Revue de presse Emmanuelle Lequeux, Le Monde, vendredi 28 août 2009

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Centœuvresd’art rendentvieauxchamps autourdeVerdun L’opération «LeVent desforêts», danssix villagesdela ,faitla partbelle àla créationcontemporaine

Arts la terre n’appartient plus alors 15jours de fêtes. Ce qui nous tou- aux amateurs contemplatifs. che aussi, c’est que cela nous per- Fresnes-au-Mont (Meuse) D’année en année, ce patrimoi- met de montrer qu’on n’est pas Envoyée spéciale necontemporains’estenrichi,jus- perdus, que c’est très beau chez qu’à compter aujourd’hui une nous, il y a des fleurs aux fenêtres ls l’ont surnommé le hérisson. centaine de pièces. En 2008, les et des champignons, et aussi de A le découvrir en haut d’un habitants de Nicey-sur-Aire ont l’art.» I champ fauché, au cœur d’une par exemple hérité d’une pince à L’un, agriculteur, prête son clairière, on comprend vite pour- linge. Plutôt modeste? Pourtant Manitou; l’autre, chaudronnier quoi: une centaine de piques de ils en prennent le plus grand soin. ou menuisier, laisse de côté les boishérissentla sculpture enbou- Il faut dire que, de quelques centi- tâches courantes pour aider les le du jeune artiste français Vin- mètres, l’objet est passé à quelque artistes à produire les pièces. Tou- cent Mauger. D’où le petit nom 2 mètres de haut. Il vient pincer te la communauté se mobilise dont l’ont affublé les habitants du l’herbe d’une parcelle posée au pour donner jour au projet. Cette village lorrain de . cœur du village. Et il a remplacé le année, un budget de Preuve de leur tendresse pour cet- monument au poilu quand il 190000eurosaétéallouéàl’aven- te œuvre d’art tombée là comme s’agitde faire desphotosde maria- ture, dans laquelle investissent une météorite. Pourtant le ciel n’y ge: c’est désormais devant la pin- surtout le conseil général (à hau- est pour rien. ce à linge géante que les noces teur de 77000euros), mais aussi Voilà déjà treize ans que six vil- viennent se faire tirer le portrait. la région, la direction régionale lagesdelaMeuseont décidédefai- des affaires culturelles (la DRAC, re des artistes leurs hôtes de cha- Tailléedanslevif, donc l’Etat) et bien sûr le groupe- que été. Pour les attirer sous le ment de communes. Ce qui a per- soleil méconnu de Lorraine, ils l’énormesphère mis d’accueillir six jeunes espoirs ont trouvé à l’opération un joli hirsutedeVincent de la sculpture française, comme nom: Le Vent des forêts. C’est un Elsa Sahal ou Alain Domagala, artiste, local mais aventurier, qui Maugerdonnedes auxquels se mêle le «vétéran» a su leur insuffler l’énergie de se tonsd’automneaux Christian Lapie, avec des vigies au lancer dans un tel projet. Il n’en cœur des mirabelliers. est plus désormais, mais l’essor collinesvertd’eau. Au détour d’un chemin, un cac- est resté. Depuis 1996, donc, les Ellereçoitchaquejour tus de rocaille, réalisé par le jeune bourgs de Dompcevrin, Lahay- Vincent Kohler, se frotte à frênes meix, Fresnes-au-Mont, Pierrefit- lavisitedecurieux et noisetiers. Un hibou étonnam- te-sur-Aire,Nicey-sur-AireetVille- ment sculpté dans le bois par Lau- devant-Belrainproposentàdejeu- Signe que l’art contemporain a sa rent Le Deunff veille sur une sapi- nes plasticiens de réaliser des place partout, même au cœur du nière où percent quelques rayons œuvres d’art en plein air, péren- terroir. Chaque jour, autour de ce de lumière. Et l’année prochaine, nes pour la plupart. A quelques totem qui assume son ridicule, dans le cadre d’une commande encablures de , cette terre sculpté par le jeune artiste turc publique, quatre abris maligne- desmortschercheà montrercom- Mehmet Ali Uysal, un habitant ment conçus par la célèbre desi- bien la vie l’habite. vient examiner le sol, rectifier les gneuse Matali Crasset viendront Taillée dans le vif, l’énorme pans de terre, raser le gazon. offrir un gîte original au cœur de sphère hirsute de Vincent Mau- «LeVent des forêtsnous a beau- la forêt. ger donne des tons d’automne coup apporté, confient M.et «Pour les artistes, c’est une Le cactus de rocaille réalisé par le jeune Vincent Kohler. CHARLÈNE MARCHAND aux collines vert d’eau. Elle reçoit Mme Pancher, un couple de retrai- occasion exceptionnelle de se chaque jour la visite de curieux, tés qui a, une nouvelle fois, fait confronter de plain-pied à des demande beaucoup d’écoute. rurales,un goût de l’aventure.» Et , Fresnes-au-Mont, Pierrefitte- venus en un drôle de pèlerinage. des pieds et des mains pour que questionsdedéveloppement dura- MaislesLorrainsontvéculesguer- le vent nouveau qui souffle ne sur-Aire, Nicey-sur-Aire et Ville-devant- Apied,envoiture ouà VTT, labala- les œuvres surgissent de terre. Le ble et de défense de la nature, res, ils ont l’habitude de tout saurait les effrayer.p (à vingt minutes de la gare Meu- de au fil des œuvres peut être plus important, c’est que ce projet raconte Pascal Yonet, qui a hérité recommencer à zéro et adorent Emmanuelle Lequeux se-TGV). Renseignements à la mairie de effectuée tout au long des sai- contribue à ce que l’on soit tous dela direction artistiquede l’opé- relever des challenges. Rencontrer Fresnes-au-Mont (Meuse), 21, rue des sons. Il est simplement conseillé ensemble. Cette année encore, le ration depuis 2008. Quant aux des artistes ne leur a jamais fait «Le Vent des forêts», un peu partout Tassons. Tél.: 03-29-71-01-95. d’éviter le moment de la chasse: vernissage a été l’occasion de habitants, c’est un travail qui peur. Ils ont, dans leurs racines autour des villages de Dompcevrin, www.leventdesforets.com. AntoniClavé,entrel’imaginairepoétiqueetlamatière Catalancomme Miróet Tapiès,l’artistené àBarcelone alaisséune œuvre considérable, dontles grands formatsexposés àCannes

Arts Miró et Tapiès, alliant l’imaginai- son adolescence, en effet, Clavé rejoint en 1942, et son fils Jacques vieilles plaques, auxquelles il parvis. Mais elles sont brutales, re poétique de l’un au matiérisme doit travailler pour faire vivre une naît la même année –, il se consa- adjoint le gant qui a servi à les tra- n’ont pas ce côté parfois trop bien Cannes (Alpes-Maritimes) de l’autre. mère paralysée. Tout en suivant cre essentiellement à des décors vailler, ou encore des bouts de cor- fini des tableaux, et tiendraient Envoyé spécial Catalan comme eux, il est né à les cours des Beaux-Arts, il a été et des costumes de ballet, dont de, des punaises… Toutes les tech- honorablement entre un Ernst, un Barcelone en 1913. A cette date, peintreenbâtiment,puisarencon- ceux de Roland Petit, et à des illus- niques y passent, pourvu qu’elles Miróencore,unTapiès,voire,pour- uand Antoni Clavé meurt le Miró étudie déjà à l’académie de tré ses premiers succès avec des trations. Avant de tout abandon- permettent la matière, du gaufra- quoi pas, un Picasso, qu’il avait 31août 2005 dans son atelier Francesc Galí. Tapiès ne naît que affiches. ner en 1954 pour se consacrer à la ged’aluminiumauprocédéducar- baptisé «Don Pablo». En cela, l’ex- Q de Saint-Tropez, il laisse der- dix ans plus tard. Clavé quitte Bar- Avec, dès les débuts, un souci peinture. borundum, jusqu’au papier frois- position est frustrante: on aime- rière lui une œuvre considérable, celone, contraint et forcé, en 1938, particulier apporté à la matière, sé. La couleur est apportée par le rait en voir deux fois plus.p maisencoreaujourd’huisous-éva- après avoir combattu dans les qui ne se démentira pas jusque Gaufrage d’aluminium matériau lui-même, ou par une Harry Bellet luée. La petite (une cinquantaine rangs des républicains espagnols dans ses derniers travaux. Les- On sait que Miró était capable ligne au pinceau, souvent sinueu- de pièces), mais remarquable contrelestroupesdeFranco,etpas- quels démontrent également sa de ramasser un bout de savon se, parfois dégoulinante, qui fait «Antoni Clavé», centre d’art La Malmai- exposition, que consacre à ses se la frontière en janvier1939. maîtrise des procédés d’imprime- pouren faireunesculpturemonu- autant penser à certains Miró son, 47, bd de la Croisette, Cannes grands formats La Malmaison à Lorsqu’il arrive en , hor- rie,un métierqu’il exerce, comme mentale. Clavé a le même goût de qu’aux graffitisqu’il découvre lors (Alpes-Maritimes). Cannes permet d’en reprendre la mis sa brève expérience de soldat, lithographe, durant la seconde la récupération, sauf qu’il ne va d’un voyage à New York. Tél.: 04-97-06-44-90. Du mardi au mesure: pour qui veut bien le Clavé a une solide formation de guerre mondiale, à Paris. Tou- pas jusqu’à la salle de bains. Ses Et puis il y a les sculptures. La dimanche, de 10 heures à 13 heures et regarder, Clavé pourrait faire figu- peintre. Mais elle est plutôt orien- jours préoccupé de faire vivre une trouvailles viennent plutôt de place manque ici, et aussi et à La de 14heures à 18heures. Jusqu’au re de chaînon manquant, entre tée vers les arts appliqués: depuis famille qui s’agrandit – sa mère le l’atelier de gravure, où il trouve de Malmaison, qui les expose sur le 27septembre. Catalogue, 88p., 24,50 €..

UNE SÉLECTION À PRIX SPÉCIAL DISPONIBLE ÉGALEMENT SUR TOUTES LES PLATEFORMES DE TÉLÉCHARGEMENT LÉGAL DÉCOUVREZ SUR RADIO CLASSIQUE DES EXTRAITS DE CET ALBUM, REVISEZ VOS CLASSIQUES DE A A Z TOUT L’ÉTÉ DANS LES ÉMISSIONS SUR LA ROUTE DE VOS VACANCES ENTRE 9H/12H, WAGNER LA WALKYRIE. HERBERT VON KARAJAN VOS APRÈS-MIDI D’ÉTÉ ENTRE 15H/18H. Le Ring de Wagner est une œuvre atemporelle. Pour preuve, le retour en grâce de Tolkien, lui-même inspiré du LES CLASSIQUES, traitement que Wagner avait fait de la mythologie germanique dans sa Tétralogie… Ainsi, le sujet en lui-même reste-t-il C’EST TOUTE L’ANNÉE SUR ARTE. d’actualité, et notamment Die Walküre, au travers de la figure ambigüe des Walkyrie, électrisant les combattants sur MUSICA TOUS LES LUNDIS À 22H30. le champ de bataille et conduisant l’âme des plus courageux au Walhalla. Des personnages tels que Wotan ou MAESTRO TOUS LES DIMANCHES À 19H. Brünnhilde doivent aujourd’hui être perçus comme des archétypes à l’origine de certains traits de l’Héroic Fantasy. De la sorte, Die Walküre pourra servir de porte d’entrée vers l’opéra et la musique symphonique à ceux qui ne se sentent pas concernés a priori par ce patrimoine universel.

4CD 457 7852 Marine Benoit, Les Inrockuptibles n°717, août 2009 EXPOS Le hibou de CETTE SEMAINE Laurent Le Deunff derniers jours CAMILLE HENROT Jusqu’au 6 septembre à Castres Alors que Camille Henrot présente tout l’été une exposition égyptomaniaque intitulée Pour ne pas mourir deux fois, le centre d’art de Castres qui l’accueille espère lui ne pas mourir du tout. Déjà inquiété en 2005, le Centre d’art Les Silex, 2009 contemporain le LAIT Phoebé Meyer, court. the artist/K. Mennour, Paris (qui a fusionné en 2007 L’appel de la forêt avec le centre Cimaise et Portique d’Albi) fait à nouveau l’objet de menaces de fermeture. UN ÉTÉ EN PLEIN AIR (5) Cette semaine : Le Vent des forêts, En cause : un bâtiment qui ne serait pas aux normes de sécurité et que la Mairie de Castres festival d’art contemporain au cœur des bois de la Meuse, réussit refuse de rénover. Au centre d’art le LAIT, Hôtel de Viviès, une fusion quasi mystique entre art et nature. 35, rue Chambre-de-l’Edit, www.centredartlelait.com epuis 1997, Le Vent des forêts ras- de la coloquinte en céramique d’Elsa Sahal semble des œuvres créées spéciale- offertes aux animaux affamés, les majestueu- à l’étranger ment pour ne faire qu’un avec leur ses statues de Christian Lapie dressées à MODELL BAUHAUS environnement, la forêt meusienne. l’ombre des arbres fruitiers, le petit autel sa- Un environnement aux multiples crificiel de Guillaume Pilet… A les contempler, Jusqu’au 4 octobre à Berlin Dcontraintes – son climat, son immensité – on imagine que leur existence a débuté avec On fête les 90 ans du Bauhaus, l’un des mou- pourtant à l’origine de son caractère magique. celle de cette forêt. A côté des œuvres desti- vements clés de la pre- Depuis treize ans, près de 157 pièces se sont nées à vivre parmi les arbres, d’autres ont mière moitié du XXe siè- accumulées au cœur du domaine. Mais la fo- préféré ne laisser aucune trace. Voir les per- cle qui révolutionna rêt, un musée à ciel ouvert en somme, reste formances d’Ariane Michel (une projection en l’archi, l’art et le design. Et c’est naturellement au l’actrice principale. Le 6 juin dernier, seule- pleine nuit dans les bois) et de Jean-Luc Martin-Gropius-Bau à ment deux semaines avant le vernissage, sept Verna (un concert dans une église). Berlin (crée par le fonda- artistes se sont à leur tour retrouvés en rési- Il faut dire que pour l’édition 2009, les règles teur du mouvement,Wal-

Herbert Bayer (1924) © VG Bild-Kunst,VG © (1924) Herbert Bayer Bonn 2009 dence dans les six villages avoisinant les du jeu ont changé. Nouveau directeur artisti- ter Gropius) que l’on peut découvrir la rétrospective Modell Bauhaus, 5000 hectares de bois vallonnés et les 45 kilo- que (Pascal Yonet), nouvelle politique de qui fait le point sur les enjeux de ce qui fut mètres de sentiers transformés en galerie conservation (destinées à mourir sur place, les d’abord une école. Au menu, plus de mille pièces : géante. De leur séjour sont nées sept œuvres, œuvres les plus endommagées par le temps les peintures d’Oskar Schlemmer, Kandinsky fruits d’une étroite colla- sont dorénavant suppri- ou Paul Klee, les projets architecturaux de boration avec les artisans Les œuvres sont mées, une décision contes- Walter Gropius et Mies van der Rohe, et du design signé Marcel Breuer de la région. brutes et élégantes, table), mais surtout nou- Au Martin-Gropius-Bau, Niederkirchnerstraße 7/Ecke Cette année, Laurent Le gracieuses et sauvages, veau concept : “J’ai choisi de Stresemannstr. 110, www.modell-bauhaus.de Deunff a imaginé un hibou intimement liées avec la ne plus imposer de thème aux à taille humaine dont le nature qui les accueille. artistes. J’ai préféré leur lais- plumage en bois a été as- ser plus de liberté et ainsi ob- livre semblé tel un puzzle, baignant dans un puits tenir des résultats d’une plus grande qualité”, LES PROMESSES DU ZÉRO de lumière. Non loin de là, Alain Domagala a déclare Pascal Yonet. Mais l’esprit du Vent des de Michel Gauthier laissé s’échouer une barque devenue carcasse forêts se veut inchangé : convivial et avant La quête du zéro : c’est à et dans laquelle un arbre s’est laissé piéger. tout porté par les habitants des bourgs bor- cette étrange entreprise que Plus au nord, Wikiki, le cactus de béton haut dant la forêt. “Fait inédit dans le milieu de l’art se seraient attelés, selon le critique d’art Michel Gauthier, de quatre mètres de Vincent Kohler semble contemporain, c’est à leur initiative qu’a débuté quelques-uns des artistes avoir grandi et pris racine au milieu des ar- la manifestation il y a treize ans.” En plus de lo- clés de la fin du XXe siècle : bres. Et une imposante sphère d’épines aux ger les artistes, ils entretiennent les œuvres Robert Smithson, Ed Ruscha, pics offensifs créée par Vincent Mauger, arme qu’ils chérissent tout au long de l’année. His- Carsten Höller, Martin Creed, John Armleder ou Tino de guerre ou hérisson en boule, se prépare à toire de préserver ce lien entre culture et na- Sehgal. Des artistes qui tous dévaler la colline sur laquelle elle repose. ture, avant que cette dernière ne reprenne to- travaillent à la perte de repères et de sens et Les œuvres sont brutes et élégantes, gracieu- talement ses droits. Marine Benoit tendent à redéfinir les grands paramètres de l’art. ses et sauvages, intimement liées avec la na- Les Presses du réel, 144 pages, 20€ ture qui les accueille. Les multiples mamelles /// www.leventdesforets.com

66 Les Inrockuptibles numéro 717 / 25 août 2009 Paul Ardenne, Art Press n°359, septembre 2009 Bénédicte Ramade, L’oeil n°613, mai 2009 Claire Moulène, Les inrockuptibles n°694, mars 2009 Didier Arnaudet, Art Press n°352, janvier 2009 Mai Tran, revue 303 n°103, Hors série Le Végétal, novembre 2008 Mai Tran, revue 303 n°103, Hors série Le Végétal, novembre 2008 Jérémy Liron, Semaines n°13, novembre 2008 Benoit Hermet, Le Festin n°58, été 2006 Benoit Hermet, Le Festin n°58, été 2006 Benoit Hermet, Le Festin n°58, été 2006