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GRAND-DUCHÉ DE MINISTÈRE D'ÉTAT BULLETIN D'INFORMATION

Office d'Information, 18, rue Aldringer, Luxembourg N° 8 (2me année) Luxembourg, le 31 août 1946

Mémorial (mois d'août)

Ministère des Finances. geoises anticipativement dissoutes entre le 1er janvier 1939 et le 10 septembre 1944. Un arrêté grand-ducal du 9 août 1496 auto- rise le Ministre des Finances à effectuer les •opérations financières pour lesquelles l'interven- tion du Gouvernement luxembourgeois est acquise Ministère de l'Intérieur. en vertu des accords créant le Fond Monétaire Un arrêté grand-ducal du 9 août 1946 a pour International et la Banque Internationale de Re- objet l'institution d'un Office central du loge- construction et de Développement. ment. Un arrêté ministériel du 16 août 1946 fixe L'ouverture et la fermeture de la chasse sont les conditions et modalités d'une émission de réglées par un arrêté ministériel en date du 30 Bons du Trésor jusqu'à concurrence d'un mon- juillet 1946. tant de 250 millions de francs.

Ministère du Ravitaillement Ministère des Affaires Etrangères. et des Affaires Economiques. Un arrêté grand-ducal du 5 août 1946 règle Par arrêté grand-ducal du 29 août 1946, dé- l'importation et l'exportation des marchandises. mission honorable a été accordée sur sa demande à M. Guillaume Konsbruck, Ministre du Ravitail- * lement et des Affaires Economiques. Par arrêté grand-ducal du même jour, M. Ministère de la Justice. Lambert Schaus, avocat-avoué et député à Lu- L'arrêté grand-ducal du 5 août 1946 a pour xembourg, a été nommé Ministre du Ravitail- objet le rétablissement des sociétés luxembour- lement et des Affaires Economiques.

SOMMAIRE:

Page Page 1) Mémorial (mois d'août) . 1 6) Le soi-disant Coup d'Etat du 2 août. . . 16 2) Chambre des Députés (mois d'août). . . .. 2 7) La Presse Parlementaire Belge visite le 3) Le Congrès de l'UNA à Luxembourg . . .. 2 Grand-Duché 17 4) Le retour des cendres de Jean l'Aveugle . 7 8) Les expositions se succèdent 17 5) Le Xe Congrès International de la « Ligue 9) Distinctions honorifiques .19 des Femmes pour la Paix et la Liberté » 10) Nouvelles de la Cour et du Gouvernement 20 à Luxembourg ... . 15 11) Le Mois à Luxembourg 20 1 Chambre des Députés (mois d'août)

6 août: Réunion de la lre, de la 2e et de la 3e sation des dommages de guerre. Nomination section pour le projet de loi concernant l'ap- d'une commission spéciale en guise de section probation de la convention belgo-franoo-lu- centrale. Lecture des propositions de loi de xembourgeoise du 17 avril 1946 relative à MM. Nie. Biever, Albert Bousser et Alphonse l'exploitation des chemins de fer du Grand- Schiltges. Déclarations de M. le Président de Duché et des conventions annexes. la Justice et de M. le Ministre d'Etat, Prési- Réunion de la Commission du Travail. dent du Gouvernement au sujet du prétendu coup d'Etat. Discussion. Réunion de la section centrale du projet de loi portant révision de la charge fiscale à Réunion de la Commission du Travail. supporter par les contribuables du groupe 16 août: Réunion de la section centrale du projet d'impôt I en ce qui concerne l'impôt général de loi concernant l'indemnisation des dom- sur le revenu resp. la retenue d'impôt sur les mages de guerre. salaires. e 23 août: Réunion de la section centrale du projet 7 août : Réunion de la 3 section de la Chambre. de loi concernant l'indemnisation des dom- Discussions relatives aux conventions ferro- mages de guerre, de la Commission du Tra- viaires. vail et des 3 sections de la Chambre. e 13 août: 39 séance publique. 27 août: Réunion de MM. les présidents et secré- Dépôt de plusieurs projets de loi. Dépôt taires des 3 sections de la Chambre pour d'une proposition de loi par M. Lambert l'élaboration du rapport sur la reoonstructioa Schaus. Projet de loi concernant l'indemni- des régions dévastées du pays. Le Congrès de TUNA à Luxembourg

Luxembourg, capitale de la plus petite des éparpillés sur tout le globe que se tenait le- Nations Unies, put se féliciter d'avoir été choisie Congrès mondial à Luxembourg. comme siège du premier Congrès de la «World Federation of United Nations Associations » (UNA), qui se tint en ses murs du 29 juillet La Séance inaugurale au 3 août 1946. Lundi, le 29 juillet, eut lieu la séance solen- Comme on le sait, l'UNO, qu'il ne faut nelle d'inauguration au Cercle Municipal. La pas confondre avec l'TJNA, compte comme vaste salle était décorée aux couleurs des 51 membres 51 gouvernements. Pour épauler cette Nations Unies. Les membres du congrès et les œuvre gouvernementale, on a voulu créer un personnalités luxembourgeoises furent reçus par mouvement populaire et fonder dans les diffé- M. , Ministre des Affaires Etran- rents pays des associations nationales volontaires!. gères, ainsi que par M. , président En Angleterre, l'association britannique a déjà de l'association luxembourgeoise, M. Joseph- recruté 50.000 membres et compte trois prési- Paul Boncour présida la séance. dents choisis parmi les leaders des trois grands Après avoir déclaré la séance ouverte, le pré- partis politiques. sident donna immédiatement la parole à M. le Au Grand-Duché de Luxembourg, l'associa- Ministre Joseph Bech, qui s'adressa à un audi- tion luxembourgeoise pour les Nations Unies toire composé non seulement des délégations avait été fondée le 11 juillet, ayant pour mission étrangères (délégués de 19 pays, observateurs de propager dans le peuple luxembourgeois les officiels de 4 pays et représentants de 12 orga- idéaux des Nations Unies et de créer un mou- nisations internationales), mais aussi des Luxemj- vement de sympathie et de compréhension pour bourgeois de toutes les classes de la population!.. l'UNO. Les représentants d'une vingtaine d'orga- Voici'les termes de son discours: nisations professionnelles et culturelles et de tous! les partis politiques étaient présents. Un comité Monsieur le Président, exécutif luxembourgeois fut constitué. Il se com- Excellence, posait de MM. Pierre Frieden, président, Ed. Mesdames, Messieurs, Barbel, Hubert Clement, Fernand Lœsch, Marcel C'est pour moi une joie particulière d'ex- Noppeney, Arthur Useldinger, Roger Wolter, primer ce soir, au nom du Gouvernement grand- Lambert Schaus, secrétaire. ducal et de mon pays, notre satisfaction pro- En janvier de cette année, un comité provi- fonde de voir le premier congrès de la Fédéra- soire international s'était mis au travail et une tion mondiale des Associations pour les Nations. commission préparatoire, sous la présidence de Unies se réunir sur notre territoire. M. Paul Boncour, s'était attelée à la préparation De tout cœur, je souhaite la bienvenue aux du premier congrès appelé à donner une forme membres de la Conférence, venus de pays, définitive et des statuts à la jeune fédération. proches et lointains, et tous amis. C'est pour combiner et harmoniser les efforts Ne pouvant saluer individuellement, comme forcément dispersés qu'entreprennent des pays j'aurais désiré le faire, tant de représentants émi- nents de la diplomatie, de la politique et des que l'égalité des droits de tous les Etats y soit divers organismes des Nations Unies que je vois effectivement établie. parmi vous, vous me permettrez, cependant, j'en Il eut été vain aussi, de s'attendre à ce que suis sûr, d'adresser un hommage tout particulier la Charte ait pu éliminer par le fait seul de à notre Président, M. Paul Bonoour. son existence les divergences et les suspicions Après l'autre guerre, vous avez été, mon cher provenant des intérêts particuliers des Puissances Président et ami, un des pionniers de la Ligue et de la diversité de leurs régimes économiques de Genève. Elle n'est pas née, hélas! comme et sociaux. vous et d'autres grands hommes d'Etat l'avaient A la vérité, quelle que soit l'habileté des for- conçuse. Elle est morte, morte, comme Winston mules employées dans la Charte, elle ne vaudra Churchill l'a dit un jour, parce qu'elle a que par l'esprit qui animera effectif de s'en- été abandonnée et trahie et assassinée, vous tendre, en un mot par la concorde qui doit l'avez dit récemment, par la faiblesse des Gou- s'établir entre les grandes Puissances et les autres. vernements. Mais l'esprit de solidarité internatk>- C'est là, à proprement parler, l'esprit des nale qui l'avait fait naître, revit dans l'organisa- Nations Unies. C'est lui qu'il importe de faire tion des Nations Unies, dépouillée de tout rêve vivre et de fortifier. Votre apostolat s'y dépen- utopique, assagie et instruite par les erreurs et sera. En faisant connaître aux masses popu- les malheurs du passé. laires les buts de l'organisation des Nations Votre présence parmi nous prouve que vous Unies, vous leur prêcherez l'évangile du dés- avez gardé la Foi, la Foi qui nous anime tous armement des cœurs et des esprits, sans lequel ici dans la solidarité humaine pour assurer la tous les efforts des hommes de bonne volonté Paix. L'idéalisme, l'expérience et l'éloquence que resteront vains et stériles. vous savez si glorieusement unir, nous sont le C'est encore à vous, Mesdames et Messieurs, meilleur gage du succès des travaux auxquels qu'incombe la tâche de créer l'infrastructure vous présidez. indispensable à l'organisation mondiale en com- Je manquerais à tous mes devoirs si je ne muniquant aux couches populaires l'invincible saisissais l'occasion qui m'est offerte de remer- foi qui nous anime dans la supériorité des va- cier votre Comité et en particulier son infatigable leurs morales en leur faisant connaître et aimer chairman, M. Dexter, et ses collaborateurs d'avoir les principes de la morale internationale contre proposé et vous tous d'avoir choisi comme siège l'esprit et l'agression, qui sont: solidarité, tolé- de votre première conférence notre vieille ca- rance, loyauté, esprit de justice. pitale. Votre tâche sera difficile. Car la guerre n'a Nulle part, ailleurs, je pense, Mesdames et pas seulement tué les hommes et détruit les Messieurs, vous n'auriez pu trouver, à défaut foyers; elle a encore laissé derrière elle des d'agréments matériels que de plus grandes villes foules inquiètes, douloureuses, désespérées, aux- vous auraient offerts, nulle part, dis-je, vous quelles il faudra rendre la foi dans les destinées n'auriez rencontré une atmosphère plus favo- de l'homme pour les élever vers les grands hori- rable et plus utile à vos travaux que dans ce zons de liberté et de fraternité universelle. petit pays dont l'existence même est basée sur Telle quelle, la Charte est l'unique et l'ultime les principes de droit et les idées de solidarité espoir que l'Humanité possède de vaincre la dont vous êtes les apôtres parmi les peuples. crise politique, économique et sociale dont elle Bien que la Charte de San Francisco ne re- souffre depuis l'autre guerre. flète qu'imparfaitement ces principes et que Hors d'elle, il n'y aurait que le chaos. Se- l'organisation des Nations Unies ne réalise pas couée dès ses premiers pas, par de violentes notre rêve qui est celui d'une organisation mon- émotions, l'organisation des Nations Unies y a diale dressant des barrières infranchissables survécu et ses différents organes ont prouvé leur contre le fléau de la guerre et basée sur la Paix solidité en des circonstances périlleuses. dans la Justice, malgré cela je pense que l'or- Si l'organisation que les Nations se sont donnée ganisation des Nations Unies est actuellement la dans leur grande détresse, reste fidèle à l'esprit meilleure des organisations internationales pos- qui l'a créée en assurant l'égalité des droits à sibles. C'est que le problème d'une pareille orga- tous les Etats, si la concorde règne entre les nisation n'est pas seulement un thème pour des Grands, si nous réussissons à détruire au sein spéculations théoriques, mais un problème de des Nations le nationalisme exclusif, idolâtre et politique pratique qui ne pouvait et ne pourra agressif, la grande plaie de l'Humanité, alors jamais être résolu qu'en tenant compte des la Paix s'établira progressivement, mais sûrement, réalités. dans une société régénérée et l'Humanité se Or, c'est une réalité, que cela nous plaise ou dépouillera définitivement de la défroque san- non, que les grandes Puissances ne sont pas glante qu'elle traîne depuis tant de siècle. encore prêtes, à l'heure qu'il est, d'aliéner une Avec vous, Mesdames et Messieurs, avec tous partie importante de leur Souveraineté nationale les hommes de bonne volonté, avec tous ceux qui au profit d'un organisme international. ne croient pas que le progrès soit un vain mot, Il eut été vain, je pense, de s'y attendre, et j'ai la Foi e't l'Espérance que ce rêve de l'Huma- dans le désordre qui règne encore dans le nité se réalisera à l'heure choisie par Dieu. monde, il n'eut peut-être pas "été sage. Gela ne Après la traduction du discours de M. Joseph veut pas dire, certes, qu'une de vos principales Bech, M. Paul Boncour prit la parole. Il rap- tâches ne consistera pas à préparer la voie aux pela à M. Bech que depuis 1924 chaque année transformations nécessaires de la Charte pour ils se sont revus à Genève autour de la même table de la S. D. N. Ensuite, avec une éloquence chimérique et de plus barbare: sans résoudre de grande classe, il définit la raison d'être de la aucun problème, elle répand le massacre des vies nouvelle fédération mondiale qui veut se créer à et du bonheur, ébranle les fondements de la civi- Luxembourg : « II s'agit d'apporter à l'organisa- lisation même et transforme la terre nourricière tion gouvernementale - - des Nations Unies - en charniers de la mort. l'appui et le dynamisme des peuples eux-mêmes.» Devant ce bilan — que les guerres futures L'orateur rappela les succès de la S. D. N. et il dépasseront en horreur —, le cœur et la raison analysa les raisons profondes de sa décadence humaine se cabrent et clament la prière que: et de sa faillite finale. La leçon a porté, dit-il: l'église redit quotidiennement dans ses chants, « Dès 1942, Churchill et Roosevelt se réunis- liturgiques: la paix! saient et décidaient de reconstruire une S. D. N. Nous voulons la paix, nous la désirons avec plus forte; un peu plus tard, avec l'appui de ces milliers de mères qui pleurent leur fils qui l'U. R. S. S., ces principes se sont cristallisés jonchent par millions les champs de bataille da dans la Charte de San Francisco. Malheureuse- monde. Nous la désirons avec ces autres millions ment, la défiance persiste. Mais pourquoi? » M. de mères qui, devant le berceau de nouveau-nés, Paul Boncour n'hésite pas à mettre le doigt dans tremblent déjà des angoisses futures. Nous la dé- la plaie. « C'est le droit de veto accordé aux sirons avec ces millions de jeunes gens qui vou- grandes puissances et par là, la possibilité pour draient dévouer leurs forces neuves à des œuvres une d'elle de tenir en échec les décisions prises de vie et qui demain peut-être seront engagés par toutes les autres réunies. N'en concluons pas dans les légions de la mort. Nous le disons avec qu'il faille tout abandonner pourtant, il faut tout ferveur, le refrain sacré du chant liturgique: simplement que les peuples fassent pression sur Dona nobis pacem. leurs gouvernements et exigent une intransi- Mais la paix ne nous est pas donnée. Depuis geance féroce dans l'application des principes que Dieu a dit à l'homme: «Tu ne tueras pas », de la Charte. » l'homme n'a pas cessé de tuer le long des siècles,, M. Pierre Frieden, président de l'association sans vergogne et sans mesure. d'UNA, prit ensuite la parole et dit: Depuis que la paix a été promise aux hommes, « Nous sommes fiers de vous offrir le cadre de bonne volonté, les hommes, les Etats n'ont cessé de faire la guerre aux hommes. Et le de notre cité et sa modeste hospitalité. Nous e sommes heureux surtout de pouvoir vous dire, 20 siècle est aussi éloigné de la paix que les que le peuple luxembourgeois accueille votre siècles passés. projet et ses visées généreuses avec une pleine C'est que les hommes manquent de bonne compréhension et une fervente sympathie. A volonté et de cet esprit chrétien et humain, sans notre appel, d'un même élan et sans hésitation lequel aucune paix durable n'est possible. La aucune, tous nos partis politiques, toutes nos paix ne nous sera pas donnée, elle devra être fédérations professionnelles, toutes nos associa- conquise par nous au prix de notre labeur, de tions culturelles, en un mot, le peuple entier a nos sacrifices, de nos vertus les meilleures qui dit oui. Une telle unanimité n'a rien de sur- sont prudence, courage, patience et générosité'. prenant pour qui connaît le caractère national La paix ne sera donnée qu'à ceux qui la mé- du Luxembourgeois. Son empressement à re- ritent. Elle est le terme d'une simpiternelle ba- joindre un mouvement de grande pacification taille. est dû chez lui à un simple réflexe vital et à Car les partisans de la violence, les fauteurs une intuition vive des dangers mortels qui me- de guerre veillent toujours. Ils opèrent sur le. nacent notre civilisation et la vie des hommes. terrain des réalités politiques et économiques. Ils Notre peuple, à peine visible sur la carte du entretiennent les erreurs de doctrine, les préjugés^ monde et dont le centre même est à 50 km. de et les malentendus trompeurs. Ils cultivent en trois frontières, se sent le plus vulnérable de nous les mauvais sentiments, qui sont la cupidité, tous les peuples et le plus constamment et direc- la soif de domination et cette cruauté incons- tement menacé. ciente qui est le triste apanage de l'homme Blotti au bord de la houleuse Germanie, cet depuis Caîn, l'homicide. océan d'inquiétudes, de cupidités et de poussées Notre position dans la bataille est prise. La expansives qu'aucune digue depuis le fameux fédération mondiale est une vaste armée de la limes romain n'a réussi à contenir, ce petit paix qui a son état-major et ses troupes. peuple qui ne demande qu'à vivre en paix, vit Mais sommes-nous suffisamment armés pour constamment dans l'angoisse de la guerre et de la lutte? Nos chefs, nos hommes d'Etat, ont-ils l'invasion des barbares. Nous disons en toute assez de clairvoyance, de vigilance et d'habilité franchise et humilité que nous avons peur de la pour diriger la stratégie de la paix et pour guerre et que nous avons en horreur l'esprit construire l'échafaudage juridique et politique guerrier. sans lequel la meilleure volonté des peuples- Cette peur ne nous a pas empêchés de lancer reste impuissante? à la face d'un oppresseur inhumain et armé jus- Et surtout, saurons-nous créer dans les foules qu'aux dents la seule arme dont nous disposions: amorphes et aveugles le véritable esprit de paix la révolte morale et la grève. qui est à la fois conscience des obstacles et vo- Comme tant d'autres peuples nous avons payé lonté de les surmonter? l'horrible tribut de la guerre, nous avons pu me- Saurons-nous leur donner la sagesse néces- surer le prix d'une méthode politique qui se saire et susciter en elles les vertus de paix aussi, croit réaliste et qui est ce qu'il y a de plus mâles et plus humaines que les vertus guerrières?' Ne sommes-nous pas tous alourdis de fatigue où siégeait le Congrès, élaient le cadre d'un morale et de méfiance? Le passé récent ne nous travail acharné, admirable chez la plupart des décourage-l-il pas de ses sombres perspectives? délégués, dévoués à la noble cause de l'UNA, Ne sentons-nous pas monter du fond de l'histoire dont l'objet avait été défini par l'un des mem- humaine et du large de l'avenir humain un vent bres : «... que la guerre commence dans l'esprit d'abîme et de désespoir? des hommes et que c'est dans l'esprit des Mais c'est précisément cela qui nous a ré- hommes qu'il faut dresser les défenses de la veillés et guéris de nos illusions et de notre indo- paix. » La besogne de l'UNA est donc surtout lence. C'est la peur des catastrophes futures qui éducative. •a dressé les derniers ressorts de notre être. Nous' C'est ce qui explique l'importance accordée à disons «non!» à l'infernale puissance du mal, la 3e commission chargée d'élaborer des projets nous disons « non ! !» à la démence humaine, pour l'éducation dans un esprit de solidarité parce que nous savons que dorénavant il y va internationale. (World Citizenship; le mot an- . de notre existence même, de nos patries, de nos glais est plus expressif, mais à peu près intra- foyers et de toute vie humaine. duisible.) La fédération mondiale a tiré du désespoir Même les discours les plus officiellement op- une immense volonté de croire et d'espérer. Elle timistes laissaient reconnaître un arrière-fond de est une entreprise de sagesse politique, de sauver- doute, un malaise, pour ne pas dire davantage. garde de l'homme et de la civilisation. Au- C'est que la faillite de la Société des Nations dessus du tumulte des convoitises, des querelles pesait lourdement au berceau de la nouvelle or- et des batailles, elle ose élever le langage de la ganisation. (Des hommes comme M. Paul Bon- raison et du cœur qui est le langage même de la cour ou M. Bech devaient sentir tout particuliè- paix. rement cette lourde charge.) C'est que certains On raconte qu'un jour, pendant que deux ar- pays n'étaient pas représentés au Congrès. (Le mées ennemies se combattaient avec acharnement siège laissé vacant au comité exécutif pour la dans le désert de Lybie, un obus remuant le sable Russie absente laissait une impression inquié- en fit surgir devant les soldats ébahis une an- tante.) C'est enfin que l'ONU elle-même est tique statue enfouie et oubliée depuis des siècles. impliquée dans de grosses difficultés et que Dans l'ébloi'issement de cette vision de beauté, l'œuvre de l'UNA réussit ou échoue dans la me- les clameurs sauvages se turent, les armes tom- sure où l'entente politique entre les gouverne- bèrent des mains des guerriers et les armées ments se réalise. L'UNA, qui n'a qu'à créer et apaisées communièrent dans un même sentiment à maintenir un esprit de paix et qui n'a pas à d'admiration et de joie. Telle est la fascination aborder ni à trancher les problèmes les plus que peut exercer sur le cœur humain une grande épineux de la politique et de l'économie, tra- idée et une belle vision. vaille dans des circonstances en somme favo- Les hommes de la fédération mondiale ca- rables; elle amène facilement l'union des esprits ressent le rêve qu'en faisant rayonner sur les sur quelques grands principes. Qui ne désirerait misères de la vie présente la vision sereine de la la paix? Qui douterait de la nécessité absolue de paix. Ils pourront verser un peu de lumière sur cette paix non seulement pour le maintien de la une époque grise et maussade et faire entrer civilisation, non seulement pour le retour à une dans les yeux cruels de l'histoire les atouts de prospérité relative, mais pour l'existence même? l'amour et de la paix. » Aucun petit pays sans doute, ni aucun grand, Après M. Pierre Frieden parla M. Siao Yu, tant qu'il lui reste une lueur de raison. délégué chinois, et, enfin, le secrétaire de l'as- semblée, M. John Ennals, donna lecture de deux Mais revenons-en aux contingences luxem- messages de sympathie et d'encouragement bourgeoises du Congrès qui seules doivent nous adressés au Congrès, l'un par M. Spaak, premier occuper. président de l'UNO, l'autre par M. Trygve-Lie, Les congressistes furent reçus à l'Hôtel de secrétaire général de l'UNO. Ville de Luxembourg le 30 juillet 1946, où M. le bourgmestre Emile Hamilius les salua dans les Les 5 commissions au travail termes suivants : In the name of the population of the ancient Les réceptions par la Municipalité city of Luxembourg I have the great honour to- et le Gouvernement day of receiving the qualified representatives of the World Federation of United Nations Asso- Le lendemain matin, mardi, à 9,30 heures, ciations and I am happy to offer them our best commencèrent les travaux des cinq commissions, wishes of hearty welcome. dont la première devait s'occuper du choix d'un The city of Luxembourg is particularly proud siège central (on se mit d'accord sur les deux of having been chosen by your organization the villes de New-York et de Genève) et de l'élabora- meeting place of your first international con- tion des statuts de l'Association; la deuxième gress, to which all Luxembourg citizens, without avait pour charge de dresser le programme de any exception, wish a full success. The fact that, l'activité future; la troisième s'occupa spéciale- within your international federation you count ment du problème de l'éducation; la quatrième all the nations affiliated to the UNO, is for des problèmes économiques et la cinquième des itself a sufficient proof to the world of the problèmes politiques. purity of your aims and the soundness of the Pendant les huit jours suivant, les différentes democratic ideal that you want to realize in the salles du bâtiment de la Chambre des Députés, relations between all the nations of good will.

5 Uniled as you were during the war in your the statutes of the UNA. With a deep emotion fight against the common enemy, you have I greet the representatives which all the nations gained a splendid and decisive victory: a victory have sent to Luxembourg. But above all I bow of the good over the bad, a victory of right and respectfully to two eminent personalities by justice over brutal force; a victory at last of whose intelligent impulsion the works of your civilization and humanity over slavery and bar- congress will doubtlessly give the world the barism. example of union and comprehension of twenty To the country of Luxembourg above all — democratic nations: M. Paul Boncour, Président small and peaceful country which during the du Congrès, and Mr. Dexter, chairman of the long years of uproar has never lost her faith irç Committee of the UNA. the happy issue of this gigantic conflict between two ideologies absolutely opposite to each other, Gentlemen, a country without any defence which has been War is over and the allied armies have freed occupied, domineered and devastated by a mer- the world. It is now to the world to understand ciless invader — to this country your first con- and to reconstruct peace in order to make im- gress definitively means the end of a situation possible for ever an horrible crime against the that one justly qualified as the hell on earth,. human species. Now that the culprits of this most horrible Hope makes man live, trust gives him faith in crime against mankind have vanished in the his destiny. It is with hope and trust that the shame and in the disdain of the civilized nations, population of Luxembourg wishes a full success you will have to maintain and consolidate the to the congress of the UNA, for the good luck rule of the democratic ideas for which your of all our countries and the welfare of huma- noble countries have been fighting and suffering nity. » during four dreadful years. Having won the M. Lambert Schaus, premier échevin de la war, we must win peace. After having been the ville, parla ensuite de la résistance que les Lu- soldiers of your countries, you are now the xembourgeois ont faite pendant les années d'op- pioneers of democracy. We have at last come pression et de leurs sacrifices et continua en ces, out of the darkness of an awful night to termes : climb towards the fair heights where the stars «... En parlant de nos modestes sacrifices,, of concord and liberty are sparkling again over nous n'oublierons certainement pas les vôtres, a delivered world. Mesdames et Messieurs, ceux de vos peuples et The whole world's attention is in these days de vos pays. Et quand nous irons tout à l'heure fixed on the important work of your congress. nous incliner devant le Monument du Souvenir Gonscious of all after war's difficulties, the des Morts de la dernière guerre — rnonument nations, which are affiliated to your World's que l'envahisseur allemand a mutilé et dont les; Federation, will have to find in the respect of restes subsisteront pour témoigner de son op<- the dignity of man and in international solidarity probre —, nous songerons avec émotion aux the best means of securing the renovation and morts de toutes les Nations Unies qui ont laissé restauration of our countries and the worldi. leur vie pour que nous puissions vivre. Et nous- Your important task will have to create, between autres Luxembourgeois, nous songerons pleins de all the nations of good will, an atmosphere of gratitude à tous nos grands alliés et amis qui harmony and mutual respect, without which the nous ont apporté, dans les plis de leurs drapeaux best intentions and the resolutions proceeding claquant au grand vent de l'Histoire, la liberté from the noblest principles would be nothing et l'indépendance que notre petit pays n'aurait but lifeless letters. jiamais été en mesure, malgré sa résistance, de The objects that your World's Federation reconquérir. » aspires to, with an untiring endeavour: propa- Après la réception à la Maison Municipale, gating the ideals of the United Nations, creating les délégués allèrent s'incliner devant le Monu- and maintaining a large arid deep current of ment du Souvenir et furent ensuite reçus par le sympathy and comprehension for the UNO — Gouvernement qui leur offrit un banquet au these objects, if they are to be crowned with Casino de Luxembourg. success, must not be an affair of governments and leaders only. On the contrary, to be entirely successful, they must be known and appreciated La dernière Séance by all classes of population and supported by Pendant cinq journées, les différentes com- the whole public opinion. missions firent un travail énorme. In the country, which you have been kind A la séance de clôture qui eut lieu le vendredi, enough to choose the meeting-place of your 2 août, des nominations nouvelles de président, congress, you are amidst a small people adhering vice-présidents allèrent à différentes personna- to your noble aspirations without any reservation; lités. Il. convient pour nous de retenir surtout and wishing you from all their hearts and with celle de M. Lambert Schaus, dont le nom figure the utmost sincerity the splendid success which parmi les vice-présidents et dont le dévouement your work of pacification and fraternization au cours du Congrès fut au-dessus de tout éloge. so justly deserves. C'est aussi pendant la séance de clôture que As Mayor of the capital of the Grand-Duchy le Congrès envoya un télégramme d'hommage à I am very thankful to your committee for having S. A. R. Madame la Grande-Duchesse et donna honoured our town by this congress of the au préambule qui précède les statuts de l'UNA, highest importance, as it will definitely lay down le nom de « Charte de Luxembourg ». Le Retour des Cendres de Jean l'Aveugle

Le retour des cendres de Jean l'Aveugle re- témoins de cet acte, à savoir les personnes sus- présente un événement national de premier ordre dites, ont constaté ce qui suit: Le cercueil en et la journée du 25 août 1946 restera inscrite question, en bois sculpté d'un style datant de la dans l'histoire de notre peuple. fin du 18e siècle, refermait le squelette presque complet et bien conservé d'un homme de sexe I. — Les Préparatifs masculin. Il ne manquait que les deux mâchoires, une clavicule, un cubitus, les os des deux mains Grâce aux pourparlers qu'avait engagés le et quelques autres os de moindre importance. Gouvernement grand-ducal avec les autorités di- Une peau parcheminée recouvrait les jambes et plomatiques et militaires françaises, le transfert la région de l'abdomen. Dans la partie gauche de des cendres de Jean l'Aveugle avait pu être cette région et dans la jambe gauche, cette peau prévu pour le 25 août 1946, date du 600° anni- était déchiquetée: elle était détachée des os de versaire de la mort héroïque du roi Jean la jambe gauche jusqu'au genou. Dans le flanc l'Aveugle sur le champ de bataille de Crécy. gauche, la région gauche de l'abdomen et la Dès le commencement de juillet, désireux de région inguinale gauche, elle portait, à l'intérieur, donner à cette cérémonie un caractère officiel, le de nombreuses taches de sang desséché. L'arti- Gouvernement avait institué une commission culation coxo-fémorale gauche était ouverte, tan- chargée de l'organisation de la cérémonie. Cette dis que le flanc droit et l'articulation coxo-ïémo- commission était composée de MM. Pierre Wel- rale droite étaient intacts. Le cercueil renfermait ter, Conseiller de Gouvernement, Secrétaire pour d'autres morceaux et lambeaux détachés de peau les Affaires Militaires, Hubert Schumacher, Ar- parcheminée, de même que de nombreux débris chitecte de l'Etat, Lambert Schaus, Député et d'os calcinés qui ne semblaient pas appartenir Echevin, Lucien Kœnig, Professeur, Joseph au squelette. Une partie de ceux-ci gisaient à Meyers, Professeur, Joseph Petit, Professeur, proximité d'une feuille de papier chiffonnée, sur Georges Schmitt, Conservateur-adjoint au Musée laquelle une main avait noté, à l'encre, en latin: d'Histoire, Paul Schulte, Secrétaire de Légation, « Quelques ossements des premiers fondateurs Chef de bureau au Ministère des Affaires Etran- du couvent de Munster, le comte luxembourgeois gères. Conrad et Clémence, fille de l'empereur, épouse de Conrad. » Ces constatations faites, et tous les Des doutes existaient quant à l'état de conser- détails importants photographiés, le cercueil a vation des restes mortels du Comte-Roi, et il fut été refermé et replacé dans le tombeau, et celui- décidé que le sarcophage de Castel serait ouvert ci refermé à son tour, à l'endroit où il se trou- le 10 août. A ces fins, M. le Ministre d'Etat, en vait depuis le 26 août 1838. compagnie de la plupart des membres du comité d'organisation et du médecin militaire, Capitaine «Le présent procès-verbal fait en double, l'un Feiten, se rendit à Castel et c'est là que, en pré- des deux exemplaires devant être déposé dans le sence des autorités françaises, il fut procédé à cercueil, l'autre aux archives du Gouvernement, l'ouverture du cercueil. à Luxembourg, a été admis par tous les témoins susmentionnés et signé par les suivants: Le procès-verbal suivant fut dressé: (Suivent les signatures.) » « Aujourd'hui, le 10 août 1946, nous sous- signés , Ministre d'Etat, Président A partir de ce moment, la presse luxembour- du Gouvernement du Grand-Duché de Luxem- geoise fêta dans des articles répétés la personna- bourg, et Commandant Ollé-Laprune, Délégué du lité de notre héros national et, depuis le 19 août, Général Kœnig, Commandant en chef des forces des conférenciers de marque évoquèrent la figure militaires françaises d'occupation en Allemagne, du Roi Aveugle dans le cadre des émissions lu- nous nous sommes rendus à Castel sur la Sarre, xembourgeoises de Radio-Luxembourg. dans la chapelle sépulcrale du roi de Bohême. Le lundi, 19 août, M. le professeur Joseph Là, en présence des témoins suivants: le Com- Meyers parla de la politique luxembourgeoise de mandant Lackman, le Commandant Aubry, le notre comte et de l'agrandissement du Comté Lieutenant Lefranc, représentant les forces fran- sous lui. Grand guerrier, dit le conférencier, le çaises d'occupation, et le conseiller de Gouver- héros de la bataille de Muhldorf a toujours exa- nement Pierre Welter, secrétaire des Affaires miné les problèmes politiques avec les yeux du militaires luxembourgeoises, le Colonel Jacoby, stratégiste. Il cherchait à assurer à son comté le Lieutenant-Colonel Ginter, le Capitaine Alb- la possession de positions-clés, de carrefours de recht, le docteur Pierre Feiten, médecin militaire, routes; il cherchait à éliminer des enclaves dan- représentant la force armée luxembourgeoise, gereuses, munissait les villes de remparts, etc. l'échevin Lambert Schaus, représentant la ville Parlant de la politique intérieure de Jean, M. de Luxembourg, le secrétaire de Légation) Paul Meyers mentionna qu'en matière de politique in- Schulte, chef de bureau aux Affaires Etrangères, térieure il cherchait à resserrer l'alliance entre les professeurs Lucie a Kœnig et Joseph Meyers, la Maison Comtale et le peuple par l'octroi de ainsi que l'architecte de l'Etat Hubert Schuma- nouvelles lettres de franchise ou la confirmation cher, nous avons fait ouvrir le tombeau et le des anciennes. cercueil, dans lequel reposent les restes de Jean, roi de Bohême et comte de Luxembourg. Les • « Si nous passons en revue le règne entier de Jean l'Aveugle, nous devons constater qu'il a servi son oomtó d'une façon extraordinaire et que s'exprime Froissard, les princes luxembour- que peu de souverains luxembourgeois ont rendu geois: Jean, roi de Bohême, et son fils Charles, tant de services positifs à leur patrie. » futur empereur. Une armée de 500 hommes — tout est relatif —, élite du Luxembourg et de Le mardi, 20 août, le professeur Sprunck la Bohême, rejoignit, à marches forcées, le gros, parla de la politique européenne de Jean de l'armée française, pour, en suite d'un concours l'Aveugle, de la haute autorité dont il jouissait inouï de circonstances contraires et fatales, se en Europe centrale. M. Sprunck rappela surtout faire battre à Crécy et y mourir. ... Il y a de le mot qu'a écrit le chroniqueur tchèque Pierre cela, il y aura de cela, dans quatre jours, six de Zittau: Sine rege Bohemiaa nemo valet ex- siècles exactement. ... Ainsi, plus d'un demi- pedire f inaliter saura factum. Quem valt exultât, millénaire avant la grande guerre, la Somme, quem non vult ipse recalcat. fleuve héroïque, vit couler du sang luxembour- De son côté, M. Albert Calmes, directeur de geois mêlé au sang français. l'Arbed, releva surtout les qualités du diplomate. C'est ce qui fit, qu'en mars 1919, quand Lu- « Les circonstances, dit-il, firent de Jean de Lu- xembourg fêta les quelques 800 survivants des xembourg ,chevalier dans l'âme, un négociateur, deux mille volontaires qui avaient combattu dans un conciliateur, un arbitre, bref un diplomate. les rangs de l'armée française, ce mot courut, Le diplomate, c'est Jean négociant le mariage qu'imposait, après des siècles, l'identité des cir- de sa sœur, la belle Marie de Luxembourg, avec constances et les leçons, éternellement renou- le roi de France et dernier Capétien, Charles VI, velées, de l'histoire: Jean l'Aveugle, comte de le mariage de sa fille Bonne de Luxembourg Luxembourg, le premier de nos légionnaires. avec celui qui devint Jean le Bon, roi de France, et enfin le mariage de son fils Charles, plus Cependant, avant d'avoir consenti pour la tard l'empereur Charles VI, avec Blanche, sœur France, dont, bien qu'aveugle, il n'avait mie de Philippe VI de Valois, roi de France. oublié le chemin, ainsi que le rappelle Chateau- Le diplomate, c'est Jean pacifiant les villes briand, le sacrifice de sa vie, il lui avait consacré de la Lombardie et les exhortant à mettre fin à son cœur et son vouloir: ce prince, de gui un la sanglante querelle des Guelfes et des Gibelins. roi de Prusse hospitalisa, par gloriole, les C'est Jean, médiateur entre le comte de cendres, prestigieuses reliques dont nous devons Flandre et le roi de France d'une part, les com- la restitution à la République Française, ce munes flamandes de l'autre. prince, dis-je, s'il était Luxembourgeois de nais- sance, Bohême d'élection, était Français par C'est Jean négociant à diverses reprises, mais l'éducation, les mœurs et la langue. Fils du sans succès avec le pape d'Avignon pour pacifier comte Henri, plus tard empereur d'Allemagne, l'Empire en mettant fin à la compétition pour mais qui, élevé à la Cour de France et instruit la couronne impériale. » en Sorbonne, ne connaissait d'autre langue, sinon Le 21 août, le Capitaine-Médecin Dr Pierre la latine, que la française, le comte Jean avait reçu', Feiten parla de l'état de conservation de la dé- lui aussi, de même que son oncle Baudouin, arche- pouille mortelle du roi et des détails intéressants vêque de Trêves, et nombre de souverains, une que l'examen médical du 10 août avait fournis. éducation française. Ce fut sous son règne que le Le Dr Feiten attribue pour une partie l'immense français supplanta presque entièrement le latin popularité du roi à sa haute stature. Il aurait pour la rédaction des chartes luxembourgeoises. mesuré en effet 1,78 à 1,80 m., ce qui le fit Lui-même usait principalement, sinon exclusi- dépasser de beaucoup la taille de ses contempo- vement, de la langue française et eut pour secré- rains, qui étaient généralement petits. L'examen taire Guillaume de Machaut et pour historio- médical en outre permit — et ce détail est nou- graphe Froissard, le maître de la chronique veau — de déterminer avec vraisemblance que historique. Cette tradition française, héritée de Jean l'Aveugle était mort à Crécy d'un coup de son père, il la transmit à son fils Charles, l'em- lance qui l'avait atteint à la région inguinale pereur futur, lui aussi, comme son père, comme gauche et qui avait causé une hémorrhagie dont son aïeul, comme son grand^oncle, élevé à la le héros était mort en peu de temps. La plaie Cour des rais de France; il la transmit à son fils put être constatée sur le cadavre embaumé. » Wenceslas, lequel, Bourbon par sa mère, fut le premier duc de Luxembourg et le premier poète Le 22 août, un militaire, le Capitaine Alb- luxembourgeois de langue française, et de qui, recht, rattacha à la figure de Jean l'Aveugle Froissard, son maître et ami, nous fait connaître les considérations d'un soldat, examinant du l'œuvre. point de vue militaire l'histoire de ses cam- pagnes, pour conclure que le soldat luxembour- Mais combien de liens aussi et plus étroits geois prendra Jean pour modèle. encore attachaient notre comte à la France, à la famille royale qui la présentait. Ce petit-fils de M. Marcel Noppeney était appelé à évoquer Béatrice d'Avesnes, avait vu sa sœur Marie de les relations entre Jean l'Aveugle et le royaume Luxembourg devenir l'épouse de Charles le Bel, de France. « II convient de relever, dit-il, que le dernier des Capétiens directs, sa fille Bonne de le roi Philippe VI de Valois, surpris, alors qu'il Luxembourg devenir celle de Jean le Bon et la guerroyait en Guyenne, par le débarquement en mère de Charles le Sage. Lui-même épousa en Normandie, d'une armée anglaise sous le com- secondes noces Béatrice de Bourbon, princesse du mandement du roi Edouard III, et fâcheusement sang de France. Enfin, vassal du roi de France, pressé par elle, « n'oublia pas à mander », ainsi fait par lui chevalier ce qui créait des liens plus;

8 intimes encore, selon la loi féodale, il contracta commerciale internationale à ses origines, cette avec lui un traité d'alliance contre tout prinoe institution perdura à travers les siècles et sub- allemand, fût-ce l'empereur lui-même, qui pren- siste encore de nos jours comme grande fête drait les armes ootitre la France. Gouverneur du populaire, comme kermesse nationale, que les Languedoc, il défendit cette province contre les Luxembourgeois fêtent même dans le Nouveau intrusions étrangères. Monde. Que conformément à sa destinée, il tombât Jean de Luxembourg tomba en héros, fidèle pour la France, cela couronne admirablement une à sa parole donnée; il mourut loin de sa terre vie prodigieuse. Descendant du héros légendaire natale, en Picardie, l'un des champs de bataille à la barbe fleurie, fils et pères d'empereurs, classiques de l'Europe. Mais son désir avait tou- gendre, beau-père, beau-frère, aïeul de rois, roi jours été de reposer dans la terre de ses ancêtres. lui-même, Jean de Luxembourg inscrivit l'épo- Sa dépouille mortelle, à laquelle le Roi d'Angle- pée dans l'histoire, symbole et synthèse de notre terre avait rendu les premiers honneurs sur le pays, il en annonce et résume aux côtés de la champ de bataille, fut ramenée à Luxembourg. France paternelle et avec elle la révolte, la résis- Mais même dans la mort Jean ne trouva pas le tance et la lutte récentes. » repos. Inhumés successivement dans plusieurs monastères et églises de la Ville de Luxembourg, M. Georges Schmitt, conservateur adjoint au les ossements du Grand Comte finirent par être Musée d'Histoire, raconta l'odyssée des restes livrés — sans droit ni titre — au roi de Prusse mortels de notre héros national et décrivit ses qui les déposa au Mausolée de Castel, sur les huit tombeaux. bords de la Sarre. La conférence de M. Lambert Schaus, pre- La Ville de Luxembourg — et avec elle tout mier échevin de la ville, avait pour sujet: «Jean le pays — ne cessait de faire valoir ses droits et l'Aveugle et sa bonne ville de Luxembourg. » de revendiquer les cendres de son grand fils. « La Ville de Luxembourg, dit le conférencier, Depuis dix mois, de jeunes soldats luxembour- voit en Jean l'Aveugle l'un de ses plus grands geois montent la garde autour du tombeau de enfants et l'un de ses bienfaiteurs inoubliables. Jean l'Aveugle. Fils du noble Henri VII — de celui que le Dimanche prochain, la magnanimité du Gou- Dante appelait « Alto Arrigo » —, Jean naquit vernement français et de ses chefs militaires nous au Château du Bock qui se dressait farouche et rendra les cendres de notre héros national pour altier sur les rochers abrupts, dominant les car- que nous puissions les conserver définitivement refours des vieilles routes et la riante ampleur de parmi nous comme souvenir et comme symbole. la Vallée de l'Alzette. Souvenir du passé lointain et glorieux de Durant toute sa vie de chevalier errant, Jean notre peuple, souvenir qui doit être un gage garda une nostalgie profonde de ce coin de d'avenir. Symbole de l'amour de la patrie, sym- terre natal; maintes fois, il venait s'y reposer bole surtout de la fidélité à la parole donnée qui des fatigues de sa carrière tumultueuse, et celui est le fondement de l'honneur d'un peuple tout qui avait vu tant de terres lointaines et tant de comme les rudes rochers sont le fondement grandeur humaine, trouvait qu'il n'y avait rien éternel de notre Ville. » de plus doux que le séjour dans la patrie. La Cité natale lui rend fidélité pour fidélité. Le 24 août, M. le professeur Lucien Kœnig, Si, pour d'autres, Jean a pu être un seigneur cita ses efforts et ceux de ses collègues de la sévère et peut-être rapace, il était bon prince « Letzeburger Nationalunio'n » pour maintenir pour ses Luxembourgeois. Dès son avènement, il dans le peuple luxembourgeois la conscience jura, le 15 juillet 1310, sur l'autel et les re- d'une dette à payer envers Jean de Luxembourg, liques, de respecter les privilèges accordés à la le prototype du vrai luxembourgeois, celle en Ville par ses prédécesseurs et par Ermesinde. Et effet de ramener ses restes mortels en terre Jean tint parole. Car il avait cette qualité essen- luxembourgeoise. Une première tentative après la tiellement luxembourgeoise qu'est la fidélité à première guerre mondiale avait échoué. Le confé- la parole donnée. rencier entretint son auditoire des détails pitto- resques et savoureux qui avaient fait échouer son Peu de temps avant sa mort, par la Charte projet, déboire personnel, échec, qu'il ne regret- du 25 mars 1346, Jean l'Aveugle abandonna à tait toutefois pas, puisqu'on n'aurait pu réserver la Ville le droit d'aime — c'est-à-dire un droit à Jean l'Aveugle en 1918 un retour aussi triom- de jaugeage — ainsi que le droit de vinage sur phal que celui qu'on lui préparait pour le 25 les vins d'Alsace, et lui afferma à titre perpétuel août 1946, grâce à l'appui de la France et du le droit d'«onguelt », qui représentait une espèce Gouvernement luxembourgeois. d'impôt sur le chiffre d'affaires, pour parler en langage moderne. L'abandon de ces avantages Cette série de conférences se termina par celle fiscaux fut très important pour la Ville de Lu- de M. le Ministre de l'Education Nationale xembourg et facilita grandement l'embellissement Margue, qui dit la signification que le Gouver- et le développement de la Cité. nement luxembourgeois voulait donner au retour Mais, pour le peuple, Jean restera surtout et des cendres de Jean l'Aveugle. avant tout le fondateur de la «Schobermesse». Voici ses paroles: Par la Charte du 20 octobre 1340, il institua «Ainsi donc, dimanche, le 25 août 1946, six une foire franche annuelle de huit jours, com- cents ans après sa mort, Jean l'Aveugle, comte mençant le jour de la St.-Barthélemy. Foire de Luxembourg et roi de Bohême, est rentré dans son pays natal qu'il a tant de fois quitté là où elle n'avait pas encore pénétré, comme dans sa vie durant, mais qu'il n'aurait jamais dû ni les plaines marécageuses de la Lithuanie. La voulu quitter après sa mort. Valait-il la peine paix, nous la voulons comme lui, et comme lui aujourd'hui de corriger ainsi le cours de l'his- nous la voulons basée sur la justice — opus ius- toire et de mettre en mouvement Le peuple lu- titae —, nous la voulons pour nous et pour les xembourgeois tout entier pour déplacer encore autres. une fois les restes mortels de ce voyageur im- Mais, à l'exemple de Jean l'Aveugle, le roi- pénitent? N'est-il pas indifférent en quel endroit chevalier, nous voulons que le Luxembourg soit de la terre reposent les pauvres débris d'un grand par le sentiment de l'honneur et du de- vieux guerrier appartenant à une époque loin- voir, par sa loyauté, son travail et ses sacrifices, taine, dépourvue de tout rapport avec notre par sa participation à toutes les œuvres assurant monde à nous? Qu'est-ce que tout cela signifie le progrès de l'humanité. aujourd'hui? Nous profitons de toutes les occasions pour D'abord il est certain que la plupart des évé- affirmer notre existence nationale et notre droit nements ont la signification qu'on veut bien leur à cette existence. Mieux que tout autre, ici, donner. Or, la rentrée de Jean l'Aveugle est une Jean peut nous servir de guide et de centre de chose voulue depuis longtemps par les patriotes ralliement. Occupant sa place au premier plan de luxembourgeois, ce qui veut dire par le peuple la chrétienté, fils et père d'empereur du Saint- luxembourgeois tout entier. Ramener dans nos Empire, roi de Bohême, conquérant dans les murs le héros de Crécy, c'est nous acquitter pays slaves et en Italie, grand ami de la France, d'une dette d'honneur grevant les fidèles sujets il était néanmoins et avant tout Luxembourgeois du comte-roi depuis le moment où il fixait dans et l'est resté jusqu'au bout. Comprenant toute son testament le désir de reposer dans le pays où l'Europe dans le rayon de ses entreprises poli- il était né. En réalisant à nouveau cette dernière tiques et diplomatiques, il n'a jamais, comme tels de ses successeurs, oublié son pays d'origine, volonté de Jean l'Aveugle, nous entendons pro- et s'il allait en France pour s'amuser, en Bohême clamer solennellement que nous reconnaissons pour en tirer de l'argent, partout pour guerroyer, et que nous revendiquons comme nôtres notre il revenait toujours dans le Luxembourg pour passé et notre histoire; que nous nous sentons, être chez lui et pour se reposer. L'ayant fait sa aujourd'hui encore, liés par une étroite parenté e vie durant, il n'est que juste qu'il puisse le faire à ceux qui étaient les Luxembourgeois du XIV après sa mort. siècle, et représentaient l'époque glorieuse de la Maison de Luxembourg, l'époque où le Luxem- Il sera bien à sa place au milieu des Luxem- bourg, placé à la tête de la Chrétienté, était bourgeois, lui qui, au moment le plus critique de connu à travers le monde civilisé par l'activité la bataille de Crécy, a refusé de croire à la politique et culturelle de ses Souverains. Cette défaite ou en tout cas d'y survivre, tout comme époque nous appartient tout comme le siècle der- notre population, suivant l'exemple de sa Souve- nier, elle est bien luxembourgeoise tout comme raine et de son Gouvernement, a refusé de notre temps à nous, et c'est Jean qui en est le pactiser avec un ennemi cruel qui, trop tôt, se prévalait d'une victoire à laquelle nul Luxem- représentant peut-être le plus caractéristique, cer- bourgeois ne croyait. Le tombeau de Jean tainement le plus populaire. l'Aveugle sera parmi nous un lieu de rassemble- De ce fait, son nom est devenu un véritable ment et de recueillement patriotique. » symbole national. Il eût été inadmissible pour nous qu'il continuât à rester en terre étrangère, voire même ennemie. Et cela d'autant moins que IL — Les événements de dimanche, celui qui, arbitrairement, l'a fait reposer à 25 août 1946 Kastell, a pour aussi dire lancé un défi au peuple luxembourgeois en s'engageant à rendre le corps A Gastel et Remich. du roi aveugle, si le Luxembourg était à même de lui offrir un tombeau digne de lui. Eh bien, Dans la matinée, une délégation luxembour- nous relevons ce défi: Jean de Luxembourg re- geoise formée de quelques officiers sous la posera dans la terre luxembourgeoise, et n'y conduite du Colonel Jacoby, de M. Schumacher, eût-il même aucun monument, cela seul est digne architecte de l'Etat, des professeurs MM. Lucien de lui. Kœnig et Joseph Meyers et de la presse, se rendit à Castel. Jean a été le diplomate le plus entreprenant Là eut lieu une courte cérémonie en présence et le guerrier le plus fameux de son temps. Ce d'officiers français. Le cercueil, retiré du sar- n'est pas comme tel que nous l'aimons, mais cophage qui le contenait depuis 1836, fut trans- nous n'oublions pas que s'il a fait la guerre, porté à la main par des soldats luxembourgeois c'était, conformément à l'idéal chevaleresque déjà devant la petite chapelle du cimetière cam- légèrement exagéré de cette époque, pour servir pagnard et posé dans le nouveau cercueil, fruste la justice et la rétablir partout où il la voyait, et solide, orné des couleurs nationales. Un der- peut-être la croyait violée. Nous n'oublions pas nier salut de la garde d'honneur et le cortège aue ses contemporains l'appelaient «Roi de la se mit en marche. Paix ». C'est que ses interventions militaires ten- Un moment particulièrement solennel fut daient avant tout à faire la paix, là où elle n'exis- celui où le cortège atteignit le pont de Remich. tait pas, comme dans les villes du nord de Le Colonel Jacoby, représentant du Gouverne- l'Italie, ou à propager la civilisation chrétienne, ment luxembourgeois, et le Commandant Ollé- 10 Laprune, représentant du Général Kœnig, s'avan- A l'arrivée de la dépouille mortelle de Jean cèrent jusqu'au milieu du pont et le cercueil l'Aveugle et du cortège, le cercueil fut posé sur fut porté vers la terre luxembourgeoise sur les le catafalque; six soldats montaient la garde épaules de soldats luxembourgeois aux sons des d'honneur. cloches et de la « Hémecht » et devant une mul- titude de mosellans accourus pour assister à ce M. Pierre Dupong, Ministre d'Etat, Président moment historique. Sur la rive luxembourgeoise du Gouvernement, s'avança pour s'adresser à attendaient les notabilités: M. Faber, commissaire l'assistance dans les termes suivants: de district de Grevenmacher, les Collèges éche- « Le voilà enfin arrivé, le jour si ardement vinaux de Remich et de Grevenmacher et des souhaité par les patriotes luxembourgeois, du communes «voisinantes. Le cercueil fut hissé sur retour des cendres de Jean l'Aveugle. un affût de canon traîné par un char où étaient C'est dans la cité de Luxembourg, où il avait assis des soldats luxembourgeois, l'arme au vu le jour, que le roi Jean voulut rester après sa poing. Le cortège, précédé par des auto-chenil- mort. Pendant 463 longues années il y demeura, lettes luxembourgeoises et suivi de quatre chars non sans que son repos y fût plus d'une fois de combat français, poursuivit son chemin pour troublé par les événements du monde extérieur. Luxembourg. Tout le long du parcours, alors Comment en aurait-il été autrement à une gué les cloches sonnaient à toute volée, les époque où la ville de Luxembourg connut plus villageois, notabilités et fanfares en tête, étaient d'années de guerre que de paix. En 1809, les massés au bord de la route. ossements de notre héros national furent trans- portés en terre d'exil. A mesure que se réveillait Arrivée à Luxembourg. dans le peuple luxembourgeois le sentiment na- Sur le rocher du Bock, là où se trouvaient tional et le respect pour les valeurs de notre les ruines du château natal de Jean l'Aveugle, patrimoine historique, cette situation, contraire le convoi fut reçu par M. le Bourgmestre et le aux dernières volontés de Jean l'Aveugle, fut res- Collège échevinal de la ville de Luxembourg, qui sentie comme une humiliation pour le pays. reçurent l'Auguste dépouille de la main de M. De multiples, mais infructueuses tentatives le professeur Lucien Kœnig. Ensuite, le cortège furent faites par les autorités luxembourgeoises, poursuivit sa route à travers la ville passant par au cours du siècle passé, pour rapatrier les la rue du Marché-aux-Herbes, la Grand'rue, le reliques du «blanne Jang », comme les Luxem- Boulevard Royal, le Boulevard F.-D.-Roosevelt bourgeois appellent familièrement cette figure que bordait une foule énorme et recueillie, pour la plus glorieuse et la plus pittoresque dans la faire halte un moment devant le Monument du galerie des anciens souverains de ce pays. 11 a Souvenir. fallu que vint la dernière guerre mondiale pour « Symbole et combien émouvant de l'union rendre possible la réparation d'un tort qui bles- fraternelle du héros d'hier et des héros du pré- sait l'amour propre de notre peuple. sent, que cette halte du héros national devant ce Nous sommes particulièrement heureux du monument mutilé. La Sonnerie aux Morts re- fait d'être redevables de cette réparation à notre tentit sans parole pathétique, sans geste grandi- grande amie, la France, et plus particulièrement loquent, par la simple gravité de ce rite, de cette à son digne représentant dans l'Allemagne oc- communion du passé et du présent, il se fit cupée, le général Kœnig, que nous avons lie comme une consécration de notre histoire natio- privilège de saluer aujourd'hui parmi nous. Je nale, gloire et grandeur du passé s'alliaient à la souhaite en même temps une cordiale bienvenue gloire et à la grandeur du présent. » («Meuse. ») aux autres hôtes étrangers, ministres, généraux, chargés d'affaires et maires, qui participent à Place Guillaume. cette mémorable festivité. Il me sera permis de Au milieu de la Place Guillaume, richement mentionner nommément parmi eux le général décorée, se dressait un catafalque élevé sur Prikryl, représentant de la Tchécoslovaquie. Sa quatre marches, recouvert d'une tenture de présence parmi nous souligne à nouveau les liens velours rouge imprimé des armoiries renversées d'amitié qu'a noué pour toujours entre nos deux de Luxembourg et de Bohême. Aux quatre points pays le comte et roi Jean le jour, où -il a brûlaient des torches. Après l'arrivée de M. le réuni sous un même sceptre le Luxembourg et Ministre d'Etat, le Général Prikryll, représentant la vieille Bohême. Les hasards de l'Histoire le Gouvernement tchécoslovaque, et le Général créent quelquefois des coïncidences étonnantes. Kœnig, le héros populaire de Bir Hacheim, arri- Qui aurait imaginé en effet il y a six ans encore vaient à leur tour, passant devant les troupes que ce serait la France, pour la cause de laquelle luxembourgeoises et françaises qui étaient mas- Jean, comte de Luxembourg et roi de Bohême, sées sur la place. Enfin, LL. AA. RR. Madame donna la vie à Crécy, le 25 août 1346, qui aurait la Grande-Duchesse, le Prince Félix et le Grand- la bonne fortune de lui payer une revanche, en Duc Héritier Jean, suivis de trois princesses et le ramenant, sous l'escorte glorieuse de ses du Prince Charles, prirent place à la tribune armes, dans sa ville de Luxembourg. Au monde d'honneur où s'étaient réunis entretemps les contemporain, la cérémonie d'aujourd'hui, à la- membres du corps diplomatique et les person- quelle coopèrent fraternellement des détache- nalités officielles; entre autres il convient de ments des armées française et luxembourgeoise, noter les hôtes français, les Généraux français rappelle une des constantes de l'attitude sécu- Deleuze et Noiret, les Colonels Granval et de laire luxembourgeoise. Depuis toujours, diri- Frères, le Lt.-Colonel Bernaud et le Capitaine geants et peuple luxembourgeois se considéraient Bourdi. comme appartenant à l'Europe occidentale. Peu- 11 plée anciennement par les Celtes, faisant partie glorieuse aère perennius, ce sont les actions qui du temps des Gaules de la Gallia Belgica, com- enflamment la fantaisie et émeuvent le cœur. prise plus tard dans la Lotharingie, organisée Or, sous ce rapport, la vie de Jean l'Aveugle pour la première fois en principauté souveraine est un trésor. Il était le prince le plus puissant par un Lorrain, le comte Sigefroi, ancêtre de de l'Europe de son temps. Il était batailleur à Jean l'Aveugle, cette contrée n'a jamais oublié l'excès, mais chevaleresque et loyal jusqu'au sa- à travers les siècles les liens qui l'attachaient crifice de soi-même. Nous aimons à nous en à ses voisins de l'ouest. Même à l'époque où le faire une image semblable à celle que le montre pays de Luxembourg faisait partie avec 'les son sceau, un chevalier armé chevauchant au Pays-Bas, la Belgique, la Lorraine, la Franche- galop. Doué d'une vigueur physique extra- Comté jusqu'à Lyon et la Suisse, du Saint Em- ordinaire, il a parcouru à cheval l'Europe, cou- pire Romain de nation germanique, il représen- vrant des distances incroyables en un temps tait dans cette formation hétéroclite un élément plus invraisemblable encore. Mais ce qui l'a d'influence latine. C'est cette même tendance qui rangé' pour toujours parmi les héros d'épopée, suivait la maison des comtes de Luxembourg à c'est la façon dont il a cherché et trouvé la l'époque où, après avoir étendu au maximum les mort dans la bataille de Crécy. Il était accouru frontières de son fief héréditaire luxembour- au secours du roi de France pour l'unique motif geois, son influence prépondérante en Europe qu'il en était l'allié et l'ami et qu'il voulait tenir portait quatre de ses fils au trône du Saint Em- sa promesse. Comme ils nous apparaissent ad- pire Romain de nation germanique. Les comtes mirables sa fermeté d'âme, son obstination fa- de Luxembourg étaient de formation et d'expres- rouche, son héroïsme indomptable. Il apprend sion françaises. Notre Jean l'Aveugle avait fait que cela va mal dans la bataille et que les rangs ses études à l'université de Paris. Il avait été français vont être brisés. Il tient bon malgré éduqué dans l'esprit et l'art de la chevalerie à tout, pour l'honneur. Son instinct de résistance la Cour de France. Sa sœur fut reine de France. s'allume et redouble devant une situation appa- Son fils, l'empereur Charles IV, avait épousé remment désespérée. Et voilà que le roi aveugle une fille du roi de France. Jean lui-même avait se laisse conduire dans la mêlée pour férir un épousé en secondes noces Béatrice de Bourbon, dernier coup. descendante de St. Louis. Sa fille Bonne enfin Ne sont-ce pas des sentiments semblables qui a épousé le duc de Normandie, fils et héritier ont animé plus d'un des héros de notre résis- du roi Philippe VI de Valois et après lui roi tance, lorsque dans la dernière guerre délibéré- de France. Roi de Bohême, le comte Jean et ment ils se sacrifièrent pour ne pas céder à ses successeurs de la maison de Luxembourg l'injustice et pour rester fidèles et loyaux, sans apportèrent dans leur royaume l'influence de la compromis? culture occidentale. Le visiteur de Prague est On a écrit de Jean qu'il fut le dernier des frappé encore aujourd'hui par l'empreinte qu'y chevaliers. Comme tel il a passé dans la litté- a laissée la dynastie de Luxembourg. Les mo- rature de son époque. Pétrarque et Froissart numents d'architecture qui remontent à cette l'ont chanté, Guillaume de Marchaut lui a dédié époque, pourraient figurer aussi bien à Bruxelles les vers que voici: et à Paris qu'aux bords de la Moldau. Le comte et roi Jean a été ainsi par sa formation intel- « II n'y eut pareil roi, ni duc, ni comte, lectuelle et politique le représentant typique d'un Ni depuis le temps de Charlemaine peuple qui, à travers les siècles, a subi et ac- Ne fut homme — c'est chose certaine — cepté l'attraction du foyer de culture dont Paris Qui fut en tout cas plus parfait est et fut le centre. Il était réservé à l'obscuran- En honneur, en dit, en fait. » tisme obtu du régime exécrable que la guerre a La gloire du roi Jean est pour nous un sujet heureusement détruit, de vouloir rayer pour ses de fierté nationale. Elle fait partie de notre fins d'annexion, cette vérité de notre histoire patrimoine historique. Son exemple a illuminé nationale. le chemin de ses descendants, les rois de Bohême Le savant historien qui se penche sur la vie et empereurs du Saint Empire Romain, qui ont assuré au nom du Luxembourg une place im- de Jean l'Aveugle, pour en étudier les faits et portante dans l'histoire d'Europe. gestes, n'y découvre, sans mil doute, pas unique- ment des traits sympathiques. Quelles sont donc Jean l'Aveugle est proche de notre cœur aussi par son amour pour sa terre natale. « II n'y a les causes de la popularité dont jouit parmi nous rien de plus doux que le séjour dans la patrie », à six cents ans de distance ce prince disparu? répondit-il à un noble de Bohême la veille d'un Est-ce le souvenir des bienfaits matériels qu'a de ses départs pour Luxembourg. valus au pays le règne du comte et roi Jean? Je Est-il étonnant après tout cela que nous ché- ne crois pas. Certes, il est un fait historique in- rissons sa mémoire et que les familles luxem- déniable que Jean favorisait par tous les moyens bourgeoises donnent avec prédilection son nom son pays d'origine. Telle de ses fondations, la à leurs enfants, ce nom que notre Grand-Duc foire de Luxembourg, appelée « Schobermess », héritier lui-même porte avec fierté? a résisté à l'usure des âges. Pas plus tard qu'hier Aujourd'hui, nous avons ramené dans la pa- nous l'avons inaugurée à nouveau pour l'année trie les cendres de Jean l'Aveugle comme, il y a en cours. Mais c'est un fait connu dans l'his- quelques mois, nous avons ramené ceux de nos toire, que le souvenir des progrès et réalisations héros de la dernière guerre. dans le seul ordre matériel a rarement raison de Aujourd'hui, le comte et roi Jean reprend sa la durée des siècles. Ce qui fonde une réputation place parmi nous, après un long exil. Le peuple

12 luxembourgeois lui élèvera un monument, digne Le peuple luxembourgeois, terrorisé et durement d'un chevalier, comme le roi Jean s'est lui-même éprouvé par une guerre sans merci, s'est remis exprimé. résolument au travail. Malgré toutes les diffi- Qu'enfin la paix reste assurée à sa tombe. cultés et amères déceptions, un nouveau Luxem- C'est le vœu le plus ardent du peuple luxem- bourg devra surgir des ruines matérielles et mo- bourgeois. » rales qu'un ennemi implacable a amassées sur notre sol meurtri. La tâche est immense! Non Ensuite, Monsieur le Bourgmestre Hamilius seulement les forces matérielles risquent de faire prit la parole: défaut, mais ce qui est beaucoup plus grave, « C'est grâce à l'amitié généreuse et agissante l'âme de notre petite nation est cruellement de la France, c'est grâce à l'aide énergique de blessée. ses chefs militaires que le peuple luxembourgeois Qui rendra au Luxembourg le courage et a vu combler aujourd'hui un de ses plus ardents l'énergie nécessaires pour triompher de tous les désirs. obstacles. C'est encore la France qui nous Jean l'Aveugle, le premier en date et le plus montre le bon chemin qu'il faut suivre pour illustre de nos légionnaires et déportés luxem- toucher au but tant désiré. Après les plus ter- bourgeois, vient de rentrer dans sa patrie après ribles tourmentes de son histoire, la France s'esf un exil qui a duré pas moins de 137 années. revivifiée, retrempée chaque fois dans les 25 août 1946! Journée mémorable et glo- sources vives de son merveilleux passé. Elle a rieuse à jamais tant pour le Luxembourg que tiré des forces miraculeuses de l'exemple que lui pour la France, qui s'est souvenue qu'un jour, ont donné ses grands hommes, conquérants re- le 26 août 1346, le comte Jean de Luxembourg, doutables, hommes d'Etat d'un génie supérieur, roi de Bohême, est tombé, le glaive à la main, poètes et savants, prêtres aussi bien que laïques, sur le champ d'honneur de Crécy, pour défendre dont beaucoup reposent aujourd'hui au temple ses «chers amis et les enfants de sa fille», de la gloire à Paris, au Panthéon ; et l'inscription future reine de France. majestueuse de son fronton: «Aux Grands Il y a plus d'un siècle que le Luxembourg Hommes, la Patrie reconnaissante » doit nous attendait le retour de son héros reposant dans éclairer aussi, nous autres Luxembourgeois, sur le mausolée de Castel, plus d'un siècle que tous notre devoir. les patriotes luxembourgeois, amis fervents de Ce qui est vrai, quand je parle de la France, notre passé national, espéraient vivre les moments l'est encore, quand nous feuilletons les pages historiques de l'heure présente. Bien des espoirs glorieuses de l'histoire des autres nations démo- ont été déçus dans ce laps de temps; nombre de cratiques que le peuple luxembourgeois a l'hon- patriotes luxembourgeois qui s'étaient faits les neur de compter parmi ses amis. champions de la cause sacrée de notre déporté, ont disparu de l'arène. Nous, les rescapés de la Le passé n'était et ne sera jamais mort pour terrible catastrophe mondiale de 1940 à 1944, les peuples qui ont joué un rôle dans l'histoire. favorisés par un destin plus clément, nous pour- Et ce qui est une vérité pour les grandes nations, rons apprendre aux générations futures que, si dont la population se chiffre par des millions, la France du roi Louis-Philippe a ramené, en ne peut pas être une erreur, lorsqu'il s'agit d'un 1840, sur le sol français les cendres du grand petit peuple qui n'a que quelques centaines de Conquérant corse, c'est que l'Empereur avait milliers de sujets. Ce n'est pas le nombre de la mis dans son testament fait à l'île de Sainte- population qui décidera de reconnaître à un Hélène: «Je désire reposer au bord de la Seine, peuple le droit d'avoir un passé national, oe sont au milieu de ce peuple français que j'ai tant les faits et gestes de ce peuple, oe sont surtout aimé. » Le 25 août 1946, le Luxembourg en a les grands hommes qui sont sortis de son sein fait de même avec les cendres de Jean l'Aveugle et qui ont joué un rôle prépondérant dans sa vie qui, lui aussi, avait réclamé dans son testament scientifique, littéraire, économique et politique. une sépulture dans sa patrie, d'abord à l'abbaye Si tel est le cas, le petit peuple luxembour- de Clairefontaine, plus tard à l'abbaye de Nei- geois a bien le droit de réclamer pour lui aussi mönster, donc à Luxembourg même. un passé national, car ni les hauts faits et gestes Uni par un élan national, le Luxembourg de ni les hommes supérieurs ne lui font défaut. la Grande-Duchesse Charlotte, des Princes Félix En évoquant les luttes inégales de nos ancêtres et Jean, des patriotes luxembourgeois martyrisés les plus reculés, les Trévires contre Jules César, aux camps de concentrations nazis, des milliers l'époque des Croisades où nos comtes, barons et de jeunes gens morts pour la patrie, des milliers seigneurs ont vaillamment combattu avec Gode- de déportés et autres victimes de la barbarie froid de Bouillon et le roi Louis le Saint de teutone, de tous les Luxembourgeois de bonne France, les armées de Napoléon le Grand, qui volonté, ce Luxembourg s'est souvenu à son tour comptaient dans leur rang quinze mille jeunes du dernier vœu du plus populaire de ses héros conscrits luxembourgeois, dont plus de dix mille nationaux, dont les cendres lui avaient été dé- sont tombés sur les champs de bataille de robés en 1809, pour être confiées pendant plus l'Europe, les trois mille légionnaires luxembour- d'un siècle à une terre qui n'était pas la sienne. geois volontaires de la guerre mondiale de 1914 L e25 août 1946, cet affront a été vengé solen- à 1918 qui ont versé leur sang pour la cause nellement, l'honneur du Grand-Duché de Lu- sacrée de la civilisation, en évoquant ces faits, il xembourg est rétabli à jamais. est compréhensible que la seconde guerre mon- Mais il y a d'autres considérations que cet diale, elle aussi, ait révélé au monde étonné le événement historique fait naître dans notre âme. courage, l'esprit combatif et la résistance opi- 13 niâtre de la nalion luxembourgeoise, si éprise les grands personnages de notre passé national pourtant ides bienfaits de la paix. Les réfractaires n'ait été des plus heureux? et maquisards luxembourgeois, fidèles à leur Jean l'Aveugle, bien que mort, tu as réussi Grande-Duchesse et à leur patrie, ont lutté côte quand-même à faire revivre en ce jour inoubliable à côte avec leurs camarades français et belges le sentiment d'union nationale dans les cœurs pour la cause de la justice, de l'humanité et de descendants de ceux qui, autrefois, étaient les la civilisation. Nombreux sont les Luxembour- fidèles sujets luxembourgeois. Ton dernier vœu geois qui onl ]X)rté l'uniforme des soldats de va enfin être réalisé, grâce à la France dont « tu l'armée des Nations Unies contre la barbarie n'as jamais oublié les chemins ». 'Dorénavant, nazie. Honneur à tous, qu'ils aient combattu dans tu reposeras au bord de l'Alzette, qui t'a vu les dédales du maquis français, dans l'Armée naître, au milieu de ton peuple que tu as tant blanche ou dans la Brigade Piron. Tous ont aimé. Nous monterons la garde autour de ta der- bien mérité de leur patrie, car tous ont fait leur nière demeure et, quoi qu'il arrive, nous ne le cri de désespoir de notre héros aveugle: nous quitterons plus, tu resteras avec nous, «Tourner le dos à l'ennemi, que Dieu me pré- comme le palladium sacré, le garant du bonheur serve d'un pareil déshonneur! » et de la nouvelle grandeur du peuple luxem- Le peuple luxembourgeois est donc en droit bourgeois! » de revendiquer l'estime et la sympathie du monde civilisé, il les mérite certainement aussi Enfin, le Général Kœnig, fit le discours sui- par le grand nombre de personnages illustres vant: issus de la maison de Luxembourg et dont l'his- « Dans une prairie de France, entre la Somme toire a retenu et les noms et les bienfaits'. et la mer, se dresse une simple croix de pierre: Le premier d'entre eux est sans contredit rien ne la distingue de toutes les autres croix qui celui qui en est auss~î le plus populaire, Jean marquent la rencontre de tant de nos chemins. l'Aveugle, comte de Luxembourg et roi de Bo- Les paysans de l'endroit l'appellent la croix du hême, dont nous venons de ramener, au sixième Roi de Bohême. Elle indique en effet la place centenaire de sa mort, la dépouille mortelle dans où tomba en 1346, pour la cause du royaume son pays et sa ville de prédilection. Nous savons de France, Jean, Comte de Luxembourg et Roi que de son vivant il était « un véritable empereur de Bohême. Le lieu s'appelle Crécy; il a donné par ses pouvoirs » (c'est Voltaire qui l'appelle son nom à une rude bataille où les archers et ainsi), « un empereur par sa vaillance et par son la nouvelle artillerie anglaise taillèrent en pièces sens et sa prudence » (son secrétaire, le chroni- — une fois n'est pas coutume — les chevaliers queur Guillaume de Machault l'a dit), et que, du Roi de France. d'après Chateaubriand, sa fin héroïque à Crécy Jean, Comte de Luxembourg, participa au était « un vrai miracle d'honneur et de fidé- combat avec six cents de ses chevaliers. Il était lité ». spontanément venu en aide à notre Philippe VI La Ville de Luxembourg, où Jean l'Aveugle à la nouvelle du débarquement ennemi, car il séjourna de préférence, se rappellera à tout était l'ami de la France. Son père, l'Empereur jamais des bienfaits qu'il prodigua à sa ville Henri VII, né à Valenciennes d'une mère fran- natale. Il accorda au pays et à la Ville de nom- çaise, était déjà réputé comme le prince le plus breuses faveurs qui firent accroître sensible- français de l'Empire. Lui-même, cousin du Roi ment le bien-être de ses chers Luxembourgeois. et beau-père du futur Jean le Bon, avait maintes Une de ses innovations, la plus populaire que fois mis à la disposition des Valois son épée Jean l'Aveugle décréta par la charte du 20 oc- et son talent de négociateur. tobre 1340, la création « d'une foire de huit On le voit à Cassel, aux côtés des chevaliers jours à Luxembourg, à commencer du jour de français, écraser la révolte flamande. Il est à St.-Barthélémie », la « Schuebermess » actuelle, Amiens, négocier avec le Roi d'Angleterre la se tient depuis son institution régulièrement renonciation, au profit de la France, de ses pré- chaque année, et loin de perdre de son impor- tentions sur Guyenne et la Gascogne. Il contri- tance, s'est développée et amplifiée à travers les bue à raffermir les alliances que nouait Phi- siècles pour devenir pratiquement la kermesse lippe VI en prévision de la guerre. nationale de notre pays. Pour le remercier de ses bons services, le Roi La Ville de Luxembourg et le pays entier de France en fait son Capitaine Général en manqueraient à un devoir de reconnaissance des Languedoc, lui demandant de faire en son nom, plus élémentaires, s'ils n'honoraient pas, chaque lui écrivait-il, tout ce qu'il pourrait y faire lui- année à cette époque, la mémoire de celui qui, même, s'il y était présent. de son vivant, éblouissait son siècle par sa gran- Mais Jean l'Aveugle, pour nous Français, n'est deur d'âme, sa puissance, son génie politique et pas seulement un ami de la France. Il nous ses exploits guerriers. apparaît aussi comme une des figures les plus En réclamant le retour de ses cendres dans sa étonnantes de la chevalerie européenne. Carac- patrie, les Luxembourgeois ont voulu honorer tère idéaliste, ayant le goût de l'action et de par ce geste symbolique tous les patriotes qui l'aventure au bon sens du mot, il se passionne ont été arrachés pendant les sombres années vite pour toute cause qu'il estime juste et la de la domination nazie à la terre de leurs aïeux défend sans répit. S'il sert bien le Comté de et dont beaucoup, malheureusement, ne sont pas Luxembourg et s'il tente, à juste raison, d'en encore rentrés ou ne rentreront plus jamais. Qui affermir les assises ou d'en agrandir les fron- voudrait nier que le choix que l'on a fait parmi tières, il se bat pour la foi chrétienne, menant 14 une guerre implacable contre ceux qu'il dé- qu'à dégager chez nos deux peuples le sentiment nomme les « Sarrasins du Nord ». de l'indépendance nationale et exalter le goût S'il nous apparaît qu'il n'ait pas porté un de la liberté. Ces liens ont été cimentés encore même enthousiasme et une même ardeur à ren- plus solidement par la communauté des épreuves forcer ou à défendre son royaume de Bohême, subies au cours des années sombres que nous c'est sans doute qu'il est vraiment un homme venons de traverser, pendant lesquelles maints de l'occident. Ses affinités, ses intérêts et aussi d'entre nous ont eu l'honneur et la chance de ses affections le portent plus naturellement vers se battre à visage découvert, alors que tant des les pays du Rhin, de la Mer du Nord et d'Italie vôtres et des nôtres, pour avoir repoussé l'an- et surtout vers la France. nexion allemande, ont connu la déportation et Comment ce guerrier qui incarne toutes les les camps d'extermination. Aussi n'est-il pas vertus, tous les prestiges de la chevalerie, ne se étonnant, que nos deux drapeaux flottent côte serait-il pas battu aux côtés du Roi de France, à côte sur cette terre d'Allemagne occupée par le plus féodal des rois. Il a dû faire avec enthou- mon pays. siasme ce que Péguy aurait appelé la guerre de En vous aidant, au nom de la France, à réa- chevalerie et de baronnage, contre la guerre de liser aujourd'hui le vœu qui vous était cher, le marchandage. Commandement en chef français en Allemagne Aussi bien, sa mort semble tirée des romans n'a fait que reconnaître à son tour l'ancien- de chevalerie: Alors que les bataillons génois neté et la solidité des liens qui unissent, nous et la cavalerie du Comte d'Alençon sont écrasés l'avons encore bien prouvé il y a peu de temps, par l'armée d'Edouard III, le Roi Jean qui com- le Luxembourg et la France. » mande l'arrière-garde, est bientôt dépassé par les fuyards. Il refuse de « tourner le dos à ses La cérémonie se termina par les hymnes fran- ennemis », et dit à ceux qui l'entourent: çais et luxembourgeois, tandis que 21 coups de « Seigneurs, vous êtes mes amis ; je vous re- canon retentirent de la hauteur des «Trois quiers que vous me meniez si avant que je puisse Glands ». férir un coup d'épée. » Les chevaliers lièrent alors son cheval aux freins de leurs chevaux. A la Cathédrale. «Le Roi de Bohême alla si avant, raconte Le cercueil fut de nouveau hissé sur l'affût Froissard, qu'il férit un coup de son épée, voire de canon et transporté vers la salle du trésor plus de quatre moult vigoureusement et aussi à la Crypte de la Cathédrale où avait été dressé firent ceux de sa compagnie et si avant s'y abou- l'ancien sarcophage, dans lequel Jean l'Aveugle tèrent sur les Anglais, que tous y demeurèrent avait reposé à l'Abbaye de Neumunster jusqu'à et furent trouvés sur la place autour de leur la révolution française et qui avait été conservé seigneur (et tous leurs chevaux liés ensemble)». sous le jubé de l'ancienne Cathédrale. Ainsi préfigure-t-il notre Chevalier d'Assas En présence de la Cour et des personnalités, et tous ceux des .hommes d'arme dont la bra- Monseigneur l'Evêque de Luxembourg prononça voure est telle qu'elle attire l'ennemi pour le une courte allocution, au cours de laquelle il fixer dans la mort. Ainsi ouvre-t-il la lignée rappela les hauts faits et gestes du Roi et ex- des grands Capitaines étrangers qui, avec une prima le désir de voir rentrer également dans le noblesse désintéressée, mirent leur épée au ser- pays les restes des autres souverains régnants vice de la France. La France reconnaissante décédés et qui reposent toujours en terre étran- garde précieusement leur mémoire. gère. Il procéda ensuite aux cérémonies lithur- Après les vicissitudes sans nombre, voici re- giques et donna l'absolution «ad tumbam ». Un venue d'Allemagne où un prince prussien, in- requiem, chanté par la maîtrise de Notre-Dame, sensible au vœu de votre peuple, l'avait main- termina les cérémonies de l'après-midi. tenue, la dépouille mortelle du très valeureux et Après la cérémonie, le comité d'organisation très populaire Comte de Luxembourg. Elle at- fut reçu par S. A. R. Madame la Grande-Du- teste mieux que tout discours l'ancienneté et la chesse, et la journée se clôtura par un dîner solidité des liens d'amitié qui unissent le Luxem- officiel donné par le Gouvernement et auquel bourg et la France. Votre histoire comme la assistaient en présence de LL. AA. RR. le Prince nôtre est une longue suite de luttes contre les Félix et le Prince Jean, les Généraux Kœnig et invasions et contre les oppressions: invasions Prikryll, les membres du Gouvernement et de ou oppressions qui n'aboutirent en définitive nombreux diplomates et officiers.

Le Xe Congrès International de la Ligue des Femmes pour la Paix et la Liberté

Dimanche, le 4 août, fut inauguré au Cercle vernement était représenté par M. Osch, Commis- Municipal de Luxembourg le 10e Congrès de la saire Général aux Dommages de Guerre. Ligue Internationale des Femmes pour la Paix Le discours inaugural fut prononcé par Ma- et la Liberté. Le thème du Congrès était: «Un dame Hubert Clement, qui souhaita d'une façon Monde Nouveau. » très cordiale la bienvenue aux représentantes des A la séance d'ouverture assistèrent de nom- différents pays. breuses personnalités luxembourgeoises. Le Gou- 21 nations avaient envoyé 200 représentantes. 15 Le Comité des femmes luxembourgeoises était téressés qu'elle soit incorporée dans sa consti- composé comme suit: Madame Hubert Clement, tution. Madame Ry Boisseaux, Madame Pierre Krier, Après avoir fait pendant vingt ans l'expé- Mademoiselle Nelly Flick, Mademoiselle Glesener, rience des maux engendrés par les traités qui Mademoiselle Kohner, Madame Léon Thyes et ignoraient les conséquences économiques des dé- Madame Stumper. cisions politiques, traçant souvent les frontières Les déléguées, pendant toute la semaine, tra- sans se préoccuper de leurs effets sur la vie vaillèrent à la révision des buts et à la définition quotidienne sociale et économique, nous faisons des tâches principales de leur ligue. appel à vous, pour que vous ne permettiez pas Le 5 août, le Congrès de Luxembourg envoya que les intérêts nationaux, les avantages écono- un message aux représentants des 21 Gouver- miques et le prestige déterminent les décisions nements assemblés à la Conférence de la Paix de la Conférence, mais pour que vous agissiez à Paris: comme les « trustees » de l'espèce humaine, prise dans son unité. Messieurs, Le monde souffre d'aspirer en vain à une Nous, femmes d'une vingtaine de pays ras- atmosphère de confiance et de sécurité. semblées au nombre de 200 pour le Congrès de Messieurs, c'est à vous qu'il est donné de la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix prendre les mesures décisives pour créer un et la Liberté réunies actuellement à Luxembourg, monde libéré de la peur et libéré du besoin — interprêtes de tous les hommes et de toutes les un monde, dans lequel tout être humain si femmes qui aspirent ardemment à la Paix, nous humble soit-il et partout où il se trouve, se sente vous adressons un appel solennel, à vous, qui en sûreté, politiquement libre, socialement en portez la plus lourde responsabilité. sécurité et soit dans une position économique qui C'est avec une grande anxiété que nous voyons lui permette d'établir comme il lui convient son se prolonger l'état d'inquiétude causé par les plan de vie; un monde, dans lequel chacun malheureux délais apportés au règlement des jouisse de chances égales dans tous les domaines traités de paix. de l'éducation et de la profession. C'est seulement en ayant ce but élevé dans Nous vous adressons cet appel, d'abord pour 1 que vous basiez les traités sur le respect de la l'esprit que l'on pourra conclure des traités capables d'assurer une paix juste et durable. dignité de la personne humaine et des droits e humains — un respect conçu non dans l'esprit Au nom du 10 Congrès de la Ligue Inter- d'un individualisme atomique, mais comme l'élé- nationale de Femmes pour la Paix et la Liberté ment essentiel d'une organisation nouvelle de la nous vous prions d'agréer, Messieurs, l'assurance communauté sociale. de notre considération distinguée. Une Charte des Droits de l'Homme devrait faire partie intégrante de tous les traités de paix, La séance publique qui termina le Congrès, et il devrait être exigé de chacun des Etats in- eut lieu au Cercle Municipal le samedi, 10 août»

Le soi-disant Coup d'Etat du 2 août

M. le Ministre d'Etat et plusieurs autres avaient été accompagnées d'un orchestre de pu- membres du Gouvernement avaient reçu les jours blicité dans la presse internationale, où on lisait précédant le vendredi, 2 août, des informations les plus fantastiques exagérations. Le grand certaines relatives à un coup de violence qui se journal «The Times », jugé comme le plus préparait contre le Gouvernement. sérieux d'Angleterre, avait publié que 20.000 Les faits parvenus à la connaissance du Gou- participants auraient pris part à des manifesta- vernement étaient assez sérieux —- quoique tions dans les rues de Luxembourg à la suite n'impliquant qu'un groupe assez restreint de du « complot ». La presse américaine de son personnes — pour le déterminer à agir pour côté avait lancé un premier télégramme, dans sauvegarder l'ordre public. Le juge d'instruction lequel il était parlé de révolution, de complot et fut invité à faire une enquête. Une arrestation de démission. M. le Ministre d'Etat regrettait que fut opérée et plusieurs mandats d'amener furent ces exagérations aient sans doute causé le plus délivrés. grand tort à notre pays à l'étranger. «Quelle Par la distribution de feuilles volantes, on impression fâcheuse, dit-il, doit avoir fait cette voulut inviter la population de la Capitale le nouvelle sur nos amis d'Amérique ou d'Angle- samedi, 3 août, à participer à une démonstration. terre, surtout sur ceux qui savaient notre pays A cette démonstration ne participèrent que 200 si démocratique et qu'est-ce qu'ils doivent penser à 300 personnes, ce qui démontre que la popula- de nous? Qu'est-ce qu'ils pensent à un moment, tion se refusait à prêter son concours. D'ail- où nous avons besoin du crédit du monde entier, leurs, le juge d'instruction fut en mesure de où nous vivons du crédit du monde, car un petit lever provisoirement l'arrestation unique qui pays comme le nôtre ne peut pas vivre sans avait eu lieu. Aucune sanction définitive n'a crédit. » encore été prise par la suite. Les grands journaux rectifiaient les jours Dans le compte rendu qu'il a fait à la suivants leurs premiers rapports en publiant Chambre des Députés, M. le Ministre d'Etat a les faits et les nombres correspondant à la relevé que, malheureusement, ces agitations réalité. 16 La Presse Parlementaire Belge visite le Grand-Duché

Les 24 et 25 août, à l'occasion des festivités des échevins de la ville. M. Hubert Clement, organisées pour le retour des cendres de Jean; président de l'Association des Journalistes Lu- l'Aveugle, une assez forte deputation de la presse xembourgeois, leur a souhaité la bienvenue. Mt parlementaire belge s'était rendue à Luxembourg. Marcel Styns, président des journalistes bruxel- Il convient de noter les noms suivants: lois, et M. Félicien Delcourt, secrétaire de la Marius des Essarts, directeur du « Journal de Presse Etrangère en Belgique, répondirent au Charleroi » et président de la presse belge; nom de la presse belge. -- Le soir, un diner fut Marcel Styns, rédacteur en chef au « Laatste offert au Golf par la ville de Luxembourg sous Neuws » et président des journalistes bru- la présidence de M. le Bourgmestre Hamilius et xellois ; en présence des échevins. M. le Ministre de Bel- Georges Détaille, rédacteur politique et parle- gique, M. le Ministre Margue, M. P .Elvinger, mentaire du. «Soir», syndic de la presse conseiller de Gouvernement aux Affaires Etran- du Sénat; gères, M. Welter, conseiller de Gouvernement au Robert Moulinasse, rédacteur politique « La Libre Ministère d'Etat, M. Petit, attaché de presse à Belgique », syndic de la presse 3e la l'Office d'Information, honorèrent ce dîner de Chambre ; leur présence. — En réponse aux cordiales pa- Max Wery, directeur du service de presse au roles de M. Hamilius, les orateurs belges Marius Ministère des Affaires Etrangères; des Essarts, président de la presse belge, et Delcourt, secrétaire de la presse étrangère en Georges Détaille, syndic de la presse du Sénat, Belgique ; fêtèrent le Grand-Duché, ses populations labo- Fraikin, secrétaire général « La Nation Belge » ; rieuses et son hospitalité légendaire. Eemans, réd. politique « La Dernière Heure » ; Dimanche, 25 août, les journalistes parle- F. Servais, idem «Le Soir »; mentaires belges assistèrent aux cérémonies de Gaston de Man, idem « Le Quotidien » ; la réception des cendres de Jean l'Aveugle devant Mme E. Goldstein, idem « Le Peuple » ; l'Hôtel de Ville, où une tribune leur était ré- Robert Chesselet, idem « La Lanterne » et le servée. « Matin d'Anvers » ; Le lundi, 26 août, un déjeuner fut offert à Lecomte, idem «Nouvelle Gazette de Charleroi la presse belge par le Gouvernement luxembour- et de Bruxelles » ; geois. Des discours ont été prononcés par M. le Erasme Gillard, idem « La Gazette de Liège » ; Ministre Margue, M. des Essarts, président de la Em. van Cauwelaert, idem « Het Volk » (Gand) ; presse belge, M. Hubert Clement, président de van Molle, idem « Nieuws van den Dag » ; l'Association des Journalistes Luxembourgeois, de Witte, idem « Vooruit » (Gand) ; M. Stynes, président des journalistes bruxellois, Breyne, idem « Nieuwe Standard » ; M. Georges Détaille, syndic de la presse du Borzikowski, secrétaire général de l'association Sénat, et M. F. Deloourt, secrétaire de la presse des reporters photographes de Belgique. étrangère en Belgique. — Après une visite du La Radio Belge, qui avait fait le déplacement cimetière de Hamm, les journalistes belges firent avec sa voiture d'enregistrement, était représentée1 l'excursion traditionnelle de la Moselle, où ils par M. Fostier. apprécièrent les crus des caves coopératives et Les journalistes luxembourgeois, heureux de les mousseux des Caves St.-Martin. En passant reprendre le contact amical avec leurs confrères! par Mondorf, ils visitèrent l'établissement ther- mal et le chantier de forage de la Source belges, leur avaient offert à leur arrivée, samedi, r le 24 août, un vin d'amitié à l'Hôtel de Ville Kind sous la conduite de M. le D Thurm, direc- en présence de M. le Bourgmestre Hamilius et teur du service sanitaire.

Les Expositions se succèdent . . . Exposition de collections exotiques Joseph-Emile Muller, chargé d'éducation esthétique. et luxembourgeoises L'Exposition Jean l'Aveugle organisée au Mu- Après les belles expositions (de peinture et de sée d'Histoire par M. le conservateur Joseph folklore") organisées à Luxembourg pendant la Meyers et M. le conservateur adjoint saison d'hiver, voici que trois autres expositions;, Georges Schmitt. ont, depuis la fin du mois de juin, retenu l'at- Le 21 juin a été inaugurée une exposition tention et l'intérêt du public. limitée de collections exotiques et luxembour- L'Exposition de collections exotiques et lu- geoises, organisée par M. Marcel Heuertz, conser- xembourgeoises organisée au Musée d'His- vateur du Musée d'Histoire Naturelle, en hom- toire Naturelle par M. le conservateur M. mage à deux personnes dont l'activité a valu au Heuertz. Musée un développement considérable: l'explo- L'Exposition de la jeune peinture lyonnaise rateur Edouard Luja et l'ancien conservateur organisée au Cercle Municipal par l'UNIL Victor Ferrant, décédé pendant la guerre. (Union Nationale des Intellectuels Luxem- Cette inauguration a eu lieu en présence de bourgeois) avec visites guidées par M. S. A. R. le Grand-Duc Héritier Jean, des repré-

17 sentants du Ministère de l'Education Nationale, Faune du G.-D. de Luxembourg: des Ministres de France, de Belgique, des Etats- Poissons 1915 Unis, du Conseil d'Angleterre, des autorités sco- Amphibies et Reptiles . . . . . 1915 laires, ainsi que des délégués de l'Institut grand- ducal et des sociétés scientifiques. Oiseaux 1926 Ed. Luja a rassemblé pendant ses voyages Mammifères 1930 en Afrique et Amérique du Sud un matériel Die fluvio-glazialen Schotterterrassen des considérable qui est allé alimenter, en plus du Mosel taies auf Luxemburger Gebiet . 1933 Musée de Luxembourg, quelques instituts des La Faune pleistocene d'OEtrange (en col- plus en vue de l'étranger; on 'lui doit toute une laboration avec M. Friant . . .1936-1940 série d'espèces nouvelles, tant 'du règne végétal Die einheimische Vogelwelt im Haushalte qu'animal. Observateur consciencieux autant que collectionneur, il a fourni une documentation der Natur 1937 précieuse, particulièrement en ce qui concerne les Industrie de la station préhistorique termites et les fourmis. d'OEtrange (en collaboration avec N. Voici un résumé des voyages de M. Ed. Luja: Thill) 1938 Le Musée d'Histoire naturelle a tenu à rendre 1er voyage 1899, Mission Luja-Duchesne: Kas- un hommage public et national aux deux saï-Sankourou. hommes qui ont fait honneur à la science lu- Découverte par Luja d'une variété robuste xembourgeoise: l'un sous les vastes horizons de du caféier, introduite avec grand succès aux l'Afrique et de l'Amérique, l'autre dans le rayon Indes Néerlandaises, où les cultures étaient plus étroit de notre petite patrie et le cadre menacées de destruction par un champignon modeste de son laboratoire de musée. parasite. Herbier important et plantes horticoles nou- L'Exposition velles. 2e voyage 1901 : Zambèze. de la jeune peinture lyonnaise Exposition organisée par la section lyonnaise des « Amis Essai d'acclimatation au Zambèze de plantes de l'Art», l'Union Nationale des Intellectuels Luxembour- geois et les Centres Culturels et d'Education Populaire et tropicales d'autres régions. placée sous le Haut Patronage du Ministre de l'Education nationale du Grand-Duché, du Président Edouard Herriot Plantes nouvelles, surtout orchidées. du Ministre de France à Luxembourg et des Municipalités Collections diverses, surtout insectes. de Lyon et de Luxembourg. 3e, 4e, 5e et 6e voyages 1903—1914: Sankoarou. L'exposition de la jeune peinture lyonnaise Collections variées, surtout insectes, poissons, qui, du 13 au 28 juillet dernier, réunissait au champignons. Cercle Municipal à Luxembourg soixante et un Découverte des termitières souterraines con- tableaux de vingt-cinq peintres différents, a été centrées. un événement artistique tout à fait remarquable. Observations sur la vie des insectes. D'abord parce que, à quelques exceptions près, 7e voyage 1924 : Amérique du Sud. Minas Geraes. elle ne nous présentait que des œuvres atta- chantes. Ensuite, parce qu'elle nous offrait une Collections variées. e rare occasion de nous familiariser avec la pein- 8 voyages 1928: Kivou. ture moderne. Elle ne nous montrait certes pas Collections variées. toute la peinture contemporaine, ni la plus ori- En dehors du Musée de Luxembourg, les col- ginale, la plus avancée: celle-là est le privilège lections de M. Ed. Luja se trouvent prin- de Paris. Mais pour un public qui n'est encore cipalement au Jardin Royal de Botanique de que peu habitué à la façon de voir et de s'ex- Bruxelles, au Musée colonial de Tervueren-Bru- primer "des artistes modernes, elle avait sans xelles et au Lloyd Museum, Cincinnati, U. S. A. doute, à cause de cela même, une importance Victor Ferrant, conservateur du Musée d'His- particulière: elle pouvait l'initier sans l'effarou- toire naturelle pendant plus de 40 ans, a 'été le cher excessivement. D'ailleurs, elle ne manquait complément heureux de l'explorateur: grâce à pas de variation. ses efforts les récoltes exotiques de Luja trou- On distinguait avant tout deux grandes fa- vèrent une utilisation scientifique fructueuse. milles de peintres: d'un côté ceux qui, sans Lui-même a complété les collections luxembour- copier le monde extérieur, lui témoignent an geoises par des apports importants, surtout du certain respect, nous en font voir une image groupe des insectes; en plus, il rassembla un poétique ou composent une réalité picturale en matériel fossile considérable sur la faune quater- n'altérant pas complètement la réalité ordinaire, naire et la préhistoire humaine, dégagé dans les en ne la rendant pas absolument « méconnais- alluvions anciennes de la Moselle ou mis à jour sable » ; de l'autre côté ceux qui nous révèlent par des fouilles exécutées dans la région du grès un monde nouveau, un monde inventé, imagi- de Luxembourg, à la suite des découvertes faites naire, fantastique dans la création duquel le sub- par l'instituteur Nicolas Thill. conscient joue le premier rôle. Mais à l'intérieur de ces familles les différences étaient encore très Publications principales de V. Ferrant: nettes. Faune des mollusques terrestres et flu- Dans la première, Didier par exemple préfère viatiles du G.'-D. de Luxembourg . . 1902 les tons sourds, les nuances, les « valeurs », tandis Die schädlichen Insekten der Land- und que Laplace s'exprime avec force par là couleur Forstwirtschaft, ihre Lebensweise und pure exaltée, la couleur vive et vivifiante. Bekämpfung 1911 Chartres se sert lui aussi de tons purs contras- 18 tants, mais il les assourdit, et il compte plus avec taille de Crécy par une exposition consacrée à l'esprit de la couleur qu'avec sa matière. Gouty, la mémoire du héros national le plus populaire le vigoureux, par contre affectionne la pâte chez nous. grasse, savoureuse. D'autre part, il y avait Carie Dans trois petites salles des bâtiments du aux éloquentes formes géométrisées et aux taches Musée de l'Etat, Marché-aux-Poissons, est réuni de couleurs denses, riches en sonorité et en vi- un choix de livres, d'images et d'objets de tout brations. Il y avait Charbonnier qui tout en genre se rapportant à la personne et à la famille aimant les empâtements donne au ton quelque de Jean. La Bibliothèque Nationale de Luxem- chose d'immatériel et d'illuminé. Il y avait bourg avait prêté les ouvrages principaux qui l'aquarelliste Grange au coloris délicat et au traitaient soit l'ensemble, soit l'un ou l'autre dessin sensible. Il y avait Jean Martin dont la chapitre de la carrière de ce prince; des prêts dus couleur émaillée au timbre clair renforce la à des particuliers complétaient cette biblio- clarté de la composition et la rend d'autant plus graphie. impressionnante. Il y avait Montheillet qui dis- La première salle, où étaient exposés ces sout la matérialité palpable des objets et n'en imprimés (mentionnons les ouvrages de Ficken, retient qu'un vague souvenir pour justifier la Meltzer, Opitz et Jean Schotter), représentait forme de ses tons intimes étalés à plat. Il y avait l'introduction à l'histoire proprement dite du roi ; Ferréol qui juxtapose de larges champs de cou- celle-ci était montée dans les deux salles sui- leurs monochromes, auxquelles il confère une vantes, où il est question d'abord de la politique luminosité intense. européenne de Jean et de sa maison (carte des- Dans la famille des irréalistes, des vision- sinée à grande échelle) ; ensuite des grandes naires il y avait le monde charmeur de Louis personnalités luxembourgeoises du 14e siècle, des Thomas aux formes créées de toutes pièces et parents, des amis et des adversaires de nos en toute liberté; il y avait la vision de Claude comtes, rois et empereurs (moulages d'après des Idoux, singulière comme un rêve que nous ne originaux de la Cathédrale Saint-Veit à Prague, savons pas expliquer entièrement et qui cepen- des cathédrales de Mayence et de Pise) ; des dant est chargé de signification; il y avait les conflits internationaux où Jean et sa famille créatures symboliques de Burlet, la composition furent engagés. réfléchie et énigmatique de Lenormand dont on La troisième salle était consacrée à la poli- n'avait pas besoin de déchiffrer le sens anecdo- tique luxembourgeoise de Jean l'Aveugle, à l'ico- tique pour être touché par le chant de ses nographie de ce prince, à sa vie mouvementée, à couleurs tour à tour fermes et tendres. Qu'au sa mort héroïque dans la bataille de Crécy, aux premier abord, ces derniers tableaux aient un pérégrinations invraisemblables de son corps, en- air étrange, nul ne le nie. Mais étrange n'est pas fin aux sépultures nombreuses et aux nombreux' synonyme d'inaccessible et encore moins d'ab- projets de sépulture pour le roi défut (p. ex. le surde. Pour qu'une chose cesse d'être étrange, plan Charles Arendt). il suffit de la regarder. Pour que la peinture moderne la plus extraordinaire devienne abor- Seule une partie des objets et des documents dable, il suffit de la fréquenter. qui intéressent l'histoire de Jean l'Aveugle se trouve dans son pays natal. Aussi la direction L'affluence à cette exposition lors des visites du Musée avait-elle fait appel à l'étranger pour guidées a d'ailleurs permis de constater une fois compléter ses collections. La Bibliothèque na- de plus qu'il existe ici un nombre déjà notable tionale à Paris, la Bibliothèque royale et les de personnes qui désirent d'entrer en contact Archives du Royaume à Bruxelles avaient prêté avec la peinture moderne. Et c'est là un fait très des manuscrits fort rares (on admirait surtout réconfortant. Un autre fait qu'il importe de un manuscrit à miniature de la Chronique de relever avec satisfaction est celui-ci: il s'est Froissart), grâce à l'obligeance de leurs conser- trouvé une série d'amateurs pour acheter des vateurs. Notre ministère des Affaires Etrangères tableaux et tous ont acquis des œuvres reoom- ainsi que nos Légations de Paris et de Bruxelles mandables, il faut presque dire: on a choisi les avaient facilité énormément la tâche des conser- œuvres les plus réussies de l'exposition. vateurs de notre Musée. Le conservateur du Ca- binet des Médailles de la Bibliothèque royale de Exposition Jean l'Aveugle Bruxelles avait apporté de très belles pièces de monnaies de la collection Bernays. La ville de II était naturel que le Musée d'Histoire de Luxembourg et quelques particuliers nous avaient Luxembourg célébrât le retour des cendres de prêté de nombreux objets fort précieux (charte Jean l'Aveugle et le sixième centenaire de la ba- du 20 octobre 1340, charte du 25 mars 1346). Distinctions honorifiques Le 25 août, S. A. R. Madame la Grande- Duchesse reçut le Général Prikryl, représentant Duchesse a reçu en audience particulière le le Gouvernement tchécoslovaque lors des céré- Général Kœnig, Commandant en chef des forces monies de la translation des cendres de Jean françaises d'occupation en Allemagne, et lui a l'Aveugle à Luxembourg, et lui a remis égale- remis les insignes de Grand-Croix de l'Ordre ment les insignes de Grand-Croix de l'Ordre National de la Couronne de Chêne. National de la Couronne de Chêne. Le même jour, S. A. R. Madame la Grande- Le 24 août 1946 fut conféré la croix de 19 guerre luxembourgeoise, à titre posthume, au Le 26 août, S. Exe. Mr. George Platt Waller, Général Edw. G. Betts, Major General, Theatre Chargé d'Affaires des Etats-Unis d'Amérique à Judge Advocate U. S. Army, enterré au cime- Luxembourg, a remis, en présence de S. A. R. le tière militaire de Hamm. Grand-Duc Héritier, l'insigne de « Bronze Star Medal » au Lt.-Colonel Ginter, Commandant des Le 30 août, S. A. R. Madame la Grande- troupes luxembourgeoises, et au Lieutenant Paul Duchesse, recevant en audience de congé M. Guill Koch, Aide de Camp de S. A. R. Monseigneur Konsbruck, Ministre du Ravitaillement et des le Prince Félix. Affaires Economiques, lui a remis les insignes Par décret du 6 août 1946, M. Louis Knaff, de Grand Officier de l'Ordre de Mérite civil Capitaine de Réserve, a été nommé Chevalier et militaire d'Adolphe de Nassau. dans l'Ordre National de la Légion d'Honneur.

Nouvelles de la Cour et du Gouvernement

Le 31 août, S. A. R. Madame la Grande- Ravitaillement et des Affaires Economiques a été Duchesse a nommé Ses Chambellans en service accordée, sur sa demande, à M. Guill Konsbruck. extraordinaires M. Guill Konsbruck et M. Pierre Majerus, Chargé d'Affaires a. i. du Grand-Duché Par arrêté grand-ducal du même jour, M. de Luxembourg à Bruxelles. iMmbert Schaus, député et échevin de la ville Par arrêté grand-ducal du 29 août, démission de Luxembourg, a été nommé Ministre du Ra- honorable de ses fonctions comme Ministre du vitaillement et des Affaires Economiques.

Le Mois à Luxembourg

1er août: Le tribunal spécial condamne à mort 26 août: Aux Musées de l'Etat, inauguration le professeur Damian Kratzenberg, l'ancien d'une exposition «Jean l'Aveugle ». « Landesleiter » du mouvement pro-allemand 30 août: Réception de la Musique militaire de VDB. pendant l'occupation. Metz à la gare principale et grand concert de 3 août: Séance de clôture du 1er Congrès de cette musique sur la place des Martyrs. l'UNA à Luxembourg. 31 août: IIe journée «Ons Jongen», organisée 4 août: Au Cercle Municipal, ouverture du Xe par la Ligue « Ons Jongen » en commémora- Congrès de la Ligue Internationale des tion de la grève générale de 1942. Un service Femmes pour la Paix et la Liberté. solennel est célébré en la Cathédrale de Lu- e xembourg à la mémoire des victimes de la 9 août: Clôture du X Congrès International grève et des Luxembourgeois morts pour la de la Ligue des Femmes pour la Paix et la Patrie, en présence de S. A. R. Madame la Liberté: grande réunion publique. Grande-Duchesse et de S. A. R. le Prince 17 août: Au Cercle Municipal, grande manifes- Jean. tation organisée par la Ligue «Ons Jongen », Dans l'après-midi, un grand défilé de la où sont formulées les revendications de la Ligue «Ons Jongen», la Musique militaire jeunesse. Un appel urgent est lancé au Gou- de Metz en tête, se déroule devant la tribune vernement. M. Steil, président de la Ligue, d'honneur, place des Martyrs (devant le Palais M. Wohlfahrt, vice-président, M. Simonis, des ARBED), où avaient pris place S. A. R. délégué de l'Association des Parents et le le Grand-Duc Héritier Jean, M. le Président secrétaire de la Ligue des «Malgré-Nous » de la Ligue Steil, M. le Ministre de l'Intérieur d'Alsace et de Lorraine sont les porte-parole. Eugène Schaus et M. le Commissaire général aux Dommages de Guerre A. Osc'h. 24"août: Devant la presse, M. Donnersbach, chef du service de recherches de la Ligue « Ons Pour terminer cette mémorable journée, Jongen »., rend compte de l'activité de son une assemblée générale a eu lieu au Cercle service depuis sa création en octobre 1945 Municipal et un discours remarquable est jusqu'à ce jour. prononcé par M. Fandel, secrétaire général de la Ligue, où il retrace le calvaire de la Ouverture de la Grande Foire 1946. jeunesse luxembourgeoise et formule, une fois 25 août: Retour des cendres du héros national de plus, les revendications de la Ligue. Jean l'Aveugle, comte de Luxembourg et roi En signe de deuil, la « Foire » est fermée de Bohême, à Luxembourg. pendant toute la journée du 31 août.

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