EchoGéo

51 | 2020 Territoires « cyclonés » “Hurricaned” Territories

Édition électronique URL : https://journals.openedition.org/echogeo/18551 DOI : 10.4000/echogeo.18551 ISSN : 1963-1197

Éditeur Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (CNRS UMR 8586)

Référence électronique EchoGéo, 51 | 2020, « Territoires « cyclonés » » [En ligne], mis en ligne le 13 avril 2020, consulté le 11 août 2021. URL : https://journals.openedition.org/echogeo/18551 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ echogeo.18551

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SOMMAIRE

Editorial

Avis de tempêtes et temps de crises Éditorial Jean-Louis Chaléard

Sur le Champ

Territoires « cyclonés ». Les aléas cycloniques et leurs impacts Introduction Freddy Vinet et Frédéric Leone

Apports de l’imagerie satellite pour le suivi de l’impact des événements cycloniques à Madagascar Complémentarité des échelles et des capteurs Thibault Catry, Christophe Révillion, Pascal Mouquet et Gwenaëlle Pennober

Changements côtiers et inondations suite au passage d’un ouragan extrême (Irma, 2017) aux Petites Antilles Tony Rey, Thomas Candela, Matthieu Péroche et Frédéric Leone

Activités cycloniques et nouveaux risques dans le golfe d’Aden Exemple des impacts socio-économiques du cyclone Sagar sur en mai 2018 Jean-Philippe Cherel, Bouh Omar Ali, Moustapha Nour Ayeh et Freddy Vinet

Mortalité et cyclones en Guadeloupe (Antilles françaises) Apports d’un nouveau référentiel géo-historique (1635-2018) Frédéric Leone, Samuel Battut, Victoria Bigot, Guilhem Cousin Thorez, Thomas Candela et Freddy Vinet

Le couple anticipation/décision aux prises avec l’exceptionnel, l’imprévu et l’incertitude Valérie November, Alice Azémar, Sophie Lecacheux et Thierry Winter

Face au cyclone Irma ! Le rôle des populations dans la gestion de la crise à Saint-Martin (Petites Antilles, îles du Nord) Stéphanie Defossez et Monique Gherardi

Organisation de la post-catastrophe après Irma à Saint-Martin Vécu et perception des adolescents de la gestion de crise à la reconstruction Annabelle Moatty, Delphine Grancher, Clément Virmoux et Julien Cavero

Le tourisme comme enjeu dans la reconstruction post-catastrophe naturelle Le cas de Saint-Martin (Antilles Françaises) Marie Cherchelay

Quelles interventions humanitaires internationales pour la reconstruction ? Le cas des écoles fondamentales dans le département Sud d’Haïti, après l’ouragan Matthew de 2016 Simon Veitl

Les temps de la catastrophe L’ouragan de septembre 1928 en Guadeloupe Jérémy Desarthe

Culture du risque cyclonique et résilience individuelle en Guadeloupe et à Saint-Martin Fanny Benitez, Magali Reghezza-Zitt et Nancy Meschinet de Richemond

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Le réchauffement climatique actuel influence-t-il l’activité des ouragans extrêmes de l’Atlantique Nord (1945-2018) ? Karl Hoarau, Florence Pirard et Ludovic Chalonge

Adaptation aux cyclones et au risque de submersion marine dans les communes littorales de Guadeloupe Michel Desse, Monique Gherardi et Simon Charrier

“Hurricaned” territories. Hurricane hazards and their impacts Introduction Freddy Vinet et Frédéric Leone

Sur le Métier

Des géographes engagés contre la LPPR Interviews de chercheurs dans le contexte de la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche Marianne Blidon, Julien Brachet, Jean-Baptiste Frétigny, Corinne Luxembourg, Gaëlle Gillot et Alexis Sierra

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Editorial

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Avis de tempêtes et temps de crises Éditorial

Jean-Louis Chaléard

1 Le numéro 51 d’Échogéo sort dans un contexte difficile. La crise sociale qui secoue la France depuis plusieurs mois a (momentanément ?) laissé place à la crise sanitaire liée à la pandémie du covid-19, d’une ampleur inégalée. Notre revue s’est clairement inscrite dans le mouvement de luttes sociales à propos des retraites et des projets de loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Mais, comme indiqué dans la motion présente sur notre site, nous n’avons pas voulu interrompre notre publication qui aurait surtout pénalisé les auteurs et autrices qui s’étaient déjà engagés dans la production d’articles et dans la réponse à des dossiers thématiques. Les mesures de confinement n’ont pas facilité la tâche des contributeurs à cette livraison ni celle du secrétariat de rédaction, qu’il faut remercier pour leurs efforts. Sans doute aurions- nous aimé avoir d’autres textes qui viendront alimenter les rubriques, espérons-le, dans les numéros à venir, les circonstances n’ayant permis de les mener à termes avant la parution de la présente livraison.

2 Le dossier principal, dans la rubrique Sur le champ, porte sur les « territoires cyclonés». Il serait facile de faire un rapprochement entre les tempêtes sociales, l’ouragan provoqué par le coronavirus et les cyclones tropicaux analysés dans le dossier. Mais les cataclysmes ne sont pas du même ordre. Contentons-nous d’observer qu’un certain nombre d’articles sur les cyclones apportent une réflexion sur la gestion des risques, leur anticipation, qui font écho aux questions soulevées dans les milieux scientifiques et les médias sur la crise du coronavirus (comme le texte de V. November et al. sur « le couple anticipation/décision aux prises avec l’exceptionnel, l’imprévu et l’incertitude », celui de F. Benitez et al. sur « la culture du risque cyclonique… », etc.). L’inégale vulnérabilité des populations renvoie clairement aux inégalités sociales dont souffrent les populations affectées, que ce soit dans l’Outre-mer français ou les pays étrangers. Mais le thème du dossier, lancé voici plus d’un an, dépasse largement les cadres de l’actualité, avec la réflexion qu’autorise le recul.

3 F. Leone et F. Vinet ont ainsi piloté un ensemble fourni de treize contributions proposant une approche géographique des phénomènes cycloniques, comme ils l’expliquent dans leur introduction. Celles-ci portent majoritairement sur les Antilles,

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particulièrement sur Saint-Martin, victime de l’ouragan Irma en 2017 et dont la presse a beaucoup parlé. Mais les articles abordant Madagascar (T. Catry et al.), ou le golfe d’Aden (J.-P. Cherel et al.) élargissent le champ d’étude et permettent d’enrichir les conclusions que l’on peut tirer. De même, si la plupart des communications sont centrées sur les cyclones les plus récents, certaines s’inscrivent dans le temps long, comme celle de F. Leone et al. qui analyse les relations mortalité-cyclones sur un pas de temps multiséculaire (1635-2018), ou reviennent sur des événement anciens comme celle de J. Desharte qui s’intéresse aux effets et à la gestion du cyclone de septembre 1928 en Guadeloupe, ou s’interrogent sur l’évolution des événements sur plusieurs décennies comme celle de K. Hoarau et al. qui prennent en compte la période 1945-2018. Les comparaisons peuvent ainsi opérer non pas seulement dans l’espace mais aussi dans le temps.

4 Un volet important est consacré aux aspects méthodologiques de l’étude des cyclones. L’approfondissement des réflexions et l’ouverture à des interrogations inédites vont, de ce point de vue, de pair avec le recours à de nouveaux outils, notamment dans le domaine de la télédétection et l’utilisation des images satellites. C’est particulièrement vrai dans le cas de l’article de T. Catry et al. sur « les apports de l’imagerie satellite pour le suivi de l’impact des événements cycloniques à Madagascar » qui propose une évaluation des zones inondées par les cyclones Haruna en 2013 et Enawo en 2017 dans la Grande île. De manière différente, des textes sur la connaissance des cyclones, sur les risques et leur gestion ont une approche qualitative, fondée sur des entretiens, l’élaboration de cartes par les enquêtés, etc. Les différentes méthodes ne s’excluent pas et des auteurs emploient des techniques différentes (comme T. Rey et al. qui ont recours aux images des satellites Pléiades, à des photographies des côtes, à des témoignages des personnes vivant sur les espaces affectés pour analyser les changements côtiers et les inondations suite au passage d’Irma). L’utilisation d’archives et/ou de bases de données conjointement avec des interviews d’acteurs et de témoins se retrouve dans plusieurs communications. F. Leone et al., particulièrement, posent les bases méthodologiques d’un catalogue historique des événements hydro-météorologiques qui ont frappé l’archipel de Guadeloupe et les îles du Nord ; l’étude repose sur l’utilisation de sources multiples (archives, coupures de presse, bases de données, etc.) et l’élaboration d’un SIG pour la période récente.

5 Les contributions offrent un large éventail des questions scientifiques et pratiques posées par les cyclones. L’origine des événements et leur fréquence sont abordées. Ainsi des auteurs s’interrogent-ils sur le rôle du réchauffement climatique dans l’évolution du nombre et de la violence des cyclones, que ce soit dans les Antilles (K. Hoarau et al.) ou en mer Rouge (J.-P. Cherel et al.), apportant dans les eux cas des conclusions nuancées et insistant sur la complexité des causalités. Les effets sur le milieu naturel sont mis en évidence. T. Rey et al., étudiant les changements côtiers et les inondations suite au passage d’Irma, soulignent aussi que les systèmes côtiers ont répondu très différemment en fonction du degré d’artificialisation du littoral.

6 Beaucoup d’articles abordent l’ampleur des dégâts occasionnés par les cyclones et le nombre de victimes. L’utilisation des nouvelles techniques permet de préciser les effets, comme on le voit à travers les communications de T. Catry et al. ou de T. Rey et al. Le bilan matériel et humain est souvent lourd, même dans le cas de cyclones moins violents mais ou l’impréparation en raison de la nouveauté du phénomène dans une région aride a des effets catastrophiques (J.-P. Cherel et al.). F. Leone et al. constatent,

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sur le temps long, que les décès sont de moins en moins liés à l’occurrence d’un cyclone, mais qu’ils sont de plus en plus associés à des comportements de mise en danger lors d’événements de faible ou moyenne intensité, conduisant à s’interroger sur la préparation des populations aux risques.

7 Au-delà du bilan matériel et humain, les textes proposent une réflexion sur la gestion de la crise, la vulnérabilité des populations et les formes de résilience, s’attachant à des populations ou des institutions particulières. V. Novembrer et al. s’intéressent au couple anticipation/décision en situation de crise, à travers deux études de cas, soulignant la fragmentation de ce couple, au sein, et entre, les cellules de crise et l’absence de vision partagée. S. Defossez et M. Gherardi s’interrogent sur le rôle des populations dans la gestion de la catastrophe à Saint-Martin. Les populations paraissaient bien préparées, mais à partir d’une référence ancienne qu’Irma a dépassé en intensité. Les dommages ont ainsi révélé ou exacerbé des vulnérabilités existantes qui questionnent les processus de reconstruction.

8 Plusieurs communications s’interrogent plus particulièrement sur les problématiques post-crises. A. Moatty et al. abordent la question du relèvement après le cyclone Irma à Saint-Martin à partir de l’analyse du vécu des adolescents et tentent de caractériser les actions qu’ils ont menées. M. Cherchelay, s’intéressant au tourisme, activité majeure à Saint-Martin, qui a fortement souffert du passage d’Irma, met en évidence les jeux d’acteurs complexes qui se développent autour des enjeux et des attentes qui émergent en période de reconstruction. L’aide internationale est évoquée dans de nombreux cas. Elle est au centre de la contribution de S. Veitl qui pose un regard critique sur cette assistance à propos du cas de la reconstruction des écoles dans le département du sud d’Haïti après l’ouragan Matthew de 2016, mettant en évidence la volonté des organismes humanitaires qui veulent insuffler un nouveau modèle de développement et les résistances de la réalité aux injonctions d’adaptation.

9 Enfin des articles, au-delà des effets immédiats, abordent les évolutions économiques et sociales ou les adaptations face au risque cyclonique à plus long terme. L’étude de l’ouragan de septembre 1928 en Guadeloupe par J. Desarthe met en évidence les conséquences directes (mortalité, destructions) et indirectes, notamment sur la filière sucrière qui a reçu une intervention massive de l’État, sur la culture de la banane en essor et sur des productions anciennes comme le café et le cacao, en déclin. F. Benitez et al. s’interrogent sur la notion de « culture de risque » par les différents acteurs du champ de la prévention des catastrophes naturelles et de la gestion de crise. Les auteurs montrent que les individus ont conscience du risque cyclonique mais que le danger est souvent sous-évalué et la préparation inégale, en raison de situations variées à prendre en compte. M. Desse et al. replacent les activités et les sociétés dans un cadre plus large et mettent en évidence la complexité des évolutions à la Guadeloupe à partir de l’examen des cyclones Hugo de 1989 et Dean de 2007. Les cyclones frappent des économies insulaires très dépendantes de l’activité touristique et des littoraux, souvent en crise, et leurs conséquences sont variables selon les contextes économiques, les espaces étudiés et les acteurs concernés. Comme la plupart des auteurs qui ont participé au dossier, leurs réflexions s’inscrivent dans des débats plus généraux sur les risques et sur la diversité des effets à prendre en compte lors des catastrophes.

10 Dans un tout autre ordre d’idées, G. Gillot et A. Sierra, dans la rubrique Sur le métier, ont interviewé quatre collègues géographes, enseignants et/ou chercheurs, sur la future LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche) et les mouvements qui ont

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touché le monde universitaire et de la recherche fin 2019 - début 2020. Il s’agit de M. Blidon (Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne), J.-B. Frétigny (Cergy Paris Université), C. Luxembourg (École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette) et J. Brachet (IRD). Au-delà des opinions propres à chacun, le dossier est l’occasion de revenir sur la politique générale de l’enseignement supérieur et de la recherche menée depuis de nombreuses années en France et dans laquelle s’inscrivent les projets de réforme à venir. C’est l’occasion aussi pour les intervenants de proposer leurs analyses des causes et des modalités de la contestation récente. Ils soulignent l’importance des mobilisations en sciences sociales et humaines, ne singularisant pas, de ce point de vue, la géographie, mais l’inscrivant dans un ensemble plus large. La réflexion débouche sur une réflexion sur la pandémie du coronavirus, et sur ses conséquences sur la recherche. On revient alors à des questions de fonds sur la prévention des risques, le rôle de la recherche dans ce contexte et les enseignements à tirer des crises actuelles.

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Sur le Champ

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Territoires « cyclonés ». Les aléas cycloniques et leurs impacts Introduction

Freddy Vinet et Frédéric Leone

1 Ce dossier d’EchoGéo est centré sur les conséquences environnementales, sociales, économiques et politiques des cyclones sur les territoires, et leur gestion. Le néologisme « cycloné » est apparu sur les réseaux sociaux en 2017 après le passage du cyclone Irma aux Antilles. Il renvoie à tout type de destruction causée par des cyclones de catégorie 4 ou 5, mais aussi à l’expérience humaine éprouvante vécue par les sinistrés. Ces événements posent question en termes d’évaluation ex ante et ex post des dommages et en termes de gestion : prévision, préparation, gestion de crise, reconstruction ; le tout dans une optique d’atténuation des impacts. Leur analyse spatiale et multi-dimensionnelle contribue au développement d’une géographie mondiale des risques et des catastrophes, en plein essor depuis une vingtaine d’année dans nos universités françaises. Elle démontre une fois de plus les capacités d’analyse, d’adaptation et de réponse de notre discipline face aux problématiques socio- environnementales actuelles, à haut risque pour nos sociétés et nos territoires.

2 Les dernières années ont vu l’occurrence de cyclones particulièrement puissants comme Haiyan aux Philippines en 2013 qui aurait battu le record de basse pression, ou Irma et Maria aux Antilles, deux ouragans successifs qui ont atteint la catégorie 5 en septembre 2017 à seulement dix jours d’intervalle. Depuis 1851, les centres d’observation ont recensé 381 cyclones tropicaux majeurs qui ont atteint ou dépassé la catégorie 4 de l’échelle de Saffir-Simpson (source IBTrACS/NOAA, 2020), principalement dans les bassins de l’Atlantique Nord et du Nord-Ouest du Pacifique (illustration 1). Les bilans humains mondiaux font état de 450 000 décès depuis 1975 (1419 cyclones meurtriers), avec des événements particulièrement dramatiques en Inde en 1977, au Bangladesh en 1985 et 1991, au Honduras en 1998 ou au Myanmar en 2008 ... (source EMDAT/CRED, 2020). Les lourds bilans humains ne sont d’ailleurs pas l’apanage des pays pauvres comme a permis d’en juger le cas de Katrina qui fit 1833 victimes au Sud des États-Unis en 2005 (Knabb et al., 2007). Ces dépressions tourbillonnaires et leur cortège d’aléas induits (inondations, mouvements de terrain,

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submersion marine) ont provoqué des pertes économiques considérables, estimées à 2 128 milliards de dollars US à travers le monde depuis 1980 (source NatCat Service/ Munich RE, 2020). S’ajoutent à cela les impacts non monétisables comme les effets environnementaux, en particulier sur les écosystèmes et morpho-systèmes côtiers (Wang et Horwitz, 2007 ; Zhang et al., 2012), ou les conséquences sanitaires ou sociales (Rappaport, 2014). La concentration spatiale des enjeux sur les littoraux suscite les inquiétudes des assureurs et des réassureurs qui voient ces charges de sinistres augmenter. La dévastation des petits ensembles insulaires (habitats, infrastructures et installations touristiques détruits, communications coupées, etc.) met en exergue les causes profondes des vulnérabilités de ces territoires : isolement géographique, exiguïté, disparités économiques, ségrégation socio-spatiale, forte exposition du littoral, manque de ressources locales, problèmes de gouvernance… Le passage de l’ouragan Irma dans la Caraïbe en septembre 2017 nous en a apporté une belle démonstration.

Illustration 1 - L’activité cyclonique et son bilan humain. Territoires étudiés dans ce numéro spécial.

3 D’après les prévisions du GIEC, les cyclones ne seraient pas à l’avenir plus nombreux mais plus puissants même si le passé récent ne corrobore pas toujours cette tendance notamment dans le Pacifique ouest (Hoarau et al., 2018). Se pose également la question de l’élargissement en latitude de la zone concernée par ces phénomènes (Pilon et al., 2017). Les méthodes de quantification et de modélisation a priori et a posteriori se développent considérablement notamment par l’utilisation de l’imagerie satellite et aéroportée légère (Fernandez-Galarreta et al., 2015). Comment prévoir les dégâts d’un potentiel cyclone ? Peut-on les catégoriser, les quantifier, les cartographier ex ante ? Après le passage d’un cyclone, les outils de quantification des impacts économiques des cyclones fournissent quasiment en temps réel des éléments d’aide à la décision appréciables pour les décideurs et les gestionnaires des territoires. Les défis à relever et à anticiper pour faciliter le relèvement des territoires cyclonés sont nombreux : relogement des sinistrés, remise en état des réseaux et des services publics (éducation), gestion des déchets, pollutions diverses, risque sanitaire. Leur meilleure gestion passe par une planification préalable (plan de continuité d’activité) et un renforcement des capacités des sociétés exposées (Gaillard et al., 2010).

4 En termes de gestion de crise, comment anticiper au mieux les événements ? L’adaptation des réponses institutionnelles aux spécificités locales est un point clé de la

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gestion de crise au travers de problèmes tels que l’évacuation préventive des zones touchées ou les dysfonctionnements dans la communication (entre gestionnaires de crise, entre autorités et public…). Comment les expériences passées sont-elles réinvesties dans la gestion des crises cycloniques ? Y a-t-il capitalisation des expériences ou bien chaque cas étant différent, la gestion de crise prend-elle à chaque fois une grande part d’improvisation ?

5 Au-delà des retours d’expérience « à chaud », ces phénomènes intenses doivent se lire à l’aune de leurs conséquences à long terme sur les territoires. Ces événements sont-ils des ruptures, des bifurcations dans les trajectoires de ces territoires ou bien ne remettent-ils pas en cause le fonctionnement à long terme de leurs modèles de développement ? Décideurs et scientifiques ont besoin de retours d’expérience sur le long terme, sur les impacts mais aussi sur les phases de reconstruction (Moatty et al., 2017). Le relèvement a-t-il été efficace préventivement, rapide dans ses ressorts économiques, éthique sur le plan de la justice sociale ? Quels changements physiques et sociétaux a induit le passage du cyclone ? La conscience du risque et sa prévention se sont-elles améliorées ? La phase de reconstruction s’avère primordiale (Ingram et al. 2006). Elle est en théorie une « fenêtre d’opportunité » (Christoplos, 2006) pour développer la résilience territoriale en cas de futurs événements mais elle fait apparaitre des différences criantes entre des territoires durablement impactés (Kelman, 2014) et d’autres capables de se redresser promptement. Le relèvement rapide de l’archipel des (Pacifique Ouest) après le en 2015 a montré la résilience de sociétés traditionnelles pourtant fortement exposées (Rey et al., 2017 : Le Dé et al., 2018). Enfin, la compréhension des relations cyclone/territoire ne peut faire l’économie d’une mise en perspective de ces catastrophes dans la trajectoire de vulnérabilité globale des territoires (Duvat et al., 2017 ; Desarthe et Moncoulon, 2017).

6 Ce dossier d’EchoGéo éclaire plusieurs de ces aspects en privilégiant une approche géographique. Il rassemble treize contributions, portant sur sept territoires cyclonés, depuis les Petites Antilles du Nord (Saint-Martin, Saint-Barthélemy) et l’Atlantique Nord, en passant par la Guadeloupe et Haïti, jusqu’à Djibouti et Madagascar dans l’Océan Indien (illustration 1). Sept de ces articles s’attardent en particulier sur la saison cyclonique 2017, particulièrement éprouvante pour les Antilles françaises.

7 Une première série de quatre articles aborde la question des impacts, thème central de ce numéro. Thibault Catry, Christophe Révillion, Pascal Mouquet, et Gwenaëlle Pennober montrent l’apport de l’imagerie satellite pour le suivi de l’impact des événements cycloniques à Madagascar, en jouant sur la complémentarité des échelles et des capteurs et en prenant pour cas d’étude deux cyclones (Haruna en 2013 et Enawo en 2017). Tony Rey, Thomas Candela, Matthieu Péroche et Frédéric Leone mobilisent de leur côté l’approche de terrain et l’imagerie par drone pour évaluer les changements côtiers et les inondations consécutifs au passage de l’ouragan Irma des 5 et 6 septembre 2017 sur les îles de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Jean-Philippe Cherel, Mustapha Nour Ayeh, Bouh Omar Ali et Freddy Vinet analysent un événement assez singulier (le cyclone Sagar) survenu en mai 2018 dans le golfe d’Aden, et ses conséquences socio-économiques sur la ville de Djibouti peu accoutumée à ce genre d’événement. Frédéric Leone, Samuel Battut, Victoria Bigot, Guilhem Cousin Thorez, Thomas Candela et Freddy Vinet posent les bases méthodologiques d’un catalogue historique des événements hydro-météorologiques significatifs et mortels qui ont frappé l’archipel de Guadeloupe et les îles du Nord depuis 1635, offrant ainsi la

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possibilité de comprendre les principaux facteurs de vulnérabilité humaine face aux cyclones et leur évolution au cours du temps.

8 Deux autres articles traitent de la crise cyclonique et de sa gestion, d’un point de vue institutionnel ou individuel. Valérie November, Alice Azémar, Sophie Lecacheux et Thierry Winter analysent les obstacles à une « bonne » gestion de crise et soulignent la fragmentation du couple anticipation/décision dans la pratique des différents niveaux de réponse, en décortiquant deux études de cas situées pendant la crise Irma-José- Maria de 2017 aux Antilles, l’une observée au niveau interministériel, et l’autre vécue par un opérateur de l’État, au niveau territorial. Stéphanie Defossez et Monique Gherardi ciblent quant à elles, et pour le même évènement, le rôle des populations dans la gestion de la crise à Saint-Martin, en privilégiant un suivi par entretien des personnes à plusieurs échéances après le cyclone.

9 Les trois contributions qui suivent reviennent sur les problématiques post-crise de relèvement et de reconstruction des territoires cylonés. Annabelle Moatty, Delphine Grancher, Clément Virmoux et Julien Cavero abordent la question du relèvement après le cyclone Irma à Saint-Martin à travers le vécu et la perception des adolescents, en considérant les récits des adolescents en tant que données susceptibles d’alimenter les retours d’expérience post-catastrophe. Toujours pour le même événement et Saint- Martin, Marie Cherchelay montre le processus de reconstruction par le prisme du tourisme, afin d’analyser les jeux d’acteurs complexes qui se développent, autour des enjeux et attentes qui émergent en période post-crise. Simon Veitl interroge de son côté le rôle des interventions humanitaires internationales pour la reconstruction en Haïti, en particulier au niveau des écoles du département Sud, après l’ouragan Matthew survenu en 2016.

10 Une dernière série de quatre articles pose la question des évolutions et des adaptations face au risque cyclonique à long terme. L’historien Jérémy Desarthe revient sur l’ouragan majeur de septembre 1928 en Guadeloupe et sur ses conséquences, traçables jusqu’en 1934 grâce à une exploitation des archives administratives. Karl Hoarau, Florence Pirard et Ludovic Chalonge analysent l’influence du réchauffement climatique actuel sur l’activité des ouragans extrêmes de l’Atlantique Nord (1945-2018), dont l’intensité et la fréquence sont estimées grâce aux reconnaissances aériennes et à la technique de Dvorak fondée sur la réinterprétation d’images satellitaires. La question du temps long des sociétés « cyclonées » est ensuite abordée par Fanny Benitez, Magali Reghezza-Zitt et Nancy Meschinet de Richemond qui interrogent l’utilisation de la notion de « culture du risque » par les différents acteurs du champ de la prévention des catastrophes naturelles et de la gestion de crise en Guadeloupe, en particulier à l’aune de la saison cyclonique 2017. Enfin, Michel Desse, Monique Gherardi et Simon Charrier montrent en quoi les cyclones engendrent des ruptures positives ou négatives pour les sociétés et les économies insulaires de Guadeloupe, très dépendantes de leurs littoraux et des activités touristiques qui les habitent.

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Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

FREDDY VINET Freddy Vinet, [email protected], est professeur de géographie des risques naturels à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Vinet F., 2018. La Grande Grippe. 1918 : la pire épidémie du siècle. Histoire de la grippe espagnole. Paris, Éd. Vendémiaire, 260 p. - Vinet F. (dir.), 2018. Inondations 1. La connaissance du risque. Londres, Elsevier/ISTE éditions, 388 p. - Vinet F. (dir.) 2018. Inondations 2. La gestion du risque. Londres, Elsevier/ISTE éditions, 470 p.

FRÉDÉRIC LEONE Frédéric Leone, [email protected], est professeur de géographie des risques naturels à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma (St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering [En ligne]. vol. 7, n° 7, p. 215. DOI: https://doi.org/10.3390/ jmse7070215 - Bennani O, Druon E., Leone F. et al., 2019. A spatial and integrated flood risk diagnosis. Relevance for disaster prevention at Ourika valley (High Atlas-Morocco). Disaster Prevention and Management [En ligne], vol. 28 n° 5, p. 548-564. DOI : https://doi.org/10.1108/DPM-12-2018-0379 - Leone F., Komorowski J.C., Gherardi-Leone M. et al., 2018. Accessibilité territoriale et gestion de crise volcanique aux Antilles françaises (Guadeloupe & Martinique) : contribution à la planification des évacuations. Cybergeo. European Journal of Geography, Espace, Société, Territoire [En ligne], document 865. http://journals.openedition.org/cybergeo/29425 - DOI: https://doi.org/ 10.4000/cybergeo.29425Fr25/04/2020

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Apports de l’imagerie satellite pour le suivi de l’impact des événements cycloniques à Madagascar Complémentarité des échelles et des capteurs

Thibault Catry, Christophe Révillion, Pascal Mouquet et Gwenaëlle Pennober

Cette étude a bénéficié des ressources en données d’observation de la Terre et traitement d’images de la station SEAS-OI de La Réunion et du programme Copernicus de l’ESA. Certains travaux ont été réalisés dans le cadre du projet FEDER OBSAT (2012-2015) et valorisés dans le contexte du projet INTERREG Renovrisk-Impact (2018-2021).

Contexte et zones d’étude

1 L’île-continent Madagascar, de par sa position dans le sud-ouest de l’océan Indien est particulièrement soumise à l’activité cyclonique. Le centre de Météo-France (MF) basé à la Réunion a été désigné par la World Meteorological Organization (WMO), comme l’un des 6 centres mondiaux de surveillance des cyclones (CMRS, Centre Météorologique Régional Spécialisé/Cyclones), en charge de la surveillance des systèmes cycloniques du sud-ouest de l’océan Indien (entre l’Afrique et 90°E). D’après la classification des principaux systèmes dépressionnaires tropicaux utilisée dans le sud-ouest de l'océan Indien définie par MF, le stade de cyclone tropical est atteint lorsque la valeur maximale de la vitesse moyenne du vent est supérieure à 64 nœuds (118 km/h, force ouragan 12 Beaufort).

2 Entre 1985 et 2015, 306 systèmes dépressionnaires ont été répertoriés dans ce bassin océanique (une moyenne de neuf par saison cyclonique) dont 154 cyclones (quatre par saison en moyenne avec une variabilité forte selon les années : huit systèmes en 2002-2003 et 2006-2007 contre seulement un en 2010-2011 et 2015-2016). 45 cyclones et tempêtes tropicales ont été répertoriés au cours des dix dernières années (illustration 1).

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Illustration 1 - Nombre de systèmes dépressionnaires répertoriés dans l’océan Indien depuis la saison 1984-1985, avec en orange les cyclones

Source : Met Office, JTWC.

3 Les données best tracks du JTWC (Joint Typhoon Warning Center de l’agence américaine Department of Defense), nous ont permis d’établir une cartographie des zones les plus touchées par les cyclones (vents moyens ≥ 64 noeuds) depuis 1980 (illustration 2). Cette carte a été établie en compilant 9333 points de trajectoires de cyclones constituant 475 traces de l’est de l’hémisphère sud (océans Indien et Pacifique). Les valeurs représentent le nombre de cyclones dont le cœur est passé à une distance inférieure à 100 km. On note une très forte hétérogénéité sur la zone du sud-ouest de l'océan Indien (SWOI), avec des valeurs s’échelonnant entre 0 et plus de 17 cyclones. Les trajectoires forment de véritables couloirs de passages, notamment entre le 15e et le 20e degré de latitude sud. La zone du Canal du Mozambique (maximum 7 cyclones) est moins touchée que l’est de Madagascar.

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Illustration 2 - Distribution spatiale des cyclones dans le SWOI entre 1980 et 2017

Source : best tracks du JTWC. Auteur: P. Mouquet.

4 En raison de son étirement en latitude sur près de 15 degrés entre le 12e et le 26e degré sud, l’influence cyclonique n’est pas homogène sur l’ensemble de Madagascar, avec entre 0 et 8 systèmes qui ont touché l’île sur la période. Les zones les plus touchées se trouvent sur les côtes, au nord et à l’est de l'île (provinces de Diego-Suarez, Majunga et Tamatave). On peut noter plusieurs hotspots : - au nord-est : la presqu'île de Masoala, la Baie d'Antongil jusqu’à la ville de Sambava vers le Nord, avec entre six et huit cyclones constitue une des zones plus touchées. Les villes principales de la zone sont : Antalaha, Sambava, Maroantsetra ; - Aàl’est, la région d'Atsinanana dans la province de Tamatave entre cinq et sept cyclones. La principale ville de la zone est Tamatave ; - au nord-ouest, la région de Boeny dans la province de Mahajanga est aussi une zone d’activité cyclonique importante (six systèmes). La principale ville de la région est Mahajanga ; - si le sud de l’île est plus épargné, on peut noter que la zone de Toliara au sud-ouest est un peu plus touchée (>4 systèmes).

5 Madagascar figurant parmi les pays les plus pauvres au monde (PIB/habitant en 2016 : 391 USD1), l’impact des cyclones se traduit par d’importantes pertes en vies humaines et une augmentation de la fragilité économique (Brown, 2009). Les conséquences en chaîne des cyclones à l'échelle d'un territoire insulaire comme Madagascar sont extrêmement variées et vont largement être conditionnées par leurs intensités et leurs positions par rapport à l’île. Lorsque l’œil du cyclone frappe directement les côtes, les vents, les précipitations, la houle et la surcote sont particulièrement dommageables. Lorsque la trajectoire du cyclone reste en mer à une distance plus éloignée, les conséquences sont moindres mais l'île peut être sous l'influence de la houle et de bandes précipitantes intenses ; les effets locaux sont caractérisés par des risques liés

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aux fortes vagues et de crues importantes suivies d’une phase plus ou moins longue de décrue.

6 Cette étude s’intéresse à deux évènements marquants en termes d’impacts sur les cinq dernières années : (i) le cyclone Haruna, qui a frappé la côte sud-ouest de Madagascar en février 2013, plus particulièrement la province de Toliara (région d’Atsimo- Andrefana, illustration 3) et (ii) le cyclone Enawo, qui a touché la côte nord-est de Madagascar au niveau de Sambava (région de Sava, province d’Antsiranana) et Maroantsetra (région d’Analanjirofo, province de Tamatave) en mars 2017 (illustration 3).

Illustration 3 - Localisation des zones d’étude : au sud-ouest l’agglomération de Toliara (province de Toliara), touchée par le cyclone Haruna en 2013 ; au nord Est, Sambava (province d’Antsiranana) et Maroantsetra (province de Tamatave) touchées par Enawo en 2017

Auteur : T. Catry.

7 Les trois sites d'étude sont des villes de plaines alluviales côtières. La dégradation des bassins versants se traduit par une forte sédimentation littorale qui renforce le risque d’inondation par l’obstruction des embouchures et la surélévation des cours d'eau2. Toliara, sur la côte sud se développe sur le delta fluviatile du fleuve Fiherenana. La partie la plus haute de la ville se situe à une altitude de 16 m, alors que le centre-ville est situé à 10 m d’altitude, avec une pente moyenne de 1 degré entre la berge du fleuve et la ville de Toliara. Le fleuve se caractérise par un régime intermittent : de mars à novembre il peut présenter un régime endoréique en raison de la péjoration de pluies et de l’augmentation de l’irrigation sur le bassin versant (Chaperon et al. 1993). Cette caractéristique pénalise l'avancée de son delta mais a favorisé l’établissement de la ville portuaire (Salomon, 2009). Les crues du fleuve sont signalées dès lors que le site acquiert le statut de ville le plus souvent après le passage de cyclones. Une digue de 2,5 km vise à contenir l'écoulement du fleuve au nord de la ville. En 2013, la ville de

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Toliara, comptait environ 157 000 habitants3, ce qui représente un triplement de la population depuis 1960 favorisé par un fort exode rural. Les deux villes de la côte nord- ouest sont établies sur et en arrière de cordons littoraux sableux d'embouchure dont la formation a créé des marécages et étangs par les difficultés d'écoulement qu'ils entraînent au fur et à mesure de leur accrétion. La ville de Sambava, sur la côte nord- est est installée à l'embouchure formée par la confluence de quatre entités fluviatiles dont le fleuve Bemarivo. En 2015, la ville comptait environ 40 000 habitants répartis entre les rives du fleuve et un cordon littoral en front de mer. Maroantsetra, dans la baie d'Antongil, est quant à elle une petite ville portuaire située sur le delta marin du fleuve l'Antalambalana. Elle comptait environ 24 000 habitants en 2015. Le profil d'élévation de Maroantsetra, perpendiculairement à la rivière Antenambalana en se dirigeant vers l'ouest montre l’exposition de la ville aux inondations, avec une élévation de seulement 1 à 3 mètres entre la ville et la rivière, et une altitude maximum de 7 à 11 m dans la ville.

8 En raison de la diversité des approches et des contextes les deux événements sont présentés ici successivement.

Cas d’étude n° 1: le cyclone Haruna de février 2013, côte sud-ouest de Madagascar

Observation du cyclone par imagerie basse résolution

9 La côte sud-ouest de Madagascar, qui borde le canal du Mozambique, a été frappée par le cyclone Haruna en février 2013. Bien que rarement touché par des événements cycloniques majeurs (Jumaux, 2011), ce littoral avait déjà été fortement impacté par le cyclone Bingiza en février 2011, qui avait notamment endommagé la digue protégeant la ville de Toliara du débordement du fleuve Fiherenana (illustration 3). Haruna atteint le stade de cyclone tropical le 20 février, et touche la province de Toliara au stade de forte tempête tropicale le 22 février (illustration 4). Les images du capteur MODIS (satellites Aqua et Terra, NASA) à 1 km de résolution spatiale d’Haruna les 20 (illustration 4a) et 22 (illustration 4b) février permettent de bien suivre le déplacement de la masse nuageuse associée au cyclone.

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Illustration 4 - Images satellites MODIS à 1 km de résolution spatiale du cyclone Haruna les 20 et 22 février 2013

4a : 20/02/2013, Aqua ; 4b, 22/02/2013, Terra. Source: NASA.

10 Les services météorologiques internationaux et le bureau national de Gestion des Risques et des Catastrophes (BNGRC) de Madagascar, ont mis en place une alerte de niveau 4 sur le passage du cyclone Haruna (illustration 5a). Le 19 février, le sud de Madagascar, incluant la province de Toliara, est placé en « alerte orange » (avis de menace; illustration 5b) puis en « alerte rouge danger imminent » le 20 février (illustration 5c) avec des vents moyens jusqu’à 150 km/h et des pics à 210 km/h. L’alerte est levée le 23 février (illustration 5e).

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Illustration 5 - Trajectoire estimée et observée d’Haruna et niveaux d’alerte émis lors du passage du cyclone par les services météorologiques et le BNGRC de Madagascar

Source des cartes d’alerte : météo Malagasy.

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Quantification des précipitations associées à Haruna par imagerie satellite

11 Le radar de précipitations de la mission TRMM (Tropical Rainfall Measuring Mission, NASA/NOAA) permet une mesure en temps réel des cumuls de précipitations le long de la trajectoire d’Haruna. Le 20 février, alors qu’Haruna atteint son stade maximal de cyclone tropical, les précipitations sont localement mesurées en mer dans r le canal du Mozambique à leur niveau maximal (>50 mm/h), mais le phénomène se situe encore majoritairement loin des côtes, avec un impact limité sur la zone de Toliara (illustration 6a). Le 22 février, lorsqu’il touche Toliara, Haruna est redevenu tempête tropicale intense. Les précipitations maximales diminuent mais restent fortes, atteignant localement sur terre 10 à 20 mm/h (illustration 6b), causant les premières inondations sur la zone de Toliara (voir illustration 9)

Illustration 6 - Précipitations associées au cyclone Haruna les 20 (a) et 22 (b) février 2013

Source : mesure des précipitations (en mm/heure) via le satellite TRMM (Tropical Rainfall Measuring Mission) de la NASA (modifié d’après la NASA).

Apport de l’imagerie haute-résolution pour le suivi de l’impact d’Haruna

12 Cette étude a bénéficié des ressources de la station SEAS-OI (Surveillance de l’Environnement Assistée par Satellite pour l’Océan Indien). Située à Saint-Pierre de La Réunion, elle a été opérationnelle de juillet 2012 à décembre 2016. Parmi les objectifs de la station SEAS-OI, on peut citer l’acquisition d’images satellites en tâche de fond sur une zone de 2500 km de rayon autour de La Réunion (incluant Madagascar, illustration 7), et la mise à disposition rapide et gratuite de ces données aux partenaires institutionnels et scientifiques de la sous-région. Grâce à la réception directe d’imagerie SPOT 5 et RADARSAT-2, il a été possible de réaliser un suivi en quasi temps réel de

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l’évolution des inondations causées par Haruna entre le 20 et le 26 février. Ce suivi a été mené suite à une sollicitation du BNGRC.

Illustration 7 - Cercle de réception directe des données SPOT-5 et RADARSAT-2 de la station SEAS- OI

Source : Fonds ocean Basemap, © Esri. Auteur : C. Révillion.

13 L’intérêt de la station SEAS-OI au moment de l’étude réside dans la maîtrise de la programmation, du stockage et dans l’acquisition combinée de données d’observation de la Terre issues de capteurs optique (SPOT 5) et SAR (Synthetic Aperture Radar, ou RSO, radar à synthèse d’ouverture) (RADARSAT-2). En effet, au pic d’intensité du cyclone le 22 février, l’ennuagement lié au phénomène rend impossible l’observation des territoires affectés par le cyclone par des satellites optiques. RADARSAT-2, capteur actif en bande-C peut quant à lui acquérir des données peu perturbées par l’ennuagement. L’imagerie RADAR, obtenue via une programmation d’urgence initiée par SEAS-OI, permet donc d’obtenir de l’information sur la situation au sol, et de travailler sur l’impact du cyclone, notamment en termes d’extension des zones d’inondation. La méthodologie utilisée pour extraire les pixels inondés à partir d’images RADARSAT-2 à 8 m de résolution spatiale (mode Fine, polarisation VV+VH) est détaillée dans l’illustration 8. L’intérêt d’utiliser des images en double polarisation réside dans la possibilité d’accéder à trois informations spectrales (3 canaux) : une information fournie par VV, une information fournie par VH et une information fournie par le ratio VV/VH. Ici, la polarisation VH a été privilégiée dans la mesure où les structures horizontales comme l’eau présentent une forte rétrodiffusion dans la polarisation VH, facilitant l’identification des zones inondées.

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Illustration 8 - Méthodologie de traitement des images RADARSAT-2 pour l’extraction des pixels en eau

Réalisée à l’aide de la Sentinel Tool Box, SNAP Sentinel Application Platform.

14 Une image de référence, acquise en saison sèche, correspondant à la situation en absence d’inondation, est utilisée pour la détection et la cartographie des zones en eau permanentes, notamment les fleuves. Dans cette étude, une image datant du 4 juillet 2012 a été utilisée. Cette image permet d’extraire le niveau minimal d’eau observé dans le fleuve. Pour caractériser la situation de crise et l’extension des inondations, une image du 22 février 2013 (pic d’intensité du cyclone, l’œil étant alors situé à 50 km de Toliara) a été utilisée. A partir de cette image, les prétraitements classiques ont été appliqués (calibration radiométrique, filtrage du bruit puis corrections géométriques) et un seuillage de l’amplitude du signal SAR, combiné à des informations texturales d’entropie (Kiage et al., 2005 ; McMillan et al., 2006 ; Mason et al., 2010) a permis d’identifier les pixels en eau correspondant (i) au fleuve Fiherenana en crue (en bleu illustration 9) et (ii) les autres surfaces en eau (ou inondées) dans la plaine littorale (en rouge Illustration 9) la zone urbaine de Toliara (en jaune illustration 9). L’entropie est un paramètre physique qui caractérise le degré aléatoire de l’orientation spatiale de l’onde rétrodiffusée. Une forte entropie correspond à des structures ayant une géométrie en trois dimensions (des bâtiments en zones urbaines par exemple) qui vont rétrodiffuser un signal dans toutes les directions de l’espace alors qu’une surface lisse comme l’eau ne va rétrodiffuser le signal que dans une seule direction avec une entropie faible.

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Illustration 9 - Cartographie de la zone inondée au pic d’intensité du cyclone Haruna sur la zone de Toliara, Madagascar

Zone inondée le 22/02/2013 en rouge, cartographiée par imagerie RADARSAT-2. Source: RADARSAT-2 Data and Products, © MacDONALD, DETTWILER AND ASSOCIATES LTD. (2012,2013) – All rights reserved, RADARSAT is an official trademark from the Canadian Space Agency. Auteur : T. Catry.

15 Il est important de noter qu’à ce stade de la crise, la digue protégeant Toliara des crues du Fiherenana n’a pas encore cédé sous l’augmentation rapide du débit du fleuve et en raison de sa fragilisation localement d’origine anthropique. Les inondations dans la zone de Toliara se limitent à la périphérie de la zone urbaine (en jaune illustration 9) et à la zone côtière. Elles sont la conséquence des fortes pluies et de la houle cyclonique. A partir du 23 février, le niveau d’alerte baisse (illustration 5) mais les pluies se poursuivent, augmentant le débit et le niveau du fleuve. Le 24 février, la digue (en blanc illustration 9) cède et le fleuve en crue se déverse dans les zones basses en direction de l’agglomération de Toliara.

16 Dans un second temps, grâce à l’utilisation de plusieurs images SPOT 5 multispectrale à 10 mètres de résolution, il a été possible d’évaluer (i) l’impact de la rupture de la digue par le suivi de l’inondation qui en a résulté ainsi que (ii) le suivi de la décrue. La méthodologie employée est détaillée dans l’illustration 10.

Illustration 10 - Méthodologie de traitement des images SPOT 5 pour l’extraction des pixels en eau

17 Le jeu d'images SPOT 5 qui a été mobilisé pour ce suivi a été téléchargé dans la base de données de la station SEAS-OI, qui disposait d’images de qualité aux périodes et sur les zones concernées. Il s’agit d’une image de référence en saison sèche (acquise le 17/08/2012), d’une image prise quelques jours après le passage du cyclone (26/02/2012)

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et de trois images complémentaires pour suivre la décrue (04/03/2013, 18/03/2013 et 24/04/2013). Ce suivi de la décrue a été réalisé à l’initiative de l’équipe IRD en pied d’antenne à SEAS-OI pour montrer l’intérêt de la répétitivité pour le suivi temporel d’une catastrophe naturelle.

18 Le jeu d'images a été prétraité avec le logiciel ENVI pour rendre les données superposables (corrections géométriques) et comparables (corrections radiométriques) entre elles. Le NDWI (Normalized Difference Water Index) est un indice de télédétection classiquement utilisé pour mettre en évidence et délimiter les masses d’eau libres. Il est calculé comme la différence normalisée entre les bandes spectrales verte et proche infrarouge (PIR), avec une gamme de valeurs comprises entre -1 et +1, négatives pour la végétation terrestre et les sols nus, positives dans l’eau (McFeeters, 1996). Pour chaque image du jeu de données, un seuillage du NDWI et de la bande proche infrarouge ont permis d’extraire une classe « zones en eau » (Wang, 2004).

19 Le climat de Toliara étant sub-aride, la donnée en saison sèche donne une bonne idée de la faible extension des zones en eau durant une bonne partie de l’année (Battistini, 1996). Utilisée comme donnée de référence, elle permet par comparaison avec l’image du 26/02/2013 de visualiser l’étendue de l’inondation suite aux très fortes précipitations et à la rupture de la digue (illustration 11).

Illustration 11 - Cartographie par imagerie SPOT 5 des inondations dans la zone de Toliara le 26/02/2013

Inondations en bleu clair, après la rupture de la digue protégeant la zone urbaine, en jaune, des crues du Fiherenana. Source : © CNES (2012, 2013), Astrium Services Distribution/Spot Image S.A., France, all rights reserved. Auteur : C. Révillion.

20 En répliquant la méthode décrite à l’illustration 10, un suivi de la décrue a été réalisé au cours des mois de mars et d’avril en utilisant trois images SPOT 5 datées respectivement du 4 mars, 18 mars et 24 avril (illustration 12). Cette approche montre l’intérêt de mettre en place un suivi post-crise afin d’évaluer la résilience d’une zone impactée par un évènement cyclonique majeur. Ce type de suivi n’est pas mis en place dans le cadre de l’activation des chartes risques internationales dans la mesure où il s’agit d’actions d’urgence.

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Illustration 12a - Suivi de la décrue dans la zone de Toliara par imagerie SPOT 5 datant du 04/03/2013 (a), 18/03/2013 (b) et 24/04/2013 (c)

Source : © CNES (2013), Astrium Services Distribution/Spot Image S.A., France, all rights reserved. Auteur : C. Révillion.

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Illustration 12b - Suivi de la décrue dans la zone de Toliara par imagerie SPOT 5 datant du 18/03/2013 (b)

Source : © CNES (2013), Astrium Services Distribution/Spot Image S.A., France, all rights reserved. Auteur : C. Révillion.

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Illustration 12c - Suivi de la décrue dans la zone de Toliara par imagerie SPOT 5 datant du 24/04/2013

Source : © CNES (2013), Astrium Services Distribution/Spot Image S.A., France, all rights reserved. Auteur : C. Révillion.

21 On observe une décrue assez lente, notamment dans certaines zones péri-urbaines ou le niveau d’eau avait atteint plusieurs mètres selon la presse locale. La région de Toliara est une région semi-aride, les précipitations y sont donc très faible en moyenne. C’est pourquoi la ville de Toliara n’a pas de réseau d'évacuation des eaux dimensionnés pour de fortes précipitations, ce qui explique en partie la longueur de cette décrue.

Contribution à l’évaluation du bâti impacté en mobilisant des données Pléiades

22 Une quantification du bâti impacté à l’échelle d’un quartier de Toliara a été réalisée (illustration 12) via l’utilisation d’une image Pléiades à 70 cm de résolution du 26 février 2013, acquise et mise à disposition par l’équipex GEOSUD (http://ids.equipex- geosud.fr/).

23 Cette image à très-haute résolution permet de qualifier le type d’occupation du sol affecté par les zones en eau (extraites à partir de SPOT 5). Une approche par photo- interprétation est ici privilégiée. L’illustration 13 montre qu’un grand nombre de bâtiments ont été impactés par les inondations. Cette image permet également de mettre en évidence que les zones impactées sont principalement les zones péri- urbaines, le centre-ville de Toliara ayant été plutôt épargné par le phénomène.

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Illustration 13 - Étendue des inondations et cartographie des bâtiments impactés ou non impactés par les inondations le 26 février 2013

Inondations en bleu (extrait du traitement réalisé sur l’image SPOT 5) ; bâtiments impactés en rouge et non impactés en jaune. Source : contient des informations © CNES 2013, Distribution Airbus DS, tous droits réservés. Usage commercial interdit. Auteur : C. Révillion.

Bilan du cyclone Haruna

24 La combinaison de capteurs optiques, RADAR pluie et RADAR imageur SAR à différentes résolutions a permis de réaliser un suivi complet du développement du cyclone Haruna puis de ses conséquences en terme d’inondation et d’impact sur les infrastructures (Chaouch et al., 2012), en lien étroit avec les autorités malgaches, via le BNGRC qui a sollicité l’appui de la station SEAS-OI pour la gestion de crise. Durant ce cyclone, si les autorités malgaches signalaient 41 000 personnes sinistrées (26 décès, 16 disparus, 127 blessés, 13 800 sans-abris), le suivi par imagerie satellite montre que 15 000 habitations auraient été directement impactées par la montée des eaux. Sur cet événement, la charte internationale Espace et catastrophes majeures a été déclenchée par la protection civile française à la demande du BNGRC. Dans ce cadre, le SERTIT a réalisé une carte des zones inondées très rapidement après l’événement. La cartographie des zones en eau réalisée par le SERTIT et celle élaborée dans cette étude se fondent sur la même image SPOT 5 du 26 février 2013.

25 Même si les objectifs ne sont pas les mêmes, le résultat des deux traitements est assez proches. Le travail du SERTIT étant de proposer un produit opérationnel dans des délais restreints, nous avons réalisé des analyses complémentaires en suivant la décrue et en estimant le nombre de bâtiment touchés par les inondations.

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Cas d’étude n° 2 : le cyclone Enawo de mars 2017, côte nord-est de Madagascar

Observation du cyclone par imagerie basse résolution

26 Les provinces d’Antsiranana et Tamatave sont frappées par le cyclone Enawo en mars 2017. L’illustration 14 montre des images MODIS (capteur de la NASA sur les satellites Aqua et Terra) à 1 km de résolution spatiale d’Enawo les 6 (gauche), 7 (centre) et 8 (droite) mars 2017, sur lesquelles les sites d’étude, les villes de Sambava et Maroantsetra, sont positionnés.

Illustration 14 - Images satellites MODIS à 1 km de résolution spatiale du cyclone Haruna les 6 (gauche), 7 (centre) et 8 (droite) Mars 2017

Source: NASA.

Quantification des précipitations associées à Enawo par imagerie satellite

27 Grâce au capteur IMERG (micro-ondes RADAR et infra-rouge) de la Global Precipitation Mission (GPM, qui a succédé à TRMM), il a été possible d’avoir une approche quantitative des précipitations totales cumulées au cours du déplacement du cyclone Enawo entre le 3 et le 8 mars 2017. Elles atteignent un maximum de 500 mm en mer au nord-est de Madagascar et d’environ 200 à 300 mm au niveau des zones de Sambava et Maroansetra touchées entre les 7 et 8 mars (illustration 15).

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Illustration 15 - Cumul des précipitations associées au cyclone Enawo entre le 3 et le 8 Mars 2017

Précipitations totales en mm, via le capteur IMERG de la Global Precipitation Mission (GPM). Source : NASA.

28 Le caractère exceptionnel de cet événement a amené les autorités à craindre un impact humanitaire important. C’est pourquoi, pour organiser au mieux l’action des secours et l’aide humanitaire l’EMS (Emergency Management Service) Rapid Mapping de Copernicus a été mobilisé. Dans ce cadre, les cartographies ont été réalisées par la société SIRS (Systèmes d'Information à Référence Spatiale) dans le consortium e-GOES. La charte internationale espace et catastrophes majeures a également été déclenchée par UNITAR-UNOSAT pour UNOCHA, avec réalisation de produits cartographiques par UNOSAT.

Cartographie des inondations sur Maroantsetra par imagerie RADAR Sentinel-1

29 Dans le cadre du programme Copernicus (ex-GMES), l’ESA (European Space Agency) met en accès libre depuis 2015 des images satellites optiques Sentinel-2 (S2) et SAR Sentinel-1 (S1) pour la communauté d’utilisateurs. Ces images ont une résolution spatiale de 10 m pour S2 et de 5 m à 20 m pour S1 et une répétitivité temporelle de 5 à 12 jours en fonction de la zone d’étude. Les images S2 sont acquises de façon systématique au nadir, et selon des plans de programmation prévus à l’avance pour S1, non accessibles aux reprogrammations en urgence. Dans le cadre de cette étude, une cartographie des inondations liées à Enawo est réalisée sur la zone de Maroantsetra à partir de trois images Sentinel-1 à 10 m en polarisation VV + VH. La méthode est la même que celle utilisée précédemment sur les images RADARSAT-2 de Toliara, en utilisant la Sentinel Tool Box de SNAP, logiciel libre fourni par l’ESA (illustration 8). L’image de référence correspondant à la situation en absence d’inondation en saison sèche date du 1/10/2016 (illustration 16a). Une image du 22/02/2017, pré-cyclone mais en saison humide (illustration 16b), est utilisée pour quantifier la présence d’eau liée aux pratiques agricoles, la zone étant une zone rizicole. Enfin, une image en contexte cyclonique dite « de crise » datant du 12 mars 2017 permet de cartographier les

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inondations cycloniques. Sur cette image, les zones en noir (à forte réflexion spéculaire) correspondent aux zones en eau suite aux inondations (illustration 16c). Contrairement au cas précédent (mobilisant des données RADARSAT-2) le mode programmation n’est pas possible avec Sentinel-1, nous sommes donc tributaires des dates d’acquisition des images et des délais (en général 24h) de mise à disposition de la donnée. L’image de crise utilisée date du 12 mars alors que le cyclone est passé sur zone entre le 7 et le 8 mars.

Illustration 16 - Images Sentinel-1A de la zone de Maroantsetra (Madagascar)

(a) 01/10/2016, pré-cyclone Enowa, saison sèche ; (b) 22/02/2017, pré-cyclone Enowa, saison des pluies ; (c) 12/03/2017, post-cyclone Enowa. Polarisation VH, résolution 10 m. © ESA

30 Ces trois images ont permis d’obtenir une cartographie fine des zones en eau suite au passage du cyclone Enawo sur Maroantsetra (illustration 16a, b et c). En violet sont figurées les zones en eau permanente (fleuve), en orange les rizières inondées et en rouge les inondations cycloniques. L’illustration 17 montre que le centre-ville de Maroantsetra a été relativement épargné, contrairement à sa périphérie et aux zones agricoles plus au nord qui subissent une forte inondation.

Illustration 17 - Cartographie par imagerie Sentinel-1 des inondations (en rouge) liées au passage du cyclone Enawo sur la zone de Maroantsetra

Fond Google Earth. Auteur : T. Catry.

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Cartographie des inondations liées à Enawo sur la zone de Sambava par imagerie optique Sentinel-2

31 Deux images Sentinel-2 ont été utilisées pour évaluer l’étendue des zones encore en eau cinq jours après le passage du cyclone (illustration 18). Une image de référence acquise un mois avant l’événement donne une information précise sur l’étendue normale des zones en eau en cette saison et l’image du 12 mars 2017 montre bien les zones encore inondées cinq jours après le passage de l’événement cyclonique. Les méthodes de prétraitements sur ce jeu de données sont très proches de celles appliquées sur les images SPOT 5 de Toliara (illustration 10).

Illustration 18 - Les deux images Sentinel-2 utilisées pour la cartographie des inondations suite au passage d’Enawo sur Sambava

(a) pré-cyclone datant du 10/02/2017 ; (b) post-cyclone du 12/03/2017. Résolution : 10 m © ESA. Auteur : C. Révillion.

32 Les caractéristiques spectrales des images Sentinel-2 ont permis d’affiner la détection des zones en eau en utilisant les longueurs d’ondes du proche infrarouge (PIR) et du canal moyen infrarouge (MIR) (illustration 19).

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Illustration 19 - Cartographie par imagerie Sentinel-2 des inondations liées au cyclone Enawo sur Sambava cinq jours après le passage du cyclone

© ESA. Auteur : C. Révillion.

33 La délimitation des zones en eau post événement montre que les surfaces encore inondées se situent surtout au nord et au sud de la ville. Ce sont des espaces de culture périurbaine, notamment des rizières. Le centre-ville est quant à lui peu inondé cinq jours après le passage du cyclone.

34 L’illustration 20 présente une cartographie des inondations liées au cyclone Enawo sur Maroantsetra, réalisée dans le cadre de l’Emergency Management Service (EMS) de Copernicus, à partir d’une combinaison de données Sentinel-2 (pré-cyclone, optique, 10/02/2017), RADARSAT-2 (RADAR, post-cyclone, 7/03/2017, bleu clair) et CosmoSkyMed (RADAR, post-cyclone, 10/03/2017, bleu turquoise).

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Illustration 20 - Cartographie des inondations menées par le programme Copernicus (ESA)

Cartographie via la combinaison de données optique Sentinel-2 et RADAR RADARSAT-2 + CosmoskyMed. © European Union.

35 Bien que les dates d’acquisition des images soient différentes, les résultats obtenus avec Sentinel-1 datant du 12 mars (illustration 17) sont en accord avec les produits fournis par Copernicus (illustration 20).

Apport d’OpenStreetMap (OSM) et de la très haute résolution spatiale pour la détection des infrastructures impactées

36 OSM est un projet collaboratif qui a pour but de constituer une base de données géographiques sous licence libre (ODbL). Toute donnée ajoutée à la base est librement réutilisable. Depuis le début des années 2010 la communauté des contributeurs d’OSM est régulièrement sollicitée pour des actions de cartographie post catastrophes au travers de l’interface HOT (Humanitarian OpenStreetMap Team) dans les pays ne disposant pas de cartographie de référence à grande échelle. Rendu populaire suite à la mobilisation de la communauté lors du tremblement de terre d’Haïti en janvier 2010, il est désormais habituel pour les ONG et les structures responsables de l’aide humanitaire de s’appuyer sur la communauté des contributeurs OSM. En outre, lors de ces actions les providers publics et privés de données satellites mettent à disposition des images THRS pour cartographier au mieux les bâtiments, les réseaux etc. On parle alors de tâche HOT4. Suite au passage d’Enawo, une tâche HOT a été déclenchée pour la ville de Sambava et une autre pour le site de Maroantsetra, ces deux projets ont bénéficié d'images GeoEye1 fournies par DigitalGlobe. Cette action a permis une cartographie précise des bâtiments de la zone en quelques jours. En plus d’avoir contribué au déploiement humanitaire sur site, les données bâti de Sambava peuvent être mobilisées pour d’autres études car accessibles sur OSM. L’intersection de la couche « bâti » OSM et de la zone inondée sur Sambava nous a permis d’estimer à 1200 les bâtiments encore touchés par les inondations cinq jours après le passage du cyclone (extrait de l’analyse illustration 21). Ce qui représente environ 10 % des bâtiments de Sambava. Sur Maroantsetra, le constat d’un centre-ville relativement épargné par les inondations est

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confirmé par le calcul du nombre de bâtiment impacté. Grâce à la BDD OSM nous avons calculé que seuls 10 bâtiments avaient encore les pieds dans l’eau quatre jours après le passage du cyclone (environ 1/1000).

Illustration 21 - Localisation des bâtiments issue de la base de données OSM sur le sud de la ville de Sambava

Localisation utilisée pour la cartographie des bâtiments impactés suite au passage d’Enawo. Auteur : C. Révillion.

37 L’illustration 22 présente quant à elle une cartographie de l’impact des inondations sur les routes et les bâtiments, réalisée à partir d’une image GeoEye DigitalGlobe du 11/03/2017 dans le cadre de l’Emergency Management Service (EMS) de Copernicus, avec deux niveaux d’impact sur les routes et le bâti : faiblement endommagés en jaune et fortement endommagés en orange. Cette figure illustre l’apport de la très haute résolution pour l’estimation des dommages structurels sur des objets dont les dimensions sont trop faibles pour être cartographiables à partir d’images satellites de plus faibles résolutions (Sentinel-2, SPOT 5).

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Illustration 22 - Cartographie des dommages structurels aux routes et bâtiments sur la zone de Maroantsetra

Cartographie réalisée à partir d’une image très haute résolution GeoEye (DigitalGlobe) du 11/03/2017. © European Union.

Bilan du cyclone Enawo

38 La mise à disposition libre et gratuite des données Sentinel-1 et Sentinel-2 par Copernicus a permis de quantifier a posteriori l’impact du cyclone Enawo, grâce à la combinaison d’informations spatialisées extraites des capteurs optiques et RADAR. Environ 400 000 personnes ont été sinistrées par Enawo (78 morts, 18 disparus, 250 blessés et 250 000 personnes déplacées). Associée à une démarche de cartographie participative type OSM outre l’estimation a posteriori, le suivi a contribué à apporter des informations aux organisations en charge de la gestion de la catastrophe.

Conclusion et perspectives

39 Cette étude a bénéficié des ressources offertes par la station de réception directe SEAS- OI (Surveillance de l’Environnement Assistée par Satellite pour l’Océan indien) située à La Réunion, du programme Sentinel-Copernicus de l’ESA et des images Pléiades du CNES/ADS Intelligence pour la mise à disposition des images satellites. Elle met à profit la forte répétitivité temporelle des images satellites fournies par les capteurs Sentinel notamment, et la combinaison des informations extraites des satellites optiques et RADAR. Que ce soit en quasi temps-réel (Haruna) ou a posteriori (Enawo), la complémentarité des capteurs apparaît clairement à la vue de ces résultats, bien que les finalités soient différentes (gestion de crise pour Haruna, étude post-castastrophe pour Enawo). L’imagerie satellite a montré son potentiel pour le suivi des phénomènes extrêmes comme les cyclones ainsi que pour la quantification des impacts sur le terrain (inondations, dommages sur les infrastructures), en mettant à profit l’approche multi- capteurs et multi-résolutions. Les résultats obtenus dans cette étude sont complémentaires des travaux menés par le SERTIT (Service Régional de Traitement de l’Information et de Télédétection) dans le cadre de la charte « rapid response » des Nations Unies ou par Copernicus en cartographie rapide via le « Early Management

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Service » (illustrations 21 et 22). Ces études constituent une exploration de l’exploitation des données d’observation de la Terre à différentes résolutions spatiales, temporelles et avec divers modes (optique, radar), pour l’évaluation de l’impact des cyclones dans le sud-ouest de l’océan Indien. L’observation de la Terre est également un atout majeur pour réaliser le suivi du retour à la normale et la dynamique de décrue sur une vaste zone.

40 Elles ont d’ores et déjà contribué à la mise à jour de l’atlas des risques naturels de Madagascar (Rakotondrasoa et al., 2016). En ce qui concerne les aspects organisationnels de la gestion de crise, il est nécessaire d’anticiper les mécanismes de recours à la Charte et /ou Copernicus Emergency, de programmations d’urgence (via les stations SEAS ou autre…), pour que l’Observation de la Terre soit efficace en support aux gestionnaires de crise. En ce sens, les données S1 et S2 assurent une garantie d’accès aux images, mais l’accès ç des données à très haute résolution spatiale via l’activation des chartes internationales reste complètement indispensable pour les cartographies urbaines.

41 Une approche spatialisée des impacts économiques est mise en place dans la phase suivante avec le programme Interreg Renovrisk-Impact (2018-2021) réunissant une équipe multidisciplinaire de géomaticiens-télédétecteurs, géographes et économistes de l’environnement. Les méthodes décrites dans cet article sont mobilisées et améliorées pour mesurer l’impact matériel et économique des cyclones et étudier la résilience des territoires touchés. Les travaux se basent notamment sur le développement d’une chaîne de traitement semi-automatisée des images Sentinel-1 et 2 (téléchargement des images, mise en cohérence, prétraitements, calculs d’indices et détection de changements par des analyses diachroniques).

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ANNEXES

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Annexe 1 - Niveaux de vigilance cyclonique fournis par la DGM (Direction Générale de la Météorologie) de Madagascar

source : http://www.primature.gov.mg/cpgu/wp-content/uploads/2018/08/MANUEL- SAP-.pdf

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Annexe 2 - Niveaux d’alerte cyclonique fournis par le BNGRC (Bureau National de Gestion des Risques et des Catastrophes) de Madagascar

Source : http://www.primature.gov.mg/cpgu/wp-content/uploads/2018/08/MANUEL- SAP-.pdf

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NOTES

1. Source FMI, WEO 2017. 2. Élaboration des normes contre l’inondation pour la construction des infrastructures routières à Madagascar http://www.primature.gov.mg/cpgu/wp-content/uploads/2014/03/ NORMES%20CONTRE%20L_INONDATION%20POUR%20LA%20CONSTRUCTION%20DES%20INFRASTRUCTURES%20ROUTIERES.pdf 3. Source : Institut National de la Statistique de Madagascar. Ces chiffres sont des estimations, le dernier recensement officiel a eu lieu en 1993 (https://www.instat.mg/rgph-3-madagascar/ historique/). 4. https://tasks.hotosm.org/project/2651

RÉSUMÉS

Cette étude porte sur l’utilisation de l’imagerie satellite pour le suivi des cyclones et la caractérisation de leur impact. Deux événements récents sont étudiés à Madagascar : (i) Le cyclone Haruna, impactant la côte sud-ouest en février 2013, (ii) Le cyclone Enawo, touchant la côte nord-est en mars 2017. Le suivi de ces deux épisodes a montré la faisabilité de la mobilisation de l’imagerie satellitaire sur Madagascar pour une quantification des surfaces inondées associées aux cyclones. La combinaison des capteurs optiques et SAR (Synthetic Aperture Radar) à haute résolution temporelle et spatiale (HRS) abouti à : (i) un suivi en quasi temps réel d’Haruna par une surveillance des inondations pendant la crise et de la décrue en post-crise (ii) une cartographie des inondations en zone urbaine et dans les rizières de la région de Maroantsetra et Sambava, associées à Enawo, en combinant des images Sentinel-1 et 2, Pléiades et une démarche de cartographie participative.

This study focuses on the use of earth observation data for the monitoring of tropical cyclones and their impact in the South-western Indian Ocean. Two recent events that occurred in Madagascar are investigated: (i) Haruna, that hit the south-western coast in February 2013 and (ii) Enawo, that hit the north-eastern coast in March 2017. The results showed that satellite imagery is suitable for the quantification of hurricane-related floods over Madagascar territory. The synergetic use of optical and SAR (Synthetic Aperture Radar) sensors, with high temporal and spatial resolution allowed to : (i) carry out a near-real time monitoring of floods caused by Haruna during the crisis and a characterization of water level subsidence in post-crisis (combining SPOT 5, RADARSAT-2 and Pléiades images), (ii) a mapping of floods related to Enawo in urban areas and in rice fields in the regions of Sambava and Maroantsetra (combining Sentinel-1, Sentinel-2, and participatory mapping).

INDEX

Keywords : hurricane, Madagascar, Optical and SAR remote-sensing Mots-clés : cyclone, Madagascar, télédétection optique, RADAR Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

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AUTEURS

THIBAULT CATRY Thibault Catry, [email protected], est ingénieur de recherche en traitement, analyse et représentation de l’information spatiale (télédétection) à l’IRD et membre de l’UMR ESPACE-DEV. Il a récemment publié: - Pinel S., Bonnet M.-P., Da Silva S. et al., 2020. Flooding dynamics within an Amazonian floodplain: water circulation patterns and inundation duration. Water Resources Research [En ligne], vol. 56, n° 1. https://doi.org/10.1029/2019WR026081 - Alexandre C., Johary R., Catry T. et al., 2020. A Sentinel-1 Based Processing Chain for Detection of Cyclonic Flood Impacts. Remote Sensing [En ligne], vol. 12, n° 2. https://doi.org/10.3390/ rs12020252 - Catry T., Li Z., Roux E. et al., 2018. Wetlands and malaria in the Amazon: Guidelines for the use of synthetic aperture radar remote-sensing. International journal of environmental research and public health [En ligne], vol. 15, n° 3. 10.3390/ijerph15030468

CHRISTOPHE RÉVILLION Christophe Révillion, [email protected], est ingénieur d’étude en traitement, analyse et représentation de l’information spatiale (télédétection) à l’Université de la Réunion et membre de l’UMR ESPACE-DEV. Il a récemment publié : - Alexandre C., Rosa J., Catry T. et al., 2020. A Sentinel-1 Based Processing Chain for Detection of Cyclonic Flood Impacts. Remote Sensing [En ligne], vol. 12, n° 2. https://doi.org/10.3390/ rs12020252 - Révillion C., Attoumane A., Herbreteau V., 2019. Homisland-IO: Homogeneous land use/land cover over the Small Islands of the Indian Ocean. Data [En ligne], vol. 4, n° 2. https://doi.org/ 10.3390/data4020082 - Herbreteau V., Kassié D., Roux E. et al., 2018. Observer la Terre pour appréhender spatialement les inégalités de santé : regard historique et prospectif sur l’utilisation de la télédétection dans le domaine de la santé. Confins. Revue franco-brésilienne de Géographie/Revista franco-brasilera de Geografia [En ligne], n° 37. https://doi.org/10.4000/confins.15362

PASCAL MOUQUET Pascal Mouquet, [email protected], est ingénieur de recherche en production, traitement et analyse de données issues de la télédétection à l’IRD et membre de l’UMR ESPACE-DEV. Il a récemment publié : - Alexandre C., Johary R., Catry T. et al., 2020. A Sentinel-1 Based Processing Chain for Detection of Cyclonic Flood Impacts. Remote Sensing [En ligne], vol. 12, n° 2. https://doi.org/10.3390/ rs12020252 - Chambault P., Dalleau M., Nicet J.B., Mouquet P. et al., 2020. Contrasted habitats and individual plasticity drive the fine scale movements of juvenile green turtles in coastal ecosystems. Movement Ecology [En ligne], vol. 8, n° 1, p.1-15. https://doi.org/10.1186/s40462-019-0184-2 - Bajjouk T., Mouquet P., Ropert M. et al., 2019. Detection of changes in shallow coral reefs status: Towards a spatial approach using hyperspectral and multispectral data. Ecological Indicators [En ligne], vol. 96, Part 1, p. 174-191. https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2018.08.052.

GWENAËLLE PENNOBER Gwenaëlle Pennober, [email protected], est professeure en géographie à l’Université de La Réunion (Chaire mixte IRD) et membre de l’UMR ESPACE-DEV. Elle a

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récemment publié : - Alexandre C., Johary R., Catry T. et al., 2020. A Sentinel-1 Based Processing Chain for Detection of Cyclonic Flood Impacts. Remote Sensing [En ligne], vol. 12, n° 2. https://doi.org/10.3390/ rs12020252 - Lemahieu A., Blaison A., Crochelet E. et al., 2017. Human-shark interactions: the case study of Reunion island in the south-west Indian Ocean. Ocean & Coastal Management, n° 136, p. 73-82. - Mahabot, M. M., Jaud, M., Pennober, G. et al., 2017. The basics for a permanent observatory of shoreline evolution in tropical environments; lessons from back-reef beaches in La Reunion Island. Comptes Rendus Geoscience, vol. 349, n° 6-7, p. 330-340.

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Changements côtiers et inondations suite au passage d’un ouragan extrême (Irma, 2017) aux Petites Antilles

Tony Rey, Thomas Candela, Matthieu Péroche et Frédéric Leone

Cette étude s’intègre dans le projet TIREX, coordonnée par F. Leone, financé par l’ANR Ouragans. Les auteurs remercient les partenaires de l’équipe TIREX, les collectivités locales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, Monsieur Chalifour responsable du pôle scientifique de la Réserve Naturelle à Saint-Martin et la population pour leur accueil et les témoignages précieux.

Introduction

Les petites îles tropicales sont exposées et vulnérables aux événements extrêmes parmi lesquels les ouragans les plus puissants sont malheureusement connus pour les désastres qu’ils occasionnent (Hoeke et al., 2013 ; Nurse et al., 2014). Les impacts sur les systèmes côtiers sont nombreux et leurs caractéristiques soulèvent encore de nombreuses interrogations malgré des avancées certaines : quelles sont les réponses morpho-dynamiques et sédimentaires des côtes à un forçage météo-marin extrême ? Quelles formes prennent-elles ? Existe-t-il des différences de réactions entre les côtes urbanisées et naturelles ? Les impacts de l’ouragan peuvent-ils créer un point de rupture ou entrainer une bifurcation radicale dans le système côtier ? Des interrogations qui ont donné des résultats prolifiques, et surtout, qui nous éloignent de tout déterminisme et catastrophisme (McInnes et al., 2003 ; De la Torre et al., 2008 ; Canavesio et al., 2014 ; Duvat et al., 2016). Les submersions marines sont une autre conséquence régulière des ouragans (Etienne, 2012 ; Brill et al., 2016 ; Rey et al., 2017), affectant en priorités les zones topographiques basses du littoral et dépassant parfois les digues et les dunes, jusqu’à les rompre (Fritz et al., 2007).

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L’évaluation a posteriori des effets de l’ouragan Irma a reposé sur une analyse topo- morphologique diachronique sur l’observation des dégâts et le recoupement de témoignages. Les relevés ont été réalisés au mois d’octobre 2017 soit six semaines après l’ouragan puis au mois de mai 2018 (t+ 8 mois). La variété des changements a impliqué une étude systémique, multi-scalaire, à l’échelle de la cellule sédimentaire (Bray et al., 1995) de façon à qualifier les agents géomorphologiques, biophysiques et anthropiques qui interagissent entre eux (Harris et al., 2005 ; Rey, 2017). Les sites d’étude ont été choisis en fonction des dégâts observés après la photo-interprétation des images Pléiades post-cyclones. Nous avons également choisi des sites peu à densément urbanisés de façon à comparer la diversité des réponses morpho-sédimentaires. Les indicateurs choisis ont permis d’estimer : l’extension des inondations et les effets de site, l’influence des aménagements côtiers et des habitations du front de mer, les changements côtiers et la résistance des écosystèmes côtiers. Les inondations ont une genèse et une dynamique qui parfois déroutent, tant la cinétique est éloignée de scénario prédéfinis (Boyett, 2013 ; Torres et al., 2014). La sous-estimation des effets des ouragans et de leurs conséquences, voire leur méconnaissance pour certains, le manque de préparation et de prévention nous invitent à analyser les évènements extrêmes et leurs impacts.

L’ouragan Irma : contexte et dynamique

Les îles de Saint-Martin (SXM) et de Saint-Barthélemy (SB) sont situées dans la zone cyclonique atlantique entre les latitudes 10° et 19° N., ce qui les expose aux ouragans de juillet à fin octobre. L’ouragan Irma est né au large des côtes africaines le 30 août 2017 (illustration 1a) et a commencé à frapper les îles des Petites Antilles le 6 septembre 2017 (illustrations 1a et 1b). Il est le premier ouragan de catégorie 5 à toucher les Petites Antilles depuis les bases de données de 1851 (illustration 1b). Irma s’inscrit dans une saison cyclonique chargée sur le bassin Atlantique Nord/Caraïbes. Une saison précoce, avec la tempête Arlène qui s’est formée le 19 avril, une saison extrêmement active avec à la fin du mois d’août le premier ouragan Harvey classé 4 sur l’échelle Simpson-Saffir, puis Irma (cat. 5), José (cat. 4) et Maria (cat. 5). Ces trois ouragans font partie des 25 ouragans les plus puissants de l'histoire du bassin Atlantique Nord. Irma devient aussi le deuxième ouragan le plus intense de l'histoire (indice ACE de 66.6)1 juste derrière l'ouragan Ivan en 2004 (70.4). Enfin, Irma fait aussi partie des cinq plus puissants ouragans observés dans l’atlantique tropical depuis les années 1950 (K. Hoarau, communication orale)2. À Saint-Martin, les vents moyens ont soufflé à plus de 290-295 km/h et une rafale a été enregistrée à 317 km/h (Météo France). Selon les données du marégraphe à Marigot (SXM), nous estimons la surcote marine autour de 2,8 m. À l’approche du rivage, les vagues ont gonflé et ont déferlé avec violence. Les dommages ont été exceptionnels (illustration 1c). Vents et vagues ont causé des dommages considérables aux habitations, automobiles, réseaux électriques, téléphoniques. 95 % des structures de Saint-Martin ont été endommagées ou détruites (Gustin, 2017). Onze personnes y ont perdu la vie et quatre dans la partie néerlandaise à Sint Maarten.

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Illustration 1a - Trajectoire et intensités de l’ouragan Irma du 30 août au 9 septembre 2017

Illustration 1b - Dommages et intensités de l’ouragan Irma en Mer des Caraïbes

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Illustration 1c - Dommages et intensités de l’ouragan Irma à l’échelle des îles de St Martin et St Barthélemy

Après la traversée de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, l’ouragan Irma a poursuivi sa route en direction d’Anguilla, des îles Vierges Britanniques, de Porto-Rico, de la République Dominicaine, d’Haïti, de Cuba, puis a été rétrogradé en tempête tropicale au moment de toucher la côte ouest de Floride.

Sites d’étude

L’île de Saint-Martin (illustration 2), située entre la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique, est une petite île découpée en deux entités politiques avec d’un côté Sint Maarten pour les Pays-Bas et Saint-Martin pour la France, d’environ 90 km2 (dont 50 pour la partie française). Depuis le début des années 1980, l’île a connu une croissance démographique rapide. La population était estimée à plus de 73 000 habitants en 20153 alors qu’elle comptait moins de 22 000 habitants en 19824. La population française s’élevait à 35 941 personnes en 2014 contre 8 072 habitants en 1982. Depuis plusieurs décennies, la pression démographique s’amplifie sur l’espace littoral de Saint-Martin. Plusieurs quartiers ont émergé en dehors de toute maitrise foncière, sans souci ou sans possibilité financière de respecter les règles de construction. Une croissance urbaine qui va de pair avec une exposition toujours plus accrue des populations aux aléas météo-marins. En plus de cette exposition, s’ajoutent des vulnérabilités sociales, économiques et politiques aux origines profondes et anciennes (Duvat, 2008). Saint-Martin possède une topographie variée, composées de collines, de vallées sèches, de plaines côtières. Les points hauts plafonnent à 424 m avec le Pic Paradis et le mont Caréta à 401 m. La presqu’île des Terres Basses est reliée à l’île de Saint-Martin par deux lidos qui enserrent la lagune de Simpson Bay. Les lidos sont aujourd’hui urbanisés par les quartiers Sandy Ground, Nettlé et l’aéroport international de Juliana. Le littoral a une morphologie et une topographie irrégulière. Il est découpé par des côtes rocheuses qui occupent les deux tiers de l’île, le reste étant caractérisé par des plages de fond de baie. La végétation côtière est surtout représentée par la mangrove en plus de quelques espèces tropicales comme Coccoloba uvifera (le raisinier des plages), Sesuvium portulacastrum et des espèces introduites comme Scaevola taccada. Les fonds marins autour de l’île sont formés d’une plate-forme rocheuse. La profondeur maximale n’excède pas 30 m ce qui laisse supposer une possible mobilisation des sédiments vers

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l’avant-côte et les plages par les courants pendant les tempêtes (Héquette, 2001). Ces fonds abritent des peuplements coralliens qui se concentrent surtout au nord-est de l’île.

Illustration 2 - Localisation des sites d’étude à Saint-Martin

L’île de Saint-Barthélemy est principalement composée de dépôts volcaniques sous- marins recouverts par des calcaires d’âge éocène (Christman, 1953). L’île aride s’étend sur 25 km2 et forme un V ouvert vers le nord (illustration 3). La population est estimée à 9 625 habitants avec une densité moyenne de 458 hab/km² (INEDOM, 2018). Elle se concentre sur la frange côtière et s’étire vers l’intérieur des terres et des mornes en fonction de la topographie et des réseaux routiers. Les côtes rocheuses au sud-est restent préservées de l’urbanisation continue. Les mornes aux pentes raides n’atteignent pas plus de 300 m (point culminant à 286 m au Morne Vitet). Les plaines littorales sont petites, elles comportent quelques dépressions lagunaires qui, dans le passé, ont pu être transformées en marais salants (Grande Saline). Les plages sableuses occupent les échancrures et s’étirent au fond des baies. Les plus longues plages se situent au nord à anse Flamands (0,7 km) et anse des Cayes (0,6 km) et à l’ouest [anses Lorient (1 km), anse Grand Cul-de-Sac (1,1 km)] tandis que celles situées au sud sur la côte-au-vent sont plus petites et composées de matériaux plus hétérogènes et grossiers [plage Toiny (0,5 km), anse du Gouverneur (0,3 km)]. Certaines d’entre-elles bénéficient de la protection de récifs coralliens (les cayes). Les mangroves sont clairsemées autour des lagunes (Grand Étang, Grande Saline, Saint Jean) et à la marge des plages bien abritées telles que Grand Cul-de-Sac.

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Illustration 3 - Localisation des sites d’étude à Saint-Barthélemy

Les vents et les vagues dominants à Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont de direction est-nord-est et sud-est. Les hauteurs de vagues avoisinent 1 à 2 m avec des périodes courtes de 4 à 6 secondes. Ces îles sont aussi exposées aux houles en provenance du nord-nord-est avec des périodes supérieures à 10 secondes et des hauteurs de vagues significatives supérieures à 2 m (Reguero et al., 2013). Les côtes sont microtidales (marnage autour de 30 cm) avec une marée mixte et une composante diurne prononcée.

Méthodes et outils

Plusieurs indicateurs topo-morphologiques, sédimentaires et anthropiques ont été évalués pour déterminer les impacts de l’ouragan Irma. Le choix des indicateurs a permis une évaluation de l’extension spatiale des inondations et des hauteurs d’eau et d’identifier les interactions entre les structures côtières, les habitations en front de mer et les écosystèmes côtiers. Les sites ont été choisis en fonction du degré d’urbanisation de façon à comparer la diversité des réponses morpho-sédimentaires. Les caractéristiques des indicateurs sont présentées par site d’étude dans le tableau 1.

Évaluation des changements côtiers

L’analyse des effets de l’ouragan Irma (submersion marine, changements côtiers, dommages) s’est appuyée sur l’utilisation d’images Pléiades, de résolution 50 cm (CNES/ Airbus©) pour le mois de septembre 2017, et des images plus anciennes prises par WorldView-2, de résolution 50 cm (Digital Globe Inc.©) datant de février 2017. Nous avons également produit des vidéos et des photographies des côtes post-Irma grâce à l’utilisation d’un aéronef télépiloté Phantom 4 Pro de la marque DJI, possédant une résolution photographique de 20 mégapixels. Ces images nous ont permis d’identifier les impacts géomorphologiques de l’ouragan Irma. Pour chaque site, nous avons

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cartographié les formes d’accumulation biodétritiques tels que les washover, localisé et mesuré les blocs coralliens déplacés et/ou projetés, nous avons également analysé les formes d’ablation telles que les falaises d’érosion. L’analyse géomorphologique de l’ouragan a intégré les dommages côtiers liés à l’action mécanique des vagues et aux projections de matériaux (tableau 1). Enfin, les témoignages ont été très utiles car les personnes vivant sur ces espaces côtiers ont partagé leur vécu de l’événement (durée, œil du cyclone, perception...) et leur connaissance des côtes. Ils nous ont décrit un paysage côtier parfois très différent de ce qu’ils connaissaient avant l’ouragan. En outre, les échanges témoignent d’une bonne connaissance du phénomène cyclonique et des comportements à adapter (Terry, 2010).

Évaluation des inondations

Les inondations aux causes polygéniques (submersions marines, surcotes des lagunes, ruissellements pluviaux) ont rendu difficiles la reconstitution de l’événement. L’étendue des inondations, les traces morpho-sédimentaires, les mesures in situ de la hauteur maximale du jet de rive et les dommages ont été utilisées pour cartographier et mesurer les niveaux d’eau extrêmes. Ces indicateurs ont permis de mieux cerner les causes des inondations (submersion marine, débordement des lagunes, ruissellement pluvial) (Morton et Sallenger, 2003 ; Wang et Horwitz, 2007 ; Etienne et Terry, 2012).

Évaluation des écosystèmes côtiers

L’analyse de la végétation repose sur le type d’espèces (introduites et indigènes) et l’état de dégradation : racines exhumées, végétation brulée par le sel, cocotiers décapités, palétuviers couchés… Elle permet de se questionner sur l’impact des espèces végétales sur les vagues cycloniques et de qualifier leur rôle dans les changements côtiers, le piégeage des matériaux naturels et des détritus. Nous n’avons pas eu la possibilité de mesurer directement les effets des récifs coralliens reconnus pour leur influence sur l’énergie des vagues (Ferrario et al., 2014 ; Monismith et al., 2015; Jeanson et al., 2016 ; Rogers et al., 2016 ; Storlazzi et al., 2019). Néanmoins, la variabilité des niveaux d’eau observés sur les sites (surcote, jet de rive) révèle l’influence du platier récifal sur les hauteurs de vagues. Par ailleurs, le platier récifal a constitué une source importante de matériaux coralliens mobilisables par les vagues cycloniques. En effet, nous avons observé les conséquences morphologiques des transferts sédimentaires du platier vers la plage et au-delà, spécialement le long des côtes peu ou non urbanisées. Cette dynamique de transfert de sédiments constitue dès le passage de l’événement extrême une première forme d’ajustement et de résilience côtière.

Résultats et discussions

Sur les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la règlementation en matière d’urbanisme est mise à mal depuis plusieurs décennies. L’attractivité du littoral se traduit par l’installation de complexes hôteliers et de propriétés privées qui ont mis en place des systèmes de protection lourds tels que des enrochements sur le front de mer, des épis et des murs, sans qu’il y ait toujours eu une concertation avec les autorités

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locales lors de leur mise en place. Il en résulte une grande variété de situations autant du point de vue des inondations que des changements côtiers (tableau 1).

Tableau 1 - Évaluation des impacts de l’ouragan Irma sur les côtes de Saint-Martin et Saint- Barthélemy

Des inondations polygéniques

Dans les points bas du littoral, les vents puissants de l’ouragan Irma ont entrainé une submersion marine, des ruptures des cordons et des surverses par-dessus les digues et les ouvrages de protection côtière. L’ouragan a déclenché des pluies diluviennes (plus de 150 mm en six heures) contribuant alors au ruissellement pluvial. Les différences de niveaux d’eau observés sur les sites étudiés s’expliquent par les caractéristiques de l’ouragan (direction des vents et des vagues, intensité…), des caractéristiques topo-morphologiques des côtes et des écosystèmes côtiers, auxquels s’ajoutent des facteurs anthropiques susceptibles d’expliquer la variabilité des hauteurs d’eau observée sur les fronts de mer et plus à l’intérieur des terres. En accord avec Duvat et al. (2019) et Pillet et al. (2019), nos relevés soulignent une exposition accrue des côtes orientales de Saint-Martin et des côtes septentrionales de Saint-Barthélemy. Sur

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ces côtes basses, nous avons estimé la surcote à plus de 3 m. Le déferlement des vagues s’est ajouté aux impacts de la surcote. Les hauteurs les plus importantes ont été mesurées sur les fronts de mer densément urbanisés comme à Grand Case (SXM) ou Baie Flamands (SB). Les bâtiments côtiers ont formé un « mur de béton » sur lequel les vagues sont venues se briser. Dans la partie occidentale de Grand Case, le run-up des vagues a dépassé les 6 m de hauteur (illustration 4).

Illustration 4 - Inondations polygéniques sur une côte urbanisée : l’exemple de Grand Case

Fond cartographique : images drone, UMR GRED, 2017.

La projection de matériaux et l’effet de réflexion des vagues ont provoqué des dégâts extrêmement importants aux infrastructures, tels que la mise à nue de fondation (illustration 5a), l’effondrement de murs et de maisons, murs effondrés, baies vitrées brisées (illustrations 5b et 5c). Les vagues les plus hautes ont été estimées dans les zones urbaines en raison du déferlement des vagues sur les bâtiments situés en bord de mer et d’autres processus telles que les vagues infragravitaires (Krien et al., 2018).

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Illustration 5a - Impacts de l’ouragan Irma sur les bâtiments et les infrastructures côtières : affouillement des fondations

Illustration 5b - Impacts de l’ouragan Irma sur les bâtiments et les infrastructures côtières : murs effondrés sous l’effet de l’érosion verticale

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Illustration 5c - Impacts de l’ouragan Irma sur les bâtiments et les infrastructures côtières : inondations des habitations et endommagement des murs, sol, système électrique…

Les inondations les plus importantes se sont produites dans les points bas du littoral, sans grands obstacles topographiques, et où les crêtes dunaires n’excédaient pas 1,5 m. L’extension maximale de l’inondation a été mesurée sur les lidos de Nettlé et Baie Orientale, rejoignant les lagunes en arrière (illustration 6). La végétation, notamment la mangrove, n’a pas atténué les hauteurs de vagues. La largeur et la densité de la mangrove n’étaient pas suffisantes pour avoir un effet sur l’atténuation de l’énergie des vagues, en revanche, la végétation a eu un rôle de filtre sur les blocs et les déchets (infra).

Illustration 6 - Submersion marine dans un espace faiblement urbanisé : l’exemple de Toiny

Fond cartographique : images drone, UMR GRED, 2017.

Les fronts de mer urbanisés (habitations, murs) ont probablement limité la submersion marine, en revanche l’imperméabilisation des sols a accru les inondations par

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ruissellement pluvial (ex : Gustavia SB, Marigot SXM). L’ouragan Irma s’est accompagné de pluies diluviennes. Selon les données de Météo-France, les précipitations totales ont dépassé 150 mm en six heures. De telles intensités ont provoqué des inondations importantes dans les zones urbaines, déjà touchées dans les zones côtières par la submersion marine. Les niveaux d’eau ont été plus élevés dans les ruelles, les impasses, et dans les habitations et les résidences clôturées par des murets (hôtel Mercure à Nettlé). Les inondations ont alors eu une cinétique complexe (submersion marine, pluie et ruissellement, débordement des lagunes), difficilement prévisible en raison des obstacles et du « contrôle » du bâti sur les écoulements (dont la vitesse).

Des changements côtiers rapides

Les analyses de terrain mettent en évidence des transferts sédimentaires distincts en fonction du degré d’artificialisation des côtes. Les changements ont été rapides, pour certains transitoires et éphémères.

Des situations transitoires et éphémères ?

Les côtes urbanisées ont été sensibles aux impacts de l’ouragan et ont montré une forte réactivité. Au cours de l’ouragan Irma, les vagues se sont brisées sur les murs de défense, les façades de bâtiments et sur les enrochements transversaux et longitudinaux de protection. Dans le cas des fronts urbains quasi-continus tels que Grand Case (SXM), Baie Nettlé et Baie Flamands (SB), la ligne du rivage n’a pas évolué alors que la plage a subi une ablation latérale et verticale sévère sous l’effet de la réflexion des vagues. L’érosion a généré une diversité de dégâts : chute de mur, sapement de fondation, rupture de conduite d’eau… Les ouvrages de protection n’ont pas limité l’érosion des plages et leur structure n’a pas toujours résisté à la puissance des vagues cycloniques. Par exemple, les plages équipées de Nettlé (surtout des brise-lames et quelques murs de protection) ont reculé de 15 m de part et d’autre des ouvrages. Les habitations situées en première ligne du front de mer ont été lourdement endommagées par le déferlement des vagues, l’inondation marine et les projections de divers matériaux (blocs, palmiers…). Les éléments les plus endommagés par l’action de l’eau ont été les façades, ouvertures de fenêtres, portes et les équipements à l’intérieur des habitations. Des méga blocs d’enrochements pesant plus d’une tonne ont été déplacés par la mer en direction du haut de plage et se sont retrouvés piégés dans des habitations (illustrations 7a et 7b), ou posés sur les routes côtières (Marigot, Baie Orientale). Nous avons pu observer l’importance des transferts de sables qui ont ensablés les rez-de-chaussée de logements (volumes de 1 à 2 m3) (illustration 7c).

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Illustration 7a - Matériaux transportés par les vagues cycloniques : exemple d’endommagement des habitations situées sur le front de mer

Illustration 7b - Matériaux transportés par les vagues cycloniques : enrochements déplacés par les vagues cycloniques

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Illustration 7c - Matériaux transportés par les vagues cycloniques : ensablement des rez-de- chaussée des bâtiments situés sur le font de mer

Sur les côtes peu artificialisées et possédant une zone tampon suffisamment large, la forme d’ablation la plus commune reste la falaise d’érosion à l’interface plage/dune. Elle dessine une ligne plus ou moins continue en fonction des obstacles rencontrés par les vagues (végétations, propriétés, route…). Là où la zone tampon était supérieure à 20 m, nous avons pu observer une limite avec d’un côté, l’érosion côtière, et de l’autre des accumulations sédimentaires. Cette limite traduit d’une part le déplacement de la zone de swash vers le haut de plage, et d’autre part, un seuil énergétique située autour de 20 m à partir du rivage soit à environ à 1m NGF. Nous avons pu observer et mesurer de nombreux blocs coralliens témoignant de ce seuil énergétique notamment à Baie Nettlé. Les blocs ont été transportés à 29 m du rivage, leur taille moyenne est de 45*42*7 cm pour un poids équivalant à 15,6 kg mais l’énergie des vagues a aussi permis le déplacement de blocs plus importants tels qu’une dalle arrachée du platier, située à 35 m du rivage et pesant près de 240 kg selon les mesures effectuées. Hormis certaines situations liées à la topographie de la plage et à la morphologie des blocs et des dalles, on remarque que plus la distance au rivage augmente plus la taille des blocs diminue. Le trait de côte des plages les moins urbanisées a généralement reculé. Par exemple, à Toiny la plage a reculé d’environ 15 m, à Baie Orientale le recul a atteint plus de 50 m. Cependant, ce qu’il faut ici mettre en avant, ce sont les transferts sédimentaires de l’avant-côte vers le haut et l’arrière plage. Les transferts de sédiments (surverse, brèche marine…) ont donné naissance à une large gamme de washover (Donnely et al., 2006) parfois bien individualisés (illustration 8, Baie Rouge), plus ou moins superposés et jointifs (Toiny) et d’autres plus étalés (Baie Orientale). Ils se composent principalement de sables bio-détritiques. Les plus nombreux washover ont été observés sur les plages peu urbanisées qui, peu contrariés par la topographie, ont pu s’étirer sur la plaine côtière, remplissant les lagunes et ensablant les routes et habitations (illustrations 8b et 8c). Le plus imposant est probablement celui qui s’est formé sur le lido à Nettlé (13000 m²). Leur présence révèle l’importance des transferts sédimentaires de l’avant- côte vers l’intérieur des terres (illustration 8a). Ces transferts constituent un processus d’ajustement de la côte à un forçage paroxystique, et à moyen terme, ils participent au processus de récupération des plages.

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Illustration 8a - Impacts morphologiques de l’ouragan Irma à Baie Rouge (St Martin) : formation de washover et dommages sur les murs de clôture

Trait continu noir : murs en place ; trait en tirets noir : murs effondrés

Illustration 8b - Impacts morphologiques de l’ouragan Irma à Baie Rouge (St Martin) : transfert de sables depuis le bas de plage.

Blocs projetés et dalles démantelées.

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Illustration 8c - Impacts morphologiques de l’ouragan Irma à Baie Rouge (St Martin) : effondrement des murs de clôture et formation d’un washover jusqu’à Red Pond

Source : images drone, UMR GRED, 2017.

Illustration 8d - Impacts morphologiques de l’ouragan Irma à Baie Rouge (St Martin) : dommages caractéristiques des vagues cycloniques sur les infrastructures et habitations côtières

L’ouragan Irma a aussi conduit à l’exhumation des dalles de beachrocks, ce qui témoigne d’un changement ponctuel de l’équilibre morpho-dynamique de la côte sableuse. À moyen et long terme, l’exhumation systématique des beachrocks traduira une tendance d’érosion (illustration 9).

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Illustration 9 - Dalles de beachrock affleurantes et démantelées

Transport et dépôts de blocs coralliens par l’ouragan Irma

L’énergie des vagues a permis le transport d’importantes quantités de matériaux inertes (squelettes, blocs, conglomérats sablo-coquillers) du platier récifal vers les plages. Les vagues cycloniques ont aussi mobilisé des matériaux déjà présents sur les plages. Ils se distinguent souvent par leur couleur plus sombre par rapport aux dépôts fraichement transportés. Les blocs sont posés les uns sur les autres. Bien triés et disposés en tuilage face aux houles incidentes, ces amas de matériaux coralliens forment des épandages de blocs (illustration 10a) et des cordons non consolidés, plus ou moins continus, avec une crête bien individualisée parallèle au trait de côte (illustration 10b). La pente dirigée vers la mer révèle une topographie en marches d’escalier, avec une pente abrupte et plutôt concave (Kelletat et Schellmann, 2002). Ces dépôts ne s’observent que sur les côtes peu artificialisées, là où les processus morpho- sédimentaires ne sont pas contrariés par les aménagements côtiers et l’urbanisation du front de mer. En fonction de la végétation présente, les processus physico-chimiques favoriseront la lithification des matériaux bio-détritiques et leur consolidation.

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Illustration 10a - Mise en place de dépôts de haute énergie (Irma, 2017) : épandage de blocs coralliens

Illustration 10b - Mise en place de dépôts de haute énergie (Irma, 2017) : Exhaussement du cordon de galets

Ce type de dépôts cycloniques est assez rare à Saint-Barthélemy et St Martin, ce qui suppose une préservation délicate probablement en raison des remaniements lors

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d’évènements postérieurs. Toutefois, lors de nos analyses sur la plage de Toiny (SB), un talus entaillé par les vagues a délivré une stratigraphie complexe dans laquelle plusieurs faciès de dépôts continentaux et marins s’inscrivent (illustration 11a).

Illustration 11 - Paléo-dépôt de haute énergie entaillé par l’érosion côtière (plage de Toiny, Saint- Barthélemy)

a) Photographie de la coupe sédimentaire. b) Log litho-stratigraphique simplifié

Comme illustré sur l’illustration 11b, la base de la coupe sédimentaire se caractérise par une formation constituée d’un calcaire riche en coraux typique des plateformes d’avant-côte. Sur cette formation repose une fine couche de sables fins coquilliers. Sur celle-ci, se sont déposés des colluvions qui proviennent du talus qui se raccorde au morne Vitet. La formation colluviale est altérée. Elle contient de gros blocs coralliens (4000 à 6000 cm3) émoussés, non cimentés, plus ou moins organisés sous forme de tuilage. Ce faciès s’apparente à celui des cordons formés par un ou plusieurs évènements météo-marins paroxystiques (Scheffers et al., 2009) mais il est exceptionnel d’en observer d’aussi bien préservés.

Le rôle de la végétation

Quelles que soient les espèces, la végétation côtière a été très endommagée par la mer et le vent. Les dommages prennent plusieurs formes en fonction des espèces et de l’agent destructeur : végétation couchée, déracinement total ou partiel, tronc plié ou rompu, décapitation des cocotiers, sursalure de la végétation (Tate et Battaglia, 2013). En arrière du front de végétation côtière très dégradé, certaines espèces indigènes ont mieux résisté tels que Coccoloba uvifera (le raisinier bord de mer) et certains palétuviers comme Laguncularia racemosa et Conocarpus erectus contrairement à Avicennia germinans et Rhizophora mangle qui accusent un fort taux de mortalité (Conservatoire du Littoral, 2018). Néanmoins, les espèces les plus résistantes ont bloqué les débris (tôles, bois…) et piégé les matériaux biodétritiques (illustrations 12a et 12b).

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Illustration 12a - Accumulation de débris et de blocs coralliens sous l’effet de l’ouragan Irma : sable et blocs coralliens piégés par la végétation côtière

Illustration 12b - Accumulation de débris et de blocs coralliens sous l’effet de l’ouragan Irma : amas de blocs non consolidés disposés en tuilage

Cette fonction de filtre a probablement réduit les dommages sur les zones urbaines. Il ne fait aucun doute que ces espèces indigènes favorisent également la résilience des plages (Griggs et al., 2017). Le constat est différent pour les espèces introduites dont la résistance est faible (Petit et Prudent, 2008). Quasiment tous les cocotiers et palmiers ont été arrachés ou décapités.

Conclusion

Les effets d’Irma sur les systèmes côtiers de Saint-Martin et Saint-Barthélemy sont conditionnés par les capacités de résistance et d’ajustement des plages, lesquelles diffèrent en fonction du degré de pressions exercées par les hommes sur les côtes. Les observations géomorphologiques ont révélé des niveaux d’eau extrêmes variés le long

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des côtes (illustration 13). Ceux-ci peuvent s’expliquer par l’accumulation et le déferlement des vagues, ou par d’autres processus telles que les vagues d’infragravité (Rey et al., 2019). Les écosystèmes côtiers, notamment les récifs coralliens, ont influencé la propagation des vagues et leur énergie, et il ne fait aucun doute que les frottements avec le fond ont réduit les hauteurs de vague à la côte. Nous pouvons aussi affirmer que la réflexion des vagues sur les fronts de mer densément urbanisés a participé à l’amplification du run up des vagues et aux dommages associés. Les côtes urbanisées ont eu une forte sensibilité et une forte réactivité aux effets de l’ouragan. Comprimés par, d’un côté la pression urbaine, et de l’autre la mer, les côtes basses n’ont pas pu s’ajuster au forçage. L’exiguïté ou l’inexistence d’une zone tampon du système plage-dune a conduit à une érosion côtière et des dommages urbains souvent très importants. Deux ans après le passage de l’ouragan Irma, la résilience ou la capacité des plages urbaines à retrouver un état d’équilibre est lente et difficile, notamment si la tendance préexistante est caractérisée par l’érosion (Ding et al., 2015). Sur la période d’observation post-Irma, lorsque la récupération des plages est probante, elle est souvent le fruit de rechargements avec la mise en place de géobags comme à Grand-Cul-de-Sac à St Barthélemy. La lente récupération des systèmes côtiers urbanisés souligne l'importance des seuils en termes de changement d'état ou de seuils d'irréversibilité. En effet, l’artificialisation de la cellule sédimentaire limite voire bloque les transferts de matériaux. La récupération des côtes se retrouve également entravée par les ouvrages de protection qui perturbent les dynamiques côtières.

Illustration 13 - Carte de synthèse représentant le niveau de la surcote et les hauteurs maximales du jet de rive le long des côtes sableuses

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Sur les côtes plus naturelles, les hauts de plage ont migré vers l’intérieur, nourris par les sédiments venant de l’avant-côte et de l’érosion des plages. Ces transferts sédimentaires et les formes associées sont une réponse au forçage cyclonique et une première forme de résilience côtière. Loin d’être un évènement catastrophique pour les plages pas ou peu artificialisées, les cyclones redynamisent les cellules littorales. Les vagues cycloniques mobilisent et remobilisent des sédiments pour alimenter l’avant- côte et les plages en sables et débris coralliens. Comme nous avons pu l’observer sur de nombreuses plages à Saint-Barthélemy et Saint-Martin, la récupération peut être extrêmement rapide. Tout d’abord, elle résulterait de l’état de dégradation ante et post cyclone, puis dépendrait d’autres paramètres comme les sources sédentaires disponibles, les transferts côtiers, l’état des écosystèmes côtiers, la morphologie du littoral, la pente… (Woodruff et al., 2013). Le retour à l’équilibre des systèmes côtiers nécessite une approche multidimensionnelle avec d’une part l’hystérèse des côtes face à un évènement de haute énergie et d’autre part, des dynamiques morpho- sédimentaires complexes sur des temps plus longs (Rey, 2017). Sur les deux îles, les superficies de mangrove sont petites hormis à Baie d’Embouchure où la largeur atteint 300 m de large. D’une manière générale, ces forêts ne sont pas suffisamment larges et denses pour atténuer l’énergie des vagues d’un cyclone de catégorie 5. Toutefois, ce rempart végétal a permis de réduire les dommages en bloquant et en filtrant les matériaux et les détritus. Les forêts de mangrove ont été lourdement touchées par les vents cycloniques et les vagues : défoliation, déracinement, hyper salinisation. Leur reboisement devrait prendre 10 à 15 ans (Imbert, 2018). Le risque est que cet asynchronisme entre la récupération des plages et celui de la végétation conduisent à une dégradation bien plus sévère si un phénomène météorologique intense touchait prochainement ces îles. Les fronts de mer urbanisés ont été un obstacle aux inondations marines mais les dommages aux bâtiments ont été extrêmement importants (Mortlock et al., 2018). Les observations de terrains soulignent les processus responsables des dommages à l'intérieur et à l’extérieur des habitations et hôtels situés près du rivage : - affouillement des fondations et murs effondrés, - déplacement des enrochements et projection de matériaux sur les façades et l’intérieur des bâtiments,

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- pressions de l’eau et du vent exercées sur les portes, les volets et les vitres, - inondations des bâtiments et endommagement des murs, sol, système électrique… La majorité des dommages aux bâtiments résulte de plages étroites, de dunes trop basses et surtout souligne les difficultés à gérer et aménager ces territoires insulaires qui depuis trois décennies subissent de fortes pressions démographiques et immobilières, même si les formes d’urbanisation et les problématiques foncières ne sont pas similaires entre les deux îles. Les risques côtiers sont croissants, néanmoins, les vulnérabilités notamment sociales, économiques et politiques sont différentes et résultent du caractère insulaire. Les lois et les règlements (PPRN 2011) existent mais leur respect est délicat et les lois sont parfois incohérentes (Nicolas et al., 2019). Par exemple, la loi n° 96-1241 du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone des cinquante pas géométriques dans les départements d’outre-mer conduit à la régularisation de la situation des occupants sans titre en leur permettant d’acquérir le terrain qu’ils occupent à usage d’habitation principale. Face aux impacts d’Irma sur les littoraux de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, c’est ici la recomposition territoriale et l’investissement des politiques publiques qui est en jeu.

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NOTES

1. Accumulated Cyclone Energy. L’ACE correspond à l'énergie cumulative des ouragans. Cet indice combine la fréquence, la durée et l'intensité des cyclones (Maue, 2011). 2. Hoarau K. L’activité des ouragans extrêmes de l’Atlantique Nord (1980-2017), 14èmes rencontres Géorisques, Montpellier, le 23 janvier 2018. 3. Estimations de l’INSEE et du Department of Statistics Sint Maarten 4. Recensements 1982 : 8 072 (F) ; 13156 (PB) ; Recensement 2014 : 35 941 (F) ; Recensements 2011 : 33 609 (PB)

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RÉSUMÉS

Cette étude porte sur les changements côtiers et les inondations suite au passage d’un ouragan de catégorie 5 (Irma) les 5 et 6 septembre 2017 sur les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy aux Antilles. Deux missions de terrain à t+2 mois et t+8 mois sur les deux îles ont permis d’analyser les impacts de l’ouragan Irma sur des côtes basses particulièrement sensibles aux événements météo-marins extrêmes et aux pressions anthropiques. Le retour d’expérience a été réalisé sur les côtes les plus touchées par l’évènement. Pour comparer les impacts de l’ouragan Irma et les interactions avec les systèmes côtiers et les infrastructures côtières, nous avons choisi d’analyser des côtes peu urbanisées et des littoraux densément aménagés. La méthode a reposé sur l’analyse d’images satellites avant le passage de l’ouragan Irma et l’analyse d’images drones post- évènement. Elle s’est aussi appuyée sur des observations géomorphologiques, la mesure des hauteurs de vagues et la cartographie des espaces inondées. Les systèmes côtiers ont répondu très différemment en fonction du degré d’artificialisation de la côte, révélant des changements côtiers variés, des transferts sédimentaires perturbés et une influence sur les hauteurs d’eau maximales à la côte.

This study deals with the coastal changes, flooding and damage after the passage of a category 5 hurricane (Irma) on 6 September 2017 over the islands of Saint-Martin and Saint-Barthélemy in the Lesser Antilles. Two field work were made 2 and 8 months after the catastrophe over the two islands. It made it possible to analyze the impacts of Hurricane Irma on the low-lying shores that are particularly susceptible to extreme cyclonic events and anthropogenic stressors. The field work was made on the coasts most affected by the cyclonic event. To compare impacts of hurricane Irma and interactions with coastal systems and coastal infrastructure, we chose to analyze undeveloped to highly urbanized coasts. The method was based on the analysis of satellite images and Unmanned Aerial Vehicle surveys. It also relied on qualitative observations, geomorphological and sedimentary surveys and the measurement of wave run up and the mapping of flooded areas. The coastal system revealed a variety of morpho-sedimentary responses on both the natural and highly urbanized coasts, showing varied coastal changes, perturbed sedimentary transfers and the effects of coastal structures and street on flow channeling and on water level increase

INDEX

Keywords : Hurricane, Lesser Antilles, coastal change, flooding, Irma, St Martin, St Barthélemy Mots-clés : Ouragan, Antilles, changement côtier, inondation, Irma, St Martin, St Barthélemy Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

TONY REY Tony Rey, [email protected], est maître de conférences HDR à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering [En ligne], vol. 7, n° 7, 215. DOI: https://doi.org/10.3390/

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THOMAS CANDELA Thomas Candela, [email protected], est doctorant à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, rattaché à l’UMR GRED et responsable R&D au BE RisCrises. Il a récemment publié : - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering [En ligne], vol. 7, n° 7, 215. DOI: https://doi.org/10.3390/ jmse7070215

MATTHIEU PÉROCHE Matthieu Péroche, [email protected], est maître de conférences à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Vinet F., Péroche M., Palany P. et al., 2020. Collecte et gestion des débris post-cycloniques à Saint-Martin (Antilles françaises) après le passage du cyclone Irma (sept. 2017) – Cybergeo : European Journal of Geography, 937, http://journals.openedition.org/cybergeo/34154 ; DOI: https://doi.org/10.4000/cybergeo.34154 - Péroche M., Leone F., Aliaga B., Granjon A., 2019. Caractérisation de l’exposition des navires de croisières lors des exercices d’alerte tsunami dans le bassin des Caraïbes en 2013 et 2014. In Rivages et Horizons, Hommages au Pr. Jean Marie Miossec, Paris, Ed. L’Harmattan. - Girres J.-F., Leone F., Péroche M. et al., 2018. Analysis of tsunami evacuation maps for a consensual symbolization rules proposal. International Journal of Cartography [En ligne], vol. 4, p. 4-24. DOI: https://doi.org/10.1080/23729333.2018.1440711

FRÉDÉRIC LEONE Frédéric Leone, [email protected], est professeur à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering [En ligne], vol. 7, n° 7, 215. DOI: https://doi.org/10.3390/ jmse7070215 - Bennani O, Druon E., Leone F., et al., 2019. A spatial and integrated flood risk diagnosis. Relevance for disaster prevention at Ourika valley (High Atlas-Morocco). Disaster Prevention and Management [En ligne], vol. 28, n° 5, p. 548-564. DOI : doi:10.1108/DPM-12-2018-0379 - Leone F., Komorowski J.C., Gherardi-Leone M. et al., 2018. Accessibilité territoriale et gestion de crise volcanique aux Antilles françaises (Guadeloupe & Martinique) : contribution à la planification des évacuations. Cybergeo: European Journal of Geography, Espace, Société, Territoire, document 865. URL : http://journals.openedition.org/cybergeo/29425 - DOI: https://doi.org/ 10.4000/cybergeo.29425

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Activités cycloniques et nouveaux risques dans le golfe d’Aden Exemple des impacts socio-économiques du cyclone Sagar sur Djibouti en mai 2018

Jean-Philippe Cherel, Bouh Omar Ali, Moustapha Nour Ayeh et Freddy Vinet

Introduction

1 Les cyclones tropicaux sont indubitablement des phénomènes climatiques extrêmes, les plus puissants d’entre eux étant responsables de véritables hécatombes (Bhola : 500 000 victimes au Bangladesh en 1970, Nina : 300 000 victimes en Chine en 1975, Nargis : 138 000 victimes en Birmanie en 2008). Les conditions de la cyclogenèse sont bien connues : des masses d’eau étendues dépassant les 26° C (Gray, 1968), et ce sur une profondeur de 50 m, une instabilité atmosphérique et une force de Coriolis non nulle. Le réchauffement global, par son impact sur les températures des océans, pourrait augmenter le nombre comme l’intensité des cyclones (GIEC, 2014). Mais un lien direct entre ce réchauffement et le nombre de cyclones reste encore en débat. D’après des recherches récentes, le nombre de cyclones classés en catégorie 4/5 sur l’échelle de Saffir-Simpson augmenterait de 20 % à 35 %, même si la puissance maximale semble stable (Webster, 2005). Cette hausse de l’intensité de ce phénomène semble établie sur le bassin pacifique (Wei et Xie, 2016). En revanche, pour le bassin indien, Hoarau (2012) ne note pas d’intensification des cyclones. Mais, l’auteur ne tient compte que des cyclones de catégories 3 et supérieures et cela sur une période relativement courte (1980-2009). Un autre élément à prendre en compte semble être l’apparition d’une activité cyclonique dans des régions épargnées auparavant. En effet, les cyclones gagnent de nouvelles latitudes, 53 km vers le nord dans l’hémisphère nord et 63 km vers le sud dans l’autre hémisphère, et ce par décennie (Kossin James et al., 2014), sur une période de trente et un ans (1984-2014).

2 Soumise à une situation anticyclonique permanente, notre zone d’étude centrée autour du golfe d’Aden connaît une aridité avérée. Il n’est donc pas surprenant que les études

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sur le climat et ses conséquences environnementales et sociales se soient concentrées dans cette région sur la récurrence de la sécheresse (Ayan et Ozer, 2014), la pénibilité F0 F0 des températures (Nour Ayeh et Ali Sougueh, 2017), les inondations 2D hors cyclones 2D (Omar Ali, 2018), et aucunement sur le risque cyclonique. Et pourtant, une série de cyclones est observée depuis 2015, prenant de court les populations. Leur émergence constitue donc un paradoxe en climatologie. Cet article se propose de comprendre cette apparente nouvelle situation climatique et ses conséquences. Il s’organise en deux parties. La première, en analysant les données sur quarante ans, essaie d’établir si des tendances dans la fréquence des cyclones se dégagent, et elle explore les mécanismes climatiques (en lien avec la cyclogenèse) de la mer d’Arabie dont le golfe d’Aden n’est qu’une petite excroissance. La seconde partie, en s’appuyant sur le dernier cyclone qui a touché Djibouti (Sagar en mai 2018), s’attache à évaluer la catastrophe découlant de ce phénomène météorologique dans une région peu préparée à la gérer.

États des lieux : Vers une recrudescence des épisodes cycloniques ?

3 Pour cerner l’activité cyclonique dans la région bordant le golfe d’Aden, nous avons exploité les données du Regional Specialized Meteorological Center (RSMC) et du Tropical Cyclone Warming Center (JTWC) pour comptabiliser l’ensemble des cyclones ou tempêtes tropicales ayant touché le sud de l’Arabie et la Corne de l’Afrique entre 1979 et 2018. Le but est de répondre à deux questions. Quelle est la fréquence des épisodes cycloniques sur cette période dans la région ? Quels sont les mois de forte activité ?

Analyse des situations cycloniques de 1979 à 2018

4 La région faisant l’objet de cet article relève du bassin de l’océan Indien, appelé Nord Indian Ocean (NIO), et particulièrement dans sa partie ouest nommé bassin d’Arabie. Ce n’est pas à proprement parler un sous-bassin très affecté par les cyclones (illustration 1).

5 Nous y avons recensé trente phénomènes cycloniques ou pré cycloniques sur les quarante dernières années (illustration 2). Leur répartition n’est pas uniforme, car, comme tout phénomène météorologique, la formation d’un cyclone suit une logique chaotique (dans le sens « non prévisible »). Néanmoins, la rareté des cyclones dans le golfe d’Aden avant l’an 2000 contraste avec une cyclogenèse plus active depuis. Durant les vingt premières années de notre étude (1979-1998), le bassin a connu en moyenne 0,65 activité cyclonique par an, ce taux montant ensuite à 0,85 sur la période actuelle (1999 et 2018).

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Illustration 1 - Les zones à cyclones dans le monde

Sources : http://www.ouragans.com/ ; http://www.cyclonextreme.com/cyclonedicotrajectoire.htm. Auteur : J-P Cherel.

6 Cette recrudescence corrobore l’étude d’Evan et Camargo (2011) qui établissent « qu’il y a une apparente augmentation des jours de tempête cyclonique sur la période de 1992-2008 comparée à la période de 1979 à 1991 ». Cette tendance n’est pas contredite sur le très long terme par le modèle construit par Hussain1 sur le même bassin et sur 120 ans. Néanmoins, cette évolution doit être relativisée dans la mesure où un relevé précis n’a pu se faire qu’avec le suivi satellitaire à partir des années 1960. Ne connaissant pas les phénomènes météo d’avant 1979, il serait donc imprudent de tirer des conclusions définitives dans le cadre de cette étude.

7 Si ces phénomènes paraissent de plus en plus nombreux, ils semblent aussi de plus en plus puissants. Ainsi, toutes les dépressions tropicales ayant évolué en « cyclone » (soit huit cas sur les trente que nous avons identifiés) se sont produites depuis 1994. De plus, les cyclones dépassant la catégorie 1 n’apparaissent que depuis 2007. Chapala (2015) et Mekunu (2018) qui ont atteint la catégorie 3 sont parmi les plus puissants cyclones jamais observés dans la région. Fort heureusement, à l’approche des continents, la majorité rétrograde en tempête tropicale (illustration 3). Cette tendance doit être confirmée en étudiant les activités antérieures à notre période de référence.

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Illustration 2 - Nombre de phénomènes cycloniques sur les côtes de l'Arabie et de la Corne de l'Afrique entre 1979 et 2018

Sources : RSMC et JTWC.

8 La répartition des aires affectées montre que deux pays sont fréquemment menacés : le Sultanat d’Oman (un des rares pays ayant un système de surveillance), touché quinze fois sur notre période d’étude, et le Yémen, onze fois. Il est plus exceptionnel que les tempêtes tropicales s’enfoncent profondément dans le golfe d’Aden (deux cas seulement). Dans ce cas, malheureusement, la Somalie (pays déstructuré) enregistre autant de victimes (546) que le Yémen (578) et bien davantage que l’Oman (118).

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Illustration 3 - Les phénomènes cycloniques récents dans le golfe d’Aden (2015-2018)

Sources : NOAA, ESRI, CRI/UEA, UNEP/DEWA ; Auteurs : J. P. Cherel et Omar Ali, 2019.

Stabilité des mois touchés par les phénomènes cycloniques

9 Ces dépressions ou ces cyclones se manifestent à des périodes précises de l’année. Les trente phénomènes observés se sont ainsi formés durant les deux périodes de l’année qui encadrent la mousson indienne. Ainsi, mai et juin concentrent 39,4 % des cas, octobre-novembre, 40,4 %. Seuls 6 % des cas sont recensés en juillet-août, la période la plus chaude pourtant dans la région.

10 Cette concentration de l’activité cyclonique sur deux périodes de l’année est typique de cette région. Elle est largement confirmée par d’autres études. Considérant les cyclones sur trente ans (1979-2008), Evan et Ramanathan (2011) notent la distribution bimodale des jours de tempêtes cycloniques sur la mer d’Arabie, « avec un pic d’activité survenant en mai-juin et un autre en octobre-décembre, avec une décroissance au plus fort de la mousson indienne ». Sur le très long terme (120 ans), ce caractère bimodal ne se dément pas, Hussain et al. (2011) révélant ce même type de répartition bimodale (Tableau 1). Ce comportement est singulier, dans la mesure où pour les autres bassins de l’hémisphère nord « le maximum d'occurrence se situe entre la fin de l'été et le début de l'automne boréal »2 lorsque la chaleur accumulée est au maximum.

Tableau 1 - Répartition des cyclones de 1891 à 2015, sur le bassin de la mer d’Arabie

Janv Fév Mars Avril Mai Juin Juillet Août Oct Nov Déc. total

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1 0 0 8 33 45 9 2 43 37 9 194

Sources : PMD, Hussain et al., 2011.

11 La distribution mensuelle des cyclones demeure donc ici remarquablement stable, même si, pour notre période d’étude, il est possible de déceler une fréquence légèrement accrue de ces phénomènes ainsi qu’au renforcement de leur intensité. Les trajectoires conservent une direction sud-est et nord-est, pour le bassin NIO (quoique pour les derniers cyclones, la direction est souvent est-ouest) conforme à la direction du flux d’alizé dominant dans l’hémisphère nord. Pourtant, beaucoup de questions demeurent. Pourquoi cette distribution bimodale alors que dans le reste du monde, elle est largement unimodale ? Pourquoi les mois les plus chauds restent-ils les plus stables climatiquement sur le bassin de la mer d’Arabie ? A-t-on un début d’explication à la recrudescence de ces phénomènes ?

Cyclogenèse et facteurs de stabilité et d’instabilité sur le golfe d’Aden

12 Le golfe d’Aden et la mer Rouge sont parmi les mers les plus chaudes du monde, les terres qui les entourent étant connues quant à elles pour avoir des températures très élevées particulièrement en été, comme le montre le cas de Djibouti sur ces mois (Tableau 2). Ces mers satisfont donc en apparence à la première condition pour activer un cyclone, celle de la présence d’eaux très chaudes, de l’ordre de 26°C, sur au moins 50 m de profondeur. Ces deux bras de mer ne sont cependant pas suffisamment étendus pour alimenter suffisamment un fort cyclone. La présence d’importantes masses continentales ne permet pas généralement aux dépressions tropicales formées sur le bassin de prendre de l’ampleur et une fois nées, elles n’ont donc pas beaucoup de temps pour se développer (Ashobaa, par exemple, s’est désintégrée en 2015 au large de l’Oman).

Tableau 2 - Températures de la ville de Djibouti (1960-2017)

moyennes des Température Moyenne des Moyenne des températures max du moyenne températures températures mois le plus chaud, annuelle (° C) minimales (° C) maximales (° C) juillet (° C)

Station 30,1 22,97 37,20 45,34 aérodrome

Source : Agence nationale de la météorologie Djibouti.

13 Les cinq phénomènes cycloniques, qui ont affecté la région depuis 2015, parcourent entre 1 000 et 2 400 km sur l’océan avant de toucher terre (Tableau 3). Sagar, s’il a parcouru près de 1 000 km, s’est formé à environ 300 km des côtes somaliennes. C’est le fait de se glisser dans le golfe d’Aden qui lui a permis de rallonger sa survie en mer. En comparaison, la distance moyenne dans le bassin atlantique est de l’ordre de 3 000 km à 3 500 km sur le Pacifique ouest3.

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Tableau 3 - Distance parcourue par les phénomènes cycloniques 2015-2018

cyclone Distance parcourue en mer (km)

Sagar 1 000

Mekunu 1 200

Chapala 1 800

Megh 2 300

Luban 2 400

moyenne 1 740

Distances établies d’après les trajectoires données à la figure 3.

14 À l’image du bassin caraïbe ou de l’Asie de l’Est, la façade orientale de la Corne de l’Afrique est théoriquement sujette aux cyclones. Obock, à 12° N de latitude en République de Djibouti, est par exemple à la latitude de la Martinique. Seul le sud de la Somalie est protégé en raison de sa proximité avec l’Équateur. Durant l’été, notre région fait partie de la grande Zone de Convergence InterTropicale (ZCIT). L’instabilité atmosphérique régnant dans la ZCIT est un facteur fondamental pour le déclenchement d’une situation cyclonique puisqu’elle permet une forte ascendance de l’air. Mais comme nous l’avons noté, tous les cyclones ayant affecté la région évitent cette saison. Il existe donc bien une singularité de cette région qui échappe au schéma saisonnier.

15 Au-delà de l’étroitesse du sous-bassin de la mer d’Arabie, cette singularité doit s’expliquer par la dynamique générale de la circulation atmosphérique, dynamique qui serait responsable d’une certaine stabilité des masses d’air. L’arrivée de la ZCIT met en place un flux de sud-ouest, appelé mousson. Mais la disposition du relief joue, dans la Corne du moins, contre la propagation de cette mousson. En effet, ces masses d’air sont freinées par les hautes terres éthiopiennes (qui les délestent de leur humidité, l’effet orographique s’ajoutant à l’effet de convergence). Dans la partie nord de la Corne de l’Afrique, les précipitations sont donc d’été (Nicholson, 2013). Pourtant à l’échelle de Djibouti, le régime pluviométrique ne présente pas ce profil d’été commun pour la région, les rares précipitations se produisant en saison fraîche (octobre-mars). D’un autre côté, même s’il y a une petite activité cyclonique, cette station ne montre pas clairement une instabilité plus grande sur le long terme. Les données dont nous disposons, sur plus d’un siècle pour la station de Djibouti (illustration 4), montrent même un affaiblissement des rares précipitations sur les vingt dernières années. Et les minimums absolus se concentrent sur ces mêmes dernières années. Ces données vont dans le sens des sécheresses récurrentes dans la région (2011, 2015, 2017, 2019) alors même que la cyclogenèse paraît un peu plus active. Nous pourrions donc juste avancer que le climat local est devenu plus imprévisible, du moins sur les vingt dernières années.

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Illustration 4 – Précipitations, station de Djibouti, 1901-2018

Source : données de l’ANM- Djibouti, stations Serpent et station Aérodrome.

16 La circulation d’ouest, qui s’établit durant la période de la ZCIT, crée aussi des vents continentaux qui ont tendance à s’opposer à la venue d’un cyclone sur le golfe d’Aden, même s’il se forme sur le bassin nord de l’océan Indien. Lorsque cette « mousson se déclenche, un fort cisaillement vertical se développe à travers la mer d’Arabie, empêchant la formation d’un cyclone tropical durant juillet et août » (Evan et Ramanathan, 2011). Cet important cisaillement est noté durant ces mois par plusieurs auteurs (Gray, 1986 ; Evan et Camargo, 2011).

17 Ainsi donc, ce n’est que lorsque le flux d’est se rétablit, avec la fin de la mousson indienne, qu’un éventuel cyclone peut prendre le chemin du golfe d’Aden. D’un autre côté, la fin de la mousson indienne impacte négativement le courant de Somalie et donc le refroidissement des eaux marines par upwelling, tout en réduisant le cisaillement vertical de l’air. Ce contexte, favorable aux cyclones dans le golfe d’Aden est assez court, se matérialisant juste avant la mise en place de la mousson indienne (mai-juin) et avant l’hiver boréal (octobre-novembre), lorsque la mer est encore assez chaude. Ces deux fenêtres d’opportunité expliquent le caractère bimodal de la répartition des cyclones sur notre bassin.

Quelles causes de l’activité cyclonique dans le golfe d’Aden ?

18 Malgré les obstacles à l’incursion des cyclones dans la région, les données collectées montrent qu’une activité cyclonique n’est pas à exclure. Le réchauffement global est souvent accusé d’accroître la cyclogenèse à cause de l’augmentation de la température de l’océan, condition préalable au déclenchement d’une dépression, puis d’un cyclone. Qu’en est-il sur le sous-bassin de la mer d’Arabie ?

19 Pour valider l’hypothèse d’un réchauffement de l’océan, il faut connaître la température de la mer d’Arabie et son évolution. Une première indication est la corrélation faite par Maneesha et Manasa (2015). Sur la période 1990-2013, excluant les cyclones ayant touché la région récemment (2015-2018), ces auteurs notent bien une augmentation de la température de surface (SST pour )

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parallèlement à l’augmentation de la fréquence des cyclones en mer d’Arabie. Cependant cette augmentation n’est pas jugée significative. Leur étude montre, en outre, une croissance corrélative entre la température de surface et l’indice de dissipation d’énergie indiquant la force d'un cyclone (PDI). Pourtant, selon les mêmes auteurs, l’augmentation de la SST semble concerner la période pré mousson alors que l’intensité des cyclones se renforce après la fin de la mousson indienne. Ces analyses montrent une plus faible corrélation entre le SST et le PDI4 (indicateur de la force d’un cyclone) dans la période pré-mousson (mai-juin) que post-mousson (octobre- novembre), surtout pour le bassin d’Arabie, alors que la fréquence des cyclones est plus importante durant la période post-mousson. Les auteurs s’accordent toutefois sur une chose, c’est que « la SST seule n’est pas le paramètre déterminant la variabilité climatique des cyclones dans la région NIO » (Maneesha et Manasa, 2015). Ils pointent donc un mécanisme de la cyclogenèse très complexe qui ne peut être simplement réduit à la température de surface de l’eau. Mais là aussi il faudrait être prudent, leurs analyses ne concernant qu’une très courte période.

20 Evan et Ramanathan (2011) suggèrent d’autre part que « l’augmentation de l’intensité des cyclones arrivant à terre est la conséquence des émissions régionales d’aérosols polluants » provenant principalement du sous-continent indien. Cette pollution de l’atmosphère au-dessus de la mer d’Arabie réduirait fortement le cisaillement vertical des vents (élément inhibiteur des dépressions et cyclones tropicaux), cisaillement important durant la période de ZCIT. Pourtant, par la réduction du rayonnement au sol qu’elle induit, cette pollution issue du sous-continent indien se traduirait par une baisse de la température de surface, ce qui est contradictoire avec les conclusions de la précédente étude.

21 Ces premières indications pointent seulement le fait que le déclenchement d’un cyclone en mer d’Arabie est loin d’être mono factoriel. Certes, une SST importante (plus de 26° C) est une condition nécessaire, mais loin d’être suffisante. La circulation atmosphérique lors de la période de mousson, le courant de Somalie qui en découle et même la pollution anthropique issue du sous-continent indien jouent d’une manière ou d’une autre sur la cyclogenèse. Il est encore plus délicat de relier l’activité cyclonique importante dans la région depuis trois ans à une simple température de surface de la mer (SST). On entre là dans les limites d’interprétation liées à la variabilité des phénomènes extrêmes.

Impacts socio-économiques des phénomènes cycloniques : l’exemple des effets de Sagar à Djibouti

22 La République de Djibouti, au fond du golfe d’Aden, est relativement peu touchée par les cyclones. Sagar (mai 2018) est le premier phénomène cyclonique subi par ce pays depuis la tempête tropicale 1A de 1984, époque où la ville n’avait que 150 000 habitants. Cette partie interroge donc les effets de ce cyclone dans le cas spécifique de la ville Djibouti, ville peu préparée à gérer des phénomènes météorologiques de cette ampleur.

Le cyclone de Sagar

23 Le système cyclonique s’est formé dans le golfe d’Aden à partir du 16 mai. Le 18, il atteint le stade de tempête tropicale (vents jusqu’à 120 km/h) et prend le nom de Sagar.

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Il touche les côtes du le 19 pour balayer Djibouti entre le 19 et le 20 mai (illustration 5). Au-delà des vents (70 km/h sur Djibouti), ce sont les précipitations intenses qui ont causé le maximum de dégâts. L’équivalent d’une année moyenne de précipitations (110 mm) s’abat en effet en moins de 24 h, générant d’importantes inondations et la crue éclair de l’oued Ambouli qui traverse Djibouti-ville.

Illustration 5a - Cyclone Sagar sur la Corne de l'Afrique le 19 mai 2018 (9 h)

Source : https://weather.com/storms/hurricane/news/2018-05-17-tropical-cyclone-sagar-gulf-of- aden---djibouti

Illustration 5b - Cyclone Sagar sur la Corne de l'Afrique le 19 mai 2018 (17 h)

Source : https://weather.com/storms/hurricane/news/2018-05-17-tropical-cyclone-sagar-gulf-of- aden-yemen-somalia-djibouti

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Recueil et analyse des données relatives au cyclone Sagar

24 Si l’analyse des tendances cycloniques sur les quarante dernières années exploite les bases des données existantes (Cf. supra), l’analyse de l’impact du cyclone Sagar sur la ville de Djibouti nous a poussés à défricher d’autres pistes méthodologiques. Trois outils ont été exploités pour mieux cerner le caractère très singulier de la catastrophe pour cette ville en zone aride.

25 D’abord, notre réflexion sur les conséquences de Sagar est partie de deux rapports. Le premier est une évaluation « à chaud », effectuée dès le 26 mai 2018 par le Secrétariat d’État chargé des Affaires Sociales5 (SEAS) avec le soutien des agences des Nations- Unies présentes à Djibouti. Ce premier rapport fut suivi par les relevés de terrain supervisés par le SEAS. Ce travail a servi à produire une seconde évaluation plus approfondie sur cette catastrophe en utilisant la méthode de PDNA (Post Disaster Need Assessement). Le rapport de cette dernière est présenté six mois après l’évaluation sommaire, par les mêmes institutions. L’autre source d’information reste la DISED (direction de la Statistique et des Études Démographiques)6. Cette direction, rattachée à la primature, a aussi constitué une base de données conséquente à la suite d’enquêtes de terrain dans les deux communes les plus touchées. Nous avons pu exploiter ces données pour mieux cerner les effets du cyclone.

26 En complément de ces données de premier ordre (mêlant rapport et données d’enquêtes sur le terrain), nous avons pu également utiliser des données cartographiques UNITAR-UNOSAT (Operational Satellite Application Programme), pour procéder à une meilleure analyse spatiale de la catastrophe. La principale carte produite par cet organisme propose une typologie des dommages en comparant des images satellites prises avant et après le passage du cyclone. À partir de ces images à très haute résolution (de l’ordre de 50 cm), trois secteurs ont été délimités en fonction de l’intensité de l’inondation (Tableau 4). La cartographie de ces secteurs récupérée sous la forme de fichiers vectoriels nous a permis d’estimer les surfaces correspondant à chacun de ces types.

Tableau 4 - Zones inondées et types de dommage

Différents secteurs Secteurs à Secteurs à dommages Secteurs à dommages possibles inondés dommages modérés importants

Pas de dommages visibles sur 80 % de ce secteur Type de dommages Dommages partiels les images satellites inondés

Superficie de la 0,6 km2 14,4 km2 25,1 km2 zone

Source : UNITAR, consulté le 20 mai 2018. https://unitar.org/maps/map/2810

27 Une première lecture nous donne l’ampleur des inondations dues à Sagar. En effet, sur les 40,1 km² des deux communes, 25,1 km² ont été sévèrement touchés (soit 63 % de ces communes), avec 80 % de la surface sous les eaux (illustration 6)

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Illustration 6 - Inondations dues à Sagar

Sources : données UNITAR, 2018.

Les zones exposées

28 Plus encore que dans les autres villes du pays comme Arta et Tadjourah, les conséquences de ces inondations sont lourdes dans la capitale qui concentre les enjeux humains et économiques dans des zones inondables. Les quartiers les plus impactés sont ceux de la commune de Boulaos qui s’étend dans la partie la plus exposée aux inondations de la capitale, parce que quasiment située au niveau de la mer. L’illustration 7 met en évidence l’accroissement de l’agglomération de Djibouti. À partir de son site originel (commune de Ras Dika), la ville s’est en effet étendue vers le sud en direction de l’oued Ambouli sur des zones d’une altitude inférieure à 1 m, avant de partir à l’assaut des hauteurs de Balbala à l’ouest.

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Illustration 7 - Extension de l'agglomération de Djibouti depuis 1953

Sources : Carte de Djibouti (1/100 00, IGN, 1953, CERD. Auteurs : J.-P. Cherel et B. Omar Ali.

29 Les quartiers de Boulaos concentrent donc l’essentiel des enjeux lors d’une inondation. Nous avons croisé dans l’illustration 8 les chiffres de population de 2015 (estimation fournie par la DISED de Djibouti) avec la cartographie des dommages réalisée par l’UNITAR à partir de l’imagerie satellitaire (UNITAR, 2018). Elle fait clairement apparaître que les habitants des quartiers de Boulaos (plus de 224 000 personnes) ont été a priori les plus touchés, beaucoup plus que dans les quartiers de Ras Dika (11 000 hab.) ou Balbala (310 000 hab.).

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Illustration 8 - Zones inondées par le cyclone Sagar le 20 mai 2018

Sources : UNOSAT/UNITAR, SEAS. Auteurs : J.-P. Cherel et B. Omar Ali.

Bilan humain des inondations consécutives au cyclone Sagar

30 Les premières évaluations réalisées par le gouvernement djiboutien avec l’appui des agences onusiennes ont permis de recenser les dégâts humains de cette catastrophe. Le bilan humain s’élève à deux morts dans la capitale. Selon la direction de la Protection civile, il s’agit de personnes qui ont tenté de traverser l’oued Ambouli avec leurs véhicules, la route reliant le centre-ville et les quartiers de Balbala Nord (comme Barwaqo et Hayabley) n’ayant pas été fermée par les autorités de la ville.

31 Au-delà de ces pertes en vies humaines, le chiffre du bilan humain a connu une fluctuation durant les mois qui ont suivi le passage du cyclone. Les premières estimations faisaient par exemple état de 25 000 personnes affectées (50 000 personnes sur l’ensemble du pays). Par la suite, les autorités djiboutiennes ont affirmé qu’environ 20 000 personnes avaient été sinistrées. Cette fluctuation du nombre de personnes affectées montre toute la difficulté pour les autorités djiboutiennes, et plus particulièrement pour les institutions nationales en charge de la gestion des catastrophes naturelles, de fournir un chiffrage exact du bilan d’un événement comme le cyclone Sagar. Nous avions déjà noté ces difficultés dans le cadre des missions d’évaluation des dommages réalisées suite aux inondations du 25 mars 2013 ayant également affecté la ville de Djibouti (Omar Ali, 2018).

32 L’illustration 9 montre que le Quartier 7, Arhiba, Quartier 4, Djebel et Quartier Sud sont les secteurs de la ville de Djibouti les plus affectés par cette catastrophe sur le plan humain.

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Illustration 9 - Secteurs et routes affectés par les inondations provoquées par Sagar, Djibouti, le 20 mai 2018

Sources : UNOSAT, SEAS. Auteurs : J.-P. Cherel et B. Omar Ali.

33 Afin d’évaluer l’impact humain de cette catastrophe, nous avons recensé le nombre de familles affectées dans les différents quartiers de la ville de Djibouti. D’après le résultat d’une enquête réalisée par le DISED, 1 042 familles ont été sinistrées par les inondations consécutives au cyclone. Elles sont inégalement réparties entre les différents quartiers de la ville de Djibouti. Les secteurs Quartier 3, Quartier 7bis, Ambouli et Arhiba sont les quartiers de la ville regroupant le plus grand nombre de familles affectées.

34 Cette cartographie met en évidence la forte exposition de cette commune face aux inondations accompagnant un cyclone. Ces quartiers sont situés sur des secteurs plans de faible altitude (5 à 10 m) en rive droite de l’oued Ambouli. « Dans certains quartiers, les habitations sont localisées dans des zones où l’occupation devait être interdite. Les autorités de la ville sont confrontées devant un fait accompli puisque les programmes d’aménagements et de planification du processus de l’urbanisation de la ville sont précédés par les installations des populations » (Omar Ali, 2018). Cette forte vulnérabilité est liée également au désengagement de l’État sur la gestion urbaine au cours des dernières décennies. Nour Ayeh (2015) notait que « le rôle de l’État est crucial dans la gestion urbaine, de la construction des quartiers, et l’entretien des infrastructures à la collecte des déchets. Son désengagement consacré par l’ajustement structurel a renforcé les forces centrifuges. Il accepte l’idée qu’il faut juste accompagner les quartiers précaires pour améliorer la survie. Cet accompagnement se traduit par la mise en place de la voirie, de l’électricité et de quelques bâtiments publics sur des crédits consentis par la Banque Mondiale, mais aussi de la France ». Les secteurs inondés correspondent bien à ceux se trouvant au niveau de la mer et proches de l’oued d’Ambouli, mais aussi habités par des populations relativement démunies.

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Le bilan matériel du cyclone

35 Outre les impacts humains, cette tempête a affecté les infrastructures urbaines de la ville de Djibouti comme celles des régions de l’intérieur du pays. Parmi ces infrastructures, on peut citer l’exemple du réseau routier qui a été lourdement touché par ces inondations (illustration 9). Les axes routiers reliant les différents quartiers de la commune de Boulaos ont été fermés durant plusieurs heures, voire plusieurs jours dans certains cas, bloquant ou contrariant la circulation des personnes et l’acheminement de l’aide et des secours. À chaque nouvelle inondation, on assiste au même scénario. Les grandes artères de la ville comme le boulevard Hassan Gouled (route d’Arta), le boulevard De Gaulle, les avenues 13, 26 et Nasser ont été fermées les 20 et 21 mai 2018 (illustration 10). La route qui dessert les quartiers du nord de Balbala, un des deux grands axes routiers reliant cette commune au reste de la ville de Djibouti, a été aussi fermée durant plusieurs heures. Dans Balbala même, certaines routes ont été également endommagées ce qui confirme une nouvelle fois la forte vulnérabilité de l’ensemble du réseau routier de la capitale en cas d’inondation. Cette vulnérabilité est largement due à l’insuffisance du drainage des eaux de surface, les réseaux d’évacuation des eaux pluviales et des égouts étant très mal entretenus et rapidement bouchés lors des crues. Au-delà de la capitale, le réseau routier à l’intérieur du pays a été aussi affecté par ces inondations. Un tronçon de la route nationale RN1 qui relie les régions de Tadjourah et d’Obock au reste du pays a ainsi été détruit au niveau de la localité de PK 51, ce qui a paralysé cet axe durant plus d’une journée et perturbé la circulation des personnes et des biens. À l’exception de cette portion de la RN1, la plupart des dommages sur le réseau routier sont restés concentrés sur la capitale (banque Mondiale, 2018).

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Illustration 10 - Route reliant les quartiers du nord de Balbala au reste de la ville coupée par la crue de l’oued Ambouli, le 20 mai 2018

Source : ©page Facebook de Djib-live, 2018.

36 Les évaluations réalisées par les agences onusiennes et les partenaires internationaux (comme la Banque Mondiale) avec l’appui du gouvernement djiboutien ont permis de quantifier les dommages consécutifs à Sagar sur les infrastructures routières. Au niveau de la ville de Djibouti, le coût des dommages est estimé à 2,2 milliards de Francs de Djibouti (FDJ) soit un total de 12 millions de Dollars (Banque Mondiale, 2018). Pour le secteur du transport, les besoins globaux de reconstruction sont estimés à 1,9 milliard FDJ (Banque Mondiale, 2018).

37 Outre le secteur du transport, d’autres infrastructures urbaines ont été sérieusement affectées par ce cyclone. Ce fut le cas des installations du système d’assainissement de la ville dont certaines ont été lourdement endommagées alors que d’autres ont subi des dégradations partielles. « 12 km de réseau ont été entièrement endommagés principalement dans les quartiers d’Einguella et Arhiba tandis que 20 km sont partiellement à renouveler dans d’autres quartiers » (Banque Mondiale, 2018). La réhabilitation de ces infrastructures nécessite des financements très importants. On estime qu’environ 1,6 milliard FDJ (9 millions US $) sont nécessaires à la remise en état des infrastructures. Sagar a également entraîné la destruction des latrines de nombreux ménages de la capitale. 26,5 % des ménages enquêtés par les équipes du SEAS7 ont affirmé que leurs latrines ont été complètement détruites, 58,3 % signalant des latrines moyennement endommagées. « Parmi ceux qui considèrent que leurs latrines ont été détruites, 61,8 % déclarent ne pas avoir réhabilité leur latrine contre 0,6 % qui ont bénéficié d’une réhabilitation à l’aide d’un organisme » (SEAS, 2018). Ces destructions sont susceptibles d’entraîner des problèmes sanitaires. Par exemple, dans

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le quartier d’Arhiba, l’eau potable a été contaminée par les eaux usées à la suite de la dégradation du réseau d’assainissement.

38 Le cyclone a également entraîné une aggravation de la pénurie d’eau à laquelle la ville de Djibouti se trouve confrontée, l’alimentation en eau ayant subi de graves perturbations dans les différents quartiers. Ces problèmes d’accès à l’eau s’expliquent par la destruction de deux forages qui alimentent la ville et qui sont situés au niveau de PK 20 (d’un débit de 55 m3/h). 22,8 % des ménages des quartiers enquêtés disent avoir subi des problèmes d’accès à l’eau (SAES, 2018).

39 Le secteur éducatif a aussi subi des impacts importants. Certaines écoles de la capitale ont été inondées et fermées durant plusieurs jours entraînant ainsi une rupture de la scolarisation des enfants, principalement dans les quartiers de Boulaos (illustration 11). Dans les écoles affectées par les inondations, les salles de classe et le mobilier scolaire ont été lourdement endommagés. Au total, le cyclone a entraîné la fermeture de treize écoles primaires, trois collèges et un lycée technique. Dans ces différents établissements, les dégâts recensés sont la destruction des planchers et des plafonds, la dégradation des peintures, des meubles et des fournitures scolaires. La scolarité des nombreux enfants a été ainsi perturbée. « Le passage de Sagar a fait que 66,6 % des ménages ont déclaré que leurs enfants n’ont pas été à l’école pendant quelques jours, mais moins d’une semaine, alors que 26 % n’ont pas été du tout perturbés et que 52,5 % affirment avoir vu le matériel scolaire de leurs enfants emporté ou détruit par les eaux » (SAES, 2018). Le passage de Sagar ayant coïncidé avec la fin de l’année scolaire au niveau national, l’impact sur la scolarité des enfants a pu être atténué. Le cyclone a toutefois affecté la capitale à une période où les examens de fin d’année débutaient pour de nombreux collégiens et lycéens. Les examens de 135 000 collégiens et lycéens ont été de ce fait reportés d’une semaine pour attendre la fin des opérations de nettoyage et de remises en état des établissements affectés (SAES, 2018).

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Illustration 11 - Localisation des établissements scolaires inondés par le cyclone Sagar dans les communes de Boulaos et Ras Dika, le 20 mai 2018

40 Les CDC (Centres de Développement Communautaire), infrastructures communautaires destinées aux jeunes des différents quartiers de la capitale et gérées par le secrétariat d'État à la Jeunesse et aux Sports (SEJS), ont subi également de lourds dégâts (illustration 12). Déjà fragilisés par l’absence d’entretien et le manque de ressources financières, les CDC ont vu leurs toitures, leurs installations électriques et leurs mobiliers détruits par le cyclone. D’après des entretiens informels avec la directrice des CDC au niveau du SEJS, près de 50 % de ces CDC ont ainsi subi des dégâts au niveau des toitures, presque 40 % ayant enregistré des dommages sur les installations électriques. Ces structures communautaires furent donc fermées au public durant plusieurs semaines, alors que ce sont de véritables lieux de socialisation, de rencontres, d’échanges, de formations et de sensibilisation pour les jeunes des quartiers.

41 Au niveau de la capitale, les CDC étant d’autre part régulièrement utilisés par les autorités comme des sites refuges pouvant abriter les populations évacuées lors de graves intempéries (cas des inondations d’avril 2004 et mars 2013), leur indisponibilité suite au passage du cyclone a compliqué la tâche des autorités djiboutiennes en charge de la gestion de crise. Elle a créé en effet une situation de « sur-crise » particulièrement préjudiciable pour les sapeurs-pompiers.

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Illustration 12 - Types de dégâts causés par Sagar au niveau de CDC de Djibouti, le 20 mai 2018

42 Selon les enquêtes réalisées par le SEAS, les pertes au niveau des biens et des matériels ont été très importantes, la valeur économique des pertes subies par les ménages atteignant près de 1,7 milliard FDJ8. Ces pertes incluent le mobilier (643 millions DJF), l’électroménager et le matériel électronique (638 millions DJF), ainsi que les moyens de locomotion (58 millions DJF) (illustration 13).

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Illustration 13 - Valeurs économiques des biens détruits par le cyclone, le 20 mai 2018, dans la ville de Djibouti (en euros)

Source : SEAS.

43 Beaucoup de ménages ont également subi des perturbations ou des coupures électriques. C’est le cas de 455 ménages sur les 1 041 interrogés par la direction de la statistique. Les secteurs Arhiba, Quartier 2 et Quartiers 4 sont ceux concentrant les ménages les plus touchés (illustration 14).

Illustration 14 - Nombre de ménages ayant connu des perturbations dans l’alimentation en courant électrique, durant l’épisode Sagar, les 19 et 20 mai 2018

Source : DISED.

44 Ces différents chiffres témoignent de l’ampleur des pertes économiques induites par le cyclone Sagar et surtout de l’importance des biens localisés dans des zones à risque. Cette catastrophe naturelle révèle une nouvelle fois la forte vulnérabilité économique

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de la ville de Djibouti face à ce type d’aléa. Elle confirme la nécessité de mettre en place de nouvelles mesures pour mieux protéger les enjeux humains et économiques localisés dans des zones à risque, mais aussi pour renforcer leur résilience.

Gestion des effets du cyclone

45 Suite à cette catastrophe, le gouvernement djiboutien, appuyé par les agences onusiennes et les partenaires internationaux, a été conduit à mettre en place un ensemble de mesures et d’actions pour apporter des réponses aux dégâts causés par le passage de Sagar. Cependant, non habituées à gérer un tel évènement, les autorités djiboutiennes ont été dans un premier temps dépassées par l’ampleur de la situation. Face à l’urgence, le Premier ministre djiboutien a alors ordonné la création d’une commission ad hoc chargée de faire un état de lieux de la catastrophe. Participaient à cette commission présidée par le directeur général de la Protection civile : - le directeur de l’Assainissement ; - le directeur des Domaines et de la Conservation Foncière ; - le directeur de l’Aménagement du Territoire, de l’Urbanisme et de l’Habitat ; - le directeur de l’ADR (Agence Djiboutienne des Routes) ; - le préfet de la ville ; - le maire de la ville.

46 Cette commission avait la responsabilité du suivi de la gestion des opérations, et plus particulièrement celle de l’évacuation des eaux de pluie dans les différents quartiers de la capitale. Pour cela, une réunion de crise portant sur l’évacuation des eaux, des déchets et des boues dans les quartiers, les écoles et les CDC fut organisée avec de hauts gradés de l’armée nationale et des responsables des différentes directions du ministère de l’Intérieur. Il fut acté que les différentes forces armées participeraient aux diverses opérations envisagées (tableau 5).

Tableau 5 - Intervention des différents corps constitués dans les opérations de secours aux quartiers

Corps de l'armée Armée Gendarmerie Marine Nationale et Police intervenant dans les secours Nationale Nationale Garde Côte Nationale

Quartier 6 Quartier 1 Quartier 3 Arhiba

Quartier 7 Quartier 2 Quartier 4 Engueilla

Quartier 7 Secteur Avenue Quartier 5 Quartiers concernés bis 13

Place Mahamoud Ambouli Harbi

Djebel

Source : compte rendu de la réunion de cellule de crise du 20 mai 2018.

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47 Le tableau ci-dessus montre la répartition des missions entre les différentes forces armées. Les quartiers les plus populaires de Boulaos furent confiés aux équipes de l’armée nationale qui a dû mobiliser une grande partie des effectifs des différentes casernes de la ville.

48 Cependant, les autorités ont été confrontées à plusieurs difficultés. Malgré le déblocage de gros moyens financiers, les motos-pompes mobilisées lors de ces opérations ont été en nombre insuffisant, certaines se révélant même inopérantes après leur déploiement sur le terrain, ce qui a considérablement ralenti la remise en état des établissements publics. Ce fut le cas de certains établissements scolaires qui furent inaccessibles durant plusieurs jours en raison du retard pris lors des opérations. Il est à noter que les tentatives de se fournir en motopompes supplémentaires auprès de certains commerçants n’ont pas été couronnées de succès, à l’exemple du Groupe Al Gamil (un des plus importants fournisseurs de l’État) qui n’a pas accepté cette requête en raison d’un important arriéré de paiement de factures. Ces difficultés de mises en œuvre montrent à l’évidence un manque de préparation des autorités djiboutiennes face à de tels événements.

49 Parallèlement à ces actions, les autorités du pays ont également procédé à des opérations de distribution de denrées alimentaires dans les quartiers les plus touchés (notamment les quartiers 3, 7bis et Ambouli). Ces opérations ont été réalisées par des agences nationales comme le SEAS, l’ONARS9, des associations ou des ONG nationales, des organismes multilatéraux (PAM, Unicef, FAO, HCR…), des organismes bilatéraux (Ambassade, USAID) et des organisations du secteur privé. Sur un total de 1 041 ménages enquêtés, 495 ménages disaient avoir reçu ce type d’aide, soit 47,5 % des ménages (illustration 15). Cela montre une assez faible couverture de cette opération mise en place dans les jours qui ont suivi le passage de Sagar.

Illustration 15 - Nombre de ménages ayant reçu des aides alimentaires à la suite du cyclone Sagar en 2018

Source : DISED, 2019.

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50 Cette aide d’urgence a toutefois permis à de nombreux ménages de bénéficier d’une aide complétant celle de leurs proches ou amis pour surmonter une éventuelle pénurie en produits alimentaires.

Conclusion

51 Plusieurs éléments peuvent être tirés de cet article. Nous savions que la petitesse du bassin de la mer d’Arabie, le phénomène d’upwelling sur les côtes somaliennes, la subsidence de l’air, y compris en été, en raison de la situation d’abri des régions du golfe d’Aden, étaient autant d’éléments rendant cette région du golfe d’Aden peu sensible aux problèmes des cyclones tropicaux. Pourtant, sur les quatre dernières décennies, nous avons relevé plusieurs phénomènes cycloniques qui ont affecté ces côtes. Si Hoarau note une absence d’augmentation des cyclones de catégorie 3 et plus sur l’ensemble du bassin indien, Hussain accrédite une tendance à la hausse de l’activité cyclonique en général sur le sous-bassin d’Arabie sur une très longue période (120 ans). Notre étude semble corroborer les conclusions de ce dernier auteur, avec trente phénomènes cycloniques affectant cette région. Il est à noter que tous les cyclones de catégorie 1 et supérieurs se sont développés depuis 1994. Au vu de la courte période concernée et de la rareté de ces phénomènes, il est très délicat d’y voir une conséquence directe du réchauffement global. Il faut, pour cela, d’abord voir si la tendance que nous avons observée se confirme dans les années à venir. En outre, le mécanisme climatique en œuvre sur ce bassin est si complexe que l’impact du réchauffement global sur chaque paramètre impliqué dans la cyclogenèse est loin d’être établi. Une modélisation poussée du système prenant en compte le comportement de chacun de ces paramètres (température de surface et upwelling somali, cisaillement vertical de l’air, comportement de la mousson indienne et généralement de la ZCIT) permettrait à l’avenir de mieux appréhender le système climatique de la mer d’Arabie. Le problème majeur pour une telle modélisation reste le manque d’une connaissance très fine de chaque élément du système.

52 Cependant, la moindre tempête tropicale déstabilise un système socio-économique bien ancré dans le sous-développement, et ce dans la plupart des pays de la région. D’un côté, les probabilités d’un épisode cyclonique semblent être plus fortes, du moins, sur les quarante dernières années. De l’autre, les populations riveraines du golfe d’Aden (qui sont de plus en plus nombreuses) n’ont pas les outils et les moyens pour se protéger de ce phénomène et en atténuer ses conséquences. Au-delà des pays déstructurés, comme la Somalie et le Yémen qui subissent juste une calamité supplémentaire, un État qui fonctionne, comme Djibouti, voit sa capitale paralysée et plus de 200 000 de ses habitants inondés par un cyclone, déjà rétrogradé en tempête tropicale lorsqu’il a touché le pays (Sagar). Les autorités, en charge de la gestion de cette catastrophe, ont été rapidement dépassées. L’épisode Sagar a ainsi crûment révélé des réalités géographiques (deux communes sur trois au niveau de la mer) et socio- économiques (insuffisance des infrastructures, pauvreté des populations) ainsi que les faibles capacités de gestion des crises, qui sont autant d’éléments sources de la vulnérabilité de cette capitale. Devant cette apparente nouvelle donne, le défi pour Djibouti est l’élaboration d’une politique de prévention sur le long terme pour ne pas être pris de court et être réduit dans l’urgence à quémander l’aide internationale à la moindre dépression tropicale. Un plan de gestion de crise opérationnel, pour faire face

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à la survenue d’un autre épisode majeur, serait hautement souhaitable. Dans ce plan, un volet sur les évacuations des populations installées en zones inondables est à élaborer puis tester. Il est évident que l’effort doit se porter sur les deux communes sinistrées par Sagar. La mise en place d’un tel plan de gestion est un défi supplémentaire pour cette ville et plus largement pour l’ensemble la région.

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NOTES

1. y(x) = 0.0110 x + 1.007. Cf. Hussain et al., 2011. 2. La Météorologie, 8e série, n° 18, juin 1997. 3. http://www.meteo.nc/en-savoir-plus/comprendre-la-meteo/phenomenes-particuliers/faq/ 34-records/162-quelle-est-la-plus-grande-distance-parcourue-par-un-cyclone-tropical (source Météo France). 4. Établi par K. Emanuel en 2005. 5. Transformé en Ministère des Affaires Sociales et des Solidarités (MASS) 6. Devenue institut national de la statistique de Djibouti en 2019 7. Secrétariat d’État chargé des Affaires Sociales 8. Environ 10 M $ (1 $ = 177 DJF). 9. Office National d’Assistance aux Réfugiés et des Sinistrés.

RÉSUMÉS

Les régions du golfe d’Aden, qui connaissent une situation anticyclonique permanente, sont théoriquement en dehors des zones affectées par les cyclones tropicaux. Pourtant, l’analyse des données sur les quarante dernières années recense trente cyclones ou dépressions tropicales ayant touché la région. Fait plus remarquable, leur incidence semble avoir largement augmenté, tout comme leur intensité, sans que l’on sache clairement si cette recrudescence est à mettre au crédit du réchauffement climatique tant la machine climatique sur ce petit bassin est complexe.

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La faible capacité de résistance des pays de la région face à ces phénomènes météorologiques est révélée par l’impact du cyclone Sagar les 19 et 20 mai 2018 à Djibouti. Bien que rétrogradé en tempête tropicale, Sagar a coûté la vie à deux personnes et a inondé et impacté plus de 40 % de la population de la capitale djiboutienne (soit plus de 200 000 habitants). Cette catastrophe a clairement montré l’état d’impréparation d’une ville pauvre de climat aride face à ce type d’événement.

The regions, which are experiencing quite permanent high pressures, are theoretically outside the areas affected by tropical cyclones. However, the analysis of data over the past 40 years identifies 30 tropical cyclones or depressions that have affected the region. More remarkably, their impact seems to increase significantly, as does their intensity. However, it is not clear whether this upsurge is due to global warming as the climate mechanisms on this small basin are complex. The low resilience of countries in the region facing weather events is revealed by the impact of Cyclone Sagar on 19 and 20 May 2018 in Djibouti. Although downgraded to a tropical storm, Sagar triggered two fatalities. It flooded and damaged more than 40% of the population of the main town of Republic of Djibouti (i.e. more than 200,000 inhabitants). This disaster clearly shows the unpreparedness of such poor city under arid climate in developing countries.

INDEX

Keywords : Global warming, tropical storm, flood, urban vulnerability, Djibouti Mots-clés : Réchauffement atmosphérique, cyclone tropical, inondation, vulnérabilité urbaine, Djibouti Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

JEAN-PHILIPPE CHEREL Jean-Philippe Cherel, [email protected], est ingénieur de recherche, membre de l’UMR GRED, à l’Université Paul Valéry Montpellier. Il a notamment publié : - Vinet F. et al., 2019. La cartographie des zones inondables : de l’événement prévu à l’événement réel. Retour d’expérience sur les inondations à Lamalou-les-Bains (sept. 2014). Géorisques, n° 8, p. 43-54. - Omira R., Batista M.A., Leone F. et al., 2013. Performance of coastal sea-defense infrastructure at El Jadida (Morocco) against tsunami threat: lessons learned from the Japanese 11 March 2011 tsunami. Natural Hazards and Earth System Sciences [En ligne], vol. 13, n° 7, p. 1779–1794. https:// www.nat-hazards-earth-syst-sci.net/13/1779/2013/nhess-13-1779-2013.html; DOI : https:// doi.org/10.5194/nhess-13-1779-2013 - Leone F. et al., 2012. Évaluation des vulnérabilités territoriales et humaines face aux tsunamis au Maroc (façade atlantique et ville d’El Jadida) : données historiques, modélisation de l’aléa et des enjeux humains, critères de vulnérabilité, indicateurs de risque, aide à la gestion des évacuations. Rapport WP5 (D5.4., D5.5, D5.6), Projet ANR-08-RISKNAT-05 MAREMOTI (MAREgraphie, observations de tsunaMis, mOdélisation et éTudes de vulnérabIlité pour le nord-est Atlantique et la Méditerranée occidentale), Université Montpellier 3-IRD, 190 p. + annexes.

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BOUH OMAR ALI Bouh Omar Ali, [email protected], est maître de conférences à l’Université de Djibouti. Il a récemment publié : - Omar Ali B., Vinet F., 2018. L’analyse spatiotemporelle de la mortalité des catastrophes naturelles dans la région de l’IGAD. Science et Environnement, n°32. - Omar Ali B., Vinet F., Cherel J.P, Le Martret H., 2016. Estimation de la vulnérabilité de la ville de Dire- Dawa face aux crues de l’oued Dechatu (Éthiopie). Actes des Journées des doctorants de l’IM2E (Institut Montpellierains de l’Eau et de l’Environnement), 5 p. http://www.im2e.org/docs/jdd/ 2016/Oral/Bouh%20Omar%20Ali_JDD_IM2E.pdf - Omar Ali B., Vinet F. (2016), Évaluation de la vulnérabilité des ménages face au risque d’inondation dans la ville de Dire-Dawa (Éthiopie). Actes des 9e Journées fiabilité des matériaux et des structures, Université de Lorraine, 7 p.

MOUSTAPHA NOUR AYEH Moustapha Nour Ayeh, [email protected], est directeur des études en sciences humaines et sociales à l’Université de Djibouti. Il a récemment publié : - Nour Ayeh M, 2019. La dynamique des températures et ses risques pour les populations de Djibouti dans le contexte du réchauffement global. NAAJ. Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables [En ligne], vol. 1, n° 1, https:// www.revues.scienceafrique.org/naaj/texte/nour-ayeh2019/ - Nour Ayeh M, Ali Sougueh L, 2017. L’indice de chaleur pour évaluer la pénibilité du climat des villes littorales des zones arides : le cas de Djibouti. Association internationale de climatologie, Actes de colloque. p. 523-531. - Nour Ayeh M, 2015. La ville de Djibouti entre intégration aux enjeux mondiaux et fragmentation urbaine. Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [en ligne], n° 27-28. http://journals.openedition.org/tem/3183 ; DOI : https://doi.org/10.4000/tem.3183

FREDDY VINET Freddy Vinet, [email protected], est professeur à l’Université Paul Valéry Montpellier et membre de l’UMR GRED. Il a récemment publié : - Vinet F., Mathieu Peroche, Philippe Palany et al., 2020. Collecte et gestion des débris post- cycloniques à Saint-Martin (Antilles françaises) après le passage du cyclone Irma (sept. 2017), Cybergeo : European Journal of Geography [En ligne], Environnement, Nature, Paysage, document 937. http://journals.openedition.org/cybergeo/34154 ; DOI https://doi.org/10.4000/cybergeo. 34154 - Tramblay Y, Mimeau L., Neppel L., Vinet F., Sauquet E., 2019. Detection and attribution of flood trends in Mediterranean basins Hydrology and Earth System Sciences [En ligne], vol. 23, n° 11. https://www.hydrol-earth-syst-sci.net/23/4419/2019/ ; DOI: https://doi.org/10.5194/ hess-23-4419-2019 - Vinet F. (ed.), 2018. Inondations. Vol. 1. La connaissance du risque et vol. 2. La gestion du risque. ISTE Press Elsevier.

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Mortalité et cyclones en Guadeloupe (Antilles françaises) Apports d’un nouveau référentiel géo-historique (1635-2018)

Frédéric Leone, Samuel Battut, Victoria Bigot, Guilhem Cousin Thorez, Thomas Candela et Freddy Vinet

Cette recherche a été réalisée dans le cadre du projet C3AF, Changement Climatique et Conséquences dans les Antilles Françaises (WP5), et a été cofinancée par le PO-FEDER de Guadeloupe (2014-2020). Le catalogue historique et la base de données SIG sur la mortalité sont consultables en ligne sur le site du projet : https://c3af.univ-montp3.fr/ (rubrique Pour en savoir plus). Les auteurs tiennent à remercier Jérémy Desarthe de la CCR pour sa relecture du catalogue historique, le personnel des archives départementales de Guadeloupe, dont Monsieur Garnier, les agents administratifs des services d’état-civil de la plupart des communes de Guadeloupe, ainsi que Christophe Montout de l’antenne Antilles Guyane de Météo-France, et Jean-Claude Huc, pour le temps consacré et les ressources partagées avec passion.

Introduction

1 La France, et encore moins ses territoires d’Outre-mer, ne disposent de référentiel national historique, détaillé, actualisé et centralisé, permettant de comptabiliser les victimes des aléas naturels autres que celles dues aux avalanches de neige (BD ANENA, 2019). Les données de mortalité sont dispersées dans des catalogues historiques ou des bases de données disparates, ce qui n’en facilite pas l’exploitation à des fins épidémiologiques et scientifiques. On peut citer par exemple la base BD SISFrance (2019) sur les séismes historiques, et sa variante sur les tsunamis, la base BD RTM (2019) sur les « risques naturels en montagne », la base de Données Historiques sur les Inondations (BDHI, 2019), ou la BD CATNAT (2019) multi-événements naturels, mais qui contrairement aux précédentes est en partie payante. Cette dernière reproduit une très grande partie des informations fournies par la base internationale Emergency Events Database (BD EM-DAT, 2019). L’unique base de données structurée autour de la problématique de la mortalité en France, et adaptée à une analyse fine des circonstances et lieux de décès, a été développée par des chercheurs de l’Université

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Paul-Valéry Montpellier 3 pour les inondations et la submersion marine (Boissier, 2013). Dénommée « Vict-In », elle a été valorisée dans plusieurs publications (Boissier et Vinet, 2009 ; Boissier, 2013 ; Vinet et al., 2011, 2016 et 2017), et sa structure, tout comme ses analyses, ont guidé cet article en étendant son contenu à l’archipel de Guadeloupe.

2 En effet, la situation de la Guadeloupe, notamment au regard de l’intensité et de la fréquence des aléas hydro-climatiques et météo-marins qui s’y manifestent, mérite une attention particulière centrée sur les impacts humains de ces phénomènes, en premier lieu la mortalité. La mortalité demeure un indicateur de vulnérabilité de ces territoires et de leurs populations, qui fait écho à toutes les stratégies de réduction des risques fondées principalement sur la protection des personnes. Elle peut ainsi devenir un indicateur de suivi des politiques publiques en matière de gestion des risques, a priori traçable dans le temps et l’espace, contrairement à d’autres formes d’impacts, notamment économiques ou matériels, qui sont plus difficiles à reconstituer à partir des archives documentaires ou du fil de l’actualité, et qui échappent davantage à la mémoire collective. La mortalité comme expression de la vulnérabilité constitue ce que Boissier (2013) appelle un « angle mort épistémologique » en France, contrairement à d’autres pays où ces approches sont développées (French et al., 1983 ; Mooney, 1983 ; Coates, 1999 ; Jonkman, 2005 ; Jonkman et Kelman, 2005 ; Jonkman et al., 2009 ; Coates et al., 2014).

3 Aussi, cet article vise à produire un catalogue historique et harmonisé de l’activité cyclonique significative ayant impacté l’archipel de Guadeloupe, renseigné en particulier par la mortalité, et complété pour la période récente par une base de données géo-référencée sur les victimes. Ces deux nouveaux référentiels vont nous permettre d’analyser l’évolution, les déterminants et les conditions de décès, en particulier en période cyclonique. Ce travail propose également des leviers de prévention des risques naturels en Guadeloupe.

Méthodologie

Zone d’étude

4 La recherche a concerné principalement la Guadeloupe (Basse-Terre et Grande-Terre) et ses dépendances (Marie-Galante, La Désirade, Les Saintes) (illustration 1). Ce territoire des Antilles françaises a eu un passé colonial de 1635 à 1946, puis a accédé au statut de département français d’Outre-mer en 1946, pour devenir Département-Région d'Outre-mer. Le catalogue historique constitué inclut également la partie française de l’île de Saint-Martin et l’île de Saint-Barthélemy, collectivités d’Outre-mer depuis 2007, aussi appelées îles du Nord, et situées à environ 250 km au nord de la Guadeloupe. Tous ces territoires appartiennent au bassin cyclonique nord-atlantique, une des zones les plus actives en matière de cyclogenèse et très exposée aux effets du réchauffement climatique (Cantet et al., 2014 ; Pilon et al., 2017 ; Belmadani et al., 2017 ; Hoarau et al., dans ce numéro). La saison cyclonique 2017 a donné deux cyclones majeurs de catégorie 5 sur les Petites Antilles (Irma puis Maria), entrainant un bilan humain de 183 morts d’après la base internationale BD EM-DAT (2019) du CRED, mais en définitive très variable suivant les sources (Nicolas et al., 2018 ; Kishore et al., 2018 ; Guha-Sapir et

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Checchi, 2018). Côté français, le bilan officiel a été de onze morts à Saint-Martin (Irma) et de quatre morts en Guadeloupe (Maria).

Illustration 1- Situation de la Guadeloupe et des îles du Nord dans leur contexte cyclonique historique

Sources : GADM 2011, NOAA IBTrACS 2018, Google Satellite. Auteurs : T. Candela et F. Leone.

Critères de sélection

5 Les événements hydro-climatiques étudiés regroupent les cyclones tropicaux, divisés en trois niveaux d’intensité (dépressions tropicales, tempêtes tropicales, ouragans), et leur cortège d’aléas induits que sont les inondations, la submersion marine et houles associées, les vents forts, la foudre et certains mouvements de terrain. Par le terme « significatif » on considère des événements ayant provoqué des dommages importants sur les territoires en question, et/ou entrainé au moins un décès. La notion de victime étant polysémique, donc particulièrement difficile à définir, c’est la définition de Jonkman et Kelman (2005) qui a été retenue pour la période récente (1950-2018), à savoir « a fatality that would not have occurred without a specific […] event ». Les victimes regroupent donc les décès directs (victimes touchées par l’aléa lors de sa manifestation) et les décès indirects (victimes affectées par un effet de l’aléa temporellement ou spatialement indépendant de sa manifestation), lorsqu’il est possible de clairement déterminer le lien entre l’aléa et le décès. Les blessés sont écartés de cette définition. Pour la période ancienne (1635-1949), principalement coloniale (1635-1946), la mortalité liée à des naufrages n’a pas été prise en compte à ce stade de nos recherches.

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Catalogue historique des événements hydro-climatiques significatifs (CAT-EHC, 1635–2018)

6 Plusieurs catalogues historiques permettent de reconstituer l’activité cyclonique aux Antilles et en Guadeloupe en particulier. On peut citer les bases de données en ligne de la NOAA (Rappaport et Fernandez-Partagas, 1997 ; Rappaport, 2000 ; Knapp et al., 2010), de l’association Infoclimat (BD Infoclimat, 2019), de l’Amicale des ouragans (2019), de la DEAL Guadeloupe (2008), les recherches historiques de Poey (1855), et les travaux de Caviedes (1991), Fernandez-Partagas et Diaz (1996), Landsea et al. (2004), Garcia-Herrera et al. (2005), Zahibo et al. (2009), Chenoweth (2006), Chenoweth et Divine (2008 ; 2012). Les travaux les plus complets menés par des historiens spécifiquement sur les Antilles françaises sont récents (Desarthe, 2014 ; Desarthe et Moncoulon, 2017 ; Garnier et al., 2017 ; Desarthe, dans ce numéro). Ils visent à analyser la sévérité des cyclones à travers les dommages, essentiellement matériels et économiques, ainsi que les réponses apportées au cours du temps par les sociétés antillaises. Ils peuvent être complétés par des études de cas, ou des retours d’expérience post-cycloniques, menés par exemple par Pagney (1991, 1998), Imbert et al. (1996), Candale (1999), Hamparian (1999) ou Sarant et al. (2003). Cependant, ces recherches historiques ou géographiques, ne décrivent que très rarement les bilans humains et encore moins les circonstances des décès.

7 Afin d’établir un nouveau référentiel sur les événements historiques significatifs en Guadeloupe (nommé CAT-EHC), il nous a fallu compiler et harmoniser ces catalogues existants, puis les enrichir avec de nouvelles informations issues de sources primaires reproduites (Saffache et al., 2003 ; Huc et Etna, 2015) ou originelles (archives nationales, presse locale, etc.). Ces recherches complémentaires ont notamment permis de compléter les bilans humains. La première partie du catalogue couvre principalement la période coloniale, et s’étend de 1635 à 1949. Les sources primaires consultées proviennent des archives Nationales d'Outre-Mer (ANOM) situées à Aix-en-Provence. Certains événements de cette partie du catalogue, mieux renseignés que d’autres, ont donné lieu à des bilans de mortalité spatialisés, soit par île, soit par commune. La seconde partie du catalogue porte sur la période dite récente, comprise entre 1950 et 2018. Elle a été composée à partir de sources locales, essentiellement la presse, disponibles en Guadeloupe, et d’enquêtes de terrain approfondies visant à retrouver les lieux de décès. Le CAT-EHC précise la date de l’événement, le type de phénomène, les territoires les plus impactés, la catégorie de l’ouragan, son nom international éventuel, le nombre de décès identifiés par d’autres auteurs (décès #1), les sources correspondantes (en gras pour ce nombre de décès) et le nombre de décès identifiés au cours de notre propre recherche (décès #2). Quand cela a été possible, les types et intensités des cyclones récents ont été renseignés au moyen de la base internationale IBTrACS de la NOAA (Knapp et al., 2010) et du site des pluies extrêmes de Météo France (2019). Le catalogue final recense 133 événements significatifs dont 45 avec des décès identifiés (tableau 1).

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Tableau 1 - Événements meurtriers issus du Catalogue historique des événements hydro- climatiques significatifs (Guadeloupe et dépendances, îles du Nord).

Source : CAT-EHC, 1635–2018 (UMR GRED). Auteur : F. Leone.

Sources anciennes (1635-1949)

8 Au cours du temps la Guadeloupe a été intégrée aux possessions françaises sous différents statuts. Les sources qui concernent la colonie sont conservées en grande partie aux ANOM, à Aix-en-Provence. On peut y distinguer les phénomènes d’envergure moyenne, n’affectant que la région de la Guadeloupe et ses dépendances, généralement appelés « coups de vent » ou parfois « bourrasques », des phénomènes de plus grande envergure, qui affectent la région des Antilles, voire des Caraïbes, et qui sont désignés par les termes ouragans et cyclones. Le mot cyclone n’est cependant utilisé qu’à partir du XIXe siècle, et concerne les cas les plus extrêmes (cyclone du 7 août 1899, cyclone du 12 septembre 1928). Nos recherches se sont concentrées sur 33 événements importants, dont 14 avec des bilans humains renseignés (1713, 1738, 1740, 1776, 1809, 1819, 1821, 1825, 1865, 1876, 1898, 1899, 1928, 1949). Les types de documents qui prédominent sont les rapports de gouverneurs et autres administrés, auxquels sont joints des états des pertes matérielles. Jusqu'au début du XIXe siècle l’information est rare et les documents s'attachent à décrire surtout, et avec minutie, l'ampleur des pertes matérielles, tout en négligeant tout ou partie des pertes humaines. La presse de l’époque a également été d’une grande aide. Parce qu’on cherche à capter l’attention du lecteur et à mettre en avant les aspects spectaculaires des sinistres, il y est parfois question des victimes. Certains documents se sont avérés inexploitables pour notre sujet, comme les relevés en provenance des hôpitaux de l’île. La qualité de certaines sources a cependant permis d’établir des bilans communaux et quelques cartographies, en particulier pour les cyclones majeurs de 1738, 1740, 1865, 1899 et 1928. Ces bilans humains varient

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fortement suivant les sources consultées et les auteurs. Pour le cyclone de 1928 par exemple, pas moins de onze sources primaires différentes donnent des bilans allant du simple au double. Ces sources multiples ont été au nombre de douze pour le cyclone de 1865 et de huit pour celui de 1899. Le travail de recoupement des bilans officiels a cependant permis d’exprimer un bilan consolidé (tableau 1, décès 2) et des marges d’incertitude, parfois étendues lorsqu’on prend en compte les bilans établis par d’autres auteurs (tableau 1, min. et max.).

Sources récentes (1950-2018)

9 La seconde partie de l’étude s’est focalisée sur la période récente (1950 à 2018), au moyen d’archives locales (rapports, presse quotidienne), des bases de données préexistantes, de ressources en ligne et d’actes administratifs. La base de données Pluies extrêmes de Météo-France (2019), qui recense les événements pluvieux mémorables (au-delà de 70 mm de lame d’eau quotidienne maximale moyennée), la base Mouvements de terrain (2019), et la base GASPAR (2019) du ministère de l’Environnement, qui recense les arrêtés de catastrophes naturelles des communes françaises, ont permis d’enrichir le catalogue. Mais la grande majorité des informations a été extraite de la presse locale et notamment du quotidien France-Antilles, disponible aux archives départementales de Guadeloupe depuis 1964 et dont l’équivalent antérieur était le journal Antilles Matin. D’autres périodiques tels que Clartés ou Le Nouvelliste ont été consultés. Ces recherches documentaires ont ensuite été complétées et recoupées avec des témoignages recueillis auprès de la population locale. Enfin, la majorité des actes de décès a pu être récupérée auprès des services d’état civil des municipalités de Guadeloupe. Ces documents administratifs ont permis de valider et d’enrichir certaines informations (âge, sexe, profession, cause du décès). Cette partie du catalogue a été assortie d’un minimum de deux photographies par événement mortel, afin d’illustrer les circonstances et/ou l’intensité des aléas et les dommages occasionnés. Ainsi, cette seconde partie du catalogue a pu être doublée d’une base de données géo-référencées de type Système d’Information Géographique (SIG) permettant de localiser les victimes et de tirer un certain nombre d’informations statistiques sur les profils des victimes, leurs comportements, les causes et les circonstances des décès.

Système d’Information Géographique sur la mortalité due aux aléas hydro-climatiques en Guadeloupe (SIG-MHC, 1950-2018)

10 Pour ce faire, la structure originale de la BD Vict-In (Boissier, 2013) sur les victimes de crues méditerranéennes a été adaptée au contexte local. Cette base de données à référence spatiale, nommée SIG-MHC, se présente sous la forme d’un tableur où chaque ligne correspond à une victime. Elle est composée de 36 champs relatifs au profil et à l’identité de la victime (nom et prénom, sexe, âge, profession, commune de résidence, etc.), au lieu et moment du décès (date et heure du décès, commune du décès, coordonnées géographiques, etc.), aux causes et circonstances de décès (typologie des circonstances, aléa impliqué dans le décès, véhicule associé, etc.) ou encore aux caractéristiques des aléas impliqués (vitesse des vents, hauteur des vagues, pluviométrie). On y distingue les victimes dues à des aléas directs (vent, inondation, houle, mouvements de terrain), de celles provoquées par des aléas ou circonstances indirectes. Par ailleurs, quatre niveaux de précision dans le géo-référencement ont été

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distingués en fonction de nos capacités à localiser les victimes (à l’adresse, au quartier, à la commune, ou à la zone maritime). Ainsi, 101 victimes directes ou indirectes ont pu être localisées, dont 72 % d’entre elles avec une précision bonne (quartier) à très bonne (adresse). Les photographies associées renseignent le moment de l’accident (photos de presse) et la situation actuelle (2018). Ces clichés permettent de voir si des aménagements de protection ont été apportés sur les lieux concernés, par exemple au niveau des passages à gué.

Résultats

Événements significatifs

11 Le catalogue historique répertorie 132 événements hydro-climatiques ayant impacté de manière significative la Guadeloupe et/ou les îles du Nord (Saint-Martin et Saint- Barthélemy) depuis 1635. On peut y rajouter un événement de type foudre. Parmi eux, 17 ont surtout touché les îles du Nord, voire quasi exclusivement en 1819, 1823, 1837, 1960 (Donna), 1995 (Luis), 1996 (Bertha), 1997 (Erika), 1998 (Danielle), 1999 (José), 2017 (Irma). Les dates au mois près sont connues pour 125 d’entre eux, et au jour près pour 117. Les siècles les plus marqués sont le XXe (41 événements), le XVIIIe (36) et le XIXe (26). Les demi-siècles correspondants les plus touchés ont été les années 1950-1999 (33) et 1750-1799 (20). Au final, depuis 1635, on recense une moyenne de 3,5 événements significatifs par décennies. La décennie 1990 est la plus représentée avec quatorze événements. Les années qui ont connu le plus de cyclones ont été 1666, 1715, 1766, 1970, 1995, 1998, 1999 et 2017 avec au moins trois cyclones recensés par an. Les mois les plus concernés sont septembre (42), août (41) et octobre (15). Cette hiérarchie mensuelle est maintenue sur la période plus récente post-1950 (illustration 1).

Bilans humains

12 Les données de mortalité ont été significativement enrichies sur la première période et largement affinées sur la seconde période. Ce bilan minimum a été établi pour 45 événements dont un épisode de foudre ayant entrainé la mort de deux personnes en octobre 2014. Il a pu être établi à zéro pour 25 événements, et corrigé pour une cinquantaine d’événements identifiés par d’autres auteurs. Il a été par ailleurs enrichi d’une trentaine d’événements dont les bilans humains n’avaient jamais été cités par d’autres auteurs. Cela concerne en particulier les cyclones de 1713 (30 morts), 1738 (83), 1740 (124), 1776 (39), 1819 (36 à 38), 1821 (21), 1825 (400 à 600) et 1898 (28 morts). D’après nos corrections, sur les 133 événements recensés, au moins 45 d’entre eux ont provoqué des pertes humaines (tableau 1). Le bilan humain global est compris entre 2125 et 2502 morts, contre 1967 à 1973 identifiés par d’autres auteurs avant cette étude, soit une moyenne haute de 19 décès par événement significatif et de 56 décès par événement meurtrier connu. En prenant en compte les données apportées par d’autres auteurs, la fourchette maximale est comprise entre 2140 et 2994 victimes depuis 1635. Les grands cyclones meurtriers en Guadeloupe remontent à 1713, 1738, 1740, 1825 (Santa-Anna), 1865, 1899 (The Great Bahamas Hurricane) et surtout 1928 avec le cyclone le plus meurtrier (Okeechobee) (1110 à 1227 morts). Ceux ayant affecté Saint- Martin et Saint-Barthélemy remontent à 1819 et 1898. Sur la période d’après-guerre, Irma (2017) reste le dernier cyclone le plus meurtrier pour Saint-Martin avec onze

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morts. Il faut remonter à Hugo (1989, 16 morts), Inez (1966, 28 morts) et Cléo (1964, 13 morts) pour retrouver des bilans comparables en Guadeloupe.

Répartition géographique des victimes

13 Le travail sur archives (ANOM) a permis d’établir des bilans de victimes par commune actuelle de Guadeloupe pour cinq grands cyclones de la période ancienne (1738, 1740, 1865, 1899, 1928). Cette reconstitution spatiale inédite permet de faire des hypothèses sur la trajectoire approximative de ces cyclones anciens (illustrations 2 et 3).

Illustration 2 - Répartition communale des décès liés aux cyclones de 1738, 1740, 1865 et 1899

Source : CAT-EHC, 1635–2018 (UMR GRED). Auteurs : T. Candela et F. Leone.

14 Pour 1738, la trajectoire semble être passée au centre de la Guadeloupe, ou légèrement à l’Ouest de Grande-Terre. On peut en tirer des conclusions semblables pour 1740. Par contre, on observe une répartition symétriquement opposée des victimes de 1865 et 1899 qui semble indiquer une trajectoire sur le Sud de la Guadeloupe pour 1865 et sur le Centre/Nord de Grande-Terre pour 1899. Ces hypothèses sont corroborées par les trajectoires fournies par Fernández Partagás (2003) pour celui 1865 et par Cry (1965) pour celui de 1899 (The Great Bahamas Hurricane). Quant au cyclone de 1928, il a fortement impacté la Grande-Terre et l’Est de la Basse-Terre, ce qui suggère une trajectoire assez centrale ou légèrement portée vers l’Est, totalement en accord avec les réanalyses de trajectoires proposées par Landsea et al. (2012). Ces déductions méritent d’être recoupées avec la distribution spatiale des pertes matérielles. Elles supposent des conditions de vulnérabilité similaires à l’échelle du territoire, du moins pour le bâti.

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Illustration 3 - Répartition communale des décès liés à l’ouragan de 1928

Source : CAT-EHC, 1635–2018 (UMR GRED). Auteurs : T. Candela et F. Leone.

15 Sur la période récente, le SIG-MHC permet d’analyser la répartition spatiale de 66 victimes directes en lien avec leur environnement immédiat (illustration 4). Les communes du Sud de Basse-Terre et du Sud de Grande-Terre enregistrent le nombre de décès le plus important. La commune de Saint-Claude est celle qui a connu le plus de décès, avec douze victimes, suivie de la commune des Abymes (11 victimes). Sur Grande-Terre, ces communes correspondent globalement aux côtes au vent, donc aux espaces les plus exposés aux effets du vent lors d’épisodes cycloniques. Mais il s’agit aussi des communes historiquement les plus peuplées donc présentant le plus d’exposition humaine (Lévy, 1963). Sur Basse-Terre, il semble exister une corrélation spatiale entre la proximité des reliefs les plus escarpés (Sud de Basse-Terre) et le nombre de morts. Le relief est un facteur important de l’occurrence des précipitations, mais aussi des glissements de terrain induits. Par ailleurs, la densité élevée du réseau hydrographique de l’île de Basse-Terre constitue sans doute un facteur d’augmentation de l’exposition aux inondations et crues soudaines. Des effets de concentration des décès lors d’un même événement sont observés. Ils correspondent à des phénomènes de « mort collective », par exemple lorsque la case familiale contenant ses huit membres est ensevelie par un glissement de terrain (quartier Papaye, Saint-Claude, cyclone Cléo, août 1964), ou bien lorsque cinq personnes sont emportées par une rivière en crue à leur domicile (quartier Marigot, Vieux-Habitant, cyclone Helena, octobre 1963), ou lors de la noyade simultanée de cinq personnes à bord d’un véhicule 4x4 au niveau d’un passage à gué (quartier Chazeau, Les Abymes, janvier 2011).

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Illustration 4 - Localisation des victimes directes issues du SIG sur la mortalité due aux aléas hydro-climatiques en Guadeloupe

Source : SIG-MHC, 1950-2018 (UMR GRED). Auteurs : T. Candela et F. Leone.

Profil des victimes

16 Dans les sources historiques, la grande inconnue est bien souvent le profil des victimes. La position sociale, le sexe, les noms et prénoms, ne sont que très rarement indiqués. Outre la distinction entre citoyens libres et esclaves, nous ne savons que peu de choses. Contrairement à ce que l’on aurait pu imaginer, les morts parmi les esclaves sont assez souvent renseignés car ils sont comptabilisés dans les pertes matérielles, en vue d’une réparation. Pour cette raison, nous connaissons pour certaines dates mieux la mortalité parmi les esclaves que pour les citoyens libres. Pour le sinistre de 1738, nous avons même eu accès seulement à des états de pertes matérielles et seules les victimes non- libres nous sont connues.

17 Pour la période récente, sur les 101 victimes de la BD SIG-MHC, les hommes représentent 70 % de l’échantillon contre 30 % de femmes. Cette surreprésentation des hommes est encore plus marquée lors des opérations de secours ou des réparations post événements (91 % des décès). D’autre part, 75 % des victimes ayant trouvé la mort dans ou suite à l’utilisation d’un véhicule lors d’un événement climatique sont des hommes. La fourchette d’âge est très large et l’âge moyen des victimes est de 37 ans, ce qui correspond à la moyenne d’âge en Guadeloupe. La structure d’âge de la mortalité liée aux événements climatiques est proche de la structure par âge de la population guadeloupéenne dans son ensemble. Parmi les personnes âgées (60 à 80 ans et plus), les personnes les plus âgées (de 70 à 80 ans et plus) s’avèrent être les plus touchées. Sur les onze victimes ayant 70 ans et plus, dix sont mortes dans un bâtiment en position d’exposition passive. Par ailleurs, 89 victimes de l’échantillon sont résidentes en Guadeloupe (94 %) et 74 (78 %) sont décédées dans leur commune de résidence

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permanente. Seules six victimes (7 %) sont originaires d’une autre région française ou d’un autre pays. Il s’agit de touristes métropolitains (2) ou de militaires en déplacement dans le cadre d’une mission (2). Les deux victimes étrangères sont des plaisanciers du Guyana morts en mer pendant le cyclone Maria. Ces résultats remettent en cause le postulat selon lequel les populations auraient une meilleure conscience du risque et des comportements à tenir sur un territoire qu’elles connaissent (Blesius, 2013).

Les causes et circonstances de décès

18 Les circonstances de décès renseignent l’exposition des victimes, mais aussi les comportements adoptés, caractérisés ou non par une prise de risque. Parmi les 101 décès récents, les circonstances sont connues pour 89 d’entre eux. Quarante personnes ont trouvé la mort dans un bâtiment, le plus souvent leur domicile, dont 32 qui ont péri à cause de l’endommagement du bâtiment suite à la projection d’un objet ou d’un élément de façade, ou qui ont été ensevelies avec le bâtiment lors d’un glissement de terrain ou de rafales. On constate que la quasi-totalité de ces décès au domicile a eu lieu avant 1967 (97 %), ce qui reflète l’inadaptation du bâti face à l’intensité des aléas à l’œuvre sur le territoire guadeloupéen. Une circonstance de décès ressort de cette analyse avec le cas de piétons (13 victimes) emportés par les eaux alors qu’ils se livraient à des activités de loisir à proximité d’un cours d’eau (9) ou de la mer (4) lors d’événements de faible intensité, localisés et à caractère soudain (rupture d’embâcle, houle liée à un vent modéré). Ils sont pour moitié liés à une sous-estimation du risque (circulation en extérieur lors de conditions météorologiques dégradées). En ce qui concerne les victimes liées à l’utilisation d’un véhicule, une part significative (37,5 %) concerne la traversée de passages à gué inondés, avec pour moitié des véhicules tout-terrain (4x4). Enfin, les neuf victimes décédées lors d’une opération de sauvetage sont celles du crash de l’hélicoptère Puma survenu le 20 septembre 1989, quelques jours après le passage du cyclone Hugo. Bien que l’accident soit dû à une défaillance technique, ces victimes indirectes sont prises en compte puisque un lien entre le cyclone et les décès est établi. D’autres victimes indirectes (3) sont liées à des effets induits, différés de la manifestation des aléas. Il s’agit de victimes d’infrastructures électriques défaillantes ou liées à la réparation « autonome » du bâti endommagé.

Les aléas naturels impliqués

19 Les aléas impliqués sont multiples, ce qui complexifie l’analyse de l’exposition des victimes. Parmi les 101 décès récents, le phénomène naturel impliqué est connu pour 66 d’entre eux (illustration 4). Parmi les 35 décès restants, quinze sont des décès indirects, et pour les 20 derniers l’aléa responsable n’est pas renseigné. Parmi les quatre aléas de type climatique identifiés, le vent est le plus meurtrier, avec 25 victimes. Il est suivi de près par les inondations qui ont causé la mort de 23 personnes. À part égale, nous retrouvons ensuite l’aléa mouvements de terrain et la houle, ayant fait chacun huit victimes. Enfin, l’aléa foudre est à l’origine de deux victimes. La part des victimes liées au vent varie en fonction des différents événements. Elle oscille entre 16,5 % et 44,5 % pour les cyclones Cléo, Inès, Hugo et Maria, mais atteint 100 % pour le de 1956. Pour 96 % des victimes dues au vent, les vents maximums soutenus enregistrés le jour du décès dépassent les 180 km/h. Par

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ailleurs, 31 décès sont en lien direct avec l’intensité des précipitations ou les phénomènes induits par ces dernières (crues et inondations avec 23 victimes, mouvements de terrain avec huit victimes). Entre 1950 et 2018, la houle a causé la mort de huit individus en Guadeloupe. Elle est responsable en moyenne d’un décès tous les huit à neuf ans, ce qui est beaucoup moins important que les précipitations, les autres phénomènes induits (un décès tous les 2,2 ans), ou que le vent (un décès tous les 2,6 ans).

Répartition temporelle des décès

20 On note une différence assez nette dans la répartition des décès entre le jour et la nuit. On atteint un effectif de 47 victimes entre 6h et 18h (60 %) contre 31 (40 %) entre 18h et 6h. Ces résultats diffèrent nettement de la prédominance (75 %) des décès survenant le soir ou la nuit évoquée par Mooney (1983) dans son étude sur les inondations aux États- Unis. N’affichant pas de tendance nette, la répartition circadienne des décès de notre échantillon est difficile à expliquer autrement que par l’occurrence aléatoire des aléas (Jonkman et al., 2005). Quant à elle, la répartition saisonnière est directement déterminée par la saisonnalité climatique caractéristique de la zone d’étude. En effet, la saison humide (juillet à novembre) totalise 95 des 101 décès de l’échantillon (94 %). Que ce soit depuis 1635 ou depuis 1950, c’est le mois de septembre qui totalise le plus de victimes, suivi du mois d’août. C’est la saison des cyclones et les exceptions (janvier et mai) relèvent d’épisodes pluvieux localisés, responsables de cumuls de précipitations importantes, et de décès caractérisés par une prise de risque avérée.

Évolution de la mortalité récente

21 Sur une amplitude temporelle de 1950 à aujourd’hui, la répartition des bilans humains par année montre une baisse du nombre de décès au cours du temps (illustration 5). En effet, 75 % (76) des décès ont eu lieu avant 1990 et un pic de mortalité apparaît dans la décennie 1960-1970. Il correspond aux deux événements les plus meurtriers de cette période (Ines et Cléo avec respectivement 28 et 13 victimes). Dans la seconde moitié de la période étudiée, les événements meurtriers sont plus dispersés, avec des bilans humains moins importants et moins liés aux cyclones. Le cyclone Hugo (1989) constitue cependant une exception depuis 1970 avec seize victimes dont neuf indirectes. On constate par ailleurs un ressaut dans le nombre de victimes dans la période contemporaine (2011-2018). Il survient après une période de calme en termes de pertes humaines (2000-2010), qui a pu abaisser la conscience du risque et favoriser l’urbanisation en zones à risques. On a observé la même tendance avant le cyclone Hugo. Il avait été précédé d’une période de calme relatif avec uniquement des événements localisés et seulement cinq victimes entre 1971 et 1988. Depuis 1950, environ une personne meurt tous les sept mois du fait d’un événement climatique en Guadeloupe.

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Illustration 5 - Mortalité depuis 1950 et évolution de la population guadeloupéenne

Source : SIG-MHC, 1950-2018 (UMR GRED). Auteurs : S. Battut et V. Bigot.

La prise de risque

22 La prise de risque est l’exposition volontaire aux aléas motivée par diverses raisons. Consciente ou non, elle est souvent liée à une méconnaissance ou une mauvaise estimation de la potentialité et du niveau de danger. Les comportements à risques sont donc directement déterminés par l’expérience, les représentations, individuelles ou collectives, et la perception (cognitive ou psychologique) des individus. Parmi les 101 victimes de l’échantillon récent, 28 sont décédées suite à une prise de risque ou à une sous-estimation du risque. La prise de risque la plus fréquente concerne la tentative de franchissement de passages à gué inondés à bord d’un véhicule. Ce comportement a été rapporté dans la littérature où il est souvent le fait d’hommes adultes (Boissier et Vinet, 2009). Or, dans le cas de la Guadeloupe, les conducteurs impliqués ont été en majorité des femmes de 30 à 40 ans (trois femmes contre un homme) lors d’un déplacement quotidien sur un trajet connu et à proximité du domicile. Le second type de prise de risque le plus représenté est la circulation en extérieur lors de conditions météorologiques très dégradées. Cette classe comprend des victimes circulant sur la route (3), en pleine mer (4), en bord de mer (3) lors d’un cyclone ou d’un épisode pluvio-orageux. Le franchissement ou la baignade dans une rivière en crue constituent également une situation rencontrée. Les victimes représentées avaient toutes entre 10 et 20 ans. Aucune des trois victimes n’était accompagnée par des adultes lors de l’événement et on peut estimer que c’est le manque d’expérience qui a pu jouer.

Discussion : un nouveau référentiel géo-historique pour guider la prévention

Une mortalité mal renseignée par les sources historiques

23 Avant 1946, la teneur des bilans de mortalité est laissée à la discrétion des gouverneurs seuls. Plus de 80 gouverneurs vont se succéder à la tête de l'île entre 1635 et 1946, et d'un mandat à l'autre, la qualité des renseignements peut varier drastiquement. Au vu des nombreux rapports que nous avons pu consulter, il est clair que la priorité pour les gouverneurs après des cyclones était davantage de trouver des solutions visant à

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assurer la subsistance des vivants plutôt qu'à renseigner le nombre de morts. Ainsi, le principal obstacle dans nos recherches a été la maigreur des données liées à la mortalité pour les événements anciens. Il n'est pas rare de lire de longs rapports qui décrivent le phénomène dans ses aspects météorologiques, relatent avec précision l'ampleur des dégâts matériels, mais occultent complètement la question des victimes. Le fait que les rapports principaux conservés aux ANOM émanent d'abord des gouverneurs de Guadeloupe, basés sur l’île principale, signifie souvent que les informations en provenance des dépendances n'arrivent pas ou plus tard. Bien souvent, les gouverneurs annoncent les morts pour la région immédiate de Basse-Terre ou de Pointe-à-Pitre et laissent le lecteur dans l'attente d'un bilan pour le reste de la colonie. Viennent ensuite les témoignages recueillis par l’administration, inclus dans des rapports sur les sinistres au côté des constats officiels des dirigeants de l’île. Ces rapports ont tendance à s'appesantir sur le sort de la population et peuvent se révéler plus instructifs. La cause principale de décès semble cependant être liée à l’effondrement de l’abri, mais cette impression peut être due au fait que les principaux témoignages viennent des villes.

24 Quand il est question de mortalité, se pose alors le problème de la localisation. Soit parce que les témoignages ne mentionnent pas le lieu exact des victimes, soit parce que les lieux indiqués sont incertains ou inconnus. La toponymie, justement, a aussi présenté une difficulté pour les sources les plus anciennes. Certains lieux ont changé de noms, se sont fait absorber dans des ensembles communaux, ou ont tout simplement disparu. Il nous faut aussi mentionner les sinistres pour lesquels nous ne trouvons pas de données conséquentes, mais pour lesquels d’autres chercheurs avancent pourtant des bilans. Par exemple d’après le National Hurricane Center (Rappaport et Fernandez- Partagas, 1997), le sinistre du 6 septembre 1776 aurait fait au moins 6 000 morts pour la seule ville de Pointe-à-Pitre. Nous ne trouvons aucune source aux ANOM qui valide ce bilan. Au contraire, le gouverneur de l’époque, présent dans la ville, déclare « Je ne puis rien dire sur les pertes de Basse-Terre, il en a péri 25 à la pointe à Pitre ».

Des résultats utiles pour guider la prévention

25 L’approche de la vulnérabilité par la mortalité peut contribuer à une amélioration de la prévention en mettant en évidence les décès qui auraient pu être évités et qui pourront l’être en agissant sur différents leviers de cette prévention. Ainsi, parmi les 101 victimes recensées depuis 1950, nous avons pu associer à 69 d’entre elles un levier de prévention grâce auquel le décès aurait pu être évité (tableau 2). En réponse aux circonstances de décès et de prises de risques, ce sont logiquement les mesures relatives à la réduction de la vulnérabilité du bâti et à l’information préventive qui se distinguent. Quelques pistes de prévention sont discutées ci-dessous.

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Tableau 2 - Principaux leviers de prévention et nombre de victimes associées potentiellement évitables en Guadeloupe

Source : leviers de prévention d’après Boissier, 2013.

Réduction de la vulnérabilité du bâti

26 Parmi les 31 victimes associées à une vulnérabilité du bâti, on distingue d’une part celles reliées à une inadaptation du bâti (21) et d’autre part celles associées à une occupation des sols en zone à risque (11). Les matériaux de construction utilisés se sont avérés pas suffisamment résistants au vent et la fragilité des structures a conduit à l’arrachement du bâti par le vent ou les eaux. Dans une optique de réduction des décès liés au bâti, des normes de construction « paracycloniques » doivent être généralisées. Le passage de l’ouragan Irma sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy en septembre 2017, tend à impulser cette mise aux normes avec la parution d’un « Guide de bonnes pratiques pour la construction et la réhabilitation de l’habitat » (CSTB, 2018) et l’adoption de nouvelles règles d’urbanisme (Collectivité de Saint-Martin, 2018). Ce renforcement progressif du bâti face aux cyclones a montré son efficacité en Guadeloupe comme l’atteste la diminution significative de la mortalité cyclonique au cours des siècles. Si la case traditionnelle en bois, souvent impliquée dans les pertes en vie humaines du passé, tend à disparaître, une grande partie du parc immobilier de Guadeloupe est située en zone de submersion marine et cumule encore de nos jours un grand nombre de critères de vulnérabilité. Un diagnostic récent effectué par notre équipe sur près de 2 100 bâtiments exposés montre que 70 % de ces constructions littorales ne possèdent pas d’étage refuge (illustration 6), configuration qui peut largement compromettre une mise en sécurité de leurs occupants, surtout de nuit (Vinet et al., 2011 et 2012).

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Illustration 6 - Typologie des habitations de plain-pied particulièrement vulnérables aux inondations et à la submersion marine

On notera les évolutions architecturales inspirées de la case traditionnelle (a) à travers les exemples b, c, d situés sur une même rue de Grand-Bourg à Marie-Galante. Auteur : F. Leone, 2017.

Régulation de l’occupation du sol

27 Par ailleurs, 11 décès sont imputables à l’absence de maitrise de l’occupation du sol en zone à risque. Parmi elles, huit sont mortes des suites d’un glissement de terrain ayant emporté leur habitation. On note également les décès de trois personnes survenus dans des habitations situées en zones inondables. Cependant, les décès reliés à ce type d’exposition ont diminué considérablement des années 50 à nos jours. En effet, parmi les 31 victimes concernées, 30 sont décédées avant 1976 et aucune victime n’est à déplorer depuis 1997. L’adoption de PPRn depuis les années 2000 en Guadeloupe permet de réguler l’exposition aux risques naturels et de favoriser une adaptation du bâti. Néanmoins, actuellement ce sont encore 6 % de la population résidente qui vivent en zones de submersion marine et un peu plus de 9 % en zone inondable des PPR en vigueur1.

La gestion des passages à gué

28 La gestion des passages semble être un élément clé pour la réduction des bilans humains, d’autant plus que les décès liés à ce type de prise de risque ne cessent d’augmenter avec le temps. Plusieurs propositions d’amélioration de la gestion de ces passages à gué s’imposent. Dans un premier temps, un inventaire de l’ensemble des passages sur le territoire guadeloupéen est nécessaire afin de cibler les gués les plus dangereux. Ce travail a été en partie effectué dans un précédent projet visant à évaluer

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l’accessibilité routière en zone volcanique dans le Sud de Basse-Terre (Leone et al., 2018). Dans un second temps, Boissier (2013) propose d’équiper les passages les plus dangereux de barrières fixes infranchissables, expliquant que les barrières amovibles et les panneaux de signalisation ne sont pas assez dissuasifs. En janvier 2011, cinq personnes ont perdu la vie à bord de leur 4x4 alors qu’elles tentaient de traverser le passage à gué de Chazeau/Doubs aux Abymes. Aucune barrière amovible interdisant la traversée du gué en cas de débordement n’était présente. D’autres franchissements ne possèdent aucun équipement, comme par exemple au niveau de la Ravine Chaude sur la commune du Lamentin où une femme et son enfant sont décédés en 1986, leur voiture ayant été emportée par les eaux de la Grande Rivière Goyave en crue. De plus, l’installation de repères de crue en bordure de route et à l’entrée des ponts pourrait dissuader la traversée en cas de submersion. Boissier (2013) propose d’améliorer les règles graduées existantes en y associant un code couleur indiquant le niveau de danger.

Renforcement de la culture du risque et de l’alerte

29 La prise de risque et l’inadaptation des comportements ont été la cause de 28 décès entre 1950 et 2018. Cependant, ces décès ne diminuent pas avec le temps, au contraire. Au nombre de six entre 1950 et 1976, ils passent à seize entre 1997 et 2018. Onze morts étaient des piétons, onze autres ont été victimes d’un accident à bord d’un véhicule, dont neuf qui ont pris le risque de traverser un passage à gué submergé. Une personne est décédée alors qu’elle tentait de porter secours à une personne en danger et la dernière en voulant mettre ses biens en sécurité. Quatre ont été victimes d’un naufrage en mer. Quand bien même les consignes de sécurité sont comprises et appliquées par la population, encore faut-il que les gens sachent à quel moment les mettre en œuvre. C’est en ce sens qu’une amélioration des moyens d’alertes va de pair avec l’amélioration de la diffusion des consignes. En effet, une bonne communication des messages d’alerte est cruciale et peut être déterminante. Si aujourd’hui les systèmes d’alerte sont plutôt performants, notamment lorsqu’ils combinent plusieurs vecteurs : messages téléphoniques, messages radiodiffusés et télévisés, etc. Le développement des technologies smartphones apparaît comme complémentaire des dispositifs d’alertes institutionnels (Bopp et al., 2018). L’initiative récente prise par la chaine publique Guadeloupe la 1ère avec son portail Alerte Guadeloupe2 consacré aux risques majeurs et à leur prévention doit permettre de renforcer cette culture du risque et de la vigilance.

Conclusion

30 Le nouveau catalogue historique fait état de 133 événements climatiques significatifs pour la Guadeloupe et ses dépendances, dont 45 avec des victimes confirmées. Le travail sur archives a permis de consolider quelques bilans historiques, d’exhumer des événements jusqu’alors inconnus et de spatialiser des pertes humaines à l’échelle communale. Ce travail doit se poursuivre à la faveur de nouvelles investigations historiques et de recoupements complémentaires, en exploitant en particulier les registres paroissiaux. Par ailleurs, la base de données spatialisée sur les victimes a permis une approche innovante de la vulnérabilité humaine analysée par le prisme de la mortalité en lien avec les caractéristiques du territoire guadeloupéen, en mobilisant une approche géo-historique et appliquée à la prévention des risques. En Guadeloupe et

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à Saint-Martin, 112 décès ont été recensés sur la période comprise entre 1950-2018, ce qui représente 25 événements mortels décomposés en treize cyclones/tempêtes tropicales et douze épisodes pluvio-orageux. L’analyse de l’échantillon a mis en évidence, comme beaucoup d’études similaires, une surreprésentation masculine très marquée. En dépit de l’augmentation progressive des enjeux en Guadeloupe on observe une baisse significative de la mortalité au cours du temps (illustration 5). Les améliorations apportées en termes de prévention réglementaire et l’adaptation du bâti sont des facteurs indéniablement liés à cette évolution (illustration 17a).

Illustration 7 - Évolution des circonstances principales des décès (a) et des comportements à risque (b) depuis 1950

Source : SIG-MHC, 1950-2018 (UMR GRED). Auteurs : S. Battut. et V. Bigot.

31 Le très faible bilan humain de l’ouragan Irma sur Saint-Martin le 6 septembre 2017 témoigne d’une certaine efficacité de la prévention des risques cycloniques aux Antilles françaises, et ce malgré l’intensité des dommages liés au vent ou à la mer (Rey et al., 2019). On constate cependant que les décès sont de moins en moins liés à l’occurrence d’un cyclone, mais qu’ils sont de plus en plus associés à des comportements de mise en danger lors d’événements de faible à moyenne intensité (illustration 7b). L’éducation et la préparation des populations, adaptées au contexte local, apparaissent comme le moyen le plus efficace pour réduire ces comportements à risque.

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NOTES

1. Calculs issus du croisement des cartes du PPRn actuellement en vigueur de Guadeloupe (http://pprn971guadeloupe.fr/) avec la base de données MAJIC de données de population 2015 à l’échelle du bâti du Laboratoire Central de Surveillance de la Qualité de l'Air (https:// www.lcsqa.org/fr/rapport/2015/ineris/fourniture-donnees-population-spatialisees-selon- methodologie-nationale-methode-). 2. https://la1ere.francetvinfo.fr/alerte-guadeloupe?r=guadeloupe

RÉSUMÉS

Cet article pose les bases méthodologiques d’un catalogue historique des évènements hydro- météorologiques significatifs et mortels qui ont frappé l’archipel de Guadeloupe et les îles du Nord (Saint-Martin et Saint-Barthélemy) depuis 1635. Pour la période récente, post 1950, il est doublé d’un Système d’Information Géographique permettant de localiser et de renseigner chaque victime avec son profil, son comportement, les circonstances et causes du décès. Outre l’apport de bilans humains consolidés, ce nouveau référentiel géo-historique permet d’analyser l’évolution de la mortalité au cours du temps en lien avec les principaux facteurs de vulnérabilité. On peut en tirer un certain nombre d’enseignements utiles pour guider la prévention des risques en Guadeloupe.

This paper lays the methodological basis for a historical catalogue of significant and deadly hydro-meteorological events that have occurred in the Guadeloupe archipelago and the northern islands since 1635. For the recent period, post 1950, it is supplemented by a Geographical Information System used to locate and inform each victim with his profile, his behavior, the circumstances and causes of death. In addition to the contribution of consolidated human death tolls, this new geo-historical framework makes it possible to analyze the evolution of mortality over time in relation to the main factors of vulnerability. A number of useful lessons can be drawn from this to guide risk prevention in Guadeloupe.

INDEX

Keywords : mortality, vulnerability, cyclone, Guadeloupe, West Indies Mots-clés : mortalité, vulnérabilité, cyclone, Guadeloupe, Antilles Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

FRÉDÉRIC LEONE Leone Frédéric, [email protected], est professeur à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma (St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of

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SAMUEL BATTUT Samuel Battut, [email protected], est doctorant à l’Université Paul Valéry Montpellier 3

VICTORIA BIGOT Victoria Bigot [email protected], est rattachée à l’Université Paul Valéry Montpellier 3

GUILHEM COUSIN THOREZ Guilhem Cousin Thorez, [email protected], est rattaché à Aix-Marseille Université

THOMAS CANDELA Thomas Candela, [email protected], est doctorant à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et responsable du pôle R&D du BE RisCrises. Il a récemment publié : Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma (St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering. vol 7, n° 7, p. 215. DOI: https://doi.org/10.3390/jmse7070215

FREDDY VINET Freddy Vinet, [email protected], est professeur à l’Université Paul Valéry Montpellier 3. Il a récemment publié : - Vinet F., 2018. La Grande Grippe. 1918 : la pire épidémie du siècle. Histoire de la grippe espagnole. Paris, Éd. Vendémiaire, 260 p. - Vinet F. (dir.), 2018. Inondations 1. La connaissance du risque. Londres, Elsevier/ISTE éditions, 388 p. - Vinet F. (dir.) 2018. Inondations 2. La gestion du risque. Londres, Elsevier/ISTE éditions, 470 p.

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Le couple anticipation/décision aux prises avec l’exceptionnel, l’imprévu et l’incertitude

Valérie November, Alice Azémar, Sophie Lecacheux et Thierry Winter

Cette réflexion a été rendue possible dans le cadre du projet ANR APRIL (Optimiser l’Anticipation et la Prise de décision en situation de crises extrêmes pour maintenir la RésiLience de la société), projet financé suite à l’appel ANR Flash Ouragan. Il a débuté en juin 2018.

Introduction

1 En septembre 2017, l’ouragan Irma a battu le record d’intensité enregistrée aux Petites Antilles en étant le premier ouragan de catégorie 5 à atterrir sur ce secteur. Il a occasionné quelques submersions limitées sur la façade Nord-Est de la Guadeloupe, exposée aux trains de houle, mais des impacts majeurs sur Saint-Martin et Saint- Barthélemy traversés par l’œil du cyclone le 6 septembre (Météo-France, 2017a). Sur ces îles, les dommages sont de plusieurs natures. Les vents violents (rafales à 244 km/h) ont arraché des toitures (dont celle de la préfecture de Saint-Martin) et de la végétation, éventré murs et cloisons, rendu le réseau électrique hors-service, etc. La houle (creux de plus de 12 m) et la surcote (de plus de 3 m) ont par ailleurs engendré une érosion importante ainsi que des submersions marines sur les zones basses du littoral. Les dommages le long du rivage ont été majeurs sur le bâti de première ligne (jusqu’à ruine totale) et les réseaux routiers et d’eau (De La Torre, 2017 ; Azémard et al., 2017). À Saint-Martin, onze personnes ont perdu la vie et 95% du bâti a été endommagé.

2 Le passage du cyclone José quelques jours plus tard, même s’il n’a pas occasionné de dégât supplémentaire, de par sa petite taille et sa trajectoire plus au nord, n’a pas été neutre pour autant. Les fortes houles et les conditions météorologiques ont bloqué le transport maritime et aérien pendant plusieurs heures, entravant l’acheminement des secours intervenant suite à Irma. Par ailleurs le doute qui a persisté plusieurs jours sur

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sa trajectoire finale a semé une confusion supplémentaire au sein de la population et des forces de sécurité civile affaiblies.

3 Le 19 septembre, l’œil du cyclone Maria est passé à quelques kilomètres au sud de l’archipel de la Guadeloupe et a surpris par son intensification explosive avec un quasi doublement de l’intensité des vents en 24 heures, induisant des rafales supérieures à 215 km/h sur l’archipel de la Guadeloupe (Météo-France, 2017b). Les houles très énergétiques (creux de 8 m au pic) conjuguées à une surcote importante (estimée à 50-70 cm au marégraphe de Pointe-à-Pitre) ont engendré des submersions marines sur les rivages de Marie-Galante, des Saintes, du sud de Basse-Terre et à l’intérieur du Petit Cul-de-Sac marin (rade de Pointe-à-Pitre, zone de Moudong, Petit bourg). La laisse de mer, matérialisée par des débris végétaux ou anthropiques et du sable, a atteint entre 70 et 100 m de distance dans les terres sur ces secteurs. Les dommages sur le bâti en zone littorale liés à l’impact direct des vagues et au sous-cavage des fondations ont été considérables. Sur de nombreux sites, des aménagements littoraux tels que les carbets, les bancs et les routes (notamment la route départementale RD6) ont été affouillés et parfois basculés (Legendre et Guillen, 2017) (illustrations 1 et 2).

Illustration 1a - Ruine d’une construction en première ligne du littoral suite au passage d’Irma dans la baie de Saint-Jean (Saint-Martin)

Source : BRGM.

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Illustration 1b - Habitation détruite par l’échouage d’un bateau au passage d’Irma à Cul-de-Sac (Saint-Martin)

Source : BRGM.

Illustration 2a - Endommagement de la route littorale entre Vieux Fort et Basse-Terre (Guadeloupe) suite au passage de Maria

Source : BRGM.

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Illustration 2b - Bungalow en ruine à Grand-Bourg (Guadeloupe) suite au passage de Maria

Source : BRGM.

4 Ainsi, malgré les progrès importants réalisés ces dernières années, la prévision cyclonique est toujours empreinte de fortes incertitudes, en particulier sur l’intensité qui relève de processus de très petite échelle (De Maria, 2014). Les trajectoires des cyclones IRMA, JOSE et MARIA ont été correctement prédites, permettant d’anticiper les secteurs les plus exposés aux conditions météo-marines intenses plusieurs jours à l’avance. Mais au-delà de la prévision cyclonique et des niveaux de vigilance, l’expérience de la séquence cyclonique de septembre 2017 soulève la problématique de l’anticipation des dommages à terre, c’est-à-dire de l’interprétation des prévisions météo-marines en termes d’impacts sur le territoire (notamment les submersions) et sur les enjeux humains et matériels. Fort des informations transmises par Météo- France à l’arrivée du cyclone Irma, en anticipation d’une ampleur sans précédents des événements, la cellule interministérielle de crise du gouvernement a été activée de même que les cellules de crise des niveaux zonaux et préfectoraux (Martinique, Guadeloupe et Saint-Martin). Il s’agit, au niveau gouvernemental, de préparer une réponse la plus adaptée possible en fonction d’informations placées sous le sceau de l’incertitude non seulement sur les prévisions météo-marines, mais également concernant les dimensions socio-économiques des territoires potentiellement impactés et les effets en cascade qui en résulteront (insularité, réseaux vitaux impactés, vulnérabilités des populations, contexte assurantiel, etc.).

5 La préparation et l’anticipation face aux événements sont en effet devenus des actions incontournables dans le monde des catastrophes « naturelles » (Revet, 2019) et d’une perspective « all hazards » (Lakoff, 2007) contribuant à la construction de nombreux dispositifs sociotechniques (réseaux d’alerte, plans de prévention, infrastructures critiques, etc.) et de très fortes exigences de réactivité tant au niveau technique que politique (cf. les travaux de Rosa, 2013, sur l’accélération).

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6 Aussi cet article propose une réflexion interdisciplinaire sur les difficultés rencontrées lorsqu’il s’agit d’anticiper des situations de crise (ici cyclonique) et prendre des décisions qui soient les plus adéquates possibles. Après un état de la littérature soulignant la polysémie de la notion d’anticipation et de prise de décision, nous proposons une démarche complémentaire, issue de deux études de cas pendant la séquence cyclonique de 2017 se situant aux extrémités géographiques du couple anticipation/décision : la première est une description de ce couple au niveau interministériel, lors de l’activation de la CIC observée dans le cadre d’une recherche menée pour le compte du Secrétariat général de la défense et de sécurité nationale sur l’organisation gouvernementale des crises majeures (November et Azémar, 2018) ; la seconde est issue de l’expérience d’un opérateur d’État, en l’occurrence le BRGM, spécialisé dans les problématiques de risques littoraux et submersion marine (Lecacheux et al., 2018 ; Leroy et al., 2015) et dont l’une des missions pendant ces événements a été d’anticiper les secteurs submergés en fonction des prévisions météo- marines afin de faciliter la prise de décision aux échelles territoriales.

7 Ces deux études de cas permettent alors de discuter les différentes formes d’anticipation et de repenser pragmatiquement le couple anticipation/décision. Et si cette crise cyclonique était un « événement monstre » au sens de Nora (1972) : « il témoigne moins pour ce qu’il traduit que pour ce qu’il révèle, moins pour ce qu’il est que pour ce qu’il déclenche », ou, encore ce qu’on peut appeler un « focusing event » selon les termes de Birkland (1998) ? Car ce n’est ni plus ni moins que la question de la fragmentation du couple anticipation/décision dans les pratiques actuelles des acteurs, qu’ils soient en cellule interministérielle ou vécue par des opérateurs d’État en relation avec les échelles territoriales, qui est posée dans cet article au regard des événements de septembre 2017, plaidant implicitement pour l’intégration de la décision dans un continuum d’anticipation(s).

Anticiper : un processus complexe

8 S’il semble aisé de définir, d’une façon générique, ce que « anticiper » signifie (« prendre de l’avance sur une situation future » ou plus simplement « prévoir, devancer » une situation ou quelque chose), la difficulté majeure consiste à s’entendre sur les modalités de construction d’une action anticipée. Comment garantir son efficacité ? À quelles conditions pourrait-elle conduire à des prises de décisions pertinentes, éthiques et dotées d’impacts positifs sur le terrain ? La construction de l’anticipation rencontre en effet une série d’obstacles.

9 Premièrement, lors d’une crise majeure, l’anticipation et la prise de décision sous incertitudes liées aux prévisions météorologiques mais aussi aux dimensions socio- économiques du territoire composent forcément avec une perception partielle de la situation en cours (Reghezza, 2019). Cette perception est construite à partir d’informations hétérogènes et incomplètes dans un volume de temps et d’espace évolutif, de leur compréhension et interprétation, puis dans leur projection dans un avenir plus ou moins proche (Endsley, 1995). Par exemple, le phénomène de submersion marine n’est pas représenté dans les modèles de prévision opérationnels actuels principalement pour des problématiques d’échelle, de temps de calcul et de disponibilité des données topo-bathymétriques précises. Si les études de prévention permettent de cibler les secteurs les plus vulnérables, leur utilité reste limitée en

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matière de gestion de crise car de faibles variations sur les caractéristiques prévues du cyclone en approche (trajectoire, intensité, taille) peuvent induire des conséquences à terre très différentes (Rohmer et al., 2016). L’interprétation et l’intuition gardent donc une place importante dans le processus d’anticipation. La prise de décision, quant à elle, fait appel à des mécanismes complexes et dynamiques souvent amplifiés par une chaine de commandement structurée en plusieurs niveaux (Dautun et Roux-Dufort, 2017). Cette relation duale « perception - décision » structure la « Common Operational Picture » (COP), décrivant la situation à l’instant « t » dont Wybo et Latiers (2006) soulignent qu’elle est difficile à construire même au sein d’une même cellule de crise. Si la perception reste subjective et ancrée dans l’expérience de chacun des acteurs, la COP devrait être une vision partagée « ici et maintenant » de la situation en cours (Danielsson et al., 2014 ; Wybo, 2012). Ainsi, pour une situation donnée, des décisions et actions notablement contrastées peuvent être engagées du fait d’une part de la variabilité dans l'expérience et la compréhension des objectifs de la réponse opérationnelle (d’autant plus vrai dans une crise complexe protéiforme), et d’autre part dans des remontées de terrain non partagées. Les interactions entre les composantes « perception de la situation – COP – processus de décision » lors d’événements réels de faible probabilité et de forte intensité sont rarement investiguées (Donahue et Tuohy, 2006), ou alors au travers d’approches génériques ou théoriques (Heikkilä et al., 2015 ; Rosqvist et al., 2017). Yang et al. (2019) distingue trois approches de planification pour la prise de décisions en matière d’évacuation lors d’ouragans, en fonction de la façon dont elles tiennent compte de l’incertitude. Une planification « robuste » tient compte explicitement de l’incertitude et vise un plan qui est souhaitable pour de nombreux scénarios, sinon tous. Compte tenu de la nécessité de surveiller les conditions et de proposer différentes mesures en fonction de l’évolution du cyclone, la planification « adaptative » consiste, quant à elle, à élaborer de multiples plans d’urgence et à définir les circonstances dans lesquelles chacun doit être mis en œuvre. Enfin, la planification « répétée » génère de nouveaux plans au fur et à mesure que de nouvelles informations deviennent disponibles, cependant que les plans initiaux sont faits sans tenir compte de la façon dont les conditions ou l’information pourraient évoluer.

10 Deuxièmement, dans le domaine des risques et des crises, un élément reconnu comme crucial est la circulation de l’information d’une part et, d’autre part, l’accès à une information pertinente et de qualité. Ces deux facettes sont bien documentées et le constat ne pose aucune difficulté (cf. notamment Maisonneuve et al., 1999 ; Combalbert, 2018 ; Combalbert et Delbecque, 2018 ; Coombs et al., 2010). Cependant, certains aspects demeurent encore obscurs, en particulier celui-ci : il ne suffit pas que l’information soit à disposition pour que ceux à qui elle s’adresse soient informés ; il ne suffit pas qu’elle circule pour qu’elle soit saisie. Autrement dit, il faut tout un travail de reformulation pour qu’une information devienne utilisable (Paton, 2008). Pour faire face aux situations de risques et de crise, l’information – lorsqu’elle circule – doit pouvoir être saisie et traduite par des acteurs très divers (November et Leanza, 2015 ; Baker et Ward, 2002). Or encore trop souvent, le modèle dominant convoqué est celui du destinataire et du récepteur (the Classical Persuasion Model de Hovland, Janis and Kelley 1953, et le modèle de Shannon and Weaver 1949), bien qu’il ait été largement critiqué et affiné depuis par de nombreux chercheurs (Perry et al., 2001). En effet, les pratiques révèlent des situations de circulation de l’information plus complexes, moins linéaires et bien plus hétérogènes. Des pratiques où l’information, pourtant en quantité, ne parvient pas à ses destinataires et d’autres cas où l’information est trouvée, utilisée et permet de

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réduire les situations à risques (Rizza et al., 2017). Autrement dit, il s’agit de pouvoir identifier l’information utile (d’Ercole 2012), afin d’être en mesure d’anticiper.

11 Troisièmement, la gestion des catastrophes s’inscrit dans un continuum préparation / planification / gestion des urgences / sortie de crise (Lakoff, 2007) sans oublier la reconstruction, qui elle-même doit être anticipée (Moatty et Vinet, 2016). Chaque élément de cette chaîne requiert une (des) anticipation(s) permettant d’établir des stratégies d’actions et d’affectation des ressources (i.e. Xiang and Zhuang, 2014) ne devant pas hypothéquer l’avenir et, en particulier, les conditions de relèvement des territoires impactés (Neisser et Runkel, 2017). Ces stratégies n’ont pas que des conséquences techniques, mais également profondément politiques : anticiper – et par là, problématiser le futur – signifie se poser des questions éthiques sur quelles actions prioriser, quelle population sauver en priorité, quelles infrastructures sécuriser (Anderson, 2010). Cela signifie aussi, en creux, laisser certains besoins en attente, décaler les secours et privilégier certains territoires par rapport à d’autres (Pigeon, 2012 ; Robert, 2013).

12 Quatrièmement, prévenir tous les incidents et les ruptures lors d’une crise de grande ampleur est impossible (Nja, 1997). Dans ce cas, l’anticipation s’entend dans son acception de prédiction et de prévention des aléas avant qu’ils ne s’expriment sur lesquelles se fonde la planification des secours (Kruke & Olsen, 2005). Ainsi, lors de catastrophes particulièrement complexes et dynamiques, ce type de planification a révélé son manque de flexibilité rendant aléatoire toute improvisation et adaptation (Lagadec, 2008). Medd et Marvin (2005) soulignent que la planification doit être elle- même résiliente. Des travaux récents mettent l’accent sur la nécessité d’anticiper l’incertitude et l’inattendu (Reghezza, 2019 ; Arnoldi, 2009; Aven et Renn, 2010). Cette démarche procède de deux processus parallèles : la mise en œuvre de mesures planifiées et l’adaptation à la crise (Kruke, 2015). La préparation ne doit ainsi plus être limitée à la capacité à répondre à un événement mais se doit d’anticiper les différentes possibilités de gérer cet événement avec une perspective de résilience (Hémond et Robert, 2012 ; Medd et Marvin, 2005) et particulièrement dans les phases de post- urgence.

L’anticipation à l’épreuve de la gestion de crise

Anticiper et décider au niveau interministériel

13 Dans le cadre de la recherche sur l’organisation du dispositif gouvernemental de crise majeure (November et Azémar 2018), nous avons pu observer le fonctionnement de la cellule interministérielle de crise (CIC), à la fois à l’occasion d’exercices majeurs mais aussi en situation réelle lors de la crise Irma-José-Maria de septembre 2017. Ces observations in situ ont été enrichies de plus d’une trentaine d’entretiens avec des acteurs qui siègent régulièrement en CIC (personnels du ministère de l’intérieur, et plus particulièrement de la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises, Hauts fonctionnaires de défense et de sécurité des ministères, personnels du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale etc.). Les informations restituées ci- dessous recoupent donc des données d’observation issues de la crise Irma mais également les pratiques mises en récit par les acteurs, à partir de leurs expériences de crises antérieures et d’exercices majeurs.

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14 Pour rappel, dans le dispositif gouvernemental de gestion de crise majeure, la place de l’anticipation en CIC est entérinée par la Circulaire du 2 janvier 2012, qui la décrit de la façon suivante : « Au fur et à mesure de l'évolution de la situation, l'attention est portée sur des horizons temporels de plus en plus éloignés, de quelques heures initialement pour aboutir, in fine, à une vision prospective à plusieurs jours, voire à plusieurs semaines. Les effets en cascade de la crise sur d'autres secteurs d'activités que ceux touchés à l'origine y sont analysés ». D’un point de vue pratique et organisationnel, l’anticipation est alors un « sous-ensemble » de la fonction situation. Elle s’est ensuite émancipée par la pratique des exercices et l’expérience des crises (notamment au moment des attentats de 2015) pour devenir une fonction à part entière, au même titre que les fonctions situation, communication et décision (illustration 3).

Illustration 3 - Schéma de fonctionnement interne de la cellule interministérielle de crise

Source : http://www.sgdsn.gouv.fr/missions/preparer-la-reponse-aux-crises/

15 En nous intéressant au rôle de la fonction anticipation, nous avons eu la confirmation de son utilité et de sa nécessité dans le dispositif interministériel de gestion de crise, bien que l’on nous ait souvent rapporté au cours de l’étude un défaut de son exploitation ou un manque de pertinence de ses productions. Un certain nombre de divergences apparaissent sur les causes de cette insuffisance : méthodologie de travail non adaptée à la cellule, sous-utilisation par le niveau politique, difficile coordination avec les différentes échelles géographiques.

16 Pour certains des acteurs rencontrés et d’après nos observations, l’absence d’une méthodologie claire de travail est due en grande partie au choc de plusieurs cultures ministérielles en CIC. On trouve d’un côté ceux qui sont davantage tourné vers la planification (ministère chargé de l’Écologie (MTES) et ministère de la Santé

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notamment) et de l’autre, ceux qui sont davantage tournés vers la conduite de la réponse opérationnelle (ministère de l’Intérieur et ministère des Armées).

17 Il faut toutefois noter que ces deux derniers ministères, bien que focalisés sur la conduite opérationnelle des crises, ont deux conceptions de la notion d’anticipation (et notamment sa dimension temporelle), très différentes. Schématiquement, pour le ministère de l’Intérieur, l’anticipation consiste à imaginer ce qui va se produire à court ou moyen terme (quelques heures à quelques jours) dans la crise en cours. Il s’agit alors de concevoir la riposte ou les moyens d’éviter le sur-accident. Pour le ministère des Armées, il s’agit de penser sur le long terme les effets de la crise au-delà de son cœur, dans le temps (cela peut aller de quelques semaines à quelques mois) et dans l’espace comme par exemple des effets économiques sur un territoire donné. Ce type d’anticipation implique une distanciation nécessaire avec la crise en cours qui n’est pas toujours comprise et appliquée dans le travail de cette cellule. Ces visions ministérielles, si elles apparaissent opposées ne sont pas antagonistes ou incompatibles : l’idée étant d’anticiper à la fois à moyen et à long terme en CIC. Cela plaiderait donc pour la mise en œuvre d’une méthode d’anticipation nouvelle, autre, qui pourrait être décorrélée des cultures ministérielles classiques tout en y puisant largement son inspiration. Comme résumé par l’un des acteurs interrogés : « Pour faire de l’anticipation, il faut de la méthode, le bon cerveau, connaître le métier mais ne pas être trop spécialiste, avoir une capacité à réfléchir large et arriver à se positionner sur le plan temporel. L’anticipation doit être sur un autre pas de temps, un autre espace- temps que la gestion de crise ».

18 Les archives gouvernementales de gestion de crise attestent pourtant d’une vraie plus- value de la fonction anticipation toutes les fois où elle a été activée, particulièrement lors des attentats de Charlie Hebdo (6 janvier 2015) et ceux du 13 novembre 2015. Lors de la crise Irma, en revanche, elle a cruellement manqué puisque pour la première fois depuis la circulaire du 2 janvier 2012, en CIC, la cellule anticipation n’est pas gréée. En revanche, une nouvelle fonction, baptisée « fonction d’anticipation logistique » est mise en place à l’instigation du ministre de l’Intérieur, alors en charge de la gestion de crise. Dès le lendemain, une demande est formulée auprès du ministère de la transition écologique et solidaire (et en particulier à Météo-France) concernant la vigilance à observer sur l’évolution du cyclone José et les renforts mobilisables par la France au profit des pays impactés (donc un appel à anticipation sur les moyens à disposition). La cellule logistique qui a été créée avait donc pour mission d’anticiper les besoins (du point de vue strictement logistique) mais pas au-delà. Or, comme le souligne l’un des participants à la CIC, « par définition ce sont deux fonctions incompatibles. La logistique est toujours en retard, alors que l’anticipation doit justement réfléchir au futur en ne s’occupant plus des questions de logistique ». Des questions relatives à l’anticipation surgissaient en cellule décision, mais elles étaient systématiquement mises à l’écart, faute d’éléments de compréhension et de projection. Par exemple concernant la reconstruction, la remise en état des édifices publics, l’habitat à maintenir, les règles d’urbanisme à mettre en place... Les apports d’une cellule anticipation pour la cellule de décision sont pourtant connus : il s’agit d’écarter le risque de sur-accident ou d’une vision trop étroite de la crise. Dans le cas d’Irma, la notion de « commande » de la cellule décision à la cellule anticipation n’a pas toujours été très claire. Or, la cellule anticipation ne peut travailler que sur ordre de la cellule décision, qui en définit les missions. On nous a souvent rapporté l’absence de

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considération ou d’intérêt du délégué de crise pour la fonction anticipation : « La CIC décision doit orienter l’anticipation. Mais elle le fait peu, car elle fait de la conduite ».

19 Cette absence de fonction anticipation a certainement été générée par un effet « outremer » et le défi immense que la logistique a représenté dès le début de la crise, avec une difficulté à articuler les échelles géographiques. Dans les premières heures suivant le passage d’Irma, les gestionnaires de crise de la CIC se sont retrouvés « aveugles », sans possibilité d’établir des communications via les réseaux traditionnels (téléphone, internet etc.) avec les échelons territoriaux. Les seules informations parvenant du terrain transitaient via un téléphone satellitaire de la sous-préfecture, elle-même durement touchée. Le caractère insulaire des territoires touchés, les arrivées inattendues de Maria et José et le risque de sur-crise qu’ils représentaient a contribué à créer un « effet tunnel » sur la question logistique, au détriment du travail d’anticipation. L’absence de communication dès les premières heures de la crise a renforcé un phénomène « d’aspiration » de la gestion de crise par le niveau central au détriment du niveau local qui avait des difficultés à se faire entendre et comprendre. Pourtant, dans un processus parallèle, des autorités nationales et locales (services du Ministère de l’Intérieur et Préfectures) ont de leur côté sollicité l’expertise du BRGM et de la DREAL dès le vendredi 1er septembre sur les effets induits attendus d’Irma1.

Anticiper et décider dans la conduite opérationnelle

20 En effet, dans le cadre de la gestion de crise opérationnelle de la séquence cyclonique Irma-José-Maria, les services de l’État, dont le BRGM, ont été fortement mobilisés par les différents niveaux du dispositif ORSEC (Préfectures, Zone de défense, COGIC et CIC) avec deux demandes récurrentes tout au long de la séquence cyclonique (i) quels sont les risques de submersions marines ? et (ii) quels sont les secteurs à évacuer ? Ces questionnements sont d’autant plus présents à un niveau plus local, où l’anticipation lors d’un cyclone s’entend plus généralement comme la mise en œuvre de mesures de sauvegarde et d’évacuation avant l’arrivée de l’événement. La simultanéité de ces requêtes intervenant moins de 48h00 avant l’impact de Irma sur les territoires antillais et leur réitération lors des cyclones José et Maria illustrent la prégnance des obstacles à l’anticipation évoqués plus haut.

21 Dans les deux jours qui ont précédé l’impact d’Irma sur les Antilles, le BRGM et la DREAL ont donc, à la demande de la préfecture, consolidé un zonage des secteurs susceptibles d’être submergés à Saint-Martin à partir des informations disponibles de sources et de qualités très hétérogènes (PPR, Atlas de Risque, connaissance historique, …). Étant donné le phénomène majeur attendu, les zones d’aléa fort identifiées dans le PPRL ont été analysées et rehaussées à dire d’expert (à partir des informations topographiques) sur certains secteurs jugés trop restreints. Cette première cartographie ne s’appuyait ni sur les caractéristiques et incertitudes du cyclone, ni sur une quelconque modélisation de la submersion, mais sur des documents de prévention adaptés et détournés en outil d’aide à la gestion de crise. Par ailleurs, des modélisations sur la profondeur de l’impact potentiel des houles générées par Irma sur les communes du nord de la Guadeloupe ont été réalisées au pied levé à partir des prévisions marines et fournies aux autorités. Ces modélisations étant réalisées sur des profils pour des raisons de temps de calcul, les résultats n’ont que peu été exploités, car leur portée visuelle et pédagogique était limitée. Par la suite, les mises à jour successives des

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diagnostics fournis pendant l’ensemble de la séquence cyclonique sur les trois territoires (Guadeloupe, Martinique, Saint-Martin) ont été réalisés de manière très « macro » en ciblant les communes exposées et en qualifiant l’importance des impacts attendus par expertise au regard de l’évolution des prévisions météo-marines.

22 La réponse opérationnelle des Préfectures bien que fondée sur un diagnostic « dégradé » des zones exposées, fut robuste et efficace (très peu de perte humaine). Il y a cependant lieu de s’interroger sur les raisons sous-tendant le manque d’anticipation à froid avec l’absence de cartographies dédiées à la gestion de crise qui auraient facilité : - l’élaboration puis la mise en œuvre d’une planification « robuste » et « adaptative » permettant de pondérer les zones exposées et les évacuations nécessaires et suffisantes en fonction de la trajectoire prévue et de son évolution au gré des réseaux de prévision et - la construction, en conduite, d’une « common operational picture » (COP) partagée entre les différents niveaux du dispositif ORSEC.

23 Une question fondamentale qui se pose au travers de cet exemple est l’appréhension et la gestion des incertitudes liées à l’évolution de la trajectoire et des caractéristiques des cyclones au regard de la gestion spatiale et temporelle des évacuations qui devraient être anticipées dans un délai raisonnable avant l’impact (Hoss et Fischbcek, 2016). Comment les utilisateurs d’une cartographie évolutive des risques prennent-ils des décisions avec des informations incertaines ? Cette prise de décision implique en théorie de pondérer les scénarios possibles, leurs probabilités relatives, les avantages et les bénéfices de telle ou telle prise de actions, ainsi que la manière dont les décisions précoces pourraient être mises à mal lors de l’évolution d’une prévision ou de caractéristiques de l’événement en cours. Les retours d’expérience et les résultats d’expérimentations sont pour le moins contrastés entre les tenants du « plus d’information génère de meilleures décisions » (Wickens et al., 2000 ; Joslyn et al. 2007 ; Roulston et Kaplan, 2009 ; Mu et al., 2018) et ceux qui au contraire soulignent que pour prendre des décisions rapides la complexité de l’information doit être réduite (Jacoby et al. 1974 ; Doksaeter Sivle et Kolstø, 2016). Ainsi, l’anticipation et les décisions qui en découlent pourraient être significativement affectées d’une part par la richesse de l’information délivrée ainsi que par son format. Au regard de la gestion des évacuations lors de la séquence Irma-José-Maria, il peut être souligné que, au-delà de la connaissance locale du territoire et la mémoire des événements passés, les cartographies et informations macro sur les secteurs exposés à la submersion marine pour l’événement en cours, pourtant dénuées de toute information quantitative sur les incertitudes afférentes, ont été jugées pédagogiques et efficientes par le SIDPC (communication personnelle) comme support de communication entre la préfecture et les communes. Et de s’interroger : est-ce que la fourniture d’informations complémentaires sur les probabilités et les incertitudes auraient modifié significativement, et dans quel sens, les décisions qui ont été prises lors de la séquence cyclonique ? La réponse ne saurait être univoque tant elle dépend du profil psychologique et de l’expérience des individus qui réceptionneront, interprèteront ces informations scientifiques sur lesquelles ils fonderont des décisions (eg. Dash et Gladwin, 2007 ; Sherman-Morris, 2013). On soulignera cependant, dès lors que le diagnostic scientifique est enrichi, l’absolue nécessité d’un accompagnement pédagogique du gestionnaire de crise pour qu’il « voit », « mesure » et « anticipe »

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l’impact de ces probabilités et incertitudes sur ses futures prises de décisions opérationnelles.

24 Ces quelques points de tension relevés en salle de crise et à travers l’expérience d’un opérateur d’État ne sont pas exhaustifs et n’ont pas vocation à illustrer ou expliquer toutes les lacunes d’un processus classique d’anticipation. Mais ils soulèvent en creux la question des conditions de production de l’anticipation : a-t-on besoin de connaissance et d’informations précises pour anticiper ? Assumer les limites de la connaissance, une pluralité de visions et de cultures, n’est-ce pas justement l’essence même de la fonction anticipation ? Et n’est-ce pas justement ce qui est attendu pour éclairer et servir efficacement un processus de prise de décision ?

Passer du couple anticipation/décision au continuum anticipation/décision

25 Revenons dès lors à la discussion théorique à la lumière de ces deux études de cas et examinons ce qu’elles permettent de mettre en évidence.

26 Tout d’abord, il semble que la polysémie de la notion d’anticipation soit totalement absorbée dans les pratiques des acteurs. En effet, les différents acteurs de la gestion de crise ne s’accordent pas, selon leur culture ministérielle, sur la temporalité qu’ils y associent. En d’autres mots, les deux études de cas montrent bien que les uns parlent d’anticipation de planification, alors que d’autres parlent d’anticipation opérationnelle, et d’autres d’anticipation stratégique (November et Gueben-Venière, 2019). Ces différentes temporalités compliquent singulièrement la construction de la Common Operational Picture (COP) et exacerbent les tensions pouvant naître au moment de la prise de décision en situation d’incertitude et/ou d’événement extrême. De plus, les situations d’incertitude sont caractérisées par des prises de décision itératives, « une série de rendez-vous » plutôt qu’une décision unique, une fois pour toute, comme Callon et al. l’ont montré (2001). C’est bien l’idée aussi de la planification « répétée » (Yang et al., 2019). Des temporalités diverses se juxtaposent, comme nous l’avons montré dans nos deux études de cas.

27 Le temps apparait donc bien comme un élément structurant et critique de la démarche anticipative dynamique et adaptative. Dans un tel contexte, et au-delà des dysfonctionnements éventuels du processus critique de la remontée d’informations, on ne saurait perdre de vue que toute information a « une durée de vie utile » finie correspondant au délai pendant lequel la donnée/l’information peut être considérée comme « stable » (Wybo, 2013). Au demeurant, cette « durée de vie utile » doit être mise en parallèle avec l’aptitude de la personne ou de l’organisation à reconnaitre et (re)qualifier l’information lui parvenant puis à s’adapter rapidement à ces temporalités exogènes pour anticiper et décider. Par ailleurs, Ballard et al. (2008) ont démontré l’existence de rythmes endogènes aux dynamiques de groupe (temporalité « epochal ») s’adaptant aux stimuli externes puissants tant pour l’amplitude, la phase et la fréquence, créant un ordonnancement temporel régissant naturellement les travaux collectifs (Ballard et al., 2008). Enfin, Nuttin (1980) souligne le caractère dynamique de la démarche anticipative, qui ne se contente pas de retraiter les informations à disposition mais les structure dans une dynamique temporelle « constituée par la ligne qui relie en pensée ces objets placés à des distances différentes de l’ici et maintenant ».

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Ainsi, lors de la crise cyclonique Irma-José-Maria, la juxtaposition de l’ensemble de ces temporalités (exogènes, endogènes, et celle qu’on peut qualifier de « planificative »), associée à la multiplicité des cellules de crise (niveaux ORSEC et quadrillage territorial), ainsi qu’aux différentes acceptions de « l’anticipation » ont conduit à un foisonnement de couples « anticipation/décision » morcelés ayant pu générer quelques dissonances.

28 Enfin, il semble aussi que l’une des difficultés à la mise en œuvre effective de la fonction « anticipation » lors de la séquence Irma-José-Maria trouve son origine dans la co- existence de cadres de référence différents : d’une part la gestion des crises pour lequel le ministère de l’Intérieur est compétent et, d’autre part, la gestion des risques relevant du ministère en charge de l’Écologie. En effet, la gestion des risques, fondée sur l’objectivisation des risques, est caractérisée par un ensemble de mesures structurelles et non structurelles visant à prévenir les catastrophes et à en atténuer les impacts avant, pendant et après l’occurrence de l’aléa (Khan et al., 2008 ; Jong et Brink, 2015 ; March, 2016). Cette conception globale, dont l’adoption du United Nations Framework for Action de Sendaï (2015) a permis le développement, vise à accroître la résilience globale des territoires et des collectivités. Résolument proactive, cette approche contraste avec la gestion des crises qui est par nature, réactive dans la mesure où c’est la situation « ici et maintenant » qui dicte l’action (Rosenthal et Kouzmin, 1997 ; Boin et Lagadec, 2000 ; Fu et al., 2013 ; Finnessey et al., 2015). Elle repose sur une planification d’urgence mise en œuvre par des professionnels de la crise aguerris (Nourani et al., 2011 ; Fu et al., 2013) ; en France, c’est le dispositif ORSEC. Le couple anticipation/ décision est donc là aussi mis en difficulté et plaide pour une compréhension du duo anticipation-prise de décision en termes de continuum.

29 Penser en termes de continuum est cohérent avec le récent glissement du paradigme « gestion des crises » vers « gestion des risques », qu’on peut dater de la fin du XXe siècle. Il fut bien souvent accéléré par l’occurrence de catastrophe de grande ampleur ayant sévèrement affecté les territoires, preuve indirecte des limitations d’une logique fondée par trop exclusivement sur la « gestion des crises » et ayant montré ses limites (Crowell et al., 2007 ; Brody et al., 2009 ; Heintz et al., 2012 ; Chadenas et al. 2014 ; Ollerenshaw et al., 2016). Ce sont des événements catastrophiques (les « focusing events » de Birkland, 1998), comme l’ouragan Katrina en 2005 aux États-Unis, qui ont promut une vision plus globale des risques. En France, la tempête Xynthia en 2010 a contribué à l’identification de la non-intégration des deux paradigmes et à l’évaluation de la réglementation et des dispositions institutionnelles françaises, ayant par la suite conduit à une réglementation plus stricte et à un meilleur contrôle des parties prenantes (Chadenas et al., 2014).

30 Cependant, la séquence cyclonique de 2017, comme d’autre catastrophes (Penning- Rowsell et al. 2006 ; Innocenti et Albrito, 2011 ; March, 2016) montre que ce glissement n’est pas encore pleinement abouti. De fait, en cas de catastrophe imminente en France, on « active » le dispositif ORSEC : cette gestion de l’urgence est mise en œuvre dès lors que les mesures préventives sont « dépassées » par l’aléa en cours, permettant ainsi d’« absorber » l’impact de l’événement tandis que le retour à la normale ferait appel aux mécanismes assurantiels (Barraque, 2017). Il apparait donc légitime de s’interroger dans quelle mesure les difficultés constatées en matière d’anticipation pour la sortie de crise, comme pour le relèvement des territoires antillais lors de la séquence cyclonique Irma-José-Maria, ne seraient pas une conséquence de cette bascule de paradigmes non intégrés. C’est là que penser le couple anticipation/décision comme un continuum

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prendrait toute sa pertinence en intégrant la temporalité « planificative » comme une composante inhérente.

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NOTES

1. Le BRGM Guadeloupe a été sollicité par la préfecture cinq jours avant l’arrivée du cyclone. Le ministère de l’Intérieur a sollicité le centre technique d’Orléans le lundi suivant, soit deux jours avant le passage sur Saint-Martin.

RÉSUMÉS

L’anticipation et la prise de décision en situation de crise font l’objet de nombreuses études qui mettent en avant la polysémie de ces notions ainsi que les difficultés régulièrement rencontrés lors de leur mise en œuvre (contexte d’incertitude, format et circulation de l’information, perceptions différentes de la situation entre les acteurs et les échelles géographiques, etc.). À travers deux études de cas situées pendant la crise Irma-José-Maria, l’une observée en CIC, au niveau interministériel, et l’autre vécue par un opérateur de l’État, au niveau territorial, cet article illustre ces obstacles et souligne la fragmentation du couple anticipation/décision dans la pratique des différents niveaux ORSEC. Il apparaît en effet que l’absence d’une vision partagée au

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sein et entre les cellules de crise sur la nature, l’horizon temporel et le cadre méthodologique de la fonction anticipation ont été autant d’entraves à sa mise en œuvre effective pendant la séquence cyclonique. Cette situation trouve notamment son origine dans la co-existence de cultures ministérielles différentes de l’anticipation. Le temps apparaissant comme un élément structurant et critique d’une démarche anticipative adaptative et partagée, les auteurs plaident pour une compréhension du couple anticipation/prise de décision en termes de continuum, assumant la pluralité des cultures et intégrant l’ensemble des temporalités.

Anticipation and decision-making in crisis situations are subject of numerous studies that highlight the polysemy of these concepts as well as the difficulties regularly encountered during their implementation (context of uncertainty, format and circulation of information, different perceptions of the situation between actors and geographical scales, etc.). Through two case studies located during the Irma-José-Maria crisis, one observed in the National French Crisis Center and the other experienced by a government operator, at a more regional level, this article illustrates these obstacles and highlights the fragmentation of the anticipation/decision couple in the practice of the different ORSEC levels. It appears that the lack of a shared vision within and between the crisis units on the nature, time horizon and methodological framework of the anticipation function were as many obstacles to its effective implementation during the cyclone sequence. This situation is due in particular to the co-existence of different ministerial cultures of anticipation. As time appears to be a structuring and critical element of an adaptive and shared anticipatory approach, the authors argue for an understanding of the anticipation/ decision-making relationship in terms of a continuum, assuming the plurality of cultures and integrating all temporalities.

INDEX

Keywords : hurricane, Irma-Jose-Maria, uncertainty, resilience, crisis management Mots-clés : cyclone, Irma-José-Maria, incertitude, résilience, gestion de crise Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

VALÉRIE NOVEMBER Valérie November, [email protected], est directrice de recherche au CNRS, et membre du Laboratoire Techniques, Territoires et Société (LATTS). Elle a notamment publié : - November V., Leanza Y., 2015. Risk, Disaster and Crisis Reduction. Mobilizing, Collecting and Sharing Information. Springer International Publishing, 184 p. - November V., Créton-Cazanave L. (dir.) (2017). La gestion de crise à l'épreuve de l'exercice EU SEQUANA. La Documentation Française, 237 p. - November V., 2019. What does ‘mapping risks‘ mean in a risk society? Risques urbains, vol. 3, n° 1. DOI: https://doi.org/10.21494/ISTE.OP.2019.0417

ALICE AZÉMAR Alice Azémar, [email protected], est ingénieur de recherche au Laboratoire Techniques, Territoires et Société (LATTS).

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SOPHIE LECACHEUX Sophie Lecacheux, [email protected], est ingénieur au BRGM (Orléans, France). Elle a notamment publié : - Rohmer J., Lecacheux S., Pedreros R. et al., 2016. Dynamic parameter sensitivity in numerical modeling of cyclone-induced waves: a multi-look approach using advanced meta-modelling techniques. Natural Hazards, vol. 84, n° 3, p. 1765-1792. - Lecacheux S., Bonnardot F., Paris F. et al., 2018. Probabilistic Forecast of Coastal Waves for Flood Warning Applications at Reunion Island (Indian Ocean). Journal of Coastal Research [En ligne], n° 85 p. 776-780. DOI : https://doi.org/10.2112/SI85-156.1 - Lecacheux S., Paris F., Pedreros R. et al., 2019. A framework to design a GIS-based decision support tool for cyclone-induced marine flooding emergency management at Reunion Island. In International conference SimHydro 2019, 12-14 June 2019, Sophia Antipolis.

THIERRY WINTER Thierry Winter, [email protected], est chercheur au BRGM (Orléans, France). Il a notamment publié : - Cun C., Ait Habouche K., Bonnamour M.C. et al., 2016. Anticiper ou disparaître ? Mémoire INHESJ sur la fonction Anticipation dans la gestion des crises, 72p. - Winter T., 2016. Le séisme de Lisbonne de 1755 : une crise « hors-cadre » ?, LIREC, n° 49, p. 26-32. https://inhesj.fr/sites/default/files/publications/files/2019-12/lirec-49.pdf - Winter T., Auclair S., Bouchon M. et al., 2016. Manual for post-earthquake rebuilding in Nepalese valleys. AFPS Publication. http://www.afps-seisme.org/PUBLI/Guides-techniques/Guide- Technique-Reconstruction-parasismique-au-Nepal-2016

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Face au cyclone Irma ! Le rôle des populations dans la gestion de la crise à Saint-Martin (Petites Antilles, îles du Nord)

Stéphanie Defossez et Monique Gherardi

Les auteurs remercient chaleureusement la population de Saint-Martin pour son accueil enthousiaste, bienveillant et attentionné et en particulier les personnes qui ont acceptées de partager leur expérience et rendues possible cette recherche. Cette recherche a été cofinancée par les projets PO FEDER C3AF (Changement Climatique et Conséquences sur les Antilles Françaises) et ANR TIREX (Transfert des apprentIssages de Retours d’EXpériences scientifiques pour le renforcement des capacités de réponse et d’adaptation individuelles et collectives dans un contexte de changement climatique (Petites Antilles du Nord, saison cyclonique 2017).

Introduction

1 L’ouvrage de P. Lagadec (1991) intitulé La gestion des crises : outil de réflexion à l’usage des décideurs renvoie à une perception généralisée, qui ne peut être niée, selon laquelle la gestion de crise repose essentiellement sur des directives et actions institutionnelles. Mais lors d’événements « anticipés », comme peuvent l’être les cyclones, la gestion se joue également à l’échelle individuelle, du ménage, des proches ou de la communauté (Pelling et Uitto, 2001 ; McManara et al., 2014). Ainsi, même si des recommandations, des consignes ou encore une éducation au risque participent aux comportements des populations face aux crises, des facteurs personnels comme le vécu, les contextes culturels ou sociologiques, contribuent à l’implication des populations dans la gestion (Campbell, 2009 ; Weiss et al., 2010). Les relations entre gestion institutionnelle et individuelle méritent d’être analysées, même si elles laissent plutôt entrevoir a priori une juxtaposition somme toute hermétique. Elles sont ici analysées sous l’angle d’un retour d’expérience scientifique. Le retour d’expérience (RETEX) recouvre le champ de l’événement dans son ensemble (intensité, cinématique, estimation des désordres et

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dommages, gestion de crise, etc.) nécessaire à la remise en contexte. Il ne s’agit pas seulement d’analyser l’événement et la gestion, il représente un véritable « processus d’acquisition de connaissances et d’apprentissage » (Wybo, 2009, p. 1) et a vocation à participer aux transferts des apprentissages entre les acteurs (chercheurs, institutions, organismes privés, médias, citoyens, etc.). De plus, la gestion de crise et la gestion du risque en général sont évaluées de manière à identifier les blocages et les difficultés (comportementaux, techniques, financiers, etc.) mais aussi les éléments positifs de la gestion en vue de tirer des leçons pour faire face à un prochain événement (Barthélémy et al., 1999 ; Huet, 2005 ; Leone, 2007). Le RETEX répond le plus souvent à une démarche institutionnelle menée dans la phase d’urgence post-crise. Nous proposons ici, dans le cadre d’un projet de recherche (TIREX1), un retour d’expérience scientifique pour tenter d’apporter une complémentarité des points de vue en intégrant celui des populations, assez lacunaire dans les RETEX (Goutx, 2012). En effet le témoignage des populations représente, selon nous, un apport essentiel. Le RETEX du cyclone Lenny (1999) a notamment révélé une véritable composante psychosociologique à la gestion de crise (Sarant et al., 2003). Face aux événements de la vie (qu’il s’agisse ou non de risques naturels), de manière générale, l’individu participe activement avec l’objectif de faire face. Cette participation fait référence aux stratégies d’ajustements ou coping, « notion introduite pour rendre compte à la fois des dispositions personnelles stables (ressources) et des modalités comportementales effectivement à l'œuvre dans différentes situations de stress (réponses) » tenant en « une transaction entre l’individu et l’environnement » (Paulhan, 1992, p. 548). A travers cette démarche, l’échange avec les populations (mais aussi plus globalement avec tous les acteurs) se veut multilatéral avec des transferts de connaissances qui servent à la réflexion et à l’analyse plus générale inhérente aux RETEX. Les approches qualitatives, telles que les entretiens approfondis et les observations, sont des outils jugés utiles pour comprendre les réactions des populations et l'impact d'une catastrophe (Quarantelli, 2002). Canavesio et al., (2014, p. 396) situent la réaction post-crise à deux niveaux, « celui de l’administration et celui des particuliers qui procèdent de logiques parfois contraires ». Ce constat s’élargit à la gestion ante crise dont les mécanismes relèvent selon nous de ces mêmes niveaux : des initiatives individuelles et des actions institutionnelles (collectives).

2 Cet article interroge la gestion individuelle et les processus et mécanismes de préparation face à un phénomène extrême dont on connait les principales manifestations (vent, pluies) mais dont l’intensité et l’ampleur ne sont pas prévisibles avec précision. Quels mécanismes individuels déclenchés ou non à l’approche du cyclone Irma ? Quels comportements pendant et immédiatement après le passage du cyclone ? Les mécanismes (anticipation, préparation, protection) peuvent-ils émaner exclusivement des populations ou s’intègrent-ils forcément dans des processus collectifs ? Les premiers éléments de cet article servent la remise en contexte de l’exposition du territoire aux risques cycloniques (dont Irma) ainsi qu’une caractérisation des facteurs de vulnérabilités du territoire. Une partie est consacrée à la méthodologie fondée sur des échanges avec les populations grâce à des entretiens. Enfin l’analyse des échanges avec les populations présentées selon la chronologie avant, pendant et après la crise (ici considérée le passage du cyclone) permet de faire ressortir les principales implications ou non implication individuelle. Cet article relate les résultats préliminaires d’un retour d’expérience scientifique engagé sur le long terme dans le projet ANR TIREX.

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Saint-Martin face aux cyclones

Dans l’œil du cyclone

3 La saison cyclonique 2017 en Atlantique Nord se démarque par une multitude d’événements dont six ouragans majeurs (illustration 1). C’est une configuration rare mais non exceptionnelle (Météo France, 2017) notamment si l’on s’en réfère au recensement des tempêtes et cyclones qui ont traversés le bassin des Caraïbes depuis le XVIIe siècle (Desarthe, 2014). Au cours du XXe siècle, les îles du Nord (Saint-Martin et Saint-Barthélemy), exposées aux trajectoires des cyclones majeurs ont été frappées par deux cyclones de catégorie 4, Donna en 1960 puis Luis le 5 septembre 1995, dernier événement marquant.

Illustration 1 - Les six ouragans majeurs de la saison cyclonique 2017 (Atlantique Nord, mer des Caraïbes, golfe du Mexique)

Source : Météo France, 2017 ; https://www.accuweather.com/en/hurricane/atlantic.

4 La tempête tropicale Irma naît le 30 août 2017 au large du Cap Vert puis se renforce jusqu’au 5 septembre évoluant en cyclone de catégorie 5 à l’approche des Petites Antilles. Irma frappe les îles du Nord (Saint-Barthélemy et Saint-Martin) dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, puis Barbuda, Anguilla, les Îles Vierges et Cuba, les jours suivants. Les vents moyens estimés2 atteignent 290-295 km/h. La pression atmosphérique mesurée à Saint-Barthélemy est descendue à 916 hPa provoquant des surcotes estimées à 3 m dans les baies exposées au nord de Saint-Martin et des vagues modélisées ayant atteint jusqu’à 6 m à Saint-Martin (Météo France, 2017 ; Rey et al., 2019). Les enjeux fonctionnels et matériels, publics et privés, individuels ou collectifs de l’île, ont été presque totalement détruits ou endommagés (95 %)3. L’estimation des dommages assurés s’élève à près de deux milliards d’euros4. Le cyclone a entraîné la mort de 11 personnes. Quelques heures après la fin de l’événement, l’annonce d’un nouveau cyclone José et quelques jours plus tard le cyclone Maria, viennent perturber la gestion post-crise (réhabilitation des réseaux ou encore le ravitaillement). Les cyclones José et Maria épargneront Saint-Martin et Saint-Barthélemy mais révèleront l’exposition du territoire aux risques cycloniques, territoire dont les caractéristiques géomorphologiques, sociodémographiques, économiques, politico-administratives, culturelles, reflètent les vulnérabilités.

Un territoire exposé et vulnérable

5 L’île, dont l’occupation humaine s’amorce au cours du 17ème siècle, se compose de deux unités administratives : Sint Maarten (État d’outre-mer néerlandais) au sud et

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Saint-Martin (Collectivité territoriale française depuis 2007) au nord, objet de cet article (illustration 2). L’intérieur de l’île est escarpé et montagneux avec comme point culminant le Pic Paradis (424 m). Au pied des mornes, s’étendent des zones littorales planes et basses, urbanisées et dont la toponymie (Terres basses, Sandy Ground, Marigot, …) fait écho à une exposition et à une vulnérabilité a priori aux éléments marins. L’ouest de l’île notamment, caractérisé par un double tombolo, présente un lido très urbanisé. L’urbanisation de l’île, considérée comme « mal maîtrisée », s’est amorcée dans les années 1970 (COM Saint-Martin, 2015) empiétant la zone des 50 pas géométriques, avec en partie des constructions précaires (vulnérables) comme à Sandy Ground par exemple. Le réseau routier, avec une route principale faisant le tour de l’île, participe à la vulnérabilité fonctionnelle du territoire.

Illustration 2 - Localisation de l’île de Saint-Martin

6 Le territoire reste marqué par de fortes disparités socio-économiques que l’on retrouve dans l’arc antillais (Audebert, 2011). La mono activité touristique rend vulnérable économiquement le territoire qui affiche par ailleurs un taux de chômage déclaré de 33 %5 (Insee, 2016). La croissance démographique découle surtout de flux migratoires jusqu’à la fin des années 2000 (17 % pour la période 1982-90, Insee, 2016). La population immigrée représente plus de 30 % des habitants de l’île (Insee, 2016), apportant des influences culturelles diverses (caribéennes, européennes, américaines) sur fond d’identité saint-martinoise (Redon, 2006), dominée économiquement par les métropolitains (Duvat, 2008). D’un point de vue politico-administratif, le constat mené depuis l’accession au statut de collectivité en 2007, rend compte des difficultés effectives sur le territoire. Le cyclone Irma a dégradé plus encore la situation. Par exemple, l’activité touristique en a largement souffert ; peu d’hébergement touristique était remis en état pour la saison touristique 2017-2018 (novembre-avril) (source : terrain octobre 2017) et seulement la moitié environ pour la saison 2018-2019 (source COM Saint-Martin)6. Saint-Martin présente des facteurs de vulnérabilité forte qu’ils

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soient physiques, politico-administratifs ou socio-économiques (Duvat, 2008) même si elle reste une île attractive avec un PIB par habitant estimé parmi les dix plus élevés de la zone Caraïbe7.

Recueillir le vécu des populations : des échanges privilégiés

7 La gestion ante crise s’organise sur des consignes ou recommandations institutionnelles (par exemple la vigilance météo) mais également sur des facteurs individuels comme le vécu, les recommandations et « le bon sens ». Cette dimension individuelle a guidé notre recherche en gardant à l’esprit l’imbrication des différentes échelles de prises de décision. L’objectif principal a consisté à recueillir les connaissances, la conscience du risque mais aussi le degré d’implication des populations dans la préparation à la crise afin de montrer la prise de responsabilité individuelle. Trois idées directrices ont guidé la démarche méthodologique : 1) La population (échelle individuelle) est actrice de la préparation à la gestion de crise (protection du logement, réserves de nourritures, etc.) et n’est pas exclusivement dépendante de la préparation à la gestion de crise collective (institutionnelle). 2) La préparation s’appuie sur des recommandations officielles mais aussi sur l’expérience personnelle ou la transmission vernaculaire, ainsi que sur la perception de l’intensité du phénomène à venir. 3) La phase d’urgence ne dépend plus de mécanismes individuels et repose sur des processus collectifs.

8 La méthodologie RETEX privilégie les entretiens semi-directifs (Wybo et al., 2003), lesquels ont été conduits auprès des populations de Saint-Martin. L’analyse du vécu inscrit dans les temporalités : avant, pendant et après. Concernant la dernière phase, le choix a été fait de se concentrer sur du court terme (quelques mois), même s’il est entendu que la reconstruction post-catastrophe s’étend sur du long terme. Les facteurs d’anticipation relèvent de divers facteurs comme la perception de l’événement (sous ou surestimé) ou le vécu, mais ils sont également révélateurs de vulnérabilités sociales. Cette approche de sciences sociales s’inspire de méthodes d’ethnographie (Abrial et al. 2011) dans l’objectif de « rendre la parole aux humbles » (Beaud et Weber, 2010, p. 6). Des entretiens semi-directifs ont été menés mais avec la volonté de les articuler comme des entretiens narratifs empreints du récit de vie (Bertaux, 2016, p. 40) mais focalisés sur le vécu, somme toute des récits du vécu. Le fait de laisser la parole libre permet non seulement de recueillir des informations sur l’événement, mais renseigne au moins en partie sur les conditions sociales de la personne interrogée (absence de véhicule et santé fragile ne permettant pas un déplacement par exemple) et les cognitions sociales. Au départ, la méthodologie d’enquête s’est construite autour de questionnaires (approche quantitative) mais les premiers échanges l’ont réorienté vers des entretiens semi-directifs voire narratifs (surtout lors de notre seconde mission de terrain) tant les habitants ont exprimé le besoin de se raconter. L’enquête s’est déroulée dans plusieurs quartiers de Saint-Martin8 (illustration 3). Les premières rencontres 9 ont eu lieu quelques semaines après le passage du cyclone Irma en octobre 2017, puis en mai 2018. Lors de la première mission de terrain, de nombreux entretiens ont été réalisés à Grand-Case. En effet, grâce aux réouvertures rapides de certains commerces (les lolos10), les habitants des différents quartiers de l’île s’y retrouvaient.

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Illustration 3 - Quartiers de résidence des personnes interrogées

9 Lors de la seconde mission de terrain, de nouvelles personnes ont été contactées (avec la même grille d’entretien), tout en poursuivant les échanges avec les premières personnes rencontrées lors de la 1ère visite. Ces deux phases avaient le même objectif à savoir analyser le vécu du cyclone.11 Au total, 102 personnes ont participé à l’enquête, rencontrées sur place sans contact préalable (la seule condition étant d’avoir vécu le cyclone)12. De nombreuses personnes occupaient les espaces extérieurs (cour, devant de l’habitation), ce qui a facilité les prises de contact. De plus, notre présence quotidienne a favorisé les rencontres répétitives et donné l’occasion d’être abordées par la population curieuse de connaître les raisons de notre présence, ce qui relève de l’interconnaissance (Beaud et Weber, 2010). Cette démarche a l’avantage de ne pas contraindre les interrogés, mais bien d’échanger avec leur consentement. Les entretiens ont été menés en binôme, une personne s’entretenait avec l’interrogé tandis que l’autre se chargeait de la retranscription. Les entretiens ont duré entre 30 minutes et 2h30. La langue officielle de Saint Martin, le français, reste majoritaire dans les entretiens menés sur l’île. Cependant quelques entretiens se sont déroulés en anglais et des échanges en créole ont été traduits par des habitants, ceux-ci sont traités indépendamment afin de se libérer des biais de traduction.

10 L’accueil a été très favorable, avec un taux de retour proche de 100 % (4 personnes n’ont pas souhaité s’exprimer) avec une répartition quasi égale entre hommes et femmes (adultes). L’île de Saint-Martin est peuplée de natifs de Saint-Martin, de métropolitains et d’immigrés, l’échantillon couvre l’ensemble de ces populations. Sur le total des interrogés, trente se situent dans la frange littorale exposée à la houle cyclonique.

11 Les temporalités de la crise ont guidé l’entretien. La thématique générale sur le vécu et la préparation aux cyclones, et au cyclone Irma en particulier, s’est articulée autour des trois temps de la crise. Des relances étaient définies sur la base d’entretien semi-directif

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(illustration 4), mais avec le moins possible d’intervention des enquêteurs dans l’objectif de laisser le sujet s’exprimer. Cette grille a parfois guidé les interrogés mais spontanément les sujets étaient évoqués. L’entretien était introduit par une phrase générale « racontez-nous comment vous avez vécu le cyclone, avant-pendant-après ».

Illustration 4 - Grille d’entretien à l’intention des populations de Saint-Martin

12 Les résultats ne prétendent pas à l’exhaustivité et à la généralité mais servent à énoncer des résultats factuels dans la perspective de comprendre les mécanismes d’anticipation et les réactions des populations face à une crise. Même si les populations restent au cœur de l’enquête, le prisme institutionnel n’est jamais totalement évincé puisqu’il s’exprime (parfois) à travers les récits des populations.

Le cyclone Irma vécu par les populations de Saint- Martin

13 L’analyse des entretiens montre que la préparation avant le cyclone et les comportements adoptés pendant le cyclone sont influencés par des facteurs personnels (vécu, tempérament, connaissances, capacités, etc.) laissant plus de place aux réflexes ou attitudes personnels. Cependant ces derniers sont influencés par l’expérience d’événements cycloniques, du ressenti ainsi que des recommandations sur les conduites à tenir qu’elles soient officielles (provenant de la collectivité ou de de la préfecture) ou officieuses (transmission familiale). Face à l’événement (passage du cyclone), l’individu ou le foyer agit en fonction de ses propres décisions, comme par exemple ne pas se rendre dans un abri sûr alors que c’est conseillé. Par contre, le libre arbitre et la place des populations s’amenuisent après l’événement.

Des mécanismes d’anticipation individuels dans une dimension collective institutionnelle

Connaissance et vecteurs d’informations

14 La partie de l’entretien centrée sur la phase qui précède le cyclone a cherché à déterminer l’anticipation du phénomène à partir des connaissances des cyclones, des consignes de vigilance et de l’expérience (vécue ou transmise). La temporalité de l’avant crise couvre surtout les jours et heures avant le cyclone Irma, mais s’étend également à toute la période cyclonique. Les résultats des entretiens ont montré une

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population qui déclare s’informer dès le début de la saison cyclonique avec un suivi régulier des vigilances météorologiques plusieurs fois par jour à l’approche du cyclone. Les sources d’informations consultées proviennent des différents médias (illustration 5) que les populations consultent durant les périodes cycloniques (avant Irma). Parmi les sources les plus consultées, les interrogés se sont principalement tournés vers des sites internet qu’ils qualifient de sites spécialisés (SXM cyclone ou Weather Channel) ainsi que les réseaux sociaux. Le réseau social Facebook permet notamment de faire le lien avec les institutions : par exemple les populations se sont largement renseignées sur la page Facebook de la préfecture. De plus, les échanges par SMS avec les proches, la famille et les amis alimentent les informations. Celles-ci ont circulé à l’échelle de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, des Antilles, mais aussi avec la métropole. « C’est ma famille de métropole qui m’a prévenu, là j’ai su que ce serait important » (X., quartier Hope Estate). L’île est empreinte de culture américaine, les interrogés se sont donc également tournés vers les chaînes de télévision et sites internet américains. Quelques personnes férues de navigation ont par ailleurs consulté des sites spécifiques de météo marine donnant des précisions sur les vitesses et directions des vents (Windy ou Windguru par exemple). La radio et la télévision représentent les sources privilégiées (respectivement 27 et 24 personnes) puis suivent les sites internet (17 personnes), Facebook (11 réponses) et la presse locale (6 réponses).

Illustration 5 - Type et provenance des sources d’information

15 Le dernier vecteur d’informations concerné est une intervention directe par la police ou les gendarmes qui au plus proche du passage du cyclone (le 5 septembre dans l’après-midi) ont demandé aux populations vivant sur le littoral d’évacuer.

16 Ces informations (leur justesse et leur temporalité) conditionnent la préparation à la crise dont l’une des actions consiste à faire un choix entre « rester ou partir ». La consigne d’évacuer (notamment pour la frange littorale) a été très peu suivie par méfiance des abris sûrs et/ou la volonté de rester dans son logement même en se sachant exposé (en partie liée à l’attachement au bien et le sentiment de sécurité à rester chez soi). Cette constatation rejoint plus globalement le nombre très faible de personnes qui se sont rendues dans les abris sûrs officiels : trois personnes sur la totalité des 102 interrogés dont une personne qui a été transférée d’un abri (fermé par

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les autorités) dans un autre abri quelques heures avant l’arrivée du cyclone. La localisation de ces abris (illustration 6) est annoncée chaque année en début de saison cyclonique et rediffusée dès qu’un événement de haute énergie s’annonce. À l’approche d’Irma, le lundi 4 septembre la liste des neuf abris cycloniques a été diffusée aux populations par l’intermédiaire des différents médias (presse, radio, internet) ; deux abris supplémentaires ont été ajoutés le mardi 5 septembre pendant que trois autres estimés non fiables par les institutions ont été fermés alors qu’un des abris était déjà occupé par quelques personnes, lesquelles ont été transférées dans l’abri « la Savane ». Les populations interrogées connaissaient en majorité l’existence et la localisation de ces abris (voire leur capacité) mais n’y accordaient aucune confiance. La promiscuité et surtout l’absence de confiance dans la résistance face aux cyclones expliquent le faible nombre d’évacuations anticipées vers les abris. Cette méfiance et l’impression d’insécurité sont à mettre en relation avec l’événement de référence Luis, lequel avait endommagé parfois lourdement certains abris sûrs à nouveau affichés comme tels lors du cyclone Irma. À échelle de l’île (côté français), 366 personnes se sont rendues dans les abris sûrs avant l’arrivée du cyclone (la capacité totale des abris sûrs étant de 881 personnes). Le cyclone Irma est venu conforter leurs sentiments puisque certains abris ont été endommagés voire partiellement détruits (ils étaient heureusement inoccupés). À l’approche de la saison cyclonique 2018, aucun des interrogés n’envisageait de se rendre dans un abri sûr officiel en cas d’événement intense.

Illustration 6 - Localisation des abris sûrs officiels lors du passage du cyclone Irma

17 Ce qui ressort de cette phase est que sans alternative face à un événement intense, au passage du cyclone sur leur territoire, les populations se préparent à se confiner.

Une préparation liée à l’expérience

18 La phase de préparation permet d’anticiper matériellement l’arrivée du cyclone. Elle repose sur les consignes officielles transmises par les institutions, les amis ou les

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proches, mais aussi sur le vécu en référence à un événement marquant. « Les représentations de l’environnement et du risque reflètent une image subjective de la réalité ; formées à travers les valeurs sociales, elles influencent les attitudes et les comportements face au risque » (Weiss et al., 2003, p. 253 renvoyant à la référence de Slovic et al., 1982). À Saint-Martin, la vitesse de déplacement du cyclone Irma a fait évoluer les niveaux de vigilance très rapidement. Certains ont pris la mesure du phénomène seulement quelques heures avant l’arrivée d’Irma, diminuant alors les capacités d’anticipation. Les mêmes comportements avaient été identifiés après le cyclone Lenny (Sarant et al., 2003). La protection des habitations ainsi que la constitution de réserves d’eau et de nourriture ont débuté quelques jours avant Irma mais parfois, quelques heures avant. Certains ont regretté des réserves insuffisantes (quelques bouteilles d’eau seulement), incomplètes (oubli de piles ou de bougies), ou encore inadaptées (nourriture à cuisiner). D’autres évoquent également une préparation de dernière minute, principalement les interrogés qui n’avaient jamais vécu de cyclone. La préparation dépend des niveaux de vigilance mais aussi d’une construction mentale du phénomène ou d’un événement de référence « même si l’expérience tirée d’un événement ne renseigne que cet événement » (Goutx, 2012) et si, par ailleurs « l’information véhiculée […] est loin toutefois de revêtir tous les caractères de la vérité historique » (Cœur et Lang, 2000, p. 83). Pour Saint-Martin, l’événement de référence date de 1995, il s’agit du cyclone Luis (catégorie 4). Les entretiens ont montré que les populations ayant vécu ce cyclone ont fondé leur préparation sur ce souvenir. Les personnes interrogées ont évoqué Luis comme le plus « gros cyclone de catégorie 5 » qui a touché l’île. Cependant, Luis était un cyclone intense mais de catégorie 4 avec des vitesses de vents enregistrées inférieures à Irma (200 km/h). Le passage de Luis a duré plus longtemps mais il a surtout surpris par les dégâts côtiers liés à la houle cyclonique (D’Ercole et Dollfus, 1996). L’événement de référence surestimé ou oublié a participé à sous-estimer la préparation nécessaire face à Irma. « Heureusement » comme l’ont précisé les interrogés, le phénomène a duré moins longtemps (7 h environ contre 36 h pour Luis). L’image de Luis comme cyclone extrême est déconstruite par le cyclone Irma, celui-ci devenant l’événement de référence. Ceux qui n’avaient pas vécu Luis ou tout autre cyclone se sont référés aux récits des autres et aux consignes officielles. Les prévisions météorologiques présentées à la télévision quelques heures avant le passage du cyclone Irma ont particulièrement inquiété les populations tant le présentateur a paru « dépassé », « désemparé », « effrayé ». Toutefois ces inquiétudes n’ont pas contribué à une sur-préparation. Divers facteurs peuvent susciter un problème de sous-estimation du risque. Les travaux de Weiss et al. (2010) évoquent un équilibre entre la mémoire et l’oubli qui pourrait conduire à un manque de vigilance et de préparation chez les populations concernées. Mais aussi que « l’adoption ou non de stratégies individuelles de protection serait le résultat [de cette] double appréhension cognitive : lorsque l’individu juge l’événement à la fois menaçant et dépassant ses capacités de faire face, il fera l’expérience du stress ou de l’anxiété et les niveaux de préparation aux risques seront les plus faibles ». (Weiss et al., 2010, p. 255).

19 De manière générale, les populations possèdent une solide connaissance des cyclones, des consignes de vigilance et des comportements à adopter. Toutefois selon les interrogés l’intensité et l’ampleur du cyclone mais surtout l’évolution rapide de la situation météorologique a dépassé leur référentiel, ce à quoi ils étaient préparés. Malgré tout, la conscience (au sens de la connaissance d’être exposé aux aléas) du

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risque reste bien présente dans ce territoire insulaire. Cette phase de préparation laisse place au phénomène à proprement parler, le passage du cyclone.

L’individu au cœur de la gestion de crise

20 La vigilance « violette » de Météo-France s’accompagne d’un message informant l’imminence du phénomène et invite au confinement. Ainsi, le passage du cyclone a imposé les mécanismes de réponse individuelle. Les personnes interrogées ont montré une bonne connaissance des phénomènes naturels et ont identifié le début et la fin de l’événement grâce aux manifestations naturelles, principalement la force du vent et dans une moindre mesure les précipitations. Ils ont évoqué deux phases de vent (avec direction contraire) et de pluie avant et après le passage de l’œil du cyclone, synonyme d’accalmie.

21 Les résidents du littoral de Grand Case semblent avoir moins perçus les différentes phases du cyclone, notamment l’œil du cyclone imperceptible pour une dizaine d’interrogés (sur 30 personnes résidant sur la frange littorale). Les effets du cyclone restent très localisés. Le littoral subit en plus du vent et de la pluie l’impact de la surcote et des vagues. Quelques personnes ont apparenté la violence des vents à un séisme tant l’impression de mouvement de la maison était forte ; d’autres ont comparé la brutalité et la soudaineté des vagues à un tsunami. « C’était un tsunami, un tremblement de terre, une tornade en même temps » (S. quartier Grand-Case). Ces témoignages proviennent essentiellement de résidents du littoral dont le ressenti est singulier par rapport aux autres sujets, ce qui renvoie à l’exposition et à la vulnérabilité des populations littorales face aux cyclones. Face à ces manifestations naturelles (vent, vagues, pluies), la réaction unanime du confinement a prévalu, en majorité au domicile, parfois individuellement mais surtout à l’échelle du foyer ou en groupes de famille, amis, voisins. Ceux qui connaissaient le phénomène cyclonique sont sortis pendant l’œil du cyclone afin de consolider les barricades, se réfugier à l’étage inférieur ou encore accueillir des voisins en danger (notamment quand une partie du toit a été endommagée ou emportée). De nombreuses personnes ont dû se réfugier dans une pièce aveugle pendant plusieurs heures, terrorisées par les bruits et l’eau qui pénétrait « comme si un tuyau d’arrosage était glissé de l’autre côté de la porte » (A. quartier Agrément) et la dégradation visible de leur logement, comme le toit qui s’arrachait ou les vitres qui explosaient. Mais ce ressenti n’a pas représenté pour eux une difficulté mais plutôt un « passage obligé » face à un phénomène aussi intense. Beaucoup ont relativisé et même si le sentiment de peur a dominé, ils s’estiment « chanceux » par rapport à d’autres (« seulement » de l’endommagement matériel) et par conséquent aussi « chanceux » d’être en vie, puisque le bilan officiel du nombre de morts (11 morts) n’a pas convaincu l’ensemble des personnes interrogées. Peu ou pas de comportements dangereux ou inadaptés ont été relatés. La force du phénomène semble avoir de l’emprise sur les prises de décisions pendant le cyclone et pousse au confinement. Suite à la coupure de tout moyen de communication, la vigilance « grise » n’a pu être diffusée. La fin du passage du cyclone est perçue grâce au vent qui cesse mais aussi avec les bruits extérieurs entendus par les interrogés.

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Attentes et besoins individuels dans une gestion post-crise collective

22 La gestion de l’urgence et la réhabilitation fonctionnelle reposent sur des initiatives individuelles ainsi que sur les appuis institutionnels, associatifs et privés. Ainsi l’implication individuelle dans cette phase post-événement se voit contrainte par des mécanismes collectifs organisationnels eux-mêmes entravés par des événements extérieurs naturels et anthropiques.

Solidarité et pillage, les paradoxes de l’après crise

23 Le 6 septembre au matin, dès que le vent a cessé, les populations sont sorties de leur logement, constatant les dégâts et évoquant toutes un sentiment de désolation. Tout de suite après, des processus de solidarité se sont mis en place avec toutefois des paradoxes, au moins sur la temporalité. La majorité des personnes interrogées ont parlé de solidarité entre voisins notamment avec des restaurateurs qui ont partagé leur stock de nourriture, ainsi que des aides depuis la Guadeloupe, la Martinique et la métropole. Mais nombreux ont aussi été surpris du chacun pour soi et des retournements de situation : « le 1er pilleur, c’est ton voisin » (G., quartier Baie Nettlé). Ainsi la solidarité entre voisins largement évoquée, est nuancée par de nombreux vols constatés dans les maisons et à plus large échelle dans les magasins13, quelques jours à quelques semaines après Irma.

24 Les populations se sont organisées à l’échelle d’un quartier ou de quelques maisons, mais étaient également, en attente des aides extérieures de la Collectivité qui a été perçue comme « absente », « non réactive », « non préparée » et de l’État « qui a mis du temps à réagir ». En effet, les routes étaient difficilement praticables, les réserves d’eau et de nourriture insuffisantes pour certains, les réseaux d’eau, d’électricité et de téléphone coupés pour tous. La solidarité a concerné les premières nécessités (se nourrir, se loger même temporairement) ainsi que la phase de nettoyage pour les déchets (Vinet et al., 2020) qui s’accumulaient dans les rues, en attendant l’organisation de la collecte collective.

25 Mais quelques heures après le passage d’Irma, deux événements sont venus perturber toute la chaîne d’organisation et de gestion de crise. D’une part, quelques heures à peine après le passage d’Irma, le cyclone José a été annoncé. Malgré les communications impossibles à échelle de l’île, les populations ont été informées de manière informelle ; d’autre part, les pillages, les vols, l’insécurité, sont venus supplanter dans les esprits l’impact du cyclone. En effet, beaucoup ont considéré que les pillages ont fait plus de mal que le cyclone, « les pillages ont été un second cyclone » (X, quartier Grand Case). Les habitants ont insisté sur la préméditation des pillages à l’instar d’une organisation dès la veille, confirmée par les autorités (source : entretiens institutionnels en mai 2018). À ces vols organisés, se sont ajoutés les vols plus spontanés ou de « nécessité » comme l’ont évoqué certains, compréhensifs sans pour autant cautionner, d’autres encore y ont participé : « le supermarché était éventré, donc on est allé pour l’eau et de la nourriture… et heureusement car on n’aurait pas pu tenir, on nous a annoncé des aides mais on n’a pas vu les ravitaillements » (X., quartier Hope Estate).

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26 Ces facteurs extérieurs à l’organisation de la post-crise ont largement laissé planer un sentiment d’abandon, souvent évoqué en cas d’événement majeur (Dourlens, 2003). Ils révèlent également, selon les personnes interrogées, un manque d’anticipation et d’organisation des institutions. Des ravitaillements ont été mis en place par les institutions ou les ONG, lesquels ont été jugés désorganisés ou parfois totalement inadaptés (aliments en conserves à cuire alors que les réseaux électriques étaient hors service, aucune information sur les lieux et horaires de distribution). Face à cela, certains interrogés se sont adaptés en récupérant, par exemple, le bois des bâtis endommagés comme bois de cuisson pour la nourriture. Mais ces substitutifs ont valu sur le court terme. La phase post-crise a aussi été le temps des rumeurs (Moatty et al., 2019). L’absence de communication et l’ampleur des dégâts ont renforcé les doutes mais « la rumeur colmate l'incertitude, fournit des explications et assure ainsi à l'événement une logique et une continuité » (Dourlens, 2003 : 15).

La gestion post-crise : une dimension « inévitablement » collective ?

27 Plusieurs facteurs ont entravé l’implication individuelle, de fait limitée puisque dépendante de mécanismes collectifs. Pendant cette phase, les populations sont restées dans l’attente des remises en état des réseaux. Toutes ont souligné le formidable élan de solidarité les semaines et mois suivant Irma avec l’arrivée de renforts extérieurs pour la remise en état des réseaux (EDF ou Veolia14 par exemple), mais aussi grâce au milieu associatif ou à une organisation citoyenne spontanée. Un interlocuteur évoque la venue de bateaux de pêche dès le lendemain d’Irma et malgré l’interdiction de naviguer en vue de l’arrivée de José. Globalement, les dons n’ont pas pu être acheminés les premiers jours à cause de l’enchainement des événements cycloniques (José puis Maria) mais aussi le temps d’organiser les chaines de solidarité. En mai 2018, les dons continuaient d’affluer…

28 Cependant, les temps de récupération ont été très variables d’un quartier à l’autre et au sein du même quartier : de quelques jours à plusieurs mois notamment pour la remise en état des réseaux. Ces différences s’expliquent par les vulnérabilités du territoire ou des individus avant la crise. La phase de récupération a également été freinée dans sa dimension individuelle à cause des délais parfois très longs des expertises et indemnisations des assurances. La moitié des interrogés était assurée. Cette part est d’ailleurs représentative du taux d’assuré au sein de l’île selon la fédération Française des Assurances (compte rendu de l’assemblée Nationale, 2018). Ces assurés se sont sentis dépendants, « impuissants » ou « inactifs ». Le souvenir des faibles indemnisations après Luis a participé à l’absence d’assurances. Il est difficile d’estimer la part des habitants assurés avant Luis, mais un tiers des interrogés évoquent cette raison (trop faible indemnisation) pour ne pas s’être réassurés. Pour d’autres les freins étaient financiers, les conditions sociales de certaines familles n’étaient pas suffisamment élevées pour s’engager financièrement dans une assurance habitation.

29 À l’échelle individuelle, les facteurs socio-économiques ont dicté en partie la reconstruction (non assurés, situation financière précaire), auxquels se sont ajoutés des bouleversements révélés, exacerbés ou déclenchés par Irma (illustration 7) touchant autant à la vie professionnelle qu’à la vie personnelle. De nombreux témoignages ont évoqué les séparations au sein des couples ou encore la scolarisation difficile et perturbée pendant de longs mois après Irma (Grancher et al., soumis) et, en majorité, des conséquences psychologiques (stress, anxiété). Ces changements sont identifiés

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dans d’autres cas de désastres naturels (David et al., 1996). À noter que ces bifurcations conduisent également à des changements positifs (mariage, naissance, formation ou reconversion professionnelle, croissance de l’activité). Le cyclone peut être déclencheur de ces bifurcations mais aussi catalyseur de situations fragiles ou en voie de changement avant le cyclone.

Illustration 7 - Changements et bifurcations perçus par les interrogés suite au cyclone Irma

30 La reconstruction ou la réhabilitation des bâtiments à échelle individuelle restent dépendantes de considérations collectives (liés aux autorisations de reconstruire, aux assurances, etc.) et renvoient à des considérations plus globales de gestion de crise et des risques liées à l’aménagement du territoire. La reconstruction n’est évidemment pas seulement matérielle, les habitants considèrent que c’est aussi un retour à une vie normale, une reconstruction de soi.

La place de l’individu dans la gestion de crise par le retour d’expérience scientifique

31 Face aux événements extrêmes, la priorité est donnée à la sauvegarde des vies humaines qui repose sur l’organisation de la gestion de la crise. La gestion de crise s’inscrit dans une dimension collective et institutionnelle à travers des outils et actions de prévision (vigilance météorologique), de prévention et d’organisation (Plan de sauvegarde, cellule de crise). Mais les populations interviennent également et leur implication reste essentielle (Weiss et al., 2010) même si la préparation individuelle est parfois considérée comme relativement faible (Adiyoso & Kanegae, 2014 ; Kohn et al. 2012 cité par Hoffmann et Muttarak, 2015). Les mécanismes individuels dépendent de différentes caractéristiques (Sattler et al., 2000) comme l’expérience, la connaissance, la

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conscience des risques, mais également de la communication et la diffusion de l’information en cas d’événements majeurs. « L’évaluation du risque dépend non seulement des caractéristiques intrinsèques du risque, mais aussi de la croyance en ses capacités personnelles à y faire face, et de la position d’acteur qu’on occupe » (Kouabénan, 2007). En ce sens, l’implication individuelle reste dépendante au moins en partie d’éléments collectifs. L’apport des résultats du RETEX scientifique s’inscrit dans de nouvelles orientations de gestion des risques et des crises. La prise en compte du contexte local (économique, social, politico-juridique) doit émerger de ces études menées sur le territoire cycloné afin que les dispositions réglementaires adoptent une flexibilité de faisabilité et d’acceptabilité sociale. La place du citoyen, de l’individu peut et doit être discutée entre « l’empowerment (partenaire à mobiliser dans les situations difficiles) » et « la capacitation (l’individu est seul face à des forces destructrices que ne peuvent plus traiter les structures conventionnelles) » (Lagadec, 2011), même si ces approches posent question, afin d’en faire un acteur clé responsable et préparé sans toutefois le délaisser dans les phases d’urgence et de reconstruction (vers une coopération ?). L’implication des populations couvre la temporalité de la crise avant, pendant et après. Cependant leurs capacités et capabilités se limitent dans la phase post-crise, elles s’exercent sur du court terme et deviennent ensuite tributaire de mécanismes collectifs.

32 La diffusion des vigilances météorologiques ou la consultation spontanée de sites internet spécialisés montrent la part d’implication individuelle mais posent la question de l’interprétation des données diffusées ou de la difficulté d’estimer l’intensité du phénomène. La construction d’une référence (vécue ou non) participe à sous-estimer ou surestimer l’événement et ne garantit pas une préparation adaptée, « dans la plupart des cas, la relation entre la mémoire des catastrophes et la prévention des risques n’est ni directe, ni optimale » (D’Ercole et Dollfus, 1996, p. 383). Il reste difficile pour les populations d’estimer l’intensité des phénomènes et cela peut conduire comme dans le cas de Saint-Martin à des réserves de nourriture et d’eau insuffisantes pour pallier le court terme. La « règle des 72 heures » (Hoffmann et Muttarak, 2015, p. 3) a été largement perturbée par les pillages et par l’arrivée du cyclone José. Afin de surmonter ces caractéristiques personnelles, la préparation des populations doit s’orienter vers une participation active à des exercices de crise (D’Ercole et Dollfus, 1996 ; Wybo, 2009) permettant une base de connaissances et de réflexes communs et ainsi « incorporer la connaissance acquise » (Gaillard, 2005) lors des retours d’expérience notamment. Recueillir le récit des populations participe à la mémoire du risque (Labeur, 2013) et montre des populations actives dans la préparation de gestion de crise. Dans ce cas précis, le RETEX scientifique apporte aux organes décisionnels les orientations à engager en termes de communication et de mise en sécurité avant un événement majeur. Une réflexion peut s’engager sur des nouvelles logiques d’anticipation. S’intéresser au vécu du cyclone par les populations renseigne sur les comportements adoptés lors du passage du cyclone. Lors d’événements de haute intensité comme c’est le cas pour les cyclones majeurs, le seul choix est le confinement. La prise de décision reste influencée par l’intensité et l’ampleur du phénomène annoncé et l’absence d’autre alternative. D’autres recherches ont montré que le confinement (chez soi ou dans des abris sûrs) est peu apprécié des populations en raison de la durée, du sentiment d’angoisse, de la sensation d’enfermement (Sarant et al., 2003). L’apport des RETEX est ici négligeable sauf à renforcer la préparation à ce moment de confinement. Une fois l’événement naturel et la phase d’urgence passés, les

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populations réfléchissent à une récupération et une reconstruction à l’échelle individuelle mais aussi collective, à l’échelle du territoire. Le cyclone Irma a remis en avant les problématiques d’aménagement du territoire, notamment sur le littoral. Alors que certains sinistrés ont entamé ou fini la reconstruction, l’État et la collectivité œuvrent (pas toujours vers une même stratégie) pour une remise à plat de l’occupation des sols (modification du code de l’urbanisme en cours) intégrant les risques naturels et les conséquences potentielles du changement climatique (PPRN en révision). L’objectif vise à réduire les conséquences de prochains événements en contrôlant les enjeux et en réduisant la vulnérabilité. Les temporalités, les choix et prises de décisions sont parfois contradictoires ou asynchrones entre la volonté de « retrouver une vie normale », qui dicte une reconstruction souvent à l’identique (plus rapide et intuitive), et la nécessité de réfléchir à des adaptations face aux risques naturels intégrés. Certains sinistrés tentent de reconstruire mieux face à un aléa, mais rencontrent des freins parfois financiers, techniques ou inadaptés face à d’autres aléas. Par exemple, à Saint-Martin, des sinistrés ont commencé la reconstruction de leur habitation en remplaçant les tôles par une dalle de béton parfois bardée de tôle et ne répondant pas aux normes parasismiques15. Il y a urgence à communiquer sur la prévention du risque et pas seulement sur la gestion de la crise. L’apport des RETEX repose sur une analyse (points positifs et négatifs) de la crise participant parfois « à la réflexion sur l’optimisation des dispositifs de gestion de crise » (Zaninetti, 2013, p. 449), mais s’inscrit aussi plus largement dans la volonté de réduire la vulnérabilité des sociétés et des territoires.

Conclusion

33 Face à un phénomène majeur « prévisible » comme les cyclones, les populations trouvent leur place dans la préparation à la gestion de crise. L’échelle collective et l’échelle individuelle tendent à se rejoindre, se recouper mais aussi parfois à se contredire. L’implication des populations repose sur de nombreux facteurs de vulnérabilités et de capacités intrinsèques mais aussi sur la nature, l’intensité et l’ampleur du phénomène naturel ainsi que sur les stratégies collectives (principalement institutionnelles). L’apport de ce RETEX scientifique a vocation, grâce au suivi des interrogés, de suivre temporellement la résilience des populations, à analyser les adaptations (ou non) en vue d’une préparation à une potentielle crise future fondée sur les apprentissages de ce type d’approche. Mais il s’agit également pour les scientifiques et les institutions de s’enrichir des expériences des populations et notamment les connaissances locales.

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NOTES

1. Transfert des apprentIssages de Retours d’EXpériences scientifiques pour le renforcement des capacités de réponse et d’adaptation individuelles et collectives dans un contexte de changement climatique (Petites Antilles du Nord - saison cyclonique 2017). Ce projet a bénéficié pour la 1ère mission de terrain en octobre 2017 du soutien financier du projet PO FEDER « C3AF » (Changement Climatique et Conséquences sur les Antilles Françaises). 2. Météo France, 2017 : mesures avions in situ, satellites, radars, scattéromètres, sondes, etc. 3. Selon le dossier de presse Irma, un an après. Bilan de l’action de l’État [En ligne]. https:// www.gouvernement.fr/un-an-apres-irma-le-bilan-de-l-action-de-l-etat 4. https://www.gouvernement.fr/etat-des-lieux-depuis-irma 5. Même si le taux est biaisé par la main-d’œuvre non déclarée 6. Le rapport 2018-19 de l’IEDOM (2019) évoque les stigmates d’Irma sur l’activité touristique : « l’augmentation du nombre de croisiéristes accueillis tant sur la partie néerlandaise (+29,0 %) que sur la partie française (+43,8 %) est encourageante, la chute du nombre d’arrivées aux aéroports de Juliana et de Grand-Case (respectivement -54,0 % et -8,6 % sur l’année) inquiète ». 7. D’après les données de l’IEDOM 8. Les personnes rencontrées résidaient ou non dans le quartier 9. L’objectif est d’assurer un suivi de ces populations enquêtées sur plusieurs années (3 ans minimum dans le cadre du projet TIREX). 10. Restaurant-snack de bord de plage 11. La méthodologie développée avait vocation à suivre sur le temps « long » (plusieurs années) l’évolution des situations individuelles pour évaluer la résilience des populations. Grâce aux liens tissés avec les interrogés, ce sont environ 20 personnes qui sont suivies et interrogées à chacune de nos missions de terrain (mars 2019 réalisée et mars 2020 prévue). Les résultats de ce suivi feront l’objet d’une publication ultérieure.

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12. Certains propriétaires ne vivant pas à Saint-Martin à l’année mais présents pour les démarches administratives et logistiques, ont été exclus des analyses. Cependant ils ont été écoutés pour apporter des éléments qualitatifs sur les dommages ou encore les échanges avec les assurances. 13. Dans le cadre du projet TIREX, une enquête systématique a été menée afin d’évaluer la part des commerces pillés, l’analyse des résultats est en cours et sera valorisée ultérieurement 14. URL : https://www.veolia.com/fr/la-production-et-la-distribution-de-l-eau- redemarrent-progressivement-apres-le-passage-du-cyclone-irma-0; https:// www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/ ouragan-irma-la-realimentation-d-urgence-de-saint-martin-et-saint-barthelemy-est- terminee-jean-bernard-levy-pdg-du-groupe-edf-s-est-rendu-sur-place 15. Des initiatives de construction adaptées aux risques ont vu le jour comme un accompagnement de la reconstruction des toitures par les « compagnons bâtisseurs ». Mais parfois certains habitants ont reconstruit hâtivement, par nécessité surtout.

RÉSUMÉS

L’intense saison cyclonique 2017 dans l’Atlantique Nord a rappelé l’exposition de l’arc Antillais à ces phénomènes parfois dévastateurs, illustré par le cyclone Irma qui a provoqué de lourdes pertes sur les îles françaises de Saint-Martin et Saint-Barthélemy. La phase post événement donne parfois lieu à un retour d’expérience (RETEX), lequel rend compte des étapes et processus de gestion de l’événement. Le RETEX est largement mené auprès des institutions mais laisse peu la parole aux populations. Cette étude relève d’un RETEX scientifique dans lequel la dimension individuelle de la gestion de crise souhaite être mise en avant, en interrogeant dans quelle mesure les individus participent-ils (ou non) à la gestion de crise (directement et indirectement) et comment ? À partir d’entretiens menés à Saint-Martin auprès des populations sinistrées, l’analyse des comportements et de l’implication des populations face au cyclone Irma a montré une bonne connaissance des phénomènes cycloniques et des consignes associées, ainsi qu’une préparation à traverser l’événement. Toutefois, Irma a dépassé l’aléa de référence (Luis, 1995) pour lequel les populations s’étaient préparées. Les dommages ont révélé et/ou exacerbé des vulnérabilités existantes lesquelles questionnent les processus de reconstruction.

The hurricane season 2017 in the North Atlantic was intense. The events recalled the exposure of the West Indies to these phenomena sometimes devastating, such as the cyclone Irma which caused heavy losses on the French islands of Saint-Martin and Saint-Barthélemy. The post-event phase sometimes gives rise to an experience feedback (RETEX), which reports on the steps and management processes of the event. RETEX is widely conducted with institutions but leaves to hear the people. This study is based on a scientific RETEX in which the individual dimension of crisis management is integrated, by asking to what extent do individuals participate (or not) in crisis management (directly and indirectly) and how? The scientist team went to meet populations to assess how they lived and prepared themselves to cope with TC Irma in order to present the invest of populations in crisis management. The acknowledgment of populations about natural hazards is fine, and they also know recommendations to cope with cyclone. However, TC Irma was more strong that the reference event (Luis in 1955) for which the

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populations were prepared. Damage revealed and/or increased existing vulnerabilities which raise the question of built back processes.

INDEX

Mots-clés : perception, gestion individuelle, cyclone, Antilles françaises Keywords : perception, individual management, hurricane, French west indies Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

STÉPHANIE DEFOSSEZ Stéphanie Defossez, [email protected], est maître de conférences à l’Université Université Montpellier 3. Elle a publié récemment - Rey T., Defossez S., 2019.Comprendre la gestion des risques hydrométéorologiques au Cambodge. Territoire en mouvement Revue de géographie et aménagement [En ligne]. http:// journals.openedition.org/tem/5761 - Durand P., Anselme B., Defossez S. et al., 2018. Coastal flood risk: improving operational response, a case study on the municipality of Leucate, Languedoc, France. Geoenvironmental Disasters [En ligne], vol. 5, n° 1. https://link.springer.com/article/10..1186/s40677-018-0109-1 - Moatty A., Vinet F., Defossez S., Cherel J-P., Grelot F., 2018. Intégrer une "éthique préventive" dans le processus de relèvement post-catastrophe : place des concepts de résilience et d'adaptation dans la "reconstruction préventive". La Houille Blanche, 5-6, p. 11-19.

MONIQUE GHERARDI Monique Gherardi, [email protected], est ingénieur d’études à l’université Montpellier 3. Elle a récemment publié : - Leone F., Komorowski J., Gherardi-Leone M. et al., (2010). Integrating spatial accessibility in the design of volcano evacuation plans in the French West Indies (Guadeloupe and Martinique). Journal of Applied Volcanology [En ligne], n° 8, article 8. DOI: https://doi.org/10.1186/ s13617-019-0089-1 - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma (St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering |En ligne], vol. 7, n° 7, 215, 30 p. DOI: https://doi.org/10.3390/ jmse7070215 - Desse M., Rodne Jeanty J., Gherardi M., Charrier S., 2018. Le tourisme dans la Caraïbe, un moteur du développement territorial. IdeAs [En ligne], n° 12. http://journals.openedition.org/ideas/4239 - DOI: https://doi.org/10.4000/ideas.4239

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Organisation de la post-catastrophe après Irma à Saint-Martin Vécu et perception des adolescents de la gestion de crise à la reconstruction

Annabelle Moatty, Delphine Grancher, Clément Virmoux et Julien Cavero

Cette étude a été cofinancée par l’ANR Tirex (Transfert des apprentissages de retours d’expériences scientifiques pour le renforcement des capacités de réponse et d’adaptation individuelles et collectives dans un contexte de changement climatique) et le projet Cascira1 (Fondation Croix Rouge et Fonds Axa pour la Recherche). Les membres du projet souhaitent particulièrement remercier L. Bayly enseignant en Histoire-Géographie pour son soutien logistique et sa confiance dans des conditions compliquées. Enfin nous souhaitons remercier grandement les élèves qui ont participé à cette séance, toujours avec spontanéité et gentillesse, ainsi que les enseignants qui nous ont accompagnés avec enthousiasme.

Introduction

1 Soixante six millions et demi d’enfants par an sont confrontés à une catastrophe « naturelle » dans le monde (Penrose et Takaki, 2006 ; Peek et al., 2017). Le cyclone Irma (septembre 2017), « a laissé sans ressources plus de 1,4 million de personnes, dont un quart d’enfants » (UNICEF, 2018). À Saint-Martin, plus de 8 000 élèves scolarisés dans les établissements publics ont été concernés. La littérature concernant les enfants (les « mineurs » que le Code Civil définit comme des personnes âgées de moins de 18 ans révolus2) dans un contexte de catastrophe « naturelle » se concentre essentiellement sur le développement d’actions de prévention pour et à travers eux. En outre, « Les adolescents3 sont considérés comme des agents sociaux compétents plutôt que comme des êtres fondamentalement vulnérables qui dépendent entièrement des autres pour leur survie et leur développement » (de Milliano, 2012, p. 7, notre traduction).

2 Notre étude est centrée sur le cas particulier des adolescents. D’un point de vue légal, « l’adolescent de moins de 18 ans est considéré comme un enfant par l’article 1er de la CIDE (Convention internationale des droits de l’enfant), par opposition donc aux

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adultes qui en ont la charge » (Mazabraud, 2013). Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), l’adolescence est « la période de croissance et de développement humain qui se situe entre l’enfance et l’âge adulte, entre les âges de 10 et 19 ans » dont la transition est marquée par la puberté. En 2015, l’OMS évalue le nombre d’adolescents à 1,2 milliards soit un sixième de la population mondiale. Ainsi, si les définitions de l’adolescence selon auteurs et institutions convergent sur le fond, les limites des classes d’âge concernées diffèrent. En pratique en France on peut considérer que les adolescents sont scolarisés de la classe de 4ème à la terminale. À Saint-Martin, ce sont 3 380 élèves qui composent ces classes du collège au lycée (IEDOM, 2018, p. 83).

3 Cet article a pour objectif de proposer une analyse du rôle des adolescents dans plusieurs activités clés de la sortie de crise et du relèvement post-Irma à Saint-Martin. À l’échelle internationale, les programmes de réduction des risques de catastrophe envisagent les mineurs comme agents actifs de la prévention (Babugura, 2012). Pourtant, que ce soit en tant que victimes ou en tant qu’acteurs de la reconstruction, les adolescents restent un « angle mort » de nombreuses études (de Milliano, 2012). Nous cherchons ici à caractériser leur engagement et à comprendre leurs conditions de vie dans cette période d’immédiate post-crise. Nous visons d’une part la valorisation de leurs connaissances et vécus à travers l’emploi d’un protocole de cartographie associé à des enquêtes. D’autre part, il s’agit de proposer une analyse des actions de solidarité dans lesquelles les adolescents ont été impliqués afin de comprendre comment ils participent à la reconstruction. Nos résultats démontrent la richesse et la pertinence de cette source d’information dans la réalisation de retours d’expérience scientifiques, et ce particulièrement en post-crise immédiate.

4 En effet, cette phase de gestion des catastrophes présente des spécificités en matière de collecte des données, tant sur le plan éthique que pratique. L’immédiate post- catastrophe (semaines et mois qui suivent la catastrophe) est marquée par une « compression temporelle » (Olshansky et al., 2012 ; Sword-Daniels, 2014 ; Moatty, 2018) caractérisée par une multitude de décisions à prendre et d’actions à entreprendre à différentes échelles (de l’individu au collectif) pour organiser la réponse de la société et reconstruire le territoire. Les comportements des populations sont analysés de manière rétrospective (Revet, 2006 ; Morin, 2012 ; Moatty, 2015 ; Martinez, 2019) car il semble intuitif que ce temps soit davantage celui de l’action que celui de la construction d’un retour réflexif sur le vécu. L’analyse rétrospective présente des avantages, au premier rang desquels la mise à distance du registre de l’émotionnel par le recul temporel entre le moment de l’analyse et l’objet d’étude (Moatty et al., 2017). Elle présente également des lacunes comme la perte d’information par transformation des faits notamment, impliquant la nécessité de croiser les sources pour valider la fiabilité de l’information (Moatty, 2015). En outre, dans ces études rétrospectives les adolescents sont peu étudiés. Nous proposons donc ici une méthode originale de collecte des données les concernant dans la période post-crise. En complément, ce travail a permis de renouveler, voire d’ouvrir le dialogue à différentes échelles : entre les adolescents, avec leurs enseignants et avec nous.

5 Notre travail s’appuie donc sur une enquête auprès d’adolescents des collèges et lycées de la partie française de l’île. Ils ont été amenés à localiser leur quotidien et ce qu’ils ont perçu de la période post-catastrophe sur des cartes, associées à des questionnaires individuels pour permettre une autre forme d’expression et compléter les données collectées. Les résultats obtenus sont complétés par des éléments recueillis lors

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d’entretiens réalisés en novembre 2017 et novembre 2018 à Saint-Martin. Dans un premier temps nous présentons des éléments de cadrage scientifique sur la période post-catastrophe et la place des mécanismes de solidarité dans le relèvement des sociétés, et apportons des éléments de description du territoire et de la société saint- martinoise. Nous poursuivons avec une partie méthodologique qui détaille les techniques employées pour collecter les données et présente notre échantillon. Enfin, nous présentons les résultats en matière d’implication des adolescents dans la sortie de crise et la reconstruction post-Irma.

Cadrage scientifique sur la post-catastrophe et les mécanismes de solidarité : le cas de Saint-Martin après Irma

Le relèvement post-catastrophe : période charnière et poids des mécanismes de solidarité

6 La reconstruction post-catastrophe s’étend sur des pas de temps longs qui varient de quelques années à plusieurs décennies (Kates et Pijawka, 1977 ; Kates et al., 2006 ; Alexander, 2010 ; Moatty, 2018). Nous définissons la sortie de crise comme le moment où l’intégrité physique des sinistrés n’est plus en danger. Son origine temporelle est marquée par la fin des opérations de secours aux personnes (Moatty, 2015). Ce moment de transition entre solutions d’urgence et temporaires ne signifie pas pour autant que l’ensemble des individus ne soient plus dans des situations critiques (Hernandez, 2009 ; Morin, 2012). Des variations de temporalités s’observent en fonction de plusieurs critères comme par exemple l’accès aux services vitaux ou la capacité à mobiliser ses ressources propres notamment (Moatty et al., 2017).

7 La période de reconstruction à proprement parler, inclut la reconstruction de logements, le remplacement permanent des infrastructures et bâtiments endommagés, la restauration totale des services et la revitalisation de l’économie et est indissociable des questions de développement (Aysan et Davis, 1992 ; Alexander et al., 2006 ; Lizzaralde et al., 2010 ; Lyons et al., 2010 ; Davis et Alexander, 2015 ; Moatty et al., 2017), ce qui lui confère un caractère éminemment politique et polémique (Moatty, 2015). Les périodes de reconstruction suscitent des élans de solidarité à différentes échelles, depuis l’échelon international jusqu’à celui de la zone sinistrée (Tipple, 2005 ; Aldrich, 2012, Aldrich et Meyer, 2015 ; Moatty, 2015 ; Gaillard et al., 2019).

8 En sciences sociales, la notion de solidarité recouvre plusieurs réalités (Supiot, 2015). Il n’existe pas de définition qui fasse l’unanimité entre les différentes disciplines qui étudient cette notion. Les institutions et associations ne sont pas les seules à fournir un soutien en période de post-catastrophe, les réactions spontanées de solidarité s’organisent ad hoc pour venir en aide aux sinistrés. Supiot (2015) propose une typologie de la solidarité qui se décline à plusieurs échelles selon trois catégories : la solidarité familiale qui s’instaure dans un système de parenté ou de contrat-institution comme le mariage ; la solidarité civile entendue au sens d’un investissement volontaire guidé par des valeurs éthiques associées au sentiment d’être concerné par la situation ; et la solidarité sociale comprise au sens du droit social, qui évoque donc une union d’individus « au nom d’intérêts communs spécifiques ».

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9 La solidarité est variable dans le temps et dans l’espace. Compte tenu des conditions d’accessibilité dégradées, c’est d’abord une solidarité de voisinage, de relation qui se met en place. C’est une solidarité locale que l’on pourrait qualifier de physique (l’aide à la remise en état, au nettoyage, en partie contrainte par des difficultés d’accessibilité). Ensuite, avec l’arrivée de l’aide extérieure, un autre type de solidarité vient compléter le premier par le biais de l’entraide, faisant appel au partage des expériences et à l’écoute en remobilisant le réseau de relations des individus au-delà du voisinage. La solidarité qui s’exprime à travers différents mécanismes (distributions de dons, aide administrative, etc.) est un facteur fondamental pour le relèvement des individus (Moatty, 2015).

Place des adolescents dans la période post-catastrophe

10 Que ce soit en tant que victimes ou en tant qu’acteurs de la reconstruction, les adolescents restent un « angle mort » de nombreuses études (de Milliano, 2012). Ils sont soit associés à la catégorie des enfants soit à celle des adultes, et sont rarement identifiés comme étant un groupe distinct avec des besoins, des priorités et des ressources spécifiques. En période de crise et post-crise, les adolescents partagent les mêmes problématiques que les autres sinistrés (relogement d’urgence, accès à l’aide gouvernementale et humanitaire, interruption des services, etc.) mais également des problématiques spécifiques telles que l’éloignement plus ou moins temporaire du noyau familial (5 000 enfants séparés de leur famille pendant plusieurs semaines à plusieurs mois après le passage du cyclone Katrina (Save the Children, 2015), l’interruption de la scolarité ou encore l’accessibilité restreinte voire impossible des lieux de loisirs. La période de l’immédiate post-crise est caractérisée par la nécessité d’évaluer rapidement et efficacement les dommages et les besoins pour calibrer les moyens nécessaires et lancer les premières opérations de réparation et de réhabilitation, dans un contexte d’incertitudes multiples (les dommages sont estimés dans l’attente de l’évaluation précise qui est affinée dans les semaines après la catastrophe, absence de définition claire des rôles et responsabilités qui génère la nécessité d’adapter les modalités de gouvernance ad hoc notamment).

11 Face à cette « perte de l’univers de référence » (Lagadec, 1991), les mineurs ont besoin de se voir attribuer des actions appropriées à leurs âges pour aider leurs familles et communautés (Babugura, 2012). D’autres études (de Milliano, 2012 ; 2015 ; Peek et al., 2017 ; Gaillard et al., 2018) mettent en avant le fait qu’ils sont effectivement des acteurs du relèvement de la cellule familiale et de la société. En 2007, l’UNICEF relève les tâches réalisées par les adolescents en situation post-catastrophe essentiellement en Asie suite au Tsunami de 2004 (tableau 1).

Tableau 1 - Tâches réalisées par des enfants âgés de 12 à 17 ans en situation d’urgence

SECOURS AUX PERSONNES NETTOYAGE ENTRAIDE

Sauvetage et secours de Nettoyer après une S'occuper de jeunes enfants et de personnes jeunes enfants urgence âgées

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Aider les familles avec jeunes enfants et les Traiter les blessures et Camps de nettoyage personnes âgées à collecter les aliments et soigner les blessés rations

Collecter des corps Fournir des informations Nettoyage et peinture Aider à retrouver des des bâtiments Développer des entreprises familles

Source : d'après Unicef, 2007.

12 Concernant la tranche d’âge 12-17 ans, les principales actions réalisées vont du sauvetage et secours des plus jeunes, au ramassage des corps, en passant par la participation aux campagnes de nettoyage. Ces actions ont été mises en place « en situation d’urgence », c’est-à-dire en attendant les secours, avec les secours ou pendant l’action des principales ONG intervenant sur la zone touchée pendant plusieurs mois (UNICEF, 2007).

Être adolescent à Saint-Martin

13 L’île de Saint-Martin (illustration 1), située dans les petites Antilles, est composée de deux entités territoriales qui jouissent d’une autonomie administrative vis-à-vis de leur État central, la république française et le royaume uni des Pays-Bas. En ce qui concerne la partie française, c’est une région ultrapériphérique d’Outre-mer qui dispose des compétences communales, départementales et régionales. D’un point de vue social, Saint-Martin est une île cosmopolite (plus d’une centaine de nationalités) dont les modes de vie sont principalement communautaires (Redon, 2007 ; Benoit, 2015). D’un point de vue économique, les foyers présentent des écarts de revenus importants, formant ainsi une société hétéroclite. Les quartiers de Sandy-Ground et de Quartier d’Orléans, dont les populations sont parmi les plus défavorisées, bénéficient du statut de quartiers prioritaires du « contrat de ville 2015-2020 »4. Six autres quartiers ont été identifiés comme « quartiers de veille » pour la période 2015-2020 (Saint-James, Agrément, Hameau du pont, Grand-Case, Concordia, Cul de sac – illustration 1). En contraste, le quartier des Terres Basses est composé exclusivement de villas de luxe. Certains quartiers comme la Baie Orientale ou anse Marcel disposent à l’entrée une barrière avec des gardiens sur le modèle des « résidences fermées » (type de copropriété sécurisée).

14 Selon les chiffres de l’INSEE (2017), près de la moitié de la population de Saint-Martin a moins de 30 ans, dont 60 % a moins de 15 ans et 47 % des jeunes de moins de 25 ans vivent dans une famille monoparentale. En 2013, le taux de scolarisation des 6-14 ans est de 98,7 % et de 99 % pour les 15-17 ans. À Saint-Martin, le réseau d’éducation prioritaire concerne 78,8 % des élèves du premier degré.

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Illustration 1 - Présentation du territoire étudié et localisation des établissements scolaires

15 Avant son changement de statut5 en 2007, Saint-Martin était une commune de Guadeloupe. Contrairement aux trois collectivités d’Outre-mer du Pacifique qui disposent chacune d’un vice-rectorat et d’un service local d’éducation, la collectivité de Saint-Martin partage avec celle de Saint-Barthélemy un service de l’Éducation Nationale, dépendant de l’académie de la Guadeloupe. Le programme scolaire, le recrutement (et la gestion) des enseignants, ainsi que les dates d’ouverture des établissements restent sous la responsabilité de l’État, alors que l’entretien des locaux (nettoyage et construction) fait partie des compétences de la collectivité locale.

Irma et ses conséquences pour les adolescents de Saint-Martin

16 Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, l’île de Saint-Martin est frappée par le cyclone Irma (Cangialosi et al., 2018). Avec des rafales à plus de 300 km/h accompagnées de pluies violentes et de vagues de submersion dont les hauteurs ont pu atteindre plus de 5 mètres à Saint-Martin (Duvat et al., 2019), les conséquences matérielles et humaines sont lourdes (11 morts et 2 disparus – Moatty et al., 2019). De plus, Irma a fait partie d’une « collection de cyclones » ayant frappé l’arc caribéen (Irma, José, puis Maria) en l’espace d’une dizaine de jours, compliquant d’autant la gestion post-catastrophe (Gustin, 2017 ; Moatty et al., 2019).

17 Les établissements scolaires publics de Saint-Martin ont tous été fermés avant le passage d’Irma et la rentrée a été reportée sur décision commune de la collectivité, du rectorat de Guadeloupe et de la préfecture. Leur réouverture s’est faite progressivement en fonction des dégâts constatés sur les bâtiments, de leur disponibilité (certains ayant servi d’abri et de centre d’hébergement) et de leur localisation. La priorité a été donnée aux quartiers d’Orléans et de Sandy Ground (illustration 1). À partir des effectifs prévus pour la rentrée 20176 (total de 8519 élèves) et de la date de la réouverture effective de chaque établissement, nous estimons à plus

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de 250 000 le nombre total de jours manqués pour l’ensemble des élèves de la maternelle à la terminale des établissements scolaires publics, uniquement à cause de la fermeture des établissements.

Donner la parole aux adolescents : cartographie collaborative et enquête par questionnaire

18 Pour mener à bien ce travail, nous avons adapté la méthode de cartographie participative au contexte, objectifs et au public cible. Notre approche ne peut pas être qualifiée de recherche participative dans la mesure où nous avons imposé un thème et les modalités de collecte des données (Palsky, 2010 ; Amelot, 2013 ; Noucher, 2013 ; Lardon et Noucher, 2016 ; Godrie et Heck, 2017) : le vécu depuis la veille du cyclone et la cartographie en groupe associée à des questionnaires individuels. Il s’agit davantage d’une méthode collaborative et mixte puisque, sur ce thème imposé, les adolescents ont été libres de choisir ce qui leur paraissait important de représenter et que ces choix ont été le fruit de discussions entre les groupes et avec nous d’une part, et parce que ces données qualitatives ont été complétées par des données quantitatives issues de questionnaires individuels.

Collecte des données par le biais de la cartographie collaborative complétée par des questionnaires

19 Aux mois de novembre 2017 et 2018 nous avons réalisé en classe huit interventions de deux heures avec 191 élèves (sur environ 4 000 élèves du second degré) répartis dans quatre des cinq établissements secondaires publics de Saint-Martin (tableau 2). Le protocole a été testé et validé dans une classe en 2017, puis reproduit dans les autres classes en 2018. Le projet a été proposé à l’inspecteur pédagogique régional (IPR) d’Histoire-Géographie de l’académie de Guadeloupe. Il a ensuite été diffusé par l’IPR et par nos propres réseaux à l’ensemble des enseignants d’Histoire-Géographie. Le projet pédagogique a été mis en place avec cinq enseignants volontaires (tableau 2).

Tableau 2 - Établissements et classes soumises au protocole

Classe Niveau Etablissement Année Nombre d'élèves

A 2nde Cité scolaire R.Weinum 2018 31

B 2nde Cité scolaire R.Weinum 2018 22

C 1ère Cité scolaire R.Weinum 2018 29

D 1ère Cité scolaire R.Weinum 2017 24

E 4ème Collège de Quartier d'Orléans 2018 19

F 4ème Collège de Quartier d'Orléans 2018 17

G 4ème Collège Mont-des-Accords 2018 23

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H 4ème Collège Soualiga-R.Weinum 2018 26

20 Il apparaît dans notre étude, comme ça a pu être évalué dans d’autres cas (Augendre, 2011 ; Langumier, 2011 ; Moatty, 2015 ; Martinez, 2019), que les personnes enquêtées n’ont pas déclaré de difficulté particulière à relater leur vécu, même à distance, des événements. Les éléments transmis dans les huit classes ont donc été traités ensemble. Les élèves n’avaient pas de préparation à effectuer. La séance de travail en classe débutait par une présentation du projet, des scientifiques présents (les auteurs de cette étude), suivie par une explication de notre démarche. L’objectif était annoncé aux élèves comme suit : « Vous avez été témoins du passage du cyclone Irma, la vie des habitants, leurs habitudes, leurs habitations ont parfois été affectées et pour garder une trace de ce qui s’est passé dans chaque quartier, comprendre comment les gens se sont organisés, et ce qu’ils ont fait, nous vous proposons de raconter ce que vous avez vécu et ce que vous savez. Pour structurer cette démarche de recueil de témoignage nous allons respecter le même protocole pour toutes les classes. Votre témoignage restera anonyme ».

21 Chaque séance avec une classe se divise en deux temps. La première étape consiste à regrouper les élèves par secteurs d’habitation avant Irma (quatre à cinq groupes par classe – illustration 2) et à leur faire réaliser des cartes de l’évolution de la situation post-catastrophe par groupe. Les adultes (trois scientifiques et l’enseignant) passaient alors de groupe en groupe pour aider à se repérer sur les cartes papier et recueillir les remarques. Un animateur était désigné parmi les scientifiques de l’équipe en amont de chaque séance. Des fonds de carte A3 (source Open Street Map) en couleur de chaque quartier (échelle 1 :12500), un fond de carte noir et blanc de l’île de Saint-Martin et 20 stylos de couleurs étaient distribués par groupe (illustration 2). La seconde étape consistait en un questionnaire que les élèves ont rempli individuellement (cf. Infra).

Illustration 2 - Séance de cartographie à Quartier d'Orléans

Crédit photo : LGP, 2018.

22 En début de séance, la classe entière choisissait un thème à spatialiser et son figuré (par exemple pour le thème des distributions d’eau, une goutte bleue a été choisie). Chaque groupe devait ensuite localiser ces éléments sur la carte de son quartier. Pour pouvoir

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comparer les résultats obtenus dans les différentes classes nous avons incité les élèves à suivre un cadre chronologique, en leur demandant de raconter leur vécu depuis le passage du cyclone jusqu’à la reprise des cours. Toutes les données cartographiées ont été intégrées dans un SIG. Un travail d’harmonisation (des symboles utilisés) et de synthèse, a été nécessaire pour homogénéiser la représentation et fusionner les éléments représentés par toutes les classes (cf. Infra). La source de l’information (le groupe et la classe) a été conservée. Grâce au questionnaire individuel, nous avons notamment pu compléter les données de changement de lieu de vie (dates et lieux des différents séjours) puisqu’une partie des adolescents enquêtés a quitté l’île dans les mois après la catastrophe.

23 Les élèves ayant choisi eux-mêmes les éléments représentés sur les cartes, tout au long du processus de cartographie un débat s’installe, les adultes étant là pour modérer les propos, distribuer la parole et veiller à la fiabilité des informations. Par exemple, certains élèves ne sont pas restés sur l’île et sont des témoins indirects des premiers mois de la post-catastrophe, la validation par le collectif étant d’autant plus nécessaire dans ce cas. Des précautions ont été prises pour garantir un degré de qualité satisfaisant des données en veillant à ce que les élèves soient les plus précis possible concernant le positionnement sur la carte.

24 En fin de séance un questionnaire était distribué à chaque élève. Nous l’avons structuré autour de trois thèmes : les changements de logement depuis la veille du passage du cyclone Irma, l’usage des réseaux sociaux et les actions de solidarité dont l’élève a bénéficié et auxquelles il a participé. Des entretiens complémentaires ont été réalisés auprès des services de la préfecture, de l’Éducation Nationale, de la collectivité, de la gendarmerie, d’associations et d’habitants de Saint-Martin. Enfin des éléments diffusés par les autorités sur les réseaux sociaux et dans la presse ont été intégrés au SIG. L’objectif était ici d’être en mesure de croiser les éléments décrits par les adolescents avec les informations issues d’autres sources.

Représentativité des élèves interrogés

25 Les données démographiques de la partie française de Saint-Martin sont lacunaires, ce qui complique l’évaluation de la représentativité de notre échantillon. Concernant l’origine des élèves, nous pouvons nous référer aux données démographiques transmises par l’INSEE (chiffres du recensement de 2016) qui indiquent que 7 % des moins de 15 ans et 37 % des 15-24 ans sont nés à l’étranger, c’est-à-dire « hors du territoire français » ce qui ne permet pas de distinguer les enfants nés en Guadeloupe ou en métropole, de ceux nés sur l’île. Les catégories d’âge de l’INSEE ne correspondent pas à notre échantillon qui ne contient que des mineurs.

26 Dans notre échantillon, 78 % des élèves sont nés à Saint-Martin et plus de 88 % y vivent depuis plus de 10 ans. Concernant la représentativité des quartiers, les données démographiques sont disponibles dans les 10 IRIS7 (illustration 1) qui ne représentent pas des quartiers sociologiquement homogènes : Sandy Ground est dans le même IRIS que le quartier de luxe des Terres Basses, et le Quartier d’Orléans est réparti sur quatre IRIS différents. La représentativité par IRIS n’a donc pas beaucoup de sens dans ce cas et ne peut être utilisée, nous avons donc adopté le découpage des quartiers par l’IGN (illustration 3).

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Illustration 3 - Établissements enquêtés (1, 2, 3, 4), quartiers de résidence et lieux de naissances des élèves interrogés

27 Une dizaine d’élèves interrogés déclarent habiter à Sint-Maarten, même si pour être inscrits à l’école publique française ils ont dû fournir une autre adresse officielle (ce qui représenterait 20 % des effectifs pour les établissements publics8). Les autres habitent dans 24 quartiers de Saint-Martin. La démarche d’acquisition étant basée sur l’information collective disponible par quartier nous considérons avoir obtenu une couverture satisfaisante du territoire (illustration 3). Notre échantillon présente une plus forte proportion de filles (122 filles pour 69 garçons), ce qui est essentiellement dû à la surreprésentation des filles dans certaines classes (nos deux classes de 1ère littéraire par exemple). Nous n’avons pas d’information concernant le milieu social des élèves en dehors de la classification générale des établissements qui découle du niveau social des familles de la zone attribuée aux établissements par la carte scolaire (illustration 1) : le collège Mont-Des-Accords est classé REP, le collège de Quartier d’Orléans est classé REP +.

Analyse cartographique

28 Les éléments de la légende choisis par les élèves sont quasiment les mêmes dans toutes les classes (lieu de vie, refuges, zones de pillage, réseaux de télécommunication, points de distribution d’eau et de vivres, zones submergées et détruites), mais certaines classes ont souhaité représenter d’autres sujets (personnes décédées, lieu de présence des militaires, zones de stockage des déchets) (tableau 3). Dans ce cadre imposé de la séance, le fait que toutes les classes aient choisi de représenter les mêmes phénomènes et lieux marquants et les mêmes ressources ne présage pas d’une homogénéité des situations au sein des quartiers. Les conditions d’accès ou encore la fréquentation de certains lieux (points de distribution de vivres par exemple) varient en fonction de critères tels que le quartier d’origine, l’âge ou encore le sexe.

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Tableau 3 - Thèmes sélectionnés par les classes pour représenter leurs trajectoires de vie post- Irma

CODE CLASSE TOTAL

THÈMES A B C D E F G H

Lieu de vie avant Irma X X X X X X X X 8

Lieu de vie après Irma X X X X X X X X 8

Points d’accès au wifi X X X X 4

Distribution d’eau X X X X X X X 7

Distribution de nourriture X X X X X 5

Zones pillées X X X X 4

Zones inondées X X X 3

Zones reconstruites X X X X 4

Personnes décédées X X X X 4

Zones détruites X X X X X X 6

29 En fonction de la répartition spatiale des élèves et des différentes situations individuelles, nous avons agrégé les informations à l’échelle des quartiers. Nous considérons comme fiables des zones ou points identiques cartographiés par plusieurs groupes. Il y a, par exemple, peu d’ambiguïté sur les lieux de distribution des vivres. L’absence de représentation d’un de ces lieux par une classe correspond à une méconnaissance du petit groupe habitant le quartier en particulier (absence des élèves pendant une période, interdiction de s’éloigner de leur rue, etc.). Les élèves ont utilisé la carte de leur quartier pour localiser les points d’accès (eau, nourriture), et la carte à l’échelle de l’île entière pour représenter des phénomènes moins ponctuels comme les zones pillées, inondées ou reconstruites sur l’île, qui sont de taille et de forme différentes d’un groupe à l’autre. Ces représentations renseignent sur leur perception des autres quartiers, et éventuellement leurs préjugés, faisant naitre en classe de riches débats sur la réalité des faits entre les groupes de quartiers différents (cf. Infra).

Des adolescents impliqués dans la reconstruction de leurs quartiers

30 Compte tenu de la richesse des échanges, nous faisons le choix ici de ne pas discuter de tous les éléments représentés. Dans un souci de cohérence et dans la mesure où nous avons guidé le récit pour suivre un ordre chronologique, nous présentons les résultats dans le même ordre : l’analyse des déplacements juste avant et après le cyclone, puis les

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enjeux autour du ravitaillement et enfin l’analyse de la perception de la reconstruction de l’île.

Les déplacements et les liens avec la scolarité

31 La veille du cyclone, une liste officielle de refuges ouverts à la population a été diffusée dans la presse et sur les réseaux sociaux. La gendarmerie et la police territoriale ont incité les populations des quartiers les plus exposés à évacuer, mais selon la préfète déléguée, plus de 7 000 personnes ont refusé d’évacuer. Sur les 191 élèves interrogés, 16 ont déclaré s’être déplacés avec leur famille vers des logements plus sûrs quelques heures avant Irma, mais aucun n’a déclaré s’être rendu dans un refuge officiel.

32 Suite à l’endommagement et la destruction de nombreux bâtiments, les habitants ont été amenés à vivre momentanément ou définitivement ailleurs que « chez eux ». D’après le ministère des Outre-mer, ce sont entre 7 000 et 8 000 habitants qui ont quitté la partie française de l’île de Saint-Martin9. La rupture des réseaux d'eau et d'électricité ainsi que le climat d’insécurité – perçu et / ou effectivement vécu – des premiers jours (cf. Infra) ont incité certaines familles à quitter l'île. Selon Cotelle (2014), en post- catastrophe l’insécurité peut être réelle (vols, pillages, etc.) sans qu’elle soit nécessairement corrélée au sentiment d’insécurité ressenti par les populations. Cette période peut en effet être le théâtre d’une augmentation des incivilités et de la délinquance (Moatty, 2015), voire des crimes comme ce fut par exemple le cas après Katrina à la Nouvelle-Orléans (Curtis et Mills, 2011 ; Nobo et Pfeffer, 2012 ; Cotelle, 2014).

33 Il n’y a pas de description fine disponible des personnes qui sont parties, même si les consignes ont été données d’évacuer en priorité les jeunes enfants accompagnés de leur mère, puis les familles. D’après nos entretiens avec l’Éducation Nationale et les enseignants, la majeure partie des élèves est revenue pour la rentrée de la Toussaint (le 6/11/2017), et d’autres sont revenus pour celle de septembre 2018. Certaines familles ont été séparées, les pères à Saint-Martin et les femmes et enfants ailleurs (Guadeloupe, Martinique, métropole, étranger), avec pour principale motivation la volonté de scolariser les enfants au plus vite. Le collège de Quartier d’Orléans et la cité scolaire R. Weinum ont rouvert le 2 octobre, et dans les autres établissements publics du secondaire les enseignements ont repris le 6 novembre 2017 (avec un effectif autour de 63 %). Certains établissements scolaires ont été complètement détruits, à l’image du collège Soualiga, définitivement fermé et fusionné avec la cité scolaire R. Weinum, entrainant d’importantes perturbations en termes d’emploi du temps et de conditions de travail, tant pour les enseignants et les élèves (cours condensés sur la matinée ou l’après-midi selon le niveau).

34 Pour l’ensemble des élèves du secondaire, les cours d’éducation physique et sportive n’ont repris qu’au cours de l’année 2018. Ces difficultés ont contribué à amener certaines familles à scolariser leurs enfants hors de l’île pendant plusieurs mois. Ainsi, sur les 191 élèves enquêtés, 29 sont partis en Guadeloupe, en métropole ou dans d’autres pays comme le Canada, l’Ecosse ou les Pays-Bas. Sur les 29 élèves, 21 étaient en 3ème ou au lycée à la rentrée 2017. En outre, près de 19 % des élèves interrogés ne vivent plus dans le logement qu’ils occupaient avant Irma, entrainant des temps de transports supplémentaires.

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Ravitaillement et participation des adolescents

35 Les consignes de préparation ont été largement diffusées en début de période cyclonique et à l’annonce d’Irma (Defossez et al., ce numéro). Il était notamment recommandé de préparer des réserves d’eau pour une semaine et de nourriture pour 15 jours. Nos résultats montrent que la quasi-totalité des familles a préparé ces réserves, mais qu’elles se sont rapidement avérées insuffisantes, rendant nécessaire la recherche d’eau et de nourriture pour subvenir à leurs besoins (Moatty et al., 2019). Du fait de la faible accessibilité des routes et du nombre réduit de moyens de transport fonctionnels, les déplacements se faisaient surtout à pieds et majoritairement dans le périmètre du quartier, contraignant l’extension géographique des actions de solidarité au bloc de rues, à la résidence, tout au plus au quartier.

36 Le niveau de précision et l’exhaustivité des informations révèle une implication importante des adolescents dans le ravitaillement, ainsi qu’une organisation interne à l’échelle du quartier, ou de la rue, avec des relais mis en place par les habitants ou par des associations de quartier (illustration 4). Dans cette organisation, les adolescents ont entre autres été chargés d’aller chercher les rations soit en compagnie d’un de leurs parents, soit avec des proches, seuls plus rarement. Les adolescents ont participé (22 % de notre échantillon, principalement des garçons) aux distributions de vivres. Certains élèves enquêtés ont mis en avant le fait qu’ils avaient récupéré des rations pour des personnes âgées, ou à mobilité réduite. Ils ont participé aux mêmes actions que les adultes, la plupart du temps à leurs côtés, mais l’extension géographique de leurs actions est restreinte (les déplacements des adultes s’étant étendus sur des périmètres plus larges).

37 La cartographie obtenue des zones de ravitaillement en eau et en vivres dans les différents quartiers montre une multitude de points de distribution. On retrouve les 11 points officiels dont la position était diffusée par la préfecture déléguée des îles du Nord et celle de Guadeloupe (illustration 4), ainsi que de nombreux autres points de distribution. La principale explication est que les élèves ont indiqué les lieux d’arrêt des camions de la sécurité civile lors des maraudes.

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Illustration 4 - Points de distribution d’eau sanitaire et de nourriture entre le 10 septembre et le 29 octobre 2017, suite au cyclone Irma à Saint-Martin

Rôle des adolescents dans la solidarité

38 Lorsque l’on demande, via le questionnaire, aux 191 élèves « à quelles actions de solidarité avez-vous participé depuis le passage d’Irma ? », une large majorité des réponses concerne les activités de nettoyage (illustration 5). Ces activités recouvrent le nettoyage d’une maison (55 %) (que ce soit la leur ou bien celle d’amis ou de membres de la famille), des rues (31 %) ainsi que le déblaiement des débris dans l’espace public (30 %). Notre enquête montre que les garçons ont été significativement (test du KHI2 alpha = 0.05) plus impliqués que les filles dans les activités de nettoyage des rues. Les adolescents ont également participé aux actions d’entraide telles que la garde d’enfants (24 %), la distribution de vivres (22 %) ou encore la réparation d’habitations (15 %) (illustration 5).

39 Nous avons également cherché à identifier les facteurs déclencheurs de leur engagement. La réponse la plus fréquente a été « j’ai décidé tout seul [de participer] » à 31 % (sur 126 réponses, les modalités étaient proposées aux élèves). La « sollicitation par des proches » et les « réactions de réciprocité et d’entraide » sont ensuite les plus représentées (59 %). Arrive ensuite la « réaction spontanée face au constat de la catastrophe sur les réseaux sociaux » (8 %). Certains ont évoqué une « demande venant des autorités » (6 %, catégorie « autre » du questionnaire), sans que les élèves aient pu nommer ces autorités.

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Illustration 5 - Actions réalisées par les adolescents à Saint-Martin après Irma

Sources : données issues du protocole mis en place par les auteurs.

40 Dans l’immédiate post-crise, les conditions fortement dégradées, tant en termes d’accessibilité que de disponibilité des ressources humaines et matérielles mobilisables pour le maintien de l’ordre, ont donné naissance à des milices locales auto-organisées. Elles ont été constituées dès le lendemain de la catastrophe à l’échelle des résidences ou des groupes d’habitations voisins, par les sinistrés eux-mêmes. Tous les groupes enquêtés ont évoqué la situation d’insécurité les jours après Irma, en indiquant en particulier des zones pillées. Un peu plus de 12 % des élèves ont déclaré avoir été impliqués dans cette organisation et avoir pris part à des actions de surveillance, c’est particulièrement vrai pour les garçons (test du KHI2 alpha = 0.05). Les destinataires de ces actions de solidarité sont d’abord les voisins proches (60 %), l’entourage et la famille de l’adolescent (65 % des membres de la famille). Viennent ensuite, dans une logique de solidarité familiale, les membres de leur quartier (33 %), puis ceux d’un autre quartier (16 %). Ces données sont cohérentes avec les analyses de Supiot (2015) mentionnées plus haut.

La reconstruction de l’île vue par les adolescents

41 En plus de la classe enquêtée en octobre 2017, une classe n’a pas voulu représenter la reconstruction. Les élèves de cette classe ont préféré insister sur « ce qui n’était pas reconstruit », arguant que le processus n’avait pas encore démarré en octobre 2018. Deux classes ont quant à elles choisi de représenter les « zones dans lesquelles les travaux de réparation avaient commencé », une classe a représenté les « zones en réparation et en reconstruction », et une autre a quant à elle évoqué les « projets de reconstruction ». Une seule classe a choisi de représenter les zones qui étaient « le mieux reconstruites ». Les enquêtes complémentaires et notes de séance révèlent qu’il s’agit davantage d’une question de choix de vocabulaire révélateur de leur perception, que d’une dynamique spatiale.

42 Les territoires identifiés comme étant « les plus avancés » dans le processus de reconstruction sont d’abord des zones d’intérêt économique telles que Hope Estate et Grand Case. À l’échelle des enjeux, on retrouve les grandes surfaces, des restaurants de plage, ainsi que le cinéma et une enseigne de grande consommation à Sint-Maarten. Les deux aéroports sont aussi représentés par une majorité d’élèves. Viennent ensuite les

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quartiers aisés des Jardins d’Orient Bay (quartier ouest de la Baie Orientale) et de la Baie Orientale, et, dans une moindre mesure, les résidences de logements sociaux de Quartier d’Orléans. En traçant ces zones sur leurs cartes, les élèves évoquent unanimement la lenteur de la reconstruction des logements et infrastructures scolaires, que ce soit pour Saint-Martin ou Sint-Maarten. « Il fallait reconstruire les stades et les écoles en premier parce que sinon les enfants font des bêtises, il faut dépenser toute cette énergie » (témoignage d’un élève de 4ème).

43 À travers ce témoignage, approuvé et relayé par de nombreuses classes, se lit le sentiment que l’éducation et les activités parascolaires n’ont pas été assez considérées par les pouvoirs publics. Une nuance est à apporter ici car, pour les élèves interrogés, « tout était prioritaire ». Plusieurs classes ont aussi mentionné le bien fondé du choix de donner la priorité aux écoles primaires : « Il fallait que l’école reprenne vite pour les petits pour qu’on puisse aller aider nos parents et nos voisins. Ce n’est pas notre rôle de faire ça, mais si on veut aider on peut. Toutes les aides étaient importantes… » (témoignage d’un élève de 2nde). Ce qui ressort de cette analyse est que les adolescents questionnent la priorisation des catégories d’enjeux à reconstruire et qu’ils opposent le retard des logements et des équipements scolaires, à la rapidité de reconstruction des bâtiments et infrastructures dédiés aux activités économiques.

44 À ce titre, une large majorité des élèves considère que Sint-Maarten est plus avancée dans le processus de reconstruction, en lien avec une gestion plus efficace de l’insécurité. Les adolescents (c’est aussi le cas chez la plupart des adultes interrogés) pensent que le maintien de l’ordre a été mieux assuré en « partie néerlandaise » qu’en « partie française », où les pillages ont été très médiatisés. Les élèves interrogés y ont assisté, parfois participé, et ils ignoraient qu’il y en avait eu de l’autre côté de la frontière. La circulation sur les routes a été difficile pendant les premiers mois et l’absence de transport en commun a limité leurs déplacements « de l’autre côté », donnant lieu à une représentation davantage fantasmée et fondée sur les discours entendus que sur leur vécu.

45 Les élèves de Saint-Martin pensaient que « les policiers hollandais eux ils tiraient à bout portant sur les pilleurs alors que nous ici ils ne faisaient rien, ils filmaient c’est tout ! » (élève de 4ème). Ces affirmations ont été récusées avec force par les élèves habitant à Sint-Maarten : « Pas du tout ! Vous dites n’importe quoi ! Mon oncle a un commerce de l’autre côté [Sint-Maarten] et il s’est fait piller, y’avait pas de policier rien, on a dû se défendre tous seuls nous aussi ! » (élève de 4ème). Les liens entre maintien de l’ordre et reconstruction sont étroits (Cotelle, 2014), le premier étant une condition sine qua non au démarrage du processus de reconstruction. C’est d’autant plus vrai sur ce territoire dont les revenus sont issus en large majorité du tourisme. Les élèves ont assimilé la reprise de l’activité touristique, et donc économique, à l’image négative marquée par le contexte d’insécurité dont les médias se sont emparés et qu’ils ont relayée et déformée (Moatty et al., 2019), faisant ainsi perdurer artificiellement durant des mois, un phénomène dont la durée réelle s’est étalée sur quelques semaines tout au plus.

46 En filigrane, la comparaison des deux côtés de l’île a donné lieu à une discussion sur les facteurs qui ralentissent la reconstruction, au premier rang desquels les pillages. Une distinction est opérée par la totalité des groupes interrogés : d’une part les « pillages de nécessité »10 qui recouvrent les produits de première nécessité, et d’autre part, les « pillages abusifs » (matériel électronique, de magasins d’accessoires, etc.). Cette

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distinction traduit un sentiment de peur, celle de manquer, de ne rien avoir à manger : « au début on a cru qu’on était seuls, que personne ne viendrait nous aider parce qu’il y avait Maria et José qui arrivaient, alors on a pris parce qu’on avait peur ! Mais prendre des téléphones et des télévisions c’est autre chose, il faut faire la différence c’est important » (élève de 4ème).

Conclusion

47 Le contexte post-catastrophe et plus particulièrement la sortie de crise est un moment de perte des repères familiaux, culturels et spatiaux. Le protocole de cartographie collaborative réalisé avec les élèves de collège et lycée nous a permis de montrer que les adolescents ont une bonne connaissance du déroulement et des enjeux de la période post-crise sur leur territoire. Le plus souvent restreinte au quartier d’habitation, l’information cartographiée est précise. Elle met en lumière la perception d’inertie et d’inégalité dans le processus de reconstruction pour une tranche d’âge souvent absente des études. Elle nous a aussi permis de compléter l’analyse de la période post-crise faite à partir des données officielles de la préfecture et de la collectivité territoriale.

48 Les adolescents saint-martinois ont indéniablement été des victimes, mais aussi des acteurs de la reconstruction puisqu’ils ont œuvré au nettoyage des rues et maisons, participé aux distributions d’eau et de nourriture et gardé des enfants. Ils ont aussi pris part aux actions de surveillance du quartier, l’évacuation de blessés ou encore la recherche de personnes portées disparues, actions a priori moins adaptées à leur âge. La prédominance du critère de proximité géographique dans le choix des personnes aidées s’explique d’un côté par les façons de vivre et de pratiquer le territoire, fortement structurées à l’échelle du quartier, voire du bloc de rue ou de la résidence, et d’un autre côté, par la faible mobilité des adolescents. Cette échelle est aussi révélatrice d’une différence majeure avec les actions menées par les adultes, qui s’étendent sur un territoire plus vaste, celui de l’île entière. Le « capital social » mobilisé par les adolescents en post-Irma s’appuie principalement sur le réseau familial et le voisinage. Les relations d’amitié et de camaraderie hors du quartier ont été confrontées aux difficultés de déplacement (dépendance d’un adulte pour être motorisés) et d’accessibilité (état des routes).

49 Cette situation n’est pas propre à Saint-Martin et se retrouve dans de multiples situations post-catastrophe, pourtant les adolescents sont un « angle mort » des plans de gestion. En France les messages diffusés dans les documents et exercices à destination du jeune public sont lacunaires. À titre d’exemple, les campagnes de prévention du risque cyclonique diffusées aux Antilles ne mentionnent pas la fermeture des écoles. Pourtant lors d’un évènement grave, la vie quotidienne des enfants et des familles est perturbée sur une durée variable, surtout quand les établissements scolaires ne sont plus accessibles (suite au passage du cyclone Irma, ils ont été rouverts au bout de 2 mois). Dans le développement des approches par les capabilités en post-catastrophe, la prise en compte de leurs besoins, dont celui d’être actif et de participer à la reconstruction, sont des éléments clés dans la mise en œuvre d’une trajectoire de reconstruction qui soit à la fois « éthique et préventive » (Moatty et al., 2017). Ainsi, malgré l’échelle d’action réduite des adolescents, nos travaux démontrent qu’ils ont développé une réelle capacité d’action dans la sortie de crise et le relèvement post-catastrophe d’une part, et que l’analyse de leurs discours, de leurs

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vécus, permet de compléter les retours d’expérience officiels par le biais de données géo-localisées collectives et individuelles de première main.

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NOTES

2. Article 388 du Code Civil : « Le mineur est l'individu de l'un ou l'autre sexe qui n'a point encore l'âge de dix-huit ans accomplis. » 3. Traduit de l’anglais « adolescent ». La définition est discutée plus bas dans l’introduction. 4. http://www.com-saint-martin.fr/ressources/Contrat-de-ville-Saint-Martin-14-12-15.pdf consulté le 18/12/20 et http://www.com-saint-martin.fr/ressources/Contrat-de-ville-Saint- Martin-14-12-15.pdf 5. LOI organique n° 2007-223 du21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer (JORF n° 45 du 22 février 2007, p. 3121) 6. https://seidn.ac-guadeloupe.fr/sites/default/files/documents/ seidn_un_nouveau_point_concernant_les_etablissements_scolaires_-_avril_2018_repare.pdf consulté le 18/12/20 7. IRIS pour Ilots Regroupés pour l'Information Statistique. 8. http://www.soualigapost.com/fr/actualite/32164/d%C3%A9cryptage/les-%C3%A9coles- fran%C3%A7aises-accueillent-1-800-enfants-de-plus-que-celles-de-la consulté le 20/12/19 9. https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2018/09/dp_irma_- _bilan_1_an.pdf 10. Notons ici que dans certains cas le terme de pillage n’est pas juste car plusieurs magasins ont ouvert leurs portes pour que les habitants du quartier se servent. 1. CASCIRA vise la caractérisation et l’analyse des mécanismes de solidarité mis en place après le passage du cyclone Irma afin de comprendre leurs poids dans les processus de résilience et d’adaptation post-catastrophe à différentes échelles (du collectif à l’individuel).

RÉSUMÉS

Le 3 septembre 2017 alors que le cyclone Irma s’approche de Saint-Martin, la rentrée scolaire est reportée sine die pour les 8 000 élèves inscrits dans les écoles publiques et les 900 personnels de l’Éducation Nationale. Le cyclone ayant endommagé une majorité de bâtiments et d’infrastructures (dont les établissements scolaires) certains élèves de l’île n’ont pas été scolarisés pendant deux mois. Nous proposons dans ce travail de considérer les récits des adolescents en tant que données susceptibles d’alimenter les retours d’expérience post- catastrophe. Notre objectif est de comprendre le vécu des adolescents et de caractériser les

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actions qu’ils ont menées en période post-crise. Si leur rôle est reconnu, leurs actions et les contextes de mise en œuvre méritent alors d’être précisés.

On 3 September 2017, as cyclone Irma approaches Saint-Martin, the rectorate postponed sine die the school start for 8 000 students registered in public schools and 900 national education staff. As the cyclone damaged a majority of buildings and infrastructure (including schools), some of the island's pupils did not attend school for two months. In this work, we propose to consider the stories of adolescents as data likely to feed the post-disaster feedback. Our goal is to understand the experiences of adolescents and to characterize the actions they carried out in the post-crisis period. If their role is recognized, then their actions and implementation contexts need to be clarified.

INDEX

Mots-clés : Irma, Saint-Martin, reconstruction post-catastrophe, éducation, adolescents Keywords : Irma, Saint-Martin, post-disaster recovery, education, teenagers Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

ANNABELLE MOATTY Annabelle Moatty, [email protected], est chercheur post-doctorante ANR Tirex (ANR-18- OURA-0002) & Projet Cascira, Laboratoire de Géographie Physique (UMR 8591). Elle a récemment publié : - Barraqué B., et Moatty A., 2019. The French Cat’ Nat’ system: improving post-flood recovery but not so much resilience? Environmental Hazards [En ligne], Special Issue Financial Schemes for Flood Recovery and their Impact on Flood Resilience, p. 1747-7891. DOI: https://doi.org/ 10.1080/17477891.2019.1696738 - Moatty A., Grancher D., Virmoux C., Cavero J., 2019. Bilan humain de l’ouragan Irma à Saint- Martin : la rumeur post-catastrophe comme révélateur des disparités socio-territoriales. Géocarrefour [En ligne], vol. 93, n° 2. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/12918 - Moatty A., Gaillard JC., Vinet F., 2017. Du désastre au développement, les enjeux de la reconstruction post-catastrophe. Annales de géographie, n° 714, p. 169-194.

DELPHINE GRANCHER Delphine Grancher, [email protected], est ingénieur de recherche au Laboratoire de Géographie Physique (UMR 8591). Elle a récemment publié : - Goeldner-Gianella L., Grancher D., Magnan A.-K. et al., 2019. The perception of climate-related coastal risks and environmental changes on the Rangiroa and Tikehau atolls, French Polynesia: the role of sensitive and intellectual drivers. Ocean & Coastal Management, n° 172, p. 14-29. - Goeldner-Gianella L., Grancher D., Robertsen O. et al., 2017. Perception of the risk of tsunami in a context of high-level risk assessment and management: the case of the fjord Lyngen in Norway. Geoenvironmental Disasters [En ligne], vol. 4, n° 7, 15 p. DOI: https://doi.org/10.1186/ s40677-017-0068-y - Texier-Teixeira P., Chouraqui F., Lavigne F. et al., 2014. La Cartographie Participative en 3 dimensions (CP3D) comme outil au service d'une gestion partagée des risques ? Bulletin de

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l’association de géographes français [En ligne], vol. 91, n° 3. URL : http:// journals.openedition.org/bagf/1631 - DOI : https://doi.org/10.4000/bagf.1631

CLÉMENT VIRMOUX Clément Virmoux, [email protected], est ingénieur d’études au Laboratoire de Géographie Physique (UMR 8591). Il a récemment publié : - Jugie M., Gob F., Virmoux C. et al., 2018. Characterizing and quantifying the discontinuous bank erosion of a small low energy river using Structure-from-Motion Photogrammetry and erosion pins. Journal of hydrology [En ligne], n° 563, p. 418-434. DOI: https://doi.org/10.1016/j.jhydrol. 2018.06.019 - Gilet L., Gob F., Virmoux C. et al., 2018. Suivi de l’évolution morphologique et sédimentaire de l’Yonne suite à la première phase du démantèlement du barrage de Pierre Glissotte (Massif du Morvan, France). Géomorphologie : relief, processus, environnement [En ligne], vol. 24, n° 1. URL : http://journals.openedition.org/geomorphologie/11946 - DOI: https://doi.org/10.4000/ geomorphologie.11946 - Villa V., Virmoux C., Chaussé C. et al., 2016. The long sedimentary succession of the valle giumentina basin (abruzzo, central italy): New evidence from stratigraphic studies and electrical resistivity tomography (ert). Alpine and Mediterranean Quaternary, vol. 29, n° 2, p. 193-199

JULIEN CAVERO Julien Cavero, [email protected], est ingénieur d’études au laboratoire de Géographie Physique (UMR 8591). Il a récemment publié : - Faïsse C., Mathé V., Bruniaux G. et al., 2017. Palaeoenvironmental and archaeological records for the reconstruction of the ancient landscape of the Roman harbour of Narbonne Aude, France. Quaternary International [En ligne], vol. 463, Part A, 2, p. 124-139. DOI: https://doi.org/10.1016/ j.quaint.2017.03.072 - Saint-Raymond L., De Maupeou F., Cavero J., 2016. Les rues des tableaux / The Geography of the Parisian Art Market 1815-1955, Artl@s Bulletin, vol. 5, n° 1, p. 119-159. URL: http:// docs.lib.purdue.edu/artlas/vol5/iss1/10/ - Depeyrot G., Cavero J., Tricoche A., 2016. Le port de Shanghai et le commerce : l’exemple de 1901 et 1907, From Underground to End-Users, Global monetary history in scientific context. Moneta, Documents and Studies on 19th c. Monetary History, n° 194, p. 61-78.

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Le tourisme comme enjeu dans la reconstruction post-catastrophe naturelle Le cas de Saint-Martin (Antilles Françaises)

Marie Cherchelay

1 2017 a été une saison cyclonique active dans l’Océan Atlantique nord, avec le passage de plusieurs phénomènes cycloniques majeurs : José (catégorie 4), Maria (catégorie 5) Harvey, (catégorie 4) ou encore Irma (catégorie 5). Parmi les plus puissants enregistrés dans le bassin Atlantique nord (Nicolas et al., 2018), Irma atteint Saint-Martin le 6 Septembre 2017.

2 Île de 90 km², Saint-Martin est partagée en deux parties, dépendantes de deux métropoles européennes. Au sud, Sint Maarten est un État associé au Royaume des Pays-Bas et au nord Saint-Martin est une Collectivité d’Outre-mer française (illustration 1). Ces deux territoires bénéficient de statuts spécifiques, leur conférant une large autonomie par rapport à leur métropole de rattachement. Dans ce texte la distinction entre les territoires sera faite comme suit : Sint Maarten fera référence à la partie néerlandaise, Saint-Martin à la partie française et on parlera de « l’île de Saint- Martin » ou de « l’île », lorsqu’il s’agira de l’ensemble du territoire.

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Illustration 1 - Saint-Martin, une île binationale du nord des Antilles

Source : Open Street Map (2019). Auteur : M. Cherchelay.

3 L’île se caractérise par une mono-économie touristique. Les emplois présentiels représentent 81 % des emplois de Saint-Martin (contre 66 % en métropole), avec une surreprésentation du secteur de l’hébergement restauration « directement lié au tourisme » (Gustin, 2017). Le constat est similaire à Sint Maarten, où l’économie est essentiellement basée sur le secteur des services et dépendante à 80 % du secteur touristique1.

4 Lors du passage d’Irma, des vents à plus 287 km/h ont été enregistrés (Cangialosi et al., 2018). Ils ont été accompagnés par un important phénomène de submersion marine. 112 % du territoire a été submergé en partie française. Les réseaux électriques, d’eau et de communication ont été endommagés ou rendus inutilisables, 95 % des bâtiments ont été abîmés ou détruits (Gustin, 2017) et 15 personnes ont perdu la vie de part et d’autre de la frontière (onze en partie française et quatre en partie néerlandaise) (Nicolas et al., 2018 ; Moatty et al., 2019). L’impact sur l’économie touristique est fort, les infrastructures de transport ont été détruites ou fortement endommagées, ainsi que les hôtels et les restaurants.

5 Un ensemble d’acteurs s’est mobilisé pour répondre, dans un premier temps, à la situation d’urgence, puis pour mettre en place un processus de reconstruction à plus long terme. Moteur économique de l’île, le tourisme constitue un enjeu majeur pour sa reconstruction et apparaît comme au cœur des stratégies de reconstruction, plus particulièrement en partie française où il est mobilisé comme domaine d’action par les acteurs publics. Le rôle des acteurs publics dans la gestion des risques est particulièrement marqué dans le contexte français (Richemond et Reghezza, 2010). On parle de « réinventer un tourisme durable » dans le rapport du Délégué interministériel à la reconstruction de Saint-Martin, et du tourisme comme « projet de territoire » dans

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le schéma territorial d’aménagement et de développement touristique de reconstruction (STADTR) de la Collectivité d’Outre-mer.

6 S’intéresser au processus de reconstruction par le prisme du tourisme permet ici d’analyser les jeux d’acteurs complexes qui émergent (ou réémergent) en période de reconstruction. Comment ces jeux d’acteurs autour du tourisme se traduisent-ils dans la reconstruction ? Quelles sont alors la ou les trajectoires envisagée(s) par les acteurs de la reconstruction pour le territoire ?

7 Cet article se concentre sur la reconstruction en partie française de l’île, sans pour autant occulter la partie néerlandaise puisque Saint-Martin et Sint Maarten ne fonctionnent pas indépendamment l’une de l’autre. Après avoir présenté le cadre conceptuel et la méthodologie utilisée, la partition de l’île et ses conséquences sur le fonctionnement et le développement touristique du territoire seront analysées. Puis l’on s’intéressera à la reconstruction post-Irma. Les services de l’État et la Collectivité d’Outre-mer (COM) se saisissent en effet du tourisme dans les processus et trajectoires de reconstruction qu’ils envisagent. Différentes et parfois opposées, ces trajectoires sont source de conflits et interrogent : comment le tourisme, et à travers lui le territoire, sont-ils reconstruits ?

Appréhender la reconstruction post-catastrophe naturelle d’un territoire insulaire touristique

La reconstruction post-catastrophe par le prisme du tourisme

8 Cet article est basé sur un travail bibliographique et un ensemble de données collectées et analysées dans le cadre d’une thèse de géographie, actuellement en cours. Il s’inscrit dans la géographie des risques, et plus particulièrement des risques dit « naturels ». Le risque est présenté comme la possibilité de rencontre entre un aléa et les vulnérabilités constitutives d’une société (Pigeon, 2002 ; Becerra, 2012). L’attention de la recherche et des praticiens a longtemps été focalisée sur l’aléa, c’est-à-dire sur le processus physique, son impact et les moyens de le contrôler. Cette seule approche apparaît aujourd’hui dépassée (Pigeon, 2002 ; Veyret et al., 2005 ; Becerra, 2012). On s’intéresse désormais également aux causes humaines, politiques et sociales qui conduisent au passage du risque (probabilité) à la catastrophe (effective) que va subir un ou des territoire(s) (Pigeon, 2002).

9 La catastrophe agit alors comme un révélateur des vulnérabilités des sociétés (Leone et Vinet, 2006 ; Quenault, 2014) et peut être mobilisée comme une opportunité de changement et déclencher de nouvelles dynamiques et de nouveaux discours (Christoplos, 2006 ; Vanssay, 2010 ; Rose, 2011 ; Crozier et al., 2017). La reconstruction est une période durant laquelle ces changements sont particulièrement notables. Le terme de reconstruction désigne ici « l'ensemble des politiques, stratégies, et programmes d'actions mis en œuvre par les gestionnaires et décideurs à destination des acteurs locaux leur permettant de relancer le fonctionnement du territoire » (Moatty, 2015, p. 432) suite à la survenue d’une catastrophe. Elle constitue un moment de décloisonnement entre acteurs, autour de la reconstruction comme objectif commun (Moatty et al., 2017) et constitue une opportunité pour réorienter les trajectoires d’évolution des territoires (Moatty et al., 2017 parlent de « trajectoires de

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reconstruction » influencées par les facteurs sociaux, de gouvernance et économiques propres à chaque contexte).

10 Dans les politiques de gestion des risques, la réduction de la vulnérabilité et l’augmentation de la résilience sont considérées comme des « objectifs-clés » (Benitez et Reghezza, 2018). La vulnérabilité est un « concept polysémique » qui recouvre à la fois « les conditions d’endommagement et, par extension, la capacité de réponse de l’objet menacé » (Veyret et Reghezza 2006, p. 63). Cette définition de la vulnérabilité inclut l’idée de résilience (Veyret et Reghezza, 2006), définie comme « l’aptitude d’un système, d’une collectivité ou d’une société potentiellement exposée à des aléas à s’adapter, en opposant une résistance ou en se modifiant, afin de parvenir ou de continuer à fonctionner convenablement avec des structures acceptables. La résilience d’un système social est déterminée par la capacité de ce système à s’organiser de façon à être davantage à même de tirer les enseignements des catastrophes passées pour mieux se protéger et à réduire plus efficacement les risques » par le Département des Nations Unies pour la réduction des risques de catastrophes (UNISDR, 2004). Or, comme le montre Patrick Pigeon avec le cas de la Faute-sur-Mer, la résilience n’a pas une signification absolue (Pigeon, 2012). Elle dépend de l’interprétation de ce qu’est la catastrophe et des « structures » qui doivent être préservées. À la Faute-sur-Mer, le passage de la tempête Xynthia en février 2010, a causé la mort de 29 personnes. La mise en place de zones « noires » par les services de l’État devait initialement conduire à la destruction de 650 maisons, construites sur des terrains exposés au phénomène de submersion marine dû à Xytnhia. Une telle mesure constitue une mesure de résilience dans le cadre de la gestion des risques en France, et de la définition donnée par l’UNISDR, et vise à prévenir la survenue d’une future catastrophe par des mesures de réduction de l’exposition aux risques (dans le sens des dommages humains et économiques infligés par Xynthia). Or la commune de la Faute-sur-Mer a maintenu pendant « plus d’un demi-siècle » (Pigeon, 2012) une urbanisation de faible densité. La mise en place des zones « noires » aurait donc modifié les structures de peuplement de la commune en les amenant vers la densification de l’existant, ce qui aurait été une « catastrophe » (Pigeon, 2012) pour la commune. Cette notion de résilience constitue donc un cadre pour l’analyse des périodes de reconstruction, permettant de comprendre quelles « structures » sont à préserver pour les acteurs et comment ils négocient leur maintien.

11 D’autres travaux sur la période de reconstruction post-catastrophe ont montré le rôle des jeux d’acteurs, comme ceux de Julie Hernandez et de Sandrine Revêt, pour ne citer qu’elles. À la Nouvelle-Orléans, après Katrina, Julie Hernandez aborde le processus de reconstruction par la création d’un capital de reconstruction à l’échelle des communautés locales, qui vient combler le manque d’intervention des acteurs publics (Hernandez, 2009). À Vargas au Venezuela, Sandrine Revet s’intéresse aux stratégies de différents acteurs (habitants, associations d’habitants et instance gouvernemental en charge des travaux de reconstruction) pour négocier leur réinstallation dans des quartiers exposés et donc la perception du risque (Revet, 2006).

12 Dans le contexte saint-martinois, le tourisme est un enjeu pour les acteurs de la reconstruction du territoire. Le tourisme sera ici entendu comme un système (Lazzarotti, 1994 ; Violier, 2016) complexe qui intègre un large éventail d’intervenants (gouvernements, secteurs publics et privés, communautés hôtes, touristes) (Sarrasin et al., 2016). Cette approche systémique permet aux géographes d’étudier les

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configurations sociales et politiques, les jeux d’acteurs et rapports de forces dans lesquels il se place, ainsi que le rôle des acteurs publics et privés et du cadre institutionnel dans la mise en tourisme des territoires.

13 Le cas des petites îles tropicales illustre la dualité des approches du tourisme en géographie. Vecteur de développement économique et d’intégration des petites îles tropicales, le tourisme est également une pratique qui questionne, entre autres, l’inclusion des populations locales dans ses dynamiques et son impact sur l’environnement. Pour Virginie Duvat, le tourisme permet l’intégration de ces îles au « système monde » (Duvat, 2006) mais peut conduire, selon les contextes politiques, à la dégradation de leur environnement. Chez Olivier Dehoorne, le tourisme est abordé par l’angle des « pressions » qu’il met sur les sociétés d’accueil et leurs ressources (Dehoorne, 2006). Pour Michel Desse et al., le tourisme est un moteur du développement territorial mais pose également la question de son appropriation par les habitants. Ils comparent la ville de Sainte-Anne (Guadeloupe) où les espaces touristiques sont appropriés par les habitants, à la plage de Labadie (Haïti) qui fonctionne comme une enclave touristique (Desse et al., 2018).

14 Ces espaces basent leur attractivité sur des représentations stéréotypées d’isolement, de paradis et d’exotisme (l’eau bleu turquoise, les plages paradisiaques), propres aux îles tropicales, qui créent un désir d’exotisme et même un « désir de Caraïbes » (Dehoorne, 2007). Ces îles du « bout du monde », « figure de l’isolement » sont paradoxalement accessibles en quelques heures d’avions, accessibilité qui a participé à leur construction en tant que lieux touristiques (Bernardie-Tahir, 2005). L’île de Saint- Martin est par exemple à environ 4 heures de vol de New-York. Leur mise en tourisme fait appel à cet ensemble de représentations et à leur préservation pour maintenir l’image qui correspond aux attentes des touristes. Or les catastrophes « naturelles » font partie des événements qui peuvent ternir l’image d’une destination touristique (Huan et al., 2004).

15 Il existe une littérature anglo-saxonne développée sur les interactions entre tourisme et catastrophe. L’impact des catastrophes « naturelles » et dues à l’homme (attaques terroristes par exemple) sur le tourisme à l’échelle d’un pays tel que l’Indonésie (Rindrasih et al., 2019), l’amélioration de la résilience des destinations littorales par les processus de gestion des risques de catastrophes (Nguyen et al., 2016) ou l’intégration des principes d’une « meilleure reconstruction » (Build Back Better), après le passage de cyclones à Rarotonga (îles Cook) (Wilkinson et al., 2018) en sont quelques exemples récents. D’autres travaux sur les reconstructions post-cyclones de 2017 lient reconstruction et tourisme en contexte insulaire tropicale. À Barbuda par exemple Gould et Lewis parlent de « greentrification » du tourisme au détriment des habitants de l’île, éloignés des processus de décision par la catastrophe (Gould et Lewis, 2018).

16 Quelques travaux français abordent également la question du tourisme dans la reconstruction, notamment Julie Hernandez, à La Nouvelle-Orléans après Katrina avec le développement du tourisme macabre et de « Katrina Tours » (Hernandez, 2008). L’auteure développe les fonctions de ce tourisme, de la résilience économique de la ville, en passant par la mémorialisation et les oppositions qu’il provoque. Ces différents travaux montrent que le tourisme est un système qui peut être déstabilisé, modifié par la survenue d’une catastrophe mais qui apparaît également comme un prisme pour l’analyse de la reconstruction.

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Méthodologie

17 Afin d’appréhender cette période particulière et les enjeux propres à Saint-Martin, un ensemble d’outils qualitatifs a été mobilisé. Au cours de deux séjours de terrain (de mars à juin 2018 puis de juin à août 2019), nous avons conduit 70 entretiens semi- directifs auprès de trois « groupes », identifiés comme acteurs de la reconstruction : les « acteurs politiques » (gouvernements locaux et représentants des gouvernements métropolitains), les « acteurs économiques » (socio-professionnels du tourisme et leurs représentants), et les « acteurs sociaux » (habitants et leurs représentants, associations). Les enquêtés qui constituent ces groupes ont été sélectionnés afin d’obtenir un échantillon représentatif, non pas quantitativement mais qualitativement, des acteurs prenant part à la reconstruction. L’objectif a été de « proposer une description des principales représentations [et logiques d’actions] que les principaux groupes d’acteurs locaux se font à propos d’un « problème » donné [ici, la période de reconstruction et ses enjeux], ni plus ni moins » (Olivier de Sardan, 1995). En dehors de certains acteurs, identifiés et contactés préalablement au séjour de terrain (gouvernements locaux, préfecture ou encore ONG lors du premier terrain), il a été impossible de choisir les enquêtés à l’avance. Sur place, nous avons donc procédé par « buissonnement » ou « arborescence » (Olivier de Sardan, 1995), à partir des nouvelles pistes qui naissaient des différents entretiens.

18 Une importance a été accordée aux lieux de résidence des personnes interrogées, au vu des forts contrastes sociaux et économiques entre les différents quartiers. Ces contrastes se répercutent sur la composition des quartiers – maisons individuelles, villas, copropriétés ou encore logements sociaux – sur les modalités de reconstruction – plus ou moins rapide, logements assurés ou non assurés – et sur les représentations et points de vue des habitants sur la reconstruction. Il n’a pas non plus été question ici de représentation quantitative, mais des entretiens ont été réalisés dans des quartiers aux caractéristiques différentes (gated community, quartiers résidentiels aisés ou encore quartiers populaires), complétés par des observations. Le déroulement de la phase d’urgence et de la reconstruction en cours, les acteurs de la reconstruction et leur rôle, l’impact d’Irma sur l’économie de l’île, et donc sur le tourisme, ont été les thèmes abordés avec les enquêtés.

19 Des documents administratifs, élaborés par les acteurs publics de la reconstruction, ont également été analysés : le schéma territorial d’aménagement et de développement touristique de reconstruction de la COM (2017-2027), le rapport du délégué interministériel à la reconstruction des îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, le protocole signé pour la reconstruction entre l'État et la collectivité de Saint-Martin et le National Recovery Plan, document-guide de la reconstruction de Sint Maarten. Des séances d’observation, notamment lors de réunions publiques, de conseils territoriaux ou de réunions associatives ont également été réalisées. Une veille médiatique a été mise en place afin de suivre depuis la métropole, la reconstruction de Saint Martin, sujet actuel et en continuelle évolution.

20 Mais plusieurs biais et limites sont à prendre en compte. Le fait que les données aient été collectées à un an d’intervalle constitue le premier d’entre eux. Certains moments de la reconstruction n’ont pu être documentés. Cette évolution continuelle concerne aussi la présence (ou l’absence) de certains enquêtés ou potentiels enquêtés sur l’île d’une année sur l’autre (mutation dans la fonction publique par exemple), mais aussi

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d’une période à l’autre (habitants partageant leur vie entre Saint Martin et la métropole). Il n’a donc pas toujours été possible d’interviewer certains acteurs ou de réinterviewer certains enquêtés pour connaître l’évolution de leurs représentations et de leur situation d’une période de terrain à l’autre. De plus, nos caractéristiques et nos pratiques (jeune femme blanche, originaire de métropole, qui interroge les habitants et les acteurs « politiques »), dans le contexte saint-martinois, ont influé sur les entretiens réalisés. L’enquête a été facilitée auprès de ceux ayant une connaissance du système universitaire français (auprès desquels nous étions considérées comme « une étudiante ») ou auprès de métropolitains, de par notre provenance de métropole. Ces mêmes éléments nous ont valu d’être perçue différemment auprès d’autres groupes, les saint-martinois notamment. « Est-ce que vous travaillez pour l’État ? » est une question qui est revenue plusieurs fois. L’accès à certaines parties de la population, les illégaux notamment ou les contestataires les plus virulents des actions de l’État, n’a pas toujours été possible. Au contraire, notre positionnement nous a ouvert l’accès à d’autres acteurs, et notamment ceux pour qui l’entretien a été une occasion de faire passer un message « politique ».

Saint-Martin, un territoire touristique vulnérable

21 L’île de Saint-Martin est partagée par le Traité de Concordia depuis 1648 entre les Pays- Bas et la France mais sa division n’est pas uniquement territoriale. La spécificité du territoire réside dans le fait que les systèmes législatifs, réglementaires, politiques et économiques des deux parties de l’île sont différents, se font concurrence et fonctionnent l’un par rapport à l’autre. Revenir sur ces différences permet de comprendre le fonctionnement de la partie française de l’île (illustration 2).

Illustration 2 - L’organisation territoriale de l’île de Saint-Martin

Source : données IGN (2017) et données Open Street Map (2020). Auteur : M. Cherchelay.

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Saint-Martin face au système libéral de Sint-Maarten

22 Comme évoqué en introduction, les deux parties de l’île disposent de statuts spécifiques au sein des métropoles dont elles dépendent. Ancienne colonie de plantation puis commune du 3ème arrondissement de Guadeloupe (avec l’île de Saint-Barthélemy), Saint Martin dispose du statut de Collectivité d’Outre-mer depuis 2007. C’est le référendum du 7 décembre 2003 qui a entériné le changement de statut de l’île. 76,17 % des votants se sont prononcés en faveur du passage au statut de collectivité d’Outre-mer et la loi organique créant la collectivité est entrée en vigueur le 15 juillet 2007. Ce statut confère à la partie française des compétences réglementaires développées. Les compétences communales, départementales, régionales et certaines compétences étatiques (fiscalité, urbanisme ou tourisme par exemple) sont transférées à Saint- Martin, tandis que les compétences régaliennes et les compétences liées à l’environnement sont conservées par l’État. Le fonctionnement de Saint-Martin reste proche du système métropolitain français : les normes européennes s’y appliquent puisque Saint-Martin est une Région Ultra-périphérique (RUP). Elle fait partie de l’espace Schengen et de la zone euro, le système social est similaire à celui de la métropole (système d’aides sociales et de charges sociales pour les employeurs), le français est la langue d’enseignement dans les écoles (alors qu’il ne s’agit pas de la langue la plus parlée sur l’île : l’anglais, le créole et l’espagnol y sont également représentées). Des exceptions sont faites dans le système financier puisque Saint- Martin dispose d’un régime fiscal particulier (défiscalisation). Le territoire est toujours fortement influencé par la métropole et on y retrouve l’intervention importante d’acteurs publics (collectivité locale et État, via la Préfecture et ses services).

23 De l’autre côté de la frontière, Sint Maarten dispose d’une plus grande autonomie. Sint Maarten est un État associé au Royaume des Pays-Bas, (avec les Pays-Bas, Curaçao et Aruba,) depuis 2010 et la dissolution de la Fédération des Antilles Néerlandaises (Bonaire, Curaçao, Saba, Saint-Eustache et Sint Maarten). La partie néerlandaise possède sa propre constitution ainsi qu’un gouvernement avec ses différents ministères (seuls les ministères des Affaires étrangères et de la Défense sont communs au Royaume des Pays-Bas). Le royaume des Pays-Bas y est représenté par un gouverneur. Par son statut de Pays et Territoire d’Outre-mer, Sint Maarten n’est pas membre de l’espace Schengen ni de l’espace euro, et n’est pas soumise à l’application directe du droit communautaire et de ses normes. Contrairement à Saint-Martin, c’est le secteur privé qui se positionne comme l’acteur majoritaire du territoire. Le système économique de Sint Maarten, influencé par le libéralisme américain (Magnan, 2008), n’est soumis qu’à peu de normes et ne présente pas de système d’amortisseur social comparable à ce que l’on peut trouver en partie française (faibles coûts salariaux notamment). Sint Maarten est un territoire plus attractif pour les investisseurs, ce qui y a favorisé le développement du tourisme : « la réglementation y est moins contraignante, les coûts d’exploitation plus faibles et la fiscalité moins lourde »3.

Une mise en tourisme de Saint-Martin basée sur les différences avec Sint Maarten

24 Trois phases de développement du tourisme ont été identifiées sur l’île (Chardon et Hartog, 1995 ; Redon, 2007). La première est celle de son apparition, dans les années

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1960. De riches investisseurs américains ont acheté des terres et installé des résidences secondaires aux Terres Basses, à la pointe ouest de la partie française. En parallèle de cela, quelques hôtels internationaux se sont développés en partie hollandaise (Magnan, 2008). Durant la seconde phase, dans les années 1970, Sint Maarten a connu le développement touristique le plus important, avec l’installation de gros complexes hôteliers de luxe (Le Mullet Bay Beach Resort par exemple avec plus de 500 chambres), et concentrait les deux-tiers des chambres d’hôtels de l’île (Magnan, 2008). Dans les années 1980, la partie française a opéré un rattrapage. À partir de 1986, l’État est intervenu afin de réduire les inégalités entre départements d’Outre-mer et métropole et a mis en place un processus de défiscalisation (Loi Pons). Des investisseurs, essentiellement originaires de métropole ou d’Amérique du nord, ont bénéficié de compensations fiscales en investissant dans les domaines foncier et touristique. Cela a entraîné un boom touristique et immobilier, déjà largement entamé en partie hollandaise, et a accompagné le développement d’un tourisme de masse (Chardon et Hartog, 1995 ; Duvat, 2008). À la fin de cette période, dans les années 1990, on comptait environ 3 800 chambres d’hôtel pour chacune des parties de l’île.

25 Le tourisme sur l’île de Saint-Martin s’est construit autour du modèle Sand, sea, sun (Dehoorne et Augier, 2012), particulièrement répandu dans les îles des Caraïbes, mais également, et c’est ce qui différencie l’île, sur la complémentarité entre ses deux parties.

26 Du côté de Sint Maarten, les touristes profitent des boutiques de « luxe » détaxées de Front Street (Philipsburg), des casinos et de la majorité des bars et boîtes de nuit de l’île à Simpson Bay. C’est également en partie néerlandaise que l’on trouve les structures hôtelières « tout inclus » et de grande ampleur (aussi bien par le nombre de touristes qu’elles peuvent accueillir que par la hauteur des bâtiments, comme le Sonesta Maho Beach Resort décrit sur son site internet comme le « plus grand resort all-inclusive familial de l’île », avec ces 420 chambres) et les principales infrastructures de transport de l’île. Grâce à ces infrastructures, environ 96 % des touristes sont arrivés sur l’île par Sint Maarten chaque année avant Irma. Le port en eau profonde de Pointe Blanche recevait, en moyenne, plus d’1 500 000 croisiéristes par an et l’aéroport international Princess Juliana, situé à Simpson Bay, à l’ouest de Philipsburg, réceptionnait environ 500 000 passagers4.

27 Saint-Martin est, quant à elle, présentée comme le « côté nature » de l’île, par opposition à Sint Maarten : « Si tu veux te baigner, tu vas côté français, si tu veux te promener en montagne, tu vas côté français. Après si tu veux faire du shopping ou que tu veux sortir le soir, tu iras plutôt côté hollandais » (Entretien n°29, habitant). On vient y chercher un ensemble d’éléments liés au littoral, à la mer et aux plages, plus nombreuses et réputées plus belles. Elle est moins densément construite (40 % du territoire est occupé par des constructions à Saint-Martin, contre 78 % à Sint Maarten)5 et l’on n’y trouve pas de buildings contrairement à sa voisine, puisque les petites structures hôtelières y sont privilégiées. On y associe un aspect « authentique » et une ambiance française. Le terme de French Touch est utilisé par les hôteliers pour qualifier les spécificités de la partie français. La clientèle américaine (40 % de la fréquentation hôtelière de Saint-Martin d’après l’Office de Tourisme) peut y faire de la randonnée (illustration 3), apprécier la gastronomie française dans les restaurants de Grand-Case ou encore profiter des magasins de Marigot et des villas haut de gamme des Terres- Basses ou de la Baie Orientale.

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Illustration 3 - Baie d’Anse Marcel, espace protégé (réserve naturelle) et point de départ de randonnées, Saint-Martin, juillet 2019

Auteur : M. Cherchelay.

28 Mais la partie française est dépendante de la partie néerlandaise pour l’arrivée des touristes : l’aéroport régional de Grand-Case n’accueillait qu’en moyenne 100 000 passagers par an et entre 5 000 et 10 000 croisiéristes6 arrivaient chaque année par le port de Galisbay avant Irma.

29 Les pratiques du tourisme proposées par chacune des parties de l’île se définissent et fonctionnent l’une par rapport à l’autre. La partition de l’île constitue un facteur de développement et d’attractivité touristique (Redon, 2007) mais également de concurrence entre Saint-Martin et Sint Maarten, et même de vulnérabilité pour Saint- Martin, moins attractive financièrement et économiquement dépendante de sa voisine.

30 La domination touristique de Sint Maarten se retrouve dans sa reconstruction. N’ayant pas à attendre des décisions du secteur public, les acteurs privés ont rapidement remis sur pied les « vitrines » touristiques de la partie néerlandaise. Pour le secteur public, Irma a été suivi à Sint Maarten d’une période d’instabilité politique (réélection du gouvernement, suite à la démission du premier ministre en février 2018 puis élection après dissolution du parlement en janvier 2020). Les Pays-Bas et la Banque Mondiale ont mis en place une convention autour d’un fond de 580 millions d’euros, géré par cette dernière, pour la reconstruction de Sint Maarten, signé en avril 2018 seulement (puis progressivement débloqué et dédié à l’enlèvement des déchets, le financement de la reconstruction de l’aéroport Princess Juliana ou encore la reconstruction des écoles). Mais le retour des bateaux de croisières a été significatif dès le premier trimestre 2018 : de 27 349 croisiéristes pour la période novembre-décembre 2017, leur nombre est passé à 363 779 pour le premier trimestre 2018. Le nombre de croisiéristes est depuis en progression constante, il atteignait 1,171,833 croisiéristes au 3ème semestre de 20197. La

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promenade le long de la plage à Philipsburg a retrouvé ses palmiers et ses transats et la plage de Kimsha Beach a été aménagée afin de combler l’« absence » de la baie Orientale dans le paysage touristique pour accueillir ces croisiéristes (illustration 4).

Illustration 4 - Bateau de croisière vu depuis le front de mer de Philipsburg, Sint Maarten

Auteur : M. Cherchelay, mai 2018.

Saint-Martin : un territoire vulnérable

31 Outre ces aspects économiques, d’autres caractéristiques font de Saint-Martin un territoire vulnérable. L’île a connu une forte immigration, peu contrôlée et en grande partie illégale. La population de la partie française a été multipliée par cinq entre 1982 et 2013 (Servans et al., 2017). On compte 35 334 habitants en partie française (INSEE, décembre 2019) (et 40 614 habitants en partie néerlandaise au 1er janvier 2018) contre 8 000 en 1982 (et un peu moins de 15 000 à Sint Maarten) (Servans et al., 2017). Cette vague migratoire s’explique par le boom touristique et immobilier qu’a connu l’île à cette période, et par le besoin de main d’œuvre (en partie illégale) qui l’a accompagné. La partition de l’île favorise l’immigration illégale car son contrôle est rendu plus complexe par la différence de système juridique de chaque côté de la frontière (et les « interstices » entre ces systèmes) (Redon, 2010). Des quartiers « insalubres et mal équipés » (Duvat, 2008) se sont développés, côtoyant des quartiers aisés et des « communautés fermées » où sont notamment installées les populations venant de métropole (baie Orientale ou baie Rouge en partie française). La multiplicité des nationalités présentes sur l’île, issues de ces migrations, est présentée comme un des atouts de l’île. Elle est qualifiée de « Friendly Island », et sur le site de l’office de tourisme, on parle d’une île « multiculturelle » rassemblant plus de 120 nationalités8. Mais un fort entre-soi semble marquer les communautés présentes à Saint-Martin, et

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notamment les autochtones (qui se qualifient eux-mêmes de « Saint-Martinois de souche » car nés sur l’île et présents depuis plusieurs générations) qui sont désormais en minorité (en 2012, 31 % des habitants de l’île sont nés à Saint-Martin, Servans et al., 2017).

32 À cela s’ajoute de nombreuses problématiques liées à l’histoire coloniale de Saint- Martin. L’île a connu une longue période de sous-administration par l’État (Mohamed Soilihi et al., 2015 ; Joachim, 2017), absent jusque dans les années 1970 : une « culture d’auto-administration [traduite par] un mélange de règles coutumières locales, de vides juridiques et de pratiques importées de l'étranger » (Seners, 1999) s’est développée. Cela se traduit par un aménagement du territoire défaillant. La permissivité (notamment vis-à-vis de l’occupation des 50 pas géométriques), l’absence répandue de permis de construire et les documents d’urbanisme réglementaires peu respectés et non actualisés9 complexifient la reconstruction. Cet aménagement du territoire peu contrôlé et le développement du tourisme par le processus de défiscalisation ont de plus favorisé l’installation du bâti sur les littoraux et les zones basses et exposées de l’île. Cette sous-administration est également responsable d’un sentiment d’abandon de la population en même temps que de plus grande « liberté » vis-à-vis des administrations et des services de l’État, encore ressenti aujourd’hui.

33 La partition de l’île, ses effets sur l’immigration et l’économie, et les politiques d’administration du territoire défaillantes ont construit la vulnérabilité à Saint-Martin. Elle se combine à une exposition à des risques naturels multiples (Chardon et Hartog, 1995 ; Duvat, 2008 ; Gustin, 2017) : risque cyclonique mais également sismique, mouvements de terrain et inondations.

L’économie touristique, grille de lecture de la reconstruction de Saint-Martin

34 Les conséquences d’Irma ont mis en lumière les vulnérabilités de Saint-Martin. Les zones basses habitées ont fortement été touchées par le phénomène de submersion marine, les forts contrastes socio-économiques conduisent à des reprises différenciées entre quartiers, et le tourisme, unique moteur économique, est déstabilisé et peine à reprendre, prolongeant une situation économique complexe plus de deux ans après Irma. Dans le processus de reconstruction, les orientations pour le développement du territoire sont données par les acteurs publics : comment se sont-ils saisis de la question centrale que constitue le tourisme ?

Vers un tourisme haut-de-gamme ?

35 Depuis les années 1990, le tourisme à Saint-Martin est en perte de vitesse. Le nombre de chambres d’hôtel est passé d’environ 3 800 en 1995 à 1 506 en 2017 (STADTR, 2017). La concurrence avec la partie néerlandaise, précédemment mentionnée, les effets négatifs de la défiscalisation10, la massification du tourisme, le vieillissement de l’offre hôtelière ou encore le passage de plusieurs cyclones11 (Luis en 1995 ou encore Gonzalo en 2014) ont conduit à une dégradation de l’image touristique de Saint-Martin.

36 Jusque dans les années 2000, le secteur touristique est essentiellement géré par de puissants acteurs privés qui ont fait primer une logique touristique « implacable »

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(Chardon et Hartog, 1995) sur le territoire. Investisseurs, grands groupes hôteliers, compagnies aériennes mettent le territoire en tourisme mais également les grandes familles de part et d’autre de l’île, qui possèdent les terrains constructibles. Ces grandes familles font partie des acteurs privés mais également des acteurs publics, car leurs membres sont souvent élus de la collectivité ou du gouvernement, d’un côté de la frontière comme de l’autre (Roitman et Veenendaal, 2016). Alors que la collectivité était jusque-là peu impliquée dans le secteur touristique, développé par des investissements privés de défiscalisation et non régulé notamment au niveau de l’urbanisme, elle a proposé en 2010 un virage dans l’offre touristique et hôtelière de l’île, sous forme d’un schéma touristique pour la période 2010-2015. Son objectif est de moderniser et de renouveler l’offre touristique en partie française, en guidant les actions du secteur privé. Ce virage, permis par le changement de statut de la COM, est poursuivi et réaffirmé par la nouvelle équipe de la collectivité, entrée en fonction le 2 avril 2017.

37 Mais en septembre 2017, le passage d’Irma a ébranlé le secteur touristique. Des pertes économiques et des fermetures ont été déplorées (illustration 5). Les quartiers touristiques ont subi les conséquences du phénomène de submersion, combiné à la puissance des vents. Sur les 1506 chambres répertoriées avant Irma, 80 % ont été détruites (en juin 2019, le nombre de chambres disponibles est estimé à 869). Les hôtels ayant le plus grand nombre de chambres (Le Secret’s, 300 chambres et le Club Orient, 137 chambres) n’avaient pas encore rouvert à la fin de l’année 2019 (illustration 5). Les hôtels majeurs de la partie française ont été très touchés et ont entamé de lourds travaux, repoussant leur réouverture. Comme le montre l’illustration 5, qui croise situation des hôtels, nombre de chambres et zones submergées par Irma, neuf des douze principaux hôtels de Saint-Martin sont situés sur les littoraux exposés à la submersion marine lors du passage d’Irma, dont Le Riu, le Grand-Case Beach Club, le Club Orient, le Mercure, ou encore le Beach Hôtel qui représentaient environ 800 chambres avant Irma.

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Illustration 5 - Des quartiers touristiques touchés par la submersion marine : le cas des hôtels classés de Saint-Martin

Source : CEREMA, STADTR, entretiens 2018-2019. Réalisation : M. Cherchelay.

38 Suite au passage d’Irma et à ses conséquences, la stratégie touristique 2017-2027 a été révisée et est devenue le schéma territorial d’aménagement et de développement touristique de reconstruction (STADTR). La localisation des établissements hôteliers, exposés aux risques, n’y est pas traitée. Mais ce schéma poursuit cette volonté de renouvellement, et propose la reconstruction d’un tourisme haut de gamme, par une reconstruction plus qualitative (des infrastructures hôtelières notamment) et par une amélioration de l’image de l’île, afin d’attirer une nouvelle clientèle et de nouveaux investisseurs : « Ce positionnement qui est une invitation à favoriser la qualité à la quantité s’inscrit dans l’esprit de se positionner comme une destination touristique durable » (STADTR, 2017, p. 41). Cet objectif se traduit pour la Collectivité par la mise en place de projets à long terme (requalification du centre de Marigot) et à court-terme (dispositifs de marketing territorial). Une « marque de territoire » doit être créée, à l’initiative de la collectivité et avec la participation de professionnels du tourisme, afin de fédérer les acteurs du tourisme autour d’une identité distincte de celle de la partie néerlandaise : « C’est un mélange de chic et de « casual », c’est l’art de vivre à la caribéenne. Ça rappelle la France, ça rappelle l’élégance, ça rappelle aussi les plaisirs de la vie [..] mais sans aller dans l’ultra-exclusif et l’ultra-luxe comme Saint-Barth’ : on positionnerait Saint-Martin entre Saint Barth’ et la Guadeloupe. » (Entretien n°55, hôtelier). La collectivité n’est pas le seul acteur à travailler en ce sens. Une partie des socio-professionnels, et notamment l’Association des Hôteliers de Saint-Martin (AHSM) participent par exemple à l’élaboration de la marque de territoire et engagent des travaux de modernisation dans leurs établissements. C’est notamment le cas du Beach Hôtel (illustration 5), qui prévoit de ne rouvrir que fin 2020. Un ambitieux projet doit y voir le jour, dotant l’hôtel d’une vingtaine de nouvelles chambres ou encore d’un restaurant en « roof-top » et d’un spa. Pour les hôteliers : « On ne peut donc pas faire

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des hôtels sur un territoire qui ne serait pas rénové, c’est bien gentil de rénover des hôtels, mais si autour ce n’est pas rénové, ça ne marche pas » (Entretien n°14, représentant des hôteliers)

39 La reconstruction du territoire est donc mise au service de la poursuite du développement touristique pour la collectivité. L’urbanisation des espaces littoraux n’est pas remise en question et la volonté de (re)développement du tourisme est partagée par le secteur privé et notamment par les représentants des hôteliers de Saint-Martin. Mais la reconstruction post-Irma fait intervenir d’autres acteurs publics sur le territoire avec des stratégies différentes de celles de la collectivité.

Vers une réduction de l’exposition aux risques sur les espaces littoraux ?

40 Le maintien de l’activité touristique « les pieds dans l’eau »12 apparaît comme un objectif privilégié dans la stratégie de la collectivité. Or ce sont les espaces littoraux qui sont identifiés comme à risque par les services de l’État.

41 Lors du passage d’Irma, l’État est d’abord intervenu en phase d’urgence, par un déploiement militaire, la distribution d’eau et de nourriture, et la réalisation de réparations d’urgence. Le 12 septembre 2017, une délégation interministérielle est mise en place. Un rapport, intitulé Repenser les îles du Nord pour une reconstruction durable est rédigé par le préfet délégué (Philippe Gustin). Il regroupe un ensemble de préconisations pour la reconstruction du territoire. Un protocole tiré de ce rapport est signé le 21 novembre 2017, par le Premier ministre, Édouard Philippe, et le président de la COM, Daniel Gibbs, afin de mener une « reconstruction exemplaire et solidaire selon les principes du développement durable » autour de quatre thèmes (respectivement développés en six et trois points, contre une seule déclinaison pour les thématiques 3. et 4.) : 1. les questions institutionnelles et administratives, 2. l’urbanisme et l’aménagement du territoire, 3. les relations avec Sint Maarten, 4. la relance de l’économie.

42 Les deux premières thématiques sont les plus développées du protocole. Elles traduisent d’une part un renforcement de la présence de l’État sur le territoire par un renforcement du contrôle (légalité, urbanisme et immigration) et de son rôle d’appui et d’accompagnement à la reconstruction. La direction de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement de Guadeloupe s’est installée de manière permanente à Saint Martin en septembre 2018, dans le cadre de ce protocole. D’autre part, ce document insiste sur la place centrale de la réduction de l’exposition au risque. Il préconise la mise en place de nouvelles règles de construction préventive, la réalisation d’une carte des aléas (réalisées par des experts du CEREMA en octobre 2017, à partir des relevés des hauteurs d’eau dues à Irma) et envisage la « déconstruction à terme » de certaines zones, non précisées. Le troisième point préconise la reprise du dialogue entre Saint Martin et Sint Maarten. Le dernier point du protocole traite de la relance économique. Le tourisme y est peu abordé (il n’y a par exemple pas de mesure dédiée à cet aspect de l’économie) et le souhait est émis d’« encourager la diversification de l’économie saint-martinoise ». Contrairement à la stratégie de la COM, le tourisme n’est pas une priorité du protocole.

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43 Bien qu’elle n’ait pas encore été approuvée, la révision de l’aléa submersion marine du plan de prévention des risques naturels (PPRn) illustre cette différence de positionnement. Décidée par les services de l’État, cette révision se base sur la carte des hauteurs d’eau précédemment mentionnée. La préfecture et la DEAL, chargée de sa réalisation, identifient un triple objectif dans cette révision : réduire l’exposition des biens et des personnes à la submersion marine, informer les habitants et potentiels investisseurs sur les risques encourus et enfin, permettre une reprise plus rapide en cas de nouvelle catastrophe13. On retrouve à travers ces éléments des objectifs de réduction de la vulnérabilité (réduire l’exposition des biens et des personnes) et d’augmentation de la résilience (permettre une reprise plus rapide), traduits par le zonage préconisé (illustration 6).

Illustration 6 - Les zones délimitées par le Plan de prévention des risques, juillet 2019

Source et réalisation : DEAL de Guadeloupe.

44 Ce zonage instaurerait des zones rouge foncé sur l’ensemble du pourtour littoral de Saint-Martin. Le risque y est identifié comme fort (hauteur d’eau supérieure à deux mètres d’après les relevés du CEREMA) et seule la construction de bâtiments publics ou portuaires devrait y être autorisée. La construction de nouveaux bâtiments d’autres types (et donc la reconstruction de bâtiments totalement détruits) y serait interdite. Mais le PPRn intègrerait des enjeux économiques. Des zones d’intérêt économique (en orange sur l’illustration 6, Marigot, la baie Orientale et quartier d’Orléans) ont été négociées par les élus de la collectivité auprès de la DEAL et de la préfecture. Bien que situées en zone d’aléa fort, elles disposeraient d’une réglementation assouplie afin de poursuivre le développement économique et touristique d’espaces identifiés comme dynamiques.

45 L’approbation et l’application de ce document conduirait à une modification des possibilités de (re)construction sur les zones littorales. La poursuite de l’urbanisation

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des littoraux exposés, induite par la stratégie touristique de la collectivité, constituerait un risque en cas de nouvelle catastrophe.

Le tourisme comme argument de négociation

46 La stratégie de reconstruction post-Irma des services de l’État n’est pas propre au contexte saint-martinois mais s’inscrit dans la continuité de la gestion des risques à l’échelle de l’ensemble du territoire. La création d’une délégation interministérielle est comparable aux missions reconstructions interministérielles créées dans l’Aude suite aux inondations de novembre 1999 ou encore dans le Var après les inondations de juin 2010 (Moatty, 2015). La modification du zonage comme mesure de protection (zones rouge foncé inconstructibles dans la révision du PPRn), a connu un précédent en Vendée après le passage de la tempête Xynthia (février 2010) avec l’instauration de « zones d’extrême danger » ou « zone noire » (Chauveau et al., 2011 ; Pigeon, 2012). Demandées dès mars 2010 aux préfets de Vendée et de Charente Maritime par le ministère de l’Écologie et du développement durable, ces zones ont défini un périmètre dans lequel les bâtiments devaient être détruits contre indemnisation, car trop exposés. Cette mesure n’a pas été appliquée à Saint-Martin, bien que la « déconstruction » ait été mentionnée dans le protocole État-collectivité précédemment décrit, et la rumeur s’est répandue, faisant craindre l’expropriation aux habitants de certains quartiers de Saint- Martin. La stratégie des services de l’État à Saint-Martin se base, comme en métropole, sur des mesures de protection des biens et des personnes face au risque, afin de limiter la mise en danger des populations, le coût des catastrophes et la responsabilité des services de l’État. Or la focalisation sur la réduction de l’endommagement matériel afin d’assurer la sécurité des biens et des personnes peut conduire à « négliger le fonctionnement du territoire affecté et la multiplicité des problèmes qui s’y manifestent » et introduire des risques pour le territoire (Richemond et Reghezza, 2010), comme la déstabilisation de son système économique. C’est ce qui est craint à Saint-Martin, pour le secteur du tourisme.

47 La difficile acceptation par les acteurs locaux des modalités de gestion des risques étatiques ne fait pas non plus de Saint-Martin une exception. Les plans de prévention des risques, « devenus pierre angulaire de la gestion par l’État du risque d’inondation » (Richemond et Reghezza, 2010), conduisent les acteurs publics locaux à faire face à des choix, entre développement des collectivités locales (urbanisation, développement économique) et réduction de l’exposition aux risques et sont vecteurs de conflits (Pigeon, 2007 ; Pigeon, 2012 ; Douvinet et al., 2011). À travers ce document, l’acteur étatique influe sur les caractéristiques du territoire et donc sur son fonctionnement, influence d’autant plus mal perçue dans le contexte post-colonial et de défiance vis-à- vis de l’État de Saint-Martin. La mobilisation contre le projet de PPRn a ainsi conduit à une alliance entre plusieurs acteurs locaux, publics et privés, qui n’est ni évidente ni permanente. Les élus de la collectivité et les membres de l’opposition se sont accordés sur l’avis négatif à donner à l’approbation anticipée du PPRn lors du conseil territorial du 17 juillet 2019 avançant que « Les éléments [le zonage et le règlement du PPRn] ne sont pas compatibles avec une économie du territoire basée sur le tourisme » (Conseil territorial du 17 juillet 2019). On retrouve cette opposition chez les acteurs du tourisme : « notre préoccupation principale c’est que ce PPRn respecte l’économie locale. L’économie locale c’est quoi ? c’est le tourisme. Donc si les hôtels n’ont pas le droit de rénover ou de reconstruire dans les zones à risque… » (Entretien n°39,

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hôtelier). La révision du PPRn est également contestée par une partie de la population de Saint-Martin suite à son approbation après enquête publique et « malgré le nombre important d’avis défavorables » le 10 décembre 2019 (Rapport de conclusion de la commission d’enquête publique, 29 novembre 2019). Elle provoque un sentiment d’injustice chez ces populations (zonage orange qui ne concerne que quelques zones notamment). Ces habitants, saint-martinois « de souche » notamment, reprochent aux services de l’État de n’avoir pas pris en compte les spécificités du territoire et de ne pas avoir construit ce document avec la population saint-martinoise. Certains quartiers de l’île ont été bloqués plusieurs jours par les manifestants en décembre 2019, dont Sandy Ground, Marigot ou quartier d’Orléans (illustration 2), conduisant à des affrontements entre habitants et forces de l’ordre14. Bien que le tourisme n’en soit pas l’unique raison, il a contribué à la convergence de la mobilisation. Face à ces pressions, l’approbation du PPRn a été repoussée par la ministre des Outre-mer et une mission préfectorale a été envoyée par l’État à Saint-Martin pour réviser le plan de prévention et proposer un nouveau règlement.

48 L’enjeu touristique a été mobilisé par la collectivité comme un argument qui a fait consensus auprès d’acteurs politiques et économiques, combiné aux protestations d’une partie des habitants de l’île, afin de maintenir le fonctionnement (et la maîtrise) du territoire et de contrer le renforcement de la présence de l’État. Argument dans les négociations, le maintien et le développement d’une économie touristique littorale en a été l’objectif. Pouvoir construire sur la bande littorale doit permettre à la collectivité de mener sa stratégie de montée en gamme, de développer les possibilités d’investissement (et donc les revenus pour le territoire), de préserver les intérêts des grandes familles propriétaires de l’île et d’apaiser les contestations des habitants. Le risque que représentait l’approbation du PPRn tel que présenté plus haut a été « négocié » par les acteurs publics locaux, introduisant à travers le tourisme, un aspect politique dans la reconstruction (Revet, 2006 ; Charlier et Decrop, 1997).

Conclusion

49 Le tourisme constitue un prisme d’analyse pertinent de la période de reconstruction en ce qu’il permet de s’intéresser aux stratégies de reconstruction à l’œuvre sur le territoire et aux jeux d’acteurs qu’elles sous-tendent. La reconstruction de Saint-Martin se prête particulièrement à ce cadre d’analyse.

50 Le développement du tourisme est au cœur des processus de reconstruction chez les acteurs publics de la partie française. Il est « affiché » comme un objectif de la reconstruction du côté de la collectivité et constitue un argument de négociation. Il apparaît plutôt « par transparence » dans la stratégie de l’État pour laquelle il constitue un point de blocage, qui conduit à négocier les mesures de protection. Le tourisme, pilier économique unique de Saint-Martin, conduit la collectivité à privilégier le maintien des installations littorales à la réduction de l’exposition aux risques, telles que souhaitées par les services de l’État. Pour la collectivité, la résilience du territoire passe par le maintien du tourisme. Or l’État ne peut laisser le territoire se reconstruire sans réglementation mais ne peut imposer des mesures qui mettraient en difficulté le territoire, où il fait face à une contestation locale forte. Ces modalités font pour les habitants écho à l’histoire coloniale du territoire et les rapports de domination sont perçus comme réactivés localement. Le cas de Saint-Martin semble invité à une

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réflexion sur l’approche de la gestion des risques en France. Pourrait-on envisager des adaptations selon les contextes, voire la co-construction avec les acteurs locaux des mesures de protection ?

51 Mais deux ans après Irma, de nombreuses interrogations demeurent sur la reconstruction du territoire : la collectivité pouvait-elle mobiliser un autre argument que l’enjeu touristique, ou était-ce une nécessité dans le contexte saint-martinois, et sans alternative économique équivalente sur le territoire ? Les revendications et la place des populations dans la reconstruction ne risquent-elles pas d’être « invisibilisées » par les enjeux touristiques ? Qu’en est-il alors de la vulnérabilité de ces populations ? À quelle reconstruction de Saint-Martin cela va-t-il conduire ?

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NOTES

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14. Entretiens, carnet de terrain et veille médiatique à partir de journaux locaux, le Pélican et le Soualiga Post, permettent de mobiliser ces éléments.

RÉSUMÉS

Le tourisme est le moteur économique de nombreuses îles caribéennes. C’est le cas de Saint- Martin, partie française de l’île franco-néerlandaise de Saint-Martin/Sint Maarten. Particulièrement touchée par l’ouragan Irma en 2017, Saint-Martin connaît une période de reconstruction de son territoire et de son économie. Basé sur un travail de terrain, cet article s’intéresse à ce processus, par le prisme du tourisme, afin d’analyser les jeux d’acteurs complexes qui se développent, autour des enjeux et attentes qui émergent en période de reconstruction.

Tourism drives the economy of many Caribbean islands. It is the case of Saint-Martin, the French part of the island of Saint Martin (France)/ Sint Maarten (Netherlands). Particularly affected by Hurricane Irma in 2017, Saint Martin is going through a period of reconstruction of its territory and economy. Based on a fieldwork in Saint-Martin, this article focuses on this process, through the prism of tourism. Indeed, tourism allows an analysis of the complex interactions between the involved stakeholders, around the challenges and expectations of the reconstruction period.

INDEX

Mots-clés : Saint-Martin, Irma, reconstruction post-catastrophe, tourisme, acteurs publics Keywords : Saint-Martin, Irma, post-disaster reconstruction, tourism, public actors Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

MARIE CHERCHELAY Marie Cherchelay, [email protected], est doctorante au sein du laboratoire Géolab, Université de Limoges.

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Quelles interventions humanitaires internationales pour la reconstruction ? Le cas des écoles fondamentales dans le département Sud d’Haïti, après l’ouragan Matthew de 2016

Simon Veitl

Introduction

1 Comment penser la reconstruction après une catastrophe naturelle ? Est-ce revenir à l’identique ? Doit-on saisir l’« opportunité » pour bâtir une meilleure société ? À qui bénéficie la reconstruction ? Finalement, comment se pratique-t-elle ? Que l’on aborde la question en tant qu’acteur ou en tant qu’analyste, la diversité de ces interrogations démontre que la trajectoire d’après-catastrophe peut prendre des formes multiples. Les événements récents, comme l’ouragan Irma en septembre 2017, nous ont montrés que le niveau de développement d’un territoire exposé n’empêche pas les destructions (Nicolas et al., 2018). Pour autant, il influe sur la réponse apportée. Les pratiques et décisions qui suivent une catastrophe ont un effet durable sur le territoire. Dans le cas des pays les moins développés, il semble intéressant d’interroger l’apport de l’aide internationale dans ces situations. Notamment dans un contexte où les politiques d’aide au développement, axées sur le progrès économique, social et environnemental de moyen et long terme, s’imbriquent de plus en plus avec l’aide humanitaire d’urgence (Moatti in Fresia et Lavigne-Delville, 2018). Face au risque d’être mis au banc de la communauté des Nations, les pays meurtris peuvent être contraints d’accepter l’aide internationale (Schuller et Maldonado, 2016).

2 On identifie plusieurs phases dans l’assistance d’après-catastrophe. Tout d’abord, l’aide d’urgence, qui fait immédiatement suite à la catastrophe, puis vient le temps de la restauration des éléments essentiels au fonctionnement minimal des territoires (Moatty, 2015). Conceptuellement, l’aide humanitaire cherche d’abord à « relever » le territoire, puis à l’accompagner vers un développement plus durable et résilient aux

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futurs événements climatiques extrêmes (UNISDR1-GAR2, 2015). Pour ce faire, il semble que la coordination et la cohésion des acteurs soient essentielles (UNISDR-GAR, 2015 ; Comfort et al., 2010). Ainsi, l’ONU définit et détermine « la bonne gouvernance » comme une condition sine qua non de la réussite d’une intervention (UN-ECOSOC, 2009). La notion de bonne gouvernance a émergé dans le langage de la Banque Mondiale dans les années 1990 (Muis, 2014) et a été maintes fois mobilisée depuis par les Nations Unies. La bonne gouvernance s’imposant ainsi comme le paradigme dominant de la gestion de crise humanitaire. Il semble donc intéressant d’analyser les effets de son activité sur les territoires lors de la reconstruction. Comment cette gestion fait, in situ, usage de cette « fenêtre d’opportunité » que peut représenter la reconstruction ? Est-ce une bifurcation3 ou une continuité (Moatty et al., 2017) ? Voire une rupture ?

3 Notre étude propose le cas d’Haïti et de la reconstruction par l’aide humanitaire internationale des établissements scolaires du cycle fondamental4 dans l’ouest du département Sud après le passage de l’ouragan de catégorie 4 Matthew survenu dans la nuit du 4 au 5 octobre 20165. Le bilan établi alors par le gouvernement haïtien et l’ONU a fait état de 546 morts et presque autant de blessés. 80 6000 personnes ont eu besoin d’une aide alimentaire d’urgence et près de 15 0000 personnes ont été contraintes de survivre dans des abris temporaires (PDNA6). Avant tout humain, le drame s’est aussi vu dans l’ampleur des besoins financiers pour le relèvement, évalués à 2,7 milliards de dollars US (PDNA, 2017). Les pertes ont touché principalement les secteurs du logement, de l’agriculture, de l’environnement, des transports et de l’éducation. Si la reconstruction des réseaux de transport et de communication est primordiale (D’Ercole et Robert, 2012), celle des réseaux d’établissements de la santé et de l’éducation est également importante. Dans la péninsule méridionale, c’est 80 % du parc scolaire qui a été endommagé, ce qui représentait alors environ 3 162 écoles. Dans le département Sud, pour le niveau fondamental, un premier recensement a fait état de 174 écoles endommagées à réhabiliter et de 21 écoles totalement détruites.

4 Pour réponse, le ministère de l’Éducation de la Formation Professionnel (MENFP) haïtien a fait de la réhabilitation des écoles endommagées, la reconstruction des écoles totalement détruites et la fourniture de kits et de mobiliers scolaires, ses priorités (UNICEF et DARA, 2018). Puis, dans un second temps, le fil rouge de la collaboration a été établi avec l’UNICEF : favoriser l’accès à une éducation de qualité tout en renforçant les capacités du ministère dans la gestion du parc scolaire (PDNA éducation, 2017). Ces objectifs s’insèrent dans ceux du « Millénaire pour le Développement » (ODM7) puis du « Développement Durable » (ODD8) de l’ONU, qui font de l’accès à l’éducation de base un droit reconnu comme inaliénable et pour lequel il faut œuvrer.

5 Si l’UNICEF a participé à la définition de ces objectifs, c’est que l’État haïtien, le 10 octobre 20169, a demandé le soutien et l’assistance de la communauté internationale. Cette sollicitation a déclenché l’ouverture du Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA) de l’ONU. C'est ce dernier qui active alors le programme d’action dit du « cluster ». Il s’agit d’un outil « conçu pour synchroniser les nombreux organismes gouvernementaux, sans buts lucratifs et privés » (Comfort et al., 2010). Il existe autant de cluster que de secteurs d’activités, c’est à dire onze (éducation, santé, logistique, agriculture, l’eau et l’hygiène, etc.). L’agence onusienne dont c’est la compétence est chargée de coordonner les activités du dit secteur. Dans le cas des écoles, c’est l’UNICEF qui a co-piloté le cluster éducation avec le MENFP, représentant de

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l’État haïtien. Sur le terrain, ce sont principalement des ONG qui vont opérer les tâches planifiées par le cluster.

Méthodologie et données

6 Pour notre étude, nous avons pu nous procurer la base de données du cluster éducation qui recense les projets de réhabilitation et de reconstruction. Selon les coordinateurs du cluster son élaboration s’est heurtée à plusieurs obstacles.

7 Premièrement, jusqu’alors, les recensements du MENFP faisaient surtout état du parc scolaire public (UNICEF et DARA, 2018). Or, lorsqu’on sait que seulement 15 % des écoles du pays le sont, on imagine les lacunes de connaissance sur la situation antérieure au cyclone. Ainsi, la plupart des écoles de la base de données n’avait pas de coordonnées géographiques, ni de renseignement sur le niveau scolaire enseigné. Aussi, le second tour des élections parlementaire de 2016 était prévu le 5 octobre et une grande partie des établissements scolaires devaient être transformés en centres de vote. Les plus stratégiques d’entre eux sont devenus les cibles prioritaires du gouvernement et ont fait l’objet d’une reconstruction rapide en vue des élections prévues (UNICEF et DARA, 2018) et n’ont donc pas fait l’objet d’un suivi assidu par le cluster. C’est pourquoi, la moitié des 204 écoles présentes dans la base de données était inutilisable car leur réhabilitation a été financée par des banques nationales ou transnationales régionales et réalisée par une institution ou association liée au gouvernement haïtien. De ces faits, la part des données exploitables en était réduite. Ces difficultés ont engendré une diminution de la représentativité de notre échantillon d’étude.

8 Nous avons donc dû restreindre notre échantillon aux écoles les mieux renseignées sur le niveau (fondamental et cycle primaire complet), le secteur (privé ou publique) et des coordonnées géographiques précises. Notre étude retient malgré tout 91 écoles. L’intérêt de notre échantillon réside dans la caractérisation de l’action d’acteurs privés, non-gouvernementaux qui œuvrent à un relèvement piloté par le gouvernement en collaboration avec la communauté internationale.

9 Une analyse spatiale de la base de données a été complétée par des témoignages d’acteurs de la reconstruction. En mars 2018, nous nous sommes entretenus avec C. Delebecque, chef de projet en Haïti et le directeur technique de la Fondation des Architectes de l’Urgence (FAU), qui a reconstruit huit écoles. Puis, en juillet 2018, nous avons pu échanger avec les coordinateurs en charge du cluster dès octobre 2016 et dont l’un d’entre eux est toujours en poste en Haïti. Leurs témoignages ont permis d’expliquer les résultats obtenus après analyse de notre base de données au moyen d’un SIG.

10 Cette étude propose d’identifier les enjeux spatiaux qui se jouent lors d’une reconstruction d’établissements scolaires impliquant une multitude d’acteurs internationaux. À travers un regard critique, nous chercherons à caractériser la trajectoire de reconstruction qui est proposée par les administrateurs de l’aide internationale et opérée par des acteurs privés. En Haïti, la reconstruction prend place dans un pays où l’État est peu présent dans l’offre éducative (Zanuso et Hassan, 201910 ; Théodat, 2020). En se basant sur des acteurs privés et une gestion internationale, les inégalités antérieurement observées sont-elles en voie d’être comblées ?

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Avant Matthew, vulnérabilité et enjeux scolaires en Haïti

L’inégal accès à une éducation de base

11 En Haïti, 34 à 40 % des enfants n’ont pas accès à l’école faute de moyens (Joint, 2008). En effet, l’offre scolaire est majoritairement privatisée : 83 % des écoles sont privées, contre 17 % publiques (Joint, 2008). Le département Sud est assez représentatif de cette réalité. En effet, selon le recensement scolaire du MENFP, paru en 2011, il existe 1 017 écoles fondamentales dans le département Sud. Seulement 168 de ces écoles sont publiques, soit environ 16,5 %. Les écoles privées peuvent prendre de multiples formes. Selon le « collectif Haïti » elles seraient soit à but lucratif (environ 5 % des écoles privées), soit à but non lucratif, gérées à l’échelle communautaire par des ONG, des églises, ou des missions religieuses. Ces dernières dispensent une éducation peu onéreuse. Enfin, à cheval entre le secteur privé et public se trouve les écoles congrégationnistes. Bien que financées en partie par l’État, ces écoles, considérées comme privés, coûtent cher aux familles. Ainsi, pour permettre aux plus nombreux d’avoir accès à l’éducation, l’État haïtien a notamment lancé en 2011 le programme PSUGO pour subventionner des écoles privées et publiques afin qu’elles baissent leurs frais de scolarité. Aujourd'hui c’est un échec11. Selon J-M Théodat, ces efforts pour l’accessibilité à l’éducation cachent une réalité, « Haïti fit le choix d’une école d’élite, payante et congrégationniste ». Ainsi ce sont les milieux ruraux qui souffrent le plus de ces inégalités d’accès (Théodat, 2020).

Caractéristiques démographiques et mobilité dans le département Sud

12 Dans le département Sud, on retrouve les principaux bourgs le long du littoral ainsi que dans la plaine des Cayes, au centre (illustration 1). On constate la répartition de ces foyers de peuplement dans les sections communales dites urbaines, les plus densément peuplées, de l’illustration 2. La plaine et l’extrémité sud regroupent les deux arrondissements aux plus fortes densités, ceux des Cayes et de Port-Salut, avec plus 400 hab/km2 de moyenne (IHSI, 2015). En second plan, la côte ouest est plus densément peuplée que l’est du département : respectivement 250 hab/km² en moyenne dans les arrondissements des Côteaux et de Chardonnières, à l’ouest contre 210 hab/km2 dans celui d’Aquin (IHSI, 2015).

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Illustration 1 - Situation administrative et topographique du département Sud, Haïti

Source : BRGM, 2017. Atlas des Menaces naturelles en Haïti, édition de la banque mondiale. Auteur : S. Veitl.

13 À l’exception de la plaine des Cayes, du littoral et de l’est, l’intérieur des terres présente un fort relief (illustration 1). C’est pourtant dans ces territoires que réside la majorité de la population. En effet, en 2015, 77,2 % de la population du département vivait hors des zones urbaines (IHSI, 2015). Pour rejoindre les zones rurales il faut emprunter un réseau de petites routes, majoritairement en terre, qui rendent ces territoires plus difficiles d’accès, et ce d’autant plus après l’ouragan Matthew (PDNA, 2017). Pour connecter le département au reste du pays, deux routes nationales, la 2 et la 7, le traversent depuis l’est par son centre (illustration 2). Un réseau départemental dessert ensuite les principaux bourgs du littoral, dans l’ouest.

14 Après l’ouragan, le centre de pilotage de l’aide humanitaire s’est installé dans la préfecture des Cayes, dans la plaine (UNICEF et DARA, 2018) au plus près du centre urbain et des routes nationales du département. Ce réseau goudronné fut essentiel car, malgré la disponibilité d’une piste à l’aéroport régional des Cayes, il revient moins cher d’acheminer les matériaux de construction depuis Port-au-Prince, par les routes. D’autant qu’il reste ensuite à les distribuer aux localités dans le besoin.

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Des écoles plus vulnérables en zone rurale

15 C’est justement en dehors de ces zones urbaines et loin des axes routiers principaux que l’on trouve les écoles ayant les toits les moins robustes : tôle et paille (illustration 2) et donc les plus vulnérables aux vents. Au contraire, on retrouve les écoles aux toits les plus robustes, en béton, dans les milieux urbanisés : le long du littoral et au centre. Les vents les plus forts ont balayé l’ouest et le centre du département (illustration 2) et ont donc potentiellement détruit des écoles plus vulnérables situées dans les territoires ruraux, à l’intérieur les terres. Atteindre les écoles dans les zones rurales, potentiellement les plus affectées, et pour des populations le plus dans le besoin, est donc devenu un enjeu majeur de la réponse à l’ouragan Matthew.

Illustration 2 - Face à Matthew : un risque inégal pour les 1 337 établissements scolaires du département Sud

Auteur : S. Veitl.

Un modèle de gouvernance : son organisation, ses normes et ses acteurs

L’aide internationale et Haïti

16 En préambule, il est important de rappeler qu’Haïti et sa population entretiennent une histoire difficile avec l’aide humanitaire. En 2010, le centre du pays était touché par un séisme dévastateur. En lieu et place d’un État haïtien effondré, l’intervention de la communauté internationale a été massive. Lors de la reconstruction, l’État haïtien a été marginalisé dans les mécanismes de coordination, de prise de décisions et de contrôle mis en place (UNICEF et DARA, 2018).

17 Pour le chercheur Mark Schulle, cette période a été un terrain de jeux pour les multinationales. Ricardo Steinfus, haut fonctionnaire brésilien fait le bilan d’un échec de la gestion post-crise que R. Peck, réalisateur haïtien, décrit comme une désorganisation générale. Le chaos organisationnel semble être l’un des premiers

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manquements de cette gestion post-crise. La réponse à la catastrophe fut d’autant plus rapide que de nombreuses ONG haïtiennes ou internationales intervenues depuis 2010 étaient encore présentes dans le pays à l’arrivée de l’ouragan Matthew (UNICEF et DARA, 2018). Ceci a favorisé une mobilisation rapide de ces mêmes acteurs pour agir et intégrer le gouvernement, bien que toujours affaibli, à la coordination de l’urgence et de la reconstruction.

Les ONG, des opérateurs de la reconstruction

18 Dans la résolution n° 31 de 1996 du conseil Économique et Social des Nations Unies (ECOSOC), les ONG sont définies comme « toute organisation qui n’est pas établie par une entité gouvernementale ou par une convention intergouvernementale » (Agazzi, 2007). Malgré tout, l’expression d’Organisation Non Gouvernementale englobe encore beaucoup de variétés d’organismes, aux buts variés.

19 Le cluster est un outil de pilotage de l’action des ONG. Celles-ci se sont affirmées au cours de la deuxième partie du XXe siècle en tant qu’opérateurs de l’assistance internationale (Ryfman, 2014). Ce changement de statut illustre l’augmentation de la privatisation des compétences sociales, traditionnellement réservée à l’État et un transfert de ces compétences vers des organisations supranationales (Agazzi, 2007). L’ONU voit en ces organisations, aux motivations multiples et objectifs variés (Ryfman, 2014) une incarnation de la « société civile » et les placent en interlocuteur de choix sur les questions d’aide humanitaire. Cette intronisation est stimulée par le haut, notamment par les institutions internationales et les organismes de financement de l’aide (Reimann, 2006). Elles permettraient également de diffuser les structures et institutions politiques occidentales de mouvances et valeurs néolibérales dans leurs territoires d’intervention (Reimann, 2006). C’est pourquoi, plus maniables que les États, les ONG sont devenues des professionnels de l’humanitaire et ont ainsi une capacité de déploiement et d’actions qui en font des opérateurs incontournables des situations post-catastrophes.

Reconstruire pour corriger les défauts responsables de la vulnérabilité

20 À l’ONU, à partir de 2015, il apparaît clair que pour atténuer les effets des catastrophes, l’unique renforcement et l’adaptation du bâti aux aléas (construction de digues, bâtiments parasismiques, etc.) ne représentent pas des solutions abouties. Il s’agit alors de travailler à l’augmentation des capacités d’adaptation des systèmes, dans leur ensemble, qui devront ainsi faire face (Cope with) (Reghezza-Zitt et al., 2015 ; Hufschmidt, 2011 ; Quenault, 2014 ; Moatty, 2015) par eux-mêmes aux aléas auxquels ils sont exposés. Dans ce but, il est suggéré d’agir sur les aspects structurel, financier, technologique et comportemental (Quenault, 2014) d’un territoire. Ces ajustements conduisent un territoire victime d’un aléa à utiliser cette « fenêtre d’opportunité » pour réformer ses institutions et modifier son organisation socio-spatiale, ce qui aurait pour effet d’augmenter ses capacités d’adaptation. On comprend donc la résonance idéologique dans sa mise en application (Reghezza-Zitt, 2018).

21 C’est dans cette démarche de réforme profonde que le cluster éducation formule les objectifs de l’aide à plus ou moins long terme. Son action se nourrit des principes et

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recommandations formulés dans le Cadre d’Action de Sendaī (CAS) pour 2015-2030. Celui-ci s’inspire du retour d’expérience du précédent cadre d’action (Cadre d’Action de Hyōgo) et des idées rapportées par le GAR 2015. Dès lors, c’est cette notion phare de capacité à s’adapter, qui conditionne le degré de résilience d’un système (Moatty, 2015). Le GAR affirme que « les risques résultent du développement, les prendre en charge exige d’être en faveur de la réduction de la pauvreté, de la planification et de la gestion adéquates des zones urbaines, ainsi que de la protection et de la réhabilitation des écosystèmes ». Par-là, le concept de développement durable et de résilience sont des éléments centraux de la gestion post-catastrophe. On peut alors s’attendre à observer une « bifurcation » du système scolaire organisé par le cluster.

Le cluster, un cadre d’intervention pour les ONG

22 Le cluster est outil de coordination de l’OCHA12 qui souhaite favoriser les partenariats et répartir les tâches entre les ONG, ce qui participe d’une meilleure définition de leurs rôles et de leurs responsabilités (OCHA, 2012). Pour garantir l’éthique de la démarche et une reconstruction plus adaptée aux aléas, le cluster fournit des documents éthiques (rapport de l’ONU sur le droit à l’éducation) et produit des documents techniques (par exemple sur les toits paracycloniques) qui sont des recommandations pour les ONG. Celles-ci sont chargées de s’autoévaluer sur la bonne utilisation de ces documents à la fin du projet (bien que cela ne soit pas toujours réalisé selon les coordinateurs du cluster éducation post-Matthew interrogés).

23 Pour assurer une bonne coordination, le cluster centralise les informations sur les établissements à réhabiliter ou reconstruire sous la forme d’une base de données qui permet aux ONG de choisir leurs zones d’interventions en fonction de leurs capacités financières et techniques (C. Delebecque). Il reste possible d’œuvrer pour la reconstruction hors du cadre du cluster. Cependant, les avantages logistiques et financiers ne sont pas négligeables. Par exemple, C. Delebecque rapporte la mise en place de la mutualisation des transports humains et matériels des ONG et une facilitation d’obtention des autorisations gouvernementales ainsi qu’une simplification dans l’identification des besoins et projets.

Établir une stratégie pour le relèvement

24 Pour résumer, le cluster est chargé d’accompagner le territoire et ses systèmes au cours des différentes phases du « relèvement » (Comfort et al., 2010) planifiées par le PDNA. Une feuille de route pour l’année et demi suivante est alors établie pour en atteindre les objectifs. Cette planification et ces objectifs se basent sur les constats et besoins recensés dans le PDNA. Tenant compte de cette planification et en fonction des réalités d’intervention et d’urgence, les priorités sont alors hiérarchisées par les administrateurs du cluster.

25 Dans notre cas, cette stratégie pour le « relèvement » s’est structurée en deux phases : - de 3 à 6 mois : dans l’urgence, mettre en place des structures temporaires d’éducation ; - de 6 à 18 mois : pérennisation de la 1ère phase. Cette phase correspond également à la restauration des infrastructures essentielles pour amorcer une reconstruction vers un développement durable.

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26 L’objectif se décline en trois axes : l’accès universel et gratuit à l’école pour tous les enfants, l’amélioration de la qualité de l’enseignement et l’amélioration de la gouvernance du secteur.

27 Finalement, le cluster est un système temporaire d’acteurs qui permet le lien entre des bailleurs de fonds et les ONG, résumé ci-contre (illustration 3), à travers des réformes structurelles, qui accompagneront les territoires et ses communautés vers une résilience conçue en amont. De par leurs fonctionnements, les ONG ont une capacité d’opération rapide sur le territoire (Agazzi, 2007 ; Reimann, 2006 ; Ryfman, 2009). Additionné aux recommandations et obligations des ONG envers le cluster, cela permet à l’état haïtien d’avoir un contrôle sur le projet de reconstruction. Notre échantillon de la base de données permet une visibilité de l’action des ONG. Comment ce modèle d’intervention théorique s’exprime-t-il en pratique ?

Illustration 3 - Gouvernance et objectifs du cluster

Sources : d’après les documents de coordination du cluster éducation (2017) et Comfort et al. (2010). Auteur : S. Veitl.

Quelles priorités ?

28 Dans une reconstruction, la variable temporelle est essentielle. D’après les coordinateurs du cluster et le retour d’expérience de l’UNICEF, nous savons que les contraintes budgétaires et d’accessibilité aux écoles ont obligé le cluster à une hiérarchisation des priorités de reconstruction des écoles. Pour identifier cette hiérarchie, et vérifier si elle suivait une logique spatio-temporelle, nous avons mesuré l’éloignement de chacune des 91 écoles de notre échantillon aux routes nationales et départementales en fonction du moment de l’intervention. Notre analyse porte sur l’état des avancées huit mois après la catastrophe, au début de la phase 2 de la stratégie de « relèvement », qui correspond, en théorie et selon le PDNA, au début de la

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restauration des éléments territoriaux essentiels (Moatty, 2015). Les résultats sont présentés dans l’illustration 4.

Illustration 4 - Huit mois après la catastrophe (16/06/17) : état de réalisation des projets en fonction de leur proximité à un axe routier majeur

Source : d’après la base de données du cluster Education post-Matthew. Auteur : S. Veitl

29 On remarque que les écoles pour lesquelles l’intervention est terminée sont en moyenne les plus proches des routes principales : 500 m contre 1,1 km en moyenne pour le total des écoles. Pour la seconde vague d’intervention, celle qui est en cours, il s’agit d’atteindre les écoles les plus éloignées, pour certaines jusqu’à 17 km d’une route principale. À noter que l’amplitude de distance aux routes pour les écoles de ce second temps est remarquable par rapport aux autres vagues. Enfin, les écoles qui n’ont pas encore de date de début des travaux sont dans une amplitude de distance plus restreinte et sont en moyenne au niveau de celle du total de l’échantillon. De manière générale, cette répartition de la distance des écoles en fonction du temps reflète un choix du cluster d’intervenir en priorité dans les écoles affectées par l’ouragan les plus proches des routes principales, donc des centres urbains.

30 Ce déséquilibre urbain/rural de la réponse se confirme lorsqu’on observe les effectifs d’écoles visées par commune (illustration 5). En effet, la moitié des projets de reconstruction étudiés se situe dans les trois communes de Camp-Perrin, les Cayes et Torbeck (illustration 5). Des proportions que l’on retrouve pour les 204 écoles de la base de données13. Autrement dit, ce déséquilibre et cette priorisation s’observent quelle que soit l’ONG constructeur ou le bailleur de fond. Ces trois communes sont situées dans la plaine des Cayes. Elles font parties d’un territoire majoritairement urbain, également moins exposé à l’ouragan (illustration 2). Pour autant, si ces territoires sont les plus accessibles, sont-ils ceux qui en ont le plus besoin ?

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Illustration 5 - Nombre de projets par commune

Source : d’après la base de données du cluster éducation post-matthew. Auteur : S. Veitl.

31 Auguste Joint et le rapport du MENFP ont rappelé la disparité d’offres scolaires entre les zones urbaines et rurales. Alors même que le département Sud est majoritairement rural (IHSI, 2015). Si l’on observe les foyers de peuplement des moins de 18 ans (illustration 6), on relève une plus forte concentration des potentiels apprenants des écoles fondamentales dans l’ouest du département. Pour autant, dans notre échantillon de 91 écoles, seulement 35 écoles de cette partie du département sont visées par le processus de reconstruction. Il semble donc que la priorisation des zones d’interventions ne tienne pas compte des besoins réels mais soit plus contraintes par les difficultés logistiques et financières.

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Illustration 6 - Attributions des projets de reconstruction : zones privilégiées d’intervention par les principales ONG

Auteur : S. Veitl.

32 Il est vrai que ce décalage entre besoins et réalité d’intervention peut s’expliquer en partie par les difficultés d’acheminement des matériaux. Bien qu’ils puissent transiter par l’aéroport ou le port ou via la route nationale depuis Port-au-Prince, leur transport vers les zones rurales et l’ouest s’avère plus difficile et donc onéreux. En outre, le retour d’expérience (REX) de l’intervention de l’UNICEF témoigne des difficultés de coordination au début de l’urgence et de manque de stratégies élaborées en amont. De ces contraintes découleraient les disparités observées. À cette relative désorganisation de la coordination constatée, le REX de l’UNICEF désigne les logiques de répartition des praticiens de l’intervention, les ONG, comme facteur explicatif du décalage que montre notre analyse.

Des logiques de répartition des ONG

33 Si la stratégie d’intervention du cluster semble donc assez claire, celle des ONG parait plus floue. C. Delebecque explique qu’une fois le recensement des écoles réalisé par le cluster, les ONG se sont positionnées sur tel ou tel projet. Celles-ci avaient également la possibilité de faire des propositions d’écoles à reconstruire. Les facteurs qui ont guidé la répartition des ONG sur le territoire ont alors été : une présence antérieure de l’ONG dans une commune, la capacité de déploiement logistique et financière de l’ONG, ou encore les critères propres à leurs missions et objectifs comme par exemple, l’amélioration de la pédagogie. Une fois les vœux de positionnement spatial énoncés, le cluster validait ou non l’attribution du projet à l’ONG concernée. L’expertise dans la reconstruction ne semble pas avoir eu d’incidence sur la validation par le cluster. Pour pallier l’inexpérience de certaines ONG dans ce type d’intervention, le cluster a produit, en collaboration avec l’agence de coopération suisse, un guide de reconstruction des toitures aux normes para-cycloniques.

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34 Le tableau 1 nous permet d’identifier les principales ONG engagées dans le cluster ainsi que le nombre de projets sur lesquels elles se sont engagées. Nous avons cherché à décrire en substance les ONG via leur site internet et nous avons étayé nos recherches avec les témoignages des coordinateurs du cluster.

Tableau 1 - Description des ONG intervenant dans la reconstruction

Auteur : S. Vietl.

35 Selon ces coordinateurs, parmi les ONG internationales, la seule spécialiste des situations d’urgence est la FAU (Fondation des Architectes de l’Urgence), c’est-à-dire qu’elle n’intervient que dans la reconstruction et n’a pas de mission de développement. La fondation Digicel, active depuis 2007, tient son nom d’un opérateur téléphonique très présent en Haïti et dans les Caraïbes. Cette fondation semble s’être concentrée uniquement sur des écoles qu’elle avait construites avant l’ouragan dans le cadre de ses projets de développement. Save The Children et AVSI, dont les missions pour l’enfance sont multiples, étaient déjà présentes dans le département pour des actions de développement et de soutien à des établissements scolaires avant Matthew.

36 Concernant les deux ONG haïtiennes, toutes deux soutiennent des écoles privées à l’échelle du pays depuis plusieurs années : la CEEC s’est engagée auprès des écoles catholiques tandis que la FEPH soutien des écoles protestantes.

37 Enfin, le tableau est complété par des ONG de la diaspora haïtienne. Depuis 1994, Haïti Futur a pour mission, entre autres, l’amélioration de la qualité de l’enseignement. Ils intervenaient donc déjà dans des écoles. ProDev, quant à elle, possède et gère deux écoles en dehors du département Sud.

38 Ainsi, bien que pratiquement toutes ces ONG soient déjà présentes sur le terrain haïtien avant l’ouragan, elles ne le sont pas forcément dans le département Sud. En outre, peu

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de ces ONG ont pour activité d’origine la construction d’écoles en tant que telle, mais ont plutôt des rôles de développement pédagogique, de gestion et de soutien financier d’établissements scolaires. Si la prospection d’informations sur les sites internet des ONG nous permet de dégager leurs missions principales qui auront une influence sur la sélection du type d’écoles aidées, elle ne nous permet pas de connaître leurs critères de sélection spatiale. Pour ce faire, une représentation cartographique des écoles choisies par les principales ONG pour reconstruction nous aide à distinguer des zones privilégiées d’intervention (illustration 6). Il en ressort une propension des intervenants à s’établir un périmètre d’action, « un espace de travail ». Ces zones sont mises en valeur par des ellipses.

39 On remarque que ces ellipses se superposent aux zones urbaines. Cette observation illustre le constat du REX de l’UNICEF : peu d’ONG souhaitaient se rendre dans les zones reculées, pourtant en grand besoin. Elles se sont donc partagé le territoire tout en restant dans des zones urbaines. Dans le cas de la FAU, comme nous l’explique C. Delebecque, ce sont les contraintes financières et logistiques qui l’ont obligée à se positionner sur les écoles de Roche-à-Bateau, dans des zones urbaines. D’autres fois, les critères de sélection étaient plus orientés par les caractéristiques spécifiques des écoles. Haïti Futur, par exemple, a choisi des écoles de grande capacité, parmi les moins endommagées et a concentré son action sur deux communes. Mis à part quelques ONG internationales aux capacités de déploiement importantes comme Save The Children ou la fondation Digicel, les autres ONG partagent les limites logistiques et financières rencontrées par le cluster et ainsi ne peuvent qu’intervenir dans un périmètre restreint pour maximiser leur intervention.

40 Comme l’on sait que la majorité des ONG intervenantes souhaite jouer un rôle dans la vie des écoles dans lesquelles elles interviennent, on peut penser que ce rôle survivra à leur intervention de reconstruction. L’un des coordinateurs du cluster nous confirme cette hypothèse. Cette potentielle implication des ONG pose la question de l’adéquation des actions des ONG avec les objectifs initiaux du cluster qui étaient de mieux contrôler le parc scolaire avec une priorité donnée aux écoles publiques.

Un rééquilibrage des proportions d’écoles publiques et privées

41 Auguste Joint et le rapport du MENFP ont relevé le criant déséquilibre d’offres scolaires entre le secteur public et le privé. Observe-t-on un effort de rééquilibrage de ce constat par l’action du cluster ?

42 Sur les 91 écoles que contient notre échantillon, 49 sont publiques, 39 sont privées et 3 n’ont pas d’information disponible (tableau 2). Bien que comportant des lacunes, l’autre partie de la base de données des écoles réhabilitées montre qu’une très grande majorité des écoles présentes est, soit financée par un bailleur public, soit reconstruite par un intervenant lié au gouvernement haïtien. On sait également l’implication de l’État dans l’élaboration de la base de données des écoles à réhabiliter (UNICEF et DARA, 2018). Comme 78 % des écoles en Haïti sont privées, si la base de données comporte une majorité d’écoles publiques, on en déduit qu’il existe une volonté du cluster d’orienter l’effort humanitaire vers ce type d’écoles. Pour autant, les écoles publiques n’ont pas été reconstruites plus vite. L’analyse de notre échantillon montre que la variable temporelle de reconstruction ne distingue pas les deux secteurs.

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Tableau 2 - Des financements ciblés par type d’écoles

Encadré rouge : projets financés par l’UNICEF et par des agences publiques d’aide humanitaire et de développement des États-Unis (USAID) et d’Angleterre (DFID). Auteur : S. Veitl.

43 Si la volonté du cluster est de privilégier la reconstruction d’écoles publiques, qu’est-ce qui explique la proportion d’écoles privées encore relativement importante ? Ce qui apparaît, c’est que ces logiques de répartition spatiale des ONG ne dépendent pas que de la stratégie du cluster. Si la logique de répartition des ONG et la stratégie de reconstruction dépendent des financements, il nous faut alors considérer le rôle des bailleurs de fonds.

De l’influence des bailleurs

44 Dans leurs rapports respectifs, A. Boinet et B. Miribel ((2010) ainsi que l’OSE (2011), montrent que les bailleurs de fonds n’ont que très rarement une position totalement philanthropique. Les différents rapports et comptes qu’exigent les bailleurs de fonds aux ONG contraignent ces dernières à réaliser un projet humanitaire en accord avec les normes et objectifs de leurs bailleurs. Selon C. Delebecque, l’adaptation à ces cahiers des charges est une condition primordiale à l’obtention des fonds de financement. Si ce processus se reproduit dans chaque ONG, on imagine alors l’influence indirecte des bailleurs de fonds sur la stratégie de reconstruction. De par son implication, nous nous attarderons sur le cas de l’acteur-bailleur UNICEF. Son personnel co-administre le cluster et il a financé ou co-financé 50 % des projets.

45 Le cadre rouge du tableau 2 isole les projets financés par l’UNICEF et ceux des agences publiques d’aide humanitaire et de développement des États-Unis (USAID) et du Royaume-Uni (DFID). On observe que sur les 49 projets de reconstruction d’écoles

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publiques de notre échantillon, 36 sont financés par ces bailleurs. Ainsi, les financements attribués par l’UNICEF, co-responsable du cluster, confirment la stratégie de celui-ci de donner priorité aux écoles publiques. D’autres, comme la Fondation de France avec Haïti Futur soutiennent des écoles privées. En conséquence, il semble y avoir deux dynamiques, deux canaux de financement dans cette aide humanitaire qui ont pour résultat une aide hétérogène sur le terrain.

Deux dynamiques de reconstruction se côtoient dans le cluster

46 Ce croisement entre les observations spatiales et les témoignages d’acteurs nous permet d’identifier deux grands groupes qui coexistent et agissent à travers la gouvernance du cluster. Nous allons maintenant tenter de les résumer.

47 Le premier, autour du couple État/ONU a fait le choix de reconstruire ou de réhabiliter des écoles publiques sur l’ensemble du département. Des agences transgouvernementales et gouvernementales (comme DFID, USAID et surtout l’UNICEF) fournissent en majorité le financement d’une intervention dans les zones reculées (UNICEF et DARA, 2018). Les travaux dans ces zones rurales sont effectués par des ONGi (Save The Children, AVSI) dont la capacité de déploiement (Ryfman, 2014) et la neutralité vis-à-vis du contexte local donnent des garanties d’exécution. Les deux seules ONG haïtiennes (CEEC et FEPH) prennent également part aux objectifs du cluster mais elles interviennent plutôt dans un milieu urbain. Si l’on se reporte aux objectifs du PDNA, ces reconstructions visent à remettre rapidement en fonctionnement les écoles publiques et préparent un réajustement du système scolaire. Il semble alors qu’il y ait chez l’UNICEF une volonté de renforcer les capacités du gouvernement pour l’affirmer en tant qu’acteur et régulateur du système. En témoigne les projets implémentés actuellement, deux ans après, pour la formation pédagogique des représentants du ministère dans le département (inspecteurs, instituteurs) comme le programme Haïti Gagne. Ce dernier est piloté par l’ONGi CARE, et financé par l’UNICEF, et se déploie avec le MENFP. Ce programme vise à former pédagogiquement des professeurs et inspecteurs fonctionnaires. Le système ONU-ONG analysé par K.D Reimann prend ici son sens et son efficacité. Ce système met en pratique les politiques d’adaptation et de résilience énoncées dans le GAR et le CAS de Sendaī.

48 La tendance du second groupe est moins évidente. Les ONG non internationales, bien souvent issues de la diaspora haïtienne partagent également avec le premier groupe la volonté de s’implanter plus durablement dans le paysage éducatif. Pour autant, elles se distinguent par leurs projets de reconstruction situés majoritairement en milieu urbain et généralement financés par des bailleurs de fonds privés. Les écoles bénéficiaires sont plus souvent des établissements scolaires privés. Cette orientation de l’intervention vers des écoles privées tend à faire perdurer la nette domination du privé dans la balance de l’offre éducative (Joint, 2008). En démontrant leur solidarité et leur lien avec le territoire, on pourrait qualifier ces ONG d’acteurs territorialisés (Di Méo, 2014). Pour les gestionnaires locaux, il faudra ainsi désormais compter sur ces acteurs qui se sont affirmés grâce à la réponse à la catastrophe.

49 Bien que la séparation entre ces deux groupes soit à nuancer, cette identification questionne le rôle du cluster et sa capacité à coordonner l’aide vers des objectifs ciblés.

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Conclusion

50 L’application des cadres d’actions internationales de relèvement post-catastrophe, dans notre cas, a débouché sur une stratégie visant à combattre les problématiques, antérieures à la catastrophe, d’un réseau scolaire trop hétérogène et inégal. Mais cela fonctionne-t-il vraiment ?

51 Face au foisonnement de l’offre privée, largement supérieure à celle du public, l’État haïtien et l’UNICEF ont travaillé au relèvement des établissements scolaires publics. Les coordinateurs interviewés en témoignent, dans la continuité de cette démarche, le cluster produit aujourd’hui des politiques publiques qui visent au développement et renforcement des structures comme les rectorats. On voit donc que le cluster vise à plus long terme un renforcement des capacités de gestion du secteur éducatif par l’État. Cette trajectoire prend la forme d’une bifurcation (Moatty et al., 2017) par la modification de l’interdépendance entre les éléments qui constituent le système éducatif d’avant la catastrophe.

52 Pour autant, ces efforts doivent être poursuivis car les associations et ONG ne peuvent se substituer durablement à l’État pour combler son abandon des services publics. Leur forte implication dans la reconstruction et leur autonomie illustrent la faiblesse de l’appareil étatique et démontrent que les inégalités antérieures observées ne sont pas en voie d’être comblées de façon durable.

53 Pour la population rurale, les contraintes budgétaires et l’impraticabilité des routes auront sûrement un goût amer puisque leurs écoles ne seront pas prioritairement reconstruites. Il serait intéressant d’étudier les mouvements de population juvéniles à la suite de la catastrophe au prisme de l’exode rural. En effet, comme il l’est souhaité dans la phase 2 du processus de relèvement, on imagine facilement que les différentes dynamiques de remises en état seront pérennisées et rendront d’autant plus attractives les zones urbaines qui ont bénéficié de l’aide humanitaire. Alors même que la population en âge de se rendre à l’école fondamentale se trouve dans les régions les moins bénéficiaires, car isolées, on peut supposer que l’inégale répartition des projets observés pourrait renforcer les problématiques d’accessibilité à l’éducation d’avant la catastrophe (Joint, 2008).

54 Pour conclure, malgré la volonté de la communauté internationale d’utiliser la fenêtre d’opportunité de la catastrophe pour opérer une bifurcation du système éducatif haïtien en favorisant les établissements scolaires publics, les logiques d’implantation et de financement des ONG par des bailleurs privés mettent à mal cet objectif. Pour faire évoluer son modèle, le cluster pourrait se rigidifier en considérant davantage de contraintes. Cela, après en avoir identifié les « bonnes pratiques » de reconstruction (Moatty et al., 2017) grâce à des retours d’expériences indépendants. Une des pistes pour faire évoluer le système d’intervention serait d’inclure la population et les responsables locaux dans le système de décision et de renforcer, en amont d’une catastrophe, les établissements scolaires vulnérables.

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NOTES

1. UNISDR, actuellement UNDRR, est l’agence des Nations Unies Pour la Réduction des Risques de Catastrophes, principalement chargée de produire des stratégies internationales pour la réduction des risques et catastrophes et les connecter aux objectifs généraux de l’ONU. Ces stratégies sont compilées dans des cadres d’actions pluriannuels (Hyōgo : 2005-2015 puis Sendai : 2015-2030). https://www.undrr.org/ 2. GAR : Global Assessment Report, Bilan Mondial publié en 2015. Un rapport de l’UNDRR qui propose un bilan de l’approche formulée dans le cadre d’action de Hyōgo et une base d’évolution pour le cadre d’action suivant, nommé Sendai (2015-2030). https://gar.undrr.org/ 3. Dans notre contexte, le concept de bifurcation a été introduit comme étant une « une modification de la structure du système et des interdépendances entre ses différents éléments, et de fait, de ses relations avec les autres systèmes » (Moatty et al., 2017). 4. Le cycle fondamental en Haïti est l’équivalent du cycle primaire et collège en France, c’est à dire pour des enfants âgés de 6 à 15 ans. 5. La catégorie 4 est l’avant-dernier niveau de l’échelle de Saffir-Simpson qui en compte 5. 6. Le Post Disaster Need Assessment (PDNA) prépare une réponse à la catastrophe après avoir fait un état des lieux et établi les besoins. C’est un outil central pour la mise en place de la gouvernance et l’établissement d’objectifs pour la reconstruction. 7. Adoptés par les 189 États membres en 2000, ils visent à engager un développement durable en améliorant le bien-être de l’Homme à l’échelle internationale. Les ODM sont découpés en huit secteurs et visent à réduire : la faim, la mortalité infantile, la santé maternelle, la protection de l’environnement, la pauvreté (réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est

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inférieur à un dollar par jour), l’enseignement, le contrôle des épidémies comme le paludisme et l’égalité des sexes, tout cela en privilégiant les partenariats mondiaux pour le développement. 8. Adoptés le 25 décembre 2015, les ODD s’ajoutent de façon parallèle aux ODM. Ils visent à « éradiquer la pauvreté, protéger la planète et garantir la prospérité pour tous ». L’idée est la mobilisation collective autour de 163 objectifs. L’agenda court jusqu’en 2030 et la volonté est de responsabiliser et d’impliquer les acteurs qui font la société : « gouvernements, le secteur privé, la société civile et les personnes comme vous » (ONU). Des économistes, lors d’une conférence du GEMDEV en 2018, ont évalué l’aide nécessaire pour atteindre ces ODD à plus de deux milliards de dollars. 9. https://haiti.un.org/fr/1008-haiti-appel-humanitaire-de-139-millions-pour-assister-les-plus- touches-par-louragan-matthew 10. https://theconversation.com/ha-ti-entre-aspirations-et-realites-des-jeunes-109580 11. Le Nouvelliste, quotidien de référence haïtien recense de nombreuses irrégularités de paiements et de détournement des fonds qui en ont empêché la réussite : https:// lenouvelliste.com/article/177372/le-psugo-nest-pas-totalement-mort-il-agonise 12. Office of the Coordination of Humans Affaires (bureau de Coordination des Affaires Humanitaire). Département du secrétariat de l’ONU, chargé de coordonner globalement le secteur humanitaire dans un contexte de crise. https://www.unocha.org/about-ocha/our-work 13. Camp-Perrin (32), les Cayes (22) et Torbeck (18) se distinguent par rapport aux autres bourgs du département.

RÉSUMÉS

Suite à une catastrophe, l’assistance internationale se structure selon des normes (cadres d’actions de l’agence des Nations Unies Pour la Réduction des Risques et Catastrophes, UNDRR, et du Global Assessment Report, GAR, de 2015), appliquées par des acteurs (ONU, États et ONG). Les normes cadrent l’organisation de la gouvernance (le cluster), qui définit la trajectoire de « relèvement » et met en place des modalités d’actions. C’est ce système et son impact socio- spatial que nous proposons d’éclairer par un regard critique qualitatif. Pour ce faire, nous avons pris l’exemple de la reconstruction des écoles dans le département du Sud en Haïti après l’ouragan Matthew de 2016. La communauté internationale, via la reconstruction, tente d’y insuffler un nouveau modèle de développement pour la résilience des territoires et de ses habitants. Nous verrons que la réalité résiste à cette injonction d’adaptation.

Post-disaster international aid builds its action on standards (UNDRR frameworks, GAR), applied by stakeholders (UN, state and NGO), who organize themselves through a specific governance model (the cluster tool) and define a strategy to rebuild the land. In this study, we will do a critical analysis of this intervention. We will use the renovation of school buildings in the “Sud” department of Haiti after Hurricane Matthew in 2016 as an example. Throughout the analysis of the social and geographical impact of this model, we will see how the reconstruction model is trying to lead the land towards resilience and sustainable development. We will also see how, in practice, this injunction of adaptation is facing realities.

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INDEX

Mots-clés : cluster, école, Haïti, ONG, ouragan, reconstruction Keywords : cluster, Haiti, hurricane, NGOs, reconstruction, school Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

SIMON VEITL Simon Veitl. [email protected], est titulaire d’un master de géographie soutenu à l’Université Paris VIII en 2018.

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Les temps de la catastrophe L’ouragan de septembre 1928 en Guadeloupe

Jérémy Desarthe

1 En frappant les Antilles dans la nuit du 5 au 6 septembre 2017, l’ouragan Irma est venu rappeler l’exposition des Îles-du-Nord aux risques cycloniques. Deux ans après son passage, l’île de Saint-Martin a amorcé sa reconstruction mais conserve encore les stigmates du passage de l’ouragan pour une durée encore difficile à évaluer. Au regard de l’expérience historique, il est intéressant de s’interroger sur la manière dont les sociétés ont fait face par le passé à de tels événements et selon quelles temporalités. Le cyclone de septembre 1928 constitue avec Irma, Hugo et José les principaux ouragans qui ont touché les Antilles au cours du XXe siècle et représente un cas d’étude intéressant (Desarthe et Moncoulon, 2017). Ce cyclone a touché la Guadeloupe et dans une moindre mesure la Martinique entre le 12 et le 13 septembre 1928. Non nommé, puisque cette pratique ne se fera qu’à partir des années 1950, il est connu aux États- Unis sous le nom Okeechobee en raison des inondations du lac du même nom en Floride. À Porto-Rico, sa mémoire est conservée sous le nom de San Felipe. En Guadeloupe, où le cyclone a été à l’origine de 1 120 à 1 200 morts, sa mémoire est encore vive et donne lieu à des commémorations régulières.

2 La connaissance des événements passés est incontournable pour appréhender l’exposition des territoires et des sociétés, et pour la construction des politiques de prévention. Dans cette perspective, la Caisse Centrale de Réassurance, en tant qu’acteur du régime d’indemnisation des Catastrophes naturelles et comme gestionnaire comptable et financier du Fonds de Prévention des Risques Naturels Majeurs, mène depuis plusieurs années des travaux de recherche et de développement intégrant une dimension historique (Desarthe, 2014, 2017, 2019). Les résultats de l’étude menée entre 2013 et 2017 consacrée aux outre-mer sont partagés dans le cadre du projet d’ANR TIREX qui vise à faire un retour d’expérience sur l’ouragan Irma partagé avec les populations afin d’améliorer la résilience des sociétés.

3 L'intérêt des historiens pour l’étude des catastrophes passées est ancien et les travaux ont toujours eu pour ambition d’améliorer la connaissance des sociétés et des aléas (Le Roy Ladurie, 1967 ; Favier 2000, 2002 ; Coeur, 2006 ; Garnier, 2009). Dans les Antilles, plusieurs travaux réalisés par des géographes et des historiens (Saffache, 2003 ; Zahibo,

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2007 ; Desarthe, 2017) ont permis de proposer des reconstructions chronologiques des cyclones. Au-delà du simple inventaire, l’analyse des événements passés permet également d’appréhender le système risque dans sa dimension spatiale et temporelle (Giacona et al., 2019). Ce faisant, à partir de l’exemple du cyclone de 1928, il s’agit d’analyser la manière dont un phénomène naturel est susceptible d’altérer le fonctionnement d’une société et les réponses apportées par celle-ci. Il s’agit d’aborder la vulnérabilité sous l’angle de la propension des enjeux à subir des dommages (D’Ercole, 1994 ; Veyret, 2007) et à travers l’analyse du chaînage des impacts (Provitolo, 2005 ; Duvat, 2017). La démarche mise en œuvre vise aussi à intégrer les différentes temporalités de la catastrophe afin d’évaluer la résilience de la société guadeloupéenne au lendemain du cyclone de 1928. Définie comme la capacité d’un système à faire face aux conséquences d’un aléa pour restaurer ses structures et ses fonctions essentielles (Walker et al., 2004), elle intègre également une dimension temporelle puisqu’elle mesure en effet la durée nécessaire au retour à un équilibre après une perturbation. Cette période étant fonction de l’ampleur de l'événement, de l’adaptabilité de la société (Dauphine et Provitolo, 2007). La conceptualisation de la vulnérabilité et de la résilience est relativement récente mais ils constituent des outils importants pour interroger le passé (Meschinet de Richemond, 2016).

4 Cette approche est rendue possible grâce à une exploitation et une analyse critique des archives émanant des autorités administratives (Garnier, 2009 ; Desarthe, 2013, 2019). Les pratiques mises en œuvre par le passé au lendemain d’une catastrophe ne sont pas si éloignées de ce que nous connaissons aujourd’hui (Desarthe, 2019). Les autorités cherchent rapidement à dresser un inventaire précis des dommages afin de mettre en œuvre les réponses adaptées à la situation.

5 Ce faisant, les documents conservés aux archives départementales de Guadeloupe et aux archives nationales de l’outre-mer à Aix-en-Provence sur l’ouragan de 1928 contiennent des informations qui permettent d’appréhender tous les aspects de la catastrophe. Ainsi, l’historien dispose d’une riche correspondance entre les différents acteurs (sinistrés, maires, gouverneur, ministre des colonies), d’inventaires de dommages ou encore du détail des mesures prises pour secourir les sinistrés. Au total, pour le cyclone de 1928, ce sont plus d’une centaine de documents de natures variées qui ont été consultés. L’ensemble des données a été regroupé au sein d’une base de données dont le géoréférencement a rendu possible l’exploitation de la dimension spatiale des informations collectées.

6 Au moment du passage du cyclone, les 240 000 habitants qui peuplent l’île vivent essentiellement de l’agriculture, et l’industrie sucrière constitue un facteur de rayonnement économique (Schnakenbourg, 2009). À partir des données collectées, il est possible de s’interroger sur la manière dont les populations et les activités ont été touchées et sur les conséquences de l’événement sur le long terme. L’État, comme au lendemain de chaque catastrophe, est intervenu pour secourir les sinistrés (Favier, 2000 ; Garnier, 2009 ; Desarthe, 2013). Il s’agit alors d’analyser les moyens mis en œuvre et les motivations pour répondre aux besoins des habitants au lendemain du cyclone. L’insularité de l’île et son statut de colonie dans un contexte d’une volonté d’assimilation des populations conduisent à nous interroger sur les modalités de mise en place de ces secours. Cependant, dans un premier temps, il convient de revenir sur le phénomène lui-même, sur ses caractéristiques et le contexte météo-cyclonique dans lequel il a touché la Guadeloupe afin de souligner son exceptionnalité.

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Chronique d’une catastrophe

Un événement sans précédent ?

7 Les cyclones sont avec les séismes, les principaux risques naturels auxquels sont exposés les Antilles françaises. La reconstruction de la sévérité des cyclones pour les Antilles françaises selon la classification Saffir-Simpson menée à partir d’une étude de leurs dommages (Desarthe et Moncoulon, 2017) fournit de précieuses informations sur le contexte météo-cyclonique dans lequel le cyclone de 1928 est intervenu (illustration 1). Le dernier événement qui avait touché la Guadeloupe avait eu lieu le 21 septembre 1908. Il faut remonter à l’ouragan de catégorie 2 survenu le 7 août 1899 pour retrouver trace de dommages importants pour la Guadeloupe. Toutefois, pour retrouver un événement similaire à celui de 1928, il faut remonter au 6 septembre 1865. À cette époque, la perte des récoltes et la destruction des lieux de production avaient ralenti l’industrie sucrière alors en plein essor (Schnakenbourg, 2000). Cet événement est longtemps resté dans la mémoire des guadeloupéens en raison des nombreux décès causés par le cyclone et par l’épidémie de choléra qui s’était déclarée peu après. Ainsi, la faible occurrence d’événements majeurs durant cet intervalle de 64 années a pu altérer la mémoire et la représentation du risque en accentuant ainsi la vulnérabilité des sociétés (Desarthe, 2013).

Illustration 1 - Les cyclones dans les Antilles françaises depuis 1635

Source : d’après Desarthe J. et Moncoulon D., 2017.

8 Intéressons-nous maintenant à la saison cyclonique 1928. Débutée en juillet et s’étalant jusqu’en novembre, elle a été relativement calme avec 6 systèmes dépressionnaires recensés par la NOAA survenus entre le 3 août et le 15 octobre 1928 contre une dizaine en moyenne chaque année pour la période 1851-2012 selon la base de données HURDAT

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de la NOAA. Seulement 4 d’entre eux ont atteint le stade de cyclone et un seul – celui du 12 septembre – est classé comme un cyclone majeur (catégorie supérieure à 3 sur la classe Saffir-Simpson). Le premier phénomène est relativement tardif puisqu’il ne se manifeste que le 3 août avec une trajectoire similaire à celle du cyclone qui touche la Guadeloupe le 12 septembre 1928. Le second passe au sud-ouest de l’Arc Antillais épargnant les territoires français des Antilles. La trajectoire des trois autres est assez éloignée des Antilles pour ne pas être à l’origine de dommages (illustration 2).

Illustration 2 - Saison cyclonique et trajectoire de l’ouragan Okeechobee en 1928

Source : base de données IBTrACS, Hurdat 2, NOAA.

Une catastrophe à l’échelle régionale

9 Le 11 septembre à 16h, le gouverneur de la Guadeloupe est averti par télégramme de la présence d’un ouragan à moins de 500 km de l’île. Il s’agit du premier niveau d’alerte du système de prévision mis en place au début du siècle (Desarthe, 2014). S’appuyant sur un réseau d’observatoires communiquant entre eux grâce au télégraphe, ce système informe les différents territoires en fonction de la menace plusieurs heures avant l’événement. Dans sa correspondance avec le ministre des Colonies, le gouverneur de Guadeloupe explique que le cyclone paraissant devoir être d’une violence extrême. L’examen de la carte fit alors prévoir qu’il allait passer sur la colonie, et l’initiative est prise de prévenir les populations sans attendre l’avis n° 2 pour annoncer l’imminence du cyclone comme il est prévu normalement (ANOM, Guadeloupe, carton 244, dossier 1482). Toutes les mesures semblent alors prises pour alerter les populations. Le révérend père Quentin confirme dans son journal que le tambour de la ville de Pointe- à-Pitre a annoncé l’arrivée du cyclone peu de temps après (Fabre et Stehle, 1992). Parallèlement, le gouverneur demande au service du port d’alerter les compagnies de navigation.

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10 Les premières manifestations du cyclone se font le 12 septembre vers 8h du matin (heure locale) avec des vents d’environ 40 km/h (ANOM, carton 244, dossier 1482). À 10h, une baisse importante du baromètre est observée ainsi que la hausse du niveau de la mer. À 11h, la vitesse des vents se renforce. La toiture du palais de justice constituée de tôles est rapidement emportée. Vers 12h, la pluie commence à tomber avec violence inondant les habitations dont la couverture a été détruite par le vent. Vers 14h15, la pression atmosphérique atteint son minimum avec 937 hPa au moment du passage de l’œil du cyclone sur la Guadeloupe (Mitchell, 1928). Comme le raconte le révérend père Quentin, c’est à ce moment-là qu’une accalmie se produisit brusquement. « La pluie cessa, le vent aussi […] Hélas ! Cela dura quelques minutes […] Le ciel s’assombrit de nouveau et le vent reparut aussi violent » (Fabre et Stehle, 1992). Vers 15h, la mer envahit la ville de Pointe-à-Pitre sous l’effet de la surcote atmosphérique et de la violence des vents. L’eau balaye tout sur son passage et transporte de nombreuses barques et bateaux loin à l’intérieur des terres. Les infrastructures portuaires sont détruites et de nombreuses personnes résidantes sur les îlets sont emportées par les eaux. Le vent continu de souffler jusque tard dans la nuit et ce n’est qu’au matin du 13 septembre que celui-ci cesse.

11 Après son passage, le cyclone gagne en intensité pour atteindre la classe 5 et passe sur Porto-Rico le 13 septembre, les Bahamas le 15 et touche la Floride le 16 septembre. Sur son passage, le cyclone détruit une grande partie des infrastructures et des habitations. Dans l’ensemble du bassin caribéen, les dommages sont considérables. À Porto-Rico, le bilan humain fait état de 300 morts et les dommages sont estimés à 50 millions de dollars (Fassig, 1928). Si la destruction des principaux instruments de mesures situés à Basse-Terre et à Pointe-à-Pitre ne permet pas d’avoir de données précises sur la vitesse maximale atteinte par le vent, des estimations a posteriori évoquent environ 220 km/h pour Pointe-à-Pitre (ANOM, Guadeloupe, Travaux Publics, carton 1157, dossier 3).

Les dommages causés par le cyclone

12 Le cyclone laisse derrière lui de nombreux dommages et une population désemparée. La pluie qui tombe les jours suivants exacerbe un peu plus les difficultés. À partir des données collectées, il est possible de préciser la nature des dommages. Au total, les pertes consécutives au passage du cyclone sont évaluées à plus de 800 millions de Francs de l’époque et se répartissent pour 250 millions de francs de dommages aux populations, pour 500 millions de francs pour les pertes agricoles et économiques. Les 40 millions restants concernent les dommages aux infrastructures de l’île (bâtiment publics, routes, ponts).

Les dommages aux particuliers

13 « Vous devinez le spectacle qui s’offrit à nos regards quand le jour fut venu (le 13 septembre 1928) : on aurait dit une ville qui venait de subir un bombardement […] Certaines rues étaient complètement barrées par des maisons écroulées, déplacées ou renversées » (Fabre et Stehle, 1992). Les photographies prisent après la catastrophe viennent illustrer les propos du révérend père Quentin et ne laissent aucun doute sur l’étendue des dommages (illustration 3) (ANOM, GUA, carton 246, dossier 1492).

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Illustration 3 - Vue du faubourg Frébault à Pointe-à-Pitre après le passage du cyclone

Source : Archives Nationales de l’Outre-Mer, GUA, carton 246, dossier 1492.

14 Avec environ 240 000 habitants dont près de la moitié a été touchée par le cyclone, la Guadeloupe se retrouve dans une situation difficile. Après cinq jours sans communication et sans aide de l’extérieur l’arrivée du premier bateau en provenance de la Martinique a permis d’acheminer des vivres et des médicaments et ainsi d’éviter l’émergence de maladies. Durant cette période de nombreuses scènes de pillages ont eu lieu obligeant le gouverneur à promulguer un couvre-feu.

15 L’inventaire réalisé par les services du gouvernement à partir des 34 000 déclarations de sinistres reçues totalise pour plus de 250 millions de francs de dommages. À titre de comparaison, les dommages en Martinique s’élèvent à un peu moins de 2 000 000 francs pour 797 déclarations de sinistres. 628 déclarants de Guadeloupe ont des pertes individuelles supérieures à 30 000 francs pour un total de 100 millions de francs soit 40 % du total des dommages. Il n’est toutefois pas possible de dresser un panorama plus précis en l’absence d’information sur le type et la nature des dommages. La case créole constitue le type d’habitation le plus répandu et dans son récit sur les quelques détails sur le cyclone du 12 septembre 1928, le révérend père Quentin signale que dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre, l’habitat était en grande partie composé de cases en bois et posées à même le sol. Les descriptions de dommages mentionnent aussi l’usage de tôles comme principaux matériaux de construction pour les toitures qui offrent une faible résistance face aux vents cycloniques. Seul le rapport publié en novembre 1928 précise que plus de 6 000 maisons ont été entièrement détruites (ANOM, Carton 244, Dossier 1486). Cependant, la répartition du montant des dommages permet d’apprécier les communes ayant été le plus touchées (illustration 4).

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Illustration 4 - Total des pertes déclarées par les sinistrés de l’ouragan du 12/09/1928

Source : ANOM, Guadeloupe, dossier 244, carton 1486.

16 Les communes de la Grande-Terre regroupent 49 % des dommages aux particuliers. Les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose, Morne-À-L’eau et Le Moule sont les plus touchées et concentrent 34 % des dommages. Ces niveaux de destruction s’expliquent par le fait que ces quatre communes regroupent 26 % de la population de l’île à l’époque. Pointe-à-Pitre est la ville la plus peuplée de l’île avec plus de 26 000 habitants en 1928. La population de Sainte-Rose, Morne-À-L’eau et Le Moule est respectivement d’environ 8 000 habitants, 10 000 habitants et 15 000 habitants.

17 Les effets de site ont également pu jouer un rôle dans l’étendue des dommages. Comme l’a démontré l’analyse des dommages du cyclone Hugo en 1989, outre la position par rapport à la trajectoire de l’œil, intervient la situation par rapport aux dispositions du relief (Hamparian, 1999). Ainsi, l’exposition des communes peut être plurielle à l’image de Sainte-Rose où trois types de facteurs sont à prendre en compte. La première résulte de l’importance de la population sur la commune avec 8 430 habitants en 1928 et du nombre de biens associés. Ensuite, la commune s’est trouvée sur la trajectoire du cyclone et enfin sa topographie avec un relief particulièrement maqué a accentué l’intensité de l’aléa.

Les dommages aux activités

18 Au moment de la survenance du cyclone, l’économie guadeloupéenne repose sur l’agriculture et plus particulièrement sur l’industrie sucrière avec 19 usines implantées sur l’île dont quatre à Marie-Galante (Touchelay, 2017). Si la culture de la canne à sucre prédomine, on trouve également le café, le cacao et la banane. Spatialement, la canne à sucre est omniprésente sur Grande-Terre tandis que les autres cultures se font sur Basse-Terre. Au lendemain du cyclone, toutes les infrastructures économiques sont à l’arrêt. Un grand nombre d’entre-elles nécessitent des travaux pour pouvoir

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redémarrer. Les déclarations des sinistrés pour l’obtention de secours permettent de mesurer l’impact sur les différentes activités économiques. Au total, 145 exploitants ou responsables d’entreprises se sont déclarés sinistrés (illustration 5).

Illustration 5 - Répartition des sinistrés par secteurs d’activités

Source : AD Guadeloupe, série continue, carton 3).

19 Les différents planteurs comptent pour 40 % des sinistrés. Cette forte représentation s’explique par les dommages importants aux cultures. En effet, 40 % des plantations de cannes à sucre ont été détruites et environ 25 % des cultures du café, du cacao et de la vanille n’ont pas survécu au passage du cyclone. À cela viennent s’ajouter la destruction de 9 500 bananiers et de 7 590 cocotiers. Les producteurs de boissons dont les infrastructures ont été endommagées pèsent pour 37 % des sinistrés suivi des propriétaires de sucreries (9 %) et les commerçants (8 %).

20 Au total, les inventaires réalisés après le passage du cyclone estiment à environ 500 millions de francs à l’époque les dommages directs et indirects liés au passage du cyclone. Cette évaluation n’offre pas une vision fine de la nature des dommages sur les activités. L’analyse du montant des dommages issue des déclarations des sinistrés offre une autre représentation des conséquences de la catastrophe. Ainsi les 145 professionnels ont déclaré pour 68 millions de francs de dommages bien loin des 500 millions de l’évaluation globale qui prenait en compte le manque à gagner pour l’économie. Ainsi, l’activité liée à la culture de la canne à sucre, hors plantation, pèse pour 73 % des dommages (illustration 6). Cette proportion s’explique par les lourdes infrastructures nécessaires à la filière sucrière et à la transformation de la canne. Ainsi le coût moyen d’un sinistre pour chacune des activités vient confirmer les lourdes conséquences du cyclone sur les infrastructures sucrières. Ainsi pour les sucreries, le coût moyen d’un sinistre est de 2,6 millions de francs. Pour la production de boissons, il

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est de 1,6 millions francs et de 190 000 francs pour les plantations. Ces coûts moyens constituent des indicateurs importants pour saisir la vulnérabilité de la société guadeloupéenne. En effet, les coûts de reconstruction des usines de transformations ont eu des répercussions sur la reprise des activités.

Illustration 6 - Répartition des dommages déclarés par les sinistrés

Source : AD Guadeloupe, série continue, carton 3.

21 La répartition spatiale des dommages permet d’appréhender l’exposition du territoire (illustration 7). Ainsi, avec un coût cumulé de 35 millions de francs, les communes de Pointe-à-Pitre, Sainte-Rose, Le Moule, Saint-François et Sainte-Anne concentrent 52 % des dommages aux entreprises. Grande-Terre concentre 51 % en raison principalement des dommages aux sucreries. Celles-ci comptent à elles seules pour 27 millions de francs sur les 35 millions de francs de dommages à Grande-Terre.

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Illustration 7 - Dommages déclarés aux entreprises en 1928

Source : AD Guadeloupe, série continue, carton 3

22 Aux dommages aux activités économiques s’ajoutent ceux des infrastructures communales (routes, ponts, édifices publics) pour environ 30 millions de francs. Leur destruction va peser sur les déplacements à l’intérieur de l’île, sur la reconstruction des bâtiments et sur la reprise des activités économiques. Au-delà de l’analyse des dommages directs, il convient également de s’interroger sur leurs répercussions sur l’économie de l’île.

Quelles conséquences sur l’économie ?

23 Pour évaluer les conséquences de l’événement, les données statistiques sur les exportations disponibles dans l’annuaire statistique et des bulletins de l’Agence générale des colonies ont été mobilisées. Pour apprécier la situation économique, les données de la période 1924-1935 ont été retenues pour les quatre principales productions à savoir, le sucre, le rhum, le café et la banane (illustration 8).

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Illustration 8 – Exportations des principales cultures entre 1924 et 1935

Sources : Annuaires statistiques de la France et Bulletins de l’agence générale des Colonies sur la période 1925-1936.

24 Les exportations de sucre connaissent une baisse en 1926 et 1927 après avoir atteint un pic en 1925. Avec le cyclone et la destruction des champs de cannes à sucre, les exportations atteignent leur plus bas niveau. L’année suivante, celles-ci redémarrent timidement mais il faut attendre 1930 pour que les exportations retrouvent leur niveau de 1927. La baisse des exportations en 1926 et 1927 est atténuée par la hausse des prix (Butel, 2007). Après une nouvelle baisse en 1931 liée à la sécheresse, les exportations atteignent les plus hauts niveaux de la période en 1933. Cependant, le prix du sucre voit son cours chuter en raison des effets de la crise économique de 1929 et de la concurrence du sucre de betterave. Ainsi, le quintal de sucre a perdu près de 20 % de sa valeur entre la période 1924-1927 et la période 1930-1935.

25 Autre produit lié de la culture de la canne, le rhum connait également une baisse importante de ses exportations avec le passage de l’ouragan avant de retrouver dès 1929 un niveau similaire avant le passage du cyclone. Cette reprise rapide des exportations de rhum s’explique par les stocks constitués au cours des années précédentes et qui ont permis de pouvoir exporter d’importantes quantités de rhum dès l’année qui a suivi le passage du cyclone.

26 À l’inverse des deux précédents produits d’exportation, la culture du café connaît une autre trajectoire. En effet, si le cyclone n’a pas eu d’effet sur les exportations en 1928 puisque la récolte avait été effectuée avant le passage du cyclone, les années 1929 et 1930 connaissent leur plus bas niveau sur la période 1924-1935 avec moins de 2 000 quintaux exportés annuellement. Malgré une reprise des exportations en 1931, le niveau ne reviendra jamais à ce qu’il était avant le passage du cyclone. Ceci s’explique par les mutations agricoles qui ont suivi le passage du cyclone de 1928. En raison du temps de croissance des plants, plusieurs producteurs décident d’abandonner le café au

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profit de la banane (Lafleur, 2006). En effet, la croissance des plants de café est relativement longue – 30 cm en dix mois – et la récolte devient abondante au bout de deux à trois années.

27 À l’opposé, le bananier présente l’avantage de produire des régimes au bout de seulement 10-12 mois. Avant le passage du cyclone, la culture de cette dernière est essentiellement une production de subsistance. Le gouverneur interdit son exportation à partir du 14 novembre 1928 jusqu’au 1er mars 1929 pour réserver la production aux seuls besoins des populations. À partir de 1931, les exportations de bananes connaissent une croissance annuelle importante. De moins de 50 000 quintaux en 1931, les exportations dépassent les 250 000 quintaux en 1935. Dans les années qui suivent le passage du cyclone, sa culture va être encouragée par les autorités pour contrebalancer les effets de la crise économique de 1929 sur le prix du sucre et du rhum (Cabre, 1929 ; Butel, 2007).

28 Sur l’ensemble des trois premiers trimestres 1929, les exportations s’élèvent à 119 995 975 francs soit un déficit de plus de 47 millions de francs par rapport à 1927. Dans le même temps, les importations s’élèvent à plus de 163 millions soit 56 millions de plus qu’en 1927 en raison de la fourniture de vivre et de matériaux nécessaires à la gestion de la catastrophe. Au total, l’analyse de l’ensemble des exportations et des importations permet d’appréhender les conséquences à moyen terme sur le commerce de la Guadeloupe (illustration 9).

Illustration 9 - Balance commerciale de la Guadeloupe entre 1924 et 1935 (en millions de francs)

Sources : Annuaires statistiques de la France et Bulletins de l’agence générale des Colonies sur la période 1925-1936.

29 Entre 1924 et 1927, le montant des exportations est supérieur à celui des importations. De même pour 1928 qui malgré le passage du cyclone voit sa balance excédentaire grâce aux premiers trimestres de l’année. L’année 1929 accuse un déficit commercial total de près de 100 millions de francs en raison d’une baisse des exportations et d’une augmentation des importations liées à la reconstruction de l’île. L’économie

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guadeloupéenne retrouve son niveau antérieur à la catastrophe, quatre ans après sa survenance. Ce redressement de l’économie doit beaucoup aux dispositifs de secours mis en place par les autorités et dont il convient d’en analyser son organisation et son application.

Les secours mis en œuvre pour faire face à la catastrophe

Les réponses apportées par l’État après la catastrophe

30 Fidèle à ses habitudes, l’État intervient au lendemain de la catastrophe pour secourir les sinistrés et faire redémarrer l’économie au plus vite afin d’éviter que la catastrophe se mue en profonde crise économique et sociale (Favier, 2002 ; Desarthe, 2013). Les Antilles françaises de par leur importance dans l’économie française ont toujours bénéficié de secours au lendemain d’une catastrophe. Ainsi en 1865, 2 millions de francs avaient été mis à disposition des victimes de l’ouragan et de l’épidémie de choléra (ANOM, Guadeloupe, carton 117, dossier 816). Dans le cas de 1928, la gestion post- catastrophe se déroule dans un contexte de résurgence d’une rumeur de cession des Antilles françaises aux États-Unis en contrepartie de l’aide apportée pendant la Première guerre mondiale (Adélaïde-Merlande, 2014). Au lendemain du cyclone, les guadeloupéens vivent alors dans une terreur continuelle d’être cédée aux États-Unis (ANOM, Travaux Publics, carton 1157, dossier 2) et le gouvernement souhaite agir rapidement pour montrer le caractère indéfectible des liens qui unissent la Guadeloupe à la Métropole. De plus, les scènes de pillages et les émeutes qui ont marqué les jours qui ont suivi le passage du cyclone incitent le gouverneur à agir rapidement pour rassurer les populations.

31 Le gouverneur Tellier créé le 14 septembre 1928, trois commissions pour assurer la gestion post-catastrophe : une commission à l’échelle de chaque commune chargée de l’évaluation des dommages, une commission pour la centralisation des travaux et une commission pour la répartition des secours. Parallèlement, un service de comptabilité dédié au cyclone est mis en œuvre, alimenté au début par un fonds de 1,5 million de francs prélevé sur la caisse de réserve de la colonie et devant servir à assurer l’approvisionnement de l’île en vivres et médicaments.

32 De son côté, le ministère des colonies met en place une mission d’inspection confiée à l’inspecteur général des Colonies Muller pour suivre l’évaluation des dommages et la reconstruction. Le 26 septembre, le Parlement vote une subvention de 100 millions de francs pour venir en aide à la Guadeloupe. Cette somme représente 12,5 % des dommages estimés et correspond à un peu plus de trois fois le budget de l’île. Sa gestion est confiée à une commission présidée par Michel Tardit membre de la section des finances, de la guerre, de la marine et des colonies au Conseil d’État. Elle a pour but d’arbitrer et de prioriser les dépenses.

33 À ce premier levier viennent s’ajouter deux dispositifs de prêts, un de 175 millions de francs avec le Crédit National et le second de 100 millions avec le Crédit Foncier devant permettre aux habitants de réparer ou reconstruire leurs habitations (ANOM, carton 244, dossier 1486). Enfin, 45 millions issus des indemnités de guerre dues par

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l’Allemagne et 4 millions de dons viennent compléter les ressources financières mais leur affectation n’est pas clairement définie.

34 Au total, 420 millions de francs sont mis à disposition des sinistrés du cyclone avec comme priorité affichée par le ministre des Colonies de restaurer d’une façon plus moderne l’outillage économique détruit (ANOM, Travaux Publics, carton 440, dossier 23).

Une mise en œuvre difficile

35 Dès son vote le 26 septembre 1928, la subvention de 100 millions de francs a été l’objet de dissensions politiques. Le libellé du décret attribuait par erreur cette somme au budget local de Guadeloupe. En conséquence, le Conseil Général demanda le versement de cette somme à son budget lui permettant ainsi d’avoir un droit de regard sur son application. Rapidement, plusieurs élus dont Gratien Candace se fait la voix militent pour cette solution. Cette situation illustre les forts enjeux politiques locaux de cette époque née à la fin de la Première Guerre Mondiale avec des revendications pour plus d’égalité sociale et une meilleure assimilation des citoyens antillais. Près de cinq mois après, le décret du gouverneur du 20 février 1929 vient clarifier la situation : le Conseil Général est exclu des discussions sur la répartition de la subvention. Pour asseoir sa décision, le gouverneur Tellier explique qu’un versement de la subvention au budget de la colonie aurait conduit à une annualisation de la subvention incompatible avec l’objectif d’un redressement rapide de l’île.

36 Ce décret fixe également la répartition de la subvention en différents postes de dépenses et permet d’appréhender les orientations faites par les autorités pour procéder au redressement de l’île (illustration 10). Ainsi, 14 % de la subvention correspondent aux remboursements des frais engagés par le Gouverneur pendant la gestion de crise pour approvisionner l’île en vivres, médicaments et tôles nécessaires à la reconstruction. Les aides financières mobilisables sous la forme de prêts représentent 30 % de la subvention. Un fonds de 16 millions de francs est prévu pour servir de garantie aux prêts des sinistrés. Une somme de 20 millions est réservée aux travaux publics pour la reconstruction des édifices publics (ponts, routes, bâtiments). Un fonds de réserve de 20 millions est mis en œuvre sans que son attribution soit clairement définie et qui sera finalement intégré aux prêts en 1931.

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Illustration 10 - Répartition de la subvention de 100 millions de francs votée par le Parlement

Source : ANOM, GUA, carton 244, dossier 1486.

37 En analysant les documents comptables nécessaires au suivi de la subvention conservés dans les archives, il est possible d’apprécier la mobilisation de cette subvention et d’avoir un aperçu sur l’avancée de la reconstruction de la Guadeloupe après le passage du cyclone jusqu’en 1934 où un état définitif est demandé par le ministre des Colonies (illustrations 11 et 12).

Illustration 11 - Évolution de l’utilisation de la subvention votée par le Parlement

Source : ANOM, GUA, carton 244, dossier 1486.

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38 Regroupant, les dépenses réalisées dès le lendemain du cyclone, la tranche frais divers représente 90 % des dépenses de la subvention au 1er mai 1929. Une analyse détaillée des dépenses relatives à cette tranche fait ressortir qu’elle a permis de financer l’achat de vivres, de médicaments et de tôles mais également la réparation de plusieurs édifices de la colonie et le rétablissement des réseaux de communications. Ainsi, dès le 27 octobre 1928, 28 kilomètres de routes ont été rénovées et le pont qui relie Grande- Terre et Basse-Terre est remis en fonction le mois suivant. À la fin du mois de novembre, 100 000 tôles sont livrées pour reconstruire les toitures des habitations et des lieux publics.

39 Les oppositions politiques et les retards pris dans la répartition de la subvention ont repoussé la mise en place des prêts d’honneurs à 1 % et des prêts garantis de 4 % à avril 1929. Conformément au décret du 20 février 1929, les bénéficiaires sont les propriétaires d’usines et de plantation, illustrant ainsi la volonté de l’État de relancer en priorité les activités économiques. Au 15 septembre 1929, 4 107 prêts ont été accordés et en novembre de la même année, 10,4 millions de francs sur les 30 millions de francs mobilisables ont été alloués. À la fin du mois de mars 1930, seulement 46 des 100 millions accordés ont été utilisés. Les fonds réservés aux prêts (prêts garantis et prêts d’honneurs) sont à 98 % consommés. En revanche, les sommes consacrées aux travaux publics et au fonds de réserve n’ont pas encore été mobilisées.

40 Dix-huit mois après le passage du cyclone, la reconstruction de la Guadeloupe est loin d’être achevée. Les prêts en soutien à la filière sucrière ont permis de reconstituer une partie du tissu économique comme l’atteste la reprise des exportations de sucre observée plus haut. Dans un numéro de la revue des Annales coloniales de septembre 1929 consacrée à la Guadeloupe, un portrait idyllique de l’île est dressé par plusieurs personnes dont le sénateur Henry Béranger soulignant les qualités de l’île et son potentiel de développement économique (Béranger, 1929). Pour autant, derrière le tableau statistique flatteur présenté, plusieurs voix s’élèvent pour critiquer les choix fait dans l’aide aux sinistrés.

Critiques et ajustements

41 Au total, les 420 millions de francs mis à disposition ont permis de couvrir environ 53 % des dommages. Dans un rapport daté du 15 mars 1929, l’inspecteur général des Colonies Muller estime que les moyens mis en œuvre sont adaptés aux besoins de l’île pour assurer sa reconstruction. Ainsi les prêts de 175 millions du Crédit National et celui de 100 millions du Crédit Foncier doivent couvrir la reconstruction ou la réparation des dommages privés qui rappelons-le s’élèvent à 250 millions de francs.

42 Cependant, seulement 70 millions ont été empruntés auprès du crédit national sur les 175 millions disponibles (ANOM, GUA, carton 244, dossier 1486). En fixant, le taux d’intérêt à 5 % et dans le contexte d’un redémarrage difficile de l’économie synonyme de retour à l’emploi, une grande partie des sinistrés n’a pas été en mesure de faire un prêt. Les conditions nécessaires à l’obtention du prêt semblent avoir écarté beaucoup de sinistrés en raison de l’absence d’actes de propriétés exigées. Confronté aux critiques concernant l’octroi de prêt, le gouverneur déclare que quand il s’agit de l’argent du contribuable française on ne saurait parti de versements rapides, d’emploi immédiat car les synonymes de ces mots auraient été, en l’occurrence, gaspillage et prodigalités sans résultats (ANOM, GUA, carton 244, dossier 1486).

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43 En effet, si la manne financière octroyée au lendemain du cyclone a bénéficié à l’industrie sucrière et a permis une restructuration rapide de la filière (Touchelay, 2017), les mesures dédiées aux populations sinistrées ne semblent pas avoir été pleinement satisfaisantes. Dans une lettre envoyée au ministre des Colonies au mois de mai 1929, le député Gratien Candace écrit « Depuis huit mois, les sinistrés de la Guadeloupe sont dans la plus noire des détresses et attendent désespérément les secours promis ou envoyé par la métropole […] La population ouvrière des faubourgs vit dans des cahutes faites par ceux-là même qui les habitent, au milieu de flaques d’eau croupissantes. La filariose et le paludisme font des ravages parmi cette population » (ANOM, Guadeloupe, carton 244, dossier 1486). En défendant les intérêts de l’industrie sucrière, l’État a conforté la position sociale des familles qui ont la main sur les grandes entreprises. La question sociale si absente de la politique de secours jusqu’ici va rejaillir l’année suivante lors des grèves du mois de février 1930 à la suite d’une baisse des salaires des ouvriers agricoles (Butel, 2007).

44 Un an plus tard, le Parlement vote un nouveau crédit de 30 millions de francs afin de procéder à un rajustement définitif des mesures prévues en faveur des sinistrés de la Guadeloupe. Le 15 septembre 1931, une nouvelle répartition de la subvention est alors faite (tableau 1) (AD Guadeloupe, série continue, 3).

Tableau 1 - Évolution de la subvention et de sa répartition

Sources : ANOM, GUA, carton 244, dossier 1486 (pour la répartition de 100 millions francs) ; AD Guadeloupe, série continue, carton 3 (pour la répartition de 130 millions de francs).

45 Plusieurs mesures restent inchangées comme les frais divers et les travaux publics. En revanche, la capacité des prêts garantis passe de 20 à 40 millions de francs sous l’effet de l’intégration des fonds de la mesure Réserves. La baisse du fonds de garantie de 13 millions est répartie entre une hausse de 3 millions des prêts d’honneurs et les 10 millions restants sont ajoutés à la nouvelle subvention de 30 millions pour composer l’allocation gratuite de 40 millions.

46 Un rapport commandé par le ministre des Colonies daté du 25 juin 1934 permet d’avoir un aperçu de la situation des fonds utilisés six ans après le cyclone (illustration 12). Deux mesures ont vu leurs dépenses dépasser le plafond fixé. Il s’agit des dépenses diverses qui atteignent 17,1 millions en 1934 pour 14 millions prévus initialement, et

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des allocations gratuites, nées du réajustement de 1931 et dont le montant utilisé est supérieur de 1,1 million au plafond.

Illustration 12 - Utilisation de la subvention de 130 millions de francs au 25 juin 1934

Source : AD Guadeloupe, série continue, carton 3.

47 En revanche, malgré le plan de reconstruction proposé par le gouverneur Tellier en 1929, le fonds de 20 millions de francs pour les travaux publics a été sous-utilisé puisque la dépense s’élève à 2,3 millions. Plusieurs raisons viennent expliquer le retard pris. Lors de l’estimation du montant des réparations, les prix de la reconstruction ont été décuplés par rapport au montant des dommages. En effet, plusieurs bâtiments publics détruits étaient en bois et leur remplacement en béton armé présente un surcoût (ANOM, TP, carton 440, dossier 23). Une dépêche ministérielle du 12 août 1929 est venu rappeler que la colonie doit être indemnisée en tant que victime du cyclone mais à ce titre seul. Ainsi les dépenses liées à l’amélioration du bâti pour une meilleure résilience ne sont pas éligibles dans le cadre de la subvention. À cela s’ajoute l'absence de main-d’œuvre qualifiée et de matériaux qui vont retarder la reconstruction des infrastructures de l'île. Pour cette raison, la mise en œuvre de constructions en béton armé sera plus longue que prévue mais se réalisera au cours des années 1930 sous la direction de l’architecte Ali Tur (Tur, 1930).

Conclusion

48 Le cyclone de 1928 constitue par son intensité un événement important de la mémoire des risques naturels de l’atlantique Nord. Pour la Guadeloupe, le cyclone se traduit par une mortalité jamais connu jusqu’ici (voir la contribution de Frédéric Leone et al. dans ce dossier). Survenu lors d’une période de faible activité cyclonique, l’ouragan est venu rappeler avec force la vulnérabilité des Antilles françaises. Il faudra ainsi attendre 1960 avec le passage de l’ouragan Donna sur Saint-Martin et Saint-Barthélemy pour voir un cyclone d’une telle intensité toucher de nouveau les Antilles françaises.

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49 L’analyse détaillée des dommages a permis de mettre en évidence les conséquences directes et indirectes du cyclone sur les activités économiques. En réponse à ces dommages, l’État est intervenu massivement pour reconstruire le tissu économique local et en particulier la filière sucrière. Ce choix s’est révélé payant puisque dès 1930 les exportations de sucre retrouvent leur niveau antérieur à 1928 montrant ainsi la capacité de résilience dont l’île a fait preuve. Cependant, ce redémarrage ne doit pas cacher les difficultés de la filière liées à une baisse des prix du sucre et du rhum au cours de la décennie 1930. Le cyclone a également permis une recomposition de l’agriculture permettant l’essor de la culture de la banane au détriment de celle du café et du cacao ouvrant la voie à un nouvel âge d’or pour l’économie de l’île.

50 Cependant, les choix n’ont pas permis de résoudre la question sociale. Les difficultés des sinistrés exacerbées par la baisse des prix du sucre et des salaires vont être à l’origine de plusieurs grèves en février 1930 et rejailliront entre 1936 et 1938 (Buffon, 2006). En effet, en confortant la place de l’industrie sucrière, l’État a renforcé la domination des industriels sur les cultivateurs de cannes à sucre (Touchelay, 2017).

51 Les difficultés soulevées dans la gestion post-catastrophe ne sont pas sans rappeler celles rencontrées après le passage de l'ouragan Irma malgré les 80 années qui séparent les deux phénomènes. Malgré l'amélioration des systèmes de prévision et d'alerte, les territoires antillais conservent un caractère spécifique : leur insularité. Les ressources en main d'œuvre même limitée et malgré les difficultés d’approvisionnement de matériaux, le redémarrage des activités économiques peut être rapide. Toutefois, l’absence de politiques globales de gestion de la catastrophe intégrant les aspects sociaux est susceptible d’aggraver les disparités.

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RÉSUMÉS

L'ouragan de septembre 1928 qui a frappé les Antilles et plus particulièrement la Guadeloupe constitue une des catastrophes naturelles les plus importantes qu'a connue ce territoire au cours du XXe siècle. L'exploitation des archives administratives disponibles rend possible l’analyse des conséquences de l'événement à travers les dommages inventoriés et les secours mis en œuvre. Ce faisant, il est possible d'appréhender les différentes temporalités de la catastrophe jusqu'en 1934.

The hurricane of September 1928 which struck the Antilles and especially the Guadeloupe constitutes one of the most important natural disasters that experienced this territory during the XXth century. From the use of the available archives, it is possible to analyze the consequences of the event through the damage inventoried and the assistance implemented. So, it is possible to apprehend the different temporality of the disaster until 1934.

INDEX

Keywords : hurricane, history of catastrophe, vulnerability, resilience, Guadeloupe Mots-clés : ouragan, histoire des catastrophes, vulnérabilités, résilience, Guadeloupe Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEUR

JÉRÉMY DESARTHE Jérémy Desarthe, [email protected], est chargé de mission prévention des risques naturels à la Caisse Centrale de Réassurance, Paris. Il a récemment publié : - Desarthe J., 2019. Les RETEX dans l’histoire : une pratique ancienne. In Rey T., Defossez S., Retours d'expériences post-catastrophes naturelles. Presses Universitaires de la Méditerranée, p. 19-30. - Giacona F., Martin B., Eckert N. Desarthe J., 2019. Une méthodologie de la modélisation en géohistoire : de la chronologie (spatialisée) des événements au fonctionnement du système par la mise en correspondance spatiale et temporelle. Physio-Géo [En ligne], vol. 14. DOI: https:// doi.org/10.4000/physio-geo.9186 - Metzger A., David F., Valette P. et al., 2018. Entretenir la mémoire des inondations via les repères de crue ? Développement Durable & Territoires [En ligne], vol. 9, n° 3. DOI: https://doi.org/ 10.4000/developpementdurable.12937

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Culture du risque cyclonique et résilience individuelle en Guadeloupe et à Saint-Martin Individual resilience and risk culture: how are they related? Addressing the hurricane risk culture in Guadeloupe and Saint-Martin

Fanny Benitez, Magali Reghezza-Zitt et Nancy Meschinet de Richemond

1 L’expression « culture du risque » est très présente dans le discours des acteurs français de la prévention des catastrophes et de la gestion de crise. Le glossaire du portail Géorisque, labellisé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, la définit comme : « la connaissance par tous les acteurs (élus, techniciens, citoyens, etc.) des phénomènes naturels et l'appréhension de la vulnérabilité. L'information des populations, et ceci dès le plus jeune âge, est le moteur essentiel pour faire progresser la culture du risque. Celle-ci doit permettre d'acquérir des règles de conduite et des réflexes, mais aussi de débattre collectivement des pratiques, des positionnements, des enjeux, etc. Développer la culture du risque, c'est améliorer l'efficacité de la prévention et de la protection. En faisant émerger toute une série de comportements adaptés lorsqu'un événement majeur survient, la culture du risque permet une meilleure gestion du risque » (portail www.georisques.gouv.fr, consulté en octobre 2019).

2 Cette définition du portail Géorisque agrège un ensemble de notions proches mais distinctes (connaissance du danger, règles de conduites, comportements, etc.). Elle illustre le caractère relativement « vague » (Blesius, 2013) de l’expression « culture du risque » qui renvoie cependant à « des idées clés, telles que celles de pédagogie, d’apprentissage, de connaissances acquises d’une menace » (ibid.). Elle montre aussi que la « culture du risque » est étroitement associée à la prévention des catastrophes. Elle est appréhendée à l’échelle collective, tout en étant vue comme un facteur d’évolution des comportements individuels.

3 Dans les retours d’expérience publics qui ont suivi les ouragans de la saison 2017 (Irma, José, Maria) et auxquels nous avons pu assister, dans les entretiens que nous avons pu

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mener auprès des personnes impliquées dans la gestion de la crise, nombreux sont ceux qui ont évoqué la « culture du risque des Saint-Martinois » (nous citons) et, au-delà, des « Antillais », pour expliquer la faiblesse relative du nombre de victimes (11 morts pour Irma, 2 pour Maria), malgré l’intensité des aléas cycloniques. Les gestionnaires relient cette « culture du risque » à la récurrence de processus physiques intenses et potentiellement destructeurs : pour eux, la « culture du risque cyclonique dans les Antilles » est élevée, car elle découlerait de « l’habitude des phénomènes ». Elle permettrait l’adoption de mesures de sauvegarde appropriées, telles que le respect des consignes de confinement ou la constitution préventive de stocks d’eau et de vivres et expliquerait in fine la résilience des populations. Par « résilience », ils entendent la capacité à survivre à des événements catastrophiques majeurs et à limiter l’endommagement, à s’auto-organiser pendant la phase d’urgence qui suit le cyclone, et à se relever (reconstruction matérielle et/ou psychologique).

4 Ces discours font échos aux travaux qui montrent le rôle de la perception des risques, de l’expérience, des mémoires, des apprentissages dans la prévention des catastrophes (D’Ercole et Dollfus, 1996 ; Beck et al., 2012 ; Beck et al., 2018), notamment dans les Antilles (Pagney et Suedois, 1999 ; Pielke et al., 2003 ; Jno-Baptiste et Yacou, 2007 ; Lopez-Marrero et Wisner, 2012 ; Lopez-Marrero et al., 2013). Plusieurs travaux établissent également un lien entre ces dimensions de la « culture du risque » et la résilience (Weichselgartner et al., 2016). Néanmoins, la généralisation de la « culture du risque cyclonique » à l’ensemble des habitants d’un territoire, et a fortiori d’une région du monde aussi hétérogène que les Antilles, doit être questionnée. De plus, la « culture du risque » est généralement définie comme une construction collective (Beck, 2006). Comment passe-t-on du collectif à l’individuel ?

5 Dans les entretiens et les retours d’expérience, les gestionnaires de crise font état à plusieurs reprises des comportements qu’ils qualifient d’« inappropriés » ou de « dangereux », du non-respect des consignes de prévention et de mise en sécurité, des prescriptions réglementaires en matière de réduction de la vulnérabilité, du manque de préparation de certains foyers. Ces observations invitent à se demander comment la « culture du risque » intervient dans les stratégies préventives et les comportements que les individus qui habitent des territoires à risques adoptent face aux menaces, aux crises et aux catastrophes. Les discours sur la « culture du risque » tendent à essentialiser la capacité à faire face des populations à l’échelle d’un territoire au motif que les habitants ont l’expérience et/ou la mémoire des aléas. Le fait d’habiter des territoires soumis à des processus physiques intenses et récurrents implique-t-il mécaniquement des processus d’apprentissage qui se traduisent par la mise en œuvre de réponses individuelles appropriées en cas d’occurrence de l’aléa ? Quel lien existe-t- il entre les différentes composantes de la « culture du risque » (conscience et perception des risques, expériences et mémoire des catastrophes, connaissance des mesures de sauvegarde) qui sont supposées naître de l’« habitude » des cyclones et les capacités de résilience des individus constatées a posteriori ?

6 Nous formulons ici une double hypothèse. D’une part, les éléments constitutifs de la culture du risque interviennent dans la résilience des individus, mais de façon extrêmement complexe. La résilience d’une personne dépend des réponses qu’elle met (ou non) en œuvre face à une menace, un aléa, une crise (Benitez, 2018 ; Reghezza-Zitt et Rufat, 2019). Si ces réponses peuvent être nourries par l’information préventive, l’apprentissage, l’éducation au risque ou la mémoire des catastrophes, elles ne sont pas

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appliquées systématiquement par les individus, y compris lorsque ces derniers possèdent une « culture du risque ».

7 D’autre part, la « culture du risque » ne peut pas être généralisée à l’échelle d’une population, ni a fortiori d’un territoire, sauf à donner à ce terme un sens précis, qui permette de distinguer les réponses individuelles effectivement mises en œuvre pendant un événement, des processus d’apprentissage collectifs, qui évoluent au gré de l’occurrence des aléas, mais aussi des dynamiques démographiques, sociales, économiques, politiques, environnementales.

8 Dans une première partie, nous reviendrons sur la notion de « culture du risque » et ses liens avec la résilience. Après avoir présenté le terrain d’étude et la méthodologie de l’enquête réalisée, nous montrerons que les personnes interrogées ont conscience du risque cyclonique et une connaissance des conduites à tenir en cas de crise. Toutefois, les récits individuels montrent que l’existence de la « culture du risque » doit être nuancée et qu’elle ne conduit pas mécaniquement à l’adoption de réponses ou de comportements appropriés en cas de crise. Ce constat amène à discuter des limites de la notion de « culture du risque » appliquée à l’échelle individuelle.

Culture du risque : une formule simple qui cache des réalités complexes

9 L’apparence neutre, simple et évidente de l’expression « culture du risque » mobilisée par les gestionnaires et les référentiels d’action contraste avec l’absence de définition claire. La « culture du risque » agrège en réalité différentes notions empruntées au champ scientifique.

Différentes acceptions scientifiques de la culture de risque

10 Jean-Christophe Blesius souligne qu’il n’existe pas de « définition précise » de la culture du risque (Blesius, 2013). Dans la littérature scientifique, le terme renvoie effectivement à plusieurs acceptions distinctes.

11 La première est celle de la théorie culturaliste (Douglas et Wildavsky, 1982 ; Slovic, 2010 ; Kermisch, 2010) qui met l’accent sur la manière dont les individus conçoivent, se représentent et s’approprient les risques, ainsi que sur leurs préférences (aversion au risque) (Peretti-Wattel, 2005 ; Langumier et Verdier, 2015 ; Bretesché et Gherardi, 2018). Les travaux se focalisent sur les personnes et les risques perçus (Ghoul et al., 2018). Ce champ de recherche inclut la question de l’évaluation des risques par les individus et celle des biais cognitifs.

12 La deuxième acception, parfois proche de la précédente, est celle de l’approche constructiviste, qui considère le risque comme une construction sociale, individuelle et collective, située et datée (Beck, 1986 ; Giddens, 1994 ; Boudia, 2013). La culture du risque y désigne l’ensemble des représentations et des pratiques qui structurent le rapport au risque, y compris chez les gestionnaires (Meschinet de Richemond, 2016).

13 Plusieurs travaux portent aussi sur la « connaissance » des risques qu’ils explorent à travers les notions de perception et de représentation, mais sans forcément se référer à l’approche culturaliste ou constructiviste. Dans le cas français, de nombreuses recherches (Rode, 2009 ; Hellequin et al., 2013 ; Weichselgartner et al., 2016) ont étudié

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les représentations du risque, en particulier dans les Antilles (Thouret et D’Ercole, 1995 ; Mas et Leone, 2009 ; Mas, 2012). L’évaluation de la connaissance des aléas et des situations d’exposition s’appuie notamment sur des cartes mentales (Beck et Glatron, 2009 ; Lamarre et al., 2016). De nombreux travaux questionnent également la mémoire des événements (Dollfus et D’Ercole, 1995 ; Favier et Granet-Bisset, 2000 ; Le Blanc, 2010 ; November et al., 2011) afin de comprendre comment ils alimentent la connaissance des dangers, chez les populations et les gestionnaires.

14 Enfin, des chercheurs évaluent la connaissance des comportements appropriés en situation d’alerte ou de crise (Goeldner-Gianella et al., 2016). Ces travaux peuvent recouper ceux qui portent sur l’information préventive ou sur l’éducation aux risques (Douvinet et al., 2013 ; Dournel et al., 2015).

15 De nombreux travaux scientifiques font, par conséquent, explicitement référence à la culture du risque, sans toutefois la définir précisément. Ils en déclinent en revanche les composantes, qui font l’objet de formalisations scientifiques rigoureuses : connaissance, conscience, perception, mémoire, etc. Le sens de l’expression varie donc en fonction des disciplines et de l’échelle considérée (individus, groupe, communautés, territoire). En croisant la littérature scientifique, les documents de gestion et le discours des gestionnaires, nous proposons dans cet article, d’adopter une définition large de la « culture du risque ». Par cette expression, nous entendrons l’ensemble des connaissances sur l’aléa, l’exposition, le niveau de risque, les conduites à tenir, qui permettent aux individus de faire face à un événement potentiellement dommageable. Nous considérons la culture du risque comme un construit social dynamique, qui s’appuie sur les mémoires individuelles et collectives, les expériences individuelles, l’information préventive, l’éducation aux risques, les exercices de simulation, etc.

Complexité des liens entre la culture du risque, la vulnérabilité et la résilience

16 La question de la culture du risque est pensée en lien avec la vulnérabilité et la résilience. Le concept de vulnérabilité a été notamment développé dès les années 1970 dans les natural hazard research et les disaster studies (White et Haas, 1975 ; Wisner et al., 1977) pour expliquer la fragilité des individus, sociétés et territoires face à l’occurrence d’un aléa. Est vulnérable tout élément, directement ou indirectement exposé à un aléa, qui est susceptible de subir un dommage en cas d’occurrence de cet aléa (Becerra et Peltier, 2009). Nous nous focalisons, dans cet article, sur la vulnérabilité sociale (Wisner et al., 2004), qui permet de mettre l’accent sur les facteurs expliquant les impacts négatifs d’un aléa sur un groupe humain ou un territoire. La vulnérabilité sociale s’enracine dans l’incapacité à anticiper le danger, à faire face à l'urgence ou la crise, à construire des réponses réactives ou proactives face à l’occurrence de l’aléa et à la situation de crise qui en découle.

17 Le terme de « résilience » s’est, quant à lui, imposé progressivement dans le champ de la réduction des catastrophes, passant d’un concept descriptif (Klein et al., 2003 ; Wisner et al., 2004 ; Birkmann, 2006 ; Lhomme, 2012) à une injonction normative inscrite dans les agendas politiques internationaux (Manyena et al. 2011). Avec les cadres d’action de Hyogo (UNISDR, 2005), puis de Sendaï (UNISDR, 2015), la résilience a été adoptée à l’échelle internationale (Revet, 2011), y compris dans des pays comme la France où le terme n’appartient pas au vocabulaire courant, et où il fait figure, pour les

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praticiens, de néologisme (Reghezza et Rufat, 2015). Dans la littérature scientifique sur les catastrophes naturelles, la résilience est au départ un concept descriptif (Weichselgartner et Kelman, 2015), utilisé pour décrire le processus qui permet à une société ou un territoire d’absorber un choc et de se relever malgré les dommages subis (Reghezza et al., 2012). De nombreux travaux assimilent la résilience à la capacité de groupes ou de communautés à faire face à des pressions ou des perturbations extérieures (« the ability of groups or communities to cope with external stresses and disturbances ») (Adger, 2000).

18 L’introduction de la notion de résilience s’y est opérée en lien avec le concept de vulnérabilité, même si le rapport entre les deux notions a été fortement discuté (Cutter et al., 2008 ; Gaillard, 2010). Si l’on retient la lecture qui oppose vulnérabilité et résilience (Adger et al., 2005 ; Folke et al., 2002), la résilience des personnes vulnérables est hautement paradoxale. Et même si l’on admet que la vulnérabilité et la résilience ne s’opposent pas comme les deux faces d’une même médaille (Gallopin, 2006 ; Provitolo et Reghezza-Zitt, 2015), il est nécessaire de comprendre comment, malgré leur vulnérabilité, les individus sont capables de faire face à des événements majeurs et aux crises qui en résultent, alors que leur situation (physique, économique, sociale, politique, environnementale) les expose, a priori, à subir des dommages majeurs (Wisner, 2016).

19 Les travaux scientifiques ont depuis longtemps montré qu’une faible culture du risque, qui se traduit par la méconnaissance des dangers et la sous-évaluation du risque, la perte de la mémoire des événements, l’ignorance des mesures de sauvegarde, est un facteur majeur de vulnérabilité (Fabiani et Theys, 1987 ; D’Ercole et al., 1994). À l’inverse, l’information préventive, l’apprentissage et la préparation sont présentés comme des leviers importants pour améliorer la résilience des populations habitant dans des territoires à risque (Weichselgartner et al., 2016). Pour autant, ces constats ne signifient pas que l’on soit en présence de causalités simples. Le détail des liens et interrelations entre ces différents éléments est encore insuffisamment documenté.

La culture du risque à l’épreuve des discours des acteurs guadeloupéens

20 Dans le cas des Antilles françaises, et plus précisément de l’archipel Guadeloupéen et de Saint-Martin, les discours officiels posent comme acquise l’existence de la « culture du risque » cyclonique. Ils l’expliquent en particulier par la récurrence des aléas. Nous souhaitons mettre à l’épreuve cette affirmation. Pour cela, nous avons réalisé une enquête auprès des populations et des acteurs qui sont intervenus dans la gestion de la crise cyclonique de 2017 à Saint-Martin.

L’archipel guadeloupéen et Saint-Martin : de l’exposition à la vulnérabilité sociale

21 La Guadeloupe est un archipel composé de quatre îles ou groupes d’îles situées à 6 500 km de la métropole : la Guadeloupe continentale, avec la Grande-Terre et la Basse-Terre qui sont séparées par un étroit canal appelé « Rivière Salée » ; l’archipel des Saintes composé de sept îles dont deux sont habitées ; la Désirade et Marie-Galante. Saint-

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Martin et Saint-Barthélemy composent les îles françaises du nord. Elles étaient administrativement rattachées à la Guadeloupe jusqu’en 2007 et sont aujourd’hui des collectivités d’Outre-Mer (COM) (Diémert, 2007 ; Benoît, 2008). Saint-Martin est une île de 90 km2, située à 250 km au nord de l’archipel Guadeloupéen (Redon, 2006). Elle est divisée en deux, avec au nord une partie française, et au sud une partie hollandaise.

22 Ces territoires sont exposés à des risques « naturels majeurs » (Burac, 1999). L’aléa cyclonique constitue une menace récurrente (Duvat, 2008 ; Huc et Etna, 2015, Garnier et al., 2015), qui s’exprime de façon variée sur les territoires mais est susceptible de provoquer des dommages considérables. Il n’existe pourtant pas de causalité linéaire entre ces aléas et les catastrophes : comme le rappelle depuis plusieurs décennies la littérature scientifique, les catastrophes « naturelles » s’enracinent dans des vulnérabilités pré-existantes (O’Keefe et al., 1976 ; Jeffery, 1982). Celles-ci résultent de la combinaison entre des facteurs biophysiques (nature, intensité, fréquence des processus, exposition, fragilité physique) et des facteurs sociaux, qui définissent la vulnérabilité sociale (Wisner et al., 2004).

23 De nombreux travaux ont montré que les Antilles, tout en restant fortement hétérogènes, étaient caractérisées par des fragilités sociales structurelles, en partie héritées, en partie dynamiques, (Lewis, 2009). De façon générale, la littérature scientifique sur la vulnérabilité sociale établit des liens entre développement et susceptibilité à subir des dommages, à l’échelle individuelle et collective. Ce lien est souvent mis en évidence dans le cas des Antilles françaises. Virginie Duvat soulignait dès 2008, à propos de Saint-Martin, l’extrême fragilité des Saint-Martinois et pointait le rôle de la fragmentation socio-culturelle et des disparités économiques (Duvat, 2008). Les îles de l’archipel Guadeloupéen et Saint-Martin accusent toujours un différentiel de développement par rapport à la moyenne nationale française (Chenet et al., 2014 ; Goujon et Hoarau, 2015). Les inégalités de développement entraînent des processus d’exclusion, de marginalisation et augmentent la précarité des conditions de vie au quotidien. Elles sont pour ces raisons considérées comme un facteur important de vulnérabilité des populations (Pagney, 1999 ; Pagney Bénito-Espinal, 2003 ; Pielke et al., 2003 ; Nicolas et al., 2018).

24 De nombreux travaux mettent également l’accent sur les rapports complexes entre les acteurs locaux et l’État central, qui traduisent des enjeux plus large en matière de « souveraineté », de gouvernance, d’« empowerment » ou de « reflux du politique » (Daniel, 2009 ; Bonilla, 2015) et qui participent également à la fabrique de la vulnérabilité sociale.

25 Enfin, plusieurs analyses soulignent l’importance de l’insularité et de la distance, qui constituent des freins pour l’envoi des secours et la gestion de crise (Chenet et al., 2014 ; Leone et al., 2018). Dans le cas de Saint-Martin, la Désirade, les Saintes ou Marie- Galante, on parle même de double-insularité (Nicolas, 2005a et 2005b ; Duvat, 2008 ; Redon et Grancher, 2014), voire « d’hyper-insularité » (Taglioni, 2011).

Recueillir des récits de vie pour rendre compte de trajectoires individuelles de vulnérabilité et de résilience

26 Les résultats présentés dans cet article s’appuient sur des enquêtes de terrain réalisées entre 2017 et 2019, en Guadeloupe et en France métropolitaine. Un premier terrain de six mois a été réalisé en Guadeloupe entre janvier et juin 2017, avant les ouragans Irma

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et Maria, puis un second, collectif, d’un mois en 2019. Nous ne nous sommes pas rendus physiquement à Saint-Martin. Nous avons pu, en revanche, interroger des personnes qui avaient vécu Irma, José et Maria sur cette île, par téléphone et visioconférence ou en Guadeloupe.

27 Nous avons choisi de pratiquer des entretiens approfondis, semi-directifs, en interrogeant les individus sur la base d’un récit de vie, afin de saisir les contextes familiaux, socio-politiques et économiques sur un temps long. Nous commencions par demander aux personnes si « elles avaient déjà vécu des catastrophes naturelles au cours de leur vie ». Le récit permettait de reconstituer l’expérience de ces personnes, leurs perceptions des aléas et des crises qu’elles avaient subis, d’identifier la nature des réponses mises en œuvre et d’en comprendre les causes. La grille d’entretien permettait aussi d’évaluer la conscience du risque et la connaissance des conduites « appropriées », telles qu’elles sont définies par les pouvoirs publics.

28 Nous avons finalement interrogé 88 personnes lors d’entretiens qui ont duré entre une heure et six heures, en français et/ou créole (sans traducteur). La moitié des entretiens ont été réalisés avant les ouragans de 2017. Les personnes évoquaient spontanément les cyclones, les séismes et la crise de la Soufrière de 1976. Les personnes interrogées en 2019 l’ont été à partir de la même grille, mais nous avons consacré un temps particulier à l’expérience récente d’Irma et/ou de Maria. Certaines personnes interrogées en 2017 ont accepté de nous rencontrer en 2019 : l’entretien a été réalisé toutefois par une personne différente de celle qui avait réalisé le premier entretien, tout en étant introduite par elle. Ce nouvel entretien est venu compléter l’entretien initial.

29 Les entretiens ont été réalisés dans des contextes divers : au domicile, dans des espaces associatifs ou des lieux publics. Nous avons par exemple eu la chance d’être accueilli au sein de maisons associatives, telle que la maison des Aînés de Basse-Terre, ou encore des associations comme le « Volcan Fleuri » à Saint-Claude, qui regroupent des personnes de plus de 60 ans. Cette opportunité explique la présence dans notre échantillon d’une proportion importante de cette tranche d’âge (40 %). Ce biais est assumé comme tel : nous souhaitions pouvoir interroger des personnes qui avaient vécu plusieurs cyclones afin de saisir la relation entre l’expérience acquise et les facteurs de vulnérabilité associés à l’âge que la littérature met en évidence (mobilité réduite, isolement, etc.) (Cannon, 1994).

30 Nous avons complété ce travail par 25 entretiens avec des acteurs de la prévention des risques et de la gestion des crises, qui ont été impliqués dans la gestion des ouragans en 2017. Ces entretiens ont été réalisés pour partie en métropole, pour partie en Guadeloupe. Les répondants ont été enregistrés avec la garantie de conserver leur anonymat. Tous sont intervenus dans la gestion de la crise cyclonique de 2017. Certains ont vécu le passage d’Irma et/ou de Maria, certains sont partis sur le terrain saint- martinois ou guadeloupéen dans la phase aigüe de la crise. Certains en revanche ne sont jamais allés en Guadeloupe et ont piloté des opérations de sécurité civile ou de sécurité publique depuis Paris.

31 Nous avons conscience que la somme des entretiens ne permet pas de rendre compte de la totalité des habitants, mais c’est précisément l’objectif de notre démarche : les discours des gestionnaires et les guides de bonnes pratiques raisonnent à l’échelle « des populations antillaises » en les considérant généralement comme une entité homogène, alors que ces dernières sont composées d’individus qui ont chacun leur propre histoire, leur propre trajectoire de vie, leurs propres aspirations et motivations, et que les

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territoires qu’ils habitent sont eux-mêmes fortement hétérogènes. Nous voulions nous appuyer sur cette singularité pour mettre à l’épreuve, à l’échelle individuelle, les liens entre le fait d’habiter un territoire à risque, la culture du risque et la résilience.

Des habitants sensibilisés au risque cyclonique

Le risque cyclonique est identifié par toutes les personnes interrogées

32 Lorsque nous demandons, lors des 88 entretiens réalisés avec les habitants, de classer les aléas par degré de dangerosité, les personnes interrogées considèrent systématiquement que l’aléa le plus dangereux est le séisme, car « on ne peut pas prévoir ». Le moins dangereux est l’éruption volcanique, car « on peut la prévoir longtemps à l’avance ». Le cyclone est considéré comme dangereux, mais moins que le séisme, car « on est bien informé », on est « prévenu » et « on le voit venir ». Elles admettent toutefois que les trajectoires et les intensités des cyclones sont incertaines, ce qui complique la prévision et augmente le danger.

33 Lorsque l’on se concentre sur les cyclones, les personnes identifient des niveaux d’intensité qui correspondent à des niveaux de risque plus ou moins forts. Celles qui avaient déjà vécu un cyclone avant Irma et Maria soulignent qu’il y a une différence entre tempêtes tropicales et cyclones. Elles donnent également le nom d’événements qu’elles qualifient de « petits cyclones » (qui correspondent à des événements classés en catégorie 2 voire 3) et insistent sur la différence avec les « ouragans » (qui correspondent à des événements classés catégorie 4 et 5), qu’elles nomment aussi souvent « les monstres ». Celles qui n’ont jamais vécu de cyclone ont plus de mal à identifier des seuils, mais sont toutes capables d’expliquer la différence entre tempête tropicale et cyclone.

34 Les individus sont aussi capables de dissocier l’intensité annoncée de l’aléa, des dommages effectivement subis. Une personne native de Guadeloupe nous a déclaré que le risque variait de façon très importante selon la trajectoire du cyclone. Elle explique que le passage de l’œil est déterminant et qu’à quelques kilomètres près, les dommages sont sans commune mesure. Cette personne est toutefois peu représentative de l’échantillon car elle est passionnée par les ouragans et possède une connaissance très poussée des processus. Elle se souvient parfaitement du passage de Cléo, en 1964, qu’elle raconte de façon précise, en parlant du mur de l’œil, qui « heureusement est passé très vite ». Les autres personnes interrogées sont beaucoup moins précises. En revanche, plusieurs personnes insistent sur le fait que, quelle que soit la classe du cyclone, il peut causer des dommages importants, y compris dans le cas d’aléas moins intenses que pour Hugo, Irma ou Maria, dont les noms reviennent très souvent dans les récits. Elles parlent de la pluie, des submersions marines. Les répondants insistent souvent sur la spatialisation des impacts, même si peu expliquent pourquoi telle partie du territoire est plus touchée que telle autre. Prenant le cas d’Hugo en 1989, plusieurs personnes ont par exemple déclaré que les dommages d’un cyclone annoncé sur la Guadeloupe peuvent se concentrer sur une partie de l’archipel, en laissant le reste du territoire quasi indemne. Certaines montrent des photographies personnelles pour évoquer ces dommages. Deux personnes, qui avaient vécu plusieurs cyclones, ont

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insisté sur le fait qu’il pouvait y avoir des degrés de destruction très différents, parfois à quelques dizaines de mètres près. L’une parle même de « couloirs » de dommages.

Les habitants connaissent les mesures de prévention et de sauvegarde

35 Les 88 personnes interrogées identifient correctement la saison cyclonique. Les individus savent qu’ils doivent appliquer certaines mesures préventives et préparer leur maison à partir du mois de juin. Deux retraités, qui quittent la Guadeloupe pendant les vacances scolaires en juillet et août, disent qu’ils préparent leur maison comme si un cyclone allait arriver.

36 Pendant la saison cyclonique, les individus s’informent régulièrement de l’arrivée possible d’un cyclone. Selon les cas, ils utilisent la radio, la télévision et les sites internet, pour être informés en temps réel de l’évolution des processus météorologiques (intensité, trajectoire, etc.). En cas d’alerte, les individus connaissent et appliquent les consignes de mise en sécurité. Plusieurs personnes insistent sur le fait que ces consignes sont présentes dans les médias et certains nous montrent des journaux. Les répondants disent par exemple qu’à l’annonce d’un cyclone, il faut constituer des stocks. Les personnes citent toutes l’eau, la radio à piles et les denrées sèches. Elles nous montrent les volets, les barres-anticycloniques et parfois, un générateur de secours. Elles indiquent aussi qu’elles protègent les ouvertures avec des planches, rentrent les objets pouvant devenir des projectiles. Lorsque nous le leur demandons, elles parlent aussi de l’élagage des arbres et du nettoyage des gouttières.

37 Enfin, les répondants savent énumérer les conduites à tenir en cas de cyclone. Plusieurs personnes interrogées chez elles nous montrent dans quel sens souffle le vent pendant le cyclone et certaines expliquent qu’elles se réfugient de l’autre côté de la maison. En cas de vents très violents ou d’arrachement du toit, les répondants disent qu’il faut se réfugier dans une pièce en dur, ou à défaut, sous un escalier. Cependant, toutes les maisons n’en possèdent pas. Les personnes interrogées disent également qu’il ne faut pas sortir pendant l’œil.

Une « culture du risque » cyclonique qui doit pourtant être fortement nuancée

Le risque cyclonique est sous-estimé

38 La perception du danger varie fortement selon les habitants interrogés et fait apparaître une forte sous-estimation de certains risques associés aux cyclones.

39 Nous avons d’abord posé la question de savoir ce qui était le plus dangereux lors du passage d’un cyclone. Les réponses varient trop pour pouvoir dégager une constante. Certaines personnes citent le vent : « il arrache les toitures et transforme le moindre objet en projectile mortel ». Les personnes évoquent ici « les tôles qui décapitent », les « noix de coco qui se transforment en boulet de canon », les toitures et les citernes arrachées. D’autres déclarent que le vent n’est pas le plus dangereux voire, pour une personne, « pas dangereux quand on est à l’abri dans une maison bien construite ». En particulier, les personnes qui habitent en bord de mer et qui ont déjà subi des

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submersions marines, sont bien plus sensibles à ce risque. Certaines, en revanche, sous- estiment les risques liés aux fortes pluies et à la submersion. Aucun des 88 répondants n’a cité spontanément le risque de crue lié aux précipitations, ni les risques de glissement de terrain.

40 Qu’il s’agisse de vent ou d’eau, lorsqu’on demande aux gens s’ils pensent être vulnérables au cyclone, la très grande majorité déclare qu’ils sont en sécurité parce que leur maison est sûre, soit parce qu’elle est récente, soit parce qu’ils se sont renseignés au moment de la construction (réponse récurrente chez les personnes nées en France métropolitaine), soit parce qu’elle a déjà connu plusieurs cyclones (natifs de l’île ou de la Caraïbe et métropolitains installés depuis plusieurs années). Plusieurs personnes disent rester chez elles pour « vérifier si la maison tiendra ». Certes, à l’annonce d’un cyclone majeur, certaines personnes quittent leur domicile pour rejoindre leur famille, des amis ou des voisins. Certains le font pour se mettre en sécurité, mais beaucoup disent aussi préférer ne pas rester seuls. La présence d’enfants est souvent un motif de départ du logement, même lorsque le logement est considéré comme sûr. Par exemple, pendant Hugo en 1989, À.*, qui a aujourd’hui 76 ans, était institutrice et habitait un logement de fonction. Elle a d’abord pensé rester, considérant que le bâtiment était sûr ; mais « quand Hugo a été annoncé en catégorie 5 », elle l’a quitté avec ses enfants, car ses voisins lui avaient dit que la construction était trop fragile et « qu’un monstre arrivait ». L’état de son domicile après Hugo a démontré à À.* qu’elle avait nettement sous-estimé le danger. Plus largement, plusieurs témoignages soulignent que les personnes minorent le risque, qu’elles aient ou non vécu des cyclones. C*, qui habite depuis huit ans à Marie-Galante et n’avait jamais vécu de cyclone, est restée seule chez elle avec ses enfants durant Maria, alors que son compagnon était en voyage. Elle a décliné la proposition de ses voisins et de ses amis de les rejoindre. Ce fut aussi le cas de leur voisin, resté chez lui alors qu’il était âgé. Elle admet a posteriori qu’elle avait sous- estimé la puissance du cyclone et qu’il aurait été plus sûr de ne pas rester seule. B.* et son épouse sont également restés chez eux. B.* déclare à plusieurs reprises que sa maison est sûre, mais son épouse nous montre la fenêtre qui a cédé pendant Maria. J.- C*., qui habite la Grande-Terre, reconnaît que sa maison était insuffisamment préparée et que les dommages auraient été bien plus importants si le cyclone était passé plus au nord. E.* 77 ans, qui est née et habite sur la Basse-Terre, explique qu’elle est restée seule chez elle, pensant que sa maison était solide, mais qu’elle n’avait pas pensé que le toit du voisin s’arracherait. Le toit est heureusement tombé à quelques mètres de sa maison. Elle raconte qu’elle a fait l’expérience de plusieurs cyclones, mais qu’elle n’a jamais eu aussi peur. L’ensemble des récits converge ainsi vers l’idée que, quelle que soit l’expérience passée des cyclones, les individus sous-estiment leur exposition et leur vulnérabilité ou celle de leur habitation.

Les limites de l’information préventive

41 L’information préventive est parfois mal comprise par les habitants. Dans leurs discours, plusieurs personnes ont ainsi fait une différence explicite entre cyclones et ouragans. Lorsque nous demandons s’il faut faire une distinction entre les deux, une personne répond que « maintenant, il n’y a plus que des ouragans ». Une autre personne indique que « les ouragans, c’est plus fort », et que le changement est lié au réchauffement climatique dont parlent les médias. De plus, qu’elles soient ou non natives des Antilles, les personnes confondent très souvent les niveaux de vigilance et

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le classement des cyclones sur l’échelle Saffir-Simpson. Les personnes emploient rarement les termes de vigilance rouge, violette ou encore grise utilisés par les services de l’État et les bulletins météorologiques.

42 L’ensemble de ces réponses montre que la connaissance du risque cyclonique reste imparfaite, et que s’approprier l’information ne va pas de soi. Ceci a des conséquences sur l’application des mesures préventives et comportementales. En effet, si les mesures générales sont diffusées par les autorités au travers des médias (presse écrite, télévision, réseaux sociaux) et des documents d’informations préventives, de nombreuses personnes interrogées témoignent de leur difficulté à associer ces mesures aux différentes phases du passage des cyclones. À.**, 17 ans, qui habite à Marie-Galante, raconte par exemple qu’après Maria, elle a mis longtemps à sortir. Elle a appris à l’école que les vents s’arrêtent de souffler pendant le passage de l’œil, mais ne connaît pas la durée de ce phénomène. Pendant Maria, elle est enfermée chez elle avec sa mère et son frère. Privées d’informations à cause des coupures de courant, d’internet et de signal radio, sa mère et elle ont du mal à identifier ce qui se passe à l’extérieur. Lorsque les vents se calment, elles hésitent longtemps à sortir, se demandant s’il s’agit de l’œil ou de la fin du cyclone.

43 Les témoignages montrent plus généralement que les mesures préventives de l’immédiat post-cyclone sont insuffisamment connues. Lorsque nous demandons si les consignes de la vigilance grise (sans nommer la vigilance elle-même) sont appliquées, les répondants déclarent qu’elles ne sont pas ou peu suivies, y compris par eux-mêmes. Plusieurs personnes expliquent que de toutes façons, dans la mesure où la radio, la télévision et internet ne fonctionnent plus, elles ne savent pas quand la vigilance rouge (ou violette) est levée. Elles se fient alors à leurs observations : baisse de l’intensité du vent et/ou des précipitations, surveillance de l’activité dans les rues, etc.

La mise en œuvre des conduites appropriées n’est pas automatique, même chez des personnes qui ont déjà vécu des cyclones

44 Plusieurs personnes constatent que les consignes de sauvegarde ne sont pas toujours suivies, y compris par elles-mêmes. Les répondants notent chez les « autres » (voisins, touristes) des comportements dangereux qu’ils qualifient d’« inconscients ». Par exemple, un habitant de la Basse-Terre s’emporte contre une femme qui, alors qu’il y avait une alerte cyclonique en cours, faisait des photos de la mer déchaînée et qui a failli être emportée par une vague. Les personnes âgées et les natifs de l’archipel regrettent que l’élagage et le nettoyage soit insuffisant. Une personne parle des épaves de voitures sur les bas-côtés des routes, qui constituent des projectiles potentiels très dangereux.

45 Au fil de l’entretien, les personnes reconnaissent qu’elles-mêmes ne font pas toujours ce qu’il faudrait faire. Parfois, il s’agit simplement de comportements qui induisent des dommages sans gravité. À.*** explique en souriant qu’elle a toujours son congélateur rempli, alors qu’elle sait que l’ouragan provoque des coupures de courant et qu'elle perdrait sa nourriture. D’autres comportements conduisent à des mises en danger plus grave. À.***, qui a vécu plusieurs cyclones, dit avoir passé Maria seule chez elle, sans radio à piles (il n’y en avait plus au magasin et elle n’est pas allée en chercher ailleurs, car Maria était alors annoncé en catégorie 2 et qu’elle pensait que ce serait un phénomène de faible intensité), et avec son téléphone portable déchargé. Elle a ainsi

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été « coupée du monde ». Elle raconte sa peur. E.*, 76 ans, est également restée seule chez elle pour ne pas abandonner son chien et son chat, alors que voisins et famille lui avaient proposé de l’accueillir. Elle avait confiance dans sa maison. Plusieurs mois après Maria, elle évoque sa terreur avec beaucoup d’émotions. Toujours pour Maria, M.-P.* décide de partir de chez sa mère pour aller fermer sa maison, alors qu’il y a « une rivière d’eau » sur les routes. Elle raconte qu’elle a croisé, ce soir-là, de nombreux véhicules qui circulaient malgré le danger. J.* décide également pendant Maria, d’aller voir ses chevaux à 6 km de chez lui, parce qu’il est inquiet pour ses bêtes. Tous ces exemples montrent que les individus ne mettent pas en œuvre les mesures de sauvegarde recommandées, alors même qu’ils les connaissent.

46 La non application des consignes de sauvegarde est aussi mise en évidence dans les entretiens réalisés avec les personnels de la sécurité civile et intérieure qui étaient présents à Saint-Martin lors du passage d’Irma. Un gendarme présent dans le centre opérationnel de crise de la préfecture (COD) raconte qu’ils ont reçu des appels de détresse de Saint-Barthélemy, puis de Saint-Martin, au moment de l’arrivée du cyclone Irma (les numéros d’urgence sont basculés sur le COD), et jusqu’à la coupure du courant. Les personnes au téléphone se trouvaient dans un grand état de panique et ne connaissaient pas les mesures de sauvegarde. Des gendarmes et des personnels d’ONG soulignent que certains Saint-Martinois n’avaient pas constitué de stocks suffisants. Ils observent que les populations, en particulier les métropolitains installés dans l’île, ne se préparent pas suffisamment à l’arrivée des cyclones en dehors des alertes, et n’appliquent pas la consigne de constituer des stocks dès le mois de juin. Ils évoquent également le cas des touristes, ou des fonctionnaires récemment arrivés sur l’île, qui se sont trouvés totalement démunis face au cyclone Irma. Ce constat est confirmé par le témoignage d’une touriste métropolitaine qui logeait seule dans une maison en bord de mer. Elle dit ne pas avoir été informée de la gravité d’Irma et n’avoir trouvé aucune information sur les lieux refuges. Toutefois, des habitants anciennement installés sur l’île reconnaissent aussi s’être mal préparés. Une dame qui avait vécu Luis en 1995 explique ainsi que son mari est parti mettre son bateau à l’abri et qu’elle-même avait considérablement sous-estimé la violence d’Irma, parce qu’elle pensait que « ça ne pourrait pas être pire [que Luis] ».

47 La démographie de Saint-Martin est certes très différente de celle de l’archipel guadeloupéen avec la présence de populations récemment installées ou de touristes (Redon, 2006 ; Duvat, 2008). Le cas de Saint-Martin rappelle qu’il est impossible de généraliser une « culture du risque » à l’échelle des Antilles, sans prendre en compte l’hétérogénéité des territoires et de populations qui les habitent. Il montre que la culture du risque est bien une construction qui se fabrique dans les interactions permanentes entre les environnements biophysiques et sociaux et qui co-évolue avec les dynamiques territoriales (démographiques, économiques, sociales, politiques) (Pigeon, 2005). À l’échelle individuelle, l’expérience des événements passés n’implique pas automatiquement une mise en œuvre des mesures préventives et des comportements de sauvegarde, alors même que les personnes les connaissent.

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La construction de la « culture du risque » à l’échelle individuelle : un processus complexe qui ne garantit pas la résilience.

48 Dans le préambule du Dossier Départemental des Risques Majeurs (DDRM) de Guadeloupe de 2014, il est écrit que « l’information préventive doit être développée pour inculquer une véritable culture du risque à la population et pour que chacun adopte les conduites appropriées » (DDRM, 2014, p. 3). Cet effort de prévention est globalement réalisé. Il existe une information abondante, produite par les autorités et relayée par la presse et les médias. Elle est disponible et accessible. Pourtant, le discours des habitants interrogés montre que le risque est parfois sous-évalué, que les messages d’alerte sont parfois mal compris, que la préparation au début de la saison cyclonique est encore insuffisante et que les comportements pendant l’événement ne sont pas toujours adaptés ni les consignes de sauvegarde respectées. On voit ainsi que le passage de la « culture du risque » collective à une culture individuelle de la sécurité, c’est-à-dire à l’adoption systématique des mesures préventives et des comportements considérés comme « appropriés » en cas de crise, n’est pas automatique.

Une « habitude des cyclones » ?

49 Les gestionnaires de crise interrogés considèrent que l’« habitude » des cyclones permet aux populations d’évaluer correctement le risque, et que leur expérience est le gage d’un apprentissage, qui permet une mise en œuvre répétée des conduites appropriées. Pourtant, la fréquence d’événements majeurs reste rare à l’échelle d’une vie humaine. Les deux derniers ouragans de catégorie 4 à être passés sur l’archipel Guadeloupéen, Hugo et Luis, dataient respectivement de 1989 et 1995. Cléo et Inez sont également passés sur l’archipel en 1964 et 1966 et ont été classés en catégorie 3, avec des vents de 250 km/h et 244 km/h en intensité maximale. Des aléas d’intensité moindre ont provoqué des dommages importants : ils sont mentionnés dans les récits lorsque les répondants ou leurs proches ont subi eux-mêmes des impacts. Les récits montrent d’ailleurs que la perception d’un même événement varie en fonction des personnes.

50 Les réponses des 88 habitants suffisent immédiatement à nuancer l’affirmation des gestionnaires d’une « habitude des cyclones ». Les cyclones font partie du quotidien des habitants au sens où le risque cyclonique est identifié par les habitants, qu’il n’est pas occulté ou minoré par les différents acteurs du territoire. Il suffit pour s’en convaincre de regarder la presse écrite et les multiples publicités pour les volets anti-cycloniques ou les assurances. Mais cette présence du risque, cet affichage, n’a rien à voir avec une « habitude » des phénomènes, en particulier des phénomènes majeurs, qui supposerait une régularité plus forte des aléas. Les récits montrent en outre que chaque aléa est singulier dans sa manifestation et ses impacts, si bien que les réponses des individus vont être différentes d’un événement à l’autre. Il y a donc une dichotomie importante entre les temporalités du territoire et le temps de l’expérience individuelle.

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Le rôle de la mémoire

51 La faible occurrence à l’échelle d’une vie humaine de catastrophes cycloniques majeures crée en particulier un hiatus entre l’expérience individuelle d’événements moyens ou faibles, qui renforce la confiance dans ses capacités à faire face, et des épisodes majeurs qui appellent des mesures de vigilance renforcées et provoquent des situations de risque accrues.

52 Ce biais pourrait être compensée par la mémoire collective des catastrophes passées. Les autorités considèrent d’ailleurs que la mise en mémoire favorise la conscience des dangers et la diffusion des comportements de sauvegarde. Pourtant, il n’y a pas de construction systématique d’une mémoire collective territorialisée des événements et catastrophes cycloniques en dehors de manifestations ponctuelles (exposition aux archives départementales sur le cyclone de 1928, numéro spécial de France-Antilles sur Hugo, etc.). Un membre de l’association « l’amicale des ouragans »1, qui œuvre pour la construction de cette mémoire, explique qu’il peine à trouver des relais institutionnels.

53 À l’échelle individuelle, les personnes interrogées citent les cyclones du passé, ce qui témoigne d’une mémoire des catastrophes. Cette mémoire découle très largement des expériences vécues et relève donc de la mémoire vive. La transmission familiale joue un rôle important et les répondants évoquent les récits de leurs parents ou leurs grands- parents sur les expériences des cyclones passés (référence au cyclone de 1928 par exemple). En revanche, seuls les natifs de l’île ou les personnes installées depuis longtemps sur le territoire peuvent bénéficier de l’expérience de leur famille, des voisins ou des amis. Ce n’est pas le cas pour les personnes récemment installées ou dont la durée de résidence est courte (en particulier pour une affectation professionnelle). Et même pour les natifs ou les habitants de longue date, cette mémoire ne contribue pas forcément à une évaluation correcte du risque ou à l’adoption des mesures préventives.

Les limites de l’expérience et de l’apprentissage

54 Les récits montrent que l’expérience et l’apprentissage jouent un rôle important. Ils peuvent conduire à une réduction importante de la vulnérabilité des personnes. R.-M.* explique que son père a reconstruit une première fois sa maison, après le passage de Betsy en 1956. Faute d’argent, l’habitation est rebâtie en bois, matériau peu onéreux, face à la mer, à quelques mètres de la précédente. La maison est à nouveau détruite par Inez en 1966, mais cette fois-ci elle est reconstruite en parpaings, avec une chape en béton qui sert de toit. La répétition des destructions conduit donc à une adaptation de l’habitat, qui renforce la résistance du bâtiment et diminue la vulnérabilité de ses habitants.

55 La fréquence des événements semble aussi importante que l’expérience elle-même. Après un événement d’intensité majeure, les personnes semblent être plus enclines à mettre en place des mesures préventives, mais cette volonté diminue en l’absence de répétition de l’aléa. Ainsi, plusieurs personnes qui ont vécu Maria, énumèrent une liste d’actions qu’elles auraient souhaité mettre en œuvre pour être mieux protégées lors de la saison cyclonique suivante : ne plus attendre le dernier moment pour constituer les stocks, construire une pièce refuge, acheter un groupe électrogène, une radio à piles, une tronçonneuse, mieux élaguer les arbres, vider les gouttières et les congélateurs, ou encore se regrouper chez des voisins. Mais elles reconnaissent aussi que, deux ans

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après, la plupart de ces actions n’ont pas été réalisées. Par exemple, D.* comptait construire un abri en dur, mais il y a renoncé pour l’instant, la peur d’une nouvelle catastrophe s’éloignant.

56 Enfin, l’expérience des cyclones peut en outre se révéler, de façon paradoxale, contre- productive. L’expérience est à l’origine d’un apprentissage qui fait que d’événement en événement, les personnes intègrent les mesures préventives et les comportements de sauvegarde. Elles disent « être moins passives », participer davantage à la protection des biens et des personnes du logement, y compris en situation d’urgence, prendre des initiatives pour protéger les plus vulnérables et se mettre en sécurité, etc. Plusieurs répondants soulignent qu’ils ont gagné en confiance et sont devenus de plus en plus autonomes. Certains témoignent également du fait que pendant les ouragans, ils s’appuyaient sur les individus les plus expérimentés pour se rassurer et qu’ils réglaient leur conduite sur leur comportement

57 Le fait d’avoir vécu un ou plusieurs cyclones majeurs conduit toutefois les personnes à sous-estimer le risque et à se penser invulnérables, ou, en tous cas, suffisamment expérimentées pour faire face. Un gendarme présent à Saint-Martin lors du passage d’Irma, raconte que les gens refusaient d’évacuer malgré les consignes, au motif qu’ils « avaient connu Luis ». Ce point est également confirmé par les membres de la Croix- Rouge que nous avons interrogés. En Guadeloupe, le souvenir d’Hugo a convaincu certaines personnes de rester chez elles.

58 Plus largement, les entretiens montrent que les individus ont tendance à raisonner à partir de ce qu’ils ont connu. Ils ont du mal à se figurer ce qu’ils n’ont pas vécu. Une personne nous explique qu’on a beau connaître les prévisions, qu’on a beau se préparer, « on n’imagine pas le pire, parce que c’est difficile de s’imaginer le pire ». L’expérience vient alors renforcer l’inimaginable, qui empêche les individus de se représenter le danger réel, même si la personne est informée de l’arrivée d’un cyclone majeur et en connaît les risques.

Quels liens entre culture du risque et comportements appropriés en cas de crise ?

59 Même lorsque les individus connaissent les mesures de sauvegarde et les conduites appropriées, cela ne signifie pas que ces « bonnes » pratiques seront mises en œuvre. Les retours d’expériences montrent qu’être informé ne suffit pas pour adopter le comportement adéquat.

60 Pour expliquer cet écart, on peut d’abord observer un lien fort entre le niveau d’alerte et l’application des consignes. La comparaison entre Irma et Maria est éclairante. Irma est annoncé plusieurs jours à l’avance. Météo-France avertit les autorités d’une menace cyclonique dans la nuit du 1er au 2 septembre, la vigilance jaune est lancée le 3, le 5 septembre à 6 h la prévision fait état d’un ouragan de catégorie 4, puis à midi de catégorie 5. L’ouragan passe sur les îles du Nord pendant la nuit. Dans les entretiens, les gendarmes et les personnes de la Croix-Rouge indiquent que c’est l’annonce de la catégorie 4, puis 5, qui conduit les populations habitant les zones exposées à la submersion à quitter leur logement. Pour Maria au contraire, l’ouragan s’est intensifié très brutalement. Annoncé en catégorie 2 le matin du 18 septembre, il passe en catégorie 3 puis 4 dans la soirée. Plusieurs personnes nous disent qu’elles n’ont pas su que le cyclone s’intensifiait. Elles étaient déjà enfermées chez elles, il faisait nuit, le

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courant était coupé et la radio n’émettait plus. Pensant qu’il s’agissait d’un ouragan de faible intensité, les personnes racontent qu’elles n’ont pas pris les mesures de sauvegarde nécessaires.

61 Les récits évoquent souvent les changements d’intensité, de trajectoire, de manifestation de l’aléa pour expliquer des situations de mise en danger. Plusieurs personnes mentionnent l’ouragan Lenny en 1999, qui a déversé des pluies abondantes sur la Guadeloupe. Elles racontent que « le cyclone a changé d’intensité en fin de journée ». B.* explique que les autorités ont fermé les écoles, mais ont aussi donné l’ordre d’interrompre la circulation et les transports publics. Des enfants et des adolescents se retrouvent seuls dans les rues. B.* raconte qu’il a recueilli trois adolescents qui ont dormi chez lui. M.-P.*, qui était encore lycéenne, se souvient qu’elle a dû rentrer chez elle, en « nageant à plusieurs reprises » (nous la citons) pour traverser des rues inondées.

62 On note ensuite que la mise en œuvre des mesures de sauvegarde relève de décisions individuelles qui dépendent à la fois de l’appréciation de la situation en un temps donné et d’un ensemble de paramètres qui n’ont parfois rien à voir avec le risque cyclonique. Certains récits montrent d’abord que des personnes ont mis en œuvre des réponses qui contrevenaient aux guides de bonnes pratiques, mais qui se sont révélées finalement adaptées à des circonstances particulières. Certains répondants expliquent ainsi qu’ils ont pris la décision de quitter leur domicile pendant le passage de l’œil d’un ouragan pour rejoindre un abri qu’ils pensaient plus sûr. Dans certains cas, les individus choisissent délibérément de ne pas suivre les consignes. Si certaines personnes agissent par excès de confiance et d’optimisme, d’autres se mettent consciemment en danger. Juste après Lenny, R.-M.** brave ainsi les interdictions de la gendarmerie et les avertissements des personnes qu’elle rencontre, pour rejoindre la maison de son fils et de son épouse enceinte, parce qu’elle a entendu que les dommages à Pigeon, où il réside, étaient importants et qu’elle veut aller à son secours. B**., pêcheur, décide de prendre la mer pour aller mettre en sécurité son bateau, qui est son outil de travail, et laisse son épouse seule chez elle. Enfin, certaines personnes expliquent qu’elles n’ont pas eu la possibilité de mettre en place les mesures préventives : manque de force physique, manque de moyens matériels, de capital financier, contraintes liées à la charge d’enfants ou de parents dépendants, etc.

Conclusion

63 Il est par conséquent nécessaire de nuancer les discours qui généralisent la « culture du risque » à l’échelle d’un territoire et qui la relient directement à la culture de la sécurité qui permet la résilience individuelle. À l’échelle collective, la « culture du risque » doit être contextualisée en fonction de la récurrence des événements, de leur nature et de leur intensité, des dynamiques territoriales ou de l’hétérogénéité des populations. À l’échelle individuelle, la traduction de « culture du risque » en termes de résilience est un processus multifactoriel non-linéaire.

64 Habiter un territoire exposé au risque cyclonique ne signifie pas qu’on a « l’habitude » des événements majeurs et a fortiori des catastrophes. La récurrence des aléas doit être mise en perspective avec l’intensité des crises qui en découlent, les perceptions qu’en ont les individus, les dommages effectivement subis par les personnes et les expériences effectivement vécues. On voit aussi que le fait de vivre régulièrement des

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événements mineurs biaise la représentation des événements majeurs et conduit souvent à sous-estimer sa vulnérabilité et à surestimer ses capacités à faire face à un événement majeur.

65 L’enquête réalisée confirme que les individus s’appuient sur leurs expériences, mais aussi sur différentes sources d’information (information préventive, école, famille, amis, voisins, collègues de travail, etc.) pour appréhender le risque et s’approprier les comportements de sauvegarde et de prévention. Si le risque cyclonique est connu des populations, si l’information préventive s’est développée et porte ses fruits, on voit que la préparation reste insuffisante et que le risque est encore sous-estimé en cas d’événements majeurs. De plus, la conscience du danger, la mémoire des événements, l’expérience, la connaissance des gestes et comportements appropriés, n’induisent pas mécaniquement des conduites de sauvegarde. En fonction des circonstances et du déroulement de l’événement mais aussi du contexte personnel, les individus réagissent, improvisent, bricolent. Ils opèrent des choix en fonction de leurs besoins ou de leurs moyens, et de leur perception de la situation.

66 La mise en œuvre des « bons comportements » ne dépend donc pas uniquement de la « culture du risque » telle que définie par les pouvoirs publics. Cela ne signifie pas qu’il faille renoncer à l’information préventive ou l’éducation aux conduites appropriées, à entretenir la mémoire des catastrophes ou à s’appuyer sur l’apprentissage. Mais ces actions doivent être réinscrites dans un questionnement plus large sur les contextes qui permettent aux individus de s’approprier et de mettre en œuvre les mesures de prévention et de sauvegarde.

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NOTES

1. Site internet : www.amicale-des-ouragans.org

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RÉSUMÉS

L’objet de cet article est d’interroger l’utilisation de la notion de « culture du risque » par les différents acteurs du champ de la prévention des catastrophes naturelles et de la gestion de crise. Suite à la saison cyclonique 2017, différents gestionnaires ont mis en avant la culture du risque des populations des « Antilles françaises », pour expliquer leur résilience. En croisant les témoignages d’habitants et de gestionnaires de crise, nous montrons que les individus ont conscience du risque cyclonique et connaissent les mesures de sauvegarde, mais que le danger est sous-évalué et la préparation inégale. Nous revenons alors sur la nécessaire contextualisation de la construction d’une « culture du risque » à l’échelle individuelle, pour discuter son rôle dans la résilience des personnes.

This paper addresses the notion of “risk culture”, used in the French natural disaster prevention and crisis management field. Following the 2017 cyclonic season, various managers underlined the risk culture of the « French Carribean populations » to explain their resilience. By combining inhabitants testimonies and crisis managers interviews, we show that individuals are aware of the cyclonic risk and know the safeguarding measures, but that the risk is underestimated and the preparation is uneven. We return to the necessary contextualization of a "culture of risk" at the individual level and discuss its role in people's resilience.

INDEX

Keywords : risk culture, individual, resilience, hurricane, Guadeloupe, Saint-Martin Mots-clés : Culture du risque, résilience individuelle, risque cyclonique Guadeloupe, Saint- Martin Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

FANNY BENITEZ Fanny Benitez, [email protected], est post-doctorante au sein du projet de recherche V-CARE, Université Paris Diderot, IHSS, CRPMS. Elle a récemment publié : Benitez F., Reghezza-Zitt M.,2018. Les capabilités à faire face ou comment repenser la résilience des individus, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série n° 30. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/19116 - DOI: https://doi.org/10.4000/ vertigo.19116

MAGALI REGHEZZA-ZITT Magali Reghezza-Zitt, [email protected], est maître de conférences habilitée à diriger des recherches à l’ENS (PSL) et membre du Laboratoire de géographie physique de Meudon (LGP). Elle a récemment publié : - Benitez F., Reghezza-Zitt M.,2018. Les capabilités à faire face ou comment repenser la résilience des individus, VertigO - la revue électronique en sciences de l'environnement [En ligne], Hors-série n° 30. URL : http://journals.openedition.org/vertigo/19116 - DOI: https://doi.org/10.4000/ vertigo.19116

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- Reghezza-Zitt M., 2017. Penser la vulnérabilité dans un contexte de globalisation des risques grâce aux échelles spatiales et temporelles. Espace populations sociétés [En ligne], 2016/n° 3. URL : http://journals.openedition.org/eps/6641 - DOI: https://doi.org/10.4000/eps.6641 - Reghezza-Zitt M., 2016. Des hommes et des risques. Menaces locales, menaces globales. Documentation photographique, 64 p.

NANCY MESCHINET DE RICHEMOND Nancy Meschinet de Richemond, [email protected], est Professeur de géographie à l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et membre de l’UMR GRED. Elle a récemment publié : - Bord J.-P., Meschinet de Richemond N., 2018. L'ambivalence de la carte entre visible et invisible. CFC, n° 235-236, p. 119-134.

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Le réchauffement climatique actuel influence-t-il l’activité des ouragans extrêmes de l’Atlantique Nord (1945-2018) ?

Karl Hoarau, Florence Pirard et Ludovic Chalonge

Introduction

1 Le bassin cyclonique de l’Atlantique Nord est délimité par les latitudes de 5 à 40 degrés Nord, et les longitudes de 10 à 100 degrés Ouest. Avec 12 % des tempêtes tropicales et ouragans du globe, l’Atlantique Nord occupe le 4ème rang des six bassins cycloniques (Schreck et al., 2014). Depuis le milieu des années 2000, la focalisation de l’attention sur cette région résulte de la recrudescence de l’activité cyclonique et des dégâts impressionnants occasionnés par les vents forts, les inondations pluviales, et les marées de tempête auxquels sont exposés les nombreux enjeux insulaires et littoraux continentaux. Ainsi, Katrina (2005) a été l’ouragan le plus coûteux de l’histoire récente des États-Unis avec des dommages évalués à 160 milliards de dollars (dollars de 2017), suivi de Harvey (2017) avec 125 milliards, Maria (2017) avec 90 milliards, Sandy (2012) avec 70 milliards, et Irma (2017) avec 50 milliards (NCEI, 2018). Il est remarquable que trois des ouragans les plus coûteux soient intervenus en 2017. Parmi ces derniers, Irma et Maria ont atteint la catégorie 5 sur l’échelle de Saffir-Simpson (Simpson, 1974). L’intensité d’un cyclone tropical étant définie par le vent soutenu de surface soufflant dans le mur de l’œil (Merril, 1984), la catégorie 5 correspond à des vents moyens sur une minute de plus de 135 nœuds (250 km/h) en surface. Irma est le premier ouragan à parvenir à une intensité maximale de 155 nœuds (285 km/h) à l’est des petites Antilles (Cangialosi et al., 2018), dans une région où les conditions troposphériques n’ont pas toujours été considérées comme optimales pour favoriser le développement des phénomènes très intenses (Landsea, 1993). Considérant que les 9 années les plus chaudes du globe ont été observées depuis 2005 (NCEI, 2019b), il est légitime de

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s’interroger sur le lien entre l’activité des ouragans de l’Atlantique Nord et le réchauffement climatique actuel. Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette interrogation, nous avons fait le choix d’étudier l’activité des ouragans extrêmes des catégories 4 et 5, les deux plus fortes de la classification de Saffir-Simpson. Ces ouragans génèrent des vents soutenus sur une minute d’au moins 115 nœuds (plus de 210 km/h) en surface. Ces catégories sont celles utilisées par le GIEC pour effectuer des projections pour la deuxième partie du XXIe siècle (Christensen et al., 2013). Une attention particulière concerne le nombre d’ouragans extrêmes, leur proportion dans l’ensemble des ouragans (catégories 1 à 5), et l’intensité absolue des ouragans par décennie. La période retenue pour l’étude est de 74 années, de 1945 à 2018, puisque l’Atlantique Nord est le bassin océanique où les reconnaissances aériennes (Jarvinen et al., 1984), et les images satellitaires permettent une analyse des données sur plus de sept décennies alors que la période d’observations plus courte dans les autres bassins rend plus difficile la détection de tendance (Landsea et al. 2006).

L’importante question de l’homogénéité des données d’intensité

L’obtention des données avant l’ère des satellites météorologiques (1945-1973)

2 L’Atlantique Nord est la région du globe avec la plus longue série de données sur l’intensité des cyclones tropicaux. Cependant, celles-ci n’ont pas été obtenues de la même manière sur toute la période de 74 années (1945-2018). Jusqu’à l’avènement du premier satellite météorologique géostationnaire en 1974 (Foley, 1995), l’intensité des ouragans était connue surtout par les reconnaissances aériennes qui ont débuté au milieu de l’été 1944 (Jarvinen et al. 1984). Les avions pénètrent dans les ouragans au niveau 700 hPa (une altitude de 3 000 m dans une atmosphère standard mais plus basse dans une circulation cyclonique) et une sonde mesure la pression atmosphérique au niveau de la mer dans l’œil. En l’absence de sonde, une équation calcule la pression à partir de l’altitude du niveau 700 hPa dans l’œil (Jordan, 1958). Grâce aux observations réalisées dans les stations météorologiques littorales insulaires ou continentales, une relation a été établie entre le vent maximal soutenu à la surface et la pression mesurée par les avions. Ainsi, un vent soutenu de 115 nœuds a été associé à une pression de l’ordre de 945 à 950 hPa (Landsea, 1993).

L’apport des données satellitaires (depuis 1974)

3 Les premiers satellites météorologiques américains, Vanguard et Tiros-1, ont été lancés les 17 février 1959 et 1er avril 1960, respectivement (Foley, 1995). Cependant, ces satellites à orbite polaire livraient chacun, au mieux, deux images par jour. Il a fallu attendre les premiers satellites géostationnaires, SMS-1 le 17 mai 1974 et Goes-1 le 16 octobre 1975 situés à 75 degrés de longitude ouest, pour que l’Atlantique Nord tropical ait une couverture temporelle satisfaisante avec une fréquence d’une image toutes les trois heures. Il en a résulté un suivi plus régulier de la trajectoire des ouragans. En outre, il a été possible d’associer des ouragans de différentes intensités mesurées par avions à des configurations nuageuses observées sur l’imagerie satellitaire. Ainsi,

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Dvorak et Wright (1977) présentèrent une méthode d’analyse de l’intensité des cyclones tropicaux à partir des données en infrarouge thermique des satellites. Si la formation des prévisionnistes commença dès l’année 1978 aux États-Unis, la version définitive de la technique fut publiée en 1984 (Dvorak, 1984). Dans les cinq autres bassins océaniques du globe ne bénéficiant pas de reconnaissances aériennes, l’intensité des cyclones tropicaux est déterminée par la seule méthode de Dvorak (1984). Cette dernière repose sur la mesure de deux paramètres: la température du pixel le plus chaud dans l’œil (en surface, là où le ciel est dégagé ou au sommet des nuages qui peuvent recouvrir le centre de basses ou moyennes couches) et la température des sommets nuageux dans un rayon d’au moins 0.5 degré de latitude autour de l’œil. Un ouragan est d’autant plus intense qu’il affiche un œil chaud ennoyé dans une ceinture nuageuse avec des sommets très froids. Un ouragan avec un œil moins chaud peut être d’une intensité comparable à un autre, à condition d’avoir une ceinture nuageuse aux sommets plus froids.

L’apport des technologies dans les reconnaissances aériennes depuis 1997

4 Lors de la saison 1997, des nouvelles sondes GPS « flottantes » dans l’air ont été déployées à partir des avions dans les ouragans pour connaître la distribution des vents du niveau 700 hPa jusqu’à la surface de l’océan (Hock et Franklin, 1999). Les travaux de Franklin et al., (2003) ont permis d’estimer que le vent matérialisant l’intensité d’un ouragan au niveau de la mer correspondait à 90 % du vent maximal à 700 hPa dans le mur de l’œil. Un vent soutenu de 115 nœuds (210 km/h) à la surface (seuil minimal de la catégorie 4) implique une vitesse d’au moins 125 nœuds (230 km/h) à 700 hPa. La mesure des vents d’un ouragan a encore évolué avec l’avènement des radiomètres à micro-ondes fixés sous l’une des deux ailes de l’avion. Cet appareil permet de calculer la vitesse de déplacement des embruns à la surface de l’océan, et de déduire la vitesse du vent (Uhlhorn et al., 2007). Lorsque le radiomètre à micro-ondes mesure un vent de surface différent de celui calculé en surface à partir du vent maximal à 700 hPa, une valeur moyenne est retenue comme vent soutenu de surface par le Centre National des Ouragans de Miami.

Les configurations nuageuses des ouragans extrêmes

5 Dans les années 1980 et 1990, un nombre croissant d’ouragans n’a pas été investigué par reconnaissances aériennes dans l’Atlantique Nord (Landsea et Franklin, 2013). Ces dernières étaient effectuées lorsque les ouragans présentaient une menace pour les populations. Pour homogénéiser les données, nous avons fait le choix de ré-analyser l’intensité des ouragans avec la méthode de Dvorak (1984) en utilisant les images satellitaires (Hursat, 1978-2009 ; TCP, 2006-2018). L’objectif était de recenser les cyclones extrêmes c’est-à-dire ceux ayant atteint une intensité minimale de 115 nœuds (catégorie 4 de la classification de Saffir-Simpson). Les premières images archivées remontant à la saison 1978, la ré-analyse a porté sur la période de 41 années (1978-2018). Un exemple d’application de la technique de Dvorak est détaillé par Hoarau et al. (2018) sur un cyclone tropical du Pacifique Sud. Notre ré-analyse a été entreprise pour tous les ouragans de l’Atlantique Nord affichant un œil sur l’imagerie satellitaire. Cela signifie que nous avons passé en revue un grand nombre d’ouragans,

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incluant ceux dont l’intensité n’a pas atteint 115 nœuds. Nous avons déterminé l’intensité maximale seulement pour les ouragans d’au moins 115 nœuds (catégorie 4). Les images satellitaires ont été analysées toutes les trois heures puisque leur fréquence horaire n’est disponible qu’à partir de 1987. La technique de Dvorak classe les tempêtes et les ouragans sur une échelle ouverte d’intensité allant de 1 à 8. Les ouragans produisant des vents de surface d’au moins 115 nœuds correspondent au niveau 6.

6 Sur l’imagerie satellitaire, pour atteindre au moins le stade 6 de la classification de Dvorak, un ouragan doit afficher une configuration nuageuse similaire à celle d’Harvey (prénom porté par un ouragan en 1981 et par un autre en 2017) ou d’Omar en 2008 (illustration 1).

Illustration 1 - Trois ouragans de catégorie 4 analysés avec la palette de Dvorak

Sources : à partir des fichiers bruts du National Climatic Data Center (NCDC) et de Tropical Cyclone Products.

7 Il s’agit d’images prises dans l’infrarouge renforcé, affichant la palette de Dvorak, c’est- à-dire la température des sommets nuageux. Le 26 août 2017, au moment de frapper les côtes du Texas, l’ouragan Harvey avait un œil d’une température de +18.8°C (au sommet de cumulus de basses couches) entouré d’une ceinture nuageuse avec des sommets de -54°C à -63°C sur un rayon d’au moins 0.66 degré de latitude (tableau 1). Bien que faisant le tour complet de l’œil, la ceinture nuageuse aux sommets de -64°C à -69°C ne mesurait que 0.44 degré de rayon. Il aurait fallu qu’elle atteigne au moins 0.5 degré de rayon pour que Harvey (2017) parvienne à une intensité de 125 nœuds au lieu de 115 nœuds.

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Tableau 1 - Comparaison de la température de l’œil en altitude, de celle des sommets nuageux, et du rayon minimal de la ceinture nuageuse pour trois ouragans de catégorie 4

Sources : à partir des fichiers bruts du National Climatic Data Center (NCDC) et de Tropical Cyclone Products.

8 Quand la température de l’œil est moins élevée (couverture complète du centre par des nuages de la moyenne troposphère), -21.2°C pour Harvey en 1981 et -43°C pour Omar en 2008, la ceinture nuageuse d’au moins 0.5 degré de rayon doit comporter des sommets plus froids, -64°C à -69°C dans le cas d’Harvey (1981) et -70°C à -75°C dans celui d’Omar, pour que l’intensité atteigne 115 nœuds (illustration 1 et tableau 1). Cela signifie que la perte de définition de l’œil peut être compensée par une convection renforcée autour de ce dernier dans la technique de Dvorak (1984). Sur la période 1978-2018, notre ré- analyse a permis de recenser 65 ouragans des catégories 4 et 5 contre 67 dans la base de données du Hurricane Center de Miami (Hurdat, 1945-2018 ; NHC, 2019), soit une différence marginale. Ainsi, il a été possible de déterminer un premier groupe d’ouragans obtenu par des observations d’avions (1945 à 1977), et un second groupe analysé avec l’imagerie satellitaire sur 41 années (1978 à 2018). Malgré un certain manque d’homogénéité entre les deux échantillons mentionnés ci-dessus, l’Atlantique Nord est le seul bassin océanique du globe où il existe 74 saisons cycloniques pour étudier les variations de l’activité des ouragans extrêmes.

Les variations de l’activité des ouragans extrêmes

Les variations décennales

9 La distribution décennale ne montre pas une augmentation constante du nombre d’ouragans des catégories 4 et 5 entre 1945 et 2018 (illustration 2).

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Illustration 2 - Variations décennales du nombre d’ouragans extrêmes de 1945 à 2018

Sources : à partir de la base Hurdat, de la ré-analyse de l’intensité faite par les auteurs et de Knight et al. (2005).

10 En outre, le test de Mann-Kendall avec un faible « coefficient Tau » de 0.099 (calculé à la manière d’un coefficient de corrélation entre le nombre d’ouragans extrêmes et le temps) et une « P-value » élevée de 0.249 (soit un risque d’erreur de 24.9 %) permet de conclure à l’absence de tendance sur la période 1945 à 2018. L’activité a été assez importante sur les 20 premières années de la période, notamment avec un maximum de 19 ouragans extrêmes durant la décennie 1955-1964. Elle a été encore plus élevée lors des 24 dernières années (incluant les quatre années de la décennie en cours) avec un maximum de 22 ouragans des catégories 4 et 5 pendant la décennie 1995-2004, la plus prolifique de toute la période. Cependant, ces deux maxima d’activité sont séparés par 30 années (1965 à 1994) durant lesquelles le nombre décennal est descendu entre 6 et 9 ouragans extrêmes. Cette évolution pourrait être « pilotée », en grande partie, par l’oscillation multi-décennale atlantique (dont les phases sont représentées à l’illustration 2) connue sous l’abréviation d’AMO pour « Atlantic Multidecadal Oscillation » (Landsea et al., 1999 ; Trenberth et Shea, 2006). Il s’agit d’une variation naturelle de la température de surface de l’Atlantique Nord, de l’équateur jusqu’à 60 degrés Nord, provoquée par les changements de la circulation thermo-haline à l’échelle multi-décennale (Knight et al., 2005). L’amplitude de la température océanique de surface atteint, en moyenne, 0.4°C entre une phase négative et une phase positive de l’AMO dans l’Atlantique tropical. Ces deux dernières ont une durée de l’ordre de 30 à 35 années, soit 60 à 70 ans pour un cycle complet. Goldenberg et al. (2001) ont été les premiers à mettre en évidence une corrélation entre l’AMO et l’activité des ouragans majeurs des catégories 3 à 5 (100 nœuds et plus). Klotzbach et Gray (2008) ont montré un doublement du nombre des ouragans majeurs en phase positive. Lors de cette dernière, la température de l’océan est, certes, plus élevée mais d’autres facteurs de la cyclogenèse deviennent plus favorables (Goldenberg et al., 2001). Le cisaillement vertical de la composante horizontale du vent faiblit avec la réduction de la vitesse du vent d’ouest d’altitude (200 hPa), et le ralentissement des alizés provoqué par le

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réchauffement très marqué de l’Atlantique Nord subtropical. L’instabilité est renforcée avec un océan plus chaud, une pression atmosphérique de surface plus faible, et une humidité plus forte dans les couches moyennes de la troposphère (700 hPa à 500 hPa). A l’inverse, en phase négative de l’oscillation multi-décennale atlantique, les facteurs de la cyclogenèse deviennent moins favorables. La première phase positive du XXe siècle est intervenue de 1930 à 1964, et la seconde, en cours, a débuté en 1995 (Trenberth et al., 2019). La dernière phase négative a pris place entre 1965 et 1994. L’évolution de l’activité des ouragans extrêmes (115 nœuds au moins) décrite ci-dessus s’inscrit bien dans le cadre de cette oscillation multi-décennale puisque le nombre décennal maximal des deux dernières phases actives (19 pour 1955-1964, et 22 pour 1995-2004) correspond au moins au double de celui de la dernière phase négative (neuf pour 1975-1984, et huit pour 1985-1994). Le tableau 2 met en évidence une activité plus importante des ouragans de toutes catégories (1 à 5) lorsque l’AMO est en phase positive.

Tableau 2 - Répartition des ouragans selon l’intensité et la phase de l’AMO

Sources : à partir de la base Hurdat, de la ré-analyse de l’intensité des ouragans faite par les auteurs, et de Knight et al. (2005).

11 Durant cette partie du cycle de l’AMO, la proportion des ouragans des catégories 4 et 5 augmente fortement avec 26.6 % (82/308) de l’ensemble des ouragans (catégories 1 à 5) contre 14.7 % (23/156) en phase négative de l’AMO. Le test du Khi-deux de Pearson, qui évalue l’indépendance ou la dépendance de deux variables (test de relation bi-variée), ici les cycles positifs et négatifs de l’AMO, indique un « Khi-carré » calculé de 8.1 (supérieur à la valeur théorique de 0.0039 à 5 %, degré de liberté de 1) et une « P-value » très faible de 0.004 (soit un risque d’erreur de 0.4 %). Ces chiffres attestent du lien très fort entre un nombre plus élevé d’ouragans extrêmes et les phases positives de l’AMO.

12 L’exemple de l’Atlantique Nord indique qu’il faut rester prudent quant à l’interprétation des statistiques figurant dans les bases de données au regard des cycles naturels pouvant exister. En effet, dans leurs travaux publiés par la célèbre revue scientifique Science, Webster et al. (2005) avaient trouvé un fort accroissement de 56 % du nombre des ouragans des catégories 4 et 5 dans l’Atlantique Nord: 16 pour la période 1975-1989, et 25 pour celle 1990-2004. En fait, les quinze premières années coїncident avec une phase négative de l’AMO (Trenberth et al., 2019) tandis que dix des quinze années de la seconde période se sont produites en phase positive. Webster et al. (2005) avaient attribué cette évolution au seul réchauffement climatique actuel. Nous avons fait un exercice comparable en divisant les 74 années de notre période d’étude en deux sous périodes de 37 années, 1945-1981, d’une part, et 1982-2018, d’autre part (illustration 3).

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Illustration 3 - Nombre d’ouragans extrêmes entre 1945-1981 et 1982-2018

Sources : à partir de la base Hurdat et de la ré-analyse de l’intensité des ouragans faite par les auteurs.

13 Le nombre d’ouragans extrêmes est passé de 46 à 59, soit une hausse encore conséquente de 28 %. Parallèlement, le nombre total d’ouragans (catégories 1 à 5) est passé de 223 à 241, soit une augmentation de 8.1 %. La proportion d’ouragans des catégories 4 et 5 s’est légèrement accrue, 20.6 % pour la période 1945-1981 contre 24.5 % pour 1982-2018. Le test du Khi-deux portant sur l’évolution du nombre d’ouragans extrêmes entre ces deux périodes indique un « Khi-carré » calculé de 0.6 (supérieur à la valeur théorique de 0.0039 à 5 %, degré de liberté de 1) et une « P-value » de 0.44 (soit un risque d’erreur de 44 %). Ces valeurs montrent que l’augmentation du nombre d’ouragans extrêmes entre ces deux périodes n’est pas significative. D’ailleurs, il faut noter que les 37 années de 1945 à 1981 comportent 20 années en phase positive de l’AMO, et 17 années en phase négative alors que les 37 autres années de 1982 à 2018 en comptent 24, et 13 années, respectivement (Trenberth et al., 2019). Ayant montré précédemment un lien fort entre le nombre plus élevé d’ouragans extrêmes et les phases positives de l’AMO, il est normal que la période 1982-2018 ait eu plus d’ouragans des catégories 4 et 5 puisque la période précédente 1945-1982 comportait plus d’années en phase négative de l’AMO.

14 Par ailleurs, à la phase positive actuelle de l’AMO, se superpose une augmentation supplémentaire de la température de l’océan liée au réchauffement climatique en cours. Le Groupe Intergouvernemental d’Experts sur l’évolution du Climat (GIEC) estimait dans son rapport de 2013 (Christensen et al., 2013) que la température de l’océan se réchauffait de 0.1°C par décennie depuis le début des années 1970. Klotzbach et Landsea (2015) quantifient l’accroissement total de la température de l’Atlantique Nord tropical (de 5 à 25 degrés Nord, et de 20 à 90 degrés Ouest, entre juin et octobre) à 0.8°C (27.2°C à 28°C) entre 1975 et 2014, soit en quatre décennies. C’est la région

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océanique du globe qui s’est le plus réchauffée aux latitudes tropicales au cours des 40 dernières années. Si l’on retranche à l’augmentation de 0.8°C constatée de 1975 à 2014 0.4°C dû à l’amplitude de l’AMO (1975 à 1994 ont été en phase négative ; de 1995 à 2014, la phase est positive), il est possible d’estimer l’effet du réchauffement climatique à 0.4°C de 1975 à 2014, en conformité avec l’estimation du GIEC (Christensen et al., 2013). Emanuel (1987) a montré qu’un réchauffement océanique de 1°C pouvait provoquer une augmentation de l’intensité potentielle des cyclones tropicaux de 5 %. Le seul réchauffement climatique actuel aurait une influence encore faible sur l’intensité des ouragans de l’Atlantique Nord. C’est l’effet conjugué d’une phase positive de l’AMO et du changement climatique qui explique la forte hausse de l’activité des ouragans extrêmes mentionnée par Webster et al. (2005).

Les variations interannuelles

15 Il existe une forte variabilité de l’activité des ouragans des catégories 4 et 5 à l’échelle interannuelle (figure 4). Le maximum de cinq ouragans extrêmes a été observé en 1961, 1999, et 2005 alors qu’aucun n’a été décelé à 19 reprises dans l’Atlantique Nord.

Illustration 4 - Le nombre annuel d’ouragans extrêmes de 1945 à 2018 lors des épisodes El Niño et La Niña

Sources : à partir de la base Hurdat, de la ré-analyse de l’intensité faite par les auteurs, du National Center for Environmental Information (NCEI), du Climate Prediction Center (CPC), et de Knight et al. (2005).

16 Si l’AMO a une influence incontestable sur l’activité des ouragans les plus intenses, d’autres événements océano-atmosphériques pluriannuels sont connus pour limiter ou favoriser la genèse et l’intensification des cyclones tropicaux. Les épisodes El Niño limitent le nombre et l’intensité des ouragans atlantiques tandis que les évènements La Niña s’accompagnent d’une activité très marquée (Gray, 1984 ; Bove et al., 1998). Les épisodes El Niño se caractérisent par l’arrivée d’eaux chaudes dans le Pacifique équatorial de 5 degrés Nord à 5 degrés Sud, et de 120 degrés à 170 degrés Ouest alors que les évènements La Niña correspondent à un refroidissement sensible de cette même région (Kuleshov et al., 2009) lié à un renforcement de l’upwelling côtier. Quand il existe une anomalie positive de la température de l’océan (TSO) égale ou supérieure à 0.5°C sur au moins six mois, il s’agit d’un phénomène El Niño (CPC, 2019). À l’inverse, une anomalie négative égale ou supérieure à 0.5°C indique le possible développement d’un événement La Niña. Ces deux phases océaniques chaudes et froides ont aussi une

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composante atmosphérique, l’indice d’oscillation australe (Walker, 1924 ; Diamond et al., 2013), qui mesure l’anomalie de la différence de pression atmosphérique entre Tahiti et Darwin. Une période de plusieurs mois avec un indice négatif (positif) traduit l’existence d’un épisode El Niño (La Niña) (NCEI, 2019a). Les phénomènes El Niño et La Niña inscrits à l’illustration 4 ont été établis à partir des anomalies de la température de la mer, et de la pression atmosphérique mentionnées ci-dessus. Les données d’anomalie de la température de l’océan n’étant pas antérieures à 1950 (NCEI, 2019a), la période considérée va de 1950 à 2018, soit 69 années. Les dix plus importants épisodes El Niño et La Niña ont été retenus (illustration 4). Le nombre d’ouragans extrêmes a été de six lors des phénomènes El Niño, et de 27 durant les phases La Niña, soit une moyenne par épisode de 0.6, et 2.7, respectivement, à comparer avec la moyenne de 1.4 pour la période 1950-2018 (tableau 3).

Tableau 3 - Répartition des ouragans selon l’intensité, les épisodes El Niño, La Niña, et les phases neutres de l’indice d’oscillation australe de 1950 à 2018

Sources : à partir de la base Hurdat, de la ré-analyse de l’intensité des ouragans faite par les auteurs et de Diamond et al. (2013).

17 La proportion d’ouragans extrêmes (catégories 4 et 5) dans l’ensemble des ouragans (catégories 1 à 5) est de 22.9 % (100/436) durant la période 1950-2018. Elle n’atteint que 15.8% (6/38) lors des dix années d’El Niño alors qu’elle s’élève à 34.2 % (27/79) durant les dix années où La Niña est observée, soit un doublement. Un test du Khi-deux calculé entre le nombre de cas d’ouragans selon les catégories de Saffir-Simpson lors des 3 phases de TSO est de 7.1 (supérieur à la valeur théorique de 0.103 à 5 %, et pour 2 degrés de liberté) et une « P-value » de 0.02 (soit un risque d’erreur de 2 %). Ces valeurs permettent d’affirmer que le nombre d’ouragans extrêmes est significativement plus élevé lors des épisodes La Niña que lors des phases El Niño.

18 Si l’activité des ouragans des catégories 4 et 5 est plus élevée lors des évènements La Niña, cela ne provient pas de la différence de température de l’océan avec les épisodes El Niño. En effet, nous avons comparé les deux épisodes El Niño et La Niña les plus forts de la période 1950-2018 (illustration 5) au regard des températures du mois d’août, représentatives du milieu de l’été. Durant la phase La Niña 1999, cinq ouragans extrêmes ont évolué dans l’Atlantique Nord alors qu’aucun n’a atteint cette intensité lors de l’épisode El Niño 1997.

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Illustration 5 - Comparaison de la température de l’océan et de l’activité des ouragans extrêmes durant un fort épisode El Niño (août 1997) et un fort épisode La Niña (août 1999)

Sources : à partir de Earth System Research Laboratory (ESRL), Physical Sciences Division, NOAA et de la ré-analyse de l’intensité des ouragans faite par les auteurs.

19 Pourtant, l’isotherme 28°C délimitait un espace océanique comparable. Et la température de 28°C est propice au développement des ouragans extrêmes (Michael et al., 2006). Goldenberg et Shapiro (1996) attribuent cette différence d’activité au très fort cisaillement vertical du vent qui limite la cyclogenèse et l’intensification des ouragans lors des phases El Niño. Ces dernières s’accompagnent dans l’Atlantique tropical d’un renforcement de la vitesse des vents d’ouest en haute troposphère, et d’un alizé de basses couches plus fort lié à une pression atmosphérique plus élevée au centre des anticyclones subtropicaux.

Les ouragans les plus intenses de l’Atlantique Nord

20 Le manque de technologie a longtemps été un frein pour évaluer de manière précise l’intensité des cyclones tropicaux les plus violents du globe. L’Atlantique Nord a aussi été confronté à ce problème malgré les informations de la base Hurdat (1945-2018) (tableau 4).

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Tableau 4 - Les ouragans de catégorie 5 les plus intenses de l’Atlantique Nord

Source : d’après la base Hurdat.

21 Les ouragans du début de l’ère des reconnaissances aériennes (1945-1960) sont sous représentés avec la seule présence de Janet à 150 nœuds (280 km/h) en 1955. Durant cette période, il était fréquent que les avions n’arrivent pas à traverser le mur de l’œil des ouragans de catégorie 5 (vents supérieurs à 135 nœuds, 250 km/h), du fait des fortes turbulences pour atteindre l’œil (Jarvinen et al., 1984). Nous avons mentionné l’ouragan du 3 septembre 1935 même s’il est bien antérieur à notre période d’étude. Il s’est formé au tout début de la phase positive de l’AMO 1930-1964. Il s’agit d’un phénomène d’une pression centrale de 892 hPa enregistrée par un baromètre dans les Florida Keys (Rappaport et al., 1991). Cette mesure, qui a été certifiée par le bureau météorologique américain de l’époque, reste le record de plus basse pression observée sur un territoire américain. Cet ouragan a été estimé à 160 nœuds (295 km/h) par des ingénieurs compte tenu des dégâts très importants subis par certaines infrastructures. Dans la base Hurdat (1945-2018), Allen (1980) représente l’ouragan le plus intense de l’Atlantique Nord avec des vents estimés à 165 nœuds (305 km/h). Il devrait bientôt faire l’objet d’une ré-analyse par le National Hurricane Center de Miami. En effet, Camille (1969) avait aussi des vents de 165 nœuds dans la base de données avant d’être rétrogradé récemment à 150 nœuds (Kieper et al., 2016).

22 Nous avons procédé à la ré-analyse de l’intensité des plus forts ouragans ayant bénéficié d’une couverture satellitaire régulière depuis le début de l’archivage des images en 1978 (Hursat, 1978-2009 ; TCP, 2006-2018). Notre analyse livre des intensités comparables à celles de la grande majorité des ouragans du tableau 4. Nous avons retenu quatre ouragans pour effectuer une comparaison à partir de la méthode de Dvorak mentionnée au début de cette étude. Il s’agit de Gilbert (1988), Wilma (2005), Irma (2017), et Allen (1980). De ces quatre ouragans, seul Irma (2017) a été investigué

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par des reconnaissances aériennes associées à une technologie qui n’existait pas encore pour les trois autres. Un radiomètre à micro-ondes fixé sous l’une des deux ailes de l’avion, et traquant l’émissivité des embruns en déplacement à la surface de l’océan a permis de mesurer des vents soutenus de 155 nœuds (285 km/h) lors de plusieurs missions les 5 et 6 septembre 2017 (Cangialosi et al., 2018). Cela correspond à une intensité de 7.5 sur l’échelle ouverte de Dvorak (1984) qui va jusqu’à 8. Bien qu’Irma soit considéré comme le deuxième ouragan le plus intense de l’Atlantique Nord par certains sites spécialisés comme Keraunos (2017), notre analyse et celle du National Hurricane Center de Miami attribuent, à minima, une intensité supérieure à Gilbert (1988), à Wilma (2005), et à l’ouragan de 1935. Nous avons pris aussi l’exemple de l’ouragan Patricia dans le Pacifique Est (au large du Mexique) dont les vents ont été mesurés à 180 nœuds (335 km/h) par le radiomètre à micro-ondes le 23 octobre 2015 à 06h00 UTC (Kimberlain et al., 2016). C’est le cyclone le plus intense à avoir été observé avec cette technologie, 8.2 sur l’échelle de Dvorak. Le super typhon Haiyan estimé à 170 nœuds (315 km/h), 8.0 sur l’échelle de Dvorak, n’en avait pas bénéficié (Hoarau et al., 2017). Sur l’imagerie satellitaire (illustrations 6), Patricia a affiché une ceinture nuageuse autour de l’œil avec des sommets très froids jusqu’à -88°C. Des quatre ouragans de l’Atlantique Nord retenus, Gilbert avait la configuration nuageuse la plus comparable à celle de Patricia.

Illustrations 6 - Comparaison de quatre des plus intenses ouragans de l’Atlantique Nord de l’ère satellitaire avec l’un des plus forts cyclones tropicaux observés sur le globe, Patricia

Sources : à partir des fichiers bruts du National Climatic Data Center (NCDC) et de la base Hursat.

23 Notre estimation correspond à une intensité de 8.0 sur l’échelle de Dvorak, soit 170 nœuds, un peu au-dessus des 160 nœuds du National Hurricane Center de Miami (Lawrence et Gross, 1989). Nous avons aussi réévalué à 165 nœuds (305 km/h) l’intensité de Wilma au lieu des 160 nœuds du Hurricane Center de Miami (Pasch et al.,

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2006). La comparaison des images indique aussi que l’ouragan Allen (1980) avait une configuration nuageuse comparable à celle d’Irma (2017). Nous lui avons attribué des vents soutenus de 155 nœuds au lieu des 165 nœuds de la base Hurdat (1945-2018). D’après l’imagerie satellitaire, Gilbert (1988) est donc l’ouragan le plus intense de l’Atlantique Nord, au moins depuis 1978.

Conclusion

24 Cette recherche a mis en évidence les variations de l’activité des ouragans extrêmes dans l’Atlantique Nord. Aucune tendance à la hausse de l’intensité absolue des ouragans par décennie n’est constatée dans cette étude par les méthodes utilisées. Notre ré- analyse a permis de considérer que Gilbert (1988) était l’ouragan le plus intense depuis le début de l’ère satellitaire avec des vents soutenus estimés à 170 nœuds (315 km/h) au lieu de 160 nœuds (Lawrence et Gross, 1989). La distribution décennale sur la période 1945-2018 montre une forte activité des ouragans des catégories 4 et 5 lors des phases positives de l’AMO avec un nombre plus élevé et une proportion plus forte dans l’ensemble des ouragans (catégorie 1 à 5), et une activité réduite en phase négative. La plus récente phase active de 24 années, de 1995 à 2018, s’est accompagnée d’un nombre moyen par année d’ouragans extrêmes légèrement plus élevé que celle des vingt années entre 1945 et 1964, 1.6 et 2.1, respectivement. Cette légère différence pourrait provenir de l’influence du réchauffement climatique en cours. La phase positive actuelle de l’AMO devrait prendre fin au début des années 2030, si sa durée est comparable à celle intervenue entre 1930 et 1964 (Trenberth et al., 2019). Une interrogation concerne l’évolution de l’activité des ouragans extrêmes durant la prochaine phase négative de l’AMO si l’on retranche à la température de l’Atlantique Nord 0.4°C, différence entre une phase positive et celle négative de l’AMO. Cependant, le réchauffement climatique aura « apporté » une hausse d’au moins 0.8°C entre 1975 et 2030 si l’on extrapole l’augmentation de 0.1°C par décennie déjà constatée par le GIEC (Christensen, 2013).

25 Si l’attention est souvent focalisée sur la température de l’océan, un autre facteur décisif pourrait être le cisaillement vertical du vent. De Maria et Kaplan (1994) ont montré que seulement 20% des ouragans de l’Atlantique Nord atteignaient 80% de leur intensité maximale potentielle du fait d’un cisaillement défavorable. Si le cisaillement devient favorable au développement des ouragans extrêmes lorsqu’il accompagne une phase positive de l’AMO (Goldenberg et al., 2001), le restera-t-il à l’avènement d’une phase négative ? Autrement dit, le cisaillement favorable aux ouragans est-il lié aux phases positives de l’AMO, et aux épisodes La Niña (Goldenberg et Shapiro, 1996), ou aussi à une hausse de la température de l’océan due au changement climatique ? Vecchi et Soden (2007b) projetaient un cisaillement vertical plus élevé dans l’Atlantique Nord, et le Pacifique Est avec un climat plus chaud. Cependant, ce type de travaux n’a pas été réactualisé à notre connaissance.

26 Une autre incertitude existe sur la connexion entre le réchauffement climatique, et les épisodes El Niño et La Niña. Dans un climat plus chaud, quelle sera la fréquence de ce type d’événements ? Les dix années les plus chaudes du globe se sont produites depuis 1998 (NCEI, 2019b). Dans cette période, il y a eu un fort El Niño en 2015, et quatre forts épisodes La Niña, 1998, 1999, 2007, 2010 (NCEI, 2019a ; CPC, 2019). On a vu que l’activité des ouragans extrêmes de l’Atlantique était plus élevée (nombre et proportion) avec La Niña. Cependant, il n’y a plus eu d’événement La Niña significatif depuis 2010.

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27 Malgré les incertitudes évoquées ci-dessus, les études les plus récentes continuent à projeter une hausse assez forte, pour la deuxième partie du XXIe siècle, du nombre des cyclones tropicaux associés à des vents d’au moins 115 nœuds à l’échelle globale (Knutson et al., 2015). L’Atlantique Nord fait partie des régions où les modèles projettent une activité forte des ouragans extrêmes dans le futur. Pour l’instant, il est difficile de déceler un signal net de l’effet du changement climatique, compte tenu des cycles multi-décennaux et interannuels.

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RÉSUMÉS

Cette recherche sur l’Atlantique Nord tente d’établir un lien entre l’activité des ouragans extrêmes (catégories 4 et 5) et le réchauffement climatique sur la période 1945-2018. L’intensité des ouragans de 1945 à 1977, estimée grâce aux reconnaissances aériennes, provient de la base de données Hurdat du National Hurricane Center de Miami. Celle des ouragans de 1978 à 2018 a été estimée avec la technique de Dvorak à partir de l’imagerie satellitaire (début des archives en 1978). Trois indicateurs ont été étudiés : le nombre d’ouragans extrêmes, leur proportion dans l’ensemble des ouragans (catégories 1 à 5) et l’intensité absolue des ouragans par décennie. Sur la période 1945-2018, il n’y a pas de tendance à la hausse du nombre des ouragans extrêmes. La proportion de ces derniers dans l’ensemble des ouragans augmente fortement avec les phases positives de l’Oscillation Multi-décennale Atlantique (AMO), et elle diminue sensiblement avec les phases négatives de l’AMO. La proportion double lors des épisodes La Niña par rapport aux phases El Niño de l’Oscillation Australe du Pacifique. Il n’y a pas eu de hausse de l’intensité absolue des ouragans par décennie. Il est encore difficile de détecter un possible signal du réchauffement climatique sur les ouragans du fait des variations naturelles à différentes échelles temporelles.

This research concerning the North Atlantic Ocean is trying to establish a link between the extreme hurricanes (categories 4 and 5) activity and the global warming over the period 1945-2018. The hurricanes intensity has been estimated from 1945 to 1977 with the aircraft reconnaissances. These data come from the Hurdat database of National Hurricane Center in Miami. From 1978 to 2018, the intensity has been estimated with the Dvorak’s technique from the satellite pictures (archived from 1978). Three indicators have been studied: the extreme hurricanes number, their proportion in the category 1 to 5 hurricanes, and the absolute intensity of hurricanes for each decade. There is no trend in the number of extreme hurricanes over the period 1945-2018. The proportion of these hurricanes strongly increased with the positive phases of the Atlantic Multidecadal Oscillation (AMO), and deeply decreased in a negative phase. The proportion doubled during La Niña events compared to the El Niño events. There is no trend in the absolute intensity of hurricanes per decade. It is still complicated to detect a possible global warming signal in hurricanes data with the natural variations on multiple time-scales.

INDEX

Mots-clés : ouragan extrême, oscillation multidécennale, El Niño, La Niña, réchauffement climatique Keywords : extreme hurricanes, multidecadal oscillation, El Niño, La Niña, global warming Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

KARL HOARAU Karl Hoarau, [email protected], est enseignant-chercheur à l’Université de Cergy-Pontoise. Il a récemment publié : - Hoarau K., Chalonge L., Pirard F., Perusaubes D., 2018. Extreme tropical cyclone activities in the southern Pacific Ocean (1980-2016). International Journal of Climatology, vol. 38, n° 3, p. 1409-1420. - Hoarau K., Lander M., De Guzman R., Guard C., Barba R., 2017. Did Typhoon Haiyan have a new record-minimum pressure? Weather, vol. 72, n° 10, p. 291-295.

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- Hoarau K., Bernard J., Chalonge L., 2012. The intense tropical cyclones activities in the North Indian Ocean. International Journal of Climatology, vol. 32, n° 13, p. 1935-1945.

FLORENCE PIRARD Florence Pirard, [email protected], est enseignant-chercheur à l’Institut Universitaire Technologique de Cergy-Pontoise. Elle a récemment publié : - Hoarau K., Chalonge L., Pirard F., Perusaubes D., 2018. Extreme tropical cyclone activities in the southern Pacific Ocean (1980-2016). International Journal of Climatology, vol. 38, n° 3, p. 1409-1420.

LUDOVIC CHALONGE Ludovic Chalonge, [email protected], est ingénieur d’études au CNRS. Il a récemment publié : - Hoarau K., Chalonge L., Pirard F., Perusaubes D., 2018. Extreme tropical cyclone activities in the southern Pacific Ocean (1980-2016). International Journal of Climatology, vol. 38, n° 3, p. 1409-1420.

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Adaptation aux cyclones et au risque de submersion marine dans les communes littorales de Guadeloupe

Michel Desse, Monique Gherardi et Simon Charrier

« Quelle importance sociale doit-on donner aux risques naturels ? Comment construire intellectuellement un système de risques qui prenne en compte à la fois les risques auxquels une société est soumise et tous les avantages recherchés qui leurs sont associés ? ».

1 Ce questionnement proposé par Hervé Franquart (2016) est au cœur de la problématique des littoraux guadeloupéens qui devraient connaître d’ici 2100 une remontée de la mer estimée entre 40 et 60 cm auxquels se rajouteront épisodiquement des surcotes cycloniques pouvant atteindre localement 3 voir 5 m. Les territoires affectés présentent de très fortes densités souvent supérieures à la moyenne insulaire (253 hab/km2), du fait de la présence des terrains plats qui attirent les populations et les entreprises (Pagney Bénito-Espinal, 1998). La Guadeloupe connaît un accroissement continu de sa population dans les bourgs littoraux depuis 1848, qui s’est renforcé dans les années 1950 dans un contexte d’abandon de l’agriculture vivrière et caféière sur la côte-sous-le-vent et depuis les années 1980 avec le déclin de la monoculture de la canne à sucre en Grande-Terre. Parallèlement les autres activités traditionnelles comme la petite pêche, l’agriculture vivrière et, plus récemment, la filière de la banane périclitent au grès des aléas climatiques (tempêtes tropicales, cyclones, mais aussi épisodes de sécheresse), des politiques agricoles de l’UE, ou à l’occasion de ruptures liées aux crises économiques ou environnementales. Dans ces conditions, le développement du secteur touristique et des loisirs qui génère des emplois accroît l’attractivité des bourgs littoraux qui demeuraient essentiellement tournés vers la pêche et quelques fonctions d’encadrement (Desse, 2011). Dans le même temps, avec l’accentuation des politiques de rattrapage dans le cadre de la départementalisation, puis avec les différentes politiques régionales d’aménagement, ces bourgs connaissent des mesures de résorption de l’habitat insalubre (RHI) pour améliorer les conditions

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d’habitat ou de relocalisation des populations sinistrées à la suite du passage des différents cyclones qui affectent l’île1 (Pagney Bénito-Espinal, 2002). La violence et les dégâts occasionnés par le passage de Hugo en 1989 ont constitué un événement fondateur et transformé le regard des élus sur le littoral. Le triptyque case de pêcheur, canot sur la plage et la mer, véritable lieu de vie du méritoire traditionnel devient peu à peu pour les collectivités, une marge qu’il convient de se réapproprier et d’aménager pour limiter les risques et les dégâts occasionnés par les houles cycloniques.

2 À priori, ces réaménagements précurseurs aux zones établies après Xynthia en métropole apparaissent comme des formes de résilience des communautés littorales et des collectivités locales.

Les cyclones accélérateurs des ruptures économiques et sociales

3 Le passage d’un cyclone constitue un choc pour les habitants et leur support de vie économique et social, entraînant des ruptures sociétales et économiques. Passées les premières semaines, les choix de reconstruction s’imposent (Lassailly-Jacob et Desse, 2010). Au travers de deux exemples touchant les mêmes sociétés insulaires, nous analyserons les stratégies positives et proactives ou au contraire les paralysies par manque de moyens et de stratégie prospective dans un contexte de crise mondiale.

4 En 1989, le cyclone Hugo a ravagé la Guadeloupe et en particulier la Grande-Terre. Le cyclone a entraîné la mort d’une dizaine de personnes. Les dégâts furent énormes et sont estimés à 4 milliards de francs affectant un grand nombre de cases en bois des ouvriers agricoles et des plus démunis qui n’ont pas résisté en campagne comme dans les bourgs (21 000 sans-abris).

5 Les secteurs économiques ont aussi été très touchés. En effet, les vents ont détruit la quasi-totalité des cultures maraîchères, les bananeraies de la Basse-Terre et les champs de cannes à sucre qui constituaient une quasi-monoculture en Grande-Terre causant, pour 466 millions de francs de dommages. Ce système reposant sur les cultures d’exportation montrait ses limites et bénéficiait depuis la fin des années 1960, de subventions par les collectivités territoriales, l’État et l’Union Européenne. Tous les indicateurs montraient un modèle agricole à bout de souffle dans un contexte de chômage grandissant : la concurrence du sucre cubain et brésilien, l’échec de la réforme foncière qui offrait des petites propriétés juste rentables en 1960, mais qui ne permettait plus d’attirer les jeunes exploitants à la fin des années 1980. Les secteurs du tourisme sont aussi atteints pour un montant estimé à 152 millions de francs, soit un coût total des réparations qui atteint les 610 millions d’euros (Desse, 2013).

6 Quelques mois plus tard pour les uns, quelques années pour d’autres, les aides de l’État et les financements multiples ont finalement profité à de nombreux Guadeloupéens qui ont remplacé leurs cases sinistrées par des villas en brique couvertes d’une dalle en béton et très vite surmontée par un toit en tôle. Dans le domaine agricole, une réflexion de fond a permis de tourner le dos à la monoculture de la canne pour des productions plus rentables comme le melon vendu en métropole en hiver ou le maraîchage. Les soles cannières qui demeurent sont centrées autour de l’unique centrale sucrière, toujours subventionnée mais qui opère une reconversion afin de mieux valoriser sa production pour le tourisme et l’hôtellerie par exemple. Les pêcheurs qui ont subi

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d’importants dégâts (perte des canots, des engins de pêche, des installations à terre ont aussi été indemnisés entrainant le passage du canot traditionnel en bois, faiblement motorisé, au canot en polyester à coque semi-planante doté d’une forte motorisation. À terre, les installations regroupées autours de petits ports de pêche artisanale bénéficient de machines à glace, d’étals de vente aux normes européennes, de locaux pour les marins-pêcheurs.

7 Le secteur du tourisme, déjà dynamisé par les lois de défiscalisation de 1986, est aussi aidé, permettant la modernisation de certains hôtels internationaux construits depuis une quinzaine d’années. Surtout, les financements ont permis l’essor des services touristiques auprès de la population locale. Les subventions ont participé à l’appropriation de l’économie touristique et la diffusion des chambres d’hôtes rendue possible par l’amélioration de l’habitat et la hausse du niveau de confort. On assiste à la multiplication des petits complexes de location de bungalows, des sociétés de location de voiture, d’engins de plage ou de découverte de l’île en bateau, en plongée… Les dégâts occasionnés aux ports de plaisance du Bas du Fort et de Saint-François ont aussi permis des réparations et des agrandissements qui ont attiré les compagnies de locations de voiliers de plaisance déjà intéressées par les lois de défiscalisation. Au-delà du traumatisme qui marque durablement les habitants, Hugo a donc eu des retombées bénéfiques parce que déjà la société guadeloupéenne et les collectivités territoriales renforcées par les lois de décentralisation de 1981 amorçaient une dynamique économique positive. Le cyclone a finalement permis une certaine rupture accélérée par un fort investissement de l’État et de l’Union européenne.

8 Quand les îles traversent des conjonctures économiques et sociales dégradées, l’impact du cyclone est plus profond, entrainant des ruptures régressives qui débouchent sur de véritables crises sociales et politiques parce que les sociétés et les économies n’arrivent pas à se remettre du choc initial. Ce fut le cas avec le cyclone Dean (vents à 180 km/h) qui a ravagé la Martinique et la Guadeloupe le 17 août 2007, entraînant la destruction des cultures maraîchères et vivrières, des plantations de bananiers (50 000 ha à la Martinique). En mer, les nasses, les filets et les DCP, dispositifs de concentration de poisson2 mouillés au large, sont perdus. Le cyclone a aussi réduit de 10 % la production du secteur secondaire et touche directement la petite hôtellerie qui ne peut faire face à la diminution de la clientèle durant plusieurs semaines. En 2007, la conjoncture internationale a changé et surtout, la très forte augmentation du prix du pétrole rappelle les contraintes de l’insularité qui semblaient être dépassées par les progrès de l’internet, la multiplication des compagnies aériennes et l’essor du trafic par conteneur qui offre davantage de flexibilité pour les productions agricoles locales et notamment la banane (Desse, 2013).

9 En 2007, le secteur touristique est largement en crise dans les Antilles françaises qui subissent la concurrence de Cuba et de Saint-Domingue offrant une hôtellerie de meilleure qualité, et répondant aux nouvelles attentes de la clientèle à des prix plus économiques. De nombreux hôtels sont fermés et des friches hôtelières apparaissent même dans des zones hôtelières prestigieuses (Marina du François en Guadeloupe, Pointe du Bout à la Martinique, Saint-Martin). Le secteur de la croisière est aussi en difficulté puisque depuis les attentats de 2001, les compagnies de croisières préfèrent se recentrer sur les îles anglophones, entraînant encore une forte diminution de cette activité. Dans le secteur agricole, les espoirs engendrés par la diversification des cultures sont déçus et les débouchés demeurent finalement limités. Le scandale

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naissant du chloredécone limite l’essor de filières de qualité comme l’agriculture biologique. Surtout la filière de la banane perd une grande partie de ses subventions. Depuis 2006, les négociations engagées par l’Union européenne, les États-Unis et certains pays d’Amérique latine dans le cadre de l’Organisation Mondiale du commerce ont conduit l’Union Européenne à libéraliser son marché et à réformer ses organisations communes des marchés pour la banane et le sucre. La filière sucre a ainsi abaissé de 36 % le prix de son sucre dès 2009.

10 Malgré le plan de modernisation 2007-2011 de nombreux signes de faiblesse apparaissent comme les nombreuses parcelles abandonnées, les 3 000 pertes d’emplois depuis 2003 et les inquiétantes déclarations concernant la contamination des sols par les pesticides ainsi que le champignon cercosporiose noir qui affecte les rendements et entraîne un murissement accéléré du fruit nécessitant des traitements chimiques importants.

11 Le cyclone Dean atteint la Guadeloupe déjà fortement impactée par la conjoncture économique mondiale qui est en crise. À la hausse du prix du pétrole se rajoute la crise financière. Devant ces sombres perspectives qui ne permettent pas une projection positive post-cyclonique, la Guadeloupe et la Martinique connaissent un mouvement de protestation populaire de grande ampleur du mois de décembre 2008 au mois de mars 2009 avec le Collectif, Liyannaj Kont Pwofitasyon (LKP, alliance contre l’exploitation), un mouvement social unissant quarante-huit organisations, représentatives globalement des différents secteurs de la société. L’économie des îles a été paralysée nécessitant une réflexion des collectivités et de l’État pour trouver de nouveaux ressorts de développement.

12 À travers ces deux exemples, on peut remarquer une période de latence liée à la reconstruction, aux premières récoltes et à la reprise de la saison touristique. Cependant, si en 1989, Hugo a contribué à renforcer le processus de modernisation économique et sociale, en 2007, Dean a accéléré la déprise économique contribuant au malaise social et politique qui marque la fin de l’année 2008. Finalement le même schéma apparaît avec le passage d’Irma à Saint-Martin qui a déstabilisé une société et une économie insulaire qui présentaient déjà des éléments de crise : friches hôtelière, tensions sociales… (Redon, 2006).

Les mesures adaptatives du bâti et des fonctions littorales en Guadeloupe : « l’avenir ne se prévoit pas, il se prépare » (Maurice Blondel, 1957)

13 La résilience territoriale dépend de la capacité d’adaptation des individus qui varie et se modifie en fonction de la culture, de l’âge, de la situation familiale, de la profession (illustration 1). Cette capacité d’adaptation est aussi facilitée par le niveau de vie et dépend des politiques publiques. Enfin la maitrise et la connaissance des milieux de vie constituent aussi des facteurs importants (Quenault, 2013).

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Illustration 1 – Capacité d’adaptation au changement climatique dans un contexte d'augmentation de l’intensité et du nombre de cyclones

L’adaptation des habitants

14 Quand les maisons de première ligne ne sont pas détruites par la submersion induite par les houles cycloniques ou par arrêté municipal, les résidents de bord de mer s’adaptent à la menace de submersion marine. Le renforcement de la façade des cases en bois par un mur en parpaing apparaît comme une première initiative. Avec le temps, c’est l’ensemble des murs qui sont remplacés, parfois un mur ou un enrochement protègent également la base des fondations.

15 Lorsque les habitants ont les moyens financiers nécessaires, la construction d’un étage apparaît aussi comme un moyen efficace de protection (illustration 2). L’ensemble de cette autoconstruction de protection peut transformer un front de mer et oblitérer parfois complètement l’ouverture sur la plage qui expliquait à l’origine l’installation des premières familles de marins-pêcheurs.

16 Pour les plus modestes, des vantaux métalliques qualifiés d’anti-cycloniques, permettent l’obturation des ouvertures et des façades en bois le temps du passage du cyclone. D’autres enfin s’en remettent à la providence ou à la chance.

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Illustration 2 - Front de mer à Deshaies

Cette photographie illustre les méthodes d’autoprotection des maisons par mur en béton et par un étage. En 1997, il ne restait de la plage initiale qu’un liseré de galets de 1,5 m de large. En 2018, la plage a disparu depuis une quinzaine d’années. Auteur : M. Desse, 2018

17 L’abandon volontaire des fronts de mer par les habitants permanents constitue une autre forme d’adaptation. Dans les anciens quartiers d’habitat spontané de marins- pêcheurs, comme à Baille-Argent (commune de Pointe-Noire), les femmes âgées, sont aujourd’hui majoritaires. Quelques nouveaux habitants souvent modestes occupent parfois en location, les vieilles cases. Lorsque les parents décèdent, les enfants préfèrent construire ailleurs, vers les villes ou en hauteur dans les jardins familiaux que possède un grand nombre de familles et qui participaient à la pluriactivité nécessaire à la survie des pêcheurs. Dans d’autres cas, les vieilles maisons sont louées pour la location touristique ou la restauration. À Baille-Argent, la route attire les services au détriment du bord de mer devenu un espace en marge protégé par un enrochement (illustration 3).

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Illustration 3 - Le village de pêcheur de Baille-Argent

Autrefois tourné vers son vieux port, il s’organise aujourd’hui autour de la N2. Le bord de mer n’est plus un lieu de vie, il est devenu un terrain vague bordant l’enrochement de protection.

Le rôle des politiques d’urbanisme et de prévention des risques

18 Depuis le cyclone Hugo en 1989, les municipalités et les services de l’État prennent en compte le risque de houle cyclonique qui menace à chaque hivernage les habitants du littoral. En côte-sous-le-vent de Guadeloupe, les municipalités restructurent les quartiers spontanés du front de mer construits depuis les années 1950 et recasent les habitants dans des logements évolutifs sociaux en arrière du littoral. Le quartier de Pigeon à Bouillante (Guadeloupe) a ainsi bénéficié de cette procédure. Les résidents ont été relogés dans les logements évolutifs sociaux de Desmarais et des Galets. On retrouve les mêmes opérations à Ferry (commune de Deshaies) et à l’Anse-Guyonneau à Pointe- Noire (Desse et Saffache, 2005).

19 Dans les bourgs littoraux qui se tournent vers le tourisme, la principale tension réside entre le maintien du lieu qui offre une situation économique attractive et la sécurité des personnes. À Deshaies, le POS des années 1990 présente ainsi une volonté manifeste d’une meilleure intégration du front de mer avec l’embellissement des façades et la plantation d’arbres. La construction d’un deck le long de la plage comme promenade est même envisagée (Gaspard, 1998). Des aménagements pour les marins pêcheurs sont aussi prévus à la suite de concertation avec les professionnels. Le schéma de restructuration du bourg prévoit 4 scénarios : le laissé faire, la destruction des maisons de bord de mer remplacées comme à Ferry par un enrochement, la construction d’un mur pour protéger les maisons en haut de plage ou encore celui qui prévaut depuis 2013, le libre choix aux propriétaires de se protéger en renforçant les murs des façades

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donnant sur la mer (POS de Deshaies). Le remplacement des habitations de bord de mer par des commerces et des établissements de restauration pouvant être facilement évacués, apparaît comme une mesure favorisant ce contrôle des enjeux. Ce passage d’un front de mer investi par les marins-pêcheurs, aux activités de loisir et de tourisme, est devenu nécessaire à cause de la succession de submersions marines. Il a aussi été facilité par le déclin des activités halieutiques en partie liées à la surpêche des eaux côtières et au vieillissement de la profession et d’autre part aux financements des structures touristiques locales à partir des années 1990.

20 L’État et les collectivités territoriales sont aussi des acteurs de cette requalification littorale. Le littoral juridique guadeloupéen dépend de la zone des 50 pas géométriques qui couvre une largeur de 81,20 m. Cette largeur est calculée à partir de la ligne des plus hautes marées. En 1955, afin de favoriser le développement économique, un décret reclasse l’ensemble de la zone des 50 pas géométriques dans le domaine privé de l’État. Les collectivités locales et les particuliers avaient la possibilité pendant un an de faire valider leurs droits d’occupation. En 1986, la nécessité de renforcer la protection du littoral a conduit le législateur à réintégrer cette zone dans le domaine public de l’État. Toutefois la loi littorale ainsi que la loi du 30 décembre 1996 ouvrent sous conditions des possibilités d’acquisition foncière aux occupants de cette zone (Chadenas et al., 2016).

21 Depuis 1996, ces quartiers littoraux qui ont accueilli le trop plein des campagnes sont reconnus par l’État. La loi du 30 décembre 1996 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur de la zone dite des « 50 pas géométriques » dans les départements d’Outre-mer conforte la loi littorale de 1986 en limitant les constructions aux zones urbanisées ou d’habitat diffus (Desse, 2013). Les occupants doivent prouver que la parcelle était construite avant le 1er janvier 1955 et occupée à usage d’habitation principale ou de bâtiment professionnel pour obtenir une cession à titre onéreux en fonction de la valeur vénale du terrain nu. La superficie du terrain est plafonnée à 500 m2.

22 La loi n° 2010-788 dite « Grenelle 2 » ambitionne d’arrêter le flux des constructions illicites et d’accélérer le processus de régularisation des occupants sans titre de la zone. Enfin la loi n° 2011-725 sur l’habitat informel et indigne dite loi « Letchimy » en 2011, offre aux acteurs publics la possibilité de conduire des opérations d’aménagements sur des quartiers d’habitat informel soumis à de forts risques naturels (Chadenas et al., 2016 ; illustration 4).

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Illustration 4a - Avis de recherche d’un éventuel propriétaire

Illustration 4b - État des cases traditionnelles

Cases menacées de destruction par l’agence des 50 pas géométriques dans le cadre de la loi « Letchimy » en 2011, dite de l’habitat informel et indigne. Auteur : M. Desse, 2018.

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La requalification des fronts de mer touristiques entre adaptation et anticipation : les exemples de Deshaies et de Sainte-Anne

23 En 1982, la commune de Deshaies compte 3 485 habitants (3 271 en 1961), et connait une certaine léthargie marquée par la stagnation de sa population (3 476 habitants en 1990). Le bourg regroupe l’essentiel de la population qui se localise aussi dans des quartiers (sections) littoraux à Ferry au Sud, Ziotte, la Perle, Rifflet et Grande Anse au nord ainsi que sur les pentes (Caféières et Leroux). L’appareil commercial est réduit à quelques commerces de proximité, quelques marchandes de fruits et légumes pays. Afin de s’adapter aux difficultés économiques après la crise des cultures fruitières et du café et cacao propre à la Côte-sous-le-vent, de nombreux habitants sont polyactifs, pêcheurs, agriculteurs et trouvent dans le bâtiment un complément d’emploi dans un contexte ou le chômage est important (38,5 % en 1990). On compte encore en 1986, 54 pêcheurs déclarés aux affaires Maritimes pour une centaine de saintoises et canots. Quatre hôtels, deux restaurants et un commerce de souvenirs profitent de l’arrivée des touristes. Deshaies est vantée par les guides touristiques et attire les bateaux de plaisance au mouillage et quelques artistes, en particuliers Robert Charlebois et Coluche. Trois ans après les destructions occasionnées par le cyclone Hugo, le décor a peu changé. En 1992, Deshaies reste un village enclavé au nord de la Basse-Terre et occupe la 30ème place sur 35 communes en Guadeloupe dans la hiérarchie fonctionnelle des centres qui prend en compte les commerces et les services.

24 Il faut attendre les années 1995 pour que l’on assiste au démarrage démographique (4 039 habitants en 1999 et 4 114 en 2015) et à l’essor des activités de tourisme, locations, commerces, restaurants, hôtels, clubs de plongée, excursions en mer se multiplient. Paradoxalement, alors que la plage qui bordait la première ligne de maisons disparait, l’attractivité touristique du bourg se renforce par son appareil commercial centré sur le tourisme et le loisir essentiellement localisé en front de mer (illustration 5). Peu à peu, les habitants du bord de mer ont vendu, loué ou transformé leurs locaux en restaurants, locatifs, magasins de souvenirs, club de plongée. Depuis Hugo, chaque cyclone a joué son rôle et décidé les habitants les plus exposés à se reloger ailleurs. Les premiers habitants sont peu nombreux et âgés, si les enfants conservent les vieilles maisons, c’est avant tout pour leur situation en front de mer et la possibilité de les louer à de nouveaux entrepreneurs du tourisme.

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Illustration 5 - Le bourg de Deshaies en 2018

Ce dernier est tourné vers les activités touristiques, où les activités commerciales liées au tourisme et les offres de loisirs nautiques occupent l’essentiel des maisons du front de mer.

25 La commune de Sainte-Anne située en Grande-Terre, participe à l’aire urbaine et à la zone touristique de la Grande-Terre depuis les premiers plans quinquennaux de développement du tourisme. Elle connaît une progression régulière de sa population avec 12 481 habitants en 1961, 13 826 en 1982, 20 410 en 1999 et 24 379 en 2015. Depuis les années 1980, elle apparaît comme une commune vivant du tourisme et profitant par sa position du dynamisme de Gosier et de Saint-François qui toutes les deux ont connu des investissements conséquents et des installations de grands hôtels internationaux. Avec l’installation du club Méditerranée, très vite restaurants de bord de mer et boutiques proposant des articles touristiques se développent à proximité du Club Med, mais aussi dans le bourg. Durant les années 1980, les hôtels haut de gamme, à capitaux insulaires se sont aussi implantés, entraînant le secteur de la restauration, la location de voitures, les entreprises d’excursion en mer autour des îlets de Petite et Grande- Terre. En 1989, l’agglomération a été très fortement impactée par le cyclone Hugo, puisque la submersion marine a affecté les habitations sur une centaine de mètres. Dans la partie rurale de la commune, les dégâts ont accentué la perte du petit paysannat. La tertiarisation des activités par le tourisme et l’économie résidentielle apparaît comme une opportunité. À la suite, ce village de pêcheurs a accueilli des résidences secondaires, des résidents aisés travaillant dans l’agglomération de Pointe- à-Pitre, des locations pour les Guadeloupéens comme pour les touristes métropolitains. En 2018, le front de mer de l’agglomération propose toutes les fonctionnalités d’une station balnéaire tout en conservant un décor paysager de qualité (illustrations 6a à 6d).

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26 Au centre, les plages connaissent une densité des équipements et des fonctions : jeux de plage, cafés et restaurants de plage, marché artisanal proposant des productions locales et divers services comme les excursions en mer. Un second marché alimentaire, accueillant aussi des vendeurs d’articles touristiques, intériorise cette centralité. De part et d’autre, le long du front de mer, les magasins de souvenirs et de vêtements de plage, de restauration rapide remplacent peu à peu l’appareil commercial traditionnel (épicerie) et l’habitat ancien… les petites cases ne répondant plus aux normes de confort. Ces dernières ont aussi parfois connu des atteintes du fait des houles cycloniques, entrainant parfois un simple dérangement (eau, sable) parfois de réels endommagements. Un troisième marché artisanal assure la jonction entre la zone hôtelière et le bourg. Les activités et les aménagements liés à la pêche, qui constituaient l’essentiel de l’occupation du front de mer, ont été regroupés à la marge du bourg, entre le Club Méditerranée et le bourg. À la zone hôtelière qui occupe l’ouest de la plage, répondent les petits hôtels, les entreprises proposant une dizaine de bungalows, les résidences secondaires qui s’étendent en bordure de mer (Desse et al., 2018). Ponctuellement en fin de semaine, à l’occasion d’évènements festifs, ces espaces de bord de mer connaissent des afflux de commerces ambulants (tatouages, vente de repas antillais, petit artisanat). Ce passage d’un lieu tourné vers la pêche aux fonctions récréatives et touristiques est pleinement approprié par les habitants qui y développent toutes les pratiques d’une plage standard : baignade, natation, aquagym, longe côte, promenade sans oublier les pratiques locale des repas familiaux en bord de mer.

Illustration 6a - Plan de localisation

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Illustration 6b - Bourg de Sainte-Anne par secteur (Ouest, Centre et Est)

Illustration 6c - Bourg de Sainte-Anne secteur Ouest

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Illustration 6d - Bourg de Sainte-Anne secteur Centre

Illustration 6e - Bourg de Sainte-Anne secteur Est

Les activités touristiques se déploient sur le front de mer, par la requalification de l’habitat et des fonctions traditionnelles liées à la pêche par des commerces permanents ou forains spécialisés vers le tourisme et l’offre de loisir.

27 Au travers de ces deux communes de Guadeloupe, deux stratégies apparaissent. La première consiste à détruire les constructions de bord de mer et souvent de renforcer les ouvrages d’art par des enrochements qui tendent à se multiplier, la seconde dans certains sites attractifs, à maintenir les constructions si elles sont affectées aux

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fonctions touristiques. Ainsi en cas de cyclone, les dégâts humains seront limités. Pour autant, le littoral ne perd pas sa valeur bien au contraire, et la situation « les pieds dans l’eau » constitue un attrait dans les domaines de la restauration, des loisirs de plages, du commerce balnéaire.

28 De même les parcelles avec vue mer et donnant sur la mer reprennent de la valeur pour les promoteurs immobiliers et les habitants ; marque de leur attachement au lieu. Alors que l’Est du littoral de Sainte-Anne connaît une très forte érosion, il n’a pourtant pas été affecté par une houle cyclonique depuis 1989, dès que la saison cyclonique s’estompe, les projets de construction reprennent.

Conclusion

29 En fonction du contexte économique et politique, une société est plus ou moins résiliente parce qu’elle ne présente pas, à 15 ans d’écarts, les même caractéristiques même sur un territoire si particulier et étroit qu’une île tropicale.

30 De même, un état, une région peuvent faire preuve de résilience en 1989 à la suite du passage du cyclone Hugo et impulser une nouvelle perspective économique et sociétale car la dynamique était déjà engagée. Il peut aussi, parce qu’il est lui même atteint par une crise qui le dépasse comme les crises de 2007 et de 2008, manquer de ressort et ne pas trouver les leviers du développement territorial, qu’ils soient économiques, sociaux et sociétaux, nécessaires à une société résiliente. Ces deux territoires montrent l’importance du levier sociétal qui relève du projet commun et qui permet de dépasser le choc initial qui peut mener à l’apathie. À l’échelle locale sur les fronts de mer, les initiatives d’adaptation sont nombreuses et se déploient. Loin d’être une marge marquée par le retrait des activités et des habitants, les fronts de mer connaissent une requalification orientée vers les activités de tourisme et de loisir et finalement la valeur foncière augmente du fait des avantages économiques liés à la plage et à la vue sur la mer.

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NOTES

1. Depuis 1966, on dénombre huit cyclones en Guadeloupe (Inez en 1966, David en 1979, Hugo en 1989, Luis en1995, Marilyn en1995, Lenny en 1999, Maria en 2017 et Isaac en 2018) 2. Les DCP sont constitués d’un cordage de 3 000 m, fixé à un corps-mort et à une bouée. Entre 50 mètres et la surface, une série de vieux filets, de bâches constituent autant de supports permettant la création de petits écosystèmes qui attirent à leur tour les gros pélagiques (marlins, thons, espadons). Les premiers DCP ont été exploités en Guadeloupe en 1980 pour se diffuser ensuite dans la Caraïbe.

RÉSUMÉS

La Guadeloupe est soumise aux cyclones qui génèrent des dégâts importants. En fonction du contexte économique local et mondial, les cyclones engendrent des ruptures positives ou négatives pour les sociétés et les économies insulaires. Les formes adaptatives demeurent les plus nombreuses à toutes les échelles du territoire à l’initiative des collectivités territoriales, des filières de production comme des habitants. Les fronts de mer, moins habités, demeurent cependant le support d’activités à grande valeur ajoutée souvent en lien avec le tourisme à grande valeur ajoutée.

Guadeloupe is subject to hurricane that generate significant damage. Depending on the local and global economy, cyclones create positive or negative disruptions for island societies and

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economies. Adaptive forms remain the most numerous at all scales of the territory at the initiative of local authorities, production sectors and inhabitants. The sea fronts, less inhabited, however, remain the support of activities often related to tourism with high added value.

INDEX

Keywords : hurricane, Guadeloupe, storm surge, adaptability, spatial amendment Mots-clés : cyclone, Guadeloupe, submersion marine, adaptation, requalification spatiale Thèmes : Sur le Champ - Sur le Terrain

AUTEURS

MICHEL DESSE Michel Desse, [email protected], est professeur des Universités à l’Université de Nantes et membre de l’UMR 6554 Littoral, Environnement, Télédétection, Géomatique (LETG). Il a récemment publié : - Desse M., Nordin C., 2015. Saint-Barthélemy: en rik karibisk ö som utmärker sig. Sverige utanför-Swensk makt och dess spar i utlandet. Svenska Sällskapet för Antropologi och geografi, p. 85-102. - Desse M., El Bouzidi A., Peyrusaubes D., 2017. Perception et adaptation au changement climatique dans le Gharb atlantique dans un contexte de mutations socioéconomiques dynamiques. Les impacts du changement climatique sur les littoraux en Afrique. Territoire d’Afrique, n° 10, p. 100-115. - Lemee C., Guillard M., Fleury-Bahi G. et al., 2019. What meaning do individuals give to coastal risk? Contribution of the social representation theory. Marine Policy.

MONIQUE GHERARDI Monique Gherardi, [email protected], est ingénieur d'études et membre de l’UMR GRED - Université Paul Valéry Montpellier 3. Elle a récemment publié : - Leone F., Komorowski J., Gherardi-Leone M. et al., 2019. Integrating spatial accessibility in the design of volcano evacuation plans in the French West Indies (Guadeloupe and Martinique). J. Appl. Volcanol., vol. 8, n° 8. DOI: https://doi.org/10.1186/s13617-019-0089-1 - Rey T., Leone F., Candela T. et al., 2019. Coastal Processes and Influence on Damage to Urban Structures during Hurricane Irma (St-Martin & St-Barthélemy, French West Indies). Journal of Marine Science and Engineering [En ligne], vol. 7, n° 7.DOI: https://doi.org/10.3390/jmse7070215 - Diop A., Gherardi M. (dir.), 2019. Rivages et horizons. Hommages au géographe Jean-Marie Miossec. Paris, Edition L’Harmattan, 470 p.

SIMON CHARRIER Simon Charrier, [email protected], est cartographe à l’Université de Nantes – IGARUN. Il a récemment publié : - Desse M., Charrier S., 2017. La grande plaisance, un secteur économique en plein essor. Études caribéennes [En ligne], n° 36. URL : http://etudescaribeennes.revues.org/10562 - Pottier P., Ovono M. et al., cartographie de CHARRIER S., 2017. Les régions littorales du Gabon – Éléments de réflexion pour une planification stratégique du territoire. LETG-Géolittomer/ Raponda- Walker, 417 p.

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- Desse M., Rodne Jeanty J., Gherardi M., Charrier S., 2018. Le tourisme dans la Caraïbe, un moteur du développement territorial. IdeAs [En ligne], n° 12. URL : http://journals.openedition.org/ ideas/4239 - DOI: https://doi.org/10.4000/ideas.4239

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“Hurricaned” territories. Hurricane hazards and their impacts Introduction

Freddy Vinet and Frédéric Leone

1 This issue of EchoGéo investigates the environmental, social, economic and political consequences of hurricanes on territories and their management. The French neologism “cycloné” (or “hurricaned”) appeared on social networks in 2017 after hurricane Irma hit the West Indies. The word refers to the destruction caused by category 4 or 5 hurricanes, but also to their victims’ challenging experiences. These events raise the question of the ex-ante and ex-post evaluation of damages in terms of management: forecasting, preparation, crisis management and reconstruction, all from the perspective of impact mitigation. The spatial and multidimensional analysis of these events contributes to the development of a global geography of hazards and disasters, leading to the development of a flourishing field in French universities over the past two decades. Once again, this demonstrates our discipline’s capacity of analysis, adaptation and response, in the context of current socio-environmental issues and the hazards they pose to our societies and territories.

2 The last few years saw particularly powerful hurricanes such as the Haiyan typhoon in the Philippines (2013), which was said to break records for low-pressure systems, or Irma and Maria in the West Indies, two consecutive category 5 hurricanes that struck just ten days apart in September 2017. Since 1851, observation centres have recorded 381 major tropical hurricanes reaching category 4 or above on the Saffir-Simpson scale (source IBTrACS/NOAA, 2020), mostly in the North Atlantic and North-West Pacific (Illustration 1). In terms of human casualties, 450,000 people have lost their lives since 1975 (1,419 deadly hurricanes), with particularly tragic events in India in 1977, Bangladesh in 1985 and 1991, Honduras in 1998, Myanmar in 2008, etc. (source EMDAT/ CRED, 2020). Such heavy casualties are not only observed in poor countries, as shown by the 1,833 victims made by Hurricane Katrina in the South of the USA in 2005 (Knabb et al., 2007). These low-pressure storms and the hazards they induce (floods, landslides, marine submersion) have caused considerable economic losses, estimated at US$2,128 billion worldwide since 1980 (source NatCat Service/Munich RE, 2020). In addition,

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non-financial impacts include environmental effects, particularly on coastal ecosystems and morpho-systems (Wang and Horwitz, 2007; Zhang et al., 2012), as well as health and social consequences (Rappaport, 2014). The spatial concentration of hazards in coastal areas is a source of concern for insurers and reinsurers, who are seeing an increase in the cost of claims. The devastation of small island complexes (habitats, infrastructure and tourist facilities destroyed, communications cut off, etc.) highlights the very causes of these territories’ vulnerability: geographical isolation, small size, economic disparities, socio-spatial segregation, high exposure of the coastline, lack of local resources, governance problems, etc. The passage of Hurricane Irma in the Caribbean in September 2017 provided a clear demonstration of these issues.

Illustration 1 – Cyclonic activity and its human impacts. Territories studied in this issue

3 According to IPCC forecasts, cyclones will not be more numerous but more powerful in future years, even if the recent past does not always corroborate this trend, particularly in the western Pacific (Hoarau et al., 2018). There is also the question of the expansion in latitude of the area affected by these phenomena (Pilon et al., 2017). Quantification and a priori/a posteriori modelling methods are developing considerably, in particular through the use of satellite and light airborne imagery (Fernandez- Galarreta et al., 2015). How can the damage of a potential hurricane be predicted? Can it be categorized, quantified and mapped ex ante? After a hurricane event, tools for quantifying economic impacts provide almost real-time decision-making assistance that can be valuable for decision-makers and local managers. The recovery of cyclone- affected areas involves meeting and anticipating multiple challenges: re-housing of victims, restoration of public networks and services (education), waste management, diverse types of pollution, health risks. Their management can be improved through prior planning (business continuity plans) and capacity building for exposed societies (Gaillard et al., 2010). In terms of crisis management, how can events best be anticipated? Adapting institutional responses to local specificities is a key point in crisis management, with issues such as the preventive evacuation of affected areas, or communication malfunctions (between crisis managers, between authorities and the public...). How are past experiences taken on board in hurricane crisis management? Is experience capitalised or, as each case is different, does crisis management always involve a large share of improvisation?

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4 Beyond immediate feedback, these intense phenomena must be interpreted in light of their long-term consequences on territories. Do these events form ruptures or bifurcations in these territories’ trajectories? What issues do they highlight as to their long-term development models? Decision-makers and scientists need feedback on the long term, on the impacts but also on the reconstruction phases (Moatty et al., 2017). Has the recovery been effective in terms of prevention and economic mechanisms, and ethical in terms of social justice? What physical and societal changes were brought about by the hurricane? Has it improved risk awareness and prevention? The reconstruction phase is crucial (Ingram et al. 2006). In theory, it provides a “window of opportunity” (Christoplos, 2006) to develop territorial resilience in preparation for future events, but it also reveals striking discrepancies between territories that have been lastingly impacted (Kelman, 2014) and others that can recover quickly. The fast recovery of the Vanuatu archipelago (Western Pacific) after Hurricane Pam in 2015 showed the resilience of traditional societies, despite their high exposure (Rey et al., 2017; Le Dé et al., 2018). Finally, to understand cyclone/territory relations, one must put these disasters into perspective within the territories’ overall vulnerability trajectory (Duvat et al., 2017; Desarthe and Moncoulon, 2017).

5 This issue of EchoGéo sheds light on several of these aspects by favouring a geographical approach. It brings together thirteen contributions, covering seven cyclone-affected territories, from the Lesser North Antilles (Saint-Martin, Saint-Barthélemy) and the North Atlantic, through Guadeloupe and Haiti, to Djibouti and Madagascar in the Indian Ocean (Illustration 1). Seven of these articles focus in particular on the 2017 hurricane season, which was particularly trying for the French West Indies.

6 A first series of four articles addresses the issue of impacts, the central theme of this issue. Thibault Catry, Christophe Révillion, Pascal Mouquet, and Gwenaëlle Pennober show the contribution of satellite imagery for monitoring the impact of cyclonic events in Madagascar, examining the complementarity of scales and sensors and taking two cyclones as case studies (Haruna in 2013 and Enawo in 2017). Tony Rey, Thomas Candela, Matthieu Péroche and Frédéric Leone favour a field approach, using UAV imagery to assess coastal changes and flooding following the passage of Hurricane Irma on 5 and 6 September 2017 on the islands of Saint-Martin and Saint-Barthélemy. Jean- Philippe Cherel, Mustapha Nour Ayeh, Bouh Omar Ali and Freddy Vinet analyse a singular event (Cyclone Sagar) that occurred in May 2018 in the Gulf of Aden, and its socio-economic consequences on the city of Djibouti which is particularly not accustomed to this kind of event. Frederick Leone, Samuel Battut, Victoria Bigot, Guilhem Cousin Thorez, Thomas Candela and Freddy Vinet lay the methodological foundations for a historical catalogue of significant and deadly hydro-meteorological events that have struck the archipelago of Guadeloupe and the Northern Islands since 1635, thus providing the opportunity to understand the main factors of human vulnerability to cyclones and their evolution over time.

7 Two articles address the hurricane crisis and its management, from an institutional or individual point of view. Valérie November, Alice Azémar, Sophie Lecacheux and Thierry Winter analyse obstacles to “good” crisis management, highlighting the fragmentation of the anticipation/decision binary in practice, considering different levels of response. The authors examine two case studies during the Irma-José-Maria crisis of 2017 in the West Indies: one is observed at the cross-ministerial level, and the other is experienced through a state operator on a territorial scale. Stéphanie Defossez

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and Monique Gherardi study the same event but focusing on the role played by the population in the management of the crisis in Saint-Martin, based on follow-up interviews conducted at different stages after the cyclone.

8 The next three contributions review the post-crisis issues of recovery and reconstruction of “hurricaned” territories. Annabelle Moatty, Delphine Grancher, Clément Virmoux and Julien Cavero address the issue of recovery after Hurricane Irma in Saint-Martin through the experiences and perceptions of teenagers, considering their accounts as data that could be fed into post-disaster feedback. For the same event and in Saint-Martin, Marie Cherchelay shows the reconstruction process through the prism of tourism, in order to analyse the complex interactions that develop around the issues and expectations that emerge in the post-crisis period. Simon Veitl questions the role of international aid in the reconstruction of Haiti, considering the case of schools in the Southern Department, after Hurricane Matthew in 2016.

9 A final series of four articles raises the question of evolutions and adaptations in the face of long-term hurricane hazards. Historian Jérémy Desarthe looks back on the major hurricane of September 1928 in Guadeloupe and its consequences, which he retraces until 1934 through administrative archives. Karl Hoarau, Florence Pirard and Ludovic Chalonge analyse the influence of current global warming on extreme hurricane activity in the North Atlantic (1945-2018), whose intensity and frequency are estimated thanks to aerial reconnaissance and to Dvorak's technique based on the reinterpretation of satellite images. The question of the long-term evolution of “hurricaned” societies is then addressed by Fanny Benitez, Magali Reghezza-Zitt and Nancy Meschinet de Richemond, who question the use of the notion of “risk culture” by the various players in the field of natural disaster prevention and crisis management in Guadeloupe, particularly in light of the 2017 hurricane season. Finally, Michel Desse, Monique Gherardi and Simon Charrier show how hurricanes cause positive or negative disruptions for island societies and economies in Guadeloupe, which are highly dependent on their coastlines and on the tourist activities they host.

BIBLIOGRAPHY

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INDEX

Subjects: Sur le Champ - Sur le Terrain

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AUTHORS

FREDDY VINET Freddy Vinet is a Professor in Geography of Natural Hazards at Université Paul-Valéry Montpellier 3.

FRÉDÉRIC LEONE Frédéric Léone is a Professor in Geography of Natural Hazards at Université Paul-Valéry Montpellier 3.

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Sur le Métier

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Des géographes engagés contre la LPPR Interviews de chercheurs dans le contexte de la future Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche

Marianne Blidon, Julien Brachet, Jean-Baptiste Frétigny, Corinne Luxembourg, Gaëlle Gillot et Alexis Sierra

1 Dans la logique de la loi LRU, le candidat à la Présidence Emmanuel Macron promettait de renforcer l’autonomie des universités afin de donner « Les mêmes chances pour tous nos enfants »1. Élu, il fait mettre en place trois groupes de travail pour mener un diagnostic de la situation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et déboucher sur des propositions : Financement de la Recherche, Attractivité des emplois et des carrières, Recherche partenariale et innovation. Les rapports de ces trois groupes de travail sont remis à la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Madame Frédérique Vidal, et publiés le 23 septembre 20192.

2 Rapidement, des chercheur.e.s prennent connaissance du contenu de ces rapports, les commentent et en font circuler la teneur. Les groupes de travail révèlent une réalité alarmante de l’état de la recherche en France. Un des premiers constats est que le niveau de financement de la recherche en France est très faible par rapport à des pays émergents qui ont fait le pari de l’influence scientifique et sont en train de le gagner. Le deuxième constat, corrélé au premier, est que les carrières scientifiques en France sont très peu attractives et de plus en plus précaires. La principale conséquence de ces deux constats est relevée dans le troisième : la France glisse vers une inexistence scientifique à l’échelle mondiale.

3 Si les constats sont globalement partagés par l’ensemble de la communauté académique et scientifique, les préconisations pour remédier aux problèmes sont en revanche largement dénoncées parce que perçues comme incohérentes par rapports aux constats3 : davantage de concentration des moyens, moins de crédits récurrents, davantage de contrats à courts termes, etc.

4 Dès octobre, différentes sections du Conseil National des Universités (CNU) appellent « à la vigilance pour se défendre contre toute déstabilisation de nos activités

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d’enseignement et de recherche » (section 11, le 28 novembre 2019). A l’instar d’autres sections, celle de géographie (la 23ème) réunie le même jour, vote à l’unanimité une motion dans laquelle : « La section s’alarme de certains éléments évoqués dans les rapports préalables au futur projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche : la suppression de la procédure de qualification, de la clause d’accord des intéressé.es pour la modulation des services, de la référence aux 192 heures (équivalent TD) d’enseignement et donc de la rémunération des heures complémentaires, ainsi que la création de nouveaux contrats de travail d’exception aux dispositions statutaires. Si elles devaient être adoptées, ces dispositions équivaudraient à une remise en cause du statut d’enseignant.e-chercheur.e en renforçant l’éclatement du système universitaire français et la précarisation déjà croissante dans l’enseignement supérieur et la recherche. Nous appelons l’ensemble de nos collègues à la vigilance pour se défendre contre toute déstabilisation du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ».

5 Le 7 janvier 2020, la commission permanente du CNU publie un message à l’ensemble de la communauté de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche reprenant la teneur de ces motions en demandant que « la CP-CNU soit désormais associée à la réflexion sur la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche. »

6 Dès lors, l’une après l’autre, des Unités de Formation et de Recherche (UFR) entament la grève, des laboratoires de recherche et des revues4 se déclarent « en lutte ». Les chercheur.e.s, enseignant.e.s et étudiant.e.s ainsi que les BIATSS5 s’organisent pour fédérer les mouvements et les actions afin d’éviter que les préconisations listées dans les rapports ne deviennent les fondements de la future loi. Pour mutualiser les informations et renforcer le mouvement, une priorité est donnée à la circulation de l’information. Des plateformes numériques, reflet de collectifs, sont ouvertes telles que « Sauvons l’université »6 sur le modèle de « Sauvons la recherche » initiée en 2003 (voir plus bas) ainsi que la nouvelle plateforme très active, UniversiteOuverte.org créée à cette occasion qui devient une fenêtre de référence de la coordination nationale des facs et labo en lutte7. Ces collectifs mutualisent l’étude des textes, publient des motions et organisent des moments de mobilisations sociales tout en diffusant des informations générales sur les conditions d’exercice dans l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR). Elles soulignent en particulier que la détérioration de la recherche n’est pas récente.

7 En effet, les changements conseillés dans les rapports de septembre 2019 et la manière de considérer la recherche s’inscrivent dans une succession de réformes de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui contredisent les discours dénonçant l’immobilisme ou l’attitude réfractaire de ses agents. Certaines semblent être en gestation depuis la fin de la seconde guerre mondiale8. C’est le cas de la Déclaration de Bologne, signée en 1999 par 29 États européens. Elle vise à créer un « système d’enseignement supérieur européen plus facilement comparable, compatible et cohérent »9 afin de permettre une reconnaissance des diplômes, valider des niveaux par des « crédits d’enseignement » (les ECTS, European Credits Transfer System) transférables permettant d’obtenir des « grades » (Baccalauréat/Licence/Master/ Doctorat) valables dans les différents établissements. Ceci avait pour objectif de permettre non seulement la mobilité des étudiants mais également celle des enseignants et des chercheurs et de garantir un apprentissage et une recherche de grande qualité. Ce processus de grande ampleur concerne 48 pays. Depuis l’adoption de

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cette déclaration, de nombreuses réformes ont eu lieu qui, partant de l’idée généreuse de favoriser l’émergence d’une conscience et d’une communauté académique et scientifique européenne, ont abouti par le dévoiement du principe initial à une « uniformisation gestionnaire des cursus » ayant pour but un « service standardisé de formation » (Schultheis et al., 200810). La standardisation des formations visant à assurer la future employabilité des étudiants et donc leur professionnalisation a ainsi pu favoriser leur concurrence et un certain déclin des filières de recherche par la réduction du temps moyen d’études (Schultheis et al., 2008).

8 Cependant, bien que le processus de Bologne soit commun à de nombreux pays, le constat dressé en France en 2019 dans les rapports remis à la Ministre de l’ESR semble plus accablant, avec un fort décrochage en comparaison internationale des moyens globaux et des rémunérations.

9 En France, la Loi relative aux libertés et Responsabilités des Universités (LRU) de 2007 marque une étape majeure. Elle a engagé les universités non seulement dans une autonomie de décision mais aussi budgétaire les conduisant notamment à mettre en place des formations payantes et à augmenter des frais d’inscription au point d’aboutir à une différenciation des frais d’inscription entre étudiants communautaires et extra- communautaires ce qui a l’effet pervers de réduire l’effort de coopération avec les pays du Sud et de rayonnement international.

10 Les différentes réformes entamées depuis vingt ans ont entraîné de nombreuses mobilisations menant dès 2003 à la fondation de l’association « Sauvons la recherche », collectif d’enseignant.es chercheur.es, administratifs et étudiant.es., dénonçant (déjà) une vision à court terme et un financement récurrent trop faible de la recherche publique, l’entraînant à travailler par « projets » avec des chercheurs embauchés temporairement et exacerbant la concurrence entre les équipes.

11 La mobilisation actuelle contre le projet de LPPR n’est donc pas inédite mais bien l’aboutissement d’une série d’alertes contre une logique conduisant à la situation dégradée que constatent aujourd’hui les rapports commandés par le gouvernement. Dans cette continuité, la coordination Sauvons la recherche convoque des assemblées générales et diffuse largement un appel à signatures des Directions de laboratoire de recherche pour un moratoire sur la LPPR et pour la tenue d'Etats généraux de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (qui se tiennent régulièrement dans le cadre de l’association « Sauvons la recherche »). Cette mobilisation s’effectue en parallèle et en articulation avec celle contre la réforme des retraites et sur fond de malaise social général.

12 Le 5 mars, une manifestation nationale a eu lieu dans toutes les villes universitaires de France rassemblant « des dizaines de milliers » de chercheur.e.s, enseignant.e.s, étudiant.e.s et personnels administratifs de l’ESR11. Elle demandait que les mesures présentées dans les rapports ne soient pas reprises. Selon ses organisateurs, en l’état des réflexions, une telle loi de programmation mettrait la « science en danger ».

13 Cette manifestation devait initier à partir de cette date un « arrêt de l’université et de la recherche ». L’épidémie de corona virus, Covid 19, et le confinement de la population à partir du 17 mars a mis -provisoirement- un terme à un mouvement qui prenait de l’ampleur. Les personnels de l’ESR ont dû s’adapter brutalement à un mode de travail à distance et en ligne. Les injonctions à la « continuité pédagogique » ont rejoint les pratiques habituelles de la profession qui, en toutes circonstances assure le suivi des étudiant.e.s, estimant qu’ils/elles ne doivent pas être délaissé.e.s tout particulièrement

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durant cette période inédite et anxiogène. Ceci s’est réalisé extrêmement rapidement, malgré des craintes nombreuses exprimées sur les listes de diffusion des laboratoires et universités, les limites et les risques de l’exercice.

14 Pendant ce temps, la coordination nationale des « Facs et Labos en Lutte » a appelé à poursuivre le mouvement et à inventer de nouvelles formes de mobilisations numériques en attendant la fin de la période de confinement12.

15 Dans ce contexte exceptionnel, Echogéo, revue « en lutte », donne la parole en quelques questions à des enseignant.e.s chercheur.e.s engagé.e.s, géographes, appartenant à des institutions différentes : Marianne Blidon, géographe féministe, maître de conférences à l’Institut de démographie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne ; Jean-Baptiste Frétigny, maître de conférences à Cergy Paris Université ; Corinne Luxembourg, maître de conférences en géographie et paysage à l’École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette ; Julien Brachet, Chargé de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD. - Gaëlle Gillot (GG.) et Alexis Sierra (AS.). Quelles sont les principales mesures préconisées et qui devraient figurer dans la future LPPR (telle que présentée jusqu’ici), quels en sont les enjeux et quels impacts aura-t-elle sur le métier d’Enseignant.e et/ou de chercheur.e ? - Marianne Blidon (MB.). La LPPR est la suite logique d’une succession de politiques publiques, nationales et communautaires, qui visent progressivement à transformer radicalement l’esprit et la structure de l’enseignement supérieur. On pourrait ainsi remonter au processus de Bologne en 1998. A chaque réforme, c’est à la fois la vocation et le statut de l’université qui sont progressivement et inéluctablement mis à mal au profit de l’introduction de logiques de marché, de mise en concurrence et privatisation. C’est lisible en particulier dans les éléments de langage utilisés. Il n’est plus question de droit à la formation tout au long de la vie, de service public ou de développer l’esprit critique, l’autonomie et la créativité des futurs citoyens mais d’un langage managérial qui vise à articuler objectifs, moyens et résultats, qui valorise l’excellence tout en standardisant ses exigences, qui démultiplie les indicateurs et cibles de performance collective (classement de Shanghai, taux de réussite, développement des ressources propres) et individuelle (h-index…) et vise à maximiser le capital humain. L’enseignement supérieur et la recherche sont conçus comme des marchandises sur un marché international concurrentiel. Il y a une continuité et une cohérence dans les réformes successives qui vont de l’instauration du LMD, la mise en œuvre de la LOLF dans l’enseignement supérieur, en passant par ParcourSup et l’augmentation des frais d’inscription des étudiants étrangers. Il ne s’agit plus de considérer que l’enseignement supérieur est un droit pour tous mais que les étudiants peuvent s’endetter en contractant des prêts comme aux États-Unis ou au Royaume-Uni. Cette dérégulation passe par l’autonomie administrative des universités (c’est la LRU de 2007 avec le renforcement des compétences élargies qui a eu pour effet le transfert de la masse salariale aux universités sans prendre en compte ni le vieillissement des enseignants-chercheurs ni la hausse des effectifs avec la vague démographique des années 2000). Cela marque le développement de la précarité en particulier des personnels techniques et administratifs. Elle passe par l’autonomie pédagogique qui conduit à déréguler les diplômes en ébranlant le référentiel national et à mettre en concurrence les universités et les étudiants (c’est la loi ORE dite ParcourSup). Des filières surdotées en moyens comme les EUR côtoient des filières où les étudiants ne

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peuvent pas s’inscrire en TD faute de place. Elle passe ensuite par l’autonomie de recrutement, d’évaluation et de gestion des personnels qui implique la dérégulation des statuts et favorise le développement de la contractualisation au détriment des postes de fonctionnaires (c’est la LPPR). Elle induit la modulation des services déjà en germe en 2009. L’étape suivante est l’autonomie financière qui est déjà renforcée dans la LPPR. Son objectif final est évidemment la dérégulation des frais d’inscription dont l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants hors UE n’est que le prodrome. La LPPR est finalement déjà en vigueur dans différentes écoles du supérieur qui ont massivement recours à des vacataires en CDD ou en CDI. L’éclatement des statuts conduit à une perte de toute forme de collégialité et à une atomisation des agents (la lettre de démission de Xavier Dunezat en est une bonne illustration notamment quand il présente la fac comme un désert relationnel13), à la mise au pas des enseignants-chercheurs (il est quasiment impossible pour des vacataires de faire grève dans ces institutions) et la liquidation des libertés académiques (les contenus de cours étant étroitement orientés avec parfois une forme de clientélisme quand les étudiants évaluent individuellement les enseignants). Ironiquement, ces mêmes écoles alignent les salaires sur les grilles de la fonction publique. C’est la double peine. A terme, il y a une perte d’attractivité du métier d’enseignant-chercheur et des effets délétères en termes de motivation et de santé mentale. - Jean-Baptiste Frétigny (JBF.). De programmation budgétaire affichée dans son intitulé, la LPPR est passée à une remise en cause profonde et multiforme des statuts et des conditions de travail des chercheur.es et enseignant.e.s-chercheur.es, dans une optique comptable néolibérale à courte vue, qui consiste à réduire encore l’investissement humain dans l’enseignement supérieur et la recherche, malgré toutes les études qui en montrent l’importance pour le devenir d’une société, ne serait-ce que d’un point de vue économique. Il s’agit d’augmenter le nombre d’heures annuelles d’enseignement des enseignant.e.s-chercheur.es titulaires (maître.sses de conférences et professeur.es d’université), déjà parmi les plus élevés du monde occidental, suivant un mécanisme assez opaque, mais aussi d’amplifier les situations de précarité déjà existantes. S’y ajoute la création de postes temporaires débouchant potentiellement sur un poste permanent au bout de 5 à 7 ans si le nombre de contrats de recherche lucratifs décrochés est considéré comme suffisant (les tenure-tracks), et des CDD de « mission scientifique » qui contournent l’obligation actuelle pour l’employeur de passer à un CDI après 6 années de contrat, cyniquement appelés CDI ce qu’ils ne sont précisément pas. Si ces contrats sont présentés comme un mieux- être par rapport à l’enchaînement actuel des contrats courts existants, ils ont surtout vocation à se développer au détriment des postes de titulaires et de l’accès aux postes de maître.sse.s de conférences, qui pourraient ainsi à terme disparaître, repoussant d’autant l’âge du recrutement pérenne et diminuant bien davantage sa probabilité. Un dernier ensemble de mesures vise à transférer la maîtrise des recrutements, des carrières et du pilotage de la recherche, encore réalisé entre pairs à divers égards, à des acteurs institutionnels (ministère, présidences d’université). Le renforcement de la place des appels à projet en est emblématique (permettant par exemple de réduire le nombre d’heures à enseigner) comme le projet de suppression de la qualification à l’accès aux postes d’enseignant.e.s-chercheur.es titulaires, réalisée aujourd’hui par des pairs de la discipline, via chacune des sections du conseil national des universités.

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Pour les titulaires, dans un contexte de sous-effectif chronique, l’augmentation de leur service d’enseignement et la gestion d’un volant accru de précaires signifie encore moins de disponibilité pour l’ensemble des activités d’enseignement et de recherche à mener. Comme les titulaires, les précaires passeront encore davantage de temps à répondre aux appels à projets plutôt qu’à faire de la recherche et seront en outre davantage soumis à la pression de celles et ceux qui décideront de la suite à donner à leur contrat. Le passage du statut, défini par la loi, à l’échelle nationale, au contrat, à l’échelle locale, revient aussi à substituer une logique d’intérêts particuliers (orientés par la recherche de financements à tout prix côté enseignement et recherche) à l’intérêt général et à porter atteinte aux libertés académiques. L’indépendance des enseignant.es-chercheur.es titulaires vis-à-vis des pressions politiques et économiques étant reconnue comme un principe d’ordre constitutionnel, réduire leur nombre revient en effet aussi à menacer la liberté d’enseignement et de recherche. - Corinne Luxembourg (CL.). Il me semble qu’une bonne part de ce qui est présenté comme figurant dans la LPPR est déjà en œuvre dans les Écoles Nationales Supérieures d’Architecture (avec des variantes bien sûr), à la faveur de la transformation du statut de maîtres assistants à celui de maîtres de conférences. En effet, le reclassement dans le corps des maîtres de conférences ne s’est pas accompagné des modifications souhaitées par les enseignant.es-chercheur.es. Ainsi les heures d’un temps plein sont de 320 h TD ou 192 h CM, et les décharges d’enseignement pour faire de la recherche n’existent qu’après coup après avis du directeur de l’unité de recherche de rattachement et du conseil pédagogique et scientifique de l’établissement. Autant dire que dans ce cadre, il devient compliqué d’assurer la totalité de notre métier d’enseignant.e et de chercheur.e. La modulation du service d’enseignement ne peut aboutir à ce qu’un enseignant- chercheur n’exerce qu’une mission de recherche. Les enseignants-chercheurs bénéficiant d’une décharge de leur service d’enseignement rendent compte de leurs activités de recherche au conseil pédagogique et scientifique siégeant en formation restreinte aux enseignants- chercheurs. Si leurs activités de recherche ne sont pas établies, les heures de décharges d’enseignement accordées sont reportées au titre de l’année universitaire suivante, en totalité ou en partie, en tant qu’heures d’enseignements non effectuées. De même, le cortège de collègues embauché.es sur des contrats précaires ressemble fort à ce qui est préconisé dans la LPPR. Quant au suivi de carrière, rien dans l’arrêté du 15 février 2018 ne stipule d’accord, mais par contre y conditionne l’avancement : « CHAPITRE Ier. DROITS ET OBLIGATIONS - Art. 10. Chaque professeur et maître de conférences établit, au moins tous les cinq ans, un rapport mentionnant l’ensemble de ses activités d’enseignement et de recherche et leurs évolutions éventuelles. Ce rapport fait l’objet d’un avis du conseil pédagogique et scientifique de l’établissement d’affectation, siégeant en formation restreinte, qui porte sur les activités pédagogiques et les tâches d’intérêt général de l’intéressé. L’avis est communiqué à l’intéressé qui peut formuler ses observations. Le directeur de l’établissement transmet le rapport, l’avis et les observations éventuelles au conseil national des enseignants-chercheurs des écoles d’architecture. » « CHAPITRE II. AVANCEMENT - Art. 38. Les maîtres de conférences des écoles d’architecture sont évalués sur le fondement du rapport d’activité mentionné à l’article 10 par le conseil national des enseignants-chercheurs des écoles nationales supérieures d’architecture. Le suivi de carrière des maîtres de conférences est

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réalisé par le conseil national, cinq ans après la première nomination dans le corps des maîtres de conférences puis tous les cinq ans. Il prend en compte l’ensemble des activités exercées par les intéressés. Les établissements prennent en considération ce suivi de carrière en matière d’accompagnement professionnel. » Bref, tout porte à croire que ce qui est déjà en place dans les ENSA soit étendu au système universitaire, à ceci près que lorsque les ENSA se dotent du CNECEA, la LPPR propose la disparition du CNU, ou bien c’est une incohérence, ou bien c’est une étape.

- GG. & AS. Quelles actions sont menées dans votre institution, depuis quand ? Comment y participez-vous ? - MB. À Paris 1, la mobilisation est minoritaire et très hétérogène comme en atteste le nombre d’enseignant-chercheurs présents en AG ou sous la bannière Paris 1 lors des manifestations. Cela s’explique par différents facteurs. D’abord, il ne faut pas négliger le fait qu’une partie des enseignants-chercheurs n’habitent pas la région parisienne et que les sites sont éclatés. Paris 1 compte une vingtaine de sites dans Paris et les bâtiments dédiés à la recherche sont séparés de ceux de l’enseignement. Cette atomisation ne favorise ni le débat ni la cohésion de groupe. Ce constat s’applique a fortiori à Tolbiac, un des principaux centres de Paris 1, dont l’architecture favorise le passage et qui fait régulièrement l’objet de longues fermetures administratives et d’une présence policière récurrente à laquelle s’ajoute un service d’ordre qui fait maintenant partie du quotidien. Il y a donc eu des tentatives depuis décembre de structurer un mouvement étudiant/enseignant avec une ambiguïté de taille qui est parfois la tendance de certains à enrôler les étudiants pour mener le combat à leur place dans la rue. Or les étudiants ne sont pas dupes quand ils ne croisent jamais ceux qui les ont appelés à se mobiliser lors des actions. In fine, les étudiants sont finalement peu mobilisés. Très tôt, il a fallu faire le constat que le compte n’y était pas et c’est à ce moment qu’il aurait fallu être pragmatique et revoir nos modalités d’action comme la grève ou la manifestation. Malheureusement, il y a une incapacité collective à inventer une nouvelle rhétorique des luttes sociales et de nouvelles formes d’actions qui tiennent à la fois compte d’absence de convergence des luttes (les universitaires se sont surtout mobilisés après l’essoufflement du secteur des transports, et sur un mot d’ordre corporatiste : la LPPR), la faiblesse des effectifs et l’épuisement que représente l’enlisement du mouvement. Beaucoup ont 1936 ou 1968 comme référentiel alors qu’ils devraient s’inspirer d’Act-Up. Au final, très peu de mobilisations ont été victorieuses alors que nous n’avons pas connu une seule année universitaire normale depuis plusieurs années. Depuis l’attentat du Bataclan qui a affecté notre communauté, j’ai l’impression d’un long tunnel dont 2020 marquera une sorte d’apothéose. En ce qui me concerne, j’ai participé quasiment à toutes les manifestations dont le rassemblement au Trocadéro pour les vœux de la ministre, et à d’autres actions communes comme une table-ronde à l’initiative de l’association étudiante féministe Du pain et des Roses. J’ai aussi participé à deux AG d’enseignants et d’étudiants mais je suis assez mal à l’aise car très rapidement des motions sont votées dont on sait pertinemment qu’elles ne seront jamais mises en œuvre et cela crée un profond hiatus et une illusion de démocratie directe. - JBF. La mobilisation contre la LPPR s’est cristallisée à l’université de Cergy-Pontoise à partir de la fin 2019 en lien avec d’autres réformes avec lesquelles elle fait système,

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notamment la loi sur la « transformation » de la fonction publique adoptée en catimini au mois d’août 2019, le projet de réforme des retraites ou encore l’ordonnance du 12 décembre 2018 sur la création d’établissements expérimentaux. La transformation en nouvel établissement expérimental de l’université, devenue CY (sic) Cergy Paris Université, à la gouvernance plus complexe, bien moins collégiale et favorable à une université à plusieurs vitesses, a conduit à l’organisation d’un collectif pour proposer des listes aux élections, communes à la fois aux enseignant.es, chercheur.es, enseignant.es-chercheur.es et aux administratifs, intégrant l’ensemble de ces enjeux, en lien avec une intersyndicale CGT-SNESUP-SUD qu’on anime depuis plusieurs années. La mobilisation s’est ensuite élargie, notamment aux étudiant.es, par le jeu d’assemblées générales et de motions à l’échelle de l’université, de laboratoires et de composantes, mais aussi de moments d’éclairage et d’échange en cours ou mobilisant des intervenant.es venu.es d’ailleurs (conférence-débat sur les retraites). Outre la représentation de la mobilisation auprès de la coordination nationale des facs et labos en lutte, la participation aux manifestations et bien d’autres actions en préparation, les moments de convivialité (pique-nique) comme de mobilisation numérique (sur les réseaux sociaux ou via les listes syndicales de diffusion électronique) jouent un rôle dans le mouvement. Chacun.e au sein du mouvement a à cœur de lutter contre la mise en place d’une université test, laboratoire de toutes les expérimentations problématiques du ministère pour mieux les généraliser ensuite ailleurs. - CL. Les ENSA sont entrées dans le mouvement de revendication universitaire assez tardivement, mais il est intéressant de noter que pour la première fois, l’ensemble des 20 ENSA de France étaient en grève le 5 mars et avaient rejoint les cortèges. Toutefois les revendications y sont particulières, déterminées par leur statut d’établissement sélectif et leurs évolutions.

- GG. & AS. En quoi les mouvements sociaux dans l’ESR sont-ils spécifiques (ou y a-t-il une spécificité des mouvements sociaux dans l’ESR) par rapport à d’autres mouvements sociaux dans d’autres secteurs d’activités ? - JB. Dans chaque secteur d’activité, les mouvements sociaux ont des spécificités liées à l’histoire politique et syndicale du secteur concerné, mais aussi à la nature de l’activité, à son poids économique, à ses conditions matérielles, à sa localisation, à sa visibilité sociale, aux autres secteurs liés ou dépendants, etc. Tout cela joue sur les taux et les formes de mobilisations, et à ce titre l’ESR est pluriel. Parmi les spécificités des mouvements sociaux dans l’ESR, deux me semblent ici intéressantes. La première relève de la dispersion des cadres spatiaux et temporels de travail, qui découle de sa dimension largement immatérielle et individuelle. Ces caractéristiques ne sont pas exclusives et l’on peut trouver des contre-exemples, mais elles me semblent néanmoins amplement partagées au sein de l’ESR. De là découle souvent, dans les disciplines qui n’ont pas besoin de matériel expérimental, une confusion des espaces privés et publics dans la pratique professionnelle. Cette confusion est fortement renforcée par les encouragements institutionnels au télétravail, qui précédaient de longue date l’actuelle pandémie – cette dernière n’a de ce point de vue qu’accéléré la systématisation de cette pratique là où c’était possible. Or la sociologie du travail et des mouvements sociaux a bien montré à quel point les collectifs de travail stables (humainement, temporellement, géographiquement) constituent des

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lieux privilégiés d’émancipation, d’organisation, de contestation : des lieux d’émergence et de structuration des mouvements sociaux. La seconde relève de l’éthique professionnelle et du lien aux étudiants : en tant que travailleuses et travailleurs de l’ESR, on produit un service d’enseignement et de connaissance qu’on ne veut pas rompre. On ne veut pas arrêter de lire, de réfléchir, et souvent aussi d’écrire voire d’enseigner (même si on le fait sous d’autres formes que les habituels articles, livres, TD, CM, pour le dire vite). Rares sont celles et ceux qui stoppent dans la durée cette « relation de service », considérant que cela pénaliserait les étudiants et la communauté scientifique. Ce n’est bien sûr pas faux, mais dans ce contexte particulier, « se mobiliser », « faire grève », vise à prendre le temps d’analyser la situation, d’utiliser nos savoirs et nos compétences pour comprendre les origines, les logiques et les incidences probables d’une réforme à venir, et pour sensibiliser nos collègues, nos étudiants et le grand public, à prendre le temps de construire collectivement, et stratégiquement, un rapport de force avec un pouvoir (institutionnel, politique). Et finalement, pour éviter la mise en œuvre de la LPPR qui sera délétère qui pénalisera autrement plus fortement et plus durablement les étudiants et la communauté scientifique qu’une grève ne peut le faire, aussi longue, dure et durable soit-elle. La spécificité de l’ESR, à ce niveau-là, c’est de pouvoir se déclarer « en lutte » voire « en grève » sans nécessairement cesser de fonctionner, ce qui serait impensable dans bien d’autres secteurs. Mais il faut souligner ici la distinction entre les enseignant·e·s-chercheur·e·s et tous les personnels regroupés dans la catégories BIATSS, sans lesquels l’ESR ne peut absolument pas fonctionner, et pour lesquels les conditions de travail, et donc de « grève », sont bien différentes. - MB. Lors de la table ronde que j’ai évoquée plus tôt, il y avait deux employées des transports publics (SNCF et RATP) et trois enseignantes-chercheuses dont deux précaires. Le décalage était flagrant que ce soit en termes d’implication collective, de nombre de jours de grève réalisés et d’impact de cette grève, de rôle et de structuration syndicale comme de sens donné à l’action et d’identification au mouvement social. De ce point de vue, les enseignants-chercheurs n’ont pas de conscience de classe (ce que renforce la démultiplication des statuts), ils cultivent la figure solitaire de l’intellectuel ou du découvreur et pensent s’en sortir par des logiques et des stratégies individualistes. C’est aussi pour ça qu’à Paris 1, les plus mobilisés étaient les précaires (doctorants, personnels administratifs et techniques). Il y a toujours une ambiguïté sur ce que signifie faire grève dans nos métiers car généralement les enseignants-chercheurs ne cessent pas de répondre aux mails des étudiants ou à faire avancer les affaires courantes. - JBF. La multiplicité des statuts des multiples parties prenantes de l’ESR, associés à des situations très contrastées, peut contribuer à une compartimentation de la lutte en laissant à penser que telle ou telle réforme ne la concerne pas alors qu’il y a fondamentalement interdépendance. De plus, l’individualisation de l’évaluation et des carrières des enseignant.e.s-chercheur.es et des chercheur.es, supposée établir leur plus ou moins grande « excellence », est particulièrement poussée, au-delà de celle de leur emploi du temps. Cette individualisation s’avère contre-productive par rapport à la réalité collective de la recherche mais aussi pour la mobilisation. C’est sans doute une spécificité, pouvant aller de pair, du côté des sciences humaines et sociales, avec un certain inconfort à l’idée d’assumer collectivement une vision du monde et des convictions d’acteur social qu’on a plus souvent l’habitude de

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déconstruire. On a beaucoup à apprendre à agir avec les autres acteurs de l’ESR, comme le montre le mouvement à Cergy : l’expérience des collègues administratifs en matière de mobilisation collective s’avère particulièrement utile comme celle des collègues en santé qui disposent d’un regard unique sur les situations que traversent nos étudiant.es et collègues. Pour autant, on aurait tort je crois de trop insister sur la spécificité des mouvements sociaux de l’ESR. À Cergy on cherche au contraire à jeter des ponts avec les mouvements sociaux d’autres secteurs, qu’il s’agisse de l’éducation nationale, des avocats ou du monde hospitalier, parce qu’on se rend compte que les réformes qui les affectent nous aident grandement à comprendre ce qui se passe dans le champ de l’ESR et qu’elles concernent aussi nos étudiant.es. Les acteurs de ces secteurs sont aussi confrontés à l’ampleur des activités à mener et à l’accumulation des réformes. L’ESR est étroitement lié aux autres secteurs d’activité. - CL. Il me semble qu’il y a plusieurs spécificités. Tout d’abord l’ESR est un service public d’enseignement et de recherche. Ce ne sont pas des laboratoires « marchands », ils fonctionnent parce qu’il existe un système de contributions/ d’imposition. En cela, nous sommes responsables d’une recherche démocratique. A mon sens, c’est une responsabilité politique importante qui parfois nous échappe. Elle nous échappe d’autant plus que l’ESR fonctionne de plus en plus en faisant appel à des contrats précaires. Nous sommes donc dans une situation peu confortable de devoir défendre des statuts qui permettent de faire de la recherche et d’en alimenter nos enseignements et de faire ce que nous pouvons pour garantir le maintien d’emplois qui ne sont jamais régularisés au fil des ans. Enfin nous rejoignons l’ensemble de nos collègues enseignants quant à nos responsabilités d’accompagner des étudiant.es eux/elles-mêmes dans l’incertitude de plus en plus anxiogène de leur avenir. Sur ce point, d’ailleurs, nous remarquons en quelques années l’augmentation des difficultés de santé des étudiant.es à l’université comme dans les ENSA, notamment liées au stress de perspectives professionnels difficiles à entrevoir et aux rythmes de travail qui leur sont imposés. Être enseignant-chercheur c’est aussi accompagner de jeunes chercheur.es vers les métiers que nous occupons : jusqu’à quel moment devons-nous raisonnablement encourager de telles vocations ? ou bien tenter de les décourager ? Ce n’est pas dramatiser tant que ça les choses que de dire que nous avons des parcours de vie en construction dans les mains et qu’il nous faut faire ce que nous pouvons pour les garantir au mieux. C’est sans doute l’un des moteurs du mouvement social de l’ESR qui, pour moi en tout cas, est le plus décisif.

- GG. & AS. Voyez-vous une différence ou des nuances dans la mobilisation selon les disciplines ? La différence de mobilisation relève-t-elle d’autres critères ? - MB. Il a des différences disciplinaires que l’on observe dans les prises de position publiques, la participation aux manifestations ou la mobilisation à Tolbiac. C’est à la fois vrai pour les enseignants-chercheurs comme pour les étudiants ; ceux qui sont en sciences sociales sont plus mobilisés que les étudiants en gestion ou en droit par exemple. Du côté des personnels, les BIATSS et les précaires notamment les doctorants étaient majoritaires lors des AG. Ces différences pourraient être mesurées et sont objectivables. Elles le sont notamment par les profils et les trajectoires sociales - une analyse bourdieusienne des dispositions de classe fonctionne toujours

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en cela. Paradoxalement, lors des manifestations contre la réforme des retraites et la réforme des lycées, les établissements publics parisiens les plus prestigieux (Louis le Grand, Henri IV, Charlemagne…) étaient proportionnellement plus mobilisés que d’autres établissements moins bien dotés et plus durement touchés par les réformes en cours. De même, les élèves de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) ont été particulièrement mobilisés en proportion de leur effectif. L’ENS-Ulm ouvre une caisse de grève dès le 5 décembre et le mouvement prend de l’ampleur courant janvier avec des actions quasi quotidiennes14. Dès le 10 décembre, il est question de mobilisation historique à l’ENS-Lyon où les deux sites sont bloqués par une centaine d’élèves ce qui n’était pas arrivé depuis 2009.

16 La mobilisation est aussi fonction du degré de politisation et des trajectoires familiales. Ainsi parmi nos étudiants les plus politisés, certains viennent de familles de résistants portugais, espagnols, colombiens... Ce qui n’exclut pas une forme de romantisation de l’engagement et de survalorisation de la radicalité comme élément constitutif de la définition de soi. Certains fantasment le grand soir ou mai 68 mais ceux-ci sont rarement les plus marginalisés ou les plus précaires. C’est là qu’intervient aussi une dimension plus géographique de la mobilisation. En effet, les étudiants, qui habitent dans des communes rurales ou de banlieues mal desservies, ont d’autant plus de mal à se mobiliser quand les transports publics sont aussi touchés. - JBF. Les collègues et les étudiant.es se mobilisent davantage dans le champ des sciences humaines et sociales, notamment en sciences de l’éducation, en géographie, en langues et civilisations, en droit, voire en littérature, en psychologie et en histoire. Les collègues en dehors de ces champs apportent des compétences fortes utiles mais sont moins nombreux. Est-ce parce que dans ces autres disciplines on espère davantage tirer son épingle du jeu ? En prévoyant de financer les laboratoires à hauteur de 717 euros par enseignant.e-chercheur.e et par an en sciences humaines et sociales, contre 1 078 en modélisation et 1 797 en sciences expérimentales pour les frais de fonctionnement (et non d’investissement, donc d’équipement), la politique de l’université peut contribuer à donner l’impression aux collègues de ces disciplines qu’ils sont certes bien mal lotis dans l’absolu mais un peu moins que d’autres en relatif. Cela renvoie à l’enjeu de dépasser la fragmentation des situations. D’autant que la différence de mobilisation met en jeu effectivement d’autres facteurs, notamment la relation à l’autorité, à l’université et à l’ESR comme champ de pouvoir : s’agit-il de s’y conformer dans une logique top down ou bien considère-t-on qu’il y a un enjeu à faire valoir une réflexion critique et une collégialité dans la prise de la décision ? Dans un système qui tend à faire de plus en plus dépendre d’arbitrages des président.es d’université la carrière, l’enseignement, la recherche et les responsabilités des universitaires, cette question est loin d’être négligeable. On constate d’ailleurs une bien moindre mobilisation à Cergy des professeur.es d’université, suggérant que la relation à l’autorité est bien un déterminant de la mobilisation. - CL. Je ne sais pas vraiment répondre à cette question, le monde des ENSA étant malgré tout assez peu en lien avec celui des universités, et donc des disciplines universitaires. - Julien Brachet (JB.) Non, pas fondamentalement, ou en tout cas pas de manière systématique.

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- GG. & AS. Que révèle une crise, telle que nous la vivons aujourd’hui avec l’épidémie, sur la manière dont la recherche est faite aujourd’hui ? - MB. La crise met en lumière les conséquences directes et indirectes des politiques publiques. C’est criant en matière de santé. C’est la même chose pour les transports, la recherche ou l’éducation. Ce sont des domaines qui ne sont pas faits pour être rentables puisqu’ils touchent au bien commun. A partir du moment où l’hôpital public a mis en place sa politique de tarification à l’acte et a été pensé à partir d’objectifs de rentabilité, il perd sa vocation première de service public. La disparition des services de grands brûlés non rentable au profil de service de chirurgie plastique en est le meilleur exemple. Cela passe inaperçu jusqu’au jour où un incendie affecte une quarantaine de personnes qui ne peuvent plus être prises en charge. C’est ce qui s’est passé avec les coupes budgétaires, les fermetures de lits et la suppression des stocks de masques ou de médicaments. Indirectement, l’abandon des recherches sur les coronavirus une fois la précédente crise passée est révélateur de politiques de recherche au coup par coup qui arrive après une situation de crise et jamais en amont. Non seulement on gère une pénurie de moyens mais il n’y a pas de politique de recherche pertinente. On a toujours un coup de retard au lieu d’avoir une politique de la recherche ambitieuse qui anticipe. Prévoir cette pandémie, n’était pas impossible après les pandémies du SRAS, H1N1, ou Ébola qui sont toutes des zoonoses. Après chaque crise, on lance des appels flash en injectant des moyens sur une thématique donnée. Ce fut le cas avec la crise des migrants en méditerranée après la crise syrienne, le terrorisme après l’attentat du Bataclan et là avec le codiv. A chaque fois, ce sont les appels dans l’urgence qui nécessite d’être très réactif. Cela favorise soit les équipes existantes dont les crédits avaient été coupés faute de vision stratégique soit les équipes opportunistes qui ont la capacité à répondre à tous types d’appel de manière très réactive. C’est ce que l’on voit fleurir ces derniers temps sous la forme de site internet qui servent de vitrine pour rassurer les financeurs et d’enquêtes en ligne construites à la va-vite pour collecter des données. Or le problème c’est qu’il faut du temps pour construire une enquête ; il faut s’appuyer sur la littérature existante pour construire des hypothèses de recherche pertinentes ; il faut penser l’ordre et la formulation des questions ainsi que leurs effets ; il faut tester le questionnaire… autant d’étapes qui sont gaillardement zappées actuellement, la facilité d’accès des outils donnant l’illusion que tout le monde peut monter une enquête en ligne.

17 Or ce que l’on observe c’est que beaucoup d’enquêtes par questionnaires, non déclarées auprès de la CNIL, ne sont ni faites ni à faire, certaines étant même totalement dans l’illégalité du moins de vue de la RGPD15. Elles reflètent davantage les positions de classe de leur concepteur que la situation des Français face au confinement. Le fait d’être diffusées via les listes professionnelles va d’une certaine manière leur permettre de recueillir un nombre important de questionnaires de personnes qui ont le même profil sociologique qu’eux (c’est le principal biais des enquête boule de neige). Ces enquêtes seront numériquement une réussite mais elles seront totalement biaisées du point de vue de leur exploitation et surtout elles passeront totalement à côté des populations cibles pour lesquelles on a un besoin cruel de documentation (personnels de santé, caissières et livreurs, élèves sans outils informatiques, SDF…). C’est un peu comme si on prenait le journal de confinement de Leïla Slimani dans le Perche16 comme une photographie de la situation des Français face au confinement. Finalement cela met en

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lumière le fait que l’on ne cherche pas à conduire des études rigoureuses qui s’inscrivent dans le temps long parce qu’investir un sujet a un coût mais que l’on a bricole en permanence, sans compter ceux qui appréhendent la recherche sur le mode opportuniste comme autant de terrains à investir pour faire avancer leur intérêt et leur carrière. - JBF. Trois éléments au moins. D’abord, à rebours des discours sur la « continuité », sorte de dénégation des changements occasionnés par la pandémie, et des conceptions individualistes de la recherche, l’impossible coprésence physique liée au confinement montre l’importance de la dimension relationnelle et collective de la recherche, y compris dans ses échanges les plus informels. C’est une démonstration de la valeur des collectifs faits de relations aléatoires comme durables (laboratoires, colloques, séminaires, etc.), amenant à réfléchir aux formes que peuvent prendre les mobilités académiques internationales sur le plan environnemental et professionnel. Ensuite la crise pousse à l’extrême la conception productiviste et technocratique de la recherche en la confrontant à des conditions inédites. Les échéances des contrats, des projets de recherche et des financements peuvent-elles continuer sur leur lancée indépendamment des situations on ne peut plus humaines dans lesquelles sont placées celles et ceux qui font la recherche, non sans inégalités en fonction du genre, de l’âge, des politiques de chaque pays et institution, etc. ? Cette épreuve du réel pose la question de la soutenabilité des rythmes et des conditions de travail en matière de recherche, des injonctions à la mise en concurrence, et partant de la responsabilité qui est la nôtre, collectivement et individuellement, pour œuvrer à la santé mentale et physique des chercheur.es, de leur entourage et de la prévention des risques en la matière. Vaste chantier ! Enfin, la crise vient rappeler aux décideurs l’imprévisibilité du monde social et de la pertinence des objets de recherche développés en sciences sociales dans leur ensemble, qui aident à saisir le phénomène social et spatial total qu’est la pandémie, en matière de gestion de crise, de rapports de pouvoir dans l’exposition au virus ou l’expérience du confinement, de dépassement des oppositions entre "Nords" et "Suds", d’articulation des mobilités de l’échelle du Monde à celle du corps dans l’espace domestique et l’espace public, d’importance des représentations et du sensible dans les logiques d’action de chacun.e, etc. - JB. Ça aurait pu ne rien révéler du tout. De nouveaux virus apparaissent, de plus en plus fréquemment du fait de l’extension sans borne du capitalisme extractif, de l’accélération des échanges globalisés, etc., et on n’est pas forcément prêt à y faire face. Là en l’occurrence, on a un cas d’école en France puisqu’une équipe de chercheurs travaillait sur les coronavirus au début des années 2000 et a vu ses financements interrompus faute de rentabilité immédiate certaine17. - CL. Le basculement du financement de la recherche par projet, c’est-à-dire, rendue utile en fonction du contexte. Chacun a pu lire le texte du chercheur faisant l’historique des refus de financements à ses expérimentations sur les formes de coronavirus et a pu le mettre en parallèle avec les sommes débloquées par l’Armée ou par l’ANR pour travailler aujourd’hui le plus rapidement possible sur ce même virus. La pensée court-termiste, en fonction de modes, de contexte ne fait pas de la recherche viable et sérieuse. Il y a à craindre également qu’à la sortie de cette crise,

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ce soit des pans entiers de la recherche qui soient délaissés au prétexte qu’ils ne participeraient pas à une augmentation de la connaissance des épidémies. Les stratégies politiques de la production de la recherche semblent n’avoir que faire de construire un savoir commun solide produit pour une progression de la connaissance. On sait bien que l’expérience n’est pas une science et que l’on n’en apprend que rarement quelque chose, pour autant, ici, il serait bon de faire un effort, y compris en nous engouffrant pas dans ce qui semble se dessiner.

- GG. & AS. Pensez-vous que la crise peut modifier les pratiques futures de la recherche ? - JB. J’aurais envie d’être optimiste, mais je ne le suis pas. Disons, pour faire simple, que les « pratiques de recherche » dépendent à la fois des politiques et des institutions de l’ESR, et des volontés individuelles des personnes qui font la recherche au quotidien. Or, au niveau institutionnel, la logique de libéralisation de l’ESR entamée avec le processus de Bologne (1998) va continuer de dominer les réformes à venir. A moins d’un changement politique radical, ce qui est très peu probable dans un futur proche. Et hélas, le milieu de l’ESR est, globalement, un milieu professionnel docile et conservateur. Un milieu qui obéit à ce qu’on lui dit de faire et qui s’adapte aux conditions dans lesquelles on lui demande de le faire, malgré quelques grognements de temps à autres. On râle un peu, puis on accepte ce que l’on critiquait hier en considérant qu’« on n’a pas le choix », que « si c’est pas moi ce sera un autre », et/ou par intérêt personnel, financier, carriériste. Si on prend le cas des « primes d’excellences » ou des projets de l’ANR : tout le monde sait à quel point ces mécanismes de « financement » sont arbitraires et délétères, très nombreuses·eux sont celles et ceux qui les ont critiqués au moment de leur mise en œuvre, mais moins nombreuses·eux sont celles et ceux qui les boycottent aujourd’hui. Alors que, concrètement, le boycott est tout à fait possible, simple à mettre en œuvre, ne mettrait personne en péril, et permettrait d’exiger que ces budgets de l’ESR soient directement reversés dans les budgets récurrents des UMR, afin de permettre la mise en œuvre de recherches sereines, novatrices, incertaines, et détachées des contingences économiques et politiques. Mais il faut croire qu’on n’est pas assez nombeuses·eux à y croire ! Tout cela pour dire qu’il est peu probable de voir une amélioration des pratiques de la recherche après cette période troublante, inquiétante et intéressante que nous vivons. En revanche, la crise actuelle coute très cher, et on sait bien que les budgets publics vont servir à ajuster le reste. On verra quels seront les budgets de l’ESR dans le budget national 2021, une fois que l’État aura aidé à la « relance » de l’économie privée, mais il faut s’attendre à ce qu’il soit encore plus serré que ces dernières années. Et le discours de légitimation de cette politique sera tout trouvé – mis à part peut-être pour la recherche médicale. Au-delà des financements, on va continuer d’aller vers plus de dirigisme, de concurrence, de précarité, de bureaucratie, en quête d’une absurde rentabilité immédiate, et vers un abandon de plus en plus total de l’idée même des universités et des EPST18 comme institutions collégiales et égalitaires de production et de transmission de connaissance et de compétences, visant à former des esprits critiques libres. - MB. Globalement, je ne suis pas très optimiste pour plusieurs raisons. D’abord, il y a une énorme capacité d’oubli. Après le Bataclan, il avait eu un sursaut qui a finalement été de courte durée. Les choses reviennent à la normale et le rythme de nos vies fait

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que l’on passe à autre chose même si in fine rien n’est tout à fait comme avant. Ensuite, et c’est ce que je disais précédemment, cette crise arrive après une succession d’autres crises, de micro trauma et d’addition de « ce n’est pas tout à fait comme avant »… Il y a un moment où il faut digérer tout ça dans un univers atomisé hyper individualiste sans thérapie collective. Du côté des soignants, il y a une identité collective renforcée par la crise, il y a la construction de sens et une vision critique de ce qui a fait défaut et des comptes à demander une fois la crise passée. Ce n’est pas le cas du côté des chercheurs a fortiori en sciences sociales. Mais cela a un prix, il n’y a qu’à compter le nombre de burn-out, d’état dépressif ou de désengagement autour de nous. Enfin, pour que cela modifie les pratiques futures de la recherche, il faudrait repenser les politiques de recherche qui sont dans l’impasse : revoir l’allocation du crédit impôt recherche et le financement de la recherche, avoir une politique de recherche nationale et locale digne de ce nom et pas une approche comptable, ralentir le rythme : au lieu de multiplier les collectes, prendre le temps d’exploiter les données existantes, se redonner le temps de lire et de penser au lieu de se perdre dans une course en avant à la productivité ce qui entraine toutes les dérives et les mauvaises pratiques… - CL. En géographie en particulier, il me semble que oui, sans que cela soit une bonne nouvelle. Ceci à plusieurs échelles : faisant partie des enseignant.es-chercheur.es qui qui souhaitent poursuivre la mise en place de méthodologies participatives de recherche-action, cette expérience du confinement, qui n’est probablement qu’une première fois, m’interroge sérieusement sur les façons de continuer de faire de la recherche avec les habitant.es Comment faire pour travailler avec elles/eux ? Les outils numériques ne sont pas une alternative unique tant on sait qu’ils sont discriminants, mais alors comment faire ? Cela rejoint cette idée d’être responsable d’une production scientifique démocratique, comment inventer de nouvelles façons de faire en tenant compte de ces contraintes supplémentaires ? La recherche « sur » et non pas « avec » risque de reprendre sérieusement le pas.

Maintenant il y a les conséquences des décisions budgétaires. Frédérique Vidal avait annoncé une augmentation significative de 4 milliards dès 2020 pour la recherche sur la pandémie, or, la loi de finance rectificative ne prévoit aucun moyen budgétaire supplémentaire pour la recherche. Le système des vases communicants est simple, si les budgets sont fléchés vers la recherche sur la pandémie, c’est indubitablement nécessaire, alors ils n’existeront plus pour les programmes de recherches qui ne s’occupent pas du virus. On sait les sciences humaines et sociales souvent le parent pauvre de la recherche, dans quelles nouvelles concurrences faudra-t-il se lancer pour espérer un epsilon de miette budgétaire ? - JBF. La crise ouvre de nombreux possibles pour le moins contradictoires. Elle peut renforcer un pilotage top down de la recherche, suivant des intérêts de court terme, plus ou moins légitimes et dans le sillage du lancement en urgence d’appels à projet liés au coronavirus qui ne saurait faire l’économie d’une politique large et durable de financement de la recherche. A contrario on peut espérer que la crise favorise l’essor de la slow research, celle qui s’affranchit du publish or perish et privilégie la qualité à la quantité de publications ou d’autres activités. Cette pandémie peut déboucher autant sur une politique favorable à la recherche publique, dans le cadre d’une réhabilitation plus générale des apports des activités d’intérêt général et de la puissance publique, qu’à l’amplification de l’organisation de la pénurie à laquelle nous assistons au nom de la crise économique. D’un point de vue méthodologique on

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peut envisager autant la montée en puissance d’investigations numériques que d’un renouement avec des méthodes qui privilégient l’in situ.

- GG. & AS. La mobilisation se poursuit-elle malgré la crise sanitaire et comment ? La jugez- vous compatible avec la situation de crise et pourquoi ? - CL. Pour ce qui est de mon établissement, il ne me semble pas que la mobilisation s’y poursuive. Pourtant, elle serait tout à fait compatible avec cette situation pendant laquelle les décrets qui n’ont rien à voir avec l’épidémie continuent d’être publiés et ajoutent peu à peu des fondations à la LPPR. - MB. La mobilisation a été fauchée dans son élan. Il n’y a qu’à voir les enseignants en grève qui se sont précipités pour mettre en place des outils numériques pour assurer la continuité pédagogique et mettre des cours en ligne… Quelques voix critiques se sont élevées mais elles sont assez inaudibles et tout le monde reste dans son coin à bricoler au mieux. Le meilleur relais de la mobilisation demeure la faillite du système de santé qui donne à voir concrètement ce que produit la privatisation d’un service public et son articulation avec les politiques de recherche (l’abandon des financements sur les recherches sur les coronavirus, la vision court-termiste…) qui apparait au grand jour et est fortement relayée et médiatisée. - JBF. La mobilisation se poursuit, à bas bruit, en basse continue, afin de mieux se redéployer ensuite sous des formes inventives, pour repenser les modes d’action et les pratiques de travail. La crise n’est pas séparable de l’enjeu de revalorisation d’une politique de recherche et de formation à la hauteur des défis de nos sociétés, elle en montre au contraire toute l’acuité. Dans l’enseignement supérieur, la recherche et ailleurs, c’est la déconnexion de la crise de ses fondements et de ses conséquences qui me paraît indéfendable. - JB. Ce que l’on nomme « mobilisation » recouvre toujours un grand nombre de pratiques. D’une part les pétitions, manifestations, distributions de tracts, adresses aux élus, conférences de presse, textes collectifs : que l’on sait complètement inefficaces lorsqu’il s’agit d’instaurer un rapport de force avec un gouvernement. D’autre part les grèves – grève des cours, grève des tâches administratives, rétentions des notes. Les grèves peuvent avoir plus de poids, et pousser les pouvoirs publics à réagir, car elles facilitent la mobilisation des étudiants (libérés sur leur temps d’étude pour se mobiliser). Et quand les étudiants sont dans la rue, le rapport de force est tout autre. Cela renvoie au rôle central des étudiants, à leur capacité à renouveler les modalités d’actions, à être imprévisibles. Ou en tout cas à être beaucoup moins prévisibles que les membres permanents (surtout statutaires) de l’ESR qui eux, pour le coup, rechignent à sortir des clous. Non seulement la poursuite de la mobilisation est compatible avec la situation de crise, mais elle est plus que jamais nécessaire. La crise sanitaire que nous traversons devrait au contraire l’amplifier, si l’on en tire toutes les conséquences. Jusqu’à présent, elle se poursuit sous différentes formes, plus ou moins virtuelles, et de manière complètement inaudible pour le grand public et les pouvoirs publics, vue la situation actuelle. La réflexion continue également, et l’on prépare la suite du mouvement, dès que le confinement policier des populations cessera. Parmi les initiatives collectives, on sent l’envie partagée de ne plus être dans la seule résistance, dans la défense « conservatrice » d’un système dont on connait bien les défauts, mais de proposer autre chose, d’inventer autre chose sur la base de nos

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analyses (auto)critiques des champs politiques, économiques et de l’ESR. Les chances de réussite sont maigres, mais il faut essayer, encore et encore, en essayant de ne pas reproduire les mêmes erreurs que celles qui nous ont menés aux échecs passés.

NOTES

1. Disponible sur : https://storage.googleapis.com/en-marche-fr/COMMUNICATION/ Programme-Emmanuel-Macron.pdf 2. Pour lire ces rapports : http://www.sauvonsluniversite.fr/spip.php?article8548 3. voir par exemple : http://blog.educpros.fr/julien-gossa/2019/09/25/lppr-rapports-des- groupes-de-travail/ 4. Début mars, 114 universités et écoles, 330 laboratoires, 154 revues et 37 sections CNU ont rejoint le mouvement social (voir sur https://universiteouverte.org/). 5. Personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques (BIATSS) 6. Voir http://www.sauvonsluniversite.fr/ 7. Voir : https://universiteouverte.org/category/collectifs-mobilises/ 8. Crochet M., 2004. Le processus de Bologne L'aboutissement d'un long cheminement. Études, vol. 11 (Tome 401), p. 461-472. Sur le site CAIRN, URL : https://www.cairn.info/ revue-etudes-2004-11-page-461.htm 9. https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM%3Ac11088 10. Schultheis F., Roca i Escoda M., Cousin P.-F. (dir.), 2008. Le cauchemar de Humboldt. Les réformes de l’enseignement supérieur européen. Raisons d’agir. 11. Voir : https://www.lemonde.fr/education/article/2020/03/05/ca-va-etre-encore-plus-de- competition-et-de-contrats-precaires-chercheurs-et-etudiants-manifestent-contre-la-loi-sur-la- recherche_6031975_1473685.html 12. Voir par exemple : https://universiteouverte.org/category/boite-a-outils/ 13. Lettre publiée le 1er octobre 2007 : https://www.liens-socio.org/Pourquoi-je-demissionne-de- mon 14. Voir https://ens-paris-en-lutte.fr/agenda/ 15. Règlement nᵒ 2016/679 de l’Union Européenne relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données dit « règlement général sur la protection des données » ou RGPD. 16. Le quotidien Le Monde a confié à l’écrivaine Leïla Slimani, confinée dans sa maison de campagne, une chronique quotidienne durant la période de confinement. (Billet 1 : https:// www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/18/le-journal-du-confinement-de-leila-slimani-jour-1-j- ai-dit-a-mes-enfants-que-c-etait-un-peu-comme-dans-la-belle-au-bois- dormant_6033596_3232.html) (Ndlr). 17. Bruno Canard, directeur de recherche CNRS et membre de cette équipe, raconte tout cela ici : https://universiteouverte.org/2020/03/04/coronavirus-la-science-ne-marche-pas-dans- lurgence/ 18. Établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST)

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AUTEURS

MARIANNE BLIDON Marianne Blidon, [email protected], est maître de conférences à l’Institut de démographie de l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, Centre de recherche de l'Institut de démographie de Paris. Elle a récemment publié : - Blidon M., Zaragocin S. (dir.), 2019. World map of gender and feminist geographies. Gender, Place and Culture [En ligne], vol. 26, n° 7-9. URL : https://www.tandfonline.com/toc/cgpc20/26/7-9? nav=tocList& - Blidon M.. 20189. Cartographier la géographie féministe. Épistémologies, théories et praxis. Habilitation à diriger des recherches, volume 3, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, 186 p. - Bathellier V., Blidon M., Vallet B. (dir.), 2017. Le genre urbain. Les Annales de la recherche urbaine, n° 112. URL : https://www.persee.fr/issue/aru_0180-930x_2017_num_112_1

JULIEN BRACHET Julien Brachet, [email protected], est Chargé de recherche à l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD), membre de l’UMR Développement et Sociétés. Il a récemment publié : - Brachet J., Scheele J., 2019. The Value of Disorder: Autonomy, Prosperity, and Plunder in the Chadian Sahara. Cambridge, Cambridge University Press, 348 p. - Brachet J., 2018. Manufacturing Smugglers: From Irregular to Clandestine Mobility in the Sahara. The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, vol. 676, n° 1, p. 16-35. - Brachet J., 2016. Policing the Desert: The IOM in Libya Beyond War and Peace. Antipode, vol. 48, n° 2, p. 272-292.

JEAN-BAPTISTE FRÉTIGNY Jean-Baptiste Frétigny, [email protected], est maître de conférences à Cergy Paris Université, membre du laboratoire MRTE et chercheur associé à l’UMR Géographie-cités. Il a récemment publié : - Fretigny J.B., Weiqiang L. (coord.), à paraître. Flying on the Cheap: Culture, Politics and New Infrastructures of Low-Cost Aeromobilities. Elsevier, coll. Contemporary Issues in Air Transport. - Fretigny J.B., Bouloc C., Cattan N., 2019. Quand les marges mobiles construisent des centralités à éclipse. Migrants et touristes à Paris. In Bernier X. et al. (dir.), Mobilités et marginalités. Rennes, Presses universitaires de Rennes (Espace et territoires), p. 29-42. - Fretigny J.B, 2017. How Aeromobilities Are Changing?. Mobility in History [En ligne], vol. 8, n° 1, p. 125-132. http://dx.doi.org/10.3167/mih.2017.080114

CORINNE LUXEMBOURG Corinne Luxembourg, [email protected], est maître de conférences à l’École nationale supérieure d'architecture de Paris-La Villette, équipe Architecture, Milieu, Paysage et UR Discontinuités. Elle a récemment publié : - Luxembourg C., 2016. La banlieue côté femmes : une recherche-action à Gennevilliers (Hauts-de- Seine). Itinéraires, Littérature Textes Culture. [En ligne], n° 3. URL : http:// journals.openedition.org/itineraires/3633 - Luxembourg C., Labruyère D., Faure E., 2020. Les sens de la ville : pour un urbanisme de la vie quotidienne. Montreuil-sous-Bois, Le Temps des Cerises.

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- Luxembourg C., 2020. Solitudes : spatialités et temporalités du genre. Géographie et cultures [En ligne], n° 108. URL : http://journals.openedition.org/gc/9486

GAËLLE GILLOT Gaëlle Gillot, [email protected], est maître de conférences à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’UMR IEDES.

ALEXIS SIERRA Alexis Sierra, [email protected], est maître de conférences à l’Université Cergy-Pontoise- IUFM et membre de l’UMR Prodig.

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