L'affaire OM-Valenciennes. Histoire D'une Corruption Présumée
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L'AFFAIRE OM-VALENCIENNES ANTOINE CASUBOLO L'AFFAIRE OM-VALEN CIENNES Histoire d'une corruption présumée OLIVIER ORBAN @ Olivier Orban, 1994. ISBN Olivier Orban : 2-85565-005-4 A Anne. CHAPITRE 1 Il n'y a pas classe le mercredi et, dès le matin, les gamins ont envahi le Novotel de Valenciennes. Armés de stylos, de carnets, de bouts de papier pour les auto- graphes, ils attendent leurs stars. Les Marseillais ont leurs habitudes dans cette chaîne hôtelière. L'établissement se trouve au bord de l'auto- route du Nord. Une bâtisse brune, étirée en longueur, sur la zone industrielle Prouvy-Rouvignies. L'image que les joueurs de l'OM aperçoivent par les hublots de leur jet privé, en bout de la piste de l'aérodrome, n'est pas très avenante. Mais c'est pour eux la routine des déplacements et des avant-matches, une à deux fois par semaine, presque cinquante semaines par an. Elle est là, dans cet hôtel sans grâce au milieu des usines. Toute l'équipe de l'Olympique de Marseille au grand complet. Avec son staff, ses soigneurs, ses entraîneurs. Avec ses trois joueurs étrangers, Boksic la nouvelle étoile, Völler le champion du monde, Pelé deux fois « ballon d'or » africain ; avec Basile Boli, incertain pour cette rencontre mais le joueur le plus populaire, et Sauzée, Angloma, Desailly, Deschamps, l'armature de l'équipe de France, sans compter Bar- thez le jeune chien fou. En tout dix-huit joueurs, deux cent quarante millions de valeur cumulée, arrivent en autocar. Dès leur descente, une horde d'écoliers se presse autour de ces grands adolescents aux visages mûrs pour les approcher, les toucher. - C'est quoi ce bordel, on dirait un hall de gare ? hurle Bernard Tapie en arrivant. Seul M. Geudin, le directeur de l'hôtel, s'inquiète de cette colère tant le coup de sang du président de l'OM était attendu, voire espéré. Plus célèbre encore que ses joueurs, le taureau du « Bébête Show », le Nanard des « Guignols » ne fait-il pas partie du folklore ? Pour un peu, les enfants lui demanderaient également un autographe. Le lendemain, jeudi 20 mai 1993, une clameur sourde monte du stade Nungesser. 18 102 supporters ont envahi ses vieux gradins de pierre. L'affiche est belle, à deux journées de la fin du championnat. L'USVA, l'équipe locale, reçoit les champions de France. C'est le plus grand match à domicile cette année. La rencontre a été avancée car l'OM, dans six jours, dispute à Munich la finale de la coupe des clubs champions. Jamais encore une équipe française n'a gagné ce trophée européen. L'OM a toutes ses chances. La présence de nombreuses télévisions européennes, italiennes surtout, ne laisse aucun doute. Cela mérite des égards. Sur la pelouse, en attendant le coup d'envoi, les minimes du club valenciennois défilent fièrement, avec chacun une grosse lettre à bout de bras : « US VA AVEC L'OM A MUNICH. » Dans le vestiaire des joueurs nordistes, Boro Pri- morac, l'entraîneur, rappelle une dernière fois les consignes qu'il a déjà données : ne faire courir aucun risque de blessure aux visiteurs. Ici, on se souvient de Saint-Étienne, dans les années soixante-dix, tenu en échec par le Bayern de Munich dans une autre finale de coupe d'Europe. Trois de ses joueurs s'étaient blessés dans leur dernier match du championnat de France, dont Dominique Rocheteau, l' « Ange vert », l'idole de l'époque. Dans la petite salle sous les gradins où se sont réunis les dirigeants des deux clubs, on sable le champagne. Le président de l'USVA, par ailleurs président-directeur général d'un important groupe industriel, le groupe Valois, a profité de l'occasion pour inviter quelques relations d'affaires qui assisteront au match dans la tri- bune d'honneur aux côtés de Bernard Tapie. Jusqu'au jardinier du stade, tous les membres du club saisissent le moindre prétexte pour s'immiscer un instant dans la salle de réception. Habitué à cette atmosphère de notables locaux impressionnés à l'idée de le rencontrer, Tapie est naturellement à l'aise : - Vous tiendrez bien une mi-temps, mais ça va être dur pour vous, les mecs! lance le président de l'OM. Autour de lui, la plupart des Valenciennois par- tagent hélas le pronostic. Volubile, Tapie explique même pourquoi il veut l'emporter ce soir : - Si on gagne à Munich, mes gars feront la fête sans discontinuer et derrière, on reçoit le PSG : bonjour les dégâts ! Et si on perd à Munich, pour les remotiver, je ne vous dis pas. - Bébé, tout va très bien, je suis avec mes amis de Valenciennes, c'est hyper sympa, on fait la fête, raconte Bernard Tapie à sa femme au téléphone. - Mais où est Jean-Louis ? s'inquiète-t-il tout d'un coup, en raccrochant. En retard comme à son habitude, Jean-Louis Borloo vient juste d'arriver et tente de se frayer un chemin jusqu'à Bernard Tapie, très entouré, qui fait son show. - Ah! voilà le maire ! Je viens d'expliquer à tes amis comment gagner de l'argent dans le foot! explique le d'oeil.député des Bouches-du-Rhône, dans un grand clin Borloo-Tapie, Tapie-Borloo, des tribunaux de commerce aux bancs de l'Assemblée nationale, c'est une vieille histoire. Brouillés depuis six ans, les deux hommes se sont « ni amis, ni ennemis », mais, malgré une grosse rancœur, restent soudés par quelque chose de fort : « On garde toujours un peu d'affection pour ses copains de bac à sable », avoue Jean-Louis Borloo. Ensemble, lancés dans une grande discussion sur Munich, ils gagnent la tribune d'honneur, et s'assoient aux côtés de Jean-Pierre Bernès, le directeur général marseillais. En attendant le coup de sifflet de l'arbitre, Éric Bes- nard et Philippe Doucet, les journalistes de Canal +, rappellent aux téléspectateurs l'enjeu de la rencontre, qui sera diffusée deux heures plus tard sur la chaîne cryptée. « C'est un match très important pour les deux équipes. » Si les Marseillais l'emportent, le titre de champion de France est assuré dès ce soir, puisque le Paris-Saint-Germain ne pourra plus les rattraper. Mais ils auront fort à faire, face à des Valenciennois qui ne peuvent plus perdre aucun match s'ils veulent se maintenir en première division. A 20 h 30 précises, c'est parti. Didier Deschamps, le capitaine de l'OM, engage le ballon. Les premières occasions sont marseillaises. Puis la partie s'équilibre. Dix-huitième minute de jeu, sur le côté droit, Chris- tophe Robert, l'attaquant valenciennois, reçoit une passe du milieu de terrain argentin, Jorge Burruchaga. Il court le long de la touche pour centrer. Mais Di Meco, le défenseur le plus brutal de l'OM, se rue vers le ballon, dans le dos du Valenciennois, les deux pieds en avant sur la cheville gauche de Robert. Le Valen- ciennois s'effondre, hurle de douleur, tient son genou à deux mains. L'arbitre laisse jouer, la faute du Marseil- lais ne lui semble pas évidente. Moins d'une minute plus tard, à l'autre bout du ter- rain, Pelé centre, Boksic, aux six mètres, est à la récep- tion. Tir. Premier arrêt réflexe du gardien qui renvoie sur le Croate. Sur les mains ? L'attaquant marseillais enfonce la balle au fond des filets. But. - Ah! quelle déception pour Christophe Robert! s'exclame Philippe Doucet. La caméra se tourne alors vers le banc de touche. En plan serré sur le visage dépité du Valenciennois blessé. - Alors, qu'est-ce qui vous est arrivé, Christophe? demande le journaliste. - J'ai eu un problème au genou juste avant la ren- contre et là sur un tacle, j'ai senti craquer. Je ne sais pas... Il faut attendre le diagnostic. - Vous avez l'air particulièrement triste de louper cette rencontre... - Bien sûr. Parce que j'étais content de jouer contre l'OM. Mais ce qui est plus important, c'était de sauver le club. Donc je tenais à jouer. Pas de chance... Mi-temps. Dans le rond central, Burruchaga, le capitaine de l'USVA, pose le pied sur le ballon et s'apprête à enga- ger la deuxième période de cette rencontre. Éric Bes- nard et Philippe Doucet remettent leurs casques, mais les minutes passent et le coup de sifflet ne vient pas. Sur la pelouse, autour de l'homme en noir, un attroupement s'est formé à la sortie des vestiaires. La caméra hésite un instant, pour se fixer, finalement, sur le bord du terrain. Que se passe-t-il ? Les propos sont inaudibles pour les téléspectateurs. Puis le son monte progressivement : - ... On notera ça à la fin du match. Sur la feuille de match, on notera ce que vous venez de me dire. Hein ? voilà, explique M. Véniel. - Très bien (voix off). Didier Deschamps, le capitaine de l'OM, s'approche (avec Burruchaga sur ses pas) et interroge l'arbitre du regard. - Des réserves sont posées par l'équipe de Valen- ciennes parce qu'ils pensent que le but est marqué de la main et que des joueurs de Valenciennes ont été contac- tés financièrement avant le match et que donc il y a eu une déstabilisation de l'équipe. Devant un Deschamps bouche bée, incrédule, l'arbitre poursuit : - Donc, nous on fait le match, on continue. On prend note et à la fin du match, on... - Ah ouais ? jette Deschamps, en s'éloignant. Puis, à l'adresse d'un dirigeant de l'USVA : - Maintenant vous faites ça? C'est des marion- nettes, ton équipe! - Il fallait le dire avant (off mais on reconnaît l'accent marseillais comme dans tout ce qui suit).