Juliette Clary, Nièce De Deux Reines

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Juliette Clary, Nièce De Deux Reines EDMOND DE BEAUVERGER JULIETTE CLARY, NIÈCE DE DEUX REINES (i) uliette Clary était la fille de Mme Blaid de Villeneuve, sœur J des deux reines, Désirée (1) et Julie (2). C'est avec cette dernière que Mme de Villeneuve vécut en Italie, à Florence puis à Rome à partir des années 1825. Elles étaient liées non seule• ment par une profonde affection, mais aussi par des questions d'intérêt, les mesures de confiscation adoptées en 1815 à rencontre de la famille Bonaparte ayant amené l'ex-roi Joseph, retiré aux Etats-Unis, à mettre les nombreux domaines qu'il possédait en France (notamment Mortefontaine et Survilliers) sous le nom de sa belle-sœur. Juliette vécut dans l'intimité de sa mère et de sa tante jusqu'à son mariage avec son cousin Joachim Clary en 1832. Elle avait alors trente ans. Les deux sœurs, l'une veuve, l'autre séparée de son époux par l'Atlantique, mènent tantôt à Florence, tantôt à Rome, une existence des plus paisibles. Juliette qui, contrairement à ses cousines Zénaïde (3) et Charlotte (4), a reçu une éducation très soignée, cultive les arts d'agrément. Elle joue de la harpe, comme en témoigne son portrait peint par David à Bruxelles en 1824 ; elle prend des leçons de chant avec le célèbre Adolphe Nourrit ; elle a dans le monde des arts et de la littérature des amis fidèles, en majorité italiens, avec qui elle entretient une correspondance suivie ; elle s'intéresse fort à la politique ; son admiration sans bornes pour l'empereur la rend souvent injuste pour les Bour- (1) Désirée Clary, épouse de Bernadotte, roi de Suède. (2) Julie Clary, épouse de Joseph Bonaparte, roi de Naples, puis d'Espagne. (3) Zénaïde, fille de Joseph et de Julie, épouse son cousin Charles, fils de Lucien Bonaparte. (4) Charlotte, fille de Joseph et de Julie, épouse Napoléon Louis, frère du futur Napoléon III. JULIETTE CLARY, NIÈCE DE DEUX REINES 33 bons ; elle prend fait et cause pour les libéraux italiens au pre• mier rang desquels elle place ses amis Giordani et Jési ; si le grand-duc de Toscane trouve grâce à ses yeux, elle n'a pas de termes assez sévères pour stigmatiser les exactions des autres gouvernements italiens sans en excepter le gouvernement pontifi• cal. « A Rome, les procès durent cinquante à soixante ans ; on lègue à ses enfants, et puis le pape, d'un trait de plume, peut tout remettre en question. » Elle déplore l'absence de toute liberté, à commencer par celle de la presse : « Il est singulier de penser que l'Italie d'où se sont élancés pour la seconde fois la civilisa• tion, les arts et les lettres et qui traitait tous les autres peuples de barbares, est à présent le pays où il y a le moins de journaux ; ils sont tous mauvais et soumis à une censure très sévère surtout dans le royaume lombardo-vénitien et à Modène. A Milan, plusieurs sont édités par le gouvernement pour que ce soit encore mieux. La Gazette de Gênes est ce qu'il y a de moins mauvais... La Toscane est le seul pays d'Italie où l'on reçoive tous les journaux et tous les livres étrangers sans aucune restriction. » A la bonhomie du grand-duc de Toscane qui, au passant tout confus de l'avoir coudoyé dans la rue, répondait : « Eh ! mon Dieu, ce n'est pas la peine ; vous ne l'avez pas fait exprès », Juliette oppose le despotisme du duc de Modène « un homme affreux qui ne permet même pas à ses sujets de posséder chez eux les livres qui leur conviennent » et l'imbécillité du roi de Sardaigne « qui s'amuse à fabriquer des oies en papier qu'il distribue aux grands de sa Cour ». « Quelle douce surprise, quel contentement on éprouve lors• qu'on revient des Etats romains en Toscane ! Ici plus de misère, tout le monde est content, heureux, proprement et élégamment habillé ; le cœur et la raison y perdent peut-être car ces déguenil- lements de Rome sont bien pittoresques ; ils font bien dans un tableau, mais à la longue c'est un triste spectacle au lieu qu'en Toscane on éprouve une douce satisfaction en voyant le peuple si heureux. » C'est avec sa cousine, Napoleone Camerata, la fille d'Elisa Bacciochi, que Juliette se sent en pleine communion d'idées. « Quelle douleur, lui écrit-elle le 9 juillet 1829, de voir cette belle Italie écrasée comme elle l'est, sous des gouvernements de plomb ! J'aime du fond de l'âme ces véritables et bons Italiens et il y en a encore beaucoup ; il ne faut pas tous les juger sur Son Excellence (1) et ses dignes confrères, les Princes Romains et les cardinaux, ce serait en prendre une bien fausse idée. » (1) Il s'agit de Charles qui, comme son père. Lucien, avait obtenu du pape le titre de Prince romain. LA REVUE N» 4 2 34 JULIETTE CLARY, NIÈCE DE DEUX REINES a démission des ministres de Charles X donne à Juliette L l'occasion d'une nouvelle diatribe : « Ce changement de ministres est quelque chose d'incroyable... Passe pour M. de Poli- gnac, on s'y attendait ; mais les suivants, La Bourdonnais, Bour- mont et compagnie, c'est par trop fort ; il faut être stupide, il faut être fou, en un mot il faut être Bourbon pour faire de semblables extravagances... Quel affront pour l'armée ! Nommer ministre de la guerre un déserteur, un homme sans foi ni loi. Dans l'espace de trente ans, il n'y a eu que deux généraux qui aient eu l'infamie de passer à l'ennemi et c'est juste un de ces deux-là qu'on choisit pour chef de l'armée. Quel mépris pour l'opinion publique que toutes ces nominations ! Ah ! que l'empereur avait raison de dire, en parlant de ces gens-là « qu'ils n'avaient rien oublié, ni rien appris ». Ils le prouvent depuis quinze ans... » Juliette éprouvait d'autant plus le besoin de se confier à une âme sœur qu'elle étouffait dans le milieu familial où elle vivait. Son journal intime en témoigne : « C'est singulier comme ma tante et mes cousines, avec de très bonnes qualités et de l'esprit, sont des êtres nuls et insignifiants. Elles ne peuvent s'occuper de rien de sérieux, d'aucune conversation qui élève l'âme et l'esprit, elles ne peuvent lire que des futilités, surtout Charlotte qui ne lit rien du tout. Lorsqu'elles sont ensemble, elles ne parlent et ne s'occupent que de toilettes ou de caquets, de commérages et des misérables détails de ce qu'elles ont fait ou dit, de ce qui se passe dans la famille. C'est pour elles l'univers, aucune autre chose ne les intéresse, ni politique, ni littérature, ni morale, rien ! Aussi dans la société elles sont de la plus grande insipidité et ma tante ne trouve de bonheur que dans les conversations inutiles. Il est vrai qu'elle a toujours été comme cela ; avec ma tante Désirée, c'était la même chose ; elles avaient le talent de ne s'occu• per que de misères dans un temps où l'on ne faisait que de grandes choses. Aussi n'ont-elles jamais été aimables ni agréables dans le monde et ne se sont-elles jamais formé de société ; elles avaient toujours la tête farcie de bêtises, ce qui fait qu'elles ne pouvaient parler ni s'occuper d'autre chose... Je ne puis supporter d'entendre ma tante se lamenter sur le sort de la reine de Suède, c'est tout à fait ridicule. L'autre jour, j'étais si poussée à bout que je n'ai pu m'empêcher de lui faire remarquer combien ce sort était beau et lui dire qu'en vérité elle ne devrait pas parler de la sorte devant le monde parce que ce serait se faire moquer de soi. On pourrait plaindre la reine d'être séparée de ses deux sœurs mais enfin elle vivait auprès de son mari et de ses enfants qu'on devrait naturellement supposer être les objets les plus chers JULIETTE CLARY, NIÈCE DE DEUX REINES 35 de ses affections. Ma tante n'a rien répondu et effectivement il n'y avait rien à répondre. Ma tante est très bonne et c'est sa trop grande bonté qui expli• que travers et inconséquences. Elle s'imagine que ma tante Désirée et Zénaïde sont des personnes très sensibles, ce qui n'est pas. Surtout Zéndide qui est le type de l'égoïste comme fille, comme mère, comme sœur et comme amie. Comme mère surtout, c'est inconcevable. Elle n'a même pas cet instinct des bêtes qui leur fait prendre les plus tendres soins de leurs petits. Elle vous rudoie ses enfants, vous les jette de côté, au risque de leur faire mal, sans la plus légère attention. Il faut voir aussi comment elle les nourrit, cela fait pitié. Elle, voilà seulement ce qui l'intéresse et ce à quoi elle rapporte tout dans ce monde. Encore faut-il prendre soin d'elle, car elle est si nonchalante qu'elle ne se donnerait pas même cette peine, ce qui fait que ma tante et Charlotte ne sont occupées que d'elle, comme d'un enfant de trois ans. » Aux côtés de Zénaïde mariée depuis 1822 à Charles, prince de Musignano et de Charlotte qui avait épousé en 1826 Napoléon Louis, la pauvre Juliette jouait la Cendrillon. Après avoir refusé plusieurs partis, elle s'était résignée à répondre aux avances du général Belliard.
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