Master

Une étude du Taiping Guanji et de ses catégories

BARBIER, Thomas

Abstract

Le Taiping guangji est un (littéralement : "livre classé par catégories") de textes narratifs datant du début de la dynastie Song. Comme il cite des ouvrages datant du IIe au Xe siècle, il permit la conservation de nombreux textes aujourd'hui perdus dans leur forme originale. Or, la structure générale du Taiping guangji reste peu étudiée, tout comme le contexte culturel entourant sa compilation : deux éléments qui s'avèrent être étroitement liés. L'organisation d'un leishu faisant toujours l'objet d'un soin particulier, une étude attentive de ses catégories peut ainsi nous renseigner sur les intentions de ses auteurs. Ce travail s'attache donc à exposer les circonstances de la création du Taiping guangji, tout en proposant une explication possible à l'organisation de sa matière : le but étant de montrer que le second empereur de la Dynastie Song, Taizong, avait pour ambition de se servir de projets culturels tels que le Taiping guangji afin de renforcer son emprise sur une société fragilisée par une période de désunion.

Reference

BARBIER, Thomas. Une étude du Taiping Guanji et de ses catégories. Master : Univ. Genève, 2014

Available at: http://archive-ouverte.unige.ch/unige:37194

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Une étude du Taiping guangji et de ses catégories

par Thomas Barbier

Mémoire présenté en vue de l’obtention d’un MA en Langue, littérature et civilisation chinoises sous la direction du prof. V. Durand-Dastès

Février 2014

Table des matières

I. Introduction Le Taiping guangji en quelques mots : pourquoi l'étudier ? 1 Buts du travail 2 L'édition actuelle du Taiping guangji 3 À propos des leishu 4

II. La compilation du Taiping guangji

Contexte historique et culturel 7 L'empereur Taizu et la réunification militaire 7 L'empereur Taizong et la réunification culturelle 8 Soutien impérial au bouddhisme et au taoïsme 10 L'utilisation de l'héritage culturel et religieux afin d'harmoniser la société 12

Taiping yulan et Taiping guangji 14 Les deux leishu de Taizong 14 Petit historique de la compilation du Taiping yulan et du Taiping guangji 18 Un même projet, des intentions différentes 20

Les compilateurs du Taiping guangji 22 La question de l'auteur 22 Les compilateurs 23 Xu Xuan et Wu Shu 28

La spécificité du Taiping guangji 32 Le titre : « Taiping guangji » 32 Les caractéristiques communes aux textes composant le Taiping guangji 33 Différences entre les textes du Taiping guangji et ceux du Taiping yulan 42 Les sources 46 La diffusion du Taiping guangji et son statut sous les Song du Nord 48 La diffusion du Taiping guangji sous les Song 48 Le statut du Taiping guangji 51

L'ambition du Taiping guangji 57 Deux réponses opposées : John Haeger et Russel Kirkland 57 La sauvegarde d'un certain savoir 59 Une volonté politique d'harmonisation : la reconnaissance des croyances 60

III.Les catégories du Taiping guangji

Quelques aspects structurels du Taiping guangji 63 Comment lire le Taiping guangji ? 63 La table des matières 64 Le découpage en juan 66 Les catégories du Taiping guangji sont-elles exclusives ? 67

Présentation des catégories du Taiping guangji 72 Liste des catégories et sujets 72 Quelques commentaires sur le tableau 90

La hiérarchie des catégories 92 La taille et l'ordre des catégories 92 Ciel, Société humaine et Terre dans le Taiping guangji 95 Ciel, Société humaine et Terre dans les recueils de menus propos antérieurs 99 Ciel, Terre et Société humaine dans le Taiping yulan 101

Doctrines et croyances dans le Taiping guangji 103 Catégories en lien avec certaines doctrines et croyances 103 La cohabitation harmonieuse de ces doctrines et croyances 105 IV. Conclusion L'originalité du Taiping guangji 109 L'organisation de la matière 110 Les buts du Taiping guangji 111

V. Bibliographie Sources en chinois 113 Études en chinois 114 Études en langues occidentales 116

I. Introduction

Le Taiping guangji en quelques mots : pourquoi l'étudier ?

Commandé par l'empereur Taizong 1 en 977, et achevé un an et demi plus tard, le Taiping guangji est un leishu2 contenant un très grand nombre de textes narratifs aux sujets surnaturels, classés en différentes catégories. Bien qu'il ne fût ni le premier leishu, ni le premier recueil de textes narratifs ayant pour thème les phénomènes étranges, il est le plus ancien exemple subsistant en Chine d'un ouvrage compilé sur demande impériale rassemblant ces deux aspects. Ce statut particulier lui permit d'exercer une forte influence sur tout un pan de la littérature à partir du Xe siècle. Sa valeur littéraire est d'ailleurs elle-même inestimable, car il permit à de nombreux zhiguai et 3 antérieurs aux Song d'être préservés alors que les sources originales furent perdues. Dans l'entrée du Dictionnaire de littérature chinoise consacrée au Taiping guangji, l'ouvrage est qualifié par Jacques Dars de « filon le plus colossal, en matière de récits variés, de la littérature chinoise ancienne ».4 Bien que d'apparence flatteuse, cette affirmation est en fait réductrice. Le Taiping guangji a en effet été longtemps cantonné au rôle d'intermédiaire nous permettant d'accéder à des textes plus anciens. Il ne s'agit cependant pas d'une simple anthologie de récits divertissants, mais bel et bien de l'un des deux leishu impériaux – l'autre étant le Taiping yulan – commandés par le second empereur des Song dans le cadre d'un vaste projet de consolidation du pouvoir, et compilés par quelques-uns des meilleurs lettrés de l'époque. Il est donc intéressant d'étudier le Taiping guangji comme un ensemble indépendant et cohérent, et non pas seulement pour les textes qu'il renferme.

1 Taizong fut le deuxième empereur de la dynastie Song (960-1279), il régna de 976 à 997. 2 Leishu littéralement : « ouvrage dont le contenu est classé par catégorie ». Nous reviendrons sur ce terme plus bas, voir pp. 4-6. 3 Le Taiping guangji est en effet presque exclusivement constitué de zhiguai et de chuanqi, deux formes littéraires en langue classique qui avaient pour sujet les « étrangetés » de toutes sortes. Les zhiguai , littéralement « rapports sur le bizarre », étaient de brefs textes particulièrement en vogue lors de la période des Six Dynasties (220-589). Les chuanqi , littéralement « transmettre l'extraordinaire », apparurent quant à eux lors de la dynastie Tang (618-907). 4 Jacques Dars, « Taiping guangji », in André Lévy (ss. la direction de), Dictionnaire de littérature chinoise. Paris : PUF, 2000, p. 291.

- 1 - S'intéresser à cet ouvrage et ses spécificités nous aide à mieux comprendre la période du début de la dynastie Song, une époque particulièrement intéressante sur le plan culturel grâce à la généralisation du système de recrutement des fonctionnaires par examens, au début de l'utilisation à large échelle de l'imprimerie, et au développement d'une nouvelle forme de littérature populaire en milieu urbain.5 Or, le destin du Taiping guangji est justement lié à ces multiples aspects. L'examiner en détail permet donc d'appréhender cette période avec un regard nouveau, notamment en nous proposant une certaine vision du monde, organisé par catégories. Il est possible d'aborder son étude en se penchant par exemple sur les circonstances de sa compilation, son organisation interne, ses éditions successives ou encore sa diffusion. Les premières recherches exclusivement dédiées au Taiping guangji datent de la fin du XXe siècle, et ce n'est que très récemment que des chercheurs ont commencé à s'intéresser au contexte culturel entourant sa création. Par conséquent, plusieurs questions fondamentales, telles que les raisons de sa compilation, n'ont à ce jour pas encore reçu de réponses réellement convaincantes.

Buts du travail

Pourquoi l'empereur Taizong ordonna-t-il, au début de son règne, la compilation d'un leishu constitué de textes traditionnellement considérés comme d'une importance moindre par les lettrés des époques précédentes ? En quoi est-ce que les catégories du Taiping guangji et l'organisation de sa matière reflètent une certaine vision du monde, et laquelle ? C'est à partir de ces deux interrogations que nous avons choisi d'élaborer notre travail. Pour y répondre, un certain cheminement nous paraît nécessaire. Il faudra, dans un premier temps, définir brièvement le contexte historique et culturel dans lequel la compilation du Taiping guangji fut ordonnée, et donc s'attarder tout particulièrement sur la figure de l'empereur Taizong. Le décor une fois mis en place, nous pourrons alors nous pencher sur les différents aspects de sa création : Qui sont les auteurs ? Comment cet ouvrage s'intègre-t-il dans le grand projet culturel et politique initié par Taizong ? Quelles sont ses sources ? Si l'on souhaite comprendre les raisons de sa compilation, il nous faudra

5 Jacques Gernet estime en effet que l'accroissement des distractions dans les villes lors de la dynastie Song fut à l'origine de l'apparition de la littérature populaire en Chine ancienne. Voir Jacques Gernet, Le monde chinois. Paris : Armand Colin, 2005, pp. 291-292.

- 2 - également examiner de près l'utilisation qui en fut faite une fois achevé, et, par conséquent, sa diffusion sous les Song. L'organisation d'un leishu faisant toujours l'objet d'un soin particulier, une étude attentive de ses catégories devrait donc nous renseigner sur les intentions de ses auteurs. Une partie du travail sera donc consacrée à la présentation et à la description des 116 catégories et 127 sous-catégories composant le Taiping guangji. Cela nous permettra de dégager un ordre général, de définir l'importance des différents sujets traités, ainsi que de révéler les similitudes et différences avec d'autres recueils ou leishu, antérieurs ou contemporains. L'étude d'un système taxinomique permet en effet de déduire la logique interne d'un ouvrage, tout en mettant en évidence les principes rationnels en oeuvre derrière la classification des textes. George Lakoff définit la catégorisation comme le principal moyen de donner du sens à ce que nous expérimentons6, l'analyse des catégories d'un leishu peut donc nous renseigner sur la manière dont ses auteurs envisageaient le monde. Bien que, de premier abord, les deux aspects de cette réflexion – les raisons de la compilation de l'ouvrage d'une part, et l'organisation de ses catégories d'autre part – semblent distincts, le but principal de ce travail sera justement de montrer qu'ils sont en fait étroitement liés.

Avant de débuter notre raisonnement à proprement parler, il nous semblait encore important de soulever deux points centraux : déterminer sur quelle version du Taiping guangji nous allons nous appuyer tout au long de ce travail, et définir précisément ce que l'on entend par le terme leishu.

L'édition actuelle du Taiping guangji

Achevé en 978, le Taiping guangji fut gravé sur planche xylographique en 981. Cependant, comme nous le verrons plus tard, il n'est pas certain qu'il fut imprimé immédiatement, la première édition identifiée avec certitude datant du règne de l'empereur Gaozong des Song (r. 1127-1162). Il y eut depuis un grand nombre d'éditions

6 Voir George Lakoff, Women, Fire, and Dangerous Things. What Categories Reveal about the Mind. Chicago-London : The University of Chicago Press, 1987, p. xi.

- 3 - différentes, dont la plus importante – par sa diffusion – fut celle de Tan Kai en 1566. L'édition actuelle, publiée par les éditions Zhonghua shuju7, se fonde du reste en grande partie sur celle-ci, tout en utilisant également d'autres éditions des dynasties Ming (1368-1644) et Qing (1644-1911). Selon Zhang Guofeng, l'édition de Tan Kai – et par conséquent celle de Zhonghua shuju – n'était pas exactement identique aux éditions datant des Song. Il y aurait notamment des divergences dans les titres des histoires ou encore dans leur emplacement au sein des catégories. Il semble en revanche que les catégories elles- mêmes et leur ordre soient restés les mêmes à travers les siècles.8 Par conséquent, comme nous allons dans ce travail essentiellement nous intéresser à l'organisation générale des catégories, nous considérons l'édition actuelle comme étant suffisamment fiable, et c'est donc à celle-ci que nous ferons dorénavant référence.

À propos des leishu

Le terme leishu a souvent été traduit en français par « encyclopédie ». Or, si l'on souscrit à la définition donnée par Florence Bretelle-Establet et Karine Chemla, à savoir qu'un leishu est un « livre réunissant un ensemble de connaissances classées par catégories et composé d'extraits de textes préexistants »9, une différence saute aux yeux : là où une « encyclopédie » résume le savoir existant dans un article spécialement rédigé pour l'occasion, un leishu se borne à citer des textes plus anciens pour transmettre ce savoir. Bien que l'idée de rassembler un ensemble de connaissances dans un même ouvrage soit commune, les leishu chinois ne sont pas l'équivalent exact des encyclopédies occidentales. Par conséquent, faute d'une traduction française satisfaisante à nos yeux, nous garderons dans ce travail le terme chinois, transcrit en . Bien que l'appartenance du Taiping guangji aux leishu ait parfois été débattue, certains jugeant que les textes le composant n'étaient pas d'un intérêt suffisant, c'est bien en tant que leishu qu'il apparaît dans le Catalogue général de l'Institut de la vénération de la littérature,

7 Taiping guangji , compilé par Li Fang et coll. Pékin : Zhonghua shuju, 2010 (1961). 8 Sur les différentes éditions du Taiping guangji, voir Zhang Guofeng , « Taiping guangji » banben kaoshu . Pékin : Zhonghua shuju, 2004, pp. 14-73. 9 Florence Bretelle-Establet et Karine Chemla, « Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ? », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, Presses Universitaires de Vincennes, juin 2007, p. 9.

- 4 - Chongwen zongmu , en 1041.10 Nous nous rallions donc à la majorité des chercheurs considérant le Taiping guangji comme un leishu, et non pas comme une anthologie littéraire.11 Nous avons donné une définition générale ci-dessus, mais il s'avère que les leishu pouvaient revêtir de nombreuses formes en Chine ancienne : inventaires de connaissances, lexiques de composition littéraire, manuels de sciences politiques, collections d'anecdotes, etc.12 Ils ne constituent donc pas un genre précis et stable au fil du temps, et il est à ce titre intéressant de constater que le terme même de leishu ne serait apparu que vers la fin de la dynastie Tang (618-907), soit plusieurs siècles après le premier ouvrage apparenté à ce courant.13 C'est en effet un texte du début du IIIe siècle, intitulé Huanglan (Ce qu'a examiné l'empereur) , qui est considéré comme le premier des leishu. Ceux-ci connurent par la suite un développement limité, tout du moins jusqu'à la dynastie Tang, lors de laquelle l'instauration du système de recrutement des fonctionnaires par examens créa une forte demande pour ce type d'ouvrage. Ce développement s'accentua au cours de la dynastie Song grâce à la démocratisation des techniques d'impression xylographiques qui rendit possible la distribution à grande échelle de livres imprimés. La popularité des leishu édités à but commercial ne fit qu'augmenter par la suite, mais ceux-ci ne purent jamais rivaliser avec le prestige des leishu compilés sur ordre impérial. Ce sont en effet ces derniers qui fixaient les grandes règles de classification, ensuite reprises par les éditeurs privés. Quel type de leishu était donc le Taiping guangji ? Il faut tout d'abord rappeler qu'il fut commandé par un empereur, ce qui lui donne d'emblée une certaine légitimité. Cependant, comme il réunit des textes qui sont pour la très grande majorité de nature narrative ayant pour sujet des phénomènes étranges, il fut parfois considéré comme une collection d'anecdotes divertissantes. Même si la qualité littéraire de ses récits est indéniable, le Taiping guangji ne saurait être cantonné à une simple anthologie, car il véhicule lui aussi un certain type de savoir, ayant trait aux coutumes et traditions de la Chine ancienne. Bien que ce

10 L'Insitut de la vénération de la littérature était l'institution dans laquelle furent réalisés les leishu et autres projets de compilation commandés par Taizong, c'est également là qu'ils furent rangés une fois achevés. Voir Chongwen zongmu , compilé par Wang Yaochen et coll., in Congshu jicheng , Wang Yunwu (éd.). Shanghai : Shangwu yingshuguan, 1935-1937, 3.147. 11 Sur l'appartenance du Taiping guangji aux leishu, voir par exemple William Nienhauser, « T'ai-p'ing kuang- chi », in William H. Nienhauser et coll. (éd.), The Indiana Companion to Traditional . Bloomington : Indiana University Press, 1986, pp. 744-745. 12 Voir Étienne Balazs, « L'histoire comme guide de la pratique bureaucratique », in W. G. Beasley et E. G. Pulleybank (éd.), Historians of China and Japan. Londres : School of Oriental and African Studies, University of London, 1961, pp. 78-94. 13 Voir Jean-Pierre Drège, « Des ouvrages classés par catégories : les encyclopédies chinoises », in Extrême- Orient, extrême Occident : hors-série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, Presses Universitaires de Vincennes, juin 2007, p. 21.

- 5 - savoir ne fut pas considéré comme de première importance par les lettrés de la dynastie Song, notamment car il ne faisait pas partie des connaissances requises pour passer les examens, l'empereur Taizong le tenait en estime suffisante pour ordonner la compilation d'un ouvrage rassemblant des milliers d'histoires relatant des manifestations surnaturelles en tout genre. Ainsi, malgré le caractère officieux des textes le composant, nous estimons que le Taiping guangji a bel et bien sa place aux côtés des autres leishu commandés sur ordre impérial, et le considérerons comme tel dans la suite de ce travail.

- 6 - II. La compilation du Taiping guangji

Contexte historique et culturel

La fondation de la dynastie des Liang postérieurs marqua la fin effective de l'empire unifié des Tang, après un long déclin du pouvoir central allant de pair avec la montée de tendances régionalistes. La période qui s'ouvrit à ce moment fut celle des Cinq Dynasties et des Dix Royaumes . Comme son nom l'indique, l'empire était morcelé : alors que cinq dynasties se succédèrent à Kaifeng (alors nommée Bianjing ), le reste du pays était divisé en dix états indépendants.14 À l'extrême nord de la Chine, le puissant empire des Liao, fondé en 946, subsista jusqu'en 1125. Bien que la dernière des Cinq Dynasties, les Zhou postérieurs , ait réunifié une partie de la Chine du Nord lors de sa prise de pouvoir en 951, plusieurs puissances régionales restaient solides lorsque le général Zhao Kuangyin fonda la dynastie Song après s'être emparé de Kaifeng en 960.

L'empereur Taizu et la réunification militaire

Suite à sa victoire, Zhao Kuangyin, plus tard désigné sous le nom de Taizu prit donc le titre de premier empereur Song. Durant son règne, de 960 à 976, il fut surtout occupé par la conquête des territoires refusant son autorité. Voulant intégrer les riches ressources de la région du Yangzi, il s'attacha en priorité à rallier à l'empire les royaumes situés au sud. Il lança ainsi plusieurs campagnes militaires victorieuses, notamment contre les royaumes de Jingnan en 963, des Han du Sud en 971 et des Tang du Sud en 975. La réunification fut finalement achevée en 978-979 par le second empereur des

14 Les Cinq Dynasties sont : les Liang postérieurs (907-923), les Tang postérieurs (923-936), les Jin postérieurs (936-946), les Han postérieurs (947-950) et les Zhou postérieurs (951-960). Les Dix Royaumes sont : au nord, les royaumes de Jin (895-923) et des Han du Nord (951-979) ; au sud, les royaumes de Shu (907-923), de Chu (907-951), de Jingnan (907-963), des Han du Sud (911-971), de Min (909-978), de Wu-Yue (907-978), de Wu (907-937) et des Tang du Sud (902-975). Voir Jacques Gernet, Le monde chinois, p. 263.

- 7 - Song, Taizong, après des victoires contre les royaumes de Wu-Yue et des Han du Nord . Contraint de porter ses efforts sur la conquête militaire de l'empire, Taizu ne fut pas aussi actif que ses successeurs sur le plan culturel. Il prit cependant plusieurs mesures importantes qui furent maintenues par la suite. Parmi celles-ci, la plus influente fut certainement la réhabilitation du système de sélection des fonctionnaires par examens. En l'améliorant et le rendant plus égalitaire, il mit sur pieds ce qui devint l'une des principales caractéristiques politiques de la dynastie Song. D'autre part, et bien qu'il fut à l'origine un confucéen convaincu15, il adopta une attitude conciliante envers les religions taoïque et bouddhique. Il annula notamment les restrictions ordonnées sous le règne des Zhou postérieurs à l'encontre du bouddhisme, tout en gardant cependant un certain contrôle sur ses pratiques. Par ailleurs, il encouragea la diffusion des écrits religieux en envoyant des délégations de moines en Inde et en établissant un bureau pour la traduction des sutras. Il ordonna également l'impression du canon bouddhique, qui dura de 972 à 983, au Sichuan. Ces mesures montraient déjà une certaine volonté d'englober les différents aspects de la société sous le pouvoir impérial. Or, c'est précisément cette volonté qui fut au centre du règne du second souverain des Song, l'empereur Taizong.

L'empereur Taizong et la réunification culturelle

À la mort de Taizu en 976, ce ne fut pas son fils aîné qui lui succéda, mais son frère cadet, qui devint alors l'empereur Taizong. Les circonstances de cette succession restent encore méconnues, il semblerait toutefois que Taizong fut considéré avec grand respect par plusieurs hauts fonctionnaires impériaux qui l'aidèrent à accéder au pouvoir. Certains estiment également que Taizu lui-même aurait désigné son frère pour lui succéder.16 Toujours est-il que le nouvel empereur prit possession d'un empire en grande partie déjà réunifié. Certains états jouissaient toutefois encore d'un statut d'autonomie partielle, auquel Taizong mit fin en assimilant les royaumes de Wu-Yue en 978 et des Han du Nord en 979.

15 Sur l'éducation confucéenne de Taizu, voir E. A. Jr. Kracke, Civil Service in Early Sung China, 960-1067. Cambridge : Harvard University Press, 1953. 16 Sur ces points, voir Nap-Yin Lau et K'uan-chung Huang, « Founding and Consolidation of The Sung Dynasty under T'ai-tsu, T'ai-tsung, and Chen-tsung » in Denis Twitchett et Paul Jakov Smith (éd.), The Cambridge . Volume 5. Part One : The Sung Dynasty and Its Precursors, 907-1279. Cambridge : Cambridge University Press, 2009, pp.206-260.

- 8 - Durant cette dernière campagne, il subit également une lourde défaite au nord contre les armées Liao. Il décida alors de se concentrer sur la consolidation de son empire, afin d'éviter toute révolte venant des régions nouvellement conquises. Son règne, qui dura de 976 à 997, fut donc une époque relativement paisible. Cette idée se retrouve d'ailleurs dans le premier nom d'ère choisi par Taizong : « Taiping xingguo » , Ère de la Grande Paix et de la Prospérité du Pays (976-984). Contrairement à son prédécesseur, Taizong put donc se consacrer pleinement à ses différents projets culturels et politiques, et ce dans le but d'unifier intellectuellement l'empire. Il commença par mettre en place un régime mandarinal, rendu possible par le très grand nombre d'hommes ayant passé les examens depuis le début de la dynastie. Ce faisant, il remplaça donc les officiers militaires, qui avaient jusqu'ici la main sur les postes clés de l'administration impériale, par des lettrés. Il contribua également au développement des examens, notamment en augmentant le nombre de diplômes décernés. Lui-même poète et calligraphe au talent reconnu, il lança plusieurs programmes de compilation et d'édition de textes en tout genre : ouvrages historiques, Classiques, dictionnaires, canons bouddhique et taoïque, recueils littéraires, ou encore traités de médecine. À cela s'ajouta la compilation de deux leishu, dont le Taiping guangji. Cette politique marque l'intérêt de Taizong pour l'étude des textes, par opposition aux affaires militaires. Il s'agissait là de restaurer « sa culture », celle des Tang, qui fut bafouée durant la période des Cinq Dynasties et Dix Royaumes.17 Pour pouvoir mener à bien ces projets, l'empereur avait cependant besoin de textes originaux sur lesquels s'appuyer. Or, l'instabilité politique de la première moitié du Xe siècle avait eu des conséquences désastreuses sur les collections d'écrits conservées jusque-là. Le contenu des bibliothèques fut en effet souvent perdu lors de transferts, ou tout simplement détruit au cours de combats. Ainsi, la bibliothèque impériale ne contenait que 13'000 juan au début de la dynastie Song.18 L'empereur Taizu ordonna donc le rapatriement de nombreux ouvrages à la capitale. Taizong continua ces efforts en faisant envoyer les collections des royaumes vaincus à Kaifeng, où il inaugura en 978 trois nouvelles bibliothèques impériales ainsi qu'un Institut d'historiographie. Ce complexe, nommé

17 Sur la transition culturelle entre les dynasties Tang et Song, voir Peter K. Bol, " This Culture of Ours " : Intellectual Transitions in T'ang and Sung China. Stanford : Stanford University Press, 1992. 18 Sur l'état des collections impériales au début des Song, voir Jean-Pierre Drège, Les bibliothèques en Chine au temps des manuscrits (Jusqu'au Xe siècle). Paris : École Française d'Extrême-Orient, 1991, pp. 82-85 ; et Johannes L. Kurz, « The Politics of Collecting Knowledge : Song Taizong's Compilations Project », in T'oung Pao, Second Series, Vol. 87 (2001), pp. 289-316.

- 9 - « Institut de la vénération de la littérature » , était également doté d'ateliers d'imprimerie, ce qui permit au pouvoir impérial d'accroître son utilisation des techniques xylographiques.19

Soutien impérial au bouddhisme et au taoïsme

Le déclin du bouddhisme et du taoïsme au XIe siècle, suite à la montée du néo- confucianisme, a souvent tendance à éclipser le fait que ces religions connurent un fort regain d'intérêt au début de la dynastie Song. Faisant suite aux efforts de Taizu afin de promouvoir la diffusion des écrits bouddhiques, Taizong reprit la plupart de ses politiques religieuses. Il continua ainsi à envoyer des moines en Inde afin d'y récupérer des textes sacrés et inaugura un nouvel institut pour assurer leur traduction en 980. Il poursuivit également le grand projet de publication du canon bouddhique initié au Sichuan par Taizu, et écrivit lui même de nombreux commentaires sur des textes bouddhiques. D'autre part, bien que la fondation de nouveaux temples fut toujours étroitement contrôlée par l'État, Taizong autorisa la construction de nombreux monastères à travers tout l'empire. Il instaura également des ordinations de masse – 170'000 novices furent ainsi ordonnés peu après son accession au pouvoir – et il aurait même déclaré en 983 que les enseignements du Bouddha étaient bénéfiques pour l'administration de l'État.20 Cette politique très favorable au bouddhisme l'amena également à intégrer un moine bouddhiste, nommé Zanning (919-1001), à sa cour. Le cas de Zanning nous paraît tout à fait représentatif de l'esprit qui animait l'empereur Taizong lors de son règne, tous deux travaillant dans l'optique d'harmoniser les différentes croyances. Le premier contact entre l'empereur et le moine eut lieu en 978 lorsque Zanning se rendit en mission diplomatique auprès de Taizong afin de négocier l'intégration dans l'empire des Song du Royaume de Wu-Yue, où il tenait un poste à la cour. Impressionné par son érudition – non seulement dans le domaine de la doctrine bouddhique, mais aussi dans celui des classiques confucéens –, Taizong lui conféra le titre

19 Il est cependant important de garder à l'esprit que l'impression d'un livre ne lui donnait pas plus de valeur qu'une copie manuscrite, les deux méthodes cohabitant pendant un certain temps encore. Voir Jean-Pierre Drège, « Des effets de l'imprimerie en Chine sous la dynastie des Song », in Journal Asiatique, 282 No. 2 (1994), pp. 409-442. 20 Anecdote rapportée par le moine Zhipan dans le Fozu tongji , T. 2035 : 399a6. Sur ce sujet, voir également Tansen Sen, Buddhism, Diplomacy and Trade. The Realignment of Sino-Indian Relations, 600-1400. Honolulu : University of Hawai'i Press, 2003, p. 115.

- 10 - d'Académicien Hanlin21 et le fit venir à la capitale. En 983, l'empereur lui ordonna de compiler un recueil de biographies de moines célèbres ayant vécu lors de la dynastie Song. L'ouvrage, achevé en 988 sous le titre Song gaoseng zhuan , fut apparemment très apprécié par Taizong, et Zanning continua ainsi à gravir les échelons de l'administration impériale. Il fut entre autres nommé Superviseur des affaires religieuses de la capitale ouest en 996, puis Moine-secrétaire22 en 999. Selon Albert Dalia, Zanning cherchait avant tout à redonner au bouddhisme la place qui devait selon lui être la sienne en essayant de promouvoir une certaine harmonie avec ses doctrines rivales, le taoïsme et le confucianisme.23 Or, il nous semble que cette volonté d'harmonisation des doctrines se retrouve justement dans les différents projets culturels menés par l'empereur Taizong, et notamment dans le Taiping guangji. La politique de soutien aux religions de Taizong bénéficia aussi au taoïsme : en 990 par exemple, l'empereur lança une vaste collecte de textes taoïques dans le but de les publier. Cependant, comme le taoïsme ne fut pas touché par les mêmes restrictions que le bouddhisme durant la période des Cinq Dynasties, les mesures visant à le promouvoir purent paraître moins spectaculaires. Certains estiment également que l'empereur lui- même tenait le bouddhisme en plus haute estime. Selon Huang Chi-chiang24, en privé, Taizong révérait le Bouddha, mais il ne lui rendait jamais hommage en public, car il souhaitait donner l'image d'être l'incarnation du Bouddha terrestre. D'un autre côté, Edward Davis fait remarquer qu'il lui arrivait souvent de faire des offrandes à des divinités taoïstes.25 Même s'il nous est difficile d'émettre un quelconque avis sur les penchants religieux de l'empereur Taizong, il semble par contre que ce dernier possédait une parfaite compréhension des avantages que pouvait lui apporter un soutien marqué au bouddhisme et au taoïsme : propager ces doctrines permettant en effet de donner un cadre moral à la

21 Comme leur nom l'indique, les Académiciens Hanlin étaient membres de l'Académie Hanlin, éminente institution rattachée au pouvoir impérial et créée lors de la dynastie Tang. Sous les Song du Nord, le titre d'Académicien Hanlin était l'un des plus prestigieux accessibles aux lettrés ayant passé les examens. 22 Le Moine secrétaire était notamment chargé du contrôle des temples dans tout l'empire. 23 Voir Albert A. Dalia, « The "Political Career" of the Buddhist Historian Tsan-ning », in David W. Chappell, Buddhist and Taoist Studies in Medieval Chinese Society. Honolulu : University of Hawai'i Press, 1987, pp. 146-180. 24 Voir Huang Chi-chiang, « Imperial Rulership and Buddhism in the Early Northern Sung », in Frederick P. Brandauer et Huang Chun-Chieh, Imperial Rulership and Cultural Change in Traditional China. Seattle : University of Washington Press, 1994, pp. 144-187. 25 Voir Edward L. Davis, Society and the Supernatural in Song China. Honolulu : University of Hawai'i Press, 2001, p. 72.

- 11 - réunification. Ce faisant, l'empereur absorbait l'autorité religieuse, tout en améliorant son image auprès de la population.26

L'utilisation de l'héritage culturel et religieux afin d'harmoniser la société

Tant les grands projets culturels que le soutien aux religions participaient de la même volonté de légitimation du pouvoir de la dynastie Song. En se réappropriant la culture des grandes dynasties précédentes, Taizong s'érigeait en héritier des Tang. Il était en effet impossible de restaurer l'empire sans restaurer sa culture, et les nombreuses compilations d'ouvrages en tous genres lancées par le pouvoir impérial permirent de traduire concrètement cette volonté. Quant à l'intérêt impérial dans les affaires religieuses, il permit à l'empereur Taizong de s'imposer comme monarque universel, régnant sur tous les aspects de la société, politiques et spirituels. Ce soutien aux religions n'était cependant pas vu d'un bon oeil par tous. En effet, avec le développement des examens, les hauts fonctionnaires étaient désormais constitués presque exclusivement de lettrés, confucéens par leur éducation, qui avaient bien du mal à concevoir que le pouvoir impérial puisse cautionner les doctrines religieuses, qui plus est d'origine étrangère comme pouvait l'être le bouddhisme. Reconnaissant que la stabilité de l'empire primait sur l'intégrité morale de son gouvernement, ils se rangèrent à l'avis de leur souverain et acceptèrent la situation, du moins dans un premier temps.27 Les deux parties s'accordèrent en tout cas sur un point : la propagation de la culture écrite, porteuse d'une certaine valeur politique, était une priorité. C'est donc dans ce contexte délicat que fut ordonnée la compilation du Taiping guangji. Après la conquête du territoire par son frère, Taizong se devait d'unifier l'empire culturellement pour ainsi légitimer le pouvoir de la dynastie Song. Pour ce faire, il s'appliqua à se montrer en tant que digne héritier de la culture des dynasties passées, en affirmant que l'écrit et le savoir étaient l'affaire de l'État. Il s'érigea également en garant de l'autorité spirituelle, ce qui lui permit de rapidement propager son image au sein de la population. Il dut cependant composer avec des fonctionnaires lettrés qui critiquèrent

26 Sur ce sujet, voir Sem Vermeersch, « Buddhism and state building in Song China and Goryeo Korea », in Asia Pacific Perspectives, décembre 2004, pp. 4-11. 27 Sur ce point, Sheng Li estime que de nombreux lettrés fonctionnaires ayant aidés à la réunification de l'empire avaient tout de même un intérêt marqué pour le taoïsme. Voir Sheng Li , Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu , Zhongguo shehui kexue chubanshe, 2010, pp. 8-19.

- 12 - parfois ses actions. Le Taiping guangji nous paraît à ce titre particulièrement intéressant pour mieux comprendre les enjeux de cette période, car il touche à tous ces multiples aspects. Son statut de leishu renvoie à une pratique de regroupement du savoir solidement ancrée dans la tradition chinoise, mais les textes le composant – histoires étranges et récits de phénomènes surnaturels – sont en général plutôt associés à des thématiques religieuses. De plus, il fut compilé sur ordre impérial par des lettrés ayant reçu une éducation classique qui n'accordaient que rarement une quelconque valeur à ce genre de textes. Sans même parler de son utilisation ou de ses buts, la compilation même de cet ouvrage est donc tout à fait représentative du défi qui fut posé à Taizong au début de son règne : l'harmonisation d'une société aux nombreuses composantes distinctes.

- 13 - Taiping yulan et Taiping guangji

Le premier grand projet culturel entrepris par Taizong, quelques mois seulement après son accession au pouvoir, fut d'ordonner la compilation de deux leishu : le Taiping yulan et le Taiping guangji. Bien que différents sur le fond et la forme – le premier reprenant les codes établis par les leishu des époques précédentes alors que le second s'en éloigne –, ces deux ouvrages partagent de nombreux points communs. Leurs destins étant intimement liés, il nous semble important de commencer par les considérer dans leur ensemble, avant de pouvoir se concentrer davantage sur le Taiping guangji. À noter que nous n'aborderons pas ici les cas du Wenyuan yinghua et du , qui sont parfois rattachés aux deux ouvrages cités ci-dessus sous l'appellation des « Quatre grands livres des Song » . En effet, le Wenyuan yinghua, commandé par Taizong en 982, n'était pas un leishu à proprement parler, mais une anthologie littéraire. Quant au Cefu yuangui, il fut compilé entre 1005 et 1013 à la demande du troisième empereur des Song, Zhenzong . Ces deux livres ne faisaient donc à l'origine probablement pas partie du projet culturel de Taizong lorsque celui-ci prit le pouvoir en 976, et par conséquent ne rentrent pas dans le cadre de notre étude.28

Les deux leishu de Taizong

L'utilisation de leishu comme instruments de légitimation politique par le pouvoir impérial remonte au IIIe siècle.29 Ces ouvrages permettaient en effet de montrer que l'État « maîtrisait » le monde en organisant celui-ci par catégories, tout en étant le réceptacle de la culture des siècles passés, puisqu'ils étaient uniquement constitués de citations. Or, comme nous l'avons mentionné dans la partie précédente, la démarche de Taizong s'inscrivait parfaitement dans cette tradition, et le fait que la compilation de deux leishu fut l'une de ses premières décisions ne devait certainement rien au hasard. Au premier abord, il semble donc qu'il ne fit pas preuve d'une grande originalité, mais deux aspects de ce projet

28 Sur le Wenyuan yinghua et le Cefu yuangui, voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997). Berne : Peter Lang, Études asiatiques suisses, Monographie, Vol. 45, 2003, pp. 99-142 et 171-214. 29 Voir Jean-Pierre Drège, « Des ouvrages classés par catégories : les encyclopédies chinoises », in Extrême- Orient, extrême Occident : hors-série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, p. 21.

- 14 - le rendent toutefois unique : premièrement, l'emploi d'une forte proportion de lettrés des royaumes nouvellement conquis ; deuxièmement, la présence d'un second ouvrage de 500 juan, le Taiping guangji, rassemblant des récits narratifs aux sujets surnaturels afin de compléter un premier leishu plus classique de 1'000 juan, le Taiping yulan. Plusieurs sources relatent l'ordre donné par l'empereur à Li Fang (925-996), qui fut mis à la tête de l'équipe de compilateurs chargés du Taiping yulan et du Taiping guangji. La mention la plus précise de cet épisode se trouve dans le Yuhai , qui cite le Taizong shilu 30 :

Le jour wuyin du troisième mois de la deuxième année de l'ère Taiping xingguo (8 avril 977), un édit impérial parvint aux quatorze personnes suivantes : Li Fang et Hu Meng, Académiciens Hanlin ; Li Mu, Censeur de gauche et Rédacteur des édits impériaux ; Tang Yue, Intendant général adjoint de la Maison du prince héritier ; Xu Xuan, Directeur des veilles et des clepsydres du prince héritier ; Zhang Ji, Gentilhomme au service du prince héritier ; Li Keqin, Censeur de gauche ; Song Bai, Rectificateur de droite ; Chen E, Gentilhomme au service du prince héritier ; Xu Yongbin, Directeur adjoint de la Cour des Menus plaisirs ; Wu Shu, Directeur adjoint de la Cour du Trésor impérial ; Shu Ya, Directeur adjoint de la Cour de l'Éducation ; Lü Wenzhong et Ruan Sidao, Directeurs adjoints des manufactures et ateliers impériaux.32 Il leur fut demandé de compiler et d'arranger par catégories un ouvrage de 1'000 juan sur le modèle du Xiuwendian yulan, du Yiwen leiju, du Wensi boyao, et de tous les autres livres

30 Le Yuhai, « La mer de jade », est un leishu qui fut compilé au XIIIe siècle par Wang Yinglin (1223-1296). Il réunissait notamment plusieurs textes historiques sur la dynastie Song, dont le Taizong shilu, initialement achevé en 998. Pour une édition récente du Yuhai, voir Siku leishu congkan . Shanghai : Shanghai guji chubanshe, 1992. 31 Yuhai, 54.40 a 32 Les titres des fonctions de l'administration impériale ont été traduits à l'aide du Grand Ricci, en version électronique (Grand Ricci Numérique, version 1.0, Association Grand Ricci, 2010), et du dictionnaire des titres officiels de la Chine impériale de Charles Hucker, A Dictionary of Official Titles in Imperial China. Stanford : Stanford University Press, 1985.

- 15 - semblables des précédentes dynasties. Ils devaient également rassembler des histoires non officielles, des biographies, des menus propos et d'autres textes divers afin de les compiler en un livre de 500 juan.

Bien que leurs titres ne soient pas expressément cités ici, ce passage nous donne plusieurs informations sur les circonstances de la compilation du Taiping yulan, l'« ouvrage de 1'000 juan », et du Taiping guangji, le « livre de 500 juan ». Il nous apprend entre autres la date de l'ordre donné par Taizong, les noms et les titres des compilateurs, la taille respective des deux ouvrages, et nous donne également des indications sur leur contenu. Alors que les deux premiers points semblent rapprocher les deux livres33, leur taille et leur contenu divergent. L'empereur donna notamment aux compilateurs des exemples afin d'organiser les catégories du Taiping yulan, tout en leur laissant plus de liberté dans le cas du Taiping guangji. Des trois ouvrages cités comme modèle pour le yulan, seul le Yiwen leiju nous est parvenu. Nous savons cependant que tous furent compilés sur ordre impérial, et qu'ils regroupaient en catégories des textes issus des Classiques et autres livres de référence.34 Le Taiping yulan s'inscrivait donc dans la droite ligne de cette tradition des leishu impériaux rassemblant des citations d'écrits conformes à une certaine orthodoxie lettrée.35 Le Taiping guangji quant à lui fut peut-être pensé comme une sorte d'appendice, dans laquelle il aurait été possible d'inclure les textes qui ne remplissaient pas les conditions du yulan. Ces « textes divers », tels les « histoires non officielles » yeshi , « biographies » zhuanji , ou encore « menus propos » xiaoshuo faisaient selon toute vraisemblance référence à deux genres d'écrits en particulier : les zhiguai des Six Dynasties et les chuanqi des Tang.36 Ces deux genres étaient caractérisés par des textes de nature narrative incluant des éléments « surnaturels » : des aspects qui semblent en effet avoir été les critères de sélection

33 Quelques légères différences existent toutefois, certains lettrés ayant travaillé exclusivement sur le Taiping yulan et d'autres uniquement sur le Taiping guangji. Nous reviendrons plus en détail sur ces derniers par la suite, voir pp. 22-31. 34 Le Xiuwendian yulan fut compilé sur l'ordre de Gao Wei (r. 565-576), dernier souverain des Qi du Nord, au printemps 562. Le Yiwen leiju fut commandé par l'empereur Gaozu des Tang (r. 618-626) en 622, et le Wensi boyao fut achevé en 641. Voir Johannes Kurz, « The Politics of Collecting Knowledge : Song Taizong's Compilations Project », in T'oung Pao, Second Series, Vol. 87 (2001), pp. 304-305. 35 Sur les textes traditionnellement intégrés aux leishu en Chine ancienne, voir Jean-Pierre Drège, « Des ouvrages classés par catégories : les encyclopédies chinoises », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors-série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, pp. 19-38. 36 Ces deux genres sont en fait souvent considérés comme des « menus propos », xiaoshuo . Il est ici important de différencier ce terme de son sens moderne de « roman », « fiction » : nous avons donc choisi de nous y référer en le traduisant littéralement, et garderons par conséquent « menus propos » dans la suite de ce travail.

- 16 - prépondérants, puisque ce sont ces récits de phénomènes étranges qui composent la quasi- totalité du Taiping guangji. Avant de revenir plus en détail sur ce qui faisait la spécificité de ce dernier, nous allons d'abord nous pencher sur ce qui rassemblait le yulan et le guangji, notamment le fait que leurs compilateurs étaient majoritairement originaires des différents royaumes situés au sud. L'empire ayant déjà été presque totalement réunifié lorsqu'il monta sur le trône en 976, Taizong se vit confronté au mécontentement de nombreux lettrés des pays vaincus, qui avaient perdu leurs fonctions et titres officiels. Selon Johannes Kurz37 – qui reprend l'avis de nombreux historiens chinois à travers l'histoire –, l'empereur, souhaitant éviter toute tentative de révolte de la part de ces hauts fonctionnaires déchus, leur offrit de nouveaux titres, ainsi que des emplois à la cour généreusement rémunérés.38 Si l'on regarde avec attention la liste des compilateurs donnée dans le passage du Yuhai, on constate en effet que plus de la moitié d'entre eux venaient d'une région située au sud, et notamment du royaume des Tang du Sud.39 La compilation du Taiping yulan et du Taiping guangji relevait donc également de l'acte politique. En plus d'assurer leur soutien à la nouvelle dynastie, une autre raison d'employer ces lettrés était leur grand talent littéraire. En effet, alors que le nord de la Chine était en proie à de nombreux conflits, le sud avait joui d'une certaine stabilité, ce qui avait permis à ces hommes de se consacrer pleinement à l'étude des textes. Le recrutement de fonctionnaires des pays vaincus constituait cependant une nouveauté, Taizu ne leur faisant pas suffisamment confiance pour les intégrer dans sa cour. Taizong laissa d'ailleurs la responsabilité du projet entre les mains de deux officiels du nord, Li Fang et Hu Meng, qui avaient déjà travaillé ensemble auparavant. Nous constatons donc qu'outre leur rôle d'instrument de légitimation du pouvoir, permettant à Taizong de relier culturellement la dynastie Song à celle des Tang, ces deux

37 Johannes Kurz a publié plusieurs études sur le projet de compilation de l'empereur Taizong, voir « The Politics of Collecting Knowledge : Song Taizong's Compilations Project », in T'oung Pao, Second Series, Vol. 87 (2001), pp. 289-316 ; Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997). Berne : Peter Lang, Études asiatiques suisses, Monographie, Vol. 45, 2003 ; et « The Compilation and Publication of the Taiping yulan and the Cefu Yuangui », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors-série, Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, Presses Universitaires de Vincennes, juin 2007, pp. 39-76. 38 Sur ce sujet, Johannes Kurz cite notamment Chao Gongwu (?-1171), Wang Mingqing (1127-après1214) ou encore Zhang Duanyi (1179-1250), ce qui montre que cette idée était déjà répandue à l'époque des Song. 39 D'après Johannes Kurz, sept des treize lettrés ayant participé à la compilation du Taiping guangji étaient effectivement originaires d'un des royaumes vaincus situé au sud.

- 17 - leishu avaient également pour but d'achever la réunification intellectuelle de l'empire, en s'assurant le soutien des lettrés des états vaincus.

Petit historique de la compilation du Taiping yulan et du Taiping guangji

Bien que les deux ouvrages furent commandés à la même période, le Taiping guangji fut achevé en un an et demi, alors que le Taiping yulan demanda cinq années de travail. Nous allons ici tenter de donner les raisons de cette différence, et par là même proposer un petit historique de leur compilation. Si l'on se fie au passage cité ci-dessus, l'ordre de compilation des deux ouvrages serait parvenu simultanément aux compilateurs, le 8 avril 977.40 Concernant le Taiping guangji, sa « Notice » nous apprend qu'il fut achevé le treizième jour du huitième mois de la troisième année de l'ère Taiping xingguo, soit le 17 septembre 978.41 Il fut ensuite transféré sur ordre impérial à l'Institut d'historiographie douze jours plus tard, le 29 septembre, et il fallut encore attendre trois ans pour qu'il soit gravé sur planches xylographiques, en 981. Comme certains estimèrent que son contenu n'était pas d'un intérêt essentiel, les planches furent ensuite rangées dans le Pavillon Taiqing .42 Il ne reste aucune trace d'une quelconque édition datant du règne de Taizong, mais la gravure des planches étant l'étape la plus fastidieuse du processus d'impression, il serait étonnant que le Taiping guangji n'ait pas été imprimé à ce moment. Le Taiping yulan fut quant à lui achevé en 983, puis présenté à l'empereur le 6 janvier 984. Celui-ci le lut dans son entier, à raison de trois juan par jour, entre 985 et 986.43 Hu Daojing estime par contre qu'il ne fut pas immédiatement gravé et que ses premières éditions dateraient de la période des Song du Sud (1127-1279).44 Il semblerait également que le titre de l'ouvrage fut modifié après son achèvement. En effet, les sources font parfois

40 Zhang Huajuan émet cependant l'hypothèse que l'ordre de compiler le Taiping guangji fut donné à Li Fang quelques jours après celui concernant le Taiping yulan. Voir Zhang Huajuan , « Taiping guangji » yanjiu, Thèse de doctorat. Jinan : Université du Shandong, 2003, p. 21. 41 Voir « Taiping guangji biao » , in Taiping guangji , comp. par Li Fang et coll. Pékin : Zhonghua shuju, 2010 (1961), pp. 1-2. 42 Voir Yuhai, 54-41 b : « Après que l'on ait gravé le Taiping guangji sur planches xylographiques et qu'il fut distribué dans l'empire, certains estimèrent que son étude n'était pas une priorité, et l'on rangea donc les planches dans le Pavillon Taiqing. » 43 Ces informations se trouvent également dans le Yuhai, 54-41 b. 44 Voir Hu Daojing , Zhongguo gudai de leishu . Pékin : Zhonghua shuju, 1982, p. 128.

- 18 - mention d'un livre intitulé Taiping zonglei ayant les mêmes caractéristiques et datant de la même période que le Taiping yulan. Johannes Kurz est d'avis qu'il s'agit tout simplement du même ouvrage, dont le nom fut modifié après que l'empereur l'ait lu, yulan signifiant littéralement « examiné par l'empereur ».45 Pour quelles raisons la compilation du Taiping yulan prit-elle près de quatre fois plus de temps que celle du Taiping guangji ? Le premier facteur venant à l'esprit est bien entendu la taille deux fois supérieure de l'ouvrage, puisque le yulan comportait 1'000 juan contre 500 pour le guangji. Le nombre de sources consultées était également plus important dans le cas du yulan, la table des sources de ce dernier recensant 1'689 ouvrages, alors que celle du guangji n'en comporte que 343.46 D'autre part, plusieurs des compilateurs accompagnèrent Taizong lors de sa campagne militaire contre le royaume des Han du Nord en 979, ce qui réduisit considérablement les effectifs disponibles.47 Alors que le Taiping guangji avait déjà été achevé à ce moment, la compilation du Taiping yulan prit quant à elle du retard. La question de l'écart entre les durées de compilation des deux ouvrages a souvent été négligée par le passé. Or, il nous semble qu'elle soulève plusieurs points intéressants. Tout d'abord, cela écarte la possibilité selon laquelle les compilateurs travaillaient en classant dans l'un ou l'autre des leishu les textes tirés d'une même source – les menus propos (xiaoshuo) dans le guangji et les textes plus « sérieux » dans le yulan, par exemple. Si tel avait été le cas, les deux livres auraient dû être achevés en même temps. Nous ne sommes d'ailleurs pas certains qu'ils furent compilés simultanément, puisqu'il est tout à fait possible que l'équipe chargée de la compilation se soit d'abord concentrée sur le Taiping guangji avant de s'attaquer au Taiping yulan, ce qui expliquerait le délai nécessaire à l'achèvement de ce dernier. Rappelons ici que ces compilateurs étaient des lettrés ayant passé les examens et qu'ils avaient par conséquent une excellente connaissance des Classiques et autres textes « utiles à l'étude ». Or, ce sont précisément ces mêmes textes qui devaient constituer le Taiping yulan, alors que les récits du Taiping guangji ne présentaient selon toute vraisemblance

45 Selon Johannes Kurz, il est probable que le titre fut changé le 25 janvier 985, voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997), p. 58. 46 À noter que le nombre réel des sources consultées était en fait bien plus élevé pour les deux ouvrages. Voir Zeng Lijun, « Taiping guangji de wenxianxue yanjiu zongshu » , in Wenxian , No. 4 (octobre 2010), pp. 117-125. 47 John Haeger estime en effet que Li Fang, Hu Meng, Li Mu, Song Bai et Xu Xuan se déplacèrent avec l'empereur à cette occasion. Voir « The Significance of Confusion : The Origins of the T'ai-p'ing yü-lan », in Journal of the American Oriental Society 88 (1968), pp. 403-404.

- 19 - qu'un intérêt limité à leurs yeux.48 Ayant ainsi reçu l'ordre de compiler les deux ouvrages, Li Fang et ses collaborateurs décidèrent peut-être de débuter par celui qu'ils considéraient comme le moins important, avec l'idée de l'achever rapidement afin de pouvoir se concentrer pleinement sur le yulan par la suite. D'autre part, comme ils n'étaient apparemment soumis à aucun schéma préétabli – les seules instructions mentionnées dans le Yuhai concernant le guangji étant le genre des textes qu'il devait contenir –, ils jouissaient d'une certaine liberté dans l'établissement des catégories et l'organisation générale de l'ouvrage, ce qui put avoir pour effet de raccourcir la durée de compilation. Sur ce point, comme nous le verrons plus tard, ils s'inspirèrent de plusieurs recueils de menus propos datant notamment des Tang, et dont la taxinomie était déjà bien établie. Bien qu'aucune explication concernant l'écart conséquent entre les durées de compilations des deux leishu ne soit entièrement convaincante, les suppositions données ci-dessus nous semblent cohérentes avec les éléments cités précédemment.

Un même projet, des intentions différentes

Le possible manque d'enthousiasme des compilateurs à l'égard du Taiping guangji ne lui enlève cependant pas sa valeur de leishu en tant qu'ouvrage de référence. Preuve en est la volonté de la part du pouvoir impérial de le diffuser au plus grand nombre, puisqu'il fut effectivement gravé sur planche xylographique. La gravure des planches étant une entreprise longue et fastidieuse, elle n'était effectuée que dans le but d'en retirer plusieurs copies, alors qu'un simple exemplaire manuscrit aurait suffi pour archiver l'ouvrage. Ainsi, et bien qu'il ne connut finalement qu'une diffusion très limitée sous les Song du Nord, le Taiping guangji semblait à l'origine destiné à être imprimé et distribué. Or, ce n'était pas le cas du Taiping yulan. Lors d'une discussion avec Tian Xi (940-1104), Taizong lui aurait en effet confié qu'il se sentait honteux de ne pas posséder de bonnes connaissances historiques et qu'il avait besoin d'une ligne directrice pour l'aider à gouverner.49 Le Taiping yulan lui permettait justement de combler ces deux lacunes, et il est probable qu'il ait

48 Il y avait cependant des exceptions : Xu Xuan et Wu Shu ayant été des amateurs de menus propos reconnus. Nous reviendrons sur leur cas dans la partie consacrée aux compilateurs du Taiping guangji, voir pp. 28-31. 49 Tian Xi était un lettré employé dans l'Institut d'historiographie lors du règne de Taizong. Sa discussion avec l'empereur est notamment rapportée dans le Yuhu qinghua , ouvrage historique non officiel datant des Song du Nord. Voir Johannes Kurz, « The Compilation and Publication of the Taiping yulan and the Cefu Yuangui », p. 45.

- 20 - ordonné sa compilation dans ce but précis. Le fait que l'empereur le lut en entier peu après son achèvement, puis qu'il ne le fit pas imprimer, pourrait donc indiquer qu'il l'avait avant tout commandé pour son usage personnel, et non pas pour le rendre accessible au plus grand nombre.50 Le Taiping yulan et le Taiping guangji constituaient ainsi le premier des grands projets culturels de Taizong. Ce projet servait plusieurs buts : permettre à l'empereur de se présenter comme héritier légitime de la culture Tang, préserver les textes afin d'éviter les mêmes pertes que lors de la période des Cinq Dynasties, et donner aux lettrés et hauts fonctionnaires des territoires vaincus un emploi généreusement rétribué afin d'étouffer toute velléité de révolte. Les deux ouvrages ne furent cependant pas compilés avec les mêmes intentions : alors que le yulan semblait être plus particulièrement destiné à l'édification de l'empereur, il était prévu, dans un premier temps du moins, d'imprimer et de distribuer le guangji. Si l'on comprend bien la volonté de Taizong d'utiliser le yulan comme un ouvrage de référence à son usage personnel, les raisons qui le poussèrent à ordonner la compilation d'un leishu regroupant des textes traditionnellement considérés pour leur plus grande part comme anecdotiques, qui plus est dans le but de le diffuser, restent à ce jour obscures. Pour tenter de répondre à cette interrogation, nous allons dès à présent nous pencher sur les spécificités de la compilation du Taiping guangji, à commencer par ses compilateurs.

50 Il est cependant également possible que la diffusion du Taiping yulan se soit faite par recopie manuscrite. Cette technique avait pour effet de limiter les erreurs, puisqu'elle employait des lettrés ayant déjà une connaissance des textes, alors que la gravure sur planche était assurée par des artisans qui recopiaient parfois les écrits sans les comprendre. La copie manuscrite étant un processus lent, notamment dans le cas d'un ouvrage comme le yulan qui comportait 1'000 juan, il est fort probable qu'une édition imprimée aurait été préférée si l'empereur avait voulu distribuer l'ouvrage à grande échelle.

- 21 - Les compilateurs du Taiping guangji

Maintenant que nous avons déterminé l'appartenance du Taiping guangji au projet culturel global de l'empereur Taizong, poursuivons notre réflexion en tentant d'analyser les circonstances précises de sa compilation. Bien que les leishu avaient pour but de présenter un savoir de manière objective, les personnes chargées de leurs compilations ont toujours eu une certaine influence sur le sens que pouvaient prendre les textes les composant. Il nous semble donc important de revenir ici un peu plus en détail sur les compilateurs du Taiping guangji.

La question de l'auteur

Lorsque nous sommes confrontés à un ouvrage tel que le Taiping guangji, un leishu composé à partir d'extraits d'écrits préexistants, il est parfois difficile de déterminer qui en est l'auteur. S'agit-il des personnes ayant rédigé les textes originaux ? De l'empereur ayant ordonné sa compilation ? Des compilateurs ayant sélectionné et arrangé les extraits ? Ou bien encore des éventuels scribes ou autres employés subalternes qui pouvaient être amenés à effectuer le travail de copie ?51 Bien que la réponse soit bien entendu constituée d'un savant mélange du labeur de toutes ces personnes, nous allons nous concentrer ici sur les compilateurs, car ce sont eux qui eurent pour tâche de choisir les textes et d'organiser les catégories de l'ouvrage. Selon l'ordre donné par l'empereur et retranscrit dans le Yuhai, seuls la taille de l'ouvrage et le genre des textes à rassembler étaient précisés, ce qui semblait laisser aux compilateurs une certaine liberté quant à l'établissement des catégories. Ainsi, même si la volonté de compiler un tel ouvrage émana de l'empereur, et que ce dernier en fixa les modalités générales, ce sont bien Li Fang et ses collaborateurs qui furent à l'origine du système de classification. Certains pourraient arguer qu'il ne s'agissait là que d'un travail

51 Sheng Li rapporte par exemple que l'Institut d'historiographie, dans lequel fut compilé le Taiping guangji, employait des fonctionnaires auxiliaires , des rédacteurs , des historiographes , des collationneurs et des annalistes officiels qui se partageaient le travail, sans toutefois avoir de pouvoir de décision éditorial à proprement parler. Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, p. 121.

- 22 - purement éditorial52, mais choisir des textes, les regrouper sous une appellation commune, organiser ces groupes en leur donnant un ordre précis : tout cela avait pour effet d'influer sur le sens des écrits originaux. En élaborant une taxinomie spécifique afin de classer ces récits, les compilateurs organisèrent le monde selon un système soigneusement défini, et qui reflétait leur façon de penser. Étant donné que l'une des préoccupations principales de ce travail consiste justement à comprendre de quelle manière ces catégories furent arrangées, nous considérons donc les compilateurs comme étant les auteurs principaux du Taiping guangji.

Les compilateurs

Qui étaient donc ces lettrés chargés de l'ouvrage ? Le passage du Yuhai citant le Taizong shilu que nous avons traduit plus haut fait état d'une liste de quatorze personnes affectées à la compilation des deux leishu, mais les compilateurs varièrent légèrement d'un ouvrage à l'autre. Pour ce qui est du Taiping guangji, sa « Notice »53 nous donne les personnes suivantes :

52 Fu Daiwie oppose par exemple les « auteurs » de biji aux « éditeurs » de leishu. Voir Fu Daiwie, « The Flourishing of Biji or Pen-Notes Texts and its Relations to History of Knowledge in Sung China (960-1279). », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors-série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, Presses Universitaires de Vincennes, juin 2007, p. 104. 53 La « Notice » du Taiping guangji qui se trouve dans l'édition de Tan Kai est composée de trois parties : la première décrit les intentions ayant guidé les compilateurs dans leur travail ; la seconde nous donne les dates de l'achèvement et de l'impression de l'ouvrage, ainsi que la liste des compilateurs ; la troisième consiste en une petite préface ajoutée par Tan Kai et datée de 1566. Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, pp. 1-4.

- 23 -

Lü Wenzhong et Wu Shu, Officiers de cour chargés de l'étiquette et Directeurs adjoints des manufactures et ateliers impériaux ; Chen E, Grand maître des audiences, Conseiller du milieu chargé d'admonester le prince héritier, Pilier de l'État et Porteur du Poisson pourpre55 ; Zhao Linji, Grand maître du palais, Conseiller de gauche chargé d'admonester le prince héritier et Rectificateur de l'Institut d'historiographie ; Dong Chun, Gentilhomme du service de cour au service du prince héritier et Porteur du Poisson pourpre ; Wang Kezhen et Zhang Ji, Grands maîtres du service de cour au service du prince héritier et Porteurs du Poisson pourpre ; Song Bai, Gentilhomme du service de cour, Censeur de gauche et Rectificateur de l'Institut d'historiographie ; Xu Xuan, Grand maître de service permanent, Directeur des veilles et des clepsydres du prince héritier, Grand pilier de l'État et Porteur du Poisson pourpre ; Tang Yue, Grand officier du palais à sceau d'or et ruban pourpre, Grand pilier de l'État, Baron de Chen avec le revenu de 300 foyers ; Li Mu, Grand maître de clôture d'audience, Compilateur de l'Institut d'historiographie, Grand pilier de l'État et Porteur du Poisson pourpre ; Hu Meng, Académicien Hanlin, Grand maître du service de cour, Grand secrétaire du Grand secrétariat impérial et Porteur du Poisson pourpre ; Li Fang, Académicien Hanlin, Grand maître de l'harmonie au palais, Ministre des Finances, Rédacteur des édits impériaux, Grand pilier de l'État, Baron fondateur de la principauté de Longxi avec le revenu de 300 foyers et Porteur du Poisson pourpre.

Zhang Guofeng considère cette liste comme étant en accord avec celle donnée dans un autre passage du Yuhai, qui cite cette fois-ci le Song huiyao56, et dans lequel il est expliqué que les équipes ayant travaillé sur les deux leishu étaient semblables, à l'exception de Li Keqin , Xu Yongbin et Ruan Sidao qui furent remplacés par Wang Kezhen , Dong Chun et Zhao Linji dans le cas du Taiping

54 « Taiping guangji biao » Taiping guangji, op. cit., pp. 1-2. 55 Le « Poisson pourpre » était un ornement porté à la ceinture par les fonctionnaire de 3e degré et au dessus. Voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997), p. 91. 56 Le Song huiyao était un ouvrage historique sur la période de la dynastie Song. Jamais achevé, il fut finalement publié en l'état lors de la dynastie Qing .

- 24 - guangji.57 Il semblerait par contre que Shu Ya ne participa pas à la compilation.58 Dans ce travail, nous considèrerons donc les treize lettrés cités dans la « Notice » comme étant les compilateurs du Taiping guangji. Voici quelques indications biographiques à leur sujet59 :

Li Fang (925-996) travailla sur le Taiping yulan, le Taiping guangji et le Wenyuan yinghua, qui lui furent tous trois commandés. Originaire de Raoyang (Henan actuel), il passa le jinshi 60 entre 948 et 950. Il débuta ensuite sa carrière sous les Han postérieurs, puis oeuvra sous les Zhou postérieurs, avant de passer au service des Song. Il fut notamment fait Académicien Hanlin par Taizu, puis Ministre des Finances par Taizong. Hu Meng (915-986) travailla sur le Taiping yulan, le Taiping guangji et le Wenyuan yinghua. Originaire de Youzhou (Hebei actuel), il passa le jinshi entre 937 et 943, puis débuta sa carrière sous les Han postérieurs. Il était le seul des compilateurs, avec Li Fang, à posséder le prestigieux titre d'Académicien Hanlin. Li Mu (928-985) travailla sur le Taiping yulan, le Taiping guangji et le Wenyuan yinghua.

Originaire de Kaifeng (Henan actuel), il passa le jinshi en 954, et commença sa carrière sous les Zhou postérieurs. Il fut notamment Correcteur de gauche sous Taizong, avant de devenir directeur de l'Institut d'historiographie en 978. Tang Yue (?-?) travailla sur le Taiping yulan et le Taiping guangji. Titulaire du jinshi, il commença sa carrière sous les Tang du Sud. Xu Xuan (917-992) travailla sur le Taiping yulan, le Taiping guangji et le Wenyuan yinghua. Originaire de Yangzhou (Jiangsu actuel) et titulaire du jinshi, il débuta sa carrière sous les Tang du Sud. Lors du règne de Li Yu , dernier souverain des Tang du Sud, il occupa notamment la charge de Ministre des Rites.

57 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, pp. 1-4. 58 Certains chercheurs n'excluent cependant pas totalement sa participation, voir Zeng Lijun, « Taiping guangji de wenxianxue yanjiu zongshu », p. 121 ; et Guo Bogong, Song sidashu kao . Shanghai : Shangwu yinshuguan, 1940, p. 53. 59 Les indications biographiques des compilateurs que nous donnons ici sont en large partie reprises du livre de Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997). Nous avons choisi de ne garder que des informations très succinctes. Pour des biographies plus complètes, voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997), pp. 63-87 et 94-98. 60 Le jinshi était un grade décerné en Chine ancienne à l'issu des examens impériaux, dont il était le plus haut degré à l'époque de la dynastie Song. Voir John Chaffee, The Thorny Gates of Learning in Sung China : A Social History of the Examinations. Albany : State University of New York Press, 1995, p. 15.

- 25 - Song Bai (933-1009) travailla sur le Taiping yulan, le Taiping guangji et le Wenyuan yinghua. Originaire de Daming (Hebei actuel), il passa le jinshi en 961 et est ainsi le seul des compilateurs à avoir débuté sa carrière sous les Song. Il devint notamment compilateur à l'Institut d'historiographie en 980. Wang Kezhen (929-989) ne travailla que sur le Taiping guangji. Originaire de Luling (Jiangxi actuel), il passa le jinshi en 951 et débuta sa carrière sous les Tang du Sud. Zhang Ji (937-997) travailla sur le Taiping yulan et le Taiping guangji. Originaire de Chuzhou (Anhui acuel) et titulaire du jinshi, il débuta sa carrière sous les Tang du Sud. Dong Chun (?-?) ne travailla que sur le Taiping guangji. Il passa le jinshi en 951 et commença ainsi sa carrière sous les Zhou postérieurs. Zhao Linji (921-979) ne travailla que sur le Taiping guangji. Originaire de Yunzhou (Shandong actuel), il passa le jinshi en 955 et débuta sa carrière sous les Zhou postérieurs. Chen E (?-?) travailla sur le Taiping yulan et le Taiping guangji. Probablement originaire du Sichuan, il était titulaire du jinshi et débuta sa carrière sous les Shu postérieurs (934-965). Lü Wenzhong (?-?) travailla sur le Taiping yulan et le Taiping guangji. Originaire de la région du Anhui actuel, il passa le jinshi sous les Tang du Sud, où il débuta également sa carrière. Wu Shu (947-1002) travailla sur le Taiping yulan, le Taiping guangji et le Wenyuan yinghua. Originaire de Runzhou (Jiangsu actuel), il passa le jinshi entre 965 et 975, et débuta sa carrière sous les Tang du Sud.

Les éléments biographiques cités ci-dessus semblent confirmer deux points dont nous avons déjà parlé : les compilateurs possédaient tous un statut élevé, et ils provenaient pour la plupart de royaumes du sud qui furent intégrés dans l'empire des Song. Ainsi, ces hommes avaient tous passé le jinshi et assurèrent diverses charges officielles sous les Song ou dans leurs royaumes respectifs avant d'être enrôlés par Taizong dans le cadre de son projet de compilation. Ils n'étaient donc pas de simples fonctionnaires, mais comptaient parmi les meilleurs lettrés du début de la dynastie Song, ce qui montre l'importance donnée par l'empereur au yulan et au guangji. D'autre part, nous pouvons constater que sur les treize

- 26 - hommes ayant participé à la compilation du Taiping guangji, six provenaient du Royaume des Tang du Sud, conquis en 975 ; un était originaire du Royaume des Shu postérieurs, conquis en 965 ; et les six autres étaient au service des Song depuis leur fondation. La forte proportion de lettrés du sud – sept sur treize – tend ainsi à confirmer l'intention de Taizong de s'assurer leur soutien, tout en unifiant intellectuellement l'empire. Ce sont cependant deux lettrés du nord, servant les Song depuis leur fondation, qui furent placés par l'empereur à la tête du projet. Sheng Li estime que l'ordre des compilateurs dans la « Notice » – que nous avons respecté ci-dessus – déterminait leur degré d'implication dans l'ouvrage61, ce dont nous ne sommes pas convaincus. On trouve des informations sur la plupart d'entre eux dans le Songshi 62 , mais seuls les passages sur Wu Shu et Lü Wenzhong signalent leur participation au Taiping guangji. John Haeger y voit un signe de la relative insignifiance du projet de compilation de Taizong : aucune des biographies des compilateurs trouvées dans le Songshi – à part celles de deux lettrés de moindre importance – ne mentionnant le yulan ou le guangji.63 Cependant, comme le fait remarquer Johannes Kurz, le Songshi ne saurait être considéré comme une source fiable sur les compilateurs des deux leishu de Taizong : c'est en effet le seul à citer un certain Zhang Hong (939-1001) comme ayant contribué au Taiping yulan.64 Il est difficile d'évaluer l'implication réelle de chacun des compilateurs : certains estiment par exemple que Li Fang, bien qu'il fût responsable, ne joua pas un grand rôle dans la compilation, car il était trop occupé par ses autres fonctions officielles.65 Nous ne sommes cependant pas de cet avis, et il semblerait bien qu’il gardait un certain pouvoir de décision quant aux textes devant être intégrés au Taiping guangji.66 Deux noms reviennent

61 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, pp. 116-120. 62 Commandé en 1343 lors de la dynastie Yuan , le Songshi (« Histoire des Song ») est un ouvrage historique couvrant la période de la dynastie Song (960-1279). 63 Voir John Haeger, « The Significance of Confusion : The Origins of the T'ai-p'ing yü-lan », in Journal of the American Oriental Society, No. 88 (1968), pp. 401-410. 64 Bien que Zhang Hong fut effectivement un lettré travaillant à l'Institut d'historiographie, il semble peu probable qu'il ait participé aux leishu de Taizong. Voir Johannes Kurz, « The Compilation and Publication of the Taiping yulan and the Cefu Yuangui », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors-série, Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, Presses Universitaires de Vincennes, juin 2007, p. 51. 65 Voir William Nienhauser « T'ai-p'ing kuang-chi », in The Indiana Companion to Traditional Chinese Literature, p. 745. 66 Niu Jingli est d'ailleurs en accord avec l'idée que Li Fang n'était pas une simple figure, mais qu'il participa activement à la compilation du Taiping guangji. Voir Niu Jingli , « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang . Tianjin : Nankai daxue chubanshe, 2008, p. 16.

- 27 - tout de même à plusieurs reprises lorsqu'il s'agit de déterminer les contributeurs les plus actifs du Taiping guangji : Xu Xuan et Wu Shu.67

Xu Xuan et Wu Shu

Xu Xuan et son beau-fils Wu Shu étaient tous deux de fameux lettrés du Royaume des Tang du Sud. Ils sont souvent considérés comme ayant particulièrement influencé le Taiping guangji car ils étaient de grands amateurs de zhiguai. Leur expertise dans ce domaine leur permit certainement de compter parmi les meilleurs spécialistes de menus propos du Xe siècle. Ils pouvaient de plus compter sur d'excellentes compétences littéraires : Peter Bol estime à ce titre que Xu Xuan fut le plus doué des lettrés des Cinq Dynasties à obtenir un poste à la cour des Song. Tout comme Taizong, il était un fervent défenseur de l'éducation littéraire, considérant que le savoir lettré et l'État étaient étroitement liés.68 Originaire de Yangzhou dans le Jiangsu actuel et lettré précoce, Xu Xuan servit tout d'abord la cour du Royaume de Wu, puis celle des Tang du Sud à partir de 937. Il fut exilé puis gracié à plusieurs reprises, notamment à cause de différends avec des personnes haut placées. Il finit cependant par gravir les échelons administratifs et accumula les postes importants, notamment lors du règne de Li Yu, dernier souverain des Tang du Sud. Lors de l'offensive des Song en 975, Li Yu dépêcha Xu Xuan afin de négocier la paix avec Taizu, mais les pourparlers échouèrent et le pays fut intégré à l'empire. Il suivit alors Li Yu à Kaifeng où il fut assigné à un nouveau poste de moindre importance, son rang ayant été rabaissé. Li Fang le recommanda alors auprès de l'empereur, ce qui permit à Xu Xuan de recevoir une charge plus en adéquation avec ses capacités. Il intégra ensuite l'équipe de compilation du Taiping yulan et du Taiping guangji. À noter qu'il était également un spécialiste du Shuowen jiezi , dont il révisa une version en 979 sur ordre de Taizong.69 Xu Xuan appréciait beaucoup les histoires étranges telles que les zhiguai. Certains en auraient d'ailleurs profité, inventant toutes sortes de récits fantastiques dans l'espoir

67 Voir par exemple Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 17-18 ; Lu Xun, A Brief History of Chinese Fiction. Pékin : Foreign Languages Press, 1976, p. 117 ; William Nienhauser « T'ai-p'ing kuang-chi », in The Indiana Companion to Traditional Chinese Literature, pp. 744-745. 68 Voir Peter Bol, " This Culture of Ours " : Intellectual Transitions in T'ang and Sung China, pp. 156-157. 69 Sur Xu Xuan, voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997), pp. 72-77 ; et Helmut Wilhelm, « Hsü Hsüan » in Herbert Franke (éd.), Sung Biographies. Wiesbaden : Franz Steiner, 1976, pp. 424-427.

- 28 - d'obtenir des faveurs de sa part.70 Cette passion lui inspira la compilation d'un ouvrage rassemblant des anecdotes surnaturelles qu'il compléta en 955 : le Jishen lu , « Recueil d'observations sur les esprits ». De nombreuses histoires de ce recueil furent d'ailleurs intégrées au Taiping guangji, dont il constitue l'une des sources les plus tardives. Une anecdote sur ce sujet est rapportée dans le Fengchuang xiaodu 71 :

Quand l'Empereur Taizong ordonna à des lettrés-fonctionnaires de compiler le Taiping guangji, Xu Xuan ne faisait pas partie des compilateurs. Or, il avait lui- même rédigé le Jishen lu. Bien qu'il désirait que ses textes soient sélectionnés, il n'osa pas agir de lui-même. Il en informa alors Song Bai, lui demandant d'intervenir auprès de Li Fang. [Ainsi, Song Bai parla en ces mots à Li Fang] : « Xu Xuan, l'Officier chargé d'observer la clepsydre de nuit, a pu rassembler de nombreuses observations sur le monde. Comme il ne s'agit pas de ses propres observations, ne pourrait-on pas les intégrer en tant qu'anecdotes oubliées des Song ? » Ce à quoi Li Fang répondit : « Si le Jishen lu ne comporte aucun récit de la main même de l'Officier chargé d'observer la clepsydre de nuit, il faut sans nul doute intégrer ces écrits dans notre ouvrage. » Par conséquent, ces textes furent recueillis.

Ce passage est intéressant pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il semble affirmer que Xu Xuan ne faisait à l'origine pas partie de l'équipe de compilation du Taiping guangji ; il s'agit cependant de la seule source faisant état d'un tel cas de figure, il convient donc de rester prudent sur ce point. D'autre part, l'anecdote est révélatrice de la position de Li Fang dans la composition du Taiping guangji : c'est à lui que Song Bai s'adresse pour pouvoir

70 Voir Ting Ch'uan-ching et Djang Chu, A Compilation of Anecdotes of Sung Personalities. Collegeville : St. John's University Press, 1989, pp. 140-145. 71 Le Fengchuang xiaodu est un biji en deux juan composé par Yuan Jiong et Yuan Yi lors de la dynastie Song. Il est constitué de diverses observations sur la période des Song du Nord (960-1126), notamment des descriptions de la capitale. 72 Fengchuang xiaodu, juan 1.

- 29 - intégrer le Jishen lu. C'est donc Li Fang qui semblait détenir le dernier mot sur les textes à rassembler dans le Taiping guangji. D'après Helmut Wilhelm, Xu Xuan nourrissait également de l'intérêt envers certains principes du taoïsme : il étudia le Daode jing et participa à l'établissement du canon taoïque.73 Il est en revanche difficile de cerner ses sentiments concernant le bouddhisme. Lorsque Zanning intégra la cour des Song,74 Xu Xuan douta dans un premier temps de ses capacités, mais il finit par considérer le moine avec grand respect, après que celui-ci eut démontré sa maîtrise des classiques confucéens.75 Une autre anecdote intéressante sur la relation de Xu Xuan au bouddhisme se trouve dans le Shishi leiyuan 76 :

Xu Xuan n'était pas bouddhiste, mais il appréciait grandement les histoires de fantômes et autres esprits. Lorsqu'il était en poste au Jiangnan, [sous les Tang du Sud,] le souverain lui demandait souvent : « Les écrits bouddhiques renferment une signification profonde, ne devrais-tu pas plutôt examiner ceux-ci ? » Et Xu Xuan de répondre : « Ma nature n'étant pas suffisamment élevée, je serais bien incapable d'en saisir le sens. »

La première phrase de ce passage a parfois été sortie de son contexte et mal interprétée, notamment par Ting Ch'uan-ching et Djang Chu qui la traduisirent ainsi : « Bien que Xu Xuan ne fût pas bouddhiste, il appréciait grandement les histoires de fantômes et autres esprits. »78, ce qui induit que le fait d'être bouddhiste était une condition pour apprécier ce genre d'histoires. Or, si on lit la suite de l'anecdote, on se rend compte qu'au contraire, le souverain – qui lui était bouddhiste – considère que les « histoires de

73 Helmut Wilhelm, « Hsü Hsüan », in Sung Biographies, pp. 424-427. 74 Voir la partie « Contexte historique et culturel », pp. 10-11. 75 Voir Albert Dalia, « The "Political Career" of the Buddhist Historian Tsan-ning », in Buddhist and Taoist Studies in Medieval Chinese Society, p. 170. 76 Le Shishi leiyuan, édité par Jiang Shaoyu , est un leishu rédigé au début des Song du Sud. Il contient surtout des anecdotes historiques datant des Cinq Dynasties et des Song du Nord. Pour une édition moderne, voir Shishi leiyuan . Shanghai : Shanghai guji chubanshe, 1981. 77 Shishi leiyuan, juan 65. 78 Voir Ting Ch'uan-ching et Djang Chu, A Compilation of Anecdotes of Sung Personalities, p. 144. Cette interprétation fautive a par ailleurs été reprise par Alistair Inglis dans Hong Mai's Record of the Listener and Its Context. New York : State University of New York Press, 2006, pp. 51-52.

- 30 - fantômes » sont superficielles et que Xu Xuan ferait mieux de consulter les textes sacrés plutôt que de perdre son temps avec celles-ci. Wu Shu, le second compilateur que nous considérons comme particulièrement actif, avait quant à lui passé le jinshi sous les Tang du Sud, où il occupa un poste de secrétaire à la cour. Lorsque le royaume fut défait en 975, il eut quelques difficultés à trouver un poste et dut passer de nouveaux examens avant d'intégrer l'équipe des compilateurs du Taiping yulan et du Taiping guangji. Il s'intéressait tout particulièrement aux leishu et aux zhiguai et il fut également l'auteur de deux autres recueils de menus propos : le Jianghuai yiren lu , « Notes sur les hommes extraordinaires des régions du Jiang Huai » et le Yiseng ji , « Recueils de moines extraordinaires ».79 Kenneth DeWoskin considère Xu Xuan et Wu Shu comme des « Song zhiguai revivalists »80, représentatifs de l'intérêt porté à cette ancienne forme de littérature sous les Song. Johannes Kurz estime lui qu'ils étaient plutôt les représentants d'une tradition qui aurait survécu dans le sud.81 Les deux lettrés faisaient en tout cas partie des meilleurs spécialistes de ces textes à l'époque du Taiping guangji, et il est fort probable qu'ils aient joué un rôle de premier plan dans la compilation de l'ouvrage. C'est pour ces raisons, et sans toutefois négliger les autres compilateurs, que nous les considérons comme les contributeurs potentiellement les plus importants, en compagnie de Li Fang.

79 Sur Wu Shu, voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997), pp. 80-84. 80 Voir Kenneth DeWoskin, « Chih-kuai » in The Indiana Companion to Traditional Chinese Literature, p. 283. 81 Voir Johannes Kurz, Das Kompilationsprojekt Song Taizongs (reg. 976-997), p. 83.

- 31 - La spécificité du Taiping guangji

Penchons-nous à présent sur les différents éléments qui faisaient la spécificité du Taiping guangji, notamment par rapport au Taiping yulan. Nous avons en effet affirmé que les deux ouvrages différaient quant à leur contenu, sans toutefois réellement préciser de quelle manière. Il nous faut donc voir quelles étaient les caractéristiques communes aux textes composant le guangji, et de quelles sources ils furent tirés. Commençons cependant par nous interroger sur le sens du titre donné à ce leishu.

Le titre : « Taiping guangji »

Taiping guangji est généralement traduit en français par « Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix ».82 Or, cette traduction nous paraît en partie inexacte. « Taiping » semble bien désigner le nom de l'ère lors de laquelle l'ouvrage fut compilé, l'ère Taiping xingguo (976-984), « Ère de la Grande Paix » est donc une traduction tout à fait justifiée. Par contre, « guangji » ne saurait être traduit par « vaste recueil », car « guang » (vaste, large) ne semble pas se rapporter à « ji » (recueil, notes) dans le sens d'un recueil de grande taille. Il marque plutôt le fait que les textes composant le Taiping guangji faisaient partie d'un genre qui était traditionnellement jugé comme étant en dehors des limites de ce qui constituait le corpus classique des leishu. Lors de l'époque des Six Dynasties, les zhiguai étaient par exemple considérés comme de l'Histoire secondaire, ayant un statut inférieur aux ouvrages historiques plus orthodoxes. En cela, « guang » pourrait ici être compris dans son sens d'« élargir », car le champ des textes inclus dans l'ouvrage était « élargi » par rapport à celui des leishu plus classiques. En ordonnant la compilation du Taiping guangji, Taizong avait pour but d'inclure ces écrits pour la première fois, manifestant ainsi son intérêt envers tous les aspects de la société, comme nous l'avons vu précédemment. Il est également possible que le « guang » se réfère à une « vaste période de temps », mais la solution la plus probable nous paraît être celle du « corpus élargi ». La traduction anglaise

82 Solange Cruveillé propose également « La Somme » comme traduction possible. Voir « Études et traductions sur le Taiping Guangji (Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix) », Impressions d'Extrême-Orient [En ligne], 2 | 2011, mis en ligne le 05 décembre 2011, Consulté le 25 octobre 2013. URL : http:// ideo.revues.org/216

- 32 - généralement acceptée pour le titre de l'ouvrage, « Extensive Records of the Taiping Era », se rapproche d'ailleurs de ce sens là, « extensive » signifiant à la fois « vaste » et « approfondi ». Quant au « ji », il nous semble également que le terme « recueil » ne lui rende pas totalement justice. Le premier sens donné par le Grand Ricci pour ce caractère est : « garder en mémoire ; se souvenir de ; se rappeler ».83 De même, Hilde De Weerdt estime que l'un des buts des leishu était de « copier pour préserver ».84 Le Taiping guangji n'échappe pas à cette règle : suite aux ravages occasionnés par les conflits armés de la période des Cinq Dynasties, Taizong avait certainement à coeur d'assurer la transmission de la culture écrite des époques précédentes. Bien que cela ne fut probablement pas la principale raison ayant entraîné la compilation de l'ouvrage, il serait malheureux de la négliger. Ainsi, et bien que le terme « recueil » soit somme toute acceptable, nous estimons qu'il ne traduit pas suffisamment cette volonté d'empêcher les écrits de tomber dans l'oubli. L'association des caractères « guang » et « ji » dans un titre d'ouvrage était assez inhabituelle : selon Qian Zhongshu85, le seul autre exemple antérieur serait le Guangyi ji . 86 Ce livre est d'ailleurs cité dans la table des sources du Taiping guangji, ce qui montre que les compilateurs en avaient connaissance et qu'ils auraient donc pu s'en inspirer. Suite à ces différentes observations, nous proposons donc la traduction suivante pour « Taiping guangji » : Collection étendue de l'ère Taiping. Pour une question de cohérence, nous continuerons cependant d'utiliser la transcription en pinyin dans la suite de ce travail.

Les caractéristiques communes aux textes composant le Taiping guangji

Même si le champ des textes était « élargi », les compilateurs durent tout de même fixer un cadre clair aux écrits devant être inclus dans l'ouvrage. L'ordre impérial retranscrit dans le Yuhai ne nous donne que peu d'informations à ce sujet : « Ils devaient également rassembler des histoires non officielles, des biographies, des menus propos et d'autres textes

83 Grand Ricci Numérique, version 1.0, Association Grand Ricci, 2010. 84 Voir Hilde De Weerdt, « The Encyclopedias as Textbook : Selling Private Chinese Encyclopedias in the Twelth and Thirteenth Centuries », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors-série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, Presses Universitaires de Vincennes, juin 2007, p. 84. 85 Voir Qian Zhongshu , « Taiping guangji » , in Guanzhui bian , Vol. 2. Pékin : Zhonghua shuju, 1986, p. 639. 86 Le Guangyi ji est un recueil de menus propos datant de la dynastie Tang. Aujourd'hui en grande partie perdu, il contenait plus de trois cents histoires relatant des phénomènes étranges en tous genres.

- 33 - divers afin de les compiler en un livre de 500 juan. » Comme nous l'avons mentionné, les récits contenus dans le Taiping guangji peuvent être considéré comme étant des menus propos (xiaoshuo), dont le Dictionnaire de littérature chinoise donne la définition suivante : « Le xiaoshuo a vocation d'inclure tous les écrits "non canoniques", c'est-à-dire les faits ou idées hors du domaine reconnu par l'orthodoxie lettrée, mais d'un intérêt documentaire exigeant leur conservation ».87 Parmi ceux-ci, le guangji se concentrait presque uniquement sur les zhiguai et les chuanqi, privilégiant donc les sujets « extraordinaires ».88 Quels étaient cependant les critères précis déterminant l'intégration d'un écrit au Taiping guangji ? Sur ce point, la première partie de la « Notice » pourrait nous aider à mieux comprendre la méthode et les choix des compilateurs :

Li Fang et ses collaborateurs disent : « Nous avons accepté l'ordre impérial nous enjoignant à compiler le Taiping guangji en 500 juan, ce que nous avons fait en sélectionnant humblement [des textes tirés des] Six Ouvrages et des neufs courants de pensée. Tous reflètent la Voie des saints, et [inspectent] entièrement les faits concernant les Dix-mille êtres. Ainsi permettent-ils d'ouvrir [le lecteur] à la sagesse en prenant pour exemple les affaires passées et présentes. Nous espérons sincèrement que le corps tout entier de Sa Majesté l'Empereur s'ouvrira à [la sagesse] des saints, et que sa vertu en sera encore renforcée. Nous avons rassemblé un grand nombre de propos qui, loin d'être vulgaires, sont tous porteurs de vertu. Étant donné l'étendue du champ à ordonner, il est difficile de

87 André Lévy, « Xiaoshuo », in Dictionnaire de littérature chinoise, p. 341. 88 Edward Shafer estime par ailleurs que le Taiping guangji était composé d'environ un tiers de textes datant des Tang, et que la plupart des deux tiers restant étaient des zhiguai des Han et des Six Dynasties. Seule une faible proportion des textes datait des Cinq Dynasties ou des Song. Voir Edward Shafer, « T'ai-p'ing kuang-chi », in Étienne Balazs et Yves Hervouet (éd.), A Sung Bibliography. Hong Kong : The Chinese University Press, 1978, p. 341. 89 « Taiping guangji biao », Taiping guangji, op. cit., p. 1.

- 34 - le considérer dans son entier ; c'est pourquoi nous nous sommes attachés à ne rassembler que les meilleurs de ces textes, et les avons classés par catégories. Il n'y a ici que des faits importants, qu'il convient de faire appartenir aux affaires [qui concernent les] grands érudits. Nous avons [parfois] été trompés par des dires fallacieux, appréciant d'une manière égale [les choses] vulgaires et pures. Or, nous avons soudain reçu de l'Empereur la tâche de promouvoir la culture. Jamais avant nous n'avions eu la capacité d'exposer les faits et, faisant face à nos manquements, nous nous sentons honteux. Cet ouvrage comporte 500 juan et sa table des matières dix juan, soit un total de 510 juan. Vous rendant respectueusement visite par les portes orientales des audiences du Palais, nous vous adressons un mémoire pour que vous preniez connaissance de nos progrès. Importunant ainsi l'Empereur, nous nous prosternons devant vous avec crainte et parlons avec le plus grand des respects.

Bien qu'il ne soit pas certain que la « Notice » ait été rédigée par Li Fang lui-même – puisqu'elle apparaît pour la première fois dans l'édition de Tan Kai, six siècles plus tard – elle rapporte tout de même des propos qui lui sont attribués, nous fournissant certaines informations intéressantes sur les textes qui furent utilisés par les compilateurs, ainsi que sur les buts officiels de l'ouvrage. Concernant les sources, il est précisé que les compilateurs utilisèrent les « Six Ouvrages », liu ji ainsi que des textes des « neuf courants de pensée », jiu liu . Si le terme liu ji désigne le plus souvent les « Six Livres Classiques »90, les six classiques confucéens de la Chine antique, il semble fort peu probable que cela soit le cas ici, aucun de ces livres n'apparaissant dans le Taiping guangji. Il est également peu plausible que liu ji fasse ici référence aux « Six Ouvrages »91, les six principaux traités de l'école chan, qui était le courant dominant du bouddhisme à cette époque.92 À noter que le titre de l'un d'entre eux, le Sutra du Diamant, se retrouve tout de même en tant qu'intitulé d'une sous- catégorie de la partie « Rétribution » . Quant aux « neuf courants de pensée », ils peuvent être interprétés comme « tous les autres courants de pensée », ce qui indiquerait

90 Les Six Livres Classiques sont : le Yi jing ou Livre des Mutations , le Shi jing ou Livre des Odes , le Shu jing ou Livre des Documents , le Li ji ou Livre des Rites , le Chunqiu ou Printemps et Automnes et le Yue jing ou Classique de la Musique . 91 Les Six Ouvrages sont : Le Grand sutra de la perfection et de la sagesse , le Sutra du Diamant , le Sutra de Vimalakirti , le Sutra de la descente à Lanka , le Sutra de l’Éveil Complet , et le Sutra de la Concentration de la Marche Héroïque. 92 Voir Kenneth Ch'en, Buddhism in China. A Historical Survey. Princeton : Princeton University Press, 1964, p. 389.

- 35 - que les compilateurs avaient pour but de couvrir l'entier des différentes coutumes et croyances de la Chine ancienne au travers de leur ouvrage. Néanmoins, cela ne signifiait pas qu'il fallait inclure n'importe quel texte sous prétexte d'être exhaustif ; il est ainsi précisé dans la « Notice » qu'une sélection drastique eut lieu et que seuls « les meilleurs de ces textes » furent intégrés. Vient alors la question du critère de sélection : comment distinguer un « bon texte » d'un mauvais ? La réponse se trouve une nouvelle fois dans la « Notice », puisqu'il y est affirmé que tous les textes composant le Taiping guangji avaient pour effet « d'ouvrir [le lecteur] à la sagesse en prenant pour exemple les affaires passées et présentes ». Les récits devaient donc apprendre quelque chose au lecteur : ils contenaient par conséquent un certain savoir. Le Taiping guangji différait cependant des leishu précédents – et donc du Taiping yulan –, car il ne consistait pas en une suite d'affirmations s'appuyant sur l'autorité de classiques inattaquables, mais plutôt en un catalogue d'exemples organisés par sujet. Au premier abord moins explicite que celui des leishu plus traditionnels, le savoir renfermé dans le Taiping guangji laissait au lecteur une certaine liberté d'interprétation, notamment grâce à la nature narrative des textes le composant. Ainsi, il pouvait parfois transmettre une morale différente, complémentaire à celle prônée par les lettrés confucéens de la cour impériale. On notera également que, dans la « Notice », les compilateurs semblaient destiner l'ouvrage directement à l'empereur, espérant que ce dernier pourrait l'utiliser afin de parfaire sa vertu. Bien qu'aucune source ne fasse mention d'une éventuelle lecture du guangji par Taizong – au contraire du yulan –, il est tout à fait possible que celui-ci l'ait par exemple consulté durant les trois années séparant son achèvement de son impression, entre 978 et 981. Certains s'opposent toutefois à l'idée que les textes du Taiping guangji aient eu pour but de transmettre un savoir ou une morale. Zhang Guofeng estime en effet que les passages de la « Notice » prêtant à l'ouvrage un caractère édifiant ne sont que de belles paroles destinées à satisfaire l'empereur : pour lui, le seul critère de sélection des histoires était leur qualité narrative.93 Au contraire du yulan qui se devait d'être un instrument d'apprentissage, le guangji aurait donc eu pour seule ambition de susciter l'intérêt des lecteurs à l'aide d'histoires hautes en couleurs. Zhang Guofeng en veut pour preuve l'appropriation du Taiping guangji par les conteurs professionnels des époques suivantes ; il nous semble cependant délicat de définir les intentions présidant à la compilation d'un livre en se

93 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, p. 103.

- 36 - reposant sur l'utilisation qui en fut faite quelques dizaines, voire centaines d'années après son achèvement. Il n'est pas ici question de nier la nature narrative des textes composant le Taiping guangji, celle-ci étant effectivement une des conditions principales de l'intégration d'un écrit à l'ouvrage, mais leur retirer toute volonté édifiante nous semble être réducteur. Zhang Guofeng fait d'ailleurs également remarquer qu'au début de la dynastie Song, les menus propos tels les zhiguai et les chuanqi servaient souvent à transmettre des conceptions religieuses, des croyances.94 Dans ce cas, pourquoi le Taiping guangji aurait-il échappé à cette volonté, lui qui était entièrement constitué de ce genre de textes ? Même si les compilateurs du Taiping guangji n'étaient pas eux-mêmes de fervents bouddhistes ou taoïstes, ils agissaient sous ordre de l'empereur et devaient donc se conformer à sa volonté. Si l'aspect moral des récits n'est en effet pas toujours évident, les histoires contiennent toutes des informations qui, misent côte à côte, ont pour effet de définir un concept. C'est donc l'accumulation d'exemples sous forme narrative qui permet au lecteur de comprendre ce qu'était la « rétribution » ou encore un « fantôme », par exemple.95 Prenons ici deux textes issus du Taiping guangji afin d'illustrer nos propos. Le premier, appartenant à la catégorie « Immortels divins » , se trouve dans le quatrième juan du livre et est extrait d'un recueil datant des Six Dynasties (III-IVe siècle) ; le second, appartenant à la catégorie « Végétaux » , se trouve dans le juan 411 et est tiré d'une anthologie datant des Cinq Dynasties (Xe siècle). Par souci de brièveté, nous avons ici choisi deux textes relativement courts, qui ne sont pas forcément représentatifs de la taille des histoires présentes dans le guangji. La longueur des récits varie en effet fortement dans l'ouvrage, ceux-ci allant d'une simple ligne à plusieurs pages.

94 Voir Ibid., p. 104. 95 « Rétribution » et « Fantômes » font tous deux partie des catégories du Taiping guangji.

- 37 -

Feng Gang

Feng Gang était un homme de Yuyang. Il cueillait souvent toutes sortes d'herbes et de fleurs, puis les faisait macérer dans de l'eau à l'intérieur de pots en argiles scellés. [Il les laissait ainsi] du début du premier mois à la fin du neuvième mois, puis les plantait en pleine terre, [les faisant pousser] cent jours durant. Enfin, après la récolte, il les mettait à frire à neuf reprises. Lorsqu'il faisait avaler le produit ainsi obtenu à une personne sur le point de mourir, celle-ci reprenait immanquablement vie sur le champ ! Feng Gang absorbait lui-même souvent ce médicament et il vécut plusieurs centaines d'années sans aucunement souffrir de l'âge. Il se rendit par la suite au mont Difei, où il devint un Immortel.

Tiré du Shenxian zhuan.97

96 Taiping guangji, juan 4, op. cit., p. 24. 97 Le Shenxian zhuan est un recueil de zhiguai traditionnellement attribué à Ge Hong (283-343), lettré taoïste qui vécu lors de la dynastie Jin (263-420).

- 38 -

Plaqueminier99

Durant la dynastie Jin vivait un homme nommé Zhao Ying. Dans la cour de sa maison se trouvait un plaqueminier qui avait étrangement perdu toutes ses feuilles et [qui était d'une telle taille] que l'on pouvait l'apercevoir depuis une très grande distance. Un magicien qui savait lire l'avenir en interprétant les nuages rendit une fois visite à un vieillard, voisin de Zhao Ying, auquel il demanda : « Cette famille là ne compterait-elle pas un ministre parmi ses membres ? » Le vieil homme répondit : « Non, aucun. Mais le nom d'enfance du patriarche est "Xiang'er", Fils-de-ministre, se pourrait-il qu'il s'agisse de lui ? » Le devin dit alors : « Cet endroit est rempli de qi impérial... Celui-ci ne se trouve cependant pas dans le corps de cet homme, mais dans celui de ses descendants. » Après cela, Zhao Ying, partant d'un poste d'adjoint à Taiyuan, obtint les plus hautes fonctions, à la fois militaires et civiles. Tiré du Beimeng suoyan.100

Ces deux textes, bien que séparés par plusieurs centaines d'années, partagent donc un certain nombre de points communs. Tout d'abord, ils sont de nature narrative : ils racontent une histoire et possèdent des personnages, ainsi qu'un début, un développement et une fin. D'autre part, ils s'attachent à donner des éléments concrets, tels le nom de certains protagonistes, la période lors de laquelle l'histoire se déroule, ou encore des indications géographiques. Ce schéma était tout à fait typique des zhiguai et autres chuanqi : en incluant des faits précis dans leurs histoires, les auteurs cherchaient à ancrer leurs récits

98 Taiping guangji, juan 411, op. cit., p. 3337. 99 Le plaqueminier est l'arbre sur lequel pousse les kakis. Le terme nouzao ici employé désignerait une espèce primitive de ce même arbre. 100 Le Beimeng suoyan fut rédigé par Sun Guangxian (900-968) lors de la période des Cinq Dynasties.

- 39 - de phénomènes étranges dans une réalité tangible. La présence d'un élément « surnaturel » – immortalité dans « Feng Gang », capacité à prédire l'avenir dans « Plaqueminier » – est ainsi un autre aspect qui relie les deux textes. Nous avons précédemment affirmé que les récits du Taiping guangji avaient pour but de transmettre un savoir en lien avec certaines coutumes et croyances de la Chine ancienne. Quelles étaient donc les informations enseignées au lecteur dans les deux histoires traduites ci-dessus ? La brièveté des deux textes les empêche de contenir un grand nombre de renseignements, mais ils manifestent chacun un aspect relatif à la catégorie dont ils font partie. « Feng Gang » se situant dans les juan consacrés aux « Immortels divins », l'élément principal à retenir ici serait la possibilité de rallonger sa vie de manière significative en préparant des médicaments spéciaux à base de plantes, et en suivant un procédé précis. Dans « Plaqueminier », qui fait partie de la catégorie « Végétaux », nous apprenons que la présence d'une certaine espèce d'arbre de grande taille qui aurait perdu ses feuilles pouvait être le signe d'un destin faste. Alors que les techniques de prolongement de la vie sont traditionnellement rattachées à des pratiques taoïques, l'interprétation de signes fastes ou néfastes était une science très répandue en Chine ancienne : deux coutumes dont le Taiping guangji transmettait ici des éléments. L'utilité de ce genre d'informations fut cependant rapidement remise en cause par certains lettrés de la cour qui déclarèrent qu'elles « n'étaient pas utiles à l'étude », ce qui eut pour cause de fortement limiter la diffusion de l'ouvrage sous les Song du Nord.101 Sans appliquer systématiquement les remarques faites ci-dessus aux quelques 7'000 récits qui composent le Taiping guangji, nous pouvons cependant dégager deux caractéristiques qui se retrouvent tout au long de l'ouvrage : la nature narrative des textes (à quelques très rares exceptions près) et la présence de phénomènes étranges. Si nous sommes en accord avec Zhang Guofeng sur le fait que l'un des critères principaux de sélection des textes était leur qualité littéraire, ce dans le but de susciter l'intérêt du lecteur, nous nous opposons à l'idée que le Taiping guangji ne constituait qu'un recueil d'histoires divertissantes. En effet, chaque récit contenait des informations qui, une fois regroupées sous une même catégorie, apparaissaient comme un catalogue d'exemple permettant au lecteur de mieux comprendre un sujet donné.

101 Nous reviendrons sur le statut du Taiping guangji sous les Song un peu plus bas, voir pp. 51-56.

- 40 - Afin d'être le plus complet possible, voici également un exemple d'un des rares textes descriptifs, qui se situe à la suite directe de « Plaqueminier » dans la catégorie « Végétaux » :

Kaki

On dit ordinairement que l'arbre à kakis possède sept vertus : un, sa longévité ; deux, l'étendue de son ombre ; trois, l'absence de nid d'oiseaux ; quatre, l'absence de vers ; cinq, la beauté de ses feuilles rouges ; six, le goût succulent de ses fruits ; sept, la taille imposante de ses feuilles lors de leur chute.

Tiré du Youyang zazu.103

Il s'agit là d'une simple énumération des sept vertus de l'arbre en question, sans aucun personnage ou intrigue. L'aspect « fantastique » de l'arbre n'est également pas évident au premier abord, mais le fait que les oiseaux et les vers n'osent visiblement pas s'en approcher pouvait en effet sembler « étrange ». Ces textes de nature descriptive ne se trouvent qu'en très petit nombre dans le guangji, essentiellement dans les catégories liées à la nature, comme « Végétaux » ou encore « Montagnes ». Faisons enfin remarquer que tous les textes présents dans le Taiping guangji comportaient un titre – ce qui n'était pas forcément toujours le cas des recueils de menus propos datant des époques précédentes – et qu'ils mentionnaient presque systématiquement la source de laquelle ils étaient tirés.

102 Taiping guangji, juan 411, op. cit., p. 3337. 103 Le Youyang zazu , est un recueil de menus propos en 30 juan rédigé par Duan Chengshi (803?-863) lors de la dynastie Tang.

- 41 - Différences entre les textes du Taiping guangji et ceux du Taiping yulan

Nous avons vu que le Taiping yulan et le Taiping guangji poursuivaient des buts différents, mais comment cette différence se traduisait-elle dans les faits ? Tout d'abord, le choix des catégories n'était pas le même : alors que le yulan se concentrait sur des thématiques « sérieuses » – telles que « Empereurs et rois », « Affaires militaires », ou « Commerce et agriculture » – le guangji abordait des sujets plus « spirituels » : peu de catégories se retrouvent donc à la fois dans l'un et l'autre des ouvrages. Certaines d'entre elles sont cependant assez proches, nous permettant de comparer les manières de traiter un même sujet dans chacun de ces deux leishu. Nous allons donc donner ici les premières lignes de l'entrée sur les « Esprits » , dans le Taiping yulan, suivi d'un texte de la catégorie également nommée « Esprit » dans le Taiping guangji :

L'extrait du Taiping yulan :

104 Les commentaires des compilateurs sont en petits caractères dans le texte chinois, et entre parenthèses dans la traduction française. 105 Taiping yulan, juan 811. Pour une édition récente, voir Taiping yulan , compilé par Li Fang et coll. Pékin : Zhonghua shuju, 2000.

- 42 - Esprits (première partie)

Dans le Classique des mutations106, il est dit : On nomme « Esprit » ceux chez qui le yin et le yang sont insondables. (Les Esprits sont soumis aux plus extrêmes transformations, on nomme ainsi les êtres merveilleux dont on ne peut reconnaître l'apparence.)

Il est encore dit : Connaître la voie des transformations, n’est-ce pas connaître les agissements de l’Esprit ? (La voie des transformations n’est pas un phénomène volontaire, mais spontané ; par conséquent, celui qui connaît la voie des transformations, connaît également les agissements de l'Esprit.) Seul l'Esprit peut être rapide sans se dépêcher, arriver à destination sans se mouvoir.

Dans les poèmes sur les « Hautes cimes » du Livre des Odes par Mao, il est dit : Des hautes cimes fut envoyé un Esprit, qui donna naissance à Fu et à Shen.

Dans le chapitre « Propos de Confucius se reposant chez lui » du Livre des Rites, il est dit : Lorsque pureté et clarté sont incarnées, le souffle et la volonté sont tels ceux d'un Esprit.

106 Le Classique des mutations, Yijing , le Livres des Odes par Mao, Maoshi , et le Livres des Rites, Liji , qui sont tous trois cités dans ce passage, appartiennent aux Treize canons (le Livres des Odes par Mao étant une version commentée du Livre des Odes ), qui constituaient les textes fondamentaux du confucianisme. Voir Léon Vandermeersch, « Shisan jing », in Dictionnaire de littérature chinoise, pp. 271-276.

- 43 - Le texte du Taiping guangji :

Jiang Taigong108

Lorsque le roi Wen nomma Jiang Taigong sous-préfet de Guantan, une année passa sans que le moindre coup de vent ne fasse siffler les branches. [Un jour cependant,] le roi Wen vit en rêve une superbe jeune femme qui pleurait au beau milieu de la route. é« éèéé àé ééà» é àà é Tiré du .109

Une première différence immédiatement visible dans l'organisation des deux passages est la place donnée aux sources. Dans le Taiping yulan, celles-ci se trouvent en effet au début de chaque citation, alors que dans le Taiping guangji elles sont reléguées à la fin des récits. La raison de cette divergence est bien entendu à chercher du côté du statut des livres cités.

107 Taiping guangji, juan 291, op. cit., p. 2321. 108 La tradition veut que Jiang Taigong (parfois nommé Taigong Wang , comme ici) fut l'un des ministres du roi Wen, puis de son fils, le roi Wu, fondateur de la dynastie Zhou (1122-256). 109 Le Bowuzhi est un recueil de menus propos arrangé par catégories, qui fut rédigé au IIIe siècle par Zhang Hua (232-300).

- 44 - Dans le cas du yulan, il s'agissait toujours de classiques conformes à l'orthodoxie confucéenne, qui permettaient de donner immédiatement une certaine valeur aux affirmations énoncées : il était donc nécessaire de les mettre en avant. Au contraire, les ouvrages dont étaient issus les textes composant le guangji n'avaient que très rarement une quelconque autorité reconnue : une simple indication finale en petit caractère s'avérait ainsi suffisante. Par ailleurs, la manière de communiquer les informations contraste également. Dans le yulan, le lecteur est confronté à une série de courtes affirmations (nous n'en avons ici traduit que quatre, mais l'entrée en comporte plusieurs dizaines au total) lui donnant à chaque fois des éléments qui, mis bout à bout, permettent de définir ce qu'était un « esprit » en ne gardant que l'essentiel.110 Le guangji, quant à lui, propose un court récit comportant également certains détails qui ne sont pas directement en lien avec le sujet, mais qui sont nécessaires à l'histoire. Bien que cette méthode puisse paraître moins efficace lorsqu'il est question de transmettre des connaissances, elle permettait de rendre la consultation beaucoup plus ludique que dans le cas du yulan. Les deux passages traduits ci-dessus nous fournissent ainsi des informations sur le même sujet : les « esprits ». Si celles contenues dans le yulan nous semblent suffisamment claires pour que nous n'ayons pas ici besoin de les reprendre, le guangji demande une certaine interprétation de la part du lecteur. Si l’on se cantonne au domaine des esprits, qui est ici le sujet principal, voici ce que le texte intitulé « Jiang Taigong » nous apprend : un, les esprits peuvent s'adresser aux humains à travers les rêves ; deux, les esprits ont un genre : il existe des esprits masculins et des esprits féminins ; trois, les esprits pratiquent eux aussi certains rituels, comme le mariage ; quatre, les actions des esprits peuvent avoir des répercussions sur le monde des hommes, comme causer la pluie et le vent ; cinq, les esprits savent reconnaître la vertu d'un homme, et se montrer ainsi bienveillant envers lui ; six, si un esprit s'adresse à quelqu'un en rêve, il peut être sage de tenir compte de ses propos, car ils peuvent permettre de prédire certains évènements. Il serait ici fâcheux de négliger l'intérêt documentaire d'un texte sous prétexte que celui-ci se présente sous une forme narrative. Nous estimons ainsi que les informations renfermées dans les récits du Taiping guangji, bien que moins évidentes que celles contenues dans les suites d'affirmations du Taiping yulan, participaient bien à transmettre un certain savoir.

110 Le Taiping yulan comportait cependant lui-aussi plusieurs textes narratifs, dont certains se retrouvaient d'ailleurs également dans le guangji. Ces récits ne constituaient toutefois qu'une minorité parmi les autres citations de l'ouvrage.

- 45 - Les deux leishu de Taizong partageaient donc une même méthode générale – le classement par catégories de textes préexistants – ainsi qu'une partie de leurs compilateurs, mais ils différaient sur nombres d'autres points, à commencer par leurs sujets principaux. Alors que le yulan se concentrait sur des questions « sérieuses », le guangji s'attardait sur des thématiques moins essentielles, du moins aux yeux des lettrés de l'époque. Les ouvrages transmettaient cependant tous deux un certain type de savoir, et ce même si la manière différait. Cet aspect se reflétait dans le choix des textes choisis : extraits de classiques confucéens d'une part, et récits narratifs de faits étranges d'autre part. Ce qui nous amène à la question des sources qui furent utilisées par les compilateurs dans le cas du Taiping guangji.

Les sources

Nous avons précédemment abordé la question des sources en précisant que les textes composant le Taiping guangji appartenaient au genre des menus propos, et notamment des zhiguai et des chuanqi. Pour se procurer ces écrits, les compilateurs durent certainement consulter certains ouvrages conservés dans des monastères bouddhiques et taoïques. Ceux- ci avaient en effet pu reconstituer des collections conséquentes de textes intégrant ce genre d'histoires, car ils bénéficiaient de la politique favorable des premiers souverains Song à leur égard. La plupart des livres ayant servi à la compilation du Taiping guangji se trouvaient cependant au sein des bibliothèques impériales, et notamment dans le complexe de l'Institut de vénération de la littérature. L'édition actuelle du Taiping guangji possède une table des sources datant probablement de l'édition de Tan Kai, publiée en 1566.111 Dans celle-ci sont listés les 345 ouvrages dont auraient été issus les textes composant ce leishu. De nombreux chercheurs ont toutefois estimé que le total réel de sources utilisées par les compilateurs était bien plus élevé : les études récentes, comme celle de Zhang Huajuan, en dénombrent jusqu'à 512.112 Parmi ces sources, dont les plus anciennes dataient de la dynastie Han, on retrouve également des histoires dynastiques, tels le Hanshu ou le Tangshu . En effet, les critères principaux étant la qualité narrative des écrits ainsi que leur sujet « étrange », rien

111 Niu Jingli estime en effet que, comme la table des sources est placée juste après la partie de la « Notice » attribuée à Tan Kai, cela pourrait indiquer que ce fut ce dernier qui en fit l'ajout. Voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, p. 19. 112 Voir Zhang Huajuan, « Taiping guangji » yanjiu, p. 114. Pour un résumé des différentes études sur ce sujet, voir Zeng Lijun, « Taiping guangji de wenxianxue yanjiu zongshu », pp. 119-120.

- 46 - n'empêchait les compilateurs d'en extraire un passage rassemblant ces deux critères pour l'intégrer à leur leishu. Les ouvrages les plus utilisés lors de la compilation du Taiping guangji restèrent cependant les recueils de zhiguai des Six Dynasties, et de chuanqi de la dynastie Tang. En plus de contenir dans un même ouvrage un nombre important de récits, ce qui simplifiait grandement la tâche des compilateurs, ces recueils étaient parfois eux-mêmes déjà classés par catégories. Li Fang et ses collaborateurs purent donc s'en inspirer pour établir celles de leur leishu, comme nous le verrons dans le second chapitre. Parmi ces recueils de menus propos qui servirent à la compilation du Taiping guangji, citons notamment le Bowuzhi , le Soushenji , le Shishuo xinyu , ou encore le Luyi ji .113 Ces ouvrages étaient tous considérés comme de la littérature secondaire, et n'avaient pas leur place aux côtés des histoires dynastiques et autres classiques confucéens. Zhang Guofeng estime en effet qu'ils ne faisaient pas partie intégrante du système de classement en quatre catégories des livres en Chine ancienne114, ce qui les rendait plus susceptibles d'être annotés ou modifiés.115 L'intégration de ces textes dans un leishu commandé par l'empereur au début de la dynastie Song eut pour effet de les revaloriser, du moins en théorie. Cela nous amène à la difficile question du statut qui fut accordé au Taiping guangji, et sa réception par les lettrés de l'époque.

113 Nous ne citons ici que quelques exemples, pour une étude approfondie des sources de l'édition du Taiping guangji publiée par Tan Kai, voir par exemple Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, pp. 139-366. 114 En Chine ancienne, les ouvrages étaient classés dans les bibliothèques selon un système en quatre catégories générales : les Classiques , les histoires , les philosophes , et les collections littéraires . Sur ce sujet, voir Jean-Pierre Drège, Les bibliothèques en Chine au temps des manuscrits (Jusqu'au Xe siècle), chapitre 2, pp. 87-135 115 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, p. 112.

- 47 - La diffusion du Taiping guangji et son statut sous les Song du Nord

À qui était destiné le Taiping guangji, et comment devait-il être « utilisé » ? Dans notre recherche des causes ayant amené Taizong à ordonner la compilation de ce leishu, les réponses à ces questions pourraient s'avérer des plus utiles. Afin de pouvoir comprendre quel était le statut du Taiping guangji sous les Song, il est ainsi intéressant de lire ce qu'en disaient certains lettrés de cette époque. Commençons donc par nous demander qui avait accès à l'ouvrage lors de la période suivant son achèvement.

La diffusion du Taiping guangji sous les Song

Comme nous l'avons déjà précisé, le Taiping guangji fut achevé en septembre 878, mais il fallut attendre trois ans avant qu'il soit gravé sur planches xylographiques. Bien que les raisons de ce délai n'aient été consignées dans aucun écrit nous étant parvenu, nous pouvons tout de même émettre la supposition suivante : après s'être vu présenté l'ouvrage, l'empereur l'aurait lu en suggérant quelques modifications, qui furent ensuite apportées par les compilateurs. Il est également possible que l'impression du Taiping guangji ait fait débat à la cour : les coûts du processus étant à cette époque particulièrement élevés116, certains lettrés estimèrent peut-être qu'un tel ouvrage comportant des textes « inutiles » n'en valait pas la peine. Toujours est-il que les planches xylographiques finirent par être effectivement gravées en 981. Wilt Idema estime pourtant qu'une fois les planches gravées, la publication du Taiping guangji fut suspendue, car certains affirmèrent justement qu'il n'était « pas utile à l'étude ».117 Il reprend ici un passage du Yuhai que nous avons déjà cité plus haut118 : « Après que l'on ait gravé le Taiping guangji sur planches xylographiques et qu'il fut distribué dans l'empire, certains estimèrent que son étude n'était pas une priorité, et l'on rangea donc

116 Voir Susan Cherniak, « Book Culture and Textual Transmission in Sung China. », Harvard Journal of Asiatic Studies 54.1 (1994), pp. 40-41. 117 Voir Wilt Idema et Lloyd Haft, A Guide to Chinese Literature. Ann Arbor : The University of Michigan, 1997, p. 57. 118 Voir la note 42, en page 18.

- 48 - les planches dans le Pavillon Taiqing. »119 Comme nous l'avons vu auparavant, il ne reste effectivement aucune trace d'une quelconque édition datant du règne de l'empereur Taizong, mais il nous semblerait étonnant qu'aucune impression de l'ouvrage n'ait vu le jour pendant cette période. Le passage du Yuhai ci-dessus nous conforte d'ailleurs dans cette idée, puisqu'il y est écrit que le Taiping guangji fut « gravé sur planches », louban , et « distribué dans l'empire », ban tianxia .120 Il nous faut toutefois insister sur le fait que, si l'ouvrage fut en effet imprimé et diffusé, ce fut certainement en petite quantité, puisqu'il restait en grande partie inconnu des lettrés du début de la dynastie Song. L'impression ou non du Taiping guangji n'est cependant pas le seul critère à prendre en compte afin de pouvoir évaluer sa diffusion, car il pouvait également avoir été transmis par copie manuscrite. L'utilisation des techniques xylographiques lors de la dynastie Song est d'ailleurs sujette à débat : certains, comme Joseph McDermott, estiment que la reproduction manuscrite restait le moyen le plus répandu pour transmettre un écrit sous les Song ; d'autres, comme Lucille Chia, pensent que le nombre de livres imprimés augmenta fortement à partir du XIe siècle déjà.121 Nous avons toutefois vu que les premiers souverains des Song lancèrent de nombreux projets éditoriaux destinés à être imprimés, dont le Taiping guangji.122 Pour Susan Cherniak, ces impressions poursuivaient deux buts : établir des éditions standards pour les examens, et servir de référence pour les fonctionnaires à travers tout l'empire. Les imprimés étant distribués par la Cour de l'Éducation, ils étaient avant tout réservés aux institutions officielles et servaient également de cadeau pour certains hauts fonctionnaires. Leur prix les rendait de plus inaccessibles à la grande majorité des particuliers.123 Malgré tout, l'impression par xylographie d'un ouvrage aussi volumineux que le Taiping guangji démontrait une certaine ambition de le diffuser. Bien qu'il semblerait que cela ne fut au final pas le cas – précisément à cause de l'intervention de certains lettrés qui jugèrent l'ouvrage « inutile » –, la volonté de le distribuer était à l'origine bien présente. Cheng Mingming estime quant à elle que la diffusion du Taiping guangji fut faible lors de la période des Song du Nord (960-1127), mais elle dénombre tout de même quelques

119 Yuhai, 54-41 b. 120 Cette interprétation peut toutefois prêter à discussion, le sens du caractère ban n'étant ici pas très clair. 121 Sur ce sujet, voir Cynthia Brokaw, « Book History in Premodern China : The State of the Discipline », in Book History, Vol. 10 (2007), pp. 260-261. 122 Susan Cherniak en dénombre cinq sous Taizu, six sous Taizong, 35 sous Zhenzong (r. 997-1022) et 39 sous Renzong (r. 1022-1063). Voir Susan Cherniak, « Book Culture and Textual Transmission in Sung China. », pp. 35-36. 123 Ibid., pp. 40-42.

- 49 - lettrés qui étaient susceptibles de l'avoir lu.124 Le premier d'entre eux dont nous ayons connaissance est Chao Jiong (948-1031), qui mentionne à plusieurs reprises le guangji dans son Fazang suijin lu , datant de 1027. Cependant, comme Chao Jiong occupa un poste à l'Institut d'historiographie à partir de 997, il est possible qu'il ait pu consulter la version du Taiping guangji rangée dans le Pavillon Taiqing. Ainsi, bien que Chao Jiong soit le premier lecteur du guangji dont nous ayons connaissance, nous ne pouvons pas affirmer avec certitude que l'ouvrage était en circulation lors du règne de l'empereur Renzong , entre 1022-1063.125 Les références au Taiping guangji sont en revanche plus nombreuses dans les écrits datant des règnes de Shenzong (r. 1067-1085) et de Zhezong (r. 1085-1100). En effet, d'éminents lettrés tels que Su Shi (1037-1101),

Chao Buzhi (1053-1110), ou encore Zhao Lingqi (1061-1134) écrivirent tous avoir lu le guangji à un moment ou un autre de leur vie, ce qui pourrait indiquer que l'ouvrage commença à être plus largement diffusé à cette période.126 On ignore cependant s'ils eurent accès à des impressions ou à des versions recopiées, puisque la première édition imprimée du Taiping guangji dont nous ayons encore connaissance aujourd'hui est celle datant du règne de l'empereur Gaozong (r. 1127-1162), au début de la période des Song du Sud.127 Cette première édition permit par ailleurs à certains collectionneur d'acquérir le livre : Chen Zhensun (1186-env.1262)128 le cite notamment dans le catalogue de sa collection, Zhizhai shulu jieti , datant de 1238. Il est ici intéressant de noter qu'il classe l'ouvrage non pas avec les autres leishu, mais dans la partie consacrée aux menus propos (xiaoshuo), ce qui indique bien que son statut n'était pas très clair à l'époque. Il semble en tout cas que Chen Zhensun avait une très bonne connaissance du Taiping guangji,

124 Voir Cheng Mingming , « Liang Song Taiping guangji liuchuan yu jieshou buzheng » , Wenxue yichan , No. 2 (2009), pp. 144-147. 125 Ling Yuzhi estime pour sa part que le Taiping guangji était bel et bien déjà diffusé du temps de Chao Jiong, sans toutefois pouvoir avancer de preuves concrètes. Voir Ling Yuzhi , « Taiping guangji de bianke, chuanbo ji xiaoshuo guannian » , in Suzhou keji xueyuan xuebao , No. 3 (2005), pp. 73-77. 126 Voir Niu Jijngli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 43-47. 127 La date de la publication n'est pas connue avec certitude, mais Niu Jingli estime que celle-ci est antérieure à 1144. Voir Ibid., p. 48. 128 Originaire de Huzhou dans le Zhejiang actuel, Chen Zhensun recueillit la plupart des ouvrages de sa collection entre 1220 et 1230, en tant que fonctionnaire local. Voir Hilde De Weerdt, « Byways in the Imperial Chinese Information Order : The Dissemination and Commercial Publication of State Documents. », Harvard Journal of Asiatic Studies, 66 No. 1 (2006), p.164.

- 50 - et nous ne résistons pas à l'envie de vous traduire ici un court passage dans lequel il accuse Hong Mai (1123-1202), auteur du célèbre Yijianzhi , de plagiat129 :

Il en va de même en ce qui concerne Hong Mai. Arrivé vers la fin de sa vie, il était pressé de terminer son livre : piochant sans vergogne dans les anciens récits du Taiping guangji, il en modifia le début et la fin, avant d'y apposer son propre nom ! On dénombre plusieurs juan de ce genre, qu'il n'améliora d'aucune façon, avant de les intégrer directement dans son recueil.

Le fait que Chen Zhensun était en mesure de reconnaître des histoires tirées du Taiping guangji dans le Yijianzhi indique qu'il avait certainement lu les deux livres avec grande attention. Quant à Hong Mai, il est en effet tout à fait probable qu'il se soit inspiré du guangji, dont il se procura peut-être une édition une fois celui-ci imprimé sous Gaozong. Nous n'aborderons pas ici la question de la diffusion du Taiping guangji lors des époques suivantes, une telle étude pouvant faire l'objet d'un livre entier.131 Dans le cadre de ce travail, nous retiendrons simplement que ce leishu ne connut une large diffusion qu'à partir de la période des Song du Sud.

Le statut du Taiping guangji

Un certain décalage existait donc entre le statut du Taiping guangji en tant que leishu commandé par l'empereur lui-même, et les textes « triviaux » qui le composait. Ainsi, Chen Zhensun par exemple, mais aussi certains ouvrages historiques, tels que le Songshi et le Zizhi tongjian 132, le considéraient comme un simple recueil de menus propos et

129 Le Yijianzhi est le second plus grand recueil de menus propos ayant pour sujet les phénomènes étranges qui nous soit parvenu, après le Taiping guangji. 130 Chen Zhensun , Zhizhai shulu jieti , juan 11. 131 Sur ce sujet, voir le livre très complet de Niu Jingli , « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang . Tianjin : Nankai daxue chubanshe, 2008. 132 Le Zizhi tongjian , commandé à l'historien Sima Guang (1019-1086) et achevé en 1084, est un ouvrage historique qui couvre une période de temps particulièrement large, allant du Ve siècle avant notre ère au Xe siècle de notre ère.

- 51 - non pas comme un leishu à part entière. Nous avons déjà mentionné que les deux principales formes de menus propos présentes dans le guangji étaient les zhiguai et le chuanqi : nous allons donc ici essayer de comprendre pourquoi les lettrés des Song du Nord avaient une piètre estime de ces écrits. L'évolution de ce genre en Chine ancienne n'étant toutefois pas le sujet de ce travail, nous tacherons donc de nous en tenir à l'essentiel.133 Afin d'illustrer le mépris affiché par certains à l'encontre du Taiping guangji, citons une anecdote relatant une discussion entre l'empereur Zhenzong, successeur de Taizong, et Yang Yi (974-1020), l'un des compilateurs du Cefu yuangui :

L'année suivante135, l'empereur Zhenzong se rendit à l'Institut de la vénération de la littérature afin d'y inspecter le Xinbian junchen shiji. Wang Qinruo et Yang Yi lui en présentèrent donc quelques juan, encore sous forme d'ébauche. L'empereur les lut, puis demanda à Yang Yi de lui exposer les principes d'organisation et d'agencement de l'ouvrage. L'empereur dit ensuite : « Vous avez passé en revue de nombreux écrits, et êtes parvenus à l'exhaustivité grâce à vos efforts : ce livre n'est en rien comparable aux Taiping yulan et Taiping guangji précédents. » Yang Yi dit alors : « Le Taiping yulan, n'avait fait que rassembler des faits anciens, sans différencier ce qui est vertueux de ce qui ne l'est pas ; le Taiping guangji, lui, n'est qu'un recueil de menus propos sans importance : notre ouvrage est en effet bien différent de ces deux-là. »

Le teme « menus propos » est ici clairement employé dans un sens péjoratif, puisque ces textes sont jugés comme étant « sans importance ». Ainsi, Yang Yi estimait certainement que la compilation du Taiping guangji était une erreur de la part de Taizong, et

133 Pour une étude complète du genre des menus propos, et plus particulièrement des zhiguai, voir par exemple le livre de Robert Campany, Strange Writing. Anomaly Accounts in Early Medieval China. Albany : State University of New York Press, 1996. 134 Lintai gushi jiaozheng , Cheng Ju (éd.). Pékin : Zhonghua shuju, 2000, p. 295. 135 Il s'agit ici de l'an 1006.

- 52 - que les textes le composant n'avaient pas leur place parmi les projets éditoriaux impériaux. On notera également que le Taiping yulan est lui aussi critiqué, mais pour des raisons de manque de clarté dans l'agencement de la matière, et non pas pour son contenu. Au début des Song, le terme « menu propos » pouvait en réalité faire référence à de nombreuses formes de récits : zhiguai et yishi (histoires anecdotiques) des dynasties Qin et Han ; zhiguai et zhiren des Six Dynasties ; biji et yeshi (histoires non officielles) de la dynastie Tang. Dans ce travail, par souci de brièveté, nous avons choisi de regrouper tous ces genres sous l'appellation de zhiguai. Bien qu'ils ne soient pas tous des zhiguai à proprement parler – ils n'ont par exemple pas tous pour sujet des phénomènes étranges –, ces textes nous paraissent partager suffisamment de points communs pour que nous puissions les regrouper en une seule grande catégorie. Ces différents zhiguai présentaient par contre certaines différences avec les chuanqi des Tang. En effet, alors que les zhiguai étaient conçus par leurs auteurs comme une branche secondaire de l'Histoire136, les chuanqi recherchaient avant tout une certaine beauté formelle, quitte à inventer une partie de leur intrigue. Niu Jingli estime toutefois que les chuanqi représentaient la forme la plus achevée de menus propos, et ce bien qu'ils ne fussent pas désignés comme tels à leur époque.137 Par conséquent, nous considérons que lorsque Taizong demanda à Li Fang et ses collaborateurs de rassembler des menus propos, il faisait par là essentiellement référence aux zhiguai et aux chuanqi. En cela, le Taiping guangji peut être vu comme une sorte de résumé des menus propos précédents l'époque des Song. En quoi ces textes pouvaient-ils être « sans importance » pour Yang Yi ? Nous avons vu que leurs points communs – dans le Taiping guangji tout du moins – étaient leur nature narrative et leur sujet « surnaturels ». Dans les bibliothèques au début de la dynastie Song, ces écrits étaient rangés sous « divers » en compagnie des autres ouvrages historiques. Étant donné que les faits consignés dans les zhiguai étaient considérés comme avérés lors de leur rédaction, il n'est pas ici question de contester leur « véracité ». Quant aux chuanqi, bien qu'il semblerait que leurs auteurs utilisèrent parfois des évènements inventés, il est difficile d'affirmer qu'ils opéraient une réelle distinction entre « faits » et « fiction ». Selon Kenneth DeWoskin, la première distinction claire entre « Histoire » et « fiction » aurait en réalité été

136 Nous suivons ici l'avis de Robert Campany qui considère ces textes comme un genre d'écriture historique. Il s'oppose notamment à la théorie de Kenneth DeWoskin désignant les zhiguai comme la naissance de la fiction en Chine ancienne. Voir Robert Campany, Strange Writing. Anomaly Accounts in Early Medieval China, pp. 156-159. ; et Kenneth DeWoskin, « The Six Dynasties Chih-kuai and The Birth of Fiction » in Andrew Plaks (éd.), Chinese Narrative. Princeton : Princeton University Press, 1977, p. 45. 137 Voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 33-34.

- 53 - faite par Ouyang Xiu (1007-1072) dans le Xintang shu qui fut achevé en 1060, soit quelques dizaines d'années après la compilation du Taiping guangji.138 Même si les zhiguai et les chuanqi lorgnaient du côté de l'Histoire, ils ne furent jamais élevés au même rang que les classiques confucéens ou les Histoires dynastiques. Le critère principal pris en compte pour déterminer l'importance d'un écrit n'était en effet pas sa véracité, mais son utilité. Les livres se devaient ainsi de posséder une fonction édifiante, de transmettre une certaine morale au lecteur. Or, la morale contenue dans les menus propos – si morale il y avait – ne correspondait pas à celle prônée par les ouvrages officiels, et reprise par le pouvoir impérial. L'importance de l'« utilité » des textes devint d'autant plus primordiale à l'époque de la dynastie Song, et ce à cause du développement du système de recrutement des fonctionnaires par examens : seules les matières exigées pour pouvoir passer ceux-ci étaient donc jugées « utiles », et les menus propos n'en faisaient pas partie. Par conséquent, le Taiping guangji eut tôt fait d'être qualifié d'« inutile », ce qui l'empêcha d'être diffusé dans l'empire comme Taizong l'avait peut-être prévu à l'origine. Comme ils décrivaient des phénomènes anormaux, les menus propos étaient souvent associés à des thématiques spirituelles, voire religieuses.139 Ces textes permettaient en effet de donner une explication « logique » aux manifestations surnaturelles, et le taoïsme tout comme le bouddhisme ne se privèrent pas d'utiliser cette forme d'expression pour refléter leur doctrine. Robert Campany estime ainsi que la moitié des auteurs de zhiguai des Six Dynasties étaient des fangshi140 ou des moines taoïstes et bouddhistes.141 Il est ici important de garder à l'esprit que les zhiguai, malgré le manque de soutien officiel, connurent un certain succès parmi la population, et même auprès de nombreux lettrés qui les lisaient par plaisir.142 Grâce à cette popularité, ils devinrent donc petit à petit un moyen efficace de répandre des principes religieux dans la société. Cet aspect se retrouve fortement dans le Taiping guangji, puisque plusieurs de ses catégories sont explicitement reliées au taoïsme ou au bouddhisme : on trouve par exemple des sections intitulées « Arts du Dao » , « Rétribution » , ou encore des sous catégories telles que « Sutra de Guanyin »

138 Voir Kenneth DeWoskin, « The Six Dynasties Chih-kuai and The Birth of Fiction » in Chinese Narrative, pp. 21-52. 139 Sur les liens entre phénomènes étranges et religion, voir Edward Davis, Society and the Supernatural in Song China, pp. 200-225. 140 Les fangshi , étaient des hommes usant de diverses techniques occultes, et souvent associés à des pratiques taoïques. 141 Voir Robert Campany, Strange Writing. Anomaly Accounts in Early Medieval China, pp. 173-177. 142 Il est ici important de bien faire la distinction entre lecture « utile » et lecture « pour le plaisir » : ce n'est pas parce qu'un lettré appréciait les menus propos qu'il allait les considérer comme étant nécessaire à l'étude.

- 54 - .143 Or, il nous semble justement que l'un des buts principaux poursuivis par les compilateurs était de concilier les différentes doctrines et croyances entre elles, dans une volonté d'harmonisation de la société. À propos des buts poursuivis par le Taiping guangji, la position officielle énoncée dans la « Notice » était la suivante : ces textes avaient le pouvoir « d'ouvrir [le lecteur] à la sagesse en prenant pour exemple les affaires passées et présentes ».144 L'ouvrage avait ainsi pour ambition de rendre accessible au plus grand nombre des informations jugées utiles par Taizong et autrement ignorées dans les écrits dits « orthodoxes ». La volonté initiale d'imprimer le livre afin de le diffuser montre que le guangji était bien destiné à être utilisé, peut-être comme ouvrage de référence sur des sujets à propos desquels aucun autre recueil approuvé par l'État n'existait. Ce projet se heurta malheureusement à l'opposition de certains lettrés et sa distribution fut interrompue. Ce n'est que cent ans plus tard que l'ouvrage commença à être plus facilement accessible, avant de devenir très populaire au cours de la dynastie Ming. L'utilisation qui en fut alors faite n'était cependant pas celle qui avait été initialement prévue par les compilateurs. Il servit en effet avant tout de source d'histoires en tout genre pour les conteurs professionnels et écrivains de romans en langue vulgaire.145 Le Taiping guangji ne put donc jamais réellement se défaire de son image de simple recueil de textes « triviaux », et ce malgré ses origines de leishu impérial. Niu Jingli estime cependant qu'il eut tout de même pour effet de revaloriser légèrement les menus propos, et que le genre connut un regain d'intérêt sous les Song.146 Les lettrés, à l'image d'un Xu Xuan, ne collectionnaient toutefois pas les zhiguai et les chuanqi pour leur valeur édifiante, mais plutôt pour leur intérêt divertissant. Nous constatons donc que l'utilisation qui était à l'origine prévue pour le Taiping guangji ne se concrétisa pas dans les faits une fois celui-ci achevé. Il nous faut pourtant faire abstraction de cet échec, car c'est surtout la vision originale qui animait Taizong et les compilateurs qui peut en réalité nous aider à comprendre les raisons qui amenèrent la

143 « Rétribution » est ici à prendre au sens bouddhique du terme. Guanyin est la divinité bouddhique (bodhisattva) de la compassion, on la retrouve sous le nom d'Avalokiteshvara en Inde, et de Kannon au Japon. Nous reviendrons sur les différentes catégories du Taiping guangji et leurs liens avec les doctrines et croyances dans la seconde partie de ce travail. 144 Voir la traduction de la « Notice » en pages 34-35. Yao Yingting, dans son Histoire culturelle de la dynastie Song, estime qu'effectivement le but principal du Taiping guangji en tant que leishu était de donner au lecteur des exemples pouvant servir d'avertissement afin d'améliorer sa conduite. Voir Yao Yingting (éd.), Songdai wenhua shi . Kaifeng : Henan daxue chubanshe, 1992, p. 52. 145 Rappelons tout de même ici que les textes composant le Taiping guangji n'étaient eux-même pas écrits en langue vulgaire , mais en langue classique . 146 Voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 121-126.

- 55 - réalisation de cet ouvrage. Par conséquent, c'est une fois encore en tant que leishu impérial ayant pour but de transmettre un savoir utile à ses lecteurs que nous avons décidé de le considérer ici.

- 56 - L'ambition du Taiping guangji

Dans la première partie de ce travail, nous avons tenté de montrer que les leishu participaient souvent d'entreprises de légitimation, et que le projet de compilation de l'empereur Taizong ne dérogeait pas à cette règle. En plus de relier culturellement son règne avec ceux des empereurs Tang, il en profita pour employer des fonctionnaires issus des royaumes récemment vaincus, afin d'étouffer toute velléité de révolte de leur part. Si un ouvrage comme le Taiping yulan reprenait des codes déjà bien établis en regroupant en catégories les textes de l'orthodoxie lettrée, l'ajout d'un leishu spécialisé dans les menus propos était bien plus surprenant. Nous allons donc dès à présent voir quelles purent être les raisons ayant poussé Taizong à ordonner la composition du Taiping guangji.

Deux réponses opposées : John Haeger et Russel Kirkland

Pour répondre à cette question, nous avons ici choisi de commencer par présenter deux avis diamétralement opposés : ceux de John Haeger et Russel Kirkland. Le premier, dans son article intitulé « The Significance of Confusion : The Origins of the T'ai-p'ing yü- lan »147, estime que la seule raison d'être du Taiping guangji était l'intérêt de Taizong envers les menus propos. Celui-ci aurait donc souhaité avoir à sa disposition une large collection de ces écrits afin de pouvoir la consulter durant ses heures de loisir. Bien que cette solution puisse paraître réductrice, il ne nous est pas possible de l'écarter entièrement : il est effectivement possible que Taizong ait commandé ce leishu pour un usage personnel, et la manière dont les compilateurs semblent adresser l'ouvrage directement à l'empereur dans la « Notice » pourrait éventuellement être interprétée comme un signe de cette volonté.148 Cela étant dit, la relative rapidité avec laquelle fut décidée l'impression du Taiping guangji – trois ans après son achèvement –, indiquerait qu'il était bien destiné à être distribué. De plus, les compilateurs auraient certainement pu s'épargner la peine d'établir une classification complexe si l'empereur ne souhaitait que choisir au hasard des histoires afin de se divertir. Par conséquent, nous considérons peu probable que Taizong ait ordonné la

147 John Haeger, « The Significance of Confusion : The Origins of the T'ai-p'ing yü-lan », in Journal of the American Oriental Society, 88 (1968), pp. 401-410. 148 Voir l'extrait traduit par nos soins en pages 34-35.

- 57 - compilation du guangji à des seuls fins de divertissement, sans toutefois pouvoir l'exclure totalement. Dans « A World in Balance : Holistic Synthesis in the T'ai-p'ing kuang-chi. »149, Russel Kirkland nous livre quant à lui une conception très différente des buts poursuivis par l'ouvrage. Il attribue en effet à Taizong une volonté profonde d'harmoniser le cosmos tout entier par le biais du Taiping guangji. Rejetant l'idée que ces textes auraient pu être considérés comme fictionnels, il estime ainsi que ce livre était une tentative de redéfinir les contours de la perception historique et culturelle des hommes de l'époque, et ce afin de pouvoir mieux comprendre la vie elle-même. Cette volonté serait d'ailleurs reflétée dans le nom d'ère choisi par Taizong, et qui se retrouve dans les titres des deux leishu : « Taiping », la « Grande Paix ». Russel Kirkland propose donc de relier le Taiping guangji au Taiping jing , ouvrage taoïque datant des Han, car tous deux visaient à accomplir l'harmonie universelle. Ils présentent en effet un modèle sophistiqué du monde, un cosmos multidimensionnel dans lequel le surnaturel serait un complément logique à la société humaine. Ainsi, unifier la terre au Ciel permettait à l'empereur de se poser en monarque universel, sur le modèle des sages souverains de l'antiquité. Russel Kirkland suggère également que le Taiping guangji pouvait être vu comme une tentative de restaurer la balance historiographique perdue dans le courant de la dynastie Han, lorsque les fangshi et autres historiens des « choses subtiles » commencèrent à être clairement différenciés des lettrés confucéens. Cet article soulève de nombreux points intéressants, mais il nous paraît prêter à Taizong des intentions spirituelles qu'il n'avait pas forcément. Nous nous accordons avec Russel Kirkland sur le fait que les textes du Taiping guangji n'étaient pas considérés comme fictionnels, et que l'ouvrage tentait en effet de proposer une vision du monde plus complète, complémentaire à celle contenue dans les classiques confucéens. Par contre, nous doutons de la volonté prêtée à Taizong de vouloir harmoniser le cosmos entier à travers cet ouvrage. Si tel avait été le cas, il nous semble que d'autres projets allant dans ce sens auraient dû être entrepris, et ce malgré le relatif échec du Taiping guangji. Russel Kirkland estime que Taizong avait l'ambition profonde de redonner aux écrits traitant de sujets surnaturels leur place aux côtés des autres documents historiques. Or, l'empereur lui-même ne parvint pas à imposer la diffusion d'un leishu rassemblant ce genre de textes et aucun

149 Voir Russell Kirkland, « A World in Balance: Holistic Synthesis in the T'ai-p'ing kuang-chi. », in Journal of Sung-Yuan Studies, 23 (1993), pp. 43-70.

- 58 - autre projet apparenté ne fut entrepris par la suite, ce qui tend plutôt à indiquer que cette volonté n'était pas si fondamentale dans la conception qu'avait Taizong de son règne. Pour notre part, nous pensons que le Taiping guangji fut conçu dans une optique plus pragmatique, afin de sauvegarder un certain savoir d'une part, tout en servant des considérations politiques d'harmonisation de la société d'autre part.

La sauvegarde d'un certain savoir

Tout d'abord, il est important de noter que les textes contenus dans le guangji faisaient partie de la culture des dynasties précédentes, et qu’ils étaient très populaires au Xe siècle en tant que forme littéraire ancienne.150 Nous avons vu que l'une des préoccupations principales de Taizong était de relier culturellement son règne à celui des empereurs Tang. Ce faisant, il ne se limita donc pas aux livres orthodoxes, mais commanda un leishu de menus propos afin de signifier son emprise sur toutes les formes de culture. Il considérait ainsi le savoir renfermé par ces écrits comme détenant un certain intérêt et souhaitait également éviter sa perte. Cette volonté se reflète dans le classement minutieux établi par les compilateurs : si le seul critère de sélection des textes avait été leur qualité littéraire, un autre mode de classement moins contraignant aurait certainement été suffisant. D'autre part, la volonté initiale de diffusion de l'ouvrage pourrait indiquer qu'on lui accordait une certaine utilité pratique. Peut-être était-il destiné à servir d'ouvrage de référence sur des sujets peu traités dans les livres traditionnellement à disposition des fonctionnaires ? Dans la « Notice », les compilateurs prêtent des vertus édifiantes au Taiping guangji, se conformant ainsi certainement à la volonté de Taizong. Nous rejoignons donc dans une certaine mesure Russel Kirkland lorsque celui-ci affirme que l'ouvrage permettait aux hommes de mieux comprendre le monde et toutes ses étrangetés : en donnant une place précise à ce qui semblait incontrôlable, en l'intégrant dans une taxinomie particulière, le pouvoir impérial domestiquait en quelque sorte ces phénomènes. Ces considérations nous semblent cependant secondaires par rapport aux intentions politiques se cachant derrière la compilation de ce livre.

150 Zhao Weiguo considère également que les zhiguai et les chuanqi étaient une forme littéraire très appréciée lors de la dynastie Tang, voir « Lun Taiping guangji zuanxiu de wenhua yinsu » , in Henan daxue xuebao , No. 41 (2001), pp. 60-65.

- 59 - Une volonté politique d'harmonisation : la reconnaissance des croyances

Taizong ordonna la compilation des deux leishu quelques mois seulement après son accession au pouvoir. Il s'agissait donc là de l'une de ses premières décisions politiques, et nous avons vu que ce projet lui permit d'intégrer des lettrés du Sud afin d'unifier intellectuellement l'empire. Plus encore, il nous semble que le Taiping guangji donna l'occasion à l'empereur de s'ériger en souverain universel, ne négligeant aucun aspect de la société, y compris ceux qui avaient été autrefois méprisés par le pouvoir. Sheng Li définit le guangji comme un miroir des connaissances des lettrés du début de la dynastie Song sur les croyances traditionnelles.151 En reconnaissant la valeur d'écrits ayant pour sujet principal les coutumes et traditions en lien avec l'étrange, Taizong envoyait un message fort en direction de tous ceux pour qui ces croyances tenaient une place importante. Cette idée se marie particulièrement bien avec la politique résolument souple adoptée par l'empereur envers les religions à cette époque. Qu'importe qu'un homme soit bouddhiste ou taoïste, qu'il croie aux fantômes ou aux esprits présents dans la nature : Taizong acceptait toutes les formes de croyance. Le but était ici de montrer que le pouvoir impérial ne considérait pas uniquement les affaires des lettrés érudits, mais comprenait aussi les préoccupations du peuple, dont les phénomènes étranges étaient justement une composante importante. L'empereur se construisait donc une image de souverain ouvert et bienveillant envers ses sujets, ce afin de s'assurer le soutien d'une société encore fragile. Nous avons en effet vu qu'après l'unification militaire opérée par Taizu, la stabilisation de l'empire incomba au second souverain des Song. Les deux leishu de Taizong avaient donc pour tâche de promouvoir l'harmonie culturelle et intellectuelle : le savoir « classique » pour le Taiping yulan, les différentes croyances et doctrines pour le Taiping guangji. L'échec de la diffusion de ce dernier ne doit pas être jugé trop sévèrement : ce qui importait avant tout, c'était la volonté affichée par le pouvoir impérial de recueillir et promouvoir les menus propos, volonté qui fut consignée dans plusieurs ouvrages historiques. Pour que cette harmonisation des croyances puisse fonctionner, il y avait toutefois une condition à respecter : ne pas trop favoriser une doctrine par rapport à une autre. L'« harmonie spirituelle » de l'empire ne pouvait se faire qu'en essayant de donner une place égale – ou presque – à chaque courant de pensée, à chaque croyance. Or, il nous

151 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, p. 19. Ling Yuzhi considère lui aussi que les sujets des menus propos en circulation lors de la dynastie Song avaient généralement trait aux croyances religieuses. Voir Ling Yuzhi, « Taiping guangji de bianke, chuanbo ji xiaoshuo guannian », pp. 73-77.

- 60 - semble que cette volonté se retrouve précisément dans l'organisation des catégories du Taiping guangji. Il faut ici rendre hommage au travail des compilateurs qui sélectionnèrent les textes et arrangèrent les sections de l'ouvrage. Ce sont en effet eux qui, s'appropriant la volonté de Taizong – probablement non sans une certaine réticence –, eurent l'intelligence de hiérarchiser les textes de manière à ce qu'ils se complètent le plus harmonieusement possible.152 Ce faisant, Li Fang et ses collaborateurs donnèrent une certaine vision du monde, prêchant l'équilibre entre les croyances et les différentes doctrines. C'est en tout cas ce que nous allons tenter de démontrer dans la seconde partie de cette étude.

152 Zeng Lijun et Liu Huogen estiment eux-aussi que l'organisation des catégories du Taiping guangji reflète une volonté d'harmoniser les différentes doctrines entre-elles, voir « Taiping guangji zongjiao wenhua yanjiu shuping » , in Jinggangshan daxue xuebao , No. 4 (2011), pp. 114-119.

- 61 - - 62 - III. Les catégories du Taiping guangji

Quelques aspects structurels du Taiping guangji

En tant que leishu, le Taiping guangji était donc divisé en sections qui devaient en théorie faciliter la consultation de l'ouvrage. Avant de nous intéresser aux catégories à proprement parler, essayons de définir les caractéristiques principales de la structure du livre.

Comment lire le Taiping guangji ?

Nous avons auparavant affirmé qu'à notre sens le Taiping guangji n'était pas seulement une entreprise de prestige, mais qu'il pouvait effectivement posséder un usage pratique. Dans ce cas, comment est-ce que les personnes ayant eu accès à ce leishu sous les Song du Nord le lisaient-elles ? Sur cette question, Cheng Mingming estime que deux tendances principales se dégageaient : soit on le parcourait afin de compléter son savoir ; soit on l'utilisait afin de pouvoir citer des sources originales inaccessibles autrement.153 Dans les deux cas, il est clair que l'ouvrage n'était pas conçu pour être lu du début à la fin, mais plutôt pour être consulté ponctuellement. En cela, le classement par catégories – caractéristique principale des leishu – permettait au lecteur de retrouver facilement un texte ou un ensemble de textes en lien avec un sujet précis. Considérant que les écrits cités dans le Taiping guangji transmettaient une certaine forme de savoir, l'accumulation de récits sur un même sujet pouvait en effet aider à définir un concept.154 C'est cela que nous entendons lorsque nous parlons de catalogue d'exemples pour définir le Taiping guangji : les informations n'étant pas toujours évidentes au premier abord,

153 Cheng Mingming, « Liang Song Taiping guangji liuchuan yu jieshou buzheng », pp. 144-147. 154 On retrouve cette idée chez Mieke Bal, ce dernier estimant que rassembler des textes narratifs sur un même sujet permet non seulement d'expliquer dans une certaine mesure ce sujet, mais aussi de rendre plus compréhensibles les textes ainsi réunis. Voir Mieke Bal, « Telling Objects : A Narrative Perspective on Collecting. », in John Elsner et Roger Cardinal (éd.), The Culture of Collecting. Londres : Reaktion Books, 1994, pp. 97-115.

- 63 - elles demandaient une certaine interprétation de la part du lecteur. Des catégories étaient par ailleurs plus simples à consulter que d'autres : les 55 juan sur les « Immortels divins» ne comportent par exemple aucune sous-catégorie. Le lecteur ne savait donc pas quel aspect des « Immortels divins » était traité dans chaque texte, et devait donc lire l'entier de ces 55 juan afin d'acquérir toutes les informations en lien avec ce terme. Au contraire, la catégorie « Végétaux », longue de douze juan, est divisée en 19 sous-catégories, qui permettaient de préciser la recherche. Bien entendu, il n'était pas nécessaire de lire tous les textes appartenant à une catégorie pour compléter son savoir sur celle-ci, de nombreux éléments étant redondants entre les histoires. D'autre part, si le Taiping guangji pouvait être consulté afin d'aider à définir un concept, il était également une source précieuse d'indications biographiques sur des personnages qui ne figuraient pas dans les Histoires dynastiques et autres ouvrages historiques officiels. Sont notamment concernées les catégories telles que « Immortels divins » , « Moines extraordinaires » ou encore « Redresseurs de torts » : les titres des histoires étant souvent constitués du nom du personnage principal, il était aisé de retrouver des informations sur une personne en particulier. Sur ce point, il est d'ailleurs amusant de constater que l'encyclopédie en ligne Baidu baike cite parfois des passages du Taiping guangji afin de renseigner les internautes sur certains moines bouddhistes, par exemple.

La table des matières

Le lecteur est donc aidé dans sa consultation par différents éléments paratextuels présents dans l'ouvrage : chaque histoire est désignée par un titre précis ; leurs sources sont presque toujours indiquées ; les textes sont classés par catégories, et ont ainsi une place précise dans l'ouvrage, identifiable par un numéro de juan ou une page. Plusieurs de ces éléments se retrouvent dans une table des matières très complète, ce qui permet de s'y retrouver facilement. Celle de l'édition actuelle est reprise de la version de Tan Kai datant des Ming. Il semble cependant qu'elle était bien présente à l'origine, du moins si l'on en croit la « Notice », puisque Li Fang y fait mention de 500 juan pour l'ouvrage en lui-même, puis de dix juan pour la table des matières, cette dernière étant une part essentielle de tout leishu destiné à avoir un usage pratique. Toujours à propos de considérations pratiques, il est également possible que l'impression du Taiping guangji ait été prévue dans le format dit

- 64 - « papillon », permettant de feuilleter un livre bien plus rapidement que les anciens rouleaux, et qui était par conséquent parfaitement adapté aux leishu. La table des matières se présente donc de la manière suivante : Numéro du juan ; Titre de la catégorie ; Éventuel titre de sous-catégorie, ou éventuelle seconde catégorie du juan (en petits caractères) ; Numéro de page (pour les éditions en comportant) ; Titres de tous les textes contenus dans ce même juan.

Extrait de la table des matières du Taiping guangji.155 (À lire de droite à gauche.)

Dans la reproduction donnée ci-dessus sont détaillés les juan 404 et 405, qui sont les cinquième () et sixième () parties de la catégorie « Trésors » . Ici, le juan 404 constitue la seconde section de la sous-catégorie « Trésors divers », comme cela est indiqué en petits caractères (). Le juan 405, quant à lui, est divisé en deux sous-catégories : « Monnaie » et « Objets fabuleux » . Nous constatons également que l'un des textes de « Trésors divers » est désigné comme étant manquant malgré sa présence dans la table ().

155 Taiping guangji, op. cit., « Table des matières » , juan 8, p. 80.

- 65 - Longue de dix juan, soit 106 pages dans l'édition actuelle, la table des matières se voulait donc exhaustive et très précise. Zhang Guofeng y dénombre cependant un certain nombre de divergences avec le contenu du livre.156 Ces erreurs concernent essentiellement des titres de récits, ainsi que quelques noms de sous-catégories : nous reviendrons sur ces derniers dans le tableau des catégories que nous présenterons plus loin.157 Pour analyser les différentes catégories et sous-catégories du Taiping guangji, nous nous servirons donc des informations données dans la table des matières de l'ouvrage, en y apportant quelques légères modifications.

Le découpage en juan

Nous savons que le Taiping guangji comporte 500 juan, soit exactement deux fois moins que le Taiping yulan.158 Ce nombre précis avait-il un sens particulier ? Pour Sheng Li, ce chiffre pourrait être lié à des considérations bouddhiques, puisque « 500 » était usité en Inde ancienne pour signifier « une grande quantité ».159 Le fait que le guangji soit de taille deux fois moindre que le yulan semble en tout cas indiquer que Taizong le considérait comme une sorte d'appendice. Il est cependant difficile de proposer une réponse réellement convaincante sur les raisons ayant amené l'empereur à fixer les nombres de juan des deux leishu à 1'000 et 500. Les juan du Taiping guangji font-ils tous approximativement la même taille ? Ou bien certains sont-ils plus longs que d'autres ? En comparant le nombre de pages de chaque juan dans l'édition actuelle, nous constatons qu'ils occupent entre six et quinze pages, la grande majorité des juan faisant entre huit et dix pages. Bien entendu, le nombre de pages actuel ne reflète pas nécessairement la place exacte qu'occupaient les textes à l'origine, mais une telle comparaison peut tout de même nous fournir un ordre d'idée. Les juan semblent donc être d'une taille plutôt équilibrée et constante. Par ailleurs, certains juan contiennent plusieurs catégories : les compilateurs préféraient ainsi regrouper celles-ci plutôt que de fractionner un juan en deux petits de quatre pages chacun, par exemple. Tout ceci pourrait donc

156 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, pp. 14-16. 157 Voir les pages 72 à 88. 158 Parmi les « Quatre grands livres des Song », à savoir le Taiping yulan, le Taiping guangji, le Wenyuan yinghua et le Cefu Yuangui, le Taiping guangji était le seul à ne pas comporter 1'000 juan. 159 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, p. 65.

- 66 - indiquer qu'un juan constituait une mesure fixe, un total de caractères à ne pas dépasser outre mesure, ce qui forçait les compilateurs à opérer une sélection. Dans ce cas, est-ce que le nombre de juan alloué à chaque sujet fut décidé avant le début de la compilation ? Niu Jingli estime que cela fut probablement le cas, et que les catégories étaient clairement définies à l'avance.160 On imagine cependant que la place attribuée à un sujet dépendait également du nombre de textes recensés s'y rapportant. La taille des différentes catégories fut donc probablement fixée au début de la compilation, avant d'être ajustée dans une certaine mesure en fonction du nombre de textes disponibles.

Les catégories du Taiping guangji sont-elles exclusives ?

Dans le Taiping guangji, un même récit peut tout à fait se retrouver dans diverses catégories. D'après Niu Jingli, ces cas de figure montrent justement le manque de précision des catégories, puisque les compilateurs ne parvenaient visiblement pas à décider une fois pour toutes à quel sujet se référaient ces textes.161 Les sources de ces écrits étant parfois différentes – un même texte pouvant être consigné dans deux recueils séparés –, il se peut que des histoires semblables fussent intégrées à des moments distincts : alors qu'un premier compilateur avait jugé que le récit devait appartenir à la catégorie X, un second l'intégra à la catégorie Y. Ce scénario tendrait donc à prouver que les sujets n'étaient pas clairement définis, même pour Li Fang et ses collaborateurs. Niu Jingli ne dénombre cependant qu'une centaine de ces cas, ce qui reste faible par rapport au nombre très important de récits contenus dans le Taiping guangji. Par ailleurs, il arrivait également que deux versions d'une même histoire fussent intégrées à des moments différents tout en étant classées dans la même catégorie.162 Cela étant dit, il nous semble que dans le cadre d'un catalogue d'exemples narratifs tel que le Taiping guangji, un récit pouvait tout à fait contenir des informations relatives à plusieurs catégories : il n'était en ce sens pas inutile de les intégrer à divers endroits de l'ouvrage. Si ces redites étaient volontaires, alors elles étaient certainement justifiées.

160 Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, p. 128. 161 Ibid. 162 Sarah Alien fait effectivement remarquer que deux histoires semblables, dont les sources citées en fin de textes diffèrent, furent intégrées à la catégorie « Redresseurs de torts ». Voir Sarah Alien, « Tales Retold : Narrative Variation in a Tang Story », in Harvard Journal of Asiatic Studies, Vol. 66, No. 1 (juin 2006), p. 107.

- 67 - Prenons pour exemple deux récits qui racontent une histoire presque identique, mais qui sont situés dans deux catégories distinctes : le premier, intitulé « Jia Bi », se trouve en effet dans la partie consacrée aux « Rêves » , alors que le second, intitulé « Jia Bizhi », est rattaché aux « Créatures fantastiques » . Taiping guangji, juan 276, premier juan de la catégorie « Rêves » :

Jia Bi

Jia Bi, originaire du Hedong, était un soldat en poste au Mont Langye.164 Une nuit, il vit en rêve un homme [repoussant] aux yeux clos qui était pourvu d'un nez imposant, et dont les dents pourries saillaient. Celui-ci lui demanda : « Ton faciès me plaît bien ! Que dirais-tu d'échanger ta tête contre la mienne ? » Comme [Jia Bi] ne parvenait pas à s'extirper de son rêve, sa tête fut ainsi transformée sur le champ ! Il se réveilla alors, et par la suite tous ceux qui l'apercevaient prenaient leurs jambes à leur cou, effrayés. Il rentra ensuite dans son village natal, mais même les membres de sa propre famille se cachèrent par peur. À partir de ce moment, [son visage] pouvait rire et pleurer en une seule et même expression. Par ailleurs, il était capable de tenir cinq pinceaux à la fois : un dans chaque main, un dans chaque pied, et un dans la bouche ! Ainsi était-il à même de calligraphier simultanément cinq textes, qui tous possédaient de remarquables qualités littéraires. Tiré du Youming lu.165

163 Taiping guangji, juan 276, op. cit., p. 2183. 164 Le Hedong était une région située dans l'actuelle province du Shanxi ; le Mont Langye se situait au Shandong actuel. 165 Le Youming lu , généralement attribué à Liu Yiqing (403–444), était l'un des principaux recueils de zhiguai de la période des Six Dynasties.

- 68 - Taiping guangji, juan 360, second juan de la catégorie « Créatures fantastiques » :

Jia Bizhi

Jia Bizhi, originaire du Hedong, était un soldat en poste au Mont Langye durant l'ère Yixi de la dynastie Jin.167 Une nuit, il vit en rêve un homme au visage des plus repoussants – couvert de poil et au nez très imposant. Celui-ci s'approcha et lui dit : « Ton faciès me plaît bien ! Ne désirerais-tu pas changer de tête ? » Jia Bizhi rétorqua : « Chaque homme a son propre visage, quelle absurdité dîtes- vous là ! » Le lendemain, il rêva à nouveau de la même situation. Or, son esprit était si troublé qu'il ne put faire autrement que d'accepter [l'échange]. Lorsqu'il se leva le jour suivant, lui-même ne s'était rendu compte de rien, mais tous ceux qui l'apercevaient prenaient leurs jambes à leur cou, terrifiés. Jia Bizhi prit alors un miroir et comprit qu'il avait [été victime] d'une monstrueuse transformation. Il rentra ensuite dans son village natal, mais même les membres de sa propre famille étaient effrayés par sa vue, et lorsqu'il entra chez lui, sa femme et sa fille partir se cacher, s'écriant : « Qui est cet homme étrange ? » Ce n'est qu'après que Jia Bizhi leur ait expliqué [son aventure] en détail, puis qu'elles vérifièrent ces informations auprès du gouvernement local, qu'elles voulurent bien le croire. À partir de ce moment, seule la moitié de son visage pouvait sourire. Par ailleurs, il était capable de tenir cinq pinceaux à la fois : un dans chaque main, un dans chaque pied, et un dans la bouche ! Ainsi était-il à même de

166 Taiping guangji, juan 360, op. cit., p. 2852. 167 L'ère Yixi de la dynastie Jin dura de 405 à 419.

- 69 - calligraphier simultanément cinq textes, qui tous possédaient de remarquables qualités littéraires. Peu après, l'empereur Andi succomba et l'empereur Gongdi lui succéda. Tiré du Ximing zalu, d'après le Youming lu.

Les motifs des « Rêves » et des « Créatures fantastiques » sont effectivement tous deux présents dans cette histoire. Dans « Jia Bi », nous apprenons que les rêves constituent un moyen de transmettre toutes sortes de malédictions, ils peuvent donc avoir des conséquences désastreuses. Dans « Jia Bizhi », l'homme rencontré dans le rêve est très certainement une créature fantastique : le texte nous enseigne que ces êtres peuvent s'adresser aux humains à travers les songes, et qu'ils peuvent être malintentionnés (l'histoire ne nous laisse en tout cas aucun indice pouvant indiquer que Jia Bizhi aurait « mérité » son triste sort). Comme ces récits permettent au lecteur d'en apprendre plus sur les deux sujets à la fois, il nous semble légitime de les retrouver dans les deux catégories. Nous ne reviendrons pas davantage sur la question du classement des récits, même s'il serait très intéressant d'analyser les raisons ayant entraîné l'intégration de chaque texte dans telle ou telle section. Il s'agit là d'une étude qui dépasse largement le cadre de notre travail, et nous nous limiterons ici à l'organisation générale des sujets.

La structure interne d'un sujet

Pour en terminer avec ces quelques réflexions sur les aspects structurels du Taiping guangji, il nous semble encore nécessaire de rapidement mentionner les principes d'organisation régissant l'ordre des textes au sein d'une catégorie. Sur ce point, nous pouvons nous référer au travail de Sheng Li, cette dernière ayant analysé en profondeur les récits constituant les deux premiers sujets de l'ouvrage : « Immortels divins » et « Immortelles ».168 Dans ces deux catégories, longues de 55 et 15 juan, les récits suivent globalement l'ordre chronologique des événements narrés. Même si dans le détail cet ordre n'est pas toujours respecté, il est rare qu'un texte racontant la vie d'un personnage ayant vécu sous les Tang précède un récit sur un homme de la dynastie Han, par exemple. Trois

168 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, pp. 74-111.

- 70 - groupes de textes se détachent donc, narrant chacun des événements s'étant déroulé : un, des origines jusqu'à la dynastie Han ; deux, durant les Six Dynasties et les Sui ; trois, au cours de la dynastie Tang. Les écrits suivent ainsi dans l'ensemble un ordre chronologique, avec quelques imprécisions au sein de ces groupes, un texte sur les Zhou pouvant se retrouver entre deux récits sur les Han, entre autres. La volonté de proposer au lecteur un ordre logique au sein même des catégories indique que les compilateurs cherchaient à simplifier la consultation de l'ouvrage, et ce malgré quelques petites approximations. Cela montre un certain sérieux dans la compilation du Taiping guangji et nous conforte dans l'idée qu'il était bien destiné à avoir un usage pratique. Aucun chercheur n'ayant à ce jour analysé en profondeur l'organisation interne de toutes les catégories, nous ne pouvons ici nous prononcer que pour les deux sujets mentionnés ci-dessus. Même s'il est probable que cet arrangement chronologique ait été repris dans les autres sections du livre, il nous est impossible de l'affirmer avec certitude.

- 71 - Présentation des catégories du Taiping guangji

Dans cette partie, nous allons revenir en détail sur les catégories et sous-catégories du Taiping guangji. Pour ce faire, nous nous attacherons à les exposer le plus clairement possible au travers d'un tableau, sur lequel nous nous appuierons par la suite. Afin d'établir cette liste, nous nous sommes principalement servis de la table des matières de l'ouvrage, en nous aidant également des travaux de Niu Jingli, Edward Shafer et Solange Cruveillé.169

Liste des catégories et sujets

Le tableau que nous donnons ci-dessous comporte sept colonnes : le numéro des catégories ; le titre de ces catégories (en chinois et en français) ; le titre d'éventuelles sous- catégories ; un numéro de sujet ; les numéros des juan en liens avec la catégorie ou sous- catégorie ; le total des juan dans lesquels apparaissent la catégorie ou la sous-catégorie170 ; et de brèves indications sur le contenu des histoires, lorsque le titre n'est pas suffisamment explicite.171 Concernant la différenciation entre catégories et sous-catégories, nous avons généralement suivi l'avis de Niu Jingli.172 L'astérisque (*) suivant certains numéros de catégories indique que celles-ci sont comprises dans le même juan que la catégorie précédente : elles sont parfois considérées comme des sous-catégories, mais nous avons ici choisi de les traiter comme des catégories à part entière. Par ailleurs, nous avons ajouté des numéros de sujets prenant en compte à la fois les catégories et les sous-catégories, afin de pouvoir établir un total des différents sujets traités dans le Taiping guangji. L'ordre des catégories et des sujets est celui donné par la table des matières, et qui se retrouve dans l'ouvrage lui-même.

169 Voir Taiping guangji, op. cit., « Table des matières », pp. 1-106 ; Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 21-24 ; Edward Shafer, « The Table of contents of the T'ai p'ing kuang chi », in Chinese Literature Essays, Articles, Reviews, vol. 2, Madison, Wisconsin, p. 258-263 ; et Solange Cruveillé, « Études et traductions sur le Taiping Guangji (Vaste recueil de l'ère de la Grande Paix) ». 170 Lorsque ce total n'est pas un chiffre rond (dans le cas d'un juan comportant deux catégories, par exemple), nous l'avons arrondi au nombre supérieur. 171 Les indications sur le contenu des catégories sont pour la plupart reprises de l'article d'Edward Shafer, « The Table of contents of the T'ai p'ing kuang chi », mentionné dans la note précédente. 172 Voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 21-24.

- 72 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Biographies 1 1 1-55 55 Immortels divins d'immortels divins

Biographies 2 2 56-70 15 Immortelles d'immortelles

Techniques de maîtres 3 3 71-75 5 Arts du Dao taoïstes

Alchimie et autres 4 4 76-80 5 Alchimistes sciences occultes

Personnes aux 5 Hommes 5 81-86 6 caractéristiques extraordinaires extraordinaires

Moines bouddhistes 6 Moines 6 87-98 12 aux caractéristiques extraordinaires extraordinaires

Anecdotes visant à prouver la réalité des 7 Témoignages sur 7 99-101 3 enseignements le bouddhisme bouddhiques

Réponses divines (notamment 8 8 102-134 33 Rétribution bouddhiques) aux agissements humains

Récompenses à la Sutra du 9 102-108 7 dévotion envers les Diamant sutras Récompenses à la 10 109 1 dévotion envers les Sutra du Lotus sutras

Récompenses à la 11 110-111 2 dévotion envers les Sutra de Guanyin sutras

Récompenses à la dévotion envers les Vénération des 12 112-116 5 sutras et des écrits et images bouddhiques images sacrées Récompenses aux 13 117 1 bonnes actions Mérites cachés accomplies en secret

Actes de pitié envers 14 118 1 Êtres divers diverses créatures

- 73 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Vengeances de morts Injustice et 15 119-125 6 injustes rétribution

Conséquences à la cruauté envers des Servantes et 16 129-130 2 femmes de moindre concubines statut

Conséquences à la Exécutions d'êtres 17 131-133 3 cruauté envers les vivants animaux

Réincarnation en Animaux et 18 134 1 animal domestique karma

Réactions divines aux agissements humains, 9 Signes en 19 135-145 11 sous formes réponse symboliques

Signes de bon augure Heureux présages 20 135-136 2 liés aux souverains aux souverains

Signes de bon augure Heureux présages 21 137-138 2 liés aux hommes aux hommes

Signes annonçant Mauvais présages 22 139-140 2 guerres et calamités sur l'État

Signes annonçant la Mauvais présages 23 141-145 5 mort et la mauvaise aux hommes fortune

Prédictions sur le 10 24 146-160 15 Destinée destin

25 159-160 2 Mariages prédestinés Mariages

Réactions divines suite 11 Réactions 26 161-162 2 à une conduite célestes vertueuse

Prédictions 12 Réponses et 27 163 1 d'événements présages importants

- 74 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Personnes aux 13 28 164 1 compétences Sages illustres reconnues

Critiques indirectes de 14* Remontrances 29 164 1 supérieurs dissimulées

Officiels qui ne sont 15 Intégrité et 30 165 1 pas avares frugalité

16* 31 165 1 Personnes avares Avarice

Actes bienveillants 17 32 166-168 3 Générosité envers des tiers

Personnes jugeant 18 Compréhension 33 169-170 2 avec justesse des tiers des hommes

Enquêtes par des 19 34 171-172 2 Examens subtils magistrats perspicaces

Influence exercée par 20 Éminents 35 173-174 2 le langage orateurs

Enfants à l'intelligence 21 36 174-175 2 Enfants sagaces précoce

Estimations des 22 Mesure des 37 176-177 2 capacités de tiers capacités

Examens en province 23 Candidats aux 38 178-184 7 et à la capitale examens

Relations familiales 24* 39 184 1 Clans et familles importantes

Anecdotes sur la 25 Sélection des 40 185-186 2 sélection des officiels fonctionnaires

Fonctionnaires en 26 41 187 1 Administrations poste

- 75 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Favoris s'arrogeant 27 Usurpateurs 42 188 1 l'autorité par la ruse d'autorité

28 43 189-190 2 Exploits militaires Généraux

29* 44 190 1 Ruses diverses

30 Hommes 45 191-192 2 Héros militaires intrépides

31 Redresseurs de 46 193-196 4 Aventuriers et braves torts

Connaissances des 32 47 197 1 Savoir étendu choses inhabituelles

33 Compositions 48 198-200 3 littéraires

34* Officiers 49 200 1 militaires aux talents littéraires

Personnes aux talents 35 50 201 1 Talents reconnus reconnus

Addictions et 36* Aspirations et 51 201 1 aspirations désirs démesurées

Attachement à l'étude 37 Conduites des 52 202 1 des classiques lettrés

Compassion Personnes touchées 38* envers les 53 202 1 par les talents de tiers hommes de talents

Ermites et 39* 54 202 1 Ermites illustres excentriques

- 76 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Musiques et 40 55 203-205 3 instruments étranges Musique (voir sous-catégories)

(Cithare à sept 56 203 1 Qin cordes)

(Instrument à 25 57 203 1 Se cordes)

58 204 1 Chant

(Flûte traversière en 59 204 1 Di bambou)

60 204 1 (Sorte de hautbois) Bili (Tambour utilisé à 61 205 1 l'origine par les Tambours des Jie barbares Xiongnu)

(Tambours répandus Tambours en 62 205 1 dans les minorités du bronze sud-ouest de la Chine)

63 205 1 (Sorte de luth) Pipa

(Instrument à 5 64 205 1 Wuxian cordes)

65 205 1 (Sorte de harpe) Konghou

Diverses formes 41 66 206-209 4 Écrits d'écrits

Compositions 67 209 1 variées

Surtout des histoires à 42 Peintures et 68 210-214 5 propos de peintres dessins Calculs en tous genres, y compris 43 69 215 1 Calculs numérologie et géomancie

- 77 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

44 Divination par la 70 216-217 2 tortue et l'achillée

Traitements de 45 71 218-220 3 Médecine maladies diverses

72 220 1 Maladies étranges Prédictions faites à 46 73 221-224 4 partir de l'observation Physiognomonie du corps

Divers appareils 47 74 225-227 3 construits avec Dextérité ingéniosité

Exemples de personne 48* Habileté 75 227 1 particulièrement extraordinaire habiles Divers jeux, 49 76 228 1 notamment jeux Jeux d'argent

77 228 1 Jeu de go

78 228 1 (Sorte de jeu de dame) Tanqi (Jeu dans lequel il fallait deviner qui 79 228 1 Jeu du crochet avait un crochet en main)

80 228 1 Jeux divers

Artefacts étranges, 50 81 229-232 4 Objets curieux notamment des épées

Alcools et vins 51 82 233 1 Alcools merveilleux

Capacité à boire sans 52* Résistance à la 83 233 1 être ivre boisson

53* Penchants pour 84 233 1 Alcooliques la boisson

- 78 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

54 85 234 1 Nourritures étranges Nourriture

55* Capacité à 86 234 1 absorber des aliments

56* Nourriture 87 234 1 frugale

57 Relations 88 235 1 amicales

58 Luxe et 89 236-237 2 Personnes dépensières extravagance

59 90 238 1 Diverses escroqueries Fourberies

60 91 239-241 3 Flatteries

Diverses méprises et 61 92 242 1 Erreurs erreurs

62* 93 242 1 Négligences

63 94 243 1 Sécurité financière Revenus

64* 95 243 1 Cupidité

Hommes mesquins, 65 Mesquinerie et 96 244 1 parfois violents irascibilité

66 97 245-252 8 Histoires comiques Humour

Personnes tournées en 67 98 253-257 5 Moqueries ridicule

Comportements 68 99 258-262 5 Railleries inconvenants

- 79 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Comportements 69 100 263-264 2 Friponnerie irresponsables

Comportements 70 101 265-266 2 Insolence méprisables

71 Cruauté et 102 267-269 3 violence Histoires étranges 72 103 270-273 4 impliquant des Femmes femmes

Femmes 104 271 1 vertueuses

Femmes 105 271 1 talentueuses

106 272 1 Belles femmes

107 272 1 Femmes jalouses

108 273 1 Courtisanes

En particulier 73 109 274 1 Sentiments sentiments amoureux

74 Serviteurs et 110 275 1 esclaves

75 111 276-282 7 Rêves

Rêves d'heureux 112 277-278 2 présages

Rêves de mauvais 113 279 1 présages

- 80 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

[Rêves de] 114 280-281 2 Fantômes et esprits

115 282 1 Rêves de voyages

76 116 283 1 Chamans

Matériel lié aux 77* Incantations et 117 283 1 incantations et enchantements enchantements

78 118 284-287 4 Illusions magiques Illusionnisme

Événements 79 Prodiges 119 288-290 3 extraordinaires et inexpliqués inexpliqués Esprits, à la fois 80 120 291-315 25 supérieurs et Esprits inférieurs

Rites et pratiques non 81* 121 315 1 Rites illégitimes orthodoxes Revenants, 82 122 316-355 40 apparitions de Fantômes personnes décédées

Yaksha, démons 83 123 356-357 2 Démons perfides

Divers ectoplasmes, 84 Esprits et âmes 124 358 1 fantômes, sosies, etc. supérieures

Créatures capables de 85 Créatures 125 359-367 9 se transformer fantastiques

Personnes à 86* Humains 126 367 1 l'apparence anormale monstrueux

Divers esprits, 87 Créatures 127 368-373 6 spectres, etc. éthérées

- 81 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Esprits se manifestant Ustensiles divers 128 368-371 4 au travers d'objets du quotidien (et Idoles)

Esprits se manifestant 129 371-372 2 Armes au travers d'armes

Esprits se manifestant 130 373 1 Feu au travers du feu

Esprits se manifestant 131 373 1 Terre au travers de la terre

Manifestations surnaturelles 88 Phénomènes 132 374 1 entourant des objets prodigieux inanimés

Personnes ramenées à 89 Résurrections et 133 375-386 12 la vie, réincarnations réincarnations

Femmes 134 375-376 2 ressuscitées

Morts par 135 376 1 pendaison ressuscités

Résurrections sous 136 376-378 2 Réincarnations une autre forme

Résurrections Personnes renvoyées dans le monde des suite à la 137 378-386 9 rencontre avec un vivants par des fonctionnaires célestes fonctionnaire céleste

Personnes prenant conscience de leur 90 Conscience de 138 387-388 2 incarnation vies antérieures précédente

91 139 289-390 2 Tertres et tombes Inscriptions sur des 92 140 391-392 2 tombes, souvent Mémoires gravés prémonitoires

- 82 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Phénomènes étranges 93 141 393-395 3 Tonnerre liés au tonnerre Crues et incantations 94 142 396 1 pour faire tomber la Pluie pluie

95* 143 396 1 Vent

96* 144 396 1 Arcs-en-ciel Explications des noms de certaines 97 145 397 1 Montagnes montagnes, esprits des montagnes

Histoire d'un torrent 98* 146 397 1 Torrents empoisonné

Pierres hantées, 99 147 398 1 Pierres hommes se pétrifiant

100* 148 398 1 Falaises et sables

101 149 399 1 Eau

102* 150 399 1 Puits Phénomènes étranges 103 151 400-405 6 liés à divers objets Trésors précieux

152 400-401 2 Or

Exemples étranges de 153 401 1 Vif-argent mercure

154 401 1 Jade

155 403-404 2 Trésors divers

156 405 1 Monnaie

157 405 1 Objets fabuleux

- 83 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Phénomènes étranges 104 158 406-417 12 Végétaux liés à divers végétaux

159 406 1 Arbres

Arbres porteurs 160 406 1 de textes

Arbres 161 407 1 extraordinaires

Vignes et plantes 162 407 1 grimpantes

163 408 1 Plantes herbacées

Fleurs de plantes 164 409 1 herbacées

165 409 1 Fleurs d'arbres

166 410-411 2 Fruits

167 411 1 Légumes

168 412 1 Bambous

169 412 1 Cinq céréales

170 412 1 Thés

Sésame (et 171 413 1 Champignons)

172 413 1 Mousses

- 84 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Herbes 173 414 1 médicinales odorantes

Aliments 174 414 1 merveilleux

175 415-416 2 Arbres étranges

176 416-417 2 Fleurs étranges

Herbes 177 417 1 médicinales étranges

Champignons 178 417 1 étranges

Exemples étranges de 105 179 418-425 8 Dragons dragons

106* 180 425 1 (Sorte de dragon) Jiao

Exemples étranges de 107 181 426-433 8 Tigres tigres

Exemples étranges de 108 Animaux 182 434-446 13 domestiques et divers animaux sauvages

183 434 1 Boeufs

Boeufs 184 434 1 reconnaissants

Boeufs en tant 185 434 1 que remise de dette

- 85 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Boeufs blessant 186 434 1 des humains

187 434 1 Boeufs étranges

188 435-436 2 Chevaux

189 436 1 Chameaux

190 436 1 Mules

191 436 1 Ânes

192 437-438 2 Chiens

193 439 1 Moutons

194 439 1 Porcs

195 440 1 Chats

196 440 1 Rongeurs

197 440 1 Belettes

198 441 1 Lions

199 441 1 Rhinocéros

200 441 1 Éléphants

201 441 1 Bêtes diverses

202 442 1 Loups

- 86 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

203 442 1 Ours

204 442 1 Chats sauvages

205 442 1 Hérissons

206 443 1 (Cerfs du père David) Zhu

207 443 1 Cerfs des marais

208 443 1 Cerfs

209 443 1 Lièvres

210 444-446 3 Singes

211 446 1 Macaques

212 446 1 Orang-outang

(Singes à longue 213 446 1 Guoran queue)

(Petits singes à longue 214 446 1 Rong queue)

109 215 447-455 9 Renards

110 216 456-459 4 Serpents

Divers oiseaux 111 217 460-463 4 Oiseaux étranges

218 460 1 Phénix (et Faisans)

219 460 1 Grues

- 87 - 220 460 1 Oiseaux de proie Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

221 460 1 Rapaces

222 460 1 Faucons

223 461 1 Paons

224 461 1 Hirondelles

225 461 1 Francolins perlés

226 461 1 Pies (et Colombes)

227 461 1 Poulets

228 462 1 Oies (et Canards)

229 462 1 Aigrettes

230 462 1 Oies sauvages

231 462 1 Étourneaux

232 462 1 Moineaux

233 462 1 Corbeaux

Chouettes (et 234 462 1 Hiboux)

Créatures aquatiques 112 Créatures 235 464-472 9 étranges aquatiques

Étrangetés 236 467 1 aquatiques

- 88 - Numéro Total Titre de sous- Numéro de Titre de catégorie Juan des Contenu catégorie du sujet catégorie juan

Transformations de créatures 237 468-471 4 aquatiques en humains

Transformations d'humains en 238 471 1 créatures aquatiques

239 472 1 Tortues

Insectes et reptiles 113 240 473-479 7 Insectes étranges

114 241 480-483 4 Peuplades barbares Barbares

115 Biographies 242 484-492 9 Histoires célèbres diverses

116 243 493-500 8 Annales diverses

- 89 - Quelques commentaires sur le tableau

Dans la « Notice », Tan Kai écrit que le Taiping guangji comporte 55 catégories, un nombre qui semble faible si on le compare au tableau que nous avons donné ci-dessus. Niu Jingli estime qu'il est possible que Tan Kai ait en réalité repris ce chiffre d'un passage du Yuhai dans lequel le nombre des catégories du Taiping guangji fut certainement confondu avec celui du Taiping yulan, ce dernier en comportant effectivement 55.173 Il est étonnant de constater que cette erreur se perpétua jusqu'au XXe siècle : c'est finalement Deng Siyu qui établit un nouveau total à 92 catégories principales, auxquelles s'ajoutaient environ 150 sous-catégories, soit environ 242 sujets. Ce dernier nombre est très proche de celui auquel nous sommes nous-mêmes parvenus (243), la différence principale étant que nous considérons certains sujets comme des catégories à part entière, alors que Deng Siyu les traitait comme des sous-catégories. Il y a en effet plusieurs juan qui comportent plus d'une catégorie, mais, dans la table des matières, seul le nom de la première d'entre elles est apposé au numéro du juan en tant que catégorie principale. Prenons comme exemple le juan 396 : la catégorie qui lui est liée est « Pluie » , mais il inclut également « Vent » et « Arcs-en-ciel » . Suivant l'avis de Niu Jingli, nous avons choisi de considérer ces deux sujets comme des catégories à part entière, et non pas comme des sous-catégories.174 Ce cas de figure se retrouve à 24 reprises dans l'ouvrage : nous dénombrons donc au total 116 catégories, ainsi que 127 sous-catégories, soit 243 sujets au total. Nous avons attribué un numéro à chaque sujet pour qu'il soit plus facile de les identifier par la suite. Dans ce travail, nous avons décidé de ne considérer comme sujet que ceux qui sont expressément cités dans le Taiping guangji. Par exemple, le troisième juan de la catégorie « Trésors » ne contient que des histoires à propos de perles précieuses, mais le titre « Perle » n'étant mentionné nulle part, nous ne considérons pas cet ensemble comme une catégorie. Par ailleurs, certaines sous-catégories sont difficiles à déterminer, notamment à cause d'une mise en page peu claire. C'est le cas du premier juan de la catégorie « Oiseaux » , dans lequel les titres de sous-catégories n'apparaissent pas au même niveau que dans le reste de l'ouvrage. Enfin, quelques sous-catégories n'apparaissent pas en

173 Voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, p. 21. 174 Ces catégories sont marquées d'un astérisque dans le tableau.

- 90 - tant que telles dans la table des matières, mais sont seulement mentionnées dans les juan en question.175 Le critère essentiel pris en compte dans ce travail afin de dénombrer les sujets traités est la présence d'un titre de catégorie ou de sous-catégorie qui définirait un ensemble de textes. Nous arrivons donc à un total de 243 sujets différents qui sont abordés dans le Taiping guangji, répartis en 116 catégories distinctes. Ce nombre élevé indique que les compilateurs avaient certainement pour but de séparer le plus clairement possible les différentes catégories. La division opérée par les 116 catégories sur 500 juan du Taiping guangji semble en tout cas plus précise que celle des 55 catégories réparties sur les 1'000 juan du Taiping yulan. Cela démontre une certaine volonté d'exhaustivité qui nous semble importante dans le cadre d'un leishu. Ces éléments nous confortent une fois de plus dans l'idée que l'ouvrage était destiné à un usage pratique, et ses nombreuses catégories visaient à permettre au lecteur de retrouver rapidement des histoires à propos des sujets qui l'intéressaient.

175 C'est par exemple le cas dans la catégorie 89, « Résurrections et réincarnations » .

- 91 - La hiérarchie des catégories

Après avoir énuméré l'entier des catégories et sous-catégories présentes dans le Taiping guangji, nous allons dès à présent tenter de comprendre les principes généraux régissant leur organisation. Nous verrons également si ces principes furent éventuellement inspirés de recueils de menus propos antérieurs, et effectuerons une rapide comparaison entre l'ordre général du Taiping guangji et celui du Taiping yulan. Pour ce faire, nous nous concentrerons sur les 116 catégories principales que nous avons définies précédemment, sans entrer dans les détails des sous-catégories.

La taille et l'ordre des catégories

La taxinomie du Taiping guangji est assez inhabituelle pour un leishu impérial, et constitue ainsi une alternative dans l'organisation du savoir. Le contenu de l'ouvrage le rapproche donc naturellement des recueils de menus propos antérieurs, dont les premiers exemples datent de la période des Six Dynasties. Robert Campany décrit ces recueils comme des cosmographies, des ensembles de textes cherchant à définir le monde et ses phénomènes étranges en les classant d'une manière rationnelle.176 Cette idée se retrouve bien entendu dans le Taiping guangji, sa taille importante lui permettant justement de traiter un très grand nombre de sujets différents. Si les compilateurs souhaitaient effectivement « domestiquer » le monde et ses étrangetés, il leur fallait être le plus exhaustif possible : c'est probablement la raison pour laquelle l'ouvrage comprend une si grande variété de catégories. Cette profusion fit écrire à certains auteurs que les catégories du Taiping guangji étaient désordonnées et qu'elles se répétaient : Liu Yeqiu, par exemple, estime que « Immortels divins » , « Immortelles » et « Esprits » sont redondants.177 Pourtant, les sujets de ces trois catégories ont des caractéristiques différentes : alors que les « Immortels divins » et les « Immortelles » sont de genres différents, les « Esprits » sont des êtres spirituels rattachés à une région en particulier, ils sont par conséquent liés à des croyances

176 Voir Robert Campany, Strange Writing. Anomaly Accounts in Early Medieval China, pp. 156-159. 177 Voir Liu Yeqiu , Leishu jianshuo . Shanghai : Shanghai guji chubanshe, 1987, p. 49

- 92 - plus locales que dans le cas des « Immortels divins » et des « Immortelles ». Zhang Guofeng considère lui aussi certaines divisions comme étant arbitraires : il s'étonne notamment de la présence de catégories telles que « Serpents » , « Renards » ou « Tigres » . 178 Il pourrait en effet sembler superflu de les séparer de la catégorie intitulée « Animaux domestiques et sauvages » , dont les nombreuses sous-catégories renvoient à différentes espèces animales. Toutefois, il nous semble que la volonté de distinguer « Serpents », « Renards » et « Tigres » des autres « Animaux domestiques et sauvages » indique justement que les croyances et légendes concernant ces trois animaux étaient particulièrement importantes. Cela se reflète d'ailleurs dans la taille de ces différentes catégories : « Serpents » comporte quatre juan, « Renards » neuf juan, et « Tigres » huit juan. Par comparaison, les sous-catégories d'« Animaux domestiques et sauvages », comme « Ours » , n'atteignent que rarement un juan entier. Ainsi, il nous semble que si les compilateurs décidèrent d'intégrer un plus grand nombre de textes en rapport avec les « Serpents », « Renards » et « Tigres » tout en les différenciant des autres « Animaux domestiques et sauvages », c'est qu'il s'agissait d'un choix délibéré, et ne résultait donc pas d'un manque de logique, comme a pu l'écrire Zhang Guofeng. Dans le Taiping guangji, tous les titres de catégories font référence à un sujet précis (la catégorie « Fantômes » est composée de textes en lien avec des fantômes, la catégorie « Vent » de textes en lien avec le vent, etc.). Il y a cependant deux exceptions, à savoir les deux dernières catégories de l'ouvrage : « Biographies diverses » et « Annales diverses » . Ces deux catégories comprennent en effet des textes aux sujets indéfinissables. La première est ainsi essentiellement constituée de chuanqi assez longs – quatorze textes répartis en neuf juan – qui furent vraisemblablement intégrés en vertu de leur qualité littéraire.179 Les « Annales diverses » regroupent quant à elles différents récits que les compilateurs ne réussirent apparemment à classer dans aucune des autres catégories. Les raisons de ces choix restent encore peu claires, aucun chercheur n'ayant à notre connaissance tenté de comparer les caractéristiques de ces textes avec ceux contenus dans les autres catégories. Le fait que ces deux catégories soient placées à la toute fin de l'ouvrage pourrait du moins indiquer qu'elles étaient d'une importance moindre, ou plutôt qu'elles étaient d'une utilité moindre. Comme elles ne renvoient pas à un concept précis,

178 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, p. 101. 179 C'est par exemple dans cette catégorie que se trouve la fameuse histoire de Bébé Li .

- 93 - nous avons choisi de ne pas les prendre en compte dans l'établissement de la hiérarchie des catégories. Arrêtons-nous maintenant sur la place que prennent respectivement les différentes catégories dans le Taiping guangji. En consultant le tableau donné ci-dessus, de grandes inégalités apparaissent entre le nombre de juan qui composent ces catégories. Par exemple, « Immortels divins » comporte 55 juan, alors que « Sages illustres » n'en compte qu'un seul. Ainsi, sur un total de 116 catégories, 14 d'entre elles s'étalent sur 270 juan180, alors que les 102 autres sont partagées entre les 230 juan restants. Zhang Guofeng explique cet écart par la popularité probable des sujets de ces quatorze catégories.181 Selon lui, la grande popularité d'un sujet entraînait en effet l'apparition d'un nombre croissant d'histoires en lien avec celui-ci. Ainsi, les compilateurs se seraient retrouvés avec une grande quantité de récits concernant ces quatorze catégories, et adaptèrent donc en conséquence la place qui leur était réservée dans le Taiping guangji. Une fois encore, nous n'adhérons pas totalement au raisonnement de Zhang Guofeng. Si la quantité des textes à disposition sur un sujet donné a certainement eu une influence sur la taille de la catégorie correspondante, il n'est pas exclu que Li Fang et ses collaborateurs aient opéré des choix visant à minimiser ou donner plus d'importance à certains groupes de textes, sans prendre en compte la quantité des matériaux disponibles. Si la taille des différentes catégories est certainement en partie révélatrice de l'importance de celles-ci aux yeux des compilateurs, l'ordre dans lequel elles apparaissent est également un critère important. Il n'est à ce titre certainement pas innocent que la première catégorie du Taiping guangji soit également celle comportant le plus de textes, ce qui indiquerait que les « Immortels divins » occupaient une position privilégiée dans la tradition littéraire des menus propos. Le fait que les « Immortelles » se retrouvent séparées de leurs équivalents masculins et placées après ceux-ci tend également à indiquer leur statut moindre. Un autre exemple intéressant est la place allouée à la catégorie « Barbares » , celle-ci se retrouvant en effet rétrogradée à la toute fin de l'ouvrage, après les « Créatures aquatiques » et les « Insectes » . En mettant de côté « Biographies

180 Il s'agit des catégories suivantes : « Immortels divins » , 55 juan ; « Fantômes » , 40 juan ; « Rétribution » , 33 juan ; « Esprits » , 25 juan ; « Immortelles » , 15 juan ; « Destinée » , 15 juan ; « Animaux domestiques et sauvages » , 13 juan ; « Moines extraordinaires » , 12 juan ; « Résurrections et réincarnations » , 12 juan ; « Végétaux » , 12 juan ; « Signes en réponse » , 11 juan ; « Créatures fantastiques » , 9 juan ; « Renards » , 9 juan ; « Créatures aquatiques » , 9 juan. 181 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, pp. 104-105.

- 94 - diverses » et « Annales diverses », il s'agit donc de la dernière catégorie du livre, ce qui semble révélateur du statut donné à certaines populations barbares lors de la dynastie Song.

Ciel, Société humaine et Terre dans le Taiping guangji

D'un point de vue plus général, Sheng Li suggère une intéressante séparation des catégories en trois grandes sections, chacune rattachée à un aspect du monde : le Ciel , la Société humaine et la Terre .182

Le Ciel : La première de ces sections comprend des catégories ayant pour sujets des immortels et des divinités, ainsi que des personnes exerçant des activités spirituelles en dehors de la société, tels les moines bouddhistes et les prêtres taoïstes. Bien que ces derniers ne soient pas des êtres célestes à proprement parler, ils sont à même d'accéder au monde spirituel grâce aux prières et rituels qu'ils pratiquent. Composée de 98 juan au total, cette section concerne les six premières catégories du Taiping guangji (numéros 1 à 6) : « Immortels divins », « Immortelles », « Arts du Dao », « Alchimistes », « Hommes extraordinaires » et « Moines extraordinaires ».

La Société humaine : Comme son nom l'indique, cette section regroupe des catégories en lien avec les Hommes et l'impact que les phénomènes étranges peuvent avoir sur les vies humaines. Comptant pas moins de 293 juan, elle comprend les 86 catégories suivantes (numéros 7 à 92) : « Témoignages sur le bouddhisme », « Rétribution », « Signes en réponse », « Destinée », « Réactions célestes », « Réponses et présages » | « Sages illustres », « Remontrances dissimulées », « Intégrité et frugalité », « Avarice », « Générosité », « Compréhension des hommes », « Examens subtils », « Éminents orateurs », « Enfants sagaces », « Mesure des capacités » | « Candidats aux examens », « Clans et familles », « Sélection des fonctionnaires », « Administrations », « Usurpateurs d'autorité », « Généraux », « Ruses diverses », « Hommes intrépides », « Redresseurs de torts », « Savoir étendu », « Composition littéraire », « Officiers militaires aux talents littéraires », « Talents reconnus », « Aspirations et désirs », « Conduite des lettrés », « Compassion envers les hommes de talents », « Ermites illustres » | « Musique »,

182 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, pp. 60-65.

- 95 - « Écrits », « Peintures et dessins » | « Calculs », « Divination par la tortue et l'achillée », « Médecine », « Physiognomonie », « Dextérité », « Habileté extraordinaire » | « Jeux », « Objets curieux », « Alcools », « Résistance à la boisson », « Addiction à l'alcool », « Nourriture », « Capacité à absorber des aliments », « Nourriture frugale » | « Relation amicale », « Luxe et extravagance », « Fourberies », « Flatteries », « Erreurs », « Négligences », « Revenus », « Cupidité », « Mesquinerie et irascibilité », « Humour », « Moqueries », « Railleries », « Friponnerie », « Insolence », « Cruauté et violence », « Femmes », « Sentiments », « Serviteurs et esclaves » | « Rêves », « Chamans », « Incantations et enchantements », « Illusionnisme », « Prodiges inexpliqués », « Esprits », « Rites illégitimes », « Fantômes », « Démons », « Esprits et âmes supérieures », « Créatures fantastiques », « Humains monstrueux », « Créatures éthérées », « Phénomènes prodigieux » | « Résurrections et réincarnations », « Conscience de vies antérieures », « Tertres et tombes » et « Mémoires gravés ». Dans cette section sur la « Société humaine », les catégories aux sujets proches semblent se suivre et former des groupes. Nous proposons donc de la diviser en neuf parties (séparées par des barres verticales « | » dans l'énumération ci-dessus) : Interactions entre le Ciel et les humains ; Qualités et défauts des êtres humains ; Positions dans la société ; Arts ; Sciences ; Loisirs ; Relations humaines et sentiments183 ; Phénomènes étranges ayant une incidence sur la vie humaine ; Vies et morts. Il est possible que l'ordre donné à ces différentes parties reflète les préférences des compilateurs. Il est par exemple intéressant de constater que la partie sur les « Arts » précède celle sur les « Sciences » : composition littéraire, peinture et musique étaient en effet des activités très appréciées des lettrés, et il ne serait pas étonnant que ces sujets aient été ici privilégiés par rapport aux sciences comme la divination et la médecine.184

La Terre (ou la Nature) : La dernière de ces trois grandes sections rassemble les catégories ayant trait à différents éléments naturels et géographiques, comme les montagnes, les animaux ou encore les végétaux. Composée de 90 juan, elle concerne les 22

183 Notons que les « Femmes » sont placées parmi les autres catégories en rapport avec des sentiments, ce qui semble indiquer que les femmes étaient ici uniquement considérées pour les émotions qu'elles pouvaient susciter auprès de la gent masculine. 184 La catégorie « Médecine » se retrouve en effet entre « Divination par la tortue et l'achillée » et « Physiognomonie », ce qui est certainement révélateur du statut réservé à la médecine aux yeux des compilateurs. Il s'agit là de sciences « utiles » : elles ont des applications pratiques, que ce soit dans le but de soigner ou de prédire des événements futurs.

- 96 - dernières catégories de l'ouvrage (numéros 93 à 114) : « Tonnerre », « Pluie », « Vent », « Arcs-en-ciel », « Montagnes », « Torrents », « Pierres », « Falaises et sables », « Eau », « Puits », « Trésors », « Végétaux », « Dragons », « Jiao », « Tigres », « Animaux domestiques et sauvages », « Renards », « Serpents », « Oiseaux », « Créatures aquatiques », « Insectes » et « Barbares ». À noter que la catégorie « Trésors » se retrouve dans cette section car les histoires qu'elle contient prennent presque systématiquement place dans des environnements naturels (apparition miraculeuse d'or au fond d'un lac, par exemple).

Bien que nous ne partagions pas toujours les vues de Sheng Li concernant le Taiping guangji, cette séparation en trois parties nous semble ici tout à fait pertinente. Nous assistons donc à l'enchaînement suivant :

Ciel –> Société humaine –> Terre.

Cet ordre pourrait être interprété comme une reproduction imagée de l'ordre naturel du monde, avec le Ciel au dessus, les Humains au centre, et la Terre en dessous. Par ailleurs, en considérant que l'ordre des catégories détermine leur statut dans l'ouvrage, alors, dans le Taiping guangji, le monde céleste primerait sur le monde humain, qui lui-même primerait sur le monde naturel. Cette hiérarchie n'est pas sans rappeler le concept bouddhique de la roue de l'existence karmique, et plus précisément des six états possibles de la transmigration. En effet, dans cette représentation du cycle des réincarnations apparaissent entre autres Divinités, Humains et Animaux. Leur hiérarchie est analogue à celle présentée dans le Taiping guangji, puisqu'un animal au karma positif pourra se réincarner en humain, qui à son tour pourra se réincarner en divinité suite à l'accumulation suffisante de mérites. Nous retrouvons donc cette même vision d'un monde dans lequel l'humain est en quelque sorte un être au statut intermédiaire, à mi-chemin entre le Ciel et la Terre : s'il lui est en théorie possible d'accéder au royaume céleste, il est souvent rattrapé par ses bas instincts. L'idée que les humains peuvent s'élever afin de devenir des êtres divins n'est d'ailleurs pas exclusive au bouddhisme : les immortels taoïstes sont eux aussi bien souvent de simples hommes qui seraient parvenus à la vie éternelle par différentes techniques ou en faisant preuve d'une vertu particulièrement remarquable. À l'inverse, l'ouvrage comporte de nombreuses histoires de personnes transformées en

- 97 - animaux, ou même en éléments naturels, tels que des pierres. Ainsi, les « trois mondes » – céleste, humain et terrestre – bien que séparés à l'origine, s'avèrent être reliés entre eux et perméables. Or, il nous semble justement que cette conception se reflète dans l'organisation des catégories du Taiping guangji telle que nous l'avons exposée, sans que nous puissions dire si cela était volontaire ou non de la part des compilateurs. Autre point intéressant, le nombre de juan des sections : si « Ciel » et « Terre » comptent tous deux environ 100 juan, la section « Société humaine » en comporte presque 300, soit trois fois plus. Cette différence marque l'importance donnée à la société : dans le Taiping guangji, c'est l'Homme qui est au centre des préoccupations. À notre sens, cela démontre une volonté de toucher le lecteur en lui présentant un monde familier, celui-ci étant plus enclin à s'intéresser à des sujets dont il a déjà une certaine connaissance. On retrouve ici l'idée d'un savoir complémentaire sur des sujets certes singuliers, mais qui restaient tout de même en lien avec le monde dans lequel évoluaient les lecteurs. Les histoires sur la « Société humaine » n'avaient ainsi pas le prestige de celles concernant le « Ciel » – un immortel gardant bien entendu un statut plus élevé qu'un simple homme –, mais elles n'en constituaient pas moins la part la plus importante de l'ouvrage en terme numéraire. Cette volonté de placer l'humain au centre de l'ouvrage est selon nous un reflet de la volonté initiale de l'empereur Taizong et des compilateurs d'adresser le Taiping guangji à un public relativement large. En cela, il peut être interprété comme une tentative de relier le pouvoir à la population par le biais d'un leishu traitant de sujets qui concernaient chacun, et non pas seulement les lettrés érudits. Comme nous l'avons mentionné au début de ce travail, l'un des principaux défis du règne de Taizong était en effet de consolider l'emprise du pouvoir impérial sur l'empire. Même si la majorité de la population n'était pas capable de lire le Taiping guangji, la compilation d'un tel ouvrage pouvait être vue comme un signe de l'ouverture d'esprit de la nouvelle dynastie. Nous avons donc constaté que le Taiping guangji peut être découpé en trois parties se succédant dans un certain ordre : Ciel –> Société humaine –> Terre. Or, ce n'était pas la première fois que cet ordre apparaissait dans un ouvrage, puisqu'on retrouve ce découpage implicite dans plusieurs autres recueils de menus propos antérieurs.

- 98 - Ciel, Société humaine et Terre dans les recueils de menus propos antérieurs

Dans les premiers ouvrages rassemblant des textes apparentés aux menus propos, comme le Shanhai jing , les écrits étaient classés selon des principes topographiques et géographiques. Vers la fin du IIIe siècle, les recueils commencèrent à être divisés par sujets, même si les sections ne comportaient pas toujours de titre. De nombreuses collections de menus propos utilisèrent donc une classification par catégories, et ces ouvrages inspirèrent certainement les compilateurs du Taiping guangji. On y retrouve en effet la distinction entre les trois sections dont nous avons parlé dans le paragraphe précédent. Nous avons ici choisi de nous limiter à un bref survol de quelques recueils datant de périodes différentes : le Bowuzhi (fin du IIIe siècle), le Shishuo xinyu (Ve siècle), le Youyang zazu (IXe siècle) et le Luyiji (début du Xe siècle). À l'exception du dernier, tous ces recueils sont cités dans la table des sources du Taiping guangji, ce qui indique que les compilateurs en avaient connaissance et qu'ils les utilisèrent.185 Compilé par Zhang Hua (232-300), le Bowuzhi contient surtout des textes descriptifs. Ceux-ci sont divisés en 39 sujets qui sont tous dotés de titres (on ignore cependant si ceux-ci étaient présents à l'origine ou s'ils furent ajoutés par la suite). Toujours est-il que cette division suit l'ordre général suivant : Indications géographiques et topographiques ; Animaux étranges ; Société humaine.186 L'accent est ici mis sur les phénomènes étranges dans la nature, les humains n'étant le sujet que d'un petit nombre de catégories, qui plus est situées à la fin de l'ouvrage. Notons également l'absence de catégorie consacrée à des immortels ou des divinités en particulier. Le Shishuo xinyu fut quant à lui compilé par Liu Yiqing (403-444), et comporte 36 catégories. Au contraire du Bowuzhi, celles-ci sont presque entièrement orientées vers les êtres humains, leurs activités et leurs sentiments.187 Cette redéfinition du sujet principal des menus propos exerça une grande influence sur les recueils suivants, dont la société humaine fut dès lors l'une des préoccupations majeures. Le Shishuo xinyu ne comporte par contre aucune catégorie directement en lien avec les immortels ou les divinités, tout comme le Bowuzhi. Non pas que les histoires d'augustes et autres saints ne

185 Nous avons cependant vu que la table des sources n'était pas toujours fiable, puisque de nombreux ouvrages qui furent utilisés par les compilateurs n'y apparaissent pas. Il est donc tout à fait possible que le Luyiji fut lui aussi consulté lors de la compilation du Taiping guangji. 186 Voir Robert Campany, Strange Writing. Anomaly Accounts in Early Medieval China, pp. 49-52. 187 Voir Zhang Guofeng, « Taiping guangji » banben kaoshu, p. 102.

- 99 - fussent populaires à cette époque, mais les recueils de menus propos se cantonnaient alors à un nombre restreint de sujets, et ne cherchaient pas l'exhaustivité. Le Youyang zazu, compilé quatre siècles plus tard lors de la dynastie Tang par Duan Chengshi (env. 800-863), garde cette volonté de placer l'humain au centre des histoires, tout en introduisant des sections plus précisément en lien avec les trois principales doctrines de la Chine ancienne : le taoïsme, le bouddhisme et le confucianisme.188 Cette pratique nous semble marquer l'appropriation des menus propos par ces trois doctrines en tant que moyen de transmettre des idées à travers la population. Par ailleurs, plusieurs titres de catégories présents dans le Youyang zazu se retrouvent dans le Taiping guangji, tels que « Tonnerre » , « Rêves » , ou encore « Sutra du diamant » . En simplifiant quelque peu, et en reprenant la division en trois sections utilisée précédemment, on pourrait résumer l'ordre général de ce recueil de la manière suivante : Société humaine ; Ciel (Immortels et esprits) ; Terre (Animaux et végétaux). Malgré la présence d'êtres célestes, l'humain semble garder ici une place privilégiée. Dernier exemple de recueil de menus propos que nous aborderons ici, le Luyiji fut compilé par Du Guangting (850-933), taoïste au service de la cour impériale à la fin de la dynastie Tang. Bien que ce recueil ne comporte que huit juan, Sheng Li fait remarquer que l'ordre de ses catégories est très similaire à celui du Taiping guangji : Immortels et divinités ; Société humaine ; Fantômes et esprits (en lien avec les hommes) ; Animaux ; Nature et géographie.189 Il s'agit donc du même enchaînement : Ciel –> Société humaine –> Terre. Cependant, le Luyiji se concentre essentiellement sur les affaires taoïques, alors que le Taiping guangji s'attache à intégrer les différentes doctrines, se rapprochant sur ce point du Youyang zazu. Il n'est bien entendu pas ici question d'appliquer quelques remarques concernant un nombre restreint d'ouvrages à l'ensemble des recueils de menus propos de la Chine ancienne, mais nous pouvons tout de même émettre deux observations. Premièrement, il semble que le sujet de prédilection de ces histoires étranges soit peu à peu passé des différents éléments naturels à la société humaine. La raison de ce changement est à chercher du côté des lecteurs, ceux-ci s'intéressant certainement davantage aux récits prenant place dans un environnement qui leur était familier. Deuxièmement, nous constatons l'intégration de thématiques « religieuses » dans ces recueils, notamment à partir

188 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, p. 44. 189 Voir Ibid., pp. 45-48.

- 100 - de la dynastie Tang. Or, ces deux caractéristiques sont à notre sens au coeur du Taiping guangji. Cela étant dit, il faut également garder à l'esprit que ce dernier était d'une taille largement supérieure aux recueils cités ci-dessus, et qu'il comportait un bien plus grand nombre de catégories. De plus, il fut commandé par l'empereur, ce qui imposait aux compilateurs un certain standard de qualité. Ainsi, même si ceux-ci s'inspirèrent sans nul doute des collections de menus propos précédentes, ils ne perdirent pas de vue qu'ils avaient pour mission de compiler un leishu impérial, avec tout le sérieux et l'exhaustivité que cela impliquait.

Ciel, Terre et Société humaine dans le Taiping yulan

Nous avons mentionné que le Taiping guangji et le Taiping yulan ne poursuivaient pas les mêmes buts, voyons maintenant brièvement de quelle manière cela se reflétait sur l'organisation de leurs catégories. Ainsi, le Taiping yulan reprenait une classification déjà bien établie par les leishu précédents. À ce titre, Johannes Kurz fait remarquer que l'ouvrage suit à peu près le schéma du Yiwen leiju190, qui était justement l'un des modèles cités par Taizong dans le passage du Yuhai relatant l'ordre de compilation que nous avons traduit précédemment.191 Jean-Pierre Drège définit la hiérarchie des catégories du Yiwen leiju de la manière suivante : Ciel et éléments célestes –> Terre et éléments géographiques –> Hommes et activités humaines.192 Remarquons qu'il s'agit des trois mêmes sections (Ciel, Terre et Société humaine) que nous avons précédemment utilisées afin de découper le Taiping guangji, mais dans un ordre différent. Le Taiping yulan, suivant le modèle du Yiwen leiju, classe ainsi ses 55 catégories selon un enchaînement : Ciel –> Terre –> Société humaine. Si le yulan et le guangji commencent tous deux par le « Ciel », le yulan place donc la « Terre » avant la « Société humaine ». Cette dernière section reste par contre la plus importante en terme de nombre de juan, et ce dans les deux ouvrages. Ainsi, malgré des différences dans les sujets abordés et

190 Le Yiwen leiju, compilé sur ordre impérial par une équipe à la tête de laquelle se trouvait Ouyang Xun (557-641), est un leishu qui fut achevé en 624 et qui comptait 46 catégories réparties sur 100 juan. 191 Voir Johannes Kurz, « The Compilation and Publication of the Taiping yulan and the Cefu Yuangui », in Extrême-Orient, extrême Occident : hors-série, Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, pp. 48-49. 192 Voir Jean-Pierre Drège, « Des ouvrages classés par catégories : les encyclopédies chinoises », in Extrême- Orient, extrême Occident : hors-série Qu'était-ce qu'écrire une encyclopédie en Chine ?, p. 28.

- 101 - leur ordre, le yulan et le guangji partageaient les mêmes préoccupations générales (Ciel, Terre et Société humaine) et mettaient tous deux l'accent sur les hommes et leurs activités. Li Fang et ses collaborateurs ajoutèrent également quelques nouveaux sujets au Taiping yulan par rapport aux leishu précédents, tels que le « Bouddhisme » et le « Taoïsme » . Même si ces deux catégories ne comptent au total que 27 juan sur les 1'000 de l'ouvrage, leur présence marque tout de même l'intérêt que Taizong nourrissait envers les différentes croyances.

- 102 - Doctrines et croyances dans le Taiping guangji

Nous avons vu que le Taiping guangji peut être séparé en trois sections – Ciel, Société humaine et Terre – porteuses à notre sens d'une certaine vision clairement hiérarchisée du monde. Néanmoins, il est également possible de découper l'ouvrage en fonction des doctrines ou croyances auxquelles se rapportent les différentes catégories. En effet, nous rejoignons l'avis des nombreux auteurs estimant que les sujets traités et leur ordre démontrent que les compilateurs avaient une conception des menus propos essentiellement tournée vers la question des doctrines et des croyances répandues dans la société du Xe siècle.193 Quatre thématiques principales se dégagent ainsi dans le Taiping guangji : la Pensée taoïque, la Pensée bouddhique, la Pensée lettrée, et les Croyances diverses.

Catégories en lien avec les pensées taoïque, bouddhique et lettrée

La question de la place occupée par le taoïsme dans le Taiping guangji est sujette à discussion. Certains, comme Russel Kirkland ou Sheng Li194, considèrent que l'ouvrage tout entier est imprégné de culture taoïque. D'autres, comme Niu Jingli et Zeng Lijun195, émettent un avis plus mesuré, limitant l'influence directe du taoïsme à quelques catégories seulement. Pour notre part, c'est ce dernier avis que nous rejoignons, et ce, même si la pensée taoïque semble effectivement tenir une place privilégiée dans le Taiping guangji. Les catégories qui nous semblent présenter un lien particulier avec le taoïsme sont : « Immortels divins », « Immortelles », « Arts du Dao », « Alchimistes » et « Hommes extraordinaires », soit les cinq premiers sujets de l'ouvrage, représentant un total de 86 juan.196 Il y est question d'immortels, de prêtres taoïstes, ainsi que de personnages usant de techniques occultes qui sont souvent rattachés au taoïsme, tels les alchimistes . Rappelons que la poursuite de la longue vie était en effet un des thèmes récurrents de la

193 C'est par exemple l'avis de Ling Yuzhi, voir « Taiping guangji de bianke, chuanbo ji xiaoshuo guannian », pp. 76-77. 194 Voir Russell Kirkland, « A World in Balance: Holistic Synthesis in the T'ai-p'ing kuang-chi. », p. 70 ; et Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, p. 2. 195 Voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, pp. 24-26 ; ainsi que Zeng Lijun et Liu Huogen, « Taiping guangji zongjiao wenhua yanjiu shuping », pp. 114-119. 196 Niu Jingli opère un regroupement similaire, voir « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, p. 25.

- 103 - pensée taoïque, les récits sur les « Immortels divins » et les « Immortelles » relatant entre autres de nombreuses anecdotes sur des hommes ou des femmes ayant atteint l'immortalité grâce à des procédés spécifiques. Ce faisant les compilateurs livraient donc leur interprétation de ce qu'était un immortel.

Les textes du Taiping guangji en lien avec le bouddhisme concernent essentiellement la rétribution et la réincarnation, en plus de récits sur des moines extraordinaires. Nous considérons ainsi que la pensée bouddhique eut une influence particulière sur les catégories « Moines extraordinaires », « Témoignages sur le bouddhisme », « Rétribution », « Résurrections et réincarnations » et « Conscience de vies antérieures », soit 62 juan en tout. Ces récits donnent notamment au lecteur des anecdotes visant à prouver la réalité des enseignements bouddhiques, tout en l'aidant à mieux comprendre deux concepts fondamentaux du bouddhisme (rétribution et réincarnation). La catégorie « Rétribution » peut par ailleurs être divisée en deux parties, l'une strictement bouddhique197, et l'autre comportant des histoires du monde séculier.198 Dans les deux cas cependant, la morale des textes nous enseigne que les bonnes actions sont récompensées et les mauvaises punies, ce qui renvoyait le lecteur aux concepts bouddhiques de karma et d'accumulation des mérites.

La pensée lettrée – ou confucéenne199 – est très présente dans le Taiping guangji, ce qui n'est aucunement étonnant puisqu'il fut justement compilé par des lettrés. Ainsi, ce ne sont pas moins de 95 juan qui nous semblent présenter un lien direct avec la pensée lettrée. Ces textes peuvent être divisés en trois parties : Premièrement, les catégories « Signes en réponses », « Destinée », « Réactions célestes » et « Réponses et présages » concernent toutes le destin de lettrés, donnant au lecteur des exemples de personnages vertueux connaissant le succès dans leur carrière. D'autre part, les catégories « Sages illustres », « Remontrances dissimulées », « Intégrité et frugalité », « Avarice », « Générosité », « Compréhension des hommes », « Examens subtils », « Éminents orateurs », « Mesure des capacités », « Candidats aux examens », « Clans et familles », « Sélection des fonctionnaires », « Administrations »,

197 Les sous-catégories « Sutra du Diamant », « Sutra de Guanyin » et « Vénération des sutras et images sacrées ». 198 Les sous-catégories « Mérites cachés », « Créatures diverses », « Injustice et rétribution », « Servante et concubine », « Exécutions d'êtres vivants » et « Animaux et karma ». 199 Par « pensée lettrée » nous faisons ici référence à la pensée des ru .

- 104 - « Usurpateurs d'autorité », « Savoir étendu », « Composition littéraire », « Officiers militaires aux talents littéraires », « Talents reconnus », « Aspirations et désirs » et « Conduite des lettrés » définissent quant à elles les pratiques lettrées, les vertus à cultiver, ainsi que les vices à éviter. Enfin, les catégories « Relation amicale », « Luxe et extravagance », « Fourberies », « Flatteries », « Erreurs », « Négligences », « Revenus », « Cupidité », « Mesquinerie et irascibilité », « Humour », « Moqueries », « Railleries », « Friponnerie », « Insolence » et « Cruauté et violence » donnent des exemples de comportements répréhensibles d'un point de vue lettré, permettant ainsi au lecteur d'apprendre les règles de vertu afin de se tenir convenablement en société. Toutes les catégories citées ci-dessus véhiculent ainsi une certaine morale lettrée, qui peut être apparentée à la doctrine confucéenne.200

Catégories en lien avec les « croyances diverses »

Pour finir, nous avons choisi de regrouper sous le titre de « croyances diverses » les catégories qui traitent de sujets impliquant des phénomènes étranges qui ne sont pas reliés aux trois principales doctrines que nous venons d'exposer. Cela concerne les catégories suivantes : « Rêves », « Chamans », « Incantations et enchantements », « Illusionnisme », « Prodiges inexpliqués », « Esprits », « Rites illégitimes », « Fantômes », « Démons », « Esprits et âmes supérieures », « Créatures fantastiques », « Humains monstrueux », « Créatures éthérées », « Phénomènes prodigieux », « Tertres et tombes », « Mémoires gravés », « Tonnerre », « Pluie », « Vent », « Arcs-en-ciel », « Montagnes », « Torrents », « Pierres », « Falaises et sables », « Eau », « Puits », « Trésors », « Végétaux », « Dragons », « Jiao », « Tigres », « Animaux domestiques et sauvages », « Renards », « Serpents », « Oiseaux », « Créatures aquatiques », « Insectes » et « Barbares ». Les croyances dans les esprits, fantômes ou éléments naturels singuliers étaient souvent antérieures à l'apparition des religions en Chine ancienne. Même si cet ensemble de croyances ne constituait pas une doctrine en soi, celles-ci étaient très répandues parmi la population à l'époque de la compilation du Taiping guangji. Notons qu'en raison de la grande variété des sujets abordés, les catégories en lien avec ces « croyances diverses » sont particulièrement nombreuses.

200 Sur ce point, voir Niu Jingli, « Taiping guangji » de chuanbo yu yingxiang, p. 25.

- 105 - La cohabitation harmonieuse de ces doctrines et croyances

Il est ici important de remarquer que la division opérée ci-dessus ne touche pas toutes les catégories, une minorité d'entre elles n'ayant selon nous pas de lien particulier avec les différentes doctrines ou croyances.201 En nous concentrant sur les quatre thématiques que nous venons de définir, nous constatons qu'elles apparaissent dans le Taiping guangji selon l'ordre général suivant :

Pensée taoïque –> Pensée bouddhique –> Pensée lettrée –> Croyances diverses

Sheng Li interprète cet ordre comme le signe que le taoïsme avait les faveurs de Taizong et des compilateurs par rapport aux autres croyances.202 Nous estimons pour notre part que cet arrangement reflétait plutôt la volonté de donner une place précise à ces différentes pensées, en les intégrant de manière harmonieuse dans l'ouvrage. En effet, en combinant ces quatre thématiques avec la division en trois sections (Ciel –> Société humaine –> Terre) dont nous avons parlé précédemment, il nous est possible de faire quelques remarques qui nous semblent intéressantes. Nous constatons ainsi que les catégories en lien avec le taoïsme sont toutes comprises dans la section « Ciel », alors que celles ayant trait au bouddhisme se retrouvent dans la section « Société humaine » (à l'exception des « Moines extraordinaires »). La vision du taoïsme véhiculée par les textes du Taiping guangji est en effet essentiellement centrée sur des considérations spirituelles, alors que le bouddhisme y apparait comme un moyen permettant de trouver des solutions aux problèmes de la vie quotidienne.203 Cette idée est reprise par Huang Yongnian, qui considère que le taoïsme était à cette époque avant tout destiné à une certaine élite, au contraire du bouddhisme qui rencontrait alors un grand succès au sein de la population.204 Notons cependant que les textes relatant les exploits de

201 C'est notamment le cas des catégories consacrées à certaines activités humaines, comme la « Musique » ou les « Jeux ». Nous estimons également que la « Divination par la tortue et l'achillée » ou la « Physiognomonie » n'étaient pas considérées comme des croyances par les compilateurs, mais comme des sciences. 202 Voir Sheng Li, Taiping guangji xianlei xiaoshuo leimu jiqi bianzuan yanjiu, pp. 60-65. 203 Sur ce sujet, voir Zeng Lijun et Liu Huogen, « Taiping guangji zongjiao wenhua yanjiu shuping », pp. 114-119. 204 Voir Huang Yongnian , « Fojiao weishenme neng zhansheng daojiao – du Taiping guangji de yi dian xinde. » in Fojiao yu zhongguo wenhua . Pékin : Zhonghua shuju, 2008, pp. 28-34.

- 106 - moines bouddhistes sont quant à eux classés dans la section « Ciel » du Taiping guangji, puisque ces personnages étaient avant tout préoccupés par les enseignements ésotériques. Les récits concernant la thématique de la pensée lettrée se retrouvent tous quant à eux dans la section « Société humaine », ce qui n'est aucunement étonnant puisqu'ils transmettaient des règles de vertu à suivre afin de pouvoir trouver sa juste place au sein de la société. Les « croyances diverses » sont par contre divisées entre les sections « Société humaine » et « Terre ». Nous avons mentionné que ces « croyances diverses » étaient pour la plupart très anciennes, et le fait qu'elles soient en partie contenues dans la section « Terre » nous semble révélateur. En effet, ce sont ces mêmes histoires ayant pour thèmes les phénomènes étranges en milieu naturel qui étaient le sujet principal des premiers recueils de menus propos, avant que le taoïsme et le bouddhisme n'y prennent une place prépondérante à la fin de la période des Six Dynasties. Ces quelques observations nous laissent penser que, dans le Taiping guangji, les différentes doctrines et croyances avaient une place et une fonction précises : la pensée taoïque permettait de transcender les limites de la vie humaine ; les pensées bouddhique et lettrée offraient au lecteur des clés afin de faire face aux problèmes rencontrés dans la société ; les « croyances diverses » transmettaient les anciennes coutumes et traditions, tout en intégrant parfois des éléments des trois doctrines que nous venons de citer. Zeng Lijun estime ainsi que l'organisation des catégories de l'ouvrage découle d'une volonté de présenter une synthèse harmonieuse des trois doctrines – taoïsme, bouddhisme et confucianisme.205 C'est cette même idée que nous avons tenté de démontrer en proposant de découper les catégories en section et thématiques ayant un ordre logique. Cette volonté d'harmonie ne se limite d'ailleurs pas à l'organisation générale de l'ouvrage, puisqu'elle se retrouve à l'intérieur même des catégories : dans « Esprits », par exemple, les récits ont pour sujets aussi bien des bodhisattvas206 que des divinités taoïstes ou des esprits de la Nature, qui tous présentent un lien avec les Hommes. Il en va de même avec la catégorie « Rêves », puisque les textes la composant transmettent tour à tour des valeurs taoïques, bouddhiques ou lettrées. Cette présentation harmonieuse des doctrines et croyances résulte à notre sens d'une volonté claire de la part de Taizong et des compilateurs. Nous avons précédemment affirmé

205 Ce concept d'harmonie entre les doctrines est parfois désigné en chinois par l'expression sanjiao heyi , littéralement « unification des trois doctrines ». Voir Zeng Lijun et Liu Huogen, « Taiping guangji zongjiao wenhua yanjiu shuping », p. 114. 206 Les bodhisattva, pusa en chinois, sont des divinités bouddhiques.

- 107 - que l'empereur avait pour ambition de promouvoir l'harmonie culturelle au sein de la société grâce à ses divers projets éditoriaux, et la décision de compiler un leishu rassemblant des menus propos servait également ce but. Rappelons que le Taiping guangji est le seul exemple connu d'un tel ouvrage commandé sur ordre impérial : cette reconnaissance sans précédent pour ce genre de textes était déjà en elle-même un signe de l'ouverture d'esprit du nouveau pouvoir impérial des Song. Les compilateurs prirent ainsi soin d'intégrer des textes en lien avec les différentes croyances et doctrines répandues dans la société à cette époque. Ce faisant, ils organisèrent les catégories de manière à donner à ces croyances une place et une fonction précise, cela afin de présenter une vision du monde dans lequel leur cohabitation rendait possible l'harmonisation de la société. La reconnaissance des différents courants de pensée par le pouvoir impérial était une des conditions à l'affirmation du pouvoir de la nouvelle dynastie, et le Taiping guangji avait ainsi une fonction politique de regroupement des croyances sous l'autorité impériale.

- 108 - IV. Conclusion

Dans ce travail, nous avons tenté de démontrer que l'organisation interne des catégories du Taiping guangji transmettait une certaine vision du monde, elle-même révélatrice des intentions à l'origine de ce leishu. Pour ce faire, il était à notre sens nécessaire de déterminer précisément les circonstances entourant la compilation de l'ouvrage. Ainsi, le contexte historique et culturel fut certainement déterminant dans la conception du Taiping guangji, celui-ci pouvant être interprété comme un acte politique destiné à consolider l'emprise du pouvoir impérial sur une société encore fragile.

L'originalité du Taiping guangji

Si les leishu furent souvent utilisés en tant qu'entreprise de prestige visant à légitimer le pouvoir d'une nouvelle dynastie, la commande d'un ouvrage exclusivement composé de menus propos par l'empereur Taizong à la fin du Xe siècle constitue à notre connaissance un fait unique dans l'Histoire de la Chine. Nous avons vu que les zhiguai et autres chuanqi étaient en effet peu considérés par les classes dirigeantes de la Chine ancienne, si ce n'est en tant que lecture de loisir. Il n'est donc pas étonnant que certains lettrés s'opposèrent à la diffusion du Taiping guangji à cause de ces textes qu'ils jugeaient « inutiles », ainsi souhaitaient-ils peut-être préserver l'image de l'État. Étant donné que dans ce travail nous nous sommes essentiellement attardés sur la question des raisons de la compilation de l'ouvrage, nous avons volontairement mis de côté cet échec, prenant avant tout en considération la volonté initiale de distribution de l'ouvrage, indiquée par la gravure de planches xylographiques. Le Taiping guangji possédait donc un statut ambivalent : d'un côté, il s'agissait d'un leishu commandé par l'empereur lui-même et compilé par des lettrés aux qualifications reconnues ; de l'autre, il était composé de textes qui ne faisaient traditionnellement pas partie des écrits conformes à l'orthodoxie lettrée. Nous avons vu que l'ouvrage fut en réalité probablement conçu comme l'appendice d'un autre leishu, le Taiping yulan, qui quant à lui rassemblait principalement des extraits de classiques confucéens. Le

- 109 - Taiping guangji n'en est pas moins un ouvrage extrêmement précieux : l'exhaustivité dont firent preuve les compilateurs permit non seulement la conservation de nombreux textes autrement perdus, tout en nous permettant également de mieux comprendre la vision du monde qu'ils mirent en place à travers l'arrangement des catégories.

L'organisation de la matière

Nous l'avons mentionné, l'organisation interne d'un leishu demandait toujours un soin particulier, et les catégories du Taiping guangji nous paraissent à ce titre particulièrement intéressantes. La catégorisation est en effet un sujet crucial afin de comprendre comment les humains réfléchissent, celle-ci faisant appel à la pensée, à la perception et à l'action. Dans le cadre d'un leishu qui a pour but d'expliquer le monde – ou du moins un aspect du monde – d'une manière exhaustive, l'ordre et la place prise par les différentes catégories sont ainsi révélateurs de la volonté qui animait l'empereur et les compilateurs. Rappelons également que le Taiping guangji est presque entièrement constitué de récits narratifs, ces derniers étant considérés par certains comme la principale forme utilisée afin d'organiser les diverses expériences humaines.207 Nous nous retrouvons ainsi face à un catalogue d'exemples soigneusement classés par sujets, et au travers duquel Li Fang et ses collaborateurs livrèrent une certaine interprétation du monde. Dans ce travail, nous avons précisé que les hommes du début de la dynastie Song avaient une conception des menus propos qui se rapportait essentiellement à la question des croyances et des doctrines. Cet aspect se retrouve ainsi dans le Taiping guangji, celui-ci s'intégrant particulièrement bien dans le contexte d'une politique favorable aux religions. L'analyse de la taxinomie de l'ouvrage nous montre en effet une forte présence de catégories en lien avec les trois doctrines (taoïsme, bouddhisme et confucianisme) et d'autres croyances diverses. De récentes études ont par ailleurs commencé à soulever la question de « l'unification des trois doctrines » dans le Taiping guangji, ainsi que les causes culturelles ayant entraîné la compilation de l'ouvrage.208 Or, dans la seconde partie de ce travail, nous avons justement tenté de montrer que les catégories en lien avec ces différentes

207 Voir Barbara Bisetto, « Fragments of Qing . The Qingshi leilüe and the Literary Categorization of "Love" in the 17th Century China », in Giusy Tamburello (éd.), Concepts and Categories of Emotion in East Asia. Rome : Carocci editore, 2012, p. 149. 208 Voir Zeng Lijun, « Taiping guangji de wenxianxue yanjiu zongshu » ; ainsi que Zeng Lijun et Liu Huogen, « Taiping guangji zongjiao wenhua yanjiu shuping ».

- 110 - doctrines furent intégrées de manière harmonieuse, afin que chacune puisse trouver sa juste place dans une représentation générale du monde. L'ordre des catégories renvoie effectivement à une certaine hiérarchie universelle, organisée comme suit : Ciel –> Société humaine –> Terre. Dans cette conception du monde, c'est l'humain qui occupe la place centrale, une position se traduisant par le grand nombre de juan ayant trait à la société humaine (environ 300 sur les 500 que compte l'ouvrage). Il est également intéressant de constater que ces trois aspects – Ciel, Société humaine et Terre – sont connectés, et perméables. Dans cette vision globale du monde, la place accordée aux catégories en lien avec les différentes doctrines et croyances permet de leur donner une fonction précise dans la société. Ainsi, la pensée taoïque permettait de transcender les limites de la vie humaine, les pensées bouddhique et lettrée offraient au lecteur des clés afin de faire face aux problèmes rencontrés dans la société, et les « croyances diverses » transmettaient les anciennes coutumes et traditions qui échappaient au cadre défini par les trois autres doctrines.

Les buts du Taiping guangji

Nos recherches nous ont ainsi amenés à penser que la compilation du Taiping guangji poursuivait deux buts en particulier. D'une part, il devait servir de leishu visant à conserver une certaine forme de savoir ayant trait aux croyances, coutumes et traditions. Bien que ce savoir fut souvent négligé, l'empereur Taizong semblait lui accorder une certaine importance, ainsi qu'une fonction édifiante. Cette idée est d'ailleurs reprise par les compilateurs dans la « Notice », puisqu'il y est mentionné que les textes composant l'ouvrage sont supposés pouvoir ouvrir le lecteur à la vertu. Néanmoins, il s'agissait avant tout d'un savoir complémentaire, permettant l'approfondissement des connaissances sur le sujet des phénomènes étranges. Il semblerait en tout cas que le Taiping guangji ait bien été conçu pour être consulté : il est en effet encore aujourd'hui facile de retrouver un texte ou un ensemble de textes sur un sujet, et ce grâce au classement précis des catégories et à une table des matières très complète. D'autre part, l'ouvrage devait servir d'instrument politique, véhiculant l'image d'un pouvoir impérial bienveillant et conciliant envers toutes les formes de croyances. En présentant une vision harmonieuse des différentes doctrines, Taizong souhaitait ainsi

- 111 - favoriser l'établissement d'une société dans laquelle les croyances ne s'opposaient pas, mais se complétaient. Le pouvoir impérial assurait ainsi son emprise sur tous les aspects de la société, le Taiping guangji n'étant qu'un exemple parmi les nombreux projets culturels entrepris par Taizong dans le but de stabiliser l'empire par la force du wen . Bien entendu, l'étude présentée ici ne saurait être tout au plus qu'une simple introduction à ces différentes problématiques, de nombreuses questions restant en suspend. Une analyse précise des raisons ayant amené les compilateurs à classer les textes dans telle ou telle catégorie serait par exemple intéressante afin de nous aider à mieux comprendre les différents sujets abordés dans l'ouvrage. Touchant tour à tour à l'Histoire, à la littérature et aux questions religieuses, le Taiping guangji est ainsi une source passionnante afin d'appréhender la période du début de la dynastie Song avec un regard nouveau.

- 112 - V. Bibliographie

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