Marie-Claude Vaillant-Couturier Témoigne Au Procès Der Nuremberg
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- -- Auschwitz Soixante ans après «Une série de chances et . ., , UNcœur a toute epreuve» Décédée le 11 décembre 1996. Marie-Claude Vaillant-Couturier éTait restée àjamais la . déportée politique maTricule 31685 du camp d'Auschwitz. Et aUssi celle QUi témoigna au procès de Nuremberg. Et quel témoignage! e suis entrée dans la salle très lente- . ment. Je suis passée devant Goering << et les autres nazis. !'étais face à eux J et, sans un mot, simplement avec mes yeux, je leur disais: "En ce moment, ce sont des millions de morts qui vous regardent." »(1) Les yeux de Marie-Claude Vaillant-Couturier ressem- blaient à deux étoiles bleues qui ne chancelaient ja- mais. Il était 10 heures du matin, ce lundi 28 jan- vier 1946, à Nuremberg, quand elle passa devant les accusés, lentement. Un à un, très près, les frô- lant presque, elle les dévisagea. Pour voir quoi? S'il restait un bout d'humanité sur ces visages? Ou à quoi pouvaient ressembler des monstres dégui- sés en homme - à moins que Ce ne fût le contraire? Et puis elle avait parlé, longuement, répondant aux .. questions; prenant le temps du récit pour ne rien omettre, ne laisser aucune prise à l'inexactitude. Juste raconter ce qu'elle savait, ce qu'elle avait vu. Bien qu'assise, elle s'arrima parfois à la barre. Le corps droit. Si peu vacillant. Elle avait trente-qua- tre ans cejour-là. Mais elle savait (déjà) qu'elle n'a- vait plus d'âge. Depuis le 20 novembre 1945, le fameux «pro- cès pour l'histoire» égrenait à chaque jour d'au- dience ses horreurs. La particularité de cette instance voulue dès 1942 (2) fut notamment de «démonter» toute la mécanique nazie, de l' acces- sion au pouvoir de Hitler à sa chute, et de révéler les grands secrets de la Seconde Guerre mondiale. Des milliers de documents, des films.des témoi- gnages furent présentés à ce tribunaLIls seront «pesés», évalués, classés et formeront un corpus de 42 volumes comprenant plus de 30000 pages. Marie-Claude sur le front ou dans les yeux la moindre trace, le Pendant dix mois et dix jours, la ville détruite de Vaillant- moindre reflet, la plus petite justification de leur, Nuremberg, qui avait été le théâtre de grandes ma- Couturier gloire passée, ou du terrifiant pouvoir qui fut le nifestations nazies, servit à dire au monde la mons- par Henri leur.»Francis Cohen confirme: «Les plus impor- truosité de la Shoah et du régime hitlérien. Cartier- Bresson tants déclaraient avoir obéi au' devoir patriotique, Quatre chefs d'accusation avaient été retenus. en 1945. les seconds couteaux avoir obéi aux ordres ... » «Plan concerté ou complot, crimes contre la paix, Ce matin du 28 janvier 1946, donc, lorsque Ma- crimes de guerre et crimes contre l'humanité ». rie-Claude Vaillant-Couturier pénètre dans la salle, Francis Cohen, envoyé spécial de l'Humanité, ra- elle «est» tout à la fois. Femme. Résistante. Dé- conte ainsi: «La tension était forte lorsque les ac- Elle portée. Rescapée d'Auschwitz. Elle représente cusés sont entrés, mais ils donnaient l'impression représente aussi toutes celles et tous ceux qui avaient été de gens assezmédiocres face à leur propre destin. «classéte) S» «Nuit et Brouillard» par les nazis, Seul Goering se détachait. Il était le chef. Aux inter- aussi toutes destinée e) s à mourir et rien d'autre. Mais pas à être ruptions de séance, on se groupait autour de lui. Il celles et tous gazée immédiatement car non juive (elle-même donnait des consignes ... »(3) Témoin lui aussi des fera la distinction). Vouée à la mort lente, Marie- premiers instants, Joseph Kessel, dans France Soir, ceux qui Claude réussit à en réchapper parce qu'elle parlait écrit: «Les militaires claquent les talons. Les civils avaient été allemand, et puis parce qu'il y eut ce qu'elle appe- se serrent les mains. Les uns sourient. D'autres ont « elasséïeïs » lait «une série de chances et un cœur à toute les traits soucieux. Certains visages ne montrent épreuve», Sur le petit cahier qu'elle a réussi à tenir , aucune expression. Ils s'assoient, s'installent, cau- « Nuit et à Ravensbrück quelques jours avant la libération sent entre eux ou avec leurs défenseurs. Mais au- par l'Armée rouge, le 30 avrilI94~, elle avait consi- cun de ces hommes accusés, dont je scrute les fi- .Brouillard» gné ce commentaire: «Personne, personne ne gures avec une avidité passionnée, aucun ne porte par les nazis. , pourra se représenter cela, on ne pourra pas nous 2 SUPPLEMENTA L'HUMANITE HEBDO • JANVIER 2005 croire. » D'ailleurs, inscrite pour être rapatriée par convoi de la Croix-Rouge, elle décida de rester Un témoignage pour soigner ses compagnes atteintes du typhus. Elle ne rentra qu'en juin. Est-elle jamais «ren- POUR l'histoire trée» ? Quand elle évoquait son parcours, avec une mi- Par Jean-Emmanuel Ducoin nutie et une modestie sans borne, s'autorisant ra- rement le «je », on croyait revoir cette jeune étu- Pour l'occasion, on empruntera volontiers diante inscrite aux Beaux-Arts qui apprit une formule à un vieux professeur d'histoire l'allemand après l'anglais et qui vécut à Berlin de et de grec ancien d'un établissement réputé: 1930 à 1931.«l'ai été témoin de la montée du fas- «Jeunes gens, avant de parler, lisez ceci et cismé dans une Allemagne où existait une misère vous comprendrez!» Instruits par ce conseil, atroce. C'était quelque chose qui se voyait partout, l'autre jour, nous nous sommes donc qui prenait à ta gorge. » Sa mère était une cousine plongés dans le témoignage de Marie- éloignée de la dynastie Peugeot. Son père, l'éditeur Claude Vaillant-Couturier à Nuremberg. Lucien Vogel, était, lui, un homme de gauche, et Un choc, évidemment. Mais plus incroyable son grand-père, un partisan acharné du socialisme (et qu'on nous pardonne l'aveu ainsi livré), de Guesde et de Jaurès. Elle disait:«Mes parents après cette lecture nous nous sommes étaient des intellectuels qui vivaient confortable- demandés: l'avait-on seulement lu ment. Mais le chemin qui m'a menée au Parti com- dans son intégralité? Pas sûr ... Autrement muniste n'est pas celui que pouvait emprunter un dit: connaissait-on ce texte, sa teneur, ouvrier exploité. J'ose même avouer que c'est la son importance et sa «force», conscience de n'avoir pas eu d'autre effort à faire sans l'avoir parcouru de part en part, que celui de naître qui m'a donné une certaine dans son intégralité? Possible ... conscience de classe» (1). « Personne, Chemin faisant, nous nous sommes donc dit Engagée au sein de l'Association des écrivains que nous ne serions sans doute pas les seuls et artistes révolutionnaires, elle, la passionnée de personne à éprouver ce sentiment. Et qu'il convenait, photographie qui croisa Henri Cartier-Bresson, ne pourra se à l'heure où l'on commémore la libération Willy Ronis et Robert Capa (4), adhéra au PCF au . du camp d'Auschwitz-Birkenau, lendemain de la manifestation fasciste du 6 février représenter de permettre à tous nos lecteurs de (re) 1934. En 1937, elle connut le premier drame de sa cela, découvrir ce témoignage dans sa totalité, vie: son époux, Paul Vaillant-Couturier, député et tel qu'il fut consigné dans les archives ancien rédacteur en chef de J'Humanité, décède on ne pourra du grand procès qui débuta le 20 novembre d'un infarctus, quinze jours après leur mariage ... pas nous 1945 pour s'achever le r- octobre 1946. «Par-delà le chagrin, je savais que Vaillant-Cou- En ce tribunal de la conscience universelle, turier m'avait ouvert une fenêtre sur le monde qui croire. » où l'on devait savoir et comprendre le non- ne se refermerait plus. » compréhensible, dans le paysage spectral Entrée dans la clandestinité en avril 1940, elle d'une Allemagne dévastée, des juristes s'engage dans la Résistance dès l'arrivée des trou- venus de tous les pays vainqueurs pes allemandes en France. Elle se souvenait ainsi s'attachèrent à un «travail» jamais de ce maudit mois de juin 1940 et des premiers entrepris dans l'histoire de l'humanité, bruits de bottes dans Paris: «J'étais place de l'O- qu'on n'a d'ailleurs pas revu depuis et péra avec une vieille darne et un agent de police. qu'on ne reverra peut-être jamais. Car Nous avons pleuré tous les trois. » Employée aux Nuremberg posait un « problème» définitif: éditions clandestines du PCF, elle est arrêtée le 9 fé- le rôle de la justice dans l'histoire, alors que vrier 1942 par la police française. «Je ne pensais le reste, si l'on peut dire, ne relevait que qu'à une chose, faire disparaître les fausses cartes de la contingence plus ou moins éphémère d'identité et le courrier de Jacques Duclos qui des rapports de forces, militaires étaient cachés dans le double fond de mon sac à et économiques. Ce procès, avec sa grandeur provisions. J'ai donc demandé l'autorisation d' al- et sa nécessité, mais aussi ses limites, a-t-il ler aux toilettes et là, il fallait faire vite, détruit tous concrétisé l'utopie d'une punition qui ne ces documents ... » serait pas une vengeance des vainqueurs D'abord mise au secret puis incarcérée au fort sur les vaincus? Le «ça» de« plus jamais de Romainville, elle fut déportée à Auschwitz le ça» était-il seulement condamnable (on 23 janvier 1943. En août 1944, le matricule 31685 n'ose écrire expiable)? Comment regarder était transféré à Ravensbrück. Comment décrire de face le «crime contre l'humanité» alors le dévouement de cette femme, elle parmi et le prendre comme «référence» quand d'autres? Aragon en fera le symbole d'un de ses l'événement en question -les exactions poèmes: «Je vous salue Maries de France aux cent nazies et la Shoah - reste et restera si massif, visages ..