Édition spéciale DÉCOUVREZ UN AUTRE

réé en 2008, Lucarne Opposée est né d’un désir devenu son principal objectif : donner l’envie de découvrir d’autres footballs, susciter la curiosité. Depuis plus de dix ans, la Crédaction de Lucarne Opposée, composée d’une vingtaine de correspondants basés aux quatre coins du globe, défend ainsi son football en utilisant deux leviers : celui du suivi des compétitions, afin de permettre de savoir ce qu’il se passe dans ces régions du monde, et celui de la culture foot, afin de permettre de comprendre ces footballs et leur impact sur les sociétés locales.

En novembre 2017, Lucarne Opposée a décidé de franchir un nouveau cap en lançant son propre magazine. Entièrement autofinancé, entièrement autoédité et autoproduit, il entre dans cette volonté de faire découvrir d’autres footballs en permettant à ses lecteurs de découvrir de nombreuses histoires. Neuf numéros ont depuis été produits, ce numéro spécial n’est qu’une portion de ceux-ci, un avant-goût. Dans cette édition spéciale, vous trouverez quelques exemples d’articles publiés dans nos magazines, afin que vous puissiez le découvrir mais aussi et surtout découvrir diverses histoires de nos footballs. Si vous voulez soutenir notre travail, rendez-vous à cette adresse : https://www. kisskissbankbank.com/fr/projects/lucarne-opposee-plongez-dans-l-autre-football Si vous souhaitez vous procurer nos magazines, rendez-vous à cette adresse : http:// lucarne-opposee.fr/index.php/hikashop-menu-for-products-listing Nicolas Cougot Rédacteur en chef 01 Julio Filippini : « La démocratie est beaucoup plus importante que le football » Héros du match face au Nacional, le premier de sa carrière professi- onnelle, Julio Filippini est resté célèbre pour sa dédicace à son frère et aux prisonniers de Libertad à la fin du match. Rencontre. our parler de cette année 1976 avec m'entraîner. J'étudiais donc les sciences Julio Filippini, le fameux buteur contre économiques et je jouais au football. Je suis PNacional, il faut revenir dans l'Uruguay aujourd'hui comptable et le football je l'ai de 2017. Et qu'il est dur d'imaginer ce que malheureusement arrêté très rapidement. pouvait être cet Uruguay, dans ce pays Comment avez-vous vécu le coup d'état de redevenu paisible. Pour aller à sa rencontre, 1973 ? il faut quitter Montevideo par l'avenue d'Italie, passer devant ce monument qu'est En 73, j'étudiais au lycée militaire. Mon le Centenario, dépasser l'aéroport ultra- frère l'avait fait aussi car mon père, moderne de Carrasco avant de prendre la d'origine paraguayenne, avait été militaire route de Pando, qui mène, si on la prend plus au Paraguay. Mais mon frère, militant longtemps, vers le nouveau stade de Peñarol. Tupamaro (NDLR : guérilla d'extrême Señor Filippini est désormais responsable du gauche uruguayenne) a été fait prisonnier développement économique du département début 1976 et évidemment la perte de de Canelones, au Nord de Montevideo, la démocratie a été un moment difficile. et il dispose donc d'un bureau dans une zone industrielle. Nous sommes allés à sa Votre frère était prisonnier pour autre chose rencontre pour évoquer ce titre de 1976. que d'être membre d'un groupe politique ? Non, à ce moment, les Tupamaros n'étaient pas un groupe politique à proprement parler, En quelle année avez-vous commencé au c'était des révolutionnaires. Certaines Defensor ? personnes disent des terroristes, mais ce n'est pas le cas. Il y a une différence entre En 1974, en jouant en quinta, qui est ici des gens qui attaquent sans se soucier l'année des 16-17 ans. Avant de passer en des tiers, et eux, qui étaient un groupe quarta, la réserve, puis de jouer professionnel. armé mais qui cherchaient juste une place À ce moment, quel était votre objectif, être dans une démocratie qui, dans l'absolu, joueur professionnel ou poursuivre vos ne laissait pas de place à la gauche. Son études ? groupe est tombé en 1976, même si lui ne participait pas à la lutte armée, il travaillait Les deux en même-temps. Mon père dans la partie administrative, financière m'a toujours poussé à travailler et à

4 Julio Filippini aujourd’hui fonctionnaire en charge du développement économique du département de Canelones

5 de l'organisation. Il a quand même été fait club à des supporters, les deux grands prisonnier et il n'est sorti qu'en 1983. traditionnels sont toujours supérieurs en nombre. Ce jour-là, la presse était en En 1976, vous commencez donc en conflit avec les clubs et il n'y a donc pas réserve. eu de photographe qui couvrait le match, Oui, j'étais joueur de l'équipe réserve, ni de photos de l'équipe dans laquelle j'ai pour ma troisième année au sein de joué (Rires). Defensor, comme professionnel. Et cette Les quinze premières minutes ? année, au quatrième match de la saison contre Nacional, l'attaquant gauche Pichu La première mi-temps a été dominée par Rodríguez est blessé et on m'appelle donc Defensor, nous avons marqué deux buts, pour jouer. le premier un penalty sur moi, converti par notre neuf, Pedro Álvarez. Peu après sur Titulaire pour votre premier match ? une autre action, je ne me souviens plus de Titulaire, débutant à 19 ans. la minute… Que s’est-il passé dans votre tête à ce La quinzième… moment ? Donc à la quinzième, sur une balle centrée C'était débuter contre un grand, dans le par Rodriguez, un centre rasant de la droite. stade Centenario, où j'avais été toute ma Le neuf la manque, mais les défenseurs vie à voir les matchs de Nacional et Peñarol, l'ont suivi. Le ballon vient sur mon pied j'étais supporter de Nacional à l'époque. droit alors que je suis gaucher, mais j'arrive Donc être dans l'équipe… La nuit d'avant, à marquer, 2 à 0. À ce moment-là, débuter je n'ai pas eu peur mais j'étais nerveux à mon premier match, titulaire, obtenir un l’idée d'essayer d'être bon, de rendre une penalty, marquer... C'est quelque chose copie propre et de ne pas échouer. d'important, avec les cris des supporters... Ces moments-là... Et vous jouiez contre un Nacional puissant à cette époque ? Vient la mi-temps Oui, oui, les deux grands étaient très Nous avons continué à jouer, j'ai failli puissants, jamais une équipe dite « petite », marquer, mais Nacional finit par égaliser c'est à dire le reste des équipes, n'avait été sur deux buts de leur numéro neuf, Perreti, championne à cette époque. le match se termine 2 – 2, un point pour nous, un point qui nous aidera à devenir Quelle était votre sensation en rentrant sur champions puisque nous serons titrés un le terrain, avec les supporters de Nacional point devant Peñarol. d'un côté, les quelques supporters du Defensor de l'autre ? Un mot sur l'entraîneur, Ricardo De Leòn. Évidemment les supporters du Nacional Une personne qui entraînait déjà l'équipe étaient beaucoup plus nombreux, contre dans la stabilité depuis une longue durée, un Defensor qui n'avait pas beaucoup de 4 ans. Aujourd'hui les équipes changent. public, et encore aujourd'hui, même si le Toutes les dix minutes un joueur est vendu,

6 alors que dans son cas, rester quatre ans, au football, mais quand vous n'en avez avec les mêmes personnes, avec le même pas la possibilité, vous devez travailler à groupe, voyager, faire des tournées au bien défendre, à marquer un but mais en Venezuela, dans les Caraïbes, à jouer, à vivre défendant bien sur l'adversaire. Surtout ensemble, a beaucoup aidé à renforcer ce quand vous n'êtes pas un joueur aussi groupe. Et après tout cela, il a pu compter habile, même s'il y avait des bons joueurs, sur ses joueurs et sur quelques nouveaux mais pas des top-joueurs. C'était une qu'il souhaitait. C'était une personne très équipe de travailleurs, c'est ce qui a marqué silencieuse, très concrète. Son histoire... Il le Defensor de cette époque. était communiste mais n'en parlait pas, pas Et les joueurs faisaient ces efforts ? non plus à nous les joueurs. À cette époque, il aurait dû être sélectionneur de l'Uruguay Oui, il transmettait ce message que nous mais de par ses opinions il a été ignoré, mis pouvions, en étant organisés, en faisant ce de côté. Une personne très simple mais au qu'il nous disait de faire, arriver à quelque grand cœur. Des gens disaient à l'époque chose. C'est comme ça que nous l'avons qu'il pratiquait un football de destruction. fait, match après match. Lui nous disait toujours qu'il faut marquer Vous finissez le match contre Nacional en la balle et non pas le joueur, parce que ce étant remplacé à la 75ème par Cubilla, un n'est pas le joueur qui détermine le but, autre grand joueur. mais la balle qui entre (dans le but). Si nous conservons la balle en dehors de Oui, mais il ne l'était déjà plus trop à cette position, l'adversaire ne marque pas. l'époque, Cubilla arrivait dans l'équipe cette Ça peut paraître stupide, mais il nous disait année-là et il n'arrivait pas très en forme. que si l'adversaire n'a pas le ballon, il ne Il entrait des demi-heures, des quinzaines peut pas marquer. de minutes. C'était déjà important pour moi que je sois sorti après 75 minutes et non à Un peu comme a pu le faire Barcelone ? la 60ème par exemple. Oui, mais c'est une équipe avec des joueurs d'une classe qui lui permet d'avoir Arrive la fin du match. Vous êtes interviewé facilement la possession. Ce n'était pas le par Victor Hugo Morales, commentateur cas du Defensor, une équipe d'ouvriers, de très connu en Uruguay et en Argentine… travailleurs. Si les deux grands avaient de …Il a été le seul à avoir accompagné bons joueurs et étaient toujours favoris, Defensor à tous ses matchs. Il commentait Defensor devait travailler. Et le travail était évidemment beaucoup de matchs, mais il a de récupérer ce ballon. Quand le gardien eu cette vision, ou cette chance, de suivre le adverse dégageait, il y avait trois des club cette saison là depuis le début, d’avoir nôtres à la retombée du ballon. C'est ce commenté tous les matchs de l'équipe. qui a fait dire que nous avions une équipe qui détruisait le football, mais pour nous À Victor Hugo Morales, vous déclarez : « l’objectif n'était pas de marquer un ou je dédie ce but à mon frère et à tous les deux buts, c'était de gagner le match. C'est prisonniers de Libertad. » un sport professionnel et vous allez me Je savais que mon frère était prisonnier demander si ce n'est pas mieux de jouer

7 là-bas et qu'une fois, il avait pu écouter un fait la photo officielle de l'équipe, j'y suis match à la radio. Pensant qu'il pouvait être mais dans un petit carré ajouté en bas avec en train d'écouter, lorsqu'on m'a demandé d'autres joueurs. à qui je le dédiais, j'ai dit cela. Et de là ont Et à la fin de ces quatre jours ? commencé les problèmes. Je me suis rendu compte durant cette Votre frère a pu l'écouter ? période que Victor Hugo Morales avait eu Non, finalement, il n'avait pas la radio. Enfin des problèmes, que les militaires l'avaient plus que la radio, il n'y avait pas les haut- appelé. Je suis donc allé durant la nuit à parleurs ce jour-là. Ce n'était pas une radio sa station de radio pour m'excuser. Il m'a par personne, c'était des haut-parleurs répondu : « Non, petit, pas de problème avec comme dans les camps de concentration, toi ». Et je me souviens en effet qu'après pour toute la prison. ma déclaration à son micro, il m'avait juste dit « bien reçu, merci ». Il avait dû parler Vous l'avez pensé comme un geste politique avec un Général, qui était en charge de ou juste une dédicace ? cette « affaire » et je l'ai aussi eu en ligne C'était une dédicace à mon frère et à ce Général dont je ne me souviens plus du d'autres amis que j'avais là-bas, je voulais nom. Je lui ai expliqué que je souhaitais les saluer. Je voulais dire « à mon frère et juste saluer mon frère et il m'a répondu que aux autres amis que j'ai à la prison », et ça se terminait donc là. Il me le dit comme les gens l'ont compris comme « toute la cela et ça s'est en effet terminé là. Plus prison de Libertad », en vérité c'était aux d'autres problèmes. Mais je n'ai plus jamais connaissances que j'avais là-bas. joué au Defensor, je n'ai jamais signé de nouveau contrat. C'était préparé ? Le président ou le manager de Defensor, Non, non. C'est ce qui m'est venu sur le qu'est-ce qu'ils vous ont dit ? moment. Rien, jamais ils n'ont parlé avec moi. Non, Qu'est-ce qu'il s’est passé après ? ils n'ont rien dit. Ils m'ont juste dit que Mes parents étaient en voiture, en train j'étais « libre ». J'ai préféré continuer en de quitter le stade. Ils écoutaient la radio, Ligue Universitaire, avec eux j'ai fait une justement Victor Hugo, et ils ont donc tournée aux États Unis, une autre équipe entendu ce que j'ai dit. Immédiatement, pro est venu me consulter à mon retour ils ont fait demi-tour. Mon frère était déjà mais en m'offrant moins, et j'ai préféré prisonnier, ma sœur exilée en Argentine continuer mes études, tout en jouant en avant de devoir partir vers les Pays-Bas Ligue Universitaire. et le seul fils qu'ils avaient encore, ils se Qu’avez-vous fait après 1976 ? sont dit qu'ils allaient le perdre aussi. J'ai donc été caché dans la maison de la mère J'ai joué jusqu'à mes 50 ans. Lorsque j’étais de ma fiancée de l'époque, mon ex-femme en Ligue Universitaire, j'avais été appelé aujourd'hui, durant quatre jours. C'est à jouer pour une équipe universitaire qui durant cette semaine d'ailleurs qu'ils ont jouait en Division B amateur (NDLR : sorte

8 de 3ème ou 4ème division), j'ai même été comme manière de protester, faire ce tour appelé pour un tournoi quadrangulaire d'honneur à l'envers. international au Paraguay avec des C'était un geste politique ? sélections de joueurs professionnels du Paraguay, du Brésil, de l'Uruguay et du Oui, cela oui. De protestation pour la Chili. Ce n'était pas la sélection A, mais situation du pays. c'était des sélections de très bons joueurs, Sur ce que vous avez dit à Victor Hugo la sélection uruguayenne était dirigée par Morales, vous le diriez de nouveau ? Hugo Bañulo, ancien joueur et entraîneur de Peñarol. Quelques temps après, je me (Rires) On m'a déjà demandé ça... Au-delà suis brisé les ligaments sans savoir que du fait que le football est ma passion et c'était les ligaments, puisqu'il n'y avait pas que j'aurais aimé continuer professionnel, d'équipe médicale à l'époque qui détectait je pense que je le ferais de nouveau. Même cela. Je n'ai pas pu jouer pendant un an, si ce n'est pas une chose à laquelle j'avais un an et demi. J'ai repris après la Ligue réfléchi. De nombreuses années après, Universitaire, puis le futsal, jusqu'à mes avec le retour de la démocratie, on continue 49 ans, où après une radio du genou, un de parler de ce Defensor de 76, de faire des médecin m’a dit que mes ligaments étaient reportages. Cela a servi, d'une certaine endommagés et que si je continuais, j’allais façon, comme ces gens qui étaient exilés avoir besoin d'une prothèse. J'ai préféré en Espagne qui en ont entendu parler. Cela arrêter. a aidé, beaucoup plus de gens que ce que Toujours supporter du Nacional ? l'on croit. Non, plus jamais après ce qu'il s'est passé. Plus important que le football ? Quand tu joues pour Defensor, tu te rends Plus important que le football. Le football compte que les grands volaient les petites est important mais la démocratie, le bien- équipes, à leur manière, les arbitres étaient être des gens, ou la liberté de pouvoir dire ce un désastre. Comme j'ai joué au Defensor, que l'on pense, est beaucoup plus important j'ai senti ce qu'était ce vol et je supporte que le football. Non, non, la seule chose maintenant le Defensor, instinctivement, importante est que j'ai joué 75 minutes. pour avoir porté le maillot. Ceux qui ne me D'autres compagnons ont plus participé à connaissent pas me demandent si je suis la conquête du titre. Mon réconfort est que Manya (de Peñarol) ou Bolso (de Nacional), ce point a servi à être champions. J'aurais non, je suis de Defensor. J'ai été pour souhaité continuer le football, mais je Nacional, plus maintenant. redirais les mêmes phrases si j'avais à le Quand le Defensor est champion en 1976, refaire. ils effectuent ce fameux tour d'honneur à l'envers. Dans l'équipe, il y avait 4 à 5 joueurs de gauche et c'était très difficile de se dire «de Jérôme Lecigne gauche » à ce moment-là. Ils ont pensé,

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10 BRÉSIL : LE MIROIR AUX ALOUETTES Marta. C’est le nom de la quintuple meilleure joueuse du monde qui vient le premier à l’esprit au moment d’évoquer le football féminin brésilien. Une carrière et un talent qui promettent une évidence : Les Brésiliennes dominent leur sport. Logique non ? Pas vraiment, car au pays où le football sacre des rois, les femmes sont encore loin d’être reines. dire vrai, la logique trouve tout de pays, restant toutefois des regroupements même son chemin, puisque très éphémères visant à disputer, comme À naturellement, les Brésiliennes expliqué précédemment, des tournois pratiquent le football depuis presque caritatifs ou des démonstrations festives aussi loin que celui-ci a posé ses règles sans caractère compétitif. Si les joueuses britanniques sur le sol auriverde. On retrouve d’Araguari, dans le Minas Gérais, se sont en effet des registres faisant écho de matchs longtemps déclarées comme pionnières mixtes dès 1908 et, durant de nombreuses d’un football féminin un tant soit peu régulier années, l'on a cru que la première partie de au Brésil, on sait désormais que la palme football entièrement féminine avait eu lieu en revient aux fluminenses (habitante de l’État 1913, lors d’un évènement caritatif. L'on sait de Rio de Janeiro) et à Monseigneur Séverino, aujourd’hui que les deux équipes étaient en directeur de l’orphelinat São José, qui fait composées de dames de la haute ainsi collecta des fonds en organisant un tournoi que de joueurs du Sport Club Americano féminin auquel participèrent l’Americano, déguisés en femmes pour l’occasion. Goytacaz, Rio et Industrial. Mais tout cela ne plaisait guère à une société Des kermesses à l’interdiction brésilienne machiste et patriarcale à souhait, La première partie officielle a en réalité qui entrait dans des années 40 puritaines eu lieu en 1921 et opposait les habitantes et réactionnaires en comparaison des deux de deux zones distinctes du quartier de décennies précédentes. En atteste par Santana, dans le nord de la ville de São Paulo. exemple une lettre adressée à l’historique Cette partie fut qualifiée par le prestigieux, président Getúlio Vargas, par un sombre mais aujourd’hui disparu journal A Gazeta, zozo prénommé José Fuzeira, dont voici un d’attraction « curieuse » et « comique » ayant extrait : « J’attire l’attention clairevoyante de pour unique raison d’être les festas juninhas, Votre Excellence, pour que soit conjuré une ces kermesses enfantines de juin où l’on se calamité prête à s’abattre sur la jeunesse déguise en paysan pour fêter Saint João, la féminine du Brésil ». Ce grand défenseur Saint Jean. de la cause féministe, ainsi que la cohorte de pétitionnaires d’alors, furent écoutés par À partir des années 30, plusieurs équipes l’attention clairvoyante du bon président, qui féminines se retrouvent au travers du fit jouer de son excellence pour décréter la loi

11 n°3.199/41, liée au Ministère de l’Éducation, 2000 jusqu’à nos jours, entre amateurisme interdisant tout simplement aux femmes la et persévérances silencieuses, symbolisées pratique de « sports incompatibles avec la par les exploits sans récompense de la condition de leur nature », dont le football Seleção et les fulgurances de Marta. Une faisait donc partie. Et si cela n’était pas tout dynamique qui débouchera en 2013 sur la à fait clair, la dictature des années 60 le création d’un Brasileirão féminin, une élite précisera noir sur blanc dans la résolution semi-professionnelle aujourd’hui dotée 7/65 du Conseil National des Sports. d’une seconde division, que les clubs les plus prestigieux du pays, notament sous Libération et développement l'impulsion des nouvelles règles de la La dictature, avec un petit « d », finit CONMEBOL, rejoignent chaque saison. heureusement par lâcher du lest vers la fin des Nouvelles menaces seventies et la loi sera abrogée en 1979. Une nouvelle liberté dans laquelle s’engouffrèrent Alors tout va bien ? On y est donc parvenu? de nombreuses Brésiliennes, tant et si On peut faire péter la cerveja et se caler bien qu’en 1984, la légendaire revue Placar devant un Santos-Flamengo de haute volée? relatait l’existence d’environ 3 000 équipes Pas encore malheureusement. Car derrière féminines dans tout le Brésil, évoluant ces quelques arbres, se cache un désert fait cependant sans véritable organisation de luttes quotidiennes et de précarité, bien référente, sans compétition digne de ce nom, illustré par le travail de Barbara Fonseca, dans l’indifférence nationale la plus complète 32 printemps (austraux) et directrice en somme. L’une d’entre elles, l’Esporte sportive de l’équipe féminine de l’América Clube Radar de Rio de Janeiro, créée en 1981 Mineiro. L’América Mineiro est la principale par l’impresario Eurico Lira, parvint même à locomotive du football féminin dans le Minas attirer l’attention de la CBF, grâce à son niveau Gerais, dont il est le seul représentant parmi de jeu et son invincibilité. C’est ainsi que les l’élite. Actuellement en seconde division, jaune et bleu, couleurs rappelant la plage de les Americanas n’ont raté la qualification en Copacabana où elles avaient l’habitude de demi-finale des play-offs qu’à la défaveur jouer durant la prohibition, furent utilisées d’une moins bonne différence de buts que comme base d’une première Seleção qui, en le Caucaia du Ceará. Quant aux Estaduais, 1988, s’en alla disputer pour la première fois elles sont tout simplement doubles tenantes une compétition internationale, en Chine. du titre. Des résultats brillants et un avenir En 1995, quelques « génies » du business tout assuré pourriez-vous légitimement tentèrent de donner au football féminin une penser ? C’est bien plus compliqué que cela nouvelle impulsion toute particulière pour vous répondra Barbara le visage barré d’un tenter de le rendre attractif aux yeux des sourire sarcastique : « Le football féminin Brésiliens : on raccourcit les shorts et on n’est une priorité pour aucun des clubs met en valeur la beauté des joueuses au brésiliens et je dois toujours attendre le détriment de la technique. Milene Domingues dernier moment pour savoir si notre section et Susana Werner seront deux vedettes de sera intégrée au budget de la saison à venir». cette période, toutes deux reconnues pour Une instabilité qui empêche Barbara de leurs exploits... dans les bras de Ronaldo. préparer correctement sa saison, beaucoup Ce n’est pas encore ça, mais on avance. Le de joueuses, dont la situation est souvent football féminin progressa ainsi des années assez précaire, choisissant par sécurité de

12 Les filles de l’América Mineiro

se concentrer sur un autre emploi. La l’exception des rencontres de la Seleção lors CBF ne considérant toujours pas l’élite du des JO ou des Coupes du Monde. « Avoir une football féminin comme professionnelle, une visibilité à la télévision par exemple, attirerait véritable carrière ne peut totalement être à coup sûr beaucoup de sponsors, chose que considérée par ces jeunes femmes. « En plus nous avons aujourd’hui toujours beaucoup de cela, nous pouvons être tout simplement de mal à obtenir, et souvent pour des aides supprimées des projets du club à cause bien maigres. Cela nous aiderait aussi d’un changement de stratégie : l’ancienne probablement à faire venir plus de monde au présidence était de gauche, sensible à cette stade, ce qui serait également une précieuse lutte, mais elle vient de changer et je ne sais source de revenus ». Malheureusement, les pas encore si la nouvelle administration médias restent perplexes devant l’éventuel aura les mêmes convictions », lance Barbara succès de telles diffusions, et « préfèrent d’un ton inquiet. Une dépendance à des encore passer des reportages sur la vie privée administrations tournées davantage vers des joueurs masculins », grince Barbara. le football masculin donc, qui pourrait être La raison ? Le machisme et le moralisme diminuée si le football féminin parvenait à puritain, et oui, encore eux, en 2018. Si les devenir rentable, « l’argent c’est le nerf de mentalités sont en train d'évoluer en ce qui la guerre pour continuer d’exister », affirme concerne la place de la femme dans le monde notre interlocutrice, « et je suis convaincue du travail, la palissade est encore bien solide que cela passe par les médias », ajoute-t- quand il s’agit de séparer les activités dites elle. Car en effet, les filles sont totalement masculines des activités dites féminines. absentes du paysage médiatique sportif, à Le shopping, la fréquentation des salons de

13 beauté ou le volley par exemple, sont ainsi fait au prix de longues et usantes batailles, le considérés comme l’apanage de la gent danger est que les acteurs de cette lutte se féminine. Le football, non. « De nos jours, fatiguent... personnellement je suis parfois la grande majorité des écoles de football fatiguée d’effectuer un travail qui serait refusent d’intégrer des petites filles à leurs considéré comme professionnel dans le équipes, enfin quand leurs parents acceptent monde masculin, c’est beaucoup de temps, de les laisser jouer bien sûr... », soupire-t-elle. d’énergie... mon exemple n’est qu’un parmi Tout cela aboutit sur une formation « au petit tant d’autres ». bonheur la chance », que Barbara dénonce, En 2018 auront lieu des élections alarmiste : « La génération de Marta, Cristiane, présidentielles déterminantes pour le pays, Formiga a été formidable, mais elles arrivent qui mettront aux prises un Brésil libertaire en fin de carrière. Leur talent est un mirage, et progressiste, à celui de Jair Bolsonaro, nous avons eu beaucoup de chance de les nationaliste affirmé et... puritain dur, partisan avoir, mais peu de choses sont faites pour des mœurs d’antan. Alors le football féminin préparer la suite, découvrir leur relève, la au Brésil, on avance ? Ou bien l’on repart... former ». Après un temps de réflexion et un comme en 40 ? regard pensif par la fenêtre, celle qui, à la vie civile, est fonctionnaire de police, tempère : « si on prend du recul, on constate que les choses avancent, c’est indéniable. Notre situation aujourd’hui aurait paru une utopie il Simon Balacheff y a encore deux ou trois ans. Mais cela s’est

14 IL ÉTAIT UN STADE : LA LÉGENDE DU

Stade Marcel Cerdan puis Stade d’Honneur après l’indépendance du Maroc en 1956 (ou « Stade Donor » dans le jargon des fans de foot locaux) et enfin Stade Mohammed V : telles sont les appellations suc- cessives et sobriquets affectueux du stade le plus mythique du foot- ball marocain, qui a marqué la destinée des Lions de l’Atlas et du derby entre le Raja et le Wydad. Nous vous proposons, à travers ce dossier spécial, de remonter le temps et découvrir la riche histoire de ce stade, mais aussi des acteurs qui ont fait sa gloire, qu’ils soient sur la pelouse ou dans les travées.

fin de décrire le plus fidèlement ce stade vétuste qui a l’air de tomber en possible l’atmosphère particulière du ruine?». stade Mohammed V, une anecdote A Ensuite, les virages Nord et Sud déploient vaut mieux que mille adjectifs. Le 11 avril les tifos et lancent les chants, et les 2015, un groupe d’expatriés étrangers Comment de l’émerveillement prennent la accompagne des supporters locaux au place des Pourquoi. « Comment se fait- stade pour le 118e derby de Casa. Pendant il que les chants soient aussi variés alors toute une après-midi, ils vont osciller entre que dans certains pays y en a peine deux l’incompréhension et l’émerveillement, ou trois ? Comment font-ils pour enchaîner en se posant une foule de questions. Les les chorégraphies et être aussi coordonnés Pourquoi incarnent l’incompréhension. alors qu’ils sont des milliers ? Comment «Pourquoi est-ce qu’il fallait qu’on vienne est-ce possible, un bruit pareil dans un cinq heures avant le coup d’envoi ? Pourquoi stade ouvert ? ». les toilettes sont inondées et transformées en marécage toxique et que ça ne semble C’est ça, l’atmosphère particulière du surprendre personne ? Pourquoi un stade Mohammed V. Une ferveur qui business parallèle de vente de cartons suscite l’émerveillement, dans un cadre pour couvrir les sièges pleins de crasse d’un autre âge et un désordre ambiant alors qu’il suffirait de nettoyer les sièges? qui suscitent l’incompréhension. Depuis Pourquoi est-ce qu’il y a l’air d’avoir 100000 ce derby en 2015, le stade a été fermé personnes alors que le stade ne peut pas à plusieurs reprises pour être rénové : en contenir plus de 70 000 ? Pourquoi est- nouveaux sièges, un second panneau ce que des matchs sont encore joués dans d’affichage, des tourniquets électroniques

15 pour scanner les billets comme au Grand trois, on pourrait parler d’abord du «demi- Stade de Marrakech, un nouveau système derby » de 1978, au cours duquel les joueurs d’éclairage. Mais cette capacité à offrir du Raja ont quitté la pelouse après une mi- des scènes qui dépassent l’entendement temps, pour protester contre un combo perdure, que ce soit avec l’épisode des pénalty-carton rouge contre leur gardien. billets imprimés sans code barre qui ont Aujourd’hui encore, les supporters du Wydad contraint l’organisation à désactiver les enlèvent une moitié de derby au décompte tourniquets (Wydad-AS FAR, le 3 avril 2017) des matchs entre les deux équipes en ou ce gars déguisé en Batman qui se balade championnat, et en sont donc à 122,5 plutôt sur le toit du stade pendant un match (Raja- qu’à 123. Il y a eu aussi le « tsunami » du 25 AS FAR, 2 novembre 2017). mai 2006, qui désigne la frappe incroyable pleine lucarne du défenseur wydadi Hicham Le « demi-derby », le tsunami de Louissi, pour une égalisation à la 95e Louissi, la démonstration du 5-1 : les minute du derby (1-1) un but qui offre le derbies historiques titre de champion aux Rouges dans une La place qu’occupe le stade dans ambiance indescriptible. Enfin, on pourrait l’imaginaire collectif est différente suivant citer la démonstration du Raja en Coupe du les générations : pour certaines, il est Trône 96 (large victoire 5-1) qui symbolise indissociable de la Coupe Mohammed V, ce le début d’une hégémonie verte qui durera tournoi de gala (19 éditions entre 1962 et jusqu’en 2001, avec six titres de champion 1989) qui opposait le champion du Maroc à consécutifs. des clubs prestigieux en pleine préparation Lions de l’Atlas et Stade Mohammed de pré-saison. Presque tous les grands V : Zambie 93, Ghana 97 et exil de sont venus : Le Real, l’Inter, le Bayern, Boca, huit ans Peñarol, le Stade de Reims, pour ne citer qu’eux. Que ce soit pour les matchs du Raja et du Wydad en compétitions africaines, ou pour Mais pour d’autres générations, le premier les matchs de qualifications au Mondial souvenir ou le souvenir marquant lié au (zone Afrique) disputés par la sélection stade Mohammed V tient à son statut marocaine, l’enthousiasme populaire au d’arène pour l’affrontement entre les rouges stade donne des ailes aux joueurs. C’est du Wydad (recordmen du nombre de titres de en partie grâce à ce soutien incessant et champion) aux verts du Raja (club marocain assourdissant que les rouges ont arraché le plus titré sur le plan continental avec trois la Ligue des Champions Africaine 2017, en Ligues des Champions, une Coupe de la CAF tenant bon durant les longues séquences et une Supercoupe). Un derby qui divise la où ils ont été dominés (contre l’USM Alger ville, mais divise également le stade en deux en demi-finale et contre Al Ahly en finale). parties égales, quelle que soit l’équipe qui « L’emprise sur l’équipe adverse est aussi reçoit », c’est là l’une des caractéristiques conséquente : en 2014, les joueurs sud- qui fait sa singularité. africains de Kaizer Chiefs, qui devaient Un livre de 600 pages ne suffirait pas pour affronter le Raja, avaient passé leur semaine raconter les 136 confrontations entre les au Maroc à louer des conditions optimales deux clubs, mais s’il ne fallait en citer que sur le plan du climat, des infrastructures et

16 de la pelouse, qui allaient leur permettre de crânement leurs chances, en engrangeant jouer leur jeu sans encombre. Eberlués par huit points dans les quatre premiers matchs l’incroyable bronca qui les accueillit au stade du tour final. Mohammed V lors de la reconnaissance Ironie du sort, c’est contre l’adversaire qui de cette même pelouse deux heures avant les a poussés à l’exil huit ans plus tôt, le la rencontre et par le vacarme qui ne les a Gabon, qu’ils font leur retour à « Donor ». pas lâché pendant 90 minutes, ils avaient Un adversaire qu’il faut battre pour aborder complètement raté leur match. en position de force la finale pour la La sélection a surfé sur cet élan populaire qualification, face aux Éléphants à Abdijan lors de la période faste des années quatre- lors de la dernière journée. Ce retour a été vingt-dix, remportant dans cet écrin plein décidé par Hervé Renard et expliqué dans comme un œuf deux matchs serrés (le 10 une interview donnée dans l’émission octobre 1993 contre la Zambie, 1-0, et le «L’Club » sur la chaîne marocaine Medi1 8 juin 1997 contre le Ghana, 1-0) qui leur TV : « C’est moi [qui ai demandé à ce qu’on ont permis de composter leurs billets pour rejoue à ] mais je ne voulais pas les Coupes du Monde 1994 et 1998. Mais y aller trop tôt parce que nous n’étions pas quand le niveau a décliné et que les résultats prêts pour y aller, pour affronter le public de n’ont pas été au rendez-vous, le caractère Casa, nous n’étions pas assez performants exigeant du public de Casa a constitué pour lui offrir ce qu’il attend ». Finalement, un poids difficile à supporter. Après une le timing sera le bon, buteur en 2009, mauvaise entame de qualifications au Aubameyang restera muet cette fois-ci, le Mondial 2010 (défaite 1-2 contre le Gabon Maroc s’impose 3-0 à Casablanca dans au stade Mohammed V, le 28 mars 2009), une ambiance volcanique et ira s’emparer les Lions de l’Atlas optent pour un autre du billet destination Russie 2018 face à la repaire, à Marrakech. Côte d’Ivoire un mois plus tard (0-2, le 11 novembre 2017). Un éloignement forcé qui prend fin le 7 octobre 2017, au vingtième mois du mandat Une preuve supplémentaire de l’apport d’Hervé Renard. L’ancien sélectionneur de décisif d’un stade décidément pas comme la Zambie et de la Côte d’Ivoire a relancé les autres. le Maroc après de longues années de crise et une rupture consommée avec le public. D’abord avec une CAN 2017 plus qu’honorable (élimination de justesse en quart de finale contre l’Égypte) puis une Farouk Abdou campagne éliminatoire au Mondial 2018 qui a vu Benatia et ses coéquipiers défendre

17 IL ÉTAIT UN STADE : LE MOUVEMENT ULTRA, TOURNANT MAJEUR DU SUPPORTÉRISME À CASABLANCA Emboîtant le pas de la Tunisie (pionnière du mouvement au Maghreb), une génération de supporters marocains s’est lancée dans l’aventure Ultra à partir de 2005. C’est cette année-là que les premiers groupes de support- ers du Raja et du Wydad s’affichent au stade Mohammed V. La fondation d’autres groupes, associée au développement du mouvement au cours de la décennie qui suit, va bouleverser le paysage footballistique de la ville, du stade, et du pays tout entier. S’ensuivra une période glorieuse, durant laquelle le spectacle au stade amène aux de Casa une renommée qui dépassera les frontières et le continent. Une renommée mise à mal par les violences et les multiples incidents tragiques de ces dernières an- nées. Portrait de la grandeur et de la décadence (avant un possible nou- veau départ ?) des réceptacles de la ferveur du stade « Donor ».

u fil des décennies, le clivage qui regroupe les portes impaires, est la sociologique qui a opposé Rajaouis et zone du Raja. Ce caractère informel du AWydadis s’est dilué pour ne plus être découpage au stade prendra fin suite à qu’un sujet de trashtalking dans les chants deux évènements : l’installation des sièges entonnés par les deux camps. Subsistait en couleur en tribunes latérales (rouge côté alors un découpage géographique informel Nord, vert côté Sud), puis l’avènement des dans la ville de Casablanca et surtout au groupes Ultras dans les virages à partir de stade Mohammed V : la moitié collée au 2005. Virage Nord (ou « Frimija » dans le jargon du Comme en Tunisie, deux facteurs vont stade en référence à la forme triangulaire inspirer les jeunes fans marocains à l’orée de l’ombre projetée sur le virage, en forme de cette année fatidique : l’admiration pour de portion de fromage) qui regroupe les les ambiances italiennes (que ce soit au portes ayant un nombre pair, est la zone niveau visuel ou au niveau des chants) et des supporters du Wydad ; la moitié collée le constat d’un manque de créativité au au Virage Sud (ou « Magana » en référence niveau local, donnant aux tribunes une à l’immense horloge surplombant le virage)

18 Craquage pendant le match Raja-Difâa El Jadida (19 février 2015) atmosphère trop bon enfant si on excepte construit un style qui leur est propre, basé les quelques minutes d’effervescence sur le jonglage entre différentes langues qui suivent un but ou une victoire. Or, (espagnol, italien, arabes littéraire et depuis 2003, ça s’active sec en Tunisie, dialectal marocain, français) et l’oscillation puisque les quatre gros clubs ont leurs entre deux rythmes distincts : les chants propres groupes, mettent le paquet niveau au débit survitaminé directement inspirés fumigènes/drapeaux/bannières et montent de l’Italie, et des mélodies plus suaves leurs albums de chansons. La Brigade et traînantes, mélange d’une influence Rouge de l’Étoile du Sahel, Supras et Ultras orientale et de la langueur argentine qui a Lemkachkhine (les souriants, surnom des attiré l’attention de nombreux groupes de supporters du club) pour l’Espérance de supporters maghrébins à la fin des années Tunis, Leaders et African Winners pour le 2000. C’est cette variété d’options et de Club Africain, Black and White Fighters pour références qui a donné aux matchs disputés le CS Sfaxien, tous ces groupes aimantent au Stade Mohammed V deux ambiances les adolescents tunisiens des trois grandes musicales singulières et fait la richesse des villes du pays et font monter les décibels bandes son vertes et rouges. Toutefois une dans les stades. différence de tendances a été perçue au cours des trois dernières années. Le Maroc finit donc par s’y mettre et quatre groupes voient le jour en 2005, dont deux Les Winners aimaient imprimer un tempo à Casablanca : les Winners du WAC, les assez lent, avec en vedette les chansons Green Boys du Raja. Au gré des fondations/ « Couleur Yejri Fi Dammi » (« ces couleurs dissolutions/dissensions multiples dans coulent dans mon sang ») et « Kol Sâa les deux virages, se dessine la cartographie Ngoul Gha Nensa » (« À chaque heure je suivante, qui est encore en vigueur me dis que je vais oublier » inspirée de la actuellement : le virage Nord entièrement plus célèbre œuvre du chanteur tunisien géré par les Winners, tandis que dans Hédi Jouini) mais ont commencé à partir le virage Sud cohabitent trois factions de 2015 à revenir à des compositions plus principales : les Green Boys, les Eagles et italiennes et plus intenses, notamment le groupe Derb Sultan (tous deux fondés en le « Amigo » qui a accompagné l’entrée 2006). des joueurs du Wydad à chaque match de la campagne victorieuse en Ligue des Tifos et chants mènent les Ultras au Champions africaine de 2017. Inversement, top des charts mondiaux en 2014 et les groupes du Raja ont opté pour plus de 2015 lenteur dans les chansons à partir de 2014, La principale force des Ultras des deux à l’image de « L’Khadhra L’Wataniya » (« La camps a résidé (et réside toujours) dans verte nationale ») composée en hommage le nombre et l’originalité des chansons à l’épopée de leur équipe au Mondial des composées. Entre trois et cinq nouveaux Clubs 2013, où la très latino « Samba Tango chants en moyenne par an, pour un total ou Mariachi ». actuel qui dépasse les quarante de chaque En ce qui concerne les tifos, les deux camps côté. La plupart de ces hits sont chantés ont exploité au maximum l’immensité de la à chaque match. Rajaouis et Wydadis ont surface des virages au Stade Mohammed V

19 et surtout multiplié les prouesses en photographier les tifos ou les craquages de organisant avec discipline les milliers fumigènes. Dans ce contexte, il est arrivé de fans à disposition, parfois pendant de temps à autre, au cours des années de longues heures avant les matchs les 2014 et 2015, qu’un but marqué dans plus importants : pour un derby disputé les trois premières minutes suscite une à 16 heures, la distribution des feuilles indifférence quasi-générale. La raison est et la préparation des chorégraphies toute simple : à ce moment-là, tous les yeux commençaient à être travaillées au stade (et les téléphones portables) étaient encore dès l’aube ! Les sujets de ces fresques rivés sur l’un des deux virages, pendant étaient légion : contexte particulier d’un que le tifo est déployé ou que les chants match, hommages à l’histoire du club ou sont déclenchés. Il n’était pas non plus si des supporters, chambrage de l’adversaire banal que ça de tomber, une heure après (exacerbé par les rivalités, ce qui a fini par le coup de sifflet final d’un match, sur des coûter cher aux Ultras des deux clubs). supporters qui se souviennent du tifo mais ne sont pas capables de parler d’une seule Conséquence logique de cette créativité action marquante du match. dans les animations, les groupes du Raja et du Wydad ont fortement contribué à la Paradoxalement, l’année 2015 sera reconnaissance des fans marocains dans synonyme d’un chant du cygne de cette le monde du supportérisme, aux côtés glorieuse époque. Le 20 décembre de cette d’institutions historiques (Pologne, Serbie, année-là, les supporters des deux équipes Grèce, Argentine, Allemagne notamment) poussent le bouchon un peu trop loin aussi jusqu’à la consécration : les Rajaouis, qui bien au niveau du comportement (incidents avaient marqué les esprits avec le tifo du entre Rajaouis et Wydadis et entre Wydadis Joker avant la victoire historique contre et la police) que de la provocation dans le Moghreb Tétouan (5-0, le 18 mai 2014) le contenu des tifos, jugés « racistes et ont été classés troisièmes mondiaux en violents » par les autorités régionales dans 2014 par Ultras World, derrière les Ultras un communiqué. Ces dernières décident du Legia et de l’Étoile Rouge de Belgrade. purement et simplement d’interdire les tifos Ce même classement annuel d’Ultras World au Stade « Donor ». sera dominé par les Winners en 2015, en Violence et jeunesse désœuvrée particulier grâce aux animations pour les autour du monde Ultra, les tragédies dix ans du groupe et le tifo qui a recouvert de 2012 et 2016 l’intégralité du stade Mohammed V pour fêter le titre du Wydad (WAC-OCK, le 24 mai La violence ne s’est pas uniquement invitée 2015). Ainsi, ce sont les supporters, de par dans les animations. À partir de la fin des leur activité au stade, qui deviendront les années 2010, le nombre d’adolescents acteurs principaux le jour d’un match. Le gravitant autour des noyaux des groupes spectacle sur la pelouse (qui s’appauvrissait Ultras n’a cessé de croître. La fascination d’année en année, à l’image du championnat des 10-20 ans pour cet univers est venue marocain) est relégué au second plan. Tout de la possibilité d’appartenir à un groupe, le monde vient au stade pour entendre les de participer à ces ambiances folles avec Ultras chanter, accompagner leurs chants, les potes et de vivre, au cours des matchs à

20 domicile ou des longs déplacements dans le unifié appelant les autorités à « l’ouverture pays, des heures loin d’un quotidien morose d’un débat constructif et la révision des (le désoeuvrement, la pauvreté, l’absence lois qui font l’amalgame entre celui qui d’encadrement familial ou éducatif, etc.). encourage son équipe et celui qui tue des personnes ». Dans les faits, même s’ils Mais quand le phénomène a pris de ne sont pas exempts de tout reproche l’ampleur, il a généré le flux de milliers de (pression négative sur les clubs, une part mineurs circulant en bandes, livrés à eux- de responsabilité dans les violences) les mêmes, qui considèrent le match comme Ultras n’étaient pas les seuls fautifs et la un prétexte pour se défouler et sont animés mobilisation avait pour but de contester d’un rejet de la société et de tout ce qui un statut de bouc émissaire incarné par la n’appartient pas au groupe. S’ajoutent dissolution. à cela la drogue, l’impossibilité pour un noyau dur de gérer des flux de supporters Si ces actions n’ont pas eu d’effet dans dans le stade et aux alentours à une l’immédiat, la tendance actuelle est à un échelle incontrôlable pour lui, la répression, progressif assouplissement, la preuve à et d’autres paramètres qui ont favorisé l’occasion de la finale de Coupe de Trône l’émergence de faits de violence liés au entre le Raja et le Difâa El Jadida le 18 football qui se sont produits à fréquence novembre 2017, au cours de laquelle les quasi-hebdomadaire au Maroc à partir de bâches des Eagles, des Green Boys et de 2014. Le stade Mohammed V n’a pas été Derb Sultan ont refait leur apparition. Il est épargné et deux évènements tragiques y ont trop tôt pour dire si un retour à la normale eu lieu en conséquence de cette violence : à court terme est possible au stade le décès d’un supporter du WAC en marge Mohammed V, mais si un effort est fait pour d’un match contre l’AS FAR en 2012 et les traiter les causes des violences et canaliser décès de deux supporters du Raja après un tant soit peu ces flux de supporters à des affrontements opposant Eagles et grande échelle, il est plus qu’envisageable. Green Boys (Raja-Chabab Al Hoceima, le 19 mars 2016) à la suite desquels les groupes Ultras marocains ont été dissous. Dans les faits, cette dissolution n’a eu Farouk Abdou qu’une seule application au sein des stades, à savoir l’interdiction de déployer les bâches distinctives des groupes. Au cours de la saison qui a suivi (2016-2017) les Ultras se sont mobilisés pour défendre leurs intérêts : une opération « stades vides » avec un boycott des matchs très largement suivi par le public au cours des premières journées du championnat, retour dans les stades en affichant un front uni (tous les Ultras vêtus de noir) et une belle preuve de solidarité avec un communiqué

21 L’INSIDE DU MOIS : MOHAMMED V EN IMAGES

La ferveur du stade « Donor » se vit au quotidien à travers les Ul- tras. Pour leur rendre hommage, l’inside du mois se change en galerie photo avec quatre clichés, pris en 2015, quatre instants marquants de l’histoire récente du stade Mohammed V.

Légendes

1- Tifo avant le match Raja-Kaizer Chiefs (5 avril 2015) en hommage aux coaches et capitaines des trois Ligues des Champions remportées par le Raja.

2- Entrée des joueurs pour le match de Ligue des Champions Raja-ES Sétif (19 avril 2015).

3- Supporters du Wydad : tifo Mohamed Ali Clay, avec sa citation célèbre « It’s hard to be humble when you’re as great as i am » avant le derby du 11 avril 2015.

4- Tifo avant le match WAC-Moghreb de Tétouan (15 avril 2015).

22 23 24 25 26 LE STADE « DONOR » RACONTÉ PAR LES CASABLANCAIS Artistes, anciens joueurs, ou tout simplement citoyens de la ville blanche : des Casaouis de différentes générations évoquent le plus beau moment qu’ils ont vécu au Stade Mohammed V et parlent du rôle que ce stade mythique a joué dans leur vie de fans de football.

eda Allali, 47 ans, chanteur/guitariste poteau électrique, ces fichus poteaux qu’ils du groupe de rock marocain Hoba ont rajoutés derrière les cages comme RHoba Spirit : « Donor, un morceau de éclairage d’appoint après la rénovation de fierté populaire […] et le reflet de la ville de 1983 (NDLR : pour les Jeux Méditerranéens Casablanca » organisés au Maroc) parce que l’éclairage n’était pas suffisant ! Un comble ! Dans Mon souvenir le plus marquant au stade, des conditions pareilles, avec la foule et c’est le match des éliminatoires du le manque de visibilité, il peut arriver que Mondial 98 que le Maroc remporte face dans certains matchs, tu entendes parler au Ghana (NDLR : 1-0, le 8 juin 1997) le d’un but qui aurait été marqué, mais tu ne match décisif qui entérine la qualification. le vois jamais et tu ne peux pas déterminer Match à 20 heures, stade plein à craquer si c’est vrai ou non. plusieurs heures avant, 80 000 personnes, concrètement je me suis retrouvé imbriqué Ce stade dépasse le simple cadre du foot, dans un Tetris humain. À cette époque-là c’est un morceau de fierté populaire. C’est pour s’occuper, il n’y a pas de téléphone une zone franche, de libre expression, qui portable ou de réseau social, le réseau a permis au public de s’approprier une social, c’est les gens autour de toi, tout le partie de l’histoire, d’avoir un moment de monde est serré et se côtoie de très près vu gloire dans un contexte où la mémoire que dans un espace destiné à la base pour collective est pauvre. Dans ce stade, une quatre personnes, dix personnes se sont micro-société s’est développée avec ses agglutinées. Au bout de deux heures je propres codes, son propre mode de vie, sa connaissais la vie de tout le monde. Quand créativité, un sens inné du chambrage et un gars bougeait pour allumer une clope, de l’improvisation, mais aussi sa violence, l’onde de choc ricochait sur au moins une son racisme social, sa corruption, tout est dizaine de rangs. exagéré et poussé à l’extrême. Cette micro- société est un reflet de la ville de Casa. Sur le seul but du match (NDLR : inscrit par Khalid Raghib de la tête) je ne vois Sur le plan acoustique, ce stade est une pas le centre (NDLR : du latéral gauche aberration, car il est illogique qu’avec des Hadhrioui) puisque j’étais dans l’axe du virages ouverts aux quatre vents il y ait

Tifo « héritage de la ferveur » pour l’ouverture de la saison 2014-2015 27 (WAC-KAC Kénitra, le 22 août 2014) autant de bruit. Avec un toit, le record de tu pensais portés disparus réapparaissent décibels serait largement explosé. Sur un de nulle part, viennent te voir à l’hôtel pour plan plus personnel, en tant que fan de te parler, tu sens l’attente des gens. C’est rock et fasciné par la contre-culture, dans dans ce stade que j’ai quelque part marqué un espace pareil ou cette contre-culture l’histoire de ce derby, c’est les moments les s’exprimait à merveille, je ne pouvais plus intenses de mes années au WAC. qu’être pour l’équipe romantique, qui joue Abdelouadoud, 23 ans, étudiant : « Le stade bien mais ne gagne pas, une équipe dont le Donor, c’est ton gosse qui se salit partout, public célèbre un petit pont comme un but qui est nul en cours et qui ne fait que des et est doté d’un sacré sens de la répartie. Il bêtises, mais que tu aimes plus que tout » n’y avait d’autre choix que celui des Verts, j’étais et suis évidemment Rajaoui. Le moment le plus fort que j’ai vécu au stade, c’est le match contre El Jadida Moussa Ndao, 49 ans, ancien international (NDRL : Raja-DHJ 2-1, 25 mai 2013) qui sénégalais et attaquant du Wydad entre nous donne le titre de champion 2013 à 1989 et 1993 : « Quand les gens scandent l’avant-dernière journée et qualifie le Raja ton nom, tu es obligé de sortir le grand jeu » au Mondial des Clubs (NDLR : Le Maroc a Mon meilleur souvenir, c’est le tout premier accueilli les Coupes du Monde des Clubs match que je joue dans ce stade, en amical 2013 et 2014 et une place de participant contre l’ (NDLR : était garantie pour le champion en titre pour 2-2). Je marque un doublé, mon troisième chacune des deux éditions). J’étais arrivé but était valable mais l’arbitre l’a refusé. en retard au stade, il faisait très chaud, le Les supporters m’ont adopté dès le premier Raja avait besoin d’une victoire pour être match et ce n’était pas gagné parce que je champion. Mais l’équipe galérait, et c’est le n’avais même pas encore signé ! Débuter Difâa El Jadida qui menait 0-1 à la pause. comme ça dans un stade plein face à l’OM Même si les résultats dans les autres de Tapie ce n’était pas évident. stades nous étaient favorables (NDLR : le Ce stade est exceptionnel, parce que tu plus proche poursuivant du Raja, l’AS FAR sens l’ambiance et la ferveur des fans tout de Rabat était mené à Fès), on stressait près de toi. Les supporters scandaient mon avec les potes, on pensait déjà au match nom, dans des conditions pareilles quand de la dernière journée qui allait être tout le monde scande ton nom devant tes compliqué. On avait peur que le titre nous coéquipiers, tu te dois d’être à 100%, tu es passe sous le nez, l’équipe ne se procurait obligé de sortir le grand jeu. Cette ferveur aucune occasion, nous étions désespérés. est tellement grande que c’est eux qui Et là Kerrouchi (NDLR : le latéral gauche nous ont sortis de situations qu’on pensait du Raja à l’époque) égalise sur coup compliquées. Le stade Mohammed V pour franc, de nulle part, BOUM pleine lucarne moi c’est surtout l’histoire d’amour dans le c’était la folie, tout le stade est libéré. Mais derby contre le Raja, j’ai marqué à tous les mathématiquement nous ne sommes pas derbies auxquels j’ai participé. Une semaine encore champions, c’est le deuxième but en de derby c’est spécial, tout le monde veut fin de match qui fait basculer tout le monde te voir. Même les anciens dirigeants que dans l’hystérie. Au coup de sifflet final la

28 pelouse est envahie, je me rappelle d’un Ce stade est particulier, du fait de son gars qui avait la quarantaine qui me prend positionnement au cœur du centre-ville, dans ses bras en pleurant. et puis tu sens la charge de l’histoire : beaucoup de grands joueurs et d’équipes L’histoire d’amour avec ce stade a commencé prestigieuses sont venues jouer ici pour le quand j’étais tout petit, quand j’y allais avec trophée Mohammed V, la sélection a gagné mes cousins puis mes potes. La ferveur te des victoires historiques dans ce stade, met en transe et t’oublies tous les soucis il y a eu des grands moments, mais aussi de ton quotidien. À chaque fois que je vais des moments tragiques, comme le décès dans un stade ailleurs je compare toujours de Youssef Belkhouja (NDLR : le défenseur son ambiance par rapport à l'ambiance à du WAC est décédé le 29 septembre 2001 « Donor », où la ferveur est une référence. d’une crise cardiaque pendant le derby Même si on passe notre temps à critiquer contre le Raja). Quand tu viens au stade, le l'état du stade, qui est dégueulasse. Je le poids de l’histoire, de ces souvenirs, et de compare à ton gosse qui se salit partout, ces moments, tu le sens. nul en cours, qui ne fait que des bêtises, mais que tu aimes plus que tout. Usain, 40 ans, chef d’entreprise : « Il ne faut plus que les Lions de l’Atlas aient peur Simo, 33 ans, ingénieur : « Le chambrage de la réaction des supporters au stade des supporters du Raja s'est retourné Mohammed V » contre eux » J’ai deux souvenirs forts qui me reviennent Je suis Wydadi, mais pour le derby dont je à la mémoire. D’abord le match décisif me souviens le plus, en 1996, je suis allé pour la qualification au Mondial 94 (NDLR: au stade avec mon père, qui supporte le 1-0 face à la Zambie, le 10 octobre 1993). Raja. À la mi-temps, le Raja, qui a dominé Le stade était plein à craquer, j’ai regardé les 45 premières minutes, mène 2-0, les le match debout. J’avais dû filer un petit Rajaouis chambrent en chantant « Allo, bakchich pour entrer en tribune d'honneur allo, appelez Bassir ». Le message en gros où il restait des places. Je me souviens c’était « Allez dire à Salaheddine Bassir aussi d’un derby où j’ai attendu le coup (NDLR : l’attaquant du Raja) de lever le pied, d’envoi toute la journée en plein soleil, sinon ça va donner 5-0 ». Bassir était déjà heureusement le Wydad l’a gagné. 2-0, fort, bien avant son doublé en Coupe du deux pénalties de Hammouda Benchrifa qui Monde 98 (NDLR : Bassir inscrit deux buts a percé les filets déjà en mauvais état. contre l’Ecosse (3-0) au Mondial). Mais à la surprise générale, le WAC est revenu dans Le stade Mohammed V représente l’histoire le match, score final 2-2. du foot marocain, l’équipe nationale est restée exilée loin de Casablanca trop Le chambrage des supporters du Raja s’est longtemps. Les Lions de l'Atlas doivent retourné contre eux, mais tout le monde absolument jouer leurs matchs décisifs ici, au stade trouvait la remontée du Wydad il ne faut plus qu’ils aient peur de la réaction suspecte, comme si la vanne «Allo, Allo» des supporters. était devenue une réalité, pour qu’il y ait match nul et le minimum de casse à la sortie. Ça, nous ne le saurons jamais.

29 M’hamed, 68 ans, retraité : « Pour un gosse Puis il y a eu les rénovations pour le tournoi de mon âge, c’était extraordinaire d’être des Jeux Méditerranéens que le Maroc a dans le stade Marcel Cerdan, dans l’antre gagné brillamment en surclassant la Turquie du foot marocain » (3-0) en finale, et même aujourd’hui les transformations et évolutions continuent, Les souvenirs que j’ai du stade sont très avec les nouvelles structures (NDLR : le nombreux. Le premier ça a été pendant le second panneau d’affichage, les nouveaux protectorat français, j’ai accompagné un sièges) pour le CHAN 2018. Il y a eu aussi cousin pour aller voir un match de Coupe le prestige d’avoir reçu tous les grands de de France (NDLR : à l’époque les clubs ce sport : le roi du football Pelé, Cruyff, les marocains disputaient la compétition). Le Espagnols, les Italiens avec Mazzola et Wydad s’était incliné 8-0 face à Besançon. Rivera, Platini, Zidane et j’en passe. J’avais cinq ans à l’époque, pour un gosse de mon âge c’était extraordinaire d’être dans l’antre du foot marocain, qui s’appelait à l’époque le stade Marcel Cerdan. Quand je suis allé assister pour la première fois à Propos recueillis par Farouk Abdou à la finale de Coupe du Trône en 1958, après l'exception de ceux de Moussa Ndao, l’indépendance, ce n’était déjà plus le stade recueillis par Reda Allali Marcel Cerdan mais le stade d’Honneur. Le regretté Mohammed V a remis la coupe au capitaine du Mouloudia d’Oujda El Madani, après leur victoire contre le WAC. C’était un spectacle féérique, il y avait beaucoup d’animation, une sacrée ambiance avec les supporters des deux équipes. Nous n’étions pas habitués à voir des matchs dans un stade de cette taille. Avant l’inauguration, tous les matchs se jouaient au stade Philippe (NDLR : renommé par la suite le stade Larbi Ben Barek, en hommage à l’ancienne vedette de l’Olympique de Marseille) qui était un stade exigu, avec un terrain sablonneux. Mais après, nous avons suivi les différentes évolutions et transformations du stade d’Honneur avec celle du foot marocain, et de nombreux matchs historiques y ont été joués : le Maroc a tenu tête à la grande Espagne en 1961 (NDLR : barrage qualificatif au Mondial 1962, 0-1 2-3 pour l’Espagne) celle des Di Stefano, Gento, Sanchez, Delsol. Les Espagnols avaient gagné très difficilement.

30 25 AVRIL 1984, QUITTE LE CORINTHIANS Sócrates n’est pas un footballeur comme les autres, il est bien plus qu’un footballeur. Très impliqué dans la vie politique de son pays qui connaît alors la dictature militaire, Sócrates devient au Corinthians le leader de la Democracia Corintiana, système où toutes les décisions sont prises par les joueurs et le personnel du club grâce au vote. C’est également la politique qui sera à l’origine du départ de Sócrates du Corinthians, en 1984.

ócrates Brasileiro naît le 19 février livres, ce qui marque Sócrates : « En 1964, 1954 à Bélem, dans le Nord du Brésil. j’ai vu mon père déchirer de nombreux livres, SIl reçoit le nom de Sócrates par son à cause de la révolution. Je trouvais cela père, passionné par la Grèce antique et qui absurde, car la bibliothèque était la chose lit les Dialogues de Platon au moment de qu’il aimait le plus. J’ai senti qu’il se passait la naissance de son premier enfant. Seu quelque chose, mais j’ai vraiment compris Raimundo répète à l’envi la citation de Kant: bien plus tard, à l’université ». Sócrates « l’homme ne peut devenir homme que entre à l’université en 1972 et choisit la par l’éducation ». Originaire d’une famille médecine. L’année 1972 marque également pauvre, sans eau ni électricité, le père les débuts de Sócrates en équipe première de Sócrates lit énormément et passe un du Botafogo, le club principal de Ribeirão concours public qui n’exige pas de diplôme. Preto. Sócrates est naturellement doué pour En 1959, il tente un concours organisé le football et le sport va lui permettre de se seulement tous les dix ans, avec trente-six confronter à une autre réalité sociale, ses places disponibles pour 15 000 candidats. coéquipiers étant bien moins aisés que lui. Raimundo le réussit et le quotidien de la Pour seu Raimundo, la priorité est donnée à famille s’améliore. Raimundo, Guiomar, l’école, mais il est également exigeant pour Sócrates, Sóstenes et Sófocles s’installent le football, ce qui lui vaut une dispute en à Ribeirão Preto, dans l’État de São Paulo. tribune avec des supporters du Botafogo, La famille vit confortablement et les enfants qui ne comprennent pas pourquoi il s'en fréquentent la meilleure école de Ribeirão prend autant à la nouvelle pépite locale. Preto, le Colégio Marista. Sócrates devient rapidement l’idole des Sócrates a dix ans le 31 mars 1964, lorsque supporters, enthousiasmés par sa classe et les militaires, aidés par la CIA, réussissent son aisance sur le terrain. Sócrates mesure un coup d’État. Le Brésil entre en dictature 1,91 m, ses jambes semblent interminables et seu Raimundo se débarrasse de ses et lui valent le surnom de Magrão, le grand

31 maigre, le buste bien droit, monté sur des du championnat paulista 1976, marquant petits pieds pointure 41. Les dirigeants notamment sept buts lors d’un seul match, du club veulent faire signer à Sócrates un à une unité du record de Pelé. Botafogo est contrat professionnel mais se heurtent au la surprise du championnat paulista 1977, refus de Raimundo, qui exige que son fils remportant pour la première fois la Taça ait son diplôme avant de faire un choix Cidade de São Paulo, la première phase du entre le football et la médecine. Sócrates championnat. Botafogo termine finalement signe finalement un contrat professionnel troisième et la presse de São Paulo en mars 1974 avec un aménagement réclame Sócrates en sélection brésilienne. particulier pour qu’il puisse continuer À défaut d’enfiler tout de suite le maillot à suivre les cours de médecine. Pour jaune, Sócrates affronte la Seleção avec la Sócrates, c’est parfait : il reçoit un salaire sélection pauliste. Face à Rivelino et , et n’a pas à participer aux entraînements Sócrates abuse de talonnades, sa marque tactiques ou physiques, pouvant se de fabrique, ce qui lui vaut ce commentaire concentrer sur les cours et à l’occasion, de Pelé, pourtant avare en compliments: prendre une bière au bar Pinguim. Sur le «ce mec-là joue mieux de dos que la terrain, ses caviars permettent à Geraldão plupart des joueurs de face ». Sócrates de terminer meilleur buteur du championnat obtient son diplôme en médecine et, malgré paulista 1974 et de signer au Corinthians le souhait de son père de le voir suivre l’année suivante. Sócrates reste lui au club une spécialisation, il décide de mettre ses et ne quittera Ribeirão Preto seulement études entre parenthèses et de se consacrer une fois son diplôme en poche. Lorsque au football. L’heure de rejoindre un grand Hamilton Mortari, le directeur du Botafogo, club a sonné. lui impose des séances de musculation, Le São Paulo FC est intéressé par Sócrates Sócrates arrête dès le troisième jour pour et le directeur sportif du Botafogo, João aller boire une bière au bar à l’entrée du Olaia, prévient son oncle et conseiller du stade. Mortari, réputé pour être autoritaire, Corinthians que São Paulo est proche de le trouve au bar et lui hurle dessus, mais recruter Sócrates. L’information parvient pour Sócrates, rien n’est plus sacré que la rapidement aux oreilles du président du liberté. Il répond tranquillement à Mortari: Corinthians, Vicente Matheus. Immigré « d’ici à l’intérieur, j’ai un engagement espagnol, fils d’un entrepreneur dans le envers le club. De là à l’extérieur, ma vie bâtiment, Vicente Matheus remporte le m’appartient». Sócrates ne vient plus à marché public pour paver la rue São Jorge, l’entraînement et prolonge finalement son qui mène au siège social du Corinthians. contrat, avec une augmentation salariale à C’est par ce biais qu’il se rapproche du la clé. Sans musculation. club et devient président du Corinthians Les soirées dans les bars, les nuits passées pour la première fois en 1959. De retour au à réviser les cours, les trente cigarettes pouvoir en 1971, Vicente Matheus est un quotidiennes semblent incompatibles avec président « centralisateur et paternaliste », la vie d’un sportif de haut niveau. Pas pour ses déclarations folkloriques plaisent aux Sócrates, qui devient également père de supporters et il n’hésite pas à payer de sa famille, mais qui termine meilleur buteur poche pour recruter des joueurs, même s’il

32 se montre intransigeant lorsqu’un joueur de São Paulo. Le Corinthians remporte le négocie une prolongation de contrat. premier tour du paulista avant de baisser Sócrates est un doux rêve pour Vicente de rythme. Le 10 mai 1979, alors que la fin Matheus. Après les débuts laborieux au du championnat paulista 1978 approche, le Corinthians de l’ancien joueur du Botafogo, Corinthians s’incline 3-2 contre le Juventus. Geraldão, les supporters du Timão Sócrates marque un but, qu’il ne célèbre disent que Matheus a amené la flèche en pas, entraînant la furie des supporters du oubliant l’arc, en référence à Sócrates. Corinthians. La suite est racontée par son Vicente Matheus envoie donc son frère coéquipier Palhinha, qui se trouve dans la et dirigeant Isidoro Matheus à São Paulo Fiat de Sócrates lorsqu’ils quittent le stade: afin d’officialiser une offre pour le milieu « Les supporters étaient furieux. Ils ont de terrain Chicão. Pour São Paulo, c’est commencé à nous huer, à taper sur l’aile de une aubaine, l’argent récolté permettrait la voiture. Sócrates est resté sans bouger, il l’achat de Sócrates. Pendant ce temps, n’a pas ouvert la vitre et n’a pas tenté de les Vicente Matheus annonce à la presse un calmer. Je crois qu’ils ont été encore plus voyage en Argentine : « je vais passer une énervés avec la réaction de Sócrates et ils semaine en Argentine voir comment est le ont commencé à balancer la voiture, on s’est marché là-bas. J’ai de bonnes références quasiment retournés. J’étais désespéré: sur trois joueurs : Maradona, Rubén Galván "putain Magrão ! Combien de fois je t’ai et Ischia ». Sauf que Matheus ne se rend dit de célébrer tes buts ? Ça ne coûte rien pas en Argentine, mais à Ribeirão Preto putain ! Tu vas près des supporters, tu pour rencontrer les dirigeants du Botafogo. gesticules, tu hurles. Si tu fais ça, la torcida Sócrates est désormais corintiano et est capable de tout pardonner. Et il y a autre Chicão reste à São Paulo. chose : pourquoi tu as acheté une Fiat verte ? Tu joues au Corinthians putain !" La Les débuts de Sócrates au Corinthians sont voiture continuait de balancer et Sócrates compliqués. Dès sa présentation, Sócrates était immobile. Il était très nerveux, tendu, il se déclare supporter de Santos, grâce ou ne savait pas comment réagir. Ça a été très à cause de Pelé. Sur le terrain, Sócrates dur pour lui ». Il est vrai qu’avoir une voiture court peu et sa façon de célébrer ses buts verte, couleur du rival Palmeiras, n’est pas la est particulière : Sócrates marche, le poing meilleure idée pour se mettre les supporters droit levé. L’hommage aux Black Panthers du Corinthians dans la poche. ne passe pas auprès des supporters du Corinthians, habitués à avoir pour idoles Une semaine plus tard, Sócrates fait ses des joueurs prêts au combat, qui montrent débuts en Seleção, en même temps que leur fierté de porter le maillot, de Júnior et Éder. En amical, le Brésil bat le pendant la période amateure à Rivelino, en Paraguay 6-0 avec notamment un triplé passant par et Luizinho. Sócrates de Zico. De retour au Corinthians, Sócrates forme un duo convaincant avec Palhinha, remporte le championnat paulista 1979. En sur et en dehors du terrain, Sócrates finale, face à la Ponte Preta, le Corinthians prenant l’habitude d’emmener Palhinha à s’impose 2-0 avec des buts de Sócrates l’entraînement, même si le Doutor se perd et Palhinha. Ce titre et le duo qu’il forme de nombreuses fois dans l'étouffant trafic avec Palhinha ne permettent toujours pas

33 à Sócrates de s’imposer dans le cœur du championnat paulista et seuls les six des supporters corintianos. En cause, une premiers se qualifient pour le Brasileirão. Le demande de prolongation de son contrat. Timão doit se contenter de la Taça de Prata, La moitié du salaire de Sócrates part dans la deuxième division nationale. Sócrates le loyer, ses trois enfants doivent aller à songe une nouvelle fois à arrêter sa carrière, l'école et le Doutor a du mal à joindre les tout comme son coéquipier Wladimir. deux bouts. Sócrates se heurte au refus Légende du Corinthians, Wladimir, 27 ans, du président Vicente Matheus, qui se est fatigué du paternalisme des dirigeants présente comme le « défenseur des droits et songe à reprendre ses études d’éducation du Corinthians ». Sócrates choisit alors physique et à entamer un nouveau cursus de renoncer aux primes de match afin de en sociologie. Sócrates et Wladimir se sont pouvoir négocier directement la valeur rapprochés depuis l’arrivée du Doutor au de son passe, avec le Corinthians ou un club, comme l’explique ce dernier : « Avec autre club. « Mes droits n’étaient peut-être Wlad, nous nous sommes rendus compte pas très importants, mais je les exerçais que nous avions des idées semblables. pleinement » rappelle Sócrates dans le On se demandait comment devaient être livre Democracia Corintiana, écrit avec le les relations au travail, quelles étaient les journaliste Ricardo Gozzi. Sócrates est meilleures solutions pour la cohabitation traité de mercenaire par ses supporters et entre les joueurs. Pour lui et moi, c'était est régulièrement sifflé, d’autant plus qu’il très clair dans nos têtes. Au fil du temps, ne célèbre toujours pas ses buts. Pour on a construit une pensée commune, en le justifier, le Doutor s'autorise même à respectant nos personnalités. C'était dans provoquer la torcida : « c'est un problème de le même temps, notre chose à nous et une préparation physique. Si je me mets à courir lutte individuelle, mais on se battait pour à chaque but, je finis cramé ». Il est peu aidé faire bouger les choses. On était déjà deux, par le président Matheus, qui n’hésite pas une influence un peu plus forte que quand à parler des négociations à la presse et à on est seul, pour tenter de changer quelque exagérer les demandes de Sócrates. Le chose. On se battait contre la structure du contrat de Sócrates prend fin et il ne peut club. On a eu des conflits importants avec donc plus jouer : « Je préfère mettre un terme la présidence du Corinthians ». à ma carrière pour continuer mes études et Au-delà des résultats sportifs décevants ma spécialité en orthopédie et poursuivre (26e dans le championnat national et 8e ma vie sans le football professionnel ». dans le championnat paulista en 1981), La fin semble proche, mais Sócrates, le Corinthians connaît également une conseillé par son père, prolonge finalement instabilité politique. En avril 1981, de au Corinthians. Sócrates, qui fume deux nouvelles élections ont lieu pour désigner le paquets de cigarettes par jour, réalise de président du Corinthians. Selon les statuts meilleures performances sur le terrain, du club, Vicente Matheus ne peut plus se mais ne se rapproche pas plus des présenter comme président, mais il est supporters. Le championnat paulista impossible pour lui de laisser le pouvoir. Il 1981 est difficile, après un Brasileirão déjà fait donc campagne avec un vice-président décevant. Le Corinthians termine huitième discret, Waldemar Pires, face à son propre

34 frère, Isidoro Matheus, celui qui avait permis discuter avec moi". La personne disait le transfert de Sócrates en formulant une qu'elle souhaitait parler avec le président, offre pour Chicão. Le duo Matheus - Pires c'est-à-dire moi, et Matheus répondait: est facilement élu et les rôles s'inversent: "mais celui qui commande c'est moi !". Waldemar Pires est président et Vicente Il parlait exactement comme ça. Après, Matheus vice-président, mais dans les faits, j'ai commencé à être attaqué par d'autres rien ne change. Waldemar Pires est appelé personnes, comme la presse. Ce que j'ai « laranja » par la presse pour toujours fait n'est pas une trahison. J'ai assumé suivre les décisions de Matheus. Face les fonctions et les obligations qui étaient aux critiques, Vicente Matheus précise les les miennes, de droit. Si Matheus avait agi rôles: « on commandera ensemble. Quand il différemment, tout ça aurait été évité, mais ne sera pas au club, je commanderai. Vous ça n'a pas été le cas ». Le véritable président avez un problème avec ça ? ». Wladimir, du Corinthians, Waldemar Pires, nomme lassé de voir les dirigeants prendre toutes João Mendonça Falcão directeur sportif. Si les décisions, tente d'améliorer les choses Falcão ne reste finalement que deux mois, au club. Cet admirateur du régime de c'est la première fois que Pires s'oppose , qui étudie également le yoruba, à Matheus, ce dernier ayant eu plusieurs une langue africaine et qui partage de conflits avec Falcão. Waldemar Pires prend nombreux livres avec Sócrates lors des une autre décision contre Vicente Matheus longues mises au vert, tente de convaincre en offrant le poste d'entraîneur à Mário ses coéquipiers de rejoindre le syndicat Travaglini, habitué à dialoguer avec les des joueurs professionnels. Tous refusent, joueurs. Ancien joueur ayant participé à la même Sócrates, qui explique son choix à création du syndicat des joueurs, Travaglini Placar : « J'ai simplement conscience que remporte comme entraîneur le championnat je ne pourrai rien faire, que je ne pourrai rien carioca 1976 avec le Fluminense de Rivelino changer, même en ayant de bonnes idées ». et repositionne Tostão - à la demande de ce dernier, plus bas sur le terrain. Waldemar La démocratie, au Corinthians ou au Brésil, Pires va ensuite prendre une décision semble un doux rêve inaccessible. Pourtant, qui va changer l'histoire du club. Pour le les choses commencent à changer au club. successeur de Falcão comme directeur La faute à un Matheus qui continue de se sportif, il fait appel à un inconnu, Adilson comporter comme le président. Il préside Monteiro Alves. les réunions du conseil et prend même la place de parking réservée à Waldemar Adilson Monteiro Alves rencontre Waldemar Pires. « Matheus était mon vice-président Pires grâce à son père, vice-président du mais il était très centralisateur. Il souhaitait Corinthians. Formé en sociologie, Adilson diriger comme s'il était président. J'ai dû a été président de l’union nationale des réagir », précisera plus tard Waldemar étudiants, ce qui lui coûtera un passage en Pires. La rupture entre les deux hommes est prison. Adilson Monteiro Alves n’a aucune considérée comme une trahison par le clan expérience dans le monde du football et Matheus, chose dont se défend Waldemar il choisit d'apprendre auprès des joueurs. Pires : « Matheus était le feu. Si un directeur Il profite de la tournée du club à la finde souhaitait parler au président, il disait "viens l’année 1981 au Mexique et aux Caraïbes

35 pour se rapprocher des joueurs. « Adilson question. Alors que les Brésiliens n’ont plus avait un passé de lutte pour la démocratie. voté depuis 1964, les nouvelles décisions Cela ne faisait pas de sens d’arriver au sont prises par le vote. Tout le monde vote. club et de choisir un modèle de gestion Les titulaires, les remplaçants, le staff qu’il combattait intensément à l’extérieur», technique, mais aussi les salariés du club. explique Wladimir dans la biographie de « Toutes les questions étaient discutées Sócrates, écrite par Tom Cardoso. « Lors par un vote. Chacun pouvait présenter un de la tournée en Amérique Latine, après sujet à voter. Quand voyager ? À quelle avoir passé quelques semaines ensemble, heure voyager ? Où faire la mise au vert ? tu commences à mieux connaître les Tout était discuté […] On se réunissait au joueurs, ils deviennent plus sensibles, ils se vestiaire ou sur le terrain et on décidait. dévoilent. On s’est aperçus que deux joueurs On faisait ça chaque semaine. On avait étaient extrêmement individualistes: Rafael toujours une série de questions, y compris et Paulo César Caju ». Le champion du l’horaire de l’entraînement. Voter était monde 1970, arrivé au club grâce à une quasiment un vice. Au début, les personnes collecte des supporters, fait rapidement avaient peur de se manifester. Il y avait ses bagages. Pour renforcer l’attaque, la dans ce monde, un représentant du pouvoir, direction fait appel au jeune Casagrande. qui était le directeur sportif. Quelle serait la Walter Casagrandre aime le rock, l’alcool, le conséquence si chacun prenait position ? cannabis et les femmes, beaucoup plus que Adilson représentait le club, mais il avait lui l’entraînement ou les mises au vert. « La aussi une voix unique», synthétise Sócrates. démocratie corinthiane n’aurait pas existé Les débuts sont en effet compliqués. « Il sans Sócrates, Wladimir ou Casagrande. y a des personnes qui ont mis quatre ou Wladimir était le plus politisé, Casão le plus cinq mois pour voter. La politisation du rebelle et Sócrates le plus passionné. Ce qu'il mouvement posait problème. Au début, c'est s’est passé au Corinthians est le résultat effrayant. Tu es placé dans une position à de la passion de Sócrates. Adilson et moi laquelle tu ne connais rien, tu ne sais pas participions, avec de bonnes idées, mais comment répondre et vivre ça. Tu es un Sócrates était obsédé. Lorsqu’il adhérait à agent de ce processus, sans savoir quelles quelque chose, il y adhérait violemment », seront les conséquences ». Le Docteur, pour explique Olivetto, publicitaire qui « l’ignorance est un outil d’oppression », qui travaille pour le Corinthians à cette voit l’opportunité de changer son pays, qui période. Avec l’arrivée de Casagrande, la doit encore vivre avec la dictature militaire, démocratie corinthiane démarre réellement. malgré l'ouverture « lente, graduelle et sûre» vers la démocratie du gouvernement Sócrates et Casagrande détestent les mises Figueiredo. « On doit transformer la société au vert, ces soirées perdues à l’hôtel pour par le football. Je pense que c'est le seul s’assurer que les joueurs restent sérieux. moyen pour accélérer le processus de Sócrates aime refaire le monde avec ses transformation de notre société car c'est amis, mais avec une bière et une cigarette notre plus grande identité culturelle. Tout à la main. Adilson Monteiro Alves décide de le monde comprend le football, mais responsabiliser les joueurs et rapidement, personne ne comprend rien à la politique ». tout le fonctionnement du club est remis en

36 Début 1982, malgré ce nouveau souffle au et 85e minute. La deuxième phase est tout club, le Corinthians doit se contenter de la aussi convaincante, même si le Corinthians deuxième division nationale, tout comme s'incline contre São Paulo lors de la dernière le rival Palmeiras. Pour son premier match journée, le privant d'un titre direct. La au Corinthians, Walter Casagrande s’offre Démocratie corinthiane attire de nombreux un quadruplé lors de la victoire 5-1 contre regards. Elle plaît, intrigue ou dérange. La Guará. Débuts réussis. Le Corinthians presse est généralement critique envers le termine la première phase dans les quatre mouvement, qui peut cependant compter premiers, ce qui lui permet d’accéder à la sur le soutien de quelques journalistes, Taça de Ouro la même année. Le Timão est comme Osmar Santos. Le terme de retour parmi l’élite nationale. Malgré un «Democracia corintiana» est popularisé groupe relevé, avec Flamengo, l’Atlético-MG par le publicitaire Washington Olivetto, qui et l’Internacional, le Corinthians enchaîne un profite de la récente autorisation d'utiliser match nul et quatre victoires. Déjà qualifié, la publicité sur les maillots de football pour le Corinthians s’incline 2-0 contre Flamengo afficher des messages politiques comme lors de la dernière journée. C’est la première « Dia 15 vote ». Le 15 novembre 1982, les défaite de Mário Travaglini, arrivé sur le banc Brésiliens élisent les gouverneurs pour la de touche près de cinq mois auparavant. première fois depuis vingt ans. Parmi les Le Corinthians s’incline finalement en candidats, un syndicaliste qui a fondé le demi-finale, mais a donné de quoi sourire Partido dos Trabalhadores deux ans plus aux supporters. Même Sócrates, dans son tôt : Lula. Sócrates, Casagrande et Wladimir style bien à lui, se rapproche de l’exigeante organisent une fête au club afin de récolter torcida du Timão. « Je n’ai jamais dit que des fonds pour la campagne du futur j’aimais le Corinthians. Je peux apprécier, président du Brésil. Cette décision choque la aimer non. L’équipe qui m’a fasciné étant presse conservatrice du pays et Waldemar enfant était le Santos de Pelé. Aujourd'hui, Pires est interrogé par le président du je ne le ressens plus. Qui sait, si je continue Conselho Nacional dos Desportos sur la au Corinthians, je pourrai dire d’ici huit ans présence de « communistes » au club. du fond du cœur que j’aime le Corinthians ». « La Democracia Corintiana n'était pas seulement un caillou dans la chaussure Pour la Coupe du monde, Sócrates lâche de quelques conseillers du Corinthians ses deux paquets quotidiens de cigarettes qui voulaient retrouver le pouvoir. C'était et réduit la bière. Le Doutor prend huit kilos quelque chose qui irritait beaucoup de et fait une préparation physique comme personnes, qui était sorti des quatre lignes il n'en a jamais fait, pour réaliser son du terrain pour devenir un mouvement rêve ultime dans le football. En Espagne, politique. Le churrasco pour le PT les a la Seleção fait rêver le monde entier, rendus fous », se souvient Wladimir. mais s’écroule face au réalisme italien. Neuf jours après la Tragédie de Sarrià, Face à l'adversité, le groupe se resserre et le Corinthians débute le championnat cela se voit sur le terrain, avec un Sócrates paulista. Le Timão remporte le premier tour, plus que jamais leader. « Le climat créé battant notamment Palmeiras 5-1 avec un par la Democracia Corintiana a permis triplé de Casagrandre, inscrit entre la 82e de remporter des titres. Le football est

37 un sport collectif. Plus la force collective Tous soulignent les qualités techniques et le existe, plus l'amitié, la complicité, l'effort professionnalisme du gardien de la Seleção collectif sont forts, plus grandes sont les en 1974 et 1978. Cette décision prise en chances de gagner », rappelle Sócrates. Le comité réduit rend furieux Casagrande, qui Corinthians retrouve São Paulo en finale n'adresse pas la parole à Emerson Leão. du championnat. Au match aller, Sócrates Sur le terrain, Leão s'occupe de la défense marque le seul but du match. Au retour, le et Sócrates de l'attaque, le Corinthians a Corinthians s'impose 3-1 avec un doublé désormais deux leaders. Wladimir reste de Biro-Biro et un but de Casagrande, qui mitigé sur le choix de recruter Emerson termine meilleur buteur du championnat Leão : « J'ai eu raison parce que ça nous avec 28 buts, suivi de Sócrates et ses 18 apportait un grand gardien et il a été décisif pions. Pas mal pour des buveurs de bière. dans le sprint final du championnat paulista. « Sans les titres, la Democracia Corintiana J'ai eu tort parce que Leão commençait n'aurait pas duré aussi longtemps. C'était à nuire à l'harmonie, en voulant mettre un mouvement révolutionnaire, isolé, dans fin au mouvement. Leão, avec sa forte un milieu totalement réactionnaire appelé personnalité, a divisé le groupe ». football. C'était évident qu'un jour ça allait se La Démocratie Corinthiane est une nouvelle terminer. Toutes les forces qui ont soutenu fois menacée à l'approche des nouvelles le mouvement ont été fondamentales élections pour la présidence du club. pour sa progression », poursuit Sócrates. Waldemar Pires est opposé à une vieille Pourtant, la Democracia Corintiana va se connaissance, son prédécesseur Vicente mettre elle-même un premier coup d'arrêt. Matheus. Aidé par la presse, Vicente En 1983, le club souhaite se renforcer au Matheus critique le système du club et poste de gardien et le nom d'Emerson Leão prend pour cible favorite Casagrande, le apparaît. Ancien président du syndicat plus rebelle et arrêté au début de l'année des joueurs, Leão est le troisième salaire en possession de cocaïne. Emerson du pays en 1978, derrière Rivelino et Zico. Leão appelle le mouvement la « Confraria Ses qualités dans les buts sont évidentes, corintiana », un mouvement qui profite comme sa capacité à entrer en conflit avec seulement aux quelques leaders du groupe. n'importe qui. Coéquipiers, adversaires, Wladimir et Zé Maria deviennent candidats arbitres, entraîneurs, dirigeants, tous ont eu au conseil et les joueurs soutiennent affaire à Leão. De plus, Emerson Leão est Waldemar Pires. Sócrates, opposé au lié au parti politique ARENA et soutient la format des élections des présidents de club dictature en place. Pour ce transfert, alors au Brésil, refuse d'intégrer le conseil mais qu'au Pernambuco, une manifestation menace de quitter le club si Matheus est d'une centaine de personnes réclame des élu. Le peuple, représenté par les sócios, élections présidentielles directes, Adilson choisit la démocratie et Waldemar Pires Monteiro Alves ne fait pas appel à tous est réélu président. Les joueurs retrouvent les joueurs, mais seulement ceux qui ont également la démocratie après l'épisode côtoyé Emerson Leão au cours de leur Emerson Leão. L'entraîneur Mário Travaglini, carrière : l'entraîneur Mário Travaglini, le très apprécié des joueurs et présent préparateur physique Hélio Maffia et les depuis le début du mouvement, annonce joueurs Sócrates, Wladimir et Zé Maria.

38 sa démission. Les joueurs décident de Adilson Monteiro Alves réunit le groupe, au choisir le successeur à la majorité simple et bord de la crise : « Écoutez, la situation est nomment leur ancien coéquipier Zé Maria. compliquée, l'ambiance est horrible et il y a un seul responsable de cette situation. Le Le Corinthians fait un Brasileirão correct, responsable est Emerson Leão. J'aimerais battant notamment Tiradentes 10-1 avec un donc que monsieur Leão dispute les trois quadruplé de Sócrates – plus large victoire derniers matchs, la demi-finale et les deux de l'histoire du championnat national. Le finales, et qu'il fasse ensuite ses valises et Timão bat le Flamengo de Zico 4-1 lors de aille ailleurs ». la dernière journée, mais ne parvient pas à se qualifier pour les quarts de finale. Jorge La réunion s'éternise, les joueurs arrivent Vieira devient entraîneur et dans le vestiaire, au Morumbi seulement dix minutes avant Emerson Leão se fait le leader d'un groupe le début du match. Adilson Monteiro Alves de joueurs lassés par le fonctionnement menace Emerson Leão de parler à la presse du club. Dans le championnat paulista, s'il passe à côté de son match. Mais dans le Corinthians (sans Sócrates) s'incline le premier quart d'heure du match, Emerson contre Santos, première défaite contre le Leão réalise trois parades déterminantes. Peixe après vingt matchs consécutifs sans Sócrates, déjà buteur lors du match aller, perdre. Le Corinthians retrouve Santos deux se débarrasse du marquage de Márcio fois lors du mois suivant, pour deux matchs Alcântara et marque le seul but du match. En nuls, mais le plus important se passe aux finale, contre São Paulo comme un an plus abords du stade du Pacaembu lors du tôt, les joueurs entrent sur le terrain avec second match. Sur la place Charles Miller, une énorme banderole : « gagner ou perdre, 15 000 personnes du mouvement Diretas Já mais toujours en démocratie». Sócrates défilent le 27 novembre 1983 et réclament permet au Corinthians de remporter le des élections présidentielles directes. match aller 1-0. C'est encore le Doutor qui Sócrates, qui n'a jamais perdu contre son marque le but du Corinthians devant 88085 club de cœur avec le Corinthians, est aux personnes au Morumbi pour le match premières loges pour cette manifestation retour. Sócrates a marqué tous les buts du et est marqué par cette démonstration de Timão à partir des demi-finales et termine force du peuple. Le Corinthians se qualifie vice-meilleur buteur du championnat avec en demi-finale du championnat paulista 21 buts, un de moins que son ami Serginho contre Palmeiras. Emerson Leão continue Chulapa. Le Corinthians conserve son titre de diviser le groupe et harcèle Adilson et imite São Paulo, sacré champion en 1980 Monteiro Alves pour une augmentation et 1981. salariale, pour lui-même et certains En 1984, le Brésil est proche de retrouver coéquipiers. Pour le défenseur Juninho, la démocratie. Le mouvement Diretas Já Emerson Leão a sa place au Corinthians. organise de nombreuses manifestations à «Leão a été important pour la Democracia travers tout le pays et réclame des élections car il avait un avis différent de la majorité présidentielles directes. L'amendement des participants. Le plus important pour Dante de Oliveira est déposé au parlement notre projet était le débat des idées. Sans et prévoit le retour aux élections directes. concurrence, tu ne sais pas ce que tu vaux ». Neuf jours avant le vote, la plus grande

39 manifestation de l'histoire du Brésil a dispute un match décisif contre l'Atlético- lieu à São Paulo. Entre 1,5 et 2 millions PR pour se qualifier en quart de finale du de personnes défilent dans les rues. Brasileirão. Un match sans Sócrates, qui Sócrates est évidemment présent : « L'une obtient deux jours plus tôt l'autorisation des plus belles émotions de ma vie, et d'Adilson Monteiro Alves d'aller disputer sans aucun doute l'une des plus grandes à Ribeirão Preto une double confrontation manifestations de citoyenneté de notre (basket-ball et futsal) contre la famille peuple, a eu lieu en 1984, lors du défilé à Garcia, du basketteur Hélio Rubens. Lors São Paulo, de Sé à Anhangabaú, avec une du match de basket-ball, Sócrates reste multitude de personnes dans la rue pour sous le panier, une bière à la main, mais faire l'histoire du pays. Cela a été le point lors de la rencontre de futsal, Sócrates se culminant de la merveilleuse campagne blesse à la cuisse et doit déclarer forfait pour la redémocratisation de notre pays pour le match décisif. Adilson Monteiro et nous avons eu l'honneur de participer, Alves et Jorge Vieira songent à simuler une représentant la Democracia Corintiana avec blessure à l'entraînement, mais Sócrates quelques coéquipiers. Sous la direction dit la vérité aux journalistes, s'attirant les d'Osmar Santos, ce fut une grande fête critiques de l'opposition au club et des pour une cause plus que juste. C'est ici supporters. Un doublé de Casagrande que j'ai fait l'un des plus grands paris de permet de se qualifier pour les quarts de ma vie, répondant aux attentes de notre finale, mais le résultat le plus important a peuple. En affirmant que je ne quitterai pas lieu à Brasília, où 298 députés votent en le pays si l'amendement Dante de Oliveira faveur de l'amendement contre 65 refus. La était approuvé à la Chambre des députés et majorité est insuffisante, il manque 22 voix au Sénat, permettant de retourner à l'état pour le retour à la démocratie. Sócrates va démocratique, je voulais montrer clairement quitter le pays. la passion que je ressens pour notre De nombreux clubs italiens sont intéressés nation, qui après des années de contrainte, par le Doutor. Dès 1983, la Roma discute changeait son histoire d'une façon honnête avec Sócrates avant de mettre fin aux et moins agressive. Malheureusement, négociations. « Il ne veut pas d'argent, il nous avons dû attendre encore quelques veut le ciel », dira le président Dino . années pour atteindre notre objectif, mais Sócrates refuse les longues mises au vert l'union du peuple à ce moment, a été une et l'obligation de se couper les cheveux. énergie terrifiante, qui ne quittera jamais « Je ne me préoccupe pas seulement ma mémoire ». d'améliorer mon compte bancaire, j'exige Sócrates est en effet très demandé en que le contrat soit de deux ans et que je Italie. De nombreux joueurs brésiliens, sois assuré de profiter de quelques libertés comme Zico, Falcão et , personnelles : fumer vingt cigarettes évoluent déjà dans le pays bourreau de la par jour si je le souhaite, boire des bières Seleção. Sócrates laisse son avenir entre librement et pouvoir dire ce que je pense», les mains des députés, en promettant de annonce publiquement Sócrates. Le ne pas quitter le Brésil si l'amendement est Doutor rate le quart de finale aller, perdu approuvé. Le jour du vote, le Corinthians 2-0 contre Flamengo, mais revient pour le

40 match retour. Face au champion en titre, obtient 480 000 dollars, deux voitures, des le Corinthians réalise un match parfait, billets d’avion pour le Brésil et des cours à mène 4-0 avant le but contre son camp l’Instituto ortopedico toscano avec Bruno de Paulinho, et se qualifie pour la demi- Calandriello, l’orthopédiste le plus réputé finale contre Fluminense. La blessure lors d’Italie. L’arrivée de Sócrates en Italie n'est du tournoi de futsal à Ribeirão Preto finit pas simple. Le capitaine de l’équipe, Daniel de détériorer les relations entre Sócrates Passarella, demande le même salaire que et l’entraîneur Jorge Vieira, appelé « le Sócrates et critique les dirigeants pour ce dictateur » par Sócrates. Le Corinthians est recrutement. L’arrivée de Sócrates oblige éliminé du championnat par Fluminense en effet les dirigeants à libérer une place et Jorge Vieira accuse un « leader » d'avoir extracommunautaire et se séparent de trop bu avant le match à Rio de Janeiro. Daniel Bertoni, champion du monde en Sócrates dispute son dernier match au 1978 aux côtés de Passarella. Brésil contre Vasco, où il est élu homme du Sócrates est présenté à la presse italienne match. Le transfert de Sócrates en Italie est et est assisté par un traducteur, qui géré par Marcelo Placidi, un ancien pilote prend trop ses aises selon Sócrates. de l’Aeronautica Militare. Les négociations «À un moment donné, j’ai compris qu’il avec l’, le Milan AC et Hellas ne traduisait pas exactement ce que je Verona prennent fin, et la lutte pour Sócrates voulais dire, mais comme il le souhaitait, est réduite à un duel Fiorentina – Napoli. sans respecter mes positions et mes Finalement, Sócrates pose ses valises à convictions. Je me suis donc séparé de cet Florence, de quoi laisser amer Giuliano, "interprète". Cela a été le premier choc entre le directeur de Naples, qui appelle Placidi mes positions et les intérêts des Italiens ». quinze jours plus tard : « On vient d’acheter Le journaliste Giancarlo Segatto, qui parle Maradona, on n’a pas besoin de Sócrates, portugais, mène la suite de la conférence fils de pute ! ». de presse. Lorsqu’il demande à Sócrates Sócrates dispute un dernier match avec le s’il boit de la bière, celui-ci répond : « Oui, Corinthians lors d’une tournée en Jamaïque. et maintenant je vais boire du vin aussi ». Avant la tournée, Jorge Vieira exclut Le lendemain, Sócrates doit donner le coup Casagrande du groupe. Sócrates menace d'envoi d'un match de charité destiné à de ne pas embarquer si Casagrande n’est une enfant malade. Sócrates, fatigué par le pas là. Casão est finalement rappelé et voyage, refuse de quitter l'hôtel. Sócrates Jorge Vieira pose sa démission. Contre la ne respecte pas toutes les règles du club, sélection jamaïcaine, Sócrates dispute son il refuse de porter le costard-cravate et 298e match avec le Corinthians et marque fume dans le bus, lorsqu’il ne voyage pas son 172e but. Le jour de son départ du à l’écart de ses coéquipiers. Les débuts Brésil, des supporters sont en pleurs mais de la Fiorentina dans le championnat sont Sócrates tient à relativiser. « Vous n’avez difficiles et Sócrates est critiqué par la pas à pleurer pour moi. Nous devons pleurer presse et les supporters. Il parle trop dans pour tous les grands cerveaux de ce pays. les journaux, fume et boit et est trop lent sur Ils partent tous ». Lors de la signature de le terrain, laissant de quoi regretter Daniel son contrat avec la Fiorentina, Sócrates Bertoni et ses accélérations dévastatrices.

41 Sócrates critique le schéma de jeu de réunions consécutives ou cinq au total sans l’entraîneur , finalement justification, il serait remercié. La semaine remplacé par l’expérimenté et autoritaire précédant les élections, Pasqua a éliminé , qui dit à la presse les conseillers fidèles à Waldemar qui à propos de Sócrates : « On a besoin avaient raté des réunions. Il a rayé trente ou d’un joueur qui court, pas d’un joueur qui quarante noms », détaille Sérgio Scarpelli, pense». Sócrates est boycotté par une le directeur des finances. Le père d’Adilson partie de l’équipe, notamment Eraldo Pecci, Monteiro Alves dira : « On a été volés, je note que Sócrates appelle « Leãozinho » en que les morts peuvent voter ». Casagrande, «hommage» à Emerson Leão. Wladimir et Juninho quittent le club et la Democracia corintiana est désormais un Après un hiver particulièrement rigoureux, lointain souvenir, même si pour Sócrates, les performances de Sócrates s’améliorent le mouvement ne peut pas mourir : « C'est légèrement, pas suffisamment pour avoir impossible d'enterrer un mouvement envie de rester en Italie. Le Doutor garde un comme celui-là, comme beaucoup l'ont œil sur l’actualité politique de son pays et insinué. Tu le détruis partiellement. Il n'y a se réjouit de l’élection de Tancredo Neves pas de doute quant au fait que tout a été fait comme président de la République. « Ce pour en finir avec la démocratie corinthiane. n’est pas l’homme d’un changement radical, Mais l'importance historique et politique de mais celui de la transition démocratique », notre mouvement ne sera jamais perdue, explique Sócrates. Mais Tancredo Neves cela n'a pas été vain ». meurt le 21 avril 1985 avant d'effectuer son mandat et est remplacé par José Sarney, du parti de l’ARENA, choisi par la junte militaire. Un autre homme lié l’ARENA va être élu président… du Corinthians. Face à Marcelin Chamoin Adilson Monteiro Alves, Roberto Pasqua est élu par les conseillers avec une courte majorité (162 voix à 130) dans des élections douteuses. Cette fois, ce ne sont pas les sócios qui votent, mais les conseillers du Corinthians, plus favorables à Pasqua. Et Roberto Pasqua sait faire pencher la balance de son côté. « Le règlement du club précisait que si un conseiller manquait trois

42 03

43 HAÏTI 1974 L'OMBRE DES « DOC » Après avoir manqué d’un rien la qualification quatre ans plus tôt, la sélec- tion haïtienne décroche enfin le Graal pour l’Allemagne. Une consécration pour une génération qui a grandi ensemble et qui se voit donner l’occasion de briller à l’échelle du monde. Si cette consécration sera malheureusement spoliée par une dictature intrusive, l’aventure des Grenadiers reste unique.

5 juin 1974, de locales a duré six minutes. Six minutes . La deuxième mi-temps vient d’une douce folie qui aura finalement été la 1de reprendre, un long ballon italien conclusion d’une aventure unique. est renvoyé par la défense d’Haïti. Seul à Haïti Football Club l’entrée du rond central, Philippe Vorbe laisse passer le cuir, le dompte sans le toucher L’épopée haïtienne de 1974 prend ses racines et déclenche une ouverture en première dans celle de la génération 1957, championne intention de l’extérieur du droit. L’élégant des Caraïbes. Cette victoire permet de poser milieu de terrain sait alors que Manno Sanon les bases de l’avenir, certains membres de va s’échapper, prendre le dessus sur Spinosi. cette génération, comme Claudel Legros Le jeune attaquant de Don Bosco file plus évoluant en sélection jusqu’au milieu des vite que l’éclair, élimine la légende années soixante et encadrant celle qui et glisse le ballon dans le but vide. On joue prendra sa relève et ira jusqu’à la Coupe du la quarante-sixième minute, le premier pays Monde (Legros sera directeur technique au caribéen à participer à une phase finale de sein de la délégation qui voyage à Munich). Coupe du Monde mène au score face à l’un Au pays, le football se joue d’abord à l’école, des favoris annoncés de l’épreuve, l’Italie, les meilleurs éléments rejoignant ensuite qui encaisse son premier but depuis plus de les Violette, Aigle Noir, Excelsior, Victory ou deux ans. Il plane alors un parfum de Corée encore Racing. En 1964, Gerard Rouzier, du Nord 1966 tant l’Italie a eu les occasions président de la fédération, profite du retour de mener au score, mais a soit péché par au pays d’Antoine Tassy, dont le contrat à la maladresse, soit buté sur un Francillon tête de la Jamaïque arrive à son terme, pour infranchissable. Le public de Munich pousse lui confier les rênes de la sélection. Celui alors les Grenadiers, rêvant de vivre un que l’on surnomme Zoupim va contribuer exploit historique. Celui-ci ne viendra pas. à restructurer le football local et encadrer Rivera, Benetti et Anastasi permettent à la la nouvelle génération. Tassy met en place Nazionale de s’imposer, l’espoir du peuple des séances d’entraînement régulières haïtien, bercé par l’interminable « But d’Haïti pour la sélection, organise les équipes de ! But d’Haïti ! » qui fait vibrer les télévisions jeunes. Dans le même temps, le dictateur

44 François Duvalier, dit « Papa Doc », trouve condition : « Notre participation suppose un intérêt particulier pour le football. Patrice une préparation adéquate de notre sélection Dumont, auteur de François Duvalier et le qui devra commencer dès septembre de football haïtien : un contrôle totalitaire, nous cette année 1966 jusqu’aux dates des explique* : « Haïti est champion de la Caraïbe éliminatoires, c’est-à-dire quatre ans. Cette en 1957, au moment où Papa Doc accède préparation suppose une organisation au pouvoir. De cette génération, il ne restait complète et nouvelle de notre football et du que Claudel Legros qui a joué en France, sport en général ». Lorsque Haïti s’inscrit ainsi que quelques joueurs qui ont permis officiellement à la campagne de qualification à celle qui suivait de jouer jusqu’en 1966. À pour la Coupe du Monde, le plan de Tassy ce moment-là, François Duvalier organise se précise. Zoupim compte sur vingt-deux une compétition de la Caraïbe, ici à Port-au- « joueurs de base » qui forment la sélection Prince, la Coupe François Duvalier. Il cherche A, une trentaine de jeunes, qui participent aux à diminuer son isolement politique et passe compétitions de la catégorie avec, pour les aussi par le sport. Comme tout dictateur, il meilleurs, la possibilité d’intégrer les séniors instrumentalise le football. Il s’agit d’envoyer mis sur la touche, et s’appuie sur les quelques une image au monde. Il y a aussi un côté joueurs évoluant à l’étranger comme Legros scénique : c’est un spectacle, on reçoit les en France, Vorbe, Désir, Barthélémy et Saint- délégations à la mairie de Port-au-Prince, Vil aux USA, ce dernier finissant par rentrer Duvalier est présent à pratiquement tous les au pays à partir de 1968. Le principe de la matchs, Haïti sort champion et la génération sélection permanente est posé. L’équipe de Philippe Vorbe reçoit le flambeau ». loge à l’hôtel Olofson, s’entraîne deux fois par jour, multiplie les matchs amicaux, Après deux amicaux perdus notamment certains jeunes pointent le bout de leur nez contre l’America Mineiro, Haïti remporte comme Emmanuel Sanon, alors âgé de 17 la Coupe François Duvalier de 1966. Cette ans. Le groupe « commando » peut alors se victoire marque alors un tournant d’une part lancer dans l’opération Coupe du Monde. La car elle permet à la sélection de conquérir ses campagne de qualification débute par deux supporters, d’autre part, comme le rapporte rencontres face à Trinidad y Tobago (victoire Michel Soukar dans Avec Philippe Vorbe au 4-0, défaite 4-2), entrecoupée d’un amical sommet du football haïtien, car elle plante face à Ferroviária qui redonne confiance, et la graine d’une qualification possible pour la se poursuit par une nette victoire face au sélection à la prochaine Coupe du Monde qui Guatemala, champion de la CONCACAF 1967. se déroule au Mexique : « Nous avons des Au retour, Haïti décroche un nul synonyme chances d’être finalistes en 1970 en tenant de qualification pour la demi-finale face aux compte de l’organisation actuelle de la Coupe États-Unis. Les Grenadiers disposent sans du Monde. Le Mexique étant organisateur est trembler des USA (2-0 à Port-au-Prince, 1-0 qualifié d’office, les éliminatoires vont se jouer à San Diego), ils ne sont alors plus qu’à un entre les pays de la Caraïbe, de l’Amérique match du rêve mondial. centrale et du Nord. Dans la Caraïbe, nous avons 90% de chances de nous qualifier, il La fédération se réunit alors avec les joueurs, ne nous restera qu’à vaincre le gagnant du ils sont invités à une plus grande discipline, groupe centre et celui du Nord », dit alors plus d’abnégation. Le suivi médical et les Tassy. Le sélectionneur fixe pour cela une entraînements sont plus poussés, le football

* Propos de Patrice Dumont recueillis par Nicolas Cougot 45 devient une affaire d’État, le président Haïti s’impose largement à San Salvador (3-0) Duvalier en faisant une question de prestige. et arrache ainsi un match d’appui organisé en La sélection réside à l’hôtel Montana, le Jamaïque, la règle du but à l’extérieur n’ayant « club » est soudé comme jamais, le plus pas cours à l’époque. Malheureusement, si la beau est à venir. Malheureusement pour elle, délégation s’isole de nouveau une semaine le 21 septembre 1969, le peuple haïtien est loin du pays pour éviter toute pression KO, la sélection en qui tout le peuple avait directe, elle est rattrapée par le pouvoir qui placé sa foi s’incline au Sylvio Cator face au décide non plus d’exercer une pression Salvador en finale aller (1-2). Consternation directe, mais de faire intervenir des forces générale. Comment une sélection qui restait mystiques. Des hougans, ces chefs spirituels sur neuf victoires, cinq nuls et trois défaites de la religion vaudou, s’immiscent au milieu en deux ans peut-elle livrer sa pire prestation des joueurs, imposent des rites et autres le jour J ? La réponse se trouve en coulisses. conduites à tenir, perturbent la préparation Comme l'explique Philippe Vorbe dans Avec jusqu’au moment d’entrer sur le terrain. Haïti Philippe Vorbe au sommet du football haïtien, aura trois occasions nettes d’ouvrir le score, le régime de Duvalier vient s’immiscer mais ratera sa chance. Le match s’éternise dans les affaires de la sélection, comme et au bout de la prolongation, le Salvador va un triste prélude à la future catastrophe de trouver la délivrance sur corner, sur une tête 1974 : « Une tension politique insupportable de Juan Ramón Martínez, double buteur lors autour du match. D’abord sa date fut fixée au de la tristement célèbre demi-finale face au 21 septembre 1969, la veille du 22 septembre : Honduras qui avait contribué à déclencher anniversaire de l’accession au pouvoir la guerre des Cent Heures. Le rêve mondial de François Duvalier. Les dirigeants de la des Grenadiers s’envole, il faut alors rebondir fédération n’ont pas eu la sagesse d’isoler pour fixer 1974 comme nouvel objectif. l’équipe. Nous logions à l’hôtel Montana et Du rêve à la réalité n’importe quel sbire du régime nous abordait, nous menaçant de représailles en cas de La sélection permanente est toujours de défaite. L’autobus nous menant au stade était mise, soutenue par la fédération qui lui précédé de motocyclistes armés et vêtus de impose trois séances par semaine. La gros bleu, arborant des lunettes noires. Lors nouvelle génération des Sanon, Jean- de notre entrée au stade, des voix arrogantes Joseph, Nazaire et autres Auguste s’installe, vociféraient, proclamaient la victoire de le sélectionneur Tassy intensifie les séances, l’équipe du président Duvalier. Le Salvador multiplie les rencontres amicales pour était vu comme une victime expiatoire. Cette que son FC Haïti continue de s’aguerrir. Le pression faite d’intimidation et de jactance Santos de Pelé viendra au Sylvio Cator, petit nous gela : les partisans zélés du pouvoir à petit, l’esprit « commando » de l’épopée 70 exigeant une victoire comme prélude à la fait place à l’esprit « ambition » pour l’épopée fête du régime. Après la défaite, ils nous 74, la sélection passe d’un système défensif accusèrent d’avoir fait perdre l’équipe de leur à un système plus offensif avec notamment chef, nous crachèrent dessus, nous vouèrent Philippe Vorbe placé comme meneur de aux gémonies. Heureusement, la fédération, jeu reculé, sorte de cinco à l’Argentine, qui dans un éclair de lucidité retrouvée, nous permet à l’ancien partenaire de César Luis fit vite partir pour San Salvador où nous Menotti aux New York Generals d’exprimer préparâmes le match retour ». Effet direct, son talent technique et d’alimenter les

46 fusées que sont Barthélémy, Saint-Vil et même d’avoir à défier le Mexique, en cas de Sanon. Les joueurs vivent reclus au camp bon résultat. Un doublé de Sanon fera l’affaire, d’entraînement, disputent chaque mois des les Grenadiers s’imposent 2-1 et accueillent matchs amicaux en sélection en plus de avec joie la lourde défaite du Tri mexicain la Coupe Pradel, le championnat national, face à Trinidad y Tobago le lendemain (0-4). avec leurs clubs. Tout transfert à l’étranger La dernière rencontre, le choc face au géant est gelé, les offres affluant pour quelques du Nord n’est alors plus qu’une anecdote, la joueurs, mais étant rejetées par la fédération. courte défaite n’y change rien, Haïti décroche Le tournoi de la CONCACAF de 1973 va servir sa première phase finale de Coupe du Monde. de qualification pour le Mondial allemand, Port-au-Prince s’enflamme, les joueurs font le premier combat est diplomatique, il le tour de la capitale en bus, les gens sortent s’agit de s’en voir attribuer l’organisation. dans la rue, scandent leurs noms, la joie est La fédération haïtienne est alors composée immense. Mais lorsque le verdict du tirage d’un mélange de politiques et d’hommes tombe, la mission s’annonce impossible. d’affaires qui vont réussir à s’attirer les voix Placé avec l’Italie, la Pologne et l’Argentine, des autres pays caribéens en leur offrant Haïti fait alors figure de petit poucet. Il va des amicaux gratuits face à la sélection. Ces devoir combattre un autre adversaire, celui nations étant plus nombreuses dans la zone, qui l’avait vaincu en 1969 : l’ingérence du leurs voix seront décisives lors de l’élection pouvoir. du pays hôte : Port-au-Prince accueillera le Munich : une catastrophe annoncée tournoi qualificatif en décembre 1973. Tout succès est une occasion à saisir pour Reste donc à continuer de travailler. Les une dictature à la condition qu’elle parvienne amicaux s’enchainent, les adversaires se non seulement à se l’approprier, mais surtout musclent, à l’image de l’Uruguay, accrochée à le contrôler. Arrivé au pouvoir en 1971, en juin 1973 (0-0) ou du Racing affronté Jean-Claude Duvalier s’appuie sur l’héritage à deux reprises à une semaine du tournoi laissé par son père. « Il a un contrôle plus (défaite 0-1 puis victoire 2-0). Le groupe souple du football car son père avait déjà tout est prêt, il ne lui reste désormais plus qu’à instrumentalisé, la fédération, les dirigeants, confirmer. Le 29 novembre 1973, Jean-Claude les joueurs. Ceux qui étaient, non pas dans Duvalier, « Baby Doc », qui a succédé à son l’opposition, mais qui soutenaient un autre père deux ans plus tôt, prononce le discours candidat ont dû prendre le maquis, s’exiler et d’ouverture de la compétition. Le Sylvio donc le fils va évoluer sur un boulevard tracé Cator rénové accueillera quinze rencontres par le père. Il ne peut avoir le côté paternaliste en moins d’un mois. Haïti se débarrasse de son père, car il a l’âge voire est plus jeune aisément des Antilles néerlandaises en que certains joueurs, mais on sait qu’il est le ouverture (3-0 avec notamment un doublé chef de la nation, de la dictature, les joueurs de Sanon) avant de souffrir, mais de finir par sont des employés de l’État, ils perçoivent sortir vainqueur face aux redoutables Soca un salaire de l’État même si beaucoup de Warriors trinidadiens puis de s’imposer face promesses n’ont pas été tenues », rappelle au Honduras. Après trois succès en autant Patrice Dumont. Ce contrôle va s’exercer de matchs, Haïti fait la course en tête, il en s’appuyant sur deux leviers : dicter les peut alors envisager la qualification dès le choix et mettre sous pression. La politique quatrième match face au Guatemala, avant s’immisce dans les affaires de la sélection,

47 empêchant par exemple Antoine Tassy leur centre d’entraînement, perclus de froid, d’intégrer de nouvelles pousses à son équipe loin de leurs racines. Le moral des troupes de peur de voir certains protégés manquer le n’est pas au plus haut lorsqu’ils débarquent rendez-vous mondial, la pression s’exerce en à Munich une semaine avant le début de enfermant les joueurs dans un camp militaire l’épreuve. Tassy cherchera à redynamiser pour préparer la compétition. Un effet le groupe, Haïti résistera pendant une dramatique sur le moral des troupes : « Avant cinquantaine de minutes à l’Italie, marquera le départ pour Munich, les joueurs étaient ce fameux but dont toute l’île se souvient en concentration dans un camp militaire, encore. Au pays, où l’on suit l’épreuve en le camp des Léopards », nous explique direct, la joie est retombée, l’hystérie qui a Patrice Dumont, « à un certain moment, ils suivi le but de Manno Sanon est rapidement trouvaient que le traitement ne leur convenait douchée, ce n’est alors que le début de la pas. Alors qu’ils avaient la liberté de sortir fin. Dans les heures qui suivent la rencontre, en fin de semaine, ils ont décidé de ne pas Ersnt Jean-Joseph est positif à un contrôle rentrer à moins que la situation s’améliore. antidopage. Il est le premier de l’histoire Le gouvernement a fait pression sur Tassy d’une phase finale de Coupe du Monde. Le en lui disant qu’il était le responsable de ce joueur a beau se défendre, expliquant à qui qu’il allait arriver. Cela signifiait qu’il allait veut l’entendre qu’il n’a pas pris ces fameux être arrêté. Tassy a dû négocier avec les plus comprimés anti-asthme, mais il est seul, influents afin qu’ils lui sauvent la tête. Les lâché par la fédération et le staff. Pire, la joueurs ont eu peur ». décision est prise de le rapatrier au pays, ce que le joueur refuse. Il est embarqué La sélection poursuit néanmoins, malgré de force, les autres joueurs en avertissent les réminiscences des promesses non la police allemande qui assure la sécurité tenues, les menaces clairement proférées à de chaque délégation, le traumatisme des l’encontre du duo Tassy-Legros en cas de Jeux de Munich étant encore dans toutes toute indiscipline ou tentative de rébellion les têtes. L’affaire est résolue, la police des joueurs. Les amicaux précédant la allemande retrouve le joueur, mais ses Coupe du Monde sont moyens. Des défaites compagnons n’en savent rien. Ils attendent contre une sélection de jeunes polonais (1- de ses nouvelles toute la nuit, redoutant qu’il 3), contre le Chili (0-1), le Brésil (0-4), mais soit envoyé dans une geôle en Haïti. C’est aussi quelques matchs intéressants comme n’est qu’à quatre heures du matin le jour du une nette victoire face à l’Eintracht (3-1) ou match face à la Pologne que le groupe est un nouveau 0-0 obtenu face à l’Uruguay. rassuré, leur compagnon rentre à l’hôtel, Avant de s’envoler pour l’Europe, si la défense mais le traitement qui lui est administré reste finit par donner des signes de satisfaction, la flou encore aujourd’hui. A-t-il été torturé ? stérilité offensive entrevue sur les derniers Dans quelles conditions a-t-il été retenu ? matchs commence à inquiéter. La fédération, Les souvenirs des répressions du passé font soucieuse d’éloigner le plus possible sa resurgir les vieilles craintes éternellement sélection des pressions locales commet associées aux histoires comme celle du alors une nouvelle erreur : Haïti débarque en héros Joe Gaetjens, buteur avec les États- Europe quarante jours avant le coup d’envoi Unis face à l’Angleterre lors de la Coupe du de la Coupe du Monde. Un stage à Vichy puis Monde 1950 enlevé puis assassiné par les aux Pays-Bas, les joueurs enfermés dans Tontons Macoutes, la milice de Papa Doc.

48 Plus de quarante ans plus tard, personne ne la politique a joué dans le comportement sait ce qu’il s’est véritablement passé avec le de cette équipe à la Coupe du Monde 1974. défenseur haïtien dans cet hôtel de Munich : Beaucoup de gens disent que c’est Jean- « Ernst Jean-Joseph n’a jamais admis qu’il a Claude Duvalier qui a exigé que Francillon été frappé par Alcedius Saint Louis. Ce dernier joue les trois matchs et que Piquant ne joue était un militaire parmi les favoris du pouvoir pas du tout alors que pour le troisième, nous et qui faisait partie de la fédération, nommé étions déjà largement éliminés et qu’il aurait par le pouvoir. Il était le chef de la délégation à fallu laisser une fenêtre à tout le monde Munich. A-t-il frappé Jean-Joseph ? Arsène d’autant qu’il y avait des primes de la part Auguste m’a dit personnellement que Jean- d’Adidas », nous explique Patrice Dumont. Joseph n’avait pas été frappé. Cependant, le Ce dernier match face à l’Argentine relève de bureau fédéral avait assigné Jean-Joseph l’anecdote. L’Albiceleste s’impose 4-1, Haïti en quarantaine, c’était comme s’il était en se console en rappelant qu’il ne termine pas résidence surveillée », nous explique Patrice dernier de la Coupe du Monde. Dumont. Impossible dans ces conditions Crise de foi d’espérer un miracle face à la Pologne qui connait déjà parfaitement son adversaire La dictature imposant la démesure, la pour lui avoir rendu visite quelques mois réaction du pouvoir après la Coupe du plus tôt. La déroute est totale, 7-0. Monde est sans appel : « Au retour de 1974, et c’est extraordinaire, il y a un communiqué « C’est le Diable qui tient les fils qui nous du gouvernement annonçant le renvoi de la remuent », écrivait Baudelaire. En Haïti, le sélection nationale tout entière. Tassy, les diable a un nom : Jean-Claude Duvalier. Baby joueurs, tout le monde est renvoyé, c’est Doc avait déjà été rendre visite aux joueurs la tabula rasa. La FIFA n’intervient pas. À à quelques jours du départ pour Munich, il a l’époque, il y a les sélections communistes également discuté avec eux par téléphone comme Cuba par exemple, la FIFA tolère avant le match d’ouverture, il intervient de alors l’ingérence de la politique dans les pays nouveau, accentue la pression qui pèse dictatoriaux. Il a pratiquement fallu attendre sur les épaules d’Antoine Tassy qu’il juge les années soixante-dix/quatre-vingt, responsable de la défaite en ouverture et qu’il après la politique des droits de l’homme de va cibler directement après la débâcle face Carter, menant à la fin de la dictature aux à la Pologne, se muant en commentateur Philippines, en Haïti, au Guatemala, pour que sportif. « L’affaire Jean-Joseph a cassé la FIFA s’adapte et exige la non-ingérence. l’équipe. On a mal géré la défaite face à l’Italie, Donc là, tout le monde est renvoyé, on fait pas seulement avec Jean-Joseph. Parce que entrer des sélectionneurs étrangers », confie nous avons mené au score, les gens ont oublié Patrice Dumont. Philippe Vorbe s’octroie une que Francillon a dû parer à une quinzaine de semaine de vacances en Europe. Dans Avec tirs italiens, nous n’avions pas le contrôle du Philippe Vorbe au sommet du football haïtien, match. Les gens, y compris le président ou il raconte qu’à son retour en Haïti, il voit ses ses conseillers spéciaux se sont persuadés coéquipiers qui lui montrent la fameuse lettre que nous pouvions gagner et que c’est Tassy et, pour certains, qui décident de s’exiler. qui a fait perdre l’équipe. Comme Jean- La belle aventure commencée comme une Claude Duvalier avait parlé avec quelques opération commando en 1966 pour devenir joueurs, l’équipe était troublée. Je crois que l’histoire d’un groupe uni et ambitieux dès

49 1971 est bel et bien terminée. Guy François à le développer davantage. Et depuis plus de par exemple ne reviendra au pays que trente quarante ans, la Perle des Antilles attend les ans plus tard lors de l’ultime hommage dignes héritiers des héros de 74. rendu à Manno Sanon. Sans se poser la question de savoir si l’aventure allemande est un véritable échec eu égard à la valeur Nicolas Cougot des adversaires, sans jamais se demander quels éléments améliorer pour revenir plus fort, le pouvoir décide de tout jeter. Rien n’est fait d’un coup, mais l’espoir est enterré. « La sélection est encore permanente, elle reste sous la férule du gouvernement, mais il n’a plus la même foi. Ça va aller decrescendo. Il y a eu la foi entre 1969 et 1974 qui va ensuite s’effilocher. Elle diminue en 1977 et cela sera une formalité en 1981. C’est sans doute l’une des faiblesses des sociétés comme celle de mon pays, nous n’avons pas assez de souffle », confie Patrice Dumont. Philippe Vorbe, l’un des symboles de cette équipe et de cette épopée, décide de raccrocher les crampons. Il revient un temps lorsque Zoupim le rappelle, mais son aventure de joueur de la sélection est terminée. À partir des semences de 1957, Haïti a mené une politique sportive totalement dédiée à sa sélection majeure pendant plus de quinze HAÏTI 1974 ans. C’est cette politique qui a permis de voir une génération éclore, se développer Phase de poule et prendre une place méritée dans le gotha mondial, faisant des Grenadiers la deuxième Haïti 1 – 3 Italie meilleure équipe de la CONCACAF sur cette Emmanuel Sanon 46e 52e période. Malheureusement, l’absence de 64e vison à grande échelle, à long terme a mis fin Pietro Anastasi 78e à tout espoir. « La dictature c’est l’idéologie du paraître. Tout ce qui parait est intéressant, Haïti 0 – 7 Pologne mais les structures profondes importent 17e, 87e peu », rappelle Patrice Dumont. Là où le Chili Kazimierz Deyna 18e a mené une politique plus poussée à la fin 30e, des années cinquante pour parvenir à son 34e, 50e rêve mondial et a su en tirer parti sur le long Jerzy Gorgoń 31e terme, Haïti n’a pas voulu, n’a pas su, voir le vivier dont elle disposait, ni n'a pas cherché Haïti 1 – 4 Argentine Emmanuel Sanon 63e Héctor Yazalde 15e, 68e René Houseman 18e Rubén Ayala 55e 50 COLOMBIE 1990 LE PROJET CRIOLLO

Après vingt-huit ans d'absence, la Colombie s'est qualifiée pour la Coupe du monde 1990. Cette qualification a été le premier fait d'armes d'un projet inspiré des Pays-Bas des années soixante-dix et lancé dans la deuxième partie des années quatre-vingt avec cette fois l'Atlético Nacional en club laboratoire.

e 30 octobre 1989, dans un pays miné être la base de tout. Dans le livre Enseñame par les conflits internes et deux mois A Ser Héroe du journaliste Mauricio Silva, Let demi après l'assassinat du favori à composé d'interviews des plus grands l'élection présidentielle, Luis Carlos Galán, la sportifs colombiens, Maturana explique Colombie a arraché son billet pour la Coupe que « León Londoño (NDLR : président de du monde 1990 en Italie. Le match nul 0-0 en la fédération colombienne de football) et Israël a été suffisant après la victoire 1-0 à Arturo Bustamente (NDLR : président de Barranquilla lors du match aller. Après vingt- la Ligue d'Antioquia, le département de huit ans d'absence et une seule participation Medellín) ont décidé d'imiter le processus à un Mondial, en 1962 au Chili, la Colombie de la Hollande des années soixante-dix qui et sa génération dorée ont donc atteint le avait huit joueurs de l'Ajax. Ils ont dit « S'ils le premier objectif d'un projet lancé dans la font là-bas, pourquoi on ne peut pas le faire deuxième moitié des années quatre-vingt. ici ? » ». Dès avril 1987, Maturana prend en main la sélection olympique colombienne 1987 : première pierre de l'édifice HAÏTI 1974 pour le tournoi préolympique qualificatif En 1986, Francisco Maturana, ancien joueur pour les Jeux de Séoul. Dans cette équipe, on retrouve notamment René Higuita, Ricardo Phase de poule de l'Atlético Nacional avec qui il a notamment décroché deux titres de champion, s'installe Pérez, Luis Carlos Perea, Leonel Álvarez ou encore Bernardo Redín pour ne citer Haïti 1 – 3 Italie sur le banc de l'Once Caldas de Manizales. Un qu'eux. En Bolivie, les joueurs de Maturana Emmanuel Sanon 46e Gianni Rivera 52e an plus tard, il est placé aux commandes du Romeo Benetti 64e club verdolaga (NDLR : surnom de l’Atlético vont faire un gros premier tour en battant Pietro Anastasi 78e Nacional), avec un ordre de mission clair : notamment le Brésil de Romário et . créer un club entièrement composé de joueurs Très rapidement, ce projet va prendre avec Haïti 0 – 7 Pologne colombiens. Un objectif qui n’est pas anodin comme première vraie et grande étape, la Grzegorz Lato 17e, 87e alors que la première partie de la décennie a Copa América 1987 disputée en Argentine. Kazimierz Deyna 18e été dominée par l'América de Cali et ses stars Évidemment des choix forts vont être faits Andrzej Szarmach 30e, étrangères telles que les Argentins Ricardo et vont être discutés. Des « anti-Maturana » 34e, 50e Gareca (actuel sélectionneur du Pérou) et vont apparaître très rapidement avec une Jerzy Gorgoń 31e Julio César Falcioni ou encore le Paraguayen revendication : la présence d'Eduardo passé par Brest et Lyon, Roberto Cabañas. Pimentel, le milieu défensif de Millonarios Haïti 1 – 4 Argentine Ce club « criollo » de l'Atlético Nacional va que beaucoup voyaient comme le meilleur Emmanuel Sanon 63e Héctor Yazalde 15e, 68e joueur du pays à cette place. Dans la liste René Houseman 18e Rubén Ayala 55e 51 définitive, on retrouve donc beaucoup de Le deuxième est le capitaine, Carlos joueurs de l'Atlético Nacional comme René Valderrama. Meilleur joueur du tournoi, il s'est Higuita, Luis Carlos Perea, Leonel Álvarez, imposé comme le cerveau, le chef d'orchestre Luis Fernando Herrera, José Ricardo Pérez, de cette équipe. Ses passes cinq étoiles ont Barrabás Gómez (qui jouait à l'époque à séduit, y compris de l’autre côté de l'Atlantique Millonarios après avoir débuté et joué pendant puisqu’il deviendra par la suite le premier plusieurs années à l'Atlético Nacional) ou joueur colombien de l'histoire à rejoindre John Jairo Tréllez. C'est donc sans filet et l'Europe. Pour l'anecdote, au moment de avec une partie du pays prête à avoir la peau son arrivée à Montpellier, son entraineur de du tout jeune sélectionneur que la sélection l'époque, Pierre Mosca, n'en voulait pas et l'a cafetera va se rendre au pays du champion envoyé en réserve. « Même s'il ne parlait pas du monde en titre. Là-bas, la Colombie va beaucoup c'était un leader. Tout le monde le séduire beaucoup de monde et terminer suivait. Pourquoi ? C'était la personne la plus troisième en battant notamment le pays ponctuelle de l'équipe. Quand il fallait aller hôte au Monumental de Buenos Aires (stade manger c'était le premier à arriver », explique que cette sélection va apprendre à aimer) Arnoldo Iguarán* avant d'ajouter « son image lors du match pour la troisième place. Trois nous donnait de la force et de la tranquillité, hommes forts vont sortir grandis de cette son image donnait de l'équilibre à l'équipe. compétition. Le premier est évidemment Je pense que la décision de Maturana était Francisco Maturana. Le style qu'il a donné la bonne parce qu'on le suivait tous ». Luis en peu de temps à la sélection a séduit Fernando Suárez va même plus loin : « S'il beaucoup de monde, y compris à l'extérieur n'y avait pas eu Carlos Valderrama, on ne du pays. À base de « toque », le jeu produit se serait pas qualifié ni pour ce Mondial par la sélection colombienne lui a permis de ni pour les suivants. Nous nous sommes s'inviter à la table des grands du continent rendu compte qu'on pouvait jouer avec notre pour la première fois de son histoire. manière d'être. Carlos a toujours montré son Actuel entraineur du club colombien de La caractère. Il était très exigeant avec lui mais Equidad et joueur de l'Atlético Nacional, Luis aussi avec les personnes qui l'entouraient ». Fernando Suárez explique que : « Maturana Le troisième est Arnoldo Iguarán. Meilleur a cherché quelque chose de différent, pas buteur du tournoi, le joueur de Millonarios nécessairement sur le plan du football, s'est imposé comme un leader dans cette mais il y a eu aussi une libération du joueur équipe, « c'est mon meilleur moment en colombien. Avant, le joueur colombien n'était sélection, ça m'a solidifié, ça m'a renforcé, pas dans l'action mais dans la réaction et je j'ai pris plus de confiance en sélection » a crois que Maturana a commencé à changer d'ailleurs confirmé le principal intéressé. Il ça. Il est arrivé avec une pensée différente. recevra par la suite une offre de l'América (le Sur la partie du football, la proposition club mexicain) et de l'International de Porto basique était de bien jouer, d'avoir le ballon et Alegre mais Millonarios n'a pas voulu le d'être plus agressif en équipe, ensemble. De céder. Sur cette Copa América, le deuxième presser. Je pense qu'en plus de la Hollande de meilleur buteur de l'histoire de la sélection Cruijff, il y avait les déplacements tactiques précise que « le système que la Colombie du Milan d'. Je crois que le plus a mis en place a été très bon et a donné de important était de donner aux joueurs la très bons résultats. […] Ce système a été liberté de jouer »*.

* Propos de Luis Fernando Suárez et d'Arnoldo Iguarán recueillis par Pierre Gerbeaud renouvelé parce qu'il avait déjà été testé à Arnoldo Iguarán : « Maturana a été très d'autres occasions. On l'a implanté d'une intelligent de choisir une base défensive qui manière très solide. La base était l'Atlético travaillait avec lui depuis longtemps. Elle Nacional et ça nous a aidés parce qu'elle connaissait le système par cœur » avant avait travaillé avec ce système ». Ce projet de conclure : « on était un groupe d'amis, il avait donc une base forte, celle de l'Atlético y avait une rivalité sportive entre nos clubs Nacional. En Argentine, un match va mais nous étions unis ». notamment faire taire les critiques. Dans le 1989 : la Colombie décomplexée groupe de la Bolivie et du Paraguay (NDLR : à l'époque la Copa América se jouait avec Arrive donc l'année 1989. Si la Copa América trois groupes de trois et l'Uruguay, tenant au Brésil n'est pas franchement une du titre, qualifié d'office en demi-finale), la réussite avec une troisième place dans son Colombie va s'imposer sans trembler en groupe derrière le Brésil et le Paraguay et ouverture face à la Verde. Pour une place donc une élimination précoce, cette année dans le dernier carré, c'est donc le Paraguay sera aussi un tournant dans l'histoire du (équipe que la Colombie va retrouver un peu football colombien. Placé dans le groupe plus tard) qu'il faut battre. Ce 5 juillet 1987 de Millonarios, le Deportivo Quito et Emelec, à Rosario, la Colombie va tout simplement l'Atlético Nacional va s'offrir un parcours en marcher sur l'eau. Victoire nette 3-0 avec un Libertadores qui va permettre à la Colombie triplé d'Iguarán et des caviars de Valderrama de décrocher son premier titre dans la plus et de Redín. En demi-finale face au Chili, la belle compétition du continent. Après avoir deuxième de son histoire en compétition terminé deuxième de son groupe, derrière continentale, malgré l'ouverture du score Millonarios, les Verdolagas vont sortir le de Bernardo Redín sur penalty pendant Racing, Millonarios et Danubio pour arriver la première période de la prolongation, la en finale, avec notamment un 6-0 passé aux Colombie va craquer par deux fois et n'aura Uruguayens en demi-finale retour. Pour la donc pas l'occasion de jouer la finale. Mais ce dernière marche, c'est l'équipe paraguayenne groupe de vingt-deux joueurs appelés pour d'Olimpia qui se présente. Après la défaite la Copa América 1987 ne va être que très peu 2-0 au match aller à Asunción, c'est avec modifié pendant trois ans, au moins dans les surprise que les dirigeants du club de grandes échéances pour être la base et se Medellín vont apprendre qu'ils ne pourront donner comme objectif la qualification pour pas disputer la finale dans leur stade de la Coupe du Monde en Italie. Luis Fernando l'Atanasio Girardot alors qu'ils y avaient Suárez précise : « Maturana a été intelligent, pourtant fait toute la compétition. Simple il n'a pas arrêté pour autant d'appeler les coïncidence, le président de la CONMEBOL à bons joueurs d'autres clubs, le meilleur était l'époque était le Paraguayen Nicolás Leoz. Le Carlos. Celui qui jouait avec lui était Bernardo 31 mai 1989, au bout d'une finale délocalisée Redín, donc il devait associer les deux. Ils dans la capitale colombienne, Leonel Álvarez étaient les joueurs importants. Il devait aussi va inscrire le tir au but décisif et offrir à la appeler Iguarán qui était le meilleur buteur Colombie une première joie footballistique. du championnat. Il a pris la base, et surtout Dans cette équipe on retrouve ce qui sera la la base défensive de l'Atlético Nacional, mais base de la sélection : René Higuita, Andrés le reste de l'équipe, les ailes ou la création, Escobar, Gildardo Gómez, Luis Carlos Perea, venait des autres équipes ». Ce que confirme León Villa, Leonel Álvarez, Luis Fajardo ou

53 encore Albeiro Usuriaga. « Ce que Maturana au final, il n'y a rien eu de grave ». Le penalty a fait avec eux, c'est qu'il leur a permis de est transformé par José Luis Chilavert, son se montrer comme ils sont vraiment. Je premier but international. Cette défaite sera crois que c'est la base de tout c'est ça, ils suivie d'un nul sans saveur contre l'Équateur. jouaient avec respect mais sans peur », C'est donc à la maison face au Paraguay que explique Luis Fernando Suárez qui était alors l'équipe cafetera va jouer sa peau. Ce match remplaçant. Moins de trois mois plus tard, ne commence pas bien, la Colombie est la Colombie commence les éliminatoires menée 1-0 à la pause. La suite est racontée pour la Coupe du Monde en Italie. Pourquoi par Iguarán : « On était tous très tendus si tard ? À l'époque, les qualifications se parce qu'on savait que c'était le match clé. déroulaient sur un mois. L’Argentine déjà Maturana a beaucoup parlé parce qu'on ne qualifiée comme tenante du titre, les autres jouait pas comme il disait « le football de notre équipes de la zone sont réparties en trois vie ». Mais une équipe solide a de la force. On groupes de trois. À l’issue des matchs aller- est sortis très tranquillement et on a égalisé retour, les premiers de chaque groupe sont rapidement ». Ce but de l'égalisation, c'est ensuite classés en fonction du nombre de justement lui qui va le marquer : « Ruben Darío points pris, les deux meilleurs se qualifiant (NDLR : Hernández) a centré et je pensais que pour l’Italie, le troisième devant passer le gardien allait sortir mais il ne l'a pas fait. par un barrage. Placée dans le groupe 2 J'arrivais très vite et j'ai pu marquer ce but avec l'Équateur et le Paraguay, la Colombie qui nous a permis d'être tranquilles ». Sorti à commence son parcours à Barranquilla le la mi-temps, l'habituel capitaine Valderrama 20 août 1989 contre son voisin, deux jours avait cédé son brassard à Arnoldo Iguarán. après l'assassinat commandité par Pablo « C'est clairement le but le plus important de Escobar de Luis Carlos Galán, favori à ma carrière. Je crois que c'était un moment l'élection présidentielle. Le parcours débute clé, un moment difficile », nous a d'ailleurs par une victoire 2-0 avec un doublé de la confié le principal intéressé. Après cette tête d'Arnoldo Iguarán. Le calme avant la égalisation, Rubén Darío Hernández a donné tempête. La tempête se produit une semaine la victoire à la Colombie, son seul but sous le plus tard, lors du voyage à Asunción pour maillot de la sélection. Avec cinq points en affronter l'équipe guaraníe. Au Paraguay, le quatre matches, la Colombie ne décroche pas match va être houleux, notamment sa fin de place directe (le Brésil et l'Uruguay ont fait quand, alors que les deux équipes sont à mieux dans leurs groupes respectifs), elle doit égalité un but partout (but d'Iguarán pour donc passer par un match de barrage contre la Colombie), l'arbitre chilien Hernán Silva Israël. Grâce à un but d’Albeiro Usuriaga accorde un penalty litigieux en faveur des inscrit à l’aller en Colombie, les Cafeteros locaux. « Il s'est beaucoup trompé, le penalty décrochent leur place en Coupe du Monde en qu'il a sifflé n'existait pas » a avoué le buteur assurant un résultat nul 0-0 au retour. colombien du soir. Se sentant lésés, les 1990 : les montagnes russes Colombiens ont longuement protesté contre l'arbitre entrainant un peu de confusion et Arrive donc l'été 1990. Après des matches des échauffourées avec la police locale. « À de préparation disputés pour la plupart aux partir du penalty, les gens ont commencé à États-Unis, avec un bilan mitigé, Francisco en avoir après nous. Il y a eu des accrochages Maturana a choisi un groupe de vingt-deux entre nous et des joueurs paraguayens, mais joueurs composé de dix joueurs de l'Atlético

54 Nacional pour se rendre en Italie. Placé on a eu beaucoup d'occasions, on a eu plus aux côtés des Émirats arabes unis, de la d'occasions qu'eux. On savait que ces équipes Yougoslavie et de l'Allemagne de l'Ouest, quand elles avaient l'opportunité, elles ne devant disputer ses deux premiers matches la laissaient pas passer. Ils ont marqué un à Bologne, c'est donc dans la Villa Palavicini, but de manière inespérée. Sur le banc tout une sorte de monastère dans la banlieue de la le monde faisait ça (il mime la tête baissée). capitale d'Émilie-Romagne que la Colombie On devait aller chercher le but pour nous va prendre ses quartiers. Le lieu ne convient qualifier. J'étais sur le banc et on a vu l'action pas forcément aux joueurs : « Ça a été une se mettre en place. Une action spectaculaire. surprise pour nous d'arriver à cet hôtel parce On faisait le mouvement sur le banc. C'était que c'était un monastère ou quelque chose une grande action et nous sommes tous comme ça », précise Iguarán, avant d'ajouter, entrés sur le terrain ». La qualification en « ils disaient qu’à l'époque antique, il y avait poche, la première dans l'histoire du football eu beaucoup de morts. On est arrivés dans colombien, c'est le Cameroun de ce site si grand avec si peu de gens et on a qui va se dresser sur la route. Roger Milla, cru que ce n'était pas le bon endroit. Mais on ancien coéquipier de Carlos Valderrama l'a accepté. On entendait des bruits la nuit, à Montpellier. « Il nous a dit que c'était un des cris, des pleurs, nous n'étions pas bien ». joueur très important, qu'on ne pouvait pas Heureusement sur le terrain les choses vont lui laisser d'espace, il fallait faire attention » mieux se passer. En ouverture face aux reconnaît d'ailleurs celui qui est aujourd'hui Émirats arabes unis, après une première le deuxième meilleur buteur de l'histoire de période moyenne, deux buts de Redín et la sélection colombienne. La suite, tout le Valderrama, son seul but dans un Mondial, monde la connait. Pendant la prolongation, permettent à la Colombie d'arracher son du haut de ses 38 ans Roger Milla s'est offert premier succès dans la plus prestigieuse un doublé, le deuxième but a même fait le compétition. « On voulait marquer le peuple tour du monde. Sur le terrain depuis l'heure colombien », concède Iguarán avant d'avouer, de jeu et donc aux premières loges, Arnoldo « le plus beau, le plus important, c'est d'avoir Iguarán explique : « c'est une action de Perea. écouté l'hymne national colombien à un Higuita la donne à Perea. Perea l'a rendue à Mondial ». Après cette entrée en matière, la Higuita mais c’était compliqué. Au lieu de la Yougoslavie se présente face aux hommes dégager, il a essayé de dribbler Milla et Milla de Maturana qui s’inclinent sur la plus petite comme un vieux renard lui a pris le ballon ». des marges avec un but de Davor Jozić. Le Sa danse autour du poteau de corner est par dernier match du groupe, face à l'Allemagne la suite devenue légendaire. Dans le vestiaire de l'Ouest, le futur vainqueur de l'épreuve, après le match, El Guajiro nous l'assure s'annonçait compliqué. Il a offert un scénario « personne ne s'est énervé contre Higuita fou. Alors qu'on se dirige vers un score nul parce qu'on était habitués à le voir faire ça et vierge, Littbarski est venu glacer toute la et il le faisait très bien. Mais on savait qu'un Colombie en ouvrant le score dans la dernière jour, il allait se tromper et il s'est trompé minute du temps règlementaire. La suite cette fois ». Même son de cloche chez Luis c'est une action collective de haut niveau Fernando Suárez qui explique qu'après le avec un caviar d’el Pibe Valderrama pour match « Maturana a appelé René et lui a Freddy Rincón. Sur le banc à ce moment-là, dit « Viens on va parler tous les deux. C'est Iguarán raconte : « avant le but allemand, cela donner la responsabilité. Je t'ai donné

55 cette responsabilité de sortir et toi, tu dois Copa América 1991, sous la direction Luis El assumer ta responsabilité », mais ils ne se Chiqui García, la Colombie retrouve Maturana sont pas battus ». La réduction de l'écart à sa tête et survole son groupe lors des de Redín a juste donné un peu de suspense éliminatoires pour la Coupe du Monde 1994, à la fin de match. En vain. Le parcours de avec notamment le match le plus marquant cette Colombie s'est achevé au San Paolo de dans l'histoire du football colombien, celui Naples. du 5 septembre 1993 conclu par la victoire 5-0 contre l'Argentine au Monumental de La graine Buenos Aires. Une aventure qui se terminera Pour sa deuxième participation à un en tragédie aux États-Unis. Mais cela est une Mondial, la Colombie a donc franchi pour la autre histoire. première fois le cap de la phase de groupe, un groupe avec deux cadors européens de l'époque. Dans ces conditions, il est difficile Pierre Gerbeaud de parler d'échec, notamment parce que la Colombie a montré qu'elle ne devait plus être considérée comme une nation mineure du football. Certes, en 1988, il y avait eu ce match nul 1-1 contre l'Angleterre à Wembley mais ce n'était qu’un match amical. En Italie, son jeu, symbolisé par l'égalisation du colosse de Buenaventura contre la RFA, a séduit beaucoup d'observateurs. C'est la première fois aussi que la Colombie a autant poussé son équipe nationale. Le tout dans un contexte très pesant avec la guerre contre les cartels. Cette Colombie restera donc les mémoires pour avoir amené un vent de fraicheur dans un pays qui vivait dans la terreur. Elle aura aussi eu le mérite d’être allée COLOMBIE 1990 au bout de ses idées, sans jamais changer de cap pendant trois ans alors que certaines Phase de poule critiques ont émergé dès le départ du projet criollo : « La Colombie s'est mise dans la Colombie 2 – 0 Émirats Arabes Unis tête qu'elle pouvait participer à ce type Bernardo Redín 50e d'évènement mondial », reconnaît Iguarán, Carlos Valderrama 85e qui avoue garder une pointe d’amertume sur ce parcours, « je pense qu'on aurait pu Colombie 0 – 1 Yougoslavie aller plus loin. Personnellement j'ai une Davor Jozić 75e frustration, c'est de ne pas avoir marqué lors d'un Mondial parce que c'était mon souhait. Colombie 1 – 1 RFA Je crois que c'est ce qu'un attaquant veut Freddy Rincón 90e Pierre Littbarski 89e quand il va à un événement aussi important ». La suite ? Après une quatrième place à la Huitième de finale

Colombie 1 – 2 Cameroun (a-p) Bernardo Redín 115e Roger Milla 106e, 109e CORÉE DU SUD – JAPON 2002 UN HÉRITAGE INÉGAL

En 2002, le Japon et la Corée du Sud accueillaient conjointement l'unique Coupe du Monde asiatique. Cette organisation commune s'inscrivait dans un processus de professionnalisation du football. Seize années plus tard, il est temps de faire le bilan pour ces deux gé- ants du football asiatique.

i le Japon a attendu le début des progressivement reculer les clubs militaires années 1990 pour lancer son plan de qui dominaient jusque-là le paysage sportif Sprofessionnalisation du football avec sud-coréen. Sans vraiment disparaître, la création de la J.League en 1991 (pour une ces clubs militaires sont surpassés par les première saison en 1993), la Corée du Sud company clubs qui proposent plus d'argent amorce le même processus dix ans plus tôt, aux footballeurs et un meilleur cadre de au début des années 1980 avec la création vie, ainsi qu'une perspective d'avenir à la de la Korean Super League (devenue K fin de leur carrière, au sein de l'entreprise League en 1998). Mais bien avant la création qu'ils représentent dans la Korean National de ces deux championnats, le paysage Semi-Professionnal Football League (1964). footballistique japonais et coréen était Comme au Japon, les universités disposent semblable, puisqu'il s'agissait avant tout de leurs propres équipes ainsi que d'une ligue d'un sport amateur ou semi-amateur. universitaire. Les infrastructures n'étaient pas très bonnes, peu de stades disposaient Au Japon, il existait deux types d'équipes : d'une pelouse en bon état et les spectateurs celles des universités et les company clubs ne s'amassaient pas en nombre dans les (clubs appartenant à des entreprises). Ces tribunes pour suivre les rencontres. COLOMBIE 1990 derniers avaient pour but de promouvoir l'entreprise en faisant jouer les employés. La lente professionnalisation du Phase de poule En 1965, la Japanese Soccer League (JSL) football est créée et composée principalement de La Corée du Sud est donc le premier de ces Colombie 2 – 0 Émirats Arabes Unis company clubs. On voit alors apparaître des deux géants asiatiques à se lancer dans la Bernardo Redín 50e joueurs semi-professionnels, dans le sens professionnalisation du football au début des Carlos Valderrama 85e où ils étaient embauchés par une entreprise années 1980. Ce processus est soutenu par pour participer à la JSL, mais disposaient le pouvoir militaire en place en Corée du Sud, Colombie 0 – 1 Yougoslavie d'un aménagement de leur emploi du temps dirigé par le Général et président Chun Doo- Davor Jozić 75e afin de se consacrer au football : De manière hwan. Ce dernier voit dans le sport un moyen de générale, ces joueurs travaillaient le matin contrôle social et d'apaisement des tensions Colombie 1 – 1 RFA dans l'entreprise avant de se consacrer politiques après le soulèvement de Gwangju Freddy Rincón 90e Pierre Littbarski 89e aux entraînements le reste du temps. À la en mai 1980. Du côté de la Korean Football même époque en Corée du Sud, les company Association (KFA), la professionnalisation Huitième de finale clubs sont aussi en plein essor et font

Colombie 1 – 2 Cameroun (a-p) Bernardo Redín 115e Roger Milla 106e, 109e 57 du football est une réponse aux contraintes un véritable succès pour la KFA mais aussi économiques, notamment le salaire des pour l'État. La chaîne de télévision KBS joueurs. En 1979, Cha Bum-keun rejoint participe à cette professionnalisation du l'Allemagne de l'Ouest et voit son salaire être football en diffusant toutes les rencontres largement augmenté. Une revalorisation qui de la KSL. Dans un pays où la télévision est ne passe pas inaperçue chez les joueurs en plein boum (trois millions de télévisions semi-professionnels sud-coréens, qui se vendues entre 1982 et 1986), de plus en plus mettent tous à rêver d'un départ à l'étranger, de personnes peuvent ainsi se divertir avec que ce soit en Europe ou non puisque même du sport. Malheureusement, ce démarrage la ligue semi-professionnelle hongkongaise réussi s'estompe très vite puisque l'attention propose des salaires plus élevés qu'en des Sud-Coréens pour le football de club Corée du Sud. Le président de la KFA, Choi commence à décliner dès la saison 1984 au Soon-young, décide donc de créer le premier profit de la sélection nationale et du baseball, club professionnel sud-coréen : Hallelujah lui aussi devenu professionnel en 1982. La Eagles (décembre 1980-août 1998). Homme Corée du Sud devant se préparer pour des d'affaires, mais aussi chrétien convaincu, évènements majeurs comme la Coupe du Choi Soon-young se sert de son club pour Monde 1986, les Jeux Asiatiques 1986 et les diffuser la religion chrétienne en Corée Jeux Olympiques 1988 à Seoul, les meilleurs du Sud et gagner de l'argent. Ses joueurs, joueurs sont de moins en moins avec leur tous de confession chrétienne, participent club. Le niveau du championnat s'en ressent à cette entreprise de diffusion et reçoivent et l'attractivité aussi. En 1986, l'affluence se un salaire beaucoup plus élevé que dans les résume à seulement 1 000 personnes par company clubs. En parallèle, les chaebols match. Le fait que les six clubs de la KSL ne (les grands groupes industriels sud-coréens) représentent pas la Corée du Sud, puisqu'ils sont encouragés par le pouvoir en place à sont tous basés à Seoul ou dans ses environs, s'investir dans le sport. Progressivement, explique aussi que la fibre du supporter d'autres clubs professionnels voient donc le n'existe pas, les Coréens ne s'identifiant pas jour, à commencer par les Yukong Elephants à une équipe en particulier. (aujourd'hui Jeju United) en 1982, soutenus Au Japon, le football se fait difficilement par SK Group. L'année suivante, en 1983, une place dans le cœur des Japonais avant la Korean Super League (KSL) est mise sur les années 1990. La sélection nationale pied pour continuer d'attirer les chaebols n'a participé à aucune Coupe du Monde et dans le football. S'ensuit donc l'arrivée de possède un palmarès vierge alors que les POSCO, Hyundai, Daewoo ou encore LG. affluences de la JSL sont très basses. Pour L'organisation de la KSL est à la fois une tenter de relancer l'intérêt du football mais publicité pour ces grandes marques, mais aussi pour accroître le niveau des Samurai aussi pour le football : chaque journée se joue Blue, la JSL estime qu'il est nécessaire de dans une ville différente. Un véritable tour de créer une ligue professionnelle de football. Le Corée du Sud : Seoul, Busan, Daegu, Jeonju, projet est porté par un ancien international Daejeon, Gwangju, Chuncheon, Masan et et futur président de la J.League, Saburo Andong accueillent à tour de rôle la KSL. Kawabuchi. Après plusieurs années de Avec une moyenne de 21 000 spectateurs réflexions, la J.League est officiellement par journée (contre 8 000 dans les rencontres lancée en 1993, soit dix ans après la Korean semi-professionnelles), le lancement est

58 Super League. L'engouement pour cette 1996. Les Yukong Elephants sont priés de nouvelle compétition démarre dès l'annonce quitter Seoul en 1996 et rejoignent l'île de du projet, l'explosion économique du Japon Jeju. Les pions sont placés pour établir la permet aux clubs d'attirer des grands noms liste des villes pouvant accueillir le Mondial. du football mondial comme Gary Lineker ou Au Japon, la question ne se pose pas, les Zico et le succès à la fois sportif et populaire clubs de J.League sont déjà répartis sur tout de la Coupe d'Asie organisée à Hiroshima en le pays. La lutte entre les deux pays peut 1992 sont autant de bonnes prédispositions commencer afin de décrocher l'organisation pour le succès de la J.League. Le match de l'épreuve reine. inaugural entre le Verdy Kawasaki et les En 1994, le Japon avec Murata Tadao et la Yokohama Marinos est un grand succès Corée du Sud avec Chung Mong-joon se puisqu'il attire 60 000 spectateurs au Tokyo disputent le siège accordé à l'Asian Football National Stadium et plus d'un million de Confederation au Comité Exécutif de la FIFA. Japonais regardent le match à la télévision. Le succès de Chung Mong-joon est un pas en Ce lancement réussi permet même au avant pour la victoire finale de la Corée du Sud football d'aller chercher des supporters du dans la course à la Coupe du Monde 2002. côté du baseball, sport incontournable au Chung Mong-joon s'allie avec l'UEFA pour Japon avec le sumo. obtenir le soutien des pays européens alors De la rivalité à l’unité que le Japon reçoit celui du président de la FIFA, le Brésilien João Havelange qui fait du Le succès des audiences TV de la Coupe lobbying auprès des autres confédérations. du Monde mexicaine de 1986 et l'énorme Au Japon, la candidature est soutenue par engouement des Sud-Coréens pour leur des personnalités issues du monde du équipe nationale sont une première graine football et des businessmen, qui voient dans plantée au sein de la KFA pour obtenir la Coupe du Monde un moyen de relancer leur l'organisation d'un mondial. D'autant plus activité. Globalement, le pouvoir japonais ne que la FIFA avait laissé entendre dès la fin s'implique pas autant que le pouvoir sud- des années 1980 que la Coupe du Monde coréen dans la candidature. Au pays du matin se déroulerait un jour ou l'autre en Asie. La clair et frais, le monde politique joue un rôle Japanese Football Association (JFA) n'est majeur. Le président de l'époque, Kim Young- pas non plus restée insensible à cette volonté sam, n'hésite pas à porter des t-shirts avec de l'instance dirigeante du football mondial. écrit dessus « Coupe du Monde 2002 » lors En Corée du Sud, le football a continué de de ses sorties sportives. Il participe aussi se développer par l'intermédiaire de Chung au lobbying coréen auprès de présidents Mong-joon, président de la KFA qui décide de étrangers et de la FIFA. Son opposant et lancer la Korean League en 1994 à la place futur président en 1997, Kim Dae-jung, de la Korean Super League. Les équipes sud- envoie des lettres aux membres du comité coréennes commencent à s'implanter partout exécutif de la FIFA afin d'obtenir leur soutien. dans le pays à la recherche d'engouement. Les mouvements religieux (dont certains L'exemple de POSCO avec Pohang est suivi leaders auront une place au sein du comité par d'autres grands groupes industriels, d'organisation) et les grandes entreprises comme Hyundai avec Jeonbuk Dinos à du pays ne sont pas non plus en reste. Le Jeonju en 1994 ou encore Samsung avec soutien du public est aussi plus important en les Suwon Samsung Bluewings à Suwon en

59 Corée du Sud qu'au Japon : seulement 29% AFC Champions League) grâce à Seongnam des Japonais soutiennent une candidature Ilhwa Chunma, Pohang Steelers et Suwon de leur pays contre 90% de Coréens. Samsung Bluewings. Localement la Korean League, devenue K League en 1998, est un Cette rivalité entre les deux voisins est vue succès et les affluences dans les stades comme un danger par certains politiques sont bonnes. Le football est en plein essor. et intellectuels japonais qui craignent une De même au Japon, où la J.League continue montée des tensions. Kono Yohei, ministre d'attirer de plus en plus de personnes. des Affaires étrangères japonais, est le Les deux pays se dotent de stades de premier à soumettre l'idée d'une organisation football modernes et capables d'accueillir conjointe de la Coupe du Monde 2002 et ce l'évènement. Cela permet aussi d'avoir enfin dès 1994. Si les politiques des deux pays des terrains dignes de ce nom. D'immenses semblent séduits par l'idée, ce n'est pas le enceintes sortent de terre à Seoul, Suwon, cas des organisateurs des candidatures Jeonju, Daejeon, Jeju, Gwangju, Incheon, individuelles, Chung Mong-joon et Kenji Busan et Ulsan pour la Corée du Sud et à Mori en tête. L'opinion publique sud- Yokohama, Saitama, Shizuoka, Miyagi, Kobe, coréenne est elle aussi opposée à ce projet Niigata, Oita et Sapporo pour le Japon. Mais et préfèrerait davantage l'organiser avec la les choses n'ont pas été aussi simples. Corée du Nord qu'avec le Japon. En janvier 1996, une demande de la Corée du Nord La Corée du Sud connaît une crise est même faite en ce sens, sans succès. La économique importante en 1998. Les course à l'organisation s'intensifie, chaque projets de construction des stades sont au camp essayant de discréditer l'autre. La point mort sans l'aide du FMI, et la rumeur tension est à son maximum à tel point que d'un abandon de la Coupe du Monde par la solution d'une organisation conjointe la Corée du Sud se propage. Le Japon devient une solution d'apaisement pour la pourrait se retrouver finalement comme FIFA. Il aura fallu attendre le dernier moment seul organisateur du Mondial. Mais le pays pour que le Japon accepte la demande du Soleil Levant vient en aide à son voisin de la FIFA de se joindre à la Corée du Sud, en lui prêtant 200 millions de dollars pour la qui avait préalablement accepté la main construction du Suwon World Cup Stadium. tendue de la fédération internationale. Pour Chung Mong-joon persuade Kim Dae-jung, la première fois de l'Histoire, et unique fois président de la Corée du Sud depuis 1997, encore aujourd'hui, la Coupe du Monde sera de construire coûte que coûte les stades organisée par deux pays. même si des mesures d'austérité doivent être prises. Accueillir l'évènement est un La Coupe du Monde, un accélérateur enjeu majeur pour les Coréens. À côté des du développement footballistique problèmes logistiques, il faut aussi se tourner L'organisation de la Coupe du Monde 2002 vers le sportif. acquise, le Japon et la Corée du Sud peuvent Le Japon a participé à sa première Coupe continuer de développer leur football local. du Monde en 1998 sans dépasser la phase Le milieu des années 1990 marque le début de poule. La JFA se tourne alors vers un de la domination continentale des clubs sud- entraîneur français, qui coréens avec plusieurs succès en Coupe est en charge de bâtir une équipe capable de d'Asie des clubs champions (aujourd'hui sortir des poules en 2002. Le Japon est en

60 bonne voie, puisqu'il remporte la Coupe millions de Sud-Coréens ont vibré pour leur d'Asie 2000 et s'incline en finale de la Coupe équipe et sont sortis dans les rues pour des Confédérations face à la France en 2001. soutenir les Guerriers Taeguk. Une nouvelle Les Samurai Blue se dirigent droit vers leur vague de supporters a vu le jour, que certains Coupe du Monde en pleine confiance, avec ont appelé « La Génération Coupe du et comme têtes Monde ». Le pays et la nouvelle génération d'affiche mondiales de l'équipe alors que de footballeurs se sont trouvé une nouvelle est une star locale. Bien idole : après Cha Bum-keun dans les années que de nouveau qualifiés à la Coupe du Monde quatre-vingts, place à Park Ji-sung. Tout en 1998, les Sud-Coréens ne remportent était réuni pour que le football s'installe toujours pas le moindre match. Après une durablement dans le paysage sportif des troisième place en Coupe d'Asie 2000, la KFA deux pays. cherche un entraîneur étranger de renom Le J.League maintient l'engouement, capable de faire gagner les Guerriers Taeguk la K League subit un désamour à la Coupe du Monde 2002. Aimé Jacquet est approché mais ne donne pas suite à la La Coupe du Monde 2002 a été un véritable proposition à la différence de , succès populaire et économique que ce dont la réputation n'est plus à faire. Si soit en Corée du Sud ou Japon. Au pays Philippe Troussier obtient de bons résultats du soleil levant, le football a continué de au Japon et donc le soutien des supporters, faire son trou au point de devenir un des ce n'est pas le cas de Guus Hiddink qui doit sports majeurs de l'archipel, toujours faire face à de nombreuses critiques dès ses concurrencé par le baseball. Chaque week- débuts, notamment après la déroute de la end, la grande majorité des stades sont Corée du Sud face à la République Tchèque et pleins, les taux de remplissage sont très la France sur le même score de 5-0. La Corée bons. Économiquement, la J.League se du Sud ne sort pas de son groupe à la Coupe développe admirablement bien et est l'un des Confédérations et termine quatrième de des championnats les plus forts du continent la Gold Cup 2002 aux États-Unis sans avoir asiatique. La sélection a poursuivi sur sa gagné le moindre match. La peur d'une sortie lancée en étant toujours qualifiée pour les de route à la Coupe du Monde commence à Coupes du Monde suivantes. Toutefois, elle naître au pays. n'est sortie qu'une seule fois des groupes, en 2010. Sur la scène continentale, le Japon a Pourtant, le Mondial 2002 sera une réussite rajouté deux nouveaux titres à son palmarès totale pour la Corée du Sud qui termine (2004 et 2011) pour devenir la sélection la quatrième en écartant des nations comme plus titrée d'Asie. l'Italie, le Portugal et l'Espagne. Le Japon y va aussi de son petit exploit en remplissant En revanche en Corée du Sud, le soufflet est son objectif. Les Samuraï Blue sont sortis vite retombé. Si l'après Coupe du Monde fut premiers de leur groupe composé de la bénéfique pour laK League, les Sud-Coréens Belgique, de la Russie et de la Tunisie avant se sont progressivement désintéressés d'être éliminés par la Turquie, futur troisième, des clubs locaux. Semaine après semaine, en huitième de finale. Tout au long de son les stades se sont vidés pour atteindre une incroyable parcours, la Corée du Sud a pu affluence moyenne de 6 500 personnes en compter sur la ferveur de tout un pays. Des 2017 contre 15 000 en 2002. Les audiences

61 TV sont à un niveau très faible, parfois fut pas épargné, sa notoriété n'en a pas été doublées par les matchs de NFL. La situation très impactée. En revanche, la K League a est critique. Même le Super Match entre le FC terriblement souffert d'un très gros scandale Seoul et Suwon Samsung Bluewings, la plus de matchs truqués en 2011. Cinquante grande rivalité du football coréen, n'attire personnes (joueurs et entraîneurs) ont été plus autant de personnes que par le passé. arrêtés et certains envoyés en prison, la FIFA Bilan, les stades immenses construits pour a suspendu quarant et un footballeurs sud- la Coupe du Monde sonnent creux et coûtent coréens et malheureusement, deux d'entre énormément aux clubs. Par exemple, le eux se sont suicidés : Yoon Ki-won le gardien Seoul World Cup Stadium d'une capacité de de but d'Incheon United et Jung Jong-kwan 66000 places n'attire en moyenne que 16 000 du Seoul United. Les supporters ont perdu personnes par match du FC Seoul. Il a été confiance en leur championnat et entre 2011 partiellement reconverti en centre commercial et 2012, l'affluence moyenne dans les stades et en cinéma. Gwangju et Daegu, tous deux dotés d'un stade construit pour la Coupe du CORÉE DU SUD 2002 Monde, ont déjà prévu d'abandonner leur enceinte trop grande pour une plus petite, Phase de poule en cours de construction. Toutefois, les clubs sud-coréens ne connaissent pas une Corée du Sud 2 – 0 Pologne crise de niveau sportif puisque sur la scène Hwang Sun-hong 26e continentale, ils continuent d'engranger les Yoo Sang-chul 53e succès avec cinq Ligues des Champions asiatique remportées en seize ans et trois Corée du Sud 1 – 1 États-Unis finales perdues. Ce n'est donc pas du côté du Ahn Jung-hwan 78e Clint Mathis 24e niveau de jeu qu'il faut chercher les raisons à ce désamour du football de club en Corée Corée du Sud 1 – 0 Portugal du Sud. Park Ji-sung 70e La première d'entre elles est la terrible Huitième de finale concurrence du baseball qui continue d'attirer de plus en plus de Sud-Coréens Corée du Sud 2 – 1 Italie dans les stades. En 2017, quand la K League Seol Ki-hyeon 88e Christian Vieri 18e atteignait le faible niveau de 6 500 personnes Ahn Jung-hwan 117e par match en moyenne, la Korean Baseball Organisation (KBO) en attirait 11 600, un record alors que les stades de baseball sont Quart de finale plus petits que ceux de football. Il est même Corée du Sud 0 – 0 Espagne (5-3 aux tirs au but) arrivé parfois que des matchs très importants de football ne soient pas diffusés en direct au profit d'un match de baseball. La KBO est Demi-finale devenue la ligue la plus lucrative du pays et Corée du Sud 0 – 1 Allemagne le baseball le sport numéro un. La seconde Michael Ballack 75e raison est la corruption qui couve dans le football sud-coréen. Même si le baseball ne Match pour la troisième place

Corée du Sud 2 – 3 Turquie Lee Eul-yong 9e Hakan Şükü 1e Song Chong-gug 90+3e İlhan Mansız 13e, 32e a diminué de 40%. La K League n'a pas eu le nationale y parvient sans trop de problèmes. temps de se relever puisque lors de la saison La fibre patriotique, très présente en Asie, 2013 c'est le club de Gyeongnam FC qui a n'épargne pas la Corée du Sud. La Coupe du tenté d'acheter des arbitres pour se maintenir. Monde des moins de 20 ans qui s'est déroulée En 2016, le grand Jeonbuk est lui aussi en 2017 en Corée du Sud en a été le témoin. éclaboussé par une affaire de corruption Les matchs de la sélection sud-coréenne remontant aussi à 2013. La K League en a ont attiré de nombreuses personnes à rendre conscience, il faudra du temps pour que jaloux les clubs de K League. La KFA a bien la confiance des supporters revienne, tenté de surfer sur la vague pour relancer l'instauration de la vidéo dès juillet 2017 l'intérêt autour du football, mais sans succès. est un premier pas vers un football propre Malgré le manque de réussite de la sélection en Corée du Sud. Parmi les autres raisons, sud-coréenne, les supporters sont toujours on pourrait mettre en avant la concurrence présents pour soutenir les Guerriers Taeguk des ligues étrangères, notamment de la et leur pays. , où a évolué Park Ji-sung et CORÉE DU SUD 2002 Voulue de part et d’autre pour développer où joue actuellement la nouvelle star sud- le football, la Coupe du Monde 2002 n’a coréenne Son Heung-min, et de la Ligue des Phase de poule pas laissé le même héritage aux deux pays. Champions. Si les matchs se déroulent la Le Japon a atteint son objectif en en tirant nuit pour le continent asiatique, les chaines Corée du Sud 2 – 0 Pologne pleinement profit pour asseoir un peu plus le sud-coréennes n'hésitent pas à rediffuser les Hwang Sun-hong 26e football localement. La Corée du Sud avait rencontres la journée pour attirer du public. Yoo Sang-chul 53e les mêmes ambitions, exprimées bien plus Sur le plan économique, les clubs de K League fortement, mais n’a atteint son objectif qu’à Corée du Sud 1 – 1 États-Unis ne sont pas très puissants comparés à leur moitié : la passion pour la sélection nationale Ahn Jung-hwan 78e Clint Mathis 24e voisin chinois et japonais. Deux types de est restée, tout comme les stades vides et le clubs existent aujourd'hui : ceux appartenant manque d’engouement pour le football de Corée du Sud 1 – 0 Portugal aux villes et ceux appartenant à des grandes clubs. Park Ji-sung 70e entreprises. Ils voient le football comme un Baptiste Mourigal moyen de faire de la publicité pour leur ville Huitième de finale ou leur marque. Les sponsors ne sont pas très variés : une ville risque de sponsoriser JAPON 2002 Corée du Sud 2 – 1 Italie elle-même son équipe (l'aéroport d'Incheon Seol Ki-hyeon 88e Christian Vieri 18e Ahn Jung-hwan 117e sponsorise l'équipe d'Incheon par exemple) Phase de poule alors qu'une entreprise mettra en avant sa marque sur le maillot de son club (comme Japon 2 – 2 Belgique Quart de finale Samsung avec les Suwon Bluewings). Avec Takayuki Suzuki 59e Marc Wilmots 57e des droits TV faibles (contrat de cinq millions Jun'ichi Inamoto 67e Peter Van Der Heyden 75e Corée du Sud 0 – 0 Espagne (5-3 aux tirs au but) de dollars) et des sponsors qui ne rapportent pas grand-chose, les clubs de K League ont Japon 1 – 0 Russie Demi-finale très peu de rentrées d'argent. Il n'est donc pas Jun'ichi Inamoto 51e rare de voir les meilleurs joueurs s'envoler Corée du Sud 0 – 1 Allemagne vers le Japon, la Chine ou encore le Moyen- Japon 2 – 0 Tunisie Michael Ballack 75e Orient. En revanche, si les clubs de K League Hiroaki Morishima 48e peinent à susciter l'engouement, la sélection Hidetoshi Nakata 75e Match pour la troisième place Huitième de finale Corée du Sud 2 – 3 Turquie Lee Eul-yong 9e Hakan Şükü 1e 63 Japon 0 – 1 Turquie Song Chong-gug 90+3e İlhan Mansız 13e, 32e Ümit Davala 12e 04 TP MAZEMBE : « IL NE SUFFIT PLUS D’ÊTRE UN BON JOUEUR » La formation africaine est souvent mise en avant au travers des joueurs qu’elle réussit à envoyer en Europe. Pourtant, elle n’a pas vocation ex- clusive de remplir à tout prix les effectifs des clubs européens, elle est aussi un moyen d’occuper la jeunesse, de la distraire, et de l’éduquer. Suffisant pour motiver des hommes à se lancer dans ce milieu à la réus- site aussi aléatoire qu’elle peut transformer une vie.

our en prendre conscience, nous comment tu es arrivé là ? prenons la direction de Lubumbashi Johan Curbilie : J’ai un parcours un peu en République Démocratique du P atypique. À la base, j’ai fait un master Congo (RDC), où nous accueillent Johan de psychologie, puis j’ai travaillé comme Curbilie et Régis Laguesse*. Ils ont pris le psychologue à l’ASE (NDLR: Aide Sociale à temps de nous parler du centre de formation l’Enfance). En parallèle, j’ai entraîné à l’école dont ils s’occupent : la KFA (Katumbi Football de foot dans mon club de jeunesse à Paris, Academy). Ce n’est ni plus ni moins que le le PUC à Charléty, où j’ai passé mes premiers centre de formation du TP Mazembe, un club diplômes d’éducateur et les premiers fondé en 1939 à Lubumbashi dans le Sud échelons de la FFF. J’ai plus un parcours de l’immense RDC, proche de la frontière d’encadreur au sens large que j’ai croisé zambienne et dans une région assise avec le foot. sur de nombreuses ressources minières. Moïse Katumbi, un homme d’affaires et un L’opportunité d’aller en Afrique s’est personnage politique de premier plan, a repris présentée avec un autre éducateur du PUC la présidence du club en 2001, le conduisant qui avait pour projet d’ouvrir une structure à avec succès dans l’ère professionnelle. Abidjan. Il avait besoin d’un profil un peu plus Avant de briller de nouveau depuis la fin des transversal pour lancer la structure, gérer années 2000 (Ligue des Champions 2009, les finances, trouver un terrain, sélectionner 2010 et 2015, Coupe de la Confédération des jeunes, etc... J’ai travaillé un an et demi 2016 et 2017), les Corbeaux avaient déjà à Abidjan. Le projet a dû s’arrêter suite au conquis deux Ligues des Champions en conflit lié à la présidentielle qui a opposé 1967 et 1968. Gbagbo à Ouattara (NDLR : un conflit qui a fait flirter la Côte d’Ivoire avec la guerre civile Avant de se plonger dans le vif du sujet, peux- en fin d’année 2010). L’activité devenait tu te présenter brièvement et nous expliquer vraiment très compliquée étant donné que

* Propos recueillis par Pierre-Marie Gosselin 65 j’étais à Yopougon, dans un quartier où il y Avant de nous plonger plus en détail sur avait très peu d’expatriés, pour ne pas dire la formation au TP Mazembe, à Lucarne aucun. Un coin populaire avec énormément Opposée, on aime bien replacer le contexte, de talents, mais avec peu d’infrastructures... surtout quand il s’agit d’un continent où les On a tenu le plus longtemps possible, mais clichés ont la vie dure. Peux-tu nous présenter à un moment donné, pour des raisons de un peu le contexte du football africain ? sécurité, on a dû arrêter et moi rentrer. Cette Même si on ne peut pas généraliser, quelle aventure avortée m’a néanmoins permis de est la journée type pour un gamin passionné rencontrer des personnes qui ont des projets de foot, avec qui joue-t-il, où joue-t-il ? de formation sur le continent. C’est difficile à définir, c’est tellement vaste. J’ai pu rebondir sur un autre projet qui était Je pense qu’on ne peut comprendre et s’en en République du Congo avec un ancien rendre compte qu’en étant sur place. Après joueur franco-ivoirien qui avait toujours en on peut essayer de mettre des mots dessus. tête de faire quelque chose avec les jeunes Déjà, il faut faire abstraction de tout ce que talents africains. J’ai donc passé deux ans l’on connaît dans les pays occidentaux et les à Brazzaville dans une autre structure de pays plus développés. Il y a très peu de clubs formation. structurés avec des catégories d’âge. Du Des projets assez similaires finalement... coup, la plupart des jeunes vont à l’école soit le matin, soit l’après-midi, et le temps libre, Oui, avec à chaque fois une personne aux ils le passent souvent à taper dans un ballon moyens modestes, mais qui cherchait des dans leur quartier, à jouer avec la famille et les soutiens auprès d’associés croyant en ses voisins. Enfin, avec ce qu’on pourrait parfois projets, malgré les difficultés du terrain. Car appeler un ballon... lequel est plus souvent il y a peu d’aides, peu d’infrastructures... semi-crevé, ou fait de matériaux composites. Et le TP Mazembe ? Tu as traversé le fleuve J’ai traversé plus d’une quinzaine de pays depuis Brazzaville ? d’Afrique du Nord au Sud, et que ce soit sur les places, dans les ruelles, que ce soit sur de Oui, c’est à Brazzaville que j’ai fait une la terre ou du sable, plus ou moins caillouteux, rencontre qui a déclenché ma venue en RDC. on retrouve toujours la même particularité : il Un de mes dirigeants de l’époque m’avait n’y a pas d’aire de jeu définie avec des lignes, mis en contact avec Régis Laguesse qui des drapeaux. C’est du football de rue. Il y a séjournait au pays. Je l’ai reçu à la maison et beaucoup d’entraineurs qui se nomment ou on a passé une semaine à parler de football que l’on nomme « coach » à tort ou à raison. sur les terrasses des maquis. Il est venu voir On retrouve des gens de bonne volonté le travail que je faisais avec mes jeunes de qui ont un petit peu de compétences et de Brazza, sur des terrains de fortune, avec des connaissances, mais il y a aussi des gens qui conditions acceptables, mais vraiment loin en ont très peu et qui se targuent d’en avoir. de ce que sera le TP Mazembe. Quand il a été nommé directeur de la KFA, qui n’existait On retrouve partout la même manière de pas encore, il a pensé à moi pour le côté jouer ? psychologie-éducatif-encadrement, afin Non, il y a des particularités en fonction des d'occuper le rôle de responsable du pôle pays et des régions. En Afrique de l’Ouest, il y pédagogique, et encadrer la vie scolaire. a le Maracanã : on joue avec des tous petits

66 poteaux d’un mètre, avec un joueur devant Elle est très présente et investie. Elle tient comme un gardien de hockey, on peut jouer absolument à l’éducation, à l’instruction, 1h30 sans quasiment voir un but ! Au Maroc à l’encadrement qu’on donne à ces jeunes et au Maghreb, il y a des foots sur la plage. sportifs pour qu’ils soient éveillés, éduqués, Comme le ballon ne rebondit pas beaucoup, qu’ils aient une formation complète. Elle ne les jeunes jouent beaucoup avec la semelle. rate aucun rendez-vous important, et sa Au Cameroun, il y a des terrains vagues plus porte est toujours ouverte pour nous aider à grands où on joue à onze. Il y a beaucoup de avancer et à garder le cap. duels aériens parce que la surface ne permet Justement, en parlant de « cap », est-ce que pas que le ballon soit au sol. C’est très vous avez suivi un « modèle » ou êtes-vous athlétique, on dégage beaucoup les ballons... partis d’une feuille blanche ? Chacun joue à sa manière, évidemment, mais on retrouve partout la difficulté de ne pas Régis ne s’en est jamais caché, nous à avoir un terrain plat, déjà. Mazembe, c’est la méthode Guillou. À l’époque, Régis et Jean-Marc (Guillou) Régis Laguesse : En RDC, un pays qui est travaillaient ensemble à la MimoSifcom de grand comme cinq fois la France, il y a l’ASEC d’Abidjan. Il a toujours dit qu’il suivait cinq terrains corrects. Autant que dans ma cette méthode pour la simple et bonne raison commune de 3 000 habitants en France... qu’il en a vu les résultats, et qu’ils étaient Quelles étaient les ambitions du président tout simplement extraordinaires, au niveau au moment de lancer l’académie ? du taux de réussite, comme des carrières professionnelles réalisées par les athlètes La professionnalisation du football fait ivoiriens de l’époque (, Yaya Touré, qu’aujourd’hui, il ne suffit plus d’être un bon Aruna Dindane, Kolo Touré, Emmanuel Eboué, joueur de football, mais il faut s’intégrer dans Didier Zokora, Copa Barry...). un collectif, dans une institution. Il y a des règles de plus en plus complexes et difficiles Vous pouvez nous en dire un peu plus sur ce à suivre, avec des interviews systématiques, concept ? des sponsors, etc... Le concept Jean-Marc Guillou est axé sur la Le président Moïse Katumbi et son épouse maitrise du ballon et du corps. Le ballon est au Carine, qui est la présidente de la KFA, avaient centre de l’apprentissage. Avec une période comme premier souhait d’avoir des joueurs pieds nus pour travailler la coordination et la instruits. Le projet était donc de former finesse technique. Avec des paliers de niveau des joueurs, mais avant tout des hommes. à franchir à travers des exercices difficiles, Des joueurs qui n’ont pas seulement une mais qui permettent aussi de travailler le formation sportive, mais aussi une formation mental et la volonté, de voir comment réagit scolaire. Le TP Mazembe avait besoin de le gamin face à la difficulté. En définitive, on nouveaux profils de joueurs, et ça devait doit avoir des joueurs qui ont une maîtrise passer par une formation au sens large. parfaite du ballon avant de rentrer dans des considérations tactiques ou athlétiques qui Comment se traduit la présence de Mme viennent ensuite. Katumbi ? Ce n’est pas très commun d’avoir une femme impliquée dans le football, et Régis Laguesse : C’est la caractéristique de encore moins dans la formation ! Jean-Marc Guillou, qui était le joueur le plus

67 technique du football français. C’était un précipiter, ils ont un challenge magnifique joueur extraordinaire (NDLR : joueur de au TP Mazembe avec la conquête d’un 1966 à 1983 à Angers, Nice, Neuchâtel, et titre continental. Par exemple, Arsène Zola Mulhouse). Il a développé ce côté-là, et on (40 matchs), qui a remporté la Coupe de la se rend compte qu’en jouant techniquement, Confédération l’an dernier, et Glody Likonza intelligemment, collectivement, n’importe (29 matchs) enchaînent les matchs de Ligue quelle équipe peut jouer contre n’importe des Champions cette année. C’est important quelle autre. Il n’y a plus de question de pour le club de briller sur le continent et, poids, de stature, de joueurs costauds. Tous en aidant les pros, c’est la contrepartie de les pays qui ont des profils de joueurs à la l’investissement qu’a fait le club en prenant morphologie naturelle « plus chétive », même en charge 100% de leur formation depuis si tout cela est relatif, favorisent le football qu’ils ont 13/14 ans (NDLR: sans aucune rapide et technique, parce que c’est le seul aide publique, ni subvention). Avant de partir, moyen de lutter contre des joueurs de 1m90. pourquoi pas... Mais chaque chose en son temps, sans brûler les étapes. Le TP Mazembe est un club qui brille sur le continent depuis les débuts de la Ligue des Il doit y avoir pas mal de gens qui tournent Champions dans les années 60. C’est un club autour d’eux en espérant gagner quelque qui a une grande histoire. Ils sont conscients chose sur leur dos ? de cela ? Oui bien sûr, ces joueurs font l’objet de Je pense qu’ils ont conscience d’être dans nombreuses convoitises. D’agents sérieux un club de très haut niveau en Afrique. Pour et reconnus, tout comme des « managers » autant, ça ne les empêche pas d’avoir ce rêve qui ne sont pas forcément recommandables d’Europe qu’il est difficile de leur enlever. pour leur progression. Mais de toute façon, la volonté du président On a un énorme travail de sensibilisation à et de la présidente a toujours été de former faire, au quotidien. C’est un message qu’on des joueurs congolais pour Mazembe et pour martèle, mais pas que pour les agents, la sélection nationale. On a pu être sollicité à aussi pour la famille au sens très large, qui travers des tournois internationaux, par des a parfois un côté intéressé. Les enfants agents importants, par des grands clubs, représentent une manne financière pas mais on a toujours décliné les offres. On a forcément réelle, mais espérée. Il s’agit de toujours tenu la barre. C’est une fierté d’avoir pouvoir dégager les joueurs d’une certaine une telle mission. De toute façon un joueur pression. De les protéger, mais pas protéger de moins de 18 ans ne peut pas sortir de son comme des enfants, de les informer, de continent. les former pour qu’ils puissent ensuite Après, si certains joueurs ne se rendent pas se protéger eux-mêmes. Qu’ils soient bien compte de la chance immense qu’ils conscients et lucides des attentes du monde ont, c’est notre devoir au quotidien de leur professionnel ou même amateur, qu’ils aient rappeler. L’identité du club, l’immensité de les bons réflexes et qu’ils ne s’écartent pas son histoire, les nombreux champions qui du chemin que nous leur conseillons en ont porté ce maillot. Puis ça fait partie de évitant les embûches et les pièges que l’on leur formation de jouer sous le maillot de peut anticiper grâce à notre expérience. Par l’équipe fanion. Ils n’ont pas à vouloir se exemple, on a des discussions au travers de

68 films, de documentaires. Dernièrement, on a Les jeunes travaillent-ils aussi bien sur le été voir « Les rayures du zèbre », qui présente terrain que dans la salle de classe ? les relations parfois complexes et intéressées Pour nous, l’important c’est que les efforts entre certains « agents » et joueurs. soient faits. Comme on a des joueurs qui Régis Laguesse : Le football est une porte de sont recrutés pour leur niveau sportif, ils sortie pour eux et pour leur famille. J’ai fait peuvent arriver avec des niveaux scolaires signer Gervinho chez lui, assis par terre autour extrêmement variables. Compte tenu des d’une demi-table. La famille Touré était dans difficultés de scolarité dans le pays ou de les mêmes conditions. Aujourd’hui, ce sont compréhension de la langue française par des joueurs qui font vivre des milliers de exemple. En arrivant, certains ne parlent personnes. Yaya Touré est même devenu un que leur langue maternelle, ils ne sont ambassadeur de l’UNICEF. Mais socialement pas alphabétisés au niveau du français. parlant c’est intéressant, c’est même plutôt L’important, c’est qu’ils fassent des efforts une porte d’entrée. C’est pour cela que j’aime et qu’ils progressent. ce métier. Il y a quelques années, vous avez fait parler Et les relations avec les parents ? de vous d’une manière incroyablement originale avec des défis sportifs qui ont On essaie de trouver un équilibre sur la conduit vos jeunes à marcher sur le chemin relation avec les parents. Ce sont des jeunes de Saint-Jacques ou à escalader le Mont joueurs, donc ils ont besoin d’avoir des liens Blanc. Peux-tu nous en dire un peu plus ? et des relations avec leur famille. Pour avoir une sérénité et une tranquillité psychique et L’idée, c’était de proposer des défis humains. émotionnelle, pour pouvoir continuer leur Par contre, ils n’ont pas marché sur le progression sans avoir de difficultés. On fait chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, venir les parents deux fois par an, comme le mais sur notre chemin de Saint-Jacques à ferait une école classique, pour faire un bilan nous ! À savoir partir d’Angers, qui est le club sur le plan comportemental, sportif, scolaire, de référence de Régis, jusqu’au Santiago suivre l’évolution des jeunes. On le fait de Bernabéu, où ils ont été reçus par le Real manière chaleureuse pour essayer de créer Madrid qui venait de remporter sa Decima. un lien petit à petit. Une récompense pour les deux jeunes qui étaient les plus méritants à ce moment-là. Pour autant, le reste du temps, on essaie de Pas forcément les meilleurs, mais ceux qui garder les enfants à distance des familles. se distinguaient dans leur comportement au Pour la concentration, pour qu’ils ne soient quotidien. Ils auraient pu être plus nombreux, pas parasités par les problématiques qui mais il fallait en sélectionner deux pour peuvent intervenir au sein de leur famille chaque défi. pendant leur formation de footballeur. Qu’ils aient la tête dégagée pour pouvoir se L’objectif, c’était aussi de leur montrer que concentrer sur une formation exigeante, qui pour réussir, il fallait pouvoir repousser ses demande beaucoup de travail. limites. Sur leur parcours, ils avaient des montagnes. Il fallait leur montrer que tout est Revenons un peu sur l’aspect éducatif. possible à partir du moment où ils se fixent Comment ça se passe quand la scolarité est un objectif et se donnent les moyens de intégrée pleinement au cœur de la formation? l'atteindre. Avec du mental, de la préparation,

69 de l’intelligence. pelouse synthétique ? Et puis, à travers le récit qu’ont fait ces deux Un est en pelouse synthétique et l’autre est jeunes à l’extérieur, c’était aussi une manière en gazon naturel. de montrer à ceux qui étaient restés au Congo Vous pouvez être confrontés à plusieurs le fonctionnement à l’extérieur de leur propre types de surface, terre, sable, synthétique, pays, pour qu’ils comprennent les réalités gazon... Est-ce que c’est un problème dans du monde occidental. Qu’ils comprennent la formation des jeunes ? qu’il y a des sociétés qui sont organisées différemment, qu’il y a des règles, de la C’est une question qui est assez récurrente. discipline. Ces fonctionnements, ils doivent Mais pour répondre, je vais prendre des les intégrer et les comprendre pour pouvoir exemples concrets. Nous, on s’entraine réussir leur carrière. systématiquement sur synthétique. Alors quand on est partis jouer un tournoi à Ils peuvent avoir tout le talent voulu, s’ils Oslo, les joueurs n’avaient jamais joué arrivent dans un club en Europe et qu’ils n’ont sur du gazon naturel, ils n’avaient jamais pas les codes culturels, de communication, joué avec des crampons vissés. Ils se sont du fonctionnement, ils auront énormément extrêmement bien adaptés, sans avoir eu de mal à faire une carrière pro. Il y a beaucoup des entraînements préalables. Les bons de joueurs qui sont passés à côté à cause de résultats ont été immédiats. Je peux vous ce problème d’adaptation. citer l’exemple de Glody Likonza. Il a joué On l'a évoqué au début de l’interview, les son premier match chez les pros sur un infrastructures sont une problématique terrain en sable... Il a mis un doublé. Ça peut importante sur le continent. Comment vous paraître parfois inquiétant théoriquement, situez-vous au TP Mazembe ? mais bon, les exemples nous montrent qu’à partir du moment où le joueur est bien Depuis que nous sommes arrivés il y a six formé techniquement, il s’adapte à toutes ans, on s’entraine dans le stade de 18 000 les surfaces. Évidemment, comme tout places du TP Mazembe qui dispose d’une passionné de football, l’idéal est d’avoir pelouse synthétique, d’une clinique très bien quand même un excellent terrain pour jouer. équipée, de salles de conférence, de loges... Mais un très bon joueur est capable de rester Tout ce qu’il y a de plus moderne pour un pro et de s’adapter très vite sur n’importe stade de foot. En dehors de ça, le président quelle surface. Katumbi a voulu avoir un complexe pour le centre de formation totalement autonome et Comment est-ce que vous gérez l’absence indépendant. Il est sorti de terre il y a deux de championnat pour les jeunes ? ans. C’est un centre d’une capacité d’accueil La méthode qui était utilisée à la de quatre-vingts personnes, avec deux MimoSifcom avec Jean-Marc Guillou, c’était terrains, des dortoirs, des salles de classe, avec des matchs amicaux. Par exemple, un réfectoire, une piscine, et tout ce qu’il faut ils demandaient aux réservistes des pros pour fonctionner. Le TP Mazembe dispose qui jouaient la Ligue des Champions de aujourd’hui d’infrastructures dignes des plus jouer contre les jeunes. Ensuite, pour grands clubs. pouvoir quand même offrir un peu plus de Vos nouveaux terrains sont également en compétitions, on a opté pour la deuxième

70 division senior, dans laquelle on aligne une Ça repose sur des partenariats différents équipe avec énormément de joueurs qui en fonction des cas. Il y a sûrement de sont sur-catégorisés, souvent entre 16 et très bonnes choses, avec des échanges de 18 ans, lorsqu’ils sont en fin de leur cycle compétences qui sont intéressants. D’une de formation. On a fait ça pendant trois ou manière globale, ce n’est pas seulement quatre saisons. L’avantage, c’est que les le lien Afrique-Europe, c’est un échange joueurs sont amenés à un défi athlétique mondial. Il faut être sûr que les échanges important. Le désavantage, c’est que ce sont soient sur des rapports gagnant-gagnant. souvent des oppositions rudes, physiques et Que les structures africaines qui font les qui ne correspondent pas aux qualités qu’ont partenariats aient les justes retombées nos joueurs. Des qualités techniques, de auxquelles elles devraient avoir droit si elles vitesse, de percussion, comme on pourrait le font le choix du travail de la formation. Pour voir dans un championnat relevé U17 ou U19 que les joueurs soient bien encadrés, qu’on en France. respecte le temps de la formation, et que l’on partage égalitairement le fruit de la formation Il y a d’autres centres autour de vous contre avec le continent. qui vous pouvez vous mesurer et qui vous offrent une concurrence ? Il y a quelques années, Willy Sagnol a suscité la polémique en parlant du « joueur typique Malheureusement à l’heure actuelle, aucun... africain », à Mazembe vous retrouvez une L’autre grand club du pays, l’AS Vita Club, avec forme de joueur typique ? à sa tête Florent Ibenge, qui est également sélectionneur des Léopards, fait un très À notre niveau, on a des profils extrêmement bon travail. Ils ont une réflexion autour de différents. Dans notre recrutement, on la formation, ils ont débuté quelque chose. s’attache avant tout à chercher le talent, Après, c’est le rôle de Mazembe de montrer l’intelligence de jeu, la compréhension l’exemple et de tirer le football congolais vers des déplacements, la vision, les courses le haut. Plus il y aura de clubs structurés et la technique. On se rend compte au avec des équipes de jeunes dans des centres fur et à mesure qu’on a des joueurs aux de formation, meilleur ce sera pour l’équipe profils morphologiques et athlétiques très nationale et la progression de l’ensemble différents. Je ne pense pas qu’il y ait un profil des joueurs. stéréotypé. Régis Laguesse : L’avantage de cette absence Régis Laguesse : Vous pouvez travailler et de centres, c’est que ça nous permet, en donner des moyens physiques aux joueurs, cherchant bien, d’avoir les meilleurs. Après, mais le talent c’est inné, vous l’avez ou vous il faut avoir l’œil pour trouver les meilleurs et ne l’avez pas. Il est plus facile d’avoir du talent savoir ce que l’on appelle « le meilleur ». et de travailler l’endurance et le physique. Le talent tout seul ne suffit pas parce qu’il Au-delà des frontières de la RDC, de nombreux faut de la volonté, mais la volonté sans clubs français investissent dans la formation talent n’aidera pas. Ça fait des besogneux. (Génération Foot-FC Metz, AS Dakar Sacré- De temps en temps, il y en a un qui devient Cœur-OL, etc…), est-ce la nouvelle tendance suffisamment adroit et qui peut faire une de la formation en Afrique? carrière, mais... Ce ne sont pas souvent les mêmes modèles.

71 Comment perçois-tu la problématique liée partir du moment où on joue avec un jeu de à la triche sur l’âge des joueurs, qui est possession de balle, ça permet à un plus finalement un phénomène global lié au sport grand nombre de joueurs de toucher la balle. en Afrique sub-saharienne ? Mais tout le monde ne se retrouve pas dans les mêmes philosophies. Après, on doit Je ne vais pas parler des autres, mais je s’adapter à l’endroit dans lequel on évolue. vais parler de nous. Déjà, pour combattre Non pas que le jeu change, mais l’important cela, le meilleur moyen est de faire une vraie c’est la culture. On travaille en Afrique, ça formation avec de la préformation avant. À implique de pouvoir comprendre ce qu’il se partir du moment où l'on prend un joueur tôt passe. et qu’on le suit depuis le départ... Nous, on a des photos des joueurs d’il y a sept ans, Régis Laguesse : Il y a plusieurs positions quand ils ont intégré le centre, ce sont des pour les techniciens européens en Afrique. La enfants dessus ! Il faut les prendre jeunes pour plupart viennent pour diriger les sélections avoir leur vrai âge et ne pas avoir un joueur nationales. Au début, souvent parce qu’ils qui rabote son âge pour ne pas dépasser la ne trouvent pas de place ailleurs, rarement barre fatidique des 22-23 ans. Après, c’est un parce que c’est une vocation de venir en problème qui persiste dans certains tournois Afrique. Ils vont appuyer sur le résultat dans et dans certaines catégories de certains les coupes africaines. Parfois avec des championnats, et qui fausse les résultats. réussites pour jouer la Coupe du Monde. C’est d’abord le travail des fédérations de Je pense au regretté qui avait réguler un peu tout ça. C’est aussi celui des créé une excellente relation avec les joueurs encadreurs, des formateurs, des présidents sénégalais. Mais tout ça ne fait pas évoluer de clubs, de ne pas s’affoler aux premières le football dans le pays. contre-performances de leurs équipes de À mon avis, le seul qui a vraiment eu une jeunes. L’important, c’est de regarder le importance énorme dans la formation, c’est contenu de la progression des jeunes et ne Jean-Marc Guillou. Mais parce qu’il y est allé pas juger au travers de performances dans avec une idée technique, une idée de faire de les tournois qui peuvent être provoquées par la formation. Il a obtenu un pourcentage de des décalages un petit peu étranges. Il faut réussite inconnu même dans les centres de miser sur le long terme et ne pas s’arrêter à formation les plus performants en Europe la première déconvenue. ou en Amérique du Sud. La Côte d’Ivoire, qui Régis Laguesse : Pour des onze ans, il faut les n’avait jamais été à la Coupe du Monde, y a prendre à 30 kilos, c’est plus efficace comme été trois éditions de suite (NDLR : 2006, 2010 moyen de reconnaissance de jeunesse, mais et 2014). Il a reproduit le même schéma au ça modifie quand même la façon de jouer. et en Algérie. Nous qui reprenons les Si vous voulez faire du kick and rush, ça ne mêmes méthodes en RDC, on est dans les marche pas ! temps de passage avec à peu près les mêmes résultats. Après, ce qu’il est intéressant de Est-ce que les techniciens européens influent comprendre, c’est qu’il n’a pas transplanté sur la formation en Afrique ? un centre de formation français en Afrique. Il Le football reste un jeu universel. C’est plutôt a créé une pédagogie qu’il a pensée, cultivée la philosophie des clubs et de chaque centre et faite évoluer. Et c’est une méthode qui n’est de formation qui est importante. Nous, à pas applicable en France. Je ne connais pas

72 un pays européen où vous allez entrainer les autres, ce sera plutôt l’inverse. enfants sans chaussures pendant deux ans Pour finir, une dernière question qui peut sans avoir des plaintes des parents... c’est paraître étrange, mais que beaucoup doivent typiquement adapté pour l’Afrique. Le grand se poser de l’extérieur, est-ce que c’est un mystère, c’est pourquoi les autres pays avantage ou un inconvénient d’être un coach africains n’ont pas repris cette méthode. Ça blanc en Afrique ? me dépasse un peu. Après, il y a certainement eu de très bons travailleurs dans des centres Ni l’un ni l’autre, je pense que c’est comme en implantés par des clubs européens, mais ce Europe et comme dans toutes les professions. n’est pas comparable. L’important, c’est l’assise intérieure de la personne en face de vous. C’est ce qu’elle Jean-Marc Guillou a inspiré les formateurs transmet, ce qu’elle a à vous offrir. C’est une locaux, notamment en Côte d’Ivoire ? ouverture qui peut apporter aux personnes à Régis Laguesse : Oui, il a été influent à un qui elle a envie de transmettre. moment, parce que tout le monde a copié et a Régis Laguesse : Johan à raison, à terme ce voulu faire comme ça. Ça a permis la création qui compte, c’est la personne. Ceci dit, vous d’une quantité phénoménale d’académies, arrivez blanc en Afrique noire, vous dites «je ou du moins qui se font appeler comme ça ! suis entraineur, je suis ceci, je suis cela », tout Ça a permis à beaucoup de joueurs de sortir. le monde va venir vers vous. Forcément, ils Mais le problème qui se pose derrière, c’est se disent qu’il est blanc, donc il vient de là- de regrouper au maximum les meilleurs. bas et forcément ce sera le meilleur moyen Parce que les entrainements sont plus de pouvoir partir. Des escrocs, des gens intenses et plus forts, et les progrès sont qui font semblant de connaître et d’avoir du plus importants. Si vous avez vingt centres réseau, il y en a partout. Ceci dit, ça a une de formation avec un très bon dans chaque, durée assez courte. On voit des gens qui ce n’est pas le très bon qui va influencer les écument les pays mais qui n’y restent jamais très longtemps. Après, sans vouloir dire blanc ou noir, les gens qui arrivent d’Europe ont le sens de la rigueur. Le fameux adage, «vous avez l’heure, mais nous on a le temps », c’est totalement vrai. Et pour être footballeur, il faut tellement de rigueur, encore plus aujourd’hui. Ce qui fait la différence c’est l’aspect psychologique. Le joueur ne doit pas douter, il doit faire des efforts à longueur de temps sur son travail, sur son hygiène de vie, sur son repos. Et ça, j’ai l’impression qu’on n’y est plus habitué en Europe. Il faut l’avoir vécu pour le savoir. Ensuite, il faut se mettre dans les conditions de là-bas. Moi, j’ai la possibilité de voir cinquante matchs dans la semaine, mais quand je vais dans les quartiers, que je vais discuter avec les entraineurs : « T’as vu le match hier ? - Non, il n’y avait pas le courant, je n ’avais pas la chaîne ». C’est bêtement matérialiste, mais c’est la réalité. Il faut pouvoir suivre ce qui est novateur à droite ou à gauche, mais pour ça, il ne faut pas être privé de courant la moitié de la semaine. Quand on a la chance d’y avoir accès, il faut essayer de le transmettre. Moi j’ai vu des choses très intéressantes ce matin (NDLR : Régis Laguesse était à Angers au moment de l’entretien, le matin, il a assisté à un entrainement du SCO), et je n’ai qu’une hâte, c’est de retourner à Lubumbashi pour discuter avec les coaches et pour leur faire partager ce que j’ai vu. Je ne vais pas leur dire « voilà ce qu’il faut faire », parce que je sais que ce n’est pas possible, mais on va essayer de l’amener petit à petit...

Pierre-Marie Gosselin

74 05 AMÉRICA - CHIVAS AU CŒUR DU CLÁSICO NACIONAL Ce n’est pas celui qui propage le plus de haine, mais probablement celui qui génère le plus de discussions à travers le Mexique. América-Chivas, c’est LE grand Clásico au Mexique. Le Clásico nacional mexicain, n’est pas une rivalité sclérosée géographiquement. Le match peut faire parler dans le pueblo le plus reculé du pays. En Nahuatl, Zapotèque ou Mixtèque. À l’, lors du Clásico nacional, des milliers de supporters chivas viennent envahir les gradins. Pour un match haut en couleurs, dans l’un des stades les plus mythiques de l’histoire du football.

uelques stations de Tren ligero depuis esplanade, devant le Coloso ; près de 90 000 Tasqueña et le voilà. L’Azteca se gouttes d’eau dans cet océan de foot. Les Qdresse comme un colosse. Normal, supporters azulcremas font la queue pour se c’est son surnom : le « Coloso de Santa prendre en photo avec un aigle, symbole du Úrsula ». Appelé ainsi en raison de sa taille et club centenaire. Sur l’avenue, un millier de du quartier qu’il borde. Impressionnant, mais membres de la Monumental fait son arrivée peu clinquant, finalement. Son squelette depuis l’avenida Tlalpan ; ils entonnent, apparent, formé d’arcades et d’étages beuglent les chants à la gloire de leur équipe. réguliers laisse comprendre que l’Azteca ne Les yeux injectés de sang, les veines d’alcool. ment pas. Il exhibe à tout individu circulant Encerclés de policiers, ils font leur entrée sur l’avenida Tlalpan ce qu’il est : du béton dans l’enceinte. charnu et un corps gris. La séduction. Comme Histoire d’une rivalité une preuve qu’il donnera tout ce qui a été promis en amont. Du foot et du spectacle ; Mis à part ce troupeau déchaîné, peu de l’amour. d’animosité sur le parvis. Si ce Clásico attire les fans et attise les passions, les rivalités au Déjà, à deux heures du coup d’envoi de ce Mexique restent principalement épargnées Clásico nacional, des centaines de maillots par la violence, souvent présente en Amérique rojiblancos des Chivas de Guadalajara latine. Seul le Monterrey-Tigres a vu se mêlent aux tuniques couleur crème de récemment un hincha finir à l’hôpital. Début l’América : des aficionados de Guadalajara, septembre, un supporter des Rayados s’est il y en a dans tout le pays, surtout à retrouvé au milieu d’une bande d’hinchas où de nombreux Chivas vivent ici. Un du club de Gignac, avant d’être roué de Clásico, c’est toujours l’occasion pour la coups et d’être poignardé. Parfois l’Atlas- minorité de se montrer davantage. Alors, la Guadalajara lorsqu’il se joue au Jalisco… vague jaune et rouge dégueule sur la grande Mais généralement, les derbies se vivent

76 dans la passion et la fougue reste mesurée les supporters encensent lorsqu’elle brille et en terres aztèques. Étrange paradoxe, quand désertent lorsqu’elle peine à s’imposer. La les organisations non-gouvernementales deuxième ville qui tente d’exister face à la dressent un tableau horripilant de près de capitale. L’OM. De l’autre, le club riche, appuyé 200 000 morts en raison de l’insécurité et par une puissante chaîne de télévision, doté de la guerre contre le crime organisé qui se d’une aura internationale, une propension à déroule au Mexique depuis 2006. être haï de tous. Le club de la capitale d’un pays centralisé. Le PSG. D’ailleurs, l’América Les supporters cohabitent donc devant le en a fait sa spécialité, son slogan même. Coloso de Santa Úrsula. Certains sont venus «Ódiame más», soit «déteste moi davantage» en familles : il n’est pas rare de voir un gamin ou la volonté assumée de jouer le rôle du tombé amoureux du Chivas de Bofo Bautista méchant, la conscience de générer de la dans les années 2000 alors que son père haine, mais surtout d’être unique. À chaque a toujours été aficionado de l’América. Et Clásico nacional, c’est presque l’intégralité inversement. À Mexico, ville-monde où vont du Mexique qui est derrière les Chivas. Au et viennent des millions de Mexicains issus moins le temps d’une soirée. des trente-deux états de la république, le clubisme ne dépend pas des frontières des 87 000 aficionados délégations ou colonias. Les clubs ne sont La barra des Chivas est bien présente dans pas des institutions de quartier ; les fans le virage ; 10 000 visiteurs massés sous l’un des trois clubs de la capitale, Pumas, Cruz des deux écrans géants du stade. 10 000 en Azul et donc América se répartissent de plus de ceux qui parsèment déjà l’Azteca. manière inégale dans la mégalopole. Mais Difficile de dire leur nombre exact en réalité, aussi des supporters des Chivas. Un club puisque quelques poches de ces aficionados particulier, qui revendique sa «mexicanité» pullulent dans l’enceinte de Coapa. Un tiers jusque sur la pelouse, bien plus verte. «Puros du stade est rojiblanco. En place depuis mexicanos », soit « que des mexicains ». de longues minutes, ils s’accaparent les Au club, seuls le coach ou les dirigeants lieux et imposent l’ambiance. Peu à peu, peuvent être choisis avec un autre passeport ceux de l’América rappliquent, remplissant que celui du Mexique. Une décision qui progressivement le stade qui recevra s’est construite dans les années quarante finalement plus de 87 000 personnes pour et qui finalement, est en opposition avec la ce Clásico Nacional. Les supporters des dimension internationale de l’América. Les Chivas ne semblent pas préoccupés ni par Águilas ont décidé de recruter des Sud- l'infériorité, ni par la rencontre qui approche américains pour se placer en contradiction et qui paraît déséquilibrée : les absents sont avec le club de Guadalajara, lorsque les deux nombreux parmi les hommes de Saturnino clubs dominaient le championnat. Cardozo. Difficile de comparer deux entités aux Les blessures et les absents des Chivas contextes si différents. Mais si on devait amènent le coach paraguayen à aligner placer le Guadalajara-América face à deux jeunes canteranos au milieu : Beltrán une autre grande rivalité nationale, on lui et Cervantes. Le Piojo Herrera aussi doit trouverait des similitudes avec le OM-PSG. faire face à des blessures, celles de la pépite D’un côté une institution plus populaire, Diego Lainez et du Français Jérémy Ménez. sulfureuse, un stade unique, une équipe que

77 Le Français est absent pour plusieurs mois en 2018 chaotique, Guadalajara perçoit une raison d’une blessure au tibia-péroné. Mais lueur. Celle qui permet de se gargariser vu la dynamique actuelle, les Águilas sont d’une victoire importante alors que les favoris. Et l’América possède une attaque performances globales sont mauvaises : la létale, composée principalement de joueurs même que ressent l’AS Saint-Etienne lors sud-américains attestant du nom du Club d’une courte et rare victoire lors d’un derby América. Mais un Clásico, c’est forcément contre Lyon au sein d’une saison blanche, ou spécial et tient souvent ses promesses. la joie d’une victoire laziale face à la Roma Celles du spectacle et du suspense. Car lors d’une période noire. En plus de cette nombreux sont les derbies à avoir accouché gloire éphémère, le Rebaño a tout de même d’un score surprenant suite à un scénario l’opportunité de se replacer dans la course étrange. en Liguilla. De manière surprenante, ce sont les Ce sentiment est grand mais la peur aussi ; joueurs des Chivas qui prennent le bon elle habite les joueurs rojiblancos. L’América bout dans cette rencontre. Les joueurs de reprend les hostilités tandis que l’équipe Cardozo parviennent à couper les actions de Guadalajara se recroqueville sur le but americanistas, principalement l’œuvre de Raul Gudiño. Les changements du Piojo d’actions individuelles des joueurs offensifs: Herrera vont être importants. Sans faire de Renato Ibarra l’Équatorien ou Cecilio coaching spectaculaire ni tenter une tactique Domínguez le Paraguayen. Si l’América révolutionnaire, il remplace Domínguez par est plus dangereux et plus volontaire, les l’ailier colombien Andrés Ibargüen. Du poste Chivas ont le mérite de tenter de poser le pour poste. Sortie de Jorge Sánchez, latéral jeu lorsqu’ils le peuvent. Pulido ou Isaac issu de la cantera, au profit d’Henry Martín, Brizuela tentent des coups. L’équipe prend un attaquant. Le premier entré égalise à dix des risques à la relance, avec sa jeunesse minutes de la fin pour l’América, sur une d’une mûre innocence. frappe déviée à la trajectoire imprécise. Travailleur de l’ombre et moins décisif en Héros et anti-héros du Clásico raison de son âge avancé, Oribe Peralta Le début de la seconde période est plus réalise une course salutaire sur l’action, en ouvert. Les Chivas sentent qu’un coup est sauvant un ballon de la sortie de touche pour possible à l’Azteca. Ils prennent confiance, et servir Ibargüen parti ensuite vers le but de le ballon avec. Débordement sur l’aile droite l’égalisation. de José Carlos Van Rankin. Longtemps Dans le temps additionnel, Raul Gudiño, espoir, formé aux Pumas, il vient de signer auteur de plusieurs parades magistrales pour le Rebaño sagrado. Club différent lors de la rencontre, fauche un americanista mais même ennemi à abattre : l’América. sur un coup de pied arrêté mal dégagé par Parti à la limite du hors-jeu, il déboule sur le la défense. L’arbitre prend son temps. Il côté droit, dribble un, puis deux défenseurs sait le moment fatidique, son rôle décisif en azulcremas. Le latéral entre dans la surface cette fin de match. Penalty. Mateus Uribe et, aux abords des six mètres, sert en retrait se présente face à celui qui vient de fauter Alan Pulido. L’attaquant international ouvre pour la première fois de la rencontre. Le le score pour les Chivas d’une frappe molle. Colombien veut se charger de la sentence. Explosion du virage. Dans cet Apertura La dernière fois qu’il s’est trouvé dans cette

78 situation, c’était début juillet, en Russie. Un fin du match. Gudiño est porté en héros par soir de huitième de finale de Coupe du Monde, ses coéquipiers. il était chargé de qualifier son pays pour les Mauvais résultat pour les joueurs de la demi-finale du tournoi face à l’Angleterre. capitale. L’América ne rattrapera pas Cruz Mais le milieu de terrain n’avait pas supporté Azul et ne prendra donc pas la tête du la pression : c’est la barre, d’ailleurs, qui avait classement ce soir. Anecdotique, puisque tremblé. Une action que Mateus Uribe veut les joueurs du Piojo Herrera sont proches de se faire pardonner. Résistera-t-il le stress la qualification à ce moment-là. Le suspense d’un nouveau pénalty décisif ? est pour Guadalajara, neuvième, placé dans Destins croisés le wagon des équipes qui luttent pour la Liguilla. Ils ne le savent pas encore, mais ils On joue la 97e minute. La frappe n’est pas ne parviendront finalement pas à se qualifier. mauvaise, la détente de Raul Gudiño encore Aujourd’hui, c’est l’América qui en est à se moins. La parade est belle, le ballon est hors battre pour remporter l’Apertura 2018. Et les de portée du filet. L’Estadio Azteca explose de Chivas de panser leurs plaies. Voilà pour le rage... et de joie. Des milliers de supporters de bilan sportif. Sur le plan social, ce Clásico Guadalajara ne se retiennent pas de célébrer nacional aura rappelé que si l’América avait comme un but le fait qu’un autre ait été évité. le plus de supporters, les Chivas pouvaient L’équipe de communication des Chivas compter sur un soutien indéfectible jusque célèbrent en tribune de presse. Une flopée de dans la capitale. gobelets en plastique censés contenir de la bière les frôle, jetés depuis le dernier étage des gradins. Dans la foulée, l’arbitre siffle la Diego-Tonatiuh Calmard

79 L’AUSTRALIE REINE D’ASIE « Les rêves sont devenus réalité ». Tony Popović peut savourer le parcours du Western Wanderers qui, deux ans après sa création, vient de décrocher le premier titre continental asiatique d’un club australien. Une imprévisible victoire qui survient trois mois seulement avant le doublé de l’Australie sur son continent. En janvier 2015, de l’autre côté de Sydney, les Socceroos vont décrocher leur première Coupe d’Asie des Nations. En trois mois, l’Australie s’est installée sur le toit de l’Asie.

’histoire du football australien remonte jetaient leur dévolu sur le football australien à une centaine d’années, époque où le ou footy, un sport physique dérivé à la fois LWanderers, première équipe de football du football et du rugby, et surtout un sport de l’État de Nouvelle-Galles du Sud, affrontait australien et non-importé d’Europe. Dans les étudiants de l’école privée de The King’s l’histoire du sport, le footy possédait déjà School au Parramatta Common de Sydney. son championnat en 1877 au sein de la À l’époque de cette rencontre originelle, en Victorian Football Association dont le club 1880, le football était joué par des Anglais du Collingwood Football Club remportait le ou des Européens venus chercher une championnat. Les années ont passé et cent- nouvelle vie dans ce pays-continent large quarante-et-un ans plus tard, la compétition comme l’Europe. D’ailleurs, c’est l’Anglais nationale pèse aujourd’hui un milliard et demi John Walter Fletcher, né à Londres et d’euros de droit télévisuel uniquement dans venu s’installer dans le pays océanien, qui le pays. Le football, communément appelé organisait cette rencontre. Aujourd’hui décrit soccer jusqu’en 2005 et le changement comme le créateur du football dans le pays de nom de la fédération en Football et le père de celui-ci, Fletcher participait Federation (FFA), s’est quant à lui à la rencontre en entrant dans le onze de construit d’abord grâce aux étrangers et en l’équipe du Wanderers. Les archives de The particulier aux Européens. Dans les divisions Sydney Morning Herald révèlent ainsi que les inférieures et en A-League, on peut retrouver Wanderers de J. W. Fletcher se sont imposés les descendants de ces immigrés européens cinq à zéro. En 2014, le Western Sydney dans l’histoire des clubs et de leur création. Wanderers rendra hommage à ces pionniers L’organisation du football s’est faite aussi en organisant une rencontre en partenariat en lien avec le voisin néo-zélandais pour avec l’école The King’s School nommée «The former l’Oceanian Football Confederation Heritage match ». (OFC) après que les deux pays océaniens, représentés par Jim Bayutti (Australian Entre Asie et Océanie Soccer Federation, l’ancien nom de la FFA) et Au fil des années, le football s’est construit, Sid Guppy (alors président de la New Zealand mais n’a jamais réussi à acquérir une place Soccer Association, la fédération néo- de sport numéro un. Les sportifs du pays zélandaise), s’étaient associés avec l’ancien

80 président de la FIFA, Sir Stanley Rous pour parlant, ce n’était plus possible. Lorsqu’elle former une nouvelle confédération. En 1966, se partageait l’OFC Nations Cup avec la l’OFC naissait et rassemblait d’autres pays de Nouvelle-Zélande, l’Australie n’arrivait l’Océanie comme les îles Fidji, la Papouasie cependant pas à se qualifier pour le Mondial Nouvelle-Guinée ou encore la Nouvelle- en raison du passage obligatoire par un Calédonie. L’Australie aura toujours hésité match de barrage. Un barrage où l’adversaire entre les deux confédérations, asiatique était toujours mieux préparé et provoquait et océanienne. Voulant quitter l’OFC pour ainsi une très longue série d’absence à la l’AFC en 1972, l’Australie revenait dans sa Coupe du Monde de 1978 à 2006. En 2005, confédération initiale quelques années plus le déménagement est acté, l’Australie quitte tard. Pour en repartir plus de trois décennies l’Océanie et devient asiatique. Quelques après. mois plus tard, comme un symbole, pour sa dernière campagne de qualification en Le principal souci de l’OFC est la tant que représentant de l’OFC, l’Australie compétitivité de son football. Très loin des élimine l’Uruguay et se qualifie pour la standards des autres confédérations voire Coupe du Monde. Les Socceroos feront alors même du professionnalisme, les autres forte impression lors de la Coupe du Monde nations d’Océanie qui entourent l’Australie 2006 en se faisant honteusement éliminer et la Nouvelle-Zélande ne peuvent offrir une par l’Italie, futur championne du Monde, les véritable concurrence et donner du crédit Italiens bénéficiant à l’époque d’une erreur à cette confédération. Ainsi, largement d’appréciation de l’arbitre central pour dominée par le couple Australie-Nouvelle- obtenir le pénalty de la qualification en toute Zélande, alors que leur football n’est pas fin de partie. sport national, l’OFC bénéficie cependant de leurs exploits pour son développement : En 2007, les Socceroos disputent leur toute l’Australie participe à sa toute première Coupe première AFC Asian Cup. À cette époque, du Monde en 1974, accueille également la la sélection australienne s’appuie sur des Coupe du Monde U20 en 1981 et 1993, puis joueurs tels que , , les Jeux Olympiques de Sydney en 2000 ou encore . Une quand son proche voisin connaissait une génération dorée mais qui se fera sortir en histoire similaire avec une participation en quart de finale face au Japon après une Coupe du Monde lors des éditions de 1982 et séance de tirs au but. Quatre ans plus tard, 2010 et aux Coupes du monde U17 de 1999 une autre génération d’Australiens vient et 2008. Au niveau sportif, l’Australie entre prendre leur place : , Matthew dans le livre des records mondiaux lors de la Špiranović et . Ces Socceroos- campagne de qualification pour la Coupe du là étaient mieux préparés, expérimentés Monde 2002 avec une victoire 31-0 contre de par le parcours de 2007 et comptent les Samoa américaines, qui fait suite à une encore dans leur rang Schwarzer, Kewell et victoire 22-0 au Tonga et précède un 11-0 . En guise d’entrée dans leur infligé aux Samoa. Ce 11 avril 2001, Archie l’AFC Asian Cup 2011, les internationaux Thompson inscrit un total de treize buts, autre australiens ne font qu’une bouchée de l’Inde record du monde. Cette victoire historique dans une rencontre où le légendaire Tim marque le début de la fin de l’histoire Cahill inscrit deux buts. La fin de la phase océanienne de l’Australie. Sportivement de groupes voit Sud-coréens et Australiens

81 à égalité, uniquement départagés par la l’avait formé. Grâce à lui, South différence de but, favorable aux Socceroos avait acquis un doublé Premiership- qui terminent donc vainqueurs de leur groupe. Championship (titre de saison régulière plus La phase finale débute plus difficilement. titre en phase finale de la compétition au Harry Kewel délivre les Socceroos à la bout des play-offs) en 1997-98, saison où il 118e minute face à l’Irak et en demi-finale, se voit attribuer le titre de « National Soccer l’Ouzbékistan est balayé six à zéro par les League Coach of the Year ». Sa carrière Australiens. Malheureusement, la belle allait de réussite en réussite. Postecoglou histoire prend fin en finale face au Japon lors confirme sur la scène continentale avec d’une prolongation en faveur des joueurs de les jeunes internationaux australiens (trois pays du soleil levant s’octroyant la victoire titres de champion continental avec les U17 finale et leur quatrième titre continental. et une même réussite avec les U20) avant Sélectionneur de l’époque, l’Allemand Holger de connaître un coup d’arrêt au Panachaiki Osieck, n’aura pas de seconde chance quatre Football Club et donc de se relancer au ans plus tard. En se faisant battre deux fois Brisbane Roar. En trois ans passés au club de six à zéro par le Brésil puis la France, le l’État du Queensland, Postecoglou décroche technicien est licencié par la FFA, Aurelio deux Championships de rang (2011, 2012) Vidmar assure l’intérim le temps de trouver et un titre de champion de saison régulière un successeur. (2011). Surtout, Brisbane Roar était un ovni du championnat. Un être quasiment céleste Vers les sommets asiatiques et intouchable qui enchaîne une série de Ce successeur n’allait pas être un trente-six rencontres sans connaître une sélectionneur étranger comme c’était le cas défaite, record national australien, tous sports depuis en 2007. Il sera Australien. confondus. Plus que des records, c’est le style Ancien international Socceroos (quatre de jeu qui va laisser une trace indélébile dans apparitions) et auteur d’une révolution l’histoire du football australien : un jeu de dans le championnat local alors encore possession digne héritier du Barça de Cruijff, naissant, prend alors les légende néerlandaise, développé par un club commandes des ‘Roos. Issu d’une famille dont la couleur orange est une référence à d’immigrés grecs, Ange Postecoglou passe sa création par des immigrés néerlandais. l’ensemble de sa carrière de joueur dans le Après avoir révolutionné la A-League avec club de la même origine du South Melbourne son Brisbane, Ange Postecoglou pouvait FC dans l’État du . Plus qu’un coach donc s’atteler à la sélection. originaire du pays, Postecoglou arrive avec Postecoglou passe une année complète, des idées mélange de jeu à la FC Barcelone celle de 2014, à créer un groupe, lui instiller et d’inspiration Wenger époque des une identité de jeu fidèle à ses principes, et Invincibles d’Arsenal, qui lui avaient offert la ainsi à façonner les Socceroos comme il le reconnaissance du public après ses saisons voulait afin qu’ils soient prêts à défendre passées avec le Brisbane Roar, club qui leurs chances lors de l’AFC Asian Cup 2015 allait transformer le championnat national que le pays organise. Avant d’accueillir cette et devenir sous ses ordres l’un des trois compétition, la fédération, appuyée par plus grands du pays avec le Sydney FC et le certains États du pays, cherche à rappeler Melbourne Victory. Ange Postecoglou avait l’importance du pays en Asie et vice-versa. déjà affuté son sens du jeu avec le club qui

82 Ben Buckley, président directeur-général de Sydney. Entre temps, les Australiens sortent la FFA de l’époque explique alors : « Plus sans trembler Chine et Émirats Arabes Unis de 27% de la population australienne née (deux buts à zéro chacun). Ne reste alors à l'étranger est originaire d'Asie et 24% des plus que la rencontre historique, la finale, migrants australiens de longue date, arrivés la première disputée sur le sol australien. avant 2002, sont nés en Asie ». Sur le terrain, le 77000 personnes s’étaient données rendez- premier challenge de Postecoglou se nomme vous pour la finale, celle qui allait permettre Coupe du Monde 2014. Deuxièmes du groupe à Ange Postecoglou de placer les Socceroos B derrière le Japon lors du dernier tour des sur le toit de la confédération asiatique après éliminatoires, les ‘Roos s’étaient directement avoir placé le Brisbane Roar FC sur le toit du qualifiés pour la Coupe du Monde brésilienne pays. et se retrouvaient dans le groupe du Chili, Avec des réalisations de , des Pays-Bas et de l’Espagne, le champion élu meilleur joueur de la compétition, et de sortant. Les chances des Socceroos étaient , à cinq minutes de la fin de la très minimes dans l’objectif de rejoindre prolongation, les Australiens prennent leur les phases éliminatoires. Malgré ça, les revanche sur la Corée du Sud de Son Heung- Australiens répondent présent, notamment min buteur dans les dernières minutes de la contre les Néerlandais avec une frappe de rencontre. Le joueur du Melbourne Victory classe mondiale de Tim Cahill, mais rentrent faisait lever tout un stade drapé de jaune au pays sans aucun point pris, juste une ce jour-là. Ce 31 janvier de l’année 2015, expérience engrangée pour un groupe de l’Australie entre dans l’histoire du football jeunes joueurs. Reste que jusqu’à fin 2014, mondial. Première nation à décrocher le titre Postecoglou ne décroche qu’une seule continental après avoir vu l’un de ses clubs victoire en onze rencontres officielles. Autant remporter la Ligue des Champions, l’Australie dire que la dynamique n’est pas bonne avant devient aussi le premier à décrocher des titres de lancer l’AFC Asian Cup 2015. dans deux confédérations différentes, l’OFC En ouverture de la compétition, les Socceroos puis l’AFC. 2015 reste pour les Australiens rendent une copie quasi-parfaite en balayant l’année de la consécration de la nouvelle le Koweït et Oman par quatre buts inscrit à génération de James Troisi-Massimo chaque rencontre, contre un seul encaissé Luongo-Robbie Kruse-. contre le Koweït. Des prestations idéales Malheureusement, les belles idées d’Ange mais insuffisante à l’heure d’affronter la Postecoglou vont rapidement trouver Corée du Sud, encore trop forte à cette étape leur limite. Après une belle Coupe des de la compétition. Ni Tim Cahill, ni la nouvelle Confédérations en 2017, l’Australie peine à icône nationale Massimo Luongo, ni le se qualifier pour la Coupe du Monde 2018 vainqueur de la Ligue des Champions avec et, à peine le ticket validé pour la Russie, le Western Sydney Wanderers, Tomi Juric, ne Ange s’envole vers d’autres cieux. Bert van pourront faire sortir l’Australie comme leader Marwijk assure l’intérim mondial avant que du groupe A, battus par la Corée du Sud, qui l’Australie ne confie sa sélection à un autre décrochait alors sa troisième victoire par un entraîneur qui a d’abord brillé en A-league, but à zéro. Australiens et Sud-coréens ne . Comme Ange Postecoglou, le savaient pas encore, mais ils allaient se le technicien australien a acquis sa retrouver en finale dans l’ANZ Stadium de notoriété dans le championnat national en

83 transformant le Sydney FC en machine à succès (deux Premierships, un Championship et une FFA Cup en deux saisons). Comme Postecoglou, Arnold va devoir faire d’abord ses preuves devant les juges asiatiques lors de la prochaine AFC Asian Cup.

Antoine Blanchet-Quérin

84 06 IL ÉTAIT UN STADE ESTADIO ALEJANDRO VILLANUEVA Le stade Alejandro Villanueva est loin d'être un exemple architectural, ce n'est pas non plus le stade pittoresque devant lequel les touristes se prennent en photo. Non, ce n'est pas un lieu touristique de . C'est un stade qui est avant tout l'emblème d'un quartier, La Victoria, district populaire à quelques pas du centre historique de la capitale. C'est un lieu témoin de l'Histoire du football péruvien. De la Victoria à la Gloria. our se rendre au stade Alejandro plus grand essor urbain avec la construction Villanueva, il faut d'abord sortir de de logements pour les travailleurs. Deux Psa zone de confort. Le district de La grands quartiers résidentiels surgiront de ce Victoria sur lequel il a été construit, est un nouveau district, El Porvenir et El Matute. quartier populaire, parfois jugé malfamé, El Porvenir est notamment connu pour son mais qui a toujours fait partie de la riche fameux mundialito qui est l’événement de histoire de la capitale liménienne. C'est à football de rue le plus important du pays l'époque de la construction des chemins et qui a lieu chaque premier mai depuis de fer, Lima-Chorrillos vers le Sud et Lima- plus de soixante ans. La cuadra 6 del jirón Callao vers le Nord, en 1853 que naquit un Parinacochas devient le théâtre, pour une nouveau quartier pour abriter les ouvriers journée, d'un tournoi de rue entre seize de ces chantiers. Cette nouvelle zone équipes des quatre coins de la capitale où d'urbanisation fut alors définitivement créée tous les coups sont permis, presque aucune en février 1920 et sera baptisée « Victoria » faute n'est sifflée et les joueurs terminent en l'honneur à Victoria Tristán de Echenique, souvent ensanglantés. Ce football macho propriétaire de ces terres et femme du attire les foules et la rue est souvent pleine Président de la République José Rufino de monde. Les toits des immeubles font Echenique. Les anciennes murailles de la alors office de tribunes improvisées pour ville coloniale furent détruites pour faire place les trois à quatre mille spectateurs recensés à de nouveaux logements et de nouvelles lors de cette journée. Un balcon peut être avenues plus amples. La première qui vit le loué pour environ deux cents euros avec jour fut l'Avenida Manco Capac, nommée bien sûr une caisse de bières incluse. Le ainsi en l'honneur du premier empereur terrain est délimité par la police, équipée inca. Les premiers habitants à occuper cette de boucliers, qui doit souvent intervenir nouvelle urbanisation furent les immigrés pour séparer les joueurs ou les supporters italiens, le plus souvent des marins, dans quand cela commence à s'enflammer un peu les années vingt, venus principalement de trop. Il faut remonter aux années cinquante la ville portuaire de Gênes. Puis, c'est dans pour retrouver les premières traces de cette les années trente que La Victoria connut son

86 compétition organisée malgré l'interdiction n'hésitait pas à se rapprocher de La Victoria du président Manuel A. Odria de pratiquer pour obtenir un travail ou une résidence en le fútbol callejero (NDLR : le football de rue). faisant jouer l'influence communautaire. C'est en 1960 que ce tournoi fut officiellement Ces trois facteurs découlent du début du XXe reconnu par la municipalité de Lima qui siècle et des critères de stratification sociale décida d'encadrer ces matchs en mobilisant comme l’appartenance à la classe ouvrière des effectifs de police. Depuis, les idoles du ou encore à une couleur de peau. C'est à ballon rond comme Teófilo Cubillas, Hugo travers le sport et surtout le football que Sotil ou encore Julio Baylon ont foulé le jirón ces classes sociales ouvrières, considérées Parinacochas et un tournoi féminin a même comme plus pauvres, ont pu s'exprimer été organisé pour la première fois en 2018. et être l'égal des autres classes sociales Le quartier du Porvenir est maintenant un voire même inverser cette pyramide grâce sanctuaire de football de rue, une association à de meilleures performances sportives. En encadre l'organisation de ce tournoi auquel 1918, la réduction du temps de travail à huit s'inscrivent les équipes officielles. L'Alianza heures journalières a permis aux ouvriers Lima inscrit notamment une filiale sous le de consacrer plus de temps à d'autres nom de Porvenir Grone. À quelques pâtés de activités notamment sportives. Les ouvriers maison, le quartier de Matute accueillera un se retrouvaient donc à disputer des tournois autre sanctuaire de football, le temple d'un locaux sous les couleurs de l'Alianza Lima. des clubs les plus anciens et populaires du Des liens forts se sont créés à travers Pérou : l'Alianza Lima. l'esprit de camaraderie que l'on retrouve sur Alianza Lima : La naissance d'une les chantiers mais aussi dans une équipe identité de football. Le club devient une deuxième famille où l'on s'entraide pour faire face à une Être de l'Alianza Lima ou aliancista, c'est société liménienne encore très marquée par d'abord ressentir un attachement à son le racisme. De cet esprit naîtra le terme « les district de La Victoria, à son barrio de intimes de La Victoria», ou tout simplement Matute, à un sentiment communautaire. «los intimos», encore utilisé de nos jours pour C'est aussi un style de vie. D'abord subi désigner les joueurs de l'Alianza Lima. Cette de par son appartenance à une classe identité était si forte qu'en 1929, les joueurs du sociale ouvrière pauvre qui travaille dur sur club auraient refusé un appel de la sélection les chantiers liméniens ainsi que sur les nationale qui allait disputer le Sudamericano, marchés populaires. Puis un style de vie ancien nom de la Copa América, pour pouvoir choisi pour son soutien inconditionnel à son continuer de représenter leur barrio et rester club de quartier. On ne peut parler d'Alianza avec leurs hinchas. Pour se justifier, les Lima sans évoquer la communauté afro- joueurs accusèrent la fédération de football péruvienne qui fait partie intégrante de son de propos racistes anti-noirs. La réaction identité. Estimés entre seize et dix-sept de la Fédération Péruvienne de Football fut pour cent des ouvriers selon le recensement très sévère devant la désinvolture du club de de 1908, les Afro-péruviens étaient encore La Victoria, elle décida de l'exclure de toutes plus représentés dans les rangs du club les compétitions officielles ainsi que de lui blanquiazul. Dans d'autres quartiers interdire l'accès aux stades administrés populaires de la ville comme Barrios Altos, par la fédération. Mais cela n’empêcha pas cette communauté était très présente et

87 l'Alianza de jouer son football sur d'autres Teniente Ruiz et, grâce à son football, il terrains informels et d'attirer les foules impressionne les dirigeants de l'Alianza qui venues accueillir leurs idoles comme des décident d'en faire leur attaquant. C'est alors héros. On raconta qu'il y avait plus de qu'il débute en première division en 1927, âgé monde sur ces terrains de fortune qu'au seulement de 19 ans. Il s'impose rapidement stade Nacional les jours de matchs officiels. comme un leader de l'équipe grâce à son Les joueurs se répartissaient entre eux les talent indéniable pour le football, mais aussi gains récoltés pour subvenir aux besoins à son fort caractère. Il sera le capitaine des familles. Pendant que la sélection d'une des attaques au plus fort potentiel nationale s'écroulait au Sudamericano de l'histoire du club aux côtés d'Alberto argentin sans ses meilleurs joueurs, l'Alianza Montellanos, Jorge Kochooi, Demetrio Neyra Lima renforçait une nouvelle fois sa forte et Jose Maria Lavalle. Surnommé Manguera identité. L'année d’après, la fédération levait (NDLR : le tuyau) pour sa taille de presque la sanction et autorisait les Intimes de La deux mètres, il était très agile et dribblait Victoria à participer aux tournois officiels. n'importe quelle défense en faisant usage Ils remporteront les trois championnats d'arabesques, de petits-ponts, de passes qui suivirent (NDLR : 1931, 1932, 1933) en à l'aveugle dont il était si friand. Ses buts devenant par la même occasion le premier aussi étaient spectaculaires. On raconte que triple-champion de l'histoire. Mais en 1934, la première « chalaca » (NDLR : nom donné ils perdent le championnat face au club qui au retourné acrobatique par les Péruviens) allait être leur plus grand rival, l'Universitario enregistrée à Lima fut marquée par de Deportes. Créée par des étudiants de Villanueva lui-même. Intelligent dans le jeu, l'Université de San Marcos en 1924, la U il jouait et faisait jouer. De par son physique représentait, quant à elle, une différente frêle, il n'était pas un joueur endurant, alors classe sociale, une différente ethnie sociale il adaptait son jeu afin de s'économiser et et donc le parfait « meilleur ennemi » de d'être le plus efficace possible. Il remporte l'Alianza Lima. cinq championnats nationaux avec l'Alianza et écrit les plus belles pages du football Mais, alors que ces étudiants étaient affairés péruvien avec la Blanquirroja. Il représente à dessiner les contours de ce qui allait être son pays lors de la première Coupe du un des plus grands clubs du Pérou, un jeune Monde en Uruguay en 1930, aux fameux Jeux homme du nom de Alejandro Villanueva Olympiques de Berlin en 1936 et aux Jeux poussait la porte du club de La Victoria pour Bolivariens de 1938 remportés par le Pérou. devenir bleu et blanc et ne plus jamais les Villanueva n'aura jamais cédé aux sirènes de quitter. l'étranger et aura toujours déclaré son amour Alejandro Villanueva : la première idole pour le maillot blanquiazul. L'Alianza Lima était devenu sa famille. Malheureusement, Alejandro est né à Lima en 1908 et a grandi ses dernières années avec le club de son dans le quartier populaire de Barrios Altos, cœur ne furent pas les meilleures. Manguera non loin du centre historique de la capitale. était sur le déclin et les meilleurs joueurs Comme beaucoup d'Afro-péruviens de sa de l'Alianza étaient également proches de génération, il décida de se rapprocher de La la retraite. Le club n’avait pas su renouveler Victoria. Il joue dans un premier temps pour son équipe avec des joueurs plus jeunes afin une équipe de La Victoria de seconde division, d'avoir une continuité et des résultats pour

88 perdurer. En 1938, la descente en deuxième cœur. Deux ans plus tard, le 27 décembre division fut inévitable et la déception des 1974, l'Alianza inaugurait son stade de supporters était immense. Le club remonte trente-cinq mille places. Il porte alors le en 1940 mais les cicatrices étaient encore nom d'Estadio Alianza. Ce jour-là, un tournoi vives. Villanueva ne retrouvera plus sa magie entre quatre équipes fut organisé pour cette et, se sentant abandonné par le public, il grande occasion. Ainsi, le meilleur ennemi, perdra peu à peu son envie. Après dix-sept l'Universitario foula pour la première fois la saisons passées dans le club de La Victoria, pelouse de son rival éternel accompagné du il décide alors de raccrocher les crampons en club argentin d’Independiente, champion en 1943 à l'âge de trente-quatre ans alors que titre de la Libertadores, et des Uruguayens la tuberculose commençait à le consumer du Nacional. L'enceinte était pleine à craquer peu à peu. Il décédera un an plus tard dans et les spectateurs étaient accueillis par un hôpital liménien. Le pays s'endeuille et l'image d'une idole disparue trente années une foule immense rendra hommage à son auparavant, Alejandro Villanueva, première premier héros lors de ses funérailles. star du club. Son ancien coéquipier, Jose Maria Lavalle était présent comme invité Pour le football péruvien et surtout pour d'honneur. Le premier but marqué fut l'Alianza Lima il restera un symbole. Un l’œuvre de l'Uruguayen Herbert Revetria emblème qui personnifiait à lui seul l'identité lors du premier match opposant l'Alianza au d'un club qui le reconnut comme une idole Nacional. L'égalisation de Juan Jose Avalos en lui donnant le nom à son stade, comme était synonyme de premier but blanquiazul hommage ultime. de l'histoire de Matute. Nacional mena une Un temple blanquiazul fois de plus avant que Juan Rivero marque de la tête pour revenir au score suite à une En 1951, à l'occasion du cinquantenaire du passe lumineuse de « Pitín » Zegarra. Le club, l'Alianza Lima décide de faire construire premier score enregistré dans ce stade fut son propre stade. C'est l'État péruvien qui offre donc ce match nul de deux buts partout. le terrain situé dans le quartier de Matute, à La date du 27 décembre reste toujours un l'angle de l'avenue Isabel la Católica et du jour important pour les supporters, car c'est jirón Abtao. Ironie du sort, Manuel Odria, le autour de cette date qu'est célébré chaque président du Pérou qui avait interdit le football année « El dia del Hincha Blanquiazul », le de rue, posa la première pierre le 15 février jour du supporter blanc et bleu, où un match 1951. En raison de mauvaises gestions et de gala est organisé entre anciennes gloires de nombreux problèmes économiques, il aliancistas. On y retrouvera fréquemment, aura fallu deux décades pour que le projet Claudio Pizarro, Jefferson Farfán, Cesar voit enfin le jour. C'est en 1972 que le club Cueto et Paolo Guerrero. obtint enfin le titre de propriété du terrain dont il jouissait jusqu'alors en usufruit et pu S'ils ne se sont pas affrontés lors de obtenir un prêt afin de financer les travaux l'inauguration, Alianza et Universitario de construction. Pour financer le projet, le croiseront le fer à Matute pour la première club fit aussi appel à ses supporters afin que fois le 2 mars 1975. L'Alianza domina son rival ceux-ci deviennent socios en payant leur et remporta son premier clásico à la maison siège à l'année et ainsi se garantissent une trois buts à un. Les hommes de Marcos place pour tous les matchs de leur club de Calderón remporteront leur quinzième titre

89 national cette saison. Cette même année, du stade de La Victoria où bon nombre de l'Estadio Alianza allait accueillir pour la supporters voulurent lui adresser des chants première fois la sélection nationale à en signe d'adieu. Une statue lui est érigée l'occasion de la Copa América dont le dans l'enceinte du stade le représentant à mythique Pérou-Chili remporté par la genoux, les deux mains jointes comme une Blanquirroja avec trois buts à un. Quelques prière, rappelant l'une de ses célébrations semaines plus tard, après un but d’anthologie lorsqu'il marquait un but. d'Hugo Sotil lors de la finale au Venezuela, Un hommage en appela un autre. Cette année le Pérou soulèvera une nouvelle fois la Copa 2000, la direction du club décide, enfin, de América. rebaptiser son stade Alejandro Villanueva Des rires et des joies ont fait les beaux cinquante-six ans après la mort de sa jours à Matute mais aussi des peines et des première légende. Des légendes, Matute en pleurs comme ce 8 décembre 1987, lorsque verra défiler plus d'une. Les arabesques de l'avion qui ramenait l'équipe blanquiazul Cesar Cueto, le poète gaucher, les dribbles de au lendemain d'un match de championnat Teófilo Cubillas et les coups de rein d'Hugo gagné à Pucallpa, s’écrase dans l'océan au Sotil dans les années soixante-dix et quatre- large de Lima, dans la baie de Ventanilla. vingt. Les avalanches de buts de Waldir Quarante-trois personnes périrent ce jour-là Saenz dans les années quatre-vingt-dix, puis dont une grande partie de l'équipe de l'Alianza de Jefferson Farfán au début du millénaire. Lima. C'est à ce jour la plus grande tragédie Toutes ont fait se lever les tribunes Nord, du club péruvien. Les corps des joueurs et Sud, occidentales et orientales. Un jeune, des membres du staff furent veillés dans le Paolo Guerrero, a aussi fait ses premiers pas stade du club de La Victoria. Le 8 décembre footballistiques dans l'antre blanquiazul. de chaque année est organisée dans le Parti au Bayern Munich avant de signer un stade, une messe en mémoire aux disparus contrat professionnel avec l'Alianza Lima, de ce tragique accident. En 2000, l'Alianza le buteur historique de la sélection bicolore Lima ne pouvait entrer dans ce nouveau rêve de terminer sa carrière en foulant une millénaire sans commencer par un drame. dernière fois le stade Alejandro Villanueva. Sandro Baylon, étoile montante du club de La Ce stade fait partie intégrante de l'âme de Victoria décède dans un accident de voiture la capitale liménienne dans son quartier de sur la côte liménienne à l'âge de vingt-deux Matute où fleurissent désormais des graffitis ans. Neveu de Julio Baylon, autre légende en l'honneur du club, de ses héros et de son du club qui jouait au côté de Victor Zegarra, histoire. C'est le temple d'un club avec une Pedro Pablo León et Teófilo Cubillas, il avait forte identité construit par une histoire riche débuté en 1997 et remporté, cette même faite de joies et de larmes. année, le titre national. Sandro était promis à un bel avenir, le robuste défenseur était devenu une figure de l'équipe avec Claudio Pizarro et Waldir Saenz, mais aussi capitaine Romain Lambert de la sélection des moins de 23 ans du Pérou. Comme Pizarro, il devait s'envoler pour l'Europe pour un avenir plus radieux. Un dernier hommage lui fut rendu sur la pelouse

90 91 ALUMNI LE PREMIER GÉANT D’ARGENTINE

Disparu depuis plus d’un siècle, Alumni a remporté vingt-deux titres en seulement une décennie d’existence. Bien avant la naissance des géants d’aujourd’hui, Alumni écrivait la plus belle page du football argentin. Retour aux origines.

octobre 1898, dans le quartier de centre des apprentissages. C’est en 1884 que Belgrano à Buenos Aires, à quelques le Buenos Aires English High School est créé. 3mètres seulement du Monumental, Le sport y occupe une place prépondérante l’actuel stade de River Plate, le Club Atlético et va permettre à l’Argentine de voir éclore English High School de Buenos Aires voit le son premier géant. jour sous l’impulsion d’un homme : Alexander Si Alexander Watson Hutton est un Watson Hutton, considéré comme le père du personnage important dans l’Histoire de football argentin. l’Argentine, c’est aussi parce que le 21 février Natif de Glasgow (il obtiendra la nationalité 1883, il fonde l’Argentine argentine), Alexander Watson Hutton League (qui deviendra en 1911 l’Asociacíon quitte son Écosse en 1882 pour s’établir del Fútbol Argentino), organisme chargé en Argentine, non loin du Rio de La Plata, de structurer le football dans tout le pays, qui, en ces temps, voyait débarquer de qui organise et réglemente les premiers nombreuses vagues migratoires. Diplômé championnats nationaux de l’Histoire. de l’Université d’Édimbourg, Watson Hutton Passionné de sport et de football (il officiera devient durant deux ans le directeur du Saint même comme arbitre lors des premières Andrew’s Scots School de Buenos Aires. En rencontres de championnat), Alexander conflit avec les décideurs qui ne souhaitent Watson Hutton souhaite permettre aux pas investir ni dans un gymnase ni dans étudiants de son université, qui jusqu'alors, un terrain de football, Watson Hutton est se limitaient à une pratique sportive poussé vers la sortie. Pédagogue émérite, éducative, de se rassembler sous un même ce dernier est convaincu du rôle central qu’a maillot et d’intégrer le championnat argentin. la pratique sportive dans l’enseignement. Après avoir organisé le football dans le pays, Faire des esprits sains dans des corps sains Alexander Watson Hutton décide donc de était son leitmotiv. Son contrat terminé, il créer un club de football au sein de son refuse de prolonger l’expérience et décide établissement, c’est ainsi qu’en ce 3 octobre alors de fonder sa propre structure, bien 1898 naît le Club Atlético English High School plus conforme à ses attentes, à sa vision de (CAEHS). l’éducation et qui place l’activité physique au

92 L’Histoire est en marche retour de ses anciens joueurs qui l’avaient momentanément quitté pour continuer Les premiers championnats sont composés à évoluer au plus haut niveau. Parmi ces d’universités, de collèges et de clubs qui ont joueurs figurent les frères Brown dont le la particularité d’avoir un fort accent anglais. grand Jorge. Ce dernier, légende du football Les Britanniques ont en effet diffusé le argentin, a la particularité d’être à la fois football dans tout le pays en émigrant depuis un grand défenseur central et un excellent leurs îles. Nombreux sont les marins ou les buteur, n’hésitant pas à alterner entre les deux ouvriers ferroviaires qui occupent leur temps postes au cours d’un match. En plus d’être le libre en pratiquant le football aux abords porte-étendard du Club Atlético English High de leur lieu de travail, aussi bien autour des School, il est également un acteur majeur de ports qu’autour des lignes de chemin de fer l’équipe nationale. qui s’installent peu à peu dans une Argentine en construction. Une fois bien établis dans Une fois de retour dans l’élite, le CAEHS le pays, ces Britanniques vont s’organiser montre à tous qu’il a soif de victoires et ne et créer des équipes pour concourir aux perd pas de temps. Pourtant promu, le club compétitions locales. Il est donc logique de parvient à remporter le championnat sans voir des clubs porter les noms de Lomas connaître la moindre défaite et ne concède Athletic Club, Flores Athletic Club, Quilmes qu’un seul match nul, contre Lomas, Rowers Athletic Club, Old Caledonians l’autre grande équipe de l’époque. L’année Football Club, Buenos Ayres al Rosario suivante, en 1901, le club change de nom. Railway, Belgrano Football Club, Buenos L’AFA impose en effet à toutes les équipes, Ayres Football Club. qui sont également des établissements d’enseignement, d’inscrire une équipe de Pour le CAEHS, les débuts sont compliqués, moins de dix-sept ans pour participer à le Club Atlético English High School termine un championnat. Ne pouvant y répondre dernier du championnat de 1895 et quitte favorablement et pour ne pas s’exposer l’élite. Par conséquent, les étudiants qui à une relégation le Club Atlético English garnissent l’effectif souhaitant rester en High School devient alors Alumni Athletic première division sont invités à s’inscrire Club. Le club se détache de l’établissement dans une nouvelle équipe. Si le CAEHS scolaire et devient un club à part entière. S’il s’oblige à ne faire appel qu’à ses étudiants conserve son maillot blanc à rayures rouges, pour composer une équipe, elle laisse la rappelant les couleurs de l’Université, il liberté à chacun d’eux de s’inscrire dans modifie toutefois le sens de ses bandes. Les l’équipe qu’ils souhaitent. lignes horizontales deviennent verticales. En 1899, le Club Atlético English High School Sur la lancée du précédent championnat, évolue toujours en deuxième division. Le Alumni va s’imposer de nouveau et devenir groupe, toujours composé d’étudiants et l’équipe à battre. Le petit club va vite grandir d’anciens élèves, commence à acquérir pour devenir un géant à l’appétit d’ogre. une réputation locale suite à de bonnes Alumni Athletic Club s’adjuge dix titres en prestations et à un jeu séduisant. Ceux-ci, onze ans, entre 1900 et 1911 seules deux terminent vice-champions et font leur retour compétitions lui échapperont, celles de 1904 en première division. Ils ne la quitteront et 1908. Le palmarès est impressionnant, plus. Promu en 1900, le CAEHS voit le à cela s’ajoute la manière avec laquelle ils

93 étouffent leurs concurrents. Les goleadas Les premiers de chaque poule s’affrontent s’enchainent avec notamment un 8-1 contre dans une finale pour couronner le champion Barracas ou un 10-0 contre Belgrano Athletic d’Argentine. Et pour cette première finale, Club. Alumni sera de nouveau champion en qui se déroule à l’hippodrome de Palermo, 1902 sans jamais connaitre le goût amer de le destin nous offre le premier Superclásico la défaite. Mieux, lors du titre de 1903, Alumni de l’histoire : Lomas Athletic Club contre inscrira la bagatelle de quarante buts pour Alumni Athletic Club. Le tout sur un match seulement quatre encaissés en dix matchs. sec, le vainqueur est champion. À l’instar de la finale de Libertadores entre River Plate et Naissance d’une rivalité Boca Juniors en 2018, cette rencontre doit Avec ces quatre premiers titres, Alumni répondre à la question que tout le monde se rejoint au palmarès du football argentin pose : qui est « El Más Grande » ? La réponse son principal concurrent de l’époque, le ne se fera pas attendre et ne souffrira Lomas Athletic Club. En Argentine, déjà d’aucune contestation. Un 4-0 plus tard, à cette époque, on cherche à savoir qui toute l’Argentine tient sa réponse. Alumni est est « El Más Grande » (le plus grand) entre injouable, imbattable. Le club est de nouveau ces deux clubs. Une rivalité commence à titré en 1907, avec une série de vingt matchs naître. Preuve en est au terme de la saison sans défaite, et avec des goleadas dans la 1904, lorsque Belgrano A.C est champion à plupart des matchs. Avec ce nouveau succès, la surprise générale. Cette victoire met un Alumni Athletic Club devient le club le plus terme à la série d’Alumni qui rate de peu titré d’Argentine. le quintuplé en terminant deuxième. Si les Si Lomas A.C revendique le statut de grand joueurs de Belgrano fêtent logiquement rival d’Alumni, c’est Belgrano A.C qui aime leur titre, ce qui surprend pour l’époque est jouer les trouble-fêtes. Une fois encore, la fête organisée par les joueurs de Lomas lorsque le club d’Alumni termine deuxième A.C, heureux de voir leur grand rival échouer. en 1908, c’est Belgrano qui triomphe, loin La saison suivante, les joueurs d’Alumni ont devant le triste Lomas A.C qui ne parvient soif de revanche. Si le championnat devient pas à se remettre des dernières humiliations plus disputé et si les écarts entre les équipes et qui évitera la relégation de justesse. commencent à se réduire, le titre revient tout L’année suivante, Alumni reprend son titre de même à Alumni A.C qui devance de trois en devançant un futur géant, loin d’être le points Belgrano A.C, son prédécesseur. Plus Millonario d’aujourd’hui et qui débute en que le nouveau titre, le cinquième en six ans, première division : River Plate. Cette saison c’est la victoire cinglante infligée par Alumni est marquée par le retour de karma qui frappe à Lomas A.C qui résonne. Une véritable de plein fouet le club de Lomas. Cinq ans gifle : 11-1, contre son meilleur ennemi qui après avoir fêté la défaite d’Alumni au profit termine avant dernier au classement, de du titre de Belgrano, les joueurs de Lomas se quoi apporter un nouvel argument à ceux voient relégués en deuxième division suite à qui cherchent encore à savoir qui est le plus un championnat insipide, remportant un seul grand des deux. de leurs dix-huit matchs. Le club d’Alumni À partir de 1906 le championnat change Athletic Club, lui, termine son existence, de format. Deux poules, de cinq et six brève et intense, par deux derniers titres en équipes, s’opposent dans un mini-tournoi. championnat en 1910 et 1911 remplissant

94 une dernière fois l’armoire à trophées. Club est forfait. Le club ne peut plus aligner d’équipe et ne peut prendre part à cette En à peine plus d’une décennie, le Alumni édition. Les derniers joueurs encore aptes Athletic Club a remporté dix championnats et de bon niveau partent rejoindre d’autres et marqué de son empreinte le football équipes comme Quilmes afin de poursuivre argentin en devenant la première équipe leur carrière. à être tricampeón (trois fois champion consécutivement) et ce, à trois reprises. Aux L’année suivante, le 24 avril 1913, marque la titres locaux, il faut ajouter au palmarès, fin administrative du club. Car si le football cinq Coupes d’Argentine, qui portaient les argentin continue de progresser grâce à noms de Copa de Honnor Municipalidad de sa locomotive, ce sont ses institutions qui Buenos Aires (en 1905, 1906) et de Copa de plantent le dernier clou au cercueil d’Alumni. Competencia Jockey Club (en 1907, 1908 L’AFA accentue son degré d’exigence et et 1909), et des titres internationaux. Le conduit le club à jeter l’éponge. Que ce soit club remporte six Copas de Competencia en termes de nombre de joueurs membres Chevallier Boutell, appelé aussi Cup Tie du club, d’inscription dans différents Competition qui fait s’affronter les meilleurs championnats ou d’équipement sportif, le équipes d’Argentine et d’Uruguay, et une cahier des charges est trop lourd pour le géant Copa de Honor Cousenier en 1906 face au qui ne peut plus suivre. Dans l’incapacité Nacional de Montevideo. En une dizaine financière et matérielle de pouvoir trouver d’années, Alumni remporte vingt-deux un terrain adapté aux conditions fixées par titres toutes compétitions confondues, l’Asociacíon del Fútbol Argentino, et avec un accumulant les doublés et les triplés sur effectif vieillissant que le club ne parvient pas une même année, allant même jusqu’à un à renouveler, Alumni se voit dans l’obligation quadruplé en 1906. C’est un ogre, jamais de prononcer la dissolution faute de joueurs rassasié qui affiche la volonté de toujours de qualité disponibles et pour son refus de tout gagner. En 1911, en s’imposant devant recruter hors de l’Université. une sélection d’Afrique du Sud et devant une Immense héritage foule de dix mille spectateurs, Alumni devient la première équipe argentine à s’imposer Revenir sur l’histoire d’Alumni, c’est partir en face à une sélection britannique. voyage à la genèse du football argentin avec, La fin d’une belle histoire par exemple, l’une des premières stars du football : Jorge Gibson Brown. Ce défenseur- En 1912, à l’aube du championnat, le club attaquant, argentin d’origine écossaise d’Alumni doit faire face à de grandes (comme Alexander Watson Hutton) et difficultés. Son effectif se réduit comme peau talentueux joueur de cricket, est le capitaine de chagrin. Celui-ci devant être composé d’Alumni Athletic Club. Avec ses quatre uniquement d’étudiants ou d’anciens élèves frères, Carlos, Ernesto, Alfredo et Eliseo, il du Buenos Aires English High School, il est présent de la création à la dissolution devient compliqué de construire une équipe du club. Avec cent-quarante-deux buts compétitive. Les joueurs sont vieillissants en deux-cents matchs, il est le principal et ne peuvent plus participer pleinement à artisan de ce gigantesque palmarès. Il fait cette compétition. Lors des trois premières également partie de la sélection d’Argentine, journées de championnat, Alumni Athletic avec quatre autres joueurs d’Alumni dont

95 son frère Ernesto, qui s’impose à Montevideo d’Instituto de Córdoba suit la même logique en 1902 et où il inscrit le dernier but d’un 6 à et a choisi le maillot blanc à rayures rouges 0 historique pour le premier match officiel de verticales en hommage à Alumni. Il en va l’équipe nationale. À la disparition de son club de même avec la symbolique du Racing et de cœur, il poursuivra sa carrière à Quilmes de son Academia toujours liée aux valeurs où un titre supplémentaire de champion lui estudiantines chères à celles d’Alexander tend les bras. En bonne légende du football Watson Hutton. argentin, aussi célèbre que le club avec qui il Si le club a disparu il y a maintenant plus a partagé tous ses titres, il donnera son nom de cent ans, son histoire et ses valeurs à un club situé dans la province de Misiones, perdurent à travers un club de rugby, au Nord de l’Argentine, petite ville séparée l’Associación Alumni, qui continue de faire du Paraguay par la frontière naturelle qu’est briller le célèbre maillot à bandes rouges le Río Paraná. Un hommage parfait pour un horizontales. Les Boca Juniors, River Plate, footballeur hors pair qui serait sans doute Independiente, Racing et San Lorenzo l’ont fier de voir la ville de Posadas abriter le Club certes remplacé, mais, bien qu’absent Deportivo Jorge Gibson. Autre trace du passé, depuis plus d’un siècle, Alumni possède le les célèbres couleurs d’Alumni. Nombreux sixième plus grand palmarès actuel. Par sont les clubs actuels à avoir repris cet ses trophées, son histoire, ses joueurs, son illustre maillot. Le lien le plus évident est sans glorieux passé, l'Alumni Athletic Club est doute avec le club d’Estudiantes. Plusieurs bien un géant du football argentin et restera des fondateurs du club de La Plata sont à jamais le premier. d’anciens élèves du Buenos Aires English High School. C’est pourquoi ils choisissent le nom du club Estudiantes et arborant un Nicolas de la Rua maillot semblable au premier géant. Le club

96 07 1999, UNE ÉDITION DE TRANSITION POUR LE JAPON Un an après sa première participation à la Coupe du Monde lors de l’édition 1998 en France, le Japon part se frotter aux nations d’Amérique du Sud et découvre l’envers de la Copa América pour laquelle il est invité. Le nouveau sélectionneur, Philippe Troussier, ar- rive sans réelles certitudes avec son équipe.

uin 1998. Le monde entier découvre mythique lancée dès 1916. le Japon. C’est la toute première fois « C’était un baroud d’honneur » Jque l’équipe nipponne participe à la plus grande compétition de football : la Les Samurai Blue tombent dans un groupe Coupe du Monde. Mais l’opposition est trop assez relevé composé du Pérou, de la Bolivie forte. Le Japon perd ses trois matchs de et du Paraguay. Ils arrivent en Amérique poules contre l’Argentine, la Croatie et la du Sud avec peu d’espoir. Troussier n’a Jamaïque, et est éliminé. Le sélectionneur, eu que deux matchs pour juger l’état de , est démis de ses fonctions ses troupes. Une victoire un à zéro contre dans la foulée. La fédération cherche alors l’Égypte et une défaite deux à zéro face au un nouveau sélectionneur. C’est Philippe Brésil. Son équipe est vieillissante, mais il Troussier qui sera choisi. Le technicien veut se servir de l’étape sud-américaine pour français de quarante-trois ans vient tout évaluer l’après Coupe du Monde. Alors qu’il juste de terminer la Coupe du Monde avec avait la possibilité de faire du ménage dès l’Afrique du Sud en se hissant à la troisième sa prise de fonctions, il décide de procéder place de son groupe derrière le Danemark autrement. « J’ai voulu évaluer l’existant. et la France, mais devant l’Arabie saoudite. Je n’ai pas souhaité passer le témoin aux Chargé de s’occuper des moins de vingt jeunes directement après la Coupe du Monde ans, de l’équipe olympique et de l’équipe A, 1998 », assure Troussier*. « La Copa América Troussier est sur tous les fronts. Il emmène était la dernière « épreuve » des joueurs ses jeunes Samurai Blue jusqu’en finale que je souhaitais libérer. Je terminais une de la Coupe du Monde des moins de vingt génération. C’était un baroud d’honneur. Je ans en avril 1999, mais s’incline devant voulais que ce groupe finisse sur une bonne l’Espagne de Casillas et Xavi. Vient ensuite note et passe à autre chose ». Le Japon se le premier grand rendez-vous du Japon sous présente sur les terres paraguayennes avec sa nouvelle ère : la Copa América. L’édition un effectif cent pour cent local composé de 1999 se déroule au Paraguay, le Japon est douze des vingt-deux joueurs présents en invité pour l’occasion. C’est la première France en 1998. Quelques jeunes pousses fois qu’une nation extérieure au continent en devenir telles que Kota Yoshihara, vingt- américain participe à cette compétition

* Propos recueillis par Jordan Bozonnet 98 et-un ans, et Takashi Fukunishi, vingt-deux « Un message pour commencer une ans, viennent tout de même insuffler des nouvelle aventure » prémices de renouveau chez les Nippons. Reste un dernier match contre la Bolivie pour Un seul point récolté en trois matchs tenter de sauver l’honneur dans cette Copa América ô combien difficile pour le Japon. Pour leur entrée dans la compétition, Après deux rencontres jouées à Asunción, Troussier s’appuie sur une philosophie les Nippons s’envolent dans l’Est du pays, à de jeu qui lui est propre. Il la met en place Pedro Juan Caballero, dans le département dans chaque équipe où il passe. « Elle est d’Amambay. Un transit dont se souvient très basée essentiellement sur une défense à bien Troussier. « Vers la frontière brésilienne, trois, à plat, avec cinq milieux de terrain et on a dû voler pendant plusieurs centaines de deux attaquants », détaille-t-il. « Le concept kilomètres à cinquante mètres du sol. Nous est d’avoir la possession. Le fait d’avoir avons eu un peu peur. On a pu apprécier une mentalité à conserver le ballon est une le paysage mais quand l’avion s’est mis à façon de décider et de s’imposer ». Le Japon atterrir, c’était assez exceptionnel ». Cette s’incline trois buts à deux contre le Pérou péripétie digérée, le Japon récolte un point après avoir pourtant ouvert le score grâce à au terme d’un match nul un but partout. , le plus Brésilien des Japonais. C’est Wagner Lopes, d’un pénalty transformé « Je sentais qu’il y avait la place pour faire à quinze minutes de la fin, qui permet à un meilleur résultat sans pour autant avoir sa nation de ne pas repartir bredouille de la mainmise sur la rencontre », analyse la compétition. « Ce point a été un point Troussier. Le Japon peut compter sur sa forte d’espoir», estime Troussier. « Cela a été communauté présente au Paraguay pour considéré comme une vraie victoire en interne tenter d’inverser la tendance lors du second comme en externe. Nous avons pris un point match à Asunción. Mais c’est un géant qui de niveau international. C’était pour nous un se dresse sur son chemin : le Paraguay, message qui permettait de commencer une huitième de finaliste de la précédente Coupe nouvelle aventure ». Un nouveau chapitre qui du Monde, porté par un gamin de 17 ans du s’ouvrira avec comme ligne de mire la Coupe nom de Roque Santa Cruz. L’Albirroja écrase d’Asie 2000 au Liban, mais aussi et surtout le Japon sur le score de quatre buts à zéro la Coupe du Monde 2002 que le Japon avec notamment un doublé de sa jeune organisera avec la Corée du Sud. pépite. Il y avait une classe d’écart. Troussier se remémore : « On prend un but d’entrée, il y a 40 000 personnes dans le stade et on joue le pays hôte qui détient un super attaquant Jordan Bozonnet (NDLR : Roque Santa Cruz). Les évènements se sont enchaînés. On ne peut pas dire que nous avons lâché le match, mais il y avait une grande différence dans le comportement et dans les attitudes. Ça s’est vu dans le résultat ».

99 08 , 08 LA SIXIÈME ÉTOILE DE SINGAPOUR

Premier joueur singapourien à avoir évolué en Europe, Fandi Ahmad est à Singapour ce que Maradona est à l’Argentine : plus qu’une su- perstar. Retour sur le parcours fascinant d’un vendeur de riz au coco qui a touché les étoiles.

emandez à n’importe quel fan de diluer la majorité malaise et pour travailler foot de situer Singapour sur une dans l’agriculture. À l’indépendance, le parti Dcarte du football, il vous regardera au pouvoir demande le rattachement à la probablement avec des yeux ronds comme Malaisie, mais des émeutes raciales répétées des soucoupes. Comment lui donner tort ? entre communautés chinoise et malaise en Cité-État de même pas 800 km², Singapour 1964 mèneront à la sécession de Singapour est plutôt connue pour ses gratte-ciels, ses du reste de la fédération. La jeune nation finances et son paradis multi-ethnique qu’il est alors prête à prendre son envol, elle qui dorlote avec attention. La « ville du lion » fera partie des quatre Dragons d’Asie, place- (en sanskrit) accueille même des équipes fortes financières de l’Asie de l’Est dans les étrangères dans son championnat (dont une années quatre-vingt-dix. antenne du club japonais Albirex Niigata) Deux ans avant ces évènements dramatiques, afin de pourvoir au manque de clubs de haut Ahmad Wartam et son épouse accueillent niveau. en ce monde un petit garçon, Fandi. Ahmad Au XIXe siècle, l’Asie du Sud-Est est le théâtre est gardien de foot et gardera les cages de d’une franche rivalité économique et politique Singapour pendant quelques années. Mais entre Anglais et Hollandais. De traités en la retraite est difficile et, pour subvenir aux batailles navales, les rivaux finissent par besoins de sa famille, Ahmad se reconvertit s’entendre et se partagent la région comme dans des petits boulots, tenant soit un une pizza. Singapour, Malacca et le Penang magasin de sport, soit vendant des plats sont regroupés sous l’appellation de dans la rue. Le petit Fandi, entre deux plats, «Colonies du Détroit». Singapour devient une ne pense qu’à une chose : le ballon rond. Sur importante base navale britannique, destinée les traces de Papa, il débute au goal mais à contrôler le commerce régional et empêcher ses premiers entraineurs le repositionnent les poussées hollandaises et les appétits au milieu. Obsédé par le football, il est repéré français. Durant cet intermède qui va durer par Sebastien Yap, le coach de Singapour près d’un siècle (de 1867 à 1959, Singapour FA et intègre l’équipe première en 1979. Ce est une colonie de la Couronne britannique), club représentait les joueurs singapouriens les Anglais vont favoriser l’immigration en compétition malaisienne, principalement chinoise et indienne, principalement pour dans la Malaysia Cup, un tournoi mis en place

101 en 1921. Initialement positionné au milieu Dans les années quatre-vingts, le club du de terrain, ses qualités devant les cages et Nord des Pays-Bas connait une ascension les quatre buts inscrits lors de la première vertigineuse, disputant plusieurs fois la Coupe édition à laquelle il prend part poussent de l’UEFA. Il faut dire que le talent y regorge ses entraineurs à le faire jouer attaquant. avec des gars comme les frères Koeman, Pari gagnant. Sa taille moyenne (1m76), Peter Houtman, Pieter Huistra ou Rob Mc mais couplée à une belle pointe de vitesse Donald. Fandi se fond parfaitement dans le et un œil de lynx, lui permet de prendre une groupe, scorant un doublé lors de sa première autre dimension. Avec ses huit buts lors apparition pour une victoire contre Go Ahead de l’édition suivante, il offre la victoire à Eagles. Trois jours plus tard, il marque le son club face à Selangor. Cette victoire lui deuxième but d’une victoire inattendue permet d’effectuer son service national à la contre le grand Inter (2-0), stupéfiant cool, étant préposé à la collecte des déchets, l’Europe. Encore aujourd’hui, il considère ce ce qui lui permet également de continuer à but « comme le pic de [sa] carrière. Quand jouer avec Singapour FA. vous avez la chance de jouer à un tel niveau, ça vous colle à la peau. J’ai eu la chance de L’Indonésie avant l’Europe marquer de nombreux buts dans ma carrière En 1982, Selangor l’invite à jouer un match mais là c’était différent. À cette époque, il n’y amical contre Boca Juniors durant lequel avait que 3-4 joueurs asiatiques en Europe, Ahmad marque le seul but des Malaisiens. un Japonais, un Coréen, un Thaïlandais et Impressionnés par ses capacités, plusieurs moi. C’était un grand honneur pour moi, et clubs commencent à lui faire les yeux doux les gens se demandent encore comment le dont les Young Boys de Berne et le grand Ajax jeune homme que j’étais est parvenu à jouer ! Après un essai concluant de trois semaines, si haut… ». Dans son équipe de géants blonds, ces derniers lui proposent trois ans de contrat sa carnation foncée, ses cheveux noirs et mais Ahmad décline pour s’engager contre son air frêle détonnent. Séchés au match toute attente au NIAC Mitra, une formation retour (1-5), les Groningois sortent avec les indonésienne. Il expliquera peu après qu'il ne honneurs et Fandi est très vite adopté par se sentait pas prêt physiquement à affronter son nouveau public. Son physique avenant, ces joueurs bien plus avancés en la matière, son éternel sourire et ses manières affables sans compter son côté poids plume. Mais son lui valent l’appréciation de tout un chacun histoire avec les Pays-Bas ne s’arrêta pas à au club. Ils le nomment d’ailleurs joueur de ce flirt. Après avoir permis au NIAC de garder l’année suite à ses dix buts en vingt-neuf son titre, il est obligé de quitter le club après matchs. Sa deuxième saison ne se déroulera que la Fédération indonésienne a imposé pas aussi bien (un but en sept matchs, ainsi l’interdiction d’aligner des joueurs étrangers que des pépins physiques) et il retourne en au sein du championnat. Qu’à cela ne tienne, Asie en signant à Kuala Lumpur. Il continue à le petit club hollandais de Groningue saute empiler buts et trophées en décrochant trois sur l’occasion et s’offre le phénomène à l’été fois la Malaysia Cup. En 1990, le club grec 1983. Deux années de scouting intense avec de l’OFI Crète le recrute, mais des problèmes une équipe dans la région avaient achevé de certificat l’empêchent de jouer pour eux de les convaincre, alors même qu’il devait et il s’engage au Pahang. En raison de son passer son service national. âge avancé, il recule au milieu de terrain sans que cela ne l’empêche de continuer sa

102 moisson de buts et de titres en décrochant côtés de son ami Malek Awab ou Varadaraju une nouvelle Malaysia Cup. Il retourne Sundramoorthy. ensuite à Singapour FA, puis fait un crochet Plus qu’un footballeur par Geylang avant de finir au Armed Forces. Au cours de ses presque vingt Après sa retraite, Fandi Ahmad enfile le ans de carrière, il est parvenu à distribuer costume d’entraîneur. Il occupe un peu de la magie aux spectateurs, des passes toutes les fonctions : entraineur (deux décisives à ses partenaires, et des victoires championnats glanés avec Singapore Armed importantes à ses équipes. Fandi le sait, il a Forces, une Malaysia Cup avec Lions XII et ce don et essaie d’en tirer le meilleur : « Sur de beaux parcours avec les Young Lions et le chemin du stade, je ne parle à personne. le Pelita Raya), assistant (équipe nationale), La plupart du temps, je m’imagine le terrain scout pour Vicenza Calcio, manager du Johor et étudie mes adversaires. J’essaie d’avoir Darul Tazim en Malaisie et fondateur de toujours deux, trois coups d’avance sur eux. l’Académie Fandi Ahmad. En 2018, il prend en Puis quand j’arrive au stade, je sais ce que j’ai main l’équipe nationale pour l’AFF Cup mais à faire : créer des espaces, marquer des buts échoue à sortir du groupe et est remplacé par et divertir les gens. Donnez-moi quelques Nazri Nasir. De nombreuses voix s’élèvent minutes, quelques secondes même, et je pour qu’il soit nommé pour de bon à la tête sais que je peux en faire quelque chose ». Sa de la sélection, étant l’un des rares coaches à popularité et son tableau de chasse attestent avoir le diplôme AFC lui permettant d’exercer. sans sourciller de cet état d’esprit. Mais l’œuvre de Fandi ne s’arrête pas qu’au football. En 1994, on lui remet la Pingat En 1997, lorsqu’il prend sa retraite, Fandi Bakti Masyarakat, l’une des plus hautes Ahmad conclut sa carrière en club avec un distinctions personnelles de l’État. Il est le superbe bilan de 170 buts en 332 matchs premier sportif singapourien à dépasser et a laissé sa trace tant à Singapour qu’en le million de dollars de revenus et arrive en Malaisie. Au niveau international, il a sixième position dans la liste des cinquante également explosé quelques records et plus grands athlètes singapouriens établie sera longtemps le plus jeune joueur à porter par le prestigieux journal The Straits Times. la tunique nationale à 17 ans, 3 mois et 23 jours, il faudra attendre 2007 pour que Hariss Légende vivante, il distille également l’image Harun ne le dépasse. Moins titré avec son d’un couple glamour et modèle avec son pays, il parvient tout de même à décrocher épouse, la mannequin sud-africaine Wendy trois médailles d’argent et trois de bronze Jacobs et leurs cinq enfants (dont deux aux Jeux d’Asie du Sud-Est. Avec ses 55 footballeurs) sont tous plus beaux les uns buts marqués, il est également le recordman que les autres. Humble, aimant et disponible, de l’équipe singapourienne. Une expérience Fandi cultive l’art de la discrétion, n’étant qu’il tente de partager avec la nouvelle jamais impliqué dans un seul scandale, ne génération: « le physique et le mental sont fumant ni ne buvant, tout en étant un fervent essentiels, mais ils ont besoin des 3 D : musulman. Il n’est dès lors pas rare de le détermination, discipline et dévouement. retrouver en interview dans des journaux Sans oublier, le petit S – pour sacrifice ». assez éloignés du foot comme The Asian L’ayant appliqué, Fandi trône fièrement au Parent. panthéon des légendes de Singapour, aux Bien sûr, un tel monument ne pouvait pas on le vénérait. Depuis ce jour-là, je me suis passer inaperçu et il a joué l’homme- dit que je ne pouvais pas refuser car nous sandwich pour différentes marques telles sommes nés pour rendre les gens heureux, Lotto, Royal Sporting House, Uncle Tobys j’y crois fermement. Quand les gens me ou Isomax. Sa popularité était telle qu’une reconnaissent, ils me parlent, prennent des biographie à son nom est sortie en 1993 et a photos, peu importe d’où ils viennent, ils sont été écoulée en deux mois. Bien sûr, il se sert tous les bienvenus ». Encore aujourd’hui, de son aura pour mener des campagnes de 35 ans après cette décision, il n’hésite pas sensibilisation aux dangers de la cigarette à interrompre son repas ou s’arrêter dans et de la drogue et a participé activement à la rue pour sourire à la photo d’un fan ou la collecte de fonds qui a suivi le tsunami lui signer un autographe. Fandi Ahmad est de 2004. Bref, un homme bien sous tous de loin la plus grande star de Singapour et rapports, d’une humilité déconcertante et qui ne doit même pas forcer pour se départir est pourtant l’idole de tout un peuple. de son naturel bienveillant. Le 8 avril 2019, à Raufoss, en Norvège, un jeune homme Si tout le monde loue sa disponibilité, devient le deuxième joueur singapourien à c’est qu’il la doit à quelqu’un : un certain jouer un match en Europe, trente ans après Diego Armando Maradona. Alors que Boca Fandi. Ce jeune homme, c’est Ikhsan Fandi, Juniors est en tournée à Selangor en 1982, son propre fils, qui a signé au club norvégien Fandi et ses camarades font des pieds et en début d’année. La boucle est bouclée. des mains pour avoir un autographe de la star qui logeait dans le même hôtel qu’eux. «Nous avons demandé son autographe, il a Boris Ghanem refusé. Nous étions déçus, tous, tellement

104 09 « QUE DEUX CLUBS RÉUSSISSENT À DIFFUSER CE MESSAGE DE FRATERNITÉ, JE TROUVE ÇA MERVEILLEUX »

Diego Bravo Rayo est un journaliste chilien et supporter invétéré du Colo- Colo et par ricochet de l’Alianza Lima. Il est d’ailleurs l’un des auteurs de l’ouvrage Amistad sin fronteras qui raconte l’amitié bien vivante entre les deux clubs, une des plus belles histoires tissées entre deux clubs de deux pays qui n’entretiennent pas toujours des relations très cordiales.

remière question classique, comment Il te racontait ces histoires comme des es-tu tombé dans la marmite du contes ou des histoires pour dormir, au bord Pfootball ? du lit ? C’est une question qui amène une des Oui, plus ou moins, presque. Ça pouvait être réponses les plus variées que l’on peut avoir. en se baladant, je lui posais des questions sur Ça diffère beaucoup, même si certains points les choses de la vie, comme tous les enfants. peuvent se répéter ou revenir souvent. Les Ce qui se passait souvent, c’était que je gens peuvent arriver au foot de manières posais des questions sur les différents pays plus ou moins semblables, que ce soit au du monde, la France, l’Allemagne, les pays travers de ton père, quelqu’un de plus âgé, limitrophes, (mon père a vécu en Argentine), un ami à toi, etc. Mais que ça te plaise, ce etc. Et arrive le tour du Pérou, et là ça diffère qui te plait dans le foot, la manière dont tu le un peu des autres réponses, sa réaction est vis, est quelque chose de très authentique, différente, comme si j’avais ouvert la boîte à que vit chaque personne d’une manière histoires. Il commence donc à me raconter unique. Moi je suis arrivé au foot grâce à la fameuse histoire de ce qui se passe en mon père et à l’environnement autour. Il me décembre 1987 avec le crash de l’avion qui parlait d’histoires de football, du Colo-Colo, transportait les joueurs de l’Alianza Lima. de l’histoire avec l’Alianza Lima, qui doit être Au-delà des faits, c’est l’histoire de ce qui se une des premières histoires de foot qu’il me passe après qu’il me raconte et du fait que raconte, ou du moins une des premières dont l’Alianza Lima devienne l’équipe sœur du je me souvienne. Ça va au-delà du foot, cette Colo-Colo, une des plus belles histoires de histoire entre les deux clubs. foot dans le monde selon moi. À partir de là

106 mon père me raconte plein d’autres histoires fonctionnement de club de quartier. Même de foot. Il commence à me parler du foot si c’est un petit peu plus formel maintenant, argentin, chilien, de Colo-Colo, etc. jusqu’à il y a peu, on pouvait voir les mères des joueurs entrer dans les vestiaires, c’était Tes premiers souvenirs ne sont donc pas liés quelque chose de normal. C’est encore le à la sélection, la Roja ? cas surtout avec les joueurs formés au club Non ! Impossible, parce que pour les qui sont pour la plupart des gens du quartier supporters du Colo-Colo et les Chiliens en de la Victoria, même si certains deviennent général, avant 2015, et la première Copa professionnels, les mères continuent de les America remportée, ou éventuellement la voir comme des enfants du quartier et la médaille de bronze des JO de 2000, l’équipe relation est toujours la même. Les joueurs qui a apporté le plus de bonheur au Chili est prêtés après le crash par Colo-Colo l’ont vu le Colo-Colo. Le succès et la grandeur du et l’ont vécu. Ils voyaient par exemple la mère football chilien, seul le Cacique l’incarnait. d’un des joueurs décédés dans l’accident Des équipes chiliennes sont arrivées en finale débarquer dans le vestiaire. Ce sont donc de la Libertadores, comme Cobreloa par deux des relations vraiment différentes, et fois, l'Universidad Católica, l'Unión Española, dissonantes, face à l’hermétisme du football ou la U de Chile qui est arrivée deux fois en professionnel d’aujourd’hui. demies. Nous n’avions que ça à nous mettre L’Alianza et le Colo sont deux clubs sous la dent avant que Colo-Colo ne devienne populaires, les plus populaires de leur la première équipe chilienne à gagner un titre pays, et qui sont l’expression, ou en tout international en 1991, en remportant la Copa cas canalisent, beaucoup de secteurs Libertadores face à Olimpia. dépossédés et qui traversent la société. Un Et le résultat de ces histoires que ton père te des chants de la Garra Blanca (NDLR : le racontait enfant est un livre autour de cette groupe de supporters du Colo-Colo) résume histoire d’amitié entre Colo-Colo et l’Alianza par exemple très bien la transversalité de Lima. Pourquoi vouloir écrire là-dessus ? Colo-Colo : « C’est la passion du peuple, du curé au voleur ». Cela met en lumière Le pourquoi est assez simple à expliquer, l’importance du club. Le curé symbolise le c’est une thématique très attractive, très calme, la quiétude, et le voleur, l’opposé. Cela intéressante et riche à raconter. C’est une montre que le club touche tout le monde, est histoire unique dans le football mondial. C’est très transversal, massif même. Toutes les peut-être la première fois que deux clubs, ou couches de la société sont représentées au plutôt qu’un club apporte son aide de cette sein du club ou du moins des supporters. Ce manière à un autre club, dans une situation côté massif peut même parfois devenir un si critique, si complexe, si douloureuse pour problème. un club (NDLR : suite au crash, Colo-Colo a prêté quatre joueurs au club liménien, dont L’Alianza Lima a les mêmes caractéristiques, José Letelier, l’actuel sélectionner de la Roja c’est-à-dire un club populaire, qui ne féminine). Au-delà des chiffres, du nombre de fait pas que représenter, mais qui aussi joueurs décédés, ce sont avant tout des êtres valide, renforce, rehausse, redore, des humains. L’Alianza Lima a la particularité, cultures populaires, qui normalement, sont malgré le fait d’être l’un des clubs les plus discriminées, ou dévalorisées, comme l’est populaires du Pérou, de continuer à avoir un la musique afro-péruvienne. La culture afro-

107 descendante du Pérou est très présente et à la fois par un Chilien et par un Péruvien, ardemment défendue par le club. Ce n’est des historiens, sociologues, journalistes, etc. d’ailleurs pas pour rien qu’on les surnomme Sur ces deux chapitres, j’ai plutôt fonctionné « Los Grones », « Los Negros » (les Noirs), à comme «secrétaire de rédaction», dans l’envers. Ce sont des clubs très similaires. l’édition, la vérification des sources, les corrections, l'orthographe, la syntaxe, etc. Et personne n’avait raconté cette histoire dans un livre avant, ou un documentaire, un Les chapitres suivants parlent du geste en film ? lui-même, des détails, et des choses plus profondes, l’origine de ce geste de solidarité Ce ne serait pas mal d’en faire un film, c’est de la part du Colo-Colo, qui étaient ces vrai. Il y a eu des livres écrits à ce sujet, mais joueurs qui y sont allés. Parce qu’il faut le pas de cette manière. Certains ont raconté rappeler, ce livre parle de personnes, d’êtres des anecdotes, le geste lui-même juste humains, c’est important de le souligner, de après l’accident, le contexte historique. Mais ne pas l’oublier et que malheureusement personne n’avait vraiment raconté l’amitié l’on commence à s’habituer à une en elle-même, ce qui s’est passé ensuite, et déshumanisation du football de nos jours. ce qui perdure encore aujourd’hui. En fait, Ce sont des êtres humains qui jouent au le livre traite de l’amitié entre Colo-Colo et foot. Et ces personnes-là peuvent avoir peur, Alianza Lima. Cela n’avait jamais été fait être tristes, vivre des moments difficiles, être sous le prisme de l’amitié pure et dure entre fatiguées parfois, être très joyeuses aussi, les deux clubs. Le livre se base sur la relation vivre beaucoup de folies, il y aussi du vice qu’entretiennent les deux clubs. parmi les footballeurs. Ce sont des personnes As-tu reçu un soutien de la part du club ? comme les autres. Ces deux chapitres sont Comment l’idée a-t-elle été accueillie ? la construction de la trajectoire de ce geste, des détails, des coulisses. Je crois qu’il l’a reçue plutôt comme une bonne idée. Le club nous a vraiment soutenu Et comment est venu le déclic de vouloir au milieu du projet on va dire. On a lancé le raconter cette histoire sous cet angle-là ? projet de notre propre initiative, sans aucun L’idée d’écrire quelque chose sur la relation soutien du club au départ. Nous n’avons reçu entre Alianza et Colo-Colo est quelque chose aucun soutien financier, soyons clairs. Par que j’avais en tête depuis plusieurs années. contre, nous avons été soutenus en termes Donc je ne me souviens pas forcément du de diffusion. Par exemple la présentation déclic, du jour où je me suis dit, c’est parti, et le lancement du livre se sont faits au je veux écrire un livre sur le sujet. Moi, je Monumental, au siège du club, grâce au venais à Santiago juste aller voir le Colo-Colo soutien du CSD Colo-Colo, de la direction de jouer. Je suis de Viña del Mar, à cent vingt l’institution, pas du secteur professionnel. kilomètres sur la côte. Ce n’est que plus tard Donc, oui nous avons quand même reçu le que j’ai commencé à rencontrer du monde soutien de l’institution. dans la capitale, visiter, connaitre les rues, Et comment s’est construit le livre ? découvrir certains quartiers. Puis je me suis rendu compte petit à petit de l’importance Nous avons travaillé en équipe. Il y a de l’immigration péruvienne à Santiago et plusieurs plumes dans le livre. Il y quatre qu’elle se reflétait en partie à travers l’Alianza chapitres, dont les deux premiers sont écrits

108 j’avais rêvé toute ma vie. Sa démarche me

Lima. J’ai commencé à voir et faire attention j’avais rêvé toute ma vie. Sa démarche aux aux graphs de l’Alianza dans les rues. Et tombait du ciel. ce phénomène m’a vraiment interpelé. Les Tu ne pensais pas encore écrire ce livre ? supporters, les hinchas portent leur culture, et donc leur équipe, leur club, qui fait partie À ce moment-là, je ne pensais pas encore de leur bagage culturel. Je me suis rendu écrire un livre sur Colo-Colo. J’étais en train compte que cette amitié entre les deux de terminer mes études, donc ce n’était pas équipes était vivante. On est trois sur le dans mes plans à court terme. Et tout à projet du livre. Un des deux autres m’appelle coup cette proposition arrive, et ça change et me dit qu’il aimerait me rencontrer pour ma vie, parce que c’est quelque chose de parler de cette thématique. Il me parle de passionnant. Finalement écrire ce livre, cette idée, et il avait déjà plein de matériel, c’était presque comme avoir un enfant, des entretiens, des contacts, des idées qui puisque tout le travail, de la documentation confluaient, coïncidaient avec les idées que à l’impression m’a demandé dix-onze mois j’avais moi aussi en tête. C’est le projet dont d’efforts environ.

109 Tu t’es rendu au Pérou pour le livre ? Milagros, le Saint Patron du Pérou, mais que s’est approprié aussi l’Alianza. Non, pas pour l’écriture du livre. Tout s’est fait à distance, par téléphone, avec les Tu as vu sur la table le LO Mag n°6, où il y intervenants habitants au Pérou. Mais on un graph dédié à l’Alianza Lima en une, et tu a surtout interviewé physiquement les m’as dit que tu connaissais l’artiste qui l’a supporters de l’Alianza ici-même, à Santiago, peint et qu’il a fait le dessin de la couverture on avait de quoi faire sur place. On a eu aussi du livre, peux-tu nous en dire plus sur cet un gros coup de bol, car parmi les anciens artiste ? Peux-tu nous raconter l’histoire du joueurs colocolinos qui sont allés jouer à dessin de ton livre ? Comment s’est fait le l’Alianza Lima que l’on a interrogé, beaucoup contact ? d’entre eux ont gardé précieusement les Oui, effectivement. Il s’appelle Alexis coupures de presse pendant leur passage à Chumpitaz. C’est un artiste graphique Lima. Nous n’avons presque pas eu besoin professionnel, qui a étudié les beaux- d’aller aux archives nationales péruviennes arts à Lima. Quelqu’un de l’équipe avait pour avoir accès aux différents articles de son contact, on lui a présenté le projet et presse de l’époque. Ils avaient tout gardé. on lui a expliqué l’esprit du livre, on lui a Ça a été un soulagement de ne pas avoir à demandé de remplir certaines conditions réaliser ce travail. C’était un gain de temps et graphiques que l’on voulait et il a accepté. d’argent aussi. Je suis quand même allé aux Un des critères les plus important était que archives chiliennes pour pouvoir tout bien les deux personnages aient les mains liées documenter et récupérer les entretiens des et qu’ils soient au même niveau, à la même dirigeants de l’époque par exemple. hauteur, aux mêmes dimensions. C’était très Par contre, l’an passé, je me suis rendu important parce que même si le geste initial à la Foire du livre de Lima pour présenter vient du Colo-Colo et que nous venons de notre ouvrage, il y avait un supporter de ce club, nous sommes égaux, nous ne nous l’Universitario (NLDR : le club archi rival de situons pas au-dessus dans cette relation l’Alianza Lima) qui a tenu absolument à nous d’amitié qui est née. Un jour pour toi, un jour acheter le livre après avoir sympathisé avec pour moi et pour toujours. nous. Cela démontre que le geste du Colo Penses-tu que cette amitié se vit plus du est très transversal, il va au-delà de la lutte côté aliancista ou du côté colocolino ? Les partisane. Lors de cette foire du livre, Parcko supporters de deux clubs sont-ils tous au Quiroz m’a accompagné. C’est le joueur courant de cette histoire d’amitié entre les prêté par le club à cette époque qui a laissé le deux clubs ? meilleur souvenir. Il est très aimé à Lima, il y a même habité un temps. Nous fûmes invités Il est probable que côté péruvien, on soit plus à une cérémonie religieuse (car l’Alianza est au courant de ça puisque finalement ce sont un club très religieux) par l’ABA (« Asociación eux qui ont souffert de l’accident, donc ils Barra Aliancista »), un groupe de supporters connaissent forcément mieux la suite des datant des années soixante-dix, à leur siège. évènements. Alors que côté chilien, tout le C’était une cérémonie de recueil en hommage monde n’est même pas forcément au courant aux joueurs décédés dans l’accident. J’en de l’accident, encore moins les plus jeunes. étais ému aux larmes tellement c’était fort. Mais la plupart des supporters du Colo-Colo, C’était sous le patronage du Señor de los en tout cas les vrais, connaissent ce lien qui

110 unit les deux entités, au moins vaguement. part du Colo, il aurait pensé toute sa vie que les Chiliens étaient des « merdes » et qu’ils Je voulais aussi que tu nous racontes ce devaient tous mourir. Cela lui a ouvert les qui va bien au-delà de l’amitié entre clubs. yeux, et il s’est rendu compte que tous les Tu me disais l’autre jour que les dirigeants Chiliens n’étaient pas tous méchants comme de l’époque ne s’imaginaient pas une seule peuvent les présenter les médias ou comme seconde de l’importance qu’aurait ce geste l’ignorance pouvait lui laisser croire. Dans au départ désintéressé. notre cas à nous deux, nous n’avons pas Il y a par exemple des couples mixtes dont besoin de cette histoire d’amitié entre les l’un est supporter de l’Alianza et l’autre deux clubs pour savoir que les Péruviens et du Colo-Colo. À chaque match à domicile Chiliens sont égaux, car nous avons reçu une du Colo, il y a des supporters de l’Alianza, éducation de qualité, nous avons voyagé. c’est rentré dans les mœurs, même si c’est Mais dans le cas des couches très populaires, facilité par la forte communauté péruvienne l’environnement est rempli de préjugés, à Santiago. Mais personne ne les oblige à elles sont poreuses à la désinformation, ou venir et soutenir les Albos. Les supporters sont confrontées à l’ignorance, au manque de l’Alianza font partie des murs, ils sont d’accès à la culture. C’est le cas d’une à la maison au Monumental. Il y a aussi grande partie des supporters des deux clubs l’histoire du couple de Péruviens, supporters malheureusement, ce n’est pas que de leur de l’Alianza résidant à la Victoria (NLDR : faute s’ils sont ignorants sur certains points. le quartier de Lima où le club évolue), qui, Que ces deux clubs, les plus populaires de quand ils ont su qu’ils allaient avoir une fille, leur pays, réussissent à diffuser ce message ont décidé de l’appeler Alba. Même si c’est un de fraternité, je trouve ça merveilleux. prénom existant, il y a une référence à Albo Tu parles aussi dans le livre de réseaux (NLDR : ce qui signifie blanc, et est l'un des d’entraide, de solidarité à l’étranger, surnoms du Colo-Colo). Quand nous avons notamment en Suède, qui découle de cette appris ça, cela nous a beaucoup ému de voir relation, peux-tu nous en dire plus ? jusqu’où pouvait arriver cette amitié. Cette histoire est très représentative de ce qui s’est Les émigrants des deux barras à un moment passé hier, de ce qui se passe aujourd’hui et donné se rencontrent, se lient d’amitié et de ce qui se passera demain autour de cette avec le temps, ils se rendent compte qu’ils relation. ont les mêmes conditions d’immigrants et qu’ils peuvent installer une espèce de Une des choses les plus fortes de cette réseau d’entraide entre émigrés des deux amitié est de voir comment une expression pays, qui peut même dépasser les frontières si populaire comme le football incarne une de deux clubs dans certains cas. Le groupe amitié si forte grâce à deux clubs de foot. de supporters du Colo en Suède s’appelle C’est très beau aussi de voir comment cela « Los Emigrantes » et la barra de l’Alianza influence le regard que portent les Chiliens à l’étranger s’appelle « Los del extranjero » et Péruviens l’un sur l’autre. Une des choses (NDLR : Ceux de l’étranger) qui inclut ceux du qui m’émeut le plus de cette histoire est Brésil, États-Unis, Argentine, Italie, etc, mais par exemple d’avoir entendu de la bouche ils font quand même partie du Comando Sur, d’un supporter de l’Alianza au Pérou me la barra officielle. Elle est beaucoup plus dire que s’il n’y avait pas eu ce geste de la grande que celle du Colo à l’étranger, car la

111 diaspora péruvienne est très importante. personne parce qu’il a un autre maillot que Mais bien sûr qu’ils regardent ensemble le mien, seulement s’il vient me chercher je les matchs des deux clubs. On m’a raconté réponds, hein. Je regarde tous les matchs, aussi qu’à l’étranger, pour les tournois par même s’il peut m’arriver d’en rater quelques- exemple, ils faisaient des équipes mixtes, uns, parce qu’on doit quand même travailler des deux clubs, même si c’est surtout pour à un moment donné. Il y a des barristas qui éviter qu’ils se battent entre eux. vivent nuit et jour pour le club et je ne sais pas d’où ils sortent l’argent pour vivre. Soit ils Quel type de supporter es-tu ? sont millionnaires ou vivent du narcotrafic. Je vais au stade à chaque fois que je peux. Je suis quelqu’un qui ne manque pas Je me considère comme un barrista, mais spécialement d’argent, mais j’ai dû payer par pas barra brava. Je chante pendant quatre- exemple environ 15€ pour devoir arriver une vingt-dix minutes, je me mets avec la barra, heure et demie avant le match la dernière fois pas en tribune assise. Hincha barrista de à Viña del Mar au Sausalito. Et je comprends Colo-Colo. Par contre je ne frapperai jamais que des gens n’ont pas les moyens d’aller au stade. Souvent à l’extérieur, on fait payer

112 plus au supporter du Colo que le local pour moi juste parce que je porte les couleurs les mêmes places, qui sont les moins bien du Colo. Parce qu’il faut savoir ce qu’est placées en plus. Je suis socio du club depuis l’Alianza, qui est peut-être plus populaire 2013 ou 2014 et à jour de ma cotisation. encore en dehors de la région de Lima, c’est J’aurais pu l’être depuis plus longtemps, impressionnant et très marqué. Mais cette mais comme le club était au bord de la faillite fois, ce sont aussi d’autres personnes qui en 2002, il y a eu un gel des nouveaux socios. m’ont ouvert leur porte. Le geste du Cacique J’ai participé à quelques assemblées, je est salué par tous les supporters du Pérou, pourrais en faire plus, c’est vrai. Mais je vais pas que de l’Alianza. aux plus importantes en tout cas. Et quel est ton plus grand moment de foot au As-tu déjà voyagé pour aller voir ton club ? stade ? Oui, j’ai d’ailleurs fait mon premier Un de mes souvenirs les plus marquants déplacement à l’étranger l’année dernière est curieusement lié à une défaite. C’était vers fin avril 2018. C’était pour aller voir le lors de la finale retour de Sudamericana de match de Libertadores contre Delfín à Manta, 2006 contre Pachuca. Si je pouvais faire en Équateur (NDLR : gagné 2-1 par Colo- abstraction de la défaite ensuite, ce serait Colo). J’ai voyagé tout seul. J’ai pris l’avion clairement mon meilleur souvenir, ou en tout jusqu’à Lima puis je suis monté en bus cas l’instant le plus intense. On avait fait jusqu’à Manta. Cela m’a pris cinq-six jours match nul là-bas 1-1. Le retour s’est joué à pour arriver. Bien sûr j’ai pris mon temps, l’Estadio Nacional. La première chose c’est j’en ai profité pour visiter. Sans escale, ça le « recibimiento », qui est peut-être le plus fait deux à trois jours de bus. J’ai fait une grand de l’histoire du football chilien selon étape à Piura au Nord du Pérou où j’ai été moi. Quinze minutes non-stop de pétards, reçu par un supporter de l’Alianza. Il faisait de bruit, de chants, de fumigènes, de feux une chaleur terrible et il m’a reçu comme d’artifice, etc. Puis Chupete Suazo ouvre le un roi, on a regardé ensemble le match score, et comme il y avait tellement de monde, Alianza-Palmeiras. On mange très très au moment de fêter le but je me suis retrouvé bien au Nord du pays. Puis j’ai fait escale à littéralement en l’air, mes pieds ne touchaient Mancora plus très loin de la frontière avec plus le sol, comme si j’étais en pleine mer, l’Équateur. Ce trajet était dingue parce qu’il c’était fou, presque surnaturel. Ce fut un y avait un blocage des pêcheurs locaux, instant magique. Bon, malheureusement on j’ai donc dû faire plein de détours, prendre a fini par perdre. Mais en plus quelle équipe des motos-taxis, etc. C’était la plus belle c’était ! Il y avait Chupete Suazo, Arturo Vidal, étape du voyage. Tout était calme dans la Mati Fernández, Alexis Sánchez… ville, tranquille. C’est une cité balnéaire très Nous avons assisté ensemble au dernier tranquille avec des plages magnifiques. Et Superclásico (victoire de Colo-Colo sur la U là j’ai fait un test. Je suis sorti à la plage 3-2) et je t’ai vu pleurer au moment du but tranquille avec mes habits normaux puis de Paredes, qui devenait alors le meilleur je retourne à l’hôtel et je ressors avec mon buteur de l'histoire du championnat. Qu’as- maillot du Colo, la casquette, etc. Et là tout tu ressenti à ce moment-là ? le monde me salue dans la rue, on m’offre à boire, on me klaxonne, on m’embrasse, etc. De la jubilation, de l’extase. J’étais en train En gros les portes de la ville s’ouvrent pour de vivre quelque chose d’impensable dans

113 ma vie. Même en rêve, je ne l’imaginais pas, des plus belles fêtes de ma vie. La sélection même dans mes plus grandes folies, je ne pour moi, c’est l’occasion de déconner, de pouvais pas y penser. J’ai ressenti une joie faire la fête avec mes amis. Par exemple, on comme un enfant qui touche quelque chose est un groupe de cinq amis d’enfance, chacun qu’il n’aurait jamais pu imaginer. Que Paredes supporter d’un club différent bizarrement, de marque son 216e but contre la U de Chile, la U de Chile, de la Católica, du Wanderers que l’on gagne avec un scénario incroyable, et même un d’Arica pour te dire, et le seul qu’ils soient aux portes de la relégation moment où l'on peut fêter un but ensemble grâce à ce résultat et que le meilleur buteur c’est avec la Roja. On est le typique cliché du championnat chilien soit à nouveau de la sélection qui unit tout le monde. On l’a un colocolino, après Chamaco Valdés, est d’ailleurs fêté comme des dingues, on avait quelque chose d’inimaginable. des feux d’artifice et tout, on est sortis dans la rue, on est rentrés au petit matin dans un Et en tant que supporter, as-tu vécu des sale état mais heureux. Mais mon meilleur épisodes violents, des mauvais souvenirs ? souvenir footballistique serait plutôt quand Oui, j’en ai vécu quelques-uns. Par exemple le Colo-Colo a gagné le championnat en une fois, avec un ami en revenant chez moi, finale contre la U en 2006, et en plus j’étais on a croisé une soixantaine de supporters de au stade. Ou sinon mon voyage à Manta, la U qui partaient pour Concepción je crois. c’était la première fois que j’allais voir mon Ils nous ont insultés, menacés, mais peut- club à l’étranger. être que comme on n’était que deux, ils ne En continuant avec la sélection, est-ce que nous ont pas attaqués, mais c’était chaud. tu as ressenti en tant que supporter un avant Une autre fois, en allant voir un match à et un après Bielsa ? Quel a été son apport Rancagua, cinq supporters du Colo m’ont selon toi ? dépouillé. Mais ce sont des choses qui arrivent, heureusement je n’avais pas grand- Déjà, rien que les joueurs affirment avoir chose sur moi. Il y a de tout chez la Garra senti clairement son apport. On pouvait pour Blanca. Mais là c’était juste des délinquants, la première fois regarder droit dans les yeux peu importe le maillot. J’ai vu aussi d’autres des équipes comme l’Argentine ou d’autres choses, avant un Clásico par exemple, une grosses équipes, ça c’était impressionnant. bataille rangée entre supporters des deux Cela ne nous était jamais arrivé. On ne pensait camps. C’était très violent. pas que de notre vivant on assisterait à une victoire contre l’Argentine. On ne pensait pas Passons maintenant à la sélection. Est-ce pouvoir être champions de quoi que ce soit que la victoire en Copa América en 2015 à avec la sélection A. Et l’influence de Bielsa a domicile, la première pour le Chili, est ta plus dépassé les limites du football. Et beaucoup grande joie footballistique ? Qu’est-ce qui de gens prennent comme exemple son t’apporte le plus de joie, la sélection ou le passage à la tête de la sélection pour aborder Colo-Colo ? la vie d’une autre manière. C’est vraiment Non, d’abord mon club avant la sélection. Je quelque chose de fou. dirais même dans l’ordre, Colo-Colo, Alianza Et comment expliques-tu que les bons Lima et bien après la sélection. Un match résultats de la sélection ne se reflètent par Alianza – Chili, je suis pour les premiers, à ce sur les clubs chiliens ? Comment expliquer point. La victoire en 2015 a néanmoins été une

114 les piètres résultats en coupes continentales rien au football. Elles croient qu’elles peuvent par exemple, encore plus cette saison ? faire de l’argent avec le foot alors que sous ces latitudes-là et encore plus au Chili, le Les clubs chiliens travaillent déjà très mal au football est un investissement à perte. La niveau professionnel, ensuite, nos meilleurs vente de joueurs à un bon prix est quelque joueurs jouent à l’étranger. Alexis, Vidal, chose de rare, et fait figure d’exception. Les Chupete, Mati Fernández, sont restés très clubs ont des frais supplémentaires, ce sont peu de temps au Chili. Ces joueurs-là ont des états miniatures. été formés à une époque où il n’y avait pas encore les sociétés anonymes, ce n’était que Pour conclure, que pourrais-tu souhaiter au le tout début de l’arrivée du capital privé dans foot chilien ? le foot chilien. Les joueurs de la génération Je souhaite que les SA s’en aillent et que la dorée ont été formés sous une autre logique, gestion des clubs revienne aux associations un autre système, avant l’avènement des sans but lucratif et aux supporters sous une SA qui polluent le foot chilien. C’est clair et autre dynamique. En ce moment le système net. Nous n’avons sorti aucune nouvelle est néfaste. pépite depuis. La seule équipe issue du système de SA à être sortie du lot est la U de Chile de Sampaoli avec une demi-finale de Libertadores et une Sudamericana gagnée. Propos recueillis par Gabriel Micolon Mais c’est une rare exception et encore, il faudrait vérifier quels joueurs y ont vraiment été formés. Tu veux dire que les SA font passer les bénéfices avant la formation des joueurs ou le sportif en tout cas, c’est là où tu veux en venir ? Remettons les choses dans leur contexte. avant l’apparition de SA, les associations sportives laissaient beaucoup à désirer quand même. Il y avait une mauvaise gestion financière, peu de créativité dans la gestion des ressources et des fonds. Mais parallèlement à ça, leur essence même n’était pas d’enrichir quelques-uns. Par exemple jusqu’en 1996, Colo-Colo avait même une section de sport automobile ! Les clubs avaient une vocation sociale avant tout. Avec l’arrivée des SA, en 2005 (NLDR: le premier club est justement Colo-Colo) débarque une logique vraiment néfaste pour le foot chilien. Et en plus les personnes qui investissent dans celles-ci ne connaissent

115 Lucarne Opposée 10 Hameau René Cassin 35410 Domloup (France) http://lucarne-opposee.fr [email protected] ISSN : 2605-9398

Directeur général, rédacteur en chef : Nicolas Cougot Directeur de publication : Jérôme Lecigne

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Crédits photos : Lucarne Opposée sauf p13 (Mourão Panda), p109 et 112 (Diego Bravo Rayo)

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116 Numéro spécial - Exemplaire gratuit, ne peut être vendu

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