GENS DE L'EST DANS LES GUERRES DE L'OUEST par le docteur Jean-Marie ROUILLARD, membre titulaire

Nous ne devons pas même prétendre à la gloire humaine, les guer­ res civiles nen donnent point ». Bonchamps « Je ne reviendrai pas en Vendée. Il me répugne trop de combattre des Français. Je veux porter mes armes contre Vétranger ; là seulement est Vhonneur et la gloire ». Marceau

A midi juste, le 9 septembre 1793, Michel Bastien des Baraques-du-Bois- des-Chênes, volontaire national du district de Sarrebourg, vétéran de Mayence, présentement canonnier à la demi-brigade Paris-Vosges, traverse la Loire sur le pont de Pirmil et, bien décidé à « casser du brigand », quitte pour péné­ trer en Vendée Militaire (59)*. Au milieu de son bataillon, à cheval, le général Kléber avec son air de lion, son habit bleu boutonné jusqu'au menton et son grand chapeau à plumet tricolore. Son aide de camp de 16 ans est le nancéien Frédéric Auguste de Beuermann qui va se distinguer bientôt à Blain en chan­ geant avec la cavalerie de Westermann ; plus tard, au passage du Tage, le 3 août 1809, il sera fait, sur le champ de bataille, chevalier de la Légion d'honneur ; il commandera ultérieurement la levée en masse du département des Vosges au début de janvier 1814 et le même mois, contribuera à la défense de notre ville, où il mourra le 13 avril 1815 (35 et 133). A côté de Kléber, encore plus empanaché que le général comme il se doit pour un représentant, chevauche Merlin de Thionville, son grand sabre à la ceinture et son écharpe tricolore autour des reins. Le colmarien Rewbell, autre représentant, ne doit pas être loin, car il se comportera honorablement à Torfou dans quelques jours. Avec eux pénètre en Vendée militaire l'avant-garde de la fameuse armée de Mayence, qui, ne pouvant plus combattre à l'Est en vertu de la capitulation, a été envoyée précipitamment dans l'Ouest avec les garnisons de Valenciennes et de Condé qui se trouvent dans la même situation. Derrière cette avant-garde suit la colonne du général Beysser de Ribeauvillé qui comprend les 6 270 hom­ mes de l'ancienne armée des Côtes de Brest avec laquelle, sous le commande­ ment du ci-devant marquis de Canclaux, il a brillamment contribué à la défense de Nantes contre l'armée de Cathelineau lors de « l'attaque de la S.-Pierre 1793 ». Dans cette colonne se trouve l'adjudant-major Joseph Léopold Sigisbert Hugo, ou plutôt le sans-culottes adjudant-major Brutus Hugo qui n'est encore ni comte ni chevalier de S.-Louis. Mal remis de sa blessure du 18 juillet, lors de

* Les numéros renvoient à la bibliographie en fin d'article.

63 GENS DE L'EST DANS LES GUERRES DE L'OUEST la défaite de Vihiers, il chevauche avec les volontaires nationaux du 8e bataillon du Bas-Rhin, qui a pris le nom de bataillon de l'Union. Composé en grande par­ tie d'Alsaciens et de Lorrains, ce bataillon qui ne faisait pas partie de l'armée de Mayence mais de celle des Côtes de la Rochelle, a déjà été engagé depuis plu­ sieurs mois en Vendée* (104). Dans ses rangs figure également le volontaire Cari Ritter de Strasbourg que nous retrouverons tout à l'heure (132). Dans l'avant-garde de 5 032 hommes qui défilent avec Kléber se trouvent le 4e bataillon du Haut-Rhin, le 7e et le 13e des Vosges, sans compter les 42 artil­ leurs dont fait partie Michel Bastien. Klinger de Landau, est adjudant-général de la première division qui s'apprête à suivre avec ses 3 622 soldats ; elle compte à l'effectif le 18e bataillon des Vosges. La deuxième division de 1 653 hommes est sous les ordres de l'adjudant-général Scherb, né à Westhoffen dans le Bas- Rhin, où il mourra le 2 juillet 1838. Depuis le 10 avril 1791 il est déjà chevalier de S.-Louis, ou plutôt ci-devant chevalier. La troisième division de 1 587 hom­ mes est sous les ordres du général Haxo, né à Etival dans les Vosges (9) ; elle comprend entre autres, le 1er bataillon de la Meurthe et le 3e des Vosges (46). Dans cette division, sera affecté Aubertin de Lunéville, commandant le 11e bataillon du détachement du Nord, dit d'Orléans, amalgame de troupes de lignes (blanches) et de volontaires (bleus) mais qui possède également une escouade de canonniers du Bas-Rhin (3).

Ces 10 394 hommes de l'armée de Mayence sont arrivés dans l'Ouest comme la Garde à Waterloo « espoir suprême et suprême pensée » pour renfor­ cer les armées de l'Ouest qui jusqu'à présent ont subi revers sur défaites et qui, à part les grandes villes, ont laissé toute la campagne aux mains des insurgés qui se sont déjà emparés de 70 000 fusils et de 200 pièces de canons (6). Paradoxalement les Mayençais ont été traités de « capitulards » dans l'Est et hués à Metz ; mais d'Orléans à Nantes leur marche (ou plus exactement leur transport par poste, charrettes et bateaux) est triomphale et Nantes fêta ses sau­ veurs « comme autrefois un père fortuné et tendre fêtait ses fils arrivant des Isles »**. On ne doute pas un instant qu'ils vont décider de la victoire, car com­ ment penser que des paysans, souvent mal armés et mal instruits résisteront aux meilleurs soldats du monde, ceux que 80 000 (?) prussiens n'ont pu faire reculer. On se les dispute, mais finalement c'est l'armée des Côtes de Brest, sous le com­ mandement du ci-devant marquis de Canclaux qui les recueille. Les Mayençais pensent, eux, qu'ils ne feront qu'une bouchée des rebelles ; les vétérans de Ven­ dée qui ont déjà été si souvent étrillés et démoralisés, sont maintenant pleins d'espoir et Ritter ne doute pas un instant qu'avec de tels combattants, son « bataillon sera à Strasbourg dans huit semaines » (132). Et, pendant que le toc­ sin et les ailes des moulins en.« bout de pied » annoncent à toute la Vendée l'approche des Mayençais et appellent les insurgés au « rassemblement » géné­ ral pour la bataille suprême, la confiance et l'assurance sont dans tous les cœurs des volontaires et des soldats qui défilent dans les faubourgs S.-Jacques et Pont- Rousseau.

* Archives du Service historique de l'Armée de Terre, château de Vincennes, 16 YC 1, 439.

** Note d'un contemporain citée par de La Gorce (74).

64 GENS DE L'EST DANS LES GUERRES DE L'OUEST

Ouvrons une parenthèse pour rappeler que la Vendée est à la mode, si l'on en juge par les publications récentes, les rééditions, les émissions de télévision, les romans, les expositions, les spectacles qui drainent les foules comme au Puy du Fou (156). Sans doute les guérillas actuelles contribuent-elles à mieux faire comprendre les motivations et les résolutions des paysans Vendéens ou Chouans, se déplaçant comme « un poisson dans l'eau », et lancés contre les bourgeois des villes dans une guerre subversive (117). Ce qualificatif, à notre époque, tend à rendre les insurgés sympathiques, même aux fils spirituels de leurs adversaires. A travers ces publications on est frappé de constater le grand nombre des combattants de l'Est engagés deux camps. Même la Lorraine un peu étonnée, vient d'apprendre qu'elle a gagné là-bas une nouvelle bienheureuse, Sœur Odile Baumgarten, née le 15/11/1750 à Gondrexange dans le pays des étangs ; son his­ toire tragique et glorieuse était cependant déjà évoquée depuis 1953 sur les beaux vitraux de l'église de son pays natal, comme elle l'était sur ceux de la cha­ pelle du Champ des Martyrs d'Avrillé près d'. Postulante des Filles de la Charité dans notre vieil hospice S.-Nicolas, elle quitta la Lorraine en 1775 pour Paris, puis pour l'Ouest. Arrêtée à l'hôpital S.-Jean d'Angers, elle fut fusillée le 1er février 1794, enchaînée à Sœur Marie-Anne dont elle partage la gloire, dans une fournée de 400 victimes, et ceci dans des circonstances justifiant l'affirma­ tion de Victor Hugo : « En ce temps-là, la France eut des victimes, mais la Ven­ dée eut des martyrs » (12, 109, 110, 135, 158). Les gens de l'Ouest et de l'Est, habitant des régions malheureusement pri­ vilégiées par l'Histoire, ont en commun une mutuelle incompréhension de celle des autres. Puisse ce modeste essai dissiper chez nous un peu de l'ignorance qui entoure une tragédie qui peut nous paraître lointaine dans le temps et l'espace, mais dont la blessure n'est pas encore fermée dans l'Ouest. Mon propos n'est pas de refaire l'histoire des guerres de Vendée, mais de rappeler, à l'occasion de publications récentes ou de rééditions, la place de nos compatriotes dans cette tragédie et le comportement des uns et des autres, en m'attardant sur quelques destins hors série. Sans oser prétendre épuiser le sujet, j'espère surtout susciter des réactions et peut-être des travaux qui confirmeront que beaucoup de gens de chez nous ont contribué à cette histoire. Mais revenons à nos moutons et ceci au sens propre, c'est-à-dire aux terri­ bles « moutons noirs » de Charette, ainsi que se surnommaient les Maraîchains, qui avec les « Paydrets »* reculent présentement de village en village, en essayant autant que faire se peut de protéger la population qui fuit en masse et dans l'affolement devant la colonne Beysser. Celle-ci met tout à feu et à sang sur son passage dans ce sud du Comté Nantais, qui, bien que breton, va dorénavant partager le sort de la Vendée Militaire. Car la « Vendée Militaire », si elle comporte la majeure partie de la Vendée, (à l'exclusion de la plaine), empiète également sur les Deux-Sèvres et tout ce qui appartient aux départements du

* Paydrets, en patois local : habitants du pays de Retz.

65 GENS DE L'EST DANS LES GUERRES DE L'OUEST

Maine et Loire et de la Loire Inférieure, sur la rive gauche de ce fleuve. A che­ val sur l', la Bretagne et le Poitou, la Vendée est la seule province que créa paradoxalement malgré elle, la République. Jean Yole*; écrit : « La Vendée a bousculé le cadastre officiel, brisant les limites trop étroites qu'on lui avait imposées. Elle est venue border la Loire, s'est emparée d'un coin des Deux-Sèvres qui lui plaisait, s'est offert, en apanage une partie de l'Anjou, et tout cela au pas de charge, en quelques jours et pour toujours ». « Les dissemblances qui peuvent provenir du pays, pays plats ou montueux, pays de cultures ou de marécages, vont se fondre dans l'unité de vue et dans la com­ munauté des sentiments. Qu'ils s'agisse du vigneron du comté Nantais, du tisse­ rand des Mauges, du pêcheur du Marais Breton, du laboureur du Bocage, le même idéal règne dans les cœurs, le même souci d'indépendance vis-à-vis de l'état aiguillonne les caractères... Le respect de la religion transmis par eux, (les morts) et la répulsion que les Vendéens éprouvaient à quitter les lieux où repo­ saient leurs défunts, les jetteront en pleine insurrection » (Gabory). La Vendée Militaire est aussi le territoire où se déroula la première partie de la « Grande Guerre » avant la campagne d'outre-Loire (ou Virée de Galerne). Mais la véritable frontière entre les pays insurgés et la République ne pas­ sait pas aux limites de ce territoire ; elle était en réalité à la lisière des villes, demeurées presque toutes « patriotes » alors que la campagne était aux mains des « brigands ». Pour nous, habitants de l'Est, il est peut-être utile aussi de rappeler que la « Grande Guerre » qui se terminera à Savenay le 23 décembre 1793, n'est pas à confondre avec la chouannerie. Assimiler un Vendéen à un Chouan, serait aussi malséant au pays de La Rochejaquelein et de Charette, que de prendre chez nous, un Lorrain pour un Alsacien. Mais les chroniqueurs des Guerres de l'Ouest, quel que soit leur parti, seront nombreux à tomber dans ce dernier tra­ vers ; c'est une des raisons pour lesquelles dans cet exposé, nous avons cru bon, sans les confondre, d'associer les Lorrains et les Alsaciens. Les gens de la Vendée Militaire, eux, vont s'honorer du terme de « bri­ gands » que leur décernent les révolutionnaires, qu'ils baptisent eux-mêmes du nom de « patauds » ou de « bleus », selon qu'ils sont civils ou militaires.

* Cité par de La Gorce (74).

66 I. - LES « BLEUS » DE L'EST

Au premier rang de ceux-ci, il faut bien entendu placer Kléber (6, 35, 37, 60, 119). Ce Général de la République, âgé alors de 40 ans, est un ancien archi­ tecte et officier autrichien de l'Augustissima. Chiappe a pu regretter que dans cette guerre totale, on ait fait faire à un aussi grand homme, un aussi vilain métier. Mais au moins il s'efforce de faire sans passion une guerre civile qui lui répugne et qu'il veut gagner rapidement pour faire cesser les tueries de part et d'autre et ceci avec des principes qui à l'époque, pourraient le conduire à î'écha- faud : « Je veux bien combattre les brigands jusqu'à la mort, mais pas jusqu'à l'infamie ». Aussi s'indigne-t-il des pillages et des brutalités, en particulier de ceux de la colonne Beysser ; plus tard, avec l'accord de Marceau son élève, plus que son chef, mais surtout son ami, écœuré par les massacres du Mans, il prend sous sa responsabilité de faire battre la générale pour essayer d'arrêter la boucherie qui se déroule sous les yeux impassibles de Bouchotte et de Prieur de la Marne. Il fut d'ailleurs aidé dans son action par des officiers républicains restés au Mans comme M. de Fromental, commissaire ordonnateur, né à Blamont, dont l'humanité égalait le courage (127). A Nantes après Savenay, Kléber s'efforcera de sauver les enfants entassés dans l'entrepôt et de les soustraire à Carrier, qui le traita ainsi que ses semblables de « sauveur de vipères ». Il s'oppose encore à Carrier qui conseille à l'état-major républicain d'empoisonner à l'arsenic les sources, l'eau de vie et le pain. Assez habile pour éviter le commandement en chef qui, à l'époque, menait plus souvent à la guillotine qu'à la gloire, il fut cependant le véritable vainqueur des Vendéens, avant tout à , au Mans et à Savenay, où sous les ordres de Marceau, il décida de la victoire. Ses conseils de modérations et de pacification, comme ceux de Marceau, gênant les excités, ils furent, tous les deux, après Savenay, écartés des opéra­ tions, puis à leur grand soulagement, envoyés aux frontières. Kléber fut estimé de ses adversaires et la plupart des auteurs royalistes ren­ dent justice à son courage, à sa valeur militaire et à une volonté d'humanité que n'eurent pas, sous ses ordres, les « brûleurs », dont il ne pouvait toujours empêcher les exactions ordonnées par le Comité de Salut Public et encouragées par les représentants. Les vainqueurs de Torfou baptiseront injustement, (et imprudemment) les troupes de Kléber « d'armée de faïence qui ne tient pas au feu » ; mais ils s'honoreront de l'exclamation, disons « accentuée » de Kléber, qui, étonné dans cette bataille par la vaillance de ses adversaires paysans, s'écria : « Tiaple, ces pricands là se pattent pien ». Le monument de la place Kléber à Strasbourg recouvre la dépouille du vainqueur d'Héliopolis. C'est la Restauration, bonne joueuse, qui rendit hom-

67 LES « BLEUS » DE L'EST

mage au loyal et grand serviteur de la République, en transférant en 1818 dans sa ville natale, sa dépouille que le premier consul et l'empereur avaient oubliée au château d'If (35).

Le général Jean-Michel Beysser, considéré à l'époque comme « l'un des plus beaux hommes de France », cousin des Bartholdi, naquit le 5 février 1752 à Ribeauvillé dans « l'Auberge de l'Homme Sauvage », siège de la Confrérie des Ménétriers, çlont le « Roi », son père, était tenancier et dégustateur juré (68,120). A 16 ans, il sortit comme chirurgien major de la Faculté de Médecine de Strasbourg et s'acquit une renommée dans le traitement des maladies vénérien­ nes. Bénéficiant de la protection de Choiseul, il fut employé successivement en Corse, puis aux Dragons de Lorraine et enfin, il quitta son poste de chirurgien- major-adjoint de l'hôpital de Haguenau en 1781, pour s'enrôler avec le grade de capitaine au régiment suisse de Meuron ; il effectua ainsi trois campagnes outre­ mer, tant au service de la Compagnie des Indes Hollandaises qu'à celui de la France. « C'était un homme discuté d'une inconduite et d'une présomption notoi­ res, mais d'un courage à toute épreuve » (Gabory). Surpris par la révolution à Lorient, il s'enrôla avec les jeunes bourgeois dans le Corps des « Dragons Nationaux de l'Orient », dont il fut élu major sous le commandement du colonel Augustin « Perrier », oncle de Casimir Perier*. En 1789 et en 1791, il réprima avec ses « diables rouges », les premiers troubles de la Bretagne, ce qui lui valut paradoxalement une des dernières croix de S.-Louis, décernées par Louis XVI sur la proposition du directoire de Josse- lin. (Beysser prononçait sans doute comme il écrivait : Chausselin) (96). Ayant rétabli l'ordre et la circulation entre la Loire et la Vilaine, le général la Bour- donnaye le récompensa en le proposant comme général de Brigade et l'affecta à Nantes le 17 avril. Commandant temporaire de la Place, ce « ci-devant charla­ tan » (Marquise de la Rochejaquelin) défendit courageusement et victorieuse­ ment cette ville lors de l'attaque de Cathelineau le 29 juin 1794. Il se distingua aussi en profitant à l'époque de ses fonctions pour vider les prisons nantaises, préférant « connaître ses ennemis en face, plutôt que de les faire périr de misère » (120). Ceci lui valut une destitution temporaire (162). Mais présentement, il traverse la Loire avec les 6 270 hommes de l'ancienne armée des Côtes de Brest, parmi lesquels, nous l'avons vu, se trou­ vent l'adjudant major Joseph Léopold Sigisbert Hugo et le soldat Ritter de Strasbourg ; y est incorporé aussi le jeune volontaire Broussais qui est, lui, de St-Malo, mais qui a laissé dans la médecine un grand nom, bien que contro­ versé.

* Brevet du Corps des Dragons Nationaux de l'Orient délivré le 24 octobre et signé de Beysser (Musée de la Révolution, château de Vizille).

68 LES « BLEUS » DE L'EST

Beysser oblique vers Pont-Rousseau avec sa troupe dans laquelle se font remarquer par leur férocité et leur courage, les « Hussards Américains » ; 400 nègres, sabrant sans distinction d'âge ni de sexe et mettant tout à feu et à sang sur leur passage (35). L'amiral du Chaffaut, « vieillard sexagénaire, et couvert de blessures qu'il avait reçues en combattant pour sa patrie », sera leur victime (163). Monté sur son tapis de selle en peau de tigre, Beysser a-t-il revêtu la culotte en peau de vendéen qu'il se vantait de porter ? Mais il marche vers son destin : la débâcle de Montaigu devant les « Paydrets » et les « Moutons Noirs » de Charette, (« par la faute de l'insensé et étourdi Beysser » écrit Broussais à son père), la grave blessure physique, plus encore la blessure morale et Féchafaud, où, gai luron dans la vie, au combat, comme au pied de la guillotine, il va mon­ ter en chantant le 13 avril 1794, accompagnant Chaumette, l'ex-évêque constitu­ tionnel Gobel son compatriote, Lucile Desmoulins et la veuve Hébert »*.

Ce « Roger Bontemps, très insouciant de l'art militaire » a écrit Kléber, suivait de peu à l'échafaud, son compatriote Westermann, né à Molsheim en 1751 dans une famille de bonne noblesse alsacienne. Officier de Hussards, puis écuyer des écuries du comte d'Artois, François Joseph Westermann fut élu grand bailli de la noblesse de Strasbourg en 1789, avant de devenir un farouche révolutionnaire, ami de Danton. Entre temps, il eut quelques faiblesses pour Dumouriez. Il avait commandé les fédérés brestois à l'attaque des Tuileries le 20 août, trouvant déjà en face de lui : La Rochejaquelein, d'Autichamps, Cha­ rette, Lescure, Marigny, Bonchamps, Donissan, qui, gardes constitutionnels, essayaient de défendre le pouvoir légitime d'alors contre l'insurrection républi­ caine (106). Cette action lui valut d'être nommé adjudant général et il fut envoyé en Vendée au printemps 1793, comme commandant de la Légion du Nord. Il s'y fit remarquer par sa fougue et son incontestable courage dans les combats (ce qui entraîne à travers Michel Bastien, l'admiration d'Erckmann-Chatrian), mais aussi par ses pillages et une férocité inouïe. « Pilleur, destructeur, tueur » (74), aucun général républicain, estime Montagnon, ne fit autant de mal aux Vendéens et n'en fut autant la terreur que l'infatigable François Westermann qui se nommait lui-même, le « boucher de la Vendée ». Gabory a écrit que « Westermann flambe tout ce qui peut être brûlé, tue tout ce qui peut être tué, hommes, femmes et enfants », et l'intéressé s'en glori­ fie d'ailleurs lui-même en appliquant et en faisant appliquer des principes tels que celui-ci : « Un village qui brûle terrorise plus que la vue de cent cadavres, et mieux vaut les deux ». Il fut étrillé sérieusement plusieurs fois par les rebelles comme à Chatillon, et il contribua également vigoureusement aux victoires et malheureusement aux massacres du Mans et de Savenay ; on connaît de lui la fameuse lettre envoyée

* Nous remercions le Secrétaire général de la mairie de Ribeauvillé pour les renseignements qu'il a eu l'amabilité de nous communiquer.

69 LES « BLEUS » DE L'EST

au Comité de Salut Public au lendemain de cette bataille : « Il n'y a plus de Ven­ dée, citoyens républicains, elle est morte sous nos sabres libres avec ses femmes et ses enfants, je viens de l'enterrer dans les marais et les bois de Savenay ; selon les ordres que vous m'avez donnés, j'ai écrasé les enfants sous les pieds des che­ vaux, massacré les femmes qui au moins pour celles-là, n'enfanteront plus de brigands. Je n'ai pas un prisonnier à me reprocher, j'ai tout exterminé ; les hus­ sards ont tous à la queue de leurs chevaux des lambeaux d'étendards de bri­ gands ; les routes sont semées de cadavres ; il y en a tant que sur plusieurs endroits, ils font pyramide ; on fusille sans cesse à Savenay, car à chaque instant il arrive des brigands qui prétendent se rendre prisonniers. Kléber et Marceau ne sont pas là, nous ne faisons pas de prisonniers. Il faudrait leur donner le pain de la liberté et la pitié n'est pas révolutionnaire ». Comment s'étonner que les Vendéens aient adopté, non seulement l'air mais les paroles de la Marseillaise, se référant aux « féroces soldats » et que l'on ait pu parler de « génocide et d'holocauste vendéens » (77*, 78). Kléber, relatant les mêmes faits, termine ses mémoires par des considéra­ tions sur Savenay tout autres que celles de Westermann : « Des milliers de prisonniers de tous âges et de tous sexes, sont successivement arrêtés et conduits sur les derrières, les représentants du peuple les firent juger par des tribunaux révolutionnaires et la France, l'Europe entière connaissent toutes les atrocités qu'on a exercées sur ces misérables. La ville de Nantes a particulièrement servi de théâtre à des scènes sanglantes et inouïes que ma plume se refuse de décrire ». Mais suspecté par le Comité de Salut Public et accusé étrangement, tantôt de modération, tantôt de fanatisme et compromis par ses liaisons avec Danton et ses amis, Westermann sera traîné avec les « indulgents » devant le Tribunal révolutionnaire et accusé par Fouquier-Tinville. Au prononcé de son arrêt de mort comme conspirateur, il se dresse devant ses juges : « Moi conspirateur, s'écrie-t-il, je demande à me dépouiller nu devant le peuple. J'ai reçu sept bles­ sures par devant, je n'en ai eu qu'une par derrière, c'est mon acte d'accusa­ tion ». Westermann le 6 avril et Beysser le 13 montèrent à l'échafaud. Le Comité de Salut Public vengeait les Royalistes comme sans doute ils n'eussent pas voulu se venger eux-mêmes. Crétineau-Joly ajoute : « Alsaciens tous les deux, braves et téméraires tous les deux, ils avaient tous deux 40 ans et le même grade. On dit qu'en mourant Westermann se repentit d'avoir offert tant de sang aux idées de la Révolution. On dit que de funestes images obsédèrent ses derniers rêves : les hommes sont ainsi faits, ils ont besoin de croire à de pareils remords ». Au 8 de la rue de Saverne dans la ville de Molsheim est appliquée une pla­ que « Ici naquit le général Westermann 1751-1794 ». Tandis qu'à Ribeauvillé, une rue porte le nom de Beysser et que sur sa maison natale, 36, Grande-rue, une plaque rappelle sa mémoire : « Ici naquit le 5 février 1752 Jean-Michel Beys­ ser, médecin aux Indes, général de la République, guillotiné le 13 avril 1794 à Paris pour sa fidélité à ses amis bretons. »

* Voir la thèse d'Etat soutenue récemment en Sorbonne par R. Sécher : Le Génocide Franco-Français : La Vendée Vengée.

70 LES « BLEUS » DE L'EST

Afin de justifier Erckmann-Chatrian pour qui tous les généraux républi­ cains, ou peu s'en faut, sont issus du peuple, il y a tout de même dans l'armée de la Nation de vrais fils de paysans, tel que Amable Humbert, né à la ferme de la Coare en S.-Nabord dans les Vosges le 22 août 1767 (81, 82, 124, 125). Engagé au 13e bataillon des Vosges qui faisait partie de l'avant-garde de Kléber, il participa après Mayence à la plupart des grandes affaires en Vendée. Curieusement, c'est grâce à sa victoire sur son compatriote Stofflet le 19 et 20 ventôse qu'il fut à 27 ans nommé général de Brigade sur le champ de bataille (10 mars 1794)*. Avec comme principe que « les moyens de douceur seront préférables à ceux de rigueur, parce que nous serons toujours à temps d'employer ces der­ niers », il s'efforce de conserver les populations à la République, ce qui le fit souvent accuser de tiédeur, mais aussi, le temps venu, désigner comme négocia­ teur avec les royalistes, en particulier avec le Chouan de Boishardy. Il fit sa conquête grâce à sa rondeur militaire et à sa franchise ingénue ; il en devint le commensal pendant la trêve et il n'hésitait pas à lui emprunter de l'argent dont son gouvernement le laissait très démuni ; il oubliait d'ailleurs aussi de le lui rendre (4, 5). Dans la campagne de Quiberon, il jouera un rôle capital en juillet 95 à Ste- Barbe, au Fort Penthièvre (où fut blessé mortellement l'adjudant général Botta de Wissembourg) et lors de la « capitulation ». Pour son malheur, le comte de Sombreuil fut opposé au Fort-Haligen à Humbert et charmé par sa compréhension, il mit bas les armes. Humbert regretta plus tard que les émigrés aient eu confiance en son imprudente pro­ messe. Il ne figura pas dans la répression mais, à Auray, il chercha à prendre contact avec les prisonniers lorrains dont nous trouvons les noms sur le Mémo­ rial de la Chartreuse près du Champ des Martyrs d'Auray. Pouvons-nous en citer quelques uns ? De Vidampierre de Metz, Dufresnay de Ste-Marie-aux- Chênes, Wolff de Dieuze, Lamy de Sarreguemines, Magro de Thionville, Ber­ trand François de la Moselle, et tant d'autres de Verdun, Nancy, Stenay, Pont- à-Mousson, Commercy, Luné ville, Sarreguemines, Luppy, Longeau, sans compter les Alsaciens : officiers, soldats, tanneurs, musiciens, bouchers, domestiques, « parfumeurs », aristocrates et roturiers mélangés (95). Mais, l'action de Humbert n'est pas exempte de « bavures » et les principes rappelés ci-dessus ont été énoncés le 11 fructidor, après la chute de Robes­ pierre, alors que le vent tournait. C'est à l'occasion d'une de ces bavures que sa route devait croiser celle de Sophie Trébuchet, la mère « vendéenne » de Victor Hugo. Ceci a été popularisé dans un roman récent de Geneviève Dormann (53) : une colonne commandée par Humbert entre le 11 et le 13 pluviôse (30 janvier, 1er février 1796) en liaison avec Muscar, Hugo et le bataillon de l'Union, s'était fort mal conduite au Petit Auverné près de Chateaubriant, où elle se livra non seulement à des pillages, mais à des viols et à des massacres odieux. Alerté

* Cette date est retenue par Balyens et Poulet alors que pour Doré-Graslin la perte et la reprise de Cholet par les Bleus ont eu lieu le 7 et 8 février 1794 (19 et 20 pluviôse).

71 LES « BLEUS » DE L'EST

par Sophie, Terrien Cœur de Lion rameuta les chouans de Le Meignan, Palierne, de Scepeaux, Bourmont et Châtillon, qui vinrent débusquer les bleus repus et endormis et en firent un terrible massacre. Mais le rôle de Sophie Tré- buchet dans cette histoire est très controversé, nous y reviendrons (104). Accusé, sans doute à juste titre, de prévarication par Muscar l'ami de Hugo, Humbert dut quitter la Bretagne pour l'armée de Moreau avant d'aller commander le corps expéditionnaire d'Irlande. Fort de son expérience de l'Ouest, il forma le projet d'organiser là-bas une chouannerie (sic) avec des « déserteurs rentrés » ayant fait la guerre avec Stofflet et Charette (81). Il y remportera la victoire de Castlebard, avant d'être obligé de capituler avec les honneurs de la guerre ; ceci à fait l'objet d'un téléfilm récent, « L'année des Français ». Mais celui que Chiappe caractérise malgré ses faux-pas comme le plus géné­ reux et le plus imprudent des généraux de la République, fut au cours de l'expé­ dition de Haïti, le trop bel amant de Pauline Bonaparte, ce que ne lui pardonna jamais l'empereur. On sait que Humbert mourut aux Etats-Unis, après avoir le 4 janvier 1823, brillamment combattu contre les Anglais avec son compatriote Lafitte, à la bataille de la Nouvelle-Orléans. Il ne fut jamais chevalier de la légion d'honneur ; son nom n'est pas inscrit sur l'Arc de Triomphe et il est mieux connu en Irlande qu'en France, où cependant, une portion modeste d'une rue de Remiremont porte sa plaque. « Qui sait, écrit Jacques Bayens, dans Sabre au clair, si le nez de Pauline avait été plus long et Jean Joseph Ama- ble moins bel homme, une statue de maréchal de l'Empire, Duc de Castlebard ornerait peut être une place de Remiremont » (5).

Nicolas Haxo, né le 7 juin 1749 était surnommé en Vendée, le « général aux cheveux blancs » ce qui à l'époque, frappait les contemporains, habitués de part et d'autre, aux généraux « imberbes ». Bodereau, officier de Charette a rendu hommage à son intrépidité peu commune, et cependant, n'en déplaise à l'historien royaliste Crétineau-Joly, il n'était pas « un enfant de cette province d'Alsace, qui a donné à la République Française tant de généraux et de soldats, dont le courage sera une des gloires de l'armée », car il était né à Etival dans les Vosges. Enrôlé en 1768 en Touraine Infanterie, la révolution en a fait le lieutenant-colonel en premier du 3e Batail­ lon des volontaires des Vosges, qu'il suit à Mayence et à l'armée des Côtes de la Rochelle. Cet « Alsacien, le plus noble adversaire de Charette », selon Gabory a été en particulier exalté dans ses Mémoires par Aubertin de Lunéville qui servit sous ses ordres comme colonel. Aubertin insiste toujours sur les actes d'huma­ nité (les siens bien entendu, mais aussi ceux de son chef). Il fait remarquer que

72 LES « BLEUS » DE L'EST c'est Haxo « modéré, loyal et généreux » qui a mené à bien l'expédition contre Noirmoutier, où il avait fait bonne composition aux parlementaires royalistes. Les Vendéens avaient demandé à se rendre contre promesse de la vie sauve ; Haxo avait répondu : Citoyens, nous sommes des Français, combattant des Français, assez de sang a déjà coulé, je vous déclare que je promets la vie aux royalistes qui se rendront. » (3). Mais les conventionnels eux, n'ont rien promis, et selon le mot féroce de Kléber, « tuent après la bataille » ; ils font fusiller d'Elbée, sa femme, le général bleu Wieland coupable d'avoir capitulé, et plus de 1 200 prêtres, femmes et combattants (58). Haxo commanda une des colonnes infernales lancées aux trousses de Cha- rette. Il ne peut toujours empêcher les exactions, car les actes d'humanité peu­ vent entraîner leurs auteurs à la guillotine ou au peloton d'exécution ; ainsi au Val de Morière, un bataillon de Vosgiens (le 3e ?), furieux d'avoir raté Cha- rette, massacre en quelques minutes, les religieuses, les paysannes et les enfants réfugiés dans le couvent (140, 149). Cependant, il essaya d'interpréter les consi­ gnes et d'épargner autant que faire se pouvait les régions traversées. « La seule récompense de la guerre civile, disait-il, est de faire grâce aux vaincus ». Ne craignant pas de se compromettre, il fut dénoncé à cause de sa tiédeur au Comité de Salut Public par Hentz et Francastel. « Dans l'arrondissement de Machecoul, écrit Aubertin, les ordres incen­ diaires n'avaient pas reçu la moindre exécution. Les chefs trouvaient toujours quelques prétextes pour les éluder ; toutes les communes existantes lors de la présence du général Haxo sur cette partie du territoire vendéen avaient été conservées, ainsi qu'un grand nombre d'habitations isolées, tel le manoir de la Contrie, propriété de Charette ». Aubertin ajoute : « juste, indulgent avec ses inférieurs, loyal et franc avec ses égaux et amis, ferme avec les autorités supé­ rieures, un zèle irréfléchi, un courage trop bouillant ont causé sa mort. » On sait que celle-ci survint le 20 mars 1794 à la Gautronière en Clouzeaux. Le rapport de l'époque signale qu'il s'acheva d'un coup de pistolet, plutôt que de se rendre et le 9 floréal de l'an II, la Convention décréta que le nom de Haxo serait inscrit dans le Panthéon sur une colonne en marbre. Mais en réalité, enfoncé par les troupes du lieutenant et rival de Charette, le chirurgien Joly, le général bleu repart six fois à l'assaut en cinq quarts d'heure. Enfin, il est repoussé et, blessé tombe de son cheval blanc. Abandonné par ses hommes, il s'adosse à un arbre, fait front avec courage aux soldats vendéens qui l'entou­ rent. Un cavalier blanc Arnauld de Mormaison de la paroisse de Vieillevigne ajuste et abat Haxo, qui se défendait « non plus en général, mais en soldat ». Ainsi tenait-il la parole donnée le 12 mars 1794 (22 ventôse) au Comité de Salut Public, « Je le (Charette) poursuis sans relâche, il périra de ma main, ou je tom­ berai sous ses coups ». Dans cette guerre atroce, on ne fait plus de sentiment ; cependant Charette, arrivé trop tard pour lui sauver la vie, s'écria, les larmes aux yeux devant le corps de son ennemi : « C'est bien dommage d'avoir tué un

73 LES « BLEUS » DE L'EST

si grand capitaine, s'il eût été pris vivant, je l'aurais renvoyé aux républicains pour leur donner un bon exemple ». Le « preux des républicains » ainsi que l'on nommé les Vendéens, fut enterré sur place. Sous la Restauration, le général Aubertin écrit dans ses Mémoires : « Les deux partis royalistes et républicains aujourd'hui réunis, doivent un tribut d'élo­ ges à la mémoire du général Haxo ; les royalistes parce qu'il chercha toujours à leur épargner autant qu'il était en son pouvoir, les maux dont le gouvernement d'alors les accablait, en éludant les ordres qu'il lui prescrivait, les massacres et l'incendie ; et les Français du parti républicain pour les principes d'humanité que ce brave général professait et les actes généreux dont il a donné l'exemple ». Dans un article récent de la Revue Lorraine Populaire, Jean-Marie Cuny rappelle que l'histoire a retenu le nom de ce Lorrain célèbre, qu'une caserne d'Epinal porte son nom et que des plaques de rue dans plusieurs villes de Lor­ raine rappellent sa mémoire (45).

Sous les ordres de Haxo combattait également l'adjudant général Domini­ que-Joseph Aubertin, né à Lunéville en 1751. En 1791, il avait reçu la croix de S. Louis ; il combattit à Quiervain et à Jemmapes avec le duc de Biron, futur général bleu en Vendée. Il fit partie de ceux qui, détachés des armées du Nord, de la Moselle et du Rhin, allèrent renforcer les garnisons de l'Ouest. Il était alors Commandant élu du 11e bataillon du détachement du Nord dit d'Orléans, composé de cinq compagnies de volontaires « bleus » et de quatre compagnies de ligne « blancs » et de tirailleurs belges. Le lieutenant-colonel Aubertin fut affecté avec son bataillon au général Haxo et fit contre Charette la campagne avec le 109e et 1er 110e régiments de grenadiers de Mayence et une escouade du 1er Canonnier du Bas-Rhin. Avec les autres lorrains Jordy, Haxo, Joba il fut un des vainqueurs de Noirmoutiers. Dans ses Mémoires, Aubertin insiste sur les actes d'humanité qu'il a effec­ tués, ce qui prouve sans doute qu'ils sont rares par ailleurs et occultent ce dont il ne veut pas parler, comme les exécutions de S.-Philbert-de-Grand-Lieu. Il laisse échapper le meunier qui cependant a tenté de le noyer dans le Gois. Il offre 100 écus et un passeport à Mlle Plantier, compromise avec l'armée de Charette et menacée d'arrestation. Il participe à toutes les manœuvres de sauvetage de Haxo. Ainsi, il protège une religieuse échappée aux massacres du couvent de Val de Morière ; il la fait manger à sa table : trois mois après, la religieuse sau­ vée, se poste dans une rue d'Angers, se fait reconnaître, et témoigne toute sa reconnaissance. Aubertin s'indigne aussi des atrocités de Westermann. Il signale par ail­ leurs, que 10 officiers et 70 sous-officiers de son bataillon se trouvaient parmi les prisonniers de S.-Florent qui furent sauvés, lors du passage de la Loire, par

74 LES « BLEUS » DE L'EST

Bonchamps mourant. Nous reviendrons tout à l'heure sur cet épisode. Auber- tin, après avoir participé en juin 1794 à l'affaire de Léger contre Charette, reçut avec joie l'ordre de rejoindre Verdun et l'armée de la Moselle avec laquelle il fit la campagne en 1795 et 1796. Il sollicita sa retraite pour blessures et infirmités graves en 1797 après trente ans de services effectués sans interruption.

Dans la colonne Beysser, nous avons vu que compte à l'effectif, Joseph- Léopold Sigisbert Hugo, futur comte de Sigùenza qui, après avoir déjà laissé tomber son premier prénom, se fait appeler présentement, le « sans-culottes adjudant major du Bataillon de l'Union du Bas-Rhin, Brutus Hugo ». Le défenseur de Thionville nous est connu par un certain nombre d'ouvra­ ges qui lui ont été consacrés, en particulier, celui de Louis Barthou qui a publié de lui des lettres et des documents inédits. Il l'est également par ses propres mémoires qui couvrent les campagnes de Vendée et de l'Armée de Moreau ainsi que son séjour en Italie et en Espagne (11, 79). Mais bien entendu, sa renom­ mée lui vient surtout de son fils, qui « fidèle au sang qu'ont versé dans mes vei­ nes, mon père vieux soldat, ma mère vendéenne », a magnifié en vers et en prose le « héros au sourire si doux ». Grâce à Victor Hugo, il est difficile de séparer l'histoire de Léopold Sigis­ bert Hugo de celle de Sophie Trébuchet dont le romantisme apparent a tenté de nombreux auteurs et bien entendu en premier lieu leur célèbre rejeton, sur le thème suivant : le brave officier républicain épouse la belle chouanne, malgré l'opposition de ses parents royalistes. Sur le Donon, haut-lieu de la Lorraine et de l'Alsace, s'il en fut, ils vont concevoir celui qui va naître d'un « sang breton et lorrain à la fois ». Mais la réalité est beaucoup plus terne. Joseph-Léopold Sigisbert Hugo est né à Nancy, le 15 novembre 1773, il a donc vingt ans pendant la campagne de Vendée. Il est fils d'un négociant en bois qui devait perdre deux autres fils ai.x lignes de Wissembourg, tandis qu'un autre Louis, fera aussi une brillante carrière militaire (Victor Hugo en fera le héros du cimetière d'Eylau, dans la Légende des Siècles) Hugo entrera au service dans le régiment de Beauvais, futur 57e régiment d'Infanterie le 16 septembre 1780. C'est un vaillant soldat, à l'humeur joviale, à la taille médiocre (5 pieds, 2 pouces), mais de carrure impressionnante et, au sens propre, au doux regard. Ce boute-en-train, bavard et joyeux, est très aimé de ses soldats. Il est brave et arriviste ce qui à cette époque, peut mener rapidement aux plus hauts grades (10, 11, 16, 61, 104). Nous négligerons les détails de sa carrière avant son entrée en Vendée, car­ rière pendant laquelle Hugo s'attira l'amitié de Kléber, de Desaix et d'Alexan­ dre de Beauharnais ; celui-ci le fit nommer adjudant major et l'affecta au 8e bataillon des Volontaires nationaux du Bas-Rhin, dit de l'Union sous le com-

75 LES « BLEUS » DE L'EST mandement d'Arnould Muscar dont le nom se retrouve à toutes les pages de la première partie de ses mémoires. Dans le bataillon, sert également le volontaire strasbourgeois Cari Ritter, grâce à qui nous connaissons l'opinion du troupier de l'Est, embourbé dans cette guerre de paysans (132). Brutus Hugo participa en Vendée à plusieurs affaires qui furent malheureu­ ses pour la République : A Vihiers où « l'engagement fut très vif car c'était des Français qui se battaient entre eux », il enlève le château avec deux compagnies, mais il est obligé le 18 juillet 1793 de couvrir le repli de sa brigade, ce qui amène la mort ou la blessure de tous les combattants ; lui-même est touché dans ses habits par 17 coups de mitraille et a un pied fracassé par une balle. Dans cette bataille, il est opposé avec son bataillon au centre de la ligne royaliste, tenue en partie par les déserteurs républicains de la légion germanique, dont beaucoup sont des Alsaciens et des Lorrains, qui font ainsi le coup de feu contre leurs compatriotes du 8e bataillon du Bas-Rhin. Mal remis de sa blessure du 18 juillet, il se porte sur Montaigu en septem­ bre dans le corps d'armée aux ordres du général Beysser. Dans la débâcle du 21 septembre, il a deux chevaux tués sous lui et empêtré de ses béquilles, il ne s'en serait pas tiré, sans le dévouement de Guzmann, officier des Hussards Noirs qui connaissait sa famille. Dans l'affaire de La Chevrolière contre les troupes de Charette, il prend sous sa protection les vieillards, les femmes, les enfants, les prisonniers et il les rassure ; il se sert des femmes pour obtenir la soumission des hommes, il recueille un nourrisson perdu par sa mère et le confie à une nourrice. S'il est complimenté par Muscar et Haxo, il est dénoncé pour avoir sauvé in-extremis de la fusillade Jean Prin, enfant de 10 ans dont on fusilla l'oncle, et qu'il conserve près de lui jusqu'en 1800, avant de le placer avantageusement. Enfin, il fut affecté à Bouguenais, sous les ordres de son ami et chef Mus­ car, bon et généreux comme lui, où les 1 141 recrues alsaciennes et lorraines du Bataillon de l'Union, furent renforcées par des gardes nationaux de Nantes, avec mission de protéger l'importante fonderie de canons dTndret. L'ex-directeur de celle-ci, François Ignace de Wendel (157), ancien capi­ taine au corps Roy al-Artillerie et fondateur de l'usine du Creusot, avait été des­ titué en octobre 1793 et venait d'être remplacé par un parent de Rewbell, le Haut-Rhinois Démangeât, dont les relations avec ses compatriotes du 8e batail­ lon de l'Union furent nombreuses et excellentes. C'est là, d'après ses Mémoires qu'il se distingua dans la tragique histoire des habitants de Bouguenais où il essaya en vain de sauver de la fusillade 270 hom­ mes raflés par les Républicains : « J'ai beaucoup fait la guerre, écrit-il, j'ai par­ couru de vastes champs de bataille, mais jamais rien ne m'a tant frappé que le massacre de ces victimes de l'opinion et du fanatisme. » Le Tribunal responsa­ ble de ces fusillades ayant été rappelé à Nantes, Muscar, dont Hugo vante tou­ jours l'humanité, est chargé de faire juger cette fois-ci par commission militaire,

76 LES « BLEUS » DE L'EST

les jeunes filles déjà épouvantées par les bruits de la fusillade qui vient d'abattre leurs pères, leurs frères et leurs fiancés. Désirant sauver celles-ci, il nomme Hugo pour présider la Commission Militaire et grâce à l'action persua­ sive de celui-ci, les 22 prisonnières échappent à la mort et sont renvoyées chez elles. Le 8e bataillon du Bas-Rhin repassera la Loire en hiver de l'an III pour se porter par Ancenis sur Ingrande et perdra le jour de son départ à Nantes, 26 hommes qui restèrent gelés sur la route d'Ancenis, faute d'équipement. Désormais ce n'est plus pour Hugo la guerre de Vendée mais celle des Chouans, à laquelle il participe avec les colonnes mobiles chargées de « paci­ fier ». Finies les batailles rangées ; c'est la terrible guerre de partisans où il signale que de part et d'autre, « les prisonniers trouvaient toujours la mort quand ils tombaient entre des mains inhumaines, mais ils étaient sauvés quand la fortune les livraient à des chefs de caractère doux et modéré ». Au cours d'une de ses opérations, il tua de sa main, La Perdrix, chef chouan redouté, ce qui lui compta comme exploit dans son dossier militaire (Archives Service His­ torique, Armée de terre). La politique de pacification de Hoche s'accordera particulièrement avec ses sentiments. Après la campagne de Quiberon, il sera affecté à Chateaubriant, devenu Montagne-sur-Chère avec les canonniers du Bas-Rhin, qui y servent comme fantassins par mesure disciplinaire, ceci pour avoir manifesté à Nantes contre les couleurs vendéennes, sans doute, lors du triomphe de Charette. C'est là qu'il va faire connaissance de Sophie Trébuchet. Il quittera l'Ouest après quelques péripéties le 19 mai 1797, date de sa nomination comme rappor­ teur auprès du Conseil de Guerre de la VIe Division de Paris. Il tirera de son expérience en Vendée un ouvrage : Considérations sur l'escorte, l'attaque, la défense des convois qu'il fit publier en 1796 ; cela lui ser­ vira ultérieurement, car le général Hugo, décidément destiné à la répression et à la guerre des partisans, fera prisonnier Fra Diavolo et continuera à exercer ses talents pendant la guerre d'Espagne ; nous avons pu voir l'acteur Bernard Fres- son l'interpréter dans Guérilla un téléfilm récent qui rappelle sa lutte contre l'Empecinado. Mais Léopold Sigisbert Hugo a publié ses Mémoires sous la Restauration, de même d'ailleurs qu'Aubertin et « il a cela de commun avec tous les faiseurs de mémoires, de n'avoir point écrit pour se déprécier ». (Lallié). En effet, Chas- sin, auteur républicain, fait tout de même état de l'opinion de Lallié et de Biré qui signalent que les massacres, selon Hugo évités par Muscar, ont bien eu lieu. Récemment, Simone Loindreau (104) et Marialys Bertault (162) expliquent comment le 8e bataillon du Bas-Rhin, autrement dit bataillon de l'Union, fut une colonne infernale avant la lettre, dont le commandant Muscar, l'homme « sensible et plein d'humanité », appliqua les mesures répressives avec toute

77 LES « BLEUS » DE L'EST

leur rigueur et un zèle exagéré, comme à S.-Aignan le 21 janvier 1793 : 150 fusillés, le 8 germinal au Château d'Aux, soixante hommes et dix femmes et le 3 avril au même endroit, 209 hommes passés par les armes, sans compter les victi­ mes livrées au Tribunal Révolutionnaire, à la commission militaire de Nantes et aux noyeurs de Carrier dont Muscar était l'ami. Léopold Sigisbert Hugo, gref­ fier (et non président comme il l'écrit dans ses Mémoires)dQ la Commission mili­ taire, engagea ainsi toute sa responsabilité dans les jugements ; ce ne sont pas 22 femmes faites prisonnières qui furent graciées et libérées mais, en réalité, 75 femmes qui furent expédiées à Nantes ; les unes furent condamnées et exécu­ tées, les autres devaient périr de misère et de maladie, mais le plus grand nom­ bre tout de même, fut épargné non pas grâce à la pitié de Brutus Hugo et de Muscar, mais par ordre des représentants de Bô et Bourbotte qui les firent remettrent en liberté en juillet 1974. Mais le séjour du 8e bataillon du Bas-Rhin au château d'Aux, est malheureusement rappelé dans le cimetière de Bougenais par un mausolée qui contient les ossements de trois cents fusillés et qui porte l'inscription suivante, d'ailleurs mal rédigée : « Aux victimes de la Religion et de la Royauté immolées en avril 1794 ». Et plus bas : « Qui donnera de l'eau à ma tête et à mes yeux une fontaine de larmes pour pleurer jour et nuit les enfants de la fille de mon peuple qui ont été tués » (Jérémie ch. IX). Quant à Sophie Trébuchet, n'en déplaise à son fils, son père n'était pas armateur, mais marin et ne risquait pas, même royaliste, de s'opposer au mariage, car il était mort depuis 1783. En outre, la famille de Sophie Trébuchet s'était largement compromise dans la Révolution : le grand-père maternel, René-Pierre Lenormand-Debuisson, jadis procureur du présidial, puis juge au Tribunal révolutionnaire de Carrier, fut une girouette sanglante et démagogue, sur lequel Victor Hugo observe le silence le plus prudent. La tante par alliance de Sophie, bru du précédent, Louise-Marie Gandriau, épouse de François Lenormand du Buisson, fut la maîtresse attitrée de Carrier. La tante de Sophie, Mme Robin, née Françoise Trébuchet, qui s'occupait de son éducation encyclo­ pédique et voltairienne, avait un gendre Mathis, qui fut aussi un protégé du représentant Carrier ; celui-ci le fit entrer dans l'administration, ainsi que le mari complaisant, oncle de Sophie, et le jeune frère de celle-ci (104). La tradition locale rapporte que Sophie Trébuchet a sauvé un jour de messe clandestine en plein air, l'abbé Defermon ami de sa famille. Mais il n'y a aucune preuve qui confirme la légende reprise dans le roman de Geneviève Dorman, qui veut que Sophie Trébuchet ait renseigné de Scepeaux sur l'expédition du général Humbert, dont nous avons parlé ci-dessus (104). D'autres récits purement fantaisistes illustrent la partie de l'existence de Sophie Trébuchet à Chateaubriant. L'autre légende, celle de la « mère ven­ déenne » a été inventée par Victor Hugo ; en effet, Sophie Trébuchet est nan­ taise et non vendéenne ; n'étant ni monarchiste, ni catholique, mais au contraire indifférente à toute idée religieuse, sinon même anti-cléricale, elle ne peut revendiquer ni le titre de « vendéenne », ni celui de « chouanne » (qui étant

78 LES « BLEUS » DE L'EST donné le lieu de sa naissance serait plus approprié). Son mariage fut purement civil et le resta, ce qui était impensable pour une « brigande ». Seul son fils Abel fut baptisé tardivement à Nancy sur les instances de sa grand-mère lorraine qui était cependant loin d'être « calotine ». En Espagne, ses fils furent déclarés pro­ testants au collège des nobles, pour leur éviter tout exercice religieux. Victor Hugo lui-même, au moment de son mariage, s'en tira par un certificat de com­ plaisance établi par son père, Mme Hugo s'affichera royaliste, après la répression de la conspiration de Mallet et sous la Restauration. La Royauté lui attribuera la décoration du Lys, sans doute plus à cause de son amant Lahorie que de ses convictions. Mais, née en 1772, elle n'a jamais été (et n'aurait pu être) « la pau­ vre fille de quinze ans en fuite à travers le Bocage », ni « une brigande comme Mme de Bonchamps et Mme de la Rochejacquelein », ainsi que son fils veut nous le faire accroire dans la préface des Feuilles d'automne. (104). Les Mémoires de Léopold Sigisbert Hugo ont été publiés sous le règne de Louis XVIII, par un comte titulaire de la croix de S.-Louis et père d'un poète royaliste pensionné. Il ne tient pas à ce moment, à rappeler certains aspects du passé du jeune Brutus Hugo. Mais rappelons qu'en Vendée, Léopold Sigisbert Hugo a 20 ans. Il est entraîné dans une aventure qui peut-être le dépasse. On ne peut s'attendre de la part de ce jeune officier ambitieux ni à de la mollesse, ni sans doute à une exces­ sive férocité. Légaliste avec la loi, humanitaire parfois en dehors, sans doute s'est-il comporté comme beaucoup de Français, obligé à l'époque de hurler avec les loups et s'efforçant, seulement lorsqu'il le peut, et sans risquer sa vie, de pro­ téger les victimes qui lui sont désignées. Nous ne refuserons donc pas à Léopold Sigisbert Hugo les actes d'humanité qu'il revendique et sans gommer son pas­ sage dans l'Ouest, les Lorrains se rappelleront qu'il a eu, en particulier à Thion- ville en 1814 et 1815, d'autres titres de gloire que ceux de la guerre civile. Mais la postérité ne devait pas rapprocher ceux qui, unis pourtant à la sec­ tion de la Fidélité à Paris, le 15 septembre 1799, devaient être séparés non seule­ ment par la vie, mais aussi dans la mémoire de la postérité : Grâce à la Société d'Histoire et d'Archéologie de Nantes et de la Loire Atlantique, le souvenir de Sophie Trébuchet est rappelé à Chateaubriant dans la rue de Couéré, où elle vécut de 1794 à 1797 (16), et sur le mur du Jardin des plantes de Nantes, où, par ailleurs, une place porte son nom (162). Mais c'est à l'autre bout de la France que le nom du général Hugo, oublié sur l'Arc de Triomphe, figure modestement sur une des places de la ville de Thionville ; à l'Hôtel de Ville son portrait détruit par les bombardements de 1870, n'y a pas été replacé. Il n'est pas, hors de propos, nous semble-t-il, de faire une place dans cet exposé à Victor Hugo lui-même, car dans une lettre qui se trouve au musée de Nancy, il revendique : « La Lorraine est pour moi plus que mon pays, c'est le pays de mon père », et dans la préface des Feuilles d'automne, il affirme qu'il a presque « aimé la Vendée avant la France ».

79 LES « BLEUS » DE L'EST

Aussi dans sa première période, a-t-il magnifié les Martyrs de la Vendée. Plus tard, dans la Légende des siècles, il oppose « le soldat de l'aurore » au « héros de l'ombre ». Bien sûr, les Vendéens ont sur le « soldat de l'aurore » une toute autre opinion. Mais Victor Hugo, toujours dans la préface des Feuilles d'automne, affirme qu'il n'insultera pas la race tombée et il a tenu parole : Autant dans ses poèmes que dans Quatre-vingt-treize, le Chouan et le Vendéen (qu'il confond d'ailleurs) sont toujours traités avec respect, sinon avec une certaine sympathie. Si le premier de nos poètes s'est permis des licences avec la vérité histori­ que, on ne lui reprochera pas d'avoir manqué de piétié filiale.

Mais que ce soit Haxo, Aubertin, Jordy, Kléber, Hugo, tous ces officiers qualifiés d'humains, même par leurs adversaires, ne peuvent toujours calmer leurs soldats et sont trop souvent compromis dans des affaires, qui aujourd'hui les feraient considérer comme des criminels de guerre pour avoir exécuté les ordres venus d'en haut, ou avoir simplement fermé les yeux. Mais il faut se rap­ peler qu'à l'époque, la protection, même d'une veuve de « brigand » ou d'un orphelin de « barbare » pouvait mener droit à la guillotine et rappelons-nous que Hugo fut inquiété pour avoir sauvé un enfant de 10 ans. On aurait toutefois aimé rencontrer plus souvent des Davy de la Pailleterie, autrement dit Alexan­ dre Dumas « grand-père », qui se serait brûlé la cervelle, plutôt que d'exécuter des ordres incendiaires. Devenu général en Chef, le mulâtre démissionna pour ne pas être entraîné à rétablir des colonnes infernales. Mais Turreau l'organisa­ teur des colonnes infernales fut acquitté à l'unanimité le 19 décembre 1795 pour avoir « rempli dignement ses fonctions comme homme de guerre et comme citoyen ». Baron de l'Empire et ambassadeur, chevalier de S.-Louis bien entendu en 1814, Turreau mourut chrétiennement dans son lit en 1816 : « Le nom du général Turreau est honorablement placé dans l'histoire des armes fran­ çaises. D'excellents officiers ont été formés à son école » ; ainsi se conclut sa notice nécrologique dans le Journal Officiel de sa Majesté Louis XVIII, pas ran­ cunière, mais qui n'avait pas non plus combattu en Vendée pour sa propre cause (78). Les Vendéens estiment, eux, que le nom du général Turreau déshonore l'Arc de l'Etoile. Mais tous les chefs militaires étaient étroitement surveillés par les représen­ tants qui étaient là, pour contrôler l'application de la loi, recevoir les dénoncia- ciations et appliquer les féroces décrets de la Convention, qui fit que la Vendée fut victime d'un « holocauste » ou d'un « génocide » avant la lettre : les Ora- dour s'y comptèrent par dizaines, en particulier au Loroux, dont le nom signifie précisément oratoire, comme Oradour. Or parmi ces représentants en mission en Vendée, il y a trois Alsaciens-Lorrains, au sens donné par les auteurs de l'Ouest pour qui Hentz est bien entendu un Alsacien. Il y avait en réalité un

80 LES « BLEUS » DE L'EST

Haut-Rhinois et deux Mosellans, assez représentatifs de ces commissaires aux armées, dont les uns collaborent intelligemment avec les chefs militaires, payent de leur personne et s'exposent au feu, limitent les mesures terroristes et d'autres, selon le mot féroce de Kléber, appliqué à Carrier, « tuent après la bataille » en couvrant par de grands mots de grandes infamies.

Trois représentants, en Vendée, originaires de l'Est

Rewbell ou Reubell Jean François est âgé de 47 ans lors de sa mission en Vendée. Cet ancien avocat au barreau de Colmar, député aux Etats Généraux pour le Tiers Etat, puis conventionnel, est un adversaire acharné des prêtres réfractaires et des royalistes. Il fut conseiller des Cinq-cents et directeur avant de rentrer dans le privé le 18 brumaire. Austère, flegmatique, il contraste avec Merlin, mais son amitié avec lui s'est forgée à Mayence, en Vendée et sur le Rhin. Sieyes a eu sur lui un mot féroce : « Il faut que Rewbell prenne tous les jours quelque chose pour sa santé ». Mais il s'est conduit courageusement à Mayence, il en fera de même à Torfou. Il restera peu en Vendée et sera rappelé avant Cholet. Mais le 18 frucidor an V (4 septembre 1797), il fut l'un des auteurs du coup d'Etat qui annula les élections favorables aux royalistes et contribua ainsi à relancer l'agitation qui aboutira à la troisième guerre de Vendée, lancée cette fois-ci et pour la première fois, contre la République, en un seul bloc avec la Chouannerie.

Plus proche de nous est Antoine Christophe Merlin dit de Thionville pour le distinguer de son homonyme de Douai, qui fit également une mission peu glo­ rieuse dans l'Ouest et dont l'action est parfois malencontreusement confondue avec celle de notre compatriote. Merlin, après une jeunesse séminariste et libertine, se trouve en 1791, à 29 ans, second député de la Moselle à l'Assemblée Législative, puis ultérieurement celui de l'Aisne à la Convention ou il proposa de voter « la guerre aux rois et la paix aux nations ». Le 10 août, lors de l'attaque des Tuileries à laquelle il parti­ cipait, il protégea le roi et, dans la mesure du possible, les officiers suisses ; Péronne en septembre, il empêcha le massacre des prisonniers. Après qu'il eut réhabilité les défenseurs de Mayence et sauvé de la guillotine leurs généraux, un décret de la Convention nationale du 17 août 93 ordonna « au montagnard Merlin de se rendre sur le champ à Orléans, en qualité de représentant du peu­ ple pour joindre la garnison de Mayence et la conduire contre les rebelles de la Vendée » (113, 130). Merlin dont « l'esprit bouillant ne cherchait que des dangers » (Kléber), prouvera à plusieurs reprises que « l'on peut être représentant et se conduire en

81 LES « BLEUS » DE L'EST

soldat » (Chiappe). Il participe aux reconnaissances et va faire le coup de feu contre les postes ennemis. Il est blessé à Montaigu le 15 septembre. A Torfou, soutenant des corps à corps, il faillit être tué par les Vendéens. A Cholet, il pointe lui-même les canons repris à l'ennemi et privés de servants. Kléber reconnaît qu'il s'y est battu comme un lion. Juif, son secrétaire et Rieffel, son ami de Mayence, sont tués à ses côtés. C'est au soir de Cholet que Merlin distingua Marceau qui s'y est brillam­ ment et intelligemment conduit. Du grade de chef de bataillon de la colonne de Luçon, il l'élève au grade de général de brigade, tremplin pour le commande­ ment en chef avec lequel il finira la campagne. Vis-à-vis des généraux dont il partageait les périls, il eut une attitude de collaboration avisée ; il essaya de confier le commandement en chef à Kléber au lieu de l'incapable Lechelle, mais il se heurta au refus du Strasbourgeois, qui a fort bien compris que le Tribunal révolutionnaire tue plus de généraux que les brigands. Avec ses adversaires vendéens, son attitude est plus complexe et parfois paradoxale. Il est là pour appliquer les décrets de la Convention et cela sans fai­ blesse, avec tout ce que cela peut signifier à cette époque, encore plus indul­ gente que la nôtre aux massacreurs et aux tortionnaires, du moins théorique­ ment ; il assortit son action de déclarations tonitruantes et préremptoires : « Il irait en enfer pour exterminer les amis des brigands ». Après le passage de la Loire le 18 octobre, Merlin et ses collègues, toujours « outrés dans leurs aperçus » remarque Kléber, écrivent prématurément au Comité de Salut Public et à la Convention : « Vive la République, la guerre de Vendée est finie. Il n'y a plus de brigands ». Hélas poursuit Kléber, « elle n'avait fait que changer de théâtre ». A ce même passage de la Loire, se rapporte un fait qui n'est pas en l'hon­ neur de Merlin. On sait comment à S.-Florent-le-Vieil, Bonchamps mourant évita le massacre d'environ 5 000 prisonniers bleus, (parmi lesquels le père de David d'Angers qui, fils reconnaissant d'un bleu, exécuta la superbe statue du tombeau de Bonchamps dans la basilique de S.-Florent-le-Vieil). Certains des libérés repassèrent les lignes en criant : « Vive Bonchamps, vive la République ». Cela déplut au plus haut point aux représentants du peu­ ple, qui dans leur rapport officiel, se donnèrent eux-mêmes comme les libéra­ teurs : « nous en avons arraché des bras de l'ennemi 5 000 à S.-Florent ».

Merlin lui-même aveuglé par l'esprit de parti écrivit au Comité de Salut Public : « Les lâches ennemis de la Nation ont, à ce qui se dit, épargné plus de 4 000 des nôtres, le fait est vrai, car je le tiens de plusieurs d'entre eux ; quel­ ques-uns se laissèrent toucher par se trait d'incroyable hypocrisie. Je les ai péro­ res et ils ont bien compris qu'ils ne devaient aucune reconnaissance aux bri­ gands. Mais comme la Nation n'est pas encore à la hauteur de nos sentiments patriotiques, vous agirez sagement en ne soufflant pas un mot sur une pareille

82 LES « BLEUS » DE L'EST indignité : les hommes libres acceptant la vie de la main des esclaves, ce n'est pas révolutionnaire. Il faut donc ensevelir dans l'oubli cette malheureuse action, n'en parlez même pas à la Convention, les brigands n'ont pas le temps d'écrire ou de faire des journaux, cela s'oubliera comme tant d'autres choses ». La conduite de Merlin est ici difficilement qualifiable, non seulement vis-à- vis d'un ennemi généreux, mais surtout en face de soldats républicains, dont il laisse entendre clairement qu'ils auraient dû se laisser massacrer plutôt que « d'accepter la vie de la main des esclaves ». Mais la comtesse de la Bouëre, dans ses Mémoires, (21) signale que les pri­ sonniers nantais de S.-Florent, reçurent plus tard, l'appui de Merlin de Thion- ville lorsqu'ils demandèrent la grâce de Mme de Bonchamp, sous le prétexte qu'elle aurait plaidé leur cause auprès de son mari. Le 20 octobre, il écrit d'Ancenis et s'en vante : « Nous avons fait des pri­ sonniers, des femmes comme il faut, appartenant à Rostaing, chef des bri­ gands ». Mais ce dont il ne se vante pas, c'est qu'il prit sous sa protection, cette même famille de Rostaing, qui était le chef de la cavalerie de Stofflet. En 1814, bien des années après, il eut chez la princesse de Talleyrand l'occasion de retrouver, devenues grandes, mais toujours reconnaissantes, les deux petites fil­ les qu'il avait sauvées à S.-Florent. C'est pourquoi, il faut juger les gens de cette époque sur leurs actes et non sur leurs déclarations trop souvent nourries de la logomachie des clubs. A sa décharge aussi le 11 septembre, au moment de l'entrée en campagne des Mayençais, il avait lancé une proclamation tendant à ramener les « bri­ gands », déclaration qui se concluait ainsi : « rendez vos armes, livrez vos chefs et cette armée venue pour vous exterminer deviendra une force protectrice de vos personnes et de vos propriétés ». Vingt communes à son appel rendirent les armes avec l'approbation de Carrier. Merlin ayant quitté la Vendée, Carrier, devenu le maître absolu, fit fusiller ceux qui avaient cru en la parole du repré­ sentant. Dans une lettre du 12 décembre 1794 au Président du Tribunal révolution­ naire, devant lequel était traduit Carrier, Merlin revient sur cette affaire et con­ clut sa déclaration : « juste, sincère et véritable » de la façon suivante : « Si, investi de pouvoir illimité, j'avais été à cette époque dans la Vendée, on n'y aurait pas manqué à la parole donnée par un de mes collègues et l'on n'aurait pas égorgé impunément sous mes yeux des malheureux désarmés, qui avaient entendu la voix de la Patrie. Celui-là est un égorgeur à mon avis, qui laisse assas­ siner quand il a le pouvoir de l'empêcher ». Rappelé à la Convention le 9 novembre 93, il quitte Angers clandestinement car les Mayençais l'auraient retenu. Après son départ, le Comité de Salut Public dissout l'armée de Mayence, ou du moins ce qu'il en reste et amalgame les survivants aux autres corps. Dès son arrivée à la Convention, il déclare, sans doute pour satisfaire son auditoire et le rassurer : « Citoyens, la Vendée n'est plus qu'un monceau

83 LES « BLEUS » DE L'EST

de cendres, arrosé de sang, excepté la ville de Cholet et quelques villages ». Mais dès le 10 il se fait le porte-parole de la modération dans la répression. « La Vendée n'est plus dans la Vendée, il faut empêcher qu'elle ne renaisse de ses cendres... Un des plus beaux pays de la République..., n'offre à la vue du voya­ geur qui le parcourt en tremblant que des cendres et des cadavres. Que la Convention appelle de chaque contrée de la République dans la Vendée une famille de cultivateurs infortunés,... on donnera encore des terres aux patriotes réfugiés d'Allemagne ». Il conclut en proposant le décret suivant : 1) La Convention Nationale décide que le département, ci-devant appelé la Vendée, se nommera désormais le « Département Vengé ».* 2) Toutes les séparations d'héritages, soit fossés ou haies seront détruites par les anciens ou nouveaux propriétaires dans l'espace de six mois et seront rem­ placées par de simples bornes. Il y a des raisons valables pour ne pas être d'accord avec l'analyse de Merlin, mais on conviendra qu'elle n'est pas sanguinaire. C'est un député ven­ déen Fayau qui répondit à Merlin : « On n'a pas assez incendié dans la Vendée ; la première mesure à prendre est d'y envoyer une armée incendiaire ; il faut que pendant un an, nul homme, nul animal, ne trouve de subsistance sur ce sol ». Comme le fait remarquer Lenôtre, jamais sans doute les annales parlementaires n'ont eu à mentionner un représentant du peuple prenant aussi « chaudement » le intérêts de ses électeurs. La Convention renvoya au Comité de Salut Public le projet de Merlin et le Comité répondit en lançant sur la Vendée les douzes colonnes infernales du général Turreau, ci-devant de Garambouville, futur baron de Lignière, et che­ valier de S.-Louis 1'« Ogre de la Vendée » (Ragon). Il est bien difficile de porter un jugement définitif et tranché sur Merlin de Thionville, dont les paroles et les écrits furent plus violents que les actes sur les­ quels seuls, il faut se fonder. Il sut montrer de la grandeur d'âme, sous une jac­ tance patriotique. Certes ce ne fut pas un tendre, mais comment aurait-il pu l'être, investi par la Convention et le Comité de Salut Public, d'une mission de représailles et d'ordres impératifs. Il eut tort de couvrir Westermann, mais il dénonça l'atrocité du système de Turreau. Il faut aussi se rappeler la folie du moment, et lui-même dans la séance du 22 ventôse, s'écria : « Quel est celui qui ose m'accuser ? Quel est celui qui n'a pas été aussi lâche que moi ? » Mais pour reprendre ses propres termes appliqués à Carrier, ce ne fut pas un égorgeur. Sa tombe au Père-Lachaise, à côté de Ney, ne déshonore pas celle de son compatriote. Que l'image que nous garderons de lui en Vendée soit sem­ blable à celle de son monument à l'entrée de Thionville, où de même qu'à Tor- fou et à Cholet, au premier rang de la mêlée, le sabre brandi au-dessus de sa tête, il se bat comme un lion. Sur ce monument est également inscrit le nom de

* Le District des Sables-d'Olonne avait déjà pris un arrêté demandant le changement du nom des habi­ tants de la Vendée, en « citoyens de l'Ouest ».

84 LES « BLEUS » DE L'EST ses trois frères, tous officiers généraux. Jean-Baptiste a également son nom gravé sur l'Arc de l'Etoile ; leur sœur perdit au service de la patrie, à la fois son fils et son mari qui était colonel (1).

Nicolas Hentz, né à Metz en 1753, est parfois confondu avec Jean-Nicolas Hentz son cousin qui prit aussi à Thionville une part active aux mouvements révolutionnaires. Sur Hentz, on ne peut porter qu'un jugement sévère. Notre confrère l'abbé Dicop nous a rappelé son action à Sierck où il était juge de paix (48). Ce membre de la Convention se distingua par des mesures extrêmes ; montagnard, il vota la mort du roi sans sursis ; en mission à l'armée du Rhin en 1793, il fut responsable de l'arrestation de Houchard et de l'incendie de Kussel qui lui valut d'ailleurs, plus tard, la proscription. C'est lui qui demanda l'exclu­ sion des nobles de l'armée. En l'an II, une nouvelle mission à l'armée du Rhin, lui fit décréter l'arrestation de tous les prêtres du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et du département du Mont-Tonnerre et leur incarcération à la Citadelle de Besançon comme suspects. A la Convention, il présenta un plan d'éducation où il démon­ tra que la République, finalement, n'a pas besoin de savants. Il fut chargé de deux missions en Vendée, une première du 4 au 10 octobre 1793 et une deuxième du 10 février au 4 mai 1794, mais entre les deux, il se fit représenter par des gens à lui, qui agirent selon ses principes. Il fit un rapport à la Convention sur ses observations sur la guerre de Ven­ dée ; ce rapport qui fut imprimé au milieu de 1794 est entre les mains de notre confrère l'abbé Dicop (76). Représentants aux pouvoirs illimités, Hentz et Francastel, aux noms tou­ jours accolés furent les Carrier de l'Anjou qui leur doit ses heures les plus san­ glantes et ceci sans que Hentz ait, comme Merlin et Rewbell, l'excuse d'une atti­ tude courageuse au feu, car sa faiblesse de santé l'empêchait de « courir à che­ val ». Avec une émulation atroce, Hentz conduisant, Francastel suivant, ils mirent eux, leurs actes en rapport avec leurs déclarations. Le 16 février 1794, ils affirment : « les Vendéens seront dangereux tant qu'ils n'auront pas tous péri », et le 24, ils écrivent au Comité de Salut Public : « Il n'y a rien de bon dans la vendée, la race est mauvaise, il faut y transporter une peuplade de républicains qui cultiveront ce pays le plus fertile de la République ». Cette idée de la dépor­ tation de la population locale et de l'implantation de colons était à l'ordre du jour. Merlin nous l'avons vu, préconisait déjà le repeuplement par des patriotes réfugiés d'Allemagne. L'Alsace selon Pierre Zind (qui ne cite pas ses sources) aurait fait également les frais de cette opération « bénéfique » à double sens, puisqu'elle transportait à l'Ouest une population dont le dialecte irritait les jaco­ bins et qu'elle neutralisait sur le Rhin la population rebelle de la Vendée (160, 161).

85 LES « BLEUS » DE L'EST

En attendant Hentz et Francastel décident la déportation des habitants, quelles que soient leurs opinions politiques, à 20 km des pays insurgés et à 20 lieues de Paris. Six mille femmes et enfants de républicains de la région de Cho- let sont ainsi chassés « comme des troupeaux de cochons ». Massacrant non seulement les blancs, mais aussi les bleus, les colonnes infernales de Turreau opérèrent dans les campagnes et les représentants dans les villes. A Angers, plus de trois mille personnes furent exécutées et souvent dans des conditions atroces. La « petite Louison », (ainsi désignée « en hommage » à notre compatriote Antoine Louis qui avait perfectionné la machine « humani­ taire » de Guillotin), ne suffisant plus, on fusilla en masse comme aux champs des martyrs d'Avrillé, où tomba notre compatriote Sœur Odile Baumgartner. En outre, comme à Nantes, cinquante charretées de religieuses, prêtres et fédé­ ralistes seront massacrées ou noyées aux Ponts de Cé. Le 22 avril, Hentz, Francastel et Garrau (ce dernier député de la Vendée) persuadés que la guerre ne finira que quand il n'y aura plus un habitant en Ven­ dée, écrivent triomphalement de La Rochelle : « La Vendée est un désert, elle ne contient plus 12 000 personnes vivantes, tout ce qui respire dans la Vendée

est brigands.;. De longtemps, on ne voyagera plus dans ce pays qu'en cara­ vane ». Hentz, « l'Alsacien » (Volkaersbeke) estime que les lois sont inutiles puis­ que : « quand la guerre de Vendée sera finie, il ne restera plus d'habitants puisqu'on aura tout détruit. Ainsi il est inutile de faire aucune loi sur un gouver­ nement ». Avec des généraux comme Huche et Grignon, (lequel avait comme adjoint l'Alsacien Amey de Sélestat, futur baron de l'Empire et chevalier de S.-Louis)*, on appliquera pratiquement la formule « Tuez les tous, la République recon­ naîtra les siens ». Jean-François Deshayes (73) de Escherange en Moselle, membre du Comité de Surveillance de Luçon fut sans doute la victime de Hentz pour avoir tenté de s'opposer aux massacres de républicains par Huche. Compris dans la fournée des « Chemises Rouges », il fut guillotiné à Paris le 29 prairial 17 juin 1794). Comment s'étonner que Stofflet et Charette préférant, avec leurs compa­ triotes, mourir les armes à la main, plutôt que lâchement égorgés, n'aient eu aucune difficulté à soutenir la deuxième guerre de Vendée, justifiant ainsi la protestation des patriotes du Comité de surveillance de Fontenay : « Dites- nous, hommes de sang, dites à la France entière , vous Turreau, Huche, Carrier, Grignon, Hentz et Francastel, comment la guerre s'est renouvelée » (13 octobre 1794). Hentz et Francastel plus heureux que Carrier survécurent à thermidor. Francastel deviendra le jardinier de la citoyenne Bonaparte, puis sera chargé du service d'introduction (nous dirions d'importations) de béliers d'Espagne.

* Amey vola personnellement 726 livres et une tasse d'argent chez un patriote nommé Rouillard (105).

86 LES « BLEUS » DE LEST

Hentz, lui, fut dénoncé à la Convention le 16 germinal par Merlin son com­ patriote : « J'ai le malheur de compter parmi les députés de mon département, un de ces hommes qui ont entassé les victimes vivantes sur les victimes mouran­ tes, un de ceux qui brûlaient et qui détruisaient tout, c'est de Hentz que je veux parler ». Mais le procès que lui fait Merlin est surtout dirigé contre ses agissements en Allemagne, où Hentz a traité la ville de Kussel en Palatinat comme les bour­ gades de la Vendée ; son action y est plus ou moins occultée, comme si Merlin voulait également éviter des questions embarrassantes. Quoiqu'il en soit, la Convention décréta Hentz d'accusation ; Jordy, son compatriote, chargé de l'arrêter, protégea sa fuite ce qui lui permit de tenir jusqu'à l'amnistie du 4 bru­ maire an IV (26 novembre 1795). Après une carrière obscure de fonctionnaire de l'Empire, il fila en Amérique en 1815, où il coula des jours tranquilles, regrettant cependant de ne plus voir pousser la bonne quetsch de Lorraine et continuant à vitupérer contre les « voleurs publics », tel Merlin de Thionville (Florange). Il mourut paisiblement dans un île du Lac Erié en 1830. Gabory estime que Carrier fut le bouc-émissaire d'un système qui comprenait bien d'autres bourreaux qui le valaient, au rang desquels, il range Hentz. Nous laissons la conclusion à Jean Reynaud, qui affirme qu'en Vendée, Merlin peut prendre place à côté de Kléber, mais Hentz, malheureusement, à côté de Carrier. Il n'y a d'ailleurs, ni monument, ni rue, ni place Hentz à Thion­ ville, du moins jusqu'à présent.

Les soldats de l'Est en Vendée

Nous l'avons vu : l'armée de Mayence compte à son actif beaucoup de sol­ dats et de volontaires issus des départements de l'Est (46). Nous avons laissé l'avant-garde avec Michel Bastien sur la rive gauche de la Loire. Le héros de l'Histoire d'un paysan est bien sûr un personnage de roman et, par rapport à l'événement, d'un roman tardif (1868) mais grâce à lui, nous pou­ vons connaître l'opinion de bourgeois libéraux de la Lorraine du XIXe siècle, influencés par la franc-maçonnerie et le protestantisme. Pour ces lecteurs de Michelet et d'Augustin Thierry, cette contre-révolution populaire de paysans alliés aux nobles et aux prêtres est, comme pour Barère, inexplicable, mais aussi inexpiable. Par ailleurs, le récit que fait Emile Bastien de sa campagne contre la Grande Armée Catholique et Royale en Vendée Militaire, apporte les préci­ sions d'un carnet de route qui rend compte de la cruauté insoutenable de cette guerre fratricide. Le roman permet de lever l'anonymat de l'homme de troupe et, en dehors des rapports officiels, de lui attribuer une histoire personnelle plausible. On peut penser aussi qu'Emile Erckmann n'a pas oublié les récits des

87 LES « BLEUS » DE LEST

« vieux de la vieille », nombreux à Phalsbourg, des plus hauts gradés jusqu'aux plus humbles soldats, qui fréquentaient le cabinet de lecture de son père, lui-même vétéran de Massena. De son côté, Gratien, (qui n'était pas encore Alexandre) Chatrian, avait été nourri dans son enfance des récits guer­ riers des anciens militaires de la République et de l'Empire, familiers de ses parents au Grand-Soldat (15). Ceux-ci étaient alliés à un des vétérans de la Ven­ dée, Jordy, cité à plusieurs reprises dans le roman. En effet, la sœur de Jordy avait épousé le grand oncle de Chatrian.* Né à Abreschviller, Nicolas Louis Jordy, dont « le nom est devenu célèbre dans les deux camps par ses exploits presque fabuleux » (Crétineau Joly), fut adjudant général en Vendée. Le portrait de ce « Rantzau de la République » figure au Musée historique de Nancy, avec l'inscription : « Avis aux braves : de simple soldat, il est devenu général ». En réalité, c'est un ancien chirurgien des hôpitaux militaires de Sélestat et de Strasbourg, brave homme de surcroît, qui avait fait la campagne d'Amérique comme engagé au régiment d'Alsace ; capi­ taine au bataillon des Gardes Nationales de Lorquin le 6 mai 1790, ce fut lui qui sortit de Mayence à la tête de la première colonne. Adjudant général de la Légion des Francs, il combattit en Vendée, toujours à l'avant-garde et fit des prodiges de valeur, comme à Vertoux le 24 octobre 1793 et à Port-S.-Père le 2 novembre, où son frère, qui servait sous ses ordres, se distingua également. Blessé à Noirmoutiers, sous Haxo, il fut nommé général de brigade le 5 avril 1794. A la Restauration, il fut maréchal de camp et bien entendu chevalier de S.-Louis. Nous avons vu qu'en juillet 1795, il sauva Hentz qu'il avait reçu l'ordre d'arrêter.

Il est intéressant de comparer le jugement d'Erckmann-Chatrian, à tra­ vers Michel Bastien, à celui des sans grade qui nous est parvenu et en particulier à celui de Cari Ritter de Strasbourg, dont la correspondance en allemand, recueillie par son petit-fils, ancien élève de l'Ecole des Chartres, fut l'objet à Metz, d'une communication faite par Jean-Ritter son descendant (132). Erckmann-Chatrian est, sans appel, défavorable « aux gueux » aux « bri­ gands », à la « race des seigneurs » et souvent avec une curieuse absence de logique. Ainsi Michel Bastien est plein d'admiration pour le petit peuple patriote, les bûcherons, les charbonniers, les schlitteurs des baillages de Phals­ bourg et de Sarrebourg qui se choisissent pour chef le sabotier Claude Hullin, et pour les grands généraux de la République., « fils de paysans », (ce qui est rare­ ment le cas en Vendée). Mais en même temps, il est paradoxalement d'une sévérité méprisante pour Cathelineau le « voiturier », Stofflet le « garde- chasse », dont il se garde bien de rappeler qu'il est son compatriote..., enfin, « toute la race » de ce « pays de sauvages », « peuple de braconniers, de contre­ bandiers, de petits nobles chasseurs, entourés de gardes forestiers et de refrac­ tares, enracinés dans leur ignorance ; de métayers, des petits marchands, des paysans qui s'appelaient eux-mêmes « gens du Seigneur » (59).

* Nous devons ces renseignements à l'obligeance de notre confrère, Georges Marande, président du Cer­ cle généalogique de Lorraine.

88 LES « BLEUS » DE L'EST

Reconnaissant implicitement le caractère populaire de la révolte, c'est avec mépris qu'il rappelle que les « gabelous », les « gardes-chasse » ont précédé la « noble race des conquérants » dans la voie de la rébellion, (ce qui est vrai, car les « Messieurs » se sont décidés, souvent sans enthousiasme, et la main forcée, avant d'aller se faire tuer bravement à la tête de leurs métayers) ; même le pays ne trouve pas grâce aux yeux de Michel Bastien, résolument pour « le neuf » et qui ne trouve rien de beau dans les « nids à rats » comme Angers, ville qu'il compare à Worms et à Mayence ; ce même mépris se retrouve dans les appré­ ciations de Cari Ritter, qui habitué à une riante Alsace, trouve que « l'on a une dure façon de vivre dans cette France », où... « la façon la plus élégante de mar­ cher est d'aller en sabots », « si seulement c'était la volonté de Dieu que nous fussions délivrés de ce maudit pays ». Seule la ville de Nantes étonne par son trafic de bateaux, les continentaux que sont Bastien et Ritter. Les soldats, non seulement méprisent les paysans (terme qui désigne autant les artisans que les laboureurs), mais également il les haïssent. Revenant des frontières où ils se sont comportés en héros, ils admirent leurs chefs Cancleaux et Dubayet, bien qu'ils soient gentilhommes, mais ils haïssent les gens de La Rochejaquelein et de Talmont, parce que des prêtres sans armes marchent à leur tête et qu'ils se font trop souvent rosser par eux, qui ne sont même pas des soldats. Se comportant comme des reîtres, des Suédois ou des écorcheurs des grandes compagnies, ils vont dévaster les pays traversés, où on va les appeler les « brûleurs ». Instrument de la terreur dans les campagnes vendéennes (41). Ils vont faire peser sur elles une occupation, dont aucun pays d'Europe n'a subi autant les rigueurs pendant toute la période de la Révolution et de l'Empire (62). Entrés dans un « pays de sauvages » pour une guerre totale, les bleus font mentir la formule du révolutionnaire repenti Chamfort : « Guerre aux châ­ teaux, paix aux chaumières » ; on félicitera rapidement les soldats, non plus parce qu'ils « combattent les aristocrates » de la Vendée, mais parce qu'ils « exterminent les brigands » de la Vendée (112), en fusillant les prisonniers, en achevant les blessés, en bourrant d'explosifs le ventre des femmes, en affûtant leur baïonnette sur les petits enfants et en faisant de cette région une Lorraine après le passage des Suédois, (67). Tous font leur métier de soldat, sans se poser de questions superflues et si commentaires il y a, ceux-ci sont unanimement défavorables aux brigands et à leur pays. Michel Bastien constate avec satisfaction que « l'armée de Mayence traitait les gueux avec rigueur et que tout marchait donc bien de ce côté »... « Naturellement, on mettait le feu dans ces misérables bicoques... ». « Le soir du Mans, si je disais que nous n'avons pas massacré ceux qui restaient embusqués dans les maisons, que nous les avons laissé s'échapper pour nous fusiller encore plus tard ; que baucoup de femmes furieuses, qui portaient des sacs pour mettre le butin et n'avaient pas honte d'achever les blessés, furent épargnées ; si je vous disais cela, je mentirais... que voulez-vous, la guerre, c'est la guerre, le sang, le carnage, l'incendie, le pillage ».

89 LES « BLEUS » DE LEST

Michel Bastien s'accommode de tout cela, et l'excuse et cependant auparavant, Erckmann-Chatrian à travers le Père Sôme, s'indignait des dra­ gonnades des Cévennes et des ravages de Turenne dans le Palatinat. Le roman se recoupe avec les récits de ceux des « sans-grade » qui sont relativement rares, car les soldats ont certainement moins écrit que les géné­ raux. Nicolas Poincenet, volontaire du 8e bataillon de Paris, (dit des Lom­ bards), assista entre autres, aux exécutions du château d'Aux, où fut com­ promis sous les ordres de Muscar et de Hugo, le 8e bataillon du Bas-Rhin (Journal de Poincenet). Nous possédons aussi les lettres de François Xavier Joliclerc, paysan du Jura, volontaire de 1791, caporal au 7e bataillon des Volontaires du Jura, qui fit vaillamment son devoir et reçut plusieurs blessures. Mais il fait la guerre atrocement comme ses chefs le lui commandent, « il n'a pas à discu­ ter, mais à obéir » ; « Si je racontais les cruautés qui se sont commises, écrit-il à sa mère, cela ferait dresser les cheveux ». Et Broussais, jeune caporal de grenadiers, futur prince de la Médecine écrit : « Nous ne rentre­ rons qu'après avoir exterminé toute la race, brûlé et ravagé tous les repai­ res ». Cari Ritter de Strasbourg, écrit à ses parents en allemand le 30 juillet avant l'arrivée des Mayençais et bien avant les Colonnes Infernales : « Tous les jours ils sont battus, on ne fait de quartier à personne, tous les châteaux, villages et forêts où ils se trouvent et où pénètre notre armée, sont d'abord pillés, puis ensuite livrés aux flammes. Depuis Nantes de l'autre côté de la Loire, en Vendée, à deux lieues à la ronde, tout est réduit en cendres, il n'y a plus un arbre dans ce lieu maudit et maintenant, ils recevront le salaire qu'ils méritent et que nous leur avons depuis longtemps promis, dès que l'Armée de Mayence sera arrivée » (132).

Un document mosellan des archives départementales rend compte de l'opi­ nion du combattant de base, ou plutôt de son épouse. Grâce à mes confrères, Colnat et Cahen, j'ai pu prendre connaissance de cette lettre signée Lapolbetz (?), épouse vraisemblablement d'un requis de S.-Servan et qui écrit à ses amis de S.-Avold. Nous respecterons l'orthographe et l'absence de ponctuation de ce document se rapportant à la campagne d'outre Loire ou « virée de Galerne ». ...« Mon Marie a quité son foyer pour aler poursuivre les brigant de Lavan- dée il a étee deux mois en activité, il est party dicy pour aller à Renne de Renne à fougerre de fougerre a Vitré. Ils ont poursuivie ces malheureux et ont mis leur armée toute en déroute un partis de ces brigand se sont jetée sur dol croyant trou­ ver un embarquement favorable à port malo mais les brave malouin les esperoit à pied ferme ausy bien que la brave Garnison de St Servant, ils ont fait les briganda­ ges les plus afreux dans dol ne pouvant y trouver un asille asûrez il ont tournée leurs route sur Grand'vile ils ont assiégée cette ville. Mais le brave abitant de cette

90 LES « BLEUS » DE L'EST

ville ont soutenue, avec courage le Siège et ont remportée une Victoire Considéra­ ble ont à évalué la perte à 5 mille homme ; je ne puis vous dirre le nombre de pri- soniers ont en fusille tout les jours 20 à 25 à St Malo ayant été chasée batus de Granville et mis tous en déroutes ils ont tournée leur route sur les Cantonement de Renne du cotée dentraint le Citoyens Lablanchardierre Vun de vos amis a été la malheureuse Victime de ces brigand et plusieurs autre administrateurs du distric dentrain nous avont poursuivis ces malheureux et batus à plat de couturre nous n avont ménage nifamme ny enfants nous les avont fusillée sur les chariot et nous sommes revenus dans nos foyes ou nous somme assez tranquille... » Un Messin, Jean-Baptiste Baudesson, a tout de même eu sur ces événe­ ments une autre opinion. Il était inspecteur des rôles du Maine & Loire depuis 1791, (52), lorsqu'il fut mêlé à la tragédie de l'Ouest. Sous prétexte de sauver les subistances, il s'efforça, en général sans grand succès, de suspendre les incen­ dies. Il parle des plus « cruels désordres et des pillages effrénés » et s'indigne des fusillades des hommes, des femmes, « à l'hôpital, à l'ambulance, derrière la haie ». Il réussit à sauver un vieillard de 68 ans qui a tout perdu, a vu son habita­ tion brûler et sa domestique égorgée. Il le loge, le nourrit, le recueille. Il évoque avec horreur la vision qu'il a eue de la route de Cholet à Vihiers : « Mes yeux ne voyaient que des images sanglantes ; partout les champs voisins du grand che­ min étaient couverts de victimes égorgées..., dans les maisons à moitié brûlées, des pères, des enfants de tous âges, et de tous sexes baignaient dans leur sang, nus et dans des postures que l'âme la plus féroce ne pouvait envisager sans fré­ missement. L'esprit se trouble, même en y pensant » (33). Baudesson, dont la probité était exemplaire, fut chef d'état major du com­ mandement de Metz de 1815 à 1820 (13). Bien entendu, les bleus savent eux-aussi qu'ils n'ont aucune pitié à attendre des rebelles et en particulier des gens de Charette qui estiment qu'en plus de leurs atrocités, ils ont violé la capitulation de Mayence ; après Torfou, on ne fera plus de prisonniers et on se livrera aussi à des représailles d'autant plus affreuses que se développera la « frénésie des guerres civiles » (Marquise de la Rochejaquelein). Et même si les « blancs », et pour cause, tuent essentielle­ ment des soldats, le chiffre des victimes républicaines sera finalement plus élevé que celui des Vendéens.

Il est intéressant également de voir la description d'un combat, à la fois par Cari Ritter et par Michel Bastien et de se rendre compte de la terrible impres­ sion que pouvaient faire les Vendéens sur nos volontaires de l'Est ; la bataille a eu lieu au même endroit, mais, jour pour jour, à trois mois d'intervalle. Voici extrait de la correspondance de Cari Ritter, le récit de la déroute du 18 juillet, qui affecte la division de , commandée par La Barollière, division dont fait partie le 8e bataillon du Bas-Rhin. Au cours de ce combat, qui nous l'avons vu, oppose entre-eux des gens de l'Est, Léopold Sigisbert Hugo fut grièvement blessé.

91 LES « BLEUS » DE L'EST

Le volontaire Ritter précise que son bataillon y a perdu 200 hommes et que son « compagnon de lit, depuis Altkirch jusqu'en Vendée » fut emporté par un boulet : «... Au moment où le canon se mit à tonner les brigands sortirent du bois comme des bêtes sauvages, si bien qu'on ne voyait plus que des hommes et le ciel, et ils se mirent à nous entourer complètement, si bien que nous dûmes prendre la fuite, car si nous étions restés encore quelques minutes en ce lieu, il n'en serait pas revenu un seul homme, car nous étions trahis comme d'habi­ tude... Nous fîmes une terrible retraite sous le feu de l'ennemi pendant trois heures sans discontinuer, si bien que sur la route où nous marchions, nous ne voyions que des morts et des blessés » (132). Le 18 septembre 1793, les Républicains seront de nouveau battus dans leur marche sur Coron. Michel Bastien se trouve dans la colonne de Santerre ; celui- ci « qui n'avait de mars que la bière » échappa de peu aux insurgés qui voulaient lui faire payer le roulement de tambour du 21 janvier. A trois mois d'intervalle la description dans le roman est authentifiée par celle qu'a fait Cari Ritter et les commentaires sont semblables : « Lorsqu'en arrivant sur les hauteurs de Coron, tout à coup un grand cri s'entendit dans les fougères ; rien que de l'entendre, les cheveux nous en dressaient sur la tête, en même temps, un roulement de fusil­ lade commença sur nous de tous les côtés à la fois, comme quand l'écluse d'une rivière est enlevée et que l'eau galope au fond des ravins ; et dans le même ins­ tant, les Vendéens tombèrent sur nous, comme de véritables loups et ils criaient : « rendez-vous » en sautant à la bride de nos chevaux... C'est la débâ­ cle de Coron. Je vous l'ai racontée comme je l'ai vue et je le répète, il n'y a rien de pire au monde que les gens qui se croient capables de tout et qui se mettent hardiment à la tête des plus difficiles affaires, que des hommes mille fois plus instruits et plus courageux n'oseraient pas entreprendre par modestie... »

Michel Bastien et Cari Ritter sont d'accord pour juger de l'incapacité de leurs chefs qui « ont trahi comme d'habitude » (Ritter). Michel Bastien est indi­ gné, lui, d'avoir été battu par des paysans qui ne connaissaient aucune manœu­ vre et « qui nous tuaient trois fois plus de monde que nous ne pouvions leur en tuer ». Il admet que Santerre était un bon patriote, mais « quel malheur de l'avoir comme général ».

Parmi les incapables, dont se plaignent Bastien et Cari Ritter, se trouvait Muller (ou Mûller) François, fils d'un coiffeur de Sarrelouis, né le 21 janvier 1764, ancien engagé au Royal Lorraine Cavalerie, puis comédien et danseur, avant d'engager dans le bataillon parisien de la Butte du Moulin. Il fut nommé brigadier par Rossignol, dans la fournée des généraux de barricades et d'his­ trions distinguée par notre compatriote Bouchotte, le « mécène des incompé­ tences » (Lenôtre). Au grand mécontentement de la troupe, ils devaient remplacer les généraux républicains d'origine aristocratique comme Canclaux, Dubayet,

92 LES « BLEUS » DE L'EST

Biron. Ces nouveaux venus enverront leurs soldats à la mort contre des Ven­ déens, qui pour Michel Bastien, « s'ils étaient des gueux, n'étaient pas des ânes ». Ivrogne, incapable et couard, Muller sera destitué pour incapacité par le Comité de Salut Public le 14 août 1794.

Sous des Chefs comme Kléber, Canclaux, Dubayet, nos soldats de l'Est se conduisirent brillamment dans l'Ouest. Rappelons la citation que Kléber après Cholet décerna à ses soldats comme à ses ennemis : « Les rebelles combattirent comme des tigres et nos soldats, comme des lions ». Et parmi ces lions se distinguèrent au prix de lourdes pertes le 3e, le 7e et le 8e bataillons des Vosges et le 4e bataillon du Bas-Rhin. Déjà à Torfou, le 7e et le 8e bataillons des Vosges avaient résisté jusqu'à la « limite des forces humaines » (Gabory), pour éviter l'écrasement des républicains. Le 13e bataillon des Vosges perdit à Torfou 42 soldats, dont le jeune com­ patriote de Humbert, le volontaire de 18 ans Etienne Henry. A Dol le 2 novem­ bre, le lieutenant Cyprien Pernot de Fontenay sera tué avec bon nombre de volontaires. Le 9 et 10 mars 1794 onze hommes du même bataillon tombèrent à Cholet en combattant Stofflet (81). Le 3e bataillon se distingua à Cholet, mais déjà à Clisson, le 22 septembre 1893 il avait laissé sur le terrain, 66 tués, 1 capitaine et son chef Dumas de Châ- tel-sur-Moselle ; son brevet de brigadier arriva après sa mort. Sur quatre colo­ nels et lieutenant-colonels du 3e bataillon formé à Rambervillers, trois ne devaient plus revoir la Lorraine. Les troupes de Scherb et de Haxo firent très bonne contenance à Cholet, mais celles de Muller, ivre comme à son habitude, se débandèrent. Cari Ritter nous renseigne sur les pertes considérables du 8e bataillon du Bas-Rhin, en particulier, à la bataille de Vihiers. Ainsi, l'armée de Mayence devait venir à bout de la grande Armée Catholique et Royale mais la Vendée devait aussi physiquement et moralement « casser les soldats de faïence ». Après Entrammes, l'armée de Mayence, déjà réduite de moitié, en but à l'hos­ tilité des représentants parce que trop fidèle à ses généraux ci-devants et à l'habit blanc des troupes royales, va être dissoute et perdre sa spécificité (6). Les bataillons seront répartis dans les différents corps et ils vont servir de tête de colonnes. On estime que neuf sur dix des Mayençais, qui sous Kléber et Dubayet, s'étaient illustrés contre l'étranger, périrent en Vendée dans une guerre sans gloire. Chiappe fait amèrement remarquer que les « brûleurs » des Colon­ nes Infernales seront, pour la plupart, des Mayençais et, qu'ainsi, on mesure la rapidité de la dégradation lorsqu'une troupe, sous des chefs indignes, se voit confier une mission contraire à l'honneur militaire. Heureusement chez les soldats comme chez les chefs, il n'y eut pas que des massacreurs : mais la tradition qui rapporte les actes d'humanité et de clémence

93 LES « BLEUS » DE L'EST venant de part et d'autre, s'est mieux conservée dans la mémoire vendéenne, où elle a pu s'entretenir, alors qu'aucun républicain n'aurait osé à l'époque tirer gloire d'un geste de pitié. Plus tard, quand le vent eut tourné, seuls les officiers plastronnèrent à ce sujet ; les simples troupiers n'écrivaient pas. Mais certainement des soldats des marches de l'Est ont sur se comporter comme celui qui sauva Marie Brand, mal dissimulée dans les buissons, en lui chuchotant : « Cache-toi mieux, malheu­ reuse, on voit tes cheveux », ou comme ceux, qui sous les yeux égrillards de leurs camarades, traînaient les jeunes filles derrière les haies, puis les laissaient s'échapper et revenaient plus tard dans leur formation, après avoir déchargé en l'air leur fusil ; ils laissaient croire ainsi, qu'à l'instar du général Grignon, ils avaient « pris le café de Cythère », (c'est-à-dire massacré les prisonnières dont on venait d'abuser). Regrettons tout de même qu'Erckmann-Chatrian n'ait pas cru bon de met­ tre au compte de ses héros lorrains quelques sauvetages de ce genre, afin de démentir Westermann, en montrant que la pitié pouvait aussi quelquefois être révolutionnaire.

94 IL - LES « VENDÉENS » DE L'EST

En face (il serait juste de dire autour), il y a ceux du Bocage, des Mauges et du Marais ; ceux des collines ou de la plaine : les Moutons noirs et les Paydets ; les gars du Loroux ; ceux de Clisson ou de Montaigu. En mars 1793, au son du tocsin de plus de 700 paroisses, ils se sont (pour utiliser une terminologie répu­ blicaine), « levés en masse » spontanément comme un « cyclone » un « raz de marée », une « éruption volcanique ». Ils ont mis un ruban blanc à leur grand chapeau rabalet, cousu le cœur crucifère au revers de leur veste de droguet et passé un chapelet autour du cou. Les uns ont décroché leur pétoire de bracon­ nier, les autres, ont redressé leur faux, d'autres encore, ont emmanché leur grand couteau de pressoir et, la cuillère de bois ou d'étain à leur boutonnière, sont partis se fournir de fusils de munition et de bons canons chez les républi­ cains. Afin d'avoir des chefs connaissant l'art de la guerre, ils sont allés chercher les « Messieurs » ; ceux-ci ont suivi souvent à contre-cœur et plus ou moins for­ cés ; mais à une révolte d'abord essentiellement religieuse, ils vont donner un caractère royaliste qu'elle n'avait pas obligatoirement au départ. L'Armée Catholique deviendra rapidement la « Grande Armée Catholique et Royale ». Sur les drapeaux blancs des compagnies ou plus exactement de chaque paroisse, était brodé le nom d'un orphelin de 8 ans, prisonnier du Temple, chef incons­ cient d'une puissance militaire » qui allait livrer 700 combats partiels et 23 batailles rangées, qui combattit, dispersa ou anéantit 400 000 hommes de trou­ pes réglées et près de 700 000 réquisitionnâmes ou gardes nationaux, qui s'empara de plus de 500 pièces de canons et de 300 000 fusils, qu'elle perdit à son tour ou qu'elle cacha » (44 et 33). Servie par des canonniers inscrits mariti­ mes et par des déserteurs républicains, commandée par Marigny ancien officier de marine, l'artillerie des révoltés peut être considérée entre juin et décembre 1793, comme la meilleure de l'Europe (39). Lorsque les nobles sont partis en émigration, les paysans se contentent de leur gardes-chasse et parmi ceux-ci, au tout premier plan des « Géants », le Lor­ rain Stofflet. Nous nous arrêterons d'abord sur ce destin hors série* : « Homme du peuple, venu d'Alsace en terre vendéenne » comme l'écrit un panégyriste du Souvenir Vendéen, Nicolas Stofflet est né en réalité en Lorraine, le 3 février 1753**, sous le règne débonnaire du roi Stanislas, à Bathelémont-lès-Bauzé- mont, tout petit village entre Luné ville et Vic-sur-Seille. Son père y était menui­ sier et assurait également les fonctions de maître d'école. L'essentiel de sa foi religieuse lui fut communiqué par sa mère Barbe Mézier, âme pieuse, forte et simple, comme on en rencontre de nombreuses dans la campagne lorraine et comme l'était certainement aussi, près de là, à Gondrexange, Catherine Gadel, mère de sœur Odile Baumgarten, la martyre d'Angers. Après avoir servi 17 ans dans Lorraine Infanterie, Stofflet fut racheté par le comte Colbert de Maulé- vrier, alors en garnison à Lunéville. Stofflet lui aurait sauvé la vie ainsi qu'à sa fille au cours d'une chasse au sanglier ; mais il est possible aussi que le comte de * Je remercie vivement M. Julien Stofflet pour toutes les précisions qu'il m'a fournies sur l'histoire de son illustre parent. ** Et non en 1751, comme l'accréditent à tort le Larousse et de nombreux auteurs. 95 LES « VENDÉENS » DE L'EST

Maulévrier ait fait la connaissance de Stofflet, grâce à la sœur de celui-ci, « belle et vertueuse personne » qui s'occupait des enfants Colbert (Edmond Stofflet). Alors que Stofflet était garde des bois dont jouissaient les officiers du corps de la gendarmerie de Lunéville, il avait connu et accompagné à la chasse le Mar­ quis de la Rochejaquelein, père du généralissime vendéen, dont il devait recueillir ultérieurement la succession. Signalons en passant que les Messins ont oublié que le comte Colbert de Maulévrier, pendant son ambassade dans l'Electorat de Cologne, s'était acquis leur reconnaissance en 1789, en assurant le ravitaillement de la ville. Le Comité municipal de Metz lui avait écrit le 11 novembre 1789 une longue lettre de remerciements dont nous extrayons ce court passage : ... « Vous avez été Mon­ sieur, le bienfaiteur signalé de cette ville, Metz vous voue une reconnaissance tant de ce que vous avez fait, que de ce que vous voudrez faire pour elle... » (147). Mais en 1787, c'est en Anjou que Stofflet est garde des bois et commis fac­ teur du comte de Maulévrier ; sa qualité d'étranger au pays et ses fonctions de garde-chasse ne l'ont pas empêché de prendre un grand empire sur les paysans, tous cependant, peu ou prou, braconniers. Le 13 mars 1794, les conscrits d'Yzernay qui ont refusé « d'aller tirer à la milice » et qui ont rossé les cavaliers républicains envoyés pour rétablir l'ordre, viennent chercher Stofflet dans la forêt de Maulévrier où il s'était réfugié à la suite des premiers excès révolution­ naires et où, attendant les événements, il occupait son temps à fabriquer des munitions. Avec eux se trouvait le bisaïeul de René Bazin, régisseur du comte de Colbert et futur lieutenant du garde-chasse (42). Les gars d'Yzernay, réuni avec ceux de Maulévrier vont devenir les futurs grenadiers de Stofflet. Ils prennent le château de Vezins, ce qui leur amène des renforts considérables en particulier, les hommes rameutés autour de Tonnelet, autre garde-chasse de Colbert de Maulévrier. Réunis aux insurgés de S.-Flo­ rent, conduits par Cathelineau, le futur généralissime, ils prennent le nom d'armée catholique (et non encore royale) et, par acclamation, élisent comme premier général de l'insurrection de l'Ouest, le Lorrain Stofflet. De La Gorce décrit ainsi la rencontre entre les gens de Cathelineau et ceux de Stofflet : « Comme après avoir longé le coteau des Gardes on cheminait entre Trémentines et Nuaillé, on fut rejoint par des gens d'aspect assez martial, pieux aussi, mais avec un peu plus de fusils et un peu moins de chapelets. Ils venaient de Maulévrier, d'Yzernay, de Vezins, de Latour-Landry, paroisses perdues dans les bois et aux mœurs un peu plus rudes que celles du reste des Mauges... Du milieu de ces hommes, le chef se détachait avec un relief singu­ lier, on l'appelait Stofflet... On le disait dur, brutal jusqu'à la violence ; en revanche, il était vigoureux, endurant la fatigue, d'une habileté prodigieuse à manier les armes et les chevaux, terrible, mais avec des accès de bonhomie et pour les braconniers qui le craignaient fort, il avait par intervalles des tolérances habiles qui surprenaient et qui charmaient. En lui se réunissait ce qui subjugue : la force, l'adresse, l'aplomb et tout ce monde inculte et rude qu'il entraînait à sa suite, lui trouvait un grand air de commandement ».

96 LES « VENDÉENS » DE L'EST

Et c'est maintenant une armée de 12 à 15 000 hommes, sous les ordres de Stofflet, qui, au son des cantiques, marche sur Cholet, défendue contre l'atta­ que de ces roturiers par le marquis de Beauvau. Après la défaite et la mort de celui-ci, la capitulation de Cholet entraîne le soulèvement général du bocage. Ainsi dès le début des hostilités un destin tragiquement malicieux avait opposé, en Vendée angevine, l'aristocrate bleu de la grande maison lorraine des Beau- vau-Craon au Lorrain plébéien et royaliste. Nous glisserons sur les détails de la carrière de Stofflet, qui selon lui, aurait assisté à cent cinquante combats (comtesse de La Bouëre). Il joua un rôle déci­ sif à Doué, à Châtillon, à Cholet, à Baupréau et à la prise de Laval. Mais il échoua à l'assaut impétueux de Grandville. Dans plusieurs grandes victoires vendéennes, il se heurte à ses compatriotes : A Montgaillard, il met en fuite Westermann ; à Entrammes, il enlève par une charge de cavalerie, les canons de Kléber, les retourne contre les Mayençais ; les royalistes balayent devant eux l'armée de Mayence avec Merlin de Thionville et les soldats du général Joba, (celui-ci, fils d'un aubergiste de Corny, ancien officier autrichien comme son chef, avait été l'organisateur de la Garde nationale de la Moselle). Cuisinier, né à Fontenay près de Bruyères, commandant le 8e bataillon des Vosges, reste sur le terrain et Kléber désespéré, voit « pour la première fois, fuir les soldats de Mayence ». A Antrain, considérée par Chateaubriand comme la plus grande bataille qui se soit livrée entre Français, Stofflet se heurte aux généraux Muller le Mosellan, et à l'Alsacien Amey, le brûleur des femmes des Epesses futur baron d'Empire et chevalier de S.-Louis. Mais c'est aussi un Lorrain, Humbert, qui bat Stofflet à Cholet et qui à la suite de ce fait d'armes est nommé général de brigade sur le champ de bataille. Déjà le 16 octobre 1793 près de là, au combat du château de la Tremblaye, le chef de bataillon Joseph Plumerel, avait trouvé la mort dans un engagement avec Stofflet, engagement préludant à la grande bataille de Cholet du 17 octo­ bre. Plumerel, vétéran de Valmy et de Jemmapes, chef de bataillon du 7e, était né le 2 janvier 1754 dans les Vosges à Morvilliers, devenue depuis, Liffol-le- Grand (164). Le dimanche 22 mars 1795, le grenadier Ritter et sa compagnie détachée du 8e bataillon du Bas-Rhin sont engagés contre Stofflet qui attaque S.-Florent-le- Vieil : « lorsqu'il fut 3 heures de l'après-midi, nous n'aperçûmes de loin, plus rien que des hommes, des pioches et des drapeaux blancs... Quand ils furent là, on commença à crier « Vive la République » depuis l'aile droite jusqu'à l'aile gauche et notre général fit en même temps battre la charge, et nous nous jetâ­ mes sur eux comme des sauvages, nous leur enlevâment leurs canons et nous poursuivîmes jusqu'à deux lieues de là, leur général qui se nomme Stofflet, per­ dit son manteau rouge écarlate, il fut trouvé par un de nos chasseurs qui le ven­ dit à notre général pour 500 livres » (132).

97 LES « VENDÉENS » DE L'EST

Stofflet, premier général Vendéen, deviendra Major général de la Grande Armée et sera le dernier général en chef de l'armée des Rebelles de la Vendée, ainsi que le proclame l'affiche de son jugement qui se trouve au Musée de Nancy. Pour ses compatriotes, Stofflet paraît un géant avec ses cinq pieds et cinq pouces, c'est-à-dire un peu plus de 1 m 75 ; son signalement militaire* qui est vraisemblablement le plus fidèle, s'écarte notablement de celui que donneront ultérieurement ses fidèles, en particulier, Landrin, qui parle de son physique sec de ses cheveux noirs et de ses « chambes » un peu bancales (151). Ses soldats qui le redoutaient, tout en le respectant, l'avaient baptisé : Soufflet, Sifflet ou le Sabreur, mais ils ne consentaient à avancer que si M. Stofflet était en avant, payant de sa personne. Son coup d'œil, ses connaissances militaires, la discipline sévère qu'il impo­ sait à ses gens, en firent un des meilleurs capitaines de l'armée vendéenne. Cré- tineau-Joly le définit ainsi : « A côté de tous ces noms, la gloire et le patrimoine de la Vendée, on distinguait déjà un homme grand et robuste, au teint brun, aux yeux et aux cheveux noirs, à l'air dur, à la parole ardente, sous un accent lor­ rain. Cet homme s'était élevé bien haut dans l'estime de ses compagnons d'armes, par une activité, par une intelligence, une appréciation des événements au-dessus de son éducation, c'était Nicolas Stofflet, garde-chasse du château de Maulévrier ; Stofflet qui de son humble bandoulière aux armes de Colbert, a su se faire une écharpe de commandement. Dès que les paysans l'eurent vu au feu, ils prirent confiance en cet homme endurci aux fatigues, si propre au comman­ dement et d'une franchise qui souvent allait jusqu'à la rudesse. Lorsqu'on mar­ chait au combat, ils demandaient : « Monsieur Stofflet est-il en avant ? » Quand la réponse était affirmative, plus sûrs même de leur courage, ils s'élan­ çaient sans crainte ». Stofflet allait à la bataille avec panache et au cri de « l'entends-tu Marie- Jeanne », il faisait joyeusement décharger sur les bleus, avec sans doute plus de bruit que de mal, la fameuse Marie-Jeanne, pièce de 12 en bronze aux armes de Richelieu, mascotte des vendéens, prise et reprise dans les batailles. Mais il ne supportait pas de se faire traiter de citoyen, et lors de la prise de Fontenay, l'enfant Grimonard, âgé de 7 ans, se fit rudement tirer les oreilles pour n'avoir pas su assez rapidement s'adapter à l'évolution politique (115). L'iconographie historique concernant Stofflet est rare, surtout en Lorraine, mais nous pouvons nous le figurer d'après la statue de la salle de la Révolution du musée de Nancy (146), fidèle copie de celle de la Chapelle du bois d'Izer- nay ; il y est représenté dans son uniforme de garde-chasse avec le grand bicorne qui est conservé au musée de S.-Florent-le-Vieil ; il a gardé en brassard sa plaque de garde-forestier aux armes de Colbert qu'il continuait à porter en hommage à ses anciens maîtres auprès desquels après la paix, il n'aspirait qu'à reprendre ses fonctions de garde-chasse à Maulévrier (147).

* Archives du Service Historique de l'Armée de terre - Vincennes (SNH. - Contrôles des Régiments de Lorraine. 1 YC, 517, 520).

98 LES « VENDÉENS » DE L'EST

La légende est intervenue, royaliste ou républicaine, l'une qui en général exalte le héros, y compris dans son aspect physique, l'autre, bien sûr, qui le vili­ pendie. Ainsi dans le Grand Larousse, il est écrit : « Stofflet était brave, énergi­ que, mais sans instruction, vaniteux, ambitieux à l'extrême, cruel, ce qui le fit détester de tous ». Mme de La Rochejaquelein qui ne l'aimait guère, en fait, elle aussi, le vété­ ran d'un régiment allemand ; elle lui reproche son ambition, sa dureté, mais reconnaît que, brave, actif et intelligent, les officiers l'estimaient beaucoup et que les soldats lui obéissaient mieux qu'à personne. Le témoignage de ceux qui l'ont connu s'écarte tout de même souvent du portrait qu'en a fait une certaine histoire officielle : « Son air militaire, précise Coulon son secrétaire, le faisait prendre par ceux qui ne le connaissaient pas, pour un homme de grand rang », il ajoute : « Ses talents étaient uniques pour cette guerre, il faisait agir avec douceur, avec amitié ses paysans et à l'occasion, était dur et sévère de manière à les encourager à la victoire et à les contenir dans la défaite ; son courage était extrême ; dans la victoire, il savait se posséder et dans l'adversité, conserver le sang-froid des braves ; il faisait espérer à ses sol­ dats que dans la revanche, on serait plus heureux ». Le général d'Audigné cite en appendice de ses Mémoires, le manuscrit iné­ dit de l'abbé Chevallier, curé de Ste-Lumine de Coûtais, ancien membre de l'Assemblée nationale de 1789 et ancien aumônier vendéen : « Stofflet est mort, hélas ! C'est un deuil national pour la Vendée, elle a perdu son bras droit..., c'était un homme d'un courage extraordinaire qui dans deux ans à peine, avait livré plus de cent cinquante combats. Quoique né de basse extraction, il avait des sentiments infiniment supérieurs..., mais ce qui fait de lui un grand homme, c'est qu'il ne s'en fit jamais accroire et que défiant absolument de lui-même, il n'agit jamais que par les lumières de son conseil. Si on a à lui reprocher quelqu'acte de violence, sa popularité lui avait gagné les cœurs et sa bienfai­ sance naturelle lui avait gardé l'affection. Il était né pauvre, il est mort pau­ vre... » Pour les Vendéens, c'est un « homme de l'Est », Alsacien ou Lorrain peu importe, mais considéré de ce seul fait comme un homme dur, souvent cruel, intransigeant sur la discipline « qui n'avait pas la délicatesse d'un Cathelineau ni d'un Bonchamp » ; mais il avait cependant l'art de plaire..., très affable à table et en société, parlant galanterie et chantant à couplets à son tour et à son rang, aimant les marches guerrières et cadencées, sobre dans les repas, jamais dérangé par le vin, ni bavard ni prodigue, le luxe ne régnait ni sur ses habits, ni sur sa table (151). Les auteurs de l'Ouest font souvent de Stofflet un Alsacien à l'accent « tudesque » (Crétineau-Joly, Brunisleau, Gabory, etc.). La confusion vient, ou s'est perpétuée, de ce que nombre d'ouvrages ont été écrits au temps où l'Alsace et la Lorraine annexées étaient unies par un trait d'union et d'éminents auteurs de l'Ouest ne se sont pas rendu compte de la gravité de leur erreur. Quant à son

99 LES « VENDÉENS » DE L'EST accent, il devait se rapprocher plus de celui de la Mélie-Tieutieu que de celui de Kléber ; mais les habitants du pays de la Loire, habitués aux intonations plus douces de Lire, confondaient sans doute son accent avec celui des déserteurs Alsaciens, Suisses et Germains, très nombreux dans les Armées Catholiques et Royales dont ils formaient les noyaux permanents. Lire fournit d'ailleurs de nombreux combattants à Stofflet et la patrie de Joachin du Bellay, symbole pour nous de la douceur de vivre, fut pendant la guerre de Vendée, un village martyr (153). A signaler que c'est un Alsacien bleu, le général de cavalerie Léonard Nico­ las Becker du Baget, né à Obernai, qui fut l'interlocuteur du Lorrain blanc dans la première tentative de négociation qui échoua : peut-être n'était-il pas bon d'envoyer un Alsacien négocier avec un Lorrain ; cela n'empêcha pas Becker de faire carrière ; devenu comte de Mons, Chevalier de S.-Louis et Pair de France sous Charles X et bien entendu sous Louis-Philippe, il a son nom inscrit sur l'Arc de Triomphe. Après 1870 époque où les Français ne portent pas l'Allemagne dans leur cœur, certains auteurs républicains tentent parfois de faire passer Stofflet pour un Allemand : Chassin particulièrement critique vis-à-vis de l'épopée ven­ déenne et de ses chefs, cite complaisamment Choudieu, représentant du Maine & Loire à la Convention : celui-ci définit Stofflet comme : « un aventurier venu d'Allemagne en France qui... ancien caporal suisse parlait mal le français et conduisait ses soldats à l'allemande, c'est-à-dire avec un bâton ». C'est oublier que dans l'armée catholique royale, si les distinctions honorifiques étaient attri­ buées par le comte d'Artois ou le Prétendant, tous les gradés étaient comme dans la garde nationale républicaine, choisis à l'élection par les soldats qui, sui­ vant volontairement leurs chefs, n'auraient pas toléré les exercices et les manœuvres à la prussienne. Car écrit Mme de La Rochejaquelein : « il n'y avait point eu de nominations de généraux : les hommes obéissaient à ceux en qui ils avaient confiance ». Mais néanmoins, Stofflet voulait donner à ces paysans trop indisciplinés, un minimum d'organisation militaire. L'armée d'Anjou fut ainsi organisée en six divisions et dans chaque division, fut placée une compagnie de cinquante cava­ liers qui furent appelés dragons pour les distinguer des chasseurs de Stofflet qui formaient deux compagnies (Comtesse de la Bouëre). Les fantassins, jaloux des cavaliers, les surnommaient ironiquement les « marchands de cerises ». Il organisa aussi en petite cavalerie un corps de tambours dirigé par le célè­ bre major La Ruine, dont les roulements de caisses décidèrent souvent des défaites républicaines et scandèrent les entrées triomphales dans les villes conquises. Dans son camp installé dans la forêt de Vézins, il créa un hôpital sous la direction du chirurgien Baguenier-Désormeau ; il y avait également son parc de réserve, une imprimerie, un atelier d'étoffes et d'habillement, une salpètrerie et une facture de poudre. Selon la tradition vendéenne, alors que Stofflet était en

100 LES « VENDÉENS » DE L'EST

expédition, son camp fut surpris, à la suite d'une trahison, le 25 mars 1794 par la colonne républicaine de Crouzat et Grignon qui se livra à un massacre en règle, laissant sur place, plus de 2 000 victimes désarmées. Sur les lieux s'élève actuel­ lement une chapelle que gardent les statues de Stofflet et de Cathelineau et ce « cimetière des martyrs » est signalé par des panneaux à plus d'une lieue à la ronde. Stofflet prévenu et renforcé par les soldats de Richard et de Marigny, attaqua avec 7 000 hommes fous de rage, les soldats de Crouzat et de Grignon, retranchés aux Ouleries à quelques kilomètres d'Ezernay. Après un violent combat il examina les massacreurs (52). A la bifurcation des chemins d'Yzernay et de Cerqueuex, se trouve actuellement un grand calvaire qui porte sur son socle massif, l'inscription suivante : « Croix élevée en 1894 à la mémoire des Vendéens tués dans les combats des Ouleries le 18 et le 27 mars 1794 ». Mais Stofflet ne s'en laissait pas imposer par les aristocrates et en particu­ lier par les émigrés envers qui il nourrissait une prévention et à qui il ne man­ quait pas de donner des leçons, lorsque l'occasion s'en présentait. A Entram- mes, s'adressant, un peu méprisant, à M. de S.-Hilaire, émigré breton : « Vou­ lez-vous, lui dit-il que je vous montre comment dans notre armée, on enlève une batterie ? » Il fait sabrer les artilleurs par 12 cavaliers et tourne les pièces de Kléber contre les bleus. Il fit du chevalier de Colbert, frère de son maître, son ambassadeur auprès du comte d'Artois et on ne manqua pas de souligner que c'était le garde-chasse qui envoyait désormais en ambassade, les nobles, ses anciens maîtres. Il sut donner le commandement à des plébéiens et il distingua Cadoudal qui fut capitaine dans sa cavalerie. Par contre, il fut trop sensible aux intrigues des hommes d'église, en particulier, à celles de Barbotin qui signe sa première proclamation et surtout de Bernier, le futur négociateur du Concor­ dat, qui n'ayant pu subjuguer Charette, se servit de Stofflet, avant peut-être de le livrer. Selon Landrin son compagnon, les principes de Stofflet furent, religion, courage et fidélité (151). Il fut en effet fidèle dans ses amitiés, mais trop tenace dans ses aversions et on ne manqua pas de lui reprocher son animosité constante pour Charette, qui nuisit à la cause commune. L'exécution de Marigny, dont il ne fut qu'en partie responsable, continue également à lui être amèrement repro­ chée par tous les auteurs royalistes. Mais quelle que soit l'opinion que l'on ait de Stofflet, tout le monde s'accorde sur son courage ; Hoche lui-même qui a bien su distinguer les nuances de psychologie des Vendéens et des Chouans, dans sa proclamation à ces der­ niers, rendait un hommage à Stofflet, en opposant les « héros des fossés », (les Chouans) au courage de Stofflet. Ce courage s'affirma jusqu'au Champ de Mars d'Angers le 25 février 1796. En face du peleton d'exécution, il refuse le bandeau et s'écrie : « Eloignez-vous, je vais vous apprendre une fois de plus qu'un géné­ ral Vendéen n'a pas peur des balles ». Donnant la main à son aide de camp le prussien de Lichtenheim, il commande le feu et tombe en criant : « Vive la reli­ gion. Vive le Roi ».

101 LES « VENDÉENS » DE L'EST

Mais auparavant, il avait demandé aux soldats s'il y avait un Lorrain dans le peloton. Il remit sa montre au militaire qui sortait des rangs, en lui disant : « Tiens prends ceci en mémoire de moi ». Loin de nous de contester à Stofflet le titre de Vendéen qu'il revendiqua au moment suprême, il faut cependant cons­ tater qu'une de ses dernières pensées a été aussi pour son pays natal, le clocher de Bathelémont et les forêts de Lunéville. Mais c'est en Vendée angevine, dans la cour du château de Maulévrier qu'est élevé un monument à celui, « qui tou­ jours fidèle à Dieu et au Roi, mourut en obéissant ». A Yzernay, une rue porte son nom et sa statue veille à l'entrée de la porte de la chapelle du « cimetière des martyrs » dans le bois de Vezins. Un calvaire a été érigé en 1977 à la Saugre- nière à l'endroit où il fut capturé ; lors de l'inauguration de cette croix, l'abbé Gélineau s'exprimait ainsi : « Ce Lorrain, après avoir servi fidèlement le pays pendant seize ans, en qualité de caporal, était venu en 1787 comme garde-chasse chez le comte Colbert de Maulévrier. Disons seulement que cet homme simple, étranger au pays, qui n'était pas sans défaut et avait le caractère rude, avait gagné dès l'abord, la confiance de son entourage. S'il devint tout de suite un grand chef et un général indiscuté, damant le pion à beaucoup de nobles, plus cultivés et plus experts que lui dans l'art de la guerre, c'est parce que les paysans des Mauges se reconnurent en cet homme de caractère, indépendant, qui n'admettait pas de plier sous la force injuste et qui demeurait, envers et contre tout, fidèle dans sa Foi et loyal dans l'adversité ».*

Dans son pays natal, Bathelémont, ravagé en 1914-1918 et en 1940-1945, un monument garde le souvenir des trois premiers américains tués au combat en 1917 (122). Dans le même village, au-dessus de la porte de la petite mairie, est fixée une plaque du Souvenir Français à la mémoire du caporal Vautrin, tué à Marengo. On se prend à penser ce que serait devenu un autre caporal de Lor­ raine-Infanterie, s'il n'avait pas fait la connaissance du comte de Maulévrier et s'il n'avait pas quitté Lunéville pour la Vendée. Chassin qui, nous l'avons vu, n'est pas tendre pour les Vendéens, cite Mercier-du-Rocher ; « On ne sait ce qu'il serait devenu (Stofflet), si le parti de Louis XVII avait triomphé ; mais s'il eût combattu pour la liberté, dans le grade de général, il méritait la couronne républicaine ». En effet, à condition d'échapper au sort de son jeune compa­ triote, il avait toutes les qualités pour gravir comme tant d'autres, les échelons de l'armée républicaine et faire sous l'Empire, la plus brillante des carrières militaires. Car « s'il était resté dans l'armée royale, il est probable qu'en soldat discipliné il eût combattu dans l'armée républicaine » (Mougne). Cependant à Bathelémont, il n'y a aucun souvenir, ni tradition concernant Stofflet, pas plus qu'au Musée de Lunéville ; mais dans la rangée de gauche en montant dans le cimetière de Valhey, à quelques kilomètres de Bathelémont, sur la croix de marbre d'une tombe bien entretenue est inscrit : « Famille Stof- flet-Morisson ». La statue de Stofflet, réplique de celle du « Cimetière des Mar­ tyrs d'Yzernay, don de Edmond Stofflet se trouve dans la salle de la Révolution

* La cérémonie de la Saugrenière dans la Revue du Souvenir Vendéen, 1977, n° 121, p. 6, 14.

102 LES « VENDÉENS » DE L'EST

au musée Historique de Nancy, avec l'affiche du jugement d'Angers et un bon de 5 livres « de par le Roi », signé de Stofflet. Dans les Hommes célèbres de Lorraine de notre confrère Tribout de Morembert (150), Stofflet n'est pas cité. La Lorraine a eu un autre destin que la Vendée, et bien sûr Stofflet est, à juste titre, un personnage controversé, même par certains auteurs royalistes comme la marquise de La Rochejaquelein. Sa vie publique s'est d'ailleurs déroulée loin de son pays natal, ce qui ne favorise pas sa popularité en Lorraine. Mais, quel que soit le jugement que l'on porte sur lui, son rôle dans notre histoire ne peut être nié. Et pour ménager toutes les opi­ nions, ce Lorrain, mort tragiquement à 43 ans, qui est un des « Vendéens » les plus connus, ne devrait pas être plus ignoré chez nous que Cavalier ou Rolland au pays cévenol, ou à la rigueur même, que Mandrin dans le Dauphiné.

Un autre Lorrain a joué un rôle important, sinon de premier plan, du côté des « brigands ». Il s'agit d'André Baumler, né le 10 octobre 1740 à Reméring- lès-Puttelange, près de Sarreguemines, fils de Joseph (ou Jean) Baumler et de Anne-Marie Buchholz de Nousseviller. (*).

Il s'agit d'André Baumler, né le 10 octobre 1740 à Reméring-lès-Putte- lange, près de Sarreguemines, fils de Joseph (ou Jean) Baumler et de Anne- Marie Buchholz de Nousseviller. (*).

Baumler fut aussi militaire pendant vingt quatre ans au régiment Colonel Général de Cavalerie et il fut amené dans le bas Poitou par le capitaine de dra­ gons de Montaudouin, dont il devint le régisseur à la Bonnetière de S.-Urbain, près de S.-Gervais. Son mariage avec Marie-Paule Mornet de Challans le fixa définitivement dans le pays (7, 137, 138). Sous les ordres du chirurgien Jean-Baptiste Joly qui s'intitulait « démocrate royaliste », il souleva le marais de S.-Gervais et fut selon Chassin, le plus actif des préparateurs et des promoteurs de l'insurrection de la basse Vendée. Il fit partie du comité royaliste de Challans en 1793 et avant l'attaque des Sables- d'Olonne, il adressa le 14 mars 1793 aux administrateurs de Challans, réfugiés dans cette ville, la lettre suivante : « Mes très chers frères, nous vous écrivons les larmes aux yeux, les armes à la main, nous ne demandons pas la guerre, mais nous ne la craignons pas... Nous sommes ici au moins 18 000 hommes assemblés de toutes les paroisses cir- convoisines, à chaque minute, il en arrive d'autres. Tous ont décidé de mourir pour la victoire. Vous n'ignorez pas tout le désastre qui afflige la ville de Mache- coul et beaucoup d'autres ; nous avons l'avantage de ne pas affliger cette ville à ce point. Nous avons l'intention de faire une bonne et solide paix avec vous, si vous voulez nous accorder seulement quelques conditions qui nous paraissent

* Renseignements que je dois à l'obligeance de M. Hemmert, archiviste municipal de Sarreguemines.

103 LES « VENDÉENS » DE L'EST on ne peut plus justes, intéressantes. Nous vous demandons : 1) La continuation de notre religion catholique, apostolique et romaine et des prêtres non conformistes ; 2) Qu'il ne soit point procédé au tirement ; 3) Suppression de toute patente ; 4) Suppression de l'arrêté du département qui ordonne aux pères des enfants émigrés et à leurs parents suspectés de se rendre au chef-lieu. Signé La Garde Royale, composée à Challans. Ainsi furent définis par un Lorrain ce que l'on a pu appeler les buts de guerre des Vendéens. Lorsque Charette fut élu général en chef des armées royalistes du Bas-Poi­ tou et du pays de Retz, le 9 décembre 1793, Baumler combattit sous ses ordres. Mais d'un caractère humain, il fut irrité par les cruautés des combattants des deux bords, en particulier, celles de Pageot, lieutenant de Charette. En face d'un adversaire, en apparence modéré, le général Broussard, il fit au milieu de 1794 sa soumission, entraînant 3 500 insurgés et la pacification du Marais. Mal­ gré les cartes de sûreté délivrées à ceux qui se soumirent, les représentants Bô et Ingrande firent arrêter par des patrouilles et mettre à mort comme des rebelles, pris les armes à la main, « les cultivateurs » qui, écrit Mercier du Rocher, « étaient venus déposer leurs armes entre les mains des autorités constituées, prêter le serment de maintenir la République et qui étaient retournés avec des cartes qui énonçaient leur soumission à la loi » (33). Baumler qui s'était retiré tranquillement à Challans fut arrêter malgré le général Broussard. Considéré comme « un des principaux auteurs de la mort de plus de 100 000 républicains », le « pacifié et pacificateur Baumler » (Chassin), fut guillotiné place du Bouffay à Nantes, le 17 thermidor an II (4 août 1794) 8 jours après la chute de Robespierre. A la suite de ces exécutions, la guerre civile se ralluma plus furieuse que jamais dans le Marais. Joseph Rousse constate que Baumler a eu un rôle moins brillant mais plus humain que son compatriote Stofflet : il s'étonne du silence des historiens tels que Crétineau-Joly, alors que cent ans après les faits, le souvenir du vaillant Lorrain n'était pas éteint dans le Marais vendéen ; à la décharge des historiens, il faut signaler que Chassin, bien que républicain, a rendu un hommage à Baum­ ler et que Gabory, lui aussi, fait état de son action dans le Marais. Car avant Hoche, la Vendée avait suscité un pacificateur et celui-ci était un Mosellan.

La Vendée militaire utilisa un autre général qui porte un nom illustre au pays messin, nom qui s'imposa également dans notre Académie. En effet, le marquis Louis Thomas de Pange, passa peut-être en 1791, par le beau château

* Archives du Service Historique de l'Armée de Terre (SHAT, Célébrités 1 G 15. Officiers généraux des armées royales à l'Intérieur).

104 LES « VENDÉENS » DE L'EST que nous connaissons, avant de gagner l'armée de Condé ; ultérieurement, commandant la cavalerie royaliste de l'armée de , puis chef de division de Chouans, il fut tué soit au combat le 29 juin 1796 dans une « pièce de genêts », près d'Ancenis,* soit plus vraisemblablement, blessé et hors d'état d'être transporté, il fut surpris et massacré dans son lit par les patriotes. (2, 33,148). Notre confrère et dévoué secrétaire adjoint, M. l'archiprêtre Sutter, avec tout le talent que nous lui connaissons, évoquera bientôt devant vous, beaucoup mieux que je ne saurais le faire, la vie de ce personnage.

Ainsi ont été rappelés brièvement quelques figures de Lorrains, chefs dans l'Armée Catholique et Royale de Vendée. Mais celle-ci avait recruté également de nombreux soldats issus de l'Est. En effet, les transfuges étaient nombreux de part et d'autre et un bon moyen de passer à la rébellion, était de s'engager dans les troupes de la République, de faire, sans passe-port, aux frais de la Nation, les étapes vers les pays insurgés et de changer de camp à la première occasion. Il faut noter que les désertions se faisaient souvent en masse ; ainsi en fut-il du 77e régiment d'infanterie, ci-devant Lamarck, recruté en Alsace ; de nombreux sol­ dats restés fidèles à la monarchie passèrent à Charette qui leur parla du roi, mais leur promit aussi de franches lippées ; parmi ceux-ci Pfeiffer, fidèle garde du corps, homme de main et bourreau de Charette, appelé par les Vendéens, le « féroce allemand ». S'il agissait trop souvent férocement, il mourut en héros le 3 mars 1796 à la Guyormière : Les « bleus » qui talonnent Charette et qui vont finir par le prendre, tirent sans arrêt sur celui-ci, qu'ils reconnaissent à son pana­ che blanc. Pfeiffer s'en aperçoit, il arrache le chapeau de son maître, le coiffe et part en courant, attirant ainsi la poursuite de la fusillade des « bleus ». Atteint de trois balles il s'effondre en criant avant de mourir : « C'est moi Charette », accordant ainsi quelque répit à son chef (140). Cet épisode eut une répercussion quelques jours plus tard, car après la cap­ ture de Charette, il contribua à entretenir le bruit que l'on avait capturé un faux Charette ; ce fut une des raisons qui, afin de détromper l'opinion publique, décidèrent de la parade funèbre et tragique de Charette à travers les rues de Nantes qui avait vu son triomphe l'année précédente. Jean-Baptiste Klinger de Landau ne suivit pas le sort de son compatriote Pfeiffer ; cet ex-capitaine aux grenadiers de Lamarck, devenu adjudant géné­ ral, resta fidèle à la nation et combattit dans les armées de l'Ouest, d'abord les Vendéens, puis ultérieurement, les Chouans du Morbihan. Sous le commandement de Westermann était la légion dite germanique, formée en grande partie de déserteurs allemands, passés au service de la Répu- publique (38, 71). Elle avait été créée en septembre 1792 à l'initiative de Jean-

105 LES « VENDÉENS » DE L'EST

Baptiste du Val-de-Grâce, baron de Cloots, surnommé Anarchisis Cloots, qui s'intitulait modestement, « l'orateur du genre humain. » Son but était de « for­ mer un refuge hçnorable aux déserteurs du despotisme germanique et d'augmenter le nombre de défenseurs de la liberté ». Mais parmi ses effectifs, il y avait de nombreux Suisses, des Polonais, des Belges, des Italiens, des Hollan­ dais et également beaucoup de Lorrains et d'Alsaciens, en particulier parmi les officiers, affectés à cette formation parce qu'ils étaient bilingues. C'est cette qualité qui valut à Augereau de s'y trouver, car il avait une mère munichoise qui ne lui parlait qu'allemand, et il avait servi en Prusse et en Autriche. Dans cette légion servit également Marceau-Desgravier, qui lui, s'y était engagé pour être certain d'avoir un service actif ; elle compta également dans les siens Vidoc. Parmi les officiers Alsaciens et Lorrains, on relève Keck de Neuf Brisach, Haidel de Strasbourg, Hille François et son fils Joseph de Colmar Hamberger d'Amerschwihr, Baul d'Altkirch, Imfeld de Thann. Ismert est de Téting, Paul est de Sarrelouis, et Nordon est Messin ; celui-ci, israélite, fut sans doute un des premiers officiers juifs de l'armée française. Parmi les sous-officiers, figuraient le nancéien « sexagénaire » Alexis Klein et, parmi les hommes de troupe, des soldats de Marlenheim, de Saverne, de Strasbourg, de Molsheim, etc. Quant à Schoenebourg, né à Landau, il avait ger­ manisé son nom pour entrer dans la Légion. Il s'appelait en réalité Beaufort et fit, sous ce nom, carrière comme homme de lettres. Cette légion avait été dirigée sur la Vendée pour plusieurs raisons : on crai­ gnait déjà des désertions sur le front de l'Est ; par ailleurs, les prisonniers éven­ tuels auraient risqué d'être pendus comme traîtres. Enfin, l'accusant de mau­ vaise conduite, la Convention l'adressa en Vendée, sans doute également pour se débarrasser d'elle. En effet, selon Hentz, elle s'y dirigea au cri de : « Vive le roi », ce qui valut à Marceau et à Augereau une arrestation transitoire. Sur les 2 500 hommes qui composaient la légion, 1 600 passèrent aux Catholiques Royaux, les uns après avoir touché leur prime d'engagement, les autres, après Saumur, où il y eut des désertions en masse. Le signal semble avoir été donné par les Suisses allemands, anciens défen­ seurs des Tuileries, qui périrent presque tous ultérieurement au siège de Grandville. Les déserteurs alsaciens de Lamarck jouèrent aussi un rôle de pro­ pagande en attirant dans les rangs royalistes leurs compatriotes de la légion ger­ manique. Une grande partie des dragons et des fantassins passèrent à l'ennemi, par contre, les cuirassiers eux, restèrent fidèles à la République et eurent à plu­ sieurs reprises une conduite héroïque. Le Capitaine Anselme Nordon, après la capitulation du château de Sau­ mur, obtenue avec les honneurs de la guerre, refusa le serment de ne plus porter les armes contre sa Majesté très chrétienne Louis XVII. Dans les bataillons de volontaires, la désertion fera également des ravages puisqu'en janvier 1796, Cari Ritter du 8e bataillon du Bas-Rhin, écrit à ses

106 LES « VENDÉENS » DE L'EST

parents à Strasbourg : « Je crois que la Convention est farcie de royalistes qui font cela exprès pour provoquer une révolution et pour pousser les volontaires à passer au parti adverse ; de jour en jour et d'heure en heure, il y a des volontai­ res qui passent aux rebelles ». Ce que confirment d'ailleurs les états du 8e batail­ lon aux archives de la Guerre*. Ainsi se recrutaient en dehors de la Vendée mili­ taire et en particulier, aux dépens des formations de l'Est, les milices catholi­ ques et royales. Ces déserteurs formèrent une troupe entraînée et disciplinée, qui à certains moments, dans les combats, poussait les paysans la baïonnette dans les reins. Il fut un temps où l'armée active vendéenne comptait plus d'étrangers au pays que de paysans. En effet, les déserteurs soldés ne pouvaient pas rentrer chez eux pour « changer de chemise », selon l'habitude et l'expres­ sion des paysans vendéens ; ils formaient alors l'élément fixe de l'Armée Catho­ lique et Royale : on en trouvera une grande partie dans les chasseurs de Stofflet. La garde du drapeau de la Grande Armée est « allemande », les bons artilleurs et ingénieurs sont « allemands ». La légende fait dire que Stofflet, né en Alsace, parle leur langue, mais il est vrai que seuls quelques déserteurs germaniques restèrent à ses côtés jusqu'au bout, en particulier, le baron de Lichtenheim ; nous avons vu aussi que c'est un déserteur Alsacien Pfeiffer qui accompagna jusqu'au dernier moment Charette et donna sa vie pour lui. Il est étrange de constater que ces déserteurs, souvent protestants et quel­ ques uns israélites se battent pour la cause catholique ; ainsi le brave et jeune baron suisse de Keller se bat à Vihiers, à Entrammes et meurt à Potorson, vrai­ semblablement fusillé par les siens qui l'ont pris pour espion. Laplanche voyant défiler la « Grande Armée », en route vers Granville écrit : « On a remarqué parmi eux des Russes, des Allemands et beaucoup de Juifs » et plus loin, il ajoute : « On voit beaucoup d'étrangers, Russes, Polonais et Juifs ». Nous avons vu que ce sont les transfuges de la Légion Germanique qui composent une partie du centre de l'armée royale de 10 000 hommes, qui, le 18 juillet 1793 infligea une sévère défaite à l'armée républicaine dans le « grand choc de Vihiers ». Elle se bat alors contre les Alaciens et les Lorrains du 8e bataillon du Bas-Rhin où se trouvent Hugo et Cari Ritter. Soixante déserteurs de cette légion, repris par les bleus, furent passés par les armes, le 2 décembre à la Roche d'Erigné près d'Angers. La légion créée par Anarcharsis Cloots a donc rendu paradoxalement d'énormes services à la cause catholique, mais elle a un mauvais côté de « rapine » sur lequel insistent tous les auteurs. Elle donne des habitudes de pil­ lages aux Vendéens. De part et d'autre ses soldats formaient les pelotons de fusilleurs. Chez les Vendéens, ce sont eux qui exécuteront Marigny et Delaunay et à Nantes, du côté des républicains, ce sont les échappés de cette légion, avec des hussards de Rosenthal, qui forment aux carrières de Gigant les pelo­ tons des fusilleurs de Carrier. Naturellement, des deux côtés, il y avait des espions, issus de cette légion.*

* Archives du Service Historique de l'Armée de Terre, 16 YC 1, 439.

** A Château-Gonthier, Le Rochejaquelein fait fusiller, pour l'exemple, un pillard alsacien (44). 107 LES « VENDÉENS » DE L'EST

Après les désertions en masse, la Légion Germanique fut rebaptisée Légion de la Fraternité, mais le nom ne s'imposa pas. Finalement, elle fut dissoute parce qu'accusée, à juste titre, de recruter pour les brigands. Parmi les légion­ naires restés fidèles à la République, le Mosellan, lieutenant de cuirassiers Ismert, devint général, puis baron, et bien entendu, chevalier de S.-Louis ; François Hille, le père, fut fusillé par les Vendéens à Brissac le 13 septembre 1793. Quant à notre compatriote, le capitaine Anselme Nordon, il fit ultérieure­ ment la campagne de Moreau et il eut deux fils tués à ses côtés. Au combat de Landshut sous Leclerc, il eut la cuisse gauche emportée. Il n'eut cependant pas la Croix et sous la Restauration pour se dédouaner il prétendit avoir été de la Garde Suisse le 10 août, alors qu'il était en réalité de la garde nationale. Les déserteurs ont joué en Vendée un rôle de premier plan et auraient peut-être pu renverser le cours des événements. En effet, Crétineau-Joly, avec plusieurs auteurs, signale les ouvertures faites aux Mayençais par les royalistes et en particulier par Lescure (44, 90). Contre une somme de 7 sous par jour et 400 000 livres mises à leur disposition, les Mayençais s'engageaient à passer à la cause royale. Le monnayage des vases sacrés aurait permis cette transaction ; mais les chefs royalistes ayant par un scrupule religieux, trop longtemps tergi­ versé, les pourparlers furent rompus par le déplacement des troupes et les Mayençais devenus les ennemis irréductibles des Vendéens, firent expier à ceux-ci, l'échec de ces tractations, avant de périr eux aussi, pour la plupart dans les combats. Sans doute « n'y a-t-il pas de fumée sans feu », car au soir de Châ- teau-Gonthier et d'Entrammes où les Mayençais furent écrasés par suite de l'incapacité des chefs, Rossignol laissa entendre que cette défaite était due à l'argent de Pitt, qui aurait influencé l'Armée de Mayence.

Nous n'avons pas pu évoquer tous les Lorrains et tous les Alsaciens qui se sont distingués d'une façon ou d'une autre dans les différentes armées aux pri­ ses. Nous avons également négligé, quitte à le reprendre ultérieurement, tout un aspect de notre propos, car notre exposé, bien qu'incomplet, s'est volontaire­ ment limité à la Vendée militaire ; d'autres chapitres auraient pu étudier l'action de nos compatriotes dans les départements chouans du nord de la Loire : dans la Mayenne, où Oehlert le Strasbourgeois, dit le Grand Pierrot, fut l'organisateur de la contre-chouannerie popularisée par le roman de Balzac (8, 33, 57, 92) la Normandie où le Chevalier Louis de Bruslart de Thionville fut l'adjoint de Frotté avant devenir, après l'exécution de celui-ci, commandant en chef de la chouannerie normande (33, 35) ; le Morbihan où Cadoudal eut parmi les Lorrains de fidèles lieutenants : Jacques Koble de Framont dit la Ronce (98), Joseph-Henri Brech de Nancy dit la Bonté (34, 44), son artilleur, Jean- Baptiste Picoré de Flin dans la Meurthe (93), les frères Roger de Vicherey, dont Michel dit Loiseau, le suivra à la guillotine (152), accompagnant également Cos- ter de Saint-Victor d'Epinal (131, 139). Cette guerre fratricide peut nous paraître lointaine dans le temps et dans l'espace, « d'aucuns peut-être diront vieille, quand elle est toujours jeune

108 LES « VENDÉENS » DE L'EST

comme la souffrance » (Marquis Costa) (90), en tout cas plus récente que la guerre des Albigeois ou celle des Camisards qui conservent également leurs hauts-lieux. Dans l'Ouest, le souvenir de la tragédie est ravivé constamment par des expositions permanentes ou temporaires des spectacles comme celui du Puy- du-Fou, des manifestations du Souvenir Vendéen et des monuments que celui-ci entretient pieusement aux croisées des chemins, sur les ossuaires, sur les places, parfois d'ailleurs curieusement jumelés avec ceux de la deuxième « Grande Guerre » des Vendéens, celle de 1914-1918. Ainsi dans l'Ouest, la blessure n'est pas entièrement refermée, ce qui per­ met à Jean Huguet, dans son livre Un cœur d'étoffe rouge paru en 1985, de se demander si la France guérira un jour de la Vendée (78).

109 III. - LORRAINE ET VENDÉE

Serait-il hors de propos de rechercher ici, dans l'Est, les liens qui nous rat­ tachent à la Vendée et à l'Ouest et d'évoquer quelques circonstances où notre histoire croise, chez nous, sur notre sol, celle des Français de l'Ouest ? Est-il nécessaire de rappeler que le Chardon et la Croix de Lorraine nous ont été légués par les Angevins ? A Nancy, le chevalier André Desilles, devant la porte à laquelle il a donné son nom, mêla son sang à celui des gardes nationaux de Metz et de la Moselle. Marc des Isles, père du jeune héros promu à l'immortalité par l'Assemblée Nationale, habitait la Fosse-Hingant sur la route de S.-Malo à Cancale ; ce châ­ teau ignoré depuis la mort de Désilles, par les visites domiciliaires des Carma­ gnoles, était un des repaires de la Rouerie ; Marc des Isles fut le trésorier de la conjuration qui devait être le ferment de la chouannerie bretonne. Angélique de La Fonchais, sa fille et sœur du chevalier, fut décapitée le 18 juin 1793 : étrangè­ re à la « conspiration bretonne », elle se laissa exécuter à la place de sa belle- sœur qu'elle nlavait pas voulu dénoncer (19, 27). L'abbé Grégoire est né à Vého, village de la zone rouge, qui se trouve à quelques lieues de Bathelémont et qui a subi en 1914-1918 le même sort. Notre confrère, « le Comte Grégoire, commandant de la Légion d'Honneur, ancien évêque de Blois » (ainsi qu'aimait à le rappeler malicieusement, André Bellard 14) y est né trois ans avant Stofflet. La constitution civile du clergé, qui fut en grande partie son œuvre, a été le motif profond de la révolte vendéenne. Dans la Revue Lorraine Populaire, Lothaire s'étonne que deux hommes aux destins et aux combats si différents, soient nés à la même époque, au même endroit (107). Grégoire avait flétri les « prêtres scélérats qui avaient prêché le carnage en Ven­ dée » ; et cependant ce fut l'un d'eux, l'abbé Bernier, ancien aumônier et conseiller de Stofflet, qui contribua à détruire l'église constitutionnelle en négo­ ciant, avec Bonaparte, un Concordat qui, paradoxalement fait avant tout pour apaiser la révolte de l'Ouest, n'est plus appliqué actuellement qu'en Alsace et en Moselle ; les Alsaciens et les Lorrains qui entonnent à la fin de la grand messe du dimanche le « Domine Salvam fac Rempublicam » ne savent plus que c'est une révolte royaliste qui leur permet de prier pour la République. Au 19e siècle, l'Ouest insurrectionnel et les provinces annexées, eurent plus que d'autres, le privilège d'inspirer les imagiers, les romanciers, les composi­ teurs de complaintes, ainsi que les artistes, sans parler des historiens et les intel­ lectuels. Peut-on soutenir qu'après 1870, pour ne citer que les plus grands, Dau­ det, Barrés, Bazin, Verlaine, ont exalté nos pays annexés comme Hugo, Balzac, Barbey d'Aurevilly, Dumas l'avaient auparavant fait pour la Vendée et la chouannerie. Des auteurs comme Erckmann-Chatrian, assurèrent la liaison entre les deux « mythes français » du 19e siècle qui furent finalement l'un et l'autre, d'immenses tragédies nationales, amenant à l'Est et à l'Ouest des com­ patriotes à s'entretuer. (165)

111 LORRAINE ET VENDÉE

Quant à la Croix de Lorraine et au Cœur Vendéen, il n'y a qu'à regarder nos murs pour s'apercevoir que ces symboles n'ont ni l'un ni l'autre perdu leur puissance d'évocation. Lorsque Crouzat et sa colonne infernale incendièrent la bourgade, les hameaux, les châteaux environnants Joué, ils épargnèrent la demeure de la citoyenne Beaurepaire, en souvenir du sacrifice de son mari, mort pour la défense de Verdun (52). C'est en effet, le commandant des volontaires angevins qui s'opposa sur notre sol aux « blancs » lorrains. Au flanc de la colline de Douaumont, sous un monument massif où le monde entier vient en pèlerinage, ensevelis dans une tranchée, debout, le fusil au poing, la baïonnette au canon, les Vendéens du 137e régiment d'Infanterie de Fontenay, soldats de la 3e Répu­ blique, gardent depuis 70 ans la terre lorraine.

A deux pas d'ici, devant la statue de Ney, le 8 décembre 1918, le « tigre » vendéen ému jusqu'aux larmes par l'accueil des messins délivrés, se jeta dans les bras que lui tendait son tenace adversaire, Poincaré, le Lorrain de Bar-le-Duc. Dans la collégiale S.-Pierre de cette ville, le « transi » de Ligier Richier, offre à Dieu son cœur fidèle : probablement inspiré par lui, à Cholet, le « Vendéen » de Réal del Sarte, dorénavant mutilé comme son sculpteur, continue à tendre son cœur vers le ciel dans le même geste d'offrande.

Parmi les interrogations qui peuvent se poser à propos des événements de la Vendée, retenons celle-ci, qui intéresse la Lorraine ; Chiappe, dans son livre La Vendée en Arme se demande « pourquoi la région nancéïenne, catholique et royaliste, sentimentalement attachée à Marie-Antoinette, ne bouge pas, alors que le pays de Rodez, individualiste et teinté de catharisme écoute la voix de M. Charrier, assez forte pour faire chouanner les campagnes albigeoises ». La réponse paraît à priori simple. La déclaration de guerre au « roi de Bohème et de Hongrie », date du 21 avril 1792, près d'un an avant l'insurrection ven­ déenne : les hostilités qui avaient déclenché les réflexes patriotiques propres aux frontaliers commencèrent avant le 10 août, les massacres de septembre et l'exécution de Louis XVI, événements qui ébranlèrent plusieurs mois après les paysans de l'Ouest, qui, eux, n'étaient pas confrontés avec l'invasion. Chez nous, l'Armée des Princes acompagnait des « Libérateurs » qui se comportaient en envahisseurs, et de ce fait, ne bénéficiait pas d'un préjugé favo­ rable. Une partie de la Lorraine avait, déjà à cette époque, changé trois fois de régime en cinquante ans : c'est pourquoi certains de ses habitants ont subi avec philosophie et passivité le début des événements et ont observé les nouveaux changements dans une prudente expectative.

112 LORRAINE ET VENDÉE

Il faut tenir compte aussi de la géographie. Autant il est possible de chouan- ner dans le bocage ou le pays ruthène à l'habitat dispersé, autant ceci est impen­ sable dans la campagne lorraine, pays de vaine pâture, aux horizons dégagés et à l'habitat concentré. Enfin, la répression en Lorraine n'a pas été aussi odieuse que dans l'Ouest, et n'a pas laissé la même impression dans la mémoire collective. La sœur de Stofflet, revenue au pays de Lunéville, mère de famille et veuve, fut emprison­ née et ses biens confisqués. Mais les autres membres de la famille, habitant des campagnes paisibles, ne furent guère inquiétés (147). Que fut-il advenu d'eux s'ils avaient habité le pays de Jacques Cathelineau, de Jean Cottereau ou de Georges Cadoudal ? Mais cette analyse est peut-être trop simpliste. En effet, les petites Vosges, régions boisées, difficilement penetrables ont donné plus de mal aux administrateurs et le culte réfractaire n'a pu en être com­ plètement extirpé. L'unanimité était loin d'être la règle, en particulier, si l'on en juge par ce qui s'est passé à Longwy et à Verdun, où à l'inverse de la Vendée, c'est, nous l'avons vu, le chef d'un Bataillon de volontaires recrutés en Maine & Loire qui s'opposa aux royalistes lorrains. L'état d'esprit évolua avec les événements et en 1791, les campagnes menées par le Clergé réfractaire, entraînèrent une véritable guerre sainte dans les districts de Sarrebourg, Dieuze et Château-Salins. Les habitants des commu­ nes de Gondrexange, patrie de Sœur Odile, ravagèrent les forêts de l'état. Bathelémont-les-Bauzémont ne fournit aucun volontaire à la première conscrip­ tion et dans le district de Sarrebourg la levée de 1791 fut particulièrement labo­ rieuse (123). Le 7 juin 1795, les femmes du peuple déclanchèrent une émeute à Metz aux cris de : « Pas de pain, pas de cocarde, pas de République ».

Le 6 pluviôse an IV, Varion, agent municipal de Bousse en Moselle, se plaint que le « département de la Moselle va bientôt devenir la proie du fana­ tisme et qu'Ay, commune célèbre par son patriotisme au commencement de la Révolution, ne présente plus aujourd'hui, qu'un repaire de Chouans et de Mal­ veillants » (73). En 1796 des processions immenses, bannières en tête, encadrées d'hommes armés parcoururent les districts de Bitche, Boulay, Sarreguemines (36). Enfin, n'oublions pas que la proximité de la frontière permettait aux oppo­ sants et aux réfractaires d'émigrer dans des pays ayant souvent avec eux une communauté de langue. Ceux qui voulaient en découdre avec les patriotes pou­ vaient ainsi s'engager facilement dans l'armée des Princes et Gain insiste sur l'importance d'une émigration que l'Europe n'avait pas vue depuis la révocation

113 LORRAINE ET VENDÉE

de l'Edit de Nantes (73). François Roth estime que la Moselle se place, pour l'émigration au premier rang des départements français (136). Selon le duc de Castries, elle serait le quatrième des départements pour l'importance de son émigration, après toutefois, le Var, les Bouches-du-Rhône, et surtout le Bas- Rhin d'où en décembre 1793, 22 000 habitants ont fui en panique, réalisant à eux seuls, le sixième des émigrés (30, 31, 51). Nous avons vu que le nom d'un certain nombre d'entre eux se retrouve sur le monument de la Chartreuse d'Auray, élevé en mémoire des morts et des fusillés de la campagne de Quibe- ron. Erckmann-Chatrian ne néglige pas ce fait historique ; non seulement, le propre frère de Michel Bastien, le mauvais sujet Nicolas, déserte et passe la frontière avec tout son régiment, mais Valentin, l'honnête compagnon de Maî­ tre Jean, part aussi pour Coblence rejoindre les émigrés (59).

Notre propos n'était ni de refaire l'histoire, ni de prendre parti, mais de rappeler que des Alsaciens et des Lorrains, dans l'un et l'autre camp, et parfois successivement dans l'un et dans l'autre, se sont affrontés dans cette guerre atroce, qui fut avant tout une guerre de religion. Dans chaque parti les uns se sont comportés honorablement : d'autres ont été inutilement cruels et souvent odieux. Mais ils n'ont pas différé de l'attitude de gens de l'Ouest eux-mêmes, où l'action des propres fils de la Vendée, « brigands » ou « patauds », chefs ou exé­ cutants, « jureux » ou « bons prêtres », a contribué à attiser les passions politi­ ques en y ajoutant des raisons personnelles. Les représentants de la Vendée, comme Garrau et Fayau, ont été sûrement aussi féroces que Hentz notre com­ patriote. Les Vendéens du bocage et du marais breton, eurent comme adversai­ res leurs frères de la plaine et du marais poitevin. Les volontaires nantais ne se sont pas mieux comportés au château d'Aux que ceux du 8e bataillon du Bas- Rhin. Lépeaux, député de la Vendée, s'associa à Hentz pour les déportations et le jeune caporal de grenadiers Broussais de S.-Malo, futur prince de la méde­ cine, fut particulièrement sévère vis-à-vis des brigands. Grignon de Louerre en Maine & Loire fut aussi féroce que Westermann et Amey.* Mais comme dans toutes les guerres civiles, la paix une fois revenue, les adversaires se sont souvent côtoyés. Sous Louis XVIII, on vit des généraux de l'an II, dont certains, en Vendée, avaient été les égorgeurs, arborer fièrement la croix de S.-Louis à côté des rares survivants des grands chefs royalistes. Cependant que le marquis de Canclaux, chevalier de S.-Louis d'avant 92, général en chef de la République en Vendée, pair de France sous la Restaura­ tion, envoyait au peloton d'exécution, notre compatriote Ney. Il en fut de même de Claude Victor Perrin, né à Lamarche dans les Vosges, dit Beausoleil à Tou­ lon, dit Victor en Normandie chouanne. Sous l'Empire, il fut duc de Bellune

* Amey de Selestat fut cependant particulièrement odieux ; il fit jeter vivant dans les fours les femmes et les enfants. Selon le rapport des commissaires Carpenly et Morel au Comité de Salut Public, « les femel­ les des royalistes manquant, il s'adresse aux épouses des vrais patriotes ». Amey a sa rue à Sélestat et son nom inscrit sur PArc de Triomphe.

114 LORRAINE ET VENDÉE avant de contribuer lui aussi à la condamnation de Ney. Il se retrouvera ministre de la Guerre sous Louis XVIII, et, blanc en 1832, soutiendra la duchesse de Berry, lors de la dernière campagne de Vendée. Bien sûr, Hentz, régicide, et Merlin, farouche dans ses opinions, échappe­ ront aux honneurs que ne refuseront pas deux frères de ce dernier, devenus comte, baron et chevaliers de S.-Louis. Ainsi pourrait-on conclure que la guerre de Vendée fut également pour les Lorrains et les Alsaciens, du moins pour les chefs, une bataille entre anciens, présents, ou futurs chevaliers de S.-Louis. Mais il est difficile de conclure sur une boutade le rappel de la plus grande de nos guerres civiles qui fit plus de 500 000 morts. « Et ces morts, qui ne cesseront jamais de témoigner, ne sont ni vendéens, bretons ou angevins, ni limougeauds, parisiens ou alsaciens, ils sont français, et ce nom unique stigmatise la guerre qui les a confondus dans une masse anonyme. On n'oublie pas un demi-million de cadavres... » (78). Faut-il laisser le mot de la fin à un historien vendéen, Gabory, dont l'indé­ pendance d'esprit paraît prouvée puisqu'il est critiqué également par les deux partis ? Citant la « Grande Armée », il décrit ces autres soldats de l'an II, eux aussi volontaires en sabots, et suivant des généraux « imberbes » : « Si des erreurs militaires furent commises comme à plaisir par les chefs, l'héroïsme des combattants s'éleva constamment à la hauteur exceptionnelle des circonstances. La faim, la dysentrie en tuèrent plus que le fer. Rien ne les fit trembler. Ils batti­ rent Kléber, Marceau, Westermann en dix rencontres. Ils s'emparèrent d'une dizaine de villes. Sans vivres, sans vêtements, ils parcoururent 170 lieues de che­ mins en moins de deux mois ; ils traînaient avec eux, des femmes et des enfants, des malades et des vieillards, tout un peuple et leurs difficultés étaient surhu­ maines ; nulle défaite ne fut plus glorieuse ». On pourrait laisser aussi le trait final au poète, né d'un sang breton et lor­ rain et compromis dans cette histoire par ses ascendances : « En 1793, la France faisait front à l'Europe, la Vendée tenait tête à la France, la France était plus grande que l'Europe, la Vendée était plus grande que la France ». Chassin, historien républicain, s'exprime moins noblement, mais dit à peu près la même chose en se demandant pourquoi le Comité de Salut Public qui en l'an II a vaincu partout à Lyon, à Toulon, aux frontières, n'a pu réduire la Vendée. De La Gorce est plus nuancé lorsqu'il écrit : « Pour l'honneur du nom chré­ tien, il étai bon qu'il y eût une Vendée, pour l'unité de notre histoire, il était bon que cette Vendée succombât ». Napoléon avait évité prudemment de se compromettre dans ce qu'il appela la Guerre des Géants ; il détestait cordialement les Chouans qui le lui rendaient bien ; mais il estimait les Vendéens, auprès de qui il avait su se rendre popu­ laire. Il pensait que la guerre de Vendée avait été légitime et à S.-Hélène,

115 LORRAINE ET VENDÉE

s'exprimant par l'émigré Las Cases, il précisait que si la « révolte fut cause de grands malheurs, elle n'immolait pas à notre gloire ». Quant à Clemenceau, peu suspect de sympathie cléricale ou droitiste, il qualifia aussi cette guerre de « plaie glorieuse ». Mais l'hommage le plus beau, rendu aux Vendéens, se trouve sans doute dans les Mémoires d'outre-tombe : Chateaubriand exalte, dans un texte remar­ quable, la geste vendéenne en même temps qu'il fustige ceux pour qui sont tombés les « Hercules de charrue ». Dans l'antichambre de l'agent du comte d'Artois à Londres : « ... était un homme de trente à trente-deux ans qu'on ne regardait point, et qui ne faisait lui-même attention qu'à une gravure de la mort du général Wolfe. Frappé par son air, je m'enquis de sa personne : un des voi­ sins me répondit : « Ce n'est rien ; c'est un paysan vendéen, porteur d'une lettre de ses chefs ». Cet homme, qui n'était rien, avait vu mourir Cathelineau, pre­ mier général de la Vendée et paysan comme lui ; Bonchamps, en qui revivait Bayard, Lescure, armé d'un cilice non à l'épreuve de la balle ; d'Elbée, fusillé dans un fauteuil, ses blessures ne lui permettant pas d'embrasser la mort debout ; La Rochejaquelein, dont les patriotes ordonnèrent de vérifier le cada­ vre afin de rassurer la Convention au milieu de ses victoires. Cet homme, qui n'était rien, avait assisté à deux cents prises et reprises de villes, villages et redoutes à sept cents actions particulières et à dix-sept batailles rangées ; il aurait combattu trois cent mille hommes de troupes rangées, six à sept cent mille réquisitionnaires et gardes nationaux ; il avait aidé à enlever cinq cents pièces de canons et cent cinquante mille fusils ; il avait traversé les Colonnes Infernales, compagnies d'incendiaires commandées par des conventionnels : il s'était trouvé au milieu de l'océan de feu qui, à trois reprises, roula ses vague sur les bois de la Vendée ; enfin, il avait vu périr trois cent mille Hercules de charrue, compagnons de ses travaux, et se changer en un désert de cendres cent lieue car­ rées d'un pays fertile... » (78). Mais c'est sur l'opinion du vaillant général républicain Beaupuy que nous préférons conclure, parce que, au lendemain de Savenay, elle s'exprime dans une lettre précisément adressée à notre compatriote Merlin de Thionville, et parce qu'elle rend hommage aux combattants des deux bords. Après avoir décrit la fin apocalyptique de la Grande Armée dans les marais de Savenay, défaite qui met le point final à la « Grande Guerre », (mais qui, contrairement à ce que croit Beaupuy, ne clot pas la guerre civile), il poursuit : « Des troupes qui ont battu de tels Français peuvent se flatter aussi de vaincre des peuples assez lâches pour se réunir contre un seul, et encore pour la cause des rois. Enfin, je ne sais pas si je me trompe, mais cette guerre de paysans, de brigands, sur laquelle on a jeté tant de discrédit, que l'on dédaignait, que l'on affectait de regarder comme méprisable, m'a toujours paru pour la République, la grande partie, et il me semble à présent qu'avec nos autres ennemis, nous ne ferons que nous peloter ».

116 BIBLIOGRAPHIE

A - Sources

Archives et Bibliothèque du Service historique de l'Armée de terre, Château de Vincennes. Archives départementales de Moselle et du Morbihan. Archives municipales de Metz. Bibliothèque universitaire de Metz. Bibliothèques municipales de Metz*, Nancy, Epinal, Strasbourg, Nantes, Cholet, Vannes. Bibliothèque de l'Académie nationale de Metz.

B - Ouvrages imprimés

1. Albert, colonel P. Une famille lorraine : les Merlin de Thionville, Metz, 1939. 2. Atalone, André Chénier et les frères de Pange, dans l'Austrasie, juillet-octobre 1907, p. 1-62. 3. Aubertin, adj .-général, Mémoires sur la guerre de Vendée en 1793-1794, 1823. 4. Andigne, (général d'), Mémoires, Paris, 1,1900. 5. Baeyens J., Sabre au clair, Amable Humbert, général de la République, 1981. 6. Baguenier-Desormeaux, Kléber en Vendée 1793-1794. Mémoires militaires du général Kléber pour servir à l'histoire des guerres de Vendée, 1907. 7. Prévost et Roman d'Amat, dans Diction, de biographie française, V, 1938. 8. Balzac (H de), Les Chouans ou la Bretagne en 1799, 1926. 9. Bardy H., Le Général Haxo (Notice rectificative et complémentaire), dans le Bull, de la Soc. philomatique vosgienne. 21e année, 1895,1896, p. 153-176. 10. Barreré J., Hugo l'homme, l'œuvre, Paris, 1952. 11. Barthou L., Le Général Hugo, 1773-1828. Lettres et documents inédits. Paris, 1926. 12. Baudoin, Sous la cornette de St-Vincent-de-Paul, Paris, 1932. 13. Beckers A., Généalogie sommaire de la famille Baudesson, 1978. 14. Bellard A., Que l'abbé Grégoire fut membre de notre compagnie, dans les Mémoires de l'Académie Nationale de Metz, 1963, p. 210. 15. Benoît-Guyod G., La vie et l'œuvre d'Erckmann-Chatrian. Témoignages et do­ cuments. Contes et Romans Nationaux et Populaires, XIV, 1962. 16. Berranger H. de, Les parents de Victor Hugo, dans le Bulletin de la Soc. d'Histoire & d'Arch. de Nantes, t. CXIV, 1975,1977, p. 107-112. 17. Billaud A., La Guerre en Vendée, Fontenay-le-Comte, 1977.

* J'ai trouvé auprès du personnel de la Bibliothèque-Médiathèque municipale de Metz, la plus grande dis­ ponibilité, patience et compétence : qu'il en soit remercié et particulièrement Mme Giros.

117 18. Blanc L., Crétineau-Joly, La contre-révolution, Partisans Vendéens, Chouans Emigrés, 1794-1800. 19. Blanc O., La dernière lettre. Prisons et condamnés de la Révolution, 1984. 20. Bonchamps (Marquise de), Mémoires sur la Vendée, 1981. 21. Bouère (Ctesse de la), La guerre de Vendée, 1793-1796. Mémoires inédits, 1984. 22. Bouletiere (Comte de la), Le Chevalier de Sapinaud et les Chefs Vendéens du Cen­ tre, 1982. 23. Bordonove, G., La vie quotidienne en Vendée pendant la Révolution, 191 A. 24. Bournisseaux, Histoire de la guerre de Vendée et des Chouans de 1792 jusqu'en 1815. 25. Bournisseaux, Histoire de la guerre de Vendée depuis son origine jusqu'à la pacifi­ cation de la Jaunaie. 26. Bouvier F., Les Vosges pendant la Révolution. 27. Briant Th., Les amazones de la Chouannerie. 28. Bruneau J., Pageot J., Vendée Militaire, 1793-1796, 1980. 29. Castries (Duc de), La vie quotidienne des Emigrés, 1966. 30. a) Les testaments de la Monarchie, 1962. 31. b) Les Emigrés. 32. Chanard E., Les Vendéens à Verdun, dans la Revue du Souvenir Vendéen, n° 75, p. 17. 33. Chassin Ch. L., Etudes documentaires sur la Révolution française : La préparation de la guerre de Vendée, 3 vol., 1892 ; La Vendée Patriote, 1793-1800, 4 vol, 1893 ; La Pacification de l'Ouest, 1795-1815, 3 vol., 1896-1899 ; La Vendée et la Chouannerie, 1900. 34. Chiappe J.-F., Georges Cadoudal ou la Liberté, Paris, 1970. 35. a) La Vendée en armes, 3 vol., Paris, 1982. 36. Cholvy G., La Révolution française et la question religieuse, dans Histoire, n° 72, nov. 84, p. 50-59. 37. Chuquet A., Quatre généraux de la Révolution Hoche-Desaix-Kléber- Marceau, 1911. 38. a) La légion germanique, 1792-1793, 1904. 39. Clergeau J.R., Les armes de la Vendée dans Gazette des armes, n° 134, oct. 1984,

P. ii. 40. Colbert de Maulevrier (Comte), Mémoires inédits composés sur ceux de M. Gilbert et Coulon, voir Crétineau-Joly, 1895-1896. 41. Coob R., Les années révolutionnaires, instrument de la Terreur dans les départe­ ments. Avril 1793 (floréal an II, 2 vol., 1961. 42. Cordier, Leurs demeures en Lorraine, 1984. 43. Courcelles J B, de Dictionnaire historique et biographie des généraux français depuis le XIe siècle jusqu'en 1823, 9 vol. 1823. 44. Cretineau-Joly J., Histoire de la Vendée militaire, 4 vol., réédition, 1979.

118 45. Cuny J.M., Deux Lorrains opposés dans une lutte fratricide dans Revue Lorraine Populaire, Avril 84, n° 59, p. 258-259. 46. Darmaing A., L'Ouest dans la tourmente. La guerre civile française, 1793-1815, 1979. 47. Delorme (Docteur E.), Lunéville et son arrondissement, 2 vol., 1927'. 48. Dicop (abbé N.), Le club des Jacobins de Sierck, dans les Mémoires de l'Académie Nationale de Metz, CLV année, VI série, II, 1974, 49. Dictionnaire de la Révolution et de l'Empire, 1955. 50. Dictionnaire de Biographie Alsacienne (Nouveau). 51. Diesbach (G. de), Histoire de l'émigration, 1789-1814, 1975. 52. Dore-Graslin P., Itinéraire de la Vendée militaire, Journal de la guerre des géants, 1979. 53. Dormann G., Le Roman de Sophie Trébuchet, 1982. 54. Drochon J. E., Edition de l'Histoire de la Vendée Militaire de Crétineau-Joly, 1895-1896. 55. Etats des neuf armées Royales, Histoire de la Vendée militaire de Crétineau-Joly, t.V. 56. Duchatelier A., Histoire de la révolution dans les départements de l'ancienne Bre­ tagne, Nantes, 1836. 57. Duchemin des Scepeaux, Souvenir de la Chouannerie, 1855. 58. Epois J., D'Elbée ou l'Epiphanie sanglante, 1984. 59. Erckmann-Chatrian, Histoire d'un paysan, 2 vol. 60. Ernouf (Baron), Le Général Kléber. Mayence, Vendée, Allemagne, Expédition d'Egypte. Paris, 1867. 61. Escholier R., Victor Hugo cet inconnu. 62. Faucheux M., Le cas de la Vendée militaire, (Colloque de Bruxelles, janvier 1968). 63. Ferry Ch., Les francs tireurs des Vosges, Mirecourt. 64. Florange J., Le conventionnel Hentz, député de la Moselle, Metz, 1911. 65. Fournier E., La terreur bleue, 1984. 66. a) Ouragan sur la Vendée, Les quatre cousines de Charette. Les Sables d'Olonne, 1982. 67. Gaber S. Ma Lorraine meurtrie, Essey-lès-Nancy, 1979. 68. Gabory E., La Révolution et la Vendée, 3 vol., 1925 69. a) Les Bourbons et la Vendée, 1923. 70. b) Les grandes heures de la Vendée, 1976. 71. c) Les Allemands dans les armées républicaines et royalistes pendant les guerres de Vendée, dans la Revue du Bas-Poitou, 1919. 72. d) L'Angleterre et la Vendée, 1930. 73. Gain A., Liste des émigrés, déportés et condamnés pour cause révolutionnaire du département de la Moselle, Metz, 1925, 74. Gorce (de La), Histoire religieuse de la Révolution Française, Paris, 1912.

119 75. Goyau G., Histoire religieuse dans Histoire de la Nation Française de Gabriel Hanotaux, VI, 1930. 76. Hentz N., Observations sur la guerre de Vendée. 11. Holocauste français, La Vendée dans Histoire Magazine, n° 7, oct.- sept. 1980. 78. Huguet J., Un cœur d'étoffe rouge. France et Vendée 1793, 1985. 79. Hugo (Général), Mémoires, 1923. 80. Hugo Victor, Les feuilles d'automne. 81. Jacotey (M.L.), Un volontaire de 1792 : le Général Humbert ou la passion de la Liberté. Mirecourt, 1980. 82. a) Un héros lorrain oublié, le Général Humbert, dans Revue Lorraine Populaire, oct. 1984, n° 60, p. 290-291. 83. Juin H., Victor Hugo, 1802, Paris, 1980. 84. Lachouque H, Aux Armes citoyens. Les soldats de la Révolution, Paris, 1969. 85. Lachouque H et Arna J, Cadoudal et les Chouans, Paris, 1951. 86. Lagniau J., Les guerres de Vendée, 1982. 87. Lambert de la Douasnerie D., René Jean Tonnelet, compagnon de Stofflet, 1753- 1795. 88. a) Stofflet « Fidélité », Cholet. 89. b) Quelques mots sur Stofflet, dans la Revue du Souvenir Vendéen, n° 87, p. 19-24. 90. La Rochejaquelein (Marquise de), Mémoires, 1984. 91. Las Cases, Mémorial de Ste-Hélène, Paris, 1961. 92. Laurain E., Chouans et contre-Chouans, Laval, rééd. 1980. 93. La Varende, Cadoudal, Paris, 1970. 94. Lavisse E., Histoire de la France contemporaine, tome IL La Révolution, 1792- 1794, Hachette. 95. Le Clech R.P., La Chartreuse d'Auray et le monument de Quiberon. Vannes, 1931. 96. Le Fahler J., Le Royaume de Bignan (1789-1805), rééd., 1982. 97. Lefebvre G. et Bouloiseau M., L'émigration et les milieux populaires. Emigration, Paniques, Embauchages (1791-1794) dans les Annales historiques de la Révolution française, n° 156, avril-juin 1959, p. 110-126. 98. Legrand R., Jacques Koble dit La Ronce, maître de danse et chef de Chouans, Vannes, 1932. 99. Lemiere Ed., Bibliographie de la contre révolution dans les provinces de l'Ouest où des guerres de la Vendée et de la Chouannerie, Nantes, 1976. 100. Lenotre G., Les colonnes infernales, dans la Revue des deux mondes, 15 sept. 1924, 281-302 et 1er oct. 1924, 567-589. 101. a) Les noyades de Nantes, F ans. 102. b) Le premier chouan : Le Marquis de la Rouerie, Paris. 103. c) Charette, Paris. 104. Loindreau S., Les origines vendéennes de Victor Hugo, légende ou vérité, dans la Revue du Souvenir Vendéen, juin-juillet 1981, n° 135, p. 14-44.

120 105. a) Les colonnes infernales, dans la Revue du Souvenir Vendéen, n° 131, sept.-oct. 80, 7-23 ; n° 132, oct.-nov. 80, 7-45 ; n° 133, déc. 80-janv. 81,15-30 ; n° 153 déc. 85-janv. 86, 24-32. 106. b) 10 août 1792, sept futurs chefs vendéens cherchent à sauver le Roi dans la Revue du Souvenir Vendéen, n° 149 déc. 1984 - janvier 1985, p. 27-40 ; n° 150, mars-avril 1985, p. 13-32. 107. Lothaire G., Les deux faces d'une même histoire, dans la Revue Lorraine Populaire, février 83, p. 75. 108. Madelin L., Les hommes de la Révolution. 109. Les Martyrs d'Angers 1793-1794, dans la Semaine religieuse d'Angers, 11 déc. 1983. 110. Martyrs de la foi, Sœur Marie-Anne et Sœur Odile, 1984. 111. Maurois A., Olympio ou la vie de Victor Hugo, 965. 112. Mazauric C., Quelques réflexions sur les relations entre occupants et occupés pen­ dant la Révolution Française, ou occupants et occupés 1792-1815. Colloque de Bruxelles, 29-30 janvier 1968, p. 291-312. 113. Merlin R., Merlin de Thionville d'après les documents inédits, 2 vol., 1927. 114. Michelet, Histoire de la Révolution Française. 115. Mombrun R., Mesdames de Grimouard dans la Revue du Bas Poitou, 1896 - p. 12-28 et 256-272. 116. Montagnon A., Les guerres de Vendée, 1793-1832. 117. a) Une guerre subversive, la guerre de Vendée, 1959. 118. b) Nantes et la Vendée Militaire. Catalogue du Musée Dobrée, Nantes. 119. Pajol comte, Kléber, sa vie, sa correspondance, Paris, 1877. 120. Perrais M., Beysser. Nouveau dictionnaire de Biographie Alsacienne. 121. Pichard du page F. et Condinet G., Histoire des Vendéens. Données de l'Histoire, 1982. 122. Pillot G., A propos du monument commémoratif de Bathélémont-lès-Bauzémont (M & M), dans la Revue Lorraine Populaire, 1984, n° 56, p. 88-89. 123. Poulet H., Les volontaires de la Meurthe aux armées de la Révolution, Nancy, 1910. 124. a) Le Général Hubert, dans le Pays Lorrain, n° 6, juin 1925 ; n° 7, juillet 1925. 125. b) Un soldat lorrain méconnu, le Général Humbert (1767-1823), Nancy, 1928. 126. Printz A., Merlin (de Thionville) dans La Tour aux Puces n° 78. 127. Quatrebarbes de, Une paroisse vendéenne sous la Terreur, 1980. 128. Ragon M., L'accent de ma mère, 1983. 129. a) Les Mouchoirs rouges de Cholet, 1983. 130. Reynaud J., Vie et correspondance de Merlin de Thionville, Paris, 1860. 131. Rieux J., La Chouannerie sur les pas de Cadoudal, Quimper, 1876. 132. Ritter J., Un jeune Strasbourgeois en Vendée. Lettres d'un volontaire au 8e bat. du Bas-Rhin, dit de l'Union. (1793-1796), 103e Congrès Nat. des Soc. Sav., Nancy- Metz, 15 avril 1978.

121 133. Robinet R. - Le Chaplain J., Dictionnaire historique et biographique de la Révo­ lution et de l'Empire. 134. Roince Job de, Le Colonel Armand, marquis de la Rouerie, Paris, 1874. 135. a) Mémorial des Martyrs d'A vrillé, Rennes, 1979. 136. Roth Fr., La Lorraine dans la vie nationale, 1789-1870. 137. Rousse J., Les chefs secondaires de la Vendée Militaire, André Baumler, dans la Revue du Bas Poitou, 1900, p. 276-284. 138. Rousseau F., Les chefs Vendéens du Marais. André Baumler, dans la Revue du Sou­ venir Vendée, sept. 1955, n° 32, p. 10. 139. Saint-Hilaire (Emile de), Cadoudal, Moreau et Pichegru, 1977. 140. Saint-Pierre (Michel de), Monsieur de Charette, chevalier du Roi, 1911. 141. Savary J., Guerre des Vendéens et des Chouans contre la Révolution Française par un officier supérieur des Armées de la République habitant en Vendée avant les troubles, Paris, 1825. 142. Serven H., Petite histoire des guerres de Vendée, 1983. 143. Six G., Dictionnaire biographique des généraux et amiraux français de la Révolution et de l'Empire, 2 vol. Paris, 1934. 144. Stofflet, Brave Stofflet, dans la Revue du Souvenir Vendéen, 145. a) Journée Stofflet à Maulévrier, 31 mai 1980, dans la Revue du Souvenir Ven­ déen. 146. b) Statue de Stofflet au Musée de Nancy, dans le Revue du Souvenir Vendéen. 147. Stofflet Ed., Stofflet et la Vendée, Paris, 1875. 148. Sutter A., La vie dans le canton de Pange aux portes de Metz, 1974. 149. Tranie J. - Carmigniani J.-C, Les guerres de l'Ouest, 1793-1815., 1983. 150. Tribout de Morembert, Les hommes célèbres de Lorraine, 1975. 151. Tricoire Louis, Un soldat de la grande guerre (René Landrin) vous parle de Stofflet, dans la Revue du Souvenir Vendéen, n° 105, p. 6-17. 152. Troux A., La Révolution en Lorraine, Etudes, Récits, Documents. 153. Turpin J., Livre d'Or de la Vendée angevine. Lire, dans la Revue du Souvenir Vendéen, 1970, n° 90. 154. Vachon Y., Bibliographie de la contre révolution dans les provinces de l'Ouest, où des guerres de Vendée et de la Chouannerie, 1793-1815-1832. Complément à n° 99. 155. Vauban (Cte de), Quiberon, Mémoires pour servir à l'Histoire des guerres de la Vendée, 1941. 156. Vendée, Les traces des guerres de Vendée dans la mémoire collective. Catalogue Ecomusée - Départemental, Château du Puy du Fou, Les Epesses, Vendée. 157. Versini L., François Ignace de Wendel. Essais inédits, 1983. 158. Viguerie (J. de), Evanno P., Lambert de la Douasnerie, Les Martyrs d'Avrillé. Catholi­ cisme et Révolution, 1983. 159. Volkaersbeke (Kervyn de), Charette et la Vendée, rééd. 1983. 160. Zind P, Brève histoire de l'Alsace, 1911. 161. a) Elsass-Lothringen - Alsace-Lorraine -1870-1940, 1979. 162. Bertault M., Sophie et Brutus. Le sang lorrain et breton de Victor Hugo, 1984.

122 163. Vachon, guerre de Vendée 1977. 164. Mougne S., Deux Lorrains dans la guerre de Vendée dans les Mémoires de l'Académie de Stanislas, 1969-1970, p. 167-204. 165. Colloque « Vendée, Chouannerie », Université d'Angers, décembre 1985.

123