Les débuts de la Société anonyme des Huileries du Congo belge (HUILEVER) A.-B. ERGO

Les circonstances qui présidèrent à la constitution de la Société des Huileries du Congo belge méritent d’être rappelées. La baisse qui avait atteint depuis quelques années les caoutchoucs congolais avait porté un coup fatal à cette branche de l’économie, jusqu’alors la plus importante du commerce de la colonie. Il fallait donc trouver de nouvelles activités en accord avec la transformation du régime par la Charte coloniale de 1908 qui préconisait la création d’entreprises déterminées à valoriser les richesses naturelles et à procurer du travail aux indigènes. Le Congo, qui était par excellence le pays de l’huile, n’en exportait que sous forme de produits simples et en trop petites quantités. Une industrie était donc à créer qui offrait des perspectives considérables pour développer la vie économique de grandes régions et pour élever, en conséquence, le niveau social des habitants de ces régions. La Société Limited, qui s’occupait déjà de diverses exploitations en Sierra Leone, dans la Gold Coast et au Liberia, avait entamé des pourparlers avec le Gouvernement Colonial belge au sujet de l’exploitation des produits du palmier à huile au Congo. Ces conversations aboutirent à une convention conclue entre les deux parties le 21 février 1911 et reprise dans le rapport adopté le premier avril 1911 par le Conseil Colonial qui expose en outre, les clauses qu’elle comporte et la discussion qu’elle suscita. Il est à remarquer que cette convention accorde à la société Lever, dans des conditions précises, une concession de terres domaniales dont la superficie excède la limite fixée par l’article 15 de la Charte Coloniale. 1/ Les terres domaniales sont données à bail et deviendront propriété de la société, après un délai prévu et des conditions déterminées. Elles seront choisies par la société, endéans les 10 ans, dans les terres domaniales portant des palmiers Elaeis et situées dans cinq régions constituées en cercles ayant un rayon de 60 Km (11.310 Km²) au plus et ayant respectivement pour centres : BUMBA et BARUMBU (sur le fleuve Congo), LUSANGA (sur le Kwilu), BASONGO (sur le Kasai) et un point situé à 40 Km au Sud et sur le méridien d’INGENDE (sur la Ruki).

- Dans chaque région, elle devra créer dans les 6 ans : une huilerie traitant au moins 6.000 tonnes de fruits frais par an, mais d’une capacité suffisante pour traiter tous les fruits frais des palmiers récoltés dans les terrains choisis ; - Dans chaque cercle, la société pourra choisir, jusqu’à concurrence globale de 75.000 ha, des terres libres portant des palmiers Elaeis : - Si la société, dans une des régions, n’a pas créé d’huilerie dans les 6 ans, elle perdra tous droits pour cette région ; mais, si après 10 années, elle est équipée pour traiter 15.000 tonnes de fruits frais, elle pourra porter son choix pour la région en question, sur 200.000 ha plutôt que sur 75.000. Toutefois, l’ensemble des terres prises à bail, ne pourra pas dépasser 750.000 ha. Chaque lot retenu aura au moins 250 ha, et devra être borné dans les 10 ans. En attendant d’avoir fait son choix, la société pourra s’établir sur des terrains non grevés de droits de tiers ; - La société paiera un loyer de 0,25 Fr par ha à partir du 1er janvier après le choix de chaque bloc, mais aura l’obligation d’exporter annuellement des régions où elle exerce son droit de bail, une quantité d’une tonne d’huile ou équivalent par 50 ha tenus à bail ; - Au 1er janvier 1945, la société sera déclarée propriétaire des terrains qu’elle aura choisis parmi les lots tenus à bail, sans pouvoir dépasser en propriété 40.000 ha pour chacune des régions, ni une superficie globale de 150.000 ha. Elle aura cependant la faculté d’acquérir à ce moment et aux mêmes conditions parmi les lots, d’autres terrains à raison de 4 ha par tonne exportée de ces régions, via un port de la colonie, au cours des 5 années précédentes. La société paiera une rente annuelle et perpétuelle de 0,25 Fr par hectare pris en propriété. - Si elle désire vendre ou louer des terres devenues sa propriété, elle ne pourra le faire qu’avec l’autorisation du Gouvernement qui touchera la moitié du prix de vente ou de location. Dans ce cas, la rente de 0,25 Fr. tombe. - Tous les droits précédents ne sont accordés que sous réserve expresse des droits de tiers indigènes ou non.

2/ En compensation de ces avantages, la société assumera des obligations dont les buts sont de protéger les droits des indigènes, d’améliorer leurs conditions de vie et d’assurer les droits de la Belgique. En résumé :

- La société sera constituée selon le droit belge, son capital ne sera jamais inférieur à 25.000.000 Fr. et son principal objet sera la fabrication d’huile végétale ; - La société paiera aux ouvriers à son service un salaire dont le minimum est fixé (par l’autorité du district) ; - La société améliorera les conditions de vie des populations proches de ses usines en organisant un service médical, un lazaret, des écoles, dans chacune des régions où elle installe ses établissements ; (NB en fait Huilever créera un hôpital dans chaque région) - La société achètera en Belgique 1/3 du matériel employé autre que celui fabriqué à ou selon des brevets ou secrets appartenant à des agents de la société Lever ; - La société achètera en Belgique au moins la ½ des marchandises qu’elle importera dans la colonie ; - La moitié du personnel blanc de la société sera de nationalité belge (y compris médecins et instituteurs) ; - Les bateaux de la société navigueront sous pavillon belge et auront leur port d’attache en Belgique.

3/ Le droit de résiliation appartient à la société moyennant un an de préavis et en abandonnant le terrain résilié et les constructions qu’elle y a édifiées ; elle appartient à la colonie si, après un an et avertissement, la compagnie omet de remplir ses obligations. La colonie peut racheter à partir de 1951 et suivant expertise des valeurs, les droits conférés à la société. Les terres non utilisées peuvent être reprises par l’état ou rendues par la société ; ces terres sont dégrevées de rente.

Voilà, en résumé, les conventions passées entre l’état et Lever Brothers.

Quatre critiques essentielles sont soulevées par certains conseillers :

- Inutilité de la Convention puisque le jeu des échanges s’est développé naturellement au Bas Congo. (Réponse : actuellement, le Haut-Congo produit un peu d’huile pour sa consommation mais n’en exporte pas. Il faut saisir l’occasion) - L’étendue des concessions est trop considérable. (Réponse : 75.000 ha en cueillette sont proportionnels à une production de 6.000 tonnes. D’autre part les installations sont coûteuses et les transports des régimes exigent l’établissement de routes et la création d’une flottille) - On crée un monopole au profit d’une société. (Réponse : c’est au titre de locataire que la société obtient un droit exclusif sur les fruits de l’Elaeis dans les terres qu’elle occupera. La location n’est pas un monopole) - La valeur de la rente est trop rigide et devrait varier avec la valeur des terres. (Réponse : Cette valeur dépendra précisément du travail et de l’initiative de la société. Le droit de propriété est limité et grevé d’une rente perpétuelle. La société doit mettre la terre en valeur et n’obtient la propriété qu’après avoir rempli des conditions particulières. Historique et développement du rôle de pionniers de l’élaéiculture des Huileries du Congo Belge (HCB).

En août 1911, S. Edkins, nommé agent général en Afrique, accompagne le premier convoi de matériel et ouvre successivement les centres de Leverville (sur le Kwilu), Alberta (près d’Ebonda sur la rive doite du Congo) et Elisabetha en face de Basoko (sur la rive gauche du Congo). Les difficultés à vaincre sont énormes car le fruit du palmier n’a jamais été exploité qu’à la côte occidentale de l’Afrique et seulement par des méthodes indigènes. Tout était à découvrir au point de vue des ressources du pays en palmiers, de la technologie d’une nouvelle industrie, de l’adaptabilité des indigènes aux méthodes européennes, de la navigabilité de petites rivières non encore reconnues. D’autre part, dans la concession de Lusanga (Kwilu), 75% de la population souffrait de la maladie du sommeil et de nombreux villages étaient décimés. Le fait de rassembler quelques centaines d’autochtones et de les amener à conduire un travail régulier semblait une tâche surhumaine dans ces conditions. L’initiative de la société dans l’exploitation des palmeraies subspontanées de l’intérieur du Congo fut considérée par de nombreux coloniaux comme étant vouée à l’insuccès, mais graduellement elle attira l’attention sur cette nouvelle source de richesses. La société encouragea d’abord l’achat de l’huile et des palmistes indigènes, ensuite l’installation d’autres huileries puis finalement la création de plantations de palmiers sélectionnés. Cette évolution fut facilitée par l’intervention active de la société dans le développement de l’industrie nouvelle et par la fourniture des usines de son modèle à la plupart des autres producteurs, dont l’huile sera exportée en vrac par les installations des HCB. En 1936, en plus de ses 20 usines, la société a déjà fourni 14 usines à d’autres producteurs et elle en a 3 en commande. Les progrès accomplis dans la colonie sont le mieux démontrés par l’évolution des exportations du Congo belge : Année Huile de palme Noix palmiste 1912 1.989 tonnes 5.895 tonnes 1915 3.408 11.024 1920 7.624 39.457 1925 17.046 49.571 1930 36.289 66.356 1935 56.788 64.995 1937 66.600 95.600 L’usinage mis en place donne un rendement de 90% en huile alors que l’extraction indigène ne donne un rendement que de 40 à 50 %. Il en résulte que 85 % des exportations de l’époque proviennent des usines mises en place alors que les exportations de palmistes des fruits usinés ne représentent que 30 % des exportations totales de palmistes. À partir de 1930, la baisse sensible des rendements des palmeraies subspontanées a forcé l’administration et les producteurs à étudier tous les moyens possibles de réduire les prix de revient et à conclure que la création de palmeraies de palmiers sélectionnés constituait le meilleur système pour concurrencer la production de Sumatra et des États Malais. D’un autre côté, la distance à la mer des palmeraies du Congo belge était un sérieux handicap même si le bon marché de la main d’œuvre mitigeait ce désavantage. Il fallut mettre en place une politique de transport à bon marché tant pour l’exportation des produits que pour l’importation des engrais chimiques destinés à corriger les déficiences du sol. La société absorbera, par voie de fusion, les Compagnies réunies des Raffineries du Congo belge, les Savonneries Lever Frères et les Établissement Vitta et Cie, sociétés anonymes à Bruxelles et elle modifie sa dénomination pour s’appeler « HUILEVER ». Le capital primitif qui était de 30.000.000 Fr a été augmenté successivement par la création de nouvelles actions de capital de 1.000 Fr. - Le 5/4/1923, ce capital est porté à 50.000.000 Fr et la société anglaise Lever Brothers Ltd prend à sa charge les 20.000 nouvelles actions ; - Le 16/4/1926 le capital est porté à 100.000.000 Fr. les 50.000 nouvelles actions étant souscrites par The Niger Cy Ltd de Londres ; - Le 28/06/1929, le capital est porté à 160.000.000 Fr., par incorporation au capital d’une partie des bénéfices réalisés au cours d’exercices antérieurs et non distribués ; les 60.000 nouvelles actions sont distribuées gratuitement aux détenteurs des 100.000 actions à raison de 3 nouvelles par 5 anciennes ; - Le 21/12/1929, les 160.000 actions de capital sont transformées en 160.000 parts nominales sans désignation de valeur et le capital est augmenté de 40.000.000 FR, c’est-à-dire à 200.000.000 Fr , sans création d’actions nouvelles et par incorporation dans le capital de la plus value résultant de la réévaluation des terrains urbains appartenant à la société, principalement à Léopoldville ; - Le 16/12/1931, le capital est porté à 350.000.000 Fr par création de 115.000 parts nouvelles sans désignation de valeur qui sont attribuées, entièrement libérées, aux trois sociétés absorbées à cette date ; le surplus de l’augmentation a été réalisé, sans création de parts, par prélèvement sur le compte « réserve spéciale ». - Depuis la fusion, la société comprend trois divisions :  - La division de Forest : Savonneries Lever Frères,  - La division de Baasrode : Raffinerie du Congo belge,  - La division d’Afrique : les Huileries du Congo belge (HCB) qui nous intéressent. La production des oléagineux et le travail dans les usines des HCB ont été en augmentation presque régulière mais les résultats financiers de l’exploitation ont passé par des phases diverses dépendant, en ordre principal, du prix des oléagineux sur les marchés mondiaux. Dans toutes ses concessions, la société a collaboré étroitement avec les administrations locales pour l’établissement de plantations appartenant aux indigènes, en fournissant gratuitement des jeunes plants sélectionnés produits dans ses pépinières. En 1936, dans les concessions qui lui ont été accordées par la Convention, les usines sont les suivantes : - 12 usines dans le cercle de Lusanga (Leverville, Tango, Kwenga, Pindi, Kunga, Kisia, Kibinga, Kiyaka, Kikongo, Wonango, Putumba et Muebe) - 1 usine dans le cercle de Basongo (Brabanta) - 1 usine dans le cercle de Ingende (Flandria) - 3 usines dans le cercle de Bumba (Alberta, Yanbinga et Mombesa) - 3 usines dans le cercle de Barumbu (Elisabetha, Mosité, Bomaneta) 95 kilomètres de chemin de fer à voie étroite et des centaines de kilomètres de routes ont été établis pour l’évacuation des produits vers les usines, parfois aussi alimentées par voies d’eau. La Direction générale est établie à où elle a des installations importantes avec usine pour le raffinage de l’huile, des magasins, des entrepôts, des ateliers divers et un chantier naval avec docks flottants. La société possède d’ailleurs sa propre flotte soit plus de 130 unités de dimensions très diverses. En 1925, le tonnage transporté à la montée est de 8.766 tonnes et à la descente de 49.123 tonnes. Sur le chemin de fer du Congo la société transporte l’huile en vrac et possède à cet effet une station de pompage et d’emmagasinage à Matadi et de nombreux wagons citerne de 20 tonnes sur la ligne. En 1935, les frais encourus par le service médical se montent à 1.595.000 Fr et pour les écoles à 416.000 Fr. correspondant à une moyenne de 86.4 Fr par tonne d’huile produite. Au 1/12/1935, les achats totaux de matériels et de marchandises effectués en Belgique dépassaient de 29.214.244 Fr la proportion imposée par la Convention les achats de 1935 intervenant dans ce chiffre pour 968.934 Fr. Au 31/12/1935, 60% du personnel était de nationalité belge.

Chemin de fer en plantation d’Alberta

Bateau de la flotte des HCB

Usine de Mombesa

Usine de Lusanga

Bureau central de Léopoldville

Installations au port de Léopodville

Maison du directeur

Station de Leverville. Scierie mécanique à Kikwit.

Stockage des huiles en vrac à Matadi

Dock flottant au port de Léopoldville

Dock flottant en activité

Camionnette pour transport des régimes

Train en manœuvre dans l’usine d’Alberta

Alberta. Convoi sur la ligne du chemin de fer HCB

Hôpital de Leverville (concession de Lusanga)

Hôpital de Leverville. Section pour Expatriés

Leverville. Camp pour travailleurs

Camp modèle des HCB

Pavillon de l’hôpital d’Elisabetha

Alberta. Diplômés de l’école de Yaeseke

Usine de Leverville

Toutes ces photographies sont antérieures à 1930. Les HCB existent depuis moins de 20 ans.