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Vie des arts

L’art des prairies Andrée Paradis

Number 44, Fall 1966

URI: https://id.erudit.org/iderudit/58366ac

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Publisher(s) La Société La Vie des Arts

ISSN 0042-5435 (print) 1923-3183 (digital)

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Cite this article Paradis, A. (1966). L’art des prairies. Vie des arts, (44), 68–72.

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Avant de chercher, autant qu'il se s'est confondu le chant des vastes peut, les constantes de l'art dans les étendues; brûlé par la lumière, poli Ce qui frappe en général celui qui trois provinces centrales du Canada, par les vents, il est à l'image des s'intéresse à l'évolution de l'art dans l', la Saskatchewan et le beaux blés qu'il cultive. Ayant le les Prairies c'est le passage extrême­ Manitoba, je voudrais évoquer la fi­ recours en grâce d'un destin libre­ ment rapide d'un art naïf et tradi­ gure de celui qui, dans notre esprit, ment accepté, il est sa propre poé­ tionnel à un art nouveau et révolu­ demeurera le plus fidèle représen­ sie. Qui dit "prairies" dit nature et tionnaire. tant des aspirations artistiques des homme libre, dit aussi isolement. C'était presque hier, en 1937, Prairies, le regretté Donald W. Là, plus qu'ailleurs au Canada, on dans un sanatorium de Calgary, que Buchanan. trouve la notion de spleen, elle fait le néo-canadien Panko, d'origine Modeste et réservé, cet humanis­ en général partie de l'inquiétude de autrichienne, se mit à peindre sur te, poète, critique d'art et photogra­ l'artiste et il l'accepte sans révolte les conseils d'un autre peintre, Ma­ phe nous a tout appris de la-beauté comme un état d'âme. rian Nicoll, des toiles où la simplicité de ces provinces, distinctes les unes Le recensement que nous avons de cœur alliée à un besoin de trans­ des autres, mais unifiées dans un fait de l'art actuel dans les provinces former la réalité quotidienne lui per­ même destin. Né en Alberta, au du Centre, par le moyen d'enquêtes, mirent d'accéder à un niveau de pied des Rocheuses, Donald Bu­ de conversations avec MM. Russel communication extrêmement émou­ chanan fut un homme de la plaine Harper, Albert Dumouchel, Jean- vant. Cette rencontre n'est pas ba­ toujours en quête d'altitude. A l'âge René Ostiguy et la collaboration de nale. Elle marque pour ainsi dire le où très jeune on rêve de développer Renée Lescop ne peut prétendre passage de l'artisan à l'artiste. Pas­ des biceps, lui rêvait d'une méthode donner une image exacte de la vita­ sage qui se fait facilement si les cir­ de vision télescopique qui le rap­ lité artistique de ces milieux éloi­ constances sont propices et si les procherait de ses chers pics bleus. gnés mais il peut contribuer à traditions sont fortes et agissantes. Ainsi naissait, à son insu, sa future éveiller l'intérêt et à orienter le sens Panko avait apporté les siennes, il vocation de chasseur d'images et de nos démarches futures. avait réussi à les enraciner dans un peut-être l'éveil d'une autre carrière Déjà en 1963, Clément Green­ sol nouveau, pas pour longtemps remarquable, celle de Roloff Beny, berg publiait dans la revue Canadian hélas! puisqu'il devait mourir en né lui aussi en Alberta, à Medicine Art un compte rendu impression­ 1948. Marian Nicoll, de son côté, Hat. Donald Buchanan nous a trans­ nant d'une tournée de 1 485 milles allait opter pour l'art nouveau, s'en­ mis au moins une certitude : celle de dans les Prairies, qui lui permit de gager dans la voie intuitive et ex­ l'homme réfléchi qui, ayant les deux voir et d'interroger une centaine plorer toutes les ressources de son pieds ancrés au sol et la tête libre d'artistes. Trois ans après, la situa­ monde intérieur. Mais à ce rendez- dans l'azur, découvre la lumière qui tion a-t-elle beaucoup évolué? vous dans le temps ils s'étaient re­ illumine les moindres objets autour Dans les détails et les nuances, s re­ joints autour des pôles de la vie et de soi quand on sait les voir. ment, mais fondamentalement, il ne de la mort où se définit la solidarité Alberta, Manitoba, Saskatchewan, semble pas. Clément Greenberg humaine. trois provinces aux réflexes mou­ s'est préoccupé à peu près exclusi­ vants, véritable creuset d'influen­ vement de l'art abstrait dans les ces diverses, qui invitent à démon­ Prairies. Partant du fait dominant à trer la continuité de l'homme-pion- l'époque: l'aventure des cinq pein­ nier encore aux prises avec une na­ tres de Regina, il faut bien constater ture indomptée, gigantesque. Celui qu'ils ne sont plus cinq. Ronald qu'on appelait autrefois "homme Bloore est rentré à , Kenneth des frontières" est en train de les Lochhead et Ted Godwin ensei­ faire sauter, il est engagé dans l'a­ gnent à l'école des Beaux-Arts de venture de l'âge scientifique. En lui l'université du Manitoba. Enfin Dou­ glas Morton et Arthur MacKay sont •4 85—Morton demeurés fidèles à Regina. On a Diagonal Blue, 1964, parlé de dispersion un peu trop à la huile sur toile légère. L'esprit survit à l'expérience. 57" x 81" (144.75 x 205.5 cm Elle a laissé des traces et les jeunes 86—William Panko peintres n'échapperont pas de sitôt Farm Life, à l'influence de Will Barnet, de aquarelle. Barnett Newman et de Greenberg. Diamètre 12V," (31.1 cm)

69 A Calgary, le sympathique George REGINA de premier ordre. C'est l'homme par Wood, conservateur de l'Art Gallery, excellence du défi et de la provoca­ de l'Alberta College of Art, est re­ Regina. capitale de la Saskatche­ tion dans les sphères qui le concer­ connu comme un disciple spirituel wan, accueillante et raffinée, pa­ nent. de Bonnard. Peintre intimiste, il utili­ trie de l'architecte Wiens et'de la A Emma Lake, l'été,des peintres de se l'acrylique pour le rendu de grande amie des artistes Nora Mc- New York venaient et viennent en­ scènes d'intérieur. C'est un post­ Cullough. représentante de la Gale­ core vivre avec des artistes cana­ impressionniste qui se laisse sou­ rie nationale, impressionne le visi­ diens. Des peintres comme John vent tenter par l'abstraction. Si la teur par son caractère évolué. A Ferren, Will Barnett, Barnett New­ ville elle-même évoque une idée de Regina, on a le goût de l'audace, on man et Herman Cherry ont dirigé stampede, Spicket Ronald s'identifie y reçoit par exemple avec enthou­ des ateliers. A cause de la rigueur à sa ville. A l'instar de Rouault, il siasme une exposition Delaunay. de son langage pictural Newman, s'acharne contre la civilisation mé­ Jean Cathelin qualifiait cette ville surtout, a séduit les plus doués et a canique et prône les forces mythi­ dans ses Notes de voyage "une des éveillé en eux le goût de l'expérience ques de la geste de cow-boy. Seul plus humaines du pays". De son autonome. le stampede rend ce néo-figuratif à côté Clément Greenberg souligne Sous l'impulsion de Ronald Bloore sa vérité. qu'il est frappé par l'attitude réaliste qui succéda à Richard Simmins, à la d'une population relativement peu Galerie Norman Mackenzie — qua­ EDMONTON nombreuse qui accepte le plus sim­ tre autres peintres, Kenneth Loch­ plement du monde sa condition d'i­ head, Arthur McKay, Ted Godwin et Il semble que le développement solement cherchant à établir des Douglas Morton se sont joints à lui artistique de la capitale de l'Alberta contacts avec les grands centres pour former une communauté d'i­ se fasse plus lentement et avec moins artistiques mais n'ayant pas l'ambi­ dées et de recherches. Les cinq de de force qu'ailleurs. Mais il faut tion de leur ressembler. Regina ont tenté de définir sur toile s'attendre d'ici peu à une explosion La Galerie d'art Norman Mac­ le sens d'une expérience authenti­ de qualité. Un animateur et homme kenzie et Emma Lake ont eu un rôle que qui passerait par l'intérieur et de goût, John MacGillivray, direc­ déterminant à jouer dans l'expé­ chercherait à traduire les données teur du Centre d'art cherche à créer rience maintenant célèbre des cinq les plus cachées de l'existence hu­ le courant propice à la naissance de- peintres de Regina. Richard Sim- maine — sa complexité tant physi­ l'œuvre d'art. La Focus Gallery de son mins, l'actuel directeur de la Galerie que que psychique. Au Canada, pôté, groupe coopérativement les d'art de Vancouver, qui dirigea la nous avons mis un certain temps à artistes. A distance, New York sé­ Galerie Norman Mackenzie, à Regi­ comprendre que, depuis le début du duit toujours mais quelques francs- na, de 1952 à 57, ne fut pas étranger, siècle, l'art se cherche une nouvelle tireurs commencent à réaliser que la lui non plus, au climat de recherches réalité et qu'il a renoncé au langage tentation est peut-être facile. Voici qui rendit l'aventure possible. L'exi­ traditionnel. Sans doute, il aurait des noms à retenir : , gence qu'il apporte aux services des fallu que notre existence sur le plan Jean Richards, Detta B. Lange et milieux isolés vise à leur assurer de la pensée soit plus consistante John B. Taylor. une ambiance culturelle et artistique afin que le passage soit moins péni-

70 ble. Mais il est réconfortant de cons­ plus récemment il s'est intéressé au Par la voie de quelles mutations, tater qu'une saine rébellion contre géométrisme; ce qui distingue Ken­ Arthur F. MacKay est-il venu à un matérialisme outrancier s'établit neth Lochhead c'est une sorte d'en­ l'expression picturale. Il serait inté­ par le moyen de l'art. Encore faut-il gagement moral qui touche son ressant de connaître le chemine­ que nos artistes soient conscients de activité entière. ment de ce romantique qui a "l'âme la part de mysticisme et de spiritua­ L'art deTed Goodwin constitue un du large" — tant on sent chez lui lité qui est la substance même de aspect intéressant de l'expression du une plénitude de vie passionnée, l'œuvre d'art — encore faut-il que le monde organique — vermiculaire, de une nécessité de contact avec la na­ public en soit lui-même convaincu et l'infiniment petit grossi à l'infini, un ture. Ses toiles traduisent l'ampleur que cette notion soit garantie de sa monde éternellement en mouve­ d'une pensée réfléchie, le refus des réceptivité. A chaque époque l'ar­ ment, en gestation. Dans ses toiles contacts superficiels. Justement par­ tiste reprend l'expérience pour son monumentales 15X30, Godwin uti­ ce qu'elles sont une sorte de refuge propre compte et pour le nôtre en lise la couleur librement, sans souci dans l'absolu, elles sont proches de définitive. Il inventorie la nature, le de la forme. Une seule nécessité nous. Ici l'art passe par la sensualité cosmos. Plus sa recherche est inté­ semble animer ce peintre très pro­ et le mystère. rieure, plus elle est profonde, plus che de la poésie abstraite: faire Douglas Morton a été influencé elle a de chance d'être authentique. vibrer. par les impressionnistes allemands, Surtout si elle s'exprime par une les fauves, les cubistes français et totale maîtrise des moyens d'ex­ 87—George Wood. les impressionnistes abstraits améri­ pression. Crib. cains. Il aime l'expérience et tend à Il y a eu chez Ronald Bloore un copolyner et masonite. renouveler ses techniques. L'œuvre désir d'intimité et de rigueur qui per­ 48" x48" (121.95 x 121.95 cm). le provoque constamment à mesure met à ce volontaire de créer et de 88—Marion Nicoll. qu'elle s'élabore. C'est un peintre participer en même temps à la vie Waiting. très habile qui profiterait à la fois sociale, c'est-à-dire de contribuer à d'un plus grand abandon émotif et son évolution par l'enseignement et 89—Ted Goodwin. d'une rigueur intellectuelle. par le souci qu'il a de la réforme des Canadian Flag No 2. écoles d'art. Dans ses toiles, c'est un acharné des monochromes au blanc de plomb, un féru de techniques nouvelles, un insoumis aimant l'iro­ nie dont certaines toiles s'apparen­ tent par la finesse du détail à l'art égyptien. Kenneth Lochhead, comme Bloore d'ailleurs, n'est pas originaire des Prairies. Il est allé vivre à Regina en 1950 et enseigne actuellement à l'école des Beaux-Arts de l'univer­ sité du Manitoba. C'est donc un œil nouveau qu'il a promené sur ces vastes paysages et il a été gagné par la puissance physique qui s'en dé­ gage. S'attachant surtout à établir des rapports avec le monde des choses sensibles et la société, il aime vivre à l'unisson et à exprimer les gens et les lieux. Cela se traduit dans ses toiles par un expression­ nisme abstrait—influencé par John Ferren, mais bien renouvelé. Son système culturel et théorique n'est pas limité cependant aux expérien­ ces de notre continent. Pour ce sur­ réaliste de la première heure, Giotto demeure un des géants de l'art, le bouddhisme de Zen, une des gran­ des religions de l'homme puis­ qu'elle continue à révéler que l'art et l'homme ne font qu'un — enfin il ne cache pas sa très grande admiration pour Matisse et l'esprit délicat de Paul Klee. L'homme se définit à la mesure de ses amitiés et l'artiste à la mesure d'une expérience empirique de "l'action" du geste qui libère;

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SASKATOON

L'activité artistique intense qui règne aussi bien à Saskatoon qu'à Regina est un des faits marquants de lb ri l'évolution artistique dans les Prai­ ries. William Townsend, responsable de la sélection des artistes pour la Biennale de 1 965, très impressionné par cette effervescence, n'hésite pas 90—Otto Donald Rogers. à parler de l'école de Saskatchewan. Nature Morte. 1962. C'est à Saskatoon qu'Eli Born­ .»••• stein a fondé en 1 960 une de nos re­ vues d'art les plus sérieuses, "The 91—Eli Bornstein. Structurist". A raison d'un numéro Structure. par année, cette revue étudie les rap­ ports de l'art et de la structure, les problèmes d'intégration à l'archi­ tecture. Peintre lui même très ap­ 92—Henry Thomas Bon/i. précié, ses recherches ne se limitent Blue Dome. pas au constructivisme, il est à ses heures un photographe sensible, attiré par les sujets d'histoire natu­ relle, oiseau, fleurs (tout ce qui pousse). Parmi les jeunes peintres, Donald Otto Rogers subit encore des in­ fluences américaines et britanniques mais il a assez de personnalité pour s'en dégager. On sent qu'il cherche à se créer un ordre de valeur person­ nel tout en préservant le charme d'un léger flou empreint de poésie. Henry Bonli a de la clairvoyance, • • t É • de l'initiative comme Borduas, dont il pourrait être un jeune disciple. C'est un obsédé de la création pure et de l'expression totale.

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