Les Secrets De L'om Sous Tapie
Total Page:16
File Type:pdf, Size:1020Kb
JE DIS TOUT JEAN-PIERRE BERNÈS (en collaboration avec Bernard Pascuito) JE DIS TOUT Les secrets de l'OM sous Tapie Albin Michel © Éditions Albin Michel S.A., 1995 22, rue Huyghens, 75014 Paris ISBN 2-226-07793-6 INTRODUCTION Qu'a-t-on fait de l'OM ? J'ai failli ouvrir ce livre sur une dédicace : « A Bernard Tapie, sans lequel ce livre n'aurait jamais été écrit. » C'eût été vrai, en plus d'être ironique. J'ai eu peur que cette formule soit prise au premier degré et qu'on imagine qu'il existe encore des liens entre Tapie et moi. Ce livre aurait pu s'intituler « l'amitié impossible ». En réalité, il a failli devenir une tâche impossible. J'ai en effet été soumis à des pressions en tous genres. J'ai assumé le désarroi de comparaître devant le juge de Valenciennes. A un tel harcèlement il ne suffit pas de dire « non ». On recommence le lendemain. Même si vous ne voulez rien entendre, vous êtes usé, miné, déprimé. N'est-ce pas le but du jeu ? J'ai tenu bon. Je me présenterai en homme libre, enfin libre, au procès de l'affaire du match Valen- ciennes-Olympique de Marseille. Libre et seul. J'ai été abandonné, il y a longtemps maintenant, par Tapie. Ce ne sont pas ses piteuses tentatives pour recoller les morceaux, quand il a senti tourner le vent, qui auront changé quoi que ce soit. C'est fini, je ne marche plus ! Je n'irai plus en prison pour jouer les boucliers. Depuis un an, je n'ai plus de salaire, alors que j'ai démissionné de mes fonctions de directeur général mais pas des structures de l'OM. Je vis des Assedic et ne possède aucun « magot » caché. Je ne cherche pas à me faire plaindre. Je sais qu'il existe des gens bien plus malheureux que moi. Je le précise simplement car il faut que tout Marseille sache que Jean-Pierre Bernès n'a jamais pris un centime dans la caisse de l'OM. A Cassis, ceux qui me voient tous les jours — le boucher, le boulanger, les chauffeurs de taxi — savent que je vis simplement. Et pourtant, j'aurais pu devenir milliardaire grâce à l'argent des transferts. La solution de facilité était là. Je n'ai jamais été tenté. Mon bonheur était de servir l'OM et Marseille. Pas de m'en servir... Je souhaitais continuer à crier : « Je suis fier d'être marseillais » et m'entendre répondre : « Marseille est fière de toi. » Lorsque j'étais en prison, en juillet 1993, un journal marseillais, Le Soir, a titré sa première page : « Bernès, l'OM est entre tes mains. » Tant que je l'ai cru, je me suis accroché à un discours, toujours le même. Je l'ai payé cher. Qu'a-t-on fait de l'OM ? J'ai commencé à ouvrir les yeux quand j'ai compris que « mon » OM n'était pas entre mes mains. Ce que j'ai vu m'a effaré. J'en suis tombé malade, dans la solitude de ma maison. Au-delà de mes blessures et de mes angoisses, il y avait pourtant un procès à préparer, donc le devoir de se remettre debout. J'ai cherché des forces sur des visages — celui de Pascale, si présente et qui m'aime —, dans les mots — ceux de Gilbert Collard, mon avocat et depuis mon ami, qui aime Marseille autant que moi —, à travers quelques messages d'affection, comme celui de Basile Boli qui, me dédicaçant son livre de souvenirs, écrit : « Jean-Pierre a été pour ce club ce que personne n'a été avant lui : son cœur, son âme, sa vie. Pour moi, un interlocuteur admirable, un mec droit... J'ai tout vécu avec ce Monsieur... Jean- Pierre, je ne t'oublierai jamais. Que Dieu te pro- tège. Ton grand Black... » Je vis au ralenti depuis des mois. Comme un convalescent menacé de rechute. Rédiger ce livre m'a aidé à ne pas sombrer. Je raconte ces sept années, avec joie parfois, avec souffrance souvent. J'ai découvert, au fil du récit, que l'homme dont je parlais, le Bernès de Tapie, m'était presque étran- ger. Je ne connaissais pas cet individu. En tout cas, ce n'était pas moi. En écrivant, je l'ai regardé, observé, disséqué. J'ai décidé de le raconter sans tricher, sans complai- sance. Ce livre est un cri. C'est aussi une histoire d'amour qui a mal tourné, une histoire de souf- france et de désolation. Je n'ai pas de comptes à régler, de placards à ouvrir. Seule une grande tris- tesse m'oppresse, celle d'avoir cru à des valeurs d'amitié auxquelles Tapie ne croyait pas. Il me reste une épreuve à affronter et je n'ai pas honte d'en avoir peur. Que sera le procès ? A coup sûr, pour moi, une déchirante analyse qui, du reste, a commencé dès la prison lilloise. Plus personne ne pourra s'arranger sur mon dos parce que je ne le veux plus. Dès lors, forcément, les masques vont tomber, les bouches s'ouvrir et les hommes se déchaîner. Je marche seul, désormais, ce qui est le meilleur moyen d'aller droit. J'ai encore quelques propos dans la tête : « Bernès, le bras droit de Tapie », « son œil », « ses oreilles », ou encore « la main de Tapie »... C'est ainsi que l'on me voyait, que l'on me décrivait. Jusqu'à la sale affaire. Brutalement, je suis devenu « le cerveau » ! Sans vouloir m'avancer, je ne crois plus qu'il y ait un magistrat en France pour le croire. CHAPITRE 1 Histoire d'une fascination Je suis sorti du couloir sans plus rien entendre des mots qui voulaient me porter là-bas, vers la lumière et le bruit. Il faisait beau. Il n'était que 18 h 30 et, encore, le soleil jouait avec les tribunes du Stade Vélodrome où patientaient 30 000 personnes. 30 000 cœurs. 30 000 passions. Taureau ou torero ? En tout cas, me voilà dans l'arène. On m'avait dit : il faut que tu le fasses, c'est bien. Je le fais, sans y réfléchir. Lentement, la tête loin de tout, les jambes flageo- lantes semblant se mouvoir dans un grand champ de ouate, j'avance sous les hurlements d'une foule com- pacte et aimante. 24 juillet 1993. Il y a deux jours, j'étais encore en prison à la maison d'arrêt de Loos-lès-Lille. Dernière cible, pour l'heure, de l'enquête sur « l'affaire » qui fait vibrer la France depuis deux mois : l'affaire OM- Valenciennes. Trois semaines de cellule, des interrogatoires serrés, une confrontation pénible, des pressions insupportables, la douleur des miens par-delà les barreaux, le chagrin et la honte... Tout cela se bouscule en moi au moment où j'entame ce tour d'honneur que Bernard Tapie m'a suggéré la veille, sur son bateau, le Phocéa, alors que je goûtais, du bout des lèvres, aux premières heures d'une liberté retrouvée. Je marche et Marseille crie. Des bras se tendent, des coeurs s'ouvrent : « Bernès, Bernès ! » Comme si je venais de marquer le but du siècle ! Pour eux, j'ai fait mieux : j'ai tenu bon face aux policiers venus du Nord, on dirait presque de « l'estranger » ! J'ai résisté à la pression judiciaire de Valenciennes. Je n'ai pas craqué dans l'isolement de ma cellule où on m'a jeté pendant trois semaines comme un criminel. Je n'ai pas trahi Marseille. Je suis marseillais, le seul vrai Marseillais de l'OM ! Ils sont fiers de moi, ils veulent me le dire et, comme ils ne trouveraient pas forcément les bons mots, ils se contentent de scander mon nom : « Bernés, Bernès ... » Je continue de marcher. De temps en temps, je tends les bras vers eux. Ces deux bras écartés, nerveux, entourant un visage crispé par l'émotion, on me les reprochera plus tard. A-t-on le droit de mimer la victoire quand on est au cœur d'un scandale, d'une affaire de corruption et que l'on sort à peine de prison ? Moi, je n'ai pas d'idée, à ce moment précis. Pas même de sentiment. Encore moins de conviction. Je marche parce qu'on m'a dit de marcher. Je fais mon tour d'honneur sans même avoir la sensation que je suis en train de l'effectuer! Je ne suis plus grand- chose. Un zombie, un être flottant, laminé par trois semaines de cellule. Tapie m'a dit qu'il fallait que je le fasse, je le fais. Il m'aurait dit de descendre la Canebière en caleçon et à quatre pattes, je l'aurais fait sans plus me poser de questions. Pourtant, il y a tout dans ce moment. Le couronne- ment d'une passion et d'un dévouement inouï à l'OM. Le fond d'un gouffre. Les parfums de jour de gloire et les mauvaises odeurs annonçant les lende- mains qui déchantent. C'est, j'en suis vaguement convaincu, toute une vie qui s'égrène, là, dans ces minutes de folie et d'absurde. Ni un rêve ni un cauchemar. Le rêve, c'était deux mois plus tôt, avec la victoire de l'OM en finale de la Coupe d'Europe des champions, face au Milan AC. La première victoire d'un club français en Coupe d'Europe, après quarante ans d'attente. Le cauche- mar, c'est pour demain. Demain et les autres jours. Demain, quand j'annoncerai ma démission de mes fonctions de directeur général de l'Olympique de Marseille.