XXE-XXIE SIÈCLES - L'ART, LE SACRÉ

GERMAIN NOUVEAU, POÈTE DE L'AMOUR, VAGABOND ET MYSTIQU

. LUCIEN SUEL .

epuis longtemps, Germain Nouveau est dans mes pensées. D'abord à cause de son œuvre poétique publiée après sa D mort, ces deux livres majeurs que sont la Doctrine de l'amour et les Valentines. Ensuite, en raison des péripéties de sa vie, de son amitié avec et . Germain Nouveau est aussi pour moi une figure du vagabond solitaire, un ancêtre de ces beatniks découverts dans les livres de Jack Kerouac. J'ajoute que Germain Nouveau termina son existence dans l'imitation de Benoît-Joseph Labre, le saint pouilleux qui fréquenta jadis l'église de mon village. Ce qui m'amène à une autre approche, psycho-géographique pourrait-on dire ; sentir ce que lui, homme du Midi, vécut dans cet Artois où j'habite, notam­ ment avec Verlaine à Arras, la ville de Jean Bodel et Baude Fastoul, les poètes lépreux du Moyen Âge, la ville aussi où naquit Pierre-Jean Jouve.

REVUE DES 135 DEUX MONDES XXE-XXIE SIÈCLES -L'ART, LE SACRÉ Germain Nouveau, poète de l'amour, vagabond et mystique

Le beffroi d'Arras se redresse Comme la hune au vent d'hiver ; Mais Marseille ! est une bougresse, Qui tempête, au bord de la mer ;

Et puis tout naturellement, ce lien, quasiment une commu­ nion, qui existe entre les poètes à travers le temps, à travers l'espace, un lien qui se matérialise dans les anthologies. J'ai lu pour la première fois le nom de Germain Nouveau dans l'Anthologie de l'humour noir d'André Breton, un livre de poche acheté dans une librairie d'Arras, où j'étais pensionnaire en classe de seconde. Ensuite, j'ai trouvé le volume Germain Nouveau dans la collection « Poètes d'aujourd'hui » de Pierre Seghers et enfin ses deux livres principaux, la Doctrine de l'amour et les Valentines, publiés ensemble dans la collection « Poésie » de Gallimard. J'ai d'emblée été touché par cette poésie narrative et l'impor­ tance accordée à l'amour sous toutes ses formes.

Amour qui pleures sur les brandes Avec l'angélus du matin, Sur les steppes et sur les landes Et sur les polders des Hollandes ;

J'étais sensible à ce mélange entre religiosité et érotisme que je voyais chez un Verlaine mystique et lubrique, ou plus tard, chez d'autres auteurs qui furent parfois tentés par la prêtrise, Bataille, Klossowski, Louis-Combet. Germain Nouveau, perméable à toute influence, trouve dans sa production littéraire, l'unité de sa personne, une quête de soi à travers le grave et le futile, doctrine et valentine. Plus tard, Germain Nouveau prendra le parti de la pauvreté, celle de la première béatitude « Bienheureux les pauvres en esprit... ». Béatitude, une des origines du mot beat. « Être pauvre d'esprit, c'est être libre. »

La mauvaise richesse, elle est dans notre sang ! Elle est dans nos pourpoints, elle est dans notre code Et fait l'opinion, comme elle fait la mode.

Au long de sa vie, le poète a traversé, contemplé les paysa­ ges de mon enfance, voyagé sous les mêmes nuages que Vincent

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Van Gogh, du Nord au Sud, du Sud au Nord, traversé les mêmes rivières, l'Escaut, la Scarpe, la Lys. Il parle à Jean Richepin « des nords de d'une saveur inattendue », il parle du faro, une bière bruxelloise, il parle de l'absinthe beurrée, mélange d'absin­ the et de bière, il parle du genièvre. Plus tard, lors de ses voyages en Angleterre avec Rimbaud, puis Verlaine, il goûtera dans les pubs, les fish and chips arrosés de gingerbeer. Me touchent aussi, malgré ces incessants voyages, l'impor­ tance qu'il accorde à son village natal, le fait qu'il ait comme moi le jardin et la maison comme points d'ancrage. Et puis, de façon un peu bête, je remarque ces détails, petits signes, que Nouveau meurt en 1920, l'année de naissance de mon père et de Charles Bukowski.... et au trio Rimbaud, Verlaine, Nouveau, j'associe très naturellement le trio Kerouac, Ginsberg, Burroughs... Germain Nouveau est né le 3 juillet 1851 à Pourrières (Var), premier enfant de Félicien Nouveau et Augustine Silvy. Sa sœur Laurence naît en 1855 et sa sœur Marie la suit en 1857. L'année suivante, Augustine, sa mère, meurt. La famille s'installe à Aix. En 1863, Germain Nouveau est élève externe au petit séminaire d'Aix. Il ne sait s'il sera prêtre, peintre ou pharmacien. En 1864, sa petite sœur Marie meurt à 7 ans, le jour de l'Assomption et le 26 août, son père meurt également. La vie de Germain Nouveau commence avec ce contact intime avec la mort, il ne pourra pas l'oublier. Orphelin, il est recueilli par ses grands-parents, qui l'élèvent dans l'amour de la famille, le sens sacré de l'effort et le goût du pays. Il oubliera un peu ces leçons mais y reviendra. En 1870 il devient bachelier ès lettres et prend en 1871 un poste de maître d'études au lycée de Marseille. En 1872, majeur, il touche sa part des biens de ses parents, arrive à Paris et commence sa vie littéraire. Il fréquente les milieux excentriques, les Vivants, les Vilains Bonshommes, les Hydropathes, les Sansonnets, les Zutistes, tous ces chevelus beat- niks ou punks avant l'heure. Quoi de plus punk que l'Album zutique ! Et tous ces jeunes gens usent de drogue et d'alcool, en pratiquant un nouveau langage au style parodique. Désir d'une vie nouvelle qui s'achèvera comme souvent en rêve avorté. Mais, à cette époque, Germain Nouveau commence à chercher lui aussi le lieu et la formule. En 1874, après l'avoir rencontré au café

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Tabourey, il part avec Rimbaud à Londres. C'est lui qui recopiera le texte des Illuminations. Verlaine, quant à lui, est en prison à Mons, pour les raisons que l'on sait. La fréquentation de Rimbaud va modifier la vision de Nouveau. Il comprend que la littérature n'est plus un art, mais un art de vivre. C'est aussi avec Rimbaud qu'il a la révélation paradoxale d'une forme de mysticisme. L'Absolu de Rimbaud, de façon involontaire, ramène Nouveau sur les chemins de la foi. Il a cette illumination dans la campagne anglaise, passe un dernier dimanche chrétien à Londres, et puis rentre à Pourrières.

La visite à Amettes

En 1877, Verlaine invite Germain Nouveau à Arras, où il s'est installé chez sa mère après sa libération de Mons. Parallèle en pas­ sant, je pense à Kerouac revenant toujours chez Mémère après ses frasques sur la route avec Neal Cassady. Germain a tout juste 26 ans et il devient le compagnon de beuveries et de méditations chrétiennes de Verlaine. C'est dans la cathédrale d'Arras que Paul Verlaine parle pour la première fois à Germain Nouveau du per­ sonnage de Benoît Labre. J'habite à quatre kilomètres du petit village d'Amettes dans les collines d'Artois. Amettes est le village natal de Benoît-Joseph Labre, né en 1748, mort à Rome en 1783 à l'âge de 35 ans, béatifié en 1861 et canonisé en 1881. Verlaine, qui écrivit le sonnet Canonisation à cette occasion, déclarait que Benoît Labre était la seule gloire française religieuse du XVIIIe siècle. Pour mémoire, André Dhôtel, auteur d'une biographie de Rimbaud, écrivit aussi celle de Benoît Labre. Je ne retrace pas toute la vie de ce saint très particulier, j'en donne la trame principale. Après avoir échoué de nombreuses fois dans ses tentatives d'être accepté dans un monas­ tère, Benoît Labre décide finalement que c'est la route qui sera son monastère. Il sera un ermite vagabond. Il quitte définitivement sa famille et son village le 12 août 1769. À partir de ce moment, il erre sur les routes d'Europe, allant de lieux de pèlerinage en lieux de pèlerinage. Il existe des témoignages de son passage en XXE-XXIE SIÈCLES - L'ART, LE SACRÉ Germain Nouveau, poète de l'amour, vagabond et mystique

Provence à la Sainte-Baume, dans la grotte de sainte Madeleine et Germain Nouveau en aura sans doute entendu parler. Il pratique la charité, vivant de mendicité, sale et pouilleux. Dans l'Anthologie de l'humour noir, André Breton parle de lui comme « le mendiant étincelant, le saint à la couronne de vermine ». Il parcourt plus de 30 000 kilomètres à pied en France, Italie, Suisse, Espagne. Dès sa mort, un culte populaire qui demeure vivace aujourd'hui s'établit autour de Benoît Labre. Ainsi, visitant récemment la maison de son enfance à Amettes, dans le cahier destiné aux visiteurs, j'ai pu lire des demandes comme : « Saint Benoît, faites que Mauricette trouve du travail », ou « Saint Benoît, merci pour la guérison de Maman », ou encore, « Saint Benoît, faites que mon mari arrête de boire... » Benoît Labre, patron des hippies dans les années soixante- dix est devenu à partir des années quatre-vingt le patron des inadaptés sociaux ; c'est du moins ce que j'ai pu lire dans une bro­ chure qui lui est consacrée. Ainsi donc, au mois de septembre 1877, les deux poètes se rendent ensemble à Amettes. Autre parallèle, je pense à cet autre poète, à Patti Smith, un siècle plus tard, en pèlerinage à Charleville sur la tombe de Rimbaud. Là, j'imagine Paul et Germain quittant Arras à pied par la chaussée Brunehaut, l'ancienne voie romaine qui relie Arras à Boulogne-sur-Mer. Ils traversent les villages de Mont-Saint-Eloi et Camblain-l'Abbé qui résonneront des bombarde­ ments de la Grande Guerre, Gauchin-le-Gal, Houdain, Bruay-en- Artois, où s'élèveront quelques années plus tard les collines noires des terrils du bassin minier... puis au bout du voyage, le charmant village d'Amettes perché sur sa colline au bord de la Nave. Germain Nouveau revient d'Amettes et d'Arras le cœur bou­ leversé. Voici comment il parle de sa visite à Amettes dans une lettre à sa sœur Laurence : « On entre à Amettes, dans sa maison, une grande maison de cultivateur, comme dans un moulin. C'est la seule maison de France comme ça. J'y priais des fois au crépuscule, ça me faisait une impression. Je me demandais si j'aurais le courage d'y passer la nuit... » Les effets de cette visite auront un prolongement réel une quinzaine d'années après, mais en attendant, Germain Nouveau va mener une vie presque « normale », pourrait-on dire... Jusqu'en 1891, il écrit, tout en étant fonctionnaire et enseignant. De 1878 à XXE-XXIESIÈCLES - L'ART, LE SACRÉ Germain Nouveau, poète de l'amour, vagabond et mystique

1883, il est employé de ministère, puis de 1884 à 1890, professeur de dessin à Bourgoin, Remiremont, Janson-de-Sailly, faisant des séjours au Liban, en Egypte et en Palestine. C'est une période de renversements pour ne pas dire conversions. Rimbaud en 1875 s'est éloigné, à la fois dans le silence et dans l'action. Verlaine écrit Sagesse et Nouveau écrit la Doctrine de l'amour. Il a rompu avec une période de dissipation et d'agnos­ ticisme, il compose son hymne à la joie : il aime l'amour, le rythme du berceau ; il est tout abandon, fusionnant dans l'amour. Que le baiser soit charnel ou mystique, il conduit à la liberté. C'est la lon­ gue marche qui mène de la nuit de l'homme au matin de Dieu, et pour Germain Nouveau, Dieu est tout à la fois grâce, beauté, amour. Ainsi dans la Doctrine de l'amour, le poème « Humilité » consacré à Benoît Labre et surtout le poème qui ferme le recueil : « L'amour de l'amour ». En 1884, Germain Nouveau est rapatrié d'Alexandrie. En juin 1885, il fait la connaissance de Valentine Renault, avec qui il va vivre une folle passion d'un an et demi. Il compose alors les Valentines et ira même pour ce recueil jusqu'au stade des épreu­ ves. Il écrit dans un ton légèrement moqueur avec une grande agilité rythmique, toujours entre mysticisme et recherche du plaisir. On comprend que l'érotisme de ces pièces est aussi un échappatoire à l'angoisse. Mais pour lui, ces poèmes sont quant au fond, similaires à ceux de la Doctrine de l'amour, notamment en tant que signes d'une union surréelle, amour de l'amour. Breton écrira que « Nouveau est surréaliste dans le baiser ».

La crise mystique

En 1890, Germain Nouveau effectue un premier pèlerinage à Rome.

Mais je ne suis qu'un fou, je danse, Je tambourine avec mes doigts Sur la vitre de l'existence.

Le 14 mai 1891, le poète est en proie à une crise mystique XXE-XXIE SIÈCLES - L'ART, LE SACRÉ Germain Nouveau, poète de l'amour, vagabond et mystique

spectaculaire. En plein cours, il se déchausse devant ses élèves, se prosterne en louant Dieu, puis sort de la classe, sa canne entre les dents. Le diagnostic médical de délire mélancolique avec idées mystiques lui vaut six mois d'internement à Bicêtre. C'est pour lui un choc de se retrouver chez les fous, amené là justement par la folie de la Croix... À Bicêtre, il se confesse et communie, demande un chapelet à sa sœur Laurence, récite le Memorare tous les matins et tous les soirs pour sa famille. Nouveau sort de Bicêtre le 10 octobre 1891. Après cette expérience, rien ne sera plus pareil, il a rompu avec toutes conventions, il est comme neuf. Il entre dans la partie la plus sin­ cère de sa vie, mais la littérature en souffrira... Rimbaud meurt le 10 novembre 1891, mais Germain Nouveau ne l'apprendra pas puisqu'il lui écrira d'Alger deux ans plus tard. Il termine l'année 1891 à Bruxelles, lisant la Bible et dessinant. Il se souvient de sa visite de septembre 1877 à Amettes et décide de suivre les traces de Benoît Labre, mendiant et pauvre. Il a choisi sa devise dans les Psaumes « Mendicus sum etpauper », l'exact contraire de ce que souhaite l'homme de son temps, et du nôtre...

Et l'homme a changé l'homme, et les gens de nos temps Sont repus et moroses ;

A partir de là, il refusera toute publication. Il avait déjà disparu derrière les pseudonymes : Paul Néouvielle, Bernard Marie, François Bernard, Duc de la Mésopotamie, Bénédict... Il sera pourtant auteur malgré lui pendant vingt ans. Sa vie devient une imitation, cent ans plus tard, de celle du saint d'Amettes. Germain Nouveau se proclame arrière-petit-neveu moral de Benoît Labre ! Il prend le nom d'Humilis, il signe aussi « Germain la Guerrière singe d'un Labre ». Benoît devient son modèle matériel et spirituel. Il l'imite dans l'errance et le dénuement, en pratiquant à un siècle de dis­ tance une forme de mysticisme inadaptée au monde. Abstraction faite des croyances, le courage de partir, de rompre avec les habitudes bourgeoises, d'aller jusqu'au bout, jusqu'à la limite où l'œuvre s'efface et disparaît au bénéfice de l'action, comme a fait Rimbaud, ce pari de Germain Nouveau en faveur de l'errance et de

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la pauvreté aura beaucoup impressionné les surréalistes. André Breton publiera son « Lâchez tout ! », à quoi feront écho dans les années soixante le « Tune in! Turn on! Drop out! » de Timothy Leary et le roman de Kerouac Sur la route, qui mettra une partie de la génération lyrique sur la route, baby-boomers attendant eux aussi en chemin l'aumône d'une révélation.

Enivre-toi du long plaisir de voyager ; Que ta faim soit paisible et que ta soif soit pure, Bois à tout cœur ouvert, mange à toute âme mûre !

Rimbaud écrivait : « Nous errions, nourris du vin des caver­ nes et du biscuit de la route. » À quoi Germain Nouveau répond : « Je suis le piéton de la grand-route. Personne je ne suis, personne ne me suit. » Il est en marche vers l'éternité et c'est sa vie qui devient un poème.

« Tout fait l'amour. » Et moi, j'ajoute, Lorsque tu dis « Tout fait l'amour. » ; Même le pas avec la route, La baguette avec le tambour.

Nouveau se plaît nu et seul. Il trouve cet anagramme de son nom, « amour ignée, va nu ! », va-nu-pieds, vagabond. Dans les pas de Benoît Labre, il va faire la dure expérience de la solitude dans l'abandon du moi social.

Vagabondages et retour au pays

En 1892, il est expulsé d'Italie pour mendicité. Germain Nouveau pouvait déjà dire : « La pauvreté est aujourd'hui punie de prison en Europe, pauvre malheureuse Europe. » Il critique sévère­ ment les lois sur le vagabondage et la mendicité faite par les arith­ méticiens de la Convention, dans leur ardent amour de l'humanité, un comble ! Il vit en « faisant le portrait » de village en village. Il chante en s'accompagnant d'une guitare de sa fabrication. Dans les années soixante-dix, les ouvrages publiés sur lui l'appellent - le

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hippy du catholicisme ». La fin du XLXe siècle le voit à Londres, Bruxelles, Rome, Marseille et en Afrique du Nord à Alger... À cette époque, il a renoncé à tout sauf à son perfectionne­ ment intime. Toujours d'une disponibilité totale, toujours prêt à partir, abandonnant même ses manuscrits : « Tant de livres donnés ou achetés, dont il a fallu se défaire ! Mais quoi ? tout le temps, sur le voyage ! » Entre 1900 et 1920, à force de fatigue et de privations, c'est un mort en sursis. On le retrouve en 1904 à Paris, avec un crochet fouillant les poubelles, ou faisant la queue pour la soupe populaire. En 1908, de nouveau Rome et Naples à pied en faisant le portrait. Toujours sur les traces de Benoît, il fait le pèlerinage d'Espagne à Saint-Jacques-de-Compostelle et les pèlerinages d'Italie en passant par la Provence et la Sainte-Baume, Gênes, Naples, Orvieto. Comme Benoît, en 1909 il fait un essai de vie monastique dans un couvent cistercien de Lerida en Espagne. Il essaie de nouveau en 1910 à La Trappe. Il dit : « Tous les échecs me réussis­ sent. » Cette année-là, la Doctrine de l'amour est publiée à son insu sous le titre Poèmes d'Humilis. Il porte plainte contre l'éditeur, refusant toujours obstinément toute publication de ses œuvres. À 60 ans, en 1911, il revient au village natal, il se retire définiti­ vement à Pourrières. Pour lui, toujours, le village, la province, sont le lieu du recueillement. Tous les gens de sa famille, vivants et morts, sont là, dans un rayon de 15 km. Il aurait voulu pouvoir racheter la maison de son enfance. Il sera le vieil oncle un peu bizarre mais gentil qui raconte aux enfants ses souvenirs de voyageur. C'est un trappiste laïc, comme Benoît Labre, mendiant à la porte de l'église Saint-Sauveur d'Aix, recevant l'aumône de Paul Cézanne. Mais surtout, il vivra des nuits de prière, se donnant la disci­ pline avec une ceinture de cuir. Il vit en ascète, ramassant des fagots de bois dans les collines. Une vie intérieure brûlante et dévastatrice dont nous ne savons rien. Je le vois prosterné sur les carreaux, à plat ventre, bras en croix, à l'intérieur de la petite église de Pourrières. En 1920, âgé de 69 ans, dans l'épuisement physique des mor­ tifications, il aborde les ténèbres entre le Vendredi saint et le jour de Pâques. On découvrira son corps trois jours plus tard. Il sera inhumé à la fosse commune. Comme Benoît Labre, il meurt pendant la

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semaine sainte, Benoît le 16 avril 1783 à Rome, et Germain le 4 avril 1920 à Pourrières, communion du saint et du poète. Aujourd'hui, son corps, retiré de la fosse commune, est dans le caveau de la famille Sylvy, face à la montagne Sainte-Victoire. L'enfant a retrouvé sa mère. La mort est un retour au port, un anéantissement dans la terre-mère.

Oui mon rêve C'est de pourrir comme une fève.

Né et mort à Pourrières, Germain Nouveau aura ainsi vécu en parallèle les dix premières et les dix dernières années de sa vie, un retour à l'enfance, une symétrie entre deux âges. Je le considère comme un non-conformiste absolu, et pourtant il existe une logique dans sa vie, si on se place du point de vue de la poésie et de la liberté.

Dans la nuit, vers une aube aux divines rougeurs, Marchez par le sentier de la bonne habitude, Soyez de patients et graves voyageurs.

Citations extraites de Germain Nouveau, la Doctrine de l'amour - Valentines, coll. « Poésie » Gallimard. Ouvrages consultés : Louis Forestier, Germain Nouveau, coll.« Poètes d'aujourd'hui », Seghers, 1971. Lautréamont, Germain Nouveau, Œuvres complètes, textes établis présentés et annotés par Pierre-Olivier Walzer, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1970.

• Lucien Suel, poète ordinaire, est né en 1948 dans les Flandres artésiennes. Il a édité la revue The Starscrewer, consacré à la poésie de la Beat generation, puis la Moue de Veau, magazine dada punk. Il anime la Station underground d'émer­ veillement littéraire et le blog « Silo » (http://academie23.blogspot.com). Ses pres­ tations scéniques vont de coulées verbales bear à la performance, notamment avec le groupe de rock Potchùk et au sein de Cheval 2 3. Derniers titres parus : Canal Mémoire (Marais du Livre, 2004), Un trou dans le monde (Éditions Pierre Mainard, 2006), Transport visage découvert (Dernier Télégramme, collection « Longs cour­ riers », 2006) et Sombre ducasse (Éditions Le Mort-Qui-Trompe, collection « Agent Orange », 2007), Nous ne sommes pas morts (Dernier Télégramme, 2008, avec la plasticienne Hélène Leflaive) et Patismit (Dernier Télégramme, 2008).