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Séquences La revue de cinéma

Vues d’ensemble

Le cinéma québécois des années 90 Number 215, September–October 2001

URI: https://id.erudit.org/iderudit/48679ac

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Publisher(s) La revue Séquences Inc.

ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital)

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Cite this note (2001). Vues d’ensemble. Séquences, (215), 51–60.

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D'une rare beauté, À la verticale de l'été, objet insolite s'il en est un dans le paysage cinématographique estival, marque le retour tant attendu de Trân Anh Hùng après Cyclo/Xich lo (1995) et L'Odeur de la papaye verte/Mui du du xanh (1993). Véritable esthète du cinéma, le réalisateur français d'origine vietnamienne confirme, avec ce troisième long métrage, son éton­ nant sens du cadre et du rythme. S'appuyant sur une trame narrative d'une grande simplicité (certes tantôt peu convaincante, tantôt trop elliptique), Trân Anh Hùng renoue avec le délicat lyrisme de sa première œuvre pour capter la douce A la verticale de l'été immobilité propre aux siestes de son gnifiques où le jaune des murs, le vert de la enfance et communiquer au spectateur la nature luxuriante, le bleu de l'eau, le blanc lancinante sensualité dont est empreint de la peau des femmes se répondent, sem­ l'été vietnamien. Entre les préparations du blent colorer le temps et révéler les états repas anniversaire de la mort de leur mère d'âme comme les multiples pièces musi­ et, un mois plus tard, celles d'un dîner à la cales, que se dessine peu à peu la fragilité mémoire de leur père, trois sœurs et les du bonheur, de l'harmonie. hommes qui gravitent autour d'elles : trois Toutefois, l'accumulation d'ellipses visions idéalisées du bonheur, de l'amour, narratives qui désoriente le spectateur et du couple, trois secrets, quelques cette succession de tableaux tous plus soupçons, déceptions, tentations et magnifiques les uns que les autres, mais trahisons qui affleurent et, imperceptible­ quasi statiques, en lasseront plusieurs, mal­ ment, rongent la sérénité de façade. Puis heureusement rompus au rythme étour­ toujours cette ville, omniprésente, idéa­ dissant et aux intrigues alambiquées de lisée : Hanoi, et cette impression du temps trop nombreuses productions. qui s'étire, indéfiniment. Dominique Pellerin Une formidable émotion et un indes­ criptible monde de sensations, surtout, France/Allemagne/Vietnam 2000, 112 minutes - Réal. : Trân All access: Front Row. Backstage Live! exsudent de la dernière œuvre du cinéaste. Anh Hùng - Scén. : Trân Anh Hùng - Int. : Trân Nu Yen Khê, Attentif aux gestes quotidiens, celui-ci Nguyén Nhu Qhynh, Lé Khanh, Ngô Quang Hâi, Chu Hùng, mises en scène de bout en bout et entre­ peaufine sa mise en scène avec un tel Trân Manh Cuông - Dist. : TVA International. coupées d'entrevues sans intérêt. Pendant doigté qu'il donne l'impression d'immo­ que ce star system sympathise avec lui- biliser le temps, de rendre palpable l'im­ ALL ACCESS: FRONT ROW. même, le cirque IMAX continue sur sa matériel. La caméra s'attarde aux moin­ BACKSTAGE LIVE! lancée : grand écran et son tonitruant ca­ dres vacillements des regards féminins, aux mouflent un contenu résolument insipide. volutes des plats fumants, à l'eau qui Ils sont populaires, riches et n'ont pas de Pour gonfler l'ennui, on a tellement tombe à verse, frémit, ruisselle ou bouil­ boutons. Ils n'ont rien à dire, mais ils par­ découpé au montage les séquences d'inter­ lonne... Elle enregistre, en creux, tout ce lent quand même. Sting, Sheryl Crow, views (mettant en scène l'artiste techno qui semble appartenir au domaine de l'in­ Carlos Santana et quelques autres sont les MOBY, qui était le seul à avoir quelque visible et de l'indicible. Ce n'est alors qu'au protagonistes de All access: Front Row. chose à dire) que sa présence devient hasard de gros plans somptueux, de longs Backstage Live!, le nouveau vidéoclip inutile. Insignifiant. plans-séquences quasi silencieux mais IMAX. En assistant, à partir de l'arrière- Sandro Forte combien évocateurs, d'éclairages subtils, scène, aux tests de son précédant les spec­ de jeux d'ombres et de transparences raf­ tacles des gros noms de la pop actuelle, finés, de scènes quotidiennes itératives, Etats-Unis 2001, 64 minutes - Réal. : Martyn Atkins - Avec : nous pénétrons une intimité préfabriquée. Sting, Sheryl Crow, Carlos Santana, B.B. King, Macy Grey - ainsi que de décors et de costumes ma- Les situations intimes sont, évidemment, Dist. : IMAX Corporation.

SÉQUENCES 215 septembre/octobre 2001 derrière les récents dessins animés du stu­ dio Disney (Beauty and the Beast et The Hunchback of Notre Dame) est de retour avec Atlantis: The Lost Empire. C'est sans aucun doute le projet le plus ambitieux au niveau technique pour Disney : effets spé­ ciaux numériques intégrés avec de l'ani­ mation traditionnelle de dessin 2D et, surtout, choix du cinémascope pour mieux exploiter l'extraordinaire pro­ fondeur de champ lors des nombreux plans d'ensemble. Techniquement, le film impressionne autant au plan visuel (l'animation est de haut niveau) qu'au plan sonore (une utili­ déçoivent rapidement. Le récit se fonde sur sation dynamique et impressionnante du une fête que donne un couple nouvelle­ son Surround), et l'action est rondement ment réconcilié pour leur anniversaire de menée. Ceci étant dit, le scénario, simpliste, mariage. L'amorce laisse à espérer un film aurait eu avantage à être plus étoffé, d'au­ léger, survolant la contingence, mais bien tant plus qu'il y avait réellement matière à vite se déploient quantité de petits drames réflexion et originalité dans un sujet aussi intimes, puériles et stériles. En effet, cette fascinant que le mystère entourant la dis­ fête devient l'occasion propice pour tout ce parition de l'Adantide et une civilisation beau monde invité de prendre de l'ecstasy. perdue depuis quelque 2 400 ans). On nous De là ils peuvent joyeusement sauter sur le ressert malheureusement le même discours gazon, se rouler sur le plancher et se faire sur le respect de la culture et des autres THE ANNIVERSARY PARTY de jolies petites couettes. Bien sûr, on origines ethniques, sur l'importance de n'évite pas les effets de caméra qui tentent préserver cette civilisation inconnue face au Il existe un genre cinématographique de communiquer l'intoxication ambiante. pouvoir, à l'argent et à l'armée. américain qu'on ne mentionne guère et Mouvements diagonaux, tournoyants, À l'exception du personnage de Vinny qui pourtant est présent dans ce cinéma enfin toutes ces redites qu'on espérait ne Santorini, l'expert en démolition qui est depuis ses tous débuts, genre que l'on plus jamais voir. Quand la lucidité dis­ vraiment hilarant, les autres personnages, pourrait désigner par le terme d'autoparo- paraît, les nombreuses crises éclatent, per­ souvent colorés et fort comiques dans ce die. The Anniversary Party s'inscrit dans mettant à tous les acteurs ou presque de genre de film, sont ici peu développés et cette catégorie. Le film se veut en fait une crier, de pleurer, de sangloter et de gémir. stéréotypés (notamment celui de Helga boutade aux complications matérielles Reprenant donc le principal motif holly­ Sinclair qui est une réplique féminine du qu'occasionne un tournage. Cet affront, woodien, soit l'émotion en son approche la commandant Rourke et le personnage de bien léger et parfaitement inoffensif dans plus biologique et presque virale, et le Gaétan Molière, alias « Mole », un géologue la mesure où il est déjà institutionnel, s'ex­ développant, The Anniversary Party français qui, évidemment, souffre d'un prime surtout par la distribution étroite plutôt que de déranger, confirme le fonde­ énorme problème d'hygiène et qui dort lit­ des tâches et le choix d'une caméra légère ment et la valeur de l'industrie. téralement dans de la boue). De plus, le et numérique, et la typographie « dactylo­ Julie Tremblay héros du film, Milo, ressemble étrangement graphique » du générique confirme l'air au personnage de Tintin de Hergé. indépendant qu'il se donne. Film d'acteurs Pascal Grenier États-Unis 2001, 115 minutes - Réal. : Jennifer Jason Leigh, avant tout — des photos des deux person­ Alan Cumming - Scén. : Jennifer Jason Leigh, Alan Cumming nages principaux couvrent les murs de leur — Int. : Jennifer Jason Leigh, Alan Cumming, Jane Adams, ^•1 Atlantis : L'empire perdu Kevin Kline, Gwyneth Paltrow, Phoebe Cates - Dist. : Alliance États-Unis 2001, 90 minutes - Réal. : Gary Trousdale, Kirk maison, les plans grossissent les visages des Atlantis Vivafilm. Wise - Scén. : Tab Murphy — Voix : Michael J. Fox, James nombreuses vedettes qui ont accepté de se Garner, Don Novello, Phil Morris, Claudia Christian, Corey Burton, Leonard Nimoy, Jim Varney - Dist. : Buena Vista prêter au jeu —, il démontre surtout le ca­ Distribution. ractère inexpérimenté et juvénile de ses ATLANTIS: THE LOST EMPIRE créateurs. Incapables de se débarrasser de la péripétie dramatique qui devrait mettre Le trio (Gary Trousdale et Kirk Wise à la leurs talents en valeur, Leigh et Cumming réalisation et Don Hahn à la production)

SÉQUENCES 215 septembre/'octobre 2001 LES FIL

^H Odishon AUDITION Japon 1999, 115 minutes - Réal. : Takashi Miike - Scén. : mis à la porte de la résidence maternelle Daisuke Tengan, Ryu Murakami, d'après le roman de ce pour aller se faire tuer dans la rue. Audition est un thriller psychologique dernier - Int. : Ryo Ishibashi, Eihi Shiina, Tetsu Sawaki, Jun L'autoréférence implicite au premier volet Kunimura, Renji Ishibashi - Dist. : Blackwatch Releasing. d'une efficacité redoutable, qui atteint son de la trilogie paraît alors d'autant plus évi­ paroxysme lors de la dernière demi-heure, dente que la mise en scène de la séquence fort éprouvante, véritable crescendo BABY BOY finale de Baby Boy correspond presque cauchemardesque qui est l'équivalent parfaitement au dénouement tragique de cinématographique d'une descente aux Le cinéaste afro-américain John Singleton Boyz N the Hood, à la nuance près que le enfers. Dans Audition, on ne sait plus sur remet ça. L'auteur du puissant Higher héros s'en sort et peut avancer vers la fin quel pied danser tellement on est pris au Learning couronne, avec son plus récent heureuse et la rédemption. dépourvu par la manière dont le cinéaste opus intitulé Baby Boy, une trilogie L'ensemble n'offre toutefois aucune s'amuse à déjouer littéralement les attentes urbaine sur le quartier South Central de nouveauté technique, le récit étant raconté du spectateur. Contrairement aux thrillers Los Angeles, ghetto noir déjà exploré en de manière plus que classique. En fait, la psychologiques hollywoodiens des der­ 1991 avec le percutant Boyz N the Hood principale force du film réside dans l'inter­ nières années, où le spectateur est averti ainsi qu'en 1993 avec Poetic Justice. prétation des acteurs principaux, desquels d'emblée que cette femme peut en cacher Singleton présente donc l'histoire de Jod, transpire toute l'émotivité dégagée par le une autre (Single White Female, The un jeune homme de 20 ans aux prises avec propos. Il n'en demeure pas moins une Hand That Rocks the Cradle, Misery, le syndrome de l'enfant qui refuse de proposition intéressante sur le statut de etc.), Audition déstabilise en jouant avec devenir adulte, symptôme si fortement l'homme noir en Amérique et un disposi­ les peurs intrinsèques du personnage prin­ répandu chez les mâles afro-américains tif de mise en scène bien huilé qui culmine cipal auquel le spectateur est identifié. qu'il fait désormais l'objet d'une théorisa- au bon moment pour habilement déjouer Dès la première partie du film, le tion psychanalytique qui représente la le spectateur, faisant alors de Baby Boy le rythme est volontairement lent et l'action pierre d'assise du film. Père de deux pendant positif, lumineux et salvateur de progresse à pas de tortue, mais l'intérêt enfants en bas âge, nés de deux mères dif­ Boyz N the Hood. demeure constant, car de nouveaux élé­ férentes, Jodi voit son univers bouleversé Alexandre Laforest ments scabreux, de plus en plus par l'apparition d'un nouvel amant dans la dérangeants et déroutants, se glissent à vie de sa mère, chez qui il vit toujours. Au Etats-Unis 2001, 129 minutes - Réal. : John Singleton - l'ensemble. De plus, Miike se permet détour d'une des nombreuses confronta­ Scén. : John Singleton - Int. : Tyrese Gibson, Omar Gooding, quelques écarts de conduite narrative qui tions entre les deux figures de virilité, on AJ. Johnson, Taraji P. Henson, Snoop Dogg, Tamara LaSeon viennent accentuer le malaise du spectateur. apprend que l'aîné de la famille a jadis été Bass, Ving Rhames - Dist. : Columbia Pictures. La dernière scène, quasi insoutenable et fort Audition éprouvante, même pour les amateurs de films sanglants et ultra-violents, provoque littéralement le frisson, car rarement la souffrance et la torture physique n'ont été aussi explicitement montrées, de façon aussi cruelle et réelle. Du même coup, le spectateur n'a d'autre choix que de la subir, au même titre que le protagoniste du film. La technique est fort louable avec une direc­ tion photo calculée et maîtrisée d'Hideo Yamamoto (Fireworks/Hana-bi), et le scé­ nario pervers est attribuable à nul autre qu'au fils du grand Shohei Imamura, Daisuke Tengan. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'Audition est un film fort dérangeant et que Takashi Miike est un cinéaste brillant et malicieux. Sa façon de jouer avec les nerfs du spectateur et sa manipulation filmique sont remarquables, bien que foncièrement tordues et un brin provocatrices. Pascal Grenier

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BREAD AND TULIPS plombier qui se fait engager comme détec­ ^H Pane e Tulipani Italie 2000, 105 minutes - Réal. : Silvio Soldani - Scén. : tive privé par le mari parce qu'il a inscrit Dorina Leondeff, Silvio Soldani - Int. : Licia Maglietta, Bruno Sur un ton de comédie de mœurs, Bread comme passe-temps dans son CV la lec­ Ganz, Marine Massironi, Giuseppe Battiston, Felice Andreasi, and Tulips relate l'histoire de Rosalba, ture de romans policiers) et des person­ Antonio Catania, Tiziano Cucchiarelli, Matte Febo - Dist. : Christal Films. mère de deux adolescents majeurs et nages construits avec nuance et patience, le épouse fidèle d'un vendeur de robinetterie, film est de ceux qui nous touchent sans qui vit une crise de maturité. trop savoir pourquoi. Sans doute parce que BRIDE OF THE WIND Le film commence, non sans une cer­ les psychologies ne sont pas débordantes, taine ironie, par un voyage organisé : sur parce que le réalisateur et les acteurs ont su Dans son livre The Obstacle Race, un fond de ruines antiques, preuve incon­ trouver le ton approprié pour cette histoire Germaine Gréer décrit les difficultés qu'ont testable pour le guide de la grandeur de de deux âmes désabusées. eues de tout temps les femmes artistes à l'âme romaine, Rosalba et sa famille vivent L'intérêt premier de Bread and produire et à faire entendre leur différence. leurs petites tracasseries quotidiennes. De Tulips, outre celui de dresser le portrait de Quelques films, comme Camille Claudel, retour dans l'autobus pour la poursuite de la petite bourgeoisie italienne actuelle, c'est de Bruno Nuytten, ou Artemisia, d'Agnès leur voyage, leur escorte tente de leur ven­ sans doute le personnage de Rosalba, en ce Merlet, ont illustré la vie tourmentée de ces dre des casseroles. De là à perdre l'autobus, qu'il est féminin, et les relations qu'elle femmes. Bride of the Wind, qui porte sur il n'y a qu'un pas, un pas que Rosalba fran­ entretient avec son milieu. Nous sommes la musicienne Aima Schindler, participe de chit par mégarde, un pas qui l'amène loin des gestes grandiloquents, du tragique ce mouvement, mais comporte plusieurs jusqu'à Venise, jusqu'à l'amour, jusqu'au au quotidien, nous sommes plutôt devant faiblesses. Le scénario est mal construit : renouvellement de sa propre vie. une femme qui vit sa petite vie, vis-à-vis de l'on passe la moitié dp film sur la relation Les principales caractéristiques de son mari, de ses enfants, de ses amis et de entre Aima Schindler et Gustav et Bread and Tulips sont essentiellement ses amants. l'autre moitié sert à évoquer le reste de sa contenues dans ces quelques lignes. Avec Alexis Ducouré vie. Aima se voulait compositrice et ce n'est de petites trouvailles scénaristiques (le pourtant qu'à la fin du film qu'on entend une de ses pièces. Le directeur musical du Bread and Tulips film, Stephen Endelman, aurait pu insérer quelques autres de ses œuvres pour mieux nous faire partager son talent. Dans Varian's War, Lynn Redgrave interprète avec fougue la même Gropius Werfel dont le scénariste et réalisateur Lionel Chetwynd a fait un véritable person­ nage, et l'on se prend à rêver de ce qu'un film de cette trempe aurait pu donner sur cette femme intéressante mais interprétée de façon distante par . Seul Jonathan Pryce, dans le rôle de Mahler, réussit à construire un être plausible. Mais pouvait-on s'attendre à mieux d'Evzen Kolar qui avait produit avant des œuvres de si peu d'importance que Surf Ninjas, Delta of Venus ou City of Industry ? Le réalisa­ teur , avec par exemple Breaker Morant et Black Robe, nous avait naguère servi mieux que ce film bio­ graphique aux accents historico-mélodra- matiques.

Luc Chaput

Allemagne/Grande-Bretagne 2001, 99 minutes - Réal. : Bruce Beresford - Scén. : Marilyn Levy - Int. : Sarah Wynter, Jonathan Pryce, Vincent Perez, Simon Verhoeven, Gregor Seberg, August Schmolzer - Dist. : Les Films Equinox.

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CALLE 54 GIVE ME YOUR SOUL Canada 2000, 81 minutes - Réal. : Paul Cowan - Seen. : Paul Cowan - Narr. : Luke Kirby - Avec : William Margold, Luke Le premier réflexe est, bien évidemment, En Amérique du Nord, environ 8 000 Ford, Katie June Moon, Kimberly Jade, Larry Flynt, Marilyn celui de comparer Galle 54 avec Buena films pornographiques sont produits Cambers — Dist. : Office national du film du Canada. Vista Social Club (1999), de Wim chaque année. Délaissant le côté under­ Wenders. Cette comparaison fait ressortir, ground pour se lancer dans le main­ non sans une certaine ironie, la fascination stream, ce cinéma est maintenant à la qu'ont pu éprouver les cinéastes pour leur portée de tous. Mais que se cache derrière sujet. Le film de Wenders (le nordique) toutes ces histoires qui sont prétextes aux s'attache autant au fait social qu'à la ébats sexuels les plus débridés ? Quelles musique, nous montrant le milieu et le sont les véritables vedettes de cette indus­ mode de vie des musiciens. Le film de trie ? Ceux dont le corps enflammé et la Trueba (le latin) ne se penche que sur le plus stricte intimité alimentent, de film fait musical. Film de musique, un point en film, les mille et un fantasmes mas­ c'est tout. culins ou ceux qui les produisent ? Cela désarçonne un peu car, du côté Titre on ne peut plus évocateur, Give strictement cinématographique, on assiste Me Your Soul se penche sur un à une œuvre plutôt dénudée : décors et phénomène social qui a délaissé les salles éclairages de studio, caméra mobile mais obscures pour s'infiltrer dans les foyers, sans fioritures, montage strictement effi­ même dans ceux qui semblent en cace, etc. Qu'à cela ne tienne, les interpré­ apparence les plus pudibonds. Ce qu'on tations sont mémorables, voire historiques ressent à la vue du documentaire de Paul dans certains cas (duos de Bebo Valdés et Cowan, c'est que toute l'espèce humaine d'Israël Lôpez « Cachao », ainsi que de est plus ou moins contrôlée par l'instinct Bebo et de Chucho Valdés — père et fils — sexuel, une préoccupation régulière qui au piano). régimente sa vie jusqu'à lui faire perdre Structuré autour de 12 pièces jouées souvent la dignité. Le film s'intéresse à dans leur intégralité par un musicien ou quatre personnages : Bill Margold, ancienne un ensemble de musiciens renommé, Calle star masculine de la porno, devenu pro­ 54 nous offre d'abord et avant tout un sur­ moteur de nouveaux talents; Luke Ford, vol du latin jazz tel qu'il se joue aujour­ journaliste de l'industrie du sexe conver­ d'hui. Présentant d'abord les musiciens ti au judaïsme et, depuis ce temps, divisé plus jeunes, le film nous fait reculer dans le entre son devoir professionnel et ses nou­ temps jusqu'aux racines afro-cubaines de velles allégeances religieuses; Katie June, cette musique. Entre ces pièces, de courts 18 ans, qui débute dans l'industrie armée commentaires (parfois en voix off de d'un enthousiasme et d'une volonté à Trueba lui-même, parfois des musiciens) couper le souffle et Kimberly Jade, une laissent entrevoir un contexte, sans plus. strip-teaseuse qui a dû se recycler dans le L'objectif, cela devient de plus en plus évi­ film pornographique. dent à mesure que le film progresse, c'est Mais ce qu'on retient surtout de de nous faire partager l'émerveillement du leurs propos, c'est que toutes ces pérégri­ réalisateur devant ces musiciens dont la nations dans l'univers du sexe se termi­ virtuosité ne fait pas de doute. nent le plus souvent en drames humains Un film à voir et à revoir pour la véri­ et que le seul but de l'industrie est de table jouissance musicale qu'il provoque. réaliser les fantasmes les plus délurés de Alexis Ducouré la psyché masculine. Reste un document incisif qui, de temps en temps, se prend tellement au sérieux qu'il ne s'aperçoit Espagne/France/ltalie 2000, 105 minutes - Réal. : Fernando pas qu'il utilise les mêmes éléments de Trueba - Scén. : Fernando Trueba - Avec : Paquito D'Rivera, Eliane Elias, Chano Dominguez, Jerry Gonzalez, Michel séduction que les films produits par l'in­ Camilo, Gato Barbieri, Tito Puente, Chucho Valdés, Chieo dustrie qu'il prétend mettre en cause. O'Farrill, Israel Lôpez « Cachao », Orlando • Puntilla • Rios, Carlos • Patato «Valdés, Bebo Valdés - Dist. : Alliance Atlantis Élie Castiel Vivafilm. Give Me Your Soul

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LARA CROFT: TOMB RAIDER bouche légèrement entrouverte et lèvre LUMUMBA inférieure pendante). Angelina Jolie incarne la pulpeuse Lara Entourée d'eunuques caricaturaux, Un feu dans la savane, une odeur qu'on Croft dans cette adaptation du populaire c'est à une Lara Croft plus désincarnée que soupçonne effroyable, car l'on voit ce que jeu vidéo Tomb Raider. Le réalisateur l'originale que revient le devoir de sauver deux hommes blancs font, c'est ainsi que Simon West a tout particulièrement tra­ l'univers et, parallèlement, de résoudre son commence Lumumba. En débutant par vaillé la composition du personnage dans complexe d'Œdipe vieillissant. S'exprimant une narration d'outre-tombe, le réalisateur son passage au grand écran : « / took the par la bouche de ses canons (je parle de ses Raoul Peck et son coscénariste Pascal idea of a female action heroine as a serious deux fusils turgescents qui reposent en per­ Bonitzer placent le spectateur en plein idea and not as a cartoon or campy idea. ». manence dans les étuis-jarretière ornant ses drame, et tout le reste du film ne servira Le défi était donc de taille pour l'actrice cuisses), la jeune archéologue mélomane, qu'à faire comprendre pourquoi et com­ qui s'acquitte à merveille de son rôle en parfaite dans son inhumanité, ne parvient ment on en est arrivé là. Peck montre ainsi offrant un support mobile et versatile à sa toutefois pas à donner le cachet qu'il aurait les contradictions de Patrice Lumumba, ce poitrine et en affichant une vaste gamme fallu au film pour en faire un blockbuster leader volontariste qui fut dépassé par les d'émotions à l'aide d'un faciès frondeur et intéressant (comme l'a déjà été The événements qu'il tentait de dominer, son digne (tête légèrement inclinée vers l'a­ Matrix). Lara Croft: Tomb Raider n'en travail saboté par l'action de la Belgique, vant, yeux révulsés vers l'arcade sourcilière, passe pas moins à l'histoire en obtenant les des États-Unis et de ses ennemis politiques meilleures recettes de lancement (première de plus en plus nombreux. Le drame se Lara Croft: Tomb Raider fin de semaine à l'affiche) pour un film au déroule très rapidement et beaucoup d'ac­ rôle-titre féminin. Femme-objet au pou­ tions sont suggérées. Le spectateur se trou­ voir, Lara Croft est un personnage écono­ ve ainsi balloté par ce déluge de sensations miquement rentable, capable d'attirer aussi et d'informations, et l'on peut craindre bien un public masculin que féminin. que certains ne soient pas ensuite portés à Outre les producteurs, qui se frottent les chercher ailleurs des renseignements sup­ mains en pensant déjà à la suite, qui oserait plémentaires sur l'histoire de l'ex-Congo s'en féliciter ? belge. Ainsi, pour garder le contrôle encore Philippe Théophanidis plus longtemps, les colonisateurs belges - comme d'ailleurs les Portuguais - avaient •M Tomb Raider : le film pratiqué des taux de scolarisation très bas et États-Unis2001,100 minutes-Réal. : Simon West, -Scén. : Patrick Massett, John Zinman, Simon West, d'après une his­ presque interdit l'enseignement supérieur toire de Mike Werb et de Michael Colleary - Int. : Angelina aux Africains, alors qu'au contraire, en Jolie, Daniel Craig, Leslie Phillips, Mark Collie - Prod. : France, Leopold Sedar Senghor étudiait Lawrence Gordon, Lloyd Levin, Colin Wilson - Dist. : Paramount Pictures. avec Aimé Césaire et Georges Pompidou à l'École normale supérieure de Paris. Eriq Ebouaney, quasi-sosie de Lumumba, inter­ prète avec passion cet homme politique trahi par son secrétaire particulier, Joseph Mobutu, ce Macbeth qui a réussi et dont Thierry Michel, dans son documentaire Mobutu, roi du Zaïre, avait donné en 1999 un remarquable portrait. Luc Chaput

France/Belgique/Allemagne/Haïti 2000,115 minutes - Réal. : Raoul Peck - Scén. : Raoul Peck, Pascal Bonitzer — Int. : Eriq Ebouaney, Alex Descas, Théophile Moussa Sowie, Maka Kotto, Dieudonné Kabongo, Pascal N'zonzi, André Debaar - Dist. : Remstar Distribution.

SÉQUENCES 215 septembre!octobre 2001 MADEMOISELLE France 2000, 85 minutes - Réal. : Philippe Lioret - Scén. : Emmanuel Courcol, Philippe Lioret, Christian Sinniger - Int. : Heureusement pour les cinéphiles, il y a Sandrine Bonnaire, Jacques Gamblin, Isabelle Candelier, encore de ces réalisateurs qui peaufinent Zinedine Soualem, Jacques Boudet - Dist. : Film Tonic. leur ouvrage avec lenteur et minutie. Quatre NORA ans après Tenue correcte exigée et une dizaine de versions du scénario plus tard, Le génie créatif ne cesse de fasciner, mais, l'ancien preneur de son Philippe Lioret impénétrable, toujours il élude l'explica­ nous convie à un morceau de cinéma tion, se dérobe, et nombre des films cher­ français concocté avec les meilleurs ingré­ chant à capter la nature du génie artistique dients. Les histoires simples ne sont-elles achoppent. La dernière tentative en liste, pas souvent les plus touchantes ? Nora, de l'Irlandaise Pat Murphy, un film Claire a le présent et l'avenir bien défi­ sombre, sans excès, s'attaque à l'une des nis, autant dans sa vie professionnelle que figures littéraires les plus marquantes du familiale, comblée en tous points. Pourtant, XXe siècle : James Joyce. à cause ou plutôt grâce à une succession Outre le fait que la cinéaste se concen­ d'oublis et de malchances, celle-ci se voit tre sur une période antérieure à la publica­ emporter dans l'univers fantaisiste d'une tion et à la célébrité de l'écrivain, l'originalité troupe d'improvisateurs itinérants qui sil­ du projet de Murphy consiste à privilégier, lonnent la France à la recherche de contrats à l'instar de la biographe Brenda Maddox, la plus ou moins inspirants. Vingt-quatre perspective de Nora Barnacle, amante, heures donc de rupture avec le quotidien, compagne et muse de l'écrivain, afin de d'ouverture sur l'imaginaire et surtout de cerner l'homme qu'était James Joyce. Plutôt sentiments amoureux inattendus envers original, ce parti pris néanmoins confine à Pierre, un être secret pour qui le cynisme l'anecdotique et ne témoigne ni même ne sert de défense à sa sensibilité. Cette rencon­ laisse apercevoir le génie de l'écrivain dont tre intimiste entre deux univers distincts l'œuvre allait constituer une véritable révo­ prend ici la forme d'un souvenir précieux et lution littéraire. nostalgique dans la mémoire de Claire. Car Depuis la première rencontre, joliment bien qu'on sourie allègrement devant les coquine, entre le futur écrivain et la jolie revirements de situations et la perspicacité femme de chambre dans une sombre ruelle Finalement, Nora n'offre véritablement que des dialogues, on reste à la fin empreint de Dublin jusqu'à leurs retrouvailles sur une l'histoire d'une formidable passion, aussi d'une certaine mélancolie devant cette his­ plage de Galway, en passant par leur fuite et nourricière que destructrice, révèle surtout toire d'amour manquée et marquante pour vie commune à Trieste, en Italie, où naissent une actrice étonnamment lumineuse, Susan les deux protagonistes. Avec un scénario et se développent enfants, jalousies et con­ Lynch, et propose une direction artistique mûrement réfléchi, Mademoiselle évite flits, l'on découvre surtout la formidable et d'une belle subtilité, soulignant, à mesure judicieusement les écueils de la complexité dévorante passion unissant deux êtres libres que l'on se transporte d'une Irlande puri­ inutile et préserve un naturel de ton et une d'esprit que tout séparait, notamment leur taine et oppressive en Italie, que la lumière authenticité dans les émotions. Bref, on incompréhension mutuelle et, surtout, le et les costumes, toujours monochromes, croit à la chimie qui unit magnifiquement désintérêt de Nora pour le talent et l'œuvre s'éclaircissent, que les angles s'élargissent, Bonnaire et Gamblin. D'ailleurs, jamais on de Joyce. Sous les traits d'un McGregor que la profondeur de champ s'accroisse, n'a vu Sandrine Bonnaire aussi lumineuse à honnête, témoignant une fois de plus de sa l'éveil progressif de Nora à son statut de l'écran que dans ce rôle écrit pour elle. grande versatilité, Joyce — l'amant, le père, muse et le lent et imperceptible affran­ Lioret fait mouche en montrant le côté le mari et l'artiste inconnu, rejeté — fait figure chissement de ces deux êtres. solaire de cette actrice plutôt reconnue pour de paranoïaque, de jaloux maladif, d'an­ Dominique Pellerin ses rôles dramatiques ou tourmentés. On goissé, d'alcoolique... Or, ce Joyce pourrait est bien loin par exemple de son inquiétant être n'importe quel homme ou du moins personnage dans La Cérémonie de n'importe quel artiste et soulève peu l'in­ Irlande/ltalie/Allemagne 2001, 106 minutes - Réal. : Pat Chabrol. Mademoiselle se laisse regarder térêt. Au contraire, véritable ancre du cou­ Murphy - Scén. : Pat Murphy, Gerard Stembridge, d'après la avec délice et nous rappelle que la comédie ple et du film, Nora apparaît comme une biographie Nora: The Real Life of Molly Bloom, de Brenda Maddox -Int. : Susan Lynch, Ewan McGregor, Peter n'est pas incompatible avec la profondeur femme entière, amoureuse et charnelle, au McDonald, Roberto Citran - Dist. : Alliance Atlantis Vivafilm. des sentiments, la finesse et l'intelligence. tempérament de feu, mais torturée par les Louise-Véronique Sicotte angoisses et soupçons de Joyce.

SÉQUENCES 215 septembre/octobre 2001 H^ES FILMS

LE PACTE DES LOUPS pistes thématiques plus originales au profit PEARL HARBOR de lieux communs, comme celle de la rela­ Le Pacte des loups, une œuvre de tion particulière et marginale, voire sub­ Au centre de l'échec artistique que cons­ l'Hexagone aux dimensions et à la struc­ versive, qui existe entre le héros, aristocrate titue le film Pearl Harbor se trouve l'in­ ture hollywoodiennes, s'apparente grande­ parisien, et un « sauvage » Iroquois. compatibilité entre le scénario adoptant le ment à la démarche de Luc Besson dans la Pourtant, l'esthétique du film de style des années quarante et les effets mesure où l'affiliation avec les mégapro­ Christophe Gans, malgré un vague côté spéciaux et la rectitude politique d'aujour­ ductions américaines saute aux yeux. tape-à-1'œil (presque intrinsèque au type d'hui. Pour que les spectateurs s'émeuvent Située quelques années avant la de production choisi), attire et accroche; de la mort de ces soldats et marins le 7 Révolution, l'action débute quand un les scènes de combat rivalisent en finesse décembre 1941, Randall Wallace, surtout philosophe naturaliste du jardin du roi avec ce que l'industrie de Hollywood fait connu pour son scénario de Braveheart, débarque dans une province accablée par de mieux, sinon le surclassent, tandis que nous livre une autre de ces histoires de une étrange créature assoiffée du sang des la direction photographique participe de la copains (buddy pictures) à laquelle il bons provinciaux. Assisté de son frère de beauté des nombreuses chorégraphies adjoint rapidement une histoire d'amour. sang, un Iroquois orphelin de sa tribu, martiales, notamment avec de brillants Celle-ci soulève un conflit entre devoir et dont les prouesses guerrières n'ont d'égales plans larges permettant de mieux dis­ sentiments qui aurait pu être cornélien, que la noblesse de ses vertus, le héros, tinguer le déroulement et les détails des mais qui n'est ici qu'un autre moyen de nourri au scepticisme des Lumières, batailles. nous amener à une question banale : le découvre, à la manière d'un Sherlock Bref, un scénario et une intrigue plus meilleur ami d'une copine épleurée peut-il Holmes, toute la logique de l'anguille qui qu'ordinaires engoncent Le Pacte des en tomber amoureux ? Le retour inopiné gisait sous un simple galet. Le scénario, loups dans la banalité cinématographique, du personnage de Ben Affleck aurait pu aisément réductible à une prémisse suran­ tout en montrant une relative confusion être annoncé par un télégramme mais, bien née, pèche donc par excès de zèle postmo­ narrative, conséquence d'un foisonnement sûr, cela éviterait le combat attendu entre derne, désamorçant fréquemment certaines thématique incontrôlé qui rend le produit copains, qui devance de quelques heures final plutôt superficiel. L'enrobage, tout l'attaque japonaise sur une île où, chose Le Pacte des oups superbe qu'il soit, ne parvient guère à invraisemblable pour l'époque, personne palier un texte drabe et éclaté, qui empêtre ne fume. Les effets spéciaux numériques d'autant plus une distribution respectable, reconstituent assez bien l'événement, qui ne peut que se démener au milieu de ce même si voir tant de monde debout à sept bouillon. heures un dimanche matin étonne. L'attaque ayant un côté jeu vidéo, la Alexandre Laforest revanche qu'est le bombardement de Tokyo commandé par le colonel Doolittle paraît France 2000, 142 minutes - Réal. : Christophe Gans - Scén. : encore plus bizarre dans le contexte du Christophe Gans, Stéphane Cabel - Int. : Samuel Le Bihan, Mark Dacascos, Emilie Dequenne, Vincent Cassel, Monica film. Pour comprendre ce qu'a été Pearl Belluci, Jérémie Rénier, Jean Yanne - Dist. : TVA Harbor dans l'histoire des États-Unis, des International. films de fiction comme From Here to Eternity, tiré d'un roman écrit par un par­ ticipant aux événements, James Jones, ou Tora! Tora! Tora!, fruit de la collaboration entre des producteurs japonais et améri­ cains, sont des œuvres éminemment supérieures à cette production pleine de bruit et de fureur comme les aime le pro­ ducteur Jerry Bruckheimer.

Luc Chaput

Etats-Unis 2001, 183 minutes - Réal. : Michael Bay - Scén. : Randall Wallace - Int. : Ben Affleck, Kate Beckinsale, Josh Hartnett, Mako, William Lee Scott, Tom Sizemore, Greg Zola, Ewen Bremner, Alec Baldwin, Cuba Gooding Jr., James King, Jon Voight, Dan Aykroyd - Dist. : Buena Vista Distribution.

SEQUENCES 215 septembre!octobre 2001 LE SECRET

Parvenue à la mi-trentaine, Marie constate que sa vie s'est cristallisée en points fixes et que tous les événements n'en seront désor­ mais que des ramifications. Que tout ce qui est à venir ne signifiera que par référence à ces quelques dates qui, alignées, constituent son histoire. Afin de se persuader qu'elle peut toujours poser un acte signifiant par lui-même, qu'elle est sujet, Marie introduit une variation dans son existence. Mariée et mère d'un tout jeune garçon, elle prend pour amant un homme noir, un danseur américain, quelqu'un de tout à fait hors de sa vie. Cet homme, Bill, elle affirme ne pas l'aimer, se servir de lui pour se délivrer de ce sentiment d'impuissance devant la cons­ truction inéluctable et quotidienne de sa vie. Pourtant, « il l'envahit ». De fait, il pos­ TIME AND TIDE sède cette autorité de l'homo sexualis qui reconnaît la teneur du désir de la femme et Time and Tide marque le retour triom­ y répond avec l'exotisme du marin. Dans la phal à Hong-Kong de Tsui Hark, depuis villa spacieuse où il demeure, pénétrée de deux décennies un des cinéastes les plus chants d'oiseaux et où les fenêtres ver­ influents et les plus importants de l'ex- doient du reflet de la végétation, Marie se colonie britannique. Après un bref passage prête à des épanchements sauvages, cher­ infructueux à Hollywood, le temps de deux chant à montrer qu'il y a quelque chose en films de commande assez cyniques mais elle que sa vie ne raconte pas. Toutefois, Bill non sans intérêt (Double Team et Knock est le seul personnage que ces actes n'af­ Off) pour la star belge en déclin Jean- fectent pas. Impassible, il s'oppose au mari Claude Van Damme, Tsui est de retour qui doit réagir et dont les actes sont égale­ avec son premier film hongkongais en cinq Time and Tide ment générateurs d'événements. Ainsi, ans. D'origine vietnamienne, Tsui Hark est la nent à un rythme d'enfer, de telle sorte cherchant à se préserver un espace hors de pierre angulaire du cinéma moderne de qu'on sort du film ébahi et essoufflé par cet la fiction qu'elle est pour ses proches, Marie Hong-Kong. Il a contribué à faire de John indéniable savoir-faire. Le scénario, volon­ perd le sens même de cette narration. Woo (en produisant A Better Tomorrow- tairement alambiqué, ne brille pas d'origi­ Celle-ci tourne autour d'axes désorganisés /Ying lui.in boon sik et TheKiller/Die xue nalité, mais, à mesure que l'action se et inconciliables, d'axes nouveaux creusant shuang xiong ) et de Jet Li (avec la série Once déploie, l'intrigue prend lentement forme et des brèches vides de signification. Cette Upon a Time in Chinai Wong Fei-hung, qu'il a on se laisse entraîner dans cette véritable division qu'elle crée entre ce qu'elle fait et lui-même réalisée) des stars internationales. décharge visuelle tonitruante. Si les derniers ce qu'elle est la conduit à poser des gestes Également, il a réussi à faire découvrir films de Tsui Hark avaient déçu, les ama­ aveugles jusqu'à ce que la situation ambiva­ à l'Occident toute la magie du cinéma fan­ teurs de cinéma d'action seront heureux et lente dans laquelle elle se maintient avec tastique de Hong-Kong avec, notamment, comblés de voir la renaissance d'un cinéaste précarité se gonfle et éclate dans un orage Zu: Warriors from the Magic Mountain important, car Time and Tide est plus où s'effacent toutes les références bio­ (Shu shan) et Histoires de fantômes chi­ qu'un simple divertissement, c'est une leçon logiques, vivantes. Ce film a reçu le Prix nois (Sinnui yauman). Technicien hors de mise en scène hyperbolique. Michel d'Ornano. pair, il a fait étalage de tout son talent dans Pascal Grenier Julie Tremblay Time and Tide, un thriller survolté et bour­ ré d'action qui décoiffe comme pas un. La ^M Seunlau ngaklau caméra, vertigineuse se déplace dans tous Chine 2000, 113 minutes - Réal. : Tsui Hark - Seen. : Koan Hui, Tsui Hark - Int. : Nicholas Tse, Wu Bai, Candy Lo, Cathy France 2000, 107 minutes - Réal. : Virginie Wagon - Scén. : les sens, le montage est d'une fluidité éton­ Tsui, Anthony Wong, Chau-Sang - Dist. : Alliance Atlantis Virginie Wagon, Erick Zonca - Int. : Anne Coesens, Michel Vivafilm. Bompoil, Tony Todd, Jacqueline Jehanneuf - Dist. : Christal namment remarquable pour ce genre de Films. film et les morceaux de bravoure s'enchaî-

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TOUS ENSEMBLE esprits échauffés. Tous ensemble, ils lais­ pensées, regarde au loin. C'est le réalisateur seront tomber les masques et tenteront de Pierre Goupil ou plutôt son alter ego Jean- Les années soixante-dix ont connu leur s'adapter à leur vision du monde respective. Pierre, qui contemple le long hiver de son lot de productions ayant à jamais marqué Belle étude sur les comportements état maniaco-dépressif. La mort et la le cinéma. Depuis, de nombreux réalisa­ humains, Tous ensemble est le genre de film dépression hantent l'œuvre de ce cinéaste teurs s'intéressent plus particulièrement à qui laisse pantois : certaines scènes risibles depuis son premier court métrage, Robert N, cette époque où remous sociaux, liberté provoquent continuellement l'étonnement œuvre de fiction sur un suicidé. Puis dans sexuelle et revendications politiques fai­ alors que d'autres, par la justesse des propos, Celui qui voit les heures, Pierre Goupil saient bon ménage. À l'instar de Paul portent à réfléchir. Sans jamais tomber dans atteignait presque la dépression parce qu'il Thomas Anderson (Boogie Nights) et la caricature, Lukas Moodysson décrit assez ne pouvait finir son film, mais faisait de d'Ang Lee (The Ice Storm), Lukas habilement les différents états d'âme d'un tel cette quête de l'œuvre terminée le sujet et Moodysson (Show me Love/Fucking microcosme. Soit dit en passant, il n'est pas l'objet de ce long métrage. Âmâl) tente à son tour d'aborder la ques­ surprenant que le réalisateur, également scé­ La vérité est un mensonge est un film tion de façon diamétralement opposée. nariste, accorde tant d'importance aux sur la reconquête de soi. Cette reconquête Tous ensemble, une comédie dramatique enfants qui, malgré eux, doivent assister à passe par le regard amoureux d'une amie ou enlevante, originale et fort sympathique, diverses altercations : il a lui-même vécu la d'une mère qui permet de briser l'emprise décrit avec doigté, humour et intelligence réalité des communes dans sa jeunesse. de l'hiver, de se remettre sur les rails. À côté cette période libertine du flower-power. Sur les airs de Love Hurts et de S.O.S., du leitmotiv de l'hiver, Goupil filme souvent Situant l'action à Stockholm en 1975, Tous ensemble est aussi et surtout un des trains ou des rails de chemin de fer, dont le réalisateur et scénariste suédois brosse le éloge à l'amour avec ses hauts et ses bas. ceux qui finissent abruptement à un endroit portrait d'un groupe d'amis vivant en com­ Les costumes et coiffures ainsi que nommé Pierreville. Pierre Goupil veut donc munauté. Il rassemble notamment sur son quelques effets de caméra (zooms et fon­ se remettre à flot, se reprendre en mains, se terrain expérimental un engagé marxiste- dus enchaînés) ajoutent un brin de nostal­ replacer sur les rails dans ce film où il décrit léniniste maladif, un homosexuel androgy­ gie et de réalisme. Que seraient les années et montre souvent avec ironie — la rencon­ ne, une femme qui se prétend lesbienne et soixante-dix sans tout cela ? Il n'y a pas à tre avec le médecin par exemple — les une autre aux pulsions sexuelles inassou­ dire, Lukas Moodysson fait preuve d'une diverses étapes de son périple médical. Film vies. L'arrivée de la sœur de l'un d'entre eux grande maîtrise. construit de bric et de broc, La vérité est un avec ses enfants ne fera qu'envenimer les Pierre Ranger mensonge assume pleinement son statut de film artisanal en incluant le regard critique Tous ensemble de confrères commentant un premier mon­ tage. Les rencontres avec des amis, dont un découpeur sur papier qui lui enseigne ainsi la patience, sont une autre des joies de ce film doux-amer. Goupil adresse, en fin de générique, un remerciement spécial à Josette Bélanger dont la vidéo Les Années Jules-Félix constitue un autre exemple à suivre dans le domaine du journal filmé. C'est donc avec raison que La vérité est un mensonge, de ce membre du « club des autobiographes », a été, le premier août, le film d'ouverture du cycle « AutoBioCinématographie » de la Cinémathèque québécoise, «c» La vérité est un mensonge •• Tillsammans Luc Chaput Suède/Danemark/ltalie 2000, 106 minutes - Réal. : Lukas Moodysson - Scén. : Lukas Moodysson - Int. : Lisa Lidgren, Michael Nyqvist, Gustaf Hammarsten, Emma Samuelsson, Canada [Québec] 2001, 77 minutes - Réal. : Pierre Goupil - Sam Kessel - Dist. : Film Tonic. Scén. : Pierre Goupil - Int. : Pierre Goupil, Gisèle Poupart, Madeleine Bélair, Danielle P. Roger, Cécile Goupil, Claude Fortin, Barbara Ulrich, Jean-Pierre Trépanier - Dist. : LA VERITE EST UN Cinéma Libre. MENSONGE

Au bord d'un cours d'eau charriant des blocs de glace, un homme, plongé dans ses

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