Martr:i.:::~ ~s Arts 15 septembre 1967

LA VIE ET L'OEUVRE DIUN ORPHELIN DE POURRIERES (GERMAIN NOWEAU)

par

Jacques Vigneault

Nous c?nsacrons notre premier chapitre è retracer les principaux événements de la vie du poète. Dans les pages qui suivent, è llaide des poèmes de Germain Nouveau, nous essayons de pénétrer le drame intérieur du poète, d'en suivre le dérou­ lement et de décrire sa physionomie. Nous essayons ensuite de

~ituer lloeuvre poétique de Germain Nouveau par rapport è celles de Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Richepin. Nous analysons plus profondément les influences qu'eurent l'auteur de la Saison en Enfer et celui de Sagesse sur la vie et l'oeuvre de Nouveau.

Puis nous décelons les accents surréalistes de son oeuvre.

Comme on le sait; la vie de Germain Nouveau s'acheva dans une expérience mystique. Nous faisons remarquer qu'on a trop vite donné un sens métaphysique à son mysticisme et que cette dernière

option se présente avant tout comme un refus d'affrontement, une

réaction d1échec.

Université McGill

Montréal SEP 27 1967 LA VIE ET L'OEUVRE D'UN ORPHELIN DE POURRIERES

(GERMAIN NOtNEAU)

par

Jacques Vigneault

Thèse de Mattrise ès Arts, préparée sous la direction de Monsieur Henri Jones, Département de langue et littérature françaises, Peterson Hall, le 15 aeptembre 1967.

Université McGi11

Montréal

1967

.-:::Cj,coq ... } .. 'j .f ,/ ~ \ @) Jacques Vigneault 1969 \ Mais, je ne suis qu'un fou, je danse, Je tambourine avec mes doigts Sur la vitre de l'existence. Qp'on excuse mon insistance, C'est un fou qu 1 i1 faut que ja sois!

Germain Nouveau INTRODUCTION Je ne suis puissant ni riche, Je ne suis rien que le toutou Que le toutou de ma niniche; Je ne suis que le vieux caniche De tous les gens de n'importe où.

Germain Nouveau

Entre Verlaine et Rimbaud se dresse la figure d'un poète

méconnu dont la vie n'a rien d'une destinée exemplaire ou hérofque,

Germain Nouveau. En 1922, André Breton écrivait:

Il r8de actuellement par le monde quelques individus pour qui l'art, par exemple, a cessé dl~tre une fin ••• Chacun de nous sait qu'une oeuvre comme celle de Rimbaud ne s'arrête pas comme l'enseignent les manuels, en 1875 et qu'on croirait à tort en pénétrer le sens si l'on ne suivait pas le poète jusqu'à la mort ••• BIle est doublée en ce sens de celle d'un autre grand poète malheureusement peu connu, Germain Nouveau, qui de bonne heure renonça même à son nom et se mit è mendier. La raison d'une telle attitude défie étrangement les mots, c'est certain, mais n'en allait-il pas de même du sphinx dont pourtant la question était inévitable? (1)

Sans doute y a-t-il quelque excès è dire avec Aragon que Germain

Nouveau fut linon pas un épigone de Rimbaud: son égalll , ou encore,

avec Breton, que nul n'a fait "scintiller et éclore plus merveil-

leuse rosée verbale". Nouveau est un poète singulier et attachant

qui demeurera, sans doute toujours, le domaine de quelques-uns •••

Sa vie et son oeuvre, qui se reflètent réciproquement, s'inscrivent

(1) Cité par Jacques Brenner: Préface aux Oeuvres poétiques de Germain Nouveau, Gallimard, 1953; p. 7 •

..V 4

sous le signe de l'échec et se situent dans la perspective d1une recherche qui dépasse le champ proprement poétique pour aboutir , a une forme de mysticisme.

Que faut-il voir en Germain Nouveau sinon un poète remar- quablement doué qui fut littéralement dévoré par le besoin d'~tre aimé? Voyages, r~veries, idéal et poésie furent autant de voies détournées grâce auxquelles il crut tromper la solitude et le

désespoir.

Son oeuvre fait peu foi d'une vie aussi tragique. De prime

abord, Nouveau semble n'avoir rien à dire. Ses images, souvent

conventionnelles, sont rassurantes; presque des lieux communs.

Ses nombreux poèmes religieux sont d'une banalité qui n'a d'égal

que leur infantilisme, et, quand il chante l'amour, il doit presque

se battre les flancs. Cependant, paradoxalement, il retient et

intéresse. Malgré son désenchantement profond, il cherche constam-

ment à s'exalter, à créer. L'état naturel de Germain Nouveau est

celui de l'~tre qui désespère de s'éprouver en tant qu'existant.

Des existences virtuelles qu'il endosse, l'une après l'autre, il

souffre de n'en mener aucune à son ultime achèvement. Il n'est

rien. Donc multiple et protéen. On le voit se désavouer, parler

de sa misérable vie. Il y a tout un aspect de Nouveau qui gagne-

rait à être étudié à la lumière de l'oeuvre de Villon, autre

chantre de la misère morale et de la déchéance. Ses plus beaux 5

poèmes témoignent de la souffrance et de l'inquiétude de vivre.

Toute préciosité disparatt alors pour raconter, dans le plus pur

langage, comment on est à la fois ironique et lyrique quand on

croit faire partie de la race canine.

Par le pouvoir que possède l'imagination de créer une réa­

lité subjective, la poésie, chez Nouveau, part aussi è la recher­

che de l'innocence première. Par la magie des mots il retourne

au passé. Il parle des fleurs des champs, des mois de Marie et

des anges. Tout est harmonieusement régi par la Providence et

la fièvre des passions fait place è la simplicité d'une vie dévote.

Puisque l'8ge d'homme ne lui apporte qu'amertume, c'est è l'en­

fance, eut souvenirs qu'il tire d'elle, è l'univers dont elle

était faite qu'il demande le bonheur. Enfin, un presque bonheur,

disons la béatitude du toutout

Au moment de sa mort, on a écrit sur Germain Nouveau; mais

ces témoignages sont le fait de l'amitié plus que de l'analyse.

C'est André Breton, nous l'avons vu, qui, le premier, se pencha

sur l'oeuvre de Nouveau et tenta de lui donner une signification

universelle, en l'insérant au coeur des préoccupations littéraires

et philosophiques du surréalisme. Car Germain Nouveau est, dans

une large mesure, le type m~me du poète méconnu et donc maudit.

Sa vie illustre, sans l'éclat tragique de celle de Rimbaud, la

déchéance à laquelle peut parvenir une figure de génie. Extr$me- 6

ment doué, Nouveau n'utilise ses dons que pour ironiser sur lui­ m~me, s'abaisser, faire en sorte que la société de son temps le rejette; ivre d'amour (et parfois d'amour divin), il refuse d'$tre aimé, dans un vaste effort d'auto-destruction. Il ne lui reste, en fait, qu'à disparartre dans l'obscurité, la misère, le mépris.

Né à Pourrières, ayant passé sa jeunesse dans des voyages sans fin, il revient à pourrières vivre sa solitude et sa pauvreté.

C'est là qu'il mourra, inconnu, oublié, vieillard falot et vague­ ment méchant, qui fait peur aux enfants et qui vit de la charité publique. Personne n'est à ses cStés, aucune soeur, comme celle

de Rimbaud, pour entretenir la flamme.

C'est à Monsieur Jacques Brenner que nous devons l'édition

la plus complète des oeuvres de Germain Nouveau. (1) La notice

biographique dont il a fait précéder son édition est exhaustive~

comme les documents de première main manquent, nous y avons trouvé

l'armature de notre premi~r chapitre. Mais, dans les pages qui

vont suivre, nous nous sommes surtout efforcé, à l'aide des poèmes

de Germain Nouveau, de retracer le drame intérieur du poète, de

suivre le déroulement de ce drame, si personnel, de décrire sa

physionomie. ToutefOis, nous tenions à souligner l'apport immense

de Monsieur Jacques Brenner à la connaissance de Germain Nouveau;

(1) Voir Bibliographie, page 87. 7

c'est surtout à lui que l'on doit, aujourd'hui, de pouvoir lire ce poète et de pouvoir méditer sur les hasards de son destin. ,VIE nlHUMILIS 9

Germain, Marie, Bernard Nouveau est né le 31 juillet 1851

à Pourrières (Var). Le registre de naissances de la commune nous apprend qu'il est le fils de Félicien, Martin Nouveau, ~gé de vingt-cinq ans, et de Marie, Augustine, Alexandrine Silvy, dix- huit ans. Le père s'installe à Paris où il devient propriétaire d'une fabrique de nougat. C'est là que Germain passe sa petite enfance. Hélas, les r~ves de fortune du père ne s'incarneront jamais et il se voit forcé de retourner à Pourrières pour s'occu- per des coupes de bois peternelles, comme auparavant.

Le 18 octobre 1859, la mère de Germain meurt. Trois ans plus tard son père se remariera avec Marie Roure et quittera Pour- rières pour habiter Aix. Cette fois, il s'associe avec un fabri- cant de p~tes, M. Augier. Germain restera traumatisé par la mort de sa mère, alors qu'il n'avait que huit ans. Sa vie durant il lui cherchera une remplaçante. On pourrait tenter d'expliquer ainsi l'exigeant besoin d'affection qui l'a constamment tiraillé et qu'il sublima dans un absolu religieux, mystique, voire éroti- que. Deux autres deuils marquèrent bient8t l'enfance de Germain

Nouveau. Le 15 août 1864, Marie, sa soeur, meurt. ~~lques jours plus tard son père disparatt à son tour des suites d'une variole con"tractée au chevet dl un de ses ouvriers.

~and ils viennent pour nattre, Leur mère va mouri~ Quand ils viennent pour rire, Leur père meurt aussit 10

Après le décès de son père et de sa soeur, Germain fut con-

fié à ses oncles Silvy qui le mirent pensionnaire au petit sémi- naire Saint-Stanislas dont il suivait déjà les cours comme externe.

Sa famille inculqua à Germain Nouveau des principes religieux très

rigides. Ses tantes étaient toutes deux religieuses Ursulines.

De 1864 à 1867, année où il termine sa Rhétorique, durant les

grandes vacances et aux jours de sortie, Germain retrouve sa soeur

à Pourrières.

Je t'aime parce que tu m'aimes, soeur gentille Parce que dans ce monde où je me sens errer Je n'ai que toi pour tout bien et pour toute famille, Et parce que je n'ai que ton sein pour pleurer •••

Je t'aime parce que notre si bonne mère, De sa tombe où sur nous son regard veille encor, M'a fait de bien t'aimer une loi qui m'est chère, Et que ton amour seul de jour en jour plus fort M~le quelque douceur au regret de sa mort.

En 1867 ses oncles le poussent vers la pharmacie "(Homais

qui ne voit pas plus loin que l'antimoine)". Lui, hésite sur sa

vocatiOl:l. Il demande de participer à la retraite de huit jours

que l'on organisait avant les grandes vacances pour les élèves

qui se destinaient à la pr~trise. L'année suivante il entre, non

au séminaire, mais au Collège Bourbon. Doué aussi pour la peintu-

re, Nouveau obtient en philosophie le prix d'honneur et le premier

prix de dissertation française. Le 2 aoat 1870 il est reçu bache-

lier ès lettres. Pendant deux ans il sera "mattre d'études" au

lycée de Marseille. En 1872, Nouveau est à Paris. Muni d'une 11

part de l'héritage de ses parents, il loue une chambre, 16 rue de

Vaugirard, chez Madame Cordelle. Il est présenté à Richepin et se lie d'amitié avec lui. On décèle déjà l'influence de Richepin dans un poème comme Chanson du Mendiant - qui commence ainsi:

Je fais mon train En mendiant mon pain.

A cette époque, il dtnait pour dix sous chez Mongeon, avec Riche- pin ou avec Charles Cros, avec Raoul Ponchon chez Polydore •••

Richepin et Ponchon étaient les chefs de file des Vivants qui s'opposaient aux Parnassiens. Richepin était alors un agréable compagnon, habile à jongler avec assiettes et bouteilles.

Pendant l'été de 1873 Nouveau est en villégiature à Marlot-

te, à la lisière de la for~t de Fontainebleau. Il écrit à Léon

Valade:

Me v'là à Marlotte; c'est draIe, Marlotte. Ca me botte assez: on man-ge, on dort, on se promène, on fume, on s'ab~tit, tout douce­ ment, lentement, sans s'en apercevoir... Je cherche toujours; dame! j'y mets le temps; qu'est-ce que vous voulez? •• Voilà; mon cher Valade, je compte mener cette existence une semaine ou deux encore: je fais de~ vers, et je me trouve un peu soal tous les soirs; que voulez­ vous de plus? Soal? Direz-vous: pourquoi? Dame! avec Vana, il est difficile, tant cette fille aime faire la noce, de se coucher avec toute sa raison.

Fin 1873, il rencontre Rimbaud. Sur le champ ils s'embar-

quent pour l'Angleterre. "Ce fut, dit Richepin, un enlèvement."

Au début de 1874, Nouveau est à Londres, ville pour laquelle il 12

n'a aucune affection particulière. Il évoque "les brouillards saligots, les nues basses, les ciels tombés à terre, les cons- tructions colossales comme la nuit". liEn , dit-il, on sort pour vivre; en Angleterre, on rentre ••• vie dégoûtante après tout, , si l'on n'est pas marié." BientSt l'héritage de Nouveau est e- puisé et les deux éphémères compagnons doivent travailler "pour le pain" chez un fabricant de bottes et donner des leçons de fran-

çais et de dessin. Au mois de septembre 1874, on retrouve Nouveau en France où il se rappelle à l'aimable souvenir de Mallarmé en lui adressant "deux sonnets qui ne sont pas méchants": Au Pays et Janvier.

Au Pays

De la nuit bleue et blanche Il résulte qu'on aime, En dansant tout de m~me Parce que c'est dimanche.

Jean, la lune s'écrème, A penser qu'on en mange; Et, fausse comme un ange, La musique est suprême!

Dérubannez, S notes, Les mazurkas menées Autour des foins en bottes;

Et qu'il semble à nos joies ~'il y ait des années ~'on a couché les oies.

Nouveau passe trois mois à cette époque dans des voyages

mouvementés. "J'ai vu, sans curiosité oisive pourtant, des nords 13

de France d'une saveur inattendue, des paysans rouges, violets, des champs de guerre et de seigle, de gracieuses nuageries, des

Ardennes singeant admirablement les cantons de Vaud des Suisses

à deux cents lieues de leur Topffer. La Belgique ne devait faire

de Moi qu'une bouchée; ••• " Pendant ce temps il semble bien que

Rimbaud a séjourné à Londres. Lui et Nouveau se seraient retrou-

vés, au début de l'année 1875, mais Rimbaud aurait alors décidé

de regagner Charleville tandis qu'Humilis demeure en Angleterre

pour apprendre l'anglais.

Il ne devait rester qu'une ironie immonde, Une langueur des yeux détournés sans effort. Quel bras, impitoyable aux Echappés du monde, Te pousse à l'Ouest, pendant que je me sauve au Nordl

Au printemps, Nouveau fera, cette fois, la connaissance de

l'auteur de Sagesse. Verlaine a écrit, dans Dédicaces, un poème

à Germain Nouveau.

Ce fut à Londres, ville ou l'Anglaise domine, ~e nous nous sommes vus pour la première fois, Et, dans King's Cross m~lant ferrailles, pas et voix, Reconnus dès l'abord sur notre bonne mine.

Puis, la soif nous creusant à fond comme une mine, De nous précipiter, dès libres des convois, Vers des bars attractifs comme les vieilles fois OÙ de longues misses plus blanches que l'hermine

Font couler l'ale et le bitter dans l'étain clair Et le cristal chanteur et léger comme l'air, - Et de boire sans soif à l'amitié future!

Notre toast a tenu sa promesse. Voici ~e, vieillis quelque peu depuis cette aventure, Nous n'avons ni le coeur ni le coude transi. 14

Nouveau revient d'Angleterre en mai 1875. Il retourne a- lors dans sa famille qu'il n'a pas revue depuis trois ans. Il passe l'été à Pourrières où il se brunit au soleil et travaille!:'

"Plus rien de macabre, de bizarre, d'étrange (ces na!vetés se valent) ma~s le pur, le simple, le choisi; aller toujours à la plus grande lumière qui est le soleil! - Poush, les lunes!"

Au physique, Nouveau avait l'aspect d'un petit mériodional brun et vif, au type sémite. Dans Valentines, tournant l'accusa- tion en ridicule, il confesse ne pas avoir l'€me d'un juif.

Quelqu'un qui jamais ne se trompe, M'appelle juif... Moi, juif? Pourquoi? ••

Je suis juif, ah! c'est bien possible! Je n'ai le nez spirituel Ni l'air résigné d'une cible; Je ne montre un coeur insensible. Tout juif est-il en Israel?

C'est avec une excentrique ardeur que Nouveau vécut la boh~me du Parnasse. Il a passé ses plus belles années dans une existence boulevardière bien humaine, "trop humaine" au gré des moralistes. Homme bien vivant, jeune, débordant de sève, plein d'esprit, aimant la terre, la grande route, le tabac, le "piq\..r.èt"

••• et faisant des dettes dans les estaminets comme mattre Villon.

Plus tard il chantera, à son tour, la complainte des années folles:

Ma bougie est morte; ~e pour rire un peu, Mandat l'on me porte Pour l'amour de Dieu! 15

A l'automne 1875, Nouveau loge dans un h8tel de la rue des

Boulangers. Il se rend chez Nina de Villars et y travaille f=s- quemment. Elle lui commande un dramè bouffe en vers. C'est aussi en" 1875 que Nouveau est engagé comme surveillant d' é~èves à "Bar- badaux". Une lettre de Delahaye raconte à Verlaine une anecdote sur" le séjour du poète dans cette institution. Elle sera reprise dans la préface à Valentines que Delahaye fit publier chez Messein en 1922.

Monsieur Germain ne va pas "faire le pion" et se conduire "avec des jeunes gens qui lui semblent studieux comme avec des pauvres moutards. Ils préparent des examens, ils piochent, ils croient avoir besoin de distractions; dam! si quelques- uns quittent le dortoir, aussitSt le gaz en veil­ leuse, et descendent llescalier à pas de loup et vont au café - et m~m~ plus loin - et, quand ils rentrent un peu avant llaube; ont llidée d10ffrir un punch à leurs condisciples, sans oublier le surveillant, celui-ci trouve qulil est plus sim­ ple de ne pas alarmer et, au contraire, de prendre part à ces joyeusetés juvéniles.

Et Delahaye ajoute: "C'était dans ses temps d'erreur, à l'époque où il imitait le trop glorieux modè~e, è grand renfort d1extrava-

gances et d'absinthes à la Musset. 1I Il faut dire que Nouveau avait

suggéré aux étudiants de faire ce punch dans un vase de nuit. Le

chroniqueur termine en disant: que cette histoire lia dG emp~cher

l'AUTRE de dormir, s'il l'a connuell • Qu'on ne s'étonne pas si

Nouveau quitta, au bout d'un mois, l'Institution Barbadaux.

En janvier 1876, Verlaine invite Nouveau à venir le rejoin-

dre à Londres. Pour des raisons d'ordre pécuniaire le voyage n'eut 16

pas lieu. Pendant quelques temps Nouveau est rédacteur au Corsaire.

Le 15 aoGt, il repart pour la Provence. Le 17 octobre, à pourriè- res, il assiste au mariage de sa soeur avec un jeune notaire, Eugène

Manuel. Il passers l'automne et l'hiver, moitié à Pourrières, moitié à Rousset.

Pourri ères

Un vieux clocher coiffé de fer sur la colline. Des fen~tres sans cris, sous des toits ssns oiseaux. D'un barbaresque Azur la paix du Ciel s'incline. Soleil dur! Mort de l'ombr~! Et Silence des Baux.

Marius! son fant8me à travers les roseaux, Par la plaine! Un son lent de l'Horloge féline. Quatre enfants sur la place où l'ormeau perd ses os, Autour d'un Pauvre, étrange, avec sa mandoline.

Un banc de pierre chaud comme un pain dans le four, OÙ trois Vieux, dans ce coin de la Gloire du Jour, Sentent au rayon vif cuire leur vieillesse.

Badet revient du bois, tenant sa mule en laisse. Noir, le vicaire au loin voit, d'une ombre au ton bleu, Le village au soleil fumer vers le Bon Dieu.

Le 12 février 1877 il écrit à Richepin: "Mes affaires de fa- mille sont terminées, mais là complètement. Jlen suis sorti pas trop écorché. Je vais pouvoir avoir (quel mot bourgeois!) un petit atelier à Paris; car tu sais je fais toujours de la peinture, oui, et cela va même assez mal. 1I Vers pS;ques, il est à Paris et re- joint ensuite son ami Richepin à Guernesey.

De 1875 à 1877, Germain Nouveau vint plusieurs fois à Charle- ville dans l'intention secrète de revoir Rimbaud ••• Mais Rimbaud ne parut jamais. 17

Le 30 décembre 1877, le bohème devient fonctionnaire. Il

est nommé employé temporaire à la Direction de la Comptabilité du ministère de l'Instruction Publique. Indemnité mensuelle: 125

francs. Il travaille dans la vieille maison de la rue de Grenelle,

célèbre pour avoir accueilli Maupassant et Izambard. C'est là

qu'il se lie avec Léon Dierx, Camille de Sainte-Croix et Léonce de

Larmandie. Il 'loue un petit appartement montmartrois qu'il décore

de peintures lascives.

Cheminant rue aux Ours, un ~o~r que dans la neige S'effeuillait ma semelle en galette: - Oh! que n;'-ai-je, Me dis-je, l'habit bleu barbeau, les boutons d'or, La culotte nankin, et le gilet encor, Le beau gilet à fleurs où se fane la gloire D'une famille, et, bien reprisés par Victoire, Les bas de cotonnade, et, chères aux nounous, Les syllabes en coeur du patois de chez nous ••• Car un Bureau disait sur une plaque mince: "On demande un jeune homme arrivant de province."

En septembre 1878, Nouveau, fidèle à ses vieilles amours,

passe ses vacances chez sa soeur, à Rousset. Il y invite Verlaine,

mais celui-ci se trouve emp~ché.

Le 31 mars 1879, Nouveau est nommé titulaire au Miniatère,

au traitement annuel de 2.400 francs.

C'est en novembre 1879 qu'il écrit les premiers poèmes de

La Doctrine de l'Amour. Il le fait avec un zèle de néophyte.

L'année 1881 s'annonce assez bien pour Nouveau. Tout d'a-

bord, il obtient une hausse de traitement; ensuite, il est nommé

officier d'Académie par arrêté du 13 novembre 1881. Dans une 1et- 18

tre de Delahaye à Verlaine, on commente cette nomination avec ver- ve et humour:

Je crois que Nouveau est en train de devenir républicain. Il a trouvé le moyen, gr~ce A Roujon, de se faire donner par Ferry, avant son dépsrt, les p ••• p ••• p ••• palmes d'officier a'Académie et il s'est fait faire un pardessus de 110 francs pour les porter. Et, comme il se trouvait dans une veine de transaction, il en a profité pour se repapilloter avec Richepin qui lui a permis de le faire éditer chez Dreyfous •••

Il faut dire que Delahaye, Nouveau et Verlaine, formaient un grou- pe de joyeux compères. Tous trois s'amusaient à se caricaturer avec beaucoup de saveur. Dans l'Album reproduisant les dessins dont ils farcissaient leurs envois, on peut voir une caricature de

Delahaye qui rencontre Nouveau affublé de son nouveau pardessus.

Nouveau a un air pompeux et une allure altière tandis que Delahaye s'affaisse presque sous le coup de la surprise.

Sous le pseudonyme de Jean de Noves, il collabore au Gaulois et au Figaro. En aoat, il ach~ve Le Doctrine de l'Amour qu'il termine sur ces vers:

Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre; Ames simples et coeurs souffrants, vivons ce livre.

En 1881 il partage, pendant quelques semaines, une chambre avec Delahaye. Nouveau a toujours été bizarre, mais c'est à cette

époque qu'il commence véritablement à inquiéter ses amis... Un matin, Delahaye se lève, ayant en t$te, un refrain d'opérette à la mode qu'il fredon!",e irrésistiblement: "Bommbomm bidibidibomm 19

bidibidibomm ••• , etc. 1I Nouveau est dans une de ses périodes de silence farouche et ne tarde pas à manifester son énervement. De- lahaye ne parvient pas à se taire. Comme ils se dirigent vers le restaurant, Nouveau exacerbé lance: "Ah non, assez~1I Sur ces mots, il change de trottoir, déjeune seul et pendant quatre jours, n'adres- se pas la parole à son camarade. Et lorsque Delahaye lui demandera:

IITu ne m'en veux-pas?lI, il répondra: IIpourquoi tien voudrais-je.

Je te plains. 1I

Nouveau continue à voir Verlaine, installé dans un meublé

à Boulogne. La santé de Nouveau est mauvaise et en 1882, il ob- tient m~me un congé de santé. En fait, NOUVt~au ni est pas fait pour vivre ainsi, enfermé dans un ministère. Le 1er aoGt 1883, il quitte son emploi sous prétexte qu'on lui a refusé un nouveau con-

gé. Fort de ses dons, il se lance maint~nant dans la carrière de

professeur de dessin. C'est à Beyrouth qu'il doit aller enseigner.

Il se serait m~me rendu à Jérusalem. Du moins clest ce qu'il ra-

conte dans Valentines:

Je m'en revenais de Dion, Pour baiser sa frange en dentelle, Et mettre ma dévotion Entière à vos pieds d'Immortelle.

Il serait m~me passé par l'Egypte. Une lettre destinée à Rimbaud

du 12 décembre 1893 en fait foi: IIJlai pensé à l'Egypte que j'ai

habitée déjà plusieurs mois il y a sept ans." Fin 1884, il est

rapatrié à Marseille. Il passe quelques mois dans sa famille et

publie, en mars 1885, quatre sonnets libanais. 20

Je vous fus présenté, Madame, dans la salle De marbre frais et sombre où vous passiez les jours Au bruit de ces jets d'eau monotones des cours Damasquines; l'or blanc cerclait votre bras p81e.

Assise à terre, à la manière orientale, Vous écoutiez ceux qui distillent les discours, Devant les narghilés d'argent aux tons d'opale Que la paresse fume à coups distraits et sourds

Des fleurs couraient parmi vos étoffes de soi~: Vos yeux éclairaient l'ombre où votre front se noie; Votre pied nu brillait; votre accent étranger

Eclatait dans ma t~te en notes délicates Je vois toujours vos dents, blanches, fines et plates, Quand votre lèvre, mouche en rumeur, fit: Franger? (1)

Nouveau vit à Montparnasse et au Quartier Latin. Le jour, il suit des cours de dessin, ceux de l'Académie Oolarossi; le soir, il rend visite à Verlaine. Un soir de juin 1885, il rencontra, dans un café de la rive gauche, Valentine Renault, dont il parle dans Valentines de façon très imprécise. Qui est-elle? Une petite employée? une Grande Dame qui tient salon? Probablement le nom

de toutes les femmes qu'il a aimées. Ce qu'il aime, chez elle,

c'est l'amour. Il jure m~me qu'il ne veut pas se marier.

Penserez-vous que je lésine, Si je reste, j'en suis penaud, Le maquereau de Valentine ••• Quelle Valentine?.. Renault.

Dans une lettre à Delahaye, du 15 janvier 1910, on lit:

(1) Franger: Européen. 21

Ces vers qui, après tout (vu le sujet) ne sont qu'un badinage, et où l'équivoque joue (bien sottement, je l'avoue), sur le mot Amour, qui n'est pas synonyme du mot bleu (de là l'ésoté­ risme de tous ces vers, malgré la clarté de l'expression), ces vers n'étaient pas destinés à ~tre mis, comme on dit, dans le commerce. Et ces épreuves ne sont jamais allées jusqu'au bon à tirer.

En mars 1886 la direction des Beaux-Arts avait confié à

Nouveau l'exécution d'une copie de David, le portrait de Barbaroux.

La copie fut si bien réussie qu'elle fut jugée digne de figurer au musée de Versailles. Le 6 octobre, il sollicite un nouveau poste de professeur de dessin dans un collège. Il fut nommé à

Bourgoin (Isère). Hélas, le pauvre Nouveau ne semble pas avoir modifié de beaucoup ses méthodes pédagogiques depuis Charleville.

Celles-ci ne plaisent guère plus qu'il ne le faut aux autorités:

Le service de M. Nouveau laisse beaucoup à désirer; peu d'exactitude de travail, de méthode, et par suite aucun résultat. Il néglige ses élèves au point de les laisser entièrement livrés à eux-m~mes pendant les classes et de s'oc9uper exclusivement, devant eux, de sa pré­ paration au certificat de dessin. En réalité, M. Nouveau n'a rien d'un professeur, et je de­ mande instamment qu'il soit remplacé par un martre plus instruit et plus consciencieux. A Grenoble, le 30 juillet 1887. Le recteur.

Le 8 octobre 1887, il est envoyé à Remiremont (Vosges). Dossier universitaire de Nouveau: "Bien vu à Remiremont, noté favorable- ment par l'Inspection générale du dessin. A Nancy, le 15 juillet

1888. Le recteur. 1t Pendant qu'il demande à ~tre nommé à Paris, 22

la Direction de l'enseignement secondaire l'avertit le 6 décembre

1888 qu'il est désigné pour une suppléance ~ Janson-de-Sailly.

La première année tout va bien. "Si acquitte avec zèle et très convenablement de son service; suit avec attention le travail de ses élèves. Direction intelligente. 1I Mais l'année suivante tout se g&te: "Ce professeur étant nouvellement entré en fonctions, les inspecteurs ne peuvent pas formuler d'appréciation; toutefois ils ont pu s'assurer qu'il manquait dlinitiative, qu'il s'appli- quait ~ suivre les errements de son chef hiérarchique. 1I Une let- tre de Madame Delannoy rapporte ce que lui a dit Madame Thomazon, la gouvernante de Léon Dierx, ami de Nouveau:

M. Nouveau a passé un mauvais hiver, ~ cause de l'insuccès de son examen; il s'est fait beau­ coup de souci avant et après, parce qulil pen­ sait qu'il ne serait pas maintenu ~ Paris, et que, pourtant, il y tenait beaucoup. Le médecin dit qu'il a eu un accès de délirium tremens causé par l'abus des liqueurs et surtout de l'absinthe. J'avais bien remarqué qu'il "se rafrarchissait" souvent avec de l'absinthe. Je l'ai dit ~ M. Dierx qui, lui ne s'en est pas aperçu, et a eu peine ~ le croire, vu le peu de ressources pécu­ niaires dont disposait M. Nouveau. Mais, ai-je ajouté à M. Dierx, vous ne savez pas combien il faut peu pour se procurer ces mauvaises liqueurs, qui sont d'autant plus pernicieuses qu'elles sont meilleur marché.

Le 14 mai 1891 Nouveau est terrassé. Crise mystique disent

les uns, accès de délirium tremens ou aliénation mentale disent

les autres. En pleine classe il se jette subitement ~ genoux et

supplie ses élèves de prier à haute voix avec lui. Il s'enfuit 23

du Lycée et va slagenouiller dans un ruisseau en multipliant les signes des plus bruyantes contradictions internes. Conduit au poste de police du quartier de la Muette, il est examiné par un médecin qui rédige ce certificat: "Délire mélancolique, stupeur, hallucinations de llouie: génuflexions extravagantes sur la voie publique. Idées mystiques: récit continu de prières, fait par

terre des signes de croix avec sa langue. Ce malade est dans un

état mental qui exige son placement dans un asile d'aliénés. 1I

Le 16 mai 1891 Nouveau est transféré à Bic$tre. Son seul désir

est de se confesser et de voir un pr$tre. Il n'est pas un seul

rapport médical à son sujet qui ne parle de ses idées mystiques.

Ses amis se sont émus en apprenant son internement. Camille de

Sainte-Croix lance un appel aux éditeurs pour qu10n entreprenne

de publier Nouveau:

••• un poète de grand style et de haut esprit, un des plus purs et des plus originaux parmi ceux de notre temps, homme de savoir profond et d1inspiration éclatante. Parmi son oeuvre, on peut recueillir la substance de trois grands volumes, deux de chansons d'amour, d1étranges et mordants ma­ drigaux, un troisième volume a"ec de larges et calmes poèmes où se reflèten~ les essaims de visions mystiques, splendides en leur candeur.

Nouveau recouvre vite sa santé mentale. Dès le 28 mai les bulle-

tins médicaux laissent entrevoir sa sortie prochaine. Mais c1est

en octobre seulement qu1il quittera Bic$tre. On doit à son inter- 24

nement un tr~s beau poème qu'il écrivit: La Rotrouenge des Fous

de Bic~tre. Original, rythmé, moderne, il fait ressortir l'aspect

contemporain de la poésie de Nouveau.

Vous qui filez nos jours, ô Parques filandières, Vous les savez filer de diverses mati~res, Et des fous de Bic~tre où le flux a son cours C'est de lin et de ••• hum! que vous filez les jours.

Vous qui filez nos jours, ô Parques filandières, Vous savez les filer de diverses manières, Et des fous de Bic~tre à tourner dans les cours C'est en ronds et carrés que vous filez les jours.

Cependant qu'à guenon, ô Parques filandières, Vous qui filez nos jours de diverses manières, A guenon et sagouin du voyage à long cours C'est en zig et en zag C'est en joyeux zigzags que vous filez les jours.

Vous qui filez nos jours, ô Parques filandières, Si filez-vous les nuits sous toutes les paupières, Et des fous de Bic$tre à r$ver dans leurs lits C'est de Vases dorés que vous filez les nuits.

C'est là que d'ortolans, ô Parques filandières, Vous fi18tes mes jours quatre lunes plénières; Mais or que pour souper je danse comme un ours, Ce n'est de vermicelle où vous filez mes jours.

L'appel que Camille de Sainte-Croix avait lancé aux éditeurs est

repris par Léon Deschamps dans la Plume, par Bernard Lazare dans

les Entretiens politiques et littéraires et par Alfred Valette

dans le Mercure de France; ce dernier affirme que III'écoulement

d'une édition est d'avance assuré." Consulté, Nouveau s'opposa

à toute publication, malgré les instances de sa soeur et de ses

amis. Le 10 octobre, il est libéré. 25

J'ai un état: je suis peintre et dessinateur. Le meilleur, c'est de vivre de cet état. Je travaillerai tous les jours, je dessinerai, je peindrai; je réussis surtout les t~tes. Puis j'irai faire des propositions aux marchands, aux amateurs... Il y a aussi les copies des grands mattres, au Louvre, au Luxembourg, etc. L'essentiel, c'est de travailler. Souvent, quand on ne réussit pas, c'est qu'on ne veut rien faire.

Début novembre Nouveau part pour Bruxelles. Il y mène une petite vie rangée. Tous les matins il se rend A l'église, fait ses prières, entend la messe, travaille beaucoup, ne lit que la

Bible et l'Evangile. Il se rend ensuite à Londres où il est professeur de dessin. Ses lettres commencent à prendre un draIe de ton: "Usage du monde! Préjugés du mondel Politesse du monde! le monde est irrémédiablement condamné... Ne me considère donc pas trop je t'en prie, au point de vue du monde ••• " L'instabilité de Nouveau devient chronique. Il se déplace sans cesse, s'enfon- ce dans son mysticisme. Une lettre du 15 avril 1892 nous apprend

qu'il est de retour à Bruxelles. "Dieu n'a pas voulu que je

restasse à Londres. Et ici la lutte est à recommencer ••• J'ai

da reprendre mon nom de Germain ici, à cause des papiers que j'ai

maintenant de mon ancien séjour. 1I Eté 1892: Rome. En 1893:

Marseille. Raison du séjour: demande une place de professeur de

dessin. Peu de temps après il s'embarque pour Alger.

En mars 1894 il sollicite, et obtient de l'Académie d'Alger,

son hospitalisation à la station thermale de Hammam-R1hira afin

d'y soigner ses rhumatismes. Au cours de l'été il essaie de se 26

faire réintégrer dans l'enseignement: "Tunis, ou à son défaut

Marseille, à défaut de Marseille, un poste en Algérie, n'importe ou, ••• la Pour toute réponse Roehn, son protecteur, lui fait parve- nir 200 francs; plus tard 800 francs. D'Aix-en-Provence, il lui

écrit en 1897: ItJ'ai dG faire allusion dans cette lettre de de- mande au manque de fixité que mes amis me reprochent. Vous voyez par mon voyage A Paris qui n'a pas eu d'autre but et par la suite de mes démarch~s, que je ne demande qu'à me fixer. J'esp~re, mon cher Roehn, que vous voudrez bien m'y aider de tout votre puissant et précieux concours. Cela ne dépend que de vous. Si vous ne me placez pas, vous me désespérez. 1I Nouveau est nommé le 13 octobre

1897 professeur de dessin au collège de Falaise (CalvBdos)~ Ré- ponse de Nouveau: IIDes raisons de famille m'empÉlchent, au dernier moment, de mettre à profit la faveur dont la haute bienvaillance, etc ••• 11 Il Y a plus de vingt ans il écrivait pourtant à Richepin: liMes affaires de famille sont terminées, mais là complètement.

J'en suis sorti pas trop écorché ••• 1t Mais voyant que Roehn ne fera plus rien pour lui s'il refuse, il télégraphie de Marseille:

"Accepte poste". Il reste une semaine à Falaise, envoie sa démis- sion et repart pour le Midi. Il renonce à l'enseignement.

Toujours à la recherche d'un lieu o~ se fixer, il fait Aix,

Marseille (1899-1900). Sous le porche de Saint-Sauveur il mendie.

On rapporte que Paul Cézanne lui donnait cent sous tous les diman- 27

ches. En 1904 il est à Paris, loge dans un grenier, dort sur un sac. Un jour Larmandie le rencontre cherchant avec un crochet sa nourriture dans les poubelles. Il le fait suivre et lui fait ob­ tenir de l'aide. On lui donne un lit qu'il vend immédiatement pour distribuer les fruits de la transaction aux enfants du quar­ tier. On le rachète, il le revend. On en fait livrer un en bois blanc que Nouveau accepte enfin. Mais Delahaye raconte qu'il

était toujours renversé, les pieds en l'air. ItUne dévote est en­ core plus ent~tée qu'une putain ••• J'ai accepté celui-là pour en finir. Je nly couche pas, voilà tout," lui avait dit Nouveau.

En 1904 Larmandie fait parattre des poèmes de la Doctrine de l'Amour. Le recueil est intitulé Savoir Aimer et signé G.-N.

Humilis. Nouveau ne l'apprendra que sept ans plus tard. Sa deux­ ième soeur, Laurence, meurt en mars 1906. Paris, Saint-Jacques de Compostelle, lIItalie ••• Nouveau s'est fait pélerin. A la fin de 1909, il est tenté.par la vie religieuse d'un couvent espagnol, mais il en sort.

En septembre 1911, Nouveau retourne dans son village natal.

Il a soixante ans. Il achète, dans l'enceinte de la commune de

Pourrières une maison en très mauvais état. Une carte de visite indique: ItFrançois Bernard - Dessinateur - On fait le portrait

Pourrières (Var)". Il slintéresse encore à la poésie, fait im­ primer son Ave Maris Stella chez E. Tournel. En 1913 il poursuit 28

la Société des Poètes français qui a édité Savoir Aimer. Puis il fonde un périodique mensuel la Presse du Pauvre.

Le 4 avril 1920, s,our de PSques, son absence à l'office surprend les voisins. Lorsque le mercredi, 7 avril, on force la porte de sa demeure, on trouve sur un grabat le corps de Germain

Nouveau.

Moi, l'enterrement qui m'enlève, C'est un enterrement d'un sou Je trouve ça chic! Oui, mon r~ve, C'est de pourrir, comme une fève Et, maintenant, je vais dire où.

Eh~ pardieu! c'est au cimetière pr.ès d'un ruisseau (prononcez l'Ar), Du beau village de Pourri ère De qui j'implore une prière, Oui, c'est bien à Pourrières, Var.

Comme sans fourreau la rapière, Comme sans gant du tout la main, Nu comme un ver sous ma paupière, Et, qu'on ne grave sur leur pierre, Qu'un nom, un mot, un seul, GERMAIN. PASTICHES, PRECIOSITE ET SERMONS DE GERMAIN NOUVEAU Et moi, je vois aussi toute chose autrement, Et je dis comme vous que nous sommes poate. De notre père Hugo nous avons la cravate, Nous rimons du Phébus dans le haut allemand.

Germain Nouveau

De la poésie, Germain Nouveau n'a jamais attendu qu'elle

lui donne la clef du monde. Dans ses vers, il s'épanche, se berce au rythme de ses propres chansons. Il apparaît dans la même pers- pective que Musset, Verlaine et Appolinaire. Pourtant il ne croyait pas à sa vocation de poète.

Beaux Limousins, Gascons et Bordelais, Hordes du Nord et du Midi, Bataves, Tous, Allemands, Espagnols et Français, Bohémiens, peuples libres, esclaves, o vous les blonds et blancs comme des raves, Et vous les bruns noirs comme des navets, C'est moi qui suis le poète aux yeux caves. Pitié, pitié pour mes vers polonais!

Les Valentines furent composées en vue d'une publication mais ne

parurent pas. Ce fut sans son autorisation que parut La Doctrine

de l'Amour. Nouveau voulut m~me poursuivre ses éditeurs devant

les tribunaux. De son vivant ont paru seulement quelques poèmes

dans des revues, Les Dixains Réalistes et Ave Maris Stella.

Les années allant de 1872 à 1878 sont pour Nouveau une pé-

riode de recherche. Il est remarquablement doué mais embarrassé

de ses dons. Il les soumet è des directives peu personnelles,

souvent m~me è des influences très visibles. Ces premie~s vers

ressemblent au chant et auœcor verlainien, surtout aux F$tes 31

Galantes. Style Louis XV, entre autres, pourrai t,sans susciter l'étonnement, être inséré dans le recueil de Verlaine:

C'est adorable à voir, les peintures exquises; Carnavals de Boucher et danses de Watteau, Silvains musqués, gothons à talon haut, marquises Et ducs, sous le loup n~~r gardant l'incognito;

Amants toujours heureux, beautés jamais avares, Peuplant de frais baisers les salles d'un ch~teau, Ou bien appareillant, en toilettes bizarres, Pour cythère, sur un fantastique bateau.

C'est le même thème, le même style discrètement mélancolique que l'on trouve dans A la Promenade de Verlaine: libertinage élégant, masques et bergamasques, paysages de rêves, bosquets et jets d'eau, pierrots et colombines •••

Trompeurs exquis et coquettes charmantes, Coeurs tendres, mais affranchis du serment, Nous devisons délicieusement, Et les amants lutinent les amantes,

De qui la main imperceptible sait Parfois donner un soufflet, qu'on échange Contre un baiser sur l'extrême phalange Du petit doigt •••

Non moins évidente l'influence de Baudelaire que Nouveau copie,

presque servilement, avec beaucoup de gaucherie, du reste légère-

ment feinte. Sonnet d'été devient une caricature d'une amusante

na!veté de La Mort des Amants.

Sonnet d'été

Nous habiterons un discret boudoir, Toujours saturé d'une odeur divine, Ne laissant entrer, comme on le devine, ~'un jour faible et doux ressemblant au soir. 32

Une blonde frêle en mignon peignoir Tirera des sons d'une mandoline, Et les blancs rideaux tout en mousseline Seront réfléchis par un grand miroir.

~and nous aurons faim, pour toute cuisine Nous grignoterons des fruits de la Chine, Et nous ne boirons que dans du vermeil;

Pour nous endormir, ainsi que des chattes Nous nous étendrons sur des fratches nattes; Nous oublirons tout, même le soleil.

La Mort des Amants

Nous aurons des lits pleins d'odeur lég~res, Des divans profonds comme des tombeaux, Et d'étranges fleurs sur des étagères, Ecloses pour nous sous des cieux plus beaux.

Usant à l'envi leurs chaleurs dernières, Nos deux coeurs seront deux vastes flambeaux, ~i réfléchiront leurs doubles lumières Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux.

Un soir fait de rose et de bleu mystique, Nous échangerons un éclair unique, Comme un long sanglot, tout chargé d'adieux;

Et plus tard un Ange, entr'ouvrant les portes, Viendra ranimer, fidèle et joyeux, Les miroirs ternis et les flammes mortes.

A cette époque il imite également Jean Richepin et emprunte à Victor

Hugo les secrets de son éloquence d'apparence facile. Parfois, il débouche sur un rythme d'une douceur silencieuse et des images d'une force m~hique contenue, notamment dans les strophes de

Ciels:

Le Ciel a de jeunes p~turages Tendres, vers un palais triste et vermail: Un essaim d'Heures sauvages Guide Pasiphaé, petite fille du Soleil. 33

Des troupeaux silencieux du ciel, Un nuage, un doux taureau s'écume, Se détache, avec le souci réel Du Baiser qui l'arrose et la parfume.

Et ces neiges, fratcheur et ferveur, Au ciel des étreintes fatales, S'unissent, ô Douleurt Le taureau roule sur la prairie idéale.

L'influence de Rimbaud est encore ici perceptible, elle ne fait m~me plus aucun doute si l'on tient compte des expressions "prairie idéale" et nIa passion ••• à lui". La voix véritable de Nouveau ne s'y fait pas entendre encore. Le poème intitulé Les Yeux est le premier qui soit plus personnel.

Les veilleuses dont notre nuit est parfumée Sont des soeurs dont les longs regards sont des secrets, Et les yeux de nacre et de perle des coffrets Nous pénètrent, et sur la basse cheminée.

Le miroir où ta beauté nue est confirmée Répète ces regards et ces yeux indiscrets, Qui, troublants comme les feux p~les d'un marais, Hantent, le coeur du doux poète et de l'Aimée.

o ces yeux, tous ces yeux dans le calme aromal De l'amour, sont d'autant plus tendres qu'ils font mal, Et notre 8me connatt des terreurs, pourtant pures.

Mais quand l'aube s'abat sur nos chastes volets, La fen~tre a deux yeux bleus et vides, si laids ~e nous tirons sur nous toutes les couvertures.

Les poèmes que Nouveau écrit, entre 1873 et 1879, comptent parmi

les plus délicatement précieux qu'il ait faits.

Elle veille en sa chaise étroit~; Quelque roi d'Egypte a sculpté Dans l'extas''! et la gravité Le corps droit et la t~te droite. 34

Moitié coiffe et moitié bandeau, Fond pur A des lignes vermeilles, Un pan tourne autour des oreilles. Sa robe est la prison du Beau.

Ses yeux, de profonds péristyles OÙ ne passe rien de réel, De toute la largeur d'un ciel S'ouvrent aux visions stériles;

La fratcheur du visage antique Laisse au vague appétit des yeux Deviner les seins précieux Dans un pli trop énigmatique,

Et sous l'impur raffinement D'un profil qu'on r$ve A des chèvres, C'est pour des dieux que vont les lèvres Souriant indéfiniment.

Il faudra attendre les vers de La Doctrine de l'Amour et ceux des Valentines pour retrouver une poésie d'une qualité aussi personnelle. La Doctrine de l'Amour qui porte aussi comme titre

Les Poésies d'Humilis date de 1880. Ces deux recueils chantent

l'amour: le premier sous un aspect religieux; l'autre exalte la

sensualité.

S'il est plus personnel, Nouveau reste gauche, au niveau de

la technique prosodique et de l~utilisation du r~ve. La Doctrine

de l'Amour est faite de poèmes didactiques, véritables petites

dissertations en trois temps sur des dogmes religieux, la bonté

de Dieu, etc. Ou bien, il rédige quelques cantiques et prières

bien inférieurs A ce que Verlaine a produit dans le genre. Ce

dernier réussi A nous toucher, de Nouveau hélas~ se dégage un

léger ennui ••• 35

Dieu, c'e8t la beauté, Dieu, beauté m~me a parlé Dans le buisson de flamme à son peuple assemblé •••

Ou encore:

Dieu fit votre corps noble et votre ~me charmante. Le corps sort de la terre et l'~mè aspire aux cieux; L'un est un amoureux et l'autre est une amante.

Dans la paix d'un jardin vaste et délicieux Dieu souffla dans un peu de boue un peu de flamme, Et le corps s'en alla sur ses pieds gracieux.

Entièrement consacrées à la femme, Les Valentines relèvent d'une autre "Doctrine de l'Amour". Nouveau renonce à la grande poésie. C'est la forme octosyllabique qui triomphe ici. Ces poèmes témoignent d'une tentative que fit Nouveau aux environs de

1885 de prendre la vie à la légère, avec esprit et ironie. Sans conviction profonde, sous prétexte de magnifier l'amour physique, la passion, il nous livre des pièces précieuses qui illustrent sa remarquable facilité verbale. Il y va de ses jeux de mots,

étale son érudition, s'éprend de son image,s'échauffe l'esprit mais l'~me reste de glace. On devine aisément qu'il est plus à

l'aise dans la ruelle que dans le lit.

Je suis bien ignorant, Madame: Je ne sais si j'ai quatre mains, Si je niai qu'un corps ou qu'une ~me, Ou quatre pieds sur les chemins.

Il ne faut pas se méprendre, ce n'est pas une femme en particu-

lier qu'il glorifie, c'est l'érotisme.

Si ce n'est l'Amour, c'est l'image De l'Amour, qu'en vous je veux voir, Jeune femme aux cheveux de Mage, Tels que les neiges du savoir! 36

Tout au long du recueil il marivaude; la passion ironique n'écla- te que dans les derniers vers.

"Tout fait l'amour. 1I Et moi, j'ajoute, Lorsque tu dis: Ittout fait l'amourll : M~me les pas avec la route, La paguette avec le tambour.

M~me le doigt avec la bague, M~me la rime et la raison M~me le vent avec la vague, Le regard avec l'horizon.

Oui, tout fait l'amour sous les ailes De l'Amour, comme en son Palais, M~me les tours des citadelles Avec la gr~le des boulets.

On ne pourra parler d'un génie propre à Germain Nouveau qu'au moment où perdant partiellement le contrale, il ne brime plus son inspiration et laisse les mots jaillir en liberté. C'est une certaine fièvre érotique qui lui dicte Les Baisers.

N'est-il pas infini le r~le De bonheur pur comme le sel, Dans ta matrice interastrale Sous ton baiser universel?

La fièvre mystique lui inspire également des invocations

à la Vierge et au Christ. Par delà la monotonie et l'incontinen- ce verbale parfois affligeante, ces images faciles sont soulevées par un rythme qui atteint un point de tension exceptionnel, res- semblant en cela-à péguy. Chez Rimbaud la fièvre est dans l'image.

Point de cela chez Nouveau. Rien n'est plus conventionnel que ce qu'il raconte. 37

Son originalité réside dans llenvoûtement du rythme.

C'est ce délire, ce martèlement fiévreux que nous fait entendre le "Battez, battez, tambours" qui scande le poème Le Baiser.

La passion est ici à l'état pur.

Car l'Amour est horrible Au gouffre de son jour! Pour le tir à la cible Battez, battez, tambours!

Sa caresse est est féline Comme le point du jour: Pour gravir la colline Battez, battez, tambours!

Sa caresse est cBline Comme le flot du jour: Pour gravir la colline, Battez, battez, tambours!

Sa caresse vous touche Comme l'onde et le feu; Pour tirer le cartouche, Battez, battez~un·peu.

Après Les Valentines, le décor change. Le poème fait place à la chanson.

Je ne puis ma gloire payer; Mais qui voudra fortune faire, Il n'a qu'à mes vers publier Et s'établir notre libraire. Sur un siège éditorial, Voire un Malassis n'est si mal!

Les Uixains Réalistes sont sans doute les poèmes les plus amusants et les plus personnels que Nouveau ait écrits. Cocasses, dépourvus de préciosité, légèrement érotiques parfois et pleins d'humour, un ton d'ingénuité les caractérise. 38

Dans ce bordel provincial plein de fratcheur, Attendant le sonneur, Martin, pauvre p~cheur, ~i vient tirer son coup entre deux sons de cloche Si son gland violet sur sa poche baloche, Trois filles dorment. - Ah! doux repos vaginal! Et leur rSve est bercé par le chant virginal Des Enfants de Marie, au jardin de la Cure: Mais c'est le sacristain qui leur bat la mesure (Car tout se m~le en songe) et le vit de lilas Saccade en le rythmant l'Ave Maris Stella.

Cette sorte d'érotisme n'est pas bien méchant. Quelque gaminerie de Nouveau, tout au plus, pour choquer les bourgeois.

Elle était à genoux et montrait son derrière Dans le recueillement profond de la prière. Pour la mieux contempler j'approchai de son banc: Sous la jupe levée il me sembla si blanc ~e dans le temple vide OÙ nulle ombre importune N'apparaissait au loin par le bleu clair de lune, Sans troubler SB ferveur je me fis son amant. Elle priait toujours. Je perçus vaguement ~lelle bénissait Dieu dans le doux crépuscule. Et je n'ai pas trouvé cela si ridicule.

S'il n'y avait autre chose que ces vers précieux, ces petits pastiches sans grand talent et ces mauvais sermons de défroqué, l'oeuvre de Nouveau mériterait-elle de survivre? DOCTRINE DE L'AMOUR ••• OU DOCTRINE CE L'ECHEC Mais moi, qu'on vend à la douzaine Pour vingts eols, j'en fais les aveux •••

Germain Nouveau

Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre.

Germain Nouveau

Au moment où sa mère meurt, Germain est encore, à huit ans, psychologiquement identifié à elle. Il conservera toujours l'im- pression, voire la conviction d'~tre divisé, incomplet"; il cherche- ra constamment cette union idéale qui recréera la relation mère- fils au coeur de laquelle il se sentait heureux. Jacques Brenner

écrit: ItSa faiblesse (il s'agit de No~veau) expliquerait pour une part la violence et le totalitarisme de ses attachements ••• " Cette explication est spécieuse, car comment peut-on ~tre violent quand on est faible? Il vaut mieux admettre la thèse selon laquelle

Nouveau n'a jamais pu admettre psychologiquement dl~tre seul au monde. Elle est empirique et cautionnée par le poète. Dernier

Madrigal qui fait partie des Valentines nous renseigne suffisam-

ment sur ce drame:

~and je mourrai, ce soir peut-~tre, Je n'ai pas de jour préféré, Si je voulais, je suis le maître, Mais ••• ce serait mal me connattre, N'importe, enfin, quand je mourrai.

Mes chers amis, qu'on me promette De laisser le bois ••• au lapin, Et, s'il vous platt, qu'on ne me mette Pas, comme une simple allumette, Dans une botte de sapin; 41

Je ne veux pas que l'on m'enferre Ni qu'on m'enmarbre, non, je veux Tout simplement que l'on m'enterre, En faisant un trou... dens 118 Mère, C'est le plus ardent de mes voeux.

Je serai donc avec les Femmes Qui m'ont fait et qui m'ont reçu, Bonnes et respectables Dames, Dont l'une est sans coeur et sans flemmes Pour le fruit qu'elles ont conçu.

Ah! comme je vais bien m'étendre, Avec ma mère sur mon nez. Comme je vais pouvoir lui rendre Les baisers qu'en mon ~ge tendre Elle ne m'a jamais donnés.

Voilà qui en dit long. Germain Nouveau ne pensant qu'à la dépos- session que la mort de sa mère entratne, fait de la mort dont elle fut en premier la victime, un instrument dont cette femme cruelle s'est servie pour se débarrasser d'un fils qu'elle n'aurait pas aimé. C'est Germain Nouveau qui devient alors la victime de cette déchirure. Ainsi identifié è l'auteur de ses jours, n'ayant ja- mais été rejeté, ayant résolu en apparence cette première contra- diction de aon être, il cherchera sans cesse è se confondre, tant dans des rapports physiques que sur le plan intellectuel et sen- sible, avec tous ceux qu'il trouvera dignes d'admiration. Il abandonna tout pour l'amitié de Rimbaud, l'amour de Valentines est tout aussi absolu et l'adoration è éclipses puis définitive de

Dieu l'amène è se perdre dans l'anonymat de la misère. Toutes ses passions prennent des dimensions géographiques, elles subis- 42

sent des catastrophes et connaissent des sommets. Dans Mendiants, poème qui stigmatise ses relations avec Rimbaud, il écrit:

Nous avons tant suivi le mur de mousse grise ~'à la fin, à nos flancs qu'une douleur emplit, Non moins bon que ton sein, tiède comme l'église, Ce fossé s'est ~uvert aussi sGr que le lit.

Et pourtant, oh~ pourtant, des seins de l'innocent Et de nos doigts, sonnant, vers no~re r~ve éclos Sur le ventre gentil comme un tambour qui chante, Diane aux désirs, et charger aux sanglots,

Il ne devait rester qu'une ironie immonde, Une langueur des yeux détournés sans effort. ~el bras, impitoyable aux Echappés du monde, Te pousse à l'Ouest, pendant que je me sauve au Nord!

Voici la rencontre de Valentine:

J'ai découvert un nouveau Dieu. "Nous irons le pr~cher ensemble ..... ••• mais c'est Vous, Vous que j'aime, Mais c'est ton corps, mais c'est ton Bme, Mais c'est Toi, ma petite femme, Toi, cet adoré petit Dieu;

Nous allons arpenter le globe ••• Nous allons vous pr~cher ensemble •••

Ainsi, il attendra teujours l'8tre privilégié avec lequel

il pourra se confondre: "je voudrais bien ~tre à toi, et je suis

toujours à moi". C'est une Bme féminine éperdue d'adoration.

Lui-m~me s'en moque dans le singulier Refus où il fait mine de

protester contre certaines accusations qu'on laisse peser sur lui.

Le poème est très ambigU et les réticences de Nouveau sont préci-

sément de nature à confirmer des soupçons qu'entretenait son ami- 43

tié pour Verlaine et Rimbaud. Peut-~tre d1ailleurs veut-il nous

laisser percevoir de façon voilée •••

Je suis pédéraste dans ll~me, Je le dis tout haut et debout. Assis, je changerais de gamme, Et, couché sur un lit, Madame, Je ne le dirais plus du tout.

La pédérastie est un vice: C'est llavis du médecin. Je le crois, il n'est pas novice ~and il soutient que l'exercice Le plus naturel, le plus sain,

C'est .de froisser le traversin D'une femme qu'on désaltère, Quand elle serait adultère, Quand elle n'aurait qu'un seul sein.

Pour moi, vous remarquerez comme J'ai quelque gr~ce à protester: Passant pour la moitié d'un homme, N'aurais-je pas le droit, en somme, De chercher à me compléter?

Germain Nouveau se meut à l'aise dans cette ambig~!té. Il vire-

volte, il sourit, il est tout en sous-entendus. C'est dans llex-

pression ironique d'une tristesse indéfinissable que ses vrais

dons se révèlent; il se hait et pourtant, il est fier d'~tre ce

qu'il est; il n'est, dit-il, que "la moitié d'un homme"; mais il

l'affirme sur le ton de la badinerie. S'il ressent le besoin de

s'humilier, c'est pour se grandir puisqu'il est llagent de son

humiliation; mais dès qu'il s'humilie, par une sorte de retour

paradoxal sur lui-m~me, il rit. S'il y a une dialectique dans la

poésie de Germain Nouveau, elle réside dans ce mouvement pitié-

ironie, qui donne à ses vers leur allure à la fois grinçante et

mystérieuse. 44

Se projetant sans cesse autour de lui, il ne faut pas s'étonner qu'il se cherche, avoue ne pas se connettre et finisse enfin par dire: "je ne suis rien"

Qpe le toutou de ma niniche; Je ne suis que le vieux caniche De tous les gens de n'importe où.

La nature de son oeuvre trouve ici sa premi~re explication. On comprendra plus facilement pourquoi la poésie de Germain Nouveau est si peu personnelle, si précieuse quand elle nlimite pas tout simplement Verlaine, Rimbaud, Baudelaire ou Richepin. On compren- dra aussi pourquoi il ne crut en rien dlautre qu'en llam.ur, mi- rage toujours fuyant qui ne pouvait produire que des échecs puis- qu'un tel amour l'obligeait à nl~tre pas, ou, au mieux, à ne vivre que par médiation seconde. Nouveau lui-mame neus donne raiaen.

Il a écrit: "Savoir aimer suffit, savoir aimer délivre", il faut conclure, non pas qulil n'a pas aimé, bien au contraire, mais qu'il a mal aimé, puisqu'on le voit de plus en plus tendu jusqu'à cette crise de folie qui le m~nera à Bic~tre en 1891. Dans sa

"dynamique", vie et oeuvres devaient produire un échec. Convain- cu qu'il était incapable,de par sa nature même, de produire quoi que ce soit avec une étonnante application, il entreprendra de donner raison à la nature. Nouveau. ne· veut pas être po~te, il ne veut plus créer d'oeuvre. Il prend le nom d'Humilis. Si ses voeux étaient exaucés, son oeuvre ne lui survivrait même pas.

C'est au hasard et à ses amis que ses oeuvres poétiques doivent 45

d'exister encore. L'humour, l'ironie, l'absurde, la souffrance et la pitié seront toujours traités avec succ~s: ces th~mes sent en accord avec sa dynamique de l'échec. Et, dans son optique, ce qui est néant retourne au néant.

Un des po~mes les plus émouvants des Valentines s'intitule l'~; c'est le po~me des amants séparés. C'est un po~me d'exil; il signifie beaucoup pour le po~te qui se sent inspiré par l'acui- té de son éloignement. L'image d'un double vivant sans cesse à ses eStés le rassure et rend la solitude plus lég~re à supporter; la mémoire imaginative joue un rSle: NQuveau n'est pas enti~rement seul. C'est l'Autre qui est dépossédé. Le poète marche dans la solitude de sa vie; le poème se déroule selon le rythme de ses pas. Il est seul et loin; pourtant, une présence à ses eStés donne un sens à sa solitude. Celle qu'il aime sera toujours là, puisqu'il lui a arraché son &me. A la suite de cette sorte de viol, Nouveau vit, mais comme toujours, par procuration.

Du temps où nous étions ensemble, N'ayant rien à nous refuser, Docile à mon désir qui tremble, Ne m'as-tu pas, dans un baiser,

Ne m'as-tu pas donné ton &me? Or le baiser s'est envolé, Mais l'8me est toujours là, Madame; Soyez certaine que je l'ai.

Ne s'appartenant pas, Nouveau ne peut aimer ni se donner, c'est un perpétuel soliloque qu'il entretient avec son coeur dépossédé. 46

Lorsque je vais seule lire Ou filer dans la for~t, Ma lèvre brGle et voudrait Baiser votre beau sourire. Je voudrais bien ~tre A toi Et je suis toujours A moi.

Comme Rimbaud qui peignait ses anc~tres sous des traits de barba- res: - IIJ'ai de mes anc~tres gaulois lloeil bleu blanc, la cer- velle étroite, et la maladresse dans la lutte... Les Gaulois

étaient des écorcheurs de b$tes, les brGleurs d'herbes les plus ineptes de leur temps" - Nouveau déclare dans La Ballade du Mé- chant Poète:

Mon père était un loup dans les for~ts, Ma mère fut une chienne aux crins flaves, Et jlai grandi dans les joncs des marais. Telle, aux lueurs des tristes rats de caves, Va la sorcière, aux viscosités haves, Telle une Muse, avec ses yeux mauvais, Mla déniché dans un vieux tas à'épaves. Pitié, pitié, pour mes vers polonais!

Il s'associe au nègre, ~tre réprouvé et solitaire par excellence, pour composer un poème très moderne. Il y atteint une très grande liberté dlexpression, audacieuse pour l'époque. En cela Nouveau est un novateur et précède les surréalistes. La poésie m~me de

Rimbaud n'atteindra que rarement à cette gratuité de l'inconscient.

Il pleut, que la mer Nia pas autant d'eau Que ce triste hiver! Et pas un bateau

Sur le lac d'Auber OÙ - pleurez, roseau! - Le zéphir amer Emporte un chapeau! 47

Clest celui du tri­ ste saint Alari Que son ~me n'a

Encor pour mari; Cependant quia ri Mossieu Roffina!

Germain Nouveau est interné A Bic~tre. Il y écrit un po~me dédié Aux Saints dans lequel il se déclare responsable de son in- carcération. La raison, dira-t-il, avec une émouvante simplicité,

en est qu'il n'a pas assez aimé et puis parfois encore, il siest abstenu de faire ses prières. Il a douté de Dieu; ensuite, il n'a pas toujours été chaste. Le diable lia entratné dans de mau-

vais sentiers. Il lia suivi volontiers. S'il avait fait un bon

pr~tre ainsi que son devoir le lui prescrivait il serait aujourd'hui

au parloir, mais ce ne serait pas celui de Bic~tre... Le poème

possèda une valeur incontestable d'autobiographie intérieure.

Nouveau utilise admirablement le vers "Je ne serais pas dans la

cour", qui ponctue, en quelque sorte, les étapes de sa déchéance.

Si, tous les matins de nos f~tes, Nous chantions tous avec amour Sur les harpes des saints prophètes Nos prières qui sont parfaites, Je ne serais pas dans la cour.

Si nous récitions nos prières Dans le crépuscule du soir Avec des lèvres régulières, Avant dlallumer les lumières, Je ne serais pas au chauffoir. 48

Si,les yeux remplis de beaux songes, Nous demandions quand vient le jour, Au ciel qui voit tous nos mensonges L'humble foi du p~cheur d'éponges, Je ne serais pas dans la cour.

Et quand la lampe s'est éteinte, Si nous sentions sur nos lits noirs La caresse d'une aile sainte, Attendant que llAngelus tinte, Je ne serais pas au dortoir.

Et si nous, les fous de Bic~tre, Nous avions fait notre devoir, Le devoir dicté par son pr~tre, Nous serions au parloir peut-~tre, Ce ne serait pas ce parloir.

Sans le diable qui nous malm~ne, Nul, avec les yeux de son corps, N'aurait vu ma figure humaine Dans la cour où je me promène Et dans le dortoir où je dors.

Nouveau ne siest pas toujours fait tirer l'oreille pour passer pour fou. Il trouve tout naturel qu'on le dise et en a m~me fait un tr~s joli po~me, où la fantaisie se développe d'une façon pré- monitoire, selon le th~me qu'il vaut mieux en rire qu'en pleurer.

Qpe je sois un fou, qu'on le dise, Je trouve ça tout naturel, Ayant eu ma part de b~tise Et commis plus d'une sottise, Depuis que je suis ••• temporel.

Je suis un fou, quel avantage, Madame~ un fou, songez-y bien, Peut crier ••• se tromper d'étage, Vous proposer le mariage, On ne lui dira jamais rien, 49

C'est un fou. Si c'est un bonhomme Laissant les gens à leurs métiers, Peu contrariant, calme ••• en somme, Distinguant un nez d'une pomme, On lui pardonne volontiers.

En 1874, Nouveau se retrouve à Londres. Dans une de ces

lettres qu'il écrivait à Richepin on lit: "Je me fais l'effet d'un mSme ici, moi pas grand là-bas". Dans une autre transparatt

son besoin de sympathie: "Tu vas 3tre charmant de répondre lcm-

guement AlI right!" Chacune de ses lettres sollicite beaucoup de

tendresse, craint toujours de n'en pas recevoir assez ou se ter- mine par quelque effusion: "Je cherche ta main de grand dad,

par dessus la Manche pour te la serrer." "Et vous, allez-vous

mn donner de vos nouvelles, bien long, n'est-ce pas?" Le poète

emprunte volontiers le langage de l'enfant, qui balbutie et fait

des mines pour qu'on fasse attention à lui et qu'on l'aime.

J'ai dit tout à l'heure que Nouveau n'avait jamais voulu

que l'on publie ses oeuvres. Il avait eu, pourtant, dans sa jeu-

nesse, des projets d'impressions... Il tenta de se faire éditer

par Victor Palmé, l'éditeur de Sagesse, puis par Maurice Dreyfous,

éditeur de Richepin, mais devant les réticences, il n'insista pas.

En avril 1875, dans une autre lettre à Richepin: " ••• J'aurai

alors, si je compte bien, deux volumes publiés: Odyssée enfantine,

Saintes femmes, Les Villes, Les Dévotes, etc., etc., et Stations

un autre en versse, déjà presque de quelque cent pages qu'est 49

C'est un fou. Si c'est un bonhomme Laissant les gens à leurs métiers, Peu contrariant, calme ••• en somme, Distinguant un nez d'une pomme, On lui pardonne volontiers.

En 1874, Nouveau se retrouve à Londres. Dans une de ces

lettres qu'il écrivait à Richepin on lit: "Je me fais l'effet

d'un mSme ici, moi pas grand là-bas". Dans une autre transparatt

son besoin de sympathie: "Tu vas $tre charmant de répondre lcm-

guement AlI right!" Chacune de ses lettres sollicite beaucoup de

tendresse, craint toujours de n'en pas recevoir assez ou se ter- mine par quelque effusion: "Je cherche ta main de grand dad,

par d.essus la Manche pour te la serrer." "Et vous, allez-vous

me donner de vos nouvelles, bien long, n'est-ce pas?" Le po~te

emprunte volontiers le langage de l'enfant, qui balbutie et fait

des mines pour qu'on fasse attention à lui et qu'on l'aime.

J'ai dit tout à l'heure que Nouveau n'avait jamais voulu

que lion publie ses oeuvres. Il avait eu, pourtant, dans sa jeu-

nesse, des projets d'impressions... Il tenta de se faire éditer

par Victor Palmé, l'éditeur de Sagesse, puis par Maurice Dreyfous,

éditeur de Richepin, mais devant les réticences, il n'insista pas.

En avril 1875, dans une autre lettre à Richepin: " ••• J'aurai

alors, si je compte bien, deux volumes publiés: Odyssée enfantine,

Saintes femmes, Les Villes, Les Dévotes, etc., etc., et Stations

un autre en versse, déjà presque de quelque cent pages qu'est 50

tout en alexandrins serrés comme les soldats de Philibert de

Lorme, l'homme au cordeau. Mais, toi qui sur le néant en sait plus que Carjat, - tu vois dlici ce que ça peut ~tre; en oultre, je me casse pieds et bras et je me vide la cervelle sur les

Amants Féériques (a pleasant hi.tory), à qui je t4cherai de donner un air rigolo... Mais clest trop parler de choses futi- les ••• " Il termine en disant: "Je suis un assidu de midi à cinq heures du British-Reading-Room, o~ je traduis pour vous quelques vers du poète lauréat, et un sonnet que tu peux jeter par la fen~tre qulest de moi. 1I Ces lettres, ces aveux, ces vers montrent suffisamment quels besoins Nouveau ressentait de se di- minuer et de faire fondre sur lui lléchec.

Réservant pour un autre chapitre de souligner l'aspect ironique des poèmes de Germain Nouveau, nous voudrions insister ici sur ce qui subsiste de regret déchirant dans cet humour:

C'était une enfant de Pourrières, Village battu des grands vents, Où'toutes peuvent passer, fières, De leurs magnifiques derrières Aussi crênes que leurs devants.

Ressemblant à une chanson populaire, volontairement simpliste,

Nouveau a écrit La Chanson de mon Adonis que Rimbaud sans doute

lui inspira, Rimbaud dont: il fait ici le portrait. Verlaine, sur

le même sujet, ne dira pas autre chose. Ce ton léger, cette sa-

tire, o~ les larmes affleurent, celles de l'enfant abandonné, c'est

là o~ excelle Germain Nouveau. 51

A quinze ans, un jeunl de men ~ge Vint me dire un jour: Ai_e-moi! Ce fut là tout notre mariage A pau près comme dans les beis. Ah! hi! hi! hi! hi! hi! ho! ho!

Adonis, c'était l'nom dlmon hemmej Quant à moi, lion mlappelle Beho, Le plus fort, clest qulau bar d'la semme Il n'payait jamais son écot.

Après quatre mois de ménage, Un beau jour, pr~s de l'Opéra, Il me dit: je pars en voyage; Promets-moi que tu m'écriras.

Son adresse, ell' n'arriva pas vite: Elle s'est égarée, je vois. Le plus dur, c'est que dans sa fuite Il ne m'a laissé que la voix.

Tous mes bijoux cnt pris le coche; ne ma montre j'ai fait .on deuilj Et pas m~me un mouchoir de poche Pour essuyer mon petit oeil! •••

En 1875 quand N.uveau, crevant misérablement de faim, déci- de de rentrer en France, il écrit à 8a famille: "Une raison toute providentielle, me fait quitter l'Angleterre. J1ai été placé deux jours dans un petit pensionnat à la campagne où je serais rasté ai Dieu ne m'avait attendu là: il s'est opéré un tel changement moral en moi, qu'au physique il est probable que je ne suis plus le m~me homme... Le société de bienfaisance de Londres m'a donné mon passage jusqu'à Paris. C'est à vous, à la famille maintenant

à faire le reste... Je serai donc au milieu de vous dans quelques

jours... C'est vrai que je me contenterai de bien peu et d'une

petite place ••• " 52

Sans ami~, sans parents, sans emploi, sans fortune, Je n'ai que la prison pour y passer la nuit. Je n'ai rien à manger que du g!teeu mal cuit, Et rien pour me v8tir que déjeuners de lune.

Personne je ne suis, personne ne me suit, ~e la grosse tsé-tsé, ma foi! fort importune; Et si je veux chanter sur les bords de la Tune Un ami vient me dire: Il ne faut pas de bruit!

Nous regardons vos mains qui sont pures et nettes, Car on sait, troun de l'air! que vous ~tes honn&tes, De peur que quelque don ne me vienne guérir.

Mais je ne suis icy pour y faire d'envie, Mais bien pour y mourir, disons pour y pourrir; Et la mort que j'attends n'Ste rien que la vie.

Ce sentiment d'une vie manquée, d'un "défaut sans défauts", cette solitude du coeur - liMon amour à moi n'aime pas qu'on l'aime -, ce dégoBt de soi, le conduira sur les voies de la charité et du mysticisme. Il éprouvera pour les maudits, les parias, les mendiants, le. chiens perdus, une sympathie fraternelle. Clest avec eux qu'il entendra maintenir une communication jusqu'à la fin de sa vie après avoir échoué partout ailleurs.

Me bougie est morte Je n'ai pes de feu ~'à la lune, en sorte ~e j'en ai fort peu.

J1ai pour toute escorte Les rats, les souris; Si ma Muse avorte, Je n'en sois repris.

Puces et punaises, Araignées, cafard ••• Je ne suis à 1 1 aise Logé aux Beaux-Arts. 53

Le vent sur ls face, A travers le mur, ~and, de guerre lasse, Je dors sur le dur;

Et la pluie qui tombe A travers mon toit, Me met dans la tombe Plus d'à quatre doigts.

Tant que l'~tre demeure en communication avec ses sembla- bles, sa vie, fut-elle parsemée d'échecs, poss~de un sens, car l'accomplissement de la personne est du domaine de l'échange.

Mais le mysticisme que Germain Nouveau a embrassé dans les der- nières années de sa vie procédait bien plus d'un désir d'évasion que d'une soif de communication. Parce que son projet d'~tre avait rencontré l'obstacle de l'échec, son goat d'éternité deve- nait refus du temps. On a trop vite donné un sens métaphysique

à son mysticisme. Il semble se présenter avant tout comme une incapacité de s'expliquer avec l'événement, un refus d'affronte- ment, une réaction d'échec. UNE OEUVRE DECADENTE AUX ACCENTS SURREALISTES Et je ris ••• parce que ça me fait un peu mal.

Germain Nouveau

On reconnatt facilement Germain Nouveau dans ce portrait d'un décadent que dresse Tristan Corbière au début des Amour Jaunes.

Epitaphe

Il se tua d'ardeur, ou mourut de paresse S'il vit, c'est par oubli; voici qu'il se laisse:

Poète en dépit de ses vers; Artiste sans art, - è llenvers; Philosophe, - à tort à travers.

Oiseau rare - et de pacotille; Très mtle ••• et quelquefois très fille; Capable de t.ut, - bon à rien.

Trop na!f, étant trop cynique; -Son goOt était dans le dégo~t.

Ci-gtt, - coeur sans coeur, mal planté, Trop réussi, - comme raté.

Les Poésies de Germain Nouveau sont une oeuvre de décadent.

C'est Huysmans qui a défini l'esprit décadent et lia d'abord in-

carné dans un type littéraire, Des Esseintes. DégoGté de la so-

ciété, il s'installe seul dans une maison près de Paris où il vit

à "rebours" de tout ce qui passionne la foule. Si Nouveau ne fut

pas cet esthète qu'incarne Des Esseintes il lui ressemble pourtant

par son inaptitude fondamentale à $tre heureux. En premier lieu,

il rejette la société capitaliste, cupide et hypQcrite qui a dé-

truit toute vertu, tout idéal: 56

Avec leur inf~me loi de Mendicité et leur inf~me loi de Vagabondage, avec laquelle ils ont atteint notre sainte religion au coeur, et qui est l'oeu­ vre des arithméticiens de la Convention (dans leur Itardent amour de l'humanité", c'est un comble!) ils me déshonorent (comme tant d'autres) et me ridiculisant aux yeux de mes parents, et me ren­ dent le jouet de mes amis (et de leurs bonnes), me tiennent toujours à la disposition de leurs mesquines vengeances; mais je préfère ma place, si mauvaise qu'elle soit, à la leur. (Nouveau)

Gr4ee aux pouvoirs de l'imagination il se fait du monde une nou· velle représentation que n'enlaidissent pas les "arithméticiens".

Enfance, mère, virginité, soeur, campagne et religion assurent

la garde de cet univers affectif.

Le vague à l'~me, la lassitude morale, l'inadaptation de

Nouveau, tout cela fait à maintes reprises le sujet de son oeuvre:

C'est vers toi, sur la terre oÙ l'on est las d'errer C'est vers ton ciel qu'il faut chercher la bonne étoile:

nérobe-nous, tes fils sont las, surtout des roses, Pas de tout, certe, et vieux d'aller et d'espérer; Donne, S Mort, ton sommeil aux sombres amauroses Et que l'aube et ses coqs ne sauraient déchirer.

Voici un poème qu'aurait pu inspirer le "Martre". Mallarméen par

sa forme, il l'est également par son dédain de la matérialité.

Toute la sublimation du monde est contenue dans un seul épithète:

"magnifique"!

Sans verte étoile au ciel, ni nébuleuse blanche, Sur je ne sais quel styx morne, au centre de 1'0 Magnifique qui vibre autour de lui sur l'eau, Mélancoliquement mon esprit fait la planche. 57

Comme chez tous les décadents, le pessimisme de Germain

Nouveau prend volontiers la forme de l'ironie. Souvenons-nous de cette lettre envoyée à Richepin qui se termine par ces mots: n ••• car tu sais je fais toujours de la peinture, oui, et cela va m~me assez mal. 1I Parfois il se veut plein d'humour, car, en principe, il n'aime pas avoir grise mine: "aller toujours à la plus grande lumière qui est le soleil! - Pouah, les lunes!"

Je courais la Russie ••• - Oui, Monsieur, me dit-elle, Jaune et p&le, avec ça toute argot et dentelle; Un breva dans ses doigts enfume un diamant, Elle reprit: Eh bien, foi de femme qui ment, Qpoi! je trouve, un matin que j'étais seul au monde Un cigare d'un rond, perdu dans ma profonde, Et qui causait avec de vieilles notes, là. Je l'allumai dans un gai "lai tou la la", Et j'ai connu, par un exil sans espérance, Le charme d'un petit bordeaux - sentant la France!

L'humour pour Germain Nouveau est forme de l'insolite - voire de l'absurde. ~and il est isolé, traité pour lui-m~me, il inspire des poèmes d'une cocasserie charmante.

"11 faut, nom de Dieu! que ça cesse", Se dit Eve, d'un ton tranchant. "Je veux le voir, oui, sur-le-champ!" Je dirai: "Sire, il manque à l'homme Une cSte, c'est sar; en somme, En général ça ne fait rien, Mais ce général, c'est le mien. Il faut donc la lui donner vite." Eve prit son air affligé, Et lorsqu· Adam parmi les branches Voyait bouder ses ••• formes blanches Et que, ne pouvan.t s',en passer, Il accourait, pour lfembraaser, Tout rempli d'une envie affreuse: "Ah! que je suis donc malheureuse!" Disait Eve, qui s'affalait. 58

"Pourquoi, dis, que t'as pas ta cete?" "Tu le sais bien... comment, c' est toi, Toi, ma eSte, qui se réclame!"

"lIle.is puisque ça ne se voit pas", Dit Adam. "Ca se sentll , dit Eve, Avec sa voix sifflante etbr~ve •••

Si,comme le dit Bergson dans son Essai sur la signification du comique, Ille comique exige, pour produire tout son effet, quel- que chose comme une anesthésie momentanée du coeurll , ce recours

à l'intelligence pure était alors pour Germain Nouveau une façon d'exorciser ce qu'il ne pouvait souffrir. L'ironie de Nouveau possède trop de violence et d'amertume pour qu'on ne puisse pas y voir plus qu'une amusante et superficielle parodie. Il n'est pas à proprement parler un po~te burlesque ou fantaisiste. Puis- qu'elle attaque ce qui le ronge, l'ironie chez lui devient défen- se: elle condamne sans appel.

Gilles

Gilles, fils de Watteau, grand frère des Lys blancs, Debout dans le soleil et tombé de la Lune, Es-tu sombre, es-tu gai, dans tes habits ballants? L'Sne brait-il? ou si le Docteur t'importune?

Ou si le Mezzetin cherche à tien conter une? Ou si Silvie a pris ses grands airs insolents? Un oiseau t'a prédit, dans les massifs galants, Ou ta bonne -aventure ou ta triste fortune?

Si ta joue est émue, on ne voit pas pourquoi. Tu vas rire OU tu vas pleurer. Tu te tiens coi, Malicieux Conscrit, tout b~te sous les armes. -

Est-ce en larmes d'argent ou bien en rires d'or Qulil te faut éclater, toi qui ris jusqu'aux larmes, Et qui ne dois pleurer qu'en riant plus encor? 59

Cette poésie du coeur mis à nu bafoue la tradition du lyrisme personnel, autant qu'elle s'écarte, par ses attachements biogra- phiques, des tentatives modernes vers l'impersonnel. L'amour le plus violent, le plus déchiré, le plus profond désespoir inspiré par soi-m$me, sont exprimés sur le ton du sarcasme, avec des ricanements. La poésie de Nouveau est poésie de l'anti-poésie en pleine conscience et jusqu'au système.

Les Vers des tourlourous sont toujours amusants: Ils retracent d'abord leurs gestes paysans, Se plaignent que d'écus on ne les couvre guère, Préférent constamment leur payse à la guerre •••

Ma bougie est morte ~e pour rire un peu Mandat l'on me porte Pour l'amour de Dieu.

Germain Nouveau s'intéressa bien plus à la pensée qu'à la littérature. Son oeuvre témoigne de la volonté qu'il eut de se transformer, de créer un nouvel homme. A ce titre son aventure

est révolutionnaire comme le sont celles de Rimbaud et de Lautréa- mont. Cette nostalgie universelle, suivie d'une recherche labo-

rieuse, véritable expérimentation qu'il fit sur 1ui-m$me, doit

également ~tre rattachée au mouvement décadent.

Les décadents visent à transformer la société en se moquant

de la littérature. Pour eux tout finit: religion, moeurs, justi-

ce. Ils se sont donnés pour tache de révéler par le processus

de l'écriture, cette lente désagrégation. Une telle action signi- 60

fierait qu'on a quelque chose d'autre à offrir ou, pour le moins, qu'on "intuitionnell une façon d'~tre plus authentique. Mais ils ignorent, pour l'instant, de quels messages ils sont porteurs.

Un fait est cependant assuré, ils éprouvent la nostalgie d'un

Au-delà. Il faut refuser de suivre ce qui est dicté par la cou- turne: l'instinct de l'amour, l'art traditionnel, etc. Cela mène aussi bien au mysticisme qu'au dada!sme.

La crise que subit Germain Nouveau ébranle l'univers con- ceptuel et affectif auquel il s'abandonnait pour sentir et s'ex- primer. Elle a donc pour résultat de lui inspirer un nouveau lan- gage, davsntage en rapport avec l'ouverture de son champ de con- science. Il entrevoit une autre réalité qui transcende èt expli- que cette réalité passée dans laquelle il se sentait à l'étroit, pris au piège. Il se libère en donnant l'existence à cette sur- réalité. Breton définit la poésie "comme l'unique possibilité d'accorder à l'esprit une liberté que nous n'avions connu ou voulu connartre que dans nos r~ves et de nous délivrer de tout l'appa- reil logique. 1I Nouveau s'est rendu aux portes de cet univers inexploré auquel Breton nous convie. Il en a rapporté des poèmes que Breton et ses amis eussent signés avec joie.

Muses, souvenez-vous du guerrier, - de l'ancien ~i ne fut général ni polytechnicien, Mais qui charma dix ans les m~nes du grand HSmme! Cet invalide était la gaité de son dôme. Mon coeur est plein du bruit de sa jambe de bois. Pauvre vieux! j'ai r~vé de vous plus d'une fois, 61

La nuit, quand passe au ciel, avec ses gros yeux vides, La lune au nez d'argent, astre des invalides, Ou que le vent se meurt, comme un chant du départ ••• Et j'ai fait encadrer le mot de faire part.

L'ambigu!té de ses émotions, qu1il ne parvint d'ailleurs jamais à s'expliquer entièrement à lui-m~me, est, sans doute, è l'origine de cette recherche d'un langage où la logique n'a be- soin d'aucune Raison à laquelle les institutions aient donné leur

"placet". Il suffit que se conçoive une chose pour qu'elle ait droit d'existence et soit à un haut niveau signifiante. Ainsi se juxtaposent des visions qui n'ont entre elles pour tout rapport que la commune émotion qui les sous-tend, une parenté profonde que la conscience a peine à saisir.

Et qu'il semble à nos joies Qplil y ait des années Qp'on a couché les oies.

Tout le surréalisme de Nouveau apparart dans les périodiques qu'il fonda à partir de 1913. Il avait envoyé à De1ahaye et à Richepin la carte suivante:

PRESSE DU PAUVRE

Son curieux numéro du 1er janvier 1914.

Volera tous les mois vers des lieux différents Comme tous les matins journaux petits et grands, A travers, par-dessous et par-dessus la ville Mais des miens sous la nue, il n1en plane que mille.

1.000 abonnés me faut. Chanson nouvelle.

Pour perattre le 1er février.

François La Guerrière 62

Les bureaux seront à Paris. Nous envoyons notre supplément sensationnel du 1er janvier à toute personne qui en ferait la demande accompagnée d'un envoi de 0.50 (cinquante centimes) à Laguerrière, Pourrières (Var).

Richepin, dans un billet rimé, avait réclamé deux suppléments.

Le 1er février 1914, il reçut cette deuxième carte postale:

PRESSE DU PAUVRE

Il Y a combat engagé, à l'Institut, entre Richepin et nous au sujet de notre supplément de janvier. Nous disions dans notre premier distique (il y en a cinq):

A vous, deux suppléments? qui fttes ce beau coup De nous tuer les Dieux? Un, c'est déjà beaucoup!

II

Mais les tu~tes-vous? •• "Les réponses seront insérées."

Voici maintenant une lettre de Germain Nouveau envoyée à

son cousin Léopold Silvy en 1910:

Toutefois, je te dirai avec la m~me franchise permise entre fr~res (germain veut dire frère) que si tu destines Paul au notariat je ne vois pas à quoi l'escrime pourra lui servir. Au contraire, à mon avis, elle ne pourra que lui nuire. Comme tout ce qu'on dit mérite des tempéraments, et malgré l'étude approfondie que j'ai faite des théories de l'escrime, ce que je vais te dire va peut-~tre te parattre singulier: je serais heureux de fonder une Société de découragement de l'escrime •••

Jamais pourtant la poésie de Germain Nouveau nia dépassé

ce seuil critique qui mène à l'expérience authentiquement surré- 63

a1iste. Il sacrifia beaucoup aux mSnes de l'inconscient mais en reconnut-il l'importance et le rS1e? Sans doute un drame collec­ tif seul pouvait-il opérer cette révolution surréaliste. Car ni

Lautréamont ni Rimbaud, malgré l'absolu de leur révolte et la profondeur de leur désespoir, n'ont pu arracher le masque. Avec

Germain Nouveau ils sont de nobles vaincus. Il aura fallu cette première grande guerre pour qu'au sein de ce chaos jaillisse un homme libre et vrai. NOUVEAU, ENTRE VERLAINE ET RIMBAUD 65

L'oeuvre de Germain Nouveau révèle l'influence prépondé­ rante de Rimbaud et de Verlaine; il leur doit sa double inspira­ tion, profane et religieuse, cynique et repentante. Sa renommée souffre beaucoup d'~tre dans le sillage de ces poètes que l'ac­ tualité a tant mis à l'honneur. La plupart du temps on ne prend connaissance de l'oeuvre et de la vie de Germain Nouveau qu'apràs

avoir lu la vie aventureuse d', apprenant que Nou­

veau aurait recopié les Illuminations et qu'il devait se charger

de les faire éditer. Sur l'originalité, le talent, la personna­

lité de ce poète, aucune allusion... Il est vrai que la vie de

Nouveau pr~te difficilement au commerce des surhommes. Baudrait­

il écrire en préface d'une édition complète de ses oeuvres la cé­

lèbre phrase de Stendhal par quoi débute Lucien Leuwen? S'il y

eut "influences", Nouveau devint, par la suite, plus personnel,

et semble devoir ~tre considéré à part, car, c'est surtout dans

ses premiers poèmes, qu'on trouve l'influence de Verlaine et Rim­

baud.

A la fin de 1873, Verlaine est en prison à Mons, Une Saison

en Enfer vient d'Gtre publié à Bruxelles, mais Rimbaud s'est

désintéressé de l'édition. En arrivant à Paris, il n'a pas un

sous et s'est fait camelot. Il est la fable des brasseries; on

lui tourne le dos. Un soir, au café Tabourey, on le désigne à

Nouveau. Germain Nouveau ne perd pas un instant et, laissant là 66

ses camarades, il se dirige vers lui. Rimbaud a dix-neuf ans,

Nouveau, vingt-deux. Nouveau possède encore une partie de l'hé­ ritage de ses parents, Rimbaud veut voyager. Trouva-t-il en

Nouveau la proie facile qui pouvait pendant quelque temps, sub­ venir à ses besoins? Lui et Nouveau partent presqu'immédiatement pour Londres. Ils demeurent ensemble entre quatre à six mois.

En juillet, quand Madame Rimbaud et Vitalie sont à Londres, Nouveau est de retour à Paris. Il aurait ensuite entrevu Rimbaud au dé­ but de 1875, bien qu'il n'y ait là rien de certain. Il ne le

revit jamais plus par la suite. On peut difficilement croire qu'il y eut entre Nouveau et Rimbaud une amitié réciproque. Quand

fut épuisée la petite fortune de Nouveau, Rimbaud commença à

trouver sa présence fort encombrante. Une lettre de Oelahaye à

Verlaine, sur Rimbaud, éclaire les sentiments de Rimbaud à l'égard

de Nouveau: "La conduite de Nouve lui inspire de l'inquiétude et

de la défiance..... Il n'en fut pas de m~me chez Nouveau, pour

qui la rencontre de Rimbaud transfigura la vie. Il s'est fait

une obligation d'~tre rimbaldien. Dans une lettre du 27 juillet

1875, on trouve l'expression: "nous, en somme fils de vrais so­

leils".

Les Mendiants et les lettres d'Angleterre à Richepin té­

moignent que la parole de Rimbaud transfigurait le monde aux yeux

de Nouveau. A celui-ci, il aurait pu répéter ce qu'il avait déjà 67

dit A Verlaine: "Songe à ce que tu étais avant de me connattrell •

Dans son carnet de 1873, Bourget écrivait: "Germain Nouveau mon- naye Richepin." Parmi les premiers poèmes de Nouveau, Les HStesses

reprend le thème de la femme qui ne sait pas aimer tel que Rimbaud

le développe dans Les Soeurs de Charité.

Les HStesses

~andvous coulant au bas de vos lits d'accouchées Après les affres du premier enfantement Vous vous dressez enfin, vous sentant allégées Comme un arbre où saignait un fruit m~r, lourdement

Tandis que vous tratnez, mornes vos cicatrices, Dieu nous voit blancs d'un lait reverni par ruisseaux, L'Sme et le front navrés du baiser des nourrices, Miaulant au roulis d'impassibles berceaux.

Ah! nous la demandons toujours, la bonne HStesse, La vraie, et dont le geste est s~r, toute au passant ~i marche en la stupeur de la for~t trattresse, Les cheveux en sueur et les doigts 10urè&-àe-sang;

Mais puisque c'est en vain, S mos bouches, crieuses D'infini, dont la voix, comme un oiseau de feu, Emporte au ciel l'amour des foules furieuses Ah~ puisque Dieu sans doute existe, mais si peu!

Tout comme chez Rimbaud, le poème se termine par l'appel à la mort,

dernière hStesse:

Les Soeurs de Charité

~'il croie aux vastes fins, R~ves ou Promenades Immenses, à travers les nuits de Vérité, Et t'appelle en son ~me et ses membres malades, o Mort mystérieuse, S soeur de charité!

Les HStesses

Dérobe-nous, tes fils sont las, surtout des roses, Pas de tout, certe, et vieux d'aller et d'espérer; Donne, a Mort, ton sommeil aux sombres amauroses Et que l'aube et ses coqs ne sauraient déchirer. 68

Deux poèmes des Dixains réalistes, le Ve et le VIe, dénotent une influence rimbaldienne. Le premier reprend, en lui donnant un tour ironique, Ma Bohème de Rimbaud. Loin de trouver poétique son attifement de sans-le-sous, Nouveau r~ve d'un costume très bourgeois et le décrit. Les poches crevées, la culotte à large trou, les souliers percés, font place à l'habit bleu bardeau, aux boutons d'or •••

Cheminant rue aux Ours, un soir que dans la neige S'effeuillait ma semelle en galette: - Oh! que n'ai-je, Me dis-je, l'habit bleu bardeau, les boutons d'or, La culotte nankin, et le gilet encor, ••• Car un Bureau disait sur une plaque mince: "On demande un jeune homme arrivant de province."

Ce n'est vraiment qu'en comparant les deux poèmes qu'apparatt :tout l'humour de Nouveau. L'auberge à la Grande-Ourse est devenue la rue aux Ours et les amours splen~ides auxquels r~ve Rimbaud font place au désespoir de nl~tre pas bien nippé. Ce jeune homme de province n'est plus l'idéaliste r~vant d'amours splendides, il se cherche un emploi.

Ecoutons maintenant Nouveau nous parler de son enfance avec les mots et le style de Rimbaud:

On m'a mis au collège (oh! les parents, c'est l~che!) En province, dans la vieille ville de H ••• J'ai quinze ans, et l'ennui du latin pluvieux! Je vis, fumant d'affreux cigares dans les lieux; Et je réponds, quand on me prive de sortie: "Chouette alors!" préférant le bloc à la partie D'écarté chez le maire, où le soir, au salon, Honteux d'un liséré rouge à mon pantalon, . J'écoute avec stupeur ma tante (une nature!) Causer du dernier bal à la sous-préfecture. 69

"Hit fait sans doute allusion au poème dans lequel Rimbaud pose une charade: "Trouvez Hortense". Ces expressions mises entre parenthèses et ces épithètes "l!che", "stupeur", "pluvieux" sont autant de signes par lesquels on reconnatt Rimbaud.

L'influence rimbaldienne est parfois plus profonde et plus subtile comme le dénote les poèmes Ciels et Autour de la jeune

Eglise. On Y retrouve des images chères A Rimbaud: "prairie idéalelt , ilIa passion a lui".

Nos voeux des vStres sont frères, Vous tous dont le coeur murmure Depuis llancienne aventure: Montez, Aubes et Colères~

La prose des Notes parisiennes semble une version frivole-

ment érotique des Illuminations. La phrase se veut rapide, con-

cise. Une peinture qui parlerait d'elle-m$me.

L'inconnue, clest elle. Madame est sortie. Sa coiffure est javanaise, sa toilette aussi, dlune simplicité ruineuse, elle ne sien doute m$me pas, ni qulelle dépense en cravates les appointements d'un Chef aux Finances. Et elle ne "veut mettre que deux sous" A un petit bouquet •••

Sans Rimbaud la poésie de Nouveau eut été encore plus dépourvue

d'images. Clest de lui qu'il tient la plupart de celles qu'il

emploie. Son influence a donc donné un peu de saveur et de colo- . , r~s a son oeuvre.

Le 1er mai 1875, Verlaine écrit A Delahaye (et toute sa

ruse est dans cette lettre): 70

Si je tiens à avoir détails sur Nouveau voilà pourquoi. Rimbaud m'ayant prié d'envoyer pour Qtre imprimés des poèmes en prose siens (que j'avais) à ce mSme Nouveau alors à Bruxelles (je parle dlil y a deux mois), j'ai envoyé - 2 francs 7S de portlll - illico, et tout natu­ rellement ai accompagné l'envoi d'une lettre polie, à laquelle il fut répondu non moins po­ liment; de sorte que nous étions en correspon­ dance assez suivie lorsque je quittai Londres pour 1C1. Je lui écrivais, quelques jours avant, que je lui enverrais mon adresse, quand installé. Depuis, je n'en ai rien fait, pour plusieurs raisons, dont tu devineras les principales, et dont la principale, l'indifférence (au fond). Mais je ne voudrais pourtant pas passer aux yeux de ce particulier pour un salaud, qui n'écrit plus tout d'un coup, sans motifs; et si j'étais sGr qu'il n'allat pas galvauder mon adresse, je réparerais cet oubli de grande plume, sans cette chose, de ne pas savoir son présent perchechoir. Tu pourras sans doute, puisque tu écris (probablement) à Stuttgart, toujours sou­ tirer, sans dire pour qui, l'adresse actuelle de Germain Nouveau en question et me l'envoyer. Du reste je n'y tiens pas plus que ça •••

En fait, Verlaine est rongé de la curiosité de connattre le nouvel ami de Rimbaud. Une autre lettre, quatre mois plus tard, va droit au but:

Un mot encore sur ce sujet, et ce sera fini dorénavant. Tu connais Nouveau. ~i est celui-là? ~el Monsieur moral est-ce? Ré­ ponse. - Et d'ailleurs, m'envoyer tous rensei­ gnements dessus Stuttgart, si tu en as.

Qpi se cherche se trouve~ Cette rencontre se fit à Londres.

Nouveau était venu attendre Verlaine à la gare du Great Northern

Railway. Leur amitié s'étendra désormais sur plusieurs années. 71

L'influence de Verlaine sur Nouveau s'exerça A la fois dans son oeuvre et dans sa vie. Verlaine tenta d'abord de convertir Nou- veau lors de son séjour en Angleterre en 1875. On imagine faci- lement l'état dans lequel il se trouvait à sa sortie de Mons.

Il projette d'écrire des espèces de psaumes de David qu'il aurait repris en y m~lant des éléments de sa vie de pécheur.

Puis il songe ~ un Rosaire qui s'étendrait depuis Adam jusqu'au présent. Il fait part à Nouveau de tous ces projets, l'exhorte

~ ne faire servir son art que pour l'Eglise. Nouveau ne se con- vertit pas tout de suite. L'exaltation religieuse que Verlaine suscita en lui, en 1875, fut sans lendemain. Mais Verlaine ne s'avoue pas battu. De 1876 à 1879 il essaie encore de le conver- tir. Delahaye raconte que Nouveau, pour sa part, manifestait surtout de l'indifférence. Par exemple, pour ne rien changer à

ses habitudes, il faisait gras le vendredi. En 1877, Nouveau se

rend ~ Arras chez Madame Verlaine mère où Verlaine est entrain

de mettre à jour le manuscrit de Sagesse. Afin d'~tre agréable

~ Verlaine, Nouveau exécute à l'église Saint-Géry, la copie d'un

crucifix de bois qui est reproduite en frontispice de la réédition

des Poèmes d'Humilis en 1924. Pour le remercier, Verlaine lui

dédie un poème: Un Crucifix:

Au bout d'un bas-cSté de l'église gothique Le Crucifix se dresse, ineffablement doux, Sur sa croix peinte en vert aux ar~tes dorées, - Un ami qui passait, bon peintre et bon chrétien, Et bon poète aussi - les trois s'accordent bien - Vit cette oeuvre sublime, en fit une copie 72

Exquise, et, surprenant mon regard qui l'épie, Très gracieusement chez moi vint l'oublier Et j'ai rimé ces vers pour le remercier. -

Peu à peu Nouveau ne résistera aux instances de Verlaine qu'avec un scepticisme amusé et sympathique. Cependant, il se documentait, méditait, discutait et, en 1879, il appela Delahaye pour lui lire

Le Pepe de Joseph de Maistre. Il était, catte fois, bien fixé.

Humilis était né. Il faut dire que deux ans avant le séjour à

Arras, Nouveau composait déjà des histeires rimées Ittrès religi- euses, je t'avertis, mais non encore du galbe de Barbey diA., les fins sont chrétiennes". En 1879, il écrit les premiers poèmes de le Doctrine de l'Amour. C'est à son tour de sermonner Verlaine:

"Verlaine, dit-il à Delahaye, est un enfant qui a besoin d'~tre mené, je le mène; parfois je suis terrible avec lui: sans cela, on n'en ferait rien." Nouveau, qu'avait repris le désir de voya- ger, avait décidé Verlaine à l'accompagner outre-Manche. A Arras,

Verlaine fait des difficultés, entratne Nouveau au café. Nouveau s'oppose à ce que Verlaine prenne une lin ième" consommation. Ils se quittent brouillés. Nouveau rentre à Paris. Verlaine a beau

écrire pour s'excuser, lui fixer un rendez-vous è la grand-messe

à Saint-Sulpice le jour de la Trinité, Nouveau reste inflexible.

Mais Verlaine ne partira pas sans qu'on lui pardonne. Près d'un kiosque où il est arr~té, on lui tape sur l'épaule: "Le voilà

cet homme qui ne pourra jamais se passer de lire les journaux! •••

Cet homme léger, épris de choses vaines", lui dit Nouveau. 73

n1autres poèmes de Nouveau, qui cette fois ne sont pas religieux, relèvent également de l'esthétique verlainienne.

Nous avons déjà cité Style Louis XV. Mentionnons en outre: ~ peu de musique, Gilles, fils de Watteau, Au Pays, Novembre,

~rummel ganté, etc. Novembre fait songer à ces poèmes de Romances sans Paroles. C1est la langueur et l'extase d'une &me qui dés es- père et qui souffre en suggérant uniquement, sans jamais le dire, de quel mal elle est atteinte.

~e triste tombe un soir de novembre! La bougie rayonne dans la chambre.

Je rave, et mon coeur nly est pour rien: Vraiment, ah! vraiment, ce n'est pas bien

Ni joie autour de nous, ni souffrance; Sur le front pas l'aile d'une espérance!

Suis-je mort? Je n'entends ni ne vois Nul écho de la plus charmante voix.

La flamme s'allonge, et tremblote. Dans la chambre un novembre triste flotte.

~i donc crois-je entendre par instants Dans la mer imaginaire que j1entends?

C'est, voyez-vous, mon &me esseulée ~i, ce soir, - novembre gronde - est ensablée!

Si Rimbaud est poète du soleil, Verlaine est le poète de

la lune. ~ant à Nouveau, son vocabulaire, ses thèmes, se modi-

fient beaucoup selon qu'il subit l'influence de llun ou de l'autre.

Avec Verlaine, il parle de douceur, du blanc, de parfums, de rêves,

de tristesse. avec Rimbaud, tout devient coloré: la charité est 74

rouge, la pauvreté est jaune d'or, les rivières vermeilles.

C'est l'humour, l'ironie, la légèreté. Bt puis le mysticisme.

Car ce n'est certes pas de Verlaine qu'il tient cette soif d'absolu, ce go~t du dénuement. ~e Verlaine ait désiré conver­

tir Nouveau, cela s'admet sans doute, mais il nia jamais pensé

le mener jusqu'au seuil de la sainteté. uNou.eau, écrit-il à

Delahaye, est charmant; n'est-ce pas, mais quel janséniste!1I RELIGION ET MYSTICISME CHEZ GERMAIN NOUVEAU Qui donc fera fleurir toute la pauvreté?

Germain Nouveau

Jusqu'en 1891, Nouveau hésita entre la foire pa!enne et la f8te religieuse. Longtemps il passa de l'une è l'autre. La crise de 1891, qui le mène A Bic8tre, marque un bond décisif; cette fois il n'y aurs plus de retour. Et lion voit, tout A coup, ce fantaisiste A outrance ·se soumettre si résolument A Dieu qu'il se fait l'élève docile de l'Eglise, qu'il n's de théorie reli-

gieuse que celle des pr~tres, qu'il veut observer, qu'il admire

au moins tous les détails de piété que pratique et recommande le

clergé catholique.

A l'époque de La Doctrine de l'Amour il fut attiré par le

catholicisme en tant que doctrine d'amour comprise dans un sens

très large et sous toutes ses formes. L'amour de l'amour dit

d'aimer tous ses amours. Sensualité, art et érotisme de l'anti-

quité è nos jours.

Aimez bien vos amours; aimez l'amour qui r8ve. Une rose A la lèvre et des fleurs dans les yeux; C'est lui que vous cherchez quand votre avril se lève, Lui dont reste un parfum quand vos ans se font vieux.

Aimez l'amour qui joue au soleil des peintures, Sous l'azur de la Grèce, autour de ses autels, •••

Dans ce m8me recueil, il écrit encore: "Si 1iSme est un oiseau,

le corps est l'oiseleur". Il a fait remarquer plus tard qu'A

l'époque de ce recueil ses connaissances en théologie et en Ecri-

ture Sainte étaient nulles. 77

Dieu est la Na~ure Partout où llhomme écrit Nature, lisez Dieu.

Or, pour la religion catholique, rien de plus opposé que de vivre selon la Nature et selon la gr4ce. Dans un autre poème de la

Doctrine, il nous présente Dieu comme étant la Beauté. Il ne faut pas slétonner si, quelques années plus tard, il cède sa place aux Valentines! Rien d'étonnant non plus qu'après son sé- jour è Bic8tre Nouveau, qui se retourne comme un gant, abandonne la Doctrine de l'Amour.à son tour.

"Qu'ils sont beaux les enfants que le Seign.eur envoie!"

Cela produit une curieuse et amusante alliance de mythologie et de religion. Paut-il se surprendre qulil évoque ainsi le Cruei- fié:

o mon Seigneur Jésus, adolescent f8té, Mon 4me vous contemple avec humilité, Car vous 8tes la Gr4ce en étant la Beauté.

Cette première phase religieuse, par laquelle passa Nouveau, fait de la pratique de la religion le meilleur moyen d l 8tre heureux, joyeux. Il n'y a ici aucune tentative pour connattre llinconnais- sable, tout au plus un art de vivre. Nouveau ne pressent pas

llexistence d'un autre monde.

Les Saints joyeux sont morts, nos temps sont condamnés Au mal mélancolique.

La poésie mystique représente, dans l'ensemble, un effort pour sai-

sir ce qui est absent. Or, La Doctrine de llAmour nlest pas le li- 78

vre d'un monde absent, mais d'un monde futur facilement discerna- ble par l'imagination. Ce monde sera l'univers purifié.

Dens la saveur des fruits et la gr~ce des fleurs, La vie aussi nous aime, elle a ses heures douces, "Des~bai15ers dans la brise et des lits dans les mousses. Jardin connu trop tard, sentier vite effacé OÙ s'égarait Virgile, où Jésus a passé. Tout nous aime et sourit, jusqu 1 aux veines des pierres; La forme de nos coeurs tremble aux feuilles de. ~ierres; L'arbre, où le couteau grave un chiffre amer et blanc. Pait des lèvres d'amour de sa blessure au flanc; L'aile de l'hirondelle annonce le nuage; Bt le chamin nous aime: avec nous il vOyage.

L'univers dont nous entretient le recueil, on le voit, est on ne peut plus sensible, sensuel... Survient alors la crise de 1891.

Le chrétien, auteur de La Doctrine de l'Amour, fait-il place tout à coup à un mystique véritable qui ne désire plus que pureté, simplicité et humilité? On ne peut ignorer que la crise mystique de Germain Nouveau présente ce caractère dlGtre liée à une sensualité délirante, sensualité qui est aussi trouble que troublante. Si l'idée de pénitence, dans laquelle Nouveau devait mourir, est si grave pour lui, c'est qu'il se sent dlemblée cou- pable, pécheur. Une vie vécue selon les normes lui assure le moyen d'être pur à ses propres yeux puisqu'il croit expier ses crimes afin dlentrer en grAce devant Dieu. Mais, a vous qui m'avez trouvé, Moi, pauvre pécheur que "Dieu pousse, Diseur de Pater et d'Ave, Sans oreiller que le pavé, Votre présence me soit douce. 79

Nouveau fait alors preuve d'une faiblesse extr~me dont l'envers sera la force et le courage qu'un tel abandon produira chez lui.

Aimez l'humilitél C'est elle ~e les mages de l'Orient, Venaient, dans l'encens triomphant, Adorer sur la pailla nue, Dans la personne d'un enfant.

Nouveau propose è. l'homme de remédier Il l'observance d'une dis ci- pline à laquelle nous sommes déterminés par l'observation volon- taire, cette fois, d'une discipline plus dure encore. C'est en somme une façon de se révolter. Elle est différente de celle de

Rimbaud mais les prémisses sont les m~mes: échapper au détermi- nisme. L'esprit se retrempe peu Il pau dans cet ascétisme et il n'en faut pas davantage pour qu'une vie, qui était vidée de tout sens, prenne un sens créateur. Ce mysticisme est rimbaldien de nature. Une lettre du 22 février 1892 rend compte-de son état

d'exaltation: "Usages du monde! Préjugés du mondel Politesse

du mondel Le monde est irrémédiablement condamné... Ne me con-

sidère pas trop, je t'en prie, au. point de vue du monde ••• " Tout

aussi idéaliste que celui de Rimbaud, le mysticisme de Germain

Nouveau cherche le salut dans la solitude. Une singularité de

plus en plus grande le caractérise. A cSté d'une telle attitude,

llOUS voyons Rimbaud se révolter contre une formation bourgeoise

de province.

Il ni aimai t pas Dieu, mais l.es hommes qu'au soir fauve, Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans 1~ faubourg. (Rimbaud) 80

L'humilité, la pauvreté deviennent tout naturellement des vertus dane la conception mystique de Germain Nouveau. ~e ae s'est-il rendu compte qu'elles dépossédaient l'homme d'une part de sa dignité? Ce n'est pourtant pas ce que Rimbaud lui avait

enseigné.

Il est un Dieu qui rit aux nappes damassées Des autels, à l'encens, aux grands calices d'or, ~i dans le bercement des hosanna s'endort, Et se réveille, quand des m~res, ramassées Dans l'angoisse et pleurant sous leur vieux bonnet noir, Lui donnent un gros sou lié dans leur mouchoir. (Rimbaud)

On ne lui pardonnera cette faiblesse qu'en comprenant comment il

était meurtri et quel énorme soif il avait d'une formidable aven-

ture qui lui a permis de s'aimer et de se croire aimé, malgré

tant d'échecs.

Certes, l'argent est bon, l'or est délicieux, Mais l'un cuvre l'enfer, l'autre ferme les cieux; L'un sait glacer le coeur, l'autre étouffe les !mes; L'or met sa clarté louche où l'amour met ses flammes, L'or est un mal o~ l'homme cherche un rem~de.

La crise de 1891 loin d'etre pour Nouveau une prise de conscience

est un échec. D~s lors il renonce à ce pourquoi il avait tant

lutté. Je laisse à d'autres le soin d'y voir une conversion, une

orientation définitive vers Dieu. Désormais Nouveau célébrera

la soumission. Il se fait n~gre. Le destin seul l'a renversé.

Ne croyant pas au bonheur pour ne l'avoir pas atteint il chante

l'édifiante vermine de son patron Saint Benort Labre né à Amettes. 81

Frères des astres, vous les poux •••

Dans une lettre que Nouveau écrit en 1892 perce le mépris de ce qu'il a lui-m~me tant aimé: "Voir dans l'Evangile ce que Notre­

Seigneur pense des sentiments naturels dont le monde fait si grand étalage... Et tu sais ••• le je&1e, la prière et l'aumSne."

Nouveau songe bi ent St à entrer en religion, ne serait-ce que comme frère lai, "si je ne suis pas trop vieux et si l'on veut de mc)i." Il ne peut plus vivre dans cette malheureuse Eu­ rope qui punit de prison "la pauvreté, cette vertu du chrétien, cet état de Notre-Seigneur, cette vocation de Saint Labre." Il choisit un couvent espagnol de la province de Lerida, mais il ne peut s'adapter à la règle. Comme il croit avoir été renvoyé pour une faute il reçoit une lettre qui lui, explique que "le vrai motif pour lequel nous l'avons prié de se retirer est que nous

avons estimé qulil n'était pas fait pour notre genre de vie ••• "

"Le saint curé d'Ars, ajoute la lettre, è plusieurs reprises, a

tenté de se faire religieux; toujours la Divine Providence montra

que telle n'était pas sa volonté. Comme lui, quoique restant

parmi les dangers èt les ennuis du monde, vous pouvez devenir un

grand saint et je suis convaincu que vous le deviendrez ••• "

La vieillesse de Nouveau fut ascétique: il passa ces

dernières années à dormir sur le sol des granges, se nourrissant

de soupes et de pain qu'il va chercher à l'hSpital; il s'est

brouillé avec son curé, et les soeurs de l'hSpital le craignent

plus que quiconque. CONCLUSION Je faisais allusion A tous eeux qui vivent dans l'obsession du succès, qui feignent un 8UCC~S que chaque instant transforme en échec, parce que chaque instant les rapproche da­ vantage de la mort qui est pour eux un échec rem~de. Heureux celui qui se sent un raté! Le sentiment de notre propre échec est le commence­ ment de 1 1 unique succ~s possible ••• OÙ donc est le succ~s des satis­ faits? Ce sont eux les grands ratés, et de, là vient leur obsession du succes.

Jean Sales, Gloire incertaine.

Tous les hommes ont le sentiment d'un rSle è jouer. Il nlest pas nécessaire que ce rSle soit important. Il suffit de pouvoir s'exprimer, s'épanouir. L'$tre qui choisit de s'isoler est A un haut degré en contestation vis-A-vis lui-mGme.

Jean de Noves, Humilis, La Guerri~re, P. Néouvielle,

Bernard Marie, Germain Nouveau. Pourquoi ces pseudonymes? Pour- quoi cette "mauvaise foill? Placé devant une difficulté qu'il n'arrive pas à surmonter, Germain Nouveau cherche à diminuer l'élan de sa conscience en face du monde. Ne pouvant s'assumer, il se tue. Il joue et veut croire qulil est un autre. Il crée une fiction à laquelle il donne son adhésion. Chaque fois qulil doit essuyer un échec, il le nie. Si c'est Germain Nouveau qui est incarcéré à BicGtre, c'est Bernard Marie qui en sort. Il signifie par ses vers, son refus de s'assumer. Contre la con- 84

science il choisit l'inconscience. Par ce mensonge il s'efforce de rejeter dans l'oubli le "moi" de l'échec. Il fqit ce qui l'entoure. Le mysticisme dans lequel il s'engagea lui fut impo­ sé par son besoin ~ital de fuir. Le temps, et par conséquent la création, s'arr~te lorsqu'on refuse d'établir une continuité dans sa vie. C'est pourquoi le mysticisme de Nouveau ne pouvait pas le délivrer. Or, les grandes oeuvres qu'on analyse toujours au point de vue purement poétique, ont toujours été p~oduites parce qu'elles se présentaient comme des libérations. Ou est la grande oeuvre de Nouveau? Il eat fallu qu'il pass~t, véritablement, par une crise pour nous la donner, mais elle ne se serait pas ap­ pelée Bic~tre.

Le poète des pirouettes et des imitations .un peu enfanti­ nes, sombre dans le silence. Jusqu'à la fin, à sa façon, il imi­ tera Rimbaud, dans son désert, dans son refus de faire parattre ses oeuvres. Mais est-ce bien pure imitation? Germain Nouveau n'est-il pas, plutSt, une réplique véritable d'Arthur Rimbaud?

Tous deux s'ins~rent dans cette crise latente de mysticisme qui a marqué la fin du si~cle dernier. Faute de Dieu, il leur faut

le silence et l'affrontement solitaire avec les puissances nées

de la solitude. La crise de Germain Nouveau s'appelle Bic~tre

parce que le po~te n'a pas pu aller jusqu'au bout d'une expérien- 85

ce qui, étant donné ce qu'il fut, eGt sans doute débouché, non pas sur les apprGts du surréalisme, mais sur le pur mysticisme.

~'a donc choisi Germain Nouveau sinon une voix médiane, qui lui assurait une certaine paix? C'est dans ce darnier cadre qu'il faut le voir: mendiant, livré à ses propres r@ves, sans person­ ne qui le dérange, vivant seul et, plus important encore, mou­ rant seul. A l'écart des juges. Saint Benôtt Labre chassait loin de lui les enfants et les pieuses femmes. La solitude est une mattresse exigeante, aussi cruelle que la poésie. C'est en derni~re analyse à l'union de la poésie et de la solitude que m~ne, dans la vie de Germain Nouveau, la doctrine de l'amour et de l'échec. BIBLIOGRAPHIE 87

OEUVRES DE GERMAIN NOUVEAU

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Le Calepin du mendiant, précédé d'autres pœmes (vers inédits). Notes de J. Mouguet, Gen. Cailler (1949).

Dessins dans Autour de Verlaine et de Rimbaud, Université de Paris. Soc. Amis Bibl. litt., J. Doucet, (1949).

Les Dixains réalistes. Nouveau écrivit un certain nombre des IIDixains réalistesll • Il slagit de Vieux Coppées comme en compos~rent Verlaine et Rimbaud. Suite de parodies de Coppée. 1876.

Doctrine de llAmour. Messein, 1924.

"Moine bleu," drame bouffe. Un acte en vers (qui a paru dans les Feuillets parisiens de Nina). En collaboration.

Oeuvres poétiques 1. "Premiers Vers", 'tOixains réalistes", "Notes parisiennesll , IlLa Doctrine de l'Amour". Edit. établie par Jules Mouguet et Jacques Brenner. Préf. de Jacques Brenner. (P.), Gallimard, (1953).

Oeuvres poétiques II. "Sonnets du Libanll , Il Valent ines" , "Ave Maris t Ste1la ., IlDerniers Vers". Edit. établie par Jules Mouguet et Jacques Brenner. Préf. de Jacques Brenner. P., Galli­ mard, 1955.

Poésies d'Humi1is (et vers inédits). Messein, 1925.

La Renaissance. Nouveau collabora è. "La Renaissanceu d'Emile B1êmont et è. d'autres revues FOUS le pseudonyme de P. Néouvielle. "Style Louis XV", "Un peu de musique", le voluptueux IISonnet d'été". Ces po~mes imitent les IIPo~mes Saturniensll , "Les Amies" et les "F~tes galantes". 1875-76.

ItSonnets libanais", dans Le Chat Noir. Publie deux _sonnets liba­ nais, (janvier et mars 1885). 88

"Sonnets libanais", dans Le Monde moderne. Publie deux sonnets libanais, (mars 1885).

Valentines. 1922. Messein, suivies d'autres vers. 89

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TABLE DES MATIERg;

Introduction 2

l Vie dlHumilis 8

II Pastiches, préciosité et sermons de Germain Nouveau 29

III Doctrine de llamour ••• ou doctrine de l'échec 39

IV Une oeuvre aux accents surréalistes 54

V Nouveau entre Verlaine et Rimbaud 64

VI Religion et mysticisme chez Germain Nouveau 7S

Conclusion 82

Bibliographie 86