L'amour Sous La Terreur
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L'AMOUR SOUS LA TERREUR LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE PENDANT LA RÉVOLUTION PAR MATHURIN DE LESCURE PARIS - E. DENTU - 1882 I. — LES AMOUREUX DE CHARLOTTE CORDAY. II. — LE CŒUR DE MARAT. III. — LE ROMAN DE ROBESPIERRE. IV. — LES AMOURS DE PRISON. V. — LA DERNIÈRE SEMAINE DE LA VIE D'ANDRÉ CHÉNIER. VI. — LES CHEMISES ROUGES. VII. — LE DERNIER AMOUR DE PHILIPPE-ÉGALITÉ. I. — LES AMOUREUX DE CHARLOTTE CORDAY Recherche des motifs mystérieux de l'assassinat de Marat par Charlotte Corday. — La légende et l'histoire. — Est-ce une tragédie sans amour que celle que Charlotte dénoue par un coup de couteau ? — Oui, Charlotte a aimé. —Devise de Charlotte : Corde et ore. —En faveur de qui la bouche a-t-elle trahi le secret du cœur ? — Liste des amoureux de Charlotte. — Examen et discussion des témoignages. — Le comte Henri de Belzunce. — Fouquier-Tinville auteur de la légende de Belzunce. — Le général Félix de Wimpfen l'a accréditée. — Raisons de notre incrédulité. — M. de Pontécoulant contredit l'hypothèse relative à Belzunce et penche pour Barbaroux. — Influence des Girondins sur Charlotte. — La revue des volontaires de Caen. — Coïncidences prises pour des solidarités et des complicités. — Barbaroux blâme le crime de Charlotte. — Témoignage de M. Vaultier. —Erreur politique de Charlotte. — Le choix de la, victime expiatoire atteste l'absence d'un complot girondin. — Barbaroux à Caen, en juin 1793. — Décadence précoce de sa beauté physique et de son énergie morale. — Il est accompagné a Caen non sans scandale, par sa maîtresse Zélie, ci-devant marquise et devenue républicaine. — Témoignage de Pétion. — Anna, Julia et Zelia. — Apologie de l'inconstance, par Barbaroux. — Opinion de Madame Roland, de Louvet, de F. Vaultier. — Inductions tirées de la tragédie de Charlotte Corday, par Salles. — Barbaroux lui-même désigne Adam Lux comme seul capable du r6le de l'amant, dans la fiction comme dans la réalité. — Prétendants hypothétiques et romanesques ; M. de Franquelin. — M. de la Sicotière démontre que Franquelin est un mythe. — M. de Boisjugan de Mingré a existé, mais rien ne lie son sort à celui de Charlotte. — Adam Lux. — Ses relations avec les Girondins. — Sa réprobation de l'attentat du 3i mai et du 2 juin. — Son projet de suicide expiatoire. — Il publie, le lendemain de l'exécution de Charlotte Corday, une brochure en son honneur. — Raccourci de la biographie d'Adam Lux. — Passages de sa brochure concernant Charlotte Corday. — Sa lettre d'adieux à sa femme. — Il est arrêté. — Singulier plaidoyer en sa faveur du docteur Wedekind. — Adam Lux proteste contre cette défense. Il est guillotiné le 4 novembre 1793. — Lettre admirable de Ch. Bougon-Longrais, ex- procureur général syndic du Calvados, à sa mère, la veille de son exécution. — Si Charlotte a jamais aimé quelqu'un, c'est lui. — Ses relations avec elle. — Portrait physique et moral de Bougon-Longrais. — Etranges coïncidences du samedi 23 juillet 1793. — Lettre de Charlotte à Barbaroux. — Passage qui concerne Bougon-Longrais. — Il est arrêté dans la même retraite que le prince de Talmont, qui l'avait sauvé. — Il est guillotine à Rennes, le 5 janvier 1794. — Charlotte et Bougon. — Madame Roland et Buzot. I Tout le monde connaît l'assassinat de Marat par Charlotte Corday, le 13 juillet 1793. Mais si tout le monde connaît l'acte auquel la chaste Judith de la Gironde, la digne petite-fille de Corneille a dû la gloire, voilée de deuil, des héroïsmes coupables, si tout le monde en connaît les effets, si funestes à ceux que Charlotte voulait sauver, il n'en est pas de même des mobiles qui le provoquèrent. Les motifs qui armèrent le bras de mademoiselle de Corday et l'exaltèrent au point de lui faire plonger son couteau dans le cœur d'un homme sans défense qu'elle ne connaissait pas, la veille de leur unique entrevue, sont demeurés mystérieux et controversés. Une légende, de plus en plus luxuriante, a environné l'histoire de cet attentat extraordinaire de ses fictions parasites. Le cœur n'a point voulu laisser à la tête le triste honneur du rôle principal dans un tel drame. L'imagination des contemporains s'est épuisée à la recherche et à l'invention des mobiles secrets, des sentiments romanesques qui semblaient seuls pouvoir convenir à l'explication d'un meurtre sans cela inexplicable. Nul n'a voulu voir là une tragédie sans amour. C'est dans les miracles de l'amour qu'on a cherché, à l'envi, la cause de ce prodige de haine : l'assassinat d'un démagogue à elle personnellement inconnu par une jeune fille de vingt-cinq ans, que son sexe, sa condition, son âge, son éducation, ses antécédents semblaient prédestiner aux héroïsmes de la pitié plus qu'à ceux de la haine. La passion de la gloire, de la liberté, de la patrie, a-t-on dit, ne saurait suffire à fournir la raison de cette aberration. Un seul sentiment humain manque de logique et s'en passe : c'est l'amour, que l'on peint justement aveugle. C'est donc l'amour, avec ses espérances ou ses colères, qui a mis aux mains de Charlotte le poignard libérateur et vengeur. Et de même que dans tous les crimes de l'homme on a cherché la femme, on a cherché l'homme dans le crime de la fière et pudique vierge du Calvados, qu'on a supposée n'avoir pu être rendue inexorable que par un excès même de sensibilité. Ce sont les résultats de cette recherche passionnée, qui a donné lieu à tarit de tours de force d'induction et de chefs-d'œuvre de subtilité, que nous nous proposons d'exposer et de juger. Après avoir montré l'erreur, nous espérons pouvoir démontrer la vérité, faire, dans l'acte de Charlotte Corday, la part exacte des mobiles qui l'ont inspiré et déterminé, conduire enfin les lecteurs avides d'une opinion impartiale et raisonnée à l'appréciation la plus proche de la certitude sur un événement dont Dieu seul sait tout le secret. Nous entrons immédiatement en matière par la liste même des personnages auxquels la tradition populaire ou l'imagination des romanciers de l'histoire ont fait l'honneur, souvent immérité, de les croire animés pour Charlotte d'un sentiment partagé par elle, mais d'ailleurs noble et pur comme elle. II Voici donc cette liste, contre laquelle nous nous abstiendrons d'user d'un premier argument qui ne serait cependant pas sans valeur, tiré du nombre même de ceux qui la composent. Il est vrai que chaque parrain présente son filleul comme unique et attribue à Charlotte un choix exclusif de toute compétition et de tout partage. Enumérons donc tous ceux dont la candidature au cœur de Charlotte repose sur quelque patronage ; nommons les parrains, exposons les motifs à l'appui et les raisons contraires. Nous arriverons ainsi à un triage préliminaire qui écartera sans rémission de la lice la plus grande partie des prétendants et nous laissera seulement en présence des sujets sérieux. C'est ainsi que nous trouverons peut-être celui — le plus modeste et le plus obscur de tous —, qui ne s'est point vanté d'une conquête à laquelle il n'osait point prétendre, mais dont les aveux indirects et les demi-confidences de deux lettres testamentaires ont trahi les titres à l'affection, sinon à l'amour de mademoiselle de Corday. Car Charlotte aima, il n'y a point lieu d'en douter. Et son acte même le prouve. Il n'est point d'âme de Romaine où il ne soit possible de trouver ce coin de tendresse, ce défaut de la cuirasse stoïque par où la flèche est entrée, par lequel l'héroïne est femme 1. La solitude et son démon, dont parle Michelet, les lectures viriles et profanes, ni Plutarque, ni Corneille, ni Jean-Jacques, ni l'abbé Raynal, n'ont pas seuls inspiré et armé Charlotte. Une personne capable d'une si grande haine contre les tyrans, le dut être aussi d'une grande pitié pour les victimes. A plusieurs fois, à son départ, durant son interrogatoire, Charlotte pleura. Ces larmes attestent que ce grand cœur eut ses tendresses, ses faiblesses peut-être, dans le sens cornélien du mot. L'amazone normande a une devise parlante, qui ne peut tromper. Corde et ore , dit cette devise : de cœur et de bouche . Voyons comment, quand et pour qui la bouche a pu paraître trahir le secret du cœur. La liste des personnages auxquels on a prêté pour Charlotte Corday de tendres sentiments, plus ou moins partagés, comprend : 1° Le comte de Belzunce ; 2° Barbaroux ; 3° M. de Franquelin ; 4° M. Boisjugan de Mingré ; 5° Adam Lux. Nous ne parlons pas, bien entendu, des arbitraires, paradoxales, monstrueuses hypothèses qui ont pu fleurir dans l'imagination des trente-huit auteurs de pièces 1 Une imagination vive, un cœur sensible me promettaient une vie bien orageuse , dit d'elle-même Charlotte Corday dans sa lettre à Barbaroux. ou tableaux dramatiques consacrés à Charlotte Corday, et dont quelques-uns ont donné à Marat ou à Fualdès — qui fut juré au tribunal révolutionnaire et siégea dans le procès de Charlotte Corday, double circonstance étrange et peu connue — le rôle amoureux. Nous allons consacrer une courte étude critique à chacun de ces personnages, et nous commencerons par le premier en date dans la tradition : M. de Belzunce. III Il s'agit du comte Henri de Belzunce, major en second au régiment de Bourbon- Infanterie, massacré à Caen le 12 août 1789, au milieu d'une de ces séditions populaires fréquentes en province qui suivirent le signal du 14 juillet et firent de nombreuses victimes parmi les officiers assez imprudents pour les braver, assez énergiques pour prétendre les réprimer, malgré la complicité de leurs soldats.