Une littérarité qui fait subversion aux codes pornographiques. Narration et intertextualité dans Romance (1999) et Anatomie de l'enfer (2003) de

Mémoire

Eloïse Pelletier

Maîtrise en littérature et arts de la scène et de l'écran - avec mémoire Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Eloïse Pelletier, 2021

Une littérarité qui fait subversion aux codes pornographiques. Narration et intertextualité dans Romance (1999) et Anatomie de l’enfer (2003) de Catherine Breillat

Mémoire

Éloïse Pelletier

Sous la direction de :

Julie Beaulieu, directrice de recherche

Résumé

Ce mémoire s’intéresse à deux films de Catherine Breillat : Romance (1999) et Anatomie de l’enfer (2003). Ces œuvres ont généré de fortes réactions auprès du public, principalement parce que chacun de ces films contient des scènes de sexualité explicite. Par ailleurs, on remarque que malgré son traitement cru et audacieux de la sexualité, le cinéma de Catherine Breillat ne franchit pas la limite du genre pornographique. Ce travail de recherche s’est attardé à comprendre pourquoi Romance et Anatomie de l’enfer jonglent avec les codes du cinéma X, sans toutefois appartenir à cette catégorie de films. Nous avançons l’idée selon laquelle ces deux œuvres de Breillat font subversion aux codes pornographiques, notamment grâce à une forme de littérarité qui est perceptible lors de leur visionnement. Ainsi, notre hypothèse suppose que ces films intègrent certains procédés associés à la littérature et que c’est en partie ce qui permet aux films de se distinguer de l’industrie du porno. Plus précisément, nous pensons que cette littérarité participe à la dimension conceptuelle et réflexive des films et ainsi pointe la façon dont chacune de ces œuvres arrive à critiquer la pornographie et les représentations de la sexualité des femmes à l’écran. Pour ce faire, le premier chapitre de ce mémoire expose le contexte de production et la réception des films avant de plonger dans chacune des œuvres pour examiner l’importance qui est donnée au langage verbal des personnages. Le second chapitre use des notions de narratologie pour observer les structures narratives des deux films. Le dernier chapitre fait l’analyse de divers intertextes littéraires auxquels les films font allusion ou référence implicitement. Ces trois parties cherchent à faire surgir cette littérarité, à en tracer les contours et ainsi comprendre quels sont ses effets dans Romance et Anatomie de l’enfer.

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Table des matières

Résumé ...... ii Table des matières ...... iii Liste des figures ...... iv Remerciements ...... v

Introduction...... 1 Chapitre 1. Catherine Breillat : cinéaste dans la transgression ...... 8 1.1. La New French Extremity...... 8 1.2. Catherine Breillat et la pornographie ...... 21 1.3. Le style de Breillat : quand le poids des mots surpasse celui des images...... 26 Chapitre 2. Romance et Anatomie de l’enfer : une construction narrative complexe et atypique ...... 36 2.1. La narratologie : de la littérature au cinéma ...... 36 2.2. Les protagonistes et l’identification spectatorielle...... 39 2.3. Analyse de la narration dans Romance ...... 41 2.4. Analyse de la narration dans Anatomie de l’enfer ...... 49 2.5. Des choix stylistiques significatifs ...... 58 Chapitre 3. Intertextualité et mémoire de la littérature dans le cinéma breillatien .... 62 3.1. À propos de l’intertextualité au cinéma ...... 62 3.2. Georges Bataille...... 65 3.3. Breillat et le roman libertin du XVIIIe siècle : entrecroisement de discours à propos du sexe et du monde ...... 70 3.4. De Marguerite Duras à Catherine Breillat : le cas d’Anatomie de l’enfer ...... 84 3.5. Pour terminer...... 89 Conclusion ...... 91 Bibliographie ...... 97

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Liste des figures1

Figure 1...... 29 Figure 2...... 29 Figure 3...... 42 Figure 4...... 42 Figure 5...... 44 Figure 6...... 51 Figure 7...... 52 Figure 8.1 ...... 56 Figure 8.2 ...... 56 Figure 8.3 ...... 56 Figure 9...... 58 Figure 10 ...... 68 Figure 11.1 ...... 77 Figure 11.2 ...... 77 Figure 12 ...... 81 Figure 13.1 ...... 81 Figure 13.2 ...... 81 Figure 13.3 ...... 81 Figure 14 ...... 88 Figure 15.1 ...... 88 Figure 15.2 ...... 88 Figure 16 ...... 95 Figure 17 ...... 95

1 Les références de chacune de ces figures se trouvent dans la bibliographie. iv

Remerciements

J’aimerais tout d’abord remercier Valérie Morin-Alain et Maude Bradette-Laplante, mes deux copines de toujours qui ont, elles aussi, passé par les cycles supérieurs. Leur écoute et leurs encouragements m’ont maintes fois libérée des angoisses liées aux embûches rencontrées tout au long de mon parcours à la maîtrise. Merci à mon copain Raphaël Bouchard qui a su m’apaiser et me soutenir dans mes moments de grand stress. Sa présence à mes côtés, surtout pendant la période d’isolement dû à la COVID-19, a été des plus précieuses et m’a permis de terminer l’écriture de mon mémoire dans un esprit de fête. Je tiens à souligner l’appui des membres de ma famille, qui me font tous confiance et ne mettent jamais en doute ma capacité à relever les défis que je m’impose moi-même.

Je remercie également Jean-Pierre Sirois-Trahan pour ses conseils et de m’avoir offert un poste d’auxiliaire d’enseignement pendant plusieurs sessions ; je lui suis redevable d’une expérience et d’un apprentissage qui sont inestimables.

Finalement, mille mercis à ma directrice de recherche Julie Beaulieu, pour sa patience et pour sa confiance en mon projet. Je me suis sentie guidée et accompagnée dans chacune des étapes de la maîtrise et je me considère des plus chanceuses d’avoir été aussi bien dirigée.

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Introduction

J’ai toujours bien dialogué avec la censure parce que je m’y prépare et parce que mes films ne sont malgré tout absolument pas sur la consommation sexuelle et le plaisir. Ils sont très souvent vendus comme ça mais ce sont des réflexions sur la sexualité2.

Catherine Breillat est une écrivaine et cinéaste française dont les œuvres ont suscité de fortes réactions, tant auprès du public que de la critique. Plusieurs de ses films abordent la sexualité féminine de façon abrupte et audacieuse, laissant même les critiques féministes mitigées quant à leur réception. Ce mémoire s’intéresse à deux films précis de cette réalisatrice : Romance, que la cinéaste a réalisé en 1999, puis Anatomie de l’enfer qu’elle adapte de son roman Pornocratie3 en 2003. Romance est l’histoire de Marie qui, malgré l’amour qu’elle porte à son fiancé Paul, refuse l’abstinence qu’il lui impose. Elle se décide alors à tromper son conjoint avec plusieurs hommes, jusqu’à ce qu’elle rencontre Robert qui l’initiera au sadomasochisme. Finalement satisfaite sur le plan sexuel, elle assassine Paul dans une explosion le jour où elle met au monde leur enfant. Anatomie de l’enfer se déroule en un huis clos : c’est la confrontation entre un homme et une femme qui cherchent ensemble à comprendre le mystère entourant la féminité. Ils passent ensemble quatre nuits où après avoir discuté, la femme s’étend nue sur un lit et s’endort ; c’est ainsi qu’elle laisse l’homme examiner son corps. Après la dernière nuit, la femme disparaît, laissant l’homme seul, ébranlé par ses nouvelles connaissances.

De nombreux articles ont été publiés sur Breillat, la condamnant ou la félicitant pour son travail en tant que réalisatrice. Généralement, ces textes concentrent leur réflexion du côté de la mise en scène, des thématiques et de la représentation de la figure féminine et de sa sexualité. En revanche, on remarque que peu d’ouvrages ont été entièrement consacrés à l’œuvre filmique de cette cinéaste. David Vasse fait exception avec Catherine Breillat, un cinéma du rite et de la transgression4, auteur qui avait également rédigé une thèse de doctorat

2 Catherine Breillat, Corps amoureux. Entretiens avec Claire Vassé, France, Denoël, 2006, p.121-122. 3 Catherine Breillat, Pornocratie, France, Denoël, 2001, 143 pages. 4 David Vasse, Catherine Breillat : un cinéma du rite et de la transgression, Belgique, Éditions Complexe et Arte Éditions, 2004, 198 pages. 1 sur le sujet. Il use des théories psychanalytiques et se réfère à différents ouvrages de critique cinématographique pour effectuer une analyse des mythes et symboles présents dans les films réalisés par Breillat. Cet ouvrage nous sera utile tout au long de notre travail de recherche, tout comme celui d’Estelle Bayon, Le cinéma obscène5, qui étudie en partie le cinéma de Breillat sous l’angle de l’obscénité. Une autre monographie qui s’intéresse à la cinéaste est celle de Claire Clouzot, Catherine Breillat : indécence et pureté6, qui commente l’œuvre de la réalisatrice en plus de présenter des entrevues avec Breillat. Notre étude fera donc état des recherches qui s’intéressent à l’œuvre cinématographique de Catherine Breillat tout en contribuant à la réflexion qui se préoccupe du travail de la réalisatrice.

L’intérêt de se pencher sur ce cinéma si singulier relève de la façon dont la cinéaste soulève dans ses films les présupposés et les conceptions de la société qui sont faites à propos de la sexualité des femmes. Romance et Anatomie de l’enfer exposent crument plusieurs sujets tabous comme les menstruations, le viol et les fantasmes érotiques. Mais si ces films sont généralement considérés comme provocants, c’est principalement parce qu’ils contiennent des scènes de sexualité explicites qui sont parfois non simulées. En effet, tous deux présentent des séquences où la sexualité est montrée sans détour : on projette à l’écran des gros plans des organes génitaux, de la masturbation et de la pénétration. Cette intégration de scènes explicites normalement réservée aux films pornographiques chamboule la réception et la compréhension des deux œuvres qui nous occupent. Si on perçoit aisément que Romance et Anatomie de l’enfer comportent des affinités avec le genre pornographique, il est moins évident de pointer précisément ce qui les distingue de ce genre mal-aimé. Cette difficulté vient sans doute du fait que la définition de la pornographie est mouvante et évolue rapidement à travers les époques, faisant que ce qui était pornographique hier peut être aujourd’hui considéré comme érotique7. Néanmoins, il est possible de se prononcer sur une définition qui délimite les spécificités du genre pornographique. Nous nous baserons sur celle de Linda Williams, chercheure et figure emblématique des Porn Studies, qui se trouve dans

5 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, France, L’Harmattan (Champs visuels), 2007, 250 pages. 6 Claire Clouzot, Catherine Breillat : indécence et pureté, France, Cahiers du cinéma, 2004, 187 pages. 7 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, p.55. 2 son ouvrage Hardcore : Power, Pleasure and the ‘Frenzy of the Visible’8. Elle décrit la pornographie ainsi : « […] as the visual (and sometimes aural) representation of living, moving bodies engaged in explicit, usually unfaked, sexual acts with a primary intent of arousing viewers 9». Elle précise également que contrairement à la pornographie écrite, le cinéma et la vidéo pornographique ont une dimension performative qui est induite dans le terme sexual acts (relations sexuelles)10. Ensuite, Williams ajoute à sa définition une constante soulevée par Annette Kunh : « […] that pornography produces meanings ‘pivoting on gender difference’ 11». Ce dernier point est important et constitue une partie de l’argumentaire anti-pornographie soutenu par des groupes féministes pendant longtemps : le cinéma pornographique est généralement articulé autour d’un point de vue exclusivement masculin et du coup délaisse le désir féminin (celui du personnage fictif féminin et celui de la spectatrice)12. Mais Williams n’est pas défaitiste, elle déclare plus loin dans son texte :

Most important of all, perhaps is the very fact of coincidence itself, that pornography is not one thing, but sexual fantasy, genre, culture and erotic visibility all operating together. And if fantasy, coming from the deepest region of the psyche, is most resistant to change, then genre and culture are most capable of change13. Or, les films de Breillat qui intéressent cette étude sont des objets culturels qui démontrent une volonté de participer à ce changement dont parle Williams. Romance et Anatomie de l’enfer, en se tenant à la frontière du genre pornographique, proposent un commentaire sur celui-ci et lancent une invitation à repenser la façon dont on représente la sexualité et le désir des femmes à l’écran.

C’est justement ce qui lance la réflexion entreprise dans cette recherche : comment ces deux films de Catherine Breillat jonglent avec les codes du genre pornographique pour arriver à les critiquer. Nous avançons l’idée que Romance et Anatomie de l’enfer prennent une forme particulière qui en vient à faire subversion aux codes pornographiques. Une

8 Linda Williams, Hardcore: Power, Pleasure and the ‘Frenzy of the Visible’, États-Unis, University of California Press, 1999 (1989), 315 pages. 9 Ibid., p.30. 10 Idem. 11 Idem. 12 Ibid., p.270. 13 Idem. 3 subversion en ce sens : « Action de bouleverser, de détruire les institutions, les principes, de renverser l’ordre établit14 ». Cette subversion s’effectue tant au niveau de la structure formelle qu’au niveau du contenu. Nous croyons qu’elle se produit notamment grâce à la présence d’une littérarité apparente à la fois dans Romance et dans Anatomie de l’enfer. Nous pensons que cette présence littéraire participe à la construction des niveaux de signification des films, voire qu’elle contribue à une distanciation spectatorielle, un résultat tout à fait opposé à la visée du cinéma pornographique. Si la pornographie cherche à provoquer chez le public une jouissance physique15, on peut admettre que les films sélectionnés pour cette étude tentent plutôt d’éveiller l’intellect et de susciter la réflexion. Ce mémoire étudiera la façon dont les films de Catherine Breillat font subversion aux codes pornographiques, grâce à cette littérarité que nous percevons dans Romance et Anatomie de l’enfer et qui régit ce détournement des conventions typiques du genre pornographique. Tout d’abord, cette manifestation du média littéraire au travers des films pourrait s’expliquer par l’intérêt qu’a Breillat pour la littérature. En effet, depuis la fin des années soixante, la cinéaste a publié une dizaine de romans et plusieurs de ses films sont des adaptations de ses propres textes. Par ailleurs, elle n’adapte pas que ses romans : il est important de souligner qu’elle mit en images des œuvres littéraires du XVIIIe siècle, notamment Une vieille maîtresse (2007), inspiré d’un roman de Barbey D’Aurevilly et Barbe Bleue (2009), une adaptation d’un conte de Charles Perreault. Or, il nous paraît trop simpliste d’expliquer la littérarité apparente dans les films de notre étude uniquement par ce travail d’écriture qui occupe également la cinéaste. Les deux films mentionnés précédemment ne seront pas étudiés dans le cadre de cette recherche. Malgré le fait qu’ils aient un lien assumé avec la littérature, Une vieille maîtresse et Barbe Bleue n’illustrent pas la sexualité de façon explicite et n’offrent pas des réflexions formelles aussi intéressantes que les deux films choisis pour notre recherche. Et si, au contraire, d’autres films de Breillat présentent des séquences de sexualité explicite (Une vraie jeune fille [1975], par exemple), on n’y remarque pas la présence d’une littérarité aussi prégnante que dans Romance et Anatomie de l’enfer. Ainsi, la sélection de notre corpus s’est basée sur cette relation de subversion qui est au centre de notre recherche. Seulement Romance et Anatomie de l’enfer de Breillat contiennent ce surplus de littérarité qui vient affecter le

14 « Subversion », CNRTL, [en ligne] www.cnrtl.fr/definition/subversion (consulté le 27 avril 2021). 15 Comme il est indiqué dans la définition de Williams cité plus tôt, : « […] sexual acts with a primary intent of arousing viewers », dans Linda Williams, op.cit., p.30. 4 contenu sexuellement explicite des films. Notre recherche tentera donc de définir cette littérarité, d’en tracer les contours et d’en comprendre les effets produits au moyen d’analyses formelles de séquences précises tirées des films de notre corpus. Chacune des parties qui suivront fera appel à des notions critiques qui nous permettront d’aborder les œuvres selon des méthodes d’analyses concrètes. Ainsi, le début de chaque chapitre sera consacré à une brève description et définition de ces théories, ce qui justifiera en quoi elles seront utiles pour notre réflexion.

Dans un premier temps, il nous paraît essentiel de mettre en contexte les œuvres au centre de notre étude. Ainsi, le premier chapitre débutera par une définition de la tendance cinématographique à laquelle Romance et Anatomie de l’enfer appartiennent. La New French Extremity est un moment caractéristique de l’histoire du cinéma en France qui découle du cinéma extrême. Cette première partie tentera de pointer les spécificités de la tendance afin d’illustrer en quoi ces œuvres possèdent une dimension transgressive et politique. Ensuite, nous nous attarderons à la place qu’occupent les femmes cinéastes associées à la New French Extremity. On remarque que les films de ces réalisatrices s’intéressent aux représentations de l’intime au féminin qu’elles imagent explicitement, souvent avec violence ou brutalité. Puis, nous exposerons brièvement la pensée de Breillat, puisqu’elle s’est souvent prononcée à propos de la pornographie. Il nous semble important de mentionner son point de vue et sa philosophie qui sont singuliers et qui nous éclairent sur sa démarche artistique. C’est après l’observation du contexte entourant la conception et la réception de ces films, en plus d’une courte définition de ce que nous entendons par littérarité, que nous pourrons débuter graduellement nos analyses filmiques. Ainsi, notre première entrée dans Romance et Anatomie de l’enfer cherchera à soulever l’importance de l’oralité et du langage verbal dans chacun de ces films : pointer cette prédominance des mots prononcés sur ce qui est montré par l’image nous donnera un premier aperçu de cette littérarité constitutive des films.

En second lieu, ce mémoire s’appuiera sur les théories narratologiques pour cerner les structures narratives particulières de Romance et d’Anatomie de l’enfer. Pour ce faire,

5 nous convoquerons Gérard Genette au moyen de son ouvrage Figure III, lequel est indispensable pour aborder la narratologie. Considéré comme un pilier de ce champ d’étude, l’auteur formule les bases nécessaires à la distinction entre récit, histoire et narration. Son ouvrage nous permettra de diviser nos analyses suivant les catégories de « problèmes du récit » qui occupent Genette : la voix, le temps et le mode. Ensuite, les travaux d’André Gaudreault et Jean Châteauvert seront convoqués puisque ces chercheurs s’intéressent aux différentes instances narratives présentes dans un film : le narrateur fondamental et le narrateur verbal sont des entités travaillées par ces auteurs que nous intègrerons également dans notre recherche. Après avoir peint un portrait global de cette notion théorique, il nous sera possible d’analyser les films en examinant les différents points de vue adoptés par les protagonistes. C’est à la suite de l’observation de la focalisation que nous nous attarderons aux différents types de narrateurs présents dans les films ainsi qu’à l’importance de la voix over. Cette dernière est un élément crucial dont la définition et les effets s’éclairciront au fil du mémoire. Pour terminer, nous nous arrêterons sur les séquences finales de chacun des films à l’étude qui usent tous deux de métaphores, ce qui met l’accent sur l’usage des figures de style ainsi que sur la façon dont les films incitent le public à participer à la construction de leur sens.

En dernier lieu, le troisième chapitre de ce mémoire fera l’utilisation des théories de l’intertextualité pour aborder les deux films de notre étude. Pour commencer, nous parcourrons rapidement l’évolution de la notion, ce qui nous permettra d’expliquer en quoi il est chose possible d’effectuer des analyses intertextuelles à partir de films. Les intertextes que nous percevons dans Romance et Anatomie de l’enfer sont des références et des allusions à des œuvres littéraires qui sont implicites. Toutefois, pointer les connivences que les films entretiennent avec certains textes nous servira à retracer une partie de l’héritage littéraire qui se laisse entrevoir dans le cinéma de Catherine Breillat. La première analyse intertextuelle des films de notre corpus observera les affinités qu’ils entretiennent avec la pensée de Georges Bataille. La partie suivante mettra en parallèle Romance et Anatomie de l’enfer avec le roman libertin du XVIIIe siècle. Pour ce faire, nous avons sélectionné le roman Thérèse

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Philosophe16 comme représentant de cette tradition littéraire du siècle des Lumières. Ainsi, il sera plus aisé de faire ressortir leurs multiples similitudes, notamment par l’observation des protagonistes féminins et la façon dont les œuvres mettent de l’avant leur parole et leur subjectivité. De plus, l’alternance entre les discours philosophiques et l’apprentissage des pratiques sexuelles est une formule récurrente du roman libertin qui se trouve dans Thérèse Philosophe, mais également dans les deux films qui intéressent cette recherche. Étudier les rapports qu’entretiennent ces œuvres nous permettra de saisir combien pornographie et philosophie se côtoient depuis longtemps. Finalement, la dernière partie de ce chapitre se concentrera sur Anatomie de l’enfer, qui est une adaptation du roman Pornocratie écrit par la réalisatrice en 2001. Ce roman de Breillat est en réalité une réécriture du récit La maladie de la mort de Marguerite Duras17. Ainsi, notre dernière analyse cherchera à cerner ce qui reste du récit initial de Duras dans le film de Breillat, mais aussi à soulever les divergences et libertés prises par la cinéaste pour ainsi réaliser une œuvre bien différente de La maladie de la mort. Enfin, les analyses filmiques effectuées dans ce mémoire mettront à profit plusieurs tactiques pour déceler la littérarité qui se dégage des films de notre corpus. Ces derniers sont généralement étudiés à l’aide des théories féministes, mais nous proposons ici de les examiner en utilisant des approches différentes. Les notions de narratologie et d’intertextualité permettront d’analyser ces œuvres sous d’autres angles pour ainsi accéder à une compréhension plus nuancée de Romance et Anatomie de l’enfer.

16 Boyer d’Argens, « Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, France, Robert Laffont (Bouquins), 2012, p.575-658. 17 Marguerite Duras, La maladie de la mort, France, Les Éditions de Minuit, 1982, 57 pages. 7

Chapitre 1. Catherine Breillat : cinéaste dans la transgression

1.1. La New French Extremity Ce chapitre débute avec une contextualisation des films qui intéressent cette recherche. La tendance dans laquelle s’inscrivent les œuvres de Catherine Breillat sera dans un premier temps abordée sur le plan critique historique. Dans un deuxième temps, nous nous attarderons à l’impact des femmes réalisatrices au sein de cette tendance pour ensuite nous rendre jusqu’à la cinéaste qui est au cœur de cette réflexion. Cette entrée en matière permet de situer dans le temps et le monde les œuvres de Breillat, afin de peindre un portrait global et exhaustif de leur situation. Nous faisons donc une entrée progressive dans les films ; nos premières analyses examineront la façon dont Romance et Anatomie de l’enfer mettent à l’avant-plan la parole des personnages, donnant ainsi un premier aperçu de cette littérarité qui nous préoccupe et que nous définirons plus en détail au cours de ce chapitre.

1.1.1. L’émergence d’une tendance filmique

À première vue, les films que nous étudions sont répertoriés avec les drames18. On constate rapidement que cette classification n’est pas irrémédiable et que les films de Catherine Breillat sont difficiles à catégoriser. En effet, sur le web on remarque que Romance et Anatomie de l’enfer sont également désignés comme « pornographique19 », « érotique20 » ou encore par les expressions « art-house or special interest21 ». Ces sites internet sont une référence de base pour les cinéphiles qui cherchent des informations techniques (non approfondies) sur les films visionnés. La difficulté à insérer les films de Breillat dans un genre particulier montre que son œuvre défie les frontières génériques.

18 IMDB, « Anatomie de l’enfer », [en ligne] https://www.imdb.com/title/tt0348529/ (consulté le janvier 2019) 19 Wikipedia, « Anatomie de l’enfer », [en ligne] https://fr.wikipedia.org/wiki/Anatomie_de_l'enfer (consulté le janvier 2019) 20 Allociné, « Romance », [en ligne] ttp://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=10923.html (consulté le janvier 2019) 21 Rotten Tomatoes, « », [en ligne] https://www.rottentomatoes.com/m/anatomy_of_hell (consulté le janvier 2019) 8

D’un point de vue plus théorique, les œuvres filmiques de Catherine Breillat font partie du cinéma extrême. Cette appellation est beaucoup plus large qu’un simple genre cinématographique et permet de relever les caractéristiques importantes de ce type de films. L’ouvrage de Mattias Frey, Extreme Cinema22, sert ici de référence sur le sujet, puisqu’il présente des définitions détaillées et exhaustives de ce qu’est le cinéma extrême : « Speaking roughly and simply, extreme cinema is an international production trend of graphically sexual or violent ‘quality’ films that often stoke critical and popular controversy23 ». L’auteur explique également que ce type de films est un phénomène qui s’observe principalement dans les festivals, figure dans les catégories « cinéma du monde », « cinéma d’auteur » ou « arthouse » et se distingue par son aspect transgressif et parfois même offensant24. Le cinéma extrême peut ensuite être divisé en plusieurs sous-groupes soit en considérant uniquement l’aspect auteuriste (Breillat, Dumont, von Trier, Hanecke, etc.) ou encore en examinant la manifestation de ce cinéma dans une région particulière du monde. De là l’émergence d’une diversité d’appellations : New French Extremity, Asia’s Extremism, Austria ‘Feel-bad’ Cinema25, etc. Les films du cinéma extrême ont fait couler beaucoup d’encre et les critiques qui s’y sont attardés ont exprimé des opinions divergentes au sujet de leur qualité. Mattias Frey divise les écrits fondateurs en deux catégories : la critique « cynique » et celle qu’il nomme « aesthetic embrace » (qui célèbre l’esthétique).

Concentré en France et au tournant du XXIe siècle, la New French Extremity représente la tendance à laquelle appartient le cinéma de Catherine Breillat. La nomination de la tendance aurait d’abord été popularisée par James Quandt, auteur qui serait considéré comme un critique cynique par Mattias Frey. C’est Quandt qui aurait pour la première fois utilisé le terme New French Extremity pour désigner et regrouper ces réalisateur.trice.s français.es dont les films se rejoignent par leurs aspects transgressifs. « The appellation itself may turn out to be somewhat misleading as it suggests the existence of a new genre or movement,

22Mattias Frey, Extreme Cinema, The Transgressive Rhetoric of Today’s Art Film Culture, États-Unis, Rutgers University Press, 2016, 212 pages. 23 Ibid., p.7. 24 Idem. 25 Idem. 9 where there is but a tendency, amongst a number of art directors with highly disparate stylistic and thematic interest26… » explique Martine Beugnet. L’article de Quandt « Flesh and Blood: Sex and Violence in Recent French Cinema », d’abord publié en 2004 dans Artforum, serait le premier texte à observer la tendance d’un point de vue critique. Quandt parle de ces films en ces termes : « […] suddenly determined to break every taboo, to wade in rivers of viscera and spumes of sperm, to fill each frame with flesh, nubile or gnarled, and subject it to all manner of penetration, mutilation, and defilement27. » Son article analyse brièvement et de façon successive plusieurs œuvres marquantes dont Dans ma peau (De Van, 2002), Romance (Breillat, 1999), Baise-moi (Despentes et Thrin-Ti, 2000), Seul contre tous (Noé, 1998), Sombre (Grandrieux, 1998) et Twentynine Palms (Dumont, 2003). L’auteur se demande pourquoi ces cinéastes ont fait des films aussi violents : « […] do they bespeak a cultural crisis, forcing French filmmakers to respond to the death of the ineluctable (French identity, language, ideology, aesthetic forms) with desperate measures28? » Le ton emprunté par Quandt porte à croire qu’il fait partie de ceux qui n’apprécient pas particulièrement la New French Extremity. Son article se clôt sur une note pessimiste, déclamant que la tendance est empreinte de : « […] an aggressiveness that is really a grandiose form of passivity29 ». Heureusement, ce ne sont pas tous les chercheur.euse.s qui partagent l’opinion de James Quandt. Ces textes que Mattias Frey désigne comme une critique cynique ne seront toutefois pas abordés davantage dans cette recherche, puisqu’ils ne semblent pas appuyer ni contredire notre réflexion : If the aesthetic embrace seeks to look beyond the ‘obvious’ horror or smut to find transcendent artistic purpose and political messages, for the latter critics a cigar is a cigar and a penis is a penis. In its laziest iteration, this critical mode disavows any formal, stylistic or thematic difference between extreme cinema and the worst splatter or pornography30. En effet, les critiques qui « célèbrent l’esthétique » proposent des analyses qui sont plus approfondies et permettent de réfléchir sur les films comme des œuvres politiques et

26 Martine Beugnet, « The Wounded Screen », The New Extremism in Cinema from France to Europe, p.29. 27 James Quandt, « Flesh and Blood: Sex and Violence in Recent French Cinema », The New Extremism in Cinema from France to Europe, p.18. 28 Ibid., p.19. 29 Ibid., p.25. 30 Mattias Frey, Mattias Frey, Extreme Cinema, The Transgressive Rhetoric of Today’s Art Film Culture, p.38. 10 ingénieuses. Ce sont ces critiques que nous observerons pour cette prochaine partie de notre recherche.

Un des principaux ouvrages de référence sur la New French Extremity est The New Extremism in Cinema from France to Europe31, dirigé par Tanya Horeck et Tina Kendall. Dans l’introduction, Horeck et Kendall tracent les grandes lignes de la tendance. Elles soutiennent que ces films interrogent directement la relation qu’ils entretiennent avec leur public : « In their concerted practice of provocation as a mode of address, the films of the new extremism bring the notion of response to the fore, interrogating, challenging and often destroying the notion of passive or disinterested spectator in ways that are productive for film theorizing today32 ». Elles soulignent également que ces films ne cherchent pas à s’inscrire dans un genre, mais se tiennent plutôt à la frontière de plusieurs catégories et styles filmiques. En effet, les auteures ainsi que Beugnet remarquent : « […] an inclination to combine an art cinema aesthetic with ‘shock tactics traditionally associated with gore, porn and horror’33 ». Horeck et Kendall affirment plus loin : « […] the extremity evinced by these films is often as much a matter of asserting particular filiations with artistic, cinematic, literary and philosophical forebears as it is of breaking new taboos34 ». La New French Extremity consiste alors en un mélange de styles, de genres et d’inspirations qui forment des films qui sont tous, à leur manière, transgressifs. L’article de Quandt, qui suit cette introduction, se présente comme un passage obligé pour quiconque entreprendrait une lecture sérieuse à propos de la New French Extremity. En son tout, l’ouvrage est composé d’une dizaine de textes de chercheur.euse.s qui se sont attardé.e.s à un.e cinéaste ou un film en particulier, offrant ainsi un portrait exhaustif de la tendance filmique.

31 Tanya Horeck et Tina Kendall (dir.), The New Extremism in cinema from France to Europe, Edinburg, Edinburg University Press, 2011, 242 pages. 32 Ibid., p.2 33 Martine Beugnet (2007a: 36) cité dans Tanya Horeck et Tina Kendall (dir.), The New Extremism in cinema from France to Europe, p.3. 34 Ibid., p.5. 11

Brutal Intimacy35 de Tim Palmer est un autre ouvrage portant sur les films de la New French Extremity. L’auteur y observe le cinéma français du début du XXIe siècle. Il considère les films réalisés en France à cette époque parmi les plus intéressants au monde pour leur vivacité et leur diversité. Le deuxième chapitre de son ouvrage est consacré à ce qu’il nomme le cinéma du corps. Palmer constate un nombre important de films qui présentent des scènes de sexualité explicite et qui sont souvent empreintes d’une certaine forme de violence. À ce propos, il explique :

This cinéma du corps consists of arthouse dramas and thrillers with deliberately discomfiting features: dispassionate physical encounters involving filmed sex that is sometimes unsimulated; physical desire embodied by the performances of actors or nonprofessionals as harshly insular; intimacy itself depicted as fundamentally aggressive, devoid of romance, lacking a nurturing instinct of empathy of any kind; and social relationships that disintegrate in the face of such violent compulsions 36. L’auteur se concentre sur ces représentations du corps qu’il reconnaît être un thème central dans les films de Claire Denis, Bruno Dumont, Gaspar Noé, Catherine Breillat et Marina De Van. Conscient des débats autour des œuvres de ces cinéastes, il prend leur défense en affirmant : « It is simple to dismiss this cinéma du corps for its disturbing use of graphic physicality, but far harder to recognize its exacting stylistic ambitions, to gauge its status as a vigorous, conceptually dynamic new model of filmmaking37. » Palmer avance que ces images explicites du corps et de la sexualité font de ces films des œuvres provocantes qui amorcent de nouveaux liens perceptifs avec leurs spectateurs et spectatrices38.

Dans le même ordre d’idée, la chercheuse Martine Beugnet a orienté sa réflexion sur l’impact sensoriel que peut avoir ce groupe de films sur leur auditoire. Dans son ouvrage Cinema and Sensation, French Film and the Art of Transgression, Beugnet observe principalement deux films, Sombre (Grandrieux, 1998) et Leçon des ténèbres (Dieutre, 1999), mais elle s’attarde également aux œuvres de Breillat, Denis, Despentes, de Van, Dumont et Assayas. L’auteure explique que grâce à l’effet sensuel et synesthétique de

35 Tim Palmer, Brutal Intimacy, Analyzing Contemporary French Cinema, États-Unis, Wesleyan University Press (Wesleyan Film), 2011, 218 pages. 36 Tim Palmer, Brutal Intimacy, p.57-58. 37 Ibid., p.60. 38 Ibid. p.93.

12 l’image, ajouté à celui des sons et de la musique, et agrémenté d’une mise en scène élaborée, l’expérience de visionnement investit physiquement le public. Les spectateur.trice.s passent alors d’un statut passif à actif, puisque le film tente sur plusieurs plans (réflexif et sensoriel) d’entrer en dialogue avec son auditoire. Beugnet relate également que ces films ne mettent pas nécessairement de l’avant une histoire ou un discours et qu’ils doivent pour cette raison être observés comme des « objets de perception » ; des images, des formes et des sons qui évoquent des émotions ou d’autres images : « A spectator’s involvement with the film, however, is likely to take place predominantly at a ‘primary’ level of identification – identification with the material aspect and transformations of the film body itself above identification with its figurative and narrative content39. » Dans cet ouvrage, les différents films sont analysés principalement sur le plan formel et sont aussi observés les possibles effets créés par cette forme.

En somme, ces différentes lectures nous permettent de tracer un portrait assez complet de la New French Extremity. Cette tendance est encore bien jeune, au sens où elle est très près de nous dans le temps. Il est donc normal que les différents critiques n’utilisent pas les mêmes nominations pour désigner ce « groupe » de cinéastes et leurs films, mais au fil des lectures on comprend bien qu’ils parlent du même phénomène : cinéma du corps, cinéastes de l’obscène40, New French Extremity, etc. Si leurs approches diffèrent, le sujet reste le même puisque ces critiques s’intéressent aux mêmes films et aux mêmes cinéastes. Les textes observés précédemment, qu’on peut insérer du côté de ceux qui « célèbrent l’esthétique » (aesthetic embrace), pour reprendre les termes de Frey, abordent tous un aspect particulier des œuvres de la New French Extremity et permettent de cerner les caractéristiques typiques de la tendance. On pourrait les énumérer ainsi : ce sont des films apparus au tournant du XXI e siècle en France, dans lesquels on peut voir une violence extrême et une sexualité explicite, et auxquels s’ajoute une certaine expérimentation formelle qui provoque des effets sensoriels sur les spectateur.trice.s. Les œuvres de Noé, Breillat, Dumont et Denis, pour ne nommer que ceux-ci, sont donc des films transgressifs qui repoussent les limites d’une monstration

39 Martine Beugnet, Cinema and Sensation, French Film and the Art of Transgression, p.6-7. 40 Terme employé par Estelle Bayon pour parler entre autres du cinéma de Breillat, dans son ouvrage Le cinéma obscène, Paris, L’Harmattan, 2007, 250 pages. 13 acceptable à l’écran. Ils défient les spectateur.trice.s à s’exposer à des réalités (fictives mais réalistes) qui sont perturbantes, qui forcent la réflexion ou génèrent une réaction physique. Conséquemment, le film ne se présente plus comme un simple divertissement, mais plutôt commen discours revendicateur, une œuvre d’art, ou bien telle une expérience immersive provoquant des émotions et sensations fortes.

1.1.2. Une brève histoire des représentations extrêmes au cinéma Le public a toujours été fasciné par la spectacularisation de la violence. Pensons notamment aux exécutions sur la place publique auxquelles jadis il était chose commune d’assister. Ces mises à mort étaient des leçons à retenir sur la conduite en société, c’est-à- dire qu’elles montraient l’exemple des conséquences à la transgression des lois. « Ainsi la foule où chacun connaît l’angoisse de sa propre mort la domine en participant au spectacle de la mort d’un autre dans une exécution qui est meurtre41… ». Cette idée rappelle le concept de catharsis proposé par Aristote au sujet des tragédies grecques, lesquelles étaient également représentées devant l’ensemble des citoyens. « Dans sa Poétique, Aristote justifie la tragédie en lui attribuant un pouvoir de purification des passions du spectateur. Assistant à un tel spectacle, l'être humain se libérerait des tensions psychiques, qui s'extériorisent sur le mode de l'émotion et de la sympathie avec l'action représentée42. » Les représentations publiques d’actes choquants ou violents ont toujours été principalement des divertissements, mais il est important de mentionner que ces prestations servaient également à instruire leur auditoire, à développer l’empathie et à se renseigner sur les effets et conséquences de la violence43.

Dans l’histoire des représentations extrêmes, il paraît important de mentionner le Théâtre du Grand-Guignol. Même si ce théâtre ne présentait pas ses pièces sur la place

41 Michel Bée, « Le spectacle de l'exécution dans la France d'Ancien Régime », Annales. Économies, sociétés, civilisations. 38ᵉ année, no 4, 1983, p.856. 42 Alain Delaunay, « Catharsis », Encyclopedia Universalis, [en ligne] : http://www.universalis- edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/catharsis/ (consulté en février 2019). 43 Andrea Butler, « Sacrificing the real, Early 20th Century Theatrics and the New Extremism in Cinema », Cinephile, vol.8, no2 (automne 2012), p.27. 14 publique, il compte parmi les figures de proue en ce qui a trait à l’usage de violence . Contrairement aux tragédies grecques, ce théâtre pouvait comprendre des moments de sexualité explicite sur scène. On peut tout de même rapprocher le « […] Grand Guignol with those same theatrics of “purgation and fear” through which spectators can safely experience heinous acts 44». Ce théâtre parisien de la fin du XIXe siècle osait montrer sur scène des actes d’une grande violence : importante quantité de sang, démembrement, viol, gorges coupées, yeux désorbités, etc. Karen Quingley explique: « This subject matter and means of presentation understandably affected its spectators, often in uncontrollable corporeal ways45. » En effet, ces prestations étaient reconnues pour faire réagir physiquement son public : de l’hyperventilation, des vomissements et plus souvent encore des évanouissements étaient rapportés à chacune des présentations du Grand-Guignol46. On y parle même d’une participation active de l’auditoire par la récurrence des adresses directes faites aux gens dans la salle (bris du quatrième mur) en plus de la simultanéité de la réaction physique de l’auditoire avec l’action représentée en direct. Ici nous apparaît de façon évidente la ressemblance avec la New French Extremity et d’autant plus cette remarque de Quandt : « […] reports of fainting, vomiting and mass walkouts have consistently characterized the reception of this group of art-house films whose brutal and visceral images appear designed deliberately to shock or provoke the spectator47 ». On peut en déduire que le Grand-Guignol fait partie de l’héritage des pratiques artistiques qui spectacularisent la violence et qu’il apparaît telle une possible influence (consciente ou non) pour les cinéastes de la New French Extremity.

En ce qui a trait au septième art, Frey débute son ouvrage avec une description étendue du cinéma extrême en expliquant son évolution dans le temps : « Sexuality and violence were part and parcel of the earliest cinema history and prehistory and codetermined aesthetic

44 Andrea Butler, « Sacrificing the real, …», p.31. 45 Karen Quigley, « Theatre on Call: Participatory fainting and Grand Guignol theatre », Performance Research, vol.16, no3, p.106. 46 Idem. 47 James Quandt, « Flesh and Blood: Sex and Violence in Recent French Cinema », The New Extremism in Cinema from France to Europe, p.18. 15 idioms48… ». Il cite les œuvres de Thomas Edison (Electrocuting an Elephant, 1903), Luis Buñuel (Un chien andalou,1929) et Nagisa Oshima (L’Empire des sens,1976) pour illustrer comment les cinéastes de toutes les époques ont participé à la généalogie du cinéma extrême d’aujourd’hui49. Il précise également que la Nouvelle Vague Française a permis l’intégration progressive d’images érotiques dans le cinéma, puisque ces cinéastes filmaient à répétition des plans de femmes dénudés ou dans des positions provocantes50. Ainsi, l’envie de créer des films qui repoussent violemment les limites de la représentation cinématographique a toujours été présente. Un des cinéastes incontournables en lien avec cette question est Pier Paolo Pasolini et son film marquant Salo ou les 120 jours de Sodome (1975), qui dénonce le fascisme en « […] nous [faisant] avancer toujours plus profond, nous enfermant dans les cercles de son enfer, du viol à la scatologie, de la scatologie à la torture, puis à l’énucléation, jusqu’au meurtre, fin du parcours51… ». On peut donc en conclure que dans la majorité des cas, le spectacle de la violence n’est pas gratuit ni sans fondement. Les films de la New French Extremity découlent alors d’une tradition artistique qui confronte constamment les spectateur.trice.s à des situations extrêmes, forçant des réflexions et la remise en question des codes moraux d’une société donnée.

1.1.3. La place des femmes : les réalisatrices de la New French Extremity

Si la parité est chose rare dans le monde du cinéma, on remarque rapidement la place cruciale occupée par les femmes cinéastes dans la New French Extremity : « The point is confirmed by no less iconic a figure than writer-director Catherine Breillat, who stated in 2008 that : ‘Today the film industry is perhaps the one place in France where parity exists between the sexes’52 ». En effet, sur environ une dizaine de cinéastes, on peut compter de façon certaine cinq réalisatrices participant à la New French Extremity53. Les œuvres de ces

48 Mattias Frey, Extreme Cinema, p.4. 49 Ibid.,p.4. 50 Ibid., p.5. 51 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, p.91. 52 Tim Palmer, Brutal Intimacy, p.153. 53 Même si les limites et critères de cette tendance restent flexibles, on peut assurément retenir les noms de Catherine Breillat, Claire Denis, Marina De Van et le duo Virginie Despentes et Coralie Trinh-Thi. 16 cinéastes ont été remarquées pour leurs représentations singulières du corps, de l’intimité et de la sexualité. Il va sans dire que ces thématiques ont été abordées de façon à transmettre un discours politique et dénonciateur, afin de porter un nouveau regard sur la situation des femmes. Par conséquent, certains films ont provoqué de grands tumultes et ces réalisatrices ont parfois eu à se battre contre la censure.

Le scandale autour de Baise-moi (2000), film adapté du roman éponyme de Virginie Despentes54, est certainement l’évènement le plus connu lié à ces femmes réalisatrices. L’« affaire Baise-moi » a été grandement médiatisée, notamment pour les questions que souleva cet épisode à propos de la liberté d’expression et des limites de la représentation de la sexualité au cinéma. Dans l’esprit d’un Thelma et Louise (Ridley Scott, 1991) beaucoup plus explicite et tourné sur vidéocassette, le film met en scène deux jeunes femmes qui partent en cavale pour fuir les conséquences des meurtres qu’elles ont commis. Ce qui fit scandale avec Baise-moi est la représentation de scènes de pornographie et de violence extrême qui sont conduites par des personnages féminins. À sa sortie, Baise-moi avait obtenu son visa d’exploitation ; il avait alors été diffusé dans les salles de cinéma pour un public de seize ans et plus uniquement55. L’association Promouvoir56 ainsi que plusieurs familles se sont opposées à la diffusion d’un tel film sous prétexte que des mineurs entre seize et dix-huit ans ne devraient pas être exposés à ce type de cinéma. À la suite des plaintes formulées par ces groupes, le Conseil d’État a constaté que le film s’apparentait beaucoup au cinéma pornographique et a donc rétrogradé Baise-moi à la catégorie « X » pour cette raison. Conséquemment, le film a été retiré du réseau des salles de cinéma grand public. « Or, si la loi du 30 décembre 1975 qui instaure la catégorie des films pornographiques avait permis la

54 Virginie Despentes, Baise-moi, France, Florent Massot, 1994, 248 pages. 55 « Comme tous les films, et conformément au code de l’industrie cinématographique, Baise-moi a, avant de pouvoir être diffusé en salle, dû obtenir un visa d’exploitation du ministère de la Culture, délivré après avis de la commission de classification des œuvres cinématographiques qui siège au Centre national du cinéma. ». Lilian Mathieu dans « L’art menacé par le droit? Retour sur ‘l’affaire Baise-moi’ », Mouvements, vol.4, no29, p.5, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-4-page-60.htm, (consulté en novembre 2018). 56 Association française qui cherche à « Défendre la dignité de la personne humaine et protéger les mineurs, à travers la ‘promotion des valeurs judéo-chrétiennes’». Cette association a mené plusieurs combats pour censurer des films, dont La vie d’Adèle (Kechiche, 2013), Antichrist (Von Trier, 2009) et Love (Noé, 2015). Dans le Figaro, publié le 9 février 2016, [en ligne] http://www.lefigaro.fr/cinema/2016/02/09/03002- 20160209ARTFIG00190-promouvoir-l-association-qui-obsede-le-cinema.php, (consulté en novembre 2018). 17 création d’un vaste réseau de salles, celui-ci, ruiné par la vidéo, n’existe pratiquement plus vingt-cinq ans plus tard, et Baise-moi se voit privé de toute possibilité de diffusion57. » Il s’ensuit un mouvement de révolte de la part de la communauté artistique qui revendiquait le droit à la liberté d’expression, de création et de diffusion des œuvres. Catherine Breillat a été elle-même impliquée dans ce débat où elle donnait son appui aux réalisatrices. Elle a également lancé une pétition que plusieurs artistes de renom ont signée pour afficher leur soutien à Despentes et Trinh Thi, dont Jean-Luc Godard, Jeanne Labrune, Claude Lanzmann et Claire Denis58. Dans une entrevue donnée le lendemain du lancement de cette pétition, Breillat s’explique : « C'est un dysfonctionnement de l'État […]. Dans un premier temps, il est évident qu'il faut faire un décret qui permette de disposer de l'autorisation aux seuls majeurs, l'interdiction aux moins de dix-huit ans. Au-delà de cette urgence absolue, il faut une réflexion sur le cinéma qui ne doit plus être poursuivi de l'idée qu'il pourrait être X59. » Car en effet, l’objectif de Baise-moi était d’abord de dénoncer la violence faite aux femmes qui est inhérente dans notre société du XXIe siècle, et non pas de procurer à son auditoire une stimulation ou une excitation sexuelle. Force est de constater que cette nuance n’est pas évidente à percevoir par tous les publics, puisque la sexualité reste un des tabous parmi les plus forts qui persistent en Occident. « C’est vrai qu’il y a quelque chose de tabou dans la monstration sexuelle mais ce n’est pas de l’ordre de la honte mais d’une censure sociale60 », exprime Breillat. Dès lors, la mise en image d’un acte sexuel est indubitablement choquante pour une partie du public qui la reçoit. Le message porté par le film s’est alors perdu dans l’ombre de l’impact des scènes de sexualité explicite. « Ainsi, les valeurs politiques et esthétiques véhiculées par des films comme Les nuits fauves, Baise-moi, Romance ou Le Pornographe ont été évacuées au profit d’un discours sociologique sur la place du sexe dans notre société (sida, prostitution) et sur le pouvoir des images (pornographie et violence) 61». Enfin, l’« affaire Baise-moi » est emblématique du cinéma des femmes de la New French

57 Lilian Mathieu, « L’art menacé par le droit? Retour sur ‘l’affaire Baise-moi’ », Mouvements, vol.4, no29, p.6, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-mouvements-2003-4-page-60.htm, (consulté en novembre 2018). 58 Victor Hache, « Catherine Breillat : ‘On interdit toujours pour des questions morales’ », Humanité, Juillet 2000, [en ligne] https://www.humanite.fr/node/230327 (consulté en novembre 2018). 59 Idem. 60 Catherine Breillat, Corps amoureux, entretiens avec Claire Vassé, p.115. 61 Antoine Germa et Frédéric Bas, « ‘Montrez ce sexe que l’on ne saurait voir’ : le cinéma français à l’épreuve du sexe (1992-2002) », [en ligne] https://www.cairn.info/revue-le-temps-des-medias-2003-1-page-95.htm (consulté en novembre 2018). 18

Extremity et illustre les débats engendrés par les œuvres transgressives réalisées par ces cinéastes.

Le corps et le désir féminins sont des thématiques qui occupent une place centrale dans les films des réalisatrices de la New French Extremity : « Uniting many of these recent films by women is what we might call simply a female-centered approach, if nothing else defined by a major protagonist who is a woman, and a plot that focuses on her interest and desires, and the challenges of realizing them62. » Marina De Van est une actrice et cinéaste qui participe à la tendance, notamment avec son film Dans ma peau, réalisé en 2002. Ce film met en scène la réalisatrice qui interprète le rôle d’une femme obsédée par son propre corps et ses blessures. Le récit se déploie autour des différentes mutilations que la protagoniste s’inflige, toujours dans un état de curiosité et de fascination. Le corps est dévoilé, tailladé, goûté sans que le personnage n’exprime ni panique ou douleur. « No specific contexts, or explanations, or resolution is granted, and the film ends with a repeated series of tracking close-ups of Esther alone in a hotel room, her body maimed, but her face and emotions at least partially becalmed63 ». Le corps de l’actrice/protagoniste devient alors le sujet du film : nous observons cette femme redécouvrir et se réapproprier violemment sa propre enveloppe charnelle.

Un autre film emblématique de la New French Extremity est Trouble Every Day, réalisé par Claire Denis en 2001. Ce film-choc a créé tout un émoi lors de sa présentation à Cannes, où plusieurs quittèrent la projection avant sa fin par répulsion pour le film ou encore parce qu’ils éprouvaient des malaises64. « Closer consideration of Trouble Every Day reveals that the most “extreme” thing about it is not just its admittedly disturbing subject matter, but the way it violates the formal and discursive boundaries between art cinema, (body) horror,

62 Tim Palmer, Brutal Intimacy, p.154. 63 Tim Palmer, « Under your skin: Marina de Van and the contemporary French cinéma du corps », Studies in French Cinema, vol.6, no3 (2006), p.176. 64 Stephanie Wong, « The Underside of Desire: Cannibalizing Genre in Claire Denis’s Trouble Every Day », Film Matters, Feature 02 (hiver 2011), p.8. 19 pornography, and even melodrama65 », explique Stephanie Wong dans son article. En effet, le film mélange savamment cannibalisme et sexualité explicite dans un récit à la fois dramatique et terrifiant. Trouble Every Day a généré plusieurs interprétations et serait compris telle une métaphore du sida, du colonialisme, de l’inefficacité de l’amour ou encore comme une dénonciation de la violence sexuelle66. Sebastian Scholz et Hanna Surma expliquent:

What is pursued by the film so persistently is the truth of the body insofar as it is something completely different from the mere arrangement of organs or limbs, from anatomy or organism and organization. The truth of the human body appears in the moment of dissection and rupture of its surface – ‘when the blood leaks through the skin67… Dans ces films, le corps des personnages est le centre du récit. Il est représenté sans compromis, dans tous les angles, qu’il soit en souffrance ou en jouissance.

Catherine Breillat est également une figure importante de la New French Extremity. Dès ses débuts, sa carrière oscille entre la publication de textes littéraires et la réalisation d’œuvres cinématographiques. Son premier roman, L’Homme facile, est publié en 1965. À sa sortie, l’œuvre est classée X ; par conséquent, il devient illégal pour quiconque n’aurait pas dix-huit ans d’entrer en contact avec ce roman. Paradoxalement, Breillat n’a que dix-sept ans à la sortie de son livre et n’a donc légalement pas le droit de lire son propre roman. Cet épisode, aussi cocasse qu’il puisse paraître, préfigure la relation avec la censure que devra supporter Breillat tout au long de sa carrière. Son premier film Une vraie jeune fille a été tourné en 1975. Malheureusement, la compagnie de production fait faillite et le scandale créé par les plans sexuellement très explicites du film font qu’Une vraie jeune fille ne sera projeté en salles qu’à partir de 1999, à la suite du succès engendré par Romance. Dans ce premier film, qui fait l’adaptation de son roman Le Soupirail, Breillat cherche à imager le pouvoir du désir et des fantasmes chez une jeune fille, ainsi que le sentiment de honte qui les

65 Stephanie Wong, « The Underside of Desire: Cannibalizing Genre in Claire Denis’s Trouble Every Day », p.9. 66 Idem. 67 Sebastian Scholz et Hanna Surma, « Exceeding the limits of representation: screen and/as skin in Claire Denis’s Trouble Every Day (2001) », Studies in French Cinema, vol. 8, no1(2008), p.12. 20 accompagne. Une vraie jeune fille est le premier film du « triptyque adolescent » de Breillat, composé également de 36 fillette (1988) et À ma sœur! (2001). Ces trois films pointent du doigt le « malheur » de la virginité et aussi comment les jeunes filles souhaitent et craignent, à la fois, la perdre. « Véritable catalyseur de tensions énormes, cette épreuve représente un enjeu scénaristique et cinématographique fort dans lequel s’engouffrent tous les déshonneurs et toutes les perversités du monde68 », affirme David Vasse dans son ouvrage. La cinéaste explore ce thème central qu’est la sexualité des femmes : ses films mettent en scène la découverte du désir et son expression, en exposant sans compromis des vérités parfois bouleversantes. Les femmes sont montrées à l’écran, leur parole est entendue, leur corps dévoilé et on y invite le public à découvrir leurs fantasmes en même temps que le font les personnages. Pour ces derniers, la connaissance de soi passe par la compréhension de leurs désirs, lesquels sont la plupart du temps associés à un certain degré de violence. En effet, la dualité plaisir/douleur est récurrente dans les films de Breillat et s’illustre dans les multiples scènes de viol ou de sadomasochisme69. Les œuvres de Catherine Breillat sont donc polémiques en raison du traitement explicite de la sexualité et la force du discours qui accompagne ces images.

1.2. Catherine Breillat et la pornographie

Il est évident qu’on peut rapprocher les films de Catherine Breillat avec le genre pornographique. Comme en témoignent Best et Crowley: « […] this proximity demands to be thought as both citation and entanglement; and this relation is seen as a necessary part of the articulation of key aesthetic and thematic concerns70 ». Comme mentionné précédemment, si le sujet central des films de Breillat est la sexualité des femmes, c’est bien la façon dont elle est montrée qui fait scandale : l’intimité et les organes génitaux des personnages sont dévoilés au public en gros plan, frontalement, avec parfois même des relations sexuelles non simulées par les acteurs et les actrices. Cette manière d’aborder la

68 David Vasse, Catherine Breillat, Un cinéma du rite et de la transgression, p.98. 69 Ibid., p.117. 70 Best et Crowley, The New Pornographies, p.55. 21 sexualité au cinéma est généralement réservée aux productions pornographiques, qualifiées d’industrie :

Car le cinéma pornographique est d’abord une entreprise, une industrie lucrative du sexe, un genre productif, performatif, reproductible et rationnel, qui anticipe ses bénéfices selon un principe simple de cause à effet qui passe par un scénario facile, évident et réducteur, supporté par un corps beau et appétissant, normé, disponible, évident, employé dans une démonstration quasi publicitaire du savoir jouir, du devoir jouir71. La présence de la célèbre star du porno Rocco Siffredi, à la fois dans Romance et Anatomie de l’enfer, est un choix délibéré de Breillat pour provoquer ce rapprochement avec la pornographie72. La cinéaste reconnaît elle-même le lien entre ses films et le genre pornographique, bien qu’elle soutienne que ses œuvres ne franchissent pas la limite du film X73. Ce qui distingue principalement les films de Breillat du cinéma pornographique est leur intention. En effet, le cinéma pornographique pourrait se définir comme suit : « Représentation […] de choses obscènes, sans préoccupation artistique et avec l'intention délibérée de provoquer l'excitation sexuelle du public auquel elles sont destinées74 ». Les films de Breillat ne correspondent pas à cette définition, puisqu’ils contiennent de façon évidente des préoccupations artistiques. De plus, ils ne cherchent pas à susciter l’excitation sexuelle de l’auditoire. Comme bien d’autres artistes, le cinéma de Breillat offre des représentations alternatives de la sexualité en réaction à celles proposées par la pornographie traditionnelle. Dans une perspective pro-sexe qui côtoie volontairement les limites de la pornographie, ces œuvres sont parfois qualifiées de « post-pornographiques ». Annie Sprinkle est celle qui lance le terme et le définit comme suit : « a certain genre of sexually explicit material that is more thoughtful, creative and artistic than the rest75 ». Cependant, le concept se voit attribuer une autre signification : « Aujourd’hui, des théoriciennes queer comme Beatriz Preciado ou Marie-Hélène Bourcier réévaluent le terme post-porno pour théoriser le sexe à l’âge de la subjectivité transgenre, de la désidentification, du “drag” et du cyberespace 76 ». On ne peut donc pas désigner le cinéma de Catherine Breillat comme post-

71 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, p.56. 72 Best et Crowley, The New Pornographies, p.58. 73 Catherine Breillat, Corps amoureux, entretiens avec Claire Vassé, p.117. 74 CNRTL, « Pornographie », [en ligne] http://www.cnrtl.fr/definition/pornographie (consulté en septembre 2018) 75 Julie Lavigne, « La post-pornographie comme art féministe : la sexualité explicite de Carolee Schneemann, d’Annie Sprinkle et d’Émilie Jouvet », Où en sommes-nous avec le féminisme en art?, vol.27, no2 (2014), p.64. 76 Rachel Borghi, « Post-porn », Rue Descartes, vol.3, no79(2013), p.31. 22 pornographique, puisqu’il n’offre pas une critique queer de l’identité, du genre et de la sexualité. Les films de Catherine Breillat sont effectivement très hétéronormatifs (les films représentent exclusivement des relations homme-femme), aspect de ses films qui vaudra à Breillat de grands reproches de la part de l’influent.e critique Marie-Hélène/Sam Bourcier. En revanche, le terme « méta-pornographie » proposé par Julie Lavigne semble plus approprié pour désigner l’œuvre de Breillat :

[L]’appellation « méta-pornographie » s’applique, [à] des œuvres réflexives, critiques et hybrides qui restent tout de même dans les limites de la pornographie. Les […] œuvres tiennent un discours érotiquement utopiste qui célèbre la sexualité des femmes ainsi que la diversité de son expression et qui critique les entraves à la pleine expression et à la représentation d’une sexualité centrée sur le plaisir des femmes, et ce, à partir du point de vue singulier de […] femmes et créatrices77… Parce que la post-pornographie signifie plus que l’« après » pornographie ou simplement la « nouvelle » pornographie, le préfixe « post » fait aussi référence au poststructuralisme et à la théorie queer. Le terme méta-pornographie semble ainsi plus juste pour qualifier le rapport à la pornographie que contiennent les films qui nous intéressent. De plus, cette définition mentionne la présence d’une dimension autoréflexive, aspect important des films de Breillat qui réfléchissent à la pornographie en s’appropriant les codes spécifiques du cinéma X.

Catherine Breillat s’est souvent exprimée quant à la signification de ses œuvres. À plusieurs reprises, elle a effectivement dû expliquer les intentions derrière ses romans et ses films. Il ne sera pas ici question de restreindre notre interprétation de ses œuvres à celle que leur donne la cinéaste. En revanche, l’opinion de Breillat quant à la représentation de la sexualité dans les arts est toutefois intéressante et surprenante ; elle mérite donc qu’on s’y attarde de plus près. Tout d’abord, Breillat fait une distinction entre ces termes : pornographie, porno et érotisme, pour leur attribuer de nouvelles définitions. En général, pornographie et porno sont considérés comme des synonymes, où l’un est en fait la forme abrégée de l’autre. Ces termes ont été définis précédemment et cette forme de représentation explicite de la sexualité renvoie à une certaine connotation négative et

77 Julie Lavigne, « La post-pornographie comme art féministe : la sexualité explicite de Carolee Schneemann, d’Annie Sprinkle et d’Émilie Jouvet », p.75.

23 consumériste. D’un autre côté, l’érotisme est généralement envisagé positivement, associé à l’avant-garde artistique, ce que Best et Crowley désignent comme suit : « […] work which does not pander to the pleasure of the consumer, but interrupts and problematizes this pleasure; which subversively pushes social and artistic boundaries78… ». Ce n’est pas de cette façon que Breillat en fait usage. Elle dit : « L’érotisme, c’est une femme mystérieuse avec des porte-jarretelles, qui écarte les jambes et qui fait bander les hommes. Car l’érotisme est toujours du côté des hommes79 ». Pour la cinéaste, il est en réalité question d’une objectification de la femme, où celle-ci s’exhibe pour le plaisir du spectateur masculin ; c’est un cliché misogyne qui donne une fausse image de la sexualité des femmes à des fins esthétisantes80. À l’inverse, pour Breillat : « ‘pornography’ can name works which refuse the prettification she identifies in the erotic : ‘La pornographie, c’est laid, moi je préfère le laid’ (Vallaeys and Armanet 2000)81 ». Le porno fait alors uniquement référence à ces films qu’elle réduit à des « instruments commerciaux »82. Ainsi, elle refuse la beauté aliénante de l’érotisme, approuve ce qui est « laid » dans la pornographie et s’oppose à l’idée d’instrumentalisation du film à des fins commerciales. Pour Breillat, le film est un moyen de transmettre des vérités et il permet également d’entrer en dialogue avec celui ou celle qui le regarde.

Les films de Breillat se situeraient donc entre l’érotisme et la pornographie, dans un terrain vague qu’Estelle Bayon caractérise d’obscène. Cette affirmation s’inscrit en opposition à l’opinion de la cinéaste elle-même, puisque dans un entretien avec Claire Vassé, Breillat affirme : « Moi je ne suis pas une cinéaste obscène, je suis désolée mais non, jamais83! ». Pourtant, Bayon élabore sur l’idée d’un cinéma de l’obscène en prenant pour exemples les films de Breillat. L’auteure explique que l’obscénité hors du cadre de la pornographie pose problème :

78 Best et Crowley, The New Pornographies, p.58. 79 Ibid., p.59. 80 Idem. 81 Ibid., p.60. 82 Ibid., p.61. 83 Catherine Breillat, Corps amoureux, entretiens avec Claire Vassé, p.119. 24

Il pourrait venir d’une réflexion sur le sexe qui vient s’ajouter à sa représentation, […] où le plaisir n’est plus l’unique but, voire même est mis de côté, puisque l’obscène est vu comme quelque chose de sale et dégoûtant et non érogène, censé provoquer ce plaisir. Ce qui est obscène, c’est de vouloir faire réfléchir, comprendre et dépasser le simple plaisir84. Bayon dissocie la pornographie de l’obscénité. Elle avance que les films pornographiques se perdent dans l’évidence ; la jouissance est une obligation et l’acteur.trice n’est qu’une machine à copuler, ce qui fait de la pornographie un genre contrôlé par des codes et des normes qui étouffent l’angoisse face à la transgression, pourtant nécessaire à l’obscénité 85. L’auteure explique : « L’obscène, qui n’est ni pornographique puisque gratuit et hors de toute codification, ni érotique puisque vulgaire et sale, mais pourrait se concevoir comme un mélange des deux86 ». Également, Bayon remarque que le cinéma obscène réfléchit sur le sexe plus loin que ne peut le faire la pornographie, car il dévoile la profondeur et l’intimité humaine87. « L’obscène de ce cinéma est qu’il lève le voile sur le leurre du corps jouissant pleinement88 », précise l’auteur. Si nous revenons à la citation de Breillat présentée précédemment, ce que la cinéaste exprime s’avère être en phase avec ce que Bayon élabore dans son ouvrage : « Moi je ne suis pas une cinéaste obscène, je suis désolée mais non, jamais! Parce que le corps amoureux n’est pas le corps social. […] Si on voit les choses ainsi, il n’y a pas de pornographie possible. Le corps amoureux n’est pas pornographique et, dans notre intimité, on le sait89 ». Pour Breillat, le sexe se conçoit comme un objet de transcendance pour lequel la découverte et la compréhension de la sexualité sont une nécessité. Dans ses films, les images explicites de la sexualité sont donc loin d’être gratuites puisqu’elles n’ont pas pour objectif d’exciter sexuellement le public.

84 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, p.57. 85 Ibid., p.56. 86 Ibid., p.62. 87 Ibid., p.122. 88 Idem. 89 Catherine Breillat, Corps amoureux, entretiens avec Claire Vassé, p.119. 25

1.3. Le style de Breillat : quand le poids des mots surpasse celui des images

1.3.1. La littérarité Les films de Breillat sont fort complexes. La cinéaste a pour projet de véhiculer d’abord et avant tout des idées au travers de ses œuvres. La construction de ces films d’un point de vue théorique est extrêmement intéressante, particulièrement pour Romance (1999) et Anatomie de l’enfer (2001), qui tiennent tous deux des discours sur les relations hommes- femmes et la sexualité. Les idées véhiculées entrent en confrontation avec les aspects pornographiques présents également dans ses films ; la réflexion sur le sexe bouleverse la façon dont l’auditoire reçoit les images explicites de la sexualité. Nous avançons l’hypothèse selon laquelle les discours portés par les films de Breillat sont rendus visibles grâce à ce bouleversement, que nous osons appeler une subversion, et qui se déploie en partie grâce à la littérarité présente dans son cinéma.

Définir la littérarité est un défi que se sont donnés plusieurs chercheur.e.s, mais force est de constater qu’aujourd’hui encore, il n’y a pas de consensus autour d’une définition qui ferait l’unanimité. Roman Jakobson affirmait que : « [l]'objet de la science littéraire n'est pas la littérature, mais la ‘littérarité’ (literaturnost'), c'est-à-dire ce qui fait d'une œuvre donnée une œuvre littéraire90 ». La littérarité est par conséquent la spécificité du média littéraire au même titre que celle du cinéma se définit par la présence d’images en mouvement. Plusieurs théoricien.nes, dont Riffaterre, Jakobson, Todorov et Marghescou, se sont posé la question et arrivent à des conclusions partielles : ce qui définit la littérarité pourrait être la stylistique, une attitude de réception, « l’activation de la fonction poétique », les figures de style, les référents imaginaires ou l’apparition de l’abstrait91. Michel Serceau, dans Le cinéma fait sa littérature92, précise ceci : « La ‘littérarité’ d’un texte tient à des éléments linguistiques

90 CNRTL, « Littérarité », [en ligne] http://www.cnrtl.fr/definition/litt%C3%A9rarit%C3%A9 (consulté en août 2018). 91 Marc Angenot, « Frontières des études littéraires : science de la littérature, science des discours », Sémiotiques 1, vol.1, no1(automne 1990), p.24. 92 Michel Serceau, Le cinéma fait sa littérature, Étude de la réception de la littérature par le cinéma, France, Classiques Garnier, 2019, 502 pages.

26 particuliers ou à une organisation particulière des matériaux linguistiques ordinaires, ou à l’origine particulière du texte93 ». Au centre de la littérarité se trouve donc le verbe, les mots, qui sont les éléments constitutifs de ce langage propre à la littérature. Serceau précise plus loin dans son ouvrage : « La cinématographicité, si cinématographicité encore une fois il y a, ce sont les propriétés dudit langage cinématographique, lequel comporte des codes spécifiques […] et des codes non-spécifiques que le cinéma emprunte à d’autres langages et à d’autres arts94 ». De ces codes non-spécifiques au cinéma dont parle Serceau, on pourrait en compter certains qui sont proprement littéraires et qui sont intégrés au sein du média filmique. Ces relations entre littérature et cinéma ont été étudiées notamment par Jean Cléder dans Entre littérature et cinéma, Les affinités électives95. L’auteur explique : « La prégnance de la littérature au cinéma peut se lire à travers l’importance accordée à l’histoire et aux diverses formes de verbalisation que peut compter ou induire un film – argument, scénario, dialogues, novellisations96… ». Ainsi, dans le cadre de notre étude, le terme de littérarité sera utilisé en ce sens : Romance et Anatomie de l’enfer usent de différents procédés narratifs, stylistiques et intertextuels qui sont généralement observés dans des œuvres littéraires. Or, cette littérarité semble opérer tel un vecteur intellectualisant qui incite le public à visionner les films au moyen d’une écoute active. Elle est ce qui déploie la réflexion sur le sexe et ce qui distingue les films de Breillat du cinéma pornographique. La littérarité se manifesterait tout d’abord par la mise en relief de l’oralité, c’est-à-dire par la parole des personnages et les mots qu’ils utilisent.

1.3.2. L’importance de la parole dans Romance

Dans cette section, il sera question d’analyser les aspects formels de Romance puis d’Anatomie de l’enfer en observant la place qui est attribuée à l’oralité. Cette dernière est considérée comme une des grandes caractéristiques du cinéma français, lequel accorderait une place importante aux dialogues dans ses films. « Cette primauté de la parole signifiante

93 Michel Serceau, Le cinéma fait sa littérature, p.23. 94 Ibid., p.24-25. 95 Jean Cléder, Entre littérature et cinéma, Les affinités électives, France, Armand Colin, 2012, 206 pages. 96 Ibid., p.102. 27

[…] trouve[rait] ses origines dans une longue et riche tradition européenne littéraire et artistique, faite de paroles et de mots97 ». La prédominance de la parole serait typique du cinéma européen, en opposition au cinéma étatsunien où l’action serait plutôt priorisée. Les films de Breillat suivraient donc cette tradition française puisqu’ils mettent de l’avant la parole des personnages :

[..] la parole dans le cinéma, comme dans la réalité, est aussi tout simplement utilisée comme [s]ignifiant, pour transmettre des idées, opérer une dialectique en opposant des personnages... Bref, tout simplement pour faire sens, car c’est avant tout pour cette raison que l’homme recourt à la parole, dans la réalité, utilisant un code linguistique commun à tous, il peut échanger du sens avec autrui98. Dans les films de Breillat, les sons ne peuvent être reçus uniquement tels des supports aux images. La bande sonore est significative puisque ce qui est dit par les personnages est chargé de revendications, de prises de position et de dénonciations. Nous avançons l’idée que c’est grâce à ce langage verbal singulier que commence à poindre cette littérarité qui nous préoccupe. Il est donc essentiel d’observer comment ces deux films privilégient la parole des personnages et en quoi cette parole semble littéraire.

Romance et Anatomie de l’enfer sont des films à l’esthétique très sobre, aux couleurs neutres, sans procédés cinématographiques qui tapent à l’œil (voir figure 1). Cette neutralité au niveau de la photographie et de la mise en scène est tout à fait propre au cinéma de Breillat. Tout d’abord, ses films sont construits à l’aide de procédés filmiques plutôt transparents : le montage est fluide et inapparent, les plans sont souvent fixes, les quelques mouvements de caméra sont imperceptibles, les séquences sont lentes et inhabituellement longues, et l’échelle des plans est majoritairement simple et réaliste. Les couleurs alternent entre le blanc, le bleuté, le beige et le brun (voir figure 2).

97 Sarah Ghane-Milani, « Statut et fonctions de la parole dans le cinéma européen moderne : étude de cas dans les œuvres de Pedro Almodóvar et d’Eric Rohmer », mémoire de maîtrise en Études approfondies en études européennes, Université de Genève, 2006, f.85. 98 Ibid., f.6. 28

Figure 1 Figure 2

Bref, l’image n’est pas spécialement attrayante, ce qui invite naturellement le public à davantage écouter la bande-son avec attention. Outre les scènes de sexualité explicite qui sont peut-être plus marquantes visuellement, on pourrait affirmer que l’esthétique terne des images à l’étude met plutôt en valeur la bande sonore. Cette dernière est également sobre, c’est-à-dire que la musique se fait rare et que les bruits et les sons constituent le minimum requis pour satisfaire le réalisme des films et la transparence de leur montage. Le silence s’impose souvent dans Romance et Anatomie de l’enfer ; dès lors notre ouïe est stimulée par la parole des personnages. La bande sonore est dominée par les dialogues et, de façon plus importante encore, par la voix des protagonistes. Notre analyse filmique s’attarde dans un premier temps à Romance où seront observés l’importance de la voix over, du vocabulaire singulier qu’use la protagoniste, des calembours récurrents dans le récit ainsi que la poésie qui se manifeste tout au long du film.

Si le personnage de Marie semble parler beaucoup, c’est parce que le film repose en quelque sorte sur ses confessions. Nous suivons la protagoniste dans son intimité la plus profonde : dans sa sexualité, solitaire ou partagée, mais également par cet accès direct à ses pensées que nous permet la voix over. Cette voix qui surplombe le film est celle d’un personnage, présent ou non dans le champ, qui vient se superposer à l’image. Nous définirons ce procédé narratif de façon plus extensive au prochain chapitre de notre recherche. Ainsi, cette voix over permet au récit de se centrer autour d’un « je » qui prend parole, qui commente les évènements qui se produisent, qui bavarde, qui s’exhibe à nous et qui nous offre sa vision

29 du monde. « C’est fou ce que je suis lucide dans ma tête. C’est tout ce que je suis capable d’être ; dans ma tête. Je crois que mon corps ne m’appartient pas. (1 :00 :01) », nous dit Marie au tout début du film. Elle nous annonce que ses paroles sont réfléchies, que nous pouvons croire cette voix over. Ces mots nous apparaissent en hors-champ, dans une séquence assez lente dans laquelle nous voyons la protagoniste se dévêtir. Ses lèvres ne bougent pas, les mots que nous entendons sont dissociés de son corps. Cette idée traverse toute l’œuvre de Breillat qui réfléchit à cette « […] séparation du corps et de la tête, puisque le délice de la sexualité est sans cesse analysé, pensé, énoncé, imaginé, dit et écrit99 ». Nous reconnaissons toutefois que cette voix est associée à Marie, puisque les voix over apparaissent majoritairement dans des séquences lentes, représentant Marie qui semble réfléchir. Cette voix agit tel un narrateur intra-diégétique et nous comprenons ainsi qu’elle nous raconte sa propre histoire.

Il est également intéressant d’observer la façon dont cette voix over s’exprime. Le ton emprunté est solennel ; cette voix articule clairement chacun des mots qui semblent méticuleusement choisis et, s’ils ne sont pas tout à fait précis, ils sont du moins imagés et poétiques. L’absence de musique ou de son permet de distinguer nettement chacune des phrases qui sont livrées avec une certaine éloquence. Dans son article « Catherine Breillat Écrivaine-cinéaste », Claudine Le Pallec Marand remarque également cette littérarité dans les dialogues et monologues des films de Breillat : « Qu’elle soit cinématographique ou littéraire, son écriture respecte l’oralité comme agent destructeur de syntaxe et de grammaire, mais introduit une richesse de vocabulaire, voire un amour des termes désuets ou rarement usités100… ». En effet, on compte dans Romance tout un champ lexical concernant les fluides corporel et les organes, qui détonnent dans la narration par leur sonorité hygiénique et médicale : « nauséeux », « Tampax », « capote », « amas de tripes », « le con humide et gonflé », « la goutte séminale », etc. On dénote également plusieurs calembours qui démontrent assez clairement cet intérêt pour le langage. Par exemple, à la rencontre entre Marie et Paulo, celui-ci la remarque dans un bar assise seule à une table. Il la rejoint et dit :

99 Claudine Le Pallec Marand, « Catherine Breillat, Écrivaine-cinéaste », Quand les écrivains font du cinéma, p.200. 100 Claudine Le Pallec Marand, « Catherine Breillat, Écrivaine-cinéaste », p.204-205.

30

« Ça vous dérange? », auquel elle rétorque avec un sourire : « Ça m’arrange » (00 :16 :10). Un peu plus loin dans le récit, à la sortie d’un bar où Paul dansait avec une autre femme, il se défend des accusations de Marie en disant : « J’en en rien à foutre! », ce à quoi Marie répond : « Et bien t’avais qu’à pas foutre! » (00 :27 :53).

Marie nous livre ses mots qui sont porteurs d’un texte poétique et qui entrent en corrélation avec la signifiance des images. Romance est donc un film plein de poésie en ce sens où il propose des idées et des images qui vont au-delà de ce qui est représentable à l’écran. La poésie et son pouvoir de suggestion incitent alors l’auditoire à participer activement en recevant ces images mentales provoquées par les mots. Le public peint dans son imaginaire ce que les mots du personnage évoquent. On remarque alors la présence de plusieurs métaphores que Marie formule pour préciser sa pensée. Par exemple, elle dit : « Pour moi, un homme qui est incapable de m’aimer physiquement, est un puits de malheur, un gouffre de souffrances (0 :12 :57) ». Vers la fin du film, Marie nous fait part d’un rêve, que l’on pourrait même qualifier de fantasme. C’est le seul moment du film où on s’écarte de ce réalisme monochrome qui traverse le récit pour s’évader pendant quelques minutes dans le monde des rêves. La caméra est très mouvante, la voix est presque enterrée par un bourdonnement inquiétant. Les couleurs sont chaudes, majoritairement rouges et dorées. La voix over de Marie dit :

J’image très souvent une maison de rendez-vous, où la tête serait séparée du corps, par un système un peu semble à celui de l’échafaud, avant que le couperet ne tombe. Bien entendu, il n’y a pas de couperet. Je porte une jupe de faille rouge bien gonflante qui crisse au toucher, et ces accessoires ridicules qui font bander les hommes. Et ça prouve que ceux qui bandent aussi ne nous aiment pas. Dans le fond, Paul a raison, c’est être une femme qui est répudiatoire, parce qu’une femme pour laquelle on bande c’est qu’on veut l’enfiler, vouloir enfiler une femme c’est la mépriser. L’amour des hommes et des femmes est impossible (01 :20 :50 à 01 :21 :32). Cette séquence est intéressante puisqu’on fait basculer le temps d’un instant le rôle des mots et celui des images. La métaphore est ici représentée visuellement, elle est mise en scène au lieu d’être uniquement évoquée par la parole. Les mots agissent ainsi tel une explication, puisque la voix qui commente ces images est revendicatrice et force une certaine réception des images. Le Pallec Marand affirme que « Catherine Breillat répartit ainsi efficacement entre sa littérature et le cinéma ce qui doit être dit de l’obscène et ce que le dire ajoute aux

31 images obscènes dans les films101 ». Cette séquence pourrait provenir directement d’un film X, mais la voix over qui accompagne ces images lui impose un sens et rend cette scène plus critique qu’érotique.

Cette voix over qui commente et qui, nécessairement, modifie la signification des images, semble tout aussi significative dans une autre séquence. Marie, enceinte de Paul, devient cobaye pour une cohorte d’étudiants en gynécologie. Allongée sur un lit d’hôpital, nous voyons défiler des jeunes hommes qui touchent, un après l’autre, le sexe de Marie. En hors-champ, elle explique que Paul ne la touche plus et que le contact physique de ces étudiants l’excite. C’est là qu’elle dit : « Le cinéma porno n’est pas autre chose que soigner sa libido sur son double en image. Or la chose qu’on n’admet pas, on n’en admet pas l’image non plus. L’image vous compromet tout autant, à partir du moment où elle vous représente (01 :20 :04) ». Si la situation proposée par l’image est quelque peu banale, les paroles en voix over de Marie viennent orienter notre perception de la scène. De plus, cette pointe lancée à l’égard du genre pornographique paraît confirmer cette subversion des codes du film X et suggère que le film lui-même réfléchit aux modes de représentations de la sexualité. Cette séquence appuie également l’idée selon laquelle Romance aurait quelque chose de méta- pornographique, au sens où le film (voire les films de Breillat) sont des « […] œuvres réflexives, critiques et hybrides qui restent tout de même dans les limites de la pornographie. Les […] œuvres tiennent un discours érotiquement utopiste qui célèbre la sexualité des femmes ainsi que la diversité de son expression102 … », pour ainsi revenir à la définition de Julie Lavigne citée précédemment.

101 Claudine Le Pallec Marand, « Catherine Breillat Écrivaine-cinéaste », Quand les écrivains font du cinéma, p.204. 102 Julie Lavigne, « La post-pornographie comme art féministe : la sexualité explicite de Carolee Schneemann, d’Annie Sprinkle et d’Émilie Jouvet », p.64. 32

1.3.3. L’importance de la parole dans Anatomie de l’enfer

Anatomie de l’enfer est un film tout à fait différent de Romance. Ce dernier raconte l’histoire d’un personnage central auquel nous nous identifions et que nous suivons pendant une courte période de sa vie. Anatomie de l’enfer est construit autrement : c’est la rencontre entre un homme et une femme qui apprennent à se connaître dans une intimité des plus singulières. La majorité du film consiste en un huis clos, où ce couple improbable converse pendant quatre nuits. La parole est donc centrale dans le film, car une grande partie de l’action est concentrée dans leurs conversations.

Anatomie de l’enfer relate l’histoire du personnage de la Femme qui rencontre un homme dans une boîte de nuit pour homosexuels. Invisible dans cet environnement masculin, elle se cache dans les toilettes et coupe les veines de ses poignets. Le personnage de l’Homme la surprend et lui sauve la vie. C’est à cet Homme que la Femme103 propose un contrat : elle le payera pour qu’il vienne passer quatre nuits avec elle. Dans sa chambre, ils tenteront ensemble de percer le mystère de la femme. L’Homme accepte et se présente à chacune de ces rencontres qui le troubleront à jamais. Comme dans Romance, les plans sont lents et la caméra transparente, permettant ainsi de porter toute notre attention vers la bande-son qui privilégie la voix des personnages. Le décor épuré et les couleurs neutres mettent les protagonistes en valeurs. L’action se déroule dans une chambre qui agit telle une salle de classe, où l’élève (l’Homme) se fait donner la leçon par sa professeure (la Femme). Contrairement à Romance, dans lequel la parole agit telle une confession, Anatomie de l’enfer tient des dialogues qui ont plutôt une fonction didactique. Chacun explique à l’autre sa vision de la sexualité et comment ils perçoivent les femmes. Le corps du personnage de la Femme sert de tableau et d’illustration à la matière qui est discutée. Anatomie de l’enfer jongle ingénieusement entre les concepts de monstration et de narration104, ou de showing et de telling105, puisqu’on alterne entre des discussions sur le sexe et des images montrant le sexe

103 Ces personnages ne se nomment à aucun moment du film, c’est pourquoi nous les désignons ainsi tout au long de notre analyse. À noter que leur anonymat amplifie l’idée qu’ils sont des archétypes où chacun agit tel un représentant de son genre respectif. 104 André Gaudreault, Du littéraire au filmique, Québec, Éditions Nota Bene (Coll. U), 1999, 183 pages. 105 Percy Lubbock, The Craft of Fiction, New-York, Viking Press, 1957, 274 pages. 33

(par des gros de plans d’organes génitaux, de masturbation et de copulation). Le discours est alors exemplifié : ce dont l’Homme et la Femme discutent est essayé, testé et goûté. Dans ce film, l’image a pour fonction d’être un support et un appui au langage verbal. Pensons ici à la troisième nuit, où la Femme a ses menstruations. Elle tente d’expliquer à l’Homme que ce n’est pas la pénétration qui lui apporte du plaisir, mais plutôt le fait qu’elle soit pénétrée par quelqu’un de spécial. « La preuve que le coït, c’est pas [sic] la matérialité de l’acte, mais son sens (00 :55 :37) ». Par conséquent, porter un tampon ne lui procure en rien du plaisir :

Ils ont pris tout un dispositif pour nous faire croire que c’est compliqué. Ainsi peut-on se le mettre en place tout en se touchant, en restant intacte toute sa virginité, en n’ayant aucune exploration de son sexe. Tu vois? Tu t’introduis le petit carton, maintenant tu pousses, comme avec une seringue, pour t’injecter comme une sorte de shoot dans les veines, sans rien sentir (00 :56 :13). Nous voyons alors à l’image la Femme se mettre un tampon pour illustrer ce qu’elle explique. Il est assez évident que cette partie du film est une réflexion sur les menstruations et ses tabous. La Femme tient un discours explicatif qui s’adresse au personnage de l’Homme, mais on comprend également que ces explications sont à l’intention du public. La parole de la Femme est chargée de revendications ; elle tente d’instruire celui qui l’observe pour ainsi détruire le dégoût lié aux menstruations. L’Homme est alors placé dans la même position que le public, qui apprend en même temps que l’auditoire ces vérités sur le corps des femmes.

Dans Anatomie de l’enfer, la langue des personnages détonne de la même façon que nous l’avons soulevé dans Romance. En effet, les métaphores, calembours et formules inhabituelles que prononcent l’Homme et la Femme rappellent la présence d’une écriture. On y entend des phrases qui ne sonnent pas naturelles et qui conséquemment font ressortir la présence des mots. Par exemple, on peut entendre l’Homme dire que « […] l’élastique résistance de l’anus des garçons ne ment pas (00 :28 :46) », ou alors parler de « […] la couleur trop vive et le côté informe et indolent de vos lèvres cachées (00 :17 :44) ». La Femme a aussi une façon de s’exprimer qui est surprenante. Elle dit : « Je crois découvrir en moi ce que je me refusais à entendre, que le corps des femmes appelle à mutilation. Et pourtant il n’y a rien, rien de trop (00 :22 :01) ». Et plus loin : « Il y a une éternité entre l’offre et la demande. Il y a une éternité entre l’offre et le mouvement de prendre (00 :15 :12) ». Ce

34 langage littéraire et étonnant accroche volontairement l’ouïe de l’auditoire et assure ainsi que toute l’attention soit dirigée vers ce qui est dit. La conversation entre les personnages de l’Homme et de la Femme inclut alors le public du film, lequel reçoit silencieusement toutes les revendications et dénonciations qui sont faites à propos des femmes, de leur corps et de leur sexualité.

Finalement, on comprend bien que la littérarité des films apparaît tout d’abord au travers de l’expression orale des personnages. Cette récurrence de calembours, de figures de style et ce singulier vocabulaire qui rappellent une écriture poétique fait en sorte que les personnages s’expriment de façon très stylisée. Dans Romance, la parole de Marie est dominante parce que le film est construit en une multitude de scènes très lentes, dans un décor épuré et monochrome, qui incite le public à tendre une oreille attentive. La voix over de Marie nous invite à être actifs pendant le visionnement et à recevoir à la fois sa poésie et ses réflexions. Anatomie de l’enfer est l’histoire d’une rencontre, d’un échange de savoirs, de découvertes et de révélations au sujet des femmes. La Femme dénonce cette obscénité inévitablement associée aux femmes : sans ses commentaires, les images prennent un tout autre sens. Dans les deux films qui nous intéressent, la façon dont les personnages s’expriment est singulière et mise de l’avant, contrairement aux images qui se succèdent dans un souci de transparence. Ainsi, la littérarité apparaît d’abord dans cette importance qui est donnée aux mots prononcés par les personnages. Parce que ces mots sont inhabituelleme nt lyriques, romanesques et poétiques, notre attention s’accroche à ces détails et se tourne vers ce que les personnages disent. Leur parole agit tel un commentaire aux images qui nous sont livrées, remplaçant ainsi la stimulation ou l’excitation sexuelle par une réflexion et une critique de la sexualité.

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Chapitre 2. Romance et Anatomie de l’enfer: une structure narrative complexe et atypique

2.1. La narratologie : de la littérature au cinéma

Le chapitre précédent s’est clôt sur une analyse du langage verbal des personnages dans Romance et Anatomie de l’enfer. On y a démontré que les films donnent beaucoup d’importance à la voix des personnages, en soulevant les tournures de phrases étonnantes et le choix des mots inhabituels qui sont prononcés. Force est de constater que la parole tient une place centrale dans les films de Catherine Breillat. Dans ce deuxième chapitre, la prise de parole sera toujours le noyau de notre réflexion, mais cette fois observée de façon à faire apparaître la structure narrative des deux films qui nous occupent. De cette façon, nous pensons arriver à préciser davantage les contours de cette littérarité perçue dans les films. Mais avant d’entrer dans les analyses de Romance et Anatomie de l’enfer, il est important de s’attarder à la notion de narratologie pour ensuite définir en quoi cette théorie nous sera utile pour la suite de notre recherche.

La narratologie est une « discipline sémiotique ayant pour objet l’étude scientifique des structures des récits106 ». C’est à Gérard Genette que l’on doit les bases constitutives de cette théorie qu’il élabore dans son texte Discours du récit, essai de méthode107. Pour Genette, l’analyse du discours narratif est en réalité : « […] l’étude des relations entre récit et histoire, entre récit et narration, et entre histoire et narration108 ». Pour ce faire, il divise ce qu’il nomme « les problèmes du récit » en trois catégories : le temps, le mode et la voix. Le temps est alors observé sous trois angles, soit l’ordre temporel (et donc la succession des évènements), la durée de ces évènements et finalement leur fréquence109. Le mode narratif, quant à lui, se divise en deux : la distance (« On peut en effet raconter plus ou moins ce que

106 CNRLT, « Narratologie », [en ligne] https://www.cnrtl.fr/definition/narratologie (août 2019). 107 Gérard Genette, Figures III, Paris, Éditions du Seuil, 1972, 273 pages. 108 Ibid., p.74. 109 Ibid., p.77. 36 l’on raconte […]110 ») et la perspective (« […] le raconter selon tel ou tel point de vue […]111 »). Finalement, la troisième catégorie porte sur la voix, qu’il définit comme l’instance productrice du discours narratif112. Ainsi, selon Genette : « le temps et le mode jouent tous les deux au niveau des rapports entre histoire et récit, tandis que la voix désigne à la fois les rapports entre narration et récit, et entre narration et histoire113 ».

Au départ, la narratologie tenait pour seul objet d’étude les œuvres littéraires, ou plus précisément, le roman. Dans son ouvrage Le récit filmique, André Gardies fait cette remarque :

Or la conception qu’il [Genette] développe apparaît comme particulièrement restrictive puisqu’elle ne prend en compte que le récit écrit au seul plan de son énonciation. Sont donc exclus de cette narratologie restreinte : […] tous les récits dont le support n’est pas strictement linguistique, parmi lesquels, naturellement, le film narratif114 ! André Gaudreault s’est largement penché sur le sujet, notamment dans son livre Du littéraire au filmique. Sa réflexion le mène à questionner la définition du terme « récit ». Il se demande pourquoi les dénominations « récit littéraire » et « récit filmique » ne posent aucun problème alors que « récit théâtral » semble pour certains inacceptable. Gaudreault fait alors tout un détour par l’univers du théâtre pour arriver à identifier les paramètres narratifs des médias autres que la littérature : « Qu’est-ce qui distingue, au plan narratif, la nature profonde de ces arts115? ». Il explique plus loin que c’est au niveau de « […] cet aspect de la présence ou de l’absence du narrateur que se cristallisent les opinions des narratologues qui refusent au théâtre tout statut narratif116 ». La figure du narrateur devient alors un élément caractéristique de chacun de ces médias, particulièrement au cinéma, dont Gaudreault propose différentes nominations selon sa fonction au sein du film : narrateur fondamental, narrator, méga- narrateur, etc.

110 Gérard Genette, Figures III, p.183. 111 Ibid., p.183. 112 Ibid., p.226. 113 Ibid., p.76. 114 André Gardies, Le récit filmique, Paris, Hachette Supérieur, 1993 p.11. 115 André Gaudreault, Du littéraire au filmique, p.37. 116 Ibid., p.38. 37

Jean Châteauvert poursuit la réflexion de Gaudreault sur la narration filmique dans son ouvrage Des mots à l’image, La voix over au cinéma117. Il explique que la narratologie au cinéma est une adaptation du modèle littéraire qui s’en distingue toutefois grâce à une instance narrative particulière et responsable de l’ensemble des matériaux filmiques : cette instance narrative est distincte du réalisateur et on n’en trouve pratiquement aucune trace concrète dans le film118. Il s’agit du narrateur fondamental ou méga-narrateur comme le désigne Gaudreault. Châteauvert cherche donc à définir la fonction du narrateur verbal, qu’il dissocie du narrateur fondamental, et illustre les niveaux sémantiques liés à ces instances. Le narrateur verbal est alors défini comme celui qu’on a souvent entendu dire : « Cette histoire a commencé il y a très longtemps… », à qui on attribue cette voix qui se superpose à l’image et qui s’apparente au narrateur en littérature119. Conséquemment, Châteauvert s’attarde à la dimension sonore du cinéma et analyse les composantes et les effets de la voix over dans un film.

En somme, Genette, Gaudreault et Châteauvert sont trois auteurs qui seront convoqués pour cette partie de notre recherche. Les notions de mode et de voix tels que Gérard Genette les entend seront utilisés pour mettre l’accent sur deux éléments importants de nos analyses de Romance et Anatomie de l’enfer : d’abord la focalisation, qui découle du concept de « mode », puis les narrateurs que Genette catégorise de « voix ». Les figures de narrateurs, dont le narrateur verbal qui intéresse Châteauvert, ainsi que le méga-narrateur qu’élabore Gaudreault, serviront également à bien définir les instances narratives présentes dans les deux films. L’œil-caméra120 de François Jost servira aussi de référence pour notre compréhension de la focalisation au cinéma. Ce dernier démontre que la focalisation permet de définir ce que sait un personnage. Elle peut être interne, externe ou spectatorielle. Le concept d’ocularisation nous sera aussi utile pour bien saisir quel type de focalisation prime dans le film, terme que Jost définit comme étant « la relation entre ce que la caméra montre et ce que

117 Jean Châteauvert, Des mots à l’image, La voix over au cinéma, Québec-Paris, Nuit Blanche Éditeur et Méridiens Klincksieck, 1996, 201 pages. 118 Ibid., p.22. 119 Idem. 120 Francois Jost, L’œil-caméra entre film et roman, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1987, 162 pages. 38 le héros est sensé voir, […] ce terme a en effet l’avantage d’évoquer l’oculaire et l’œil qui y regarde le champ que va ‘prendre’ la caméra121 ». L’article « Plaisir visuel et cinéma narratif » de Laura Mulvey sera également important pour notre réflexion sur la narration au cinéma, puisque Mulvey illustre les bases du cinéma narratif et ses structures genrées en observant, entre-autres, la focalisation de certains films classiques. Il sera ainsi possible de mettre en lumière la façon dont Catherine Breillat propose des films dont les personnages et la structure ne sont pas classiques. Les choix stylistiques effectués par la réalisation qui seront soulevés lors de nos analyses serviront à faire apparaître encore plus nettement cette littérarité qui s’observe à la fois dans Romance et dans Anatomie de l’enfer.

2.2. Les protagonistes et l’identification spectatorielle

Si on veut observer de façon exhaustive la construction narrative des films Romance et Anatomie de l’enfer, il est important de s’arrêter un instant sur les protagonistes qui y sont mis.es en scène. Ce sont eux qui détiennent une voix et que nous suivons tout au long du récit. Les personnages principaux qui nous intéressent ne sont visiblement pas typiques du cinéma narratif classique. En effet, les protagonistes dans les films de Catherine Breillat sont en majorité des femmes qui se mettent à nu pour chercher à comprendre leurs désirs122. Cette dualité chère à Breillat, déjà abordée dans le chapitre précédent et qui explore la scission entre le corps et l’esprit, démontre que l’amour et la sexualité sont deux univers souvent incompatibles. Adrienne Angelo l’explique ainsi dans son article : « This contradictory juxtaposition between sexual images (the body) and existential tension (the mind) creates an ambiguous position for the spectator by presenting a visual and sexualized evocation of the metaphysical mind-body conundrum…123». En effet, il est intéressant de noter que le public des films de Breillat se trouve dans une position inhabituelle, où l’auditoire s’identifierait avec ces protagonistes féminins en découverte d’elles-mêmes. L’identification au cinéma

121 François Jost, L’œil-caméra, p.18-19. 122 Sauf quelques exceptions, dont les protagonistes du « tryptique adolescent » qui sont des adolescentes, ainsi qu’Anatomie de l’enfer où l’un des deux personnages principaux est un homosexuel. Dans tous les cas, ces protagonistes ne correspondent pas au « héros » masculin typique du cinéma narratif classique. 123 Adrienne Angelo, « Sexual Cartographies: Mapping Subjectivity in the Cinema of Catherine Breillat », Journal for Cultural Research, vol.14, no1 (Janvier 2010), p. 43. 39 relève de la relation entre le film et celui.celle qui le visionne. D’après les auteurs de l’Esthétique du film124 qui citent la théorie provenant de Christian Metz, ce procédé s’effectue en deux temps : une identification primaire et une identification secondaire. L’identification primaire est celle où la personne qui visionne le film « […] s’identifie à son propre regard et s’éprouve comme foyer de la représentation, comme sujet privilégié, central et transcendantal de la vision […], c’est la place de Dieu, du sujet tout percevant…125 ». L’identification secondaire, quant à elle, concerne la perception de la diégèse et serait « […] fondamentalement une identification au personnage comme figure du semblable dans la fiction, comme foyer des investissements affectifs du spectateur126… ». Ces deux étapes se font inconsciemment pendant le visionnement, permettant ainsi à l’auditoire d’entrer pleinement dans la fiction et d’accepter le fonctionnement interne de cet univers.

Du point de vue de la critique féministe, le concept d’identification se ferait naturellement entre hommes. C’est ce qu’explique Laura Mulvey dans son texte « Plaisir visuel et cinéma narratif »127 : le film s’adresserait principalement à un auditorat masculin en mettant de l’avant des personnages hommes et de ce fait invite l’auditoire à porter un regard masculin sur l’histoire. Mulvey dit : « L’homme contrôle la dimension fantasmatique du film et apparaît en outre comme le représentant du pouvoir : en tant que relais du regard du spectateur, il fait passer celui-ci derrière l’écran afin de neutraliser la tendance à rompre le flux diégétique de la femme-spectacle128 ». Conséquemment, l’identification serait plus contraignante pour les spectatrices puisqu’elles auraient à se « travestir » pour s’identifier au protagoniste masculin, ou alors devraient attendre l’arrivée d’un personnage féminin au cours du récit129. Suivant le modèle théorique de Mulvey, les personnages féminins du cinéma narratif classique ne sont pas considérés comme des composantes actives du récit ; elles agissent plutôt telle une pause dans la narration et ont une fonction principalement

124 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, Nathan, 1988, France, 203 pages. 125 Ibid., p.185. 126 Ibid., p.189. 127 Laura Mulvey, « Plaisir visuel et cinéma narratif », Débordements, [en ligne] http://debordements.fr/Plaisir- visuel-et-cinema-narratif-Laura-Mulvey (consulté en septembre 2019). 128 Idem. 129 Ruth A. Hottell et Lynsey Russell-Watts, « Catherine Breillat’s Romance and the Female Spectator: From Dream-Work to Therapy », L’Esprit Créateur, vol.42, no3(automne 2002), p.71. 40 spectaculaire130. Le cinéma de Catherine Breillat défie cette structure narrative classique dans laquelle les hommes incarnent des personnages actifs en opposition aux femmes qui se dissimulent derrière des personnages passifs, objectifiés et présents uniquement pour exhiber leur sensualité. En effet, la cinéaste propose généralement un reversement des rôles genrés traditionnels puisque ses films privilégient le point de vue des protagonistes féminins, ce qui incite le spectateur ou la spectatrice à s’identifier avec ces personnages. Il sera question pour cette prochaine partie d’observer plus en détail ces protagonistes et la façon dont les récits nous invitent à partager leur point de vue. Notre analyse de la narration dans Romance et Anatomie de l’enfer s’amorce, dans chacun des cas, par un examen des jeux de regards entre les personnages. Subséquemment, nous nous attarderons à la figure du narrateur ainsi qu’aux voix over dans les deux films, espérant ainsi donner un portrait assez complet de la structure des récits et des différentes instances narratives. C’est en s’attardant sur ces éléments formels précis que nous pourrons définir encore plus clairement comment se constitue cette littérarité qui nous préoccupe.

2.3. Analyse de la narration dans Romance 2.3.1. La focalisation : le regard de Marie

Romance relate l’histoire de Marie qui est insatisfaite de son couple. Après quelques plans d’introduction des personnages, le film s’ouvre sur une discussion entre la protagoniste et son amoureux, Paul. Ce dernier explique à Marie qu’il préfère vivre leur amour dans l’abstinence. Cette conversation est l’élément déclencheur de l’histoire, puisque c’est à ce moment que la jeune femme énonce l’envie de tromper son partenaire. En s’attardant à la focalisation, il sera possible de définir l’importance des personnages ainsi que la façon dont Marie les perçoit.

La focalisation sera ici abordée tel un point de vue donné sur l’histoire, qui apparaît lorsqu’on observe les cadrages et motifs récurrents qui matérialisent les regards des

130 Laura Mulvey, op.cit. 41 personnages. « Trois types de regards sont généralement associés au cinéma : celui de la caméra qui enregistre les événements filmiques, celui du public qui regarde le produit fini, et ceux que se portent entre eux les personnages "dans" l’écran131 ». Le regard de la caméra qui enregistre les évènements est généralement invisible, il peut aussi référer au montage ou même à la figure du méga-narrateur, point sur lequel nous reviendrons plus tard. Le deuxième type de regard est celui du public, qui est invité à se fusionner avec celui de Marie. En effet, la première apparition de la protagoniste à l’écran se fait par des plans semi-subjectifs de la jeune femme qui regarde Paul, de dos (voir figures 3 et 4).

Figure 3 Figure 4

Ces cadrages annoncent que c’est le point de vue de Marie qui sera mis de l’avant pour le reste du film : ce qu’elle regardera, nous le verrons aussi. Que le film débute ainsi porte à croire qu’il s’agit d’une invitation à s’identifier à Marie et à jumeler notre regard avec le sien. Le dernier type de regard, qui concerne la façon dont les personnages s’observent entre eux, et c’est ce qui nous intéresse ici. Si on revient à la séquence d’ouverture de Romance, Marie regarde de loin Paul travailler comme mannequin. En d’autres mots, l’ouverture du film se fait avec un personnage masculin qui se donne en spectacle : il se fait maquiller, il pose devant la caméra et se fait diriger par le photographe. Cette posture féminisante prépare l’auditoire à ce renversement des rôles genrés traditionnels, d’autant plus que la séquence suivante est celle où Marie reproche à Paul leur manque d’intimité. Déjà à ce stade, la jeune femme s’impose comme la personne « virile » du couple. Dans son article, John Phillips remarque également cette dynamique : « Gender role reversal is in fact a dominant feature of the film. Paul occupies the stereotypical feminine position in refusing to have sex, and Marie

131 Laura Mulvey, op.cit. 42 takes on the active masculine role as she sets off at night in search of sexual excitement132 ». Cette affirmation est également vraie pour les autres personnages masculins du récit.

Le premier amant de Marie s’appelle Paulo, personnage diamétralement opposé à Paul puisqu’il arrive à offrir à la jeune femme ce que ce dernier ne peut lui donner133. Paulo, interprété par l’acteur de porno Rocco Siffredi, n'est pour Marie qu’une aventure à laquelle elle met fin lorsque des sentiments se développent entre les deux. La scène qui montre Marie et Paulo dans leur moment d’intimité met de l’avant le corps de l’homme ; la position des personnages à l’écran ainsi que l’éclairage priorisent la nudité de Paolo. L’accent est mis sur le corps du personnage masculin, faisant de lui un homme-spectacle présenté comme l’objet du désir de Marie. Son sexe en érection qu’il masturbe pour être prêt à l’acte ne semble pourtant pas enthousiasmer la jeune femme. Froide et distante, Marie ne cesse de parler : « les mecs ils sont dégoutés de tout (00 :29 :12) », dit-elle avec dédain. Cette séquence est intéressante puisqu’on y montre une scène de sexualité qui contient de la masturbation non- simulée, mais qui est dénuée de toute sensualité justement parce que Marie n’évoque pratiquement aucun plaisir. Parce qu’elle réfléchit à voix haute pendant l’acte avec Paolo, ses commentaires annulent les effets érotiques de la scène.

Le second amant de Marie est Robert, le directeur de l’école où celle-ci enseigne. Ce dernier est un personnage masculin particulier : il se propose d’aider Marie à explorer ses fantasmes par l’entremise du sadomasochisme. À ce propos, John Phillips commente cette relation :

The contract with Robert is very definitely an ambivalent one, as the submissive position is occupied explicitly by Marie but implicitly by Robert. The result is a fluidity of gender positions, as Marie plays the masochistic male in search of erotic pleasure, while Robert adopts the Deleuzian role of the good mother134…

132 John Phillips, « Catherine Breillat’s Romance: Hard Core and the Female Gaze », Studies in French Cinema, vol.1, no3 (2001), p.138. 133 Ibid., p.136. 134 Ibid., p.138. 43

Robert n’est donc pas représenté comme l’objet du désir de Marie, mais plutôt tel un allié qui permet à Marie de se découvrir et s’approprier sa sexualité. En effet, les séquences qui les présentent ensemble mettent plutôt l’accent sur la jeune femme et ses réactions lorsqu’il la ligote. Robert est toujours habillé à l’écran et à aucun moment il ne démontre son excitation ou son désir. Il est alors possible de comprendre pourquoi Paulo, malgré sa fonction d’homme-spectacle, ne semblait pas être désiré par Marie. Le regard de Marie est posé au début du film sur Paul, mais il se tourne rapidement sur elle-même. Ce que Marie cherche n’est pas dans Paulo ou dans Robert, mais plutôt en elle. L’objet de son désir n’est plus un homme, mais quelque chose de plus transcendantal.

Le motif du miroir nous permet de pleinement saisir cet important aspect de Romance. En effet, à plusieurs reprises nous voyons Marie s’observer pensivement dans la glace. La première fois est lorsqu’elle décide de ne plus voir Paulo, juste avant de tenter une relation sexuelle avec Paul qui, évidemment, ne donnera rien (00 :37 :00). La seconde fois a lieu chez Robert, lorsqu’il la tient les yeux fermés et la guide dans le couloir pour la bâillonner une première fois. En chemin, ils s’arrêtent près d’un miroir et Robert l’invite à se regarder.

Figure 5

La robe montée jusqu’aux hanches et son sexe mis à nu, elle s’examine timidement dans la glace, Robert positionné derrière elle. La caméra fait un léger glissement latéral qui dissimule Robert derrière un mur. Nous ne voyons plus que Marie dans la réflexion du miroir (voir figure 5). Ce même miroir apparaît de nouveau vers la fin du film, dans une scène où la protagoniste revient visiter Robert (01 :08 :22). On y voit le reflet des deux personnages qui

44 discutent de leur dernière relation et de ce dont Marie a envie à ce moment. Dans sa robe rouge, elle semble confiante et satisfaite de sa relation avec Robert. La dernière scène où Marie s’observe dans un miroir est lorsqu’elle revient de l’hôpital, où elle regarde son sexe puis sa tête : « on ne peut pas aimer ce visage s’il a ce con (01 :20 :42) », dit-elle. C’est là que débute la séquence illustrant un fantasme que nous avons décrit au chapitre précédent. L’évolution de la jeune femme à travers ces coups d’œil jetés à la glace est marquante, où graduellement elle parvient à accepter son image. Elle passe d’un coup d’œil timide à un regard franc posé sur son reflet, au même titre que sa pensée et son estime d’elle-même évoluent. Romance se construit alors autour du regard de Marie qui en vient à poser les yeux sur sa propre personne, réussissant à admettre et à verbaliser ses désirs.

Ces jeux de regards sont pertinents à analyser puisqu’ils illustrent la relation entre les différents personnages. Dans le cas de Romance, c’est véritablement le regard que la protagoniste porte sur elle-même qui prime. En revanche, s’arrêter sur ces regards nous a permis de saisir la focalisation du récit et de cerner le point-de-vue qui le domine. La focalisation dans Romance serait donc interne si on suit la définition qu’en donne Jost : « La focalisation interne suppose d’une part qu’on vive les évènements comme le personnage les vit, d’autre part que nous soyons admis à pénétrer dans sa tête 135 ». De plus, le point de vue serait en ocularisation interne secondaire, toujours selon les définitions de l’auteur : « lorsque la subjectivité d’une image est construite par le montage, les raccords ou par le verbal136 ». Par conséquent, Romance s’articule autour de la subjectivité de Marie, rendant du même coup les autres personnages mystérieux et inaccessibles puisqu’à aucun moment on nous livre leur intériorité. Les personnages masculins restent impénétrables et incompréhensibles, car jamais nous n’avons accès à leur véritables sentiments137. L’action de regarder devient ainsi doublement significative, puisqu’on jumèle le regard que se portent les personnages entre eux avec celui du public, qui les regarde se regarder. Laura Mulvey explique ainsi ce

135 François Jost, L’œil-caméra, p.72. 136 Ibid., p.23. 137 Cette idée prend sa source chez Genette lorsqu’il élabore autour de la focalisation interne en littérature dans le contexte d’une histoire d’amour. Si l’on adopte le point de vue du protagoniste, le lecteur est laissé dans l’ombre quant aux sentiments de l’autre personnage. Celui-ci devient mystérieux et la subjectivité du protagoniste s’en trouve amplifiée. Voir Gérard Genette, Figures III, p.216. 45 phénomène visuel : « [l]e cinéma satisfait le désir primordial d’un spectacle procurant du plaisir mais il va aussi plus loin, en développant la scopophilie dans son aspect narcissique138 ». La scopophilie, ou pulsion scopique, est un concept élaboré en psychanalyse pour décrire le plaisir de voir ou d’être vu, plaisir lié à la sexualité mais indépendante des zones érogènes139. Si le spectateur ou la spectatrice éprouve du plaisir à visionner le film et à s’identifier au protagoniste, certaines attentes pourraient être déçues lors des scènes de sexualité explicite dans Romance. La présence à l’écran de nudité et de relations sexuelles non-simulées semblent préparer l’auditoire à un plaisir érotique, mais justement le manque de plaisir de la part de la protagoniste ainsi que ses perpétuels commentaires déjouent, ou même avortent, la génération d’une excitation sexuelle pour le public. Le film incite une certaine lecture des séquences, mais il semble ici important de préciser que le public est toujours libre de recevoir ces images comme bon lui semble. Par ailleurs, il paraît évident pour les raisons évoquées plus tôt que l’intention des scènes de sexualité explicites est de provoquer une réflexion sur le sujet. Parce que le film déjoue les codes de la pornographie, notamment en raison des paroles incessantes de Marie, l’auditoire se trouve dans une position inhabituelle où il doit redéfinir ses attentes face au film. Le motif du miroir place également le public dans une position singulière au sens où, métaphoriquement, on inviterait le public à s’observer lui-même au travers du film :

Throughout Romance there is a conflation between the looks of camera, spectator and Marie, particularly in the scenes in which she is filmed looking at herself in a mirror […]. Here, the camera and Marie appear to be in the same place, producing the double effect of us looking and seeing ourselves reflected back as Marie, and of her reflection looking directly at us140. En effet, Romance propose plutôt à son public de réfléchir sur la sexualité en même temps que le fait la protagoniste, c’est-à-dire en accompagnant Marie dans ses relations sexuelles autant que dans les questionnements que ces relations provoquent chez elle.

138 Laura Mulvey, op.cit. 139 Idem. 140 Ruth A. Hottell et Lynsey Russell-Watts, « Catherine Breillat’s Romance and the Female Spectator : From Dream-Work to Therapy », p.77. 46

2.3.2. La subjectivité du récit : la narration en voix over Romance est une histoire qui est racontée du point de vue de Marie. On l’a compris en observant la focalisation et les jeux de regards, mais cette idée se confirme lorsqu’on s’attarde à la figure du narrateur qui est présent pendant tout le film. Cette partie de notre étude cherche à saisir pleinement la signification de cette voix narratrice qu’on associe au personnage de Marie.

Tout d’abord, Marie est un narrateur autodiégétique au sens où l’entend Genette dans Discours du récit : « […] le héros-narrateur ne cède pour ainsi dire jamais à quiconque, […] le privilège de la fonction narrative141 ». Il explique plus loin que c’est une « autobiographie déguisée écrite à la première personne142 ». C’est donc un narrateur qui est intra-diégétique , qui est également le héros du récit et qui raconte sa propre histoire. La narration dans Romance est alors tout aussi subjective que la focalisation puisque c’est l’histoire de Marie qui nous est livrée de son propre point de vue. Dans le lexique qui clôt l’ouvrage Des mots à l’image, La voix over au cinéma, Jean Châteauvert définit la voix over comme suit : « [elle] n’est pas accessible aux personnages visualisés, le discours n’étant accessible qu’à des personnages participant d’un monde enchâssant, voire aux seuls spectateurs143. » Il ajoute que cette voix peut également : « […] être indépendant[e] du monde visualisé, se présenter comme un commentaire à propos de ce monde ou en assurer explicitement la narration144 ». Cette voix qui accompagne les images dans Romance est donc over puisque nous ne voyons pas Marie prononcer les mots que pourtant nous entendons. De plus, elle n’est pas accessible aux autres personnages visualisés (par exemple par Paul, Paulo ou Robert), s’adressant, par détour, uniquement à l’auditoire. En outre, la provenance de cette voix est évidente pour le public car il reconnaît le timbre et le grain spécifiques à celle de Marie. Le rythme de cette voix over est également particulier et a été soulevé au chapitre précédent, c’est-à-dire que Marie parle lentement et articule clairement chacun des mots qu’elle prononce. Ce faisant, le niveau de langage élevé et soutenu de la protagoniste est mis de l’avant et fait rayonner le

141 Gérard Genette, Figures III, p.254. 142 Ibid., p.255. 143 Jean Châteauvert, Des mots à l’image, La voix over au cinéma, p.210. 144 Idem. 47 discours qu’elle transmet, ce qui influence notre réception des images en tant que public. Comme l’explique Châteauvert : « De cette corrélation verbe-image, il est ressorti que le narrateur verbal peut nommer le visualisé, déterminer le sens ou la signification de certaines actions et, du coup, induire une lecture du monde audiovisualisé145 ». Plusieurs exemples ont déjà été soulevés pour illustrer cette relation entre l’image et les mots, où en réalité la voix de Marie complète les informations livrées par l’image. C’est ce que Châteauvert désigne comme un processus métacodique : « […] le discours verbal n’est alors plus donné comme équivalent du lacis audiovisuel, mais comme un commentaire à propos de ce lacis, comme une glose qui peut avoir pour objet aussi bien l’histoire racontée que l’ensemble des matériaux audiovisuels146 ». Ainsi, vers la fin de Romance lorsque Marie se fait examiner par une classe de jeunes gynécologues, la signification de ce qui est montré à l’écran est modifiée parce que la voix over ajoute un sens supplémentaire. Ce qui semble n’être qu’une visite médicale devient autre chose : pour Marie, ces visites deviennent des relations sexuelles. On l’entend dire : « Et puis j’y ai pris goût, avec une certaine amertume. Parce que finalement comme j’avais conclu une trêve avec Robert pendant que j’étais enceinte, personne d’autre ne me toucha (01 :19 :06) ». La voix over de Marie prolonge le sens des images, ajoute une dimension érotique à cette scène qui, au premier abord, ne l’est pas du tout.

On peut maintenant nommer précisément la fonction de cette voix narrative : le personnage de Marie est à la fois protagoniste et narrateur verbal autodiégétique qui raconte son histoire à l’aide d’une voix over qui prolonge le sens des images et qui agit tel un monologue intérieur. Cette voix ajoute une dimension subjective au récit, puisque qu’elle s’exprime au « je » et commente les évènements présentés simultanément. Ce point de vue restreint aux regards et pensées de Marie dissout la limite entre le réel et l’imaginaire, de sorte que ses fantasmes et ses réflexions s’entremêlent avec l’histoire : « […] this is Marie's personal story, told subjectively through her eyes. Here we see the impossibility of separating fantasy from reality—both are constructed by Marie and her fantasy is as real to her as her

145 Jean Châteauvert, Des mots à l’image, La voix over au cinéma, p.182. 146 Ibid., p.62. 48 reality147 ». Cela nous amène à nous arrêter sur la séquence finale du film, où Marie met au monde son enfant au même moment que Paul meurt dans l’explosion de son appartement. Cette fin tout à fait théâtrale détonne avec le reste du film ; la mise en scène est chargée, rythmée et frôle le fantastique. On y voit une métaphore évidente de la libération de Marie qui, possiblement, consisterait encore en un fantasme de la protagoniste. La clôture du film serait alors une dernière incursion dans l’intériorité de Marie, où celle-ci en vient à refuser (violemment) la version de l’amour que représentait le personnage de Paul.

Notre analyse de Romance a donc mis de l’avant la subjectivité de Marie autant par l’observation de la focalisation que de la narration en voix over. On comprend qu’on s’éloigne du cinéma narratif classique pour plusieurs raisons, que ce soit par l’importance donné au narrateur verbal ou encore parce que cette voix est celle d’une femme qui redéfinit ses désirs. Laura Mulvey disait :

La femme se positionne dans la culture patriarcale comme un signifiant pour le mâle, liée par un ordre symbolique dans lequel l’homme peut donner libre cours à ses phantasmes et obsessions à travers le langage, en les imposant à l’image silencieuse de la femme encore et toujours enferrée dans sa place de porteuse de sens, et non de créatrice de sens148. Romance se positionne tout à fait à l’opposé de cette affirmation, puisque le personnage de Marie est sans aucun doute créateur de sens. Ses commentaires et réflexions interpellent l’auditoire et l’invitent à questionner ses propres désirs, aussi différents puissent-ils être de ceux de Marie.

2.4. Analyse de la narration dans Anatomie de l’enfer 2.4.1. Une focalisation variable et complexe La focalisation dans Anatomie de l’enfer est très différente de celle dans Romance puisqu’ici nous avons affaire à deux protagonistes plutôt qu’un seul. Le récit alterne entre le

147 Ruth A. Hottell et Lynsey Russell-Watts, « Catherine Breillat’s Romance and the Female Spectator: From Dream-Work to Therapy », p.78. 148 Laura Mulvey, op.cit. 49 point de vue de chacun des personnages, mais il semble accorder plus d’importance à la perspective de l’Homme qu’à celle de la Femme. L’identification du spectateur ou de la spectatrice aux personnages est donc, encore une fois, inhabituelle. Le film permet au public de s’identifier au personnage de l’Homme, mais celui-ci est un homosexuel et observe ce corps de femme sans désir et à la demande du personnage de la Femme. Ainsi, le regard posé sur le corps féminin en est un qui est certes masculin et voyeur, mais également curieux et dénué de désir érotique. Il est tout aussi possible de s’identifier au personnage de la Femme puisque son importance dans le récit est tout aussi grande que celle du personnage masculin. Or, il nous faut donc répéter ce que nous avons fait avec Romance, c’est-à-dire entrer dans le film pour observer les jeux de regards et les positionnements de la caméra afin de bien cerner la façon dont on nous raconte leur histoire.

Anatomie de l’enfer débute par des plans d’ensemble dans une boîte de nuit pour homosexuels. À travers la piste de danse, un visage sort du lot. C’est celui du personnage de l’Homme qui, tout en dansant, embrasse un autre homme. Puis, il détourne la tête et semble diriger son regard vers la caméra. Le plan enchaîne alors sur le visage du personnage de la Femme : on comprend que c’est elle qu’il observe et qu’elle le regarde aussi. Il s’opère alors un changement de point de vue où le public adopte maintenant celui du personnage de la Femme. Seule au milieu de tous ces hommes, elle regarde autour d’elle. S’alternent alors des gros plans de son visage avec des plans d’ensemble de la piste de danse. C’est à ce moment qu’on comprend que l’introduction du film (les plans d’ensemble de la boîte de nuit) était probablement perçue à partir de ses yeux à elle. Toute la scène qui montre la rencontre entre ces deux personnages se fait dans une alternance de points de vue où chacun regarde l’autre. La focalisation semble par conséquent interne, puisque nous voyons en plans semi-subjectifs ce que les personnages regardent. L’auditoire a alors autant d’information sur l’Homme et la Femme que chacun de ces personnages en a sur l’autre. On peut donc assumer qu’Anatomie de l’enfer détient une focalisation interne variable comme l’entend Genette : « […] les variations de ‘point de vue’ qui se produisent au cours d’un récit peuvent être analysés comme des changements de focalisation, comme ceux que nous avons déjà rencontré dans

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Madame Bovary149 ». Plus tôt dans son texte, Genette explique que dans ce roman « […] le personnage focal est d’abord Charles, puis Emma et de nouveau Charles150… », jeu tout à fait similaire à ce qui se produit dans le film qui nous intéresse ici.

Les quatre nuits que ce couple passera ensemble sont orchestrées de façon à ce que l’Homme examine la Femme : « Il faut me regarder quand je me vois pas [sic] », lui dit-elle (00 :29 :29). Ainsi, le public est invité à joindre son regard à celui de l’Homme pour observer de pair avec lui ce que cela signifie être femme. Dans une maison en bord de mer, reculé de toute civilisation, la Femme s’étend nue sur un lit et demande à l’Homme de la regarder une fois endormie. La première nuit, il commence par identifier son sexe en l’entourant d’un trait de rouge à lèvre. Nous voyons l’Homme lui écarter les cuisses et approcher la lampe de chevet pour bien éclairer son entre-jambe. Puis, un gros plan montre ce qu’il voit et ce qu’il fait (voir figure 6).

Figure 6

Cette scène est donc en ocularisation interne secondaire, terme qui a déjà été défini plus tôt dans notre analyse de Romance151. On peut cependant ajouter que ce type de point de vue implique aussi souvent de « […] raccorder en coupe franche le personnage qui regarde et ce qu’il voit152… ». Lors de la deuxième nuit, lorsque la Femme s’endort, l’Homme s’allonge près d’elle et dépose son visage sur sa hanche. Paisiblement, ils dorment ainsi tout deux

149 Gérard Genette, Figures III, p.211. 150 Ibid., p.209. 151 « […] lorsque la subjectivité d’une image est construite par le montage, les raccords ou par le verbal… », dans François Jost, L’œil-caméra, p.23. 152 Ibid., p.27. 51 quelques temps. Lorsqu’il se réveille, il ouvre les jambes de la Femme pour s’approcher de son sexe. Cadré en gros plan sur le visage de l’Homme, la caméra fait un léger déplacement qui suit le mouvement de sa tête et s’arrête lorsqu’elle se rend à la hauteur du sexe de la Femme (voir figure 7). Encore une fois, on montre le personnage en train d’observer pour ensuite pointer à l’écran ce qu’il voit. Autrement, le reste de ces nuits s’effectue selon une ocularisation zéro, que Jost décrit comme suit : « […] lorsque la place de la caméra ne vaut pour aucune instance du monde diégétique153 ». Lorsque les personnages interagissent entre eux, notamment lors d’une relation sexuelle, la caméra s’éloigne et donne un point de vue d’ensemble. Même si les cadrages des corps sont généralement rapprochés, les angles de prises de vue et le montage n’impliquent aucune subjectivité claire. Cette variation des perspectives sera la même pour les quatre nuits que passent ensemble ces deux personnages.

Figure 7

Ainsi, chacune de ces nuits se déroulent selon la même formule. La Femme reçoit l’Homme dans sa chambre, elle se dénude et s’étend sur le lit. Ils vont ensuite discuter à propos de certains tabous ou mystères entourant le corps des femmes, puis le personnage féminin s’endort. C’est là que l’Homme doit examiner et apprivoiser le corps de cette dernière. Il paraît cependant important de s’arrêter encore une fois sur la première nuit. La discussion qui ouvre le bal de cette soirée inusitée semble de prime abord en ocularisation zéro : leur dialogue n’est pas filmé en champ-contre-champ, la caméra est placée dans un coin de la chambre et ne paraît pas prioriser le point de vue d’un des personnages. Or, leur conversation est interrompue à deux reprises par des images mentales qui sont également des

153 François Jost, L’œil-caméra, p.64. 52 retours en arrière. En parlant de ce qui le répugne du corps des femmes, l’Homme se remémore un moment de son enfance où, en sortant un oisillon de son nid, il le tue par accident (00 :19 :47 à 00 :21 :31). Puis, ce que vit la Femme lui fait penser à un moment de son enfance où elle cherchait à faire la paix avec les petits garçons du voisinage. En « jouant au docteur », elle s’allongeait sur le sol et remontait sa jupe pour le grand amusement des gamins (00 :26 :21 à 00 :27 :27). Pour la première fois du film, le public entre dans les pensées de l’Homme et de la Femme. Il accède à ces souvenirs qu’il voit en même temps que les personnages se le remémorent ; c’est un accès privilégié auquel l’autre personnage n’a pas droit. Ces séquences sont la première incursion dans l’intériorité de chacun des personnages et c’est là qu’apparaît la complexité des niveaux sémantiques d’Anatomie de l’enfer. Nous avons effectivement soulevé que la focalisation du film était en constante variation entre les points de vue semi-subjectifs des personnages et un regard externe (ocularisation zéro). Ces images mentales viennent alors amplifier la dimension subjective du récit et confirmer le fait qu’Anatomie de l’enfer se déroule en focalisation interne. Jost explique ceci:

La détermination de la focalisation est un processus global qui ne résulte pas d’une simple addition : ainsi, lorsqu’une séquence montre en alternance un personnage qui regarde une scène et ce qu’il voit, la succession ocularisation zéro – ocularisation interne secondaire doit se lire, en termes cognitifs, comme une focalisation interne154. Le film se présente alors selon deux perspectives qui sont mises en confrontation, où l’Homme et la Femme échangent leurs idées et apprennent l’un de l’autre. À quelques moments, l’intériorité des personnages est livrée au public grâce aux flashbacks, mais également à l’aide d’une voix over, celle de Catherine Breillat, reconnaissable à son timbre de voix et à sa manière singulière de s’exprimer.

2.4.2. La voix over : Breillat s’immisce dans son œuvre Tout comme dans Romance, les images d’Anatomie de l’enfer sont souvent accompagnées de la voix d’une narratrice. Contrairement au premier film que nous avons analysé, cette voix n’est pas celle d’un personnage connu dans la diégèse ; c’est plutôt celle

154 François Jost, L’œil-caméra, p.74. 53 de la réalisatrice elle-même qui se fait entendre. Dans son article « Cette voix qui a inspiré Catherine Breillat », Julie Beaulieu remarque : « Dans Anatomie de l’enfer, la voix qui surplombe les images est celle d’un narrateur, ‘incarné’ par C. Breillat, auteure du texte et du film155 ». En effet, la voix de Breillat n’est pas affichée au grand jour comme étant celle de l’auteure : à prime abord, elle agit telle un narrateur hétérodiégétique. Cette figure du narrateur est alors « incarnée » par la cinéaste et se manifeste par cette voix au timbre particulier, dont il est facile d’admettre que ce ne sont les paroles d’aucun des personnages du film. Ce qui complexifie notre compréhension de cette voix over, c’est qu’elle assume à tour de rôle le monologue intérieur de chacun des deux protagonistes en s’exprimant au « je ». On comprend alors que ce n’est pas l’œuvre d’un simple narrateur hétérodiégétique, mais plutôt une voix « auctoriale » comme l’entend Châteauvert156, où l’acte même de création de l’œuvre surgit dans le déploiement de la fiction. Ce décalage apparent entre la voix des personnages et celle qui assume leurs pensées suscite de l’étonnement auprès de l’auditoire. Le questionnement est inévitable : qui parle? Ceux qui connaissent Breillat la reconnaîtront, ceux qui ne l’ont jamais entendu en viendront à déduire que c’est l’auteure du récit, car qui d’autre pourrait avoir ces informations privilégiées? Puisque la cinéaste s’immisce dans la diégèse et prend en charge l’intériorité de ses personnages, la fonction de cette voix over surpasse le simple commentaire. Châteauvert explique : « Le discours marqué par le grain ou le timbre de la voix devient ainsi un discours dont la valeur pragmatique est compromise, un discours qui a pour premier effet de faire entendre sa matérialité157 ». Ainsi, cette voix over fait apparaître un texte et rend évident, de façon presque palpable, l’acte même de narration. C’est ce que Julie Beaulieu observe également, puisqu’elle soulève dans son article que « […] C. Breillat s’immisce ainsi dans son propre film comme s’il s’agissait d’un livre. C’est au moyen de la parole qu’elle prend position et qu’elle fait revivre en partie le texte158… ». Le texte cité provient du roman Pornocratie, duquel est adapté Anatomie de l’enfer et dont nous parlerons plus en détail au prochain chapitre de ce mémoire. La présence de Breillat dans la diégèse crée une dissonance qui influe sur la réception de l’histoire, c’est-

155 Julie Beaulieu, « Cette voix qui a inspiré Catherine Breillat », Textimage, Varia 2 (été 2010), p.6. 156 « […] ces voix over de réalisateurs qui inscrivent explicitement leur présence dans la surface textuelle, tant leur grain de voix est marqué et reconnu. », dans Jean Châteauvert, Des mots à l’image, p.121. 157 Jean Châteauvert, Des mots à l’image, p.121. 158 Julie Beaulieu, « Cette voix qui a inspiré Catherine Breillat », p.6. 54

à-dire que cette anomalie fait quelque peu sortir l’auditoire de la fiction et entrevoir la structure du film. Cette voix fait surgir plus clairement la littérarité du film, puisqu’elle rappelle l’existence du roman initial et de son acte de création, le tout intégré subtilement au travers du récit filmique.

D’un point de vue narratologique, cette voix pose encore problème. La voix over de Breillat agit tel un narrateur verbal, mais que cette voix soit celle de la cinéaste brouille les niveaux sémantiques. Gaudreault affirme :

[…] il faut s’interroger sur la place à accorder à cette résurgence du bonimenteur qu’est le narrateur verbal plus ou moins (mais toujours) actorialisé qui commente […] ces images et ces sons racontant une histoire dont il semble souvent être lui-même responsable sur le plan narratologique159. En effet, on pourrait croire que cette narration verbale inhabituelle ferait apparaître les contours d’un narrateur fondamental, qu’on voudrait associer à la réalisatrice elle-même. La polysémie du terme « narrateur » surgit explicitement lorsqu’on compare la figure du narrateur verbal avec celle du narrateur fondamental. Ce dernier se définit ainsi : « Une instance sans nom, sans nom de personne, parce qu’elle n’est pas une personne mais, précisément, une instance, une instance de mise en page, de mise en place, de mise en ordre, ce qui l’empêcherait et ce, de manière irréductible, de dire ‘je’ 160». Châteauvert ajoute que cette instance est également une construction du spectateur qui personnifie le sujet de l’énonciation du film sous la forme d’un auteur induit161. Or, Gaudreault le répète à maintes reprises dans son texte, il est nécessaire de « […] ‘bouter’ l’Auteur hors de la Narratologie, qui est au premier chef une science s’occupant du récit et des récitants, pas de ceux qui les créent162! ». Ainsi, il conviendrait d’affirmer que Breillat n’est alors ni le narrateur fondamental ni le narrateur verbal d’Anatomie de l’enfer. Le narrateur fondamental est une instance invisible et désincarnée qui appartient au système du récit ; ce ne peut donc pas être l’auteure de ce même récit. Le narrateur verbal, quant à lui, s’exprime majoritairement en voix over et s’apparente au narrateur d’un roman. C’est une figure actorialisée et fictive qui,

159 André Gaudreault, Du littéraire au filmique, p.156. 160 Ibid., p.140. 161 Jean Châteauvert, Des mots à l’image, p.91. 162 André Gaudreault, Du littéraire au filmique, p.139. 55 encore une fois, est une instance construite pour le bien du récit et qui ne peut être associée directement à l’auteure. Dans le film qui nous intéresse, la voix over de Breillat agit tel un leurre puisqu’en intégrant la fiction, elle devient également fictive. La cinéaste « incarne » alors son propre rôle en faisant la narration de l’intériorité des protagonistes d’Anatomie de l’enfer, devenant elle aussi, un personnage de son œuvre.

2.4.3. Une structure narrative hors du commun Avant de conclure notre analyse d’Anatomie de l’enfer, il paraît pertinent de s’arrêter quelques instants sur sa temporalité. Dans ce film, la durée du récit est beaucoup plus courte que celle de l’histoire : en effet, le film se présente finalement comme une anecdote dans la vie de ces personnages. Le récit est fractionné par de multiples ellipses qui le concentrent autour des nuits que passe ensemble ce couple singulier. Tel les chapitres d’un roman, le film se divise en quatre nuits qui sont annoncées par un carton noir. Les journées sont écartées du récit ; on ne fait que passer d’une nuit à la suivante. Anatomie de l’enfer est donc un récit chronologique qui contient deux retours en arrière ainsi que plusieurs ellipses. Le film se restreint à ne montrer que la rencontre du couple, le huis clos vécu par cet Homme et cette Femme, puis finalement leur séparation. La temporalité des films qui nous intéressent est peu complexe et permet au récit de mettre l’accent sur les péripéties vécues par les protagonistes.

Figure 8.1 Figure 8.2 Figure 8.3

Après avoir bien observé la focalisation d’Anatomie de l’enfer, il est maintenant possible d’affirmer que le récit accorde beaucoup d’importance au point de vue du personnage masculin. C’est que tout le film est basé sur l’apprentissage de l’Homme, sur les connaissances qu’il acquiert principalement par l’observation et l’apprivoisement du corps

56 de cette femme. Notons la récurrence des plans où l’Homme observe la femme du coin de la chambre (voir les figures 8.1, 8.2 et 8.3). En insistant sur ce que l’Homme voit, on invite l’auditoire à fusionner son regard avec celui du personnage et à observer avec lui ce corps décomplexé qui se dévoile à l’écran. Ainsi, l’identification spectatorielle au personnage de l’Homme déjoue les attentes, puisqu’il y a encore une fois une subversion des rôles genrés. Paul, le fiancé de Marie dans Romance, ainsi que l’Homme dans Anatomie de l’enfer possèdent le même type de regard : « Regardless of sexual preference, therefore, Breillat’s men appear to share the same abhorrence with regard to the truths of the female body. What they suffer from is a conspicuous failure of desire163 ». On pourrait presqu’y voir une suite entre les deux films et rapprocher ensemble les deux personnages masculins, où finalement dans Anatomie de l’enfer, l’Homme accepte de véritablement poser les yeux sur la Femme164. Cependant, son regard est d’abord froid et critique, mais c’est la Femme qui vient à le bouleverser. Grønstad écrit dans son article : « She wants him to look at her, but what she requires of him is neither the Mulveyan, fetishistically encoded look of the heterosexual male, nor the detached, medical look […]. What Casar wants is an acknowledgment of her body’s actual existence165… ». Cette perspective singulière et différemment « masculine » de la femme qui « se donne en spectacle » rend possible une discussion entre les sexes. L’ouverture d’esprit dont l’Homme fait preuve est alors imposée à l’auditoire qui, pendant le visionnement, passe au travers des mêmes épreuves que ce protagoniste. Or, cet Homme ne sort pas de cette aventure tout à fait indemne. Comme dans Romance, le récit se clôt d’une façon bien théâtrale qui détonne avec le réalisme monochrome et caractéristique du reste du film. En effet, ce personnage ne peut accepter cette transformation si brutale : la Femme doit mourir. L’Homme rejoint alors la Femme chez elle mais trouve la maison vide. Puis, mystérieusement, elle apparaît dehors vêtue de blanc, tel un fantôme. Une musique électronique se fait entendre, donnant à la séquence un rythme inquiétant. L’Homme pousse la Femme dans la mer du haut d’une falaise et se délivre ainsi du poids de ces nouvelles connaissances. Similairement à Romance, on pourrait croire que la séquence finale serait un fantasme du personnage masculin, qui cette fois-ci agirait telle une

163 Asbjørn Grønstad, « Abject desire: Anatomie de l’enfer and the unwatchable », Studies in French Cinema, volume 6, no3(2006), p.166. 164 Ibid., p.165. 165 Ibid., p.168. 57 métaphore de la quasi-impossibilité à réconcilier les deux sexes. De diverses manières, Anatomie de l’enfer affiche sa propre structure formelle et du même coup son caractère fictionnel. Il y a tout d’abord cette fin improbable qui contraste avec la trame du film, mais également cette voix over singulière que nous avons observée précédemment. Nous avons remarqué que celle-ci faisait surgir un texte et qu’elle rappelle l’existence de l’artiste à l’origine de l’œuvre. De plus, le film s’ouvre sur un carton noir qui nous informe sur le personnage de la Femme interprété par Amira Casar, mais dont les scènes de nudités ont été tournées avec une doublure. Il est écrit : « On ne saurait y voir l’actrice mais la construction fictionnelle du personnage de la fille » (voir figure 9).

Figure 9

Ce paratexte est important et surgit aux premiers instants du visionnement. Non seulement le film s’autoproclame une fiction, mais il prépare également l’auditoire à percevoir les personnages tels des archétypes jouant les représentants de leurs genres respectifs. La forme inhabituelle que prend Anatomie de l’enfer fait apparaître son discours et ses réflexions, questionnant du même coup la façon dont on représente la sexualité des femmes au cinéma.

2.5. Des choix stylistiques significatifs À la suite de nos analyses de Romance et d’Anatomie de l’enfer, nous saisissons maintenant combien ces films sont différents mais se rejoignent également à plusieurs niveaux. C’est à l’aide des théories narratologiques qu’il a été possible d’organiser notre réflexion en pointant la structure narrative de chacun des films. Dans les deux cas, il a d’abord été question d’observer la focalisation par l’entremise des jeux de regards entre les

58 personnages, les cadrages et le montage. Il a été convenu que la focalisation était interne dans chacun des films : ainsi, ces deux récits ont une certaine part de subjectivité, puisqu’on priorise le point de vue d’un personnage en particulier. À plusieurs reprises, nous voyons ce que les personnages voient et entendons ce qu’ils pensent. Pour Romance, c’est Marie qui pose son regard sur elle-même et dans le cas d’Anatomie de l’enfer, c’est le personnage de l’Homme qui examine la Femme. Il est donc ici évident que le sujet au centre de ces films est justement la femme : on examine son corps, sa sexualité et son désir.

La deuxième partie de nos analyses s’est attardée à la voix over qui tient une place centrale dans chacune des œuvres qui nous occupent et qui nous permet de retracer la littérarité au sein de ces deux films. Dans chacun des cas, le narrateur dévoile les pensées des personnages et transmet leur monologue intérieur. Cette voix donne à l’auditoire un accès privilégié à l’intériorité des personnages et crée ainsi un rapport de proximité entre le public et les protagonistes. L’utilisation récurrente de la voix over dans ces deux films met d’autant plus d’importance sur l’oralité et la transmission d’un discours verbal. Nous avons également soulevé que cette voix rappelle la présence d’un texte, de façon plus évidente dans Anatomie de l’enfer puisque c’est la voix de Breillat qui se fait entendre. Par ailleurs, la présence d’un narrateur verbal dans un film se rapproche de la figure du narrateur littéraire car, dans ces deux formes artistiques, ce sont eux qui nous livrent l’histoire. C’est une parole qui se charge du récit, qui décide de dévoiler ou de cacher certaines informations. Cependant, le narrateur verbal au cinéma n’est pas : « […] une instance obligée comme son homonyme littéraire, mais un instrument que peut convoquer à loisir la narration filmique et qui module notre perception du récit166 ». La narration over est par conséquent un choix stylistique particulier et son utilisation est significative puisque cette voix vient ajouter une couche de sens supplémentaire aux images.

Notre réflexion s’est ensuite attardée aux séquences finales de Romance et d’Anatomie de l’enfer. Ces films se terminent de façon semblable, où violence et mort viennent clore le

166 Jean Châteauvert, Des mots à l’image, p.95. 59 récit. Nous avons également soulevé que ces fins contrastent avec le reste des films par leur extravagance : la présence de musique, l’accélération du rythme du montage ainsi que la brutalité des personnages sont des éléments qui bouclent l’histoire de façon surprenante. Ces deux films se concluent par des métaphores qui, dans chacun des cas, imagent des désirs ou fantasmes des protagonistes. Il est impossible pour le public de savoir s’ils ont réellement tué ces autres personnages. « Ainsi donc, la métaphore ferait image mais, paradoxalement, elle ne serait pas toujours évidente. D'où l'importance de l'opération de lecture, d'où l'importance aussi, en cours d'opération, de savoir ouvrir l'œil167 », nous dit Gaudreault. Que les films se terminent tout deux ainsi est sans doute une invitation pour l’auditoire à remarquer l’incongruité de la séquence finale, et donc à questionner la fin. La récurrence des figures de style dans les paroles prononcées par les personnages a été soulevée au premier chapitre de notre mémoire. Cependant, les effets stylistiques liés au montage et aux plans de caméras sont quant à eux très peu nombreux, c’est pourquoi les fins métaphoriques de ces films sont si étonnantes. Nos analyses ont donc permis de faire ressortir certains éléments qui constituent cette littérarité que nous retrouvons dans ces films de Breillat. En effet, elle s’observe principalement dans de nombreux choix stylistiques qui forment ces œuvres, qui sont délibérément choisis et nécessairement significatifs. Le scénario (ou l’écriture préliminaire au film) y est pour beaucoup, notamment en ce qui a trait au choix des mots prononcés par les personnages ainsi que leur niveau de langage soutenu. De plus, la présence d’un narrateur verbal vient indéniablement rappeler le narrateur de roman. Ce sont deux instances qui agissent différemment dans deux médias distincts, mais qui sont tout de même similaires dans leur effet. Anatomie de l’enfer segmente son récit par des cartons noirs qui annoncent les sauts dans le temps et cette organisation du récit évoque certainement les chapitres d’un roman. Finalement, la fin des films sont des métaphores qui demandent à être interprétées. Gaudreault explique dans son article que pour saisir le sens d’une métaphore, il faut être capable de voir « […] l'éventuelle chaîne des relations qui ont pu mener telle ou telle d'entre elles à signifier autre chose qu'elle-même168 ». On nous incite alors à faire la lecture de ces séquences finales pour en décoder la signification. L’utilisation de la métaphore, qui

167 André Gaudreault, « La métaphore au cinéma : un tro(m)pe-l’œil? », p.284, [en ligne] http://retro.erudit.org/livre/CEFAN/1992-1/000355co.pdf, (consulté en janvier 2020). 168 André Gaudreault, op.cit., p.282. 60 est une figure rhétorique et stylistique des plus utilisées en littérature et en poésie, vient alors amplifier cette impression littéraire présente dans Romance et Anatomie de l’enfer.

61

Chapitre 3. Intertextualité et mémoire de la littérature dans le cinéma breillatien

« La suprême interrogation philosophique coïncide, je le pense, avec le sommet de l’érotisme169. »

3.1. À propos de l’intertextualité au cinéma Afin d’approfondir notre compréhension de la littérarité dans les films de Catherine Breillat, ce prochain chapitre s’appuiera sur un autre champ d’étude de la littérature : l’intertextualité. Cette notion théorique s’intéresse principalement au discours littéraire et nous servira à mettre en lumière les connexions qu’entretiennent les films de Breillat avec certains textes. L’intertextualité s’attarde à la circularité des idées, à la présence d’un texte dans un autre, au dialogue entre les œuvres ; bref, elle observe les relations que la littérature entretient avec elle-même. « Citation, allusion, référence, pastiche, parodie, plagiat et collages de toutes sortes, les pratiques de l’intertextualité se répertorient aisément et […] offrent un contenu objectif à la notion sans sortir pour autant de son flou théorique170 », écrit Tiphaine Samoyault. Pour bien comprendre en quoi le concept d’intertextualité sera utile dans cette partie de notre étude, il paraît nécessaire de survoler rapidement l’évolution de la notion.

Les premiers balbutiements de l’intertextualité prendraient leur source dans certains textes de Mikhaïl Bakhtine171. Ce dernier aurait introduit dans la théorie littéraire l’idée que « […] tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte172 ». C’est ensuite Julia Kristeva qui poursuivit les réflexions de Bakhtine et en vint à désigner la notion d’« intertextualité ». Le groupe Tel Quel, dont faisait partie Kristeva, a contribué à la définition du terme en se penchant sur les problèmes

169 Georges Bataille, L’Érotisme, France, Éditions de Minuit, 2011(1957), p.277 170 Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Éditions Nathan/HER, 2001, p.5. 171 Notamment La Poétique de Dostoïevski (1970) et Esthétique et théorie du roman (1978). 172 Pierre-Marc de Biasi citant Julia Kristeva, « Théorie de l’Intertextualité », Encyclopédia Universalis, [en ligne] : http://www.universalis-edu.com.acces.bibl.ulaval.ca/encyclopedie/theorie-de-l-intertextualite/ (consulté le 5 mai 2020). 62 d’influence, de transmission et d’héritage qui accompagnent les études intertextuelles 173. Roland Barthes a également précisé davantage les réflexions sur l’intertextualité grâce à son article « Texte (théorie du)174 » et son ouvrage Le Plaisir du texte175. Barthes met l’accent sur l’idée de « mémoire » et suggère, « […] en déplaçant légèrement la notion vers la lecture, un premier jalon pour penser une double dimension de la réception littéraire, l’accueil de la littérature par l’écriture d’une part ; par la lecture d’autre part176 », explique Samoyault. Gérard Genette aborde lui aussi la question dans son ouvrage Palimpsestes177 dans lequel l’auteur réussit à nommer, diviser et définir l’intertextualité. Il déroge à la notion du champ de la linguistique et la place plutôt du côté de la poétique. Genette formalise la théorie et l’inscrit comme une des cinq sous-catégories de la transtextualité178, qu’il définit comme « […] la transcendance textuelle du texte, […] par tout ce qui le met en relation, manifeste ou secrète avec d’autres textes179 ». L’auteur définit plus loin l’intertextualité ainsi : « […] une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c’est-à-dire, eidétiquement et le plus souvent, par la présence effective d’un texte dans un autre180 ». Il nomme les pratiques qui résultent de ce rapport entre les textes, qui sont : la citation, l’allusion, le plagiat et la référence.

Or, qu’en est-il du cinéma? Est-il possible de parler d’intertextualité dans le contexte d’une analyse filmique? Même si, au départ, la notion s’intéresse à la relation que le texte littéraire entretient avec sa propre tradition, nous croyons que ce rapport s’observe également au sein d’autres pratiques artistiques. Graham Allen, dans son ouvrage Intertextuality, explique : « It is possible to speak of the ‘languages’ of cinema, painting or architecture : languages which involve productions of complex patterns of encoding, re-encoding, allusion,

173 Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, p.10. 174 Roland Barthes, « Texte (théorie du) », Encyclopædia Universalis [en ligne] http://www.universalis- edu.com/encyclopedie/theorie-du-texte/ (consulté en Février 2018) 175 Roland Barthes, Le plaisir du texte, France, Points, 2014, 89 pages. 176 Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, p.15-16. 177 Gérard Genette, Palimpsestes, France, Éditions du Seuil (Points), 1982, 559 pages. 178 Les quatre autres catégories de la transtextualité sont la paratextualité, la métatextualité, l’hypertextualité et l’architextualité. 179 Gérard Genette, Palimpsestes, p.7. 180 Ibid., p.8.

63 echo, transposing of previous systems and codes181 ». Il remarque plus loin que les films, les symphonies, les peintures et les textes littéraires communiquent sans cesse entre eux, mais aussi s’inspirent des œuvres appartenant à des médias différents182. Ce faisant, si percevoir dans un film les traces d’une œuvre littéraire est chose possible, l’analyse intertextuelle au cinéma semble tout à fait pertinente. D’autant plus si l’on pense aux recherches de Christian Metz et Raymond Bellour qui démontraient dans les années soixante-dix que le film est un texte, même si ce texte paraît introuvable183. Ainsi, l’analyse textuelle du film se base sur le fait que les œuvres filmiques sont des objets signifiants et des unités de discours184. Ces théories du cinéma évoluaient à l’époque en parallèle avec celles sur l’intertextualité :

La publication de S/Z de Roland Barthes, les analyses mythologiques de Lévi-Strauss, l’étude narrative des récits littéraires, sans parler de la mode structuraliste, ont toutes contribué à modifier le regard que l’on portait sur le film dans le sens d’une plus grande attention à la littéralité de signification185. C’est donc en considérant le film tel un texte que nous pourrons observer clairement les interactions qu’il entretient avec des œuvres littéraires. De plus, nous pensons qu’il est possible d’entrevoir au sein d’un film les échos de certains écrits, d’en contenir des références, et ce, sans pour autant en faire mention explicitement. Conséquemment, le dernier chapitre de ce mémoire cherche à pointer les traces de certaines œuvres littéraires qu’un auditoire averti peut remarquer lors du visionnement de Romance et d’Anatomie de l’enfer. Or, il est important de préciser le caractère quelque peu subjectif de cette partie de notre recherche, puisqu’apercevoir un intertexte dépend du bagage de connaissances que possède préalablement le public au moment de regarder les films. Les liens que nous percevons entre les œuvres sont implicites, il faut donc avoir lu certains textes ou être familier.ère avec certain.e.s auteur.e.s pour qu’apparaissent ces connexions. Néanmoins, d’autres chercheur.e.s ont également perçu l’empreinte de ces œuvres, ce qui confirme nos suppositions et nous permet d’approfondir la question.

181 Graham Allen, Intertextuality, États-Unis et Canada, Routledge, 2011, p.169-170. 182 Ibid., p.170. 183 Raymond Bayllour, « Le texte introuvable », L’analyse du film, p.35. 184 J. Aumont, A. Bergala, M. Marie, M. Vernet, Esthétique du film, p.144. 185 Ibid., p.143. 64

En premier lieu, nous observerons des traces de la présence de l’œuvre de Georges Bataille dans celle de Breillat, principalement le nombre important de thèmes singuliers et communs aux deux artistes. La deuxième partie de notre analyse intertextuelle s’attardera aux connexions qu’entretiennent les films à l’étude avec le roman libertin du XVIIIe siècle : seront comparés les structures narratives, le style ainsi que les protagonistes qui, malgré les époques différentes, se rejoignent à plusieurs niveaux. En dernier lieu, notre attention sera dirigée sur la trajectoire du texte initial d’Anatomie de l’enfer, adaptation du roman Pornocratie, récit librement inspiré de La maladie de la mort de Marguerite Duras. Par conséquent, cette dernière partie s’intéressera au parcours qu’a subi le récit qui devint Anatomie de l’enfer et cherchera à déceler ce qu’il reste de l’imaginaire Durassien dans ce film de Breillat.

3.2. Georges Bataille Bon nombre de chercheurs qui se sont penchés sur les œuvres de Catherine Breillat ont remarqué des affinités avec les thématiques et notions philosophiques abordées par Georges Bataille. « Penseur maudit, écrivain pornographe, philosophe, poète, sociologue, ‘débauché’ versus ‘assis de bibliothèque’186 », Bataille est l’auteur d’une œuvre vaste, éclectique et souvent perçue comme étant provocante. Ses idées concernant l’érotisme concordent sur plusieurs niveaux avec le discours sur la sexualité que livre Breillat dans ses films et ses romans. David Vasse, dans son ouvrage Catherine Breillat : un cinéma du rite et de la transgression, fait cette observation : « Dans l’ombre de la pensée de Bataille, le cinéma de Catherine Breillat n’a cessé d’emprunter cette voie audacieuse pour proposer une vision non pas sociologique du sexe mais bien imaginaire et transcendante187 ». Il compare plus loin le premier film de Breillat, Une vraie jeune fille (1975), au premier roman de Bataille, Histoire de l’œil188. Dans son film, la cinéaste fait en quelque sorte l’éloge de la souillure et des sensations liées aux sécrétions corporelles, thématiques singulières qui sont exploitées de façon récurrente dans le roman de Bataille. D’autre part, Nicole M. Richter note également

186 Madeline Chalon, « « Qui êtes-vous, Georges Bataille ? » », Le Portique, no29 (2010), [en ligne] : http://journals.openedition.org.acces.bibl.ulaval.ca/leportique/2589 (30 avril 2020). 187 David Vasse, Catherine Breillat : un cinéma du rite et de la transgression, p.70 188 Georges Bataille, Histoire de l’œil, France, L’imaginaire Gallimard, 2016(1967), 108 pages. 65 dans les films de Breillat plusieurs liens avec l’œuvre de Bataille. Les connexions qu’elle observe se basent majoritairement sur l’essai Sur Nietzsche : volonté de chance189, qu’elle cite à plusieurs reprises dans sa thèse de doctorat « Our Veils Anticipate Our Shrouds: Eroticism in the Films of Catherine Breillat190 ». Elle propose l’idée selon laquelle le film expose en quelque sorte la finalité d’une réflexion autour de l’érotisme :

Bataille writes "Only when our response to desire remains incomprehensible is that response true. A response that is understood destroys desire. These limits define desire, (define us)" ("On Nietzsche" 72). Bataille's concept of desire is structured as that which exists beyond understanding. Anatomie de l'enfer pushes Breillat's exploration of eroticism to its limit, and moves into the realm of inaccessibility191. Richter se sert donc de l’œuvre de Bataille pour interpréter celle de Breillat en mettant en parallèle plusieurs idées communes aux deux artistes. David Vasse et Nicole M. Richter sont deux exemples parmi plusieurs auteurs qui ont repéré des traces de la pensée bataillienne au sein des films de Catherine Breillat.

Certaines idées de Georges Bataille se font sentir dans Romance et Anatomie de l’enfer, principalement par la récurrence de sujets et thématiques que l’on retrouve à la fois dans son ouvrage L’Érotisme et dans les films à l’étude. Cet essai de Bataille paru en 1957 est divisé en deux parties : la première expose « […] les différents aspects de la vie humaine envisagée sous l’angle de l’érotisme192 » et la seconde regroupe des études diverses qui traitent du même sujet, faisant des deux parties un tout cohérent. La première moitié de L’Érotisme développe un discours sur la sexualité qui est plus philosophique que scientifique. Bataille tente d’expliquer ce rapport si paradoxal qu’entretient l’excitation sexuelle avec la mort : il cherche à montrer que l’érotisme, la religion et la mort sont tous des façons pour les humains d’accéder à une certaine forme de continuité. Séparé du corps de la mère à la naissance, l’être humain devient un être isolé que Bataille dit être discontinu. L’humain cherche alors à retrouver une certaine forme de continuité, une connexion avec les autres humains, mais aussi avec l’infini. Il affirme que l’idée d’érotisme pourrait être confondue avec celle que les

189 Georges Bataille, Sur Nietzsche : volonté de chance, Paris, Gallimard, 1945, 253 pages. 190 Nicole M. Richter, « Our Veils Anticiape Our Shrouds : Eroticism in the Films of Catherine Breillat », thèse de doctorat en philosophie, Floride, University of Miami, 2009, 185 f. 191 Ibid., p.2. 192 Georges Bataille, L’Érotisme, p.10. 66 théologiens se font de Dieu, tout en précisant que « [l]a poésie mène au même point que chaque forme de l’érotisme, à l’indistinction, à la confusion des objets distincts. Elle nous mène à l’éternité, elle nous mène à la mort193… ». En conséquence, « [l]’érotisme bataillien relève donc de l’excitation et non de la résolution ; […] l’érotisme tend enfin vers l’impossible et non vers le plaisir194 ». Pour illustrer son idée, l’auteur examine les différents facteurs qui régissent le bon fonctionnement de la vie humaine en société en mettant l’accent sur l’importance des interdits et leurs transgressions (qui sont généralement liés à la mort/violence ou à la reproduction/sexualité).

Les films de Catherine Breillat qui intéressent notre étude mettent en scène des protagonistes qui justement transgressent plusieurs des interdits dont parle Bataille dans son texte. Les personnages ont des relations sexuelles hors mariage (ou extérieur au couple), on y pratique une certaine forme de violence (dans le cas de Romance avec le BDSM et la scène de viol) et on représente le sang menstruel et le sang de l’accouchement. Bataille explique à propos de ces deux types de sang qu’ils provoquent l’horreur : « Ces liquides sont tenus pour les manifestations de la violence interne. Le liquide menstruel a de plus le sens de l’activité sexuelle et de la souillure qui en émane195… ». Le discours que livre le personnage de la Femme dans Anatomie de l’enfer fait tout à fait écho à cet extrait de Bataille. Après une relation sexuelle pendant laquelle la Femme a ses règles, elle dit à l’Homme : « Tu as peur car tu crois que c’est toi qui saignes, alors que tu sais bien que non. Et cette hémorragie, c’est celle du sang fertile des femmes (1 :02 :47 à 1 :02 :55) ». Ce qu’à la fois Bataille et Breillat cherchent à montrer est que le dégoût lié au sang menstruel n’est qu’une construction, une peur imaginée, parce que faussement associée à une blessure196. De plus, lors du visionnement de Romance, le public est confronté à la monstration d’un accouchement. La séquence présente en gros plan la naissance de l’enfant ; on y voit les fluides corporels, la

193 Georges Bataille, L’Érotisme, p.28-29. 194 Agathe Simon, « Georges Bataille, le plaisir et l’impossible », Revue d’histoire littéraire de la France, no1, vol.103 (2003), [en ligne] : https://www.cairn.info/revue-d-histoire-litteraire-de-la-france-2003-1-page- 181.htm (consulté en juin 2020). 195 Georges Bataille, L’Érotisme, p.56-57. 196 Cette réflexion rejoint celle de Julia Kristeva qui s’intéresse au concept de l’abjection, principalement lorsqu’elle s’attarde aux fluides corporels et au cadavre humain. À ce sujet, voir : Julia Kristeva, Pouvoirs de l’horreur : essai sur l’abjection, France, Éditions du Seuil, 1980, 247 pages. 67 peau qui s’étire et la tête de l’enfant qui sort du corps de la mère (voir figure 10). C’est encore une fois une démonstration que ce sang n’a rien de violent, puisque c’est celui qui donne la vie. Cette scène est d’ailleurs celle où Paul meurt au même moment où Marie accouche, et qui n’est pas sans rappeler cette idée de Bataille : « La mort et la reproduction s’opposent comme à l’affirmation la négation. […] La mort de l’un est corrélative de la naissance de l’autre, qu’elle annonce et dont elle est la condition. La vie est toujours un produit de la décomposition de la vie197 ».

Figure 10

Cela nous amène à parler du meurtre, qui est également un sujet que l’on retrouve dans les films à l’étude et sur lequel s’attarde Bataille dans L’Érotisme. Comme nous l’avons souligné au chapitre précédent, les deux films se terminent par la mort de l’amant : en effet, le ou la protagoniste tue son partenaire. Pour Bataille, l’assassinat et l’érotisme sont des « […] domaines voisins fondés l’un et l’autre sur l’ivresse d’échapper résolument au pouvoir de l’interdit198 ». Les personnages de Breillat transgressent l’interdit du meurtre pour accéder à une forme de libération ; la mort se produit tel un sacrifice qui permet au personnage de naître à nouveau. C’est ce que David Vasse explique dans son ouvrage : « Mort rituelle et résurrection. De la mort surgit le commencement de la vie. Et dans son obsession de réinventer l’être féminin, la cinéaste attribue à la femme le privilège de cette accession au sacré199 ». Le personnage de Marie dans Romance fait mourir son amant dans une explosion :

197 Georges Bataille, L’Érotisme, p.58. 198 Ibid., p.85. 199 David Vasse, Catherine Breillat : un cinéma du rite et de la transgression, p.143.

68 elle refuse ainsi sa façon de concevoir le couple pour prendre pleinement possession de ses propres désirs. Dans Anatomie de l’enfer, c’est plutôt la Femme qui meurt, telle une martyre, sacrifiée pour en avoir trop révélé à l’Homme.

Mais c’est véritablement cette façon de traiter de la sexualité sans détour, en mettant le doigt sur ce qui dérange, qui fait transparaître la pensée bataillienne au sein des œuvres de Breillat. En effet, la cinéaste présente dans ses films certaines préconceptions à propos de la sexualité des femmes et n’hésite pas à montrer le désir féminin sous des formes qui peuvent s’avérer déroutantes. Prenons comme exemple la séquence de Romance dans laquelle le personnage de Marie décrit un fantasme où son corps serait séparé en deux : cette scène montre à l’écran des relations sexuelles non-simulées pendant que la protagoniste exprime en voix over le désir de vivre une sexualité sans amour. À ce sujet, Estelle Bayon précise :

[…] on peut lire cette scène comme obscène car elle peut heurter la pudeur, parce que cette blessure inattendue émane de la transgression cynique d’interdits – partouse, déshumanisation de la femme réduite à son organe génital, mise en image d’un fantasme et donc franchissement d’une limite puisque le fantasme est censé rester de l’ordre de l’imaginaire200… Cette séquence de Romance ose montrer le « laid » qui se trame en chacun.e. La protagoniste est divisée en deux : d’un côté sa tête, son amant, sa vie et de l’autre côté son sexe ainsi que son désir. Cette scission s’apparente beaucoup à ce que Bataille élabore dans son essai dans lequel il explique que l’érotisme n’existe que lorsque l’humain arrive à nier les normes qui régissent son quotidien. L’auteur indique que l’être humain doit atteindre un état similaire à l’animal :

Le mouvement charnel est singulièrement étranger à la vie humaine : il se déchaîne en dehors d’elle, à la condition qu’elle se taise, à la condition qu’elle s’absente. Celui qui s’abandonne à ce mouvement n’est plus humain, c’est à la manière des bêtes, une aveugle violence qui se réduit au déchaînement, qui jouit d’être aveugle, et d’avoir oublié201. Marie, dans Romance, se scinde en deux pour ainsi permettre à cet aspect « animal » d’elle- même de prendre vie. Ainsi le film, de pair avec Bataille, semble proposer l’idée que

200 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, p.100. 201 Georges Bataille, L’Érotisme, p.113. 69 l’excitation sexuelle et le désir ne peuvent se manifester pleinement que lorsqu’un individu accepte de s’oublier et, d’une certaine façon, de se déshumaniser. En outre, cet état peut paraître effrayant car rejeté par notre monde organisé, fonctionnel et régi par les lois. C’est pourquoi la sexualité reste un tabou comme l’entend Bataille : « Telle est la nature du tabou, qui rend possible un monde du calme et de la raison, mais est lui-même, en son principe, un tremblement qui ne s’impose pas à l’intelligence, mais à la sensibilité, comme le fait elle- même la violence202… ». Catherine Breillat expose dans Romance et Anatomie de l’enfer ce tabou qu’est la sexualité en insérant dans ses films des images pornographiques, en plus de dépeindre la nature bestiale du désir qui se trame en chacun.e. La parole de Bataille résonne à travers l’œuvre de Breillat, notamment dans cet effort de la cinéaste à révéler ce que dissimulent les interdits qui contrôlent les pratiques et représentations de la sexualité dans une société donnée.

3.3. Breillat et le roman libertin du XVIIIe siècle : entrecroisement de discours à propos du sexe et du monde

Rapprocher le travail de Catherine Breillat avec celui des romanciers libertins du XVIIIe siècle semble anachronique, mais rappelons que le roman libertin est en réalité l’ancêtre de la pornographie. Dans son essai Les romanciers du plaisir203, Catherine Cusset fait cette précision : « Le roman pornographique est une invention des Lumières : c’est au XVIIIe siècle, en France, que ce genre se développe. Avant, il n’existait que quelques rares textes pornographiques204 ». Or, ce qui joint de façon si évidente les films de Breillat avec ces romans d’une époque aussi lointaine est l’idée que « [l]a pornographie au XVIIIe siècle participe à part entière au projet des Lumières, qui vise à ‘dévoiler la vérité’ et à lutter contre les préjugés et l’obscurantisme205 », explique Cusset. Ainsi, tout comme dans les œuvres de Breillat, le discours sur la sexualité va de pair avec une critique de la société. Pour cette partie de notre recherche, il sera toujours question d’intertextualité. Cette fois, nous pointerons

202 Georges Bataille, L’Érotisme, p.67-68. (L’utilisation de l’italique est faite par l’auteur dans notre édition.) 203 Catherine Cusset, Les romanciers du plaisir, Paris, Honoré Champion Éditeur, 1998, 135 pages. 204 Ibid., p.62. 205 Ibid., p.62. 70 certaines traces et similitudes de la tradition littéraire libertine du siècle des Lumières que l’on perçoit dans Romance et Anatomie de l’enfer. Après une brève présentation du contexte de l’époque et des auteurs marquants, les films à l’étude seront mis en parallèle avec Thérèse Philosophe (1748), roman pornographique attribué au marquis Boyer d’Argens.

3.3.1. Contexte du roman libertin Le siècle des Lumières est celui où l’on veut faire régner la raison ; c’est l’arrivée de l’Encyclopédie, c’est l’époque des salons, de Rousseau, de Voltaire et de Montesquieu. Ce sont également les années de la Régence (1715-1723), moment où le libertinage s’avère à la mode dans la société aristocratique : « Aventures gaies, adultères, orgies, homosexualités tapageuses, véroles galopantes : la chronique galante glisse des amours du Palais-Royal aux désordres de Versailles et de la Cour206 ». Même après l’ascension au trône de Louis XV, l’impiété et la débauche continuent de primer à la cour207. Si le libertin était populaire, il reste difficile d’en peindre ses contours précisément parce que sa définition variait d’une classe sociale à l’autre et a beaucoup évolué à travers les années. À la cour, le roi donne l’exemple : « Initiateur, maître du jeu, séducteur, cruel, sûr de lui, le roué est l’homme à la mode, l’homme du grand ton, le libertin par excellence208 ». Dans l’aristocratie, le libertin est un être de plaisir et ses actions sont glorifiées. Pour le peuple, sa signification diffère : « Le mot ‘libertinage’ se définit sur un axe qui, à travers toutes les formes d’indiscipline, mène de l’affranchissement religieux (sans rapport au plaisir) à la pratique de la débauche (sans considération religieuse)209… ». Ceux qui n’appartenaient pas à la noblesse associaient le libertinage à l’ivrognerie, l’impiété, la paresse, la violence et la prostitution210.

Le roman en vient donc à s’inspirer des histoires de la cour du roi et des scandales de l’Église ; il se proclame être une représentation des mœurs de l’époque ainsi qu’un outil de

206 Patrick Wald Lasowski, « Préface », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 2000, p.XVII. 207 Ibid., p.XXIV. 208 Ibid., p.XVII. 209 Ibid., p.XX. 210 Ibid., p.XX. 71 formation pour ses lecteurs et ses lectrices211. Car en effet, le schéma récurrent du roman libertin est celui de l’apprentissage d’un.e jeune protagoniste qui fait son entrée dans le monde. Les liaisons dangereuses (1782)212 de Choderlos de Laclos est sans doute l’exemple le plus connu, se présentant sous la forme d’un roman épistolaire et polyphonique. Le roman suit plusieurs personnages, dont Cécile, déshonorée par le galant Valmont, qui cherche à corrompre la fillette. La naïveté de la jeune fille se dissipe graduellement puisqu’elle apprend au fil du récit ce qui se trame sous les apparences de la haute société, informant du même coup le lecteur ou la lectrice des rouages du libertinage. Le marquis de Sade est aussi une figure importante dans l’histoire du roman libertin. La philosophie dans le boudoir (1795)213 est une des œuvres du marquis qui résume le mieux sa pensée singulière. D’ailleurs, ce roman tient pour titre complet : La philosophie dans le boudoir ou les instituteurs immoraux, dialogues destinés à l’éducation des jeunes demoiselles. Le côté didactique du roman est ici mis en évidence non seulement par son titre, mais également grâce au court texte qui fait office de prologue et qui s’intitule « Aux libertins ». Sade débute son récit en s’adressant à ses lecteurs et lectrices : « Voluptueux de tous les âges et de tous les sexes, c’est à vous seuls que j’offre cet ouvrage : nourrissez-vous de ses principes, ils favorisent vos passions214… ». Les œuvres de Sade paraissent à la fin du siècle et agissent tel l’aboutissement d’une tradition littéraire et philosophique ; ses textes mènent le matérialisme et le sensualisme à un nouvel extrême. Le sacrilège, l’orgie, le meurtre, la violence et la sexualité explicite sont justifiés dans ses récits par un argumentaire se voulant philosophique. Néanmoins, les sujets abordés dans ces livres les assuraient d’être marqués par le fer rouge de la censure. Le XVIIIe siècle se caractérise par cette révolte du milieu littéraire, où philosophes et romanciers voyaient couramment leurs œuvres être bannies. Leurs textes circulaient tout de même « sous le manteau » et généralement on arrivait à trouver une façon de se les procurer :

On mesure difficilement aujourd’hui l’immense succès des livres interdits. L’ouvrage clandestin va jusqu’à subvertir le système chargé de l’étouffer. Rien n’est plus recherché. Les censeurs sont eux-mêmes auteurs de romans prohibés. Les policiers chargés de la librairie font trafic des exemplaires saisis215.

211 Raymond Trousson, « Préface », Romans libertins du XVIIIe siècle, Paris, Robert Laffont (Bouquins), 1993, p.LVI. 212 Choderlos de Laclos, Les liaisons dangereuses, Paris, GF Flammarion, 1996(1782), 513 pages. 213 D.A.F. de Sade, La philosophie dans le boudoir, Paris, Gallimard (Folio), 1998(1795), 124 pages. 214 Ibid., p.11. 215 Patrick Wald Lasowski, « Préface », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, p.LVIII. 72

Ainsi, le roman libertin était aussi subversif que les textes philosophiques, principalement parce que tous deux contestaient l’Église à leur façon. Ces productions étaient catégorisées sous la même étiquette d’ « ouvrages philosophiques », qui à l’époque servait à désigner les textes obscènes ou licencieux216.

Un auteur bien apprécié de D.A.F. de Sade était le marquis Boyer d’Argens, auquel on attribue l’écriture d’un des romans les plus populaires de l’époque : Thérèse Philosophe (1748)217. Jean-Baptiste de Boyer d’Argens n’est plus un auteur très connu aujourd’hui ; ses ouvrages philosophiques et ses romans sont quelque peu tombés dans l’oubli. Seul Thérèse Philosophe reste célèbre, œuvre qui n’a pas été signée et qu’on a souvent cru provenir de la plume d’un autre (on pensa longtemps à Diderot, par exemple)218. Le roman est rédigé du point de vue d’une jeune femme, Thérèse, qui met par écrit son apprentissage de la sexualité et de ses connaissances philosophiques. Le récit est en réalité destiné à l’amant de la protagoniste, laquelle prétend produire cet ouvrage pour le bon plaisir du Comte qui en fera la lecture. Thérèse Philosophe comporte beaucoup de similitudes avec les deux films de Catherine Breillat que nous abordons dans notre recherche. Cette prochaine partie de notre étude cherchera à révéler comment le roman libertin, plus précisément le cas de Thérèse Philosophe, tient une structure parente à celle de Romance et Anatomie de l’enfer. Mettre en relief les traces de cette tradition littéraire que l’on peut apercevoir dans les films de Breillat nous permettra de comprendre davantage ce travail de subversion qui est fait dans les récits ; c’est-à-dire que la représentation de la sexualité explicite n’est pas gratuite et sert plutôt au propos philosophique présent dans les œuvres. Comme nous l’avons fait précédemment avec Georges Bataille, notre analyse cherchera à pointer les nombreuses affinités entre les œuvres de Breillat et Thérèse Philosophe en relevant des fragments et séquences analogues ; ainsi, il sera possible d’observer plus clairement les échos de cette tradition littéraire qui se discernent parmi les films à l’étude. Pour illustrer notre idée, nous mettrons d’abord en parallèle les

216 Patrick Wald Lasowski, « Préface », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, p.XXVII. 217 « Seul d’Argens montre la voie, mêle ‘la luxure à l’impiété’ et donne réellement ‘l’idée d’une livre immoral’. Sade mesure donc, en 1797, combien Thérèse Philosophe anticipe son grand projet libertin », explique Wald Lasowski dans la « Notice de Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, p.1289. 218 Patrick Wald Lasowski, « Boyer d’Argens », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, p.1279.

73 protagonistes féminins qui cherchent à s’affranchir des restrictions liées à leur sexe. Dans un deuxième temps, nous verrons comment l’éducation sexuelle des personnages se fait en alternance avec une formation des idées. En dernier lieu, il sera question de l’importance de la description exhaustive et la mise en image, aspects qui participent au leurre du lectorat/de l’auditoire sur l’objectif du récit par leur dimension transgressive et provocante.

3.3.2. L’affranchissement des protagonistes : subjectivité et prise de parole au féminin Le titre Thérèse Philosophe préfigure le sujet du roman : c’est l’histoire d’une femme qui raisonne. Comme le remarque Patrick Wald Lasowski, « [c]e qui est sûr, c’est la volonté subversive qui recèle de l’association d’un personnage féminin et de la philosophie. Ce titre laisse envisager une héroïne émancipée, passée maître dans le domaine de la pensée : Thérèse est sujet de son histoire comme de sa raison219 ». Le personnage central du récit est donc une femme qui réfléchit, qui apprend à nommer ses désirs, à maîtriser sa sexualité et qui en vient à mettre son apprentissage par écrit à la demande de son amant. La protagoniste parvient graduellement à atteindre une certaine forme d’affranchissement et d’affirmation de soi : « Elle arrive effectivement au ‘comble de la volupté’, en assumant le récit de ses vices220 », explique Wald Lasowski. On peut donc rapprocher Thérèse des personnages de Romance et d’Anatomie de l’enfer, puisque ces protagonistes sont des femmes qui énoncent le besoin de s’émanciper par la reconnaissance de leur désir et la compréhension de leurs besoins sexuels.

Même si Thérèse Philosophe est en réalité écrit par un homme, le roman fait rayonner une parole féminine. L’histoire est racontée du point de vue de Thérèse, laquelle agit telle une narratrice autodiégétique qui dirige son récit à l’intention d’un lecteur fictif (le Comte). La protagoniste s’exprime donc à l’aide d’un « je » qui matérialise le point de vue subjectif du roman et s’adresse au « vous », interpellant du même coup son véritable lectorat. Ce « je » qu’on associe à la voix de Thérèse n’est pas sans rappeler la façon dont la protagoniste de

219 Patrick Wald Lasowski, « Notice de Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, p.1290. 220 Ibid., p.1298. 74

Romance s’exprime. Comme nous l’avons observé au chapitre précédent, ce film est également conçu à partir du point de vue subjectif de la protagoniste. La voix over de Marie dans Romance nous permet d’avoir accès à son intériorité. De la même façon que le permet la narration intra-diégétique de Thérèse Philosophe, le lectorat/public a droit à des informations que les autres personnages de l’histoire ne possèdent pas : commentaires, réflexions, rêveries, doutes, émotions, etc. Cette relation privilégiée avec le personnage principal permet d’acquérir une compréhension plus fine et plus étendue des enjeux auxquels les protagonistes des œuvres concernées ont été confrontés.

La première partie de Thérèse Philosophe débute par une courte introduction qui explique le projet de la narratrice : « Mais si l’exemple, dîtes-vous, et le raisonnement ont fait votre bonheur, pourquoi ne pas tâcher à contribuer à celui des autres par les mêmes voies, par l’exemple et par le raisonnement? Pourquoi craindre d’écrire des vérités utiles au bien de la société? 221 ». Thérèse légitimise son travail d’écriture en signalant la fonction de son ouvrage : il servira à instruire les potentiels lecteurs et lectrices par l’exposé des expériences et réflexions de la jeune femme. La parole féminine dans Thérèse Philosophe détient une certaine sagesse et le récit qui est partagé servirait principalement à la transmission des savoirs. Cette posture particulière s’apparente à celle du personnage de la Femme dans Anatomie de l’enfer, qui prend le personnage de l’Homme pour élève. Les instructions qu’elle livre quant à sa sexualité, son désir et son corps sont destinés à l’Homme, mais également au public qui visionne le film. De la même façon, Thérèse partage au Comte son expérience, mais assume que son récit sera lu par la suite par un plus large lectorat. Dans les deux cas, les personnages féminins tiennent un rôle d’instructrice : leur parole est ainsi mise de l’avant, reconnue et écoutée.

L’affirmation de soi pour ces différentes protagonistes passe entre autres par la transgression d’interdits, lesquels proviennent majoritairement des restrictions dictées par l’Église. Catherine Cusset soulève dans son essai que « Thérèse Philosophe multiplie les

221 Boyer d’Argens, « Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, p.575. 75 attaques contre la religion catholique : attaque contre la dévotion, contre le rituel de la confession […], contre l’interdit de la chair et, pour commencer, celui concernant la masturbation222 ». En effet, Thérèse raconte ses premières expériences de masturbation qui s’accomplissent inconsciemment dans son sommeil lorsqu’elle n’a que sept ans. Sa mère la surprend une nuit et la gronde, mais Thérèse n’en comprend pas la cause : « […] je ne savais ce qu’elle voulait me dire par les termes d’attouchement, d’impudicité, de péché mortel, dont elle se servait223… ». C’est dès son plus jeune âge que la protagoniste apprend l’interdit de la masturbation, mais c’est au couvent qu’elle en subit les véritables conséquences : « Le jeûne, le cilice, la méditation étaient ma ressource, je fondais en larmes. Ces remèdes, en détraquant la machine, me guérirent à la vérité tout à coup de ma passion, mais ils ruinèrent ensemble mon tempérament et ma santé224 ». Plus tard, suivant les conseils de Monsieur l’abbé T***, Thérèse parvient à ignorer l’interdiction de se masturber et réussit graduellement à recouvrer sa santé qui en souffrait. C’est aussi une façon pour la jeune femme de s’épanouir dans sa sexualité sans prendre le risque de concevoir un enfant et ainsi ruiner sa réputation. La masturbation est un sujet qui est aussi abordé dans Romance. La séquence où Marie s’étend sur le lit de Paul et se masturbe illustre bien ce sentiment de honte qui accompagne souvent les femmes lors des plaisirs solitaires. Marie explique en voix over : « Je me branle toujours les jambes serrées, c’est très rare que j’écarte les jambes. Même à moi j’suis pas capable de m’offrir. J’me viole (01 :01 :01 à 01 :01 :10) ». Parce que Marie n’aime pas son corps, elle a l’impression de se faire violence lors de ses attouchements. Dans un traveling latéral qui débute aux pieds de la protagoniste, la caméra monte sur le corps tremblant de Marie et s’arrête sur son visage crispé. Pour elle, la masturbation est un dernier recours pour compenser le manque d’intimité avec son amant : « Je n’en éprouve qu’une satisfaction sans intérêt, assez nauséeuse, juste assez vindicative pour me dire que ça vaut pas la peine d’avoir un mec pour en arriver à ce point (01 :01 :13 à 01 :01 :23) », dit-elle avec une voix over. Dans les faits, Marie refuse l’abstinence imposée par son partenaire et assouvit ses pulsions dans le lit de celui-ci, ce que l’on pourrait considérer comme une étape importante de la prise de contrôle de sa sexualité. Par ailleurs, Romance ne fait que des allusions à la religion et ses restrictions ; pensons par exemple au prénom même de Marie,

222 Catherine Cusset, Les romanciers du plaisir, p.64-65. 223 Boyer d’Argens, « Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, p.577. 224 Ibid., p.581. 76 qui agit tel un pied de nez à la Sainte-Vierge et à sa pureté inhérente. Estelle Bayon abonde en ce sens : « Honte, morale, pudeur sont les conditions sine qua non de l’obscène, et les interdits que subit le cinéma ne proviennent que de la morale judéo-chrétienne, si attaquée par la cinéaste Catherine Breillat225 ». En ce qui a trait à Anatomie de l’enfer, la présence d’un crucifix accroché au mur plane dans le champ de plusieurs cadrages (voir les figures 11.1 et 11.2). Le titre du film pointe lui-même « l’enfer », auquel on associe « l’anatomie » de la femme, suggérant ainsi que son corps proviendrait de ces abîmes maudits. L’attaque contre la religion se fait principalement, autant dans Thérèse Philosophe que dans les films de Breillat, par les scènes de sexualité explicite. Bayon explique que : « [c]es images, montrées et regardées, sont donc source d’un certain plaisir. Un plaisir dont le christianisme a minimisé l’importance en plaçant la sexualité sous l’égide unique de la procréation et en introduisant l’amour comme principe supérieur226… ». Les œuvres qui nous occupent ici font l’éloge d’une vie sexuelle qui n’implique pas nécessairement de sentiment amoureux, mais qui incitent plutôt à l’épanouissement individuel à travers une sexualité saine et assumée.

Figure 11.1 Figure 11.2

Thérèse Philosophe comporte un épisode particulier dans lequel on fait l’étalage de différentes rencontres avec des hommes qui se sont avérés impuissants pendant des relations sexuelles. Thérèse donne la parole à son amie la Bois-Laurier, une ancienne prostituée qui prend plaisir à raconter certains incidents dont elle fut témoin : « […] l’objet auquel fait référence le récit de la Bois-Laurier est le sexe mâle non pas dans sa gloire, mais dans son

225 Estelle Bayon, Le cinéma obscène, p.74. 226 Ibid.,p.75. 77 humiliation227 », précise Cusset. Ces expériences particulières et assez nombreuses sont pour les deux femmes le sujet d’une conversation qui se termine en un fou rire : « Au cours de l’épisode se produit un renversement des rôles : le pouvoir ne vient pas de la philosophie généreusement répandue par Thérèse, mais de ce corps-objet qui se transforme en regard porté sur les sexes d’homme cherchant vainement à pénétrer228 ». Ce moment de Thérèse Philosophe n’est pas sans rappeler la relation entre Marie et Paul dans Romance, où l’homme n’est pas en mesure de satisfaire sa partenaire. À la différence des hommes impuissants dans Thérèse Philosophe, Paul n’est tout simplement pas intéressé à avoir des relations sexuelles avec Marie. La jeune femme, insultée de se faire repousser constamment, en vient à tenir des propos presque haineux envers son amant. Elle lui dit : « Toi, tu prends ma place, t’es la femme. Moi je suis ton mec, je te baise (01 :17 :19) ». Marie, face à l’incapacité de Paul à la satisfaire, en vient à le rabaisser et l’accabler de reproches. Enfin, on comprend que Thérèse Philosophe ainsi que Romance présentent des femmes qui adoptent un point de vue sur le sexe masculin qui n’est ni de l’admiration, ni de la soumission. À propos du roman de Boyer d’Argens, Cusset explique :

[…] il ne s’agit pas seulement, pour l’auteur et ses lecteurs masculins, de pénétrer le terrain inconnu de la sexualité féminine et des amours de femmes : mais, à travers le regard et le dialogue des femmes, de projeter une lumière ironique sur la sexualité masculine, et de transformer le sexe masculin en objet mécanique ridiculisé par le regard des femmes229. Cette affirmation est également juste pour le film de Breillat dans lequel le personnage de Paul est particulièrement passif au sein de la sexualité du couple. En ridiculisant le pouvoir sexuel de l’homme, on peut maintenant mettre la sexualité féminine à l’avant-plan. Romance s’attarde donc très peu au désir du personnage masculin pour mettre en valeur les envies de la protagoniste qui réussit, peu à peu, à se détacher de son couple qui la rendait si malheureuse.

227 Catherine Cusset, Les romanciers du plaisir, p.76. 228 Ibid., p.77. 229Ibid., p.78. 78

3.3.3. La transmission des savoirs : une structure narrative singulière Thérèse Philosophe se divise en quatre parties distinctes. Dans chacune d’elles, on y fait la rencontre d’un personnage qui participe à l’instruction de Thérèse. Le roman est donc construit sur une alternance de scènes pornographiques et de dissertations à propos de divers sujets concernant la philosophie, la religion, la morale et la vie en société. Raymond Trousson explique que « […] l’itinéraire de Thérèse entre théorie philosophique et pratique sexuelle est l’image d’un cheminement dialectique où l’éveil du désir conduit à l’examen de la morale traditionnelle et de la religion…230 ». Prenons pour exemple le moment où Thérèse surprend Monsieur l’abbé T*** en train de discuter avec Mme C*** sur un banc dans un parc. Cachée dans un bosquet, elle les observe succomber à leurs désirs. Ce n’est qu’une fois leurs ébats terminés qu’elle les entend déblatérer à propos de l’idée de « nature ». L’abbé demande à son interlocutrice : « Mais qu’est-ce que c’est que cette nature? Est-ce un autre Dieu que nous ne connaissons pas? Agit-elle par elle-même et indépendamment de la volonté de Dieu?231 ». Cet épisode permet à Thérèse d’en tirer une conclusion : « […] je voyais clairement que Dieu et la nature n’étaient qu’une même chose, ou du moins que la nature n’agissait que par la volonté immédiate de Dieu. De là je tirai mes petites conséquences, et je commençai peut- être à penser pour la première fois de ma vie232 ». Le moment qui suit montre une scène similaire à la précédente où Thérèse se cache derrière le rideau du lit pour observer les ébats de ses deux instructeurs. Une fois rassasiés, l’abbé T*** et Mme C*** conversent à propos de la religion chrétienne et de ses origines. La protagoniste se formule donc une idée tant sur les pratiques sexuelles dont elle est témoin que sur les idées qui sont échangées par le couple.

Cette structure du récit s’apparente à celle d’Anatomie de l’enfer, qui se divise aussi en quatre parties (ou plutôt en quatre nuits). Les deux personnages se réunissent dans une chambre et cherchent à comprendre « ce qu’est une femme (00 :23 :51) » : leurs rencontres sont donc similaires à celles de l’abbé T*** et de Mme C*** puisqu’également dans cette optique d’éclaircissement et de dévoilement des vérités. La première nuit, le sujet de leur conversation tourne autour du physique des femmes (les poils, le néant auquel appel l’organe

230 Raymond Trousson, « Introduction à Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, p.566. 231 Boyer d’Argens, « Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, p.613. 232 Ibid., p.614. 79 génital féminin, la douceur supposée de leur corps, etc.). Une fois la femme endormie, l’homme en viendra à visiter ce corps par la pénétration : ce sera pour lui une première nuit d’apprentissage de ce qu’est la sexualité féminine (et la sexualité avec une femme, puisqu’il est homosexuel). Ce scénario se répétera à chacune des nuits que l’Homme et la Femme passeront ensemble, où s’alterneront les dissertations qui exposent ce que l’on condamne aux femmes avec des rapprochements physiques entre ces deux personnages. Cet apprentissage de la sexualité se fait en parallèle à l’acquisition de connaissances philosophiques et critiques qui feront évoluer l’Homme au travers du récit d’Anatomie de l’enfer. Cette structure qui fait alterner sexualité et philosophie est évidente dans le roman de Boyer d’Argens et comme l’explique Wald Lasowski dans sa « Notice sur Thérèse Philosophe » : « Le roman suit deux voies bien précises, que Sade raffinera plus tard à la perfection. […] D’un côté, donc, la lascivité des actes, la séduction des gestes, l’appel imaginal au désir et, de l’autre, le réseau des thèses, l’appareil doctrinal233 ». La pornographie agit donc d’une façon singulière, qui, dans chacune de ces œuvres, : « […] tient bien le rôle que lui assignait Sade : lier la luxure et l’impiété. Thérèse réunit ainsi l’affranchissement des mœurs à la libération de la pensée…234 », tout comme tente de le faire le personnage de la Femme dans Anatomie de l’enfer.

3.3.4. Mise en image et représentations explicites Les romans libertins du XVIIIe siècle étaient souvent publiés avec des gravures qui mettaient en images des scènes galantes décrites dans les récits. Ces illustrations seraient les héritières des estampes et peintures italiennes du XVIe siècle qui prenaient pour sujet certains moments marquants de l’Antiquité235. Par exemple, les fresques et estampes des frères Agostino et Annibale Carracci auraient maintes fois inspirés les gravures libertines françaises (voir figure 12)236.

233 Patrick Wald Lasowski, « Notice sur les gravures de Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.1291. 234 Raymond Trousson, « Introduction à Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, p.572. 235 Patrick Wald Lasowski, « Notice sur les gravures libertines », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.LXX. 236 Ibid., p.XC. 80

Figure 12

Ces gravures qui accompagnaient les textes participaient à la création d’une imagerie de l’univers libertin où la sexualité était représentée explicitement et dans ses formes les plus audacieuses. Thérèse Philosophe serait le roman libertin le plus illustré de son époque237 ; on trouve dans l’édition de La Pléiade de l’ouvrage Romanciers libertins du XVIIIe siècle la première version du texte de 1748, accompagné de ses 16 gravures originales (voir figures 13.1, 13.2 et 13.3 pour quelques exemples).

Figure 13.1 Figure 13.2 Figure 13.3

Wald Lasowski souligne dans sa « Notice sur les gravures libertines » que le rôle de la gravure tiendrait de cette : « […] obligation que se donnent les illustrateurs de textes libertins de matérialiser par l’illustration ce que le texte ne cesse de vouloir susciter dans l’imagination

237 Patrick Wald Lasowski, « Notice sur les gravures de Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.1299. 81 du lecteur238 ». En dépit de la présence de ces images, les romans libertins cherchaient avant tout à représenter l’acte sexuel par l’entremise des mots. En effet, les scènes galantes étaient décrites de façon exhaustive, avec maints détails et précisions qui permettaient aux lecteur.trice.s. de se représenter clairement le moment raconté. Le pouvoir visuel du texte est mis en évidence dans le dernier épisode de Thérèse Philosophe, où la narratrice relate son attrait pour les tableaux érotiques que le comte lui fit apporter dans sa chambre. Thérèse raconte son enivrement :

Couchée sur mon lit, les rideaux ouverts de toutes parts, deux tableaux (Les Fêtes de Priape, Les Amours de Mars et Vénus) me servaient de perspective. L’imagination échauffée par les attitudes qui y étaient représentées, je me débarrassai des draps et des couvertures; et sans réfléchir si la porte de ma chambre était bien fermée, je me mis en devoir d’imiter toutes les postures que je voyais239. Elle décrit ensuite la scène que représente chacun de ces tableaux ainsi que les positions qu’elle adopte pour arriver à imiter les personnages. Ici, le plaisir de voir est mis de l’avant puisque l’on sent bien l’effet de ces images sur la protagoniste. Les lecteur.trice.s qui connaissent ces tableaux qui émeuvent Thérèse se les figureront aussi. L’imagination des lecteur.trice.s est alors convoquée par ce qui est suggéré par le texte. Par ailleurs, notons que la raison et la réflexion le sont également, car le personnage tient de façon récurrente un discours politisé. En effet, une grande part de l’histoire de Thérèse est dédiée aux dialogues sérieux des personnages qui se questionnent, débattent et redéfinissent des concepts sociaux, politiques et métaphysiques. « Dans le contexte des Lumières, ce à quoi s’intéresse le roman pornographique, c’est le rapport entre le mot et l’image, et le pouvoir de l’image, de l’imagination, sur la raison240 », explique Catherine Cusset. Cette affirmation met le doigt sur cet autre point qui rapproche le roman de Boyer d’Argens avec le travail de Catherine Breillat : le rapport entre ce qui est suggéré par le mot et montré par l’image, relation bien évidente dans Romance et Anatomie de l’enfer. Dans les films à l’étude, l’imaginaire du public est convoqué par l’importance de la parole et de l’oralité qui incitent à la fabrication d’images mentales. De plus, l’imagination des personnages est donnée à voir par la représentation de leurs fantasmes et rêveries. Les scènes de sexualité explicites qui sont

238 Patrick Wald Lasowski, « Notice sur les gravures libertines », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.LXXXIX-XC. 239 Boyer d’Argens, « Thérèse Philosophe », Romans libertins du XVIIIe siècle, p.655. 240 Catherine Cusset, Les romanciers du plaisir, p.81. 82 présentes dans les films de Breillat sont généralement accompagnées d’un discours qui vient charger ces séquences d’un commentaire ou d’une dénonciation. Cette alternance entre la force du mot et celle de l’image, que nous avions observée à la fin du premier chapitre de ce mémoire, est nécessaire à cet exercice de subversion des codes pornographiques que fait la cinéaste.

Finalement, cette traversée dans l’univers littéraire du siècle des Lumières aura démontré que l’intégration de scènes pornographiques dans une œuvre ne la rend pas systématiquement insignifiante. Cette partie de notre recherche s’est attardée aux échos du roman libertin à travers Romance et Anatomie de l’enfer en soulevant leurs multiples connivences. Thérèse Philosophe nous a servi d’exemple et de représentant de cette tradition littéraire, principalement pour sa structure et son caractère subversif, mais aussi pour l’importance des illustrations qui accompagnent le texte. Le fait que Thérèse Philosophe soit écrit du point de vue d’un personnage féminin est également un facteur qui permet de lier le texte avec les films à l’étude sur plusieurs aspects. En effet, ces protagonistes sont des femmes qui cherchent à s’affranchir, à nommer leurs désirs et à les faire reconnaître. Ces récits permettent d’exacerber une subjectivité au féminin et cette parole transmet des savoirs , servant ainsi d’exemple pour le lectorat et le public. Thérèse Philosophe était un des premiers personnages féminins à revendiquer sa liberté sexuelle, ce qui donne au roman un ton protoféministe. Patrick Wald Lasowski écrit ceci à propos de la protagoniste de Thérèse Philosophe : « Le discours affirmatif, éclairé, ne cesse plus : elle insiste sur le message philosophique de son récit, opère un véritable matraquage des thèses, en adepte éloquente du matérialisme. […] Elle possède maintenant son histoire, dont elle clame la force de corruption241 ». Cette affirmation de soi est en elle-même une forme de révolte, puisque ces personnages refusent le carcan qui leur est imposé par l’Église ou la société qui contrôlent d’une façon ou d’une autre leur vie sexuelle. Le regard réprobateur et condescendant envers la sexualité des personnages masculins est également révélateur d’une volonté de freiner cette constante glorification du sexe mâle. Le rayonnement de la sexualité féminine dans Thérèse Philosophe, Romance et Anatomie de l’enfer est évident ; la sexualité représente pour ces

241 Patrick Wald Lasowski, « Notice de Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle I, p.1298. 83 personnages femmes un apprentissage de soi-même qui se fait en parallèle avec l’acquisition de savoirs philosophiques, laissant croire que la réflexion sur la sexualité serait intimement liée avec l’éthique et le politique.

3.4. De Marguerite Duras à Catherine Breillat : le cas d’Anatomie de l’enfer 3.4.1. Trajectoire du récit Dans l’entrevue qu’elle donne à Claire Vassé pour Corps Amoureux, Catherine Breillat explique son projet derrière Anatomie de l’enfer : « Au départ, je voulais adapter La maladie de la mort de Marguerite Duras mais c’était compliqué d’avoir les droits. […] Alors je me suis dit qu’après tout, j’allais l’écrire moi-même. Pour la première fois, j’ai écrit un livre pour en faire un film242 ». En s’inspirant de La maladie de la mort243, Breillat pond son roman Pornocratie244 sur lequel elle se base pour ensuite tourner Anatomie de l’enfer. Cette dernière partie de notre recherche s’attardera encore une fois à la littérarité de ce film. Il s’agira de faire ressortir quelques éléments de l’imaginaire durassien qui sont toujours perceptibles dans le film de Breillat.

Notre analyse s’intéresse à des œuvres distinctes qui sont assez différentes l’une de l’autre. Pornocratie est en effet beaucoup plus dense ; le roman compte 143 pages alors que La maladie de la mort ne tient que 57 pages. Néanmoins, la trame narrative subsiste. C’est l’histoire d’une femme et d’un homme (homosexuel) qui se cloîtrent dans une chambre avec un lit aux draps blancs, dans une maison en bord de mer. Ils passent plusieurs nuits ensemble pendant lesquelles l’homme cherche des réponses en observant cette femme, une fois qu’elle s’endort. Une différence majeure entre les œuvres est cet inversement : dans le récit de Duras, c’est l’homme qui paye la femme pour qu’elle le rejoigne toutes ces nuits, tandis que dans le film de Breillat, c’est la Femme qui paye l’Homme pour leurs entretiens nocturnes. Dans les

242 Catherine Breillat, Corps amoureux, entretiens avec Claire Vassé, p. 252-253. 243 Marguerite Duras, La maladie de la mort, France, Les éditions de minuit, 1982, 57 pages. 244 Catherine Breillat, Pornocratie, France, Denoël, 2001, 143 pages. 84 deux cas, c’est toujours la femme qui s’étend sous le regard de l’homme, c’est elle qu’on cherche à démystifier. Malgré tout, le lectorat qui aurait déjà lu La maladie de la mort au moment de lire Pornocratie ou de visionner Anatomie de l’enfer y verrait certainement la référence directe qui est faite au texte de Duras. Notre travail ici ne sera pas d’énumérer toutes les ressemblances entre le récit de Marguerite Duras et le film de Breillat, mais plutôt de pointer certains éléments essentiels et aux communs aux œuvres, pour ainsi suivre l’évolution du récit.

3.4.2. L’imaginaire durassien dans Anatomie de l’enfer Catherine Breillat fait donc une adaptation filmique de son roman Pornocratie, lequel s’inspire directement du court roman de Duras. Cependant, la cinéaste prend des libertés et se permet de modifier l’histoire originale, pour ainsi donner aux personnages une parole davantage politisée. Il reste que certains thèmes discutés et développés par les protagonistes d’Anatomie de l’enfer prennent leur source dans La maladie de la mort. Tout d’abord, le regard masculin qui est porté sur la femme est empreint d’une forme de mépris. Dans le texte de Duras, l’homme explique les conditions de leur contrat :

Vous dîtes qu’elle devrait se taire comme les femmes de ses ancêtres, se plier complètement à vous, à votre vouloir, vous être soumise entièrement comme les paysannes dans les granges après les moissons lorsque éreintées elles laissaient venir à elles les hommes, en dormant245… Les contraintes qui sont imposées par l’homme privent ce couple singulier de tout rapprochement sincère, puisque la femme doit rester passive et silencieuse. De plus, le regard qui est porté sur le corps féminin est dès le début du récit chargé de violence : « Le corps est sans défense aucune, il est lisse depuis le visage jusqu’aux pieds. Il appelle l’étranglement, le viol, les mauvais traitements, les insultes, les cris de haine, le déchaînement des passions entières, mortelles246 ». Ce passage résonne avec la première nuit dans Anatomie de l’enfer. Une fois la Femme déshabillée, l’Homme la regarde et dit : « La fragilité des chairs féminines impose le dégoût ou la brutalité. Vous êtes donc dépendante de l’une ou de l’autre (00 :14 :56) ». On voit ici cette idée commune aux deux œuvres qui illustrent combien

245 Marguerite Duras, La maladie de la mort, p.10. 246 Ibid., p.21. 85 le corps délicat des femmes susciterait une réaction violente chez ces hommes. Ce mépris de la féminité se manifeste également par l’impossibilité pour ces personnages masculins à réellement voir les femmes. En effet, ce problème est nommé à deux moments différents du récit de Duras. Cela va comme suit : « Vous lui dites : Vous devez être très belle. Elle dit : Je suis là, regardez, je suis devant vous. Vous dites : Je ne vois rien247 ». Plus loin, cette ignorance, cet aveuglement face à l’autre est davantage précisé : « Votre main est sur le dessus du sexe, entre les lèvres qui se fendent, c’est là qu’elle caresse. Vous regardez la fente des lèvres et ce qui l’entoure, ce corps entier. Vous ne voyez rien248 ». Cette femme, que cet homme a devant lui, ce corps qu’il touche, n’arrive pas à l’atteindre ni à l’émouvoir. Il ne voit rien, parce qu’il ne la désire pas. Ce passage s’apparente beaucoup au discours que tient l’Homme au début d’Anatomie de l’enfer. Il explique :

Ce n’est pas ce qu’on voit. Encore que l’écartement de vos jambes répugne. À la couleur trop vive et le côté informe et indolent de vos lèvres cachées, à la finesse de cette peau, quoique, ici et là, grumeleuse. […] Ce n’est pas ce qu’on voit, c’est ce qui se dérobe, l’obscénité la plus effroyable à nos yeux (00 :17 :36 à 00 :18 :50). Cependant, le personnage de l’Homme examine tout de même ce corps malgré son obscénité, parce que la Femme le paye et exige qu’il la regarde. Elle indique ce qu’il faut faire : « Me regarder par là où je ne suis pas regardable (00 :08 :47) », « Il faut me regarder quand j’me vois pas (00 :29 :29) », etc., alors l’Homme pose ses yeux sur elle et l’observe dans toute sa nudité. Force est de constater que le film de Breillat ajoute une dimension qui n’est pas présente dans le récit de Duras ; elle donne une certaine forme de pouvoir au personnage féminin, principalement parce que celle-ci prend parole. La Femme, dans Anatomie de l’enfer, n’est pas contrainte à garder le silence ; au contraire, elle souligne ce mépris des femmes et cherche à l’expliquer, le déconstruire et l’invalider.

Par ailleurs, La maladie de la mort se reflète dans Anatomie de l’enfer par leurs structures narratives similaires. En effet, chacun des récits se constitue de trois voix : celle de l’homme, celle de la femme et celle d’un narrateur omniscient. Dans le texte de Duras, ce narrateur prend en charge le récit et s’adresse au personnage de l’homme : l’histoire est donc

247 Marguerite Duras, La maladie de la mort, p.21-22. 248 Ibid., p.39. 86 racontée au « vous ». Cette articulation du discours est singulière, parce que si le narrateur parle au personnage de l’homme, les lecteur.trice.s se sentent également interpellés. Le récit incite donc, comme le fait Anatomie de l’enfer, à s’identifier au personnage de l’Homme et à vivre l’histoire de son point de vue. Ce narrateur étonnant agit de façon semblable au narrateur en voix over d’Anatomie de l’enfer, puisque cette voix est inconsciemment associée à l’auteure. Cette fausse manifestation de Duras au sein de la fiction rappelle l’acte de création et le mouvement d’écriture, d’une façon analogue à l’effet produit par la voix de Breillat au sein de son film.

Ainsi, ce travail de réécriture est tout à fait singulier : Catherine Breillat s’est approprié l’histoire de La maladie de la mort et en a détourné le sens du récit. La cinéaste a modifié la quête et l’objectif de cette rencontre entre un homme et une femme. Dans le texte initial écrit par Duras, l’homme chercher à aimer. C’est l’amour qui est au centre des interrogations, des pleurs et pensées du personnage de l’homme : « Vous dîtes que l’amour vous a toujours paru déplacé, que vous n’avez jamais compris, que vous avez toujours évité d’aimer que vous vous êtes toujours voulu libre de ne pas aimer. Vous dîtes que vous êtes perdu249 », explique le narrateur vers la fin du récit. Mais Breillat, dans son roman et dans son film, ne parle pas d’amour. Elle parle des inégalités entre les sexes, de la mauvaise compréhension du corps et de la sexualité des femmes, et conséquemment de la quasi-impossibilité de l’amour entre les hommes et les femmes. Malgré tout, on sent une certaine volonté de Breillat à conserver l’essence de La maladie de la mort dans son film. Par exemple, les personnages anonymes de l’Homme et la Femme qui ne sont jamais nommés, l’Homme qui examine le sexe de la Femme et qui en vient à s’endormir au creux de ses cuisses, et surtout, ce moment de la dernière nuit où l’Homme se rend dans un bar et réalise l’ampleur de son aventure : « D’abord, vous la racontez comme s’il était possible de le faire, et puis vous abandonnez. Ensuite vous la racontez en riant comme s’il était impossible qu’elle ait eu lieu ou comme s’il était possible que vous l’ayez inventée250 », peut-on lire dans le texte de Duras. Ce passage se retrouve également à la fin d’Anatomie de l’enfer, à la différence que l’Homme

249 Marguerite Duras, La maladie de la mort, p.49-50. 250 Ibid., p.55. 87 ne rit pas ; il pleure : « Je l’ai connue dans sa plus totale intimité, je ne suis même pas fichu de savoir son nom (01 :07 :26) », dit-il en s’essuyant les yeux. Et finalement, l’importance de la mer noire et du son des vagues qui sont des éléments récurrents dans le récit de Duras et pour lesquels Breillat accorde aussi une place significative dans son film. À la toute fin de La maladie de la mort, Duras laisse quelques notes à l’intention de ceux qui voudraient mettre en scène ou filmer cette histoire. L’auteure écrit :

[…] je voudrais que les pleurs sur la mer soient montés de telle sorte qu’on voie le fracas de la blancheur de la mer et le visage de l’homme presque en même temps. Qu’il y ait une relation entre la blancheur des draps et celles de la mer. Que les draps soient déjà une image de la mer251. Breillat respecte à sa façon ces indications en insérant plusieurs plans de l’Homme qui quitte la chambre de la Femme pour aller réfléchir sur le bord de la mer (figure 14). La scène finale d’Anatomie de l’enfer met en image cette relation entre la blancheur des draps du lit avec la mer, lorsque l’Homme jette du haut de la falaise la Femme qui est vêtue d’une longue robe blanche (figures 15.1 et 15.2). Enfin, on comprend que cette réécriture de La maladie de la mort n’est pas un travail de matraquage ou de destruction du texte initial. C’est plutôt un mouvement fluide du récit qui évolue, qui se transforme et se prolonge à travers le temps et les différents médias artistiques.

Figure 14

Figure 15.1 Figure 15.2

251 Marguerite Duras, La maladie de la mort, p.61. 88

3.5. Pour terminer Dans ce dernier chapitre de notre mémoire, nous avons parcouru Romance et Anatomie de l’enfer en observant les traces et références implicites à certaines œuvres littéraires qu’il est possible d’entrevoir dans ces films. Nous avons commencé par définir en quoi consistent les théories de l’intertextualité en parcourant rapidement l’évolution de la notion, posant ainsi les bases pour les différentes analyses intertextuelles qui suivent cette introduction. Il a ensuite été question des réflexions que porte Georges Bataille dans son ouvrage L’Érotisme. C’est à partir de ce texte de Bataille que nous avons soulevé plusieurs affinités avec la pensée de Breillat, dont la transgression d’interdits, la violence, la mort et le tabou de la sexualité. Par la suite, nous nous sommes attardés aux connivences entre le roman libertin du XVIIIe siècle et les deux films à l’étude. Nous avons sélectionné Thérèse Philosophe comme exemple de cette tradition littéraire pour ainsi le mettre en parallèle avec les films qui nous intéressent. Il nous a ensuite été possible de soulever plusieurs liens significatifs entre ces œuvres : au niveau de la structure narrative, de la parole donnée à des personnages femmes, de la représentation explicite d’une sexualité au féminin et surtout par cette façon de faire alterner la transmission des savoirs philosophiques et l’apprentissage des pratiques sexuelles. L’écart temporel est évident entre ces œuvres, mais il n’empêche pas de voir entre elles un certain rapport de filiation, par lequel Breillat reviendrait en quelque sorte à une pornographie éclairée, didactique et révoltée comme l’était celle du siècle des Lumières. Enfin, notre dernière analyse intertextuelle a examiné le travail de réécriture qu’a fait Catherine Breillat pour son film Anatomie de l’enfer. La cinéaste s’est inspirée de La maladie de la mort de Marguerite Duras pour écrire son roman Pornocratie, qui lui a ensuite servi de base pour son film Anatomie de l’enfer. Ainsi, nous avons observé les traces du récit initial que l’on peut toujours discerner dans le film de Breillat en sélectionnant des passages clés qui se retrouvent à la fois dans le texte de Duras et dans le film à l’étude. Par la suite, il a été possible de pointer les différences majeures et les modifications que la cinéaste a apportées à l’histoire.

Enfin, nos différentes analyses nous ont permis de mettre davantage en lumière le projet de Breillat qui est de donner une parole à ses personnages féminins et défendre la sexualité féminine à l’écran. Par conséquent, cette littérarité qui est au centre des préoccupations de

89 notre recherche se manifeste de plus en plus clairement. On comprend que le rapport avec la littérature qu’entretiennent les films de Catherine Breillat est complexe, mais grâce à l’analyse intertextuelle, il nous a été possible d’observer ce mouvement des textes, cette contamination entre les œuvres, cette mémoire de la littérature qui est palpable dans les films lorsqu’on s’arrête un moment pour l’observer.

90

Conclusion du mémoire

Ce mémoire s’est penché sur deux films de Catherine Breillat qui ont comme particularité de présenter des scènes de sexualité non simulée. Romance et Anatomie de l’enfer sont des films qui jonglent avec les codes du genre pornographique pour arriver à provoquer une réflexion sur la représentation de la sexualité des femmes. Le but de notre recherche était d’examiner la façon dont les films font plutôt une subversion des codes pornographiques, en observant plusieurs éléments formels qui s’apparentent ou rappellent le média littéraire. Cette littérarité que nous avons vu poindre dans les deux œuvres étudiées nous a permis de comprendre l’ampleur méta-réflexive des films, leur complexité narrative ainsi que le bagage référentiel qu’ils proposent. De fait, nos analyses nous ont menés à constater à quel point Romance et Anatomie de l’enfer se distinguent des films provenant de l’industrie du porno. À l’inverse de ces derniers, les films de Breillat affichent une représentation de la sexualité qui se préoccupe de la reconnaissance du désir féminin et ainsi redéfinissent la manière de montrer à l’écran la sexualité des femmes.

Notre premier chapitre s’est attardé au contexte entourant la production et la réception des films de notre recherche. Nous avons commencé par définir la tendance à laquelle ils appartiennent : la New French Extremity est un moment singulier de l’histoire du septième art puisque cette tendance a donné naissance à des films transgressifs et provocants. Il nous a paru essentiel de commencer par situer Romance et Anatomie de l’enfer dans leur contexte pour faire apparaître clairement leur dimension politique et contestataire. C’est donc après avoir positionné les deux œuvres de Breillat dans l’éventail de productions du cinéma extrême qu’il nous a été possible d’entrer graduellement dans les films pour observer la sobriété de leur esthétique et l’importance accordée à l’oralité. C’est à ce moment que nous avons pu observer combien les dialogues des personnages sont lyriques et empreints d’une multitude de figures de style étonnantes.

Notre deuxième chapitre s’est intéressé à la structure narrative de Romance et d’Anatomie de l’enfer. Nous avons convenu que ces films s’organisent à partir d’une

91 focalisation interne, ce qui permet au public d’adopter le point de vue d’un personnage en particulier lors du visionnement. Par la suite, c’est le rôle de la voix over qui a été examiné dans les deux films à l’étude. Cette voix commente les images tout en les chargeant d’un supplément de sens : elle ajoute une dimension critique aux films et parfois même, lorsque c’est la cinéaste qui prend parole, rappelle l’acte d’écriture et de création de l’œuvre. L’importance qui est donnée au narrateur verbal est un choix de réalisation qui est significatif ; cette voix donne un accès direct à l’intériorité des protagonistes, agissant ainsi de façon similaire à la fonction du narrateur dans un roman. Puis, nous avons analysé la fin de ces films qui se terminent tous les deux en une métaphore. Ces fins ouvertes, qui laissent place à l’interprétation, appellent de façon évidente la participation du public pour saisir leur signification. L’auditoire est ainsi invité à recevoir les multiples réflexions que provoque chacun de ces récits. Enfin, nous avons avancé l’idée que tous ces choix stylistiques ne sont pas sans effet ; l’inhérente subjectivité du protagoniste dans chacun de ces films permet au public d’entretenir une relation de proximité avec ces personnages, incitant du même coup les spectateur.trice.s à s’identifier avec eux. De fait, la structure narrative de Romance et d’Anatomie de l’enfer met tout en place pour favoriser le dialogue avec son auditoire en le faisant participer activement dans la création de sens de chacun des films. La littérarité se fait alors sentir dans ces divers effets de style que sont la narration en voix over, agissant telle une narration omnisciente en littérature, la métaphore comme figure de style et l’importance du langage oral qui met l’accent sur le discours verbal.

Le troisième et dernier chapitre de notre mémoire a cherché à exposer une partie des références et allusions implicites présentes dans les films de notre étude. Cette démarche intertextuelle nous a menés à relever certaines traces de textes littéraires qui nous sont apparues lors du visionnement de Romance et d’Anatomie de l’enfer. Notre première analyse s’est centrée sur quelques-unes des réflexions de Georges Bataille contenues dans son ouvrage L’Érotisme et qui nous semblaient concorder avec plusieurs thèmes abordés par Breillat dans ses films. Le dégoût lié aux menstruations et à l’accouchement, le meurtre, la transgression des interdits sociaux et le tabou de la sexualité sont des sujets que Bataille tente d’expliquer rationnellement dans son essai. Ces mêmes thématiques sont aussi présentes dans

92 les deux films de notre étude. Mettre ainsi en parallèle ces séquences particulières avec le texte de Bataille nous a permis de pointer une partie du discours philosophique que recèlent ces films. Notre deuxième analyse intertextuelle s’est intéressée aux connivences que Romance et Anatomie de l’enfer entretiennent avec le roman libertin du XVIIIe siècle. Cette incursion dans l’univers littéraire du siècle des Lumières nous a montré la possibilité d’une « pornographie éclairée », c’est-à-dire que les représentations explicites de la sexualité peuvent s’allier avec un discours philosophique et politisé. La troisième analyse intertextuelle de ce chapitre s’est centrée autour de la réécriture que Breillat a effectuée du récit La maladie de la mort de Marguerite Duras pour réaliser son film Anatomie de l’enfer. En pointant les éléments communs aux œuvres, il nous a été possible d’exposer combien Breillat a prolongé le récit de Duras et lui a ajouté une dimension féministe qui n’était pas manifeste dans l’œuvre initiale. En somme, ces différentes analyses intertextuelles nous ont permis de tisser des liens entre les films à l’étude et certaines œuvres littéraires. Remarquer ces diverses références et allusions implicites à d’autres œuvres qui sont faites dans ces films de Breillat nous a permis de soulever une partie de leur portée idéologique. Nos analyses nous ont donné à voir le discours philosophique et féministe de la cinéaste qui se reflète dans la structure narrative de ses films, mais qui également fraye son chemin par la pensée, la parole et les interactions des personnages. Au terme de notre recherche, la complexité de Romance et d’Anatomie de l’enfer nous apparaît clairement ; si les films de notre étude défient les limites du genre pornographique, c’est principalement parce qu’ils détiennent une dimension conceptuelle et philosophique qui se déploie parallèlement aux séquences explicites. En conséquent, observer la littérarité des films de Breillat fait surgir nettement cette dimension réflexive de Romance et Anatomie de l’enfer, modifiant du même coup le sens des scènes dites pornographiques.

Ce mémoire s’était donné pour objectif d’examiner le processus de subversion des codes pornographiques qui est fait dans Romance et Anatomie de l’enfer. Nous avancions l’idée que le détournement de sens de ces scènes de sexualité explicite était en partie dû à une littérarité apparente dans les films. De fait, les trois chapitres précédents ont cherché à dégager cette empreinte de la littérature, à en dessiner les contours et à comprendre ses effets

93 sur les deux œuvres à l’étude. Force est de constater que notre travail de recherche rejoint la méthode employée lors d’une analyse intermédiale. L’intermédialité est une notion théorique qui connaît son essor dans les années quatre-vingt, notamment grâce aux travaux de Jürgen E. Müller. Il définit partiellement la notion comme suit :

[…] il y a beaucoup de rapports entre les notions d'intertextualité et d'intermédialité, mais la première servit presque exclusivement à décrire des textes écrits. Le concept d'intermédialité est donc nécessaire et complémentaire dans la mesure où il prend en charge les processus de production du sens liés à des interactions médiatiques 252. Ainsi, l’intermédialité permet d’observer les interactions possibles entre différents médias au sein d’une œuvre en particulier. Cette perspective d’analyse nous semble concorder avec ce qui a occupé notre recherche : nous avons, en effet, examiné comment le média filmique aurait intégré des éléments caractéristiques du média littéraire dans les cas précis de Romance et Anatomie de l’enfer. Soulever cette assimilation de procédés spécifiques à la littérature (par exemple l’importance du langage verbal, du narrateur en voix over et des références implicites à des textes littéraires) nous a permis de mettre en relief les structures formelles singulières de ces deux films de Breillat. Si ce n’est qu’à ce moment de notre réflexion que l’intermédialité nous paraît servir notre propos, c’est parce que le terme nous semble encore aujourd’hui quelque peu ambigu. Dans son article « Prolégomènes pour une définition de l’intermédialité », Rémy Besson explique :

[…] il s’agit de constater que si l’usage du terme média a certainement favorisé la circulation du concept, il en a également rendu la définition intrinsèquement plurielle. En effet, il n’y a pas de consensus chez les chercheurs qui font usage du terme intermédialité, sur une acception du terme média253. Malgré cette affirmation, l’auteur poursuit sa définition de la notion tout en soulevant ces ambivalences. Si au départ nous hésitions à utiliser les théories de l’intermédialité dans le cadre de notre mémoire, il nous paraît maintenant important d’en faire mention. Comme nous venons de le constater, cette notion nous éclaire sur les mouvements d’influences et d’assimilations qui se font entre médias et qui sont, finalement, des tendances que nous avons remarquées dans Romance et Anatomie de l’enfer.

252 Jürgen E. Müller, « L’intermédialité, une nouvelle approche interdisciplinaire : perspectives théoriques et pratiques à l’exemple de la vision de la télévision », Cinémas, vol.10, no2-3 (2000), page 3, [en ligne] https://www.erudit.org/fr/revues/cine/2000-v10-n2-3-cine1881/024818ar.pdf (consulté en octobre 2020). 253 Rémy Besson, « Prolégomènes pour une définition de l’intermédialité », Cinémadoc, 2014, [en ligne] https://cinemadoc.hypotheses.org/2855 (consulté en octobre 2020). 94

L’ouvrage d’Emma Wilson, The Reclining Nude. Agnès Varda, Catherine Breillat and Nan Goldin254, apporte un point de vue différent sur les références que contiennent les films de notre étude. Cette professeure de l’Université de Cambridge a elle aussi observé ce mouvement intermédial dans les films de Catherine Breillat. Wilson s’est penchée sur la posture du « reclining nude », qu’elle traduit en français comme le « nu allongé » ou le « nu renversé »255. Ce thème typique de la représentation du nu en peinture est une porte ouverte qui permet à l’auteure de tisser des liens entre les films de Breillat et la tradition picturale. Elle y voit des références à Goya, notamment sa peinture La Maja Vestida (figure 17) qu’elle perçoit dans Une vieille maîtresse (2007) (figure 16). Elle y voit Georges de La Tour dans Romance et l’Origine du monde de Courbet dans Anatomie de l’enfer. Pour ce dernier exemple, elle remarque une évidente ressemblance avec le film de Breillat : « In l’Origine du monde the reclining nude’s prone body is reduced to vulva and splayed legs, where the move towards a new animality, a fallen image, pushes towards anatomical and erotic minimalism256 ». Elle ajoute plus loin : « Anatomie de l’enfer, Breillat’s exploration of the female sex as origin of the world, is made in the regime of the dying mother, its return to origins savage, visceral257 ».

Figure 16 Figure 17

254 Emma Wilson, The Reclining Nude. Agnès Varda, Catherine Breillat and Nan Goldin, Liverpool, Liverpool University Press, 2019, 201 pages. 255 Ibid., p.4. 256 Ibid., p.128. 257 Ibid., p.140. 95

Comme nous l’avons fait dans le troisième chapitre de ce mémoire, l’auteure soulève l’idée que les références contenues dans ces films, si le public les connaît au préalable, viennent en bouleverser la réception. Elle écrit : « Awareness of the reference of the painting dilates the film’s linearity, reframes this scene as a tableau, a sensory environment in which to draw out sensations attaching to reclining258 ». Cet ouvrage d’Emma Wilson démontre que l’œuvre de Breillat est effectivement propice à l’analyse intermédiale, puisque ces films sont gorgés de références à d’autres œuvres qui viennent amplifier leur dimension conceptuelle. Si Breillat réussit à faire une subversion des codes pornographiques dans ses films, elle arrive du même coup à bouleverser le cinéma lui-même. Si ses films intègrent des éléments typiques du porno, ils incluent également toute une gamme de références à d’autres formes et œuvres artistiques. On comprend alors que les séquences pornographiques présentes dans les films à l’étude ne sont qu’une fraction de leur contenu : ces scènes sont des outils qui permettent à la cinéaste de défier les barèmes entourant la représentation de la sexualité féminine au grand écran. Romance et Anatomie de l’enfer abordent crument les inégalités entre les hommes et les femmes qui subsistent toujours à l’époque actuelle, en plus de proposer une imagerie qui démystifie l’intimité et le désir au féminin. Au terme de notre recherche, on saisit clairement la façon dont l’œuvre de Breillat touche à plusieurs domaines artistiques et intellectuels, et qu’elle ne peut donc pas se réduire aux séquences explicites présentes dans les films. Finalement, beaucoup plus complexes et engagés que le cinéma pornographique traditionne l, les films de Catherine Breillat sont une célébration des femmes, mais également de l’art dans toutes ses formes et toute sa diversité.

258 Emma Wilson, The Reclining Nude. Agnès Varda, Catherine Breillat and Nan Goldin, p.111. 96

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5.6. Films cités et/ou consultés

BREILLAT Catherine, 36 fillettes, France, 1988, 92 minutes.

BREILLAT Catherine, Parfait Amour!, France, 1996, 110 minutes.

BREILLAT Catherine, Une vraie jeune fille, France, 1999, 93 minutes.

BREILLAT Catherine, À ma sœur!, France, 2001, 95 minutes.

BREILLAT Catherine, , France, 2002, 95 minutes.

105

BREILLAT Catherine, Une vieille maîtresse, France, 2007, 115 minutes.

DE VAN Marina, Dans ma peau, France, 2002, 93 minutes.

DEMAIZIÈRE Thierry et TEURLAI Alban, Rocco, France, 2016, 105 minutes.

DENIS Claire, Trouble Every Day, France, 2001, 102 minutes.

DESPENTES Virginie, Mutantes (Féminisme porno punk), France, 2009, 90 minutes.

DESPENTES Virginie et TRINH-THI Coralie, Baise-moi, France, 2000, 77 minutes.

DUMONT Bruno, Twentynine Palms, France, 2003, 119 minutes.

MANDY Marie, Filmer le désir, Belgique et France, 2000, 60 minutes.

NOÉ Gaspar, Irréversible, France, 2002, 99 minutes,

OSHIMA Nagisa, L’Empire des sens, France-Japon, 1976, 109 minutes.

PASOLINI Pier Paolo, Saló ou les 120 jours de Sodome, Italie, 1975, 145 minutes.

SCOTT Ridley, Thelma et Louise, USA, 1991, 130 minutes.

SHER KLEIN Bonnie, C’est surtout pas de l’amour : un film sur la pornographie, Québec, 1981, 69 minutes.

5.7. Référence des figures

Figure 1 : BREILLAT Catherine, Romance, France, 1999, 00 :22 :33 minutes.

Figure 2 : BREILLAT Catherine, Romance, France, 1999, 00 : 07 : 14 minutes.

Figure 3 : BREILLAT Catherine, Romance, France, 1999, 00 :02 :04 minutes.

Figure 4 : BREILLAT Catherine, Romance, France, 1999, 00 :02 :06 minutes.

Figure 5 : BREILLAT Catherine, Romance, France, 1999, 00 :49 :58 minutes.

Figure 6 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :33 :32 minutes,

Figure 7 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :43 :05 minutes.

106

Figure 8.1 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :16 :06 minutes.

Figure 8.2 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :31 :40 minutes.

Figure 8.3 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :41 :04 minutes.

Figure 9 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :00 :01 minutes.

Figure 10 : BREILLAT Catherine, Romance, France, 1999, 01 :30 :48 minutes.

Figure 11.1 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :12 :14 minutes.

Figure 11.2 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :43 :41 minutes.

Figure 12 : Patrick Wald Lasowski, « Notice sur les gravures libertines », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.LXXIII.

Figure 13.1 : Boyer D’Argens, « Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.941.

Figure 13.2 : Boyer D’Argens, « Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.889.

Figure 13.3 : Boyer D’Argens, « Thérèse Philosophe », Romanciers libertins du XVIIIe siècle, p.915.

Figure 14 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 00 :31 :01 minutes.

Figure 15 : BREILLAT Catherine, Anatomie de l’enfer, France, 2003, 1 :13 :30 minutes.

Figure 16 : « Une vieille maîtresse », Cineman, [en ligne :] https://www.cineman.ch/fr/film/2007/UneVieilleMaitresse/ (consulté en novembre 2020).

Figure 17 : « Artichive : ‘La maja vestida’ », Dawn, 2016, [en ligne] https://www.dawn.com/news/1265582/artichive-la-maja-vestida (consulté en novembre 2020).

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