiste. Des mesures furent prises pour renverser la corrélation négative des forces. Conformément aux résolutions du congrès, l’activité de la bourgeoisie en matière sportive consistait en fortes tentatives d’influencer la jeunesse ouvrière en fondant des organisations sportives, avec une aide matérielle considérable, plus grande qu’autrefois. Le monopole sportif exercé par la bourgeoisie avait conduit le mouvement sportif bourgeois à s’accroître, avec une tentative énergique pour gagner les écoliers par le biais du sport, en vue d’une militarisation de la jeunesse au sein du sport. Une propagande idéologique se développait avec les grands suppléments sportifs dans les journaux à gros tirage13. Le sport patronal se trouvait également en pleine évolution. Les patrons créaient dans toutes les branches industrielles des clubs sportifs, pour freiner le développement de la conscience de classe des ouvriers et pour instaurer la paix dans l’industrie14. 6 Les clubs sportifs patronaux et les exercices sportifs pendant le travail avaient pour but de mettre les ouvriers sous la dépendance du patron, avec l’appareil sportif, les salles de sport et les terrains, le paiement des exercices sportifs en heures supplémentaires. Des phénomènes tels que le contrôle des ouvriers après la journée de travail, la passivité des ouvriers, l’adaptation des exercices sportifs au caractère de la production, s’appuyaient sur l’influence idéologique exercée par les journaux patronaux d’usine et sur la propagande de l’« égalité de tous les hommes sous l’uniforme sportif »15. A côté de la bourgeoisie, la Social-démocratie et l’Internationale sportive de Lucerne avaient une activité renforcée dont le but était de liquider le caractère de classe du mouvement sportif ouvrier et de faire ouvertement passer les travailleurs à la collaboration16. 7 Au cours du Ve congrès, les journaux de Moscou prouvèrent en chiffres la supériorité du sport bourgeois et donnèrent une image claire de la faiblesse du sport rouge. Conformément à leurs reportages, plusieurs sections de l’Internationale Rouge des Sports sous-estimaient ce travail. Leurs faibles efforts contrastaient avec le succès des organisations bourgeoises de sports. On admettait qu’en Russie les sports étaient loin d’être rouges ou même ouvriers. Le développement du mouvement avait besoin de fonds17. Le résultat fut que la situation continua de rester de façon écrasante en faveur de la bourgeoisie. Les organisations de jeunesse catholiques avaient, dans 25 pays, 3 millions de membres, les organisations évangéliques dans 45 pays 1,558 millions de membres, les autres organisations chrétiennes 1,5 million de membres. Les Boy Scouts, dans 42 pays, comptaient 2,5 millions de membres. La jeunesse fasciste en Italie, en Allemagne, en Pologne et ailleurs avait 1,125 millions de membres. Au total, il s’agissait d’environ 10 millions de personnes, dont 49 % étaient des ouvriers. Spécialement en Allemagne, il existait 1 000 organisations de jeunesse bourgeoise avec 5,5 millions de membres, incluant 40 organisations religieuses (2 millions de membres), 10 organisations de sports (2 millions de membres), 10 syndicats ouvriers (0,85 millions de membres), 10 organisations fascistes (0,4 million de membres). 40 % de la jeunesse allemande entre 14 et 21 ans étaient membres d’organisations bourgeoises. En Angleterre, 700 000 personnes étaient membres de la Brigade of Youth, 390 000 étaient des Boy Scouts, 150 000 étaient membres de clubs de tir. Aux Etats Unis, les Boy Scouts s’élevaient à 1,180 million de jeunes, en France la Fédération des Sports comptait

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350 000 membres. L’attirance accrue des jeunes vers les organisations de jeunesse bourgeoises, la YMCA [Fraternité Chrétienne des Jeunes], les Boy Scouts et de nombreuses autres organisations, était reconnue. La raison en était en partie l’atmosphère bourgeoise, en partie le fait que l’Internationale communiste des jeunes n’avait pas choisi la meilleure tactique. En opposition aux millions de membres de la jeunesse et de l’enfance bourgeoises, les membres des jeunesses communistes hors de l’Union Soviétique étaient en 1928 seulement de 127 232 (en 1924, 94 832), et ceci avec une fluctuation très importante, 80-90 %. Cette fuite élevée était due au fait que les jeunes se retiraient après avoir satisfait leur curiosité et leur sentiment de nouveauté, ainsi qu’en raison du manque d’intérêt pour le travail sportif. Dans plusieurs sections de l’Internationale communiste des jeunes, l’adhésion était seulement de 15-20 % de la section communiste correspondante. La seule consolation dans cette sombre image était due au fait que l’adversaire au sein du mouvement de classe, l’Internationale socialiste de la jeunesse, était passé à 130 000 personnes, contre 230 000 de 192418. 8 Les dirigeants de l’Internationale communiste des jeunes suggérèrent des mesures d’organisation qui devaient être prises directement. La tâche de chaque section était de créer en son sein un appareil pour le travail sportif, de développer une forte propagande dans les organisations sportives et dans la presse, d’accroître la proportion des jeunes communistes adhérant aux organisations sportives, où ils devaient s’enrôler et y militer ; de créer un réseau de fractions dans toutes les organisations sportives, ouvrières ou bourgeoises, pour diriger le travail des communistes parmi les jeunes sportifs. D’autre part, les tâches politiques de chaque section étaient de rallier les organisations sportives aux revendications du mouvement sportif révolutionnaire, d’enrôler les clubs sportifs ouvriers dans les luttes de la classe ouvrière, en particulier les luttes économiques, les luttes contre la menace de guerre, contre la social- démocratisation du mouvement ouvrier, contre le fascisme. Avec la minutie caractéristique des organes supérieurs, le mécanisme de l’organisation internationale détermina également la voie de l’action de chaque section, tenue de prendre des mesures pratiques qui constituaient les moyens par lesquels les tâches politiques pouvaient être atteintes. Le progrès du sport ouvrier exigeait la participation quotidienne des jeunes communistes au travail sportif, pour gagner la confiance des jeunes ouvriers, tout en développant la lutte pour plus de démocratie, pour l’éligibilité des organes dirigeants, pour le droit des membres à décider eux-mêmes des questions les plus importantes. Afin d’acquérir du sérieux, il était nécessaire pour une association ouvrière de rehausser le travail technique, de l’améliorer radicalement par des cours internationaux et en collaboration avec les institutions techniques et scientifiques du mouvement sportif de l’Union Soviétique. Face à l’« ennemi de classe », la tactique était de combattre les organisations sportives bourgeoises, par la lutte renforcée contre les organisations sportives religieuses, pour créer une scission en leur sein. L’opposition au sport patronal aurait eu deux parties : combattre les clubs patronaux, dénoncer les exercices pendant le travail comme un moyen de renforcer l’exploitation des ouvriers. Si les exercices étaient obligatoires, la tactique était de revendiquer la compensation complète de la force de travail perdue pendant les exercices, par le paiement complet du temps d’exercice, exiger la réduction de la journée de travail et l’augmentation du salaire pour améliorer l’alimentation. L’action contre le travail du patron aurait inclus la propagande, la vente de la presse sportive ouvrière, la création d’organisations sportives ouvrières par usine. Enfin, la tactique face aux réformistes était d’organiser l’opposition dans l’Internationale sportive de Lucerne, par la création de fractions et de

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journaux d’opposition, de renforcer la lutte pour le rétablissement de l’unité et contre la politique de scission. Le poids incombait à l’activité parmi les adhérents de Lucerne de résoudre les thèmes internationaux, contre la rupture des relations sportives de l’Internationale sportive de Lucerne avec l’Internationale Rouge des Sports et avec l’Union Soviétique. La propagande se tournerait vers des questions accessibles aux sportifs ouvriers, par exemple l’interdiction des matchs avec les équipes russes, l’interdiction de la participation à la Spartakiade de Moscou, la liaison organique avec la Social-démocratie19. 9 Dans la matérialisation de toutes ces directives pour diffuser le sport ouvrier et le valoriser dans une direction révolutionnaire, le frein fut constitué par la ligne politique de la « bolchévisation », qui en pratique isolait le mouvement communiste du monde extérieur. Après 1934, avec le changement de tactique de la lutte contre la « dictature bourgeoise » et contre « le socialisme » et la participation avec la classe bourgeoise démocratique et les socialistes à un front antifasciste20, le devoir imposé à la jeunesse révolutionnaire fut d’agir contre le fascisme et en faveur de la paix. De nouveaux modes de défense de la démocratie et de la liberté, questions qui émouvaient les jeunes dans tout l’éventail de leurs préférences politiques, furent recherchés. Le VIe congrès de l’Internationale communiste des jeunes (du 25 septembre au 10 octobre 1935, à Moscou) demanda à ses membres d’adopter une tactique de collaboration à l’égard du camp bourgeois et socialiste, de manière que soit atteinte, dans certains domaines d’activité commune, l’unité de la classe ouvrière dans le syndicalisme, en politique et dans les mouvements de masse. Dans la tactique d’édification de l’alliance était aussi inclus le sport ouvrier21. La nouvelle ligne sur le sport ouvrier fut matérialisée, au cours des années suivantes, par l’approche et la collaboration avec les socialistes22.

2. Le niveau de développement du sport ouvrier en Grèce

10 Parmi les jeunes, la séduction des idées aida le recrutement de masse des membres, des ouvriers et autres, dans l’organisation communiste de la jeunesse, antichambre de l’adhésion au parti communiste. Le 28 juillet 1920, après quelques difficultés23, la Fédération de la Jeunesse Socialiste (Communiste) Ouvrière, instituée par la IVe conférence des Jeunesses de Grèce avec la participation des délégués qui représentaient 8 groupes et 1 000 membres, vit le jour24. Au IIe Congrès mondial de l’Internationale communiste des jeunes, en 1921, participaient les jeunes communistes de Grèce, avec les Jeunesses communistes de Bulgarie, de Yougoslavie et de Bessarabie, les Jeunesses socialistes de Transylvanie et les Jeunesses Social-démocrates de l’Ancienne Roumanie25. La Fédération des jeunesses communistes de Grèce (en grec OKNE), qui fut constituée lors de son premier congrès à Thessalonique, du 12 au 17 décembre 1922, avec la participation de représentants de 8 villes, fut insérée dans l’Internationale communiste des jeunes et dans la Confédération balkanique de la Jeunesse communiste, déclarant qu’elle acceptait toutes leurs décisions26. La jeune organisation traversa une période de crise interne et des chaos, conséquence de phénomènes correspondants dans le parti au cours de la phase de recherche d’une physionomie. En 1927, la réorganisation prévoyait la création de filiales antimilitaristes27. En mars 1927, le nombre global des membres réguliers de la Fédération grecque atteignit nationalement les 14 892 personnes. Dans l’organisation d’Athènes, existaient 3 282 membres, répartis

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en 271 noyaux, et 1 872 sympathisants. D’un point de vue territorial, 64 % appartenaient aux quartiers des réfugiés d’Asie Mineure. Sur une base de production, c’était des ouvriers de l’industrie 12 %, des étudiants 5,5 %, des soldats et des marins 5 %28. Au Ve congrès de l’Internationale communiste des jeunes, en 1928, les représentants grecs M. Nikolaou et Vorinos citèrent que la section, bien que petite, se développait continuellement comme résultat d’une plus grande activité politique, avec un succès dans le travail dans l’armée et la marine conduisant des centaines de soldats dans les prisons militaires29. Au congrès de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce à la fin de janvier 1930, prit part un représentant bulgare de l’Internationale communiste des jeunes, qui donna des instructions sur la propagande chez les jeunes ouvriers. Une conférence nationale des jeunes, en février 1930, fut organisée dans la Journée internationale des jeunes, pour faire de nouveaux recrutements30. A la Conférence communiste de Vienne, la même année, avec la participation d’un représentant de la Fédération grecque, fut soulignée la possibilité d’une action antimilitariste en Grèce31. D’ailleurs, en 1930, fut organisé un mouvement des enfants et furent constituées les premières organisations, à Larissa, Volos, Kilkis (6 groupes ayant au total 40 membres)32; en juin 1930, fut célébrée la Semaine internationale de l’enfant, avec des rassemblements d’enfants, au cours desquels la Fédération grecque distribua le journal édité dans ce but pour les enfants d’ouvriers33.

11 Dans la fièvre d’organisation et dans la lutte pour une intégration complète de la jeunesse communiste grecque dans le cadre du mouvement révolutionnaire international, le souci pour développer un travail de masse tel que le sport ouvrier était mince. Des associations furent fondées, mais leur coordination politique était imparfaite. Un facteur supplémentaire contraire était le degré relativement élevé d’organisation du sport en Grèce, sur la base d’un cadre qui desservait la reproduction des valeurs traditionnelles. Toutes les classes sociales y participaient, notamment les couches moyennes et les ouvriers. 12 La particularité dans l’opposition idéologique en Grèce était l’inexistence d’un espace socialiste. L’adversaire de la jeunesse révolutionnaire était le regroupement des organisations qui représentaient les forces dominantes au pouvoir. L’Association des Boy Scouts en Grèce ainsi que la Young Men’s Christian Association (YMCA) arrivaient en tête. Le scoutisme, comme système d’occupation et d’éducation extra-scolaires, s’inscrivait dans le cadre d’utilisation du sport comme moyen de mainmise, ayant pour but l’éducation de la nouvelle génération aux idéaux traditionnels de la société34; en Grèce, un des buts était la pré-éducation militaire des enfants grecs35. Au-delà, les Boy Scouts s’immiscèrent dans la lutte contre le communisme, demandant une aide économique aux Américains afin d’y répondre efficacement. En 1928, le Near East Relief – une organisation semi-gouvernementale – écrivait au ministère des Affaires étrangères (State Dept.) à Washington : « Le pays est submergé par la propagande communiste… Les Boy Scouts inaugurent une campagne à l’échelle nationale pour aider tous les enfants à contrecarrer le communisme36 ». L’implication de la YMCA, plus compliquée, était non seulement idéologique mais aussi politique. Les officiels de l’association, en dehors du travail en vue de la diffusion des sports, qu’ils recommandaient sans réserve comme moyen d’éducation37, s’occupaient de l’envoi d’informations confidentielles au State Dept. sur le mouvement communiste dans les Balkans38, sur les évolutions politiques en Grèce et l’immixtion des forces étrangères39, sur les questions internationales et religieuses dans les Balkans40, sur les occasions

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d’investissements et leur sécurité41. De l’aveu des Américains eux-mêmes, la YMCA, de par son influence sur la population et spécialement sur l’armée, exerçait en Grèce un rôle non négligeable au service des Etats-Unis et de leurs intérêts42. 13 Après la dictature des années 1925-1926, la Fédération des jeunesses communistes de Grèce s’occupa des problèmes directs, de la question de l’organisation, des élections législatives, sans toutefois poser dans ses circulaires la question du sport. Le comité central du Parti communiste de Grèce, dans son rapport d’activité pour l’automne 1926 et pour l’hiver 1927, enregistra les conclusions de l’effort d’organisation chez les jeunes et le progrès dans les recrutements, avec des estimations sur le mouvement antimilitariste, ouvrier et paysan, sans référence au thème du sport ouvrier43. Le mouvement sportif avait néanmoins déjà commencé par l’action d’une commission sur le sport auprès du comité central de la Fédération des jeunesses communistes. Finalement, en mars 1927, une circulaire de la commission du sport adressée à toutes les organisations de la Fédération suggérait l’organisation du sport ouvrier44. Conformément au point de vue des rédacteurs du texte, en Grèce, comme dans le monde entier, de nouvelles couches ouvrières demandaient sans cesse un réconfort et une distraction en s’adonnant aux sports. La classe bourgeoise attira la jeunesse ouvrière vers l’athlétisme en faisant la propagande de ses valeurs, en cultivant le chauvinisme, en entravant la lutte révolutionnaire. De nombreuses organisations sportives dans le monde constituaient la base des organisations fascistes. Les socialistes, « laquais de la classe bourgeoise », proclamaient le « sport neutre en matière de lutte des classes ». Le mot d’ordre de la Fédération grecque était « le sport et l’athlétisme pour la lutte des classes ». Sans convertir les clubs sportifs en organisations de parti, la jeunesse révolutionnaire devait cultiver en eux la conscience de classe et les attirer vers le front de la lutte. Le gain de la jeunesse communiste dans l’organisation du sport ouvrier était qu’elle s’opposait aux projets de la classe bourgeoise, rapprochait du combat de nouvelles couches de la jeunesse, contribuait à la culture des forces corporelles des jeunes ouvriers, en réagissant contre les conséquences destructrices du travail manuel, en offrant une distraction et une occupation, en empêchant la dégénérescence sociale à laquelle le capitalisme les avait condamnés. Par la suite, la dite circulaire donnait le cadre théorique de l’organisation. Au niveau du parti, au sein de chaque association sportive aurait dû se trouver une fraction qui aurait pris soin du respect de la ligne du parti. Au niveau de l’organisation de masse, aurait dû être créée, dans chaque petite ville et village, une association qui aurait différents groupes, comme ceux du football, des autres sports, des excursions. Dans les plus grandes villes, des clubs de quartiers, clubs par syndicat et par usine, s’uniraient par le biais d’un conseil d’administration local. Les associations locales constitueraient la fédération des sports ouvriers, qui procéderait à un congrès et serait reliée à l’Internationale Rouge des Sports. La circulaire faisait également la suggestion que soient acceptés dans chaque association ouvrière locale d’autres groupes ou associations, ouvriers et réfugiés, qui conserveraient leur nom et leur autonomie [à savoir que l’association locale évoluerait en commission locale, qui fonctionnerait comme fédération locale ; ainsi en résultait-il une pyramide, avec la commission locale fonctionnant comme une fédération et la commission centrale d’Athènes comme une confédération]. Après le cadre théorique d’organisation, la circulaire prévoyait les mesures pratiques d’organisation du travail au sein des sports. La structure communiste au sein des organisations sportives devait être édifiée à la charge des membres du parti de s’insérer dans les associations et de constituer des fractions. Les fractions seraient créées de la base (fractions de clubs,

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d’associations d’usines, d’associations de quartiers) jusqu’aux conseils d’administration locaux. Chaque fraction aurait un bureau [secrétaire et membres du bureau] et serait dirigée, sur une base territoriale ou productive, par une organisation communiste supérieure correspondante45. 14 L’un des devoirs directs posé aux groupes sportifs fut la réalisation de recettes exceptionnelles. Là où les équipes rouges étaient puissantes, elles pouvaient disposer pour la jeunesse communiste des perceptions provenant d’un jeu46. 15 Pendant la période avril-juin 1927, les associations du sport ouvrier à Athènes, au Pirée, à Patras, à Héraklion, à Volos, à Larissa, à Thessalonique, à Cavala, à Xanthi, à Drama participaient à la procédure d’élection des ouvriers pour leur mission en Russie47. En novembre 1927, commença dans le parti communiste grec la préparation du 1er congrès fondateur de la Fédération du Sport Ouvrier de Grèce. La commission d’organisation du Sport Ouvrier déclara qu’elle travaillait en vue de la réussite de l’opération, ayant pour but de soustraire la jeunesse à l’influence bourgeoise et de recruter de nouveaux membres dans la Fédération des jeunesses communistes48. En décembre 1927, fut créée une fédération non officielle du sport ouvrier, ayant ses bureaux au 10 de la rue Lykourgos – Athènes, à laquelle adhérèrent les associations de Patras, de la Canée, d’Agrinion, de Lamia, de Karditsa, de Sophadès en Thessalie, de Thessalonique, de Drama, de Tsataltza, d’Alexandroupolis49. La propagande porta ses fruits, un essor du sport ouvrier fut remarqué à une échelle nationale. En octobre 1928, eut lieu la 1ère Conférence nationale du sport ouvrier50. A cette époque, existaient 1 800 membres dans tout le pays, en détail à Athènes 350 membres (répartis en 17 associations sportives), au Pirée 60, à Volos 80, à Thessalonique 100, à Cavala 250, à Drama 80, à Tsataltza 40, à Xanthi 150, les membres restants dans 20-25 autres villes et villages51. A ce nombre de jeunes sportifs et dans ces lieux fut réalisée dans une certaine mesure la promesse de la Fédération des jeunesses communistes d’un autre mode de vie et d’une culture d’une autre idéologie. 16 En 1929, année de l’institution de la loi injuste (idiônymos), le travail de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce en matière de sport ouvrier est devenue plus difficile, sans toutefois cesser52. Le 27 avril 1930, on parvint finalement à la création de l’organe du second degré, de la Fédération du Sport Ouvrier de Grèce – Section de l’Internationale Rouge des Sports, avec son Premier congrès fondateur53. Le premier secrétaire de la Fédération qui fut mis en place était Kostas Loulès ; il resta à ce poste pendant un an, jusqu’en 1931. En juin 1930, fut publié l’organe de la Fédération, le Sport ouvrier-paysan, un journal de quatre pages de petit format. Il était mensuel et connut un succès relatif, avec un tirage de 3 000 exemplaires54. Membres de la Fédération du Sport Ouvrier, selon un rapport du service de sûreté, étaient les associations suivantes : • Périphérie d’Athènes : Félix Dzerzinskij, Intrépide, Club Sportif d’Athènes, Grokelminos, Esclave (syndicat de ravitaillement), Club Ouvirer d’Ambélokipoi, Renaissance, Club d’Hospice, Hermès de Byron, L’Arménienne Ouvrière, l’Irrépressible de Rouf, l’Eclair de Lévidi, la Flamme d’Athènes, l’Étoile Ouvrière, Spartakus, Union des Employés privés, Renaissance d’Athènes. • Périphérie du Pirée : Etoile des usines de peinture du Pirée, Etoile de Phréatis, Etoile de Kaminion, Spartakus, Club des Ouvriers tailleurs, Prométhée de Kokkinia, L’Arménien du Pirée, Club des usines d’engrais, Étoile de saint Basile, Akritas de Drapetsona. • Laurion : Olympique, Tonnerre de Laurion. • Corinthe : Club Sportif Ouvrier de Corinthe.

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• Volos : La Tempête des Cordonniers de Volos. • Thessalonique : Club Ouvrier musico-sportif de la Bourse du Travail de Thessalonique. • Cavala : L’Etoile Ouvrière, La Gloire Ouvrière de Cavala. • Pravion : L’Etoile de Pravion. • Drama : L’Etoile Ouvrière de Drama. • Xanthi : Progrès Ouvrier de Xanthi55.

17 Parmi ceux-ci, les corporations qui avaient suivi la procédure juridique de reconnaissance étaient en nombre limité. A Athènes, par exemple, des corporations ci- dessus, seuls l’Association Sportive et de Football d’Athènes L’Intrépide, l’Association de loisirs « La Renaissance », Le Club Sportif Ouvrier d’Athènes, L’Union Sportive des Employés privés d’Athènes étaient inscrites aux Archives des Corporations Reconnues d’Athènes56.

18 En dehors des associations rouges qui étaient citées dans le rapport du service de sûreté, existaient en outre de nombreuses autres de la même orientation, éparpillées dans tout le pays. Il existait également des associations sportives des ouvriers et employés qui n’avaient pas de rapport avec le mouvement révolutionnaire. Telles étaient, par exemple, à Athènes les associations reconnues Union Sportive des Commis de commerce d’Athènes, Club Sportif PTT, Club sportif des Employés des Sociétés Anonymes et des Banques57. 19 Le football, la boxe, la lutte, la natation, la course ainsi que les excursions et l’alpinisme étaient populaires dans le sport ouvrier. Au printemps et en été 1931, la Fédération du Sport Ouvrier, promouvant la participation à la 2e Spartakiade Mondiale à Berlin, mobilisa 10 000 jeunes, athlètes et amis du sport, qui participaient aux manifestations58. Le régime de semi-illégalité, en raison de la loi, et la stagnation économique empêchèrent finalement l’envoi des athlètes grecs59. Le 5 et 6 juillet 1931, eut lieu, à Thessalonique, la 2e Conférence nationale de la Fédération du sport ouvrier. Y participaient 55 représentants d’Athènes, du Pirée, de Corinthe, de Thèbes, de Volos, de Larissa, de Thessalonique, de Kilkis, de Serrès, de Drama, de Tsataltza, de Xanthi, de Komotini et de Lesbos. La militarisation du sport et de la jeunesse ouvrière était un sujet central de discussion. Les nouveaux statuts de l’organisation furent approuvés et elle prit le titre de Fédération du Sport Ouvrier-Paysan. La date de la convocation du Second congrès pour février ou mars 1932 a été fixée60 (finalement, il eut lieu le 15 octobre 193361). 20 Le terme « Ouvrier-Paysan » dans le titre de la Fédération mettait en évidence une tactique. La ligne générale qu’appliqua le Parti communiste de Grèce matérialisait la position du VIIIe congrès de la Fédération Communiste Balkanique de 1928 sur un front d’ouvriers, de paysans et de mouvements de libération nationale. Pour la classe ouvrière, par rapport aux autres classes, capitale était la question relative au rapprochement avec les paysans, qui, sans rechercher la cause de leur récession dans l’organisation économique de la société, étaient toutefois disposés à se solidariser avec les ouvriers pour des revendications communes, dans le cas concret pour la revendication d’un sport ayant des objectifs élevés. 21 Malgré les efforts honorables de la Fédération hellénique, les dirigeants de la Fédération Communiste Balkanique considéraient que si la position des jeunes communistes grecs, en 1931, connaissait en général un meilleur sort dans les Balkans, elle demeurait désavantageuse spécialement dans le sport ouvrier, avec de fortes faiblesses organisationnelles, notamment dans les entreprises et dans sa participation

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au combat politique62. Une résolution spéciale sur les sports rouges avait été prise, en juin 1930, lors d’une conférence de la Fédération Communiste Balkanique, où fut posée la question de la liaison du mouvement des sports en Grèce avec les combats de la classe ouvrière, tout en soulignant l’obligation d’agir sans subir de sanctions en raison de la loi63. Cependant, les instructions des organes internationaux constituaient une transposition stérile du modèle international du sport ouvrier dans les conditions de la Grèce, où de grandes usines n’existaient qu’en nombre limité. La principale composante de la classe ouvrière et de son mouvement dans le pays était les ouvriers du tabac, qui travaillaient dans les très nombreux ateliers de manipulation du tabac, version grecque de l’entreprise industrielle. Dans le « triangle du tabac64 », les syndicats des ouvriers du tabac, par exemple le Progrès de Xanthi ou le syndicat des ouvriers du tabac de Kozani, fondèrent des annexes sportives65. La plus grande participation au sport ouvrier avait été remarquée dans les centres de manipulation du tabac. Nous constatons que ce n’était pas la négligence de la jeunesse communiste qui était en cause mais l’éparpillement de la classe ouvrière dans de nombreuses petites entreprises, une réalité qui suggérait en pratique l’organisation du sport ouvrier non par lieu de travail (entreprises) mais par branche de spécialité (ouvriers du tabac). L’insistance à appliquer le modèle international méconnaissait également la question du chômage des ouvriers du tabac, qui était un élément organique de cette spécialité (travail saisonnier). Dépasser le problème de la grande perte de membres de parti, en raison du chômage et de la dissolution des noyaux communistes dans les entreprises, surtout dans les ateliers du tabac de la Grèce du Nord66, conduisait les communistes grecs à se demander s’ils devaient adopter la forme d’organisation sur une base territoriale (par lieu d’habitation) et non sur une base productive (par lieu de travail)67. Cependant, dans ce cas également, la valeur du sport ouvrier pour faire face au problème du chômage, la possibilité que ce dernier offrait pour maintenir un tissu unificateur parmi les ouvriers chômeurs, ainsi que parmi les ouvriers du tabac qui se déplaçaient de lieu en lieu à la recherche d’un travail, étaient méconnues. 22 En 1933, les excursions de la Fédération du Sport Ouvrier-Paysan s’accompagnaient de concours de natation, d’exhibition de boxe et de lutte, de matchs de volley, de courses tout terrain, de courses de relais. L’étoile de l’Internationale communiste des jeunes ornait les uniformes des footballeurs. On prêta attention au volley féminin68. La même année, fut organisée une propagande en vue de la participation au Congrès International des Jeunesses contre le fascisme et la guerre, qui était programmé pour avoir lieu à Paris, du 23 au 25 septembre 1933. Des réunions furent réalisées dans tout le pays, des rassemblements dans les syndicats, dans les usines, dans les associations sportives69. Géorgios Kypriou, secrétaire de la Fédération du Sport Ouvrier-Paysan, fut élu après des réunions et des assemblées des jeunes ouvriers et des organisations sportives et participa au congrès comme représentant de la Grèce70. 23 Le tournant dans la politique du Komintern en 1934 conduisit la jeunesse révolutionnaire grecque à s’aligner sur elle, avec une répercussion également sur le sport ouvrier ; une délégation grecque participa au VIe congrès de l’Internationale communiste des jeunes, et y témoigna de son expérience71. Dans le pays, dans les conditions qui finalement conduisirent au rétablissement de la royauté (1935) et, par la suite, à l’instauration de la dictature fasciste (1936), les communistes prirent des initiatives pour la création d’un front et pour la promotion de l’unité d’action de la jeunesse. Cette nouvelle conception se combina à un mouvement plus général, qui

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comprenait le sport mais aussi toutes les expressions de la vie culturelle des jeunes, des arts (la musique, le théâtre) jusqu’aux rencontres et conférences72. 24 La dictature de 1936 fit du sport ouvrier une affaire d’Etat, sur le modèle du système fasciste. La propagande idéologique se concentra sur le contenu moral du sport pour les ouvriers et sur les idéaux nationaux que sa culture servait, par un hymne au sport de compétition et sur la récompense que celui-ci offrait aux travailleurs. La loi 665 de 1937 sur le Foyer Ouvrier stipulait qu’était assurée la distraction des travailleurs par l’organisation d’excursions et par la fondation de centres de distraction et d’éducation physique. En 1938, fut recherché le cadre organisationnel approprié de développement du sport patronal et de son financement par les entreprises73. Par ces mesures, l’Etat considéra qu’il dépassait les régimes précédents dans le souci du devoir sacré du sport ouvrier et que ce nouveau souffle, sur le modèle des Etats civilisés d’Europe, de l’Italie et de l’Allemagne, était un indice du haut niveau de la Troisième Civilisation Hellénique74.

3. Dans la ville de tradition socialiste

25 À Thessalonique, le mouvement de la jeunesse révolutionnaire avait une tradition dès l’époque de la domination ottomane, lorsque les jeunes juifs créèrent la Jeunesse Socialiste de Thessalonique, Section de la Fédération Socialiste Ouvrière de Thessalonique75. Cette organisation avait mis l’accent sur la culture et sur le sport (en septembre 1918 – à la veille de son adhésion au parti ouvrier grec –, elle avait une bibliothèque d’une valeur de 80 000 francs, des sections de littérature, d’art dramatique, de gymnastique76). Après 1918, le mouvement révolutionnaire de la ville disposait de deux foyers, la Jeunesse et les ouvriers du tabac (en 1922, leur force correspondait à 4 000 et 4 500 personnes respectivement77). En 1920, le groupe de Thessalonique était l’organisation la plus nombreuse qui participa à la création de la Fédération de la Jeunesse Socialiste (Communiste) Ouvrière78. En 1922, des délégués de Thessalonique étaient présents lors de la constitution de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce79. On proposa, alors, la ville pour siège de l’organisation, étant donné que sa région était considérée comme un espace où le mouvement ouvrier était plus développé et le nombre des jeunes communistes y était beaucoup plus élevé que celui d’Athènes. La Fédération maintint son siège à Thessalonique jusqu’en 1924. En janvier 1927, lors d’une conférence de l’organisation, on constata le développement de la section de Thessalonique. De 350 les membres devinrent 1 000, répartis en 160 cellules ; il existait également 1 400 sympathisants-membres candidats, répartis en groupes ; de nombreux rassemblements s’organisaient, des associations sportives ouvrières se créaient80.

26 Le sport ouvrier dans la ville eut une activité seulement après 1925. Il existait cinq associations ouvrières, par ordre de date de création l’Association de Gymnastique des Cheminots de Thessalonique « le Thermaïque », l’Association de Football des Employés de la Compagnie des Tramways et d’Eclairage Electriques de Thessalonique, l’Association de Football et de l’Athlétisme « O Ergatikos Astir [L’Étoile Ouvrière] », le Club d’Athlétisme et de Football « Union des commis de commerce », le Club d’Athlétisme de Thessalonique PTT81. Parmi celles-ci, l’association des employés du tramway, ayant une composition sociale et nationale non mélangée (travailleurs grecs), était liée au syndicat des employés du tramway, membre de la Bourse du Travail, sous

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contrôle communiste. L’Étoile Ouvrière était un club de composition sociale non mélangée (personnes ayant une relation subordonnée de travail ou employés isolés [à savoir des personnes, ainsi que les membres de leurs familles, travaillant pour leur compte dans leur propre petite entreprise]) et de composition nationale variée (au premier conseil d’administration composé de six membres, en 1926, participaient 4 Grecs, un Juif et un Arménien82), lié à la jeunesse communiste. 27 À cette époque, dans la ville, le football connaissait un épanouissement exceptionnel. Les associations qui disposaient d’équipes de football, dans leur majorité, étaient constituées de membres qui appartenaient à toutes les classes sociales et étaient animés de conceptions idéologiques différentes. Si nous prenons, par exemple, l’Association de Gymnastique « Alexandre le Grand », nous constatons que ses membres étaient de petits professionnels, des techniciens, des travailleurs, des élèves, qui couvraient tout l’éventail des conceptions idéologiques, parmi eux le membre fondateur Géorgios Karras, employé du tramway, cadre du parti communiste83. 28 Parmi les associations ouvrières de football, L’Étoile Ouvrière était composée de membres d’une identité idéologique claire. L’association sioniste Maccabi [Maccabées]84, ainsi que deux autres petites équipes de football israélites composées de communistes85 avaient également une identité nationale et idéologiquement claire. 29 En 1926, sur un total de 461 personnes qui s’occupaient de football et étaient inscrites officiellement sur les registres de la Fédération des équipes de football de Macédoine et de Thrace, les proportions étaient, • – par tranche d’âge, plus que 30 ans 2,20 %, 25-30 ans 7,91 %, 20-25 ans 31,87 %, moins de 20 ans 58,02 %, • – par nationalité, Grecs 92,39 %, Juifs 6,30 %, Arméniens 1,30 %, • – par lieu de provenance, réfugiés d’Asie Mineure 45,14 %, natifs de Thessalonique 45,14 %, provenant d’autres régions de la Grèce 9,03 %, provenant de pays étrangers 0,69 %, • – par profession, personnes ayant une relation subordonnée de travail, employés isolés 61,10 %, personnes dans les emplois publics 7,03 %, employeurs, professions libérales 8,79 %, autres (élèves, étudiants, etc.) 23,08 %.

30 Les membres des clubs ouvriers (53 personnes)86 étaient classés, par lieu de provenance, natifs de Thessalonique 50,00 %, réfugiés 30,43 %, provenant d’autres régions de la Grèce 17,39 %, provenant de pays étrangers 2,17 %. Par profession, ils étaient : personnes ayant une relation subordonnée de travail, employées isolées 86,79 %, personnes dans les emplois publics 3,77 %, autres (élèves, étudiants, etc.) 9,43 %.

31 Les membres du club ouvrier communiste l’ « Étoile Ouvrière » (33 personnes) étaient, sur le total des footballeurs, de 6,94 %. Par lieu de provenance, ils étaient : réfugiés 62,96 %, indigènes 37,04 %. Par profession, ils étaient : personnes ayant une relation subordonnée de travail ou employées isolées 81,82 %, personnes dans les emplois publics 6,06 %, autres (élèves, étudiants, etc.) 12,12 %. 32 Les Juifs (30 personnes), par référence à leurs conceptions sociales et politiques, étaient : sionistes 73,33 %, communistes 10,00 %, autres 16,67 %87. 33 Dans le domaine du sport de la jeunesse communiste, la charge incombait, comme le révèlent les éléments ci-dessus, à l’ « Étoile Ouvrière ». Elle se distinguait par sa bonne équipe sur le terrain (aux championnats pendant les trois années 1926-1929, elle se plaçait parmi les équipes de la 2e division88), alors qu’elle développait simultanément une action politique.

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34 Dans la composition de l’« Étoile Ouvrière » par lieu de provenance, nous remarquons dans la statistique que deux sur ses trois membres étaient des réfugiés d’Asie Mineure. Le phénomène a son interprétation. Les réfugiés qui arrivaient en Grèce – déjà dès 1914, mais surtout après 1922 –, étaient la troisième composante du Front Unitaire des Ouvriers, Paysans et Réfugiés [front électoral du Parti communiste de Grèce]. En opposition avec une partie de la population ouvrière autochtone, les réfugiés qui arrivaient dans les nouveaux lieux de séjour avaient dégénéré en prolétaires dans toute la signification littérale du terme, privés de terre ou d’autres biens, sans racines ni liens dans les villages. Dépouillés de ressources alternatives, ils ne disposaient que de leur force de travail. Ils furent actifs dans le mouvement de masse des réfugiés, dans les coopératives agricoles et urbaines, dans les associations de réfugiés des villages, dans les associations de quartiers, dans les organisations professionnelles et ouvrières, dans les associations culturelles et, dans notre cas, dans le sport ouvrier. 35 Jusqu’en 1927, la situation reste négative ; les résolutions du Parti communiste de Grèce faisaient pression pour accorder de l’importance au développement de la jeunesse communiste mais aucune référence n’était faite au sport89. C’est seulement dans un document de l’automne 1927, faisant mention de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce, que fut faite la suggestion de réaliser des fractions dans toutes les associations sportives et de réfugiés de la région90; mais dans ce cas aussi, après avoir donné la ligne initiale, la question fut abandonnée à son sort. 36 Sur la base de la directive pour un système d’organisation centralisé, l’équipe locale l’« Étoile Macédonienne » après mars 1927 continua son fonctionnement comme annexe de l’« Étoile Ouvrière ». Pour la coordination du travail fut créée une commission du sport ouvrier (Pantélis Simos fut désigné comme son président), qui rendait compte à la commission périphérique de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce91. On tenta de créer des équipes sportives par branche de production92. 37 Un sérieux obstacle à la propagande sur le sport ouvrier dans la ville fut l’activité des adversaires idéologiques, surtout du scoutisme et de la YMCA. 38 Le scoutisme fut fondé à Thessalonique en 1912 par Alexandre Pétridis, qui créa le Groupe des Chefs des Boy Scouts. Ses membres faisaient leurs études à l’institution des garçons, selon un programme d’éducation accélérée annuel, et par la suite étaient nommés dans des villes et des villages de la Macédoine où ils créaient des groupes de Boy Scouts. L’organisation du scoutisme progressa avec une direction nommée et des cadres rémunérés, avec la fourniture d’uniformes et d’autres accessoires aux simples membres, avec le paiement de frais exceptionnels93. 39 La YMCA de Thessalonique apparut en 1917 comme mission militaire de la YMCA de New York sur le front macédonien. Ses deux directeurs américains, Richard Boardman et H. Henderson, firent preuve de leur activité, en fondant des centres de distraction pour les soldats. La section militaire de la YMCA de Thessalonique étendit son action à l’armée grecque et en 1924 augmenta le nombre de ses centres de 1 à 7. La section religieuse fonctionna en 1923, avec 72 centres de catéchisme comprenant 750 élèves, avec des conférences de contenu moral et religieux, avec 230 orateurs dans les maisons du soldat s’adressant à un auditoire de 35 000 personnes. Le nombre global des soldats de passage était de 1 225 000 personnes94. Le sport était une obligation statutaire de la YMCA de Thessalonique. En 1923, on fit don de 16 stremmes dans le centre de la ville, où furent construits un bâtiment avec un gymnase couvert, un terrain et une piste pour

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les activités sportives95. Depuis lors l’ingérence de l’organisation dans le sport de la ville fut intense. Un rôle correspondant pour les jeunes filles fut joué par l’Union Chrétienne de Jeunes Filles96. 40 Une particularité de la ville et de la région avoisinante fut la rivalité du communisme avec le sionisme. Les communistes revendiquaient pour eux-mêmes l’influence sur la jeunesse juive (les 5 membres du comité central de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce pour l’an 1923 étaient 3 Grecs et 2 Juifs97), face aux sionistes qui avaient une activité considérable au sein de la nombreuse population juive locale. L’insistance à organiser le sport ouvrier coïncide avec la croissance de l’effort des sionistes. La Conférence des Sionistes de Grèce, en 1927, affirma sa volonté que les jeunes juifs soient élevés dans un esprit tendant à les rendre conscients98; des tentatives furent déployées pour attirer les jeunes juifs des villes provinciales vers le mouvement sioniste99. L’un des fers de lance du sionisme, dès l’époque de la domination ottomane, fut l’union sportive « Maccabi »100. L’organisation disposait d’une section de boy scouts, qui s’incorpora, en 1919, au scoutisme grec. Les chefs et sous-chefs (12 personnes) étaient rémunérés tout comme les Grecs101. Au début de 1923, les boy scouts de « Maccabi » obtinrent le privilège de dépendre non de l’autorité locale des boy scouts mais du centre et de faire la propagande de leur idéologie, jurant foi et dévouement en leur patrie (Grèce) mais aussi en la nation juive102. En matière de football, « Maccabi » avait une forte activité ; elle disposait d’une équipe qui lors des championnats dans les deux années 1926-1928 jouait en 2e division, au championnat de l’année 1928-1929 en 3e division103. L’opposition des communistes et des sionistes connut même des excès. Dans un cas, le 31 octobre 1926, une bagarre fut provoquée au gymnase de « Maccabi », où pénétrèrent 100 communistes israélites qui poursuivirent les athlètes et en blessèrent de nombreux104. 41 Le second écueil dans l’action du sport de la jeunesse révolutionnaire, en dehors de l’opposition idéologique avec ses adversaires, fut la répression exercée par l’Etat, la surveillance par la Sûreté spéciale105 et les poursuites106. Après 1929, l’application de la loi mit le sport ouvrier dans une rude position et provoqua la création d’associations qui fonctionnaient comme un paravent (Association Culturelle Sportive « Nouvelle vie », Club Artistique Ouvrier). 42 En 1931, l’interdiction de la rencontre périphérique des clubs sportifs ouvriers de Kilkis et de Serrès, qui devait avoir lieu le dimanche 31 mai, provoqua de fortes protestations. Une nouvelle rencontre fut programmée pour le dimanche 7 juin 1931. La préparation de la 2e conférence de la fédération du sport ouvrier qui avait été programmée pour le 21 juin 1931 à Thessalonique se poursuivit également. L’intention des organisateurs était qu’aient lieu, le 21 et le 22 juin 1931, des rencontres ouvrières nationales en vue de désigner les équipes de football et d’autres sports pour leur participation à la 2e Spartakiade de Berlin. Les autorités y mirent interdiction sous le justificatif qu’il s’agissait d’activité communiste107. Une nouvelle date pour le déroulement de la 2e conférence et des matchs fut fixée pour le 5 et le 6 juillet ; les autorités, sous le même argument, refusèrent de fournir les autorisations et les terrains, mais finalement cédèrent108. 43 Dans leur lutte contre le fascisme, les jeunes communistes exploitèrent, après 1934, la ligne de collaboration avec les partis politiques adverses, entrant en contact avec d’autres organisations de la jeunesse et proposant une plate-forme commune d’action. Les contacts s’étendirent aussi à la culture et au sport, par des ententes avec les

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associations sportives et culturelles des quartiers populaires de la ville. Très vite des résultats encourageants furent constatés ; un climat de confiance remplaça la première méfiance. Furent organisées des conférences communes, dans lesquelles Panagiotis Dimitriou, âgé de 18 ans, représentait les jeunes communistes, sous la conduite de Christos Maltézos, secrétaire de la Fédération des jeunesses communistes de Grèce, et de Vassilios Bartziotas, secrétaire du Comité Périphérique de la Macédoine orientale et de la Thrace de la fédération. Les fruits en furent, en 1935, un accord entre environ 50 organisations, qui prolongèrent l’ampleur de la collaboration, au-delà des buts politiques (défense de la République, lutte contre le fascisme), au sport, à l’éducation et à la culture109. En 1936, lorsque le front anti-fasciste mondial fit le boycottage des Jeux Olympiques de Berlin, en organisant l’Olympiada Popular de Barcelone (finalement elle n’eut jamais lieu en raison de l’explosion de la guerre civile espagnole110), l’organisation de gauche des étudiants et autres organisations anti-fascistes de Thessalonique participèrent activement ; l’étudiant en Agronomie Vyron Veinoglou fut élu pour y participer et une souscription eut lieu pour payer les frais111. 44 Au cours de la dictature (1936-1941), le sport des jeunes et plus spécialement le sport ouvrier passa sous la compétence de la YMCA de Thessalonique (jusqu’en décembre 1939, au moment de sa dissolution par le régime) et de la jeunesse fasciste (Organisation Nationale de la Jeunesse). La YMCA de Thessalonique créa un cercle pour les étudiants, le 7 février 1937, en leur offrant également la possibilité d’utiliser le gymnase couvert et de participer aux excursions. Le même jour, la Young Women’s Christian Association inaugura un cercle pour les jeunes travailleuses, où elles pourraient trouver un environnement les reposant intellectuellement et physiquement de la fatigue de la journée112. En octobre 1939, la YMCA de Thessalonique détermina les heures de gymnastique suédoise pour les ouvriers qui exerçaient des professions sédentaires et laborieuses (imprimeurs, cordonniers, tailleurs, etc.)113. De son côté, la jeunesse fasciste avait des devoirs plus généraux. Furent créées des sections de l’Organisation Nationale de la Jeunesse dans et hors des écoles, qui faisaient la propagande du sport et de l’endurcissement comme deux des premiers moyens par lesquels seraient armés les Grecs de demain pour une meilleure réussite des grandes aspirations de la Nouvelle Grèce. En décembre 1938, eut lieu une réorganisation du Bureau de l’Education Physique et une proclamation de matchs locaux avec la participation obligatoire des Phalangistes114. Des cérémonies et des défilés de la jeunesse fasciste ainsi que des exhibitions de gymnastique eurent lieu, à l’occasion d’événements tels que la célébration de l’année de fondation de l’Organisation Nationale de la Jeunesse ou de la Foire Internationale de Thessalonique115.

4. Epilogue

45 L’action de la jeunesse révolutionnaire dans le sport ouvrier en Grèce se limita dans le temps à la période 1926-1936 – entre les deux dictatures de l’entre-deux-guerres – et socialement au cadre étouffant de la loi de 1929. Dans la mesure où le mouvement grec s’adaptait (surtout après 1924) aux exigences organisationnelles de la Fédération Communiste Balkanique, l’application des résolutions de l’organe supérieur fut envisagée comme une condition nécessaire au dénouement heureux de la lutte. Pourtant dans la complexité des événements et de l’environnement d’un petit pays en voie de développement, insérés dans une ligne politique dont l’objectif principal était le

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renforcement de l’Union Soviétique, les communistes n’avaient pas la perception des évolutions. Ils furent conviés à développer une action dans le sport ouvrier, ayant été englobés dans une stratégie mondiale qu’ils ne comprenaient pas dans son ensemble. Ils ne pouvaient pas comprendre les corrélations dans le dédale politique mondial, ils appliquaient seulement les ordres à la lettre. Dans la région de Thessalonique, l’application du modèle international du sport ouvrier, dans des voies qui ne prenaient pas en considération les particularités du mouvement ouvrier grec, n’a pas conduit au but recherché, à une intervention politique renforcée. Le sport ouvrier resta dans l’histoire de la ville comme une page supplémentaire d’intervention de caractère romantique en faveur d’idéaux sociaux que poursuivaient les jeunes communistes grecs.

NOTES

1. Берлинский Конгресс К.И.М., Молодая Гвардия, Moscou-Leningrad 1925, p. 104. 2. Correspondance Internationale des Jeunesses, 2, No 3, 3-5-1921, p. 1 ; 2, No 9, 10-7-1921, p. 2. 3. Internationale Jugendkorrespondenz, 2, No 5, 10-2-1921, « For des Gründung einer Balkan-Donau- Föderation des kommunistischen Jugend-organisationen » ; Archives du Parti communiste Bulgare (C.P.A.), f. 146, op. 6, a.e. 390, Bilan de la Présidence de la Fédération Communiste Balkanique (pour la période du 17 décembre 1923 au 31 mars 1924) (en bulg.). 4. John HARGREAVES, Sport, Power and Culture, Polity Press, Cambridge 1986, passim ; Leisure, Sport and Working-Class Cultures : Theory and History, sous la direction de Hart CANTELON et Robert HOLLANDS, Garamond Press, Toronto 1988, p. 11-40. 5. Pour la période de l’entre-deux-guerres, voir James RIORDAN, Sport in Soviet Society, Cambridge University Press, Cambridge etc. 1977, p. 68-152. 6. André GOUNOT, « Sport réformiste ou sport révolutionnaire ? Les débuts des Internationales sportives ouvrières », dans Les origines du sport ouvrier en Europe, travail collectif sous la direction de Pierre Arnaud, L’Harmattan, Paris 1994, p. 219-245. 7. Correspondance internationale des jeunesses, 3, N° 7, 1-5-1922 ; André GOUNOT, « Les Spartakiades internationales, manifestations sportives et politiques du communisme », Cahiers d’Histoire, No 88, 2002, p. 60-67. 8. Манифест первото конгресса Коммунистического Интернационала Молодижи, Смоленск, Коммунистический Союз молодижи и Литвы и Белорссии, 1920, 8 pp. ; La correspondance internationale, « Sur l’Internationale Communiste des Jeunesses », 4, No 64, 10 septembre 1924, p. 682 ; Richard KORNELL, Revolutionary Vanguard : The early years of the Communist Youth International, 1914-1924, University of Toronto Press, Toronto etc. 1982, p. 220-232, 282-284. 9. La correspondance internationale, « Sur l’Internationale Communiste des Jeunesses », 4, N o 64, 10 septembre 1924, p. 684. 10. Sur le système de fonctionnement des fractions (noyaux du parti) dans les organisations de masse ayant pour finalité la promotion des buts politiques, voir La correspondance internationale, « Résolutions sur les fractions communistes dans les organisations et organes extérieurs au parti », 4, No 15, 27 février 1924, p. 163-164.

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11. I. C. J., Résolutions du V e congrès de l’Internationale communiste des jeunes, Bureau d’Editions, Paris [1928], p. 147. 12. Ibid., p. 144-156 ; I. C. J., Programme de l’Internationale Communiste des Jeunes, Bureau d’Editions, Paris [1929], p. 77-78. 13. I. C. J., Résolutions, p. 144-145. 14. Cf. G. BAILLAT, « Le sport corporatif : une arme anti-grèves ? », Sport Histoire, N o 4, 1989, p. 17-30. 15. I. C. J., Résolutions, p. 153-154. 16. Ibid., p. 145 ; cf. Herbert DIERKER, « Arbeitersport im politischen Spannungsfeld der zwanziger Jahre : Sport, Politik und Alltagserfahrungen », Stadion, 15, No 1, 1989, p. 92-96. 17. A la critique des analystes échappait toutefois l’élément de la conjoncture des années 1920, les influences qu’exerçaient les effets de la guerre, le pacifisme, les nationalismes, la « modernité », le renouvellement culturel, les évolutions structurelles, cf. Jean-Paul CLÉMENT – Jacques DEFRANCE – Christian POCIELLO, Sport et pouvoirs au XXe siècle, Presses Universitaires de Grenoble, Grenoble 1994, p. 69-75. 18. Правда (Moscou), 30-8-1928 ; Известия (Moscou), 30-8-1928 ; Комсомолская Правда (Moscou), 31-8, 5,15,16-9-1928. 19. I. C. J., Résolutions, p. 147-156. 20. Ottorino PERRONE, La tattica del Comintern dal 1926 al 1940, Edizioni Sociali, Venezia 1976, p. 81-132. 21. Документы VI всемирного конгреса КИМ, Moscou 25-9 à 10-10-1935, 168 pp. 22. Jan TOLLENEER – Eric BOX, « An Alternative Sport Festival : The Third Workers’ Olympics Antwerp 1937 », Stadion, 12/13, 1986-1987, p. 183-190. 23. Archives Centrales de la Marine – France [ACM], 1BB7, 141, dossier Attaché naval en Grèce : Macé à Millerand, Bulletin d’informations, confidentiel, Athènes 8-4-1920 ; Ministère de la Défense Nationale – France, État-Major de l’Armée de Terre, Service Historique [SHAT], Commandement des Armées Alliées en Orient [CAA, 20 N], 192, dossier Bulletins de renseignements septembre 1919-janvier 1920 : lieutenant le Lay, Bulletin d’informations, Nº 320, Athènes 15-4-1920. 24. Internationale Jugendkorrespondenz, 1, No 27, 30-9-1920, « Griechenland. Die Entwicklung der Jugendbewegung in Griechenland » ;2, No 13, 20-4-1921, « Die Jugendbewegung in Griechenland », signé : N. Sargologos. 25. Correspondance Internationale des Jeunesses, 2, No 2, 17-4-1921 ; 2, N° 4, 21-5-1921 ; 2, No 9, 10-7-1921, p. 3 ; История на младежкото революционно движение в Бьлгария, œuvre collective, Народна Младеж, Sofia 1971, p. 89-99. 26. Archives diplomatiques du ministère des Affaires étrangères de la France [AMAE], Europe 1918-1940, Grèce, 62, ff. 83-93 : Renseignement, Nº 2034, Athènes 13-2-1923, signé : le Camus – attaché naval de France en Grèce, et J. de Colobel – attaché militaire de France en Grèce, 11 pp. 27. Public Record Office [PRO], Foreign Office [FO] 371-12924, C780-132-19 : Loraine a Foreign Office (A. Chamberlain), Annual report on Greece 1927, Athènes, 75 pp., p. 34-35. 28. Alexandros DAGKAS, « Κομμουνιστικό Κόμμα Ελλάδος, Ελληνικό τμήμα τις Κομμουνιστικής Διεθνούς », dans Ιστορία της Ελλάδας του 20 ου αιώνα (coordination et présentation assurées par Christos Hadjiiosif – Université de Crète), vol. 2B, Vivliorama, Athènes 2003, p. 184. 29. Комсомолская Правда, 6, 9-9-1928. 30. Ιστορικό Αρχείο Υπουργείου Εξωτερικών [Archives Historiques du ministère des Affaires étrangères de la Grèce] (ΙΑΥΕ), A II, 1930, Ξένη προπαγάνδα στην Ελλάδα — Κομμουνισμός, Αστυνομία Πόλεων — Ειδικόν Τμήμα Ασφάλειας [Propagande étrangère en Grèce – Communisme, Police des Villes – Section spéciale de la Sûreté], Ἐκθεσις. Περί της καταστάσεως και εν γένει κινήσεως του κομμουνισμού εν τη περιφερεία ημών κατά το λήξαν έτος 1930, 17 pp., p. 12-13.

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31. Ibid., p. 13, 15-16. 32. B. VORINOS, Комсомол Греции, Молодая Гвардия, Moscou1932, p. 17-18. Pour la situation du mouvement communiste des enfants et pour les directives sur ses tâches, voir La correspondance internationale, 10, No 25, 18-3-1930, p. 314 ; 10, No 57, 5-7-1930, p. 663. 33. ΙΑΥΕ, A 2 II, 1930, op. cit., p. 13. 34. J. SPRINGHALL, « Baden-Powel and the Scout Movement before 1920 : Training or Soldiers of the Future ? », The English Historical Review, 12, No 405, 1987, p. 934-942. 35. Αρχείο Σώματος Ελλήνων Προσκόπων [Archives du Corps des Boy Scouts Grecs] (ASEP), loi 1066, 18-11-1917, et amendement de la loi le 11-1-1922, 10 pp. 36. National Archives of the United States [DS], Records of the Department of State Relating to Internal Affairs of Greece, 1910-1929, M. 443, N° 14, 888-890, Laird Archer [directeur du Foreign Dept. de Near East Relief] à State Dept. – Division of Near East Affairs – Washington, New York 4-5-1928, 3 pp. 37. DS, M. 443, N° 40, 564-565, Consulat américain à Athènes à State Dept. – Washington, Athènes 3-6-1920, 2 pp. 38. DS, M. 443, N° 6, 6, C. Hibbard (secrétaire de Overseas Division de YMCA – International Committee) à A. Dulles (Division Near Eastern Affairs – State Dept. – Washington), New York 13-11-1923, 1 p. ; N° 1, 26-11-1923, 1 p. 39. DS, M. 443, N° 6, 8, Ulius Amoss (secrétaire de YMCA de Thessalonique) à D. Davis – Genève, Salonique 22-10-1923, 1 p. ; ibid., 9, 23-10-1923, 1 p. ; ibid., 10-11, 26-10-1923, 2 pp. ; N° 6, 2-3, Ulius Amoss à D. Davis (secrétaire administratif du National Council of the YMCA associations of the USA) – Genève, Thessalonique 1-11-1923, 2 pp. ; N° 6, 7, Darrell à [?], Athènes [25]-11-1923, 1 p. ; N° 6, 4, A. Dulles (Division Near Eastern Affairs – State Dept. – Washington) à C. Hibbard (secrétaire de Overseas Division de YMCA – International Committee), Washington 28-11-1923, 1 p. 40. DS, M. 443, N° 14, 883-887, D. Davis à State Dept. – Division of Near Eastern Affairs – Washington, Genève 7-8-1925, 3 + 1 pp. ; State Dept-Division of Near Eastern Affairs-Washington à D. Davis, Washington 24-8-1925, 1 p. 41. DS, M. 443, N° 43, 747, Frank Bettius (Army Young Men’s Christian Association) à State Dept. – Washington, San Francisco 30-9-1924, 1 p. ; N° 43, 748-749, Joseph Crew (secretary of State – Washington) à Frank Bettius, Washington 15-10-1924, 22 pp. 42. DS, M. 443, N° 40, 566-567, Consulat américain d’Athènes à State Dept. – Washington, Athènes 30-6-1920, 2 pp. 43. Αρχείο Κομμουνιστικού Κόμματος Ελλάδας [Archives du Parti communiste de Grèce] (Archives KKE), Ἐκθεση δράσης της ΚΕ από 9-9-1926 ως 25-2-1927, 15 pp., p. 15. 44. Collection de documents d’A. Dagkas, Service de Sûreté Spéciale, K87, OKNE (ΕΤΚΔΝ), KE, Επιτροπή Σπορτ [Commission du Sport], Circulaire N° 1er octobre, Athènes 23-3-1927, Προς όλες τις οργανώσεις της Ομοσπονδίας (signé : secrétaire de ΟΚΝΕ [Géorgios Kolozof]), 2 pp. 45. Ibid. 46. Ibid., K88, OKNE, Circulaire N° 8, Athènes 22-3-1927, Προς όλες τις οργανώσεις της Ομοσπονδίας, Οικονομικό ζήτημα, 2 pp., p. 2. 47. Ibid., K86, Απόφαση της ΚΕ για την αποστολή εργατών στη Ρωσσία, 2 pp., p. 2. 48. Ριζοσπάστης (Athènes), 5-11-1927. 49. Ibid., 10-12-1927. 50. B. VORINOS, Комсомол Греции, Молодая Гвардия, Moscou 1932, p. 17-18. 51. « Σπορτ – Αντιφασίστες Φρουροί », Βιβλιοθήκη Νέου Λενινιστή, 1, N° 14-15, 1-7 à 1-8-1928, p. 71-74.

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52. Le service de sûreté avait repéré l’action de l’organisation, en dehors des athlètes, dans d’autres groupes sociaux, tels que les jeunes femmes et les soldats, voir ΙΑΥΕ, A 2 II, 1930, op. cit., p. 12-13. 53. B. VORINOS, Комсомол, p. 17-18. 54. Ριζοσπάστης 19-12-1976, « L’activité sportive de la OKNE. Kostas Loulès se souvient ». 55. ΙΑΥΕ, A 2 II, 1930, op. cit., p. 16-17. 56. Αρχείο Σωματείων Αθηνών [Archives des Associations d’Athènes], respectivement, N° 2058, date d’enregistrement 31-5-1924 ; N° 713, 7-3-1925 ; N° 3995, 30-6-1926 ; N° 6824, 1930. 57. Ibid., respectivement, N° 4843, date d’enregistrement 6-10-1926 ; N° 8066, 10-12-1927 ; N° 12963, 1930. 58. B. VORINOS, Комсомол, p. 17. Pour la Spartakiade de Berlin, voir La Correspondance Internationale, 11, No 47, 30-5-1931, p. 648. 59. Ριζοσπάστης, 19-12-1976, op. cit. 60. B. VORINOS, Комсомол, p. 17-18 ; Εφημερίς των Βαλκανίων (Thessalonique), 4, 5, 6-7-1931. 61. Η Νεολαία (Athènes), 22-9-1933. 62. La correspondance internationale, 11, N° 9, 4-2-1931, p. 155. 63. ΙΑΥΕ, A 2 II, 1930, op. cit., p. 16. 64. L’unité économique de presque toute la Grèce du Nord, en tant que région productrice de tabac, était particulièrement étroite dans le triangle géographique Thessalonique-Serrès- Rhodopes, dans lequel étaient inclus les grands centres du tabac (Kavala, Xanthi, Drama, Serrès, Thessalonique). Cet espace n’était pas clos ; ses prolongements atteignaient les régions de Komotini et de Hévros en Thrace et la région de Kozani, en Macédoine occidentale (Alexandros DAGKAS, Recherches sur l’histoire sociale de la Grèce du Nord : le mouvement des ouvriers du tabac, 1918-1928, Association Pierre Belon, Paris 2003, p. 13). 65. Ριζοσπάστης, 19-12-1976, op. cit. 66. Archives KKE, OKNE, Οργανωτικό 15 Νοέμβρη – Τέλος Γενάρη 1928, 15 pp. 67. Ibid., OKNE, Απόφαση του οργανωτικού τμήματος. Πάνω στην αποφάση του Προέδρ. της ΚΕ για την οργανωτική κατάσταση της ΚΔΝ, Αθήνα20-1-1928, 3 pp. 68. Collection de documents d’A. Dagkas, dossier Géorgios Kypriou, photos ; Η Νεολαία, 8, 21-7-1933. 69. Collection de documents d’A. Dagkas, dossier Géorgios Kypriou, Souvenirs, manuscrit, 17 pp., p. 4. 70. Ibid., Πρώτο Παγκόσμιο Συνέδριο Νεολαίας για την Ειρήνη, manuscrit, 10 pp. Ont participé 1 098 jeunes, représentant 34 pays. Les congressistes, par appartenance politique, étaient : communistes 387, socialistes 111, sans parti 550, républicains etc. 50 (Annette VIDAL, Henri Barbusse, soldat de la paix, Les Editeurs français réunis, Paris 1953, p. 288). 71. VI всемипиый конгресс Коммунистического Интернационала Молодежи. Доклады, резолюции, Moscou 1935, brochures diverses ; Vassilis BARTZIOTAS, 60 χρόνια κομμουνιστής, Synchroni Epochi, Athènes 1986, p. 122-129. 72. BARTZIOTAS, 60 χρόνια..., p. 119-120. 73. Εργατική Ελλάς (Athènes), N° 2, 1-6-1937, p. 47-48 ; N° 3, 15-6-1937, p. 80 ; N° 4, 1-7-1937, p. 110 (articles d’A. Sempos) ; N° 30, 1-8-1938, p. 159-160 (article d’Emm. Baltatzis) ; N° 43, 15-2-1939, p. 94 (signé : N. V-ou). 74. Εργατική Ελλάς, N° 43, op. cit. 75. Les statuts de l’organisation n’ont pas été conservés. On a seulement les statuts qu’elle a déposés, après 1912, auprès des autorités grecques, pour leur adaptation aux lois grecques, voir Αρχείο Διαθηκών-Σωματείων Θεσσαλονίκης [Archives des Testaments-Associations de Thessalonique] (ADST), Φάκελλοι Αναγνωρισμένων Σωματείων [Dossiers des Associations reconnues] (FAS), N° 70, 4-3-1915.

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76. Αρχείο Νίκου Γιαννιού [Archives de Nikos Yiannios], A. Alexiou à N. Yiannios, Kalabaka 14-9-1918, 6 pp. 77. PRO, FO 286-826 : D-694, Greece, Communist Items, 27-6-1922, 1 p. 78. Participaient également des délégués d’Athènes, du Pirée, de Kavala, de Volos, de Drama, de Serrès et de Chalkis, voirAMAE, Y, 379, f. 45 : ministère de la Guerre à Millerand, Nº 6049, Paris 27-7-1920, 1 p. et ci-joint [ff. 46-57] : Le mouvement communiste de la jeunesse, 12 pp. 79. Les autres villes étaient Athènes, le Pirée, Kavala, Volos, Drama, Chalkis et Patras, voir ACM, Attachés navals (1BB7), 144, dossier 1923 – Attaché naval – Grèce : Note Spéciale Nº 1, Secret, Congrès communiste de Thessalonique (source : agent C), Athènes 5-2-1923, 14 pp. 80. Ριζοσπάστης, 10-2-1927. 81. C’était des associations reconnues, voir ADST, Βιβλίο Αναγνωρισμένων Σωματείων [Livre des Associations reconnues] (VAS), respectivement, N° 639, 18-7-1925 ; N° 711, 29-5-1926 ; N° 722, 12-6-1926 ; N° 947, 28-6-1928 ; N° 961, 26-7-1928. 82. Ibid., FAS, N° 722, Statuts, 30-5-1926, 3 pp. 83. Ibid., VAS, N° 423, 30-5-1923 ; FAS, N° 423, Statuts, 2-5-1923, 5 pp. 84. Il était membre de l’Union des Associations de Football de Macédoine et de Thrace, voir Αρχείο Ἐνωσης Ποδοσφαιρικών Σωματείων Μακεδονίας (EPSM) [Archives de l’Union des Associations de Football de Macédoine (EPSM)], Βιβλίο Ποδοσφαιριστών Συλλόγων [Livre des Footballeurs des Associations] (VPS), 1924-1926, p. 179-188, 227-228. 85. Collection de documents d’A. Dagkas, Service de Sûreté Spéciale, K 110, Τμήμα Ειδικής ασφάλειας Θεσσαλονίκης [Section de la Sûreté spéciale de Thessalonique], Ἐκθεσις. Περί της καταστάσεως του Κομμουνισμού εν τη περιφερεία του άνω Τμήματος κατά το λήγον έτος 1927, 8 pp., p. 6. 86. Membres de l’Union des Associations de Football de Macédoine et de Thrace étaient seulement l’association des employés du tramway (voir EPSM, VPS, 1924-1926, p. 169-178) et l’association « Étoile Ouvrière » (ibid., p. 211-227). 87. Ibid., VPS, 1924-1926, statistique des éléments des athlètes inscrits. 88. Ibid., Ἐνωσις Ποδοσφαιρικών Σωματείων Μακεδονίας–Θράκης [Union des Associations de Football de Macédoine et de Thrace], Επιτροπή Διαιτητών [Commission des Arbitres], Βιβλίον Στατιστικής Αγώνων [Livre de Statistique des Matchs du Championnat], 1926-1927, 1927-1928, 1928-1929. 89. Archives KKE, KKE (ETKD) – Εκτελεστική Επιτροπή, Ἐκθεση δράσεως κεντρικής επιτροπής Δεκέμβριος 1924 – Οκτώβριος 1925 ; ibid., Περιφερειακή Επιτροπή Ανατολικής Μακεδονίας και Θράκης, Οργανωτική επιτροπή, Απόφαση περιφερειακής Συνδιάσκεψης Καβάλα, 22-10-1927, 5 pp., p. 5 ; ibid., Περιφερειακή Επιτροπή Ανατολικής Μακεδονίας και Θράκης, N° 107, Πρόγραμμα δουλειάς για τους μήνες Ιανουάριον, Φεβρουάριον και Μάρτιον Αύγουστο [1927], Καβάλα 26-12-1927, 5 pp., p. 5. 90. Ibid., KKE (ETKD) - Περιφερειακή Επιτροπή Ανατολικής Μακεδονίας και Θράκης, Οργανωτικό γραφείο, N° 3, Πρόγραμμα δουλειάς για τους μήνες Αύγουστο, Σεπτέμβριο, Οκτώβριο [1927], 4 pp., p. 3. 91. Collection de documents d’A. Dagkas, Service de Sûreté Spéciale, K1-K72, 1927, rapport N° 6. 92. Tel était, par exemple, le cas des jeunes cordonniers, voir Εφημερίς των Βαλκανίων, 24-7-1931. 93. ASEP, Alexandros Pétridis [note biographique], 6 pp. ; G. Papaevghéniou [note biographique], 4 pp. ; dossier Πρόσκοποι [Boy Scouts] 1917-1924, registres des rémunérations. 94. Archives de YMCA de Thessalonique, Χριστιανική αδεφότις των Νέων Θεσσαλονίκης, [Edition de la YMCA de Salonique], Salonique 1924, p. 8-9, 25, 43. 95. ADST, FAS, N° 332, 29-10-1921 ; Archives de YMCA de Thessalonique, G. PAPAMIHAIL, Ἐκθεσις της επισκοπήσεως του έργου των εν Ελλάδι οργανώσεων της Χριστιανικής Αδελφότητας των Νέων και της Χριστιανικής Ενώσεως Νεανίδων [Edition de la YMCA], Athènes 1932, p. 81-82. 96. Elle était membre de l’Alliance Universelle des Unions Chrétiennes de Jeunes Filles (World Young Women’s Christian Association), voir ADST, FAS, N° 683, 1-2-1926.

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97. ACM, 1BB7, 144, dossier 1923 – Attaché naval – Grèce : Note Spéciale Nº 1, Secret, Congrès communiste de Salonique (source : agent C), Athènes 5-2-1923, 14 pp., p. 12. 98. Zionist Archives, Z4/3235/I, Résolutions de la V e Conférence des Sionistes de Grèce, [Thessalonique, 24 à 27 avril 1927], 5 + 1 pp., p. 3. 99. Ibid., Z4/3235/7, La vie juive dans les provinces. Les Communautés de Castoria, Florina et Verria, [Thessalonique, 1927], 2 pp. (signé : D. Florentin). 100. Fondé en 1908, voir ADST, FAS, N° 6, 29-11-1914 ; Statuts, 11 pp., 16-7-1939. 101. ASEP, registres des rémunérations des Maccabi. 102. Ibid., Προνόμια δοθέντα εις τους Προσκόπους Μακκαβαίους, 1 p. Les Grecs de Thessalonique ont réagi en considérant que « l’inspiration est vraiment curieuse » et qu’il était inadmissible que les Maccabées se promènent avec un drapeau étranger et prêtent serment auprès d’une nation autre que grecque (ASEP, lettres du Corps des Boy Scouts Grecs – Commission Centrale de Macédoine à : sa Majesté le Président du conseil d’administration [roi Georges II], Ministre de l’Education, Gouverneur Général de Macédoine, Thessalonique 12-2-1923, 2 pp.). 103. EPSM, Ἐνωσις Ποδοσφαιρικών Σωματείων Μακεδονίας, 1926-1927, 1927-1928, 1928-1929. 104. Εφημερίς των Βαλκανίων, 1-11-1926 ; Μακεδονικά Νέα(Thessalonique), 1, 2-11-1926. 105. Collection de documents d’A. Dagkas, Service de Sûreté Spéciale, K110, Ἐκθεσις, p. 6. 106. Nous avons tiré des incidents de 1927 qui sont reportés dans la presse : Thomas Doris, athlète rouge, ancien président de l’« Étoile Ouvrière », fut exilé à Naxos. Le 2 juin 1927, les billets de l’« Étoile Ouvrière » pour la « fête verte » furent saisis dans la Bourse du Travail (suite à une manifestation dispersée par la cavalerie, le bâtiment avait été cerné et finalement avait été occupé par l’armée). En décembre 1927, dans l’unité militaire KEA, le capitaine Koukoudéas enferma dans les cachots du quartier général les soldats Koukoutidis, Nikolaïdis et Liavas parce qu’ils appartenaient à l’« Étoile Ouvrière » (Μακεδονικά Νέα, 3-6-1927 ; Εφημερίς των Βαλκανίων 2,3,8-6-1927 ; Το Φως [Thessalonique], 3-6-1927 ; Ριζοσπάστης, 5-11, 20-12-1927). 107. Εφημερίς των Βαλκανίων, 29-5 à 20-6-1931. 108. Ibid., 24-6, 4,5,6-7-1931. 109. Panos DIMITRIOU, Εκ βαθέων, Thémélio, Athènes 1997, p. 44-45. 110. L’Olympiade populaire était prévue pour la période du 19 au 26 juillet 1936 ; mais le 18 juillet 1936, éclata le putsch du général Franco (Dominique LEJEUNE, Histoire du sport, XIXe-XXe siècles, Editions Christian, Paris 2001, p. 114-116). 111. Archives de Konstantinos Tomanas, Manuscrits, N° 28, p. 12. 112. Εφημερίς των Βαλκανίων, 8-2-1937. 113. Ibid., 13-10-1939. 114. Ibid., 16-11, 14-12-1938. 115. Ibid., 15-9, 10, 13-11-1939.

RÉSUMÉS

Nous présentons d’abord la manière dont le mouvement communiste s’est progressivement doté d’un modèle international d’encadrement des ouvriers par le sport alors qu’il y était hostile au début. Puis, en s’appuyant sur le dépouillement d’une vaste palette d’archives, nous voyons comme ce modèle fut mis en place et appliqué en Grèce et surtout à Thessalonique dans une

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volonté de contrecarrer de projets antagonistes comme ceux des scouts, de la YMCA et même en ce qui concerne la nombreuse communauté juive de la ville, les projets sionistes.

The author undertakes to show how the international communist movement progressively adopted an international model of organizing workers through sport, although it ah been opposed to the idea of sport in the beginning. Then, based on wide range of archival material, he examines the practical introduction and implementation of this model in Greece, and especially in Salonica. This implementation was motivated by a will to oppose antagonistic projects, such as those of the Boy scouts, the YMCA and, in regards with the city’s numerous Jewish community, the Zionist ones.

AUTEUR

ALEXANDROS DAGKAS

Université Aristote de Thessalonique

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Aux origines du basket-ball en Yougoslavie (1923-1940) The Origins of Basket-ball in Yugoslavia (1923-1940)

Pero Jelić

e 1 Au XX siècle, le sport était un facteur important de la vie sociale et aussi politique. Un grand nombre de sports était pratiqué dans le plus dynamique des pays, l’Amérique et le volley-ball devint vite populaire dans le monde entier. D’autres, comme le base-ball, eurent une diffusion plus limitée.

2 Certains sports ne se développaient pas à partir de jeux traditionnels. Ils exigeaient des ressources matérielles considérables, ce qui limitait le nombre de ceux qui le pratiquaient. Les conditions matérielles dans les Balkans étaient ainsi très réduites, si bien que c’était un grand défi de pratiquer des sports collectifs. Il fallait trouver d’autres personnes intéressées, un terrain, des équipements, être capable de parler des langues étrangères etc. Dans un État nouvellement créé, dévasté par la guerre, la vieille génération ne comprenait pas la raison de pratiquer des « jeux d’enfants » plutôt que de faire du profit. Comme tout État jeune le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, c’est-à-dire la Yougoslavie, avait de graves problèmes à l’intérieur et à l’extérieur. Les questions relatives aux élections parlementaires et à la vie politique intérieure, les problèmes avec les peuples voisins qui entretenaient de nombreux conflits, retenaient l’attention d’une large majorité de la population. Et donc peu d’espace restait pour ce qui n’avait pas un rapport direct avec l’existence. 3 Pour toutes ces raisons l’apparition du basket-ball en Yougoslavie fut un vrai miracle. Et ses débuts furent si insignifiants, qu’il est difficile d’en trouver une trace documentée1. Les journaux mentionnent rarement les événements sportifs et nous sommes contraints d’interroger la mémoire de ceux qui ont popularisé le basket-ball en Yougoslavie.

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Soko

4 Presque toutes les activités sportives dans le royaume de Serbie-Croatie-Slovénie ont été encadrées par l’association Soko2, qui avait des règles très strictes et des normes de comportement. Elle était centrée sur la capacité physique individuelle, en sorte que les sports collectifs n’étaient pas populaires chez Soko. Ceci était bien établi dans la constitution de Soko datée de 19193.

5 Soko était l’institution sportive publique la plus importante. Ses normes strictes, presque militaires n’étaient pas immédiatement favorables à tous les sports. Mais une fois que le baket-ball eût été accepté à Soko (suite à une lente évolution), il a pu compter sur tout ce qui était nécessaire à son développement : des terrains, des salles, des tenues, ainsi que l’assistance pour imprimer les règles et les instructions pour le jeu, la formation des arbitres, l’organisation des rencontres, etc. Soko fut aussi l’organisateur du premier championnat officiel en Yougoslavie. En bref, la vie sportive dans le royaume de Serbie-Croatie-Slovénie, c’est-à-dire en Yougoslavie, n’aurait pu être imaginée sans Soko.

La Croix-Rouge

6 Ce fut par l’intermédiaire de l’organisation internationale de la Croix-Rouge que le basket-ball arriva dans le royaume de Serbie-Croatie-Slovénie. L’unification des Serbes, des Croates et des Slovènes entraîna l’unification des organisations régionales de la Croix-Rouge. Les organisations reportèrent leur intérêt sur l’œuvre de paix, une fois que la guerre eut cessé. Leur préoccupation fut de « soigner » les populations après l’épreuve de la guerre. De nombreux orphelinats furent fondés et aussi des écoles pour les enfants privés de leurs parents, des bourses furent accordées à des étudiants pauvres mais doués. Beaucoup de cours furent organisés dans le but d’élever le niveau de culture générale de la population. La création d’une unique organisation de la Croix- Rouge pour tout le territoire du royaume rendit indispensable la fondation d’une organisation de la Croix-Rouge des Jeunes.

7 À son assemblée de mars 1922, tenue à Genève, la fédération de la Ligue des Associations de la Croix-Rouge adopta une résolution qui recommandait la création d’organisations d’une Croix-Rouge des Jeunes dans tous les pays où existait la Croix- Rouge, dans le but de propager l’esprit de solidarité internationale et aussi de renforcer les associations nationales de la Croix-Rouge. La réalisation de cette idée fut grandement facilitée par l’expérience et les services précieux rendus pendant la guerre par la Croix-Rouge des Jeunes récemment créé aux Etats-Unis d’Amérique. 8 Aussitôt après cette conférence on commença à créer des organisations de Croix-Rouge des Jeunes dans les pays où il n’en existait pas encore. Un fort soutien fut accordé par ceux qui avaient de l’expérience dans ce domaine, les représentants de la Croix-Rouge des Jeunes américaines. Ces délégués arrivèrent en Yougoslavie au commencement de l’année scolaire 1921-19224. 9 La Croix-Rouge des Jeunes du royaume de Serbie-Croatie-Slovénie fut fondée à l’initiative de Miss Pattie Day Miller, représentante de la Croix-Rouge des jeunes américaines, en décembre 1923 à Belgrade.

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10 Les délégués de la Ligue des Associations de la Croix-Rouge et ceux de la Croix-Rouge des Jeunes américaines quittèrent le royaume de Serbie-Croatie-Slovénie en juillet 1923, laissant derrière eux se poursuivre le travail de développement de la jeune station de la Croix-Rouge en direction du Conseil Général de la Croix-Rouge du royaume de Serbie-Croatie-Slovénie, en promettant de fournir leur soutien matériel à notre Croix- Rouge des Jeunes5.

William Wieland

11 Le basket-ball fut introduit dans le royaume de Serbie-Croatie-Slovénie par le professeur William Augustin Wieland, délégué de la Ligue des Associations de la Croix- Rouge. Celui-ci visita de nombreux pays d’Europe, expliqua et propagea ce sport, organisant des présentations théoriques et pratiques. Il donna aussi des instructions concernant la configuration du terrain et des paniers, une partie de sa démonstration incluant aussi les ballons. En même temps que le basket-ball, il présenta d’autres sports comme le volley-ball. Si l’on considère que la Yougoslavie est rangée parmi les meilleurs pays du monde à la fois en basket-ball et en volley-ball, Wieland est certainement un des personnages les plus importants dans l’histoire du sport en Yougoslavie.

12 Wieland était né à Alemada, en Californie, le 16 mars 18916, l’année même de la naissance du basket-ball. Il passa ses diplômes à l’université de Californie. Il servit comme capitaine lors de la première guerre mondiale. Il partit à Oakland en 1920 et épousa Alice Florence, lieutenant dans l’armée de l’air américaine. Ils eurent deux enfants, nés respectivement en 1921 et en 1922. Il fut employé comme professeur d’éducation physique à la « Mission High School » d’Oakland. Ensuite il partit pour l’Europe, où il travailla avec la Croix-Rouge. En 1923 il travaille avec la Croix-Rouge des Jeunes. En 1936, il fut nommé vice-directeur de la « Georges Washington High School ». 13 En 1941 il devint directeur de la « Galileo High School » à San Francisco. En avril 1942 il fut nommé superintendant des Equipes de Prévention du Feu, dans une organisation civile de protection à San Francisco7. Il travaillait avec des jeunes gens, il dirigeait des jeunes. Selon Jovan Djordjeviç, un de ses étudiants, Wieland était un « grand et gros homme », corpulent8. IL était encore directeur de la « Galileo High School », lorsqu’il mourut, après une brève maladie, le 27 novembre 1944 ; il avait 53 ans9. 14 Wieland résida à Belgrade du 27 septembre au 20 octobre 1923, puis il partit pour Sarajevo, Zagreb et Split. Dans ces villes il donna des cours de sports aux membres de Soko et à des professeurs d’éducation physique10. 15 Wieland arrive à Belgrade en septembre 192311 et l’événement fut annoncé par le quotidien la Pravda du 7 octobre de la même année, dans la rubrique Nouvelles du Jour, sous le titre Croix-Rouge des Jeunes : Ligue des Associations de la Croix-Rouge, à Paris est délégué Monsieur Vialnd (sic) pour organiser d’une façon scientifique des sports sains pour la jeunesse dans les écoles de notre royaume. Comme on l’a déjà dit, Monsieur Viland a commencé cette mission ici à Belgrade, et a dit à cette occasion qu’après avoir visité d’autres pays, c’est seulement en Belgique et ici dans notre pays qu’il a rencontré un aussi vif intérêt pour le développement physique et mental de la jeunesse. Monsieur Viland commencera son travail systématique le lundi 8 courant à l’école près de la cathédrale12, où il donnera des conférences et des exercices chaque jour de 15 heures à 17 heures13.

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16 Pour son cours de Belgrade en 1923, Wieland reçut l’aide de Svetislav Vulović, un étudiant de la « Second Boys’ High School », qui lui servait « d’interprète ». Pendant les cours Wieland utilisait la langue française. Selon Vulović, il était très scrupuleux dans son travail, séduisant comme conférencier ; le professeur Wieland gagna notre sympathie tout de suite. Un exemple : bientôt je passai tout mon temps avec lui. Mais de tous ces jeux et sports qu’il était en train de nous montrer, nous préférions de loin le basket-ball14. 17 Pour l’activité de Wieland dans les villes du royaume de Serbie-Croatie-Slovénie on recourra au rapport15 qu’il a adressé à C. W. Waddington, directeur de la division des Jeunes de la Ligue des Associations de la Croix-Rouge. Au début, il mentionne son plan d’action : introduire une formation du jeu aménagé et organiser sur les terrains des jeunes des cors avec des instructions dans les villes de Yougoslavie où travaillent les membres de la Croix-Rouge américaine des Jeunes16. 18 Wieland consulta les officiels de la Croix-Rouge Yougoslave pour l’organisation des cours. Il commença son travail à Belgrade. Il informa de son plan d’action les membres du Comité central de la Croix-Rouge, le Comité de Ville des maîtres d’écoles de Belgrade, tous les membres intéressés du Conseil des Écoles, les chefs de Soko et les associations de scouts. Les équipements utilisés par Wieland étaient achetés sur l’argent restant du budget 1922-1923 de la Croix-Rouge américaine des Jeunes. Plus loin dans son rapport il signale que cet argent restait inemployé parce que « les opérations en Yougoslavie étaient discontinues ».

19 Wieland travaillait avec l’association Soko, la seule institution publique en charge des sports. Il décrit ainsi cette coopération : Durant les cours l’organisation Soko jouait le rôle principal et faisait tout pour que mon travail soit une réussite : d’abord elle collaborait parfaitement avec d’autre organismes de Belgrade, et puis je fus introduit près des chefs de Soko dans d’autres villes où j’étais supposé donner des cours17. 20 Les cours étaient organisés pour les professeurs d’éducation physique, les membres de Soko et les scouts. Comme circonstances gênantes, Wieland cite le manque de terrains de jeux pour les jeunes et le trop grand nombre d’élèves par classe. Sur le travail lui- même Wieland dit18 : À mon arrivée à Belgrade sur le terrain de sport par un temps magnifique j’ai passé deux semaines avec des classes très intéressantes de chefs de Soko, de membres et de professeurs d’écoles primaires et secondaires. Au lieu du terrain poussiéreux de l’école « Sava Mala »19, où ont commencé les cours, nous sommes allés au terrain Soko à l’école qui est proche de l’église orthodoxe20. 21 Une autre note de Wieland montre qu’il se sentait bien à Belgrade et qu’il ne passait pas son temps seulement à organiser des cours : Un jour de pluie, dans la salle de l’école j’ai appris à danser le kolo ; et le dimanche, lors d’une excursion à Topéider, je leur ai appris des jeux qui demandent de larges espaces21. 22 À Belgrade, Wieland travaille avec des gens de la Croix-Rouge, pour organiser des cours plus efficacement dans d’autres villes : À Belgrade j’ai eu l’opportunité de rencontrer M. Žakula, inspecteur des écoles à Sarajevo. Je rencontrai aussi M. Brigleviç, inspecteur des écoles et officier de la Croix-Rouge à Zagreb. Je l’informai de mon plan pour Zagreb et je lui demandai de m’arranger certaines choses. Ces rencontres furent utiles pour la préparation de mes cours et me firent gagner du temps22.

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23 Le cours de Belgrade qui comprit seize conférences de classes doubles dura jusqu’au 18 octobre 1923.

24 Les cours achevés à Belgrade Wieland quitta Sarajevo le 21 octobre 1923, l’événement fut couvert par le quotidien Politika, du vendredi 21 octobre 1923 : le délégué de la Croix-Rouge américaine des Jeunes, M. William Wieland, qui est venu à Belgrade comme instructeur pour les jeux des jeunes, a terminé hier ses cours aux jeunes de notre Soko et de nos écoles. Hier après-midi, dans le gymnase de Soko 1, a été organisé un thé en l’honneur de M. Wieland qui part pour Sarajevo demain. 25 Le cours de Sarajevo dura deux semaines et la partie pratique se déroula sur le terrain de la Croix-Rouge des Jeunes, choisi pour cela. Au cours de Sarajevo, il forma 22 professeurs dans différents sports. Il y eut des problèmes concernant l’organisation et la préparation du terrain, mais il y eut aussi des observations intéressantes sur le nouvel environnement : Comme il est tout à fait naturel à Sarajevo des élèves sont musulmans. Il est aussi intéressant de noter qu’une jeune fille musulmane assistait au cours. Le premier jour, elle se cacha la figure et ensuite durant la partie elle fut plus détendue. Ceci encouragea d’autres élèves à nous rejoindre, et ceci en raison du fait que cette jeune musulmane était extraordinairement belle23. 26 Ceci montre que Wieland rencontrait un environnement culturel varié dans le royaume de Serbie-Croatie-Slovénie. L’information qu’une jeune fille musulmane prenait part à de tels cours révèle un changement dans l’attitude des femmes dans cette communauté. Il établit, d’autre part, un parallèle entre son travail à Belgrade et à Sarajevo et mentionne qu’à Sarajevo son cours était suivi surtout par des professeurs, alors qu’à Belgrade les auditeurs étaient surtout des représentants de Soko.

27 Ayant achevé son cours à Sarajevo, Wieland quitta la ville pour Zagreb. Là, il rencontra des problèmes politiques : Organiser un cours à Zagreb fut beaucoup plus dur que dans les autres villes. M. Briglević24 informa les professeurs qu’il y aurait des assemblées des groupes, mais l’assemblée initiale réunit peu de monde. La raison en était qu’une note de Belgrade fixait que tous les opposants au gouvernement central n’assisteraient pas à la rencontre. C’est un grand dommage que dans ce pays la Croix-Rouge soit vue comme une institution politique25. 28 Wieland ne savait pas que l’origine du conflit était influencé par de nombreux intérêts étrangers, qui marquaient aussi le sport. Les « Francoists »26 agissaient politiquement avec les Jésuites et soutenaient les « Eagles »27 et d’autres organisations cléricales. La propagande de base, répandue par des tracts et autres moyens, reposait avant tout sur la prétention que l’Église catholique romaine était menacée par les Serbes, le gouvernement de Belgrade et le nouvel État, où le mariage chrétien le catéchisme dans les écoles étaient en danger28.

29 À cause de ces problèmes l’intérêt pour les cours était moins évident. Il changea donc sa méthode de travail et demanda aux professeurs qui désiraient apprendre à jouer au basket-ball de commencer à essayer au jeu. Divers professeurs participèrent à cette action. Un tel départ ne présageait en aucune façon que Zagreb devînt le premier centre de basket-ball du royaume des Serbes-Croates et Slovènes, donc de la Yougoslavie. Car ce fut précisément dans cette ville que le basket-ball atteignit les sommets durant l’entre-deux-guerres.

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30 La dernière ville mentionnée par Wieland dans son rapport est Split. Malgré de mauvaises conditions climatiques, il fut satisfait des résultats obtenus : Jusqu’ici, dans le travail, le groupe de Split a montré pour ce sport une très réelle bonne volonté et une grande intelligence. Si on tient compte du peu de temps imparti, les progrès faits dans les cours furent manifestes. Je dois souligner que ce résultat heureux est dû à la coopération avec Soko et que si son assistance nous avait fait défaut nous n’aurions pu rien faire29. 31 Il souligne qu’à Split les conditions de travail étaient bonnes, mais que le mauvais temps n’a pas permis d’en tirer le maximum. Wieland estimait que les Dalmates, comme représentants exceptionnels du type dinarique pour leur grande taille et leur sveltesse étaient les plus adaptés au basket-ball. D’autre part, Split, comme les villes méditerranéennes, avait des places pavées, de nombreux jours de soleil, ce qui permettait à ceux que cela intéressait de pratiquer le sport à moindres frais. Le fait qu’ils se trouvaient entre Zagreb et Belgrade, au milieu de différents pôles politiques, le climat spirituel, ainsi que leur tendance au désœuvrement, faisaient qu’ils étaient naturellement portés vers le nouveau sport30. En conclusion de son rapport Wieland mentionnait qu’il était heureux des bons résultats obtenus dans les villes où le cours avait eu lieu, mais que la tâche était loin d’être achevée31.

32 En homme raisonnable, Wieland présentait des observations exactes sur la situation en Yougoslavie. Il eût été naturel que la majeure partie de la population, épuisée par une guerre longue et cruelle, n’ait pas eu de temps à consacrer à un type inconnu de loisir. Mais, il y a toujours de la place pour les choses nouvelles, et le fait est que le basket-ball se répandit et atteignit même les villages. Des jeunes gens, qui étaient scolarisés dans des centres importants, introduisirent cette nouveauté dans leurs villes d’origine. Après la Guerre Mondiale, cela faisait chic de propager des nouveautés dans les familles de la classe moyenne. 33 C’est ainsi que se termina le premier cours des sports de jeunes dans le royaume des Serbes-Croates-Slovènes. Mis à part les problèmes que comportaient la démonstration de sports complètement nouveaux, Wieland devait affronter aussi une mentalité nouvelle pour lui, et aussi la pauvreté et un environnement patriarcal. Mais il reste que le séjour de Wieland au royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes fut l’événement le plus important pour les débuts du basket-ball en Yougoslavie.

Les premiers pas

e 34 Ce sport, toutefois, est parvenu aussi en Yougoslavie par d’autres voies au XX siècle. Zvonimir Neferoviç, un des premiers membres de l’équipe nationale parle de ses premiers pas à Zagreb, et aussi des solutions originales adoptées : Le sport était interprété pour nous par Perica Vukićević, alors notre chef, qui avait suivi une formation de six mois de gymnastique à Prague et a dit à son retour : « Les gars, j’ai vu un nouveau sport, il est beau. Je ne sais pas comment on l’appelle dans notre langue, mais les Tchèques le nomment « koshikowa ». Et puis il a commencé à nous l’expliquer. Il a placé deux chevaux aux deux côtés du terrain ; nous avons apporté un médecine-ball et nous avons commencé à le tenir ; il a placé un joueur sur chacun des chevaux et ceux-ci ont dû étendre leurs bras. Ensuite nous nous sommes mis à nous passer le ballon de l’un à l’autre en courant et en le jetant dans ce qu’on appelle le panier. C’était la première fois que nous pratiquions le « water- polo-ball32.

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35 Nous avons déjà souligné que Zagreb fut le plus important centre de basket-ball entre les deux guerres. Milan Kobali, un des jeunes de cette époque se rappelle les premiers pas du basket-ball et dit qu’ils ont appris ce sport par un journal tchécoslovaque et aussi par de jeunes étrangers, qui étudiaient à Zagreb à cette époque. Les étudiants bulgares étaient particulièrement actifs, parce que la pratique du basket-ball était alors bien développée dans leur pays33.

36 Le basket-ball pénétra dans la Troisième High School de garçons grâce à un étudiant, Ivan Dimiçć, un fils de l’ambassadeur yougoslave en Suisse, le pays d’où il rapporta ce sport. Les règles internationales du basket-ball, qu’Ivan enseigna à ses camarades de Belgrade, lui avaient été données par son professeur suisse34. 37 Durant ces années initiales, le basket-ball se jouait dans les cours et dans les réfectoires des écoles et les associations Soko. Les conditions étaient pauvres, les structures peu appropriées (panneaux, paniers) et le sol inadapté pour ce sport. 38 Les ressources matérielles insuffisantes et le peu de popularité de ce sport retardèrent considérablement toute amélioration. Cependant, peu à peu des terrains furent aménagés par les joueurs eux-mêmes et mis en condition appropriée au jeu. L’amour du sport fut assez fort pour créer les améliorations de tout genre. Voici ce que dit à ce propos Jovan Djordjeviçć, un contemporain : Bon, vous savez, nous étions membres de Soko Belgrade 1 près de la cathédrale ; nous sommes venus là tout de suite après la guerre, c’est-à-dire en 1919-1920. Il y avait là, disait-on, un hôpital pendant la guerre et nous avons dû dégager la salle où a été organisé le terrain de Soko de toute la saleté et autres choses, et nous avons fondé là cette association Soko35. 39 Wieland mentionne dans son rapport les premiers terrains de Belgrade36 : « L’école de Savamala et l’école située près de l’église orthodoxe »37. Véra et Zdenko Pavić38 rappellent leurs premières parties de basket-ball : Nous travaillions dans l’école primaire de Voàd Karadjordje.39 Il y avait là une salle des cérémonies qui servait de gymnase. Lorsque mon mari se mit à populariser le basket-ball, presque tous les membres étaient si passionnés par ce sport, qu’après les heures régulières de la classe, nous restions à Soko à jouer au baket-ball et même parfois jusqu’à la nuit40. 40 Et Véra Pavić poursuit en parlant de l’aspect des terrains eux-mêmes : Nous jouions sur des terrains couverts de gravier, de terre battue ou d’herbe ; il n’y avait pas de panier et on se servait d’une veille chaise montée et placée sur des pieux, où l’on avait fait un trou pour y faire passer le ballon. 41 Plus loin elle mentionne la mixité des équipes : Le sport était pratiqué de telle manière que les filles ne jouaient pas séparément, ni les garçons, mais tous ensemble. Habituellement on prenait soin que les deux équipes soient d’égale force. Nous jouions tard dans la nuit, aussi longtemps que le panier était visible41. 42 Zdenko Pavić sur les ballons et les équipements raconte : Au début nous jouions avec des ballons de volley, de football ou même des ballons de chiffons. Le premier vrai ballon fut confectionné par Vule Vučković, un artisan du cuir, qui avait sa boutique près d’Autokomanda. Les numéros étaient écrits sur des morceaux de tissu rouges et blancs, et pouvaient passer d’un joueur à un autre. Les joueurs jouaient habituellement pieds nus, comme on peut le voir sur de nombreuses photographies42.

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43 En ce qui concerne les terrains et les conditions pratiques la situation du basket-ball était dans les autres villes semblable à celle de Belgrade. Les terrains étaient liés aux associations Soko et aussi aux écoles, et les problèmes concernant l’organisation et le jeu étaient les mêmes qu’à Belgrade.

Règles

44 Au tout début du basket-ball en Yougoslavie, le besoin se fit sentir de traduire les règles, car la transmission orale du savoir acquis et la démonstration même du sport se révélaient insuffisantes. Wieland utilisa dans ses cours des brochures qui contenaient des règles, de manière à les rendre aussi complètes que possible.

45 Svetislav Vulović, l’interprète de Wieland, avec l’aide de Slobodan Rančić, qui était son condisciple, traduisit le premier en serbe les règles du basket-ball en Yougoslavie. La Croix-Rouge du Royaume des Serbes-des Croates et des Slovènes publia ces règles à Belgrade en 1924. La « Librairie du sport » les sortit sous le titre : Basket-ball po najnovijim amirikanskim i francuskim pravilima — izradili S. R. i S. V. (Le basket-ball d’après les dernières règles américaines et françaises, rédigé par S. R. et S. V.)43. Les règles sont très proches de l’original américain. Le jeu lui-même était appelé basket-ball, balle au panier, et le cerceau était appelé panier. Après une brève histoire et une description du jeu, il y a un chapitre intitulé « Terrain et matériel » avec un dessin assez détaillé du terrain, la répartition des joueurs, et les mesures (même la largeur des lignes est mentionnée, 3 cm), puis la description de la structure elle-même et du panier, avec ses dimensions. Le chapitre se termine par la description du ballon de basket-ball. 46 Il y avait d’autres règles, bien entendu, qui ne correspondaient pas tout à fait à la traduction faite par Vuković et Rančić. Par exemple, en Slovénie, des règles stipulaient qu’un joueur devait être exclu dès qu’il avait fait trois fautes personnelles et que la partie était divisée en deux mi-temps. Vulović, par contre, et Rančić mentionnent la possibilité de jouer en quatre quarts-temps. À Zagreb, on appliquait des règles venues de divers pays. Elles étaient traduites de l’anglais, de l’allemand, du français et du tchèque. La diversité des versions des règles créait des difficultés, quand les équipes venues de plusieurs centres de basket-ball devaient jouer l’une contre l’autre. Zdenko Pavić fut le seul à éliminer ces problèmes en publiant en 1939 la brochure intitulée « Règles officielles pour les XIIe Jeux Olympiques »44. Ce furent les règles de la FIBA (FIBB) pour la période 1937-1940. C’est ainsi que furent unifiées les règles pour tout le territoire yougoslave.

Nom du sport

47 Au tout début, on employa le nom américain basket-ball. Ce n’était pas la plus heureuse solution, aussi des efforts furent faits pour trouver un nom qui convienne à l’esprit de la langue locale. Zvonomir Neferović rappelle comment ce problème fut résolu : « Les suggestions furent nombreuses et finalement ils décidèrent de rencontrer les professeurs Barac et Ivčić de la Faculté de Philosophie et de lui dire quelles étaient leurs propositions. Ils convinrent que le terme le plus propre pour ce sport était « košarka, si bien que depuis lors nous l’avons appelé košarka »45.

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48 Voici comment le basket-ball a pris son nom national. Il mérite encore d’être noté que, au contraire d’autres sports, des termes locaux furent utilisés en basket-ball pour des moments particuliers du jeu (lancer franc, faute personnelle, marché, etc.).

Premières parties

49 Sur un mur de l’école primaire Roi Pierre se trouve une plaque commémorative en forme de panier avec un ballon et l’inscription : « La première partie de basket-ball à Belgrade fut jouée en 1923 dans la cour de cette école ».

50 Très probablement, les premières parties furent jouées durant la période où Wieland était présent à Belgrade. Ces années-là les parties avaient un caractère populaire et éducatif plus que de véritables matchs. 51 Les règles étaient mieux apprises par la pratique du sport. Des matchs étaient organisés dans les écoles et les associations Soko. Svetislav Vulović parle du premier match connu en Yougoslavie : « Nous avons donc joué le premier championnat qui dura deux trimestres scolaires, un en automne et un au printemps »46. 52 Il est fait référence ici à l’année scolaire 1923-1924, quant à l’organisation de ce championnat Vulović dit : « Immédiatement deux d’entre nous47 commencèrent à organiser le championnat scolaire auquel participèrent huit équipes (des classes de 5e, 6e, 7e et 8e) »48. 53 Ici l’enthousiasme des joueurs était évident, puisque le championnat scolaire fut organisé par les élèves eux-mêmes. 54 Des efforts furent faits pour organiser un championnat yougoslave. La tentative la plus sérieuse fut le championnat de promotion de l’association Soko qui se tient à Skopje en 1936. Trois équipes masculines y participèrent et le premier prix fut gagné par l’équipe de Zagreb 2. 55 L’équipe nationale yougoslave de basket-ball disputa le premier match international contre la Tchécoslovaquie le 5 juillet 1938 à Prague, à l’occasion de la réunion du 10e Pan-Soko. Il est intéressant de noter que l’équipe nationale de football joua son premier match officiel contre la Tchécoslovaquie en 1920. La ressemblance entre les deux matchs fut la cuisante défaite des deux équipes nationales yougoslaves (en football le score fut de 7 à 0 et en basket-ball de 76 à 28). 56 La première équipe nationale comprenait les représentants de celle que l’on appelait « l’École de Zagreb » de basket-ball : Zdenko Tončić, John Oliver Ames, Božidar Stefanini, Andjelko Volzijan, Zvonimir Neferović (le capitaine), Josip Kozjak, Jovan Tomić, Boško Macezić et Milan Kobali. 57 L’équipe nationale yougoslave de basket-ball n’a participé à aucun match avant la guerre (championnat d’Europe, Jeux Olympiques). La Yougoslavie est devenue membre de la FIBA le 16 mai 1936 et ceci grâce à Soko, dont l’importance est évidente en ce qui concerne le développement du basket-ball. Au début, méfiants sur ce sport avec le ballon, les responsables publics peu à peu ont compris l’importance du basket-ball, un sport hautement collectif, pour la propagation de leurs idées. 58 En terme de développement du basket-ball et des sports en général, l’ouverture à Belgrade en 1939 de l’École d’Éducation physique (SPE), dont le cursus était de deux

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années, fut d’une grande importance. Soko mise à part, c’était la première institution dont le programme était l’enseignement du sport. Les premiers conférenciers étaient des étudiants qui avaient été formés ailleurs49. Le basket-ball n’était pas enseigné comme un sujet à part, mais comme une section des « sports et gymnastique » ; avec le temps cependant il prit vite son autonomie50, comme on peut le voir dans le Memorandum du Professeur qui énumère les matières d’enseignement : « Jeudi 24 octobre, classe de 4e, basket-ball, entraînement de deux équipes (D. Stefanović), samedi 15 mars, classe de seconde, basket-ball, sur le jeu en général, exercice technique préparatoire, diverses façons de passer le ballon, lancer dans le panier à partir d’une position stable (Lj. Sondić), vendredi 19 mars, classe de 4e, basket-ball, organisation du jeu, ils arbitrent eux-mêmes (S. Radovanović)… »51.

Premier championnat

59 Le point culminant du développement du basket-ball en Yougoslavie entre les deux guerres fut le Premier Championnat d’État organisé par Soko à Borovo entre le 27 septembre et le 1er octobre 1940.

60 Le championnat était réparti en 4 catégories : les seniors hommes, les seniors femmes, les juniors garçons, les juniors filles. Environ 170 membres de Soko y ont participé venant de Belgrade, Karlovac, Osjek, Petrovgrad (Zrenjanin), Sarajevo, Sušak et Zagreb. 61 Les informations les plus complètes sur ce tournoi sont fournies par Marjan Marzan, l’une des personnes les plus méritantes pour le développement du basket-ball, le président de l’association Soko Zagreb 2. À la fin des années trente il partit pour Belgrade, c’était un éminent propagateur de ce sport, un entraîneur, un arbitre et, naturellement, un joueur. 62 Comme on pouvait s’y attendre, au premier championnat de la Fédération Soko du Royaume de Yougoslavie, les joueurs de Zagreb dominèrent. Les mieux entraînés, les mieux préparés, techniquement et tactiquement, ils n’avaient pas leurs pareils. La victoire alla dans les trois catégories aux seniors (membres), aux juniors garçons et aux juniors filles. Dans la catégorie des seniors femmes la victoire alla à l’équipe de Zagreb par le score « légendaire » de 2 à 1. L’unique point fut marqué par Ružica Radovanović, qui devint plus tard joueuse du Red Star et membre de l’équipe nationale de basket- ball52. 63 Marjan Marzan dit à propos de ces parties : Les parties les plus difficiles et les plus belles étaient celles qui étaient disputées entre les membres53. Une partie vraiment excitante et techniquement belle fut celle qui a été jouée entre Sušak et Belgrade pour entrer en finale. Le vainqueur a été l’équipe de l’association Soko Zagreb 2, qui a battu en bonne et due forme l’équipe de Sušak par un score clair après une belle partie d’une grande technicité, le résultat a montré que les joueurs de la Soko Zagreb étaient de loin les meilleurs dans tous les matchs des associations Soko54. 64 Pour ce qui concerne l’atmosphère et les meilleures choses que ce sport apporte, le plus frappant est le témoignage de Miodrag Stefanović, un des représentants de l’Ecole de Belgrade de Basket-ball : Je me rappellerai toujours avec plaisir Borovo et les 27 et 28 septembre que j’ai passés là. C’était la vie. C’était réellement la vie. Ils ont été les plus beaux moments de vie, des moments d’amitié, des moments que l’on se rappelle toujours, des

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moments qui ne se répéteront peut-être jamais. Borovo nous a poussés à travailler plus dur, car nous avions décidé de gagner la prochaine fois avec l’équipe de Zagreb ou de renoncer au basket-ball55. 65 Si on insiste sur la grande camaraderie entre les joueurs, d’autres sports pourraient être mentionnés, ils étaient tous désireux de vaincre et de détrôner l’équipe de Zagreb.

La diaspora

66 Évidemment les championnats de basket-ball commencèrent en Amérique, où la ligue nationale (NBA) existait déjà à cette époque. Et il est intéressant de noter que trois tournois serbo-américains furent organisés en 1936, 1937 et 1938. À cette époque, beaucoup de Serbes avec un fort sentiment unitaire vivaient en Amérique. Les Serbes d’une vingtaine de villes américaines participèrent au Troisième tournoi serbo- américain de 1938.

67 Le journal le plus important de l’émigration serbe l’Amerikanski Journal informa de l’expédition d’une coupe56, adressée par le ministre compétent du royaume de Yougoslavie : La Yougoslavie lointaine, patrie de nos parents, n’a pas oublié son peuple. Nous avons à cœur de lui transmettre nos respects les plus sincères et notre gratitude pour le nouvel encouragement qu’elle a donné à notre jeune génération. Bien, en avant notre jeunesse, en route pour Gary et prenez le prix yougoslave57. 68 Il est évident d’après ce texte que les liens entre la mère-patrie et la diaspora étaient très forts. D’une particulière importance était l’invitation à prendre « le prix yougoslave », qui était censé motiver les participants.

69 Le développement du basket-ball en Yougoslavie durant la période qui s’étend de 1923 à 1940 était marqué, d’une part, par la pauvreté et l’incompréhension, et, d’autre part, par l’élan et l’enthousiasme. La période de l’entre-deux-guerres constituera la base de ce que deviendra le basket-ball en Yougoslavie dans la seconde moitié et surtout à la fin du XXe siècle. Sous les auspices de Soko, les premières équipes furent créées, les premières générations de joueurs grandirent, de même que les entraîneurs et les arbitres. Soko fournit les premiers terrains, organisa les premières rencontres et, finalement, en 1936 inscrivit la Yougoslavie dans l’organisation mondiale du basket-ball (FIBA). Tels furent les débuts du basket-ball dans le pays de l’actuel champion du monde.

NOTES

1. Ce sujet a été rarement traité en Yougoslavie et essentiellement comme une partie d’ouvrages généraux sur le développement du basket-ball dans le pays. On citera surtout la thèse de doctorat de Stanislav Paunić intitulée, Genèse et développement du basket-ball en Yougoslavie, Belgrade, 1981 ; dans ce volumineux travail étaient publiés les témoignages de ceux qui avaient eu affaire avec le basket-ball aux origines, mais malheureusement la plupart ne sont plus de ce monde. Outre le

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travail de Paunić, nous aimerions mentionner les livres de Milorad Sokolić, Tout sur le basket-ball, Belgrade, 1975 et de Milutin Pavlović, Théorie du basket-ball, Novi Sad, 1977. Dans des chapitres séparés ils racontent en résumé les débuts du basket-ball en Yougoslavie. Parmi ceux qui ont traité ce sujet, nous devons signaler le grand enthousiasme de Milan Tasić, secrétaire technique de l’Association de Basket-ball de Serbie, que nous remercions beaucoup pour tous les matériaux qu’il nous a fournis. Entre autre, il nous a permis de consulter deux documents inédits de grande valeur : le « rapport sur le séjour de William Wieland en Yougoslavie » et le « Rapport sur le tournoi serbo-américain à Gary ». 2. Soko (Faucon) était une organisation sportive panslave. 3. N. ŽUTIĆ, Sokoli. Ideologija u fizičkoj kulturi Kraljevine Jugoslavije 1929-1941 (Les associations Soko. Idéologie dans la culture physique dans le Royaume de Yougoslavie de 1929 à 1941), Belgrade, 1991, p. 10-12. 4. Spomenica Podmlatka crvenog krsta Kraljevine Jugoslavije 1921-1931 (Livret commémoratif de la Croix-Rouge des Jeunes du Royaume de Yougoslavie 1921-1931), Belgrade, 1931, p. 3. 5. Ibidem, p. 13. 6. San Francisco National Cemetery, San Francisco County, p. 2. 7. San Francisco Chronicle, 10. IV, 1942. 8. M. PAVLOVIĆ, Novi pogledi na pocetak kosarke i njen kontinuitet u nasoj zemlji u periodu izmedju dva rata (Nouvelles attitudes concernant les débuts du basket-ball et sa continuité dans notre pays dans l’entre-deux-guerres), Thèse de maîtrise, Belgrade, 1978, extrait 2. 9. Sierra Éducational News, janvier 1945. 10. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 233. Il mentionne Skopje, Bitolj, Niš, et Ljubjana, villes que Wieland ne mentionna pas dans son Rapport, et l’on peut donc penser que sa visite et son travail dans ces villes étaient prévus, mais n’ont pas été réalisés. 11. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 234. er 12. Il est fait référence à l’école primaire « Le roi Pierre I Libérateur ». L’école donna une partie de sa cour à la France et ensuite l’actuelle ambassade de France fut construite sur ce terrain. 13. Pravda, 7. X. 1923, XIX, p. 274, 2. 14. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 270. 15. Rapport de William Wieland en trois parties : « Rapport de deux mois en Yougoslavie, 4 décembre 1923, Mme Bénédict, 29 octobre 1923, adressé à M. C. W. Waddington, Directeur, Division des Associations de la Croix-Rouge des Jeunes, 2 avenue Vélasquez, Paris, Rapport pour le mois d’octobre 1923. 16. Première partie du Rapport de W. Wieland, p. 1. 17. Troisième partie du Rapport, p. 1. 18. Troisième partie du Rapport, p. 1. 19. Savamala est un nom populaire du quartier de Belgrade qui entoure la porte de Sava. Aujourd’hui il n’y a pas d’école à cet endroit. 20. Voir la note 12. 21. Troisième partie du Rapport, p. 1. 22. Première partie du Rapport, p. 2. 23. Deuxième partie du Rapport, p. 1. 24. Inspecteur scolaire et officier de la Croix-Rouge à Zagreb. 25. Première partie du Rapport, p. 3. 26. Organisation fasciste croate dirigée par Ante Pavelić. 27. Organisation sportive croate influencée par le fascisme. 28. N. ŽUTIĆ, op. cit., p. 254. 29. Première partie du Rapport, p. 4. 30. Troisième partie du Rapport, p. 3.

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31. Ibidem. 32. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 254. 33. Ibidem, p. 257. S. Paunić mentionne que parmi les étudiants bulgares se trouvaient aussi des membres de l’équipe nationale de ce pays. 34. Ibidem. 35. M. PAVLOVIĆ, la thèse mentionnée note 8, p. 1. 36. Le Rapport mentionné. 37. Voir note 12. 38. Véra et Zdenko Pavić sont des personnages importants en cette période du basket-ball yougoslave. Il convient de signaler qu’ils sont parents du nouvelliste serbe Milorad Pavić auteur de la fameuse nouvelle « Le dictionnaire du Khazar ». 39. École des faubourgs de Belgrade à l’époque. 40. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 285. 41. Ibidem. 42. Ibidem. 43. Une copie de ces règles est conservé au Musée du basket-ball à Paris ; c’est l’une des premières règles écrites dans une langue autre que l’anglais. 44. Référence y est faite aux Jeux Olympiques qui devaient se tenir à Londres en 1940. 45. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 256. Il faut mentionner que le professeur Barač était un des experts slaves les plus éminents. 46. Ibidem. 47. Svetislav Vulović et Slobodan Rančić. 48. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 240. 49. Il y avait trois principaux centres où nos étudiants étaient scolarisés et où ils apprenaient le basket-ball, Prague, Berlin et Varsovie. 50. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 286. Dans ses mémoires, Zdenko Pavić mentionne que le premier panier métallique fut fabriqué d’après ses desseins et qu’il fut adopté par la SPE quand le basket-ball entra comme sujet d’étude. 51. S. PAUNIĆ, Ibidem, p. 280-281. 52. Ce n’est pas le seul exemple. De nombreux joueurs de cette période restèrent actifs aussi dans les premières années d’après guerre. 53. Référence est faite aux seniors. 54. S. PAUNIĆ, op. cit., p. 303. 55. Ibidem, p. 303. 56. Il était très important pour les organisateurs du tournoi que la Coupe fût envoyée précisément de Yougoslavie. 57. Archives de Yougoslavie fonds 71, f-25, j. 63. Rapport du troisième tournoi serbo-américain de basket-ball qui s’est déroulé du 25 au 27 mars 1938 à Gary, dans l’Indiana.

RÉSUMÉS

Cet article retrace la vie des acteurs et des structures qui ont introduit le basket-ball en Yougoslavie durant l’entre-deux-guerres.

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This article highlights the actors, who took part in the introduction of basketball in Yugoslavia during the interwar era. It also describes the structures through which this experience flourished.

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Sport et éducation physique dans la Roumanie d’entre-deux-guerres : oui ou non ? Sports and Physical Education in Interwar Rumania: Yes or No?

Bogdan Popa

Introduction

1 Introduire un certain thème historiographique dans un courant général est une entreprise assez difficile et l’histoire du sport n’y fait pas exception. Pendant les dernières décennies, les historiens professionnels ont commencé à diriger leur attention sur le phénomène sportif, de plus en plus présent dans la vie quotidienne. Le sport présente de l’intérêt pour les historiens par ses traits contradictoires, par sa possibilité d’être soumis à des analyses intellectuelles solides et de représenter en même temps un sommet de la vulgarité. La recherche du phénomène sportif a relevé l’existence de faits spécifiques moins visibles lorsque l’attention des historiographes s’est dirigée surtout vers l’évolution proprement-dite des disciplines sportives et vers la tendance de compléter des séries de résultats et de records, des listes de champions ou des moments entrés dans la légende. Pourtant, faire ou consommer du sport implique la disponibilité individuelle et générale d’occuper son temps avec une telle activité, un certain espace dédié à celle-ci, la codification – par écrit ou par l’acceptation tacite de règles et de comportements spéciaux – et la création de formes de sociabilité et solidarité humaines. Pour étudier le sport, les historiens ont été obligés de faire appel aux recherches des sociologues et des anthropologues, fait qui a relevé l’importance de certaines structures sociales et mentales (parmi lesquelles le jeu, le processus de la civilisation, l’impérialisme culturel et les lieux de la mémoire1) apparemment sans rapport avec l’exercice du corps, mais en fait essentielles pour la compréhension de l’ampleur du phénomène sportif contemporain.

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2 Le sport a fait invasion dans nos vies. Les enfants rêvent plus que jamais de la gloire de stades, les bulletins d’informations s’occupent de la vie privée des champions, le corps a remplacé l’esprit en tant que modalité d’auto-présentation. Est-ce que cela a été depuis toujours ainsi ? L’historien a raison de se demander si les choses étaient pareilles pendant l’intervalle d’entre les deux guerres mondiales. Les pages qui suivent sont donc dédiées à la tentative de trouver des réponses dans la Roumanie d’entre-deux- guerres à la question pourquoi sport et éducation physique ? Il faut attirer l’attention depuis le début que, presque inévitablement, les opinions exprimées seront celles des intellectuels, habitués à s’adresser au public surtout par écrit. La tâche assumée sera d’autant plus agréable que nous sommes habitués à les regarder comme enfermés dans leurs tours d’ivoire, préoccupés par leur création et non pas par les exercices physiques et la rumeur des stades. Mais on va commencer par une brève exposition qu’on considère comme représentative pour le rapport entre vieux et nouveau dans le sport roumain après la Grande Guerre.

Le sport dans l’historiographie roumaine actuelle

3 L’historiographie roumaine du sport est encore tributaire à l’édition, revue dans l’esprit des transformations intervenues sur le terrain de la vie sociale, politique et culturelle pendant les dernières décennies, inscrivant sur le plan de l’histoire une nouvelle époque, du travail de Constantin Kiritescu, Palestrica2. Si on passe sur le goût douteux qui a conduit à refaire l’œuvre originale en fonction des exigences politiques, ce livre reste un bon livre, documenté d’une manière excellente, qui manque pourtant d’un contexte social du sport et de l’éducation physique, de la recherche des significations des actes sportifs dans la profondeur de la société. En général, ceux qui ont continué l’œuvre de Kiritescu n’ont pas cherché à dépasser leur maître. Les histoires du sport roumain sont relativement bien documentées, mais événementielles, dans le sens qu’elles notent les évolutions et non pas les mutations profondes institutionnelles. L’Encyclopédie de l’éducation physique et du sport en Roumanie, parue en 2002 en quatre volumes massifs, ne dépasse que rarement la surface des événements. Bien que des parties importantes de cet ouvrage contiennent des notes biographiques des hommes les plus importants du sport roumain, on ne peut pas établir directement les raisons pour lesquelles ceux-ci se sont dédiés à une discipline ou à une autre. Les histoires des fédérations sont événementielles. Le grand mérite de l’encyclopédie roumaine du sport reste la quantité immense de matériel recueilli et systématisé, le fait qu’elle peut servir de base sûre de départ dans la recherche de certains thèmes qui peuvent être subsumés aux tendances actuelles d’histoire sociale et culturelle. Il y a pourtant des réalisations et des idées nouvelles de valeur qui proposent de placer le sport parmi les domaines de la vie affectés par l’idéologie communiste ou parmi les éléments d’identification nationale et sociale.

4 Les idées intéressantes n’ont pas complètement manqué dans les publications roumaines, mais des travaux tels que Le Sport dans l’art roumain ou Le Sport et la littérature3, on peut déduire des réactions de rejet du sport de la part des milieux cultivés, difficiles à comprendre sans connaître les détails de chaque cas particulier d’autant plus que les réalisations artistiques et littéraires à coloration sportive avaient pourtant un public cultivé, paradoxalement intéressé par la discussion des performances sportives.

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Nouveau contre ancien ou football vs. oïna dans la Roumanie d’entre-deux-guerres

5 L’élément qui a déclenché l’explosion du sport en tant que phénomène social a été, peut-être d’une manière surprenante, non pas une longue période de paix et de bien- être, mais tout au contraire la Grande Guerre de 1914-1918. Des armées immenses se sont retrouvées face à face sur des positions carrément fixes (par rapport au style de combat de la deuxième guerre mondiale). La lenteur des opérations laissait aux soldats beaucoup de temps libre, qu’ils occupaient avec des jeux sportifs destinés à faire croître l’esprit d’équipe, d’insuffler la camaraderie, de leur conserver une forme physique adéquate au combat et, pas en dernière instance, de les relaxer. Les soldats qui sont rentrés du front ont mené un goût particulier pour les sports d’équipe et les exercices physiques individuels4.

6 Plus encore, dans les années 1930, les sportifs ont fait leur entrée dans le monde du cinéma et de la littérature. Le premier et probablement le plus connu cas de sportif devenu acteur professionnel a été celui de Johnny Weissmuller, un enfant fragile auquel les médecins ont recommandé la natation pour lui faire guérir son asthme. Découvert, évidemment par hasard, Weissmuller a participé aux concours et a gagné plusieurs médailles pour l’équipe olympique de natation des Etats Unis aux Jeux Olympiques de 1924 et de 1928. Son succès artistique a été dû au personnage de Tarzan, l’homme-singe, le bon sauvage, le héros de dix-huit productions cinématographiques réalisées pendant presque vingt ans. Bien que les scénaristes lui aient écrit une seule réplique mémorable, le héros acoustique-optique Tarzan Weissmuller était aimé par le public, tout d’abord comme sportif, ensuite comme acteur. Il incarnait le rêve américain5, l’enfant pauvre devenu à la fleur de l’âge un jeune homme beau, fort et plein de succès – un modèle digne d’être suivi. 7 La Roumanie, un pays « réintégré » mais jamais unifié jusqu’en 1918, n’a pas fait exception à la règle qui transformait le sport d’un loisir des classes supérieures en un vrai mode de vie des classes inférieures. Les disciplines sportives ont connu d’importants changements sur le plan organisationnel et une attention accrue de la part des autorités de l’État roumain. Les associations de clubs se sont transformées en fédérations, affiliées aux organismes internationaux, tandis que les participations des équipes représentatives aux compétitions entre pays sont devenues un fait courant. 8 Signe du temps et également de l’influence de la Transylvanie, le football est devenu le sport préféré des Roumains. La Fédération Roumaine de Football Association réunissait quelques centaines de clubs et des dizaines de milliers de joueurs licenciés, presque la moitié du total des clubs et des sportifs du pays. En même temps, la F.R.F.A. était la fédération la plus riche, ainsi qu’on le déduit de l’appel au secours que les dirigeants des forums sportifs réunis lui ont adressé6. 9 L’impact du football sur la société peut être mesuré non seulement par la quantité de clubs et de joueurs mais aussi, par exemple, par le fait que dans les années 1930 il a été introduit dans les calendriers de poche ; l’importance du football par rapport à d’autres sports est extraordinaire. Le Calendrier de poche spécial édité à Cluj en 1937 réserve plusieurs pages aux tableaux comparatifs des records athlétiques et de natation ainsi qu’aux champions de boxe, selon les catégories : le record de Roumanie, le record

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mondial, le résultat à l’Olympiade de Berlin de 1936. Dans son édition de 1939, le Calendrier de poche spécial commence à présenter à la rubrique « Sport » le premier album de timbres philatéliques à caractère sportif, réalisation de l’Institut d’Arts Graphiques Minerva de Cluj et présenté à l’exposition philatélique de Prague de 1938. Ensuite, est présenté le championnat de football de Roumanie, les records nationaux et mondiaux de l’athlétisme, natation et patinage vitesse – disciplines où excellaient les sportifs et les clubs de Transylvanie, les résultats du Championnat Mondial de Football et de la Coupe de l’Europe Centrale de 1938 et un très intéressant tableau où on voit quels sont les organes et les parties du corps mis en mouvement par les différents sports et les aptitudes qu’ils développent. On y apprend, par exemple, les qualités du football, le seul sport d’équipe présent : les organes et les parties du corps intéressés surtout étaient le cœur, les poumons, la musculature des jambes, les yeux agiles ; les aptitudes développées par le football étaient la persévérance, le sang-froid, l’agilité, la promptitude, la discipline, le fait d’apprécier des yeux les distances, le sens de la solidarité, de l’altruisme et de la renonciation en vue d’un idéal commun7. 10 Par des moyens obscurs mais qui tiennent à égalité mesure du changement du style de vie d’une société urbanisée et industrialisée, mais ayant des racines rurales, ainsi que de l’instrumentalisation politique, le football est entré déjà dans la catégorie des traditions inventées par l’Europe des nations dans les deux derniers siècles8. 11 Dans son expansion dans l’espace roumain, le football allait produire une victime importante : la oïna. Les livres de questions et réponses ou les concours de culture générale renferment des questions sur les sports « nationaux » des différents peuples. Ceux-ci ne sont pas toujours les mêmes avec les sports plus pratiqués ou aimés, mais représentent un moyen d’étaler des caractéristiques du peuple respectif et l’orgueil d’exceller dans une certaine discipline. Digne d’être retenu est le fait qu’un sport national ne fait pas nécessairement partie des disciplines connues et pour lesquelles on organise des compétitions entre différents pays. Le choix d’un sport national a une justification précise qui se rapporte au contexte culturel et national du peuple ou de l’Etat respectif. En ce qui concerne l’histoire de la oïna, considérée comme le sport national des Roumains, celle-ci est certainement plus spectaculaire que le jeu proprement dit, aujourd’hui presque oublié. 12 En 1897, les festivités dédiées à la fête nationale (10 mai) ont compris un concours de oïna entre sept lycées et gymnases de Bucarest, la capitale du jeune Etat roumain. La compétition a eu lieu dans le parc de Cismigiu, un jardin public très populaire parmi les bucarestois moyens et, conformément au témoignage du professeur de gymnastique et futur inspecteur scolaire Dimitrie Ionescu9, n’était que la suite d’un événement d’avril 1897, lorsque six professeurs de gymnastique de Bucarest ont été invités chez Spiru Haret, qui se trouvait au début de son premier mandat en tant que ministre des Cultes et de l’Instruction Publique. On a choisi alors, parmi les jeux des enfants, la oïna pour être codifiée par un règlement, ciselée et introduite dans les écoles de garçons. L’initiative du ministre n’est guère surprenante car il affirmait : Les enfants doivent jouer car ils sont des enfants et le but de la gymnastique est celui de nettoyer les écoles du fléau des vieux de 15 ans10. 13 Un an après la compétition, par une circulaire du Ministère des Cultes et de l’Instruction Publique adressée aux mairies, le ministre Haret notait : Nous espérons et désirons que la oïna devienne notre sport national11. L’initiative a été bien accueillie : d’une part on soulignait la nécessité de conserver les jeux traditionnels menacés de

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disparition, d’autre part parce que les citoyens de la Roumanie désiraient vivre dans un pays puissant et respecté par les voisins12, raison pour laquelle la oïna devait être pratiquée conjointement avec un système de gymnastique rapproché du système allemand créé par Friedrich Jahn. Dans une histoire de la petite Roumanie, la gymnastique aurait dû probablement avoir la place que Heinrich von Treitschke a accordée à la Turnerschaft – le mouvement de stimulation corporelle et spirituelle après la catastrophe napoléonienne cristallisée autour de Friedrich Ludwig Jahn (1778-1852) – dans son travail qu’il a dédié à l’histoire allemande du XIXe siècle13. 14 La désuétude où est tombé le sport national officiel des Roumains – quoique la Fédération Roumaine de Oïna14 (fondée en 1932 et dont l’activité a été interrompue après cinq ans, reprise ensuite dans le cadre de la Fédération Roumaine de Gymnastique et Oïna) organise encore aujourd’hui au championnat national et, il n’y a pas longtemps, du moins au niveau programmatique, le lancement de la balle de oïna a représenté une norme pour accorder les notes dans le cadre des heures d’éducation physique – semble avoir de vieilles racines. Le football et le rugby étaient encore plus populaires avant la première guerre mondiale. Le fait qu’on a eu l’idée d’envoyer deux équipes d’oïna ait afin de soutenir une rencontre démonstrative aux Jeux Olympique de 1896 d’Athènes, semble aujourd’hui un fait plutôt anecdotique15. Bien que stimulée pendant les années du régime communiste et incluse dans les compétitions sportives de la jeunesse, la oïna est restée un sport discret16. Le terrain de oïna, en tant que lieu de rencontre de la jeunesse, est resté plutôt un rêve des fondateurs de ce sport, en dépit de l’estime dont ce jeu a joui de la part d’une série d’hommes de lettres renommés de Roumanie – j’ai nommé Ionel Teodoreanu, Demostene Botez ou Mihail Sadoveanu, ce dernier, bien connu comme écrivain de gauche, argumentant l’existence d’un sport national spectaculaire, mais déjà invisible dans les décennies d’entre-deux-guerres, méritant pourtant de s’opposer aux sports occidentaux : La mode d’après la guerre a amené des sports étrangers et elle les impose avec des méthodes américaines […] la pratique des sports semble commencer à peine maintenant mais comme une imitation des jeux de l’Occident17. 15 Malgré un réel intérêt initial, le public urbain a perdu son appétence pour le sport national, préférant des disciplines que permettaient ce que la oïna, en raison de son unicité, ne pouvait pas offrir : la compétition externe. Une raison possible de la diminution de l’intérêt du public a été l’impossibilité d’exporter le jeu, de le propager dans d’autres sociétés, de créer les prémisses d’une compétition entre États qui réveille les orgueils nationaux et conduise implicitement au développement d’un nouveau sport. 16 Les guillemets qui accompagnent presque partout l’attribut national sont inhérents dans le cas de la oïna. La tentative de faire un sport national d’un jeu régional n’a pas échoué dans le cas roumain, mais elle n’a pas trouvé non plus l’appui constant d’une société cosmopolite habituée à regarder vers l’Occident. Plus encore, la oïna n’a pas eu la capacité d’autres sports d’équipe, tels le football, le basket-ball, le rugby ou le hand- ball, de réunir des communautés entières dans les arènes, de coller des nations entières aux postes de radio, peut-être, également, de créer des modèles viables, et des héros des arènes.

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Sport et éducation physique : la position des intellectuels roumains

17 La fascination du sport apparaissait – hier comme aujourd’hui – pendant l’enfance, à l’âge où le sport et le jeu ne forment presque qu’une et même chose. Des jeux des enfants de Roumanie on peut pourtant déduire les différences entre villes et campagnes ainsi que celles de nature économique et sociale existant entre les familles des petits joueurs. Même dépourvus de ressources financières spéciales, mais pourvus d’imagination, les enfants réussissaient à transformer un terrain vague en un stade olympique presque complètement équipé pour les épreuves d’athlétisme18. L’âge de l’enfance est en fait un code à travers lequel on peut lire toute la ‘théorie’ du sport d’entre-deux-guerres.

18 Même si le sport gagnait du terrain, il se trouvait, dans la vision de certains théoriciens des années d’entre les deux guerres mondiales en antithèse ou inclus dans l’éducation physique moderne dont on affirmait qu’elle avait concilié d’une manière heureuse les antiques desiderata du corps sain avec le désir médiéval de la connaissance exclusivement spirituelle. Les opinions des intellectuels de la Roumanie d’entre-deux- guerres peuvent être classées dans trois catégories majeures : rejet, appréciation nuancée ou totale. Le degré d’implication active ou passive dans la vie sportive a été différent – depuis l’exercice occasionnel d’une discipline jusqu’à l’implication totale dans les mouvements de vulgarisation du sport et de la gymnastique. Les attitudes des intellectuels à l’égard du spectacle sportif ont été variées, depuis l’ignorance et le rejet critique jusqu’à la participation directe. Pour l’écrivain Mihail Sebastian, le sport faisait partie de l’ensemble des références culturelles, de l’attitude à l’égard de l’acte créateur19. L’attribut sportif illustrait l’élégance du corps et le comportement honorable, désignait la force physique et également la probité20. 19 Un des plus intéressants points de vue contre le sport a été celui du réputé critique littéraire et esthéticien Tudor Vianu pour qui le sport n’était qu’un palliatif de la liberté, un culte des excès du poing et du pied. La frustration de l’intellectuel se révèle dans un renvoi direct à la transformation du sport en un mode de vie admis et propagé par l’Etat, l ‘Eglise, l’École et la Science, cette dernière étiquetée, à côté du théâtre et de la religion, comme aspect de l’existence. Le sport ne crée pas, il subjugue les hommes. On ne peut pas parler d’une valeur éducative pour la jeunesse, car les lacunes de la formation spirituelle auraient été trop grandes et par conséquent l’éducation devait être dirigée dans le sens de les combler et non pas orientée vers un modèle allogène dangereux21. Le texte étudié a été formulé en termes durs, et du point de vue intellectuel, on ne saurait lui nier une certaine justesse et une note de validité actuelle. 20 Un autre argument contre le sport est dérivé de la structure démographique de la société roumaine entre-deux-guerres. On a dit donc que le sport est une invention américaine nécessaire là où le travail industriel ne laissait pas aux individus le loisir nécessaire pour une récupération physique et psychique absolument nécessaire. La Roumanie, pays agraire, n’aurait pas eu besoin de sport car, de toute manière, les paysans gagnaient par les travaux agricoles une condition physique apte à être comparée à celle obtenue grâce aux heures d’entraînement sportif. Le contre-argument a appartenu à Constantin Kiritescu, professeur de l’Institut Supérieur d’Education Physique de Bucarest. Pour Kiritescu, le jeu sportif était une nécessité physique et psychique élémentaire, dont le moteur était le sentiment si humain du plaisir. La tare

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majeure du sport moderne était paradoxalement constituée par le spectacle qu’il créait et qui supposait un groupe petit, mais actif, regardé par une majorité passive qui se contentait de performances athlétiques indirectement obtenues, préférant discuter et non pas s’impliquer directement dans les épreuves athlétiques22. Nous retrouvons chez Kiritescu une idée récurrente dans la pensée des intellectuels qui ont considéré le sport comme un thème de réflexion, signe d’un style de vie qui leur était propre : le mal du sport provient du professionnalisme, de la recherche exagérée du spectacle et du profit financier. Le vrai sportif était le sportif amateur, romantique incurable pour lequel primaient la santé, le record acquis honnêtement et la vertu23, qualités acquises par l’éducation physique collective, partie intégrante de la formation psychique de l’individu et de la nation dont il fait partie et non pas le divertissement et le profit financier24. 21 Pour les intellectuels roumains être sportif signifiait ce qu’on appelle aujourd’hui le look, c’est-à-dire être beau, sain et élégant et surtout signifiait intégrer ces valeurs dans le comportement quotidien, d’assumer exactement ce que les théoriciens voulaient qu’on comprenne par éducation physique : mens sana in corpore sano, ainsi que le disait Juvnal. 22 Par le biais des journaux intimes nous découvrons un côté à part de la vie des hommes de culture de la Roumanie d’entre-deux-guerres. Certes, pas dans la même mesure que le café ou le théâtre, le stade apparaît comme un espace de sociabilité, de nostalgies, avouées à l’âge de l’enfance de manière discrète ou explosive. Dans les tribunes des stades bucarestois, par exemple, on rencontrait des écrivains et des acteurs à la recherche d’un spectacle relaxant. Présent à un match, le même Mihail Sebastian s’est déclaré profondément impressionné par le silence de quelques 20 000 hommes qui se recueillaient à la mémoire d’un joueur décédé, fait digne d’être mentionné afin de le comparer à l’attitude de nos jours. L’image habituelle que nous avons de Mircea Eliade – un air préoccupé, un homme plongé dans ses pensées – devient humaine lorsque nous apprenons qu’il ne refusait pas un match de volley-ball avec les amis pendant un samedi après-midi passé à la plage25. 23 Refuser toute forme d’éducation du corps aurait été une erreur dans les conditions où l’on appréciait que la débilité physique associée à la subnutrition détruisait la productivité du travail26. Priorité d’État après la Première Guerre Mondiale, fait accentué par la création d’un Institut national à rang universitaire ayant le but de former des professeurs civils et militaires, l’éducation physique a été considérée comme essentielle dans la formation de la jeunesse, en lui octroyant un rôle hygiénique, disciplinaire et national27.

Conclusions

24 Il nous faut reconnaître avoir laissé de côté au moins deux aspects de l’histoire du sport roumain d’entre-deux-guerres : le rôle des femmes et des organisations de masse, telle Straja Ţãrii (La Garde du Pays), créée par le roi Charles II (1930-1940) dans le but de tenir sous contrôle une jeunesse de plus un plus réactionnaire, attirée par les plaisirs de la vie ou par l’idéologie de l’extrême droite.

25 Nous saisissons pourtant un conflit intellectuel fécond du point de vue théorique : être contre le sport ne signifiait pas le rejeter définitivement, tel un corps étranger inutile

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pour la société roumaine, mais repousser le professionnalisme et le relent commercial des activités à caractère sportif. Faire du sport signifiait pratiquer ces disciplines individuelles ou d’équipe qui étaient utiles à la personne et à la collectivité. Commencé comme un phénomène normal d’imitation sociale, en dépit des recommandations chaleureuses des hommes de culture, le sport présente le paradoxe d’un phénomène désiré et stimulé, mais qui peut produire des explosions d’instincts incontrôlées ayant des effets forts sur les jugements émis sur lui. Le sport apparaît dans la conception des chercheurs comme un produit de la société occidentale importé sans que les sociétés périphériques d’Europe et des autres continents en aient détourné le sens. 26 L’impact du sport sur la société roumaine d’entre-deux-guerres a été un impact de poids. Du conflit avec l’éducation physique, conflit né des différences de valorisation sociale, le sport est sorti vainqueur. Les tentatives de le propager au rang des masses se sont avérées plus fortes et mieux coordonnées sous l’Etat communiste, centralisé et dictatorial. Ce qui a disparu pourtant pendant la période communiste a été la liberté de déclarer publiquement son opposition à l’égard du sport. Ses valeurs éducatives n’ont jamais été niées, et lorsqu’elles ont été niées, cela n’a pas eu un grand succès. 27 Si la couche intellectuelle nous a offert la possibilité de pénétrer dans son intimité et de l’accompagner à la plage ou de surprendre l’atmosphère de l’époque à travers le sens des expressions utilisées, quel a été pourtant l’impact du sport sur l’homme de la rue ? Nous allons faire appel à une histoire que nous considérons comme représentative pour illustrer l’influence de l’éducation physique et sportive parmi les commun des mortels. 28 Maria est une simple inconnue. Un beau jour, elle a acheté un livre et elle a écrit tout simplement sur la page de garde – Maria, 1945, XII. Edité par une maison d’édition obscure d’une localité obscure, ce livre était une traduction autorisée de la langue française du travail de Jatindra Chakraborty sur l’éducation physique hindou28. 29 Le geste n’aurait pas dit grand-chose si cette femme, dont on ne sait rien, n’avait pas souligné au crayon violet les exercices qui aidaient à faire disparaître le ventre, la graisse, a faire entraîner les muscles pectoraux ou à résoudre certains problèmes digestifs. Les notes de l’anonyme Maria nous transportent, avec la force d’un journal intime, exactement dans son univers intérieur. Dans un pays à peine sorti de la guerre et occupé par l’armée soviétique, une femme quelconque voulait être belle, maigrir et, pourquoi pas, se sentir bien dans sa peau.

NOTES

1. Johan HUIZINGA, Homo Ludens. Încercare de determinare a elementului ludic al culturii, Bucarest, 2002 ; Norbert ELIAS, Procesul civilizãrii. Cercetãri sociogenetice si psihogenetice, Jassy, 2002 ; Allen GUTTMANN, Games and Empires. Modern Sports and Cultural Imperialism, New York, 1994 ; Pierre NORA (coord.), Les lieux de mémoire. III, Paris, 1994. 2. Constantin KIRIŢESCU, Palestrica. O istorie universalã a culturii fizice. Origini, evoluţie, concepţii, metode, probleme, împliniri, Bucarest, 1964, p. 9.

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3. Marin MIHALACHE, Sportul în arta româneascã, Bucarest, 1974 ; Sebastian BONIFACIU, Sportul în literaturã, Bucarest, 1990. 4. Christiane EISENBERG, « Sportivul », in Ute Prevert, Heinz-Gerhard Haupt (coord.), Omul secolului XX (L’homme du XXe siècle), Iassy, 2002, p. 84 ; Ursula BECHER, Geschichte des modernen Lebensstils. Essen-Wohnen-Freizeit-Reisen, München, 1990, p. 179 ; sur l’importance des Jeux Interalliés de 1919 dans la propagation de nouvelles disciplines inventées dans les collèges nord- américains (basket-ball, hand-ball) voir Allen GUTTMANN, Games and Empires. Modern Sports and Cultural Imperialism, New York, 1994, p. 105. 5. Sabine HORST, « Von Champion zum Filmstar. Johnny Weissmuller », in Hans SARKOWITZ (coord.), Schneller, Höher, Weiter. Eine Geschichte des Sports. Nach eine Sendereihe des Hessischen Rundfunks, Frankfurt/Main, Leipzig, 1996, p. 300. 6. Uniunea Federaţiilor Sportive din România, Anuarul sportiv 1938-1939 (L’Annuaire Sportif 1939-1939), p. 75, 80. 7. Calendarul de buzunar special (Le Calendrier de poche spécial), Cluj, 1939, p. 188. 8. Eric HOBSBAWM, « Mass-Producing Traditions : Europe 1870-1914 », in Eric HOBSBAWM, Terence Ranger (eds.), The Inventing of Tradition, Cambridge University Press, 1997, p. 263-307, ici p. 298-299 ; cf. Eric HOBSBAWM, Naţiuni si naţionalism din 1780 pânã în prezent. Program, mit, realitate (Nations et nationalisme de 1780 jusqu’à présent. Programme, mythe, réalité), Kichinev, 1997, p. 139-140. 9. Dimitrie IONESCU, Istoricul gimnasticei si al educaţiei fizice la noi (Histoire de la gymnastique et de l’éducation physique chez nous), Bucarest, 1939, p. 45-46. 10. L’origine du jeu a fait l’objet de nombreuses théories, mais elles n’ont pas été solidement argumentées. Un argument important a été la présumée existence du jeu seulement dans l’espace roumain. Voir « Federaţia Românã de Oinã » (La Fédération Roumaine de Oïna), in Enciclopedia educaţiei fizice si sportului din România. I. Federaţii naţionale : istorie, retrospectivã în imagini, figuri, reprezentative (Encyclopédie de l’éducation physique et du sport en Roumanie. I. Fédérations nationales : histoire, rétrospective en images, figures représentatives), Bucarest, 2002, p. 825. 11. Fragment d’une circulaire datée septembre 1908 du ministre adressée aux professeurs de gymnastique, rédigée par Spiru Haret lui-même, apud Dimitrie Ionescu, Istoricul gimnasticei si al educaţiei fizice la noi, Bucarest, 1939, p. 80. 12. Dimitrie IONESCU, « Oina » (La Oïna) in Albina. Revista enciclopedicã popularã (L’abeille. Revue encyclopédique populaire), Année I, no. 35, 31 mai 1898, p. 1106. L’article est une très brève présentation des règles du jeu et de la compétition de l’année précédente. 13. Heinrich von TREITSCHKE, Deutsche Geschichte im 19. Jahrhundert, Leipzig, 1917, p. 383 et suiv. 14. – site officiel de la Fédération Roumaine de Oïna. 15. Voir le chapitre « Oina » in Emil Ghibu, Ion Todan, Sportul Românesc de-a lungul anilor. O istorie a sportului din România (Le sport roumain au long des années. Une histoire du sport de Roumanie), Bucarest, 1970, p. 439, 442. 16. « Federaţia Românã de Oinã », in Enciclopedia educaţiei fizice si sportului din România. I. Federaţii naţionale : istorie, retrospectivã în imagini, figuri reprezentative, Bucarest, 2002, p. 827. 17. Mihail SADOVEANU, « Jocuri de primavarã » (Jeux de printemps), in Sebastian BONIFACIU, Sportul în literaturã (Le sport dans la littérature), Bucarest, 1990, p. 96-98. 18. Mirela-Luminiţa MURGESCU, Silvana RACHIERU, (coord.) Copilãria si adolescenţa de altãdatã. Tinerii de azi cerceteazã istoria de ieri – Concursul Istoria Mea – EUSTORY, ediţia I, 2000, Bucarest, 2003, p. 36, 106. 19. Mihail SEBASTIAN, Eseuri, cronici, memorial. Ediţie îngrijitã si prefaţatã de Cornelia Stefãnescu, Bucarest, 1972, p. 665, 671, 680. 20. Petru COMARNESCU, Jurnal 1931-1937 (Journal 1931-1937), Iassy, 1994, p. 106. 21. Tudor VIANU, « Valoarea sportului » (La valeur du sport), in Gândirea, an XI, n o. 5, 1931, p. 230-232.

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22. Constantin KIRIŢESCU, « Sport si culturã », (Sport et culture) in În slujba unei credinţe. Campanii – figuri – mãrturisiri, Bucarest, 1933, p. 147-183. 23. Petru COMARNESCU, Homo Americanus, Bucarest, 1933, p. 136, 139. 24. Iuliu HATIEGANU, « Educaţia fizicã în Universitate » (L’éducation physique dans l’université), in Studii de organizare universitarã (Etudes d’organisation universitaire), Cluj, 1938, p. 3. 25. Petru COMARNESCU, Jurnal 1931-1937, Iassy, 1994, p. 50. 26. Stefan BARSANESCU, Pedagogie (Pédagogie), Craiova, 1932, p. 98-99. 27. Augustin LATIS, Educaţia fizicã. Principii-metodã-rezultate cu aplicaţiuni la educaţia tineretului român (L’éducation physique. Principes-méthode-résultats avec applications à l’éducation de la jeunesse roumaine), Tchernovtsy, 1943, p. 14. 28. Jatindra CHAKRABORTY, L’éducation physique hindoue pratiquée par les anciens Hindous pour la santé, la longévité et la vie intellectuelle, Aninoasa, s.a.

RÉSUMÉS

L’auteur étudie la relation entre sport et éducation physique dans la Roumanie de l’entre-deux- guerres en voyant comme cela s’accompagne de la transformation du sport de loisir aristocratique en mode de vie des classes « inférieures ». Il examine aussi l’intégration du pays dans un ensemble plus vaste à travers l’adoption de sports venus d’ailleurs et le déclin des sports locaux comme l’oïna qui était le véritable sport « national » roumain avant d’être éclipsé par le football.

The author studies the relation between sports and physical education in Rumania during the interwar era keeping in mind how this is accompanied by a transformation of sport from an aristocratic leisure pass-time to an integrated way of life destined to the “inferior” classes. He also examines this country’s integration in a wider geopolitical framework through the adoption of foreign sports and the subsequent decline of local sports like the oïna, which was the original Rumanian “national” sport before becoming obsolete following the introduction of football.

AUTEUR

BOGDAN POPA

Université de Bucarest

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Le mouvement olympique en Roumanie The Rumanian Olympic Movement

Maria Bucur-Ionescu, Vlad Dogaru, Lia Manoliu, Dan Popper, Septimiu Todea et Anghel Vrabie

1 Apparus dans l’antique Hellade et développés dans le but de contribuer au développement harmonieux de l’être humain et au meilleur équilibre entre l’esprit et le corps, « patronnés » par les dieux et visant la glorification des meilleurs hommes de l’époque, les Jeux Olympiques antiques ont duré, selon ce que nous connaissons aujourd’hui, plus de 1150 ans. Ils se sont fait remarquer par une durée et une régularité tout à fait inhabituelles. Quelles actions ou manifestations humaines peuvent se vanter d’une telle durée défiant les millénaires et d’un tel rythme très enviable.

2 L’essence profondément humaine et les idéaux qui ont inspiré les Jeux Olympiques ont survécu à travers les siècles, ce qui a rendu possible leur reprise à la fin du XIXe siècle et leur poursuite aujourd’hui comme une fête grandiose de la jeunesse sportive du monde entier. 3 Le peuple roumain, sensible à tout phénomène nouveau et progressiste, ayant des penchants ancestraux pour les faits de courage et de vaillance, s’est rapproché assez vite du phénomène olympique. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le grand poète roumain Georges Cosbuç décrit dans quelques beaux vers la lutte entre deux candidats aux lauriers olympiques pendant une édition des Jeux Olympiques antiques. Citoyen roumain d’origine grecque, Evangélos Zappas accorde une grande somme d’argent pour organiser des compétitions culturelles-sportives selon le modèle des compétitions antiques. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le prince George Gh. Bibescu est le premier roumain membre du Comité international Olympique tandis que Georges A. Plagino (plus tard sénateur du Parlement de la Roumanie) est le premier sportif roumain à participer aux Jeux Olympiques de 1900 de Paris au tir et depuis 1908 est membre du Comité International Olympique pendant 41 ans. En dépit des conditions socio-économiques contraires – la Première Guerre Mondiale – et du désintérêt du

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pouvoir, qui n’a pas permis la stimulation d’activités sportives organisées, la Roumanie a fait son apparition effective et officielle sur les stades olympiques en 1924 aux Jeux Olympiques de Paris. 4 Entre les deux guerres mondiales, le sport commence à s’affirmer, les fédérations sportives nationales commencent à être créées, on construit une série de bases sportives. Un nombre de plus en plus grand de jeunes se met à pratiquer différents sports et à fréquenter les leçons d’éducation physique dans les écoles. La Deuxième Guerre Mondiale interrompt cette ascension du sport. La période 1944-1989 est un moment spécial dans l’histoire du sport roumain. Parce que les résultats sportifs représentaient un « miroir » de la situation interne du pays pour l’extérieur, le régime communiste a accordé une attention particulière au développement du sport. On lui a créé des structures, on lui a donné des moyens matériels afin que le sport de performance obtienne les meilleurs résultats. Les Jeux Olympiques ont constitué un excellent tremplin pour les sportifs roumains désireux de se faire connaître par le monde et des noms comme ceux de Nadia Comaneci, Iolanda Balas, Ivan Patzaichin, Lia Manoliu et d’autres encore que l’espace restreint ne nous permet pas de mentionner, font l’orgueil de la Roumanie, de ces terres anciennes, et non pas d’un régime ou d’un autre.

Les débuts du sport organisé en Roumanie et les premiers contacts avec le mouvement olympique international

e 5 Dans le tourbillon des grandes transformations entre la fin du XIX siècle et le commencement du XXe siècle, anticipant les modifications substantielles qui allaient intervenir dans la structure de la société contemporaine, le sport allait occuper une place importante parmi les activités sociales de l’homme moderne. Timidement mais à coup sûr, le sport pénètre de plus en plus dans les préoccupations des hommes, tant comme spectacle, mais surtout comme un moyen important pour la croissance du potentiel biologique de l’organisme humain. Dans un nombre de plus en plus grand de pays, l’éducation physique devient une discipline obligatoire dans les écoles. Sont créées alors des institutions spécialisées pour la formation des futurs éducateurs. Apparaissent aussi des organismes nationaux et internationaux pour diriger et organiser cette activité. Le sport de performance acquiert de nouvelles valeurs et le record devient un but qui doit être dépassé.

6 Dans le contexte général du développement du sport mondial, les germes de cette activité apparaissent aussi en Roumanie. Les débuts sont modestes. Les moyens matériels sont plutôt inexistants. Dans la majorité des cas, le sport est alors l’apanage des riches. Leurs fils, qui fréquentent les écoles des capitales occidentales, apportent dans le pays les règles de certains sports et quelques équipements sportifs. Certaines branches, dans les formes pratiquées dans d’autres pays, font leur apparition par le biais de spécialistes étrangers établis en Roumanie ou de représentants salariés des sociétés étrangères créées grâce aux capitaux de provenance occidentale. 7 Grâce à ces influences, de nouveaux sports sont connus en Roumanie (tennis, football, rugby, etc.) ; ils s’ajoutent à ceux déjà consacrés (gymnastique, tir, escrime, etc.). Par conséquent, toute une série de clubs et de sociétés sportives apparaissent, certaines

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ayant une vie plus longue, d’autres une vie éphémère disparaissant peu de temps après avoir commencé, en grande pompe, leur activité. Le nombre des gens qui pratiquaient ces sports était très réduit. La majorité de la jeunesse ne connaissait pas ces sports et d’ailleurs elle ne pouvait pas les connaître car les terrains et les équipements sportifs ne leur étaient pas accessibles, surtout les sports qui, à cause des conditions matérielles requises, étaient considérés comme des sports d’« élite » (l’escrime, le tennis, l’équitation, le tir). 8 En dépit de cette pénurie de pratiquants et de clubs, toute une série de concours et de compétitions font néanmoins leur apparition, ce qui impose l’élaboration de règles pour tous valables et la création d’un cadre d’organisation capable d’assurer le déroulement de l’activité sportive. Dans ces conditions est créée, le 1er décembre 1912, la Federatiunea Societatilor Sportive Române (F.S.S.R.) (La Fédération des Sociétés Sportives Roumaines). Comme délégués (sorte de secrétaires ayant un pouvoir exécutif) il y avait Ion N. Camarasescu et le Dr Ion Costinescu. Du premier Comité de la F.S.S.R. faisaient encore partie : le général adj. C. Coande, le prof. Munteanu Murgoci, Alexandru Florescu, I.I. Schlavo, T.A. Davila, Matei Bals, Trian Lalescu, N. Badulescu, Gh. Viereck, Georges Iconomu, Al. Bellio, Georges V. Bibescu, Gr. Caracostea, Dinu Cesianu, G. Costescu, C. Chiriasescu, l’ing. N. Iliescu-Brânceni, le prof. D. Ionescu, A. Müller, I. Nicoleascu, M. Savu et le prof. Const. Tzigara-Samurcas. Le but de cette organisation, tel qu’il ressort de son statut, était de répandre dans la jeunesse le goût pour la pratique des sports, d’encourager la création de nouvelles sociétés et de clubs, d’établir des règles unitaires pour chaque sport, de soutenir l’aménagement d’espaces organisés pour le sport etc. Si en ce qui concerne la diffusion du sport parmi la population et la création d’espaces pour la pratique de différents sports il a été très peu fait au cours des premières années, en revanche, il nous faut mentionner jusqu’à la Première Guerre Mondiale, la préoccupation de la F.S.S.R. et certains succès obtenus par l’effort de consolidation du mouvement sportif roumain (organisation de championnats, système d’affiliations et de légitimations, traduction et adaptation des règlements par branches sportives etc.). C’était la période pendant laquelle on a mis de l’ordre dans le sport et on a appris comment il fallait organiser cette activité ; c’était la période des pionniers du sport roumain. Devant les difficultés matérielles, devant l’indifférence et l’ignorance, une poignée de gens a apporté ses modestes contributions à l’édifice du sport roumain, par des sacrifices personnels, par leur travail persévérant et désintéressé1.

e 9 En 1912, a lieu à Stockholm la V édition des Jeux Olympiques. La presse du temps commente de plus en plus amplement cet événement. le mouvement olympique international, sous la direction du baron Pierre de Coubertin, acquiert un prestige et une renommée de plus en plus grands. Cet essor du mouvement olympique tendant vers l’universalité ne manqua pas de se faire sentir sur le territoire de la Roumanie. Malgré le fait que le sport roumain n’avait pas encore de Comité National Olympique reconnu par le C.I.O., certains sportifs roumains manifestent leur désir de prendre part aux Jeux de Stockholm. Ainsi, un article intitulé « Les Jeux Olympiques de Stockholm et la participation des gymnastes roumains »2 relate : Conformément au règlement des concours, la fédération roumaine (La Fédération des Sociétés de Gymnastique de Roumanie – F.S.G.R., n.n.) va envoyer une équipe de 16 gymnastes dirigée par M. l’inspecteur Th. Georgescu. Cette équipe va concourir avec les équipes des autres fédérations participantes (Allemagne, France, Belgique, Hollande, Danemark, Suède, Italie, Hongrie, Bohème, etc.).

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10 La Fédération roumaine va faire appel aux autorités et à ses adhérents pour ramasser les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses. C’est la première intention roumaine de participer aux Jeux Olympiques.

11 Mais les liens entre l’éducation physique et le sport roumain et le mouvement olympique, avec l’apparition des Jeux Olympiques, sont précoces. Et ainsi que Monique Berlioux le dit dans son travail D’Olympie à Mexico 3 cette contribution : « Pour rendre plus agréable l’Exposition-foire qui devait être inaugurée à Athènes, un citoyen roumain (souligné par nous) riche, né en Grèce, Zappas Evangélos, a demandé au roi Othon de reprendre les concours olympiques ». Il s’agit de la première tentative de Zappas, de 1859, d’organiser des compétitions sportives selon le modèle des Jeux olympiques antiques. « Zappa ne s’est pas découragé et a laissé à sa mort une grande somme d’argent pour organiser des jeux plus dignes ». 12 Les informations concernant les fouilles du savant allemand Ernst Curtius entreprises à Olympie, de 1875 à 1881, qui apportent de nouvelles données liées aux traditions olympiques du peuple grec de l’ancienne Hellade, se répandent dans le monde entier, et arrivent aussi en Roumanie. Nous supposons que, par hasard, a été créée à Bucarest, en 1883, la « Société Olympique Roumaine », sorte de club de gymnastique qui propose à ses membres l’organisation d’ « exercices olympiques », à savoir des leçons de gymnastique. Pour nous, ce n’est pas l’activité de cette société qui est intéressante mais son titre, qui prouvait que les amateurs d’exercices physiques de cette époque n’étaient pas étrangers aux idées olympiques4. 13 Également, significative est la poésie Atletul din Argos du grand poète roumain Georges Cosbuç, publiée en 1888 dans la revue Tribuna de Sibiu. Cosbuç y décrit avec une grande force le destin de Sratofo, le pentathloniste d’Argos : Moi, Stratofo d’Argos, je n’ai pas des bras de titan, mais je me rends à Philiu et à Pyton chaque année Aux pugilats ; je me lance dans le pancrace, Je cours, je lance le disque – aujourd’hui non. Car Je martèle fort les autres, mais les autres me frappent Avec leurs poings, et ma tête ravagée chante pendant trois mois. Et bras à bras, mon rival de ses grands ongles s’enfonce Dans ma chair, me soulève, me terrasse sur le plancher. 14 Plus loin, Cosbuç rappelle le but des vifs combats où l’athlète Stratofo d’Argos s’entraînait pour devenir lui aussi un « saint », car dans l’ancienne Hellade les vainqueurs des Olympiades jouissaient des plus hauts honneurs au retour dans leur cité natale. Continuant à décrire les angoisses de Stratofo, Cosbuç compare de manière suggestive les coups que celui-ci a reçus dans le combat avec Dandès, coups si forts que Clitomaque de Thèbes n’était même pas capable de donner. Clitomaque (en fait Kleitomachos) que mentionne Cosbuç n’est autre que le champion olympique au pancrace, à la 141e Olympiade antique qui s’est déroulée en l’an 216 a. n. è. et fut vainqueur olympique au pugilat à l’occasion de la 142e édition de l’an 212 a. n. è.

15 Les tentatives de Zappas d’organiser des concours athlétiques selon le modèle des concours antiques, les nouvelles découvertes archéologiques d’Olympie, ainsi que d’autres événements ont été autant de moments d’inspiration pour notre grand poète lorsqu’il a écrit « L’Athlète d’Argos ». 16 On a posé le problème d’une participation roumaine à la première édition des Jeux Olympiques, en 1896, avec deux équipes de Oïna (jeu d’équipe populaire de Roumanie,

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ressemblant au base-ball). Vers la fin du XIXe siècle, la Oïna gagne beaucoup d’adeptes, surtout parmi les élèves. Lorsqu’il était ministre, Spiru Haret a invité plusieurs professeurs de gymnastique pour discuter avec eux de l’introduction de la Oïna dans les écoles. Le moment était bien choisi, car en 1894 notre pays reçoit l’invitation de participer à la première édition des Jeux Olympiques modernes prévue pour 1896 à Athènes. On nous recommandait de nous présenter à cette compétition internationale également avec la Oïna. On a décidé d’organiser deux équipes de Oïna et de rédiger un règlement de ce jeu, ce qui a été confié à un collectif de professeurs. À la proposition roumaine de présenter la Oïna dans le cadre des Jeux Olympiques les organisateurs répondent qu’à cette compétition « ne peuvent participer que les sports de grande diffusion, qui peuvent réunir un grand nombre de concurrents »5. 17 Comme on peut le constater, su le territoire de la Roumanie, pendant la seconde moitié du XIXe siècle, on connaissait les Jeux Olympiques et l’idée olympique s’était déjà répandue, non par la pratique des sports, comme aujourd’hui, mais en utilisant les exercices physiques pour le développement harmonieux du corps ou comme un divertissement. Nous le devons à la passion, à la ténacité et à l’amour pour la patrie de gens de l’envergure du premier professeur d’éducation physique de Roumanie, Gh. Moceanu (1835-1909), un des fondateurs de l’éducation physique en Roumanie.

Les premiers contacts officiels avec le mouvement olympique international

e 18 Les débuts du XX siècle correspondaient à la période des pionniers et de l’essor du sport roumain, avec la création des premières bases d’organisation.

19 Sur la ligne olympique, les premiers liens officiels du sport roumain avec le mouvement olympique moderne étaient déjà établis bien avant la création du C.O.R. et le projet de participer aux Jeux Olympiques. Nous ne savons pas dans quelles circonstances et à quelle occasion Georges Gh. Bibescu6 entre en contact avec le Comité International Olympique et avec Pierre de Coubertin personnellement. Il est pourtant certain que, en 1899, il est élu membre du C.I.O. La Roumanie a été ainsi la seizième nation du monde à avoir un membre dans le C.I.O. (le 23e sur la liste du protocole). 20 La deuxième présence officielle roumaine dans le mouvement international olympique, liée toujours aux débuts, date de 1908, lorsque, à la session du C.I.O. de Londres, est coopté Georges A. Plagino, le 57e membre du C.I.O., conformément à la liste protocolaire, et le 35e en fonction. 21 C’est toujours à Georges A. Plagino que nous devons la première participation d’un sportif roumain, la première présence roumaine donc aux Jeux Olympiques. Le regretté publiciste et infatigable investigateur des sources de l’olympisme, Victor Bãnciulescu, a publié un article dans le n° 3 de 1984 de la revue Educaţie Fisicã si Sport (Éducation Physique et Sport) où il dit : « D’habitude, on considère, dans les statistiques roumaines et mondiales, que la première participation des sportifs roumains aux jeux Olympiques date de 1924, lorsqu’ils ont été présents à Paris aux compétitions de rugby (première médaille de bronze pour la Roumanie), football, tir et tennis ».

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22 Une remarque récente de Ture Widlund, membre de la Société suédoise pour l’histoire du sport, nous pousse à une intéressante et également surprenante rectification. Selon l’information arrivée de Stockholm, aux Jeux Olympiques de 1900 de Paris, parmi les concurrents aux compétitions de tir, se trouvait Georges A. Plagino. 23 Comme on le sait, Georges A. Plagino (1878-1949), citoyen roumain, sénateur au Parlement roumain, a été (après Georges Gh. Bibescu) le deuxième membre du C.I.O. représentant la Roumanie ainsi que la Fédération Roumaine de Tir. 24 Sa présence à Paris est due selon nous, aux circonstances suivantes. Il était le fils d’Alexandru Plagino qui a été un diplomate roumain entre les années 1891-1893 en Grande Bretagne et, temporairement, en Espagne et en France. D’autre part, Georges A. Plagino est devenu le gendre d’Emanoil Alexandru Lahovari, ambassadeur de Roumanie à Paris de 1908 à 1917. 25 Ainsi donc, se trouvant probablement à Paris en 1900, pendant les Jeux Olympiques, et étant un tireur passionné comme nous allons le voir, Georges A. Plagino s’est inscrit aux concours de tir, à titre individuel, selon les règles de l’époque, lorsque les Jeux mêmes étaient considéré comme des compétitions entre des personnes. D’ailleurs, le C.O.R. n’existe officiellement qu’en 1914. Voilà pourquoi nous pensons que dans la statistique générale des participations nationales aux Jeux Olympiques de 1900 la Roumanie est absente sur les 22 pays mentionnés. 26 Le concours de tir a eu lieu le 15 juillet 1900 dans un polygone improvisé de l’île Séguin (sur la Seine), pas loin du faubourg de Billancourt de la capitale française. Il y avait 51 concurrents inscrits, provenant de 4 pays, dans leur grande majorité des Français (seulement 8 étrangers provenant de 3 pays). Selon la mode du temps, l’épreuve était appelée « ball-trap » et chaque concurrent avait droit à 20 plateaux. 27 Les résultats mentionnés dans d’importants travaux de statistique olympique (Kamper, Mezö, Berlioux, etc.) révèlent l’ordre suivant : 28 1. Roger de Barbarin (France) 17 p. ; 2. René Guyot (Fr.) 17 p. ; 3. Justinien de Clary (Fr.) 17 p. (après barrage) ; 4. César battex (Fr.) 16 p. ; 5. Hilaret (Fr.) 15 p. ; 6. Edouard Geynet (Fr.) 13 p. 29 Deux revues françaises nous apportent des précisions supplémentaires montrant que pour le barrage visant la place 13, 11 plateaux ciblés, se sont retrouvés Amédée Aubry et G.A. Plagino. En fait, le nom du participant roumain apparaît, dans les deux revues mentionnées plus haut sous deux formes différentes : La vie au grand air écrit « G.A. Paigino » tandis que Le sport universel illustré écrit « Plaginot » (sans autres initiales). 30 La présence de Georges A. Plagino aux compétitions olympiques de tir est confirmée par sa participation régulière (et couronnée de succès) aux compétitions de tir de Roumanie, à partir de 1905. En 1924, à Cluj, où a lieu la première édition du championnat de Roumanie de « tir aux pigeons », l’épreuve de « tir aux pigeons d’argile doubles » (trois paires de plateaux) sera gagnée par Georges A. Plagino avec 6 points ». En outre, en 1924 et en 1928, Georges A. Plagino gagne par deux fois de suite la coupe- challenge qui est accordée au vainqueur du championnat national de « tir aux pigeons ». Le fait que G. A. Plagino est devenu ultérieurement le président de la Fédération roumaine de tir est presque « naturel ». 31 Grand ami du sport, Plagino est toujours présent dans le mouvement olympique roumain, comme membre du C.O.R. depuis sa création. Les 15 et 16 février 1930, en vertu de la loi sur l’éducation physique promulguée en 1929, est convoquée l’Assemblée

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générale de la F.S.S.R., quand cette organisation se transforme en U.F.S.R. et Georges Plagino en devient le président. Il est décédé en 1949, après 41 ans d’activité dans le cadre du forum international olympique, étant le cinquième membre du C.I.O. avec une grande ancienneté dans l’histoire de cet organisme international olympique.

La création du comité olympique roumain

32 Après la constitution de la « Fédération des Sociétés Sportives Roumaines », en décembre 1912, on entend un nombre toujours plus grand de voix qui demande l’adhésion du sport roumain au C.I.O. Ainsi, dans un article publié par Revista Automobilã 7 (la Revue Automobile) et intitulé « Opera de propagare a atletisului spre desãvârsirea unui crumos început » (L’œuvre de propagation de l’athlétisme vers l’accomplissement d’un beau début), Georges Costescu relate le fait que, à la dernière réunion du Comité central de la F.S.S.R., entre autres mesures …Le Comité a décidé d’entreprendre les premiers actes nécessaires afin de donner la possibilité à la Fédération (F.S.S.R., n.n.) d’avoir le caractère d’une institution d’utilité publique ; l’obtention du titre de personne morale et l’affiliation à la Fédération Internationale et au Comité des Olympiades souligné par nous. 33 Se préoccupant de trouver un cadre organisationnel adéquat au mouvement sportif roumain de cette période, la F.S.S.R. cherche de nouveau les solutions pour établir des relations internationales. C’est la période pendant laquelle apparaissent de nouvelles fédérations et organisations sportives internationales. Les contacts internationaux que cherchent à établir certains sportifs et certaines équipes roumaines sont le résultat de l’influence, toujours plus grande, de certains championnats mondiaux mais surtout des Jeux Olympiques, et notamment de la Ve édition de Stockholm qui connut un immense succès. Le sport commence à faire son apparition sur l’arène internationale en devenant le messager de l’amitié et du rapprochement entre les jeunes de différentes nationalités, races, conceptions religieuses et politiques, le rêve pour lequel a lutté Coubertin.

34 Convaincus de l’utilité des exercices physiques et des sports, surtout par la jeunesse, une série de personnalités à idées progressistes et amour pour la nation exposent leurs opinions dans les colonnes des journaux et des revues de l’époque. Ils insistent sur l’appui du pouvoir qui se fait attendre : …après la création de la Fédération (F.S.S.R., n.n.) (on a entendu, n.n.) quelques voix qui ont trouvé utile de proclamer depuis la tribune du Parlement la nécessité d’orienter réellement vers une préoccupation plus sérieuse l’éducation physique de la jeunesse8. 35 En effet, il y a eu des voix, il y a eu également de nombreuses interventions au niveau des officiels de l’époque visant à ce que l’éducation physique et le sport deviennent le bien de tous les citoyens. Mais, à chaque fois, c’était le silence qui retombait.

36 Sur l’importance des Jeux Olympiques, sur la nécessité d’y représenter dignement le pays, l’article mentionné plus haut souligne encore : Un fait est sûr ce : les sportsmans rassemblés sur les stades du monde d’aujourd’hui, à l’occasion de la célébration d’une des nouvelles Olympiades, applaudissent dans les champions de maintenant le peuple qui a pu donner de tels hommes, et non pas les dieux qui ont doté l’homme de telles qualités physiques, comme nos ancêtres classiques le faisaient.

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e 37 Les officiels roumains des années 1913-1914 étaient au courant du fait que le VI Congrès du Comité International Olympique et la 16e session de ses membres avaient été convoqués pour l’été 1914. Par l’intermédiaire du membre C.I.O. pour la Roumanie, Georges Plagino, et par ce que la presse relatait, le Statut du C.I.O. et les Règles des Jeux Olympiques sont arrivées en Roumanie. Commentant l’ordre du jour du Congrès Olympique qui allait avoir lieu à Paris en été 1914, Revista Automobilã, toujours dans son numéro de février 1914, montre l’importance de ce Congrès : …convoqué par le Comité International Olympique pour donner vie au désir, exprimé par la plupart des pays affiliés, de soumettre dorénavant les différents concours des Jeux Olympiques à un groupe de lois et de règlements, les mêmes pour les concurrents provenant de n’importe quelle partie du monde. Cette question a une grande importance pour l’avenir de cette œuvre de régénération des peuples et elle préoccupe d’une manière sérieuse les cercles qui dirigent l’éducation de la jeunesse de partout. Elle ne va pas échapper non plus aux autorités supérieures compétentes de notre pays. 38 C’est la période où les officiels roumains arrivent à la conclusion qu’il est nécessaire de créer également en Roumanie un C.N.O., préoccupation de plus en plus souvent exprimée dans les colonnes de la presse de l’époque, qui insiste sur la participation des représentants du mouvement sportif de Roumanie au Congrès Olympique de Paris. Mais, pour pouvoir participer officiellement au Congrès de Paris en envoyant des délégués de notre Fédération sportive auprès de notre représentant au C.I.O., le règlement impose la constitution d’un Comité Olympique National. En ce sens, nous avons très peu à faire9. 39 En effet, le Statut du C.I.O. de cette époque était très simple et précisait que « on considère comme Comité National reconnu tout Comité Olympique constitué par le ou les membres du C.I.O. représentant le pays en question ou en accord avec ceux-ci ».

40 À la lumière de cet article, l’auteur conclut : Dans ces conditions, nous pensons que la création du Comité Olympique Roumain est chose faite et que la participation de ses délégués au futur Congrès et aux fêtes anniversaires de Paris (l’anniversaire des 20 ans depuis la création du C.I.O., n.n.) est un fait qui ne saurait être écarté du programme d’activité du mouvement sportif roumain10. 41 Nous ne connaissons pas avec certitude la date exacte de la constitution du C.O.R., ni nous ne savons si une telle réunion a eu lieu ou si tout simplement, les dirigeants du mouvement sportif de l’époque, pendant une de leurs rencontres, ont mis sur le papier les noms des personnalités qui devaient faire partie du premier C.O.R. Ce qui est indéniable est le fait que la constitution du C.O.R. a eu lieu au mois de mars ou d’avril 1914 car Revista Automobilã, dans son numéro 101 du mois de mai, relatait à la page 79 que « ... le secrétaire général de la F.S.S.R. et président du Comité National Olympique (souligné par nous) a tenu à visiter le parc sportif de la Chaussée... ». Cette information confirme le fait que, au mois de mai 1914, le C.O.R. existait et le désir exprimé par l’auteur de l’article, et non seulement par lui, publié dans la Revista Automobilã du mois de février, a été réalisé en mars ou en avril 1914. Il est fort probable que la date du 27 mars 1914 représente la date de naissance du C.O.R. car : Le 27 mars 1914, selon la demande de M. G. Plagino, membre du C.I.O., la F.S.S.R. désigne ses délégués au Congrès Olympique (Paris, juin). M. le prof. Gheorghe Murgoci, les ing. N. Iliscu-Brânceni, Carol Davila, Ion Nicolaescu et Dinu Cesianu ont

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pris ainsi – et j’ajoute à leurs frais – un premier contact, au nom de la Roumanie sportive, avec les importants représentants du monde entier tant théoriciens que pratiquants des sports et de l’athlétisme11. Il y a eu une hypothèse que, à cette réunion de la F.S.S.R., on a désigné non seulement les cinq délégués qui participeront au Congrès Olympique de Paris mais qu’également on a constitué le C.O.R. La création du C.O.R. aurait pu faire l’objet aussi d’une séance antérieure, chose peu probable pourtant car, en mars 1914, le Comité Central de la F.S.S.R. reçoit de Paris une lettre de Georges Plagino « qui annonce pour juin 1914 la séance du Congrès du C.I.O. et qui demande de procéder également en Roumanie à la re-institution (pourquoi re-institution et non pas l’institution du moment qu’on n’avait rien à « re-instituer » ? n.n.) d’un Comité Olympique National affilié au Comité International et qui ait dans ses attributions l’organisation des Olympiades12. 42 Mais pour que les délégués du C.O.R. puissent participer au Congrès Olympique de Paris il fallait accomplir toute une série de formalités dont la plus importante était l’envoi de lettres au C.I.O. annonçant la constitution du C.O.R. et le nom des délégués participant à ce Congrès. Le 19 mai 1914, sous le numéro d’expédition 67, une lettre portant l’entête de la « Fédération des Sociétés Sportives Roumaines », est envoyée au président du C.I.O., le baron Pierre de Coubertin, lui annonçant la constitution et la composition du C.O.R. et lui donnant les noms des cinq délégués qui allaient participer au Congrès Olympique de 1914, avec en annexe les signatures authentiques de ces délégués13.

43 Quelques jours après, le 29 mai 1914, Georges Plagino, en sa qualité de membre du C.I.O. pour la Roumanie, envoie au baron Pierre de Coubertin une lettre personnelle par laquelle il annonce sa présence au Congrès Olympique de Paris et communique les endroits où vont résider les cinq délégués du C.O.R. participant, eux aussi, au Congrès. Ainsi donc, au printemps de 1914, le C.O.R. a été constitué et ensuite reconnu par le C.I.O. À notre demande, le secrétariat du C.I.O. de Lausanne a mis à notre disposition une photocopie du passage du procès-verbal de la session du C.I.O. de 1914 par lequel le C.O.R. a été reconnu, photocopie accompagnée d’une lettre (du 10 janvier 1972) signée par la directrice Monique Berlioux : « Vous trouverez ci- joint une photocopie du Règlement du Congrès de Paris de 1914, adopté à l’occasion de la Session du Comité International Olympique de 1912 à Stockholm. Je porte à votre connaissance que le Comité Olympique Roumain a été implicitement reconnu, sans que cette reconnaissance fasse l’objet d’une discussion ou d’une décision officielle, comme il est arrivé plus tard pour les autres Comités Nationaux Olympiques. 44 En étudiant le Règlement du Congrès Olympique de 1914 de Paris, adopté par la Session du C.I.O. qui s’est déroulée à Stockholm en 1912, nous remarquons une chose particulièrement intéressante. Dans ce Règlement, adopté donc en 1912, le C.O.R. apparaît à côté de 15 autres C.N.O., ayant le droit de participer avec 5 délégués, droit qu’avaient seulement les C.N.O. constitués. Plus loin, dans le Règlement, on précise : « Les Comités nationaux constitués après la publication du présent règlement et reconnus par la C.I.O. auront droit à cinq délégués ». Il en résulte que, du moment qu’à cette Session du C.I.O. la Roumanie figurait avec un C.N.O. nommé à côté d’autres C.N.O., on peut penser que le C.O.R. était constitué avant la Session du C.I.O. de 1912. Nous n’avons aucun autre document qui soutienne cette hypothèse. En fait, la lettre du 19 mai 1914, par laquelle la F.S.S.R. porte à la connaissance du C.I.O. la création du C.O.R., infirme l’hypothèse énoncée. Notre opinion est – et les études ultérieures vont le confirmer ou pas – que, avant 1914, on ne pouvait pas parler de la création du C.O.R. mais plutôt d’un souhait ou d’une intention exprimée par le membre du C.I.O. pour la

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Roumanie, Georges Plagino, à la Session C.I.O. de 1912 ou même antérieurement, dans le sens de la création d’un C.N.O. en Roumanie.

45 Nous nous sommes arrêtés longuement sur la période antérieure à la constitution du C.O.R. et sur le moment de la création du forum olympique roumain, car cette période est moins connue et moins étudiée. 46 Avec la création du C.O.R., s’est achevée une première étape de l’histoire du mouvement olympique roumain ; on a fait un premier pas vers l’entrée du sport roumain dans l’arène internationale, non seulement par le biais de ses officiels participant au C.I.O. mais également par les représentants de la jeunesse aux compétitions olympiques, sur les terrains et dans les salles des futurs Jeux Olympiques. 47 F.S.S.R. avec le C.O.R. forment ainsi le noyau de base de la direction du sport roumain non seulement pour cette période mais aussi par la suite. Cette symbiose entre les F.S.S.R. et le C.O.R. a ses racines non seulement dans leur but commun qui est de promouvoir la diffusion des sports en Roumanie, mais également dans le fait que leur direction était formée par les mêmes personnes, certaines d’entre elles faisant preuve de beaucoup de passion et militant pour l’organisation et l’introduction des sports modernes dans l’éducation physique de la jeunesse roumaine. pour une bonne période de temps, à la direction de la F.S.S.R. comme à celle du C.O.R., se sont retrouvés entre autres : Georges V. Bibescu, Ion Costinescu, Ion Camarasescu, Grigore Caracostea, Georges Iconomu, prof. C. Tzigara-Samurcas, et d’autres. Après 1929, lorsque la F.S.S.R. s’est transformée en U.F.S.R., le président de ce nouveau forum, Georges Plagino, était membre du C.I.O. et vice-président du C.O.R. Et par la suite, jusqu’à la Deuxième Guere Mondiale, la direction du C.O.R. était presque identique à celle de l’U.F.S.R. : Georges Plagino, Grigore Caracostea, Mihail Savu, Neagoe Boerescu et d’autres. 48 En 1914, en collaboration avec la F.S.S.R., le C.O.R. se propose comme objectif : ...de coordonner la pratique des sports de chez nous [de Roumanie] avec les normes prescrites par le strict amateurisme qui est le principe de base des Jeux Olympiques, et d’insister pour réglementer tous les concours sportifs dans ce sens. Dans de telles circonstances, malgré tout l’élan qui se manifestait chez nous [en Roumanie] on ne pouvait même pas parler de la participation de la Roumanie aux Jeux qui se préparaient à Berlin, qui ont été d’ailleurs reportés à cause de la guerre mondiale qui a commencé pendant l’été de la même année14. 49 La période des années 1914-1918, lorsque le C.O.R. a commencé son activité, a été particulièrement tourmentée tant sur le plan national de la Roumanie que sur celui international. L’aggravation de la crise entre les grandes puissances capitalistes a eu comme résultat le commencement de la Première Guerre Mondiale, ce qui a conduit à l’interruption de l’activité sportive. Le jeune mouvement olympique international, en dépit de l’effort de Coubertin qui s’était fixé comme objectif principal la défense de la paix et l’entente entre les peuples, resté d’ailleurs sans écho aucun parmi les politiciens de l’époque, cesse temporairement son activité. À l’horizon apparaissent de grandes transformations sociales, la révolution bolchevique d’octobre 1917, ayant comme résultat l’instauration du premier Etat socialiste et l’apparition de l’U.R.S.S. sur la carte du monde. D’autre part, les puissances capitalistes, victorieuses de la guerre, passent à une nouvelle étape de développement. D’importantes restructurations socio- économiques et politiques se font à la suite des nouvelles configurations territoriales par le biais desquelles de nouveaux Etats nationaux retrouvent leurs anciennes frontières.

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Le mouvement olympique roumain entre les deux guerres mondiales

50 Dans les circonstances socio-politiques mondiales de la fin de la Première Guerre Mondiale, le mouvement international olympique, dirigé et conseillé par l’enthousiaste fondateur des Jeux Olympiques Pierre de Coubertin, reprend son activité en convoquant, en été 1919, la première session d’après-guerre du C.I.O. (la 17ème en ordre chronologique).

51 À l’occasion de cette session (à laquelle participent 37 membres, nombre record pour l’époque), on décide la reprise des Jeux Olympiques, interrompus par la guerre, désignant la ville d’Anvers comme lieu du déroulement de la VIIe édition. Nous devons rappeler que, toujours à cette session Georges Plagino, membre du C.I.O. pour la Roumanie, a une belle initiative, en proposant la réintroduction du rugby dans le programme olympique, à cause du nombre toujours plus grand de jeunes, spécialement étudiants, qui pratiquaient ce sport. La proposition roumaine, accueillie avec satisfaction par d’autres participants à cette session, est approuvée par le C.I.O. réuni au complet, le rugby revenant dans la famille olympique après avoir été, aux Jeux Olympiques de Stockholm, en 1912, exclu du programme. Comme un signe de reconnaissance envers cette initiative roumaine, le C.I.O. envoie, le 21 novembre 1919, une lettre au C.O.R. par laquelle il porte à sa connaissance la décision de la session de Lausanne concernant la réintroduction du rugby dans le programme olympique. 52 Toujours à l’automne de 1919, le C.O.R. comme preuve de son entrée dans le mouvement international olympique, reçoit « ... l’invitation qu’on nous a faite pour la première fois de manière officielle et directe de participer aux fêtes mondiales de la VIIe Olympiade qui vont avoir lieu en août prochain à Anvers »15. FERDINAND I Par la grâce de Dieu et la volonté nationale ROI DE LA ROUMANIE à tous ceux présents et futurs, Santé Sur le rapport de notre ministre des Affaires Etrangères Chancelier des Ordres, sous le N° 34753 Nous avons décrété et décrétons : Art. 1. Nous nommons comme membre de l’Ordre Couronne de la Roumanie, au Grade de Grand Officier M. le Baron Pierre de Coubertin, Président du Comité International Olympique de France. Art. 2. Notre Ministre des Affaires Etrangères, Chancelier des Ordres, est chargé de l’exécution de ce décret. Donné à Paris, aujourd’hui le 30 juin 1925 FERDINAND Ministre des Affaires Etrangères Chancelier des Ordres I. G. Duca (signature) (signature) 53 Cette première invitation officielle aux compétitions olympiques honore le C.O.R., le sport roumain dans son ensemble, créant une émulation et revigorant tant les dirigeants que les sportifs. L’enthousiasme a été tel que, immédiatement, « le 8 octobre

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1919, l’U.F.S.R. accepte avec joie l’invitation que le C.O.R. lui a faite au nom du C.O. belge d’envoyer des participants à la 7e Olympiade (Anvers) »16.

54 Par conséquent, les forums sportifs roumains confirment par une lettre la participation des sportifs roumains aux Jeux Olympiques d’Anvers et le Comité d’organisation fait imprimer 250 affiches en langue roumaine. Il les envoie en Roumanie où elles sont exposées et on organise une large action de propagande autour de la présumée première participation du sport roumain aux Jeux Olympiques. Stimulés par les résultats encourageants obtenus en 1919 aux « Jeux militaires interalliés » qui se sont déroulés à Paris, on désigne une commission formée par des membres de la F.S.S.R. et du C.O.R., la « Commission des Jeux Olympiques », dirigée par Georges Plagino et ayant comme membres les présidents des « commissions des sports » : Gr. Caracostea pour l’athlétisme et le rugby, Dinu Cesianu pour l’escrime, Teodor Davila pour la natation, Mircea Iconomu pour le tennis, Georges Pascu pour les sports d’hiver, le Dr Sabu pour le football et l’aviron et Teodor Saulescu pour le cyclisme. Georges Plagino avait assumé la préparation pour les concours de tir. Cette commission organise également toute une série de concours d’athlétisme, afin de stimuler la préparation et la sélection des meilleurs athlètes : cross-country national, le championnat des Elèves de Cross- Country, la coupe Olympique, le Derby Pédestre, les Championnats d’athlétisme de Roumanie et autres, ainsi qu’un concours final le 27 juin 1920, considéré comme décisif pour la sélection définitive. 55 Tout est pourtant inutile. Un simple « détail » a été négligé : les fonds nécessaires au déplacement et à la participation aux Jeux Olympiques. C’est vrai : on insiste, on fait des démarches, des interventions mais en dernière instance toutes les assurances données ne sont que des promesses vaines bien que, le 23 juin 1920, le Ministère des Affaires Etrangères confirme au gouvernement belge la participation de la Roumanie aux Jeux Olympiques d’Anvers. Le Ministère de la Guerre a désigné même un délégué, en la personne d’un colonel, pour prendre contact avec le Comité d’organisation au sujet de la participation aux concours d’équitation du commandant Jacob Filip (qui avait obtenu en 1919 aux concours militaires interalliés une place inespérée de deuxième). La participation du groupe des sportifs aux autres concours était pourtant impossible à réaliser à cause de l’insuffisance des fonds. En fait, même ce cavalier isolé ne participa pas, et le « Rapport officiel » des Jeux Olympiques de 1920 mentionne que des 31 pays qui ont annoncé leur participation deux pays, la Roumanie et la Pologne, ont renoncé au dernier moment. 56 Revenant à l’activité du C.O.R., en janvier 1920 a lieu une séance de réorganisation. Par l’initiative et grâce à la ténacité de M. Georges Plagino, le représentant de la Roumanie au C.I.O., on a reconstitué17 chez nous aussi [en Roumanie] un Comité Olympique National ayant la mission : a) d’inciter tous les sportsmans roumains à chercher à s’entraîner et concourir pour l’équipe qui va représenter la Roumanie aux futurs Jeux Olympiques ; b) de garder en ce sens la liaison avec les Comités d’organisation de l’étranger ; c) de pousser l’Etat à stimuler l’initiative privée afin de faciliter la participation de la Roumanie cette année à l’Olympiade. 57 Le Comité Olympique Roumain reconstitué avait comme président Georges V. Bibescu et comptait 15 membres. Le 25 février et le 10 mars 1920, le C.O.R. se réunit en présence de la majorité de ses membres, pour discuter certains problèmes liés à l’éventuelle participation des sportifs roumains aux Jeux Olympiques de 1920, à Anvers.

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58 Avant 1923, le C.O.R. a pourtant une intéressante initiative et propose, en mars 1922, la convocation d’un « Congrès olympique » auquel sont invités les représentants des C.N.O. de Pologne, Yougoslavie, Tchécoslovaquie et Grèce, « ... afin de renforcer les relations sportives entre ces pays et de préparer la participation aux Jeux Olympiques Internationaux »18. Cette réunion est convoquée pour l’automne 1922, à Sinaïa, avec l’ordre du jour suivant : 1. La création, en vue de la participation aux Jeux Olympiques Internationaux, de réunions sportives appelés « Inter-Olympiades » entre les athlètes polonais, yougoslaves, tchécoslovaques et grecs (et bien entendu roumain n. n). 2. Fixer la première réunion à Athènes, sur le Stade antique maintenant rénové. 3. Accord sur une demande objective de ces nations visant la limitation du programme des Jeux Internationaux. 4. Des normes et prescriptions des plus précises sur la notion d’amateurisme19.

59 Afin de donner un caractère des plus officiels et recevoir en même temps l’accord, le C.O.R. informe le C.I.O. de cette initiative, et les C.N.O. des pays rappelés appuient la proposition roumaine et annoncent l’envoi de leurs délégations.

60 Toujours sur le terrain international, le C.O.R. participe au Congrès Olympique de Lausanne, qui s’est tenu du 2 au 7 juin 1921, en la personne de Georges Plagino, en sa qualité de membre du C.I.O. pour la Roumanie et par Dinu Cesianu. Cette réunion internationale a constitué un moment important du mouvement olympique, en discutant certaines questions importantes, comme celles concernant le programme olympique et la règle de l’amateurisme. 61 Entre les deux guerres mondiales, la Roumanie connaît un certain essor économique et social, s’efforçant de rentrer dans le cercle des pays développés. Mais les crises et les conflits internes, la lutte pour le pouvoir, les conflits entre les différents cercles politiques, la pénétration du fascisme et la fascination de certains domaines sociaux n’ont fait que freiner la progression de la Roumanie. 62 Le sport roumain, qui avait dépassé la phase romantique et pittoresque, obtient certaines réalisations sur le plan de l’organisation et enregistre ses premiers succès internationaux. En 1922, est créé l’Institut National pour l’Education Physique, la première institution d’enseignement supérieur pour la formation des cadres spécialisés. En 1929, la F.S.S.R. se transforme en U.F.S.R. La majorité des fédérations de spécialités est constituée et différentes actions sont destinées à compléter la structure du mouvement sportif. 63 Sur le plan international, Plagino continue à participer aux sessions du C.I.O. et, dans les années 1921, 1925 et 1930, Dinu Cesianu prend part aux Congrès Olympiques de Lausanne, Prague et Berlin. 64 Pendant ces deux décennies, le sport roumain inscrit dans son palmarès les premiers succès sur le plan externe. Les équipages de bobsleigh remportent en 1933 et 1934, aux championnats mondiaux, deux titres inespérés par Papana – Hubert et Frim – Dumitrescu. Toujours grâce à l’équipe Papana – Hubert, le bobsleigh de deux personnes (IVe place) et Papana – Ionescu – Petrescu – Hubert, le bob de 4 personnes (VIe place) on obtient en 1932 les premiers points aux Jeux Olympiques d’hiver. Aux compétitions olympiques de 1936, Rang remporte, à l’équitation, la première médaille olympique d’argent pour le sport roumain. Les boxeurs roumains, avec Lucian Popescu (par trois fois) et Toma Aurel remportent des titres de champions européens.

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65 Ces performances obtenues dans des conditions défavorables pour la pratique du sport à cette époque acquièrent un éclat encore plus grand, mettant en évidence les ressources insoupçonnées de la jeunesse roumaine, son talent inné, le courage et le désir d’apporter à leur patrie un prestige sur le plan international. 66 Comparant ces résultats avec les résultats dont s’enorgueillit le sport roumain pendant les dernières décennies, nous pouvons nous rendre compte de l’héroïsme des champions de ces temps-là, parce que, effectivement, c’est seulement grâce à leurs qualités, à leur esprit de sacrifice qu’ils ont pu s’élever aux premières places en Europe ou dans le monde, faisant sortir la Roumanie de son anonymat sportif. 67 En dépit du succès enregistré sur le plan de l’organisation par le sport roumain, en dépit du fait que certaines structures sportives étaient apparues (par exemple, le Stade ANEF), en dépit des insistances pour qu’on accorde une attention particulière au sport, insistances venues de certains hommes de culture et de journalistes, les officiels ne soutiennent pas effectivement ce domaine d’activité. Ainsi donc, de l’organisation et du développement d’une activité sportive bien organisée on ne saurait parler dans le sens connu aujourd’hui. 68 Les terrains et les structures sportives étaient en nombre très réduit. Le matériel sportif, en grande mesure d’importation, coûtait très cher. En 1938, dans toute la Roumanie, il y avait un nombre très restreint de sportifs officiels ; beaucoup de sports n’étaient pas connus et dans des régions entières, comme la Moldavie et la Dobrodgea, le sport n’avait pénétré que très faiblement. Encore plus pauvre est le tableau du sport à la campagne ou une balle de football ou un filet de volley-ball constituaient une chose rare. Dans toute cette période, d’autre part, la femme même est restée à l’écart des activités socio-culturelles. 69 Le C.O.R. a pendant cette période une activité sporadique. Du moins, les documents que nous avons étudiés, ne font mention du C.O.R. qu’à la veille d’une édition des Jeux Olympiques, d’une part pour remplir les formalités de participation aux compétitions olympiques et, d’autre part, parce qu’il était la « forme » d’organisme reconnu par la C.I.O. et seul habilité à représenter les intérêts olympiques roumains devant cette organisation sportive internationale. En outre, on faisait appel au C.O.R., toujours à cause de sa qualification, pour collecter les fonds nécessaires à la participation aux Jeux Olympiques. On n’enregistre pas d’initiatives – à l’exception de celles faites par l’U.F.S.R. – dans le sport interne ou au niveau du mouvement international olympique, qui contribuent à rehausser le prestige sportif de la Roumanie tant dans les relations internes, qu’internationales. Il est vrai, l’organisation du C.O.R. est modifiée à plusieurs reprises pendant cette période, sans pour autant donner un essor au mouvement olympique roumain, refléter une préoccupation plus intense de préparation et de participation avec un nombre plus grand de sportifs aux Jeux Olympiques, mais plutôt avec l’intention d’inclure les dirigeants les plus représentatifs du sport de l’époque parmi les membres du C.O.R. 70 Le sport roumain maintient encore la flamme grâce à l’enthousiasme de quelques désintéressés, grands amis du sport, passionnés de mouvement, aimant profondément leur patrie, convaincus des bienfaits de l’éducation physique et du sport pour le développement du peuple roumain. 71 Le bilan olympique roumain, pendant la période entre les deux guerres mondiales, est pauvre. Les sportifs roumains ont participé à trois éditions des Jeux Olympiques d’été et

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à trois éditions d’hiver avec un nombre réduit de sportifs. Les succès, à la mesure de la participation, sont naturellement, modestes : la médaille d’argent (H. Rang – équitation, en 1936), la médaille de bronze (l’équipe de rugby aux Jeux Olympiques de 1924, à Paris), ce qui, il faut le reconnaître, était très peu par rapport au potentiel biologique de la jeunesse roumaine et par rapport aux autres pays ayant une population et des conditions géographiques semblables. 72 Pendant la Deuxième Guerre Mondiale, tant sur le plan mondial qu’en Roumanie, toute activité à caractère olympique est interrompue. C’est pour la seconde fois qu’une guerre catastrophique interrompt l’activité olympique. L’olympisme, en dépit de son noble idéal de paix et d’entente entre les peuples, est pour la seconde fois vaincu. Les temps n’étaient pas encore arrivés où, comme dans l’antique Hellade, la période de déroulement des Jeux Olympiques était déclarée période d’armistice. 73 Le C.O.R. cesse totalement son activité avant, pendant et après la guerre. Ces années de plomb amènent la liquidation de la U.F.S.R. et la création, pendant la guerre, de l’Organisation du Sport Roumain (O.S.R.). Sur le C.O.R. on n’entend dire, pratiquement, rien. Il n’a pas été liquidé, mais il n’a non plus d’activité ; il reste sans objet. D’ailleurs, après la guerre, presque toute l’Europe a été obligée de reprendre tout depuis le début, sa première tâche étant le redressement économique. Le sport était passé, naturellement, au second plan.

Le sport roumain après la guerre et la famille olympique

74 Avec les événements du 23 août 1944, lorsque la Roumanie a commencé à lutter à côté des Alliés, toute la vie sociale et économique du pays a changé.

75 Dès les premiers jours de septembre 1944, avec la création de la O.S.P. (l’organisation du Sport Populaire), le 15 septembre 1944, le sport roumain entre dans une nouvelle étape de développement. « Tous les sports pour le peuple » est la devise principale de la nouvelle organisation sportive. Mettre celle-ci pourtant en pratique n’était pas sans embûches. L’héritage laissé dans ce domaine était très pauvre. La base matérielle, les cadres spécialisés existants étaient loin de faire face aux demandes. 76 L’objectif principal de l’Organisation du Sport Populaire était celui de développer une large campagne de popularisation des bienfaits apportés par la pratique des exercices physiques pour la santé et le rendement dans l’activité professionnelle, d’attirer la jeunesse afin qu’elle apprenne certaines disciplines sportives, pour faire arriver le sport dans les villages et surtout pour construire et aménager un minimum nécessaire de structures sportives. 77 Lorsqu’on évoque le chemin parcouru pendant plus de cinq décennies d’intense activité sportive, avec des résultats notables dans le sport de masse et de performance, on distingue clairement plusieurs étapes, chacune d’entre elles correspondant aux nouvelles conditions créées dans ce domaine d’activité. Le 2 juillet 1957, un nouvel arrêté met en évidence, mis à part les succès, les insuffisances du mouvement d’éducation physique et du sport en Roumanie et décide la création de l’Union de la Culture Physique et du Sport, en tant qu’organe unique de direction, conseil et organisation de l’activité d’éducation physique et du sport. Enfin, marquant une nouvelle étape du développement de l’éducation physique et du sport de Roumanie, le

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28-29 juillet 1967, se déroule la Deuxième Conférence du Mouvement Sportif (lorsqu’à la place de l’U.C.F.S. est créé le Conseil National de l’Education Physique et du Sport) et le 28 décembre 1967, la Grande Assemblée Nationale adopte la Loi n° 29/1967 concernant le développement de l’éducation physique et du sport. En février 1975, a lieu la Troisième Conférence du Mouvement Sportif, et du 5 au 6 mars 1982, la Quatrième Conférence du Mouvement Sportif. 78 Certes, la principale préoccupation, les objectifs fondamentaux, les directions d’orientation se sont portées vers le développement de l’éducation physique et du sport, vers l’attraction d’un nombre de plus en plus grand de jeunes et de moins jeunes vers les exercices physiques, vers la pratique des différents sports. 79 Comme il a été montré, dès septembre 1944 déjà, a été créée l’Organisation du Sport Populaire. À partir de cette période, l’éducation physique et le sport de Roumanie ont joui de l’appui et de l’orientation permanente de l’Etat, parcourant pendant ces cinq décennies des étapes à profonds renouvellements tant dans la forme que dans le contenu, constituant aujourd’hui un mouvement sportif puissant, qui a un rôle toujours plus important dans le renforcement de la santé et de la vigueur du peuple roumain. 80 Le nombre des quelques groupements sportifs existant en 1944 a augmenté continuellement sous forme d’associations et de clubs sportifs, organisés dans les écoles et dans les facultés, dans les entreprises et dans les institutions, une intense activité de masse et de performance se déroulant partout. Pour arriver à ceci, on a eu besoin, il va de soi, de sérieux efforts d’organisation, de formation des cadres de spécialités, de développement continu des infrastructures. Aujourd’hui, le sport roumain dispose d’une organisation perfectionnée, de professeurs d’éducation physique, entraîneurs, instructeurs bien préparés et ayant une haute qualification, d’une base matérielle en développement continu, avec des salles polyvalentes, des piscines, patinoires, pistes spéciales d’athlétisme et de quilles, des polygones, des salles destinées aux jeux sportifs, aux luttes, aux haltères et aux autres branches du sport, des centaines de salles et de milliers de terrains de sport non seulement à Bucarest, non seulement dans les principaux centres industriels et universitaires, mais dans tous les départements de la Roumanie. 81 La large amplification du sport, la consolidation toujours plus forte des structures matérielles, la formation des cadres de spécialistes où se sont formés plusieurs entraîneurs, professeurs d’éducation physique, spécialistes en méthodologie, médecins, psychologues ou chercheurs de renommée internationale ont constitué autant de prémisses d’un rapide et vigoureux progrès dans le domaine du sport de performance, pour son affirmation au niveau des plus importantes compétitions sportives – Jeux Olympiques, championnats mondiaux et européens. 82 Le sport de performance a obtenu de nouveaux niveaux. On a créé les conditions pour que le talent, les capacités physiques et les qualités morales de la jeunesse roumaine s’affirment de plus en plus dans l’arène sportive internationale. Dans ces années de l’après-guerre, les sportifs roumains ont conquis plus de 2000 médailles aux championnats mondiaux et européens de seniors, aux championnats et aux jeux mondiaux universitaires. Également convaincant se présente le bilan des participations olympiques des sportifs roumains. Nous rappelons que, jusqu’en 1944, aux 6 éditions des Jeux Olympiques d’été et d’hiver auxquelles les sportifs roumains ont participé on a obtenu au total 2 médailles – une d’argent et l’autre de bronze. Quel est le bilan des participations aux compétitions olympiques d’après guerre, aux 26 éditions des Jeux

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Olympiques d’été et d’hiver ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 74 médailles d’or, 83 d’argent et 109 de bronze. Un bilan plus que brillant, mettant la Roumanie au rang des dix premières nations du monde, sur les 200 C.N.O. reconnus par la C.I.O. 83 Ces succès ont été obtenus dans les compétitions portant sur de nombreux sports et non pas sur un nombre restreint de sports et d’épreuves (on a participé à 1193 épreuves), ce qui souligne la multilatéralité de l’affirmation roumaine dans l’arène olympique, comme d’ailleurs dans l’arène mondiale et européenne de toutes les branches sportives. Les Roumains qui aiment le sport sont fiers, certes, du fait que les spécialistes des différents pays du monde ont parlé et parlent encore avec respect de la haute capacité et de la compétence des nombreux techniciens roumains provenant de plusieurs branches sportives qui ont créé de véritables écoles roumaines (gymnastique ou hand-ball, canoë-kayak ou luttes, aviron ou certaines épreuves athlétiques, ainsi que dans d’autres branches sportives), appréciées dans le monde entier. Preuve, le grand nombre de techniciens qui se sont dispersés dans le monde après 1989, reconnus comme spécialistes de grande valeur. Nous rappelons ici Octavian Belu, Bella Karoly, Mariana Bitan, Maria Simionescu, Dan Grecu – gymnastique ; Ion Kunst-Chermãnescu, Nicolae Nedef, Constantin Popescu, Ion Colibasi – handball ; Nicolae Navasart, Radu Huţan et Ivan Patzaitchin – canoé-Kayak ; Ion Cornianu et Ion Crâsnic – luttes ; Stefan Petrescu, Lazãr Baroga, Stefan Achim – haltères ; Victor Mociani, Ion Popa, Nicolae Gioga, Corneliu Florescu, Sergiu Zelinscki – aviron ; Ioan Söter, Ion Puicã, Viorica Viscopoleanu, Nicolae Mãrãsescu, Dimitru Alexandresu, Tatu Titus – athlétisme ; Mircea Lusescu, Angelo Niculescu, Stefan Kovacs, Anghel Iordãnescu, Ladislau Bölöny – football et beaucoup d’autres. 84 La participation large et de prestige d’un nombre de plus en plus grand de sportifs roumains aux compétitions sur tous les continents du monde, ainsi que l’accueil chaleureux et amical des délégations sportives venues en Roumanie de tous les coins du globe ont fait que le mouvement sportif devienne un facteur actif de consolidation continue des relations avec les sportifs de tous les pays, de connaissance et de rapprochement de la jeunesse de partout, de renforcement de la paix et de l’amitié. 85 Les pages du « livre d’or » du sport roumain, comme on l’a vu, sont, chaque année plus brillantes encore. Elles parlent du talent et de la persévérance, du dévouement et de l’abnégation, du travail et des réalisations. Et toutes les victoires, les belles victoires qui ont rempli les yeux de tous d’émotion et de joie, ont été rendues possibles sans aucun doute par le fait qu’a été assuré le cadre nécessaire à l’affirmation de la personnalité et du talent de la jeunesse roumaine. La vraie histoire du sport roumain a été écrite sous les yeux de la génération actuelle où sont apparus, ont grandi et se sont affirmés les grands champions, les sportifs d’élite de la Roumanie. Dans ce « livre d’or », sur les premières places, se situent Nadia Comãneci, la reine de la gymnastique mondiale, la meilleure sportive du XXe siècle, Ivan Patzaichin, Iolanda Balas, Lia Manoliu, la grande dame du mouvement olympique roumain, Viorica Viscopleanu, Leon Rotman, Toma Simionov, Mariora Popescu, Dimitrie Popescu, Mihaela Penes, Daniela Silvas, Simona Amânar, Simona Pãuca, Ecaterina Szabo, Gabriela Szabo, Lavinia Milosovici, Andreea Rãducan, Diana Mocanu, Elizabeta Lipa, Ioan Corneliu, Gherghe Hagi, Nicolae Dobrin, Stefan Rusu, Maricica Puicã, Angelica Rozeanu, Ella Constantinescu, Maria Alexandru, Dumitru Pârvulescu, Nicolae Linca, Iosif Sârbu (le premier champion olympique roumain), Gheorghe Gruia, Christian Gatu, Cornel Penu, Cornel Otelea, Nicolae Martinescu, Gherghe Berceanu, Doina Ignat, Veronica Cochela, Rodica Arba, Olga

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Homeghi, Constanta Burcicã, Vasile Dâba, Nicu Vlad, Henri Rang (la première médaille d‘argent obtenue par un sportif roumain), Alexandre Frim, Alexandru Papanã, Ion Panturu, Mihail Bârã et Gheorghe Gârnita aux sports d’hiver et beaucoup d’autres médaillés dans les plus prestigieuses compétitions olympiques, mondiales et européennes pendant ces années. Certes, on ne doit pas oublier les entraîneurs, les professeurs, les techniciens, les médecins et les spécialistes en méthodologie, ainsi que les autres spécialistes qui ont contribué avec compétence à ces résultats remarquables. Sur le plan international, le sport roumain peut s’enorgueillir du Prix « Fairplay » accordé par l’UNESCO à la multiple championne roumaine Lia Manoliu. Participant à six éditions des Jeux Olympiques, championne olympique et médaillée de la médaille de bronze, Lia Manoliu a été pendant 25 ans présente sur les stades. 86 Après la Deuxième Guerre Mondiale, le C.O.R. a une autre structure que celle du passé. Il devient un organisme représentatif. Les présidents de toutes les fédérations y sont présents, ainsi que les représentants des organisations sportives et socio-culturelles. L’esprit démocratique règne dans l’activité du C.O.R. tandis qu’un comité exécutif dirige le travail entre les assemblées générales du C.O.R. On réalise une symbiose parfaite entre les buts et les objectifs du mouvement sportif, en général, et du C.O.R., spécialement. Il faut reconnaître, pour cette raison, que jusqu’en 1990, le C.O.R. a existé seulement comme un organisme représentatif, toute l’activité sportive étant dirigée par un organisme d’Etat. 87 En 1949, Georges Plagino est décédé, après 41 ans d’activité dans le mouvement olympique. Quelques années plus tard (1955), comme une reconnaissance du prestige en hausse du sport roumain, Alexandru Siperco a été élu membre du C.I.O. représentant la Roumanie. En cette qualité, Alexandru Siperco a eu une activité intense. Comme reconnaissance de sa contribution aux travaux des sessions du C.I.O. et à la direction du mouvement olympique international, Alexandre Siperco a été élu, en 1968, à l’occasion de la session du C.I.O. de Mexico, président de la Commission mixte C.I.O./C.N.O. d’admission. Pendant deux ans, épaulé par un collectif de spécialistes roumains, Alexandru Siperco a étudié toutes les facettes de l’amateurisme olympique et, sur sa proposition, au printemps de 1971, le C.I.O. a adopté une nouvelle règle d’amateurisme, et la commission présidée par Al. Siperco a cessé son activité. Par la suite, Al. Siperco a été élu membre de la Commission de contrôle de l’application de la règle 26 d’admission des sportifs aux Jeux Olympiques, commission présidée par H. Weir (Nouvelle Zélande). De même, Al. Siperco a été élu dans la Commission du C.I.O. pour l’Académie Internationale Olympique. De 1979 à 1980, il a fait partie, pour la première fois, de la Commission exécutive du C.I.O., comme premier vice-président du C.I.O. 88 Le C.O.R., surtout durant les dernières années, a eu une activité intense dans le mouvement olympique international, en initiant toute une série d’actions reçues par le C.I.O. avec beaucoup de satisfaction et appréciées personnellement par les ex- présidents du C.I.O., Lord Killanin et Juan Antonio Samaranch, surtout après l’élection de Lia Manoliu et Ion Tiriac comme présidents du C.O.R. 89 Le C.O.R. est un des premiers C.N.O. qui édite une revue en langue française et anglaise – Le Bulletin olympique roumain – qui discute les problèmes du mouvement international olympique ou du sport roumain (depuis 1970, Sport en Roumanie). Dès son premier numéro, paru en 1956, dans l‘article signé par Alexandre Siperco, on soulignait le prestige dont jouit le mouvement olympique en Roumanie ; la revue se proposait de populariser les nobles idéaux de l’olympisme moderne.

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90 Les articles du Bulletin du C.O.R. ont discuté amplement, déjà depuis 1956, le problème de l’inclusion du volley parmi les sports du programme olympique. La proposition faite par le C.O.R. a été adoptée et par d’autres pays, obtenant l’adhésion des membres du C.I.O., ainsi qu’aux Jeux Olympiques de Tokyo (et non pas à Rome, comme le C.O.R. l’avait demandé) le volley a été introduit dans le programme olympique. Ce n’était que le commencement d’une prodigieuse activité des représentants du C.O.R. dans le mouvement olympique international pendant la période de l’après-guerre. 91 Tenant compte du fait que les propositions du C.O.R., aux dernières réunions de la Commission Exécutive du C.I.O. et du C.N.O. et au Congrès Olympique de 1973 présentent un intérêt particulier, nous allons en parler plus amplement afin que les lecteurs puissent apprécier leur contribution au perfectionnement du mouvement olympique en général et des Jeux Olympiques, en particulier. 92 Bien que le C.I.O. soit à la création d’un congrès olympique et que l’histoire du mouvement olympique enregistre dix congrès, à ces événements importants du mouvement olympique on n’a pourtant pas accordé une seule ligne dans le Statut. Pour cette raison, le C.O.R. a proposé que dans le Statut et dans les Règles olympiques soit enregistré, régulièrement, la convocation du Congrès Olympique, qu’à ces congrès doivent participer les membres du C.I.O., les représentants des C.N.O. et des F.I.S. et, en qualité d’observateurs, des représentants des organisations sportives, gouvernementales ou non gouvernementales. Cette proposition a été acceptée et, après le Congrès Olympique de Varna, il a été décidé que de tels congrès seraient convoqués avec régularité tous les 8 ans, comme il est stipulé dans le Statut. 93 Les modifications du Statut et des Règles olympiques sont approuvées par les sessions du C.I.O. Le C.O.R. considère que toutes les propositions qui regardent l’activité du C.N.O. ou les problèmes importants du mouvement olympique doivent être transmises à tous ces forums, afin qu’ils puissent exprimer leur opinion avant les sessions du C.I.O. qui adoptent les décisions respectives. 94 Ayant toujours le désir d’élargir le droit des C.N.O. de se prononcer avant l’adoption d’une décision importante, le C.O.R. a fait quelques propositions regardant le programme des Jeux Olympiques. 95 On a présenté, également, une proposition de principe en ce qui concerne le choix des villes qui organisent les Jeux Olympiques. Sur ce problème, le facteur de décision reste le C.I.O., mais le C.O.R. a proposé que, avant les sessions qui décident des candidatures des villes, le C.I.O. fasse un sondage de l’opinion olympique internationale, ce qui aurait le double avantage de faciliter la tâche difficile et de responsabilité du C.I.O. dans ce problème et de permettre, en même temps, aux C.N.O. et F.I.S. de faire connaître leurs préférences. 96 Constatant que la forme de collaboration entre le C.I.O. et les C.N.O., introduite à l’occasion des réunions de Mexico de 1968 – collaboration à l’aide des commissions mixtes – s’est avérée utile et fructueuse, le C.O.R. a proposé de continuer l’activité de ces commissions ainsi que la création de nouvelles commissions mixtes pour tous les problèmes non encore résolus et leur transformation en commissions mixtes ; chose acceptée. 97 Une autre proposition, reçue avec une vive satisfaction par les délégations participantes et saluée par l’ex-président Avery Brundage, regarde une question qui rappelle les Jeux Olympiques antiques. Plus que dans d’autres compétitions, aux Jeux

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Olympiques on ressent le besoin d’un climat serein, de détente. Comme il est stipulé dans le Livre Olympique et les règles olympiques, les Jeux doivent engendrer le respect et l’adhésion internationales. Dans cet esprit, la délégation du C.O.R. a proposé, comme procédure permanente, que le C.I.O. lance un Appel aux peuples et aux gouvernements leur demandant d’appliquer l’armistice olympique pendant le déroulement des Jeux Olympiques. 98 Ces propositions du C.O.R. et, en général, l’activité déployée dans les relations internationales avec le C.I.O., l’Académie Internationale Olympique, dans les contacts avec d’autres C.N.O., avec les Comités d’organisation des Jeux Olympiques et avec F.I.S., ainsi que la contribution des sportifs roumains à la réussite des Jeux Olympiques sont une preuve de la position active du sport roumain sur le plan international, de son apport au développement de l’éducation physique et du sport, à la promotion et à la détente du monde. 99 Le Comité Olympique Roumain va accorder dans le futur une attention particulière à la participation à la vie sportive internationale, au mouvement olympique, et militera pour appliquer et faire respecter l’esprit olympique dans toutes les manifestations sportives, convaincu que le sport est un excellent messager de la paix et de l’entente entre tous les peuples du monde.

NOTES

1. Emil GHIBU et Ion TODAN, Sportul românesc de-a lungul anilor, Bucarest, éd. Stadion, 1970, p. 45. 2. Gimnasticul Român, anul V, n. 4, 5 et 6 (série II), Bucarest (déc. 1911, janv. et fév. 1912). 3. Monique BERLIOUX, D’Olympie à Mexico, Paris, 1967, p. 29. 4. E. GHIBU et I. TODAN, op. cit. 5. A. RAFAILESCU et C. OPRIŢESCU, Oina, Bucarest, 1970. 6. George Gh. Bibescu (14.3.1834 – 7.5.1902), fils de Gheorghe Dimitri-Bibescu, prince de Valachie de 1843 à 1848. Il a fait des études secondaires et militaires en France, et ensuite a participé aux guerres du Mexique (1862), en Algérie (1867) et en Alsace (1870). Il a écrit des travaux à caractère historique et a déployé une intense activité socio-culturelle. Il a organisé, en 1889, la section roumaine dans le cadre de l’Exposition Internationale de Paris. Depuis 1890, il a administré les établissements philanthropiques du prince Brancoveanu. En 1891, il a été élu membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques de Paris et, six ans plus tard, en 1897, membre associé de l’Institut des Sciences de France. Entre autres, il a écrit, avec Fery d’Esclandes « Conseils pour les duels à l’épée, au fleuret, au sabre et au pistolet ». 7. Revista Automobilã, n° 92, août 1913. 8. L’article « Stadiul si Sporturile » (Le stade et les sports), Revista Automobila, n° 98, février 1914. 9. Ibidem. 10. Ibidem. 11. Ecoul sportiv (L’Echo sportif) du 15 janvier 1922. 12. Douãzeci si cinci de viatã sportivã (Vingt-cinq ans de vie sportive), U. F. S. R., 1937, p. 74.

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13. Ces documents ont été mis à notre disposition par l’amabilité du prof. I. Todan, de la Chaire d’histoire de l’éducation physique et du sport de l’Institut d’Education Physique et du Sport et par le secrétariat du C. I. O. 14. Anuarul sportiv U. F. S. R. (L’Annuaire sportif de l’U. F. S. R.), 1938-1939, p. 32. 15. Revista Automobilã (La Revue Automobile), n° 129-130 de novembre-décembre 1919, p. 15 (Rapport du Comité de la F.S.S.R. sur la période 1916-1919, présenté par G. Costescu à l’Assemblée générale de la F.S.S.R. du 1er décembre 1919. 16. Ecoul sportiv, du 15 janvier 1922. 17. Revista Automobila, n° 1, janvier 1920. 18. Anuarul sportiv U. F. S. R., 1938-1939, p. 33. 19. Ibidem.

RÉSUMÉS

Article retraçant presque un siècle de vie du mouvement olympique roumain, situé dans le contexte d’une histoire politique roumaine mouvementée.

This article goes over a century of the Rumanian Olympic movement’s history by situating within this country’s political evolution.

AUTEURS

ANGHEL VRABIE

Comité olympique de Roumanie

Études balkaniques, 11 | 2004