Faxr Al-Din ’Eraqi Eve Feuillebois-Pierunek
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A la croisée des voies célestes: Faxr al-din ’Eraqi Eve Feuillebois-Pierunek To cite this version: Eve Feuillebois-Pierunek. A la croisée des voies célestes: Faxr al-din ’Eraqi : Poésie mystique et expression poétique en Perse médiévale (XIIIe siècle). Institut Français de Recherche en Iran, pp.347, 2002, Bibliothèque iranienne 56. hal-00611195 HAL Id: hal-00611195 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00611195 Submitted on 25 Jul 2011 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. A LA CROISEE DES VOIES CELESTES FAXR AL-DIN ‘ERAQI Poésie mystique et expression poétique en Perse médiévale Eve FEUILLEBOIS-PIERUNEK 2011 1 SOMMAIRE Introduction I Métaphysique : de l‟Amour 1. Préliminaires 2. Unité et tri-unité 3. Le couple Aimé-amant - La Remontée vers l‟Un 4. L‟univers des théophanies 5. La réalisation spirituelle II Typologie des personnages 1. L‟amant 2. L‟Aimé 3. Autres personnages III Le cheminement dans la Voie 1. Psychologie mystique 2. Les expériences heureuses 3. Les expériences douloureuses IV Modes d‟expression 1. Le libertinage 2. L‟ivresse et le vin 3. Shâhedbâzi et amour métaphorique Conclusion Bibliographie 3 4 INTRODUCTION Poète, métaphysicien et maître spirituel, „Erâqi est un auteur mystique persan du XIIIe siècle à la pensée riche en éléments psychologiques et doctrinaux, mais encore peu étudié même en Iran. Le XIIIe siècle peut être considéré comme un moment historique majeur de l‟histoire de la pensée en Iran. L‟invasion mongole va favoriser un brassage des idées sans précédent. Deux grandes écoles mystiques vont se rencontrer : le soufisme spéculatif d‟Ibn „Arabî, d‟expression arabe (wahdat al-wujud), et le soufisme khorassanien s‟exprimant à travers la poésie et la métaphore. „Erâqi sera l‟un des artisans de cette rencontre et contribuera à concilier les deux courants en une féconde synthèse qui influencera durablement la spiritualité iranienne. Il sera l‟un des transmetteurs du courant akbarien à l‟Iran sous une forme poétique et moins absconse. Il ne se démarque pas pour autant de la tradition dont il reste un chaînon parmi d‟autres. C‟est pourquoi son œuvre et sa pensée, bien que marquées du sceau de sa personnalité, sont en quelque sorte exemplaires, et représentatives de toute la poésie classique persane. Peu d‟études analytiques ont été jusqu‟ici consacrées à l‟œuvre et à la pensée des poètes mystiques persans. Le soufisme classique et le soufisme spéculatif nous sont maintenant mieux connus grâce à une série de travaux de grande valeur. Or, à côté de ce soufisme exprimé en traités savants, il existe une riche tradition mystique persane essentiellement véhiculée par la poésie. Le grand explorateur de l‟islam iranien que fut Henry Corbin l‟avait un peu traitée en parente pauvre. En littérature persane, un travail considérable a été accompli : d‟érudites histoires de la littérature persane ont vu le jour, des textes fondamentaux ont été édités et des traductions des grandes œuvres sont apparues. Les chercheurs iraniens se sont penchés sur le côté formel de la poésie. Peu cependant se sont risqués à analyser les idées exprimées dans cette poésie. Pour les Iraniens, interpréter les vers d‟un grand poète est pratiquement un sacrilège, et en tous cas une altération de sa pensée et la destruction de son mystère. Pour l‟Occidental moyen, la poésie est presque exclusivement un art du langage, une fiction littéraire au caractère purement esthétique : il n‟y cherchera donc pas spontanément une théologie mystique ou une métaphysique cohérentes. 5 Hellmut Ritter nous a cependant fourni une étude très fouillée de la pensée de „Attâr et Fritz Meier lui a succédé avec Bahâ‟ al-din Valad, tandis qu‟Annemarie Schimmel s‟intéressait à Mowlavi. Ces chercheurs ont été, chacun à leur manière, mes guides appréciés dans le choix de ma méthode de travail. Cette monographie sur „Erâqi est à la limite entre la littérature persane et le soufisme, entre l‟analyse littéraire et l‟histoire des idées. L‟analyse stylistique a été délibérément laissée de côté ; c‟est la pensée mystique de „Erâqi qui a retenu toute mon attention. D‟ailleurs, les Iraniens ne considèrent pas ce poète comme un virtuose de la forme. Je me suis donc efforcée de présenter ce qui m‟a particulièrement frappée dans les écrits placés sous le nom de „Erâqi : sa métaphysique, sa vision des relations de l‟homme et de Dieu, la structure et l‟expression d‟un cheminement spirituel, une psychologie mystique, les conventions littéraires à travers lesquelles il parle, encore aujourd‟hui, à chacun de nous. Quelles sont les grandes thèses de sa pensée métaphysique ? Qu‟emprunte-t-il à ses deux inspirateurs, Ibn „Arabi et Ahmad Ghazâli ? L‟amour y joue un rôle prépondérant. Quelles sont les caractéristiques respectives de l‟amant et l‟aimé ? Quelle est la signification des métaphores anthropomorphiques qui se rapportent à l‟Aimé ? Qui est-Il réellement ? Comment atteint-on à la perfection de l‟amour ? Quelle vision du combat spirituel l‟auteur nous présente-t-il ? Quelles sont les étapes du cheminement spirituel ? Leur étude permet d‟engager une réflexion sur la psychologie mystique en Islam. Sera-t-il possible d‟en tirer quelques conclusions sur les catégories anthropologiques de l‟expérience mystique? Quelles sont les moyens d‟expression de „Erâqi ? Quelles images, quelles métaphores, quels clichés emploie-t-il ? Quelle est sa place dans l‟histoire de la poésie ? Je me suis intéressée au vocabulaire technique et aux nuances qu‟un même terme revêtait chez différents auteurs au cours du temps. Les termes techniques employés par „Erâqi sont hérités de différentes écoles mystiques qui les comprennent parfois différemment (premiers traités du Xe siècle d‟une part, école khorassanienne et école d‟Ibn „Arabi, d‟autre part, qui donneront conjointement les traités d‟Estelâhât poétiques persans). Je me suis efforcée de m‟en tenir à une approche phénoménologique, d‟étudier la pensée de cet auteur par ses écrits mêmes en restant le plus près possible du texte et sans essayer de la faire rentrer artificiellement dans des cadres conceptuels. Cela ne m‟a pas empêchée de signaler parfois telle ressemblance de pensée avec d‟autres auteurs de la même ère culturelle. Je me suis efforcée d‟introduire chaque thème par une 6 brève présentation de sa genèse et de son évolution historique, afin de le replacer dans son contexte. Les traductions des poèmes qui illustrent mes propos n‟ont aucune prétention à l‟élégance, leur but étant essentiellement de présenter des idées. Le lecteur occidental confronté à la littérature persane classique ne peut manquer d‟être frappé par l‟emprise de la tradition et une apparente monotonie au niveau du fond et de la forme : la notion de propriété littéraire et de plagiat n‟existe pas, les mêmes thèmes sont inlassablement repris et développés d‟une manière stéréotypée, les auteurs semblent se répéter indéfiniment au sein de leurs propres œuvres. Tout paraît immuable, intemporel, détaché des contingences et des appartenances individuelles. Tout au plus observe-t-on au fil du temps une stylisation croissante : les particularités disparaissent, le nombre des thèmes et des images diminue. En quoi consiste donc l‟originalité d‟un auteur ? Le poète, prisonnier de ce conservatisme, ne peut se démarquer que par d‟heureuses variantes, des juxtapositions de thèmes traditionnels, l‟amplification ou la réduction d‟un thème, le décalque d‟un schéma de description. L‟art ne consiste pas à multiplier les sujets, mais à réexprimer toujours plus subtilement les thèmes existants. Le poète garde pourtant une certaine liberté d‟exprimer ses sentiments et ses émotions : c‟est son expérience personnelle que nous livre „Erâqi dans ses poèmes, mais sous une forme épurée par les stéréotypes de sorte qu‟elle devient une expérience universelle, applicable à chacun de nous. Pour le poète persan, une note trop personnelle limiterait, refermerait le sens. Or, le sens doit rester ouvert: un poème parle à chacun selon sa personnalité, son état d‟âme du moment, et sa signification se renouvelle à chaque lecture. Il est donc difficile d‟isoler un auteur de la tradition et de montrer clairement en quoi consiste son “originalité” que ce soit au niveau du style ou au niveau de la thématique. Nous n‟avons pas entrepris ici de comparaison avec d‟autres poètes persans : elle aurait risqué d‟être superficielle et de tirer des conclusions hâtives. Lorsque les différents auteurs auront été étudiés de manière poussée, alors peut-être sera-t-il possible d‟entamer une recherche comparative pertinente. Il est également ardu de trancher en faveur de l‟authenticité ou de l‟inauthenticité d‟une œuvre douteuse attribuée à tel auteur. Par ailleurs, la justesse d‟une attribution est d‟une importance tout à fait secondaire pour la culture orientale : autour de chaque grand auteur s‟est constituée une nébuleuse d‟œuvres qui ne sont pas de lui, mais qu‟on lui attribue parce qu‟elles sont écrites dans le même esprit et illustrent la même tradition. Souvent, ce sont les auteurs 7 mêmes de ces ouvrages qui, obscurs ou inconnus, ont usurpé un grand nom pour assurer un renom à leurs écrits. Mais la pseudépigraphie n‟enlève rien à la valeur d‟une œuvre.