Diasporas Musiciennes Et Migrations Maghrébines En Situation Coloniale North African Musical Diasporas and Migrations During Colonialism
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Volume ! La revue des musiques populaires 12 : 1 | 2015 Avec ma gueule de métèque Diasporas musiciennes et migrations maghrébines en situation coloniale North African Musical Diasporas and Migrations during Colonialism Hadj Miliani Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/volume/4647 DOI : 10.4000/volume.4647 ISSN : 1950-568X Édition imprimée Date de publication : 30 novembre 2015 Pagination : 155-169 ISBN : 978-2-913169-28-8 ISSN : 1634-5495 Référence électronique Hadj Miliani, « Diasporas musiciennes et migrations maghrébines en situation coloniale », Volume ! [En ligne], 12 : 1 | 2015, mis en ligne le 30 novembre 2017, consulté le 10 décembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/volume/4647 ; DOI : https://doi.org/10.4000/volume.4647 L'auteur & les Éd. Mélanie Seteun 155 Trib une Diasporas musiciennes et migrations maghrébines en situation coloniale par Hadj Miliani Université de Mostaganem (Algérie) Des artistes à l’aube de l’émigration des espaces traditionnels de prestations musicales, maghrébine de convivialités masculines et d’exhibitions fémi- nines. Julien Tiersot (1889) nous a décrit ainsi migrations des Maghrébins en France et les airs joués avec des instruments traditionnels Les tout particulièrement des Algériens sont (derbouka, gheita) alors que les troupes indi- e connues depuis le début du XIX siècle. Cepen- gènes interprètent des marches militaires. Arthur dant, ce que l’on ignore souvent ce sont leurs uni- Pougin (1890) raconte l’histoire de certains de ces Volume vers culturels et, en particulier, les chants et les artistes venus dans le cadre des expositions et qui musiques que ces migrants ont pratiqués et enten- s’installeront finalement en France. C’est le cas dus. C’est durant les expositions universelles et d’une certaine Rachel Bent-Eny qui se serait pro- coloniales que sont données à voir et entendre pour duite avec son père lors de l’Exposition Universelle ! n° 12-1 la première fois musiques et chants des colonies de 1878 à l’âge de huit ans et que l’on retrouvera dans l’hexagone. Durant l’exposition de 1889, une en 1889. Elle se fera connaître ensuite dans les reconstitution des cafés maures les montre comme cafés-concerts sous le prénom de Fatma. 156 Hadj Miliani Dès le début de la colonisation, quelques groupes droit à un véritable portrait élogieux dans la presse de musiciens professionnels tentent de diffuser spécialisée : leur musique hors de leurs espaces traditionnels de Marmande. Tivoli-THÉÂTRE. Lundi, clôture de la prestation en Algérie. C’est le cas, par exemple, de saison théâtrale et adieux de la troupe. cet ensemble de Kabylie qui, le 30 novembre 1868, Mlle Kadoudja, chanteuse algérienne, étoile des entreprend une démarche par l’intermédiaire du concerts de Paris, Lyon, Bordeaux, de passage dans bureau arabe : notre ville, avait bien voulu offrir à son ex-professeur, M. Dubroca, pianiste-accompagnateur, au bénéfice La requête émane d’un groupe de cinq musiciens de la duquel était donnée cette représentation, l’appui de son tribu des Maakla, dans la région de Tizi Ouzou, deux gracieux concoure, en témoignage de sa reconnaissance. danseuses et un interprète qui désirent se rendre en France pour y exercer leur profession et sollicitent la Voix sonore, éclatante, registre étendu et homogène, faveur du passage gratuit d’Alger à Marseille 1. timbre parfois d’une douceur et d’une suavité péné- trantes ; jeu scénique irréprochable ; physionomie char- Par ailleurs, plus surprenant encore, on trouve mante, une, distinguée, extrêmement sympathique au music-hall une Kadoudja (diminutif de Kha- et d’une mobilité remarquable telles sont les qualités didja), interprète d’origine algérienne (serait-elle qui ont fait de cette artiste, une célébrité que je crois arrivée en France au cours d’une exposition ?). sans rivale dans son genre. Sa toilette, éblouissante de richesse, était portée avec une suprême élégance. L’ad- Jean-Paul Habans 2, dit Paulus, raconte dans ses miration de tous s’est manifestée par de vifs applaudis- mémoires que, durant les années 1860, il fit : « […] sements qui ont salué son entrée en scène. la connaissance de la jolie Kadoudja, qui était très Tous les couplets de « Zhorah la Mauresque » (chanson fêtée dans ses chansons mauresques et créoles. Ma arabe) ont été soulignés par les bravos unanimes d’un Guadeloupe lui valait un gros succès. » Cette pre- public très nombreux. Rappelée quatre fois par des mière artiste d’origine algérienne qui fera les beaux applaudissements frénétiques, et, se prêtant avec une jours des salles de music hall participe évidemment grâce infinie aux exigences provoquées par un succès d’un certain exotisme oriental largement diffusé et sans précédent à Marmande, elle nous a permis d’appré- e cier de nouveau son talent dans une « Mélodie Arabe » cultivé depuis le début du XIX siècle : et « Colibri », morceaux choisis de son répertoire. Tou- Les sycomores de l’Alcazar, de M. Arsène Goubert, ne jours même triomphe ; enthousiasme indescriptible de sont à la vérité que des vernis du Japon, et il n’a encore, l’auditoire tout entier. Une belle couronne lui a été pré- comme chanteuse mauresque, que Kadoudja, une belle sentée par le bénéficiaire. Je crois pouvoir assurer que les fille d’Alger, vêtue de la tunique pailletée des dévotes au dilettanti marmandais, garderont avec moi, un souvenir 4 Prophète, et des pantalons de satin rose à franges d’or ineffaçable de cette délicieuse soirée . des captives aux harems de Damas ou de Constanti- 3 On conserve encore sa trace en 1890 car elle se ! n° 12-1 nople . produit dans l’un des premiers cabarets (Les Mon- Kadoudja connaîtra une carrière assez longue tagnes russes, devenu plus tard L’Olympia), qui fut puisque, en 1885, elle est encore considérée comme géré à Paris par une autre algérienne surnommée Volume une des « étoiles » du music hall de son époque et a « La belle Zohra ». 157 Diasporas musiciennes et migrations maghrébines en situation coloniale Au cours de la Première Guerre mondiale, des Étant de passage à Mascara concerts sont donnés pour les soldats maghré- Arbi, chouïa, barka ! bins par des musiciens venus des pays d’origine Et le climat m’ayant travailli (Miliani, 2008). Le célèbre chanteur des Aurès, Basta lacaoutchi ! J’aborde un’ jeun’ moukère Aïssa Djarmouni, y participe et se produit à Assis’ sur son derrière l’Olympia (alors devenue une salle de cinéma) Et la croyant roisière en 1937. Mais, plus généralement, les chanteurs et Je lui dis en langue arbi 7 […]. les musiciens professionnels se rendent en France Roger Prégor popularise la chanson sabir dans le au début de l’entre-deux-guerres davantage pour enregistrer que pour se produire devant leurs core- music-hall, mais c’est Dominus qui écrit et inter- ligionnaires. Mehenna Mahfoufi (1994) signale prète les premières chansons en sabir devant le que les premiers enregistrements de musique public parisien à l’exemple de Au temps des pas- kabyle en France datent de 1910. tèques qui parodie Le Temps des cerises. Marchand de Tapis, une des premières chansons sur cette thé- L’immigration maghrébine de cette période est matique fut créée par Dominus avant 1914-1918. encore par trop faible et instable pour former un Dans le même style, Alcide Terneuse a interprété public consommateur d’une production musicale. Arrouah Sidi en 1914 et Alibert, Viens dans ma Les premiers groupes constitués sont des troupes Casbah en 1933 8. de tambourinaires qui reprennent les tradition- nelles prestations musicales du village kabyle dès 1910. Ce sont souvent des amateurs, des Des prestations musiciennes ouvriers ou des vendeurs la journée, qui se pro- duisent le soir devant leurs compatriotes dans l’un maghrébines dans l’hexagone des espaces clés du vécu immigré, le café et son À l’initiative d’Edmond Nathan Yafil, des musi- pendant obligé : l’hôtel garni 5. ciens et chanteurs algérois se produisent à Paris Il ne faut pas oublier cependant que pour le public en 1924 à l’Empire et à l’Olympia. Le futur recteur français et surtout parisien, l’Arabe en vogue de la Mosquée de Paris, Si Kaddour Benghabrit, e fait écouter le « Caruso » algérien, Mahieddine (grâce au disque) est, depuis la fin du XIX siècle, Volume Aïssa 6 (joué par le catalan Llobrégat), comique Bachtarzi à Radio Paris. En 1926, celui-ci chante sabir dont les chansons ont pour titres : « Aïssa à La Marseillaise en arabe au Quai d’Orsay. Avec sa troupe El Moutribia, il se produit en 1927 à la Paris », « Arbi rumba », « Qui veut des tapis ? » ou ! n° 12-1 encore « Arrouah j’t’y aie ! ». L’une des premières salle des fêtes du Xe arrondissement de Paris, au chansons dans le style langagier et grivois qui fut café maure de la mosquée de Paris ainsi que lors interprétée par nombre de chansonniers parisiens d’un concert organisé par le journal L’Intransi- était « Arouah… Sidi » : geant auquel assistent des ouvriers algériens venus 158 Hadj Miliani de Clichy, Saint-Denis, Nanterre, Gennevilliers, Gharbi, Au Petit Marseillais se produisent tour à tour, Billancourt. le samedi soir, les chanteurs, compositeurs et instru- mentistes Simon dit Salim Hallali, sa mère Chelbyia, Il y a des artistes nés au Maghreb dans les premières Elie Moyal alias Lili Labassi, « Blond-Blond » ainsi sur- années du XXe siècle dans les institutions musi- nommé du fait de son albinisme, et, de temps à autre cales les plus traditionnelles en France. Toutefois Raymond Leyris. (Laloum, 2005) leur mode d’expression musicale est parfois assez Il n’existe pas, en fait, de chanteurs ou de musi- éloigné de leur culture d’origine. Ce fut le cas de ciens d’origine maghrébine qui pratiquent leur Leila Bensedira (d’ascendance kabylo-breton dont art d’une manière régulière et professionnelle le grand-père Belkacem Bensedira fut un des pre- auprès de leur communauté jusqu’aux environs miers lexicographes en arabe, kabyle et français) de 1937-1939.