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Martr:i.:::~ ~s Arts 15 septembre 1967 LA VIE ET L'OEUVRE DIUN ORPHELIN DE POURRIERES (GERMAIN NOWEAU) par Jacques Vigneault Nous c?nsacrons notre premier chapitre è retracer les principaux événements de la vie du poète. Dans les pages qui suivent, è llaide des poèmes de Germain Nouveau, nous essayons de pénétrer le drame intérieur du poète, d'en suivre le dérou lement et de décrire sa physionomie. Nous essayons ensuite de ~ituer lloeuvre poétique de Germain Nouveau par rapport è celles de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Richepin. Nous analysons plus profondément les influences qu'eurent l'auteur de la Saison en Enfer et celui de Sagesse sur la vie et l'oeuvre de Nouveau. Puis nous décelons les accents surréalistes de son oeuvre. Comme on le sait; la vie de Germain Nouveau s'acheva dans une expérience mystique. Nous faisons remarquer qu'on a trop vite donné un sens métaphysique à son mysticisme et que cette dernière option se présente avant tout comme un refus d'affrontement, une réaction d1échec. Université McGill Montréal SEP 27 1967 LA VIE ET L'OEUVRE D'UN ORPHELIN DE POURRIERES (GERMAIN NOtNEAU) par Jacques Vigneault Thèse de Mattrise ès Arts, préparée sous la direction de Monsieur Henri Jones, Département de langue et littérature françaises, Peterson Hall, le 15 aeptembre 1967. Université McGi11 Montréal 1967 .-:::Cj,coq ... } .. 'j .f ,/ ~ \ @) Jacques Vigneault 1969 \ Mais, je ne suis qu'un fou, je danse, Je tambourine avec mes doigts Sur la vitre de l'existence. Qp'on excuse mon insistance, C'est un fou qu 1 i1 faut que ja sois! Germain Nouveau INTRODUCTION Je ne suis puissant ni riche, Je ne suis rien que le toutou Que le toutou de ma niniche; Je ne suis que le vieux caniche De tous les gens de n'importe où. Germain Nouveau Entre Verlaine et Rimbaud se dresse la figure d'un poète méconnu dont la vie n'a rien d'une destinée exemplaire ou hérofque, Germain Nouveau. En 1922, André Breton écrivait: Il r8de actuellement par le monde quelques individus pour qui l'art, par exemple, a cessé dl~tre une fin ••• Chacun de nous sait qu'une oeuvre comme celle de Rimbaud ne s'arrête pas comme l'enseignent les manuels, en 1875 et qu'on croirait à tort en pénétrer le sens si l'on ne suivait pas le poète jusqu'à la mort ••• BIle est doublée en ce sens de celle d'un autre grand poète malheureusement peu connu, Germain Nouveau, qui de bonne heure renonça même à son nom et se mit è mendier. La raison d'une telle attitude défie étrangement les mots, c'est certain, mais n'en allait-il pas de même du sphinx dont pourtant la question était inévitable? (1) Sans doute y a-t-il quelque excès è dire avec Aragon que Germain Nouveau fut linon pas un épigone de Rimbaud: son égalll , ou encore, avec Breton, que nul n'a fait "scintiller et éclore plus merveil- leuse rosée verbale". Nouveau est un poète singulier et attachant qui demeurera, sans doute toujours, le domaine de quelques-uns ••• Sa vie et son oeuvre, qui se reflètent réciproquement, s'inscrivent (1) Cité par Jacques Brenner: Préface aux Oeuvres poétiques de Germain Nouveau, Gallimard, 1953; p. 7 • ..V 4 sous le signe de l'échec et se situent dans la perspective d1une recherche qui dépasse le champ proprement poétique pour aboutir , a une forme de mysticisme. Que faut-il voir en Germain Nouveau sinon un poète remar- quablement doué qui fut littéralement dévoré par le besoin d'~tre aimé? Voyages, r~veries, idéal et poésie furent autant de voies détournées grâce auxquelles il crut tromper la solitude et le désespoir. Son oeuvre fait peu foi d'une vie aussi tragique. De prime abord, Nouveau semble n'avoir rien à dire. Ses images, souvent conventionnelles, sont rassurantes; presque des lieux communs. Ses nombreux poèmes religieux sont d'une banalité qui n'a d'égal que leur infantilisme, et, quand il chante l'amour, il doit presque se battre les flancs. Cependant, paradoxalement, il retient et intéresse. Malgré son désenchantement profond, il cherche constam- ment à s'exalter, à créer. L'état naturel de Germain Nouveau est celui de l'~tre qui désespère de s'éprouver en tant qu'existant. Des existences virtuelles qu'il endosse, l'une après l'autre, il souffre de n'en mener aucune à son ultime achèvement. Il n'est rien. Donc multiple et protéen. On le voit se désavouer, parler de sa misérable vie. Il y a tout un aspect de Nouveau qui gagne- rait à être étudié à la lumière de l'oeuvre de Villon, autre chantre de la misère morale et de la déchéance. Ses plus beaux 5 poèmes témoignent de la souffrance et de l'inquiétude de vivre. Toute préciosité disparatt alors pour raconter, dans le plus pur langage, comment on est à la fois ironique et lyrique quand on croit faire partie de la race canine. Par le pouvoir que possède l'imagination de créer une réa lité subjective, la poésie, chez Nouveau, part aussi è la recher che de l'innocence première. Par la magie des mots il retourne au passé. Il parle des fleurs des champs, des mois de Marie et des anges. Tout est harmonieusement régi par la Providence et la fièvre des passions fait place è la simplicité d'une vie dévote. Puisque l'8ge d'homme ne lui apporte qu'amertume, c'est è l'en fance, eut souvenirs qu'il tire d'elle, è l'univers dont elle était faite qu'il demande le bonheur. Enfin, un presque bonheur, disons la béatitude du toutout Au moment de sa mort, on a écrit sur Germain Nouveau; mais ces témoignages sont le fait de l'amitié plus que de l'analyse. C'est André Breton, nous l'avons vu, qui, le premier, se pencha sur l'oeuvre de Nouveau et tenta de lui donner une signification universelle, en l'insérant au coeur des préoccupations littéraires et philosophiques du surréalisme. Car Germain Nouveau est, dans une large mesure, le type m~me du poète méconnu et donc maudit. Sa vie illustre, sans l'éclat tragique de celle de Rimbaud, la déchéance à laquelle peut parvenir une figure de génie. Extr$me- 6 ment doué, Nouveau n'utilise ses dons que pour ironiser sur lui m~me, s'abaisser, faire en sorte que la société de son temps le rejette; ivre d'amour (et parfois d'amour divin), il refuse d'$tre aimé, dans un vaste effort d'auto-destruction. Il ne lui reste, en fait, qu'à disparartre dans l'obscurité, la misère, le mépris. Né à Pourrières, ayant passé sa jeunesse dans des voyages sans fin, il revient à pourrières vivre sa solitude et sa pauvreté. C'est là qu'il mourra, inconnu, oublié, vieillard falot et vague ment méchant, qui fait peur aux enfants et qui vit de la charité publique. Personne n'est à ses cStés, aucune soeur, comme celle de Rimbaud, pour entretenir la flamme. C'est à Monsieur Jacques Brenner que nous devons l'édition la plus complète des oeuvres de Germain Nouveau. (1) La notice biographique dont il a fait précéder son édition est exhaustive~ comme les documents de première main manquent, nous y avons trouvé l'armature de notre premi~r chapitre. Mais, dans les pages qui vont suivre, nous nous sommes surtout efforcé, à l'aide des poèmes de Germain Nouveau, de retracer le drame intérieur du poète, de suivre le déroulement de ce drame, si personnel, de décrire sa physionomie. ToutefOis, nous tenions à souligner l'apport immense de Monsieur Jacques Brenner à la connaissance de Germain Nouveau; (1) Voir Bibliographie, page 87. 7 c'est surtout à lui que l'on doit, aujourd'hui, de pouvoir lire ce poète et de pouvoir méditer sur les hasards de son destin. ,VIE nlHUMILIS 9 Germain, Marie, Bernard Nouveau est né le 31 juillet 1851 à Pourrières (Var). Le registre de naissances de la commune nous apprend qu'il est le fils de Félicien, Martin Nouveau, ~gé de vingt-cinq ans, et de Marie, Augustine, Alexandrine Silvy, dix- huit ans. Le père s'installe à Paris où il devient propriétaire d'une fabrique de nougat. C'est là que Germain passe sa petite enfance. Hélas, les r~ves de fortune du père ne s'incarneront jamais et il se voit forcé de retourner à Pourrières pour s'occu- per des coupes de bois peternelles, comme auparavant. Le 18 octobre 1859, la mère de Germain meurt. Trois ans plus tard son père se remariera avec Marie Roure et quittera Pour- rières pour habiter Aix. Cette fois, il s'associe avec un fabri- cant de p~tes, M. Augier. Germain restera traumatisé par la mort de sa mère, alors qu'il n'avait que huit ans. Sa vie durant il lui cherchera une remplaçante. On pourrait tenter d'expliquer ainsi l'exigeant besoin d'affection qui l'a constamment tiraillé et qu'il sublima dans un absolu religieux, mystique, voire éroti- que. Deux autres deuils marquèrent bient8t l'enfance de Germain Nouveau. Le 15 août 1864, Marie, sa soeur, meurt. ~~lques jours plus tard son père disparatt à son tour des suites d'une variole con"tractée au chevet dl un de ses ouvriers. ~and ils viennent pour nattre, Leur mère va mouri~ Quand ils viennent pour rire, Leur père meurt aussit 10 Après le décès de son père et de sa soeur, Germain fut con- fié à ses oncles Silvy qui le mirent pensionnaire au petit sémi- naire Saint-Stanislas dont il suivait déjà les cours comme externe.