Vers Un Acte III De La Décentralisation : Quelles Compétences Pour Nos Territoires ?
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Table ronde n°1 Vers un acte III de la décentralisation : quelles compétences pour nos territoires ? Perrine TARNEAUD. – Merci Hervé Marseille pour cette introduction. Nous allons commencer les débats par la première table ronde : quelles compétences pour nos territoires ? J’appelle à la tribune : Catherine Morin-Desailly, sénatrice, conseillère régionale de Haute-Normandie, Jean-Léonce Dupont, sénateur, vice-prési- dent du Sénat et président du conseil général du Calvados, Frédéric Leturque, maire d’Arras et Jean-Jacques Pignard vice-président du conseil général du Rhône. Hervé Marseille vient de détailler l’acte III de la décentralisation qui va être présenté en conseil des ministres (le 10 avril). On attendait un seul texte, finalement, il y en aura trois, sans vraiment clarifier les compétences de chacun des territoires. Jean-Léonce DUPONT. – Je voudrais tout d’abord dire à Hervé, élu fran- cilien, qu’il a devant lui deux élus normands. Vous avez compris la grande amitié avec laquelle nous travaillons de manière pérenne puisque chacun sait que la Normandie est la porte maritime du Grand Paris et de la région Île-de-France. Pouvoir échanger sur tous ces sujets est donc un grand plai- sir permanent. S’agissant de l’acte III, comme l’a très bien dit Hervé, il y aura trois textes. Il nous faut peut-être être modestes dans la critique car nous avons déjà connu le découpage d’un certain nombre de textes liés à la réforme des ter- ritoires. On a déjà donné ! « Acte « III de la décentralisation » Ce qui n’était pas une réussite hier ne l’est pas plus aujourd’hui. On peut effectivement s’attendre au pire, notamment dans la cohérence et la vision globales car, vous imaginez bien que traiter, d’abord la région et ensuite les compétences laisse supposer que la région n’aura aucune compétence puisque ce sera traité après coup. Ce découpage ne me paraît pas présa- ger d’orientations intéressantes. Initialement, on m’avait demandé de faire la synthèse… Perrine TARNEAUD. – Vous deviez effectivement conclure cette table ronde. Finalement, vous l’introduisez. 10 Jean-Léonce DUPONT. – Je suis comme un auditeur qui, finalement, arrive avec déjà les conclusions. Je vais donc essayer de lancer un certain nombre de débats, ayant des positions que beaucoup, j’imagine, ne parta- geront pas. Cela permettra de lancer réellement le débat. un rapide survol, Hervé l’a dit, dans notre famille politique, la décentrali- sation est un de nos thèmes, un thème fantasmatiquement intéressant, en particulier pour les élus. Malheureusement, constatons que ce n’est pas un thème de première importance aujourd’hui dans la réflexion et l’attente des Français. Il faut en avoir absolument conscience. La décentralisation rapidement : année 1980. Ce qu’a fait Gaston Defferre dans les années 1980 était vraiment une initiative révolutionnaire que nous nous sommes tous appropriée. Simplement, cela s’est fait à une époque où les collectivités avaient des marges de progression, notamment financières, relativement intéressantes. Aussi, le transfert de compétences n’a pas posé de difficulté puisque la capacité financière locale pouvait y répondre. Je vous en donne une illustration : dans mon département, celui du Calvados, pour le transfert des collèges que nous avons accueilli avec sérénité, entre la dotation reçue de l’État et le montant réel consacré à la dépense, nous sommes dans un rapport de 1 à 10. On m’a donné 1 et la dépense annuelle est de 10. Cela n’a pas posé de questions. Pourquoi ? Parce que nous étions à une époque où nos marges de progression financière, fiscale, nous permettaient d’absorber sans problème ces compétences. La décentralisation de Jean-Pierre Raffarin, est intéressante car elle constitutionnalise l’autonomie des collectivités et la non-tutelle d’une collec- tivité sur l’autre. J’insiste sur ces deux points car, pour les textes sur les- quels nous aurons à travailler, vous verrez que ces deux questions sont objectivement et réellement posées. C’est une avancée, me semble-t-il, dans la vision des territoires qui était la nôtre et ce n’est pas étonnant venant de Jean-Pierre Raffarin ; mais à mon avis, cet acte II de la décentralisation a posé un problème, notamment le fait de donner la compétence générale à la région. Jusqu’alors elle ne l’avait pas. Le fait de la lui transférer a abouti à l’idée encore plus dévelop- Acte « III de la décentralisation » pée de ce millefeuille où tout le monde peut absolument tout faire. Je pense que ce transfert de compétence générale n’a pas été une bonne orientation dans l’acte II de la décentralisation et que c’est une des causes, parmi d’autres, des difficultés d’appréhender et de simplifier la situation que nous connaissons aujourd’hui. quand on parle aujourd’hui décentralisation, je pense qu’il faut naturelle- ment poser le problème des compétences – il y a plusieurs manières de l’aborder –, mais très vite, se pose également celui de l’architecture, un pro- blème très compliqué. On le sait d’autant plus que les parlementaires -qui 11 ont vécu le dernier acte, la loi de 2010- ont été nombreux à s’interroger ici et là. Je vous en dis deux mots car cela peut éclairer les débats. Comme on vit une période que d’aucun pense qu’elle n’est pas très bonne, on finirait par croire que ce qui était présenté avant était bon. Il faut tout de même avoir un regard objectif, me semble-t-il ! La loi de 2010 avait deux ambitions officielles annoncées : la première : simplification, la deuxième : aux moindres coûts. quand on parle de simpli- fication administrative, on arrive au bout du bout à une complexité crois- sante. Sur le texte qui nous a été proposé, j’affirme à titre personnel, que nous sommes allés vers une complexification et nous serions allés vers un mode de fonctionnement plus onéreux. Pour illustrer mon propos, le fameux texte sur le conseiller territorial, qui a été compris par la population comme la disparition d’un des deux éche- lons, en réalité n’était pas du tout la suppression d’un échelon puisque c’est un élu qui gérait deux assemblées. De la même manière que vous avez, aux niveaux communal et intercommunal, des élus qui gèrent deux niveaux territoriaux que sont la commune et l’intercommunalité. Ceux qui ont une petite expérience de vie communale et intercommunale savent bien que ce n’est pas parce que vous siégez à l’intercommunalité que vous dépensez moins sous prétexte que vous gérez une commune. Vous êtes plutôt souvent à défendre les intérêts de votre commune à l’inté- rieur de l’intercommunalité. C’est d’ailleurs un des problèmes fondamen- taux. Le sentiment communautaire l’emporte rarement sur la défense de l’intérêt communal. On peut imaginer le futur conseiller territorial qui conti- nuerait à défendre son département à l’intérieur de l’assemblée régionale ! Je ne vous parle pas du nombre d’élus supplémentaires, puisque cer- taines assemblées seraient passées à 200, 250 voire 300 élus territoriaux. Pour vous donner une idée, 300 élus, c’est l’équivalent du Sénat ! Nous sommes 348 sénateurs. Nous savons ce qu’est la complexité de gérer 348 élus avec leur intelligence, leurs caractéristiques mais souvent toutes leurs « Acte « III de la décentralisation » exigences. Je peux vous affirmer que la gestion aurait été complexe car, derrière ces assemblées tout à fait pléthoriques, nous aurions eu tantôt des majorités politiques, tantôt des majorités par projet et tantôt des majorités géographiques, c’est-à-dire l’alliance d’un certain nombre de représentants de départements contre, éventuellement et souvent, le département le plus important qui porte en général la métropole. Tout cela pour vous dire que c’était assez compliqué et que nous en arri- vions à un certain nombre d’incohérences. Cela étant dit, nous sommes sur un acte nouveau. Je vais réellement « décoiffer » puisque je sais que cela ne sera pas partagé par beaucoup. 12 Je pense que lorsqu’on compare la France à toutes les grandes démo- craties, la vraie différence, c’est le niveau communal. Vous retrouvez dans pratiquement toutes les grandes démocraties l’équivalent de nos intercom- munalités, l’équivalent du niveau départemental et régional. La vraie synergie à venir de l’organisation des territoires viendra de l’arti- culation intelligente que nous pourrons trouver entre les niveaux communal et intercommunal. Je l’appelle mutualisation croissante. Je demande du temps pour l’organiser, mais sachez que c’est fondamentalement à ce niveau que nous aurons des capacités d’évolution. Si nous continuons tous ensemble à poser comme principe que l’on ne touchera pas à la cellule de base, quoi qu’il arrive, toutes les solutions que vous verrez émerger contourneront le problème, mais ne résoudront pas la différence fondamentale que nous avons avec l’ensemble des autres grandes démocraties. une fois cette articulation à venir posée de la commune et de l’intercom- munalité, je reste convaincu que le niveau départemental est le niveau de péréquation de solidarité entre les territoires. Ce n’est pas très original, c’est relativement consacré, mais derrière le mot solidarité, je mets bien sûr la solidarité à la personne, l’ensemble des prestations que le département dis- tribue, mais aussi la solidarité territoriale. C’est pourquoi si un point dans l’acte III de la décentralisation qui nous est proposé m’intéresse, c’est la reconnaissance de l’aménagement du territoire comme compétence du niveau départemental. C’est, me semble-t-il, le niveau qui nous permet d’éviter la fracture territoriale. C’est d’autant plus important que nous allons vivre, dans les 10 ans qui viennent, nous le savons tous, le vrai phénomè- ne nouveau de métropolisation.