<<

Route des orgues du Pays de Brisach

BALTZENHEIM 5 11 Le Rhin 8 L’Alsace a une chance : elle a hébergé les plus

WOLFGANTZEN 9 grandes dynasties d’organiers. 2 Le pays de Brisach peut, ainsi, 3 A35 1 s’enorgueillir de posséder 10 7 6 un patrimoine organistique hors du commun !

NAMBSHEIM 4 église St-Michel orgue Antoine Herbuté (1843) I/P - 11 jeux e OBERSAASHEIM église St-Gall orgue Joseph Callinet (1826) I/P - 8 jeux Le 19 siècle voit s’établir la suprématie de deux dynasties d’organiers : les Callinet et les Stiehr. Pourtant, à l’ombre de ses dernières, se développent de petits ateliers de facture d’orgues. Si ces derniers ne peuvent rivaliser avec les grands noms, ils construisirent des instruments de qualité, quelques fois originaux, et en-dehors des schémas établis par la facture d’orgues semi-industrialisée de l’époque. Parmi eux, des amateurs éclairés, autodidactes, tel Antoine Herbuté (1787-1880), aubergiste L’orgue d’Obersaasheim fut construit par Joseph Callinet, frère aîné de la dynastie rouffachoise de facteurs d’orgues. Faisant partie de leur à Marckolsheim. Ce personnage, mystérieux, apprit sans doute son métier auprès de Chaxel. Durant sa période d’activité en Alsace (1829-1851), neuf instruments 1e période d’activité, cet instrument modeste date des années 1825-1826. Le buffet impressionne par la taille de ces Jouées, qui ne sont sortirent de ses ateliers. Connu pour ses avenants, sa réputation, au départ, fut bonne. Ce n’est que plus tard, qu’il dut fuir l’Alsace pour la Suisse... pas caractéristiques de la production de nos organiers. Sont-elles des Callinet ? Comme de nombreuses communes alsaciennes, Baltzenheim décida de mener à bien des travaux dans son église, en ce milieu de 19e siècle. Cette nouvelle « forêt » L’instrument d’Obersaasheim fut modifié par Alfred Berger, successeur des Callinet, en 1925 et 1932. Il s’agissait alors de supprimer les d’églises alsaciennes, correspondant à la vitalité du diocèse, est concomitante à la création du 3e parc organistique alsacien. Notre commune ne déroge donc pas à jeux jugés anciens, afin de placer les timbres à la mode. C’est ainsi que Nasard et Fourniture furent remplacés par Voix céleste et Montre. la règle. Baltzenheim souhaite « un instrument solide et qui sera en harmonie avec l’édifice » (extrait du PV du conseil municipal, 9 mai 1842). Pour cela, elle fit appel Relevé par Alfred Kern en 1981, l’orgue d’Obersaasheim est un témoin important de l’art des Callinet. à Antoine Herbuté, connu dans la proche région pour avoir construit l’orgue de Marckolsheim et réparé celui d’Urschenheim. L’orgue fut terminé en 1843. Réparé et modifié par Blum (1868), Eckhardt (1889), Henry (1952) et Guerrier (1969), il est l’un des trop rares témoins de l’art d’Herbuté en Alsace.

HEITEREN église St-Jacques-le-Majeur orgue Antoine Herbuté (1843) III/P - 33 jeux - classé Monument Historique LOGELHEIM église St-Maurice orgue Valentin Rinckenbach (1833) II/P - 17 jeux Le Maire d’Heiteren souhaitait, en ce beau 19e siècle, acquérir un nouvel instrument, prestigieux, à la hauteur des ambitions de sa commune. Le maillage démogra- L’orgue Rinckenbach du lieu n’est pas le premier. Il succède, en effet, à un instrument de Weinbert Bussy, élève de Louis Dubois. Comme de phique alsacien, très dense, favorisa l’émulation, la concurrence, entre villages et paroisses. Toute commune se devait de posséder une église plus grande, un clocher nombreuses paroisses, Logelbeim fit le choix d’acquérir un instrument neuf au 19e siècle. plus haut, une sonnerie de cloche plus bruyante et un orgue plus grand que son voisin. Dans cette « course à l’armement symbolique », l’orgue tient une place de Elle passa ainsi commande auprès de Valentin Rinckenbach, facteur d’orgues géographiquement le plus proche, établi à . choix. Objet d’art, d’ambition religieuse et politique, il est au cœur des débats. Le jeune Valentin construisit un instrument modeste, son opus 7, mais parfaitement complet et représentatif de la facture d’orgues post- M. Blanchard, Maire, recopie donc soigneusement l’un des devis pré-imprimés de la manufacture Callinet. Il le confie à Antoine Herbuté, facteur d’orgues aubergiste de classique alsacienne du premier 19e siècle. Marckolsheim, en lui demandant de concevoir cet instrument. Notre organier s’exécute en dressant devis, le 4 août 1842, toujours rigoureusement identique à celui Le buffet, à trois tourelles, de l’instrument n’est pas encore caractéristique de « l’esthétique Rinckenbach ». Pour le moment, tout comme des Callinet. Les droits d’auteur n’existaient pas, à cette époque... Comme à son habitude, Antoine Herbuté fit des travaux additionnels, qu’il factura en supplément. La la composition, Rinckenbach suit le modèle Callinet à la lettre. Ce n’est qu’à partir de 1839 que Valentin créera véritablement ses propres commune faisant des difficultés, il vendit ses droits sur l’orgue à deux autres personnes. Lorsque l’affaire éclata, il avait déjà fui en Suisse... dessins de buffet, avec les oculi. L’instrument d’Heiteren fut réparé par Berger, le contremaître des Callinet, en 1865. Puis, les Rinckenbach intervinrent deux fois. En 1875, pour changer la Trompette Tout en étant régulièrement entretenu, l’instrument ne fut jamais modifié. Restauré en 1993, il est donc remarquablement authentique, du Grand-Orgue, puis en 1925, afin de pneumatiser la pédale et de transformer l’écho en récit expressif complet. Relevé en 2011, l’orgue d’Heiteren (Herbuté-Rincken- marquant le début des réalisations d’une nouvelle grande dynastie sur laquelle l’Alsace doit désormais compter, celle des Rinckenbach, bach) est le témoignage le plus important du facteur d’orgues autodidacte de Marckolsheim. maîtres facteurs d’orgues. HETTENSCHLAG église de la Vierge Marie orgue Valentin Rinckenbach (1835) Martin Rinckenbach (1880) I/P - 11 jeux GEISWASSER église St-Fridolin orgue Claude Ignace Callinet (1867) I/P - 7 jeux Le buffet que l’on observe aujourd’hui à Hettenschlag fut construit par Valentin I Rinckenbach, en 1835, pour l’église de . Tout à fait typique de la production de cet organier, vous apercevrez sur la façade les ouvertures circulaires, oculi, barrés d’une croix, véritable Voici l’un des plus petits orgues Callinet d’Alsace. Absolument authentique, tout comme , il s’agit également de l’un des derniers construits par nos fac- signature. teurs d’orgues de . Il est intéressant, à cet égard, de comparer la composition de ces deux instruments, afin de mesurer le chemin parcouru, en trente années, par la facture d’orgues. Deux jeux fondamentaux de l’orgue classique ne sont plus utilisés : la Fourniture et le Cornet. Il n’est donc plus possible de réaliser un La commune de Rustenhart décida d’acquérir, un peu plus tard, un instrument plus grand. Afin de récupérer des fonds, elle décida de plein-jeu ou un grand-jeu. Désormais, l’orgue alsacien postclassique s’oriente fortement vers le romantisme, tout en gardant ses attaches régionales. vendre son ancien orgue, qui fut acheté, en 1862, par Hettenschlag. Claude Ignace Callinet signe le devis pour Geiswasser le 18 octobre 1866. L’orgue est reçu le 6 septembre 1867 avec louanges. L’instrument de Widensolen suivra de Après dix-huit années de bons et loyaux services, la commune demanda au successeur de Valentin, Martin Rinckenbach, de refaire son peu. Les porcelaines des jeux sont ainsi rigoureusement identiques. Le Buffet-caisse est en trois parties : une petite Plate-face en arc, soulignée en bas par un pan- orgue. A cette époque, le concept de restauration n’en était qu’à ses balbutiements. Préserver le patrimoine n’était pas à l’ordre du jour, neau sculpté et en haut par deux petits ornements, et deux «Tourelles» plates (le haut oblique, formant ensemble un «V»). Les tuyaux de façade des Tourelles, ainsi d’autres impératifs primant. Martin reconstruisit donc un instrument neuf, son opus 5, dans le buffet de son oncle. que le tuyau central de la Plate-face du milieu portent des écussons rapportés, en plein-cintre. Les autres tuyaux ont de simples aplatissages non écussonnés. Cette instrument, parfaitement authentique, est, de par sa composition, très proche de l’orgue de .

WIDENSOLEN église St-Nicolas orgue Claude Ignace Callinet (1872) classé Monument Historique II/P - 22 jeux

Le 15 novembre 1866, le conseil municipal de Widensolen décide de remplacer l’orgue de l’église en acceptant le devis de Claude Ignace Callinet daté de la veille. Claude Ignace Callinet, âgé de 63 ans en 1866, avait acquis une immense réputation qui dépassait les frontières régionales. Ayant à son actif plusieurs dizaines NAMBSHEIM église St-Etienne orgue Callinet Frères (1842) I/P - 8 jeux d’orgues neufs, dont plusieurs grandes réussites proches de Widensolen, le choisir était signe de prestige. Il s’agit du plus petit orgue construit, pour une église, par les Callinet. Appartenant à l’âge d’or de la manufacture rouffachoise, à savoir celle Le devis d’un montant de 11 380 francs prévoyait la fin des travaux pour Pâques 1868. Mais l’histoire en décida autrement... Les péripéties que connut, de 1866 à de l’association entre les deux frères (Joseph et Claude Ignace). Commandé en mars 1841, le devis est réalisé sur les célèbres modèles 1872, la genèse de cet instrument sont étonnantes. La commune de Widensolen engagea un architecte, Constant Schelbaum, pour suivre le dossier. Ce dernier reco- pré-imprimés de la manufacture. Réceptionné en 1842, rien n’a été modifié jusqu’à aujourd’hui. L’intégralité de cet instrument, restauré pia intégralement le devis de Callinet sous le titre de « Projet des travaux rédigé par M. C. Schelbaum ». L’ingérence d’un « expert » dans le travail de Claude Ignace en 1983, est d’origine. Callinet et plus généralement de la dynastie des Callinet ne s’était jusqu’alors jamais produite. Voyons-nous le métier de facteur d’orgues évoluer sous nos yeux avec Les 8 jeux choisis par les Frères sont ceux qu’il juge indispensable au bon fonctionnement de l’instrument et à son usage dans le cadre de l’apparition de nouveaux acteurs ? S’agit-il d’un acte de faiblesse de Claude Ignace, qui, âgé, ne souhaitait plus d’affrontement avec les autorités ? Enfin, pourquoi cet la Sainte Liturgie, en tant qu’instrument soliste et coloré. instrument fut-il si long à construire ? Le projet de construction rédigé par Schelbaum fut enregistré le 17 octobre 1867, à Colmar. L’orgue ne fut terminé qu’en 1872 (le procès verbal d’expertise date du 20.05.1872). En quoi la présence de Schelbaum et la guerre de 1870 furent-ils véritablement responsables de cette lenteur, à une Est ainsi présent le « plein-jeu » décomposé, caractéristique de l’orgue classique français (Bourdon 8’-Montre 4’-Doublette 2’-Fourniture), époque où Claude Ignace pouvait construire un orgue en quelques mois ? correspondant, ici, au petit plein-jeu d’un positif de dos. Le Cornet et la Trompette, jeux solistes, permettant la réalisation d’un « grand- jeu », sont également présents (Bourdon 8’-Montre 4’-Cornet-Trompette). Les deux seuls jeux différenciant le petit orgue de Nambsheim Mais, plus que la durée de construction, l’esthétique sonore de l’instrument de Widensolen est de première importance. Nous sommes en face du dernier orgue d’un instrument du 18e siècle sont le Salicional et la Flûte Traversière. Caractéristiques de la production Callinet, ils symbolisent nettement construit par Claude Ignace. Comme l’affirme très justement Pie Meyer-Siat, il s’agit de son testament musical. Cet instrument est la synthèse sonore de ce que notre l’évolution progressive suivie par la facture d’orgues postclassique alsacienne. organier considérait comme « son idéal ». Nous voilà donc, en 1872 , confronté à un instrument aux sonorités baroques. Widensolen, Idéal de l’orgue post-classique français, dernier orgue Callinet d’Alsace, symbolise à merveille la rupture de 1870 et le passage de flambeau entre les Callinet et les Rinckenbach. DESSENHEIM église St-Léger orgue Martin et Joseph Rinckenbach (1901) II/P - 21 jeux Dessenheim possédait un orgue au 18e siècle. Construit par Joseph Rabiny, fondateur de la dynastie des Callinet, ce dernier fut réparé en 1818 par Jeanpierre, facteur d’orgues Lorrain. Lors de la construction de la nouvelle église, en 1874, il y fut transféré. Mais, en 1892, il fut jugé « ganz miserabel » par les autorités locales. Il fut ainsi décidé, comme dans la plupart des communes alsaciennes de l’époque, de construire un nouvel instrument. Les Callinet n’étant, à cette époque, plus établis en Alsace, il fut demandé à une autre grande dynastie d’organiers, celle des Rinckenbach, de construire ce nouvel orgue. Inauguré le 22 décembre 1901, il fut réceptionné par l’expert Wiltberger, qui le qualifia de « glänzend ausgefallen » (brillamment réussi). Cet orgue, l’opus 71 de la manufacture Rinckenbach Père & Fils, est le 8e construit en traction pneumatique. La composition, tout à fait romantique, traduit la double influence fran- çaise et allemande, jusque dans la terminologie employée. Les noms des registres sont, en effet, écrits dans les deux langues, sans distinction. L’instrument de Dessenheim est parfaitement authentique, façade exceptée.

URSCHENHEIM église St-Georges orgue Martin et Joseph Rinckenbach (1904) II/P - 13 jeux L’activité de la maison Rinckenbach durant l’époque allemande peut se diviser en deux périodes. De 1870 à 1899, sortent des ateliers de la manufacture les grands instruments mécaniques de Martin. Puis, au tournant du siècle, est adoptée la traction pneumatique, apanage des orgues alsaciens durant plus d’un demi-siècle. Si Martin continue de collaborer à la construction des nouveaux instruments, son fils Joseph devient le véritable chef de l’atelier, donnant sa propre impulsion créatrice. L’orgue d’Urschenheim est l’opus 83 de nos organiers. Sa composition est l’archétype même de l’orgue romantique : que des 8’ ! Au son large, souhaitant imiter l’orchestre, ces instruments seront malheureusement ou heureusement décriés pour leur timbre sombre, dans la première moitié du 20e siècle par les chan- tres de la Réforme Alsacienne de l’Orgue. A part la réquisition des tuyaux de façade, l’instrument d’Urschenheim est remarquablement authentique. Relevé en 2004, il est un témoin précieux de l’art de la facture d’orgues alsacienne du premier 20e siècle.

WOLFGANTZEN église St-Wolfgang orgue Martin Rinckenbach (1888) I/P - 14 jeux Martin Rinckenbach (1834-1917), surnommé le Cavaillé-Coll alsacien, succède à ses cousins en 1870, et constitue, à lui seul, la 4e génération de la grande dy- nastie des Rinckenbach, facteurs d’orgues d’Ammerschwihr. Héritier, de par ses ancêtres (Valentin Rinckenbach et Martin Bergäntzel), de la tradition allemande, sa formation auprès de Cavaillé-Coll lui permit de réaliser une habile synthèse entre les styles romantiques allemands et français. Si les premières générations de la dynastie eurent du mal à s’imposer sur le marché alsacien, notamment face aux Callinet et Stiehr, Martin saura tirer son épin- gle du jeu. Devenant l’un des plus grands facteurs alsaciens de la période allemande (1870-1918), il livrera près de 150 instruments neufs sur cette période. Appliquant le premier, de manière systématique, les innovations découvertes en facture d’orgues, il transformera fondamentalement le paysage organistique alsacien. Créateur, si l’on peut dire, de l’orgue romantique alsacien, il sonnera le glas de l’orgue postclassique, en ouvrant une nouvelle ère, constitutive du 4e parc organistique alsacien. C’est ainsi, qu’en 1888, après avoir terminé son chef-d’œuvre de la collégiale de Thann, Martin Rinckenbach s’attèlera à la construction de l’orgue de Wolfgantzen. Il y placera son opus 17, un petit instrument d’un clavier, d’à peine dix jeux. Ce dernier fut reçu, selon les sources archivistiques, le 26 décembre 1888 par Witelberger et Hamm, deux figures musicales colmariennes de l’époque. Tout comme les Callinet, Martin Rinckenbach, avait parfaitement établi ses modèles sonores. Ainsi, bien que l’orgue soit modeste, il y plaça les jeux lui semblant fondamentaux et permettant d’accompagner parfaitement la Sainte Liturgie. Outre la réquisition des tuyaux de façade durant la première guerre mondiale, la guerre 39-45 entraîna des dommages, réparés par la suite. L’orgue de Wolfgant- zen reste ainsi particulièrement authentique.

Sources inventaire général des orgues d’Alsace, archives départementales de Colmar, recherches d’Eric Eisenberg Remerciements Pr. Dr. Marie-Bernadette Dufourcet-Hakim (traductions anglaises) Jean-Christian Guerrier et Marianne Bucher (traductions allemandes) Rédaction des textes et crédits photographiques : Cyril Pallaud Orgues & musique ©Festival Callinet. Tous droits réservés. sacrée en Alsace