Tu Seras Plus Que Reine

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Tu Seras Plus Que Reine Tu seras plus que reine... PHILIPPE VIGUIÉ DESPLACES LA TABLE RONDE 9, rue Huysmans, Paris 6 © Éditions de La Table Ronde, Paris, 1991. ISBN 2-7103-0507-0 A Marie Victoire, ma femme, et à nos aïeules qui ont été aussi de merveilleuses femmes du XIX siècle et plus particulière- ment : A la comtesse de Coulombiers, née Marie d'Astier de la Vigerie, qui fit du château de la Victoire, au XX siècle, un des grands rendez- vous de l'art de vivre à la manière du XIX A la comtesse Desplaces, née Caroline Dumalle de Colonjon, petite-nièce des frères Montgolfier et de Marc Seguin, qui dans sa villa du Prado de Marseille et dans l'hôtel de la rue de Bourgogne à Paris, animait un bril- lant salon, fréquenté entre autres beaux esprits par Frédéric Mistral et Octave Feuil- let, lequel la dépeint sous les traits de l'une de ses héroïnes. PRÉFACE La postsoixante-huitarde, égérie moderne en déclin, n 'était pas engageante avec son comportement de harpie, son drapeau rouge et son avant-gardisme. Était-elle vrai- ment une femme ? Les Carrières-Women d'aujourd'hui ne valent pas mieux. Femmes patrons qui juchent un semblant de fémi- nité sur de pseudo-trônes en forme de fauteuils. Les « bourgeoises », réfugiées dans un bécébégisme ano- nyme, découragent tout autant le rêve. A trop vouloir se faire désirer, la femme d'aujourd'hui aurait-elle oublié sa vocation originelle : nous faire rêver ? Serait-elle devenue évanescente ? Les onze femmes de ce livre sont féminines et roma- nesques. Elles appartenaient pour la plupart au XIX siècle mais leur souvenir projette son ombre jusqu'aux portes de l'an 2000. Leurs existences longues et parfois doulou- reuses, aventureuses et parfois tragiques, audacieuses et parfois admirables, reflètent la féminité, pour ne pas dire qu'elles l'inventent ! Elles ont parachevé leur époque avec application, n'hésitant pas à jouer dans la nôtre les pro- longations, ce qui nous les rend encore plus proches. Elles ont traversé ce XIX siècle où l'Histoire semble s'accélérer à la vitesse des régimes qui se succèdent, des progrès scientifiques et techniques qui avancent à pas de géant. Elles sont issues de milieux différents mais toutes sont devenues des reines, des princesses, de grandes aris- tocrates du sang, des arts, des lettres ou de l'aventure, parce qu'à leur époque la féminité était un luxe souve- rain ! Certaines ont été à la fois contemporaines de Louis- Philippe et de François Mitterrand ! D'autres ont connu le vieil empereur François-Joseph mais ont serré la main de Leonid Brejnev ou de Mao, ont eu Richard Strauss pour ouvrir le bal de leurs dix-huit ans et ont écouté les pre- miers yé-yés, en descendant des carrosses de leur enfance elles ont vu les premiers hommes explorer l'espace, man- quant de quelques années le rendez-vous avec la lune. Ce livre les raconte en soulignant la part de rêve qu 'elles nous ont léguée. Ces dernières femmes du XIX qui sont les premières de notre siècle nous fascinent par la modernité de leurs vies et annoncent avec force, mais grâce, les défis du sexe dit faible. Elles incarnent des vertus d'aujourd'hui mais sans jamais se départir de leur extrême féminité. Ainsi sont-elles tout à la fois, la mémoire, le testament et l'avenir de la femme. Des modèles, en somme... (1777-1860) « Le mémorial d'un siècle » Je n'arrive pas à détacher mon regard d'une photo parue dans Paris-Match en 1950. Elle montre le vieux roi Gustave V de Suède l'année de sa mort. Cet homme de quatre-vingt-douze ans a connu une femme extra- ordinaire : la reine Désirée, dont l'une des dernières joies fut de le prendre sur ses genoux alors qu'il était petit gar- çon. C'était il y a bien longtemps... En 1860, au château de Drottningholm ! Désirée Clary est une femme-histoire qui confond sa vie avec deux siècles de la nôtre. Une femme qui aura vu se succéder plus de six régimes à la tête de la France ! Née sous l'Ancien Régime, fille d'un négociant marseillais, fiancée à Napoléon Bonaparte, Désirée est prise dans les tourmentes d'une Révolution française puis d'un premier Empire qui fera d'elle une princesse héritière de Suède puis une reine. Ironie de l'histoire, le père de cette petite bourgeoise de province avait, en vain, avant la Révolu- tion, demandé des lettres de noblesse, ignorant que ses descendants régneraient encore sur la Suède aux portes du troisième millénaire. Une vie comme la sienne en remplirait des milliers d'autres tant elle est riche. D'autres femmes ont eu aussi des existences fameuses, mais le destin de la reine Désirée est d'abord celui d'une femme qui à force de bousculer les époques est presque parvenue à devenir de la nôtre. Tout commence à Marseille, dans la capitale française du soleil, tout se finira à Stockholm, la capitale euro- péenne du froid. Pauvre Désirée ! Durant toute son existence elle regret- tera les rayons de l'astre de son enfance. Vers la fin de sa vie, dans la seconde moitié du XIX siècle, on l'entendait souvent, tapie dans une des pièces d'un des châteaux royaux de Suède, gémir et réclamer : « Ah ! le soleil de Marseille ! » Elle semblait plus que tout le regretter. Mais Désirée est comme ça. Sa vie durant, il y aura tou- jours quelque chose qui ne la satisfait pas. Tout ce qui lui arrive est l'œuvre du destin. Surtout pas la sienne. C'est l'absence d'ambition qui la caractérise. Quand on lui annonce que son mari a été élu roi de Suède, qu'elle va devenir la reine, elle soupire : « Les règnes finissent si mal. - Oui, Madame, lui répond Talleyrand, mais c'est bien joli pour commencer... » A Marseille les Clary sont de riches négociants dont la vie privée et la mentalité sont irréprochables. Son père, François Clary, fait notamment le commerce de la soie et du savon. Désirée grandit, heureuse, dans cette bourgeoi- sie que l'ordre social établi empêche de triompher, de passer aux étages supérieurs du royaume. C'est-à-dire à la noblesse. Le rêve de son père! Le sien seulement. Car les Clary sont des gens simples. Ils le resteront toujours, même quand le destin les coif- fera de prestigieuses couronnes. Désirée gardera son franc-parler, une « simplicité de bon aloi », qui lui don- nera de faux airs de Mme Sans-Gêne, l'éducation bour- geoise en plus. Un trait de caractère que l'on retrouvera chez les trois frères de Désirée et chez ses trois sœurs dont Julie, la plus laide, sera toujours la plus proche. Un jour un soldat, fourrier de son état, se présente au domicile des Clary muni d'un bulletin de logement. Fran- çois Clary est mécontent : « Un homme du rang chez moi ! » Il veut au moins un officier. Très poliment, mais très fermement, il congédie le malheureux sans avoir oublié de lui donner une lettre pour son colonel. Dans cette mis- sive François Clary explique qu'il veut bien loger un mili- taire mais qu'il souhaite que ce soit un officier. Devant la petite famille intriguée, le soldat, un grand homme à la jambe si bien faite que ses camarades lui ont donné le sur- nom de sergent « Bellejambe » franchit, un peu déçu, le seuil de la maison des Clary. Ce sergent sera un jour maréchal de France, prince héritier, puis roi de Suède. La Révolution avant d'être le salut de Désirée sera d'abord son épreuve. Une bien courte épreuve. Puisque son frère est arrêté dans la confusion révolutionnaire qui s'empare de Marseille. Mais le représentant du peuple, un dénommé Albitte, vient justement d'arriver dans la cité phocéenne. La belle-sœur de Désirée veut le voir et demande à Désirée de l'accompagner. La jeune fille, ravie et insouciante, comme à son habitude, s'endort dans la salle où attendent les quémandeurs. Vient le tour de sa belle-sœur. Faut-il réveiller Désirée ? Non, décide-t-elle. On introduit Mme Clary dans le bureau d'Albitte. L'ordre de libérer son mari est signé. Il faut se dépêcher d'aller à la prison. En ces moments hasardeux le temps est l'ennemi de la justice. Elle en oublie d'aller récupérer sa belle-sœur toujours endormie. La salle se vide et Désirée dort encore. Un homme entre alors et réveille cette jolie inconnue. Avec lui l'Histoire pénètre dans cette antichambre du hasard. « Une petite demoiselle comme vous ne peut pas la nuit venue s'en aller seule dans les rues. Je vais vous reconduire chez vous. » Rassurée autant qu'amusée, Désirée accepte la proposi- tion de l'inconnu. Elle racontera plus tard : « De la maison commune à la rue des Phocéens nous causâmes si bien, qu'arrivés à la maison nous étions deve- nus des amis. » Désirée insiste pour que le jeune homme si galant entre dans la maison. « Ma mère voudra sûrement vous témoigner sa reconnaissance. » Mais l'homme refuse. Il est pressé. « Demain si vous voulez », promet-il. Désirée lui demande tout de même : « Mais comment vous appelez-vous ? » - Je m'appelle Joseph Bonaparte ! » Le lendemain, en effet, le frère de Napoléon, qui n'est pas encore celui de l'empereur, est assis au milieu du salon de Mme Clary. Il charme tout le monde par sa conversation, son humour et sa gentillesse. « C'est le meilleur homme du monde », dit de lui Mme Clary.
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