r\ s p s-ps ps p s p s AUO ^ ^\V> ■—^ ^ ^ ■—^1 Françoise Arlot

I É Q U i N 0 X E dans les années cinquante.

ILLUSTRATIONS DE COUVERTURE : lrt' de couverture : Le café du Progrès et l'horloge. La fontaine en 1929. 4e de couverture : La fontaine en 1929. © EDITIONS EQUINOXE Mas du Sacré Cœur - 30320 Marguerittes ISBN : 2-84135-019-3 ISSN : 1147-3339 Situation géographique et Historique

AUREILLE ou OREILLE, dans le Diocèfe d'Avignon, & dans le district des Ter- res Adjacentes, petit Village bâti depuis environ cent foixante & dix ans à l'extré- mité de la plaine de La , du côté du Nord, au pied des collines appelées les Houpies : il fut conftruit fur les ruines d'un ancien Village, dont il ne refte que les débris du vieux Château fur la cime d'un rocher. Aureille, eft nommé en latin Aurelia, en provençal Aurevo. C.F. Achard Description historique, géographique et topogra- phique des bourgs, villages et villes de Provence et du comtat (1788).

Le nom d'Aureille a donné lieu à diverses étymologies : qu'ait existé, à , une famille de ce nom, à laquelle aurait pour les uns, il se rattache à la Voie Aurélienne ; mais,outre appartenu, dit-on, le Saint-Aureille, honoré lorsqu'on souhai- que cette voie passe fort loin du village, on ne la trouve pas tait l'arrivée du . Mais on se trouve encore là dans le désignée par son nom latin dans les textes du Moyen Age ou domaine de l'hypothétique ou même du mythique. dans les textes postérieurs. La troisième explication renvoie à une racine "auro", liée Charles Rostaing, dans son dictionnaire de toponymie, y voit au vent et aux lieux ventés ; ce qui est le cas d'Aureille et un nom propre romain, Aurelius, qui pourrait désigner le pro- qui pourrait expliquer aussi le culte de Saint-Aureille. priétaire du terroir ou d'une partie du terroir. Or, il semble Q Situé à mi-chemin de Mouriès et d'Eyguières, le village d'Aureille s'adosse à la pente méridionale des et s'ouvre sur la plaine de Crau qui étale ses coussouls, ses prés et ses vergers jusqu'à la mer. Inscrit dans un paysage à la beauté lumineuse et dépouillée, il a, pour se développer, Vue du village prise à l'ouest. demandé un labeur persévérant et acharné à ceux qui, au fil des siècles, ont mis en culture son terroir. Hommes et femmes, souvent méconnus, qui pourtant ont fait et sont l'histoire de ce pays et dont ce travail se pro- pose d'évoquer le souvenir et la présence.

Vue générale du village d'Aureille prise du Midi. Terroir difficile : ici se dressent des vagues de pierre calcaire que les contrecoups des plissements pyrénéens et alpins ont fait surgir des fonds autrefois marins, où elles s'étaient lente- ment formées. Ici se rencontrent le calcaire blanc du Rognacien et les roches rouges du Vitrollien, témoins de ces fractures, tandis qu'à leurs pieds commence l'ancien delta de la , couvert de ces galets roulés, polis par le flot qui les a arrachés à la montagne. Collines d'Aureille. Collines et Crau ont été long- temps le domaine du vautour fauve ; ce superbe oiseau à la vaste envergure, a habité pen- dant des siècles les Alpilles et en particulier les falaises nommées les Barres Rouges derrière Aureille. J.B. Jaubert et Barthé- lémy-Lapommeraye, dans leur ouvrage : "Richesses ornitholo- giques du Midi de la " publié en 1859, évoquent ces oiseaux "perchés sur des mont- joies de cailloux" en Crau ou "réfugiés dans les Alpines" où "ils trouvent certains gîtes inex- pugnables qui les abritent, et de jour et de nuit, contre l'impétuo- sité du vent, les attaques de l'homme et des bêtes fauves". (p. 25).

Cailloux de Crau. Silex taillés d'époque néolithique, trouvés sur le territoire d'Aureille.

Terre aride, terre difficile et pourtant l'homme y appa- raît, dès le Néolithique. A partir du 6°-5° millénaire avant notre ère, les Alpilles ont été très peuplées ; car "elles Le Petit Marseillais du 7 mars 1909 offraient dans une chaîne calcaire très déchiquetée de petits bassins intérieurs de terre fertile, vivrière où les hommes pou- signale la découverte d'un dolmen à Aureille. vaient se fixer... et aussi sur le flanc sud, surtout, un enso- une perle en cornaline, un petit vase de poterie grossière, brisé leillement privilégié, tandis que la proximité des eaux de la au moment de la découverte, une alène de bronze. Durance, du Rhône et des étangs plus nombreux Ce mobilier funéraire, assez semblable à ce qu'ont pu révé- qu 'aujourd'hui ouvraient des possibilités de communication ler des tombes de la même époque (autour de 2000 avant J.C.) et des ressources". (J.-M. Rouquette Conférence du 17 juin renvoie à ce que l'on connaît de ces petites sociétés agrico- 1992 aux Baux organisée par l'ARAA). les, capables d'utiliser ces lames de silex, montées sur des Aureille peut s'inscrire parmi les sites qui "d' a Arles" morceaux de bois ou d'os, comme faucilles pour moisson- témoignent de la présence humaine, sans être, hélas !, parmi ner les céréales, blé ou orge, qui avec des légumineuses, cons- les plus riches en vestiges reconnus. Car, quoique une pros- tituaient la base de l'alimentation. pection systématique, faite en 1989-90 par M. Poguet, Par ailleurs, des pointes de flèches, des haches, des fragments d'Eyguières, en ait souligné l'intérêt, jamais le terroir n'a fait de poteries, trouvées sur la Barre ou en d'autres endroits du l'objet de fouilles méthodiquement menées. territoire, rappellent que les hommes du Néolithique, ne Pourtant, en 1909. le creusement du Canal de la Vallée des délaissaient ni la chasse ni la cueillette et le ramassage de tout Baux avait mis au jour un dolmen de la fin de l'époque néo- ce que la nature pouvait leur fournir, glands, champignons, lithique que le Pasteur Destandau, infatigable chercheur de baies de toute sorte. la Vallée des Baux, avait inventorié, comme le rapporte un De plus, le dolmen, tombe collective, évoque, comme les entrefilet du Petit Marseillais ; il publia ultérieurement le résul- hypogées de Fontvieille, quoique plus modestement, les tat de sa recherche : au milieu d'ossements humains assez croyances et les rites de nos très lointains prédécesseurs, sou- nombreux, dix longues lames de silex, des poinçons en os, cieux de la vie dans l'au-delà. A l'âge du fer, VIe-Ve siècle avant notre ère, "époque, il y a mille ans déjà dit J.-M. Rouquette, de J'apogée de la civilisation indigène je battais la colline de mes pieds nus ligure qui va précéder l'arrivée des Grecs et des Romains", j'étais ce sanglier tremblant quelques communautés humaines s'implantent, au piémont qui passe entre les buis et sur les premières pentes des Alpilles, sur ce qui sera plus cet oiseau gris et bleu tard le terroir d'Aureille, ces communautés appartiennent à sur le blanc des falaises la confédération des Salyens qui regroupe des tribus 'hié- la colline m'offrait ses entrailles rarchisées, soumises au pouvoir de petits rois" (J.-M. Rou- je regardais la plaine à l'infini quette). où s'étendait la lumière Il y a donc là une organisation politique et sociale bien struc- et dans mon dos s'endormaient turée, une organisation économique aussi ; les nombreux tes- les sombreurs des rocs sons, les fragments de meules en basalte, retrouvés sur les sites, confirment l'existence d'une population, capable, non il y a mille ans à peine seulement de mettre en culture un sol difficile, d'élever des j'étais nu et muet ovins, comme le prouvent les découvertes récentes de res- je courais au bord des gouffres bleus tes de bergeries en Crau ; mais capable aussi de stocker des et dévalais les sentiers à peine tracés provisions, de construire des murs de défense, d'entretenir pour me frotter le corps un réseau de relations d'amitié ou d'hostilité avec les grou- des fleurs jaunes de la coronille pes voisins. des fleurs bleues des iris Toutes ces observations permettent d'imaginer des échanges la colline était bleue nombreux et une vie active dans ce petit coin des Alpilles. et j'étais sauvage je traçais des signes sous les pierres pour contempler le monde empli de signes mais le sauvage en moi s'effraie et je ferme la grille des collines pour garder leurs odeurs et intacte la mémoire qui dans mon sang s'épanche Jean-Noël Pelen, ethnographe, habite Aureille et dit, dans son recueil "Le gris et le bleu", son amour pour les Alpilles.

Fragments de poterie de l'âge du fer (2e moitié du VIe siècle avant notre ère) ; ils correspondent à des vases de moyenne dimension, d'une céramique assez primitive. L'un d'eux est décoré d'une double ligne d'incisions. pI ourlant on n 'y retrouve peu trace de l'influence grec- Que Aureille ait appartenu ou non à un Aurelius, le pays est que qui, on le sait, pénètre l'arrière-pays, après l'implanta- habité de façon continue jusqu'au IVe siècle de notre ère. tion, à , en 600, d'une colonie de Phocéens. En Cette implantation est connue depuis longtemps ; déjà, au revanche les Romains seront bien présents. XVIIIe siècle, Achard, dans sa description historique et géo- La création à Arles d'une colonie romaine, en 47 avant Jésus graphique de la Provence, mentionne des monnaies, des restes Christ, entraîne la fondation de villas, sur tout le territoire de tombeaux, des lampes d'époque romaine, trouvés sur le des Alpilles. site d'Aureille. Que de témoignages, au cours des siècles, ont "A ce moment-là, on voit les Alpilles se couvrir littéralement dû disparaître ! de villas" (J.M. Rouquette). Le vestige le plus connu, la villa du Pas de Clavel, à la limite Il s'agit de domaines plus ou moins importants qui associent d'Aureille et de Mouriès, qui a gardé longtemps les restes maisons de maître et bâtiments agricoles. d'une piscine à mosaïque, a souffert de la passion, souvent Il semble bien qu'il y ait eu sur le terroir d'Aureille plusieurs indiscrète, d'archéologues amateurs. de ces exploitations ; une seule est attestée de façon certaine, Repérée depuis longtemps, elle a été en partie dégagée par mais d'autres sites révèlent une implantation humaine ; ces Louis Huc, qui fut instituteur à Aureille, à la fin du siècle der- villas pourraient avoir été reliées par une route qui aurait nier ; les frères Perret, d'Eyguières, s'y sont, eux aussi, inté- emprunté le tracé de la petite route de Mouriès actuelle, tracé ressés ; mais ni l'un ni les autres n'ont laissé de rapports ou qui, jusqu'en 1840, a été la voie normale vers ce village. de récits qui permettent d'évaluer l'importance et l'intérêt Nul doute ; du temps des Gallo-Romains, ces collines et ces de cette installation. terrasses ont vu passer paysans, bergers et chasseurs. Le Directeur des Antiquités de Provence, Fernand Benoît, qui, Mais, surtout la Voie Aurélienne, qui borde le territoire au avant la dernière guerre, a présenté un relevé des ressources sud, à partir des années 3 et 2 avant J.C., amène voyageurs archéologiques de la région, y note la présence d'hypocaus- marchands, courriers impériaux à parcourir la région et faci- tes, ces canalisations souterraines par lesquelles circulait l'air lite ainsi toutes sortes d'échanges. chaud à l'usage des bains ou thermes domestiques. Cette villa aurait été occupée, du Ier au IIIe siècle de notre ère, au moins. On pourrait donc imaginer légitimement qu'à cet endroit a existé une propriété importante. Ailleurs, au lieu-dit le Mas de Conse, plus récemment, lors du creusement d'un oléoduc, fut découverte une tête de sta- tue féminine, apparemment œuvre d'un artiste local, mais aucune autre recherche n'a alors été entreprise et l'on ne peut rien en déduire : provenait-elle d'une villa, d'un petit sanc- tuaire ? Comment le savoir ? Des tombes taillées dans le roc, à la draille de St-Jean et signa- lées par Fernand Benoît gardent, elles aussi, leur mystère.

[3 ernière des trois bornes milliaires qui jalonnaient la voie romaine sur le territoire d'Aureille ; celles-ci apparais- sent dans les différents actes de bornage, dressés au Moyen Age, comme "pierres plantées" et, "sculptées". L'une d'elle se trouve au Musée de Salon. Celle-ci, en partie enterrée et fort érodée, porte une inscrip- tion, difficilement déchiffrable aujourd'hui, mais qui a été rele- vée et publiée dans plusieurs revues spécialisées : Pater Patriae. Imp. Caesar Divi F - Pontifex - Maximus Cos. XII Cos. Designatus XIII - II P. XIII Tribunit. potest. XXI - III Cette inscription rappelle qu'en l'an 3 avant notre ère, l'empe- reur Auguste, fils du divin César a fait tracer et aménager cette route. Borne millaire. Monnaies romaines du IVe siècle de notre ère, trouvées à Aureille. (Coll. particulière).

Tête de statue en calcaire tendre, trouvée dans les excavations d'un oléoduc, représentant une femme ou un enfant. "La facture assez rudimentaire fait penser au travail d'un artiste local" (M. Poguet) (Coll. privée). Les invasions germaniques au Ve siècle provoquent, on Ce castrum ou village fortifié est un alleu, c'est-à-dire que le sait, un abandon des campagnes et un repli sur les villes les terres ont été données à mettre en culture et à habiter avec plus faciles à défendre. exemptions des charges fiscales communes ; ce privilège, Le site d'Aureille semble inhabité pendant de longues années jalousement revendiqué pendant des siècles, par les habitants et ne réapparaîtra qu'au XIe et XIIe siècle. du village, reviendra souvent dans les différends qui les oppo- C'est alors que, pour la première fois, apparaît le nom seront à l'administration centrale. d'Aureille, Aurella ou en latin Auricula, dans les chartes de Qui a été à l'origine le premier alleutier ? l'abbaye de St-Victor de Marseille. Les documents apportent peu de précisions sur ce point. En 1189 et 1192, Hugo et Raymond, "de Aurella" sont témoins S'agirait-il de cette famille, désignée par le nom latinisé de dans des actes importants pour la vie du monastère, ce qui "Aurelle", c'est-à-dire d'Aureille, dont certains membres, laisse à penser qu'ils jouissent d'un certain rang, le second sera Petrus, Raimundus, Audibertus Aurelle, signent comme même, un temps, abbé de St-Victor. Ainsi un village, "Aurella", témoins, à Arles, à plusieurs reprises ? Peut-être. existe et, sans doute, depuis quelques temps déjà. Chevaliers ou clercs arlésiens, ce sont, de toute façon, des Sa création s'expliquerait par la politique d'expansion et de personnages de poids dans la vie de la cité. Au XIIIe siècle, défrichement, mise en œuvre autour d'Arles, sous l'impul- toutefois, leurs biens se situent du côté de Trinquetaille. sion de l'évêque et des monastères. Car, en 1224, le castrum n'appartient plus aux Aurelle, si tant L'historien, Louis Stouff écrit que le territoire d'Arles se peu- est qu'ils l'aient possédé. ple, au XI" et au XIIe siècle "de hameaux, parfois de villa- C'est un citoyen d'Arles, Bernard Ybilion ou Ybiliot, qui le ges... qui comportent fréquemment des fortifications, lefor- vend ou le donne à la Communauté d'Arles, à titre de gage talicium ou château du seigneur et des murailles entourant ou d'hypothèque, avec "villis suis, et territorio et homini- la localité, comme à Albaron, Vaquières, Aureille". (La ville bus" avec ses mas, son territoire et ses hommes, le tout étant d'Arles au Moyen Age p. 92, t. 1). un franc alleu, exempt des impôts du pays. En 1200, le village fortifié d'Aureille relève de l'archevêque Il semble que cet homme ai eu des difficultés financières, la d'Arles, tandis que son église, Sancta Maria de Auricula est garde et l'entretien du château absorbant et au-delà les reve- un prieuré de l'Eglise d'Avignon, à l'intérieur du diocèse nus de la terre ; aussi débiteur de la ville d'Arles, Ybilion se d'Arles. dégage-t-il, de cette façon, de ses dettes.

Acte de 1224. Village des Alpilles, à l'écart des grandes routes, soucieux de préserver son identité, Aureille a parfois payé le prix de sa discrétion : on l'a un peu oublié. Oubli injuste ; là ont vécu et vivent, dans une fidélité au passé qui n'exclut aucune ouverture au temps présent, des hommes et des femmes attachés à leurs collines et à leur Crau et heureux d'en évoquer l'histoire. Françoise Arlot a recueilli leurs récits et a cherché dans les archives l'écho de voix plus anciennes.

ISBN 2.84135-019-3 ISSN 1147 3339 É Q U i M • X E Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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