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MASTER 2 – DROIT ET MANAGEMENT PUBLICS DES COLLECTIVITES TERRITORIALES –

Formation des Elèves Colonels. La Guerre de la Décentralisation aura-t-elle lieu ? L’avenir du Département.

Lieutenant-Colonel Laurent PILLE.

ENSOSP – Année 2018/2019.

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« Là où les assemblées provinciales ont gardé, sans rien y changer, leur antique constitution, elles arrêtent le progrès de la civilisation plutôt qu’elles n’y aident ; on dirait qu’elles sont étrangères et comme impénétrables à l’esprit nouveau des temps. »

Alexis de Tocqueville. L’Ancien Régime et la Révolution.

Page 2 sur 74 SOMAIRE :

Partie I - Le Département comme fondement historique de l’organisation territoriale Républicaine ; la migration lente d’une entité déconcentrée vers la décentralisation.

1.1 La naissance du département ; une entité ambigüe .

1.2 Dès sa création, le département va évoluer vers un modèle à velléités décentralisatrices.

1.3 Les clés de la compréhension des tiraillements contemporains.

Partie II - Le Département comme pilier de la décentralisation devenu l’enjeu clivant d’un acte 3 raté.

2.1 Les apports des réformes des actes I et I de la décentralisation.

2.2 L’acte III de la décentralisation ; une réforme aux ambitions politiques anihilées.

2.3 Le maintien du département de l’ordre du possible.

Partie III – Vers un acte IV de la décentralisation :la suppression des départements est-elle le seul prérequis à une réforme ambitieuse et conforme à la réalité du territoire ?

3.1 Le département issu de l’Acte III de la décentralisation : un paradoxe.

3.2 La différenciation, un concept ancré dans le paysage constitutionnel.

3.3 Vers un acte IV ? la constitutionnalisation du droit à la différenciation territoriale.

Page 3 sur 74 INTRODUCTION :

Les conseils généraux ont vécu". Par cette déclaration de 2014, François Hollande, alors Président de la République, semblait sceller le sort des départements, en qualité de collectivité territoriale. En France, le département est historiquement à la fois une division administrative de l’État territorial et une collectivité territoriale. Il nait à l’époque de la Révolution. L’objectif initial qui prévaut à sa création est la volonté de rapprocher les citoyens de l’administration. Napoléon Bonaparte organise ensuite le département autour du préfet, dans une vision centralisatrice de l’État. Au cours de la IIIème République, la collectivité territoriale est ensuite créée en 1871, le préfet conservant toutefois le pouvoir exécutif. Ce n’est que plus d’un siècle plus tard, que les lois de décentralisation de 1982 consacrent la collectivité territoriale « département ». Aujourd’hui la France compte 101 départements, 96 en métropole et 5 en outre-mer. Ils ont acquis ou se sont construits, tout au long de ces deux siècles, une place au sein de la société française, un poids social, économique, politique, tout en demeurant incompris dans ce rôle. Il a été remis en cause très tôt mais il en est toujours ressorti conforté des diverses réformes à l’occasion desquelles il était menacé. Les départements apparaissent aujourd’hui au cœur des enjeux des réformes territoriales. Ils ont cristallisé sur leur devenir des débats fournis à l’occasion de la dernière réforme de la décentralisation , qualifiée d’Acte III1de la décentralisation. Coupable de nombreux maux ; tout d’abord son coût et ensuite une capacité à complexifier la mise en œuvre de politiques publiques en raison d’un enchevêtrement au sein duquel il évolue, connu sous le nom de mille feuilles administratif. Sa suppression serait pour les partisans d’une région forte et d’une conception fédéraliste de notre organisation territoriale, le gage d’une meilleure organisation locale et permettrait à elle seule de fluidifier les mécanismes territoriaux. Un examen des différentes définitions reprises dans des revues ou les ouvrages juridiques permet de dégager une dénomination générique qui semble faire consensus. La décentralisation se définit comme le transfert de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales dotées de la personnalité morale, autonomes financièrement qui disposent désormais d’un exécutif et de compétences propres et avec comme objectif, la mise en œuvre optimale des décisions au niveau local. Cette réponse correspond à toute l’histoire de la décentralisation, en ce qu’elle a vu, dès 1982 (Acte

1 Acte III qui débute avec la Loi de Réforme des Collectivités territoriales de 2010 et qui se termine avec la Loi de Modernisation de l’Action publique et d’affirmation des Métropoles (MAPTAM) du 27/01/2014 et la Loi Nouvelle Organisation Territoriale de la République NOTRe du 7/08/2015.

Page 4 sur 74 I) un transfert massif de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales. En cela, s’interroger sur le devenir du département ou de toute collectivité, c’est finalement s’interroger sur la manière dont a été conçue cette décentralisation et en filigrane, sur la possibilité de penser cette décentralisation autrement quitte à en modifier ou compléter sa définition. En effet comme le proclamait le Professeur Chapus1 : « La décentralisation possède une signification ; la décentralisation ne constitue pas une simple technique d’administration ». Cette définition donnée par cet éminent juriste permettrait à elle seule d’arbitrer le débat. Pour autant les enjeux actuels s’expliquent par deux cents années durant lesquelles, la décentralisation a été théorisée et cela, selon deux conceptions. Selon la première, le pouvoir local doit être tourné vers le territoire et ses citoyens de sorte à mieux appréhender les besoins locaux. La seconde, consisterait à faire exercer par le local les compétences de l’Etat, sans véritablement contribuer à l’élaboration de la politique publique. L’expérience de la décentralisation française semble s’être inspirée de cette seconde ligne. Dans ce contexte, la question que pose notre sujet est celle de savoir quels peuvent être les mutations, les bouleversements, que vont devoir engager les pouvoirs publics afin de renouveler, réinventer et redynamiser la décentralisation, regagner en efficience et répondre toujours mieux aux attentes des citoyens en quête de « mieux » de services publics. Cette réflexion dit-elle absolument avoir comme préalable la suppression du département « coupable » de gripper à lui seul la machine territoriale ? Nous tenterons d’y apporter une réponse décomposée en trois parties. Dans la première partie, nous étudierons l’histoire du département, sa genèse ; préalable indispensable à la compréhension du contexte contemporain. Il y sera développé l’idée que le département s’est progressivement imposé comme entité décentralisée mais au prix de luttes constantes. A peine né, son existence était déjà menacée. Dans la seconde partie, nous retracerons le parcours du département au travers des trois actes de la décentralisation, passant d’un statut de pilier à celui d’élément clivant alors qu’il aura été confirmé à chacun des stades de ces réformes et que l’idée de sa suppression semble s’éloigner. Enfin, la troisième partie sera consacrée au scénario que pourrait revêtir le renouvellement de la décentralisation au travers d’une réforme constitutionnelle qui préserverait le département tout en exploitant la piste de la différenciation territoriale portée par le Président de la République.

1 René Chapus,1924 – 2017, juriste et professeur émérite de l’Université II, spécialiste en droit public.

Page 5 sur 74 I. LE DEPARTEMENT COMME FONDEMENT HISTORIQUE DE L’ORGANISATION TERRITORIALE REPUBLICAINE ; LA MIGRATION LENTE D’UNE ENTITE DECONCENTREE VERS LA DECENTRALISATION.

Il est de coutume de lier le présent à son passé ou tout au moins de trouver les clés de compréhension contemporaines dans l’antériorité. Sans vouloir y trouver l’explication du désamour inhérent au département, il n’en demeure pas moins que la situation actuelle peut trouver des éclaircissements dans le passé. Il convient donc de remonter quelques siècles en arrière, au moment de la création de l’entité département, plus précisément, au moment de la Révolution Française. La question se pose donc de savoir ce que cette genèse, peut nous apporter, tant en ce qui concerne la manière dont le département a été pensé et conçu que de son évolution jusqu’à ne plus ressembler du tout au modèle souhaité par ses géniteurs révolutionnaires. Sans avoir la présomption de vouloir répondre de manière péremptoire à la question de l’avenir du département, il s’agit à ce stade, de s’approprier les conditions et le contexte de sa naissance, la manière dont il a évolué depuis 1790 jusqu’à la réforme de 1982 portée par Gaston Deferre alors Ministre de l’Intérieur sous le Gouvernement de . Nous porterons un regard rétrospectif en analysant son évolution progressive vers sa décentralisation ; ce parcours nous permettant d’expliciter et de comprendre les incertitudes contemporaines. 1.1 La naissance du département ; une identité ambigüe.

1.1.1 Aux origines du Département.

La construction juridique du département a évolué au fil du temps, des réformes et des besoins. Entérinés par les Décrets du 26 Février et du 4 Mars 1790, les départements sont créés le 22 décembre 1789 par l'Assemblée constituante en lieu et place des provinces de France. L’idée que poursuivent les créateurs est que ce découpage délimite une portion de territoire assez petite pour être gérée facilement autour d’un chef-lieu. Par ailleurs, la taille de chaque département est établie afin qu’il soit possible de se rendre au chef-lieu et en revenir en moins d'une journée de cheval depuis n'importe quel point du territoire. A cette époque, si on ne parlait pas encore du mille feuilles administratif, cette création avait aussi pour vocation une simplification d’un enchevêtrement administratif. Après plusieurs

Page 6 sur 74 propositions émanant de Sieyès 1 , Thouret2 ou Mirabeau3 , la France est divisée par l’assemblée en 83 départements . Différentes propositions avaient été faites : Sieyès et Thouret proposèrent un découpage en 80 départements de 18 lieues de côté. Mirabeau quant à lui soumettait un découpage en 120 départements, avec des entités plus petites et, dont le découpage n’avait pas pour vocation à être équivalent. La constituante a donc fait le choix d’un découpage en 83 départements avec comme ambition la conservation de l’histoire et de la géographie locales. A cette occasion, la disparition d’une administration multi séculaire était actée ainsi que le découpage sur lequel elle reposait jusqu’à l’abolition de la Province et de ses délimitations géographiques. L’objectif de rationalisation et d’uniformisation était en passe d’être atteint. Au sein de chacun d’entre-deux, une assemblée de 6 membres, annonciatrice du conseil général, est chargée de leur administration. Ce conseil général est toutefois soumis à un commissaire central, successeur de l’intendant de l’ancien régime et prédécesseur du préfet. La loi du 28 pluviôse an VIII instaure le découpage du département en arrondissements, cantons et communes. Elle crée également les préfectures et sous-préfectures, le poste de préfet et les conseils généraux. Le 3 Juillet 1848, la IIème République instaure l’élection des conseillers généraux au suffrage universel, à raison d’un élu par canton.

1.1.2 Une entité déconcentrée ?

Après la révolution, le territoire français est empreint d’une forte centralisation. La constitution du 3 Septembre 1791 dispose que « le royaume est un et indivisible : son territoire est divisé en quatre-vingt-trois départements, chaque département en districts, chaque district en cantons ». Le département, créé par un décret voté par l’Assemblée Nationale4 le 22 décembre 1789 (texte devenu loi le 8 Janvier 1790) revêt un caractère quelque peu ambigu au regard de son ADN initial et en comparaison avec ce qu’il est devenu.

1 Emmanuel Sieyès (1748-1836), homme d’église, inspirateur de la Révolution française 2 Jacques-Guillaume Thouret (1746-1794), homme politique français rédacteur du cahier des doléances à la Révolution 3 Honoré-Gabriel Riqueti de Mirabeau (1749-1791), écrivain, diplomate, journaliste et homme politique français 4 A cette époque, l’assemblée Nationale adopte aussi les décrets, la notion de pouvoir règlementaire n’a pas encore émergé.

Page 7 sur 74 En effet, dans sa version native, les organes administratifs le composant sont au nombre de trois : - Une assemblée qui aura rapidement la dénomination de conseil général, composée de trente-six membres, renouvelable par moitié chaque année. - Un directoire de département (exécutif du département), composé de huit membres élus. - Un procureur général syndic, représentant le roi et élu pour 4 ans. Malgré cette organisation quelque peu « hybride », ce département tel qu’il est créé n’est pas une structure décentralisée mais bien déconcentrée. Pour en avoir la certitude, il convient d’appréhender le champs d’action de ces départements version 1790.La loi charge ces derniers « sous l’autorité et l’inspection du roi, comme chef suprême de la Nation et de l’administration générale du royaume, de toutes les parties de l’administration ». Au regard de cette définition, le département doit être appréhendé comme collaborant à « l’administration Générale du royaume ». Il est toutefois naïf de penser que ce département ne fait que contribuer à l’organisation de l’administration territoriale de l’Etat. La Constituante souhaite également pouvoir contrôler ces administrations départementales. Les assemblées départementales sont tout d’abord soumises « sous l’inspection du corps législatif », conformément à la loi du 22 décembre 1789, pour tout ce qui concerne ses attributions d’ordre financier. Rapidement, un assouplissement contribue, dans les premiers temps, non pas à laisser de côté la vocation déconcentrée pour un biais décentralisateur mais bien de faire cohabiter les deux vocations. Dès 1791, il est permis au département de gagner en indépendance, en levant un impôt, « des sous additionnels aux contributions foncières et mobilières ». Cette dynamique correspond par ailleurs à la suppression des impôts indirects au profit d’impôts directs auxquels nous renvoient les impôts dits « les quatre vieilles » en 1791. Les trois premières ont été introduites par l’Assemblée constituante dès 1791 : - La contribution foncière portant sur tous les terrains. - La contribution personnelle et mobilière, portant sur tous les revenus qui ne sont pas tirés du commerce ou de la terre (rente, industrie). - La contribution de la patente, qui taxe les professions selon des signes extérieurs.

Page 8 sur 74 La quatrième imposition était la contribution sur les portes et fenêtres, qui n’a vu le jour qu’en 1798, sous le Directoire1. Dans le même esprit d’équité voulu par cette réorganisation, l’Etat prône ainsi une volonté de briser le système fiscal impopulaire et de le rendre plus égalitaire. Le terme de contribution renvoie à une notion de geste civique et consenti même si ces quatre contributions sont toutes des impôts directs sans en avoir le nom. Pour autant, la ligne issue de la période révolutionnaire peine à se stabiliser. Estimant que les départements se montrent trop modérés pour ce qu’il s’agit de faire perdurer et progresser sur le territoire le modèle révolutionnaires, la Convention décide le 19 Octobre 1792 que les administrations départementales seraient désormais élues au suffrage universel. Paradoxalement, cette modification dans le mode d’élection des départements contribue à positionner progressivement ceux-ci dans une position de défiance, d’opposition, voire d’insurrection vis-à-vis de la Convention2 . En réaction, et de sorte à ne pas laisser s’installer les départements dans cette opposition, la Convention suspend et destitue les membres des assemblées. Elle supprime également les conseils généraux et les procureurs généraux (syndic). Contrariant la démarche de 1791 et la création des départements, la France traverse alors une période centralisatrice qui dure jusque 1795.Durant cette période, les départements sont même redécoupés de sorte en assurer un meilleur contrôle. Ce n’est qu’en Avril 1795 que le département comme administration est rétabli mais reste toujours délesté de son conseil général. La constitution du 22 Août 1795 donne naissance à une nouvelle organisation ; l’administration du département sera désormais constituée de cinq membres dont le renouvellement s’effectuera par cinquième chaque année. La réélection ne sera possible qu’une seule fois. A ce stade les fonctions de ces administrations demeurent restreintes au regard de l’article 190 de cette constitution : « Les administrateurs sont essentiellement chargés de la répartition des contributions directes et de la surveillance des deniers provenant des revenus publics dans leur territoire. Le Corps législatif détermine les règles et le mode de leurs fonctions, tant sur ces objets, que sur les autres parties de l'Administration intérieure ». Le cadre du contrôle par l’administration centrale reste contraint ; les articles 193 et 194 en témoignent :

1 Ière République –Directoire - 26 octobre 1795 – 9 novembre 1799 2 Convention 21 septembre 1792 – 26 octobre 1795 - coup d’état montagnard du 2 juin 1793.

Page 9 sur 74 - Article 193.Les administrations municipales sont subordonnées aux administrations de département, et celles-ci aux ministres. En conséquence, les ministres peuvent annuler, chacun dans sa partie, les actes des administrations de département ; et celles-ci, les actes des administrations municipales, lorsque ces actes sont contraires aux lois ou aux ordres des autorités supérieures. - Article 194.Les ministres peuvent aussi suspendre les administrations de département qui ont contrevenu aux lois ou aux ordres des autorités supérieures ; et les administrations de département ont le même droit à l'égard des membres des administrations municipales. Sous l’Empire, la tendance des années antérieures se confirme ; le département reste cantonné au statut de circonscription administrative. La constitution du 13 Décembre 1799 (22 Frimaire an VIII) présente le territoire Français comme « distribué en départements et arrondissements communaux » mais à aucun moment comme une entité décentralisée, collectivité locale. Evolution confirmée avec la création des Préfets par la loi du 28 Pluviôse an VIII (17 Février 1800) qui demeure la loi principale pour ce qui concerne l’organisation administrative du territoire français. L’article 2 déclare : « Il y aura dans chaque département un préfet, un conseil de préfecture, et un conseil général de département, lesquels remplissent les fonctions exercées par les commissaires de départements ». L’article 3 précise que « le préfet sera seul chargé de l’administration ». Toute ambiguïté est ici levée puisque le département ne détient à ce stade aucune fonction propre et demeure un cadre d’évolution et de mise en œuvre pour l’Etat. Prémices des évolutions un décret du 5 Juillet 1808 confiant aux départements le soin de lutter contre la mendicité et d’organiser à cette fin les dépôts de mendicité est adopté ; le contexte de guerre qu’il faut bien financer contraint l’Empereur à se délester de la charge de certaines dépenses. Ce glissement se poursuit et semble amorcer un mouvement plus explicite avec la « concession gratuite aux départements et aux communes de la pleine propriété des édifices et bâtiments nationaux actuellement occupés pour le service de l’administration, des cours et tribunaux et de l’instruction publique », par décret impérial 9 Avril 1811 (article 1). Dans son article 3, l’empereur ne laisse aucune ambiguïté sur les conséquences pécuniaires de cette concession puisqu’il y est précisé qu’il leur reviendra de « supporter aussi à l’avenir les grosses et menues réparations ».

Page 10 sur 74 L’exposé des motifs de ce décret impérial ne fait nul doute sur l’opportunité qui amène à cette décision ; il ne s’agit donc pas véritablement de responsabiliser les échelons territoriaux locaux mais bien d’une opportunité financière. « Notre trésor impérial a déjà avancé des sommes considérables pour leur réparation (…) l’intérêt particulier de chaque département, autant que de celui de notre trésor, serait que les départements, arrondissements et communes fussent propriétaires desdits édifices » A l’instar de ce qu’il pourra advenir quant aux compétences transférées vers les collectivités locales, ce dernier épisode constitue déjà un indice de pragmatisme politique qui semble vouloir précipiter le département vers plus de souplesse.

1.2 Des velléités décentralisatrices.

1.2.1 Une évolution lente.

Ce cheminement progressif permettra de faire évoluer les lignes jusqu’à la loi du 10 Août 1871 qui constituera une date clé. Après l’empire1, le département commence progressivement sa mue et présente des signaux de décentralisation ;une réflexion émerge sans pour autant emporter le lancement d’une réforme. Durant cette période plusieurs points de vue abondent le débat. Pour les pro décentralisation, le pouvoir de l’état exercé à l’échelon local n’est pas satisfaisant et ne correspond pas aux besoins locaux. Pour défendre cette position que le député Villèle2, dans son discours à la chambre, critique le pouvoir exercé localement par « des commis subalternes ». Le Ministre de l’intérieur3 tente de précipiter la réflexion et exprime le fait qu’ une réforme de l’administration locale est urgente. Ce dernier est rapidement repris par le Conseil d’Etat qui pose le postulat suivant, arbitrant ainsi les débats : « Les départements forment seulement des divisions territoriales pour la facilité du travail de l’administration ; dans l’administration actuelle ils ne composent pas des associations distinctes, ni des corps ou des agrégations susceptibles de l’application des principes suivis à l’égard des communes et des établissements publics et particuliers ».

1 18 Mai 1804 – 14 Avril 1814. 2 Joseph de Villèle, comte de Villèle, 1773 - 1854 est un homme politique français qui exerça entre autres les fonctions de président du Conseil des ministres entre 1821 et 1828. 3 Joseph-Henri-Joachim1, vicomte Lainé, né le 11 novembre 1768 à Bordeaux et mort le 17 décembre 1835 à Paris,

Page 11 sur 74 Faut-il y voir émerger la question de la personnalité morale du département, ce qu’à l’évidence, ils ne détiennent pas au regard du raisonnement du Conseil d’Etat et qui semble être un préalable à toute évolution de la doctrine. Le Conseil d’Etat effectue sur ce champs la différenciation avec la commune qu’il ne met pas sur le même rang. Ce statut quo est causé d’une part par un manque de volonté des élus qui assument une volonté complètement inverse. D’autre part, les notables locaux font le lien entre la décentralisation vers les départements et l’augmentation des dépenses locales représentant de fait un vecteur d’augmentation des impôts (les centimes additionnels). A ce titre, et donc par soucis de maîtrise des dépenses, ils leurs arrive régulièrement de s’opposer aux projets des Préfets qu’ils jugent dispendieux.

1.2.2 Le régime de 1830 donne une impulsion forte.

Le nouveau régime qui s’installe en 1830 fait de la réforme territoriale un objectif à part entière. L’article 69 de la charte de 18301 affirme qu’il est du ressort de la loi d’établir des institutions départementales et communales. Deux textes de loi seront votés en application de cette disposition. La première, datée du 22 Juin 1833 consacre notamment les modalités d’élection des membres des conseils généraux. Ce texte a une portée décentralisatrice car elle remet au gout du jour les départements mais sans toutefois ancrer cet échelon dans une démocratie exacerbée. En effet, les membres du conseil général sont désignés par les électeurs qui désignent les députés (capacité qu’ils détiennent au regard du versement de cens ce qui maintient à l’écart une très grande partie de l’électorat potentiel). La seconde loi, datant du 10 mai 1838, a un impact plus important que la précédente. Celle-ci consacre désormais la personnalité juridique du département ; point de désaccord fort des élus mais essentiel dans ce processus. Elle valide également des compétences aux conseils généraux ; celles-ci réparties en trois domaines distincts. Les conseils généraux sont donc désormais appelés à agir de la manière suivante : - Prise de décisions exécutoires. - Par des délibérations qui doivent être soumises à approbation du gouvernement.

1 La Charte constitutionnelle du 14 août 1830 est la constitution qui fonde la monarchie de Juillet, nouveau régime issu des émeutes des 27, 28 et 29 juillet 1830, dites les Trois Glorieuses.

Page 12 sur 74 - Dans des matières où son implication se fera par le bais d’avis ou de vœux. A l’identique, ses dépenses sont organisées avec les dépenses dites « ordinaires » qui ont la particularité d’être obligatoires et les dépenses dites « facultatives d’utilité départementale ». Pour ces dernières, la liberté de dépenses du conseil général est reconnue. Charles de Rémuzat1 résume le sentiment d’adhésion à ce début de réforme qui prend date pour le futur, comme réel point de départ du développement du département « collectivité décentralisée ». Selon lui, l’institution des conseillers généraux « est la meilleure de nos institutions administratives. On y a touché depuis, que pour la restreindre et la gâter, et tant qu’elle a fonctionné librement, elle n’a pas donné lieu à une plainte. Je ne lui connais ni défaut, ni abus ». Pour autant, le législateur ne souhaite pas aller plus loin dans l’immédiat. Après la chute de la Monarchie de Juillet (1830/1848), l’instabilité politique ambiante ne laisse pas une place immédiate à une réflexion avancée concernant le devenir et le mode de fonctionnement des collectivités territoriales. Il faut attendre la désignation de la nouvelle assemblée constituante et la loi du 3 Juillet 1848 qui acte le renouvellement des conseils départementaux dans leur organisation antérieure mais avec, évolution notable, l’élection des leurs conseillers au suffrage universel. Lorsqu’il s’est agi de rédiger la nouvelle constitution, la commission de constitution voit s’affronter les partisans de la décentralisation et de la centralisation. Membre de cette commission, Alexis de Tocqueville2 fait part de son sentiment : « En France, il n’y a guère qu’une chose qu’on ne puisse faire : c’est un gouvernement libre, et qu’une institution qu’on ne puisse détruire :la centralisation. Comment pourrait-elle périr ? Les ennemis des gouvernements l’aiment et les gouvernements la chérissent ». L’idée de faire avancer la décentralisation est imposée par ses partisans. En effet, le texte constitutionnel du 4 Novembre 1848 consacrera 5 articles à la décentralisation. - Article 77 : « dans chaque département, une administration composée d’un préfet, d’un conseil général, d’un conseil de Préfecture ». - Article 78 affirme qu’une loi déterminera les compétences et la composition des instances départementales mais aussi cantonale et communale.

1 Mémoires de ma vie t2 - Charles-François-Marie, comte de Rémusat né à Paris le 13 mars 1797 et mort à Paris le 6 juin 1875 (à 78 ans), est un homme politique et philosophe français. 2 Souvenirs - Alexis-Henri-Charles Clérel, comte de Tocqueville, généralement appelé par convenance Alexis de Tocqueville, - 1805 – 1859.

Page 13 sur 74 - Article 89 confirme le suffrage universel comme mode de désignation des conseillers Généraux et autres…et précise à cet égard que « chaque canton élit un conseiller général ». - Article 80 rappelle la tutelle de l’état, reconnaissant au Président de la République la possibilité de dissoudre les conseils Généraux, Cantonaux et municipaux « de l’avis du Conseil d’Etat ». Cette formulation semble signifier que le Président de la République est tenu l’avis rendu par cette haute juridiction du contentieux administratif. Cf nota 20 p20. Malgré les engagements pris par la constitution du 4 Novembre 1848, les tiraillements entre pro décentralisation et anti perdurent. Ils se poursuivent même au sein de la « commission de décentralisation » mise en place par l’article 78 précédemment cité. Les premiers souhaitent développer la décentralisation et continuer à développer les axes initiés par la constitution. Les seconds souhaitent conserver une décentralisation limitée, conforme au modèle mis en place entre 1830 et 1840. Jusqu’au coup d’état du 2 décembre 1851, aucune évolution notable n’est à mettre au crédit des membres de cette commission ; la dynamique initiée en 1848 semble perdurer sans toutefois qu’un coup d’accélérateur n’y soit porté. Suite aux évènements de 1851, le département suivra les aléas du Régime. Il sera visé dans un premier temps par une volonté de revoir son champ de compétence et d’autonomie à la baisse ; il revient notamment à l’Empereur la désignation des présidents, vices présidents et secrétaires des assemblées départementales La publicité des séances est supprimée sous un nouvel élan de tutelle et de surveillance de l’Etat. Cette évolution correspond à l’impulsion que Napoléon III instillera dès sa prise de pouvoir, limitant pas ailleurs la liberté de la presse et la capacité d’agir des universités. A la fin de l’Empire, une nouvelle dynamique de décentralisation est initiée avec des réformes qui annonce clairement une réforme beaucoup plus ambitieuse traduisant ici l’évolution d’un Second Empire parlementaire à un état beaucoup plus libéral. Il s’agit désormais d’augmenter les pouvoirs du département par le biais de la loi du 18 Juillet 1866. Le rapporteur de ce projet de loi, pour contextualiser ce regain de confiance vis à vis des départements déclare : « Ce n’est que rendre un juste hommage aux conseillers généraux que de proclamer l’heureuse application qu’ils ont faite de la loi de 1838. Ils se sont servis habillement et avec mesure des pouvoirs qu’elle remet entre leurs mains. Leurs efforts unis à

Page 14 sur 74 ceux de l’administration, ont puissamment contribué au développement de la richesse du pays et à la satisfaction des besoins moraux »1 La loi du 18 juillet 1866 cantonne ainsi l’intervention du préfet dans les affaires départementales et au département de pouvoir emporter la décision sur une grande majorité des dossiers qu’il aura à traiter. Cette loi fait évoluer le spectre d’action des conseils généraux corrélé au fait et leurs délibérations définitives entreraient en vigueur dans les deux mois de la clôture de leur session sauf annulation préfectorale pour excès de pouvoir ou violation de la loi. Une nouvelle commission de décentralisation est créée. Si celle-ci ne verra pas l’aboutissement de ses travaux en raisons de la chute du Second Empire, elle permet de déflorer de nouveaux champs de réflexion tels que la tutelle d’une collectivité sur une autre en lieu et place de la tutelle de l’Etat, initiant par là même la notion du lien territorial entre collectivité et, au profit des citoyens.

1.2.3 Loi d 10 Août 1871, texte fondateur, qui ne met pas fin aux débats.

La loi du 10 Août 1871, considérée comme texte de référence en matière d’administration départementale, si elle est adoptée au début de la IIIème République n’en est pas moins la synthèse des débats antérieurs. Elle est en quelque sorte la fusion des deux tendances décrites plus haut. Déposée sur le bureau de l’assemblée nationale, cette proposition de Loi est examinée au sein de la commission de décentralisation fraichement installée présidée par Waddington2. La position adoptée par la commission de départementalisation a pour ambition de cloisonner en s’attaquant à une répartition des champs d’action entre l’Etat et l’entité décentralisée sur le département. A l’entame des travaux, Waddington avait introduit le texte devant la commission, pressentant déjà sans doute le point d’achoppement : « nous avons cherché à séparer autant que possible la gestion des affaires départementales de celles des affaires de l’Etat, tout en ménageant les intérêts et les habitudes des populations ». Refusant la création d’un administrateur au Préfet au sein du département, la commission doit se pencher sur la question de la nature du département mais aussi sur son champ de compétence.

Pour ce qui est de sa nature, l’un des parlementaires décrivait le département comme « une administration départementale, un conseil de famille devant lequel les affaires de la famille

1 Buisson Billault (1853-1923) séance du 9/ 5/1866. 2 William Henry Waddington, 1826 - 1894, homme d'État, diplomate et archéologue français. Il a été président du Conseil du 4 février au 28 décembre 1879.

Page 15 sur 74 départementale doivent être portées, et dans lequel les juges compétents, habiles, désintéressés, sont appelés à recevoir les plaintes de leurs concitoyens ».(Vinols)1. Tout comme elle a refusé la création de l’administrateur au Préfet, la commission refuse au département la capacité d’être substitué à l’Etat dans le cadre d’une tutelle sur la commune. A l’identique, la commission refuse au département la capacité de nommer les maîtres d’école suivant sur cette ligne le député Duvergier de Hauranne2 pour qui ces points ne relèvent pas de la décentralisation mais constituent « une véritable usurpation sur les attributions de l’Etat ». Les attributions des conseils généraux n’apparaissent qu’au sein de l’article 48 alinéa 5 qui précise que le conseil général « délibère sur tous les objets d’intérêt départemental dont il est saisi, soit par proposition du Préfet, soit sur l’initiative de l’un de ses membres » dissociant ainsi les affaires départementales des affaires nationales. Au-delà de la difficulté de définir une frontière franche entre les compétences du département, de l’Etat et du département pour l’Etat, les tiraillements s’opèrent avec force sur la question de la relation du département à la commune. Pour certains, le département est une commune élargie (député Savary) souhaitant par cette reconnaissance confier à celui-ci des compétences politiques et considérer les deux entités sur le même rang. Pour d’autres, le département doit être supérieur à la commune et assurer une véritable tutelle sur cette dernière.

Les derniers, représentant la frange la plus centralisatrice, considèrent le département comme un rival de la commune et sont donc hostiles à celui-ci. Pour celle-ci, la commune n’a pas besoin du département et doit être l’échelon territorial de représentation de l’Etat le plus optimal. Le vote de cette loi ne met pas fin, loin s’en faut aux débats sur le département. Et, même si un parlementaire déclara dans le cadre des débats, lors de la séance du 29 avril 1971 « les conseils départementaux sont la seule institution qui soit entrée dans les mœurs », cette instance décentralisée traversera les époques avec, à ses trousses, ses détracteurs et les partisans de sa suppression, de sa réorganisation ou a minima de son assèchement au profit d’autres institutions telles que les communes dans un premier temps.

1 Jules de Vinols de Montfleury ,1820 – 1901, député de la Haute-Loire de 1871 à 1876. 2 Prosper Duvergier de Hauranne, 1798 -1881.

Page 16 sur 74 1.3 Les clés historiques de la compréhension des tiraillements contemporains.

L’analyse de la genèse du département et de la manière dont il a commencé à s’imposer dans le paysage territorial français, permet d’obtenir et d’ancrer à l’esprit les clés de lecture et de compréhension nécessaires pour appréhender le département dans son acception contemporaine. En d’autres termes, le département comme entité contestée dont la pérennité semble menacée à chaque entame de réforme ne date pas des années 1980 et de ce que la réforme phare de la décentralisation (1982) continue de générer de critiques quant à la pérennité et, a minima de velléités d’en modifier substantiellement le modèle.

1.3.1 Des visions très diversifiées pour le Département.

Dans cette histoire est enracinée cette contestation qui traversera les siècles et qui sera tout aussi prégnante après l’acte III de la décentralisation formalisée par les loi MAPTAM et loi NoTRE ; en tous les cas, la loi du 10 Août 1871 n’a pas mis fin aux débats sur le département et ce, malgré la déclaration d’un parlementaire qui, en 1871, exprimait que « les conseils généraux sont la seule institution nouvelle qui soit entrée dans les mœurs ». Ces débats reprendront aussitôt le texte d’Août 1871 promulgué. Systématiquement, l’histoire est rejouée de manière identique avec des propositions allant dans des sens certes diamétralement opposés mais qui sont au final toujours les mêmes. Les uns souhaitent sa réorganisation par le biais de modifications plus ou moins importantes dans son organisation, ses compétences et ses rapports aux autres collectivités. Parmi ces axes de réflexion, il convient de citer pèle mêle, les volontés de changer ou pas la sectorisation opérée en 1791, d’en modifier le nom1, la vision consistant à confier la gestion des affaires départementales au Préfet, au sous-préfet tout en supprimant les conseils généraux et les arrondissements, mais en créant la Région. Pour les autres, le maintien du département peut être imaginé mais en supprimant son nombre. Certaines propositions souhaitent ramener son nombre à 18, ce qui correspondait finalement à sa suppression au profit de la création de Régions.

1 Le député J Brunet propose le nom de « tribu » - Séance du 2/21872.

Page 17 sur 74 1.3.2 Une institution dont l’existence est déjà menacée.

De manière plus radicale, c’est l’institution elle-même qui est contestée. C’est sa nécessité, sa plus-value et donc son utilité dans le paysage de l’organisation territoriale du pays qui est remise en cause. Ainsi, depuis 1871, sa suppression est demandée avec force argumentaire au profit d’autres entités, telles que les arrondissements ou les régions. Faut-il le supprimer pour laisser place et faire monter en compétence l’arrondissement que certains jugent comme étant « la base naturelle et obligatoire de toute administration simple et rapide ; sa dimension restreinte permettant seule le contact personnel, fréquent entre le chef et ses subordonnés » ? Faut-il le supprimer au profit des Régions arguant du fait que la cohabitation de deux entités Région et département relevait de l’impossibilité de faire cohabiter ces deux institutions sur un même territoire, de dissocier clairement les compétences de l’une et l’autre mais encore, et de là, justifier du budget de chacune ? Cette vision perdure encore aujourd’hui. L’autre argumentaire qui est toujours aussi bien vivant est celui de la recherche d’économies et donc d’adosser au département une part de responsabilité pour ce qui est du déficit budgétaire ; la suppression du département est ici avancée comme étant une source d’économies drastiques (sans pour autant que cette réflexion ne soit objectivement étayée, pas plus aujourd’hui qu’à l’issue de la réforme de 1871).

1.3.3 Les prémices du département contemporain.

Dans son évolution, il a souvent été question de la propension du département à s’approprier des domaines de compétence ayant trait au social pour en faire son domaine d’intervention privilégié. Tout d’abord, une quelconque idée de vocation ne peut être prêtée à une personne morale ; celle-ci n’est pas en capacité de « choisir » des compétences plutôt que d’autres au motif qu’elles sont plus de son ressort. En l’espèce, ce sera le cas au travers de l’histoire de la décentralisation et de ses réformes, c’est l’Etat qui établit le « qui fait quoi ». Pour ce qui est du département, sa prédominance d’action dans le domaine du social est, comme nous l’avons vu en amont, la résultante d’une volonté de l’Etat de se délester d’une partie de son domaine d’activité pour des raisons purement financières, répondant ainsi à des nécessités du moment. A ce stade, il convient de se pencher

Page 18 sur 74 sur le décret Impérial du 31 Mai 1862 portant règlement général sur la comptabilité publique. Dans son article 454, ce texte édicte les dépenses obligatoires au travers d’une liste de 22 rubriques. On peut déjà y lire une forte proportion de dépenses liées à des missions que l’Etat souhaite reverser au département. Outre les dépenses ayant trait au volet social, ce décret fait figurer ,dès cette date, les travaux d’entretien des routes départementales, la lutte contre les épidémie et épizooties, la destruction des animaux nuisibles, les dépenses afférentes aux enfants assistés, la conservation des archives du département (etc…) à la charge des départements prenant ainsi rendez-vous pour l’histoire et notamment pour 1983, date à laquelle il a fallu organiser le transfert des compétences en application des lois de 1982 relatives à la décentralisation. Par conséquent, cette expression des compétences des départements (mais aussi des autres entités territoriales) n’est pas l’expression d’une volonté d’aller plus vers un domaine qu’un autre mais surtout des arbitrages faits par l’Etat en vue de mettre à la charge des départements des dépenses qu’il ne voulait pas voir inscrits au budget national. Vecteur d’égalité territoriale et doté de compétences qui n’ont été que des attributions de l’Etat compte tenu de difficultés financières (principe de réalité budgétaire)1 il n’en demeure pas moins que le département a été créé sur des bases fragiles. La modernisation des territoires vient rendre la situation encore plus complexe. Dès cette époque le prisme des réflexions et des débats tourne autour de l’aspect budgétaire, avec comme dénominateur commun des réformes envisagées sous l’angle financier avant d’être guidées par une forte volonté politique.

1 Décret du 31 mai 1862, art 454, socle de l’affectation de compétences d’ordre social aux départements, consolidé en 1982.

Page 19 sur 74 II. LE DEPARTEMENT COMME PILIER DE LA DECENTRALISATION DEVENU L’ENJEU CLIVANT DE L’ACTE III DE LA DECENTRALISATION.

De ce parcours historique, ressort la question de savoir ce qu’est ou ce que doit être une collectivité décentralisée et plus largement, ce que doit être la décentralisation. Ainsi, l’élément primordial qui doit permettre cette collectivité décentralisée, et, par comparaison avec d’autres entités comme l’arrondissement, c’est avant tout la qualification de « personne morale ». Sans personnalité morale, il ne peut y avoir de collectivité décentralisée. Cette progression ne permet au département de s’installer légitimement dans le paysage territorial français qu’à compter du moment où cette personnalité morale lui a été reconnue. Par ailleurs, cette évolution met en exergue le lien, la relation d’assistance voire de tutelle qui peut s’installer entre le département et les communes alors que les secondes ne sont, pour ce qui les concerne, jamais menacées. Une fois cette véritable charte de l’administration départementale posée par la loi du 10 août 18711, le département connaitra une phase de stabilisation, sans progression notable ou alors au crédit de réformes minimalistes telles que la loi du 29 juin 1899 qui étend le pouvoir propre des conseils généraux en matière financière. Enfin, le décret-loi du 5 novembre 1926 acte la diminution de la tutelle préfectorale et le principe des délibérations non soumises à approbation permettant de fait au département de gagner en autonomie. Après la seconde guerre mondiale, l’avenir du département demeure incertain dans un contexte où, paradoxalement, une consécration institutionnelle des collectivités territoriales interviendra. En effet, dans la Constitution du 27 octobre 1946 un titre est consacré aux collectivités territoriales les définissant ainsi comme sujets constitutionnels. Le principe de leur libre administration y est pour la première fois proclamé. Ensuite, la Constitution du 4 octobre 1958, y consacrera également un titre. Au fil de l’histoire de la décentralisation, nous constaterons qu’à chaque projet de réforme correspondra une remise en cause du département au profit des communes et des régions.

1 Loi du 10 Août 1871 relative aux conseils généraux.

Page 20 sur 74 2.1 Le Département au travers des réformes apportées par les Actes I et II de la décentralisation.

Ainsi, l’histoire du département est liée à celle de la décentralisation. Les actes I et II de la décentralisation ne fournissent pas une définition de ce qu’est la décentralisation et ne permettent pas de faire le lien entre les objectifs politiques assignés au début des travaux législatifs, et la réalité de mise en œuvre organisationnelle sur le territoire. Au fil des réformes, la remise en cause perpétuelle du département illustrera parfaitement ces difficultés. Après avoir étudié la manière dont le département a évolué au travers des actes I et II de la décentralisation, nous réaliserons un bilan de ces réformes à l’aube de l’acte III de la décentralisation.

2.1.1 Les Lois Deferre ou l’acte I de la décentralisation.

La Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions annonce une nouvelle répartition des compétences entre l’état et les Collectivités Locales et marque le début de l’acte I de la décentralisation. Suite à l’élection de François Mitterrand en 1981, cette première vague de décentralisation traduit la volonté du nouveau pouvoir en place, de réaliser une profonde décentralisation de l’administration française. Cette réforme pose ainsi plusieurs fondements. Il s’agit tout d’abord de substituer la tutelle de l’Etat, pesant sur les collectivités territoriales et se matérialisant par un contrôle administratif et budgétaire a priori, par un contrôle a posteriori confié au juge administratif. Cette réforme envisage ensuite le transfert de la fonction exécutive départementale et régionale aux présidents de conseils généraux et régionaux. Elle fait évoluer les régions en collectivités territoriales de plein exercice. Dans le cadre de cet acte I, le département devient une personne morale de droit public, distincte de l’État, et bénéficie à ce titre d’une autonomie juridique, financière et patrimoniale. Il s’administre librement, dans les conditions prévues par la loi. Ensuite, parmi les mesures fortes prises par ces lois, et sans volonté d’être exhaustif, il convient de citer le transfert de la gestion des établissements d’enseignement vers les Collectivité Locales (les collèges seront du ressort des départements alors que les lycées seront le pré carré des régions).

Page 21 sur 74 Concomitamment, la loi aborde le volet financier nécessaire pour compenser les charges transférées. Cette compensation est réalisée par le biais d’un transfert de fiscalité directe ; le solde est absorbé par des dotations de l’Etat (comme la dotation à la décentralisation). A la suite de la loi de 1982, d’autres textes sont venus mettre en place le dispositif. Ainsi, la Loi du 7 Janvier 1983 qui a suivi, invente un levier fondamental pour l’action publique locale, permettant d’asseoir la réforme de 1982 : la clause générale de compétence. Grâce à ce dispositif, et parce qu’elles détiennent la capacité juridique, les collectivités disposent d’une possibilité d’intervention générale leur permettant d’agir, sur tous les aspects de la vie locale. C’est la loi 83-8 du 7 Janvier 19831 qui détermine également le transfert des compétences que le département notamment, collectivité de droit commun, a mission à mener sur l’ensemble du territoire. Comme les autres collectivités, et en raison de l’indivisibilité de la souveraineté de l’État unitaire, le département ne possède que des compétences administratives. Il lui est interdit de disposer de compétences étatiques, comme édicter des lois ou des règlements autonomes, bénéficier d’attributions juridictionnelles. Entre 1982 et 1985, quarante lois importantes et trois cents décrets ont été adoptés pour mettre en place l’acte I de la décentralisation. A partir de 1996, l’ensemble des textes relatifs aux collectivités territoriales est en outre codifié au sein du Code Général des Collectivités Territoriales. A l’approche d’une nouvelle réforme, soit Vingt ans après cette première étape, le bilan (présenté dans de nombreuses études et rapports) restait positif mais mettait en évidence la nécessité d’un approfondissement dans les domaines de la démocratie locale et de la définition des relations des collectivités avec l’Etat. La question des moyens accordés aux collectivités restait posée ainsi que celle d’une clarification des compétences attribuées à chacune d’elles. En soi, ces difficultés ont perduré tout au long de l’évolution de la décentralisation. A ce moment de la décentralisation, véritable moment clé, puisque celle-ci est clairement affirmée et assumée dans le titre de la Loi du 2 mars 1982 « relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions », on passe d’une très relative autonomie des communes et des départements par rapport à l'État, instaurées par les lois de 1871 et 1884 relevant d’une époque où la France est très centralisée, à un vrai processus d’aménagement de

1 Loi 83-8 du 7 Janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat

Page 22 sur 74 l'organisation de l’État consistant à transférer des pouvoirs décisionnaires et des compétences administratives de l’État vers des entités (ou des collectivités) locales distinctes de lui. Après avoir engagé cette réforme et alors qu’un nouveau transfert de compétences était envisagé, il est apparu nécessaire de consacrer ces avancées par une réforme constitutionnelle affirmant « l’organisation décentralisée de la République » et garantissant ainsi aux collectivités locales leurs nouvelles compétences, libertés et ressources financières.

2.1.2 L’acte 2 de la Décentralisation.

Constitue l’acte II de la décentralisation, la suite des réformes des collectivités territoriales françaises adoptées en 2003 et 2004, sous la présidence de , et sous la houlette du gouvernement dirigé par Jean-Pierre Raffarin, initiant un nouveau souffle ,20 ans après les lois Deferre. Un temps, le débat s’est porté sur l’idée d’un fédéralisme. Le Président de la République écarte ce modèle en s’exprimant en ces termes1 : « Entre l'étatisme jacobin et un fédéralisme importé, plaqué sur nos réalités, contraire à notre histoire comme à notre exigence d'égalité, une voie nouvelle doit être inventée. Si la France veut rester une grande démocratie, elle doit lancer la révolution de la démocratie locale et construire la République des proximités ». La loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République constitue le début de l’acte II de la décentralisation. Elle précise que l’organisation de la France est décentralisée2. Le titre XII de la Constitution est renforcé en particulier dans son article 72 qui fixe les principes de l’organisation territoriale de la République. Il mentionne que le département, au même titre que les communes, les régions, les collectivités à statut particulier ou les collectivités d’outre-mer, fait partie des collectivités territoriales de la République. A ce titre, il a vocation à prendre des décisions pour les compétences, qui lui sont dévolues par la loi, et pouvant être le mieux mise en œuvre au niveau de son échelon. La loi lui permet également, selon certaines conditions, déroger à titre expérimental, à ses compétences. Cette constitutionnalisation de la place du département comme collectivité territoriale renforce son existence et sa position.

1 Discours de Rouen, le 10 Avril 2002. 2 Titre XII de la constitution, consacré aux collectivités territoriales.

Page 23 sur 74 La révision constitutionnelle de 2003 consacre également le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales, qui peut, dans les conditions prévues par la loi, participer de l’exercice des compétences locales. Il n’en reste pas moins que le département, comme les autres collectivités concernées par l’article 72 de la constitution, ne peut toujours pas exercer de souveraineté au niveau local. Il doit respecter les règles et contraintes liées aux principe d’indivisibilité de l’État et d’égalité des citoyens. Le principe d’indivisibilité de l’État se traduit par le fait qu’un certain nombre de matières régaliennes telles que la nationalité, les droits civiques, le droit électoral, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre publics etc…sont toujours exclues des compétences susceptibles d’être exercées ou transférées aux collectivités territoriales.

Le principe d’égalité implique, quant à lui, que toutes les personnes placées dans une situation identique soient régies par les mêmes règles, mais n’interdit pas aux autorités législatives et réglementaires de régler de façon différente des situations différentes, ni de déroger à ce principe pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans les deux cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi ou du règlement qui l’établit. Le département, comme le législateur, sont tenus de respecter les jurisprudences du Conseil d’État et du Conseil Constitutionnel relatives au principe d’égalité, hormis dans les hypothèses où la Constitution permet expressément d’y déroger.

Il en résulte que toute dérogation à ce principe, qu’elle intervienne entre collectivités appartenant à une même catégorie ou non, devrait être fondée sur des considérations objectives en rapport avec l’objet de la loi qui la prévoit afin d’être validée par le Conseil Constitutionnel.

L’absence d’exercice de toute souveraineté au plan local résulte de ce caractère indivisible de la République. La France est un État unitaire, et non pas fédéral, quelle que soit la diversité des structures et des attributions des collectivités territoriales qui la composent. L’article 72 de la Constitution traduit cela lorsqu’il parle de « libre administration » des collectivités territoriales, « dans les conditions prévues par la loi ». Dès lors, le département, comme les autres collectivités territoriales de droit commun, quel que soit le régime auquel il est soumis, n’a jamais la compétence première pour déterminer les règles qui lui sont applicables.

Par ailleurs, une partie significative de ses décisions ne devient exécutoire qu’après avoir été transmise, au titre du contrôle de légalité, au représentant de l’État qui a la charge des intérêts

Page 24 sur 74 nationaux et du respect des lois1. Ces actes peuvent faire l’objet d’un recours devant la juridiction administrative.

Pour ce qui concerne les compétences, la loi du 13/08/20042 relative aux libertés et responsabilités locales énumère l’ensemble des nouvelles compétences transférées par l’Etat aux collectivités locales ainsi que les fonctionnaires déplacés, les règles de compensation financière et les modalités de transfert. Par le transfert des routes et des compétences en matière d’Education Nationale, cette nouvelle réforme engage 40 000 agents vers de nouvelles fonctions au sein des départements et des Régions. A partir de 2005, les principales compétences transférées, renforcent aussi bien la Région que le Département.

La Région renforce son rôle dans le domaine du développement économique et de la formation professionnelle.

Pour les départements, le spectre des transferts de compétences est plus imposant :

- Les transports : certaines parties des routes nationales sont transférées aux départements, les collectivités territoriales (ou leurs groupements) pourront prendre en charge la création et la gestion des aéroports (à l’exception de certains aéroports d’intérêt national ou international). - L’action sociale : le département se voit attribuer un rôle de « chef de file » en matière d’action sociale, il aura notamment à sa charge l’ensemble des prestations d’aide sociale. - Le logement social : la loi prévoit le transfert aux collectivités locales des responsabilités relatives aux politiques de l’habitat, ne conservant à l’Etat qu’un rôle de « garant de la solidarité nationale ». - L’éducation et la culture : les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) des lycées et collèges doivent être recrutés et gérés par la collectivité dont ils relèvent Article (département pour les collèges, région pour les lycées).

1 Article72, alinéa 6 2 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales

Page 25 sur 74 A chaque type de collectivités sont ainsi attribuées de nouvelles compétences. Au total ce sont la région et, surtout, le département qui se voient confier l’essentiel des nouvelles responsabilités.

Cet acte II pose quelques axes de réflexion pour les prochaines réformes. Il introduit l’idée d’expérimentation et envisage de simplifier les modalités d’organisation des intercommunalités.

Ainsi, les collectivités locales volontaires pourront donc mener des expérimentations dans les huit domaines suivants : la gestion des fonds structurels européens, les interventions économiques, le transfert des aéroports, la résorption de l’insalubrité, le financement de l’équipement sanitaire, l’assistance éducative confiée par la justice aux départements, l’organisation des écoles primaires et l’entretien du patrimoine. Des conventions devront être passées avec l’Etat pour l’attribution des moyens nécessaires à ces expérimentations

2.1.3 Le bilan de ces réformes ?

Ces deux premiers actes de la décentralisation, tels qu’ils ont été mis en œuvre, traduisent un paradoxe. D’une part, la décentralisation fait du département une sorte de clé de voute, en renforçant, au fil des réformes sa présence et son champ de compétence. D’autre part, chacune des réformes constitue une nouvelle occasion de remettre son existence en question par le prisme d’arguments qui ne faiblissent : complexité de l’organisation territoriale, nécessité de simplifier le mille feuilles administratif, et de réaliser des économies, manque de légitimité etc… En effet, ces réformes, parce qu’elles ont contribué à transférer de nombreuses compétences vers les collectivités territoriales et notamment le département, n’ont fait que renforcer celui- ci. En d’autres termes, si le département est soumis à de nombreuses critiques, ces réformes l’ont toutefois conforté en permettant à l’Etat de reverser vers lui un grand nombre de compétences. A ce titre, il est permis de faire le lien avec ce qu’ont pu être les prémices de l’histoire de la décentralisation et l’action de confier au département un début de compétence social, permettant à l’Etat de ménager d’alléger ses dépenses. Depuis 1982, on appréhende la décentralisation par une vision « limitée » à un transfert des compétences sans finalement repenser l’essence même de ce qu’est ou doit être la décentralisation ; c’est que nous avons tenté d’incrémenter dans notre partie traitant de la prospective en matière de politique sociale (C).

Page 26 sur 74 Cette période de décentralisation qui court depuis les années 1980, et la réforme des années 2010/2015 appliquent le même schéma. Les joutes législatives ont toujours vu le département ressortir conforté des réformes territoriales dans le cadre desquelles il aurait dû être « malmené ». Un projet de texte résolument pro région, évoluera pour finalement être plus favorable au département qu’en début de circuit législatif. Dans cet esprit, la loi de 1982 consacre la région comme collectivité territoriale mais, c’est le département qui a été le grand gagnant du transfert des compétences organisées par la loi suivante du 7 Janvier 1983.A l’identique, la volonté politique accolée aux réformes portées par le premier Ministre Jean- Pierre Raffarin dans le cadre de l’acte II, était clairement régionaliste. Il est avéré que la Région, a bénéficié en 2003 d’un effet dynamisant, c’est le département qui a pleinement bénéficié de la réforme de la Loi du 13 Août 2004 compte tenu des compétences reçues. Nous verrons que l’acte III de la décentralisation n’a pas dérogé à cette règle. Pour ce qui est de la réforme de 2015,le scénario a été identique ,et ce ,malgré l’objectif assigné par Mr Hollande, Président de la République qui estimait que « Le Conseil Départemental devait à terme disparaitre. » et que « la création de grandes régions et le renforcement des intercommunalités absorberaient une large part de ses attributions »1 .Au fil du cheminement législatif et de la mobilisation des élus départementaux ,les axes de la réforme évoluaient au point de ne plus correspondre à l’exposé des motifs dudit texte qui spécifiait la disparition du département à horizon 2020.A titre d’exemple et comme nous l’avons vu, contrairement au projet initial, ni les collèges, ni les routes ne sont passés du côté de la Région. La représentation locale au sein de l’assemblée nationale et du Sénat y ont joué pour beaucoup.

2.2 L’acte III de la décentralisation, une réforme aux ambitions politiques annihilées…

Pour les plus critiques, qualifiant cette décentralisation de « relative », ces années de réforme ne sont pas pleinement satisfaisantes car elles n’ont pas amorcé le virage vers un état fédéral. Selon eux, elles n’ont pas permis de revenir sur les difficultés inhérentes au mille feuilles administratif toujours décrié et qui, comme nous le verrons fait toujours partie des arguments phares visant à la suppression de certaines collectivités territoriales, parmi lesquelles le Département.

1 Tribune de presse du 2 Juin 2014.

Page 27 sur 74 Dans le cadre de ce chapitre, il conviendra de dresser un état des lieux de la position du département sur l’échiquier local et des maux qui lui sont reprochés et ce, à l’aube de la phase III de la décentralisation (1). Pour autant, même si le pouvoir politique était animé d’une volonté politique forte, appuyée par de nombreux rapports et analyses d’éminences (2), la réforme qui en a découlé ne correspondait pas à la volonté initiale, au point d’être qualifiée d’incomplète.

2.2.1 Quelle représentativité pour le département à l’aube de l’acte III de la décentralisation :

Si le département n’a pas été supprimé, malgré les critiques émises à son encontre, la question se pose de savoir quelle est sa place à ce stade des réformes et à l’aube de l’acte III de la décentralisation. En l’occurrence, et comme nous avons pu l’aborder précédemment, le département a subi de nombreux assauts en lien avec la volonté de reconnaître à la Région un rôle de plus en plus accru. Ainsi, depuis la loi du 2 mars 1982 qui assimile les régions à des collectivités territoriales, avec application dès les premières élections des conseils régionaux au suffrage universel direct prévues en 1986, (réforme proposée historiquement par le Général De Gaulle en 19691) poussant ce dernier à démissionner en raison du refus de la population à la question posée par référendum) la Région n’a cessé de s’imposer comme acteur majeur de la décentralisation. Après l’acte 2, le Département est donc soumis à une concurrence des plus sévère. Il est assiégé aussi bien par le haut (Etat et Région) et par le bas (Intercommunalités). Ce contexte contribue à mettre en avant la Région, comme chef de file naturel, induisant de fait une perte de vitesse de l’échelon départemental pouvant justifier sa suppression. La Région supplanterait donc le département dans sa capacité à absorber les enjeux territoriaux contemporains. La question de la place qu’il restera au département se pose à l’approche de l’acte III de la décentralisation, et d’autant plus la région commence à disposer de moyens conséquents confirmant le poids qu’elles représentent. Après 25 ans de décentralisation, le niveau Régional est considéré comme le niveau le plus pertinent. Cette vision se traduit certes dans les réformes mais certainement pas à la hauteur des velléités des partisans du développement régional en vue d’une organisation de type fédéral.

1 Le référendum sur « le projet de loi relatif à la création des régions et à la rénovation du Sénat » a eu lieu le 27 avril 1969. Le résultat négatif a conduit à la démission du président de la République le lendemain.

Page 28 sur 74 Jusqu’ici, les pouvoirs politiques n’ont pas voulu aller dans cette direction ; le lobby des élus locaux défendant l’échelon départemental est encore trop imposant. Avant d’aborder les différentes productions qui viennent conforter peu ou prou la volonté politique, nous tenterons de décrypter les maux couramment invoqués, selon la vision des adeptes de cette suppression radicale, comme un remède en vue d’un regain de productivité économique et à une clarification de l’organisation territoriale. Si le département n’est pas coupable de tous les maux, il n’en demeure pas moins que celui-ci a cristallisé une grande partie des débats à l’occasion de la genèse de l’acte III de la décentralisation. De manière récurrente, on lui reproche d’être une organisation complexe déployant des compétences nombreuses, dans un contexte où les collectivités sont réputées être des plus dispendieuses. Ces arguments n’ont que peu souffert du poids des années et relèvent d’un champ lexical dense, celui-ci ayant été taxé par ailleurs de contribuer au ralentissement de l’administration locale mais aussi de l’économie, à plus grande échelle. Il est aussi décrit comme inadapté au plan territorial et archaïque. Doté d’un niveau d’organisation jugé « superflu », il a enfin été qualifié d’ « étouffoir des forces vives » dans le cadre des débats relatifs à la régionalisation proposée par le Général De Gaulle1.

2.2.1.1 Une collectivité coûteuse ?

L’argument financier, avancé depuis de nombreuses réformes est toujours un peu plus prégnant au regard du contexte économique dans lequel la réflexion est menée et les réformes déployées. Ce contexte financier incite les pouvoirs publics à vouloir réduire les coûts de l’action publique. Il est donc avancé que la suppression de ce niveau territorial permettrait de limiter les enchevêtrements, les financements croisés redondants et rendrait plus cohérente et moins coûteuse l’organisation territoriale. Cette difficulté dans laquelle se trouve le département trouve sa genèse dans la mise en œuvre de la loi de 1982 en ce qu’elle procède quelques années plus tard au transfert de compétences conformément à la réforme. Cette phase devait être financièrement encadrée par l’article 102 de ce texte. Il y prévoit en substance que chaque transfert de compétence serait intégralement compensé et abondé annuellement. En pratique,

1 1969 - Projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat

Page 29 sur 74 ce principe ne semble pas avoir été appliqué dans sa totalité. 1. Les départements, confrontés à une obligation d’équilibre budgétaire, se trouvent donc dans une situation financière tendue. C’est la crise de 2008 qui a contraint l’Etat a diminué progressivement ses dotations aux collectivités territoriales. Par voie de conséquence, cette baisse des dotations a amené les départements à recourir à des emprunts. Au fil des années, cette difficulté touche l’ensemble des strates territoriales, plus sensiblement le département et la commune .Outre, cette compensation incomplète , ce contexte financier tendu connait plusieurs raisons :la parution de décisions normatives qui vont impacter le budget des collectivités locales ,ou encore une dépense sociale qui peine à être maitrisée au regard du contexte économique et social ,du nombre d’allocataires croissant sur des dispositifs nationaux lourds tels que l’Aide personnalisée à l’autonomie, le Revenu de Solidarité Active etc… Dans ce registre, la Loi de Finances pour 2015 est venue confirmer la tendance en diminuant les dotations de l’Etat de près de 3,6 Milliards d’euros, ce qui, inévitablement, a une vraie incidence sur l’impact que les pouvoirs publics souhaitent donner à la réforme territoriale à venir. Entre 2014 et 2017cette baisse cumulée s’élève à près de 16 Milliards d’euros. L’impact représenté par la forte baisse des dotations de l’Etat serait aggravé par un département qualifié de dispendieux. Le sénateur Alain Lambert a estimé que les collectivités locales avaient augmenté leurs dépenses de 24 milliards d’euros en vingt-cinq ans, sans compter le coût induit par le transfert de leurs nouvelles compétences2. De cette augmentation, les départements contribueraient à hauteur du tiers. Enfin, la diminution des déficits des collectivités locales est une obligation qui s’impose à tous les acteurs permettant de participer à l’effort national fourni au titre du Pacte de Stabilité et de Croissance3,auquel vient s’ajouter la contractualisation entre les collectivités Territoriales et l’Etat conformément au Pacte de Cahors4. Dans un contexte de déficit public et de maitrise des dépenses publiques, le Président de la République a exposé les objectifs auxquels seraient tenues les collectivités territoriales. Ce dispositif dit « de Cahors » est traduit à l’article 29 de la Loi du 22 Janvier 2018.5

1 Art 102 - Loi 82-2013 du 2 Mars 1982 : « Tout accroissement net de charge résultant du transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales ou la région sera compensé par un transfert de ressources. Ces ressources seront équivalentes aux charges existantes à la date du transfert et devront évoluer comme la dotation globale de fonctionnement 2 Rapport Lambert 3 Le PSC : au sein de la zone Euro, vise à coordonner les politiques budgétaires des Etats membres et d’anticiper l’apparition de déficit budgétaire non maitrisés. Il impose à ces Etats d’avoir à terme des budgets proches de l’équilibre ou excédentaires. 4 Pacte financier dit « Dispositif de Cahors » entre l’Etat et les collectivités Territoriales ; celles-ci doivent limiter leurs dépenses de fonctionnement à hauteur de 1,2%. En cas de non-respect, ces collectivités encourent des sanctions financières. Exposé à Cahors, le 14/02/2017 par le Président de la République. 5 Loi 2018-32 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, du 22 Janvier 2018.

Page 30 sur 74 Au demeurant, il semble difficile de valider l’idée selon laquelle le département est une collectivité qui coûte cher, d’objectiver le delta entre le coût estimé d’une politique publique été la capacité de cette collectivité à la mettre en œuvre avec le plus d’efficience possible. En la matière, le département n’est qu’un exécuteur d’une politique gouvernementale pour le compte de l’État ; il est aussi complexe de se faire une idée de l’économie qui pourrait résulter d’un transfert de la charge du département vers un autre niveau.

2.2.1.2 Le mille feuilles administratif générateur de complexité.

Second argument majeur, le département souffre de l’empilement des strates territoriales générant enchevêtrement de ses compétences et complexité pour ce qu’il s’agit de la mise en œuvre des politiques publiques. Se questionner sur l’avenir du département, c’est avant tout s’interroger sur un problème plus profond qui est celui de la recherche d’une répartition claire et lisible des compétences. Les différentes lois ont réorganisé les collectivités existantes, certes, mais elles ont aussi contribué à ajouter d’autres strates, permettant à la France de compter à elle seule le tiers des entités territoriales de l’Europe1. Les réformes successives ont toujours réparti les compétences d’un même bloc sur plusieurs collectivités au lieu de raisonner par bloc de compétences. Pour preuve, le domaine de l’éducation qui voit les écoles confiées aux mairies, les collèges aux départements et enfin, les lycées aux régions. Au sujet de cette complexité organisationnelle qui semble faire consensus, il convient de citer les propos tenus par le Président de la République, Mr : « Je mets au défi quiconque de trouver une seule personne , un seul élu qui n’a pas dénoncé, l’enchevêtrement des compétences des collectivités locales .Et je mets au défi quiconque de trouver un gouvernement, une majorité, un parti politique qui n’ a pas annoncé une clarification des compétences, la création de blocs et autres formules de cet ordre »2. Les propos tenus par son successeur, Mr François Hollande3, permettent d’illustrer le schéma repris ci-dessous 4qui ,s’il résulte de la simplification que souhaitait apporter la loi NOTRe,

1 Chiffres de 2015. 2 Discours sur la réforme des Collectivité Territoriales - Saint Dizier (Haute-Marne) - Mardi 20 octobre 2009. 3 Etats généraux de la démocratie territoriale, le 5 octobre 2012 4 Le Monde.fr – Les décodeurs -28 Mai 2018. Que change la loi pour les collectivités territoriales.

Page 31 sur 74 était encore plus explicite auparavant : « Comment comprendre la multiplication, la complexité des interventions locales, les financements croisés qui ajoutent encore à la confusion ? Comment admettre l’illisibilité des actions alors même que les élus se dévouent pour le bien commun, mais n’arrivent pas à faire comprendre qui est responsable de quoi dans l’enchevêtrement des compétences ? ».

Facteur aggravant, la clause générale de compétence, si elle participe du principe de libre administration des collectivités territoriales conformément à l’article 7 de la constitution du 4 Octobre 1958, exacerbe cette difficulté et contribue à ce véritable enchevêtrement des compétences. Il en ressort des doublons (dans le meilleur des cas) générant eux même inertie et manque de compréhension pour les administrés.

La loi NOTRe votée le 15 mars 2015 en première lecture à l’Assemblée nationale par 306 voix contre 238, se propose de clarifier le rôle chaque échelon territorial en supprimant notamment la clause générale de compétence pour les pour les départements et les régions. Cette clause qui leur permettait d’intervenir dans tous les domaines dès que l’intérêt territorial le justifie, avait été supprimée une première fois le 16 décembre 2010 (loi de réforme des collectivités

Page 32 sur 74 territoriales (RCT), puis réintroduite par la loi Maptam promulguée le 28 janvier 2014 pour finalement à nouveau être supprimée en Mars 2015.

Nous verrons par la suite que ces arguments prennent encore plus de poids lorsqu’ils sont relayés dans les cadre de rapports produit sous la coupe de certaines éminences ou pour le compte d’autre institutions.

2.2.2 Une volonté politique forte assise sur de nombreux rapports.

2.2.2.1 La commission Attali - Pour la libération de la croissance française1

Chargée par le Président de la République (Nicolas Sarkozy) de fournir des recommandations et des propositions afin de relancer la croissance économique, ce rapport avait comme ambition de définir les réformes à mettre en place en vue notamment de simplifier l’organisation territoriale et d’en accroître son efficacité. Sans surprise, selon cette commission, le nombre de divisions administratives françaises est trop important et les différentes lois de décentralisation n’ont pas été abouties, générant par voie de conséquence une complexité que le citoyen a quelques difficultés à appréhender. En outre, ce rapport partait du principe que le département était pris en tenailles entre, d’une part, la force des intercommunalités et, d’autre part, la montée en puissance des régions dans le cadre d’une concurrence renforcée entre les territoires européens. La commission Attali met également en avant l’argument d’une organisation territoriale complexe. La France compte en effet, en 2008, 36 783 communes, 100 départements, 26 régions et plus de 2 580 établissements Publics Intercommunaux à fiscalité propre, pour environ 500 000 fonctions électives. Selon le rapport de la commission « les redondances et chevauchements de compétences entre les divers échelons territoriaux créent à la fois un éclatement de la responsabilité, la paralysie de la décision, et un sentiment de déroute de l’administré ». Sur la base de ces éléments, la commission Attali consacre le troisième chapitre de son rapport à la clarification de la décentralisation « pour en accroître l’efficacité » ; l’objectif principal devant en être la simplification territoriale. Selon son porte-parole Jacques Attali2, la décentralisation a été « coûteuse et inefficace ». S’appuyant sur ce postulat, le rapport dresse

1 Rapport rendu le 23 janvier 2008 2 Jacques Attali –Economiste, écrivain et haut fonctionnaire –Président de la Commission pour la libération de la croissance française.

Page 33 sur 74 une liste de propositions parmi lesquelles le renforcement des régions au détriment du département, la transformation des intercommunalités en agglomérations, la disparition progressive (en dix ans) du département ou la clarification des compétences des collectivités territoriales. Selon les préconisations émises, seuls deux niveaux doivent être conservés ; des régions fortes et des intercommunalités qui doivent encore progresser. Sur la base de ces mesures, la commission Attali ambitionne de diminuer le coût de la dépense territoriale. Sans avoir été retenues stricto sensu par ses commanditaires de cette étude, ces préconisations aurons trouvé l’oreille du nouvel exécutif.

2.2.2.2 Le rapport Lambert1

En 2007, un groupe de travail animé par le sénateur Alain Lambert devait traiter des relations entre les collectivités locales et l’État. La sensibilité qui se dégage de ces travaux envisage le département non pas au travers de sa suppression mais par le prisme d’un rétrécissement de ses missions visant à ce que celui-ci, mais aussi les régions, n’interviennent que sur « un domaine limitatif de compétences ». L’objectif avancé consiste à en terminer avec les chevauchements des actions des diverses collectivités sur une même zone de compétence (multiplicité des actions, des financements jusqu’à une perte de repères de l’administré). 2.2.2.3 Le comité Balladur2

Dans le même esprit, le comité pour la réforme des collectivités locales ou Comité Balladur3 envisageait le regroupement de départements plutôt que leur suppression. Mis en place le 22 octobre 2008, ce comité avait pour vocation, « d'étudier les mesures propres à simplifier les structures des collectivités territoriales, à clarifier la répartition de leurs compétences et à permettre une meilleure allocation de leurs moyens financiers, et de formuler toute autre recommandation qu'il jugera utile. ». Le comité Balladur, diagnostique la problématique connue et ressentie du mille-feuilles de l’administration française ainsi que l’augmentation exponentielle des dépenses publiques.

1 Ancien ministre du budget de mai 2002 à mars 2004 2 Rapport du Comité Balladur – 1er Mars 2009. 3 Homme d’Etat Français -1er Ministre de 1993 à 1995 sous la Présidence de François Mitterrand.

Page 34 sur 74 Il dresse également le constat d’une inadaptation de l’administration au développement économique. Ces conclusions rapprochent des pistes de réflexion proposées par le rapport Attali, notamment pour ce qui concerne la diminution du nombre de Régions (de 22 à 15) de sorte à en renforcer le rôle. Le comité Balladur ne préconise pas de supprimer le département, il envisage plutôt des regroupements volontaires de départements à l’identique de ce qui est avancé pour les Régions.

2.2.2.4 Le rapport de l’OCDE

L’Organisation de Coopération et de Développement Économique (OCDE)1, a publié un rapport le 19 Mars 2013, sur commande du Président de la République François Hollande souhaitant obtenir une expertise quant à la compétitivité de la France. La diffusion de cette étude n’a pas été souhaitée au motif que le tissu local n’y était pas préparé. Selon l’OCDE, il faut « simplifier la structure des administrations infranationales ». Estimant que cette démarche de simplification de l’organisation territoriale, déjà employée chez nos voisins européens, était une des mesures à mettre en œuvre afin de permettre de gagner en compétitivité, ce document avance la nécessité de réformer les collectivités par une réduction de leur nombre et une simplification de la répartition de leurs compétences. L’objectif ainsi poursuivi serait de mettre fin au mille-feuilles territorial spécifique à la France et, par voie de conséquence, faire des économies en limitant de fait l’éparpillement de la dépense publique. L’OCDE préconise de mutualiser les plus petites communes et de supprimer les départements de sorte à « générer des économies d’échelle substantielles ». Par ailleurs, l’OCDE note que « l’intercommunalité, qui aurait dû permettre de rationaliser les dépenses entre communes, est venue ajouter un niveau supplémentaire à une organisation territoriale déjà complexe ». Dans son étude, l’OCDE avait anticipé dans son raisonnement une diminution de la part de l’État, de près de 4,5 milliards d’euros des dotations aux collectivités locales, à échéance 2015. L’OCDE voyait dans cette restriction une action visant à enclenché un cercle vertueux qui devrait permettre, à plus ou moins long terme, aux départements de se recentrer sur des compétences sociales: « La pression actuelle est de nature à encourager la mutualisation des services et de dégager ainsi des économies ».

1 OCDE – Rapport annuel sur la situation économique de la France – 19 Mars 2013.

Page 35 sur 74 2.2.3 …pour une réforme jugée incomplète.

Lors du quinquennat 2012/2017, l’exécutif a affiché une volonté de supprimer le département, par ailleurs ,clairement annoncée par le 1er Ministre à l’occasion de son premier discours de politique générale prononcé face à l’assemblée Nationale le 8 Avril 20141. Succédant à Jean-Marc Ayrault, il y assumait l’idée de s’attaquer au mille-feuille territorial spécifique à la France et auquel les gouvernements successifs n’avaient pas réussi à remédier. Le 1er Ministre annonçait vouloir « engager le débat sur l’avenir des Conseils Départementaux » et proposait leur suppression à l’horizon 2021. Reprenant cet axe de réforme, le Président François Hollande a conforté cette réflexion en proposant la création de grandes régions s’inspirant des Länder allemands, leur reconnaissant une valeur de modèle économique et d’efficacité organisationnelle. Sur le fond, cette ambition était réputée permettre, outre une simplification de notre découpage et de notre répartition des compétences, des économies substantielles et d’impacter l’économie française. Sur tous ces points, l’exécutif avait pris en compte les préconisations émises par Jacques Attali quelques années auparavant mais qui étaient restées lettre morte. La vision est toujours aussi simple : supprimer un échelon, c’est éviter les doublons administratifs et c’est garantir plus d’efficacité. Selon le 1er Ministre en fonction, « La France [était] prête à ces réformes ». Sans surprise, cette annonce a été accueillie de manière très différente selon que l’on se positionnait du côté de l’ARF (Association de Régions de France) ou de l’ADF (Association des départements de France). Un premier « grand » pas est fait avec la Loi n°2015-29 du 16 Janvier 20152 consacrant l’idée d’avoir des régions plus fortes mais en nombre moins élevé. Cette loi, qui constitue un point fort de l’acte III de la décentralisation, ramène le nombre de Régions de 22 à 13 Régions métropolitaines en charge notamment du pilotage économique. Le renforcement des régions et l’émergence constituent l’axe fort de cette réforme. L’Acte III de la décentralisation prétendait par ailleurs une spécialisation des collectivités leur permettant d’être attributaire de blocs de compétences précis. C’est sur cette ligne que le

1 Le 1er Ministre Manuel Valls a prononcé deux discours de politique générale face à l’Assemblée Nationale ; le 8 Avril 2014 et le 16/09/2014. 2 Loi n°2015-29 du 16 Janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementale et modifiant le calendrier électoral.

Page 36 sur 74 législateur était attendu et c’est en cela que l’acte III a été jugé inachevé. Le premier volet de la réforme n’a pas été suivi par une redéfinition limpide des rôles des intercommunalités et des départements. Selon les porteurs de cette critique, cette réforme est restée au milieu de gué en mettant en avant un coupe Région-Métropole mais sans aller au boût de la logique qui aurait voulu que les départements disparaissent ou a minima que la répartition des compétences soit clairement actée sur une notion de blocs. Cet entre-deux génère une opposition entre le département et la région. Les partisans d’une région forte restent sur leur faim au regard des promesses du projet législatif confrontées à la réalité du texte voté. A ce titre le projet prévoyait d’octroyer une position forte à la Région en lui confiant le leadership dans le domaine économique, il ne lui reste que les aides aux entreprises et les transports hors agglomération. Cette réforme ne répondrait pas non plus à la problématique du coût généré par un enchevêtrement qui n’aura au demeurant été que très peu modifié A défaut d’emporter la décision politique, les différentes réformes territoriales ont contribué à maintenir, voire conforter l’échelon départemental invitant à avoir un regard différent sur cette entité territoriale. Ce faisant, elle prouve finalement toute son utilité et sa raison d’être dans notre organisation décentralisée et ce, malgré l’agglomérat d’arguments réputés emporter l’intérêt et le devenir de cette collectivité.

2.3 Le maintien du Département de l’ordre du possible ; étude prospective par le prisme de politique d’aide sociale.

A eux seuls, les termes employés par le Directeur général des Services de la Région Aquitaine résument l’état de la problématique posée par la question du maintien du département posée de manière trop dogmatique : «la véritable question est moins la suppression d’un échelon de collectivité que la recherche de la mise en cohérence des actions des différents niveaux de collectivités »1. Cette prise de position fait la synthèse de l’opposition entre la strate des Directeurs Généraux des Services dédiés à la mise en œuvre de la politique publique plus teintée de « technocratie » qui, s’ils ne revendiquent rien, font valoir que la suppression n’est pas une fin en soi et que l’essentiel consiste à faire travailler tous les acteurs qui ont à connaître d’une politique publique de manière cohérente et concertée, et la strate des élus locaux pour qui le département doit demeurer le ciment de proximité territoriale. Il suffit de revenir sur les

1 Gazette des communes 6 Octobre 2008

Page 37 sur 74 transferts réalisés dans le cadre de l’acte III de la décentralisation ; c’est ce qui a été fait par exemple avec les transports scolaires (sauf les enfants handicapés) avec les agents concernés. De sorte à tenter de travailler ce postulat, la réflexion qui suit consiste à envisager de manière prospective l’action sociale à partir du contexte de réforme territorial laissé par les lois Maptam et NoTRE. Elle est en quelque sorte l’illustration que la nécessité réside essentiellement sur la cohérence et la transversalité des organisations plutôt que de la suppression d’un échelon de celle-ci pour tout gage de meilleure efficacité. A tout le moins, il s’agit de démontrer que la fin du département n’est pas le préalable indispensable ; le modèle peut fonctionner sous réserve d’y apporter réglages nécessaires. Cette étude prospective concerne le volet social des fonctions du Conseil Départemental qui touche directement les allocataires concernés par les prestations sociales , qui perçoivent le Conseil Départemental non pas comme une collectivité locale, entité décentralisée, mais comme une structure gestionnaire dont le rôle se cantonne à délivrer des prestations. De sorte à tenir compte de ce contexte de réflexion lié à la suppression des conseils départementaux ,nous aborderons cette vision prospective selon plusieurs scenarii traitant du maintien du dispositif en l’état ,de son renforcement et enfin de son remplacement par une organisation affranchie du concours du conseil départemental dans ce domaine de compétence.

2.3.1 Un dispositif conservé à l’identique.

Suite à l’acte III de la décentralisation, nombreux élus ont souhaité une temporisation sur les réformes annoncées tout en admettant, que des ajustements étaient souhaités. C’est pourquoi, la stabilisation du modèle actuel doit être envisagé tout en y imaginant des outils supplémentaires générant plus de coordination et de simplification pour ce qui est de la gestion. Ces outils nouveaux doivent tendre au développement d’une vision globalisante permettant d’aboutir à un projet social qui puisse concerner l’ensemble du territoire. L’enjeu de ce scenario réside dans la nécessité d’effacer des modes d’organisation multiples causés par des spécificités locales mais aussi de regrouper, fusionner les stratégies diverses et parfois divergentes en vue de projets partagés autour d’une réflexion croisée. Sans remettre en cause la libre administration des collectivités locales, principe constitutionnel, et l’idée qu’aucune supériorité d’une collectivité sur une autre ne doit exister, permettant à chacun de s’organiser, la définition d’une stratégie globale et donc d’outils communs doit être envisagée.

Page 38 sur 74 Cette démarche peut s’inspirer de ce qui est réalisé dans le cadres des projets de territoire »1 (pilotage local partagé, mobilisation des différents acteurs locaux et institutionnels, prise en compte des spécificités des publics et des territoires par le biais de d’outils partagés).

2.3.2 Un Conseil Départemental vidé de ses compétences.

Autre option pouvant être imaginée, la « dévitalisation du Conseil Départemental ». Celle-ci est redoutée car elle apparait comme inéluctable compte tenu du cadre posé par l’acte III de la décentralisation auquel est venu s’ajouter les conditions imposées dans le Pacte de Cahors2 . C’est en substance ce qu’avançait un Conseiller départemental du Maine et Loire à l’occasion des débats relatifs au budget 2019 alors qu’il rapportait le contexte financier global: «il y a deux modalités pour faire disparaître le département : encadrer ses dépenses et encadrer ses recettes ».3 Dans ce cadre, l’affaiblissement du Conseil départemental pourrait ainsi se faire au profit d’un binôme intercommunalité- Région qui pourrait alors monter en charge et ce notamment sur les politiques d’insertion. En effet, la dernière réforme a confié à la Région des compétences dans les domaines de la formation professionnelle, du développement économique de la gestion des fonds européens ou les transports scolaires (exceptés les enfants handicapés). Qu’empêcherait donc les conseils régionaux d’assurer le pilotage de l’action sociale, procédant du développement socio-économique, soit confiée à la région? Les intercommunalités seraient quant à elles chargées d’assurer le lien de proximité avec les allocataires et donc de la mise en œuvre des outils opérationnels. Il peut être considéré que cette option représente une application très avancée de la loi NOTRe avec d’un côté les entités qui en assurent la conceptualisation et de l’autre la mise en œuvre. Pour justifier ce modèle, les plus critiques dépeignent un conseil départemental « à boût de souffle » en raison d’une organisation verticale, des procédures rigides et cloisonnées. On lui reproche également un manque d’animation territoriale générant une image de gestionnaire quelque peu déshumanisé et ce malgré la puissance développée par des services investis et impliqués à cette tâche colossale sans qu’aucune publicité eu égard aux missions exécutées ne soit faite et qui, finalement renvoie l’idée « d’une collectivité de l’ombre ». Dans l’inconscient collectif, cette collectivité est réduite à l’unique vocation de délivrer des prestations sociales.

1 Issu de la loi du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire, dite loi Voynet ou LOADDT. 2 Cf. infra. 3 Vote du budget 2019, Conseil départemental du Maine et Loire, 4 et 5 Février 2019.

Page 39 sur 74 Ce changement de paradigme aurait pour corolaire la volonté de doter les politiques publiques de plus de lisibilité et de cohérence corrélée à une analyse poussée des nécessités locales grâce à un maillage territorial plus adapté, favorisant une nouvelle dynamique locale.

2.3.3 Un Conseil Départemental renforcé.

Malgré des débats multi séculaires quant à la pérennité de cette entité territoriale, celle-ci a traversé les années en se renforçant au gré des réformes législatives. Les conseils départementaux ont ainsi vu leur rôle régulièrement renforcé en matière d’action sociale depuis les prémices de la décentralisation1 , à laquelle, lorsque l’Etat commençait à se délester de cette charge par soucis de bonne gestion financière. Lui reconnaissant de plus en plus de responsabilités au fil des réformes les pouvoirs publics ont confirmé l’ancrage du Département comme chef de file de l’action sociale depuis l’acte II de la décentralisation. Au cours des quinze dernières années, la croissance des dépenses sociales départementales tient une place importante, comme le reprend le schéma produit par l’Association Nationale des Directeurs d'Action Sociale et de Santé en 2014:

1 Cf. Partie I.

Page 40 sur 74 Ainsi, deux chiffres clé traduisent cette montée en puissance des dépenses sociales départementales. Celles-ci ont gagné +150% en 15 ans et le nombre des bénéficiaires a gagné plus de 100 %. Par ailleurs, les intercommunalités semblent encore assez frileuses pour s’attaquer à un dossier d’une telle envergure. Il existe encore peu de Comités Intercommunaux d’Action Sociale (CIAS) et le nombre de délégations ou de transferts de compétences sociales est encore faibles. L’intercommunalité est encore aujourd’hui vécue comme une collectivité au sein de laquelle des projets sont conçus et imaginés et non pas encore comme une collectivité gestionnaire. La Loi MAPTAM de 2014 permet au Conseil Départemental d’endosser ce rôle de chef de file dans le domaine de l’action sociale et ce, malgré un contexte financier de plus en plus contraint. Ce nouvel élan de décentralisation sociale forte, permettant au conseil départemental de différencier les politiques sociales en fonction des réalités des territoires, permettrait à celui-ci de ne plus agir comme un opérateur de l’Etat, situation vécue difficilement aujourd’hui. En effet, les politiques sociales, décidées à l’échelon central, sont mises en œuvre à l’échelon local occasionnant le transfert d’une charge, avec une compensation financière qui n’évolue pas dans le temps et tend à ne pas couvrir totalement la dépense. Au titre de cette autonomie gagnée, les conseils départementaux pourraient s’emparer de la création, du financement, de l’animation et donc de la maîtrise des mécanismes sociaux qu’ils contribueront à mettre en place. Il s’agira ensuite de travailler la cohérence et la transversalité nécessaire entre sa compétence déployée et les autres politiques publiques. Tout ceci ne sera possible qu’en clarifiant au préalable le rôle de l’Etat, qui n’aurait plus qu’un rôle de contrôle, et du conseil départemental. Cette vision pourrait toutefois être modulée et envisagée selon un modus operandi intermédiaire fondé sur un partage des actions à l’instar de ce que nous avions envisagé pour le couple Région - Intercommunalité. Il s’agirait de recentrer les Conseil Départementaux sur l’accompagnement des usagers adapté aux contextes locaux et identifier l’Etat comme seul gestionnaire des droits des citoyens. Cette dernière piste aurait pour corolaire le retrait du financement des droits universels dont les critères d’application sont définis par le législateur, au profit de l’Etat et ce toujours dans l’optique de redonner de l’autonomie financière aux Conseils Départementaux. Cette option consistant à remettre dans le jeu le département, permet finalement de revenir à l’essence même de ce que doit être la décentralisation et des objectifs essentiels qu’elle doit poursuivre au travers du déploiement de politiques publiques au plus proche du territoire.

Page 41 sur 74 Cette réflexion nous convainc que l’amélioration de notre système passera nécessairement par une redéfinition des contours de toute cette organisation territoriale. Elle met en avant des traitements qui pourraient être différenciés augurant sans doute de ce que pourrait être cette nouvelle réforme et conforté par l’idée que la différenciation est un axe qui a déjà été exploité en France. Cette propension à déployer des mesures différentes selon les besoins de certains territoires appellera nécessairement à se poser la question de savoir si ce modèle peut avoir pour conséquence une rupture d’égalité des usagers. Nous verrons plus tard, qu’il peut s’agir d’un pas en direction d’un principe de différenciation territoriale plus assumée.

III. LE DEPARTEMENT PRESERVE ; VERS UN ACTE IV BASE SUR LA DIFFERENCIATION.

La suppression du Conseil Départemental est-elle le préalable indispensable au bon fonctionnement de l’administration territoriale Française ? En d’autres mots, le Département est-il le point d’achoppement d’une réforme qui voudrait faciliter l’action territoriale, la simplifier mais aussi la rendre moins dispendieuse. Les détracteurs de cet acte III jugé insatisfaisant, préconisent d’engager rapidement une nouvelle réforme de la décentralisation avec, comme préalable, la suppression du département considéré comme frein à la décentralisation. Avec la Loi NOTRe, à défaut d’avoir réglé cette question, il peut être admis que la porte est ouverte à une recherche de ce qui sera la meilleure forme de décentralisation. Si, comme nous l’avons vu précédemment, il existait une volonté politique forte du pouvoir de mettre la fin du département à l’ordre du jour de la réforme territoriale à venir et d’en faire le point central de cet acte de III de la décentralisation. Contrecarrés par un lobby des élus locaux, notamment au Parlement, les pouvoirs en place (sous les quinquennats des Présidents Sarkozy et Hollande) ont dû se résoudre à redéfinir les axes des réformes conduites sans pour autant prendre le risque de soumettre cette question à un référendum, conformément à l’article 89 de la Constitution du 4 Octobre 1958. La jurisprudence De Gaulle pour ce qui est de l’organisation d’un Référendum et une majorité défavorable (en raison d’un trop grand nombre d’élus locaux) au Congrès leur ne leur permettent d’envisager aucune des deux options inhérentes à une révision constitutionnelle ayant pour objectif cette suppression.

Page 42 sur 74 Pour autant, le pragmatisme politique et un contexte social tendu depuis l’automne 2018, invite le Président de la République fraichement élu à beaucoup de prudence et en tout état de cause à ne pas retenir la suppression de cet échelon comme élément fondateur d’une réforme future. L’axe retenu en vue de reconsidérer l’organisation territoriale ne semble plus s’orienter vers la suppression d’un échelon territorial mais vers un modèle au sein duquel la répartition des compétences et la manière dont elles sont mises en œuvre puissent être diversifiées de sorte à gagner en proximité vis-à-vis du citoyen mais aussi en adaptabilité pour chacun des territoires compte tenu de leurs spécificités. Sans surprise, ce modèle souffre déjà de nombreuses critiques. Pour certains, il manque d’ambition et traduit l’incapacité des décideurs à vouloir trancher cette question avec pour conséquence de rester au milieu du gué. Il contribuerait ensuite à complexifier encore un peu plus notre organisation territoriale et que cette question ne règlerait définitivement pas la question du mille feuilles territorial ni la question du coût exagéré qu’on lui prête. Nous aborderons donc, dans cette partie, la question du département dans la globalité de la décentralisation par le prisme de son maintien dans le cadre d’une vision idiosyncrasique des territoires, conformément à la réflexion constitutionnelle menée sur la différenciation territoriale. Nous analyserons dans un premier temps l’état du département à la sortie de l’acte III de la décentralisation (1) pour ensuite réfléchir sur cette la notion de différenciation territoriale qui, si elle présente déjà de nombreux modèle (2), pourrait constituer, compte tenu de la volonté politique affichée le début d’un acte IV de la décentralisation (3).

3.1 Le Département issu de l’Acte III de la décentralisation : un paradoxe.

L’entité décentralisée que représente le département ressort de l’acte III de la décentralisation avec une aura qui relève du paradoxe. Il est à la fois fragilisé et renforcé. En effet, son nouveau statut ne permet pas à cette collectivité de jouer finalement d’une position dominante ,peinant à assurer de sa dimension incontournable ;ce qui contribue à une suite d’analyses juridique qui postulent aussi bien en faveur de son affaiblissement et à l’inverse dans le sens de son renforcement ce qui témoignant d’un paradoxe.

Page 43 sur 74 3.1.1 Un département diminué au profit des Régions et des intercommunalités.

Outre la suppression de la clause générale de compétence, le département a vu certaines de ses compétences transférées sous la responsabilité de la Région notamment ; sans compter les mouvements opérés ou à mettre en œuvre vers les métropoles, (abordé ultérieurement) et avec lesquels, tout comme avec les intercommunalités, il est en concurrence marquée. Avant d’aborder plus en détail le changement du mode scrutin1 et les conséquences qu’il a pu avoir sur l’aura du conseil départemental, la loi Organique du 14 Février 20142 apporte un changement dans le cadre du cumul des mandats. Ce texte interdit désormais de cumuler un mandat de parlementaire avec un autre mandat d’exécutif local à savoir Vice-Président ou Président. Les présidents d’un exécutif local ont ainsi massivement préféré solliciter le renouvellement de leur mandat local au détriment de leur mandat parlementaire remis en jeu en 2017.La maxime de Jules César qui veut que « mieux vaut être le premier dans son village que le second à Rome » trouve ici tout son sens. En d’autres termes, le lobby départemental qui a sans doute contribué à préserver le département dans le cadre des débats liés aux projets de textes Maptam et NOTRe, n’opposera pas la même résistance en cas de nouvelle joute menaçant l’existence du Conseil départemental. Le département est par ailleurs présenté aujourd’hui comme ayant un rayonnement beaucoup plus étriqué dans sa capacité d’action en raison de sa position de collectivité qualifiée d’intermédiaire. En effet, si le socle de base des compétences départementales demeure, le département perd à nouveau, avec la loi NOTRe, la clause générale de compétence. L'article 94 de la loi dispose ainsi que « le conseil départemental règle par ses délibérations les affaires du département dans les domaines de compétences que la loi lui attribue ». A défaut de parvenir à la suppression d’un échelon territorial cette suppression avait pour objectif de clarifier la répartition des compétences et donc de lutter contre l’enchevêtrement et les doublons. Cette démarche s’accompagne de la volonté de n’attribuer que des compétences exclusives aux collectivités territoriales. Par ailleurs, cette suppression de la liberté d’initiative des départements et des régions témoigne d’une volonté de ramener ces collectivités à ne dépenser que pour les compétences que le

1 LOI n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral 2 Loi Organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.

Page 44 sur 74 législateur leur a expressément et précisément attribuées, dans un contexte financier contraint. Effectivement, les marges de manœuvre des départements se sont considérablement amoindries, atteignant d'ailleurs dans certains d’entre eux le socle de base des compétences. Le département développeur et moteur économique n’est donc plus d’actualité. Dans ce cadre, il s’agissait de confier au département, garant de la solidarité, la gestion d'un certain nombre de prestations qui relèvent de l'idée de solidarité nationale mais qui sont mises en œuvre à l'échelon local. Le critère de proximité est ainsi privilégié. Le département n'apparaît ainsi plus comme un échelon stratégique, mais comme un territoire de gestion opérationnelle bloqué dans des exigences diverses qui vont de l'État aux structures intercommunales en passant par les régions. Le département, tel qu’il est issu de cette acte III de la décentralisation, conserve une position de collectivité intermédiaire que pourraient lui subtiliser les intercommunalités. En fonction du poids de ces dernières (Métropoles) et de leur rayonnement territorial (rural vs urbain) le département devra évoluer et résister aux assauts des intercommunalités au risque de perdre de plus en plus de terrain, de s’éteindre faute de compétences et d’abandonner les secteurs les plus reculés sur lesquels son rôle restera prépondérant. Pour ce qui concerne la fonction de soutien du département aux territoires fragilisés, celle-ci se trouve entamée par des intercommunalités qui montent en puissance et qui s’organisent afin d'opérer un développement harmonieux de leur territoire.

3.1.2 Un département renforcé politiquement.

A l’inverse, il peut être considéré que le département sort conforté des dernières réformes Ainsi, si l’idée de la création de régions plus grandes, dotées de compétences renforcées devait avoir comme corolaire la suppression des départements de sorte à tendre vers le modèle du Länder allemand. Cette montée en charge de la Région a eu pour conséquence paradoxale, de repousser cette suppression. Par ailleurs, le changement des règles du scrutin départemental (abordé plus haut) consistant en une élection au scrutin binominal majoritaire à deux tour avait pour volonté d’aboutir à une assemblée départementale composée de manière paritaire ; pour chaque canton une femme et un homme sont élus sur le même bulletin et siègent donc au conseil. Ces nouvelles règles s’appuient sur un redécoupage des cantons pour un nombre d’élus qui demeure identique. Dans les faits, cette réforme a engendré, certes, la parité au sein de l’hémicycle mais aussi le rajeunissement de la classe politique locale. Elle avait comme objectif avoué de renforcer

Page 45 sur 74 l’ancrage territorial des élus et d’en améliorer leur représentativité. De là à qualifier ces injonctions de paradoxales, il n’y a un pas. D’un côté, la suppression du département se voulait être le salut d’une relance de la décentralisation mais à l’inverse, le changement du mode de scrutin entraine un rajeunissement voire une redynamisation de l’institution Conseil Départemental, la confortant de fait. Ce paradoxe peut trouver du sens dans cette carte régionale recomposée, où certaines grandes régions sont apparues, et où il semblait nécessaire de maintenir un échelon intermédiaire servant de relais entre le bloc communal et les régions. En effet, s’il est un domaine qui est défendu par les élus locaux et qui a pu contribuer à préserver le département, c’est le lien territorial qu’il est à même de tisser et de maintenir au fil des réformes. La diversification des territoires est telle que nous assistons à une opposition rurale versus urbain et au développement d’une compétition entre les entités composant le paysage territorial français. Prenons pour exemple, le département de l’Ain. Ce territoire, sur lequel n’existe aucune métropole, est composé de cinq pays illustrant sa diversité géographique. Le blason de l'Ain reflète bien cet agglomérat de territoires et leur histoire, puisqu’il est divisé en quatre parties : les seigneurs de Bresse, le pays de Gex, la Dombes et les seigneurs du Bugey. Ces territoires très diversifiés ne partagent que très peu ensemble et échangent peu vers l’extérieur du département. Dans ce contexte, seul le Département peur assurer le lien territorial dans les interstices.

3.1.3 Les Freins constitutionnels à la suppression.

A l’inverse du frein politique qui semble se déliter en raison de l’interdiction du cumul des mandats, le frein constitutionnel demeure donnant du crédit à la théorie selon laquelle, le département est ressorti renforcé de cette période de réforme. La Constitution du 4 Octobre 1958 ne précise pas clairement que la suppression du département ne peut se faire que sous réserve d’une modification de la constitution ; cette disposition n’y est pas explicitement exprimée. Les départements apparaissent dans le texte constitutionnel à l’article 72 alinéa 1 : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa ».1

1 Cette dernière rédaction a été actée par la loi constitutionnelle 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

Page 46 sur 74 En raison de sa constitutionnalisation lointaine comme collectivité départementale (1791, repris en 1793 et 1795)1,certains constitutionnalistes considèrent que le département , peut être supprimé en cette qualité, étant compris comme conseil général (puis Conseil Départemental) sans supprimer le département. En d’autres termes, il s’agirait donc de supprimer le conseil départemental sans supprimer le département et ce, sans révision constitutionnelle. Il ne subsisterait alors que le département comme entité déconcentrée de l’action de l’Etat. D’autre s’opposent à cette vision partant de l’idée que le Titre XII de la constitution notamment en son article 72, n’envisage les départements que comme des collectivités départementales décentralisées et que par ailleurs le département comme échelon déconcentré de l’Etat n’avait pas de reconnaissance constitutionnelle. Par déduction, la suppression de l’entité décentralisée « département » nécessite une révision constitutionnelle. Cette révision constitutionnelle qui aurait pour finalité de retirer le département de la liste des collectivités locales de l’article 72 alinéa 1 de la constitution, semble improbable. Les collectivités territoriales peuvent également tirer leur légitimité constitutionnelle du principe même de la décentralisation au travers du fait qu’elles représentent une personne morales distincte de l’Etat. Si la suppression du département est soumise au verrou constitutionnel, chacun d’eux peut être amené à être transformé voire supprimé. Il s’agit alors de faire sortir une collectivité de sa catégorie et la propulser en collectivité à statut spécifique, solution validée pour la Corse. La loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse2 a été validée par le conseil constitutionnel3 : « la constitution ne fait pas obstacle à ce que le législateur, agissant sur le fondement des dispositions précitées dans les articles 34 et 72, crée une nouvelle catégorie de collectivité territoriale, même ne comprenant qu’une unité, et la dote d’un statut spécifique. Extension faite de cet arbitrage aux départements ultra marins ainsi qu’aux métropoles, la question se posera inévitablement de savoir, si chaque département peut être supprimé, à concurrence de la totalité d’entre eux. Les constitutionnalistes semblent s’accorder sur l’idée que l’article 72 de la constitution précise que « des départements » doivent exister sur le territoire national, sans pour autant en fixer le nombre. Nous pouvons penser que cette catégorie ne pourrait être vidée peu à peu de son contenu par la suppression « de » départements ; la question se posera-t-elle un jour au regard

1 En 1791 dans la constitution des 3 et 14 Septembre 1791 – En 1793, dans la constitution du 24 Juin 1793 – En 1795, dans la constitution du 5 Fructidor an III (22 Août 1795). 2 Loi 91-428 du 13 Mai 1991, portant statut de la collectivité territoriale de Corse 3 Décision n°92-290 DC du 9 mai 1991.

Page 47 sur 74 de la multiplication des velléités de différenciation qui se font jour (Alsace, Métropole Aix Marseille, Savoie et Haute Savoie). Ainsi, au regard de la situation issue de la réforme dite de l’acte III de la décentralisation, bon nombre d’élus sont convaincus qu’une nouvelle réforme doit arriver vite afin de repenser cette décentralisation ,lui donner un nouvel élan ;en gage aux élus locaux qui reprochent au nouveau Président de la République son manque de proximité et, en lien avec la crise des gilets jaunes et ce qu’elle a pu exacerber dans le débat relatif aux territoire, le besoins de plus de liens, plus ou mieux de service public. L’arrivée au pouvoir du Président n’enterre pas pour autant, ou tout au moins pour un temps court, l’idée de la suppression du département. Cette piste se voulait être un axe fort d’une révision constitutionnelle (incrémentée d’un autre concept, celui de la différenciation) présentée comme le round n°2 d’une réforme dite « incomplète » apportée par les lois Maptam et NOTRe. Ainsi, les freins politiques et constitutionnels, le sentiment que le département n’est pas ressorti de l’acte III de la décentralisation aussi affaibli qu’il n’y paraissait ainsi que le contexte social peu propice à une réforme visant à supprimé un échelon local, a incité le pouvoir en place à imaginer une autre piste de réflexion pour redynamiser la décentralisation (et ne pas devoir trancher la question du maintien du département). En cela, la différenciation territoriale correspond à un regain de décentralisation qui en soi ne doit être vu que comme un processus permettant de rendre un service public de qualité, toujours plus efficace.

3.2 La différenciation, concept déjà ancré dans le paysage Constitutionnel.

La République est une et indivisible certes, il s’agit là du postulat gravé dans l’article 1er de la Constitution du 4 Octobre 1958. Mais peut-on parler d’uniformité pour autant ? Cette idée de différenciation territoriale existait déjà depuis de nombreuses années et ce, sur des modèles avancés ayant démontré la faisabilité de ces organisations dérogatoires. L’Outre-mer, les métropoles étaient les premiers terrains de différenciation ou comme nous le verrons plus tard « d’adaptation » ; cet instrument sera ancré dans l’organisation administrative territoriale avec la Loi Maptam. L’idée de différenciation a été redynamisée avec la loi NOTRe et trouve aujourd’hui tout son sens dans les revendications apparues dans le cadre du grand débat national (crise des gilets jaunes). Par ailleurs, la Collectivité de Corse figure également dans les régimes dérogatoires suscitant, de fait, quelques velléités d’autres collectivités allant vers des territoires idiosyncrasiques, généré par une

Page 48 sur 74 nécessité de coller aux impératifs induits par des changements eux même conditionnés par des besoins locaux ou volontés politiques locales.

3.2.1 L’outre-mer.

L’Outre-mer synthétise constitue le modèle de différenciation mis en place depuis de nombreuses années au travers de ses nombreuses dérogations, exceptions, adaptations. Cette notion de différenciation y est appréhendée, soit par les compétences ou alors par les normes. M. Vincent de Briant1 , commentant le projet de loi constitutionnelle déposé le 9 mai 2018, relevait que « La « différenciation » territoriale n’est (...) pas une nouveauté. Le Conseil d’État l’a rappelé dans son avis du 7 décembre 2017 (...). Elle concerne déjà l’ensemble des outre- mer, les collectivités à statut particulier (Paris, Lyon, la Corse...), tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) dont aucun ne ressemble à un autre, métropoles comprises, et la région Île-de-France. En cela, le « droit à la différenciation » évoqué ne brise aucun tabou, ni ne renverse aucun totem, qu’ils soient constitutionnels ou administratifs ». La différenciation territoriale existe donc en en outre-mer constituant une sorte de laboratoire institutionnel dont certaines expériences nourrissent aujourd’hui la réflexion relative au processus de décentralisation sur le territoire métropolitain. La Loi constitutionnelle pour une démocratie, représentative, responsable et efficace déposé par le Gouvernement le 9 mai 2018 intègre cette dimension dérogatoire. Il est question d’une part que des collectivités de même rang puisse avoir des compétences différentes mais aussi que certaines entités puissent déroger à des dispositions législatives ou règlement pour des motifs encadrés par un texte de loi. Avant la notion de différenciation, il était question d’adaptation. C’est la loi portant adaptation de la loi n°82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements, des régions à la Guadeloupe, à la Guyane, à la Martinique et à la Réunion, certes censurée par le Conseil 2 Constitutionnel par le Conseil Constitutionnel , pas prêt à bouleverser le champ institutionnel local, mais qui ouvrait le champ de cette adaptation.

1 « Le droit à la différenciation territoriale : entre totems et tabous », AJ Collectivités Territoriales 2018 p.233 2 Décision DC 82-147 du 2 Décembre 1972.

Page 49 sur 74 Finalement, c’est véritablement la loi n° 84-747 du 02/08/19841 relative aux compétences des régions d’outre-mer qui envisage une organisation différenciée pour l’outre-mer, deux années plus tard. Ensuite, la loi constitutionnelle 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la république a clairement ancré cette terminologie d’adaptation dans le cadre législatif. Elle a consacré les droits à des traitements différenciés pour chaque entité située en outre-mer, en application des articles 73 et 74 qui les régissent. Pour résumer, certaines collectivités d’outre-mer sont soumise au principe d’identité législative, d’autres sont concernées par le principe de spécialité législative. Pour ce qui concerne les Terres Australes et Antarctiques Françaises ainsi que le Nouvelle Calédonie, celles-ci relèvent d’autres régimes spécifiques.

3.2.1.1 Les Collectivités de l’article 73 de la constitution.

Ainsi, selon l’article 73 de la Constitution traitant du principe d’identité législative applicable à la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, la Réunion et Mayotte. Les lois y sont applicables de plein droit. Au sein de ces collectivités, l’article 73 effectue une distinction peut avec, d’une part, les DOM et ROM (la Guadeloupe et La Réunion) et, d’autre part, la collectivité territoriale de Martinique, la collectivité territoriale de Guyane et le département de Mayotte qui regroupent région et département en une collectivité unique. L’article 73 prévoit que ces régimes peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux spécificités de ces collectivités. « Dans les départements et les régions d'outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l'objet d'adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. Ces adaptations peuvent être décidées par ces collectivités dans les matières où s'exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées par la loi, selon Le cas, par la loi ou par le règlement. Par dérogation au premier alinéa et pour tenir compte de leurs spécificités, les collectivités régies par le présent article peuvent être habilitées par la loi, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.

1 Loi n° 84-747 du 02/08/1984 relative aux compétences des régions de Guadeloupe, Guyane, à la Martinique la réunion.

Page 50 sur 74 Ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l'état et la capacité des personnes, l'organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l'ordre publics, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral. Cette énumération pourra être précisée et complétée par une loi organique. Les habilitations prévues aux deuxième et troisième alinéas sont décidés, à la demande de la collectivité concernée, dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Elles ne peuvent intervenir lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti. La création par la loi d'une collectivité se substituant à un département et une région d'outre- mer ou l'institution d'une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans qu'ait été recueilli, selon les formes prévues au second alinéa de l'article 72-4, le consentement des électeurs inscrits dans le ressort de ces collectivités. » Ainsi, cette différenciation est entendue comme la faculté pour les collectivités de décider elles- mêmes de déroger à des normes fixées au niveau national. Sous réserve du cadre strict posé par cet article 73 la faculté leur est donc laissée de fixer de façon pérenne des règles différentes de celles édictées par le législateur ou le pouvoir réglementaire. Pour ce qui concerne le territoire métropolitain, les collectivités de l’article 72 de la Constitution ne disposent pas de cette même faculté. La réforme introduite en 2003 met en avant le cadre d’une expérimentation permettant de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences mais ne pousse pas plus avant cette possibilité de dérogation.

3.2.1.2 Les Collectivités de l’article 74 de la Constitution.

L’article 74 de la Constitution, quant à lui, traite des Collectivités d’Outre-mer soumise au principe de spécialité législative. Au sein de ces collectivités, les lois ou les règlements n’y sont applicables que si le texte de loi organique l’exprime. Certains textes, en raison de leur importance sont d’application directe et ne nécessitent pas de mention express1. Ce n’est donc pas la Constitution mais une loi organique qui opère le choix de la non application du droit métropolitain. Les collectivités soumises à ce

1 « La présente loi est applicable en Polynésie Française… » par exemple.

Page 51 sur 74 principe sont au nombre de cinq. Aux termes de l’article 74 de la constitution, « les collectivités d’outre-mer régies par le présent article ont un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’entre elles au sein de la République ». Elles sont toutes soumises a priori au principe de spécialité législative. Il faut toutefois y opérer une distinction. Pour la Polynésie Française, et Wallis et Futuna, il s’agit d’une application stricte du principe de spécialité législative. En revanche, pour ce qui concerne Saint- Barthélemy, Saint- Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, la plupart des textes y sont applicables de plein droit ; aucune mention n’est donc nécessaire. Parmi les textes applicables, certains ne nécessitent pas la mention express. Il s’agit des textes législatifs et règlementaires, qui par application stricte du principe d’unité doivent couvrir l’ensemble du territoire français, sans exception. Ces lois dites « de souveraineté » sont applicables de plein droit1. Cet article 74 offre la possibilité de véritables statuts « à la carte » pour ces COM, statuts dans lesquels coexistent les régime d’identité et de spécialité législative, car dans ce cas, le droit commun ne s’applique pas sauf exception.

3.2.1.3 La Nouvelle Calédonie.

La Nouvelle-Calédonie, devenue française en 1853, dispose d’un statut à mi-chemin entre celui d’un Etat et celui d’une collectivité depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998 mettant en application les accords de Nouméa du 5 mai 19982.Elle dispose à ce titre de pouvoirs très importants. La Constitution, dans son titre XIII, fait expressément référence à cet accord qui contient le principe du transfert progressif des compétences de l’État à la Nouvelle- Calédonie. La quasi-totalité des compétences régaliennes reste du ressort de l’Etat (armée, maintien de l’ordre, justice, droit pénal, monnaie, relations extérieures…). En revanche, le gouvernement et le congrès peuvent adopter de vraies lois « du pays ». La Nouvelle-Calédonie

1 Il s’agit des lois constitutionnelles, les lois organiques quand elles ne correspondent pas à une spécificité locale, les textes concernant les grandes juridictions nationales, les textes relatifs à la nationalité, les textes portant sur les fonctionnaires d’Etat et les militaires. 2 Accord e Nouméa (1998) s prévoyant le transfert de certaines compétences de la France vers la Nouvelle- Calédonie dans de nombreux domaines à l'exception de ceux de la défense, de la sécurité, de la justice et de la monnaie. Négocié à la suite des accords de Matignon de 1988, l'accord fut signé le 5 mai 1998 à Nouméa sous l'égide du 1er Ministre . Ces accords font suite aux évènements qui ont touché la Nouvelle Calédonie du 21/04/1988 au 5/5/1988 se soldant par les évènements tragiques de la grotte d’Ouvéa.

Page 52 sur 74 dispose également de certaines compétences internationales1, reposant sur le principe de la « souveraineté partagée » instauré par l’ Accord de Nouméa.

3.2.1.4 Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF).

Pour ce qui des Terres Antarctiques et Australes Françaises (TAAF), celles-ci sont privées de la population qui représente un élément constitutif d’une collectivité territoriale. Lors de la révision de la Constitution de 2003, l’article 72-3 est venu préciser dans son dernier alinéa que « la loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des TAAF. La loi du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer et apporte quelques modifications. Elle fixe notamment le principe de spécialisation législative, en vertu duquel ne s’appliquent que les dispositions comportant une mention expresse en ce sens « s’applique dans les TAAF ». Par dérogation à ce principe, sont applicables de plein droit les lois et règlements portant sur une série de matières limitativement énumérées (dix rubriques portant essentiellement sur des pouvoirs régaliens).

Si l’outre-mer était déjà vecteur de cette idée de différenciation territoriale, le développement des Métropoles contribuent également à l’affirmation de ces modes dérogatoires.

3.2.2 Les métropoles.

La Loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 portant réforme des collectivités territoriales définit une métropole qui est substituée dans certaines compétences du département et, dans une moindre mesure, de la région. Ces deux collectivités conservent toutefois leurs autres compétences à l'intérieur de son périmètre, selon des critères, jugés restrictifs, et qui n’ont suscité que peu de velléités de se lancer dans cette métamorphose. Seule Nice avait souhaité s’avancer dans cette démarche. L’article 90 de la loi NOTRe rend possible ce transfert de compétences du département vers les métropoles laissant croire à une redistribution des missions des départements.

1 Coopération avec des Etats souverains du Pacifique par exemple.

Page 53 sur 74 Cet article précise par ailleurs qu’à défaut de convention au 1er janvier 2017, sur au moins trois groupes de compétence mentionné sur huit mentionnées, la totalité de ces compétences (sauf celles spécifiées au 8°paragraphe) sont transférés de plein droit à la métropole. La loi précise ensuite que cette réattribution donne lieu au transfert des ressources correspondantes. Par ailleurs, des compétences sont transférées de plein droit du département à la métropole, au titre desquelles notamment les transports scolaires et la gestion des routes du domaine routier départemental. Si la Loi Modernisation de l’action publique territoriale et de l’affirmation des métropoles MAPTAM, qui crée par un nouveau statut pour les métropoles, afin de permettre aux agglomérations de plus de 400 000 habitants d’exercer pleinement leur rôle en matière de développement économique, d’innovation, de transition énergétique et de politique de la ville, il faut savoir que d’autres entités telles que les agglomérations, les Communautés Urbaines et autres existaient et étaient déjà un modèle de mise en œuvre de la différenciation défiant déjà l’idée d’une uniformité accolée à la décentralisation. Cette loi, redonne du dynamisme au concept de métropole, en diversifiant leur statut afin que celle-ci soit le mieux adaptée possible au territoire concerné : plus de souplesse pour le rendre plus attractif. Désormais, on tient compte des contextes locaux mais aussi des enjeux politiques. La Métropole constitue un exemple type de ce qu’est déjà la différenciation. La loi Maptam crée la métropole tout en se refusant de créer un statut unique ; quatre statuts cohabitent pour quatorze entités qui prétendent au titre de Métropole. La volonté du législateur a été de fixer un cadre commun1 , pour un socle d’organisation similaire et des compétences identiques définissant une métropole. Une fois ce socle posé, il est encore possible d’adapter et d’y déroger. On aboutit donc à des métropoles sur mesure, qui respectent certains critères et en adaptent d’autres mais qui suivent néanmoins un schéma principal, laissant penser qu’il s’agit là du cadre principal et la définition de ce qu’est, à la base, la métropole. Ce statut « général » s’applique aux onze métropoles « de droit commun » et donc à l’exception des métropoles de Lyon, Aix-Marseille et Paris qui ne représentent toutefois qu’une dérogation à ce statut principal.

1 La loi Modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, du 27 Janvier 2014, Chapitre IV : La Métropole.

Page 54 sur 74 En créant les métropoles, l’objectif était de dynamiser le tissu urbain, et donner moyen aux agglomérations de se positionner face aux grandes agglomérations européennes. C’est l’idée d’une capitale économique, leader sur un territoire et qui fait profiter les territoires limitrophes de sa réussite, des richesses récoltées par le biais de l’idée de ruissellement. Sans aborder le détail du fonctionnement de ces entités, nous nous attarderons plus sur les compétences dévolues. Un bloc de compétences est alloué aux Métropoles, de manière quasi identique. Celui-ci concerne les six grandes thématiques communales dont la Métropole hérite à sa création : développement et de l’aménagement économique, social et culturel, de l’aménagement de l’espace métropolitain, de la politique locale de l’habitat, de la politique de la ville, de la gestion des services d’intérêt collectif, la protection et la mise en valeur de l’environnement et la politique du cadre de vie. La Métropole récupère également les cptces de feu l’EPCI qui existait antérieurement, justifiant par la même des différences. Certaines attributions étatiques, départementales ou régionales sont également possible, faisant des métropoles des acteurs locaux disposant d’un très grand nombre de compétences, ce qui a fait craindre à une montée en charge telle, que celle-ci ne pouvait se faire qu’au détriment du département. La métropole, peut également se voir transférer de grands équipements et infrastructure. La loi NOTRe a rigidifié la procédure de transfert de compétences du département vers la métropole, obligeant ce partage à porter sur au moins trois compétences départementales comprises dans une liste indiquée par la loi, faute de quoi, l’ensemble de ses compétences sera transféré de plein droit aux métropoles. Pour ce qui est des routes, cette compétence doit obligatoirement faire l’objet d’une convention organisant le transfert entre la Métropole et le département ; a minima, cette convention fixe les modalités d’action du département dans ce domaine, cette compétence devant alors être organisée en parfaite cohérence et concertation avec les politiques métropolitaines. Au 1er janvier 2018, il existe vingt-et-une métropoles. Dix-neuf sont réputées être des métropoles de droit commun (Bordeaux, Brest, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, , Metz, Montpellier, Toulon, Nancy, Nantes, Nice, Orléans, Rennes, Rouen, Saint-Étienne, Strasbourg, Toulouse et Tours) et deux métropoles à statut particulier (Aix-Marseille et Paris). La métropole de Lyon, créée par la loi MAPTAM, est une collectivité territoriale à statut particulier. Les métropoles du Grand Paris, Lyon et Aix Marseille se départissent du « statut général » tout en se différenciant les unes des autres pour représenter chacune un cas spécifique.

Page 55 sur 74 La métropole d’Aix-Marseille regroupe non pas des communes mais des intercommunalités à fiscalité propre, et compte 1.8 millions d’habitants. La Métropole du Grand Paris est définie quant à elle comme un Etablissement Public à fiscalité propre à statut particulier. Sa population s’élève à sept millions d’habitants. Ces deux métropoles se différencient surtout en raison d’une organisation infra-métropolitaine, qui pourrait être vue comme une complexification supplémentaire. Cette modalité était initialement prévue pour l’ensemble des métropoles mais n’a été maintenue que pour Paris et Aix-Marseille. La Métropole Aix-Marseille est donc divisée en conseils de territoires, dont le contour se rapproche peu ou prou des anciennes intercommunalités absorbées avec l’octroi de compétences qui ne sont certes pas aussi étendues. Progressivement, la Métropole Aix- Marseille évolue pour devenir une métropole de planification à l’identique de ce qui est fait pour Paris, s’éloignant ainsi du statut général. Dans ce schéma, les compétences reviennent aux conseils de territoire et la planification à la métropole. Cette organisation infra-métropolitaine concerne également la Métropole du Grand Paris. C’est la Loi NOTRe qui précise qu’au sein de cette métropole, seront créés des établissements publics de Territoires dotés de la personnalité juridique, en charge des compétences. Cette modularité de fonctionnement est rendue nécessaire en raison des contextes politiques des grandes agglomérations mais aussi du contexte démographique qui oblige à adapter le modèle pour tenir compte d’une population qui peut donc aller de 400 000 habitants à plus de 7 millions. Enfin, la métropole de Lyon est une collectivité territoriale à statut particulier créée le 1er janvier 2015. Elle regroupe 1.2 millions d’habitants et présente des spécificités par rapport aux Métropoles précédemment abordées. Elle est la résultante de l’ancienne Communauté Urbaine et d’une partie du département du Rhône. Elle bénéficie de fait de compétences plus larges puisqu’elle bénéficie des compétences communales et de l’ensemble des missions départementales, ce qui entraine la disparition du département sur le territoire où existe la Métropole. La Métropole de Lyon se distingue des autres métropoles par son statut de collectivité Territoriale à statut particulier. Elle apparait finalement comme une catégorie à part entière, reconnue dans la constitution, portant encore une fois l’idée de différenciation territoriale. Le cas de la métropole de Lyon, en ce qu’elle absorbe le département sur lequel elle s’étend, traduit un mouvement qui pourrait se reproduire avec pour conséquence un morcellement voire une disparition locale du département.

Page 56 sur 74 3.2.3 Et d’autres situations dérogatoires.

Au-delà des exemples repris de l’Outre-mer et du développement des métropoles, d’autres illustrations se multiplient sur le territoire national, représentant autant de dérogations rendues nécessaires par les spécificités territoriales. La nouvelle Collectivité de Corse, collectivité à statut particulier est créée le 1er Janvier 20181. Ce statut entraine la disparition du département sur ce territoire compte tenu de son absorption par la Région. La Corse constitue, à compter du 1er janvier 2018, une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, se substituant à la collectivité territoriale de Corse et aux départements de Corse du Sud et de Haute-Corse.

Un projet concerne la Collectivité territoriale d’Alsace. En effet, la création de la « Collectivité Européenne d’Alsace » est annoncée pour le 1er Janvier 2021, compte tenu de l’accord reçu par le 1er Ministre et la Ministre de la Cohésion des territoires le 29 Octobre 2018. Cette collectivité procèdera à l’absorption des départements du Haut Rhin et du Bas Rhin et se dotera de compétences particulières telles que la coopération transfrontalière et les langues régionales. Les départements de Savoie et de Hautes Savoie réfléchissent également à un tel projet qui tarde toutefois à voir le jour. La fusion de la Métropole Aix-Marseille semble aujourd’hui inéluctable. Encore plus récemment, La Moselle, revendiquant son droit à la différenciation, souhaite devenir un Eurodépartement en vue d’obtenir des compétences élargies et redynamiser le territoire2. Cette idée de différenciation est aussi reprise pour traiter des communes situées en montagne, leur permettant des adaptations juridiques au regard d’un territoire spécifique. Nous sommes aujourd’hui éloignés du département de 1791 et d’un découpage uniforme et rectiligne voulu par nos ancêtres. Cette vérité vaut pour les départements mais aussi pour les autres collectivités avec lequel il est en interaction. Si les débats qui ont eu lieu en amont de la réforme des lois Maptam et NoTRE se sont cristallisés autour de l’idée de la suppression d’un échelon (tout en en créant d’autres), des économies que celle-ci pourrait engendrer et de la simplification qu’elle génèrerait pour les

1 La loi NOTRe crée une collectivité territoriale unique le 1er janvier 2018 en lieu et place de la collectivité territoriale et des deux départements 2 Les Conseillers départementaux ont adopté une délibération pour exprimer leur droit à la différenciation et revendiquer auprès de l’Etat la reconnaissance de la spécificité frontalière mosellane.

Page 57 sur 74 administrés, les discussions portent désormais sur la capacité à réinventer la décentralisation. En effet, évoquer le droit à la différenciation revient à travailler la décentralisation de sorte à ce qu’elle s’approprie pour une mise en œuvre optimale, les points forts et les points faibles des territoires en vue de servir définitivement l’intérêt général et le bien vivre des administrés. Cet enjeu a été d’autant plus exacerbé, s’il n’a pas été formulé de la sorte, dans le cadre du grand débat national, mis en œuvre par le Président de la République dans le cadre du conflit des Gilets Jaunes. Par ailleurs, nous verrons également que ces axes de réflexion sur lesquels le projet de loi constitutionnelle traitant de la différenciation territoriale devrait insister, sont directement générés par le dernier acte de la décentralisation.

3.3 Un Acte IV de la décentralisation ? la constitutionnalisation du droit à la différenciation territoriale.

Dans un discours prononcé le 21 juin 2018 à Quimper, le chef de l’Etat a souhaité « rompre avec une conception jacobine de l’exercice des responsabilités publiques » invoquant donc le droit à la différence pour les territoires. Un principe qu’il entend, à l’occasion de la révision constitutionnelle reportée depuis lors, graver dans le marbre de la loi fondamentale. Le Président de la République ,souhaitant rompre définitivement avec l’architecture immuable des pouvoirs locaux issu de 1791 et des lois de décentralisation en faisant de la différenciation territoriale l’axe fort de la future réforme. L’objectif consiste également à vouloir rompre avec une conception de la décentralisation qui ne se résumerait qu’à un transfert massif de compétences de l’Etat vers les collectivités territoriales. Témoignant de ce constat et des conséquences qu’il peut engendrer, le Président de la République poursuit : « Ces dernières années, nous avons perdu beaucoup de temps dans des débats abscons qui ont conduit à des guerres entre l’Etat et les collectivités. On adore toujours détester les services des uns tant qu’on ne les a pas créés soi-même », ajoutant : « On a créé des querelles entre les niveaux de collectivité et les compétences qu’on voulait leur donne ». Au travers du concept de différenciation, il s’agit de pousser la décentralisation un peu plus loin ,autour, bien entendu de la réforme apportée par la loi de 20031 qui avait ancré cette République décentralisée dans à l’article 1er de la Constitution du 4 Octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion (…). Son organisation est

1 Loi constitutionnelle du 28 Mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.

Page 58 sur 74 décentralisée. C’est donc sur ce paradoxe que la question de savoir si la République peut être à la fois « une et indivisible » et être différenciée ? C’est ensuite parce que certaines institutions décentralisées n’ont pas attendu la réforme pour se lancer dans un projet dérogatoire ; pour rappel, nous citerons l’exemple des élus du Bas-Rhin et du Haut-Rhin qui souhaitent aboutir sur un projet commun a été vu précédemment. En filigrane, aller vers une constitutionnalisation du principe de différenciation territoriale, n’est-ce pas s’interroger quant à notre modèle de décentralisation potentiellement dépassé par un territoire dont l’évolution échappe à ses concepteurs ? En fait, cette idée de différenciation semble cheminer depuis bien avant la réforme constitutionnelle visant à modifier les articles 72 et 73 de la Constituions pour l’Outre-Mer. Dès 1994, l’Institut de la gouvernance territoriale et de la décentralisation réfléchissait au travers d’un document intitulé : « Vers la fin de l’Etat unitaire ». La conclusion tranchée qui en est issue revenait à l’idée suivante : « la décentralisation n’est pas un simple habillage, un prêt- à-porter, elle exige des habits neufs, du sur-mesure (…) ». La différenciation correspondrait donc à un dimensionnement « sur-mesure » correspondant à la prise en compte des singularités et des nécessités de chaque territoire pour en adapter les compétences en matière de politiques publiques.

3.3.1 Quel est le contexte de ce projet de loi constitutionnelle ?

Si cette réforme constitutionnelle était à l’ordre du jour dès le printemps 2018, celle-ci n’a pas encore abouti. Le chef de l’Etat a souhaité différer la mise à l’ordre du jour de ce projet eu égard aux réponses qu’il souhaite apporter au mouvement des gilets jaunes. Ce projet a émergé sur les reliques des réflexions menées en amont de l’acte 3 de la décentralisation, elles même nourries par une volonté politique qui n’a pu ou su aboutir tant les freins politiques étaient importants. Plusieurs raisons peuvent être avancées, contribuant à ce changement du socle de réflexion. D’une part, la réforme apportée par les lois NOTRe et Maptam, conjuguée à la diminution et au renforcement des régions et des Métropoles , commence à s’installer dans le paysage institutionnel local. D’autre part, un contexte social rendu complexe en raison du mouvement des « gilets jaunes », a mis en évidence la nécessité1 à défaut de renforcer et de multiplier le

1 Le Grand Débat National mis en œuvre en réponse au mouvement des gilets jaunes qui touche la France depuis l’hiver 2018.

Page 59 sur 74 nombre de services publics ,notamment dans les secteurs ruraux, de maintenir un lien territorial, distendu .L’idée de supprimer un échelon tel que le département pourrait faire sens dans un tissu urbanisé ,ou concerné par la naissance d’une métropole, mais serait mal perçue dans les secteurs les plus ruraux. L’idée de supprimer le département parait s’éloigner, alors qu’elle aurait pu être le corolaire de la réforme du nombre des régions (le nombre de régions métropolitaines a été ramené à treize)1. Par ailleurs, ce département a pu être renforcé par cette dernière réforme, propulsé comme le garant des solidarités sociales et territoriales. Enfin, une idée chassant l’autre, la piste de la différenciation s’impose aujourd’hui en ce qu’elle affiche cette volonté de traiter de manière différente les problématiques au regard des situations et forces locales en présence. Il ne faut pas oublier, enfin, que le risque politique étant très fort, la jurisprudence du Général de Gaulle de 1969 reste dans les esprits. Nul doute que le Président de la République ne prendra pas le risque de soumettre cette question aux français dans le contexte actuel de fronde social et donc d’en faire un referendum dont la portée aurait de provoquer un vote pour ou contre le Président de la République, mais en aucun cas de répondre à la question posée. Cette idée s’impose et semble faire consensus car elle emmène l’organisation territoriale française vers plus de décentralisation, ce que réclament les élus locaux. La Délégation aux collectivités territoriales2 créée en 2017 a vocation à assurer le lien entre les collectivités locales et l’Etat. Compte tenu de sa vocation native, cette instance a souhaité s’emparer de cette thématique au regard des enjeux et en raison de son caractère structurant pour les collectivités dans les années à venir. En effet ce thème apparaît, dans le processus de décentralisation qu’a connu notre pays depuis le début des années 1980, comme absolument fondamental, car susceptible d’être fondateur d’une nouvelle politique à destination des collectivités. Signe que cette idée de donner à la décentralisation une nouvelle impulsion tout en se dégageant de l’axe de réflexion des réformes antérieure, cette instance a produit deux Rapports à quelques mois d’écart au premier semestre 20193. Il s’agit de rapports d’information rédigés en conclusion des travaux du groupe de travail sur les possibilités ouvertes par l’inscription dans

1 Loi nº 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. 2 Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, crée en 2017 et dont le 1er président est Mr René Cazeneuve. Cette délégation assure le lien entre les élus locaux et l’Etat. 3 Deux Rapports d’Information au nom de la Délégation aux Collectivités Territoriales et à la décentralisation : - n°1687 daté du 14/02/2019, Jean-René Cazeneuve et Arnaud Viala. - n°1816 daté du 27/03/2019, Jean-René Cazeneuve.

Page 60 sur 74 la constitution d’un droit à la différenciation. La Délégation aux Collectivités Territoriales, voit donc en cette réforme la solution ambitieuse afin de répondre aux fortes attentes des Collectivités Locales. En effet, ces deux études ajoutées au contexte social (en ce qu’il formalise l’idée de « mieux » de service public) et politique de la fin 2018 et début 2019, permettent d’affirmer que les prochaines années de décentralisation seront celles de la différenciation. Elle se veut être l’outil ambitieux qui visera à approfondir la décentralisation conformément à la demande de nombreux élus qui y voient moyen d’innover, de gagner en autonomie pour une action plus ciblée et en adéquation avec les considérations des administrés et les ressources du territoire. Par ailleurs, cette différenciation porte la lourde de charge de promouvoir une simplification de l’action publique. Dans la cadre de l’introduction des travaux de la Délégation aux Collectivités Territoriales et à la Décentralisation, le Président de l’assemblée Nationale faisait part de toutes ses attentes (partagées) quant à ce projet : « À part quelques irréductibles Gaulois, on ne peut que constater que tout le monde est favorable au principe de différenciation. Il y a bien quelques nostalgiques d’une France uniforme voire géométrique, reprenant ainsi les visées de l’avocat rouennais Thouret, rapporteur du projet à la Constituante, qui proposa le 3 novembre 1789 un plan consistant à diviser la France en 81 carrés identiques ».1

3.3.2 La différenciation territoriale : de quoi s’agit-il ?

La volonté d’inscrire ce concept de différenciation dans la Constitution était annoncé par le président de la République Emmanuel Macron et ce, dès son élection. Ce concept participe de deux volonté : - que les collectivités puissent disposer de compétences dont ne disposent pas toutes les collectivités du même rang. Ceci se traduirait par la capacité par exemple, pour un département d’exercer des compétences qui sont du ressort d’une commune ou d’une région. - que les collectivités puissent déroger durablement à certaines lois ou certains règlements. L’esprit voulu par cette réforme consiste à apporter de la diversité dans la manière dont sont organisées des collectivités territoriales et la gestion de leurs compétences, seules ou en

1 Cf. infra, Partie I.

Page 61 sur 74 interaction avec les autres acteurs locaux renvoyant encore une fois à la tradition de centralisatrice, égalitariste et donc d’uniformité. Le projet de loi constitutionnelle déposé par le Gouvernement le 9 mai dernier comporte donc un article 15 qui inscrit dans la Constitution ces possibilités de différenciation qui, certes, existaient, mais dont les élus locaux estiment qu’elles ne sont pas assez souples et ne permettent pas de tenir compte des enjeux, des besoins et particularités locales, Le projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace déposé par le Gouvernement le 9 mai 2018 vise à incorporer à l’article 72 de la Constitution1 deux nouveaux alinéas, consacrant chacun une nouvelle possibilité de différenciation pour les collectivités territoriales, basée sur les compétences des normes. Concernant la différenciation des compétences il reviendra à la loi de prévoir que certaines collectivités exercent des compétences dont ne disposent pas les collectivités de la même catégorie, et ce, en nombre limité. La différenciation des normes quant à elle, suggère que la loi ou le règlement pourront prévoir que les collectivités territoriales « peuvent (...) déroger, pour un objet limité, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences, éventuellement après une expérimentation ». Dans les deux cas, le texte prévoit que les possibilités de différenciation seront encadrées par une loi organique, et que la différenciation sera exclue « lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti ». L’article 72, tel que le projet de loi constitutionnelle l’envisage, précise que « Dans les conditions prévues par la loi organique et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, la loi peut prévoir que certaines collectivités territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie ». Le gouvernement entend ajouter l’ide que certains textes de lois puissent « prévoir que certaines collectivités territoriales exercent des compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie. » Souhaitant faciliter l’expérimentation normative, le projet nuance la vocation expérimentale d’une dérogation à des dispositions législatives ou règlementaires qui régiraient leurs compétences en ne conservant que l’idée d’un « objet limité » et en non pas la notion de durée ;

1 Le projet de loi constitutionnelle envisage une modification de l’article 72 de la Constitution du 4 Octobre 1958, insérée dans l’article 15 de ce même projet.

Page 62 sur 74 « pour un objet limité, aux dispositions législatives ou règlementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences, éventuellement après une expérimentation autorisés dans les conditions ». L’idée d’expérimentation reprise dans ce projet avait été introduite en son temps dans la Constitution aux articles 37-1 et 72 alinéa 4 (Loi constitutionnelle du 28 Mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République). Ainsi, - Article 37-1 : « La loi et le règlement peuvent comporter, pour un objet et une durée limités, des dispositions à caractère expérimental ». - Article 72 alinéa 4 : « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental (..) ». Il s’agit de l’autorisation, octroyée à une collectivité territoriale de sorte à ce que celle-ci puisse appliquer une politique publique n’apparaissant pas à priori dans ses attributions légales et ce, pour un délai déterminé. Cette disposition a connu un succès très faible compte tenu de réserves touchant essentiellement à la crainte de perdre définitivement des prérogatives mais aussi de prendre le risque d’une tutelle annoncée. C’est vraisemblablement son succès limité qui a conduit les pouvoirs publics à vouloir généraliser cette expérimentation à la totalité du territoire national. Toutefois, cette idée d’expérimentation territoriale doit être distinguée de l’idée de Territorialisation qui correspond à une application de règles de droit distinctes en fonction des collectivités d’un même rang ou d’une même catégorie. Contrairement à l’expérimentation, cette dernière notion pose la problématique de l’existence de règles de droit qui seraient différentes selon les entités territoriales. Ici réside toute la nuance. En effet, avec la différenciation territoriale, on admet que la règle de droit, qui demeure unique, ne soit pas appliquée systématiquement par la même collectivité. En revanche, avec la territorialisation, c’est l’application d’une règle de droit qui serait différente en fonction du lieu sur lequel elle s’appliquerait. Cette distinction résume à elle seule le questionnement existe entre une norme et la territorialité de son application. En effet, si à l’intérieur du territoire national Français le cadre juridique doit être unique, correspondant à la vision « unitaire et indivisible » prônée par la constitution du 4 Octobre 1958, en revanche, cette conception de l’organisation normative au sein de l’Etat

Page 63 sur 74 français ne fait pas obstacle à ce que cette loi soit appliquée différemment selon les territoires, sans que ceci n’altère en rien le sens et le poids du texte appliqué. Il n’en demeure pas moins qu’un regard croisé du Conseil d’Etat et du conseil Constitutionnelle doit être porté sur ce projet compte tenu de la rédaction de l’article 1er de la Constitution.

3.3.3 Différenciation et unité ; l’avis du Conseil d’Etat.

Avant d’aboutir à ce projet finalisé, le Conseil d’État avait été saisi par le Premier ministre. La demande d’avis portait à la fois « sur la possibilité d’attribuer des compétences différentes à des collectivités d’une même catégorie » et « sur la possibilité de permettre aux collectivités territoriales de déroger à des dispositions législatives ou règlementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». Le Conseil d’Etat a rendu un avis favorable1 à ce projet, estimant « qu’une telle disposition constitutionnelle donnerait davantage de libertés et de responsabilités aux collectivités territoriales pour mener une action plus efficace, grâce à des marges de manœuvre accrues, pour innover et pour adapter les lois et règlements qui régissent l’exercice de leurs compétences aux réalités des territoires ».La plus haute juridiction de l’ordre administratif, estime par ailleurs que si «Les règles d’attribution des compétences et les règles d’exercice des compétences sont, en principe, les mêmes au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales de droit commun, communes, départements, régions (…) Il n’en résulte pas pour autant que les règles applicables aux compétences des collectivités territoriales doivent être identiques pour toutes les collectivités relevant de la même catégorie» .Dès lors que «Le principe constitutionnel d’égalité, applicable aux collectivités territoriales «ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ». En conséquence, « Les règles et principes constitutionnels rappelés ci-dessus, tels qu’interprétés par le Conseil constitutionnel, n’imposent pas un cadre légal uniforme et figé aux compétences des collectivités territoriales de droit commun - bien que celles-ci soient un élément constitutif de leur statut, mais ont au contraire permis des évolutions importantes et la prise en compte de situations différentes ».

1 Assemblée générale du Conseil d’État, avis n° 393651, 7 décembre 2017.

Page 64 sur 74 CONCLUSION :

Il semblerait que le Guerre de la Décentralisation1 n’ait pas lieu .Portée par les partisans d’une décentralisation forte devant porter notre organisation territoriale vers plus de régionalisme voire de fédéralisme , cette voie posait comme préalable la suppression du département arguant des nombreuses critiques qui lui sont faites ( point nodal de notre mille feuilles administratif et de son enchevêtrement de compétences, les difficultés financières auxquelles il est confronté ,son obsolescence et même son inutilité) , que cette collectivité ne serait qu’un frein à la décentralisation. A ce constat peu glorieux, d’autres opposent un département nécessaire, symbole de la cohésion des territoires, dont il faut mettre en valeur le bilan. Ils lui reconnaissent ses actions de modernisation, la portée de son engagement dans le domaine social et de l’égalité sur le territoire, et finalement du rôle de proximité et de lien territorial, en conformité avec son ADN de 1790. Plus de deux siècles après leur création, les départements sont devenus des entités porteuses de cohésion au sein des territoires. Il est devenu un territoire de référence, un vecteur de maintien du lien social mais aussi territorial entre les métropoles, les grandes villes et les territoires ruraux les plus reculés. Ces derniers éléments ne plaident pas en faveur de sa suppression à une époque où le tissu social se craquèle dans un contexte de crise économique durable. Se poser la question de la suppression du département, c’est s’interroger sur notre modèle de décentralisation. C’est la question globale de la décentralisation qu’il conviendra de remettre sur le métier dans le cadre des prochaines réformes. Penser que supprimer le département permettra de simplifier l’organisation territoriale, de revenir sur quarante années de décentralisation basées sur un modèle d’unité et d’égalité conformément aux termes de la Constitution du 4 Octobre 1958, et qu’une telle réforme constitutionnelle suffira à générer les économies attendues et balayer un mille feuilles administratif conçu feuille après feuilles depuis des décennies, serait complètement illusoire. Supprimer le département ne permet pas de répondre à la nécessité de concilier l’exigence d’unité de la république et la réalité de la diversité territoriale, et de donner des moyens à l’échelon local pour s’adapter aux mutations (qui dépassent le cadre national) ;c’est là tout l’enjeu de la prochaine réforme de la décentralisation et du nouveau cap qu’il conviendra de lui donner. Il s’agit de la recherche de la forme la plus aboutie, réfléchie, ergonomique, de la

1 Expression utilisée par Mr Olivier Gohin, Professeur à l’Université Panthéon- Assas (Paris II), Directeur de l’IPAG de Paris – Rapport de synthèse – Quel(s) Avenir(s) pour les département(s)-Nelly Ferreira et Laetitia Janicot.

Page 65 sur 74 décentralisation que nous voulons mettre en place, pour une efficacité optimale au plan local et national, mais aussi au regard des enjeux européens et mondiaux, la France devant donner à ses territoires leur place dans ces ensembles. En d’autres termes, la prochaine réforme devra appréhender la décentralisation non pas comme un rééquilibrage ou un transfert de compétences mais bien de mettre en œuvre les réponses les plus adaptées au plus près du citoyen ; dans un contexte budgétaire contraint, où il est nécessaire de rationnaliser la dépense liée à l’organisation territoriale (pacte de Cahors – Pacte de stabilité et de croissance UE)1. Le projet de réforme constitutionnelle2 qui doit intégrer dans le texte suprême le droit à la différenciation territoriale répond à une double commande. D’une part, il permet à l’exécutif d’éluder la question de la suppression du département, tout en laissant place à la suppression « de » départements, et d’autre part, il répond à la demande des élus locaux, faisant valoir les enjeux politiques et sociaux de leurs territoires, qui sollicitent plus de décentralisation. L’avenir des territoires ne devrait plus être à l’uniformité et la décentralisation à laquelle nous devons nous attendre devrait être plurielle.

1 Cf. infra. 2 Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace », présenté en conseil des ministres le 9 mai 2019.

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BIBLIOGRAPHIE

Rapports :

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Articles, ouvrages :

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Page 71 sur 74 TABLE DES MATIERES

Introduction Page 6 Partie I - Le Département comme fondement historique de l’organisation territoriales Républicaine ; Page 6 la migration lente d’une entité déconcentrée vers la décentralisation 1.1 La naissance du département ; une entité ambigüe Page 6 1.1.1 Aux origines du département Page 7 1.1.2 Une entité déconcentrée ? Page 7 1.2 Des velléités décentralisatrices. Page 11 1.2.1 Une évolution lente Page 11 1.2.2 Le régime de 1830 donne une impulsion forte Page 12 1.2.3 La Loi du 10 Août 1871, texte fondateur qui ne met pas fin aux débats Page 15 1.3 Les clés de la compréhension des tiraillements contemporains Page 17 1.3.1 Des visions très diversifiées du département Page 17 1.3.2 Une institution dont l’existence est déjà menacée Page 18 1.3.3 Les prémices du département contemporain Page 18 Partie II - Le Département comme pilier de la décentralisation devenu l’enjeu clivant d’un acte III de la décentralisation. Page 20 2.1 Les apports des réformes des actes I et I de la décentralisation Page 21 2.1.1 les lois Deferre ou l’acte I de la décentralisation Page 21 2.1.2 L’acte II de la décentralisation Page 23 2.1.3 Le bilan de ces réformes Page 26 2.2 L’acte III de la décentralisation ; une réforme aux ambitions politiques annihilées Page 27 2.2.1 Quelle représentativité pour le département à l’aube de l’acte III de la décentralisation ? Page 28 2.2.1.1 Une collectivité coûteuse ? Page 29 2.2.1.2 Le mille feuilles administratif générateur de complexité Page 31 2.2.2 Une volonté politique forte assise sur de nombreux rapports Page 33 2.2.2.1 La commission Attali-Pour la libération de la croissance française Page 33 2.2.2.2 Le rapport Lambert Page 34 2.2.2.3 Le comité Balladur Page 34 2.2.2.4 Le rapport de l’OCDE Page 35 2.2.3 …pour une réforme jugée incomplète Page 36

Page 72 sur 74 2.3 Le maintien du département de l’ordre du possible ;étude prospective par le prisme de la

politique d’aide sociale Page 37 2.3.1 Un dispositif à l’identique Page 38 2.3.2 Un conseil départemental vidé de ses compétences Page 39 2.3.3 Un conseil départemental renforcé Page 40 Partie III – Le Département préservé; vers un acte IV de la décentralisation basé sur la différenciation Page 42 3.1 Le département issu de l’Acte III de la décentralisation : un paradoxe Page 43 3.1.1 Un département diminué au profit des régions et des intercommunalités Page 44 3.1.2 Un département renforcé politiquement Page 45 3.1.3 Les freins constitutionnels à sa suppression Page 46 3.2 La différenciation, un concept ancré dans le paysage constitutionnel Page 48 3.2.1 L’Outre-mer Page 49 3.2.1.1 Les Collectivités de l’article 73 de la Constitution Page50 3.2.1.2 Les Collectivités de l’article 74 de la Constitution Page 51 3.2.1.3 La Nouvelle Calédonie Page 52 3.2.1.4 Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) Page 53 3.2.2 Les Métropoles Page 53 3.3.3 Et d’autres situations dérogatoires Page 57 3.3 Un acte IV de la décentralisation ? la constitutionnalisation du droit à la différenciation

territoriale Page 58 3.3.1 Le contexte du projet de loi constitutionnelle Page 59 3.3.2 La différenciation territoriale ; de quoi s’agit-il ? Page 61 3.3.3 Différenciation et unité :L’avis du Conseil d’Etat Page 64 Conclusion Page 65

Page 73 sur 74 RESUME : Depuis sa création en 1790 en vue de simplifier l’imbroglio administratif de l’Ancien Régime, le Département appréhendé comme entité décentralisée, a été la cible de nombreuses critiques. Cette tendance n’a pas souffert du poids des années. Trop coûteux, obsolète, inutile, point nodal d’un mille feuilles administratif irrésorbable, le département est remis en cause à chaque réforme de la décentralisation, jusqu’à en imaginer sa suppression au profit de Régions et d’intercommunalités fortes. Pour autant, celui-ci est ressorti confirmé, renforcé, de chacun des trois actes qui ont rythmé l’histoire de notre décentralisation. Poser la question de la suppression du Département, ou de toutes autres collectivités, c’est s’interroger sur les fondements de notre décentralisation et sur la manière de la revisiter, de la réinventer. Si la question de la suppression du département semble avoir été éludée en raison de freins politiques, constitutionnels mais aussi d’un contexte social peu favorable, l’exécutif a décidé de répondre à la question du renouvellement de la décentralisation par le biais du concept de différenciation territoriale .Cette méthode douce devrait permettre d’éviter une guerre de la décentralisation dans laquelle souhaitent se lancer les partisans d’une vision régionaliste voire fédéraliste de notre territoire.

ABSTRACT : Since its creation in 1790 to simplify the administrative organisation of the Ancien Régime, the Department apprehended as a decentralized entity, has been the target of many critics. This trend has not suffered from the weight of years. Too expensive, obsolete, useless, central point of a « thousand sheets administrative » irresorbable, the department is challenged at every reform of decentralization, until imagine its removal to the benefit of Regions and strong intercommunalities. For all that, the department has been confirmed, reinforced, during each of the three acts that have punctuated the history of our decentralization. In order to answer at the question of the suppression of the Department, or of any other collectivity, we have to ask the question the foundations of our decentralization and how to revisit it, to reinvent it. If the question of the suppression of the department seems to have been evaded because of political, constitutional and also an unfavorable social context, the executive decided to answer the question of the renewal of decentralization through the concept of Territorial Differentiation. This gentle method should make it possible to avoid a war of decentralization in which the partisans of a regionalist or even federalist visions of our territory wish to embark.

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