PERPÉTUER L’INSTANT ? ou quelle conservation-restauration pour les œuvres impermanentes et/ou performatives?

Mémoire de fin d’études, Anita Durand

Département des Histoires Perdues

Direction de recherche : Jacques DEFERT, Jean-Marc FERRARI, Marc MAIRE, Nicolas GRUPPO (images et sons)

Rapporteur extérieur : Frederika HUYS, conservatrice-restauratrice en chef du S.M.A.K. de Gand (Stedelijk Museum voor Actuele Kunst)

Etudes de cas proposées pour partie par le S.M.A.K. de Gand et le FRAC PACA

Diplôme Supérieur en Conservation-Restauration d'œuvres peintes Ecole Supérieure d’Art d’. Session 2006

À Henryk Gòrecki Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

REMERCIEMENTS

La rédaction du présent mémoire n’aurait pu se faire sans le concours d’une assistance précieuse et encourageante que je dois à un ensemble de personnes qui a su enrichir mes recherches et atti- ser ma motivation. Je souhaite en particulier remercier l’Ecole Supérieure d’Art d’Avignon et son directeur, Jean-Marc Ferrari, mes directeurs de mémoire Marc Maire (conservateur-restaurateur, enseignant et coordina- teur du pôle conservation-restauration de l’E.S.A.A.), Jacques Defert (enseignant d’anthropologie culturelle à l’E.S.A.A.) et Nicolas Gruppo (vidéaste et assistant d’enseignement du pôle multimédia de l’E.S.A.A.) ; ainsi que Thierry Martel (conservateur-restaurateur et enseignant à l’E.S.A.A. en section conservation-restauration), Mylène Malberti (photographe et enseignante à l’E.S.A.A. au sein du pôle multimédia) pour leurs compétences, leur confiance, leur soutien et leur patience.

Je voudrais également citer tous ceux qui ont su enrichir la matière de ce mémoire et étayer ma réflexion de leurs points de vue, critiques, et conseils. -Dans le cadre du projet Culture 2000, Karen Baldock (coordinatrice du groupe I.N.C.C.A. et conservatrice au Netherlands Institute for Cultural Heritage), et plus spécifiquement au S.M.A.K. de Gand, Frederika Huys (conservatrice-restauratrice en chef du S.M.A.K. et rapporteur extérieur), Anne De Bück (conservatrice-restauratrice au S.M.A.K.) et Philipp Van Cauteren (directeur du S.M.A.K.); -au FRAC PACA, Éric Mangion (ancien directeur du FRAC), Pascal Neveux (actuel directeur) et Pascal Prompt (régisseur) ; -au Musée d’Art Moderne et Contemporain de Genève, Christian Bernard (directeur du MAMCO) et Sophie Costes (chargée de collection) ; -Mesdames Elodie Baquié, Geneviève Escudier et Axelle Galtier pour leur précieuse contribution dans le cadre de l’étude de l’œuvre de Richard Baquié ; -Messieurs Ross, Siche, et Duchemin du Centre Météorologique de Nîmes ;

et, par ordre alphabétique : Marina Abramovic (artiste), Artur Barriò (artiste), Nicolas Bourriaud (écrivain, critique d’art et ancien directeur du Palais de Tokyo), Erik Bullot (écrivain et enseignant à l’Ecole des Beaux-Arts de Bourges), Jocelyne Cayron (professeur de droit à l’Université Paul Cézanne d’Aix-en-Provence), Blandine Chavanne (conservatrice au Musée des Beaux-Arts de Poitiers), Maxine Christensen (assis- tante d’enseignement à l’E.S.A.A.), François Dezeuze (artiste et enseignant à l’E.S.A.A.), Eric Fabre (galeriste), Michel Giroud (artiste), Pierre-Antoine Héritier (conservateur-restaurateur d’art contem- porain), Teching Hsieh (artiste), Arnaud Labelle-Rojoux (artiste et écrivain), Alain Leonesi (artiste et enseignant à l’E.S.A.A.), Pierre Leveau (enseignant de philosophie), Astrid Lorenzen (conserva- trice-restauratrice au Centre Georges Pompidou), Ghislain Mollet-Viéville (collectionneur, agent d’art), Sylvie Nayral (artiste intervenante de l’E.S.A.A.), Pascale Samuel (consultante en conserva- tion préventive et régisseur indépendant) , Marc Sanchez (directeur de la programmation du Palais de Tokyo), Sarkis (artiste), Barbro Schultz (cinéaste), Didier Semin (historien d’art), Maryline Terrier (conservatrice-restauratrice, diplômée de La Cambre), Maître Edouard Treppoz (avocat), Doreen Uhlig (artiste) et l’ensemble du groupe I.P.G., Ben Vautier (artiste), Hans-Christoph Von Imhoff (conservateur-restaurateur et intervenant du pôle conservation-restauration de l’E.S.A.A.), Claude Wrobel (conservateur-restaurateur d’art contemporain) et tous les artistes qui ont bien voulu répondre à mes questionnaires. Leur aide et la richesse de nos discussions m’ont été d’un précieux secours.

Je témoigne enfin ici de ma plus vive reconnaissance à mes parents, à Pascal, à Aurélia, à Delphine et à Séverine qui m’ont chaleureusement entourée et vivement épaulée tout au long de mes recherches. Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

AVANT PROPOS

J’en suis venue à m’intéresser à la conservation-restauration des œuvres impermanentes, éphémères, contextualisées, voire performatives, à la lecture des actes du colloque sur la conservation et la restauration des œuvres d’art contemporain, organisé par l’I.N.P. en 1992 à Paris. C’est notamment un article consacré à l’œuvre de Nam June PAIK et au débat qu’elle a suscité qui a attiré mon attention. Buddha’s Catacomb date de 1974, elle appartient au Musée de l’abbaye de Sainte Croix des Sables d’Olonnes qui l’a acquise en 1986. L’installation est constituée d’une statue de Bouddha faisant face à un écran de télévision qui lui renvoie sa propre image alors qu’elle est filmée par une caméra. L’artiste confronte à travers cette œuvre la tradition orientale et le monde moderne occidental.

L’histoire de cette pièce est ponctuée par les change- ments d’aspect du poste de télévision. Tombé en panne une première fois, on lui substitua, sur autorisation de l’artiste, un dispositif plus moder- ne ; celui-ci participait d’ailleurs du concept artis- tique, en cela qu’il accentuait la distance temporelle

1- Nam June PAIK, TV Buddha, 1974 qui le séparait de la statuette ; cet écran fut ensuite échangé avec le poste original réparé qui fut dérobé peu de temps après avant d’être remplacé par un simulacre du dispositif initial, à savoir un moniteur moderne enserré dans une coque imitant l’habillage original. Il semble qu’à l’issue de ce col- loque, David CUECO ait trouvé sur un marché aux puces, un poste de télévision identique à celui d’origine qui aura tôt fait d’intégrer l’installa- tion… Mr Didier OTTINGER, alors conservateur du musée, rapporta, par le menu, la chronologie de ces interventions; son exposé fut suivi par une discussion animée au sujet de la ré-interprétation de certaines œuvres d’art contemporain et de la place à accorder au point de vue de l’artiste,

-6- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 face aux décisions des conservateurs et des conservateurs-restaurateurs.

La notion d’évolution physique et conceptuelle de l’œuvre, mise ici en évidence, m’a amenée à m’interroger sur les limites de notre métier lors- qu’il s’agit de productions contemporaines qui semblent inviter à repen- ser, au moins en partie, les approches, les pratiques et les techniques de notre profession.

Ma curiosité et mes interrogations m’ont alors conduite à me pencher sur le cas des œuvres impermanentes et performatives et sur l’idée de l’é- mergence de ce nouveau métier, si cher à SARKIS, qu’est celui de l’inter- prète. Les lectures et les rencontres effectuées par la suite n’ont fait que me conforter dans l’idée que ce sujet m’ouvrait un an et demi de recher- ches passionnantes : j’espère pouvoir en témoigner dans les pages sui- vantes.

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CONSIDÉRER L’ŒUVRE

1 A1/ POSTULATS DE DÉPART

1. Présentation des cas étudiés p.17

2. S’accorder sur les termes p.20 a-épingler l’éphémère p.20 b-manifester l’immatériel p.24

3. Notes sur l’installation comme pratique artistique p.30

4. Petite histoire de l'art-action p.39

B1/ DE L’ACQUISITION DES INSTALLATIONS ET DES ŒUVRES D’ART-ACTION

1. Ce qu'acquiert véritablement l'institution ou le collectionneur p.50

2. Du non-sens de certaines œuvres au sein de l’institution? p.55

3. De la jurisprudence en matière d’œuvres immatérielles et impermanentes p.59

C1/ À PARTIR DE QUEL MOMENT L'ŒUVRE EST-ELLE CONSIDÉRÉE COMME TELLE ?

1. De la pertinence de la conservation-restauration vis-à-vis des installations et des œuvres d’art-action p.67

2. De l’aura de l'œuvre à celle de l’artiste p.73

3. De l’importance du commentaire et de la médiation p.78

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ENVISAGER LA CONSERVATION-RESTAURATION DES ŒUVRES IMPERMANENTES 2 ET PERFORMATIVES A2/ CONSERVER ET RESTAURER: POURQUOI ?

1. La mission de l'institution p.85

2. Les insuffisances de la documentation p.91

3. Un parallèle possible avec la musique, le théâtre et la danse p.95

B2/ VERS UNE ÉVOLUTION DE LA CONSERVATION-RESTAURATION ?

1. Revisiter les théories existantes p.100

2. La question de la légitimation de la re-présentation de ces œuvres p.106 a- une question éthique p.107 b- une question déontologique p.112

C2/ D’UNE ÉVOLUTION TERMINOLOGIQUE À UNE REDÉFINITION DU CADRE JURIDIQUE ?

1. Une question de terminologie p.118

2. Le problème de l'authenticité p.126

3. De la paternité de l'œuvre re-présentée par le restaurateur p.132

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RÉ-INSTAURER LES ŒUVRES IMPERMANENTES 3 ET PERFORMATIVES A3/ REPOUSSER LES LIMITES DE LA CONSERVATION -RESTAURATION ?

1. De l'émergence d'une nouvelle compétence ? p.137

2. L'ambition du ré-instaurateur p.143

B3/ LÉGITIMITÉ ET CONTRACTUALISATION DE LA RE-PRÉSENTATION

1. La prise en compte de paramètres immatériels p.149

2. De l’usage de nouveaux outils p.154 a-questionnaires et interviews p.154 b-l'exemple de Barbro SCHULTZ p.155 c-le cas du Schaulager p.159

3. Le point de vue des artistes p.162 a-le cas des œuvres d’art-action p.162 b-le cas des installations p.169

C3/ ETUDES DE CAS

1. Richard BAQUIÉ p.174

2. Artur BARRIÒ p.198

3. Marina ABRAMOVIC et Andrea SAEMANN p.208

CONCLUSION GÉNÉRALE p.218

POSTFACE Miquel BARCELÒ/Josef NADJ Paso Doble p.222 ANNEXES p.227 BIBLIOGRAPHIE p.355 TABLE DES MATIÈRES p.368

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INTRODUCTION

Leur nature éphémère, impermanente, contextualisée, voire immatériel- le et leur caractère souvent conceptuel, confèrent aux installations et aux œuvres d’art-action un statut à part dans le monde de l’art contempo- rain. En effet, si les installations usent de matériaux divers mais de façon éphémère ou impermanente et si les performances s’en servent de manière très parcimonieuse et font surtout corps avec leur interprète, ces productions artistiques ne se laissent pas réduire à des éléments matériels : elles reposent sur une conceptualisation et une gestuelle fugace que l’artiste semble être seul à pouvoir maîtriser. Ces manifestations uniques finissent par prendre avec le temps une dimension quasi mythique; ne restent plus alors que la mémoire, quelques traces et divers objets-témoins, comme seules traces de ces événements.

Reconnues comme productions artistiques à part entière depuis les années ‘60-‘70, les installations et les œuvres d’art-action, qui à l’origine échappaient à l’univers des musées et des galeries, se sont pourtant retrouvées sur le marché de l’art et au sein des institutions. Force est de constater que ces productions plus évènementielles que pérennes, ont vite été considérées comme des oeuvres d’art en tant que telles, et que très vite les statements, les « vestiges de performance », les docu- ments relatifs à une installation démontée, voire les installations en tant que telles et quelquefois présentées hors contexte, ont fini par côtoyer des œuvres plus classiques dans les espaces consacrés. Face à la muséification (voire la fétichisation) de ces événements ou des traces qui en restent, il nous faut nous demander d’une part où se situe l’œuvre*, de quels éléments était-elle constituée, qu’est-il advenu de l’é- motion, de la charge poétique et de l’expérience qu’ambitionnaient de faire vivre ces artistes aux spectateurs qu’ils convoquaient... D’autre part, comment en tant que conservateur-restaurateur de l’œuvre et non plus de ses seules reliques, pourrions-nous nous positionner (en amont et en

-12- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 aval) de ces restes de création qui nous parviennent après coup sous forme de documents vidéo, photos, récits... Que pourrions-nous, que devrions-nous conserver de tels événements, qu’il s’agisse d’art-action ou de la mise en espace ponctuelle d’un lieu ? Peut-on véritablement « restaurer » de telles œuvres ? Et si ces mêmes manifestations ne pouvaient accepter que leur reproduction en guise de « restauration », ne sera-t-il pas nécessaire de redéfinir notre rôle de conservateur-restaurateur? Pourrions-nous, dès lors, repousser les limites déontologiques de notre profession et engager une nouvelle stratégie en la matière? Où s’arrête le rôle du conservateur-restaurateur quand commence celui du re-créa- teur ou de l’interprète? Qui, après la disparition d’un artiste, est en droit de pouvoir ré-installer ou de (faire) « re-performer » l’une de ses œuv- res ? Quels termes employer pour évoquer de telles interventions ? Quels sont les problèmes juridiques liés à ces créations et que devien- dront-ils au moment d’une intervention de réitération ?

Si dans une moindre mesure le restaurateur est un interprète, peut-on envisager qu’il puisse endosser cette fonction face à des œuvres repo- sant davantage sur un concept que sur leur matérialité ? Ne pourrions- nous pas imaginer, pour ce type de productions plastiques, la création d’un nouveau métier, proche de celui du médiateur ou de l’interprète, ayant les qualités du conservateur et œuvrant avec la même exigence scientifique que le conservateur-restaurateur ? À moins qu’il ne s’agisse d’une nouvelle compétence du conservateur-restaurateur...

A travers cette étude je souhaite mettre en avant les problèmes déonto- logiques et pratiques que ces créations soulèvent dès lors que l’on envi- sage leur pérennisation ; sans pour autant répondre ici de manière caté- gorique, je propose une démarche plus dialectique que partisane basée sur une série d’interrogations. Il serait très prétentieux de ma part de m’engager, à ce stade de ma recherche, sur une voie plutôt que sur une autre, étant donné l’aspect polémique de ce sujet et la variété des œuv- res regroupées sous les intitulés installations et art-action. Ce mémoire essaie d’offrir quelques pistes mais reste totalement ouvert à la discus- sion et à l’appréciation de chacun dans le cadre d’une réflexion commu- ne.

J’appuierai mon argumentaire sur plusieurs cas concrets que je présen- terai plus loin : l’installation éphémère de Richard BAQUIÉ Ballon-Évène- ment du 29 Mars 1982 ; l’installation, « performative » d’Artur BARRIÒ, Interminavel, (2005) acquise par le S.M.A.K. de Gand (Stedelijk Museum voor Actuele Kunst - Gent) et étudiée dans le cadre du projet européen Culture 2000 ; enfin, certaines performances de Marina ABRAMOVIC, et d’Andrea SAEMANN.

Dans l’optique de la conservation, voire de la restauration de ces œuv- res, ma démarche a impliqué une étroite collaboration et un dialogue régulier avec les artistes ou leurs ayants droits : ce faisant, il a été pos- sible d’aborder la question de la re-présentation de ces pièces ou du renoncement à une telle intervention. Ces études de cas sont elles-mêmes étayées par une série d’extraits d’in-

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terviews réalisées en divers lieux en compagnie d’artistes, de conserva- teurs-restaurateurs, de collectionneurs, de directeurs de musées (cf. les deux DVD ci-joints). Dans la mesure où tous sont acteurs de la diffusion de ces œuvres, il m’a semblé intéressant de confronter leurs points de vue, leur enthousiasme autant que leur prudence, face à l’idée ou au pro- jet de re-présentation voire de ré-interprétation des créations plastiques impermanentes et/ou performatives...

Si ce mémoire n’ambitionne pas de proposer des réponses définitives à ces interrogations, j’espère qu’il aura au moins le mérite de permettre l’exploration de nouveaux champs de questionnement et d’investigation.

*Tout au long de ce mémoire, le mot Œuvre écrit en italique, correspond à tout ce qui excède la matière de l’objet d’art.

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1 CONSIDÉRER L’ŒUVRE

A1/ LES POSTULATS DE DÉPART

A1/1. PRÉSENTATION DES ŒUVRES

Tout au long de ce mémoire je ferai référence à des œuvres aussi impermanentes, qu’éphémères ou performatives ; ce sont autant de qualificatifs que je tenterai de définir dans les sous-chapitres suivants. De manière récurrente, deux créations seront surtout citées, celles-ci feront l’objet d’une étude de cas, à partir de la page 173.

En voici une description sommaire :

L’œuvre de Richard BAQUIÉ, Ballon évènement du 29 Mars 1982, est une création éphémère en cela que son existence en tant qu’œuvre est régie par une durée sciemment déterminée par l’artiste. Elle se compose d’un ballon météorologique poreux, gonflé à l’hélium et lesté de huit socles constitués de pierres de carrière et de plomb. La porosité de l’enveloppe de latex, laisse progressivement s’échapper l’hélium et provoque le dégonflement graduel du ballon. Le choix de l’artiste n’est pas anodin, il

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a délibérément réalisé cette pièce selon des paramètres techniques prédéterminés qui confèrent à l’installation son caractère éphémère.

Le travail d’Artur BARRIÒ, Interminavel (2005) est une installation produite au sein du Stedelijk Museum voor Aktuel Kunst (S.M.A.K.) de Gand en Belgique. Elle fait l’objet d’une étude dans le cadre du projet européen Culture 2000 encadré par le groupe de recherches de l’I.N.C.C.A. (International Network for the Conservation of Contemporary Art)1.

1- Richard BAQUIÉ - Ballon-évènement, du 29 mars Si cette œuvre a été réalisée, en s’y adaptant, dans le 1982 lieu de son exposition, ce n’est pas une oeuvre in-situ, (installation réalisée dans son atelier, rue de la dans le sens où elle n’est pas conceptuellement liée à cet Joliette à Marseille) espace. C’est une œuvre apparemment éphémère car elle refuse, à première vue, sa réinstallation et parce qu’elle est constituée d’éléments aussi pérennes que périssables ; elle met, en effet, en présence aussi bien des centaines de kilos de café saupoudrés sur le sol, un amas de miches de pain, des rebuts alimentaires, qu’un poste de télévision, un pneu de bicyclette, des pierres, de la glaise,… (en tout, une trentaine de matériaux diffé- rents se côtoient.) Elle pourrait néanmoins être considérée comme imper- manente puisque son concept survit au démontage de l’installation et que l’artiste le perpétue à chaque fois qu’il est invité à se produire en d’autres lieux. Elle peut être considérée comme performative car la mise

2- Artur BARRIÒ - Interminavel - en espace des éléments matériels qu’elle implique, s’ac- Gand, juillet 2005 compagne d’une série de gestes et d’actions que seul l’artiste réalise à même les parois de l’installation : per- forations des murs, tracés,… Même si le public n’assiste qu’à l’étape ulti- me de son travail, c’est-à-dire à l’exposition de l’acte accompli, on ne peut ignorer cet aspect de son travail, d’autant plus que l’artiste est lui- même issu du monde de l’art-action.

1 Le projet de recherche vise à appréhender les installations d’art contemporain entrées dans les collections européennes, sous l’angle de la conservation-restauration, en ayant en tête les paramètres spécifiques auxquels se rapportent ces œuvres : interactivité avec le public, présence d’éléments multimédia ou issus du net.art, interventions performatives…, ce sont autant de données qui accusent d’une certaine vulnérabilité à la fois technique et conceptuelle, celle-là même, liée aux contextes de leurs présentations. L’objectif de ce projet est de répondre à la question : comment sauvegarder ce type de productions artistiques afin de les transmettre aux générations futures ? Les recherches s’appuient sur trente études de cas proposées aux différentes institutions partenaires ; tous les six mois un colloque est organisé autour de thèmes développés en amont par ces mêmes partenaires qui les étayent de cas concrets. C’est ainsi que cinq grands sujets ont été dégagés : stratégies de préserva- tion, la participation des artistes dans la documentation de leurs œuvres, stratégies de documentation et d’archivages des données, théorie et sémantique, échange de connaissance et d’informations. Elaboration de nouveaux outils, les phases d’essais de ces moyens d’investigation inédits, et la diffusion des résultats de l’ensemble de ces recherches sont capitales dans le bon déroulement de ce projet européen. Il réunit les musées de Gand (S.M.A.K.), de Londres (Tate Modern), de Madrid (Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofia), le Restaurierungzentrum de Düsseldorf, et la Fondation pour la Conservation de l’art contemporain des Pays-Bas. Le projet s’achèvera en 2007 après 3 ans de collaboration et aboutira à la création d’un site Internet proposant à la consultation l’ensemble des cas étudiés.

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Interminavel est également évolutive car, le public, en pénétrant dans l’espace recomposé par l’artiste, est implicitement invité à modifier l’aspect formel de l’installation en ajoutant des inscriptions, en consom- mant les éléments alimentaires…

Parce qu’aujourd’hui l’institution qui possède les restes de l’œuvre de Richard BAQUIÉ souhaite voir cette installation éphémère réinstallée, ou que l’œuvre d’Artur BARRIÒ a été acquise par un musée envisage sa réexposition, il paraît nécessaire de s’interroger sur la manière dont il est possible de conserver ce type d’œuvres et de les restau- rer au sens où ces interventions ont été définies par l’E.C.C.O.. Pourquoi conserver les œuvres éphémères ? Comment 3- Marina ABRAMOVIC, Art must be considérer les œuvres impermanentes ? Peut-on encore beautiful, artist must be beautiful, 1975 parler de « restauration » à leur propos alors même que leur matérialité a disparu et qu’il est davantage question de réinstallation et de reconstitution ? Qu’en est-il du rôle du conservateur-restaurateur en regard d’une demande de réitération de la part d’une institution ? Si, dès lors, on envisage la re-présentation des installations éphémères et impermanentes, comment abordera-t-on celle des œuv- res d’art-action qui peuvent présenter des caractéris- tiques similaires ? C’est à l’égard de cette dernière ques- tion que nous nous pencherons plus précisément sur l’œuvre de Marina ABRAMOVIC, Art must be beautiful, artist must be beautiful (1975), et sur deux actions d’Andrea SAEMANN, Ausflug in die fresken (2004) et Eisblock (2002). Andrea SAEMANN est membre du grou- pe I.P.G. (Independant Performance Group), créé par Marina ABRAMOVIC en 2003 (vous trouverez davantage 4- Andrea SAEMANN, de précisions, au sujet de ce groupe, dans le premier DVD Ausflug in die fresken, 2004 qui vient en complément de ce mémoire).

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A1/2. S’ACCORDER SUR LES TERMES

Qu’est-ce qu’une œuvre éphémère et/ou immatérielle ? Que recouvrent véritablement ces notions ? Il est utile de s’interroger sur le sens de ces termes tant il semble régner autour de la définition de ces qualificatifs, une nébuleuse émaillée d’imprécisions. Ainsi, le sens commun, comme les auteurs, ne sont pas au diapason lorsqu’il s’agit de définir ces adjec- tifs; peut-être cette confusion est-elle directement imputable aux termes eux-mêmes qui évoquent bien des fantasmes et nourrissent notre imagi- naire. Quoiqu’il en soit j’ai choisi de me pencher sur ces deux qualifica- tifs tant les œuvres que nous allons aborder tout au long de cette recher- che nourrissent sciemment des relations particulières avec le temps et la durée et/ou parce qu’elles confondent leur matière avec leur concept : l’absence de matière et, en tout cas, la prééminence du concept sur la matérialité de ces créations en font des œuvres immatérielles. Je souhaite ici définir lesdits termes, tels qu’ils seront employés tout au long de ce mémoire ; il me semble qu’il faut pouvoir s’accorder sur le sens et les raisons qui me poussent à utiliser tel ou tel qualificatif à pro- pos de telle ou telle œuvre.

A1/2.a) ÉPINGLER L’ÉPHÉMÈRE

« Parfois je pense qu’il n’y a que le temps, que ce que vous voyez et ressentez n’est rien d’autre que ce à quoi ressemble le temps à ce moment précis »2

ÉPHÉMÈRE: du grec ephêmeros Nom grec de cet insecte, qui était réputé vivre pendant (épi) un seul jour (hemera). [in www.environnement.ecoles.free.fr]

(1) qui ne vit que très peu de temps (2) de très courte durée, fugitif (3) insecte qui, à l’état adulte, ne vit qu’un ou deux jours, mais dont la larve, aquatique, peut vivre plusieurs années, type de l’ordre des éphéméroptères (les éphé- mères se reconnaissent aux trois longs filaments pro- longeant leur abdomen) [in Petit Larousse illustré, 2005]

2 Paul THEK, cité in catalogue Paul THEK Processions, Philadelphie, 1977, p.58

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Cependant, quelle est la durée de l’éphémère ? Sur une échelle de temps bornée par l’éternité et l’instantanéité, l’éphémère se confondrait davantage avec la fugacité qu’avec l’intemporalité, en tendant vers la disparition et l’absence; sa durée semble nécessairement réduite à un laps de temps très limité dont l’Homme ne prend conscience qu’en se référant à ses propres repères temporels.

Si, matériellement parlant, toute œuvre est amenée à disparaître par un processus naturel, accidentel ou volontaire, toutes les œuvres ne sont pas éphémères ; l’éphémère est un état avant d’être une notion et ,dans le cas des œuvres d’art, c’est une caractéristique conceptuelle plus que naturelle. Le processus « naturel » de disparition matérielle est ce qui est à l’ori- gine du caractère non pérenne d’une œuvre. L’« accident » précipite, quant à lui, la finitude de tout ou partie de l’œu- vre ; alors que la « conceptualisation » de la « disparition » est seule véritablement à l’origine du caractère éphémère d’une œuvre car elle définit les conditions de la disparition et maîtrise la durée de l’existence de l’objet ; une œuvre n’est vraiment éphémère que si son créateur en a décidé ainsi : elle ne devient pas éphémère. La qualité éphémère d’une œuvre est donc un élément pris en compte de manière conceptuel- le par les artistes. Ceci étant, une œuvre dite éphémère est assujettie aux mêmes contrain- tes extérieures que n’importe quelle autre création pérenne. En tant que production d’art plastique, l’œuvre éphémère, à l’instar des productions pérennes, connaît les avatars naturels (dégradation matérielle), acciden- tels (catastrophes naturelles, inadvertance), intention- nels (vandalisme) qui en ponctuent la vie; cependant, alors qu’une œuvre pérenne n’est contrainte qu’à des asservissements d’évolution indépendants de la volonté de l’artiste, la production éphémère est, quant à elle, destinée à disparaître à échéance, de manière brutale ou progressive, selon le concept de son créateur. Ainsi nous dirons de l’œuvre de Richard BAQUIÉ Ballon évènement du 29 Mars 1982, qu’elle est éphémère parce qu’il a sciemment choisi d’utiliser des éléments qui ne pouvaient garantir à son installation une stabilité dans le temps. [Par ailleurs sa création ne dure qu’une journée à l’instar de l’insecte éphémère]. De la même manière nous évoquerons ici l’œuvre de Claes OLDEN- BURG et de Coosje Van BRUGGEN, Edible Souvenir, (2005), sculpture en chocolat, constituée d’une matière périssable ; mais nous ne pourrons parler du caractère éphémère d’un tableau dont l’image se serait dégradée 5- Claes OLDENBURG & Coosje van BRUGGEN, avec le temps, parce qu’il n’a pas été conçu pour cela. Edible Souvenir, 2005

Parce que l’œuvre éphémère n’est pas l’œuvre impermanente – encore qu’il soit fréquent de les confondre - il est intéressant d’en considérer les différentes facettes : l’œuvre éphémère refuse théoriquement la repro- duction ou la réinstallation, alors que l’œuvre impermanente est, avant tout, une création que l’on peut re-présenter, voire une œuvre évolutive, dès lors que son auteur en a formulé expressément l’intention (à ce sujet

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se reporter en annexe où ce type d’œuvres est davantage étudié alors qu’elles ne font pas l’objet de ce mémoire).

Dans le cas de l’œuvre impermanente, le créateur fixe la durée de son œuvre en utilisant en connaissance de cause des matériaux dont la durée de vie naturelle est limitée (comme la laitue dans Sans Titre de Giovanni ANSELMO); il peut alors exiger leur remplacement, afin de maintenir l’œuvre dans un état de fraîcheur permanent, ou accepter la réitération de l’évènement ; dans le cas contraire, l’œuvre réside dans sa fugacité et son unicité et 6- Giovanni ANSELMO, sans titre, 1968 elle est alors considérée comme éphémère.

Dans l’art occidental, c’est souvent à propos des installations et des per- formances que le sens commun parle d’œuvres éphémères. Les installa- tions connaissent en effet un instant de perception particulièrement cri- tique puisqu’il annonce inexorablement la disparition de l’œuvre à la fin de son exposition ou au moment de la destruction du site pour lequel elles ont été conçues ; cependant, il arrive fréquemment qu’à l’issue de l’exhibition, il subsiste des éléments déplaçables et, quelquefois, un plan de montage. A ce titre, nous qualifierons ces installations d’œuvres impermanentes : elles autorisent, en effet, leur réinstallation à partir des éléments pérennes dont elles sont constituées, et ce à la différence de certaines installations et œuvres éphémères conçues pour disparaître définitivement.

Ainsi, le travail d’Ann HAMILTON ne laisse aucun espoir de re-présentation. En effet, la plupart de ses installations sont liées à la fois au lieu et à l’histoire de ce lieu. En adaptant son œuvre à la structure du bâtiment et en uti- lisant des matériaux singuliers et symboliques, elle fait ressortir le passé de l’espace qu’elle investit. Mais si son œuvre est bien tributaire du lieu et de son histoire, elle l’est d’autant plus que l’artiste choisit de travailler dans des bâtiments destinés à la démolition… son œuvre est ainsi, à la fois in situ et éphémère.

Dans le même ordre d’idées, nous pouvons évoquer les œuvres dites in situ qui sont contextualisées par le lieu mais quelquefois aussi par un cadre temporel ou histo-

7- Ann HAMILTON, rique : il s’agit là d’œuvre occurrentes. Corpus at MassMoca, 2003 C’est leur apparente non-reproductibilité qui les caractéri- se : en effet elles sont souvent créées pour un contexte précis voire une date donnée. C’est pourquoi elles interdisent, à premiè- re vue, toute exposition itinérante, à moins que les directives de l’artiste ne soient scrupuleusement respectées. Paul THEK réalisait ainsi des installations fortement connotées d’un point de vue religieux : l’exposition de son travail était liée au calendrier litur- gique catholique et aux célébrations qui le ponctuent. Dans la mesure où l’on respecte les choix de l’artiste - sans cette précaution, l’exposition de

-22- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 son œuvre hors contexte en trahit la finalité - il semble envisageable de remonter sa pièce, l’œuvre devenant alors impermanente. « Le rapport au temps est devenu, avec ce nouveau type d’œu- vres, un rapport prépondérant, aussi important que le rapport à l’espace, ce qui tranche, d’une part, nettement avec le concept classique de la peinture (qui ne connaît pas de rapport direct au temps) et ce qui introduit, d’autre part, un mode de conserva- tion, de temporalité et de durée de l’œuvre qui n’a rien à voir 8- Paul THEK, avec le concept classique de l’art et du musée. »3 Ark, Pyramid, Easter (détail), 1973

Le caractère éphémère n’est pas le propre des œuvres matérielles ; cet état caractérise, tout autant et avant tout, les œuvres performatives et vivantes telles que les productions d’art-action ; s’il est vrai que les installations connaissent une existence programmée liée à la durée de leur exposition ou à la non-pérennité de leurs éléments constitutifs, les performances sont également concernées par la notion de finitude parce qu’elles confondent le moment de leur réalisation avec celui de leur disparition. Elles sont d’ailleurs plus éphémères qu’impermanentes car c’est l’artiste qui décide de la durée de son action et que celle-ci est le plus souvent unique, c’est-à-dire non reproductible. D’autre part elles peuvent également être occurrentes dès l’instant où elles sont réalisées par rapport à un environnement particulier (historique, social, écono- mique,…) Dès lors nous pouvons affirmer que le performer, plus encore que l’artis- te installateur, maîtrise le temps en décidant subjectivement de la durée et du moment de son œuvre.

Afin de mieux cerner ces différentes créations, je tente de dresser ici un panorama récapitulatif des différents types d’œuvres éphémères, évolu- tives, impermanentes et occurrentes : -celles qui participent d’une disparition programmée et qui ne seront pas conservées quand bien même certains conservateurs essayent de les maintenir visibles le plus longtemps possible : ce sont les œuvres éphé- mères, -celles pour lesquelles la fraîcheur du matériau est indispensable et qui nécessitent par conséquent une maintenance régulière et optimale : ce sont les œuvres permanentes – dans l’intention de leur auteur - mais impermanentes du point de vue de leurs constituants matériels, -celles pour lesquelles l’artiste a pu lui-même intervenir après coup, que ce soit par rajout ou élimination d’éléments, ce sont des œuvres fonciè- rement permanentes mais évolutives, -il en est de même de celles qui ne seront jamais figées dans le temps que par des clichés et qui sont destinées à évoluer continuellement : parce que les spectateurs font partie de la création et sont invités à faire évoluer l’objet,

3 Robert FLECK, “La « mort de l’auteur » et les questions de temps, d’original et de conservation de l’art contemporain : la difficulté des cho ses en trop”, in Actes du 30ème congrès de l’Association Internationale des Critiques d’Art organisé à Rennes du 25.08- 02.09.1996, 1997, p.179

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-celles dont l’auteur exige une actualisation de l’objet devenu obsolète par rapport aux conditions régies par son concept. (cf. en annexe l’œuv- re d’Honoré d’O conservée au FRAC Champagne-Ardenne). Cette dernière proposition se rapproche grandement de la seconde à la différence que dans ce cas il est question d’objet et non de matériau, c’est-à-dire d’un objet manufacturé, temporellement dépassé au regard des spectateurs contemporains, et non pas de matériaux naturellement périssables tels que les matériaux organiques : en admettant que la démarche de réactualisation peut être prise en compte par les conserva- teurs, elle devient relativement subjective si l’artiste ne donne pas de directives précises : en effet, qui est à même de juger de l’obsolescen- ce ou non d’un objet ? -celles qui sont considérées comme occurrentes mais qui ne sont pas for- cément éphémères, dès lors que leur concept autorise leur réimplanta- tion dans un nouveau contexte.

Parce que les œuvres éphémères refusent en principe leur conservation et leur re-présentation, il sera davantage question tout au long de cette recherche, d’installations impermanentes, occurrentes ou non, qui posent le problème de leur re-présentation dans des contextes toujours différents de leur exposition originelle ainsi que celui de leur éventuelle réinterprétation. Les œuvres éphémères qui prennent essentiellement ici l’allure de pro- ductions d’art-action, feront également, quelqu’en soit leur nature, l’ob- jet de nombreux questionnements sur la manière dont elles sont mon- trées dans les collections, et ceci afin de dégager une réflexion visant à leur éventuelle re-présentation.

A1/2.b) MANIFESTER L’IMMATÉRIEL

« Art as idea as idea » Joseph KOSUTH

IMMATÉRIEL: Qui n’a pas de consistance corporelle.

[in Petit Larousse illustré, 2005]

IMMATÉRIEL: Qui est sans matière. Beaucoup d’attributs primordiaux de cet être si peu connu qu’on nomme matière, sont tous immatériels, c’est-à-dire que ces attributs sont des effets de la volonté libre de l’ Etre suprême, VOLTAIRE, Défense du newtonian. [in Le Littré, 2005]

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MATIÈRE :

Elément vibrant (air, eau, minéral) qui assure la trans- mission d’un son (vibration). Le dispositif auditif humain, récepteur de ce son, est un matériel de cap- ture adapté au précédent. Matériel : le dispositif de transmission et de capture du message qui l’achemine à destination.

[in catalogue Les immatériaux, Jean-François LYOTARD]

Si l’on s’en tient aux définitions susmentionnées, l’immatériel se rappor- terait à tout ce qui n’est pas matière et qui n’est donc pas perceptible. [Notons cependant que toute œuvre matérielle existe en interaction avec une dimension immatérielle, qui se nourrit du discours de l’artiste, de ses enjeux, de son contexte,…] Malgré tout, si l’on s’arrête à cette énonciation pertinente mais, au demeurant, triviale, on risque d’assimiler « immatériel » à « dispari- tion » et de considérer l’immatérialité comme la conséquence d’une perte ou du caractère éphémère, comme une finalité en soi à laquelle toute chose et tout être tendent inexorablement. Cette vision omet, sans doute trop rapidement, le fait que l’immatérialité n’est pas ce vide, cet impalpable synonyme de mort et de néant. En fait, l’immatériel existe en tant que tel et ne résulte pas d’une dispa- rition : soit parce qu’il se rapporte à des concepts, soit parce que la nature même de la création qu’il qualifie n’est percevable, totalement ou en partie, que par des sens autres que ceux de la vue ou du toucher. Un artiste qui a la volonté de travailler sur et avec l’immatériel, conçoit son œuvre pour qu’elle soit immatérielle et non pas pour qu’elle devien- ne immatérielle (au quel cas ce serait une œuvre éphémère). Mais la notion d’immatériel apparaît cependant comme paradoxale quand il s’a- git de créations plastiques et plus encore lorsqu’il est question de conser- vation-restauration. Pourtant, si l’on évoque la musique, la danse, le théâtre, la littérature ou l’art-action, on ne peut parler de matérialité que de façon détournée; il y a évidemment une matière/corps ou une matière/objet qui donne à percevoir cet immatériel par le médium du geste ou du son, mais ces œuvres restent immatérielles bien qu’issues de l’interaction d’éléments matériels ; ainsi le bruit du vent est-il produit par le passage de l’air entre des parois matérielles; la diffusion du son ou des odeurs dans un lieu donné, bien que cachée au regard du passant, est pourtant bien le produit d’un processus mécanique,… de même, l’émotion générée par l’œuvre d’art-action est la résultante du concept mis en œuvre par un individu. En occultant le moyen au profit du résultat, on met bien en évidence que ce qui nous importe, lorsque l’on parle d’œuvres immatérielles, réside davantage dans ce que l’on perçoit que dans son « système de produc- tion » : une œuvre est donc considérée comme immatérielle lorsqu’elle ne s’incarne pas dans des objets concrets, palpables, maniables ; elle n’est finalement rien d’autre que ce qui est senti et ressenti à travers l’in- visible comme dans l’approche scientifique ou ce qui fait illusion, comme dans la prestidigitation.

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Yves KLEIN, en vendant des zones de sensibilité pictura- les immatérielles faisait appel à un concept, ou plutôt à la perception éventuelle de celui-ci, non sans poésie et avec un brin de sarcasme.

Si l’on considère immédiatement la musique, le théâtre et la danse comme des œuvres immatérielles, c’est parce qu’elles sont irreproductibles, au sens « manufacturé » du terme, et qu’elles ne seront jamais rejouées de manière exacte, car elles sont issues d’une gestuelle, des attitudes et des expressions d’un être vivant, par défini- tion changeant. Ces formes artistiques n’existent que le temps d’une « représentation », d’un moment dont témoignera, par la suite, la mémoire de leur public, au même titre que la

9- Yves KLEIN , Cession à Michael documentation. Mais si cette documentation est inexis- BLANKFORT de la Zone de sensibilité tante ou si elle devait disparaître un jour, ces œuvres picturale immatérielle n°1, Série n°4,10 février 1962 deviendraient totalement immatérielles: elles entreraient alors dans la catégorie des mythes, de ces événements qui ne doivent la preuve de leur existence que par le moyen du récit qu’en feront les spectateurs. La performance rejoint tout à fait ce type de production quand elle ne joue pas sur l’ambiguïté du statut des objets qui accompagnent sa réalisation. Car si, dans leur grande majorité, les artistes performers interviennent sans artifice ou de manière parcimonieuse et détachée, d’autres artistes (et, notamment, les membres du grou- pe Fluxus) ont réalisé nombre d’objets, de jeux et autres produits manufacturés et estampillés Fluxus, que les institutions ont tôt fait de considérer comme des œuvres à part entière ou des documents reliquaires placés sous vitrine, annulant de ce fait leur valeur d’usage. A ce titre, c’est l’objet que l’on conserve et que l’on envisage de restaurer, bien plus que l’évènement.

Nos propos sur la notion d’immatériel se concentreront 10- Collectif Fluxus, Flux year box 2 (A” copy), v.1968 essentiellement sur la nature de quelques œuvres, telles que les performances, mais aussi sur tout ce qui fait œuvre au-delà de l’objet d’art ou de l’action artistique ; si ce paramètre est commun à toutes les œuvres – une vanité par exemple existe bien en tant que composition picturale mais a pour objectif, avant tout, d’évo- quer la finitude de la Vie et le triomphe de la Mort - il est particulière- ment critique lorsqu’il s’agit de certaines installations contemporaines et de performances qui ne prennent réellement leur sens qu’à travers des schèmes particuliers, des contextes de présentation singuliers ou une conjoncture et un environnement précis. Que ce soient des œuvres conceptuelles, des créations basées sur le lan- gage, des installations qui participent d’un principe d’interactivité, voire même certaines peintures, ces productions attestent que l’œuvre réside davantage dans le discours que dans l’objet qui la manifeste et, quelques fois dans une participation active du public, véritable acteur du proces- sus conceptuel. En cela on peut, en extrapolant les définitions de ce qui

-26- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 précède, les considérer comme des œuvres immatérielles. (cf. en annexe quelques exemples de différents types de productions qualifiées d’imma- térielles ainsi qu’un encart qui évoque le patrimoine immatériel dont le problème de la sauvegarde connaît des questionnements semblables à ceux soulevés par certaines créations contemporaines).

Si l’art-action présente des traits communs avec la danse ou le théâtre, et notamment parce qu’il se réduit pour l’essentiel à une émotion, il peut être considéré comme une œuvre immatérielle. Par ailleurs, l’art-action étant inscrit dans une durée, nous avons indiqué plus haut qu’il était éphémère : on peut dès lors dire de l’art-action qu’il est le stade ultime de la production impermanente et éphémère car sa matérialité se réduit le plus souvent au seul corps de l’artiste ; autrement dit, si l’art-action est une production immatérielle, son caractère éphémère ne peut se per- cevoir qu’à travers la durée de l’acte et non plus à travers celle de sa matière.

A ce titre, on entrevoit à quel point les notions d’impermanence et d’im- matérialité sont liées. L’art-action et certaines installations, à l’instar de la musique, du théâtre et de la danse, sont à la fois des œuvres imma- térielles et des œuvres éphémères ou impermanentes. En fait, si le paramètre temporel est commun aux installa- tions et aux performances, celui de l’immatérialité l’est tout Les artistes Linda MONTANO et Tehching HSIEH sont restés autant, dès lors qu’on le considère sous l’angle conceptuel. attachés par la taille avec une corde de 2m de long pendant un an (1983-1984) afin « d'être ensemble et de n'être Une installation se déploie ains,i à la fois dans un laps de jamais seuls ». temps donné et, le plus souvent, autour d’un concept qui En 1974, dans Rythm 0, Marina ABRAMOVIC a livré son prédomine sur la matière qui la constitue. Les œuvres d’art- corps au public telle une poupée mannequin, avec la men- tion «il y a 72 objets sur la table que l'on peut utiliser sur action, quant à elles, intègrent ces deux paramètres dans moi comme on le désire. Je suis l'objet ». Parmi eux se trou- la mesure où leur caractère immatériel se double d’une vaient un pistolet chargé, un fouet, des outils tranchants,…la performance a pris fin au bout de 6 heures volonté affirmée par l’artiste de faire de son œuvre un évé- sur demande de la galeriste organisatrice : l'expérience des nement ponctuel, fugace ou étiré dans le temps; cette limi- limites corporelles et psychologiques avait été atteinte. tation temporelle correspond alors aux limites physiques et/ou mentales de l’artiste ou à une durée arbitraire prédé- terminée ou décidée en cours de réalisation.

En fait, que l’œuvre soit ou non de nature immatérielle, c’est bien ce qui émane du geste, et qui fait œuvre au-delà du geste lui-même, dans l’installation ou dans l’art-action qu’il nous importe ici de considérer sous l’angle de la conservation-restauration. C’est l’immatériel du point de vue de sa manifestation et de ce qu’il convoque que nous 11- MONTANO/HSIEH, souhaitons aborder. One year performance, 1983-1984 Pourtant d’aucuns trouveront curieux d’une part, que l’on puisse parler d’œuvres immatérielles s’agissant d’œuvres d’art plastiques, et d’autre part, que l’on se propose d’évoquer l’éventualité de la restauration de tel- les œuvres. C’est parce que celles-ci sont exposées, muséifiées sous des formes éloignées de leur nature originale, qu’il apparaît intéressant de se pencher sur ces questions, en confrontant le professionnel de la conser- vation-restauration à une production artistique reconnue comme telle mais dont on peine à appréhender avec justesse ses caractéristiques sin- gulières.

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Les hybrides

Je nomme « hybrides » ces œuvres qui confondent, ou ont confondu, à un moment de leur existence, les notions d’immatériel et d’éphémère. Les Tirs de Niki de SAINT PHALLE et les Anthropométries d’Yves KLEIN, en sont deux exem- ples parmi d’autres. Dans les deux cas, on assiste à la création d’une œuvre plastique, picturale (mais avec des moyens détournés) exécutée en public. La convo- cation d’un public, et l’acte lui-même, sont autant d’é- léments caractérisant les œuvres d’art-action, donc des créations immatérielles. Or dans les cas de Niki de SAINT PHALLE et d’Yves 12) KLEIN, si l’on est bien confronté à une action événe- mentielle et immatérielle (au sens des productions artistiques vivantes), on est également face à une œuvre plastique matérielle à considérer à part entiè- re ; dès lors que l’on a conscience de ces deux para- mètres inhérents à l’œuvre, il devient légitime de se demander si l’on ne pourrait pas exposer les Tirs ou les Anthropométries comme des documents ou des restes, traces d’un acte performatif?

En effet, quand on prend en considération la présen- ce d’un public mandé pour l’occasion et qui assiste au 13) déroulement d’un évènement aboutissant à la créa- tion d’un objet peint, on est en droit de s’interroger : qui, du geste performatif ou du tableau final, prime sur l’un ou sur l’autre? L’œuvre réside-t-elle dans l’ob- jet aujourd’hui exposé ou dans l’événement, désor- mais documenté et disparu? Et si l’événement était à mettre au même plan que l’œuvre aboutie, ne pour- rions-nous pas alors imaginer que lors de la retouche d’un Tir, le conservateur-restaurateur se mette à se servir d’une carabine, dans le plus pur respect de l’ac- te ? Bien entendu chose pareille est (im)pensable (et non recommandable), mais ces exemples me sem- blent bien démontrer la particularité des problèmes que révèlent ce type de créations ; ces deux œuvres 14) sont en effet à aborder avec leur part matérielle et 12, 13, 14- Yves KLEIN, Anthropométries, événementielle, autrement dit à travers leur aspect 9 Mars 1960 occurrent et immatériel.

L’œuvre de SARKIS, l’atelier d’aquarelles dans l’eau embrasse les deux notions d’éphémère et d’immatériel. Le dispositif est précis : une table ronde à hauteur du bassin, douze bols en porcelaine blanche remplis d’eau, un bouquet de fleurs dans les tons rouges, bleus et jaunes disposé au centre de la table, une palette de trois couleurs aquarelles (bleu, rouge et jaune), un gobelet d’eau de rinçage

-28- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 et un pinceau à la droite de chaque bol ; à l’aide de ces instruments, SARKIS organise ou fait organiser des séances d’expérimentation du « temps » et de la « vitesse » de la couleur : chaque participant (de 7 à 77 ans) plonge en silen- ce et sans toucher la table, son pinceau imbibé de couleur à mi-hauteur de sa garniture et le maintient verticalement et de manière immobile le temps que la couleur s’en échappe dans l’eau. Cette pratique doit, d’une part, permettre aux participants 15) d’observer la rapidité de diffusion de certaines couleurs par rapport à d’autres dans un milieu aqueux ; d’autre part, de produire, selon sa « créativité » ou son intuition, un tableau mouvant et éphémère (les bols sont en effet vidés dans un seau commun à la fin de chaque séance). Mais, plus que la simple observation du phénomène physique de l’échappée chromatique, l’acteur de cet évènement doit pouvoir accompagner son geste d’une méditation, d’une expérience intérieure, d’une harmonie entre ses sens et son corps. L’œuvre est bien de l’ordre de l’immatériel et de l’é- phémère puisqu’elle existe autant dans le geste que dans une production picturale totalement mouvante, insaisissable, 16) elle-même de nature immatérielle : en effet, même si elle est une substance, peut-on dire de l’eau qu’elle est véritable- ment matérielle ? D’autre part, l’atelier d’aquarelles dans l’eau est une œuvre totalement éphémère : parce que la diffusion des couleurs ne peut être figée qu’à travers un cliché photographique. En effet l’artiste a décidé de la durée et de la « destruction » de ces « tableaux aquatiques » en limitant le temps d’exé- cution et en proposant une issue ultime à ces créations, mais aussi parce que l’expérience mentale du geste, lui-même associé à la durée de son exécution, est limitée.

Ce survol des notions d’éphémère et d’immatériel qui ne sont pas caractéristiques d’une frange particulière de la produc- tion artistique contemporaine, révèle une interaction très forte entre les deux. L’éphémère évoque la temporalité, l’instant, en annonçant la disparition programmée de l’objet ; l’immatériel, quant à lui, 17) 15, 16, 17- SARKIS, n’existe selon moi qu’à travers la notion de durée (fugace ou atelier d’aquarelles dans l’eau étiolée) : c’est dans la durée de son exécution que l’on prend organisé au MAMCO (Genève)- janv. 2005 conscience de la création immatérielle, et, avant cela, au moment de la convocation d’un public à une date précise ; par ailleurs, la perception de l’œuvre immatérielle est éveillée par notre capacité de conceptualisation de l’acte et de l’objet artistiques.

Ainsi donc, ne se trouve-t-on pas autorisé à dire que ce qui lie l’immaté- riel et l’éphémère est l’« expérience de la durée » (pour reprendre le titre de la dernière biennale d’art contemporain de Lyon)? C’est la durée qui rend perceptible une création immatérielle, c’est la durée qui nous fait prendre paradoxalement conscience du caractère plus ou moins momentané d’une œuvre éphémère

-29- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

A1/3. NOTES SUR L’INSTALLATION COMME PRATIQUE ARTISTIQUE

Le terme « installation » est apparu dans les années ’60 afin de nom- mer un certain type de productions artistiques, réellement reconnues dans les années ’70/’80. Jusque-là, il désignait la manière dont était accrochée, arrangée, agencée une exposition. On a alors commencé à parler d’« assemblages » et d’« environne- ments » qui correspondaient à l’occupation d’un espace donné par une accumulation d’objets dans un laps de temps déterminé.

Mais qu’est-ce qui différencie réellement un agencement d’exposition d’une accumulation d’objets dans le cadre d’un projet artistique unique? Dans Installation art (2005), Claire BISHOP, , relève que, dans l’installa- tion, l’odorat, l’ouïe, le toucher prennent la même importance que la vue, seul sens véritablement stimulé lors d’expositions «classiques». Nous verrons que la participation active du public fait également partie inté- grante de l’installation: Julie REISS, citée dans ce même ouvrage, écrit que la participation du regardeur est si intégrale, que sans avoir fait phy- siquement l’expérience de l’œuvre, l’analyse d’une installation reste très difficile. Elle insiste par là sur le fait que la documentation reste impuis- sante lorsqu’il s’agit de retranscrire ce type de créations : en effet, la tri- dimensionnalité englobante d’une installation est peu perceptible et peu effective à travers un document, alors même qu’elle est indispensable à l’appréhension de ce type d’œuvres. L’installation investit un lieu spécifique (in situ) ou non, à un moment précis ou non, au moyen d’objets manufacturés ou non, de matériaux de toutes natures, de musique, d’écriture, d’un éclairage, qui sont autant d’éléments n’existant pas les uns à côté des autres, mais de manière glo- bale dans l’évocation, la transmission, la dénonciation, la parodie, … d’un sentiment, d’un état de fait ou d’un événement, sous la forme d’un cons- tat ou d’une amplification d’un état personnel ou sociétal. Elle ne repré- sente pas des textures, un espace, de la lumière, …, elle nous présente ces éléments à travers un tout contigu, pour qu’on en fasse pleinement l’expérience.

Allan KAPROW, dans le développement du concept qui accompagne ses environnements, fait un parallèle entre l’installation et le « gesamtkunst- werk » ou « œuvre d’art totale » imaginée par WAGNER ; ce dernier souhaitait ainsi marier poésie et musique au sein de la scène opératique. Cependant, dans l’ouvrage Installations, l’art en situation 4, nous rele- vons que l’installation participe certes de la collaboration entre différen- tes formes d’art, mais aussi de « la culture de masse du capitalisme mer- cantile », avec sa dimension spectaculaire. Selon moi, ce texte met ainsi en avant le fait que l’installation a eu, dès le début, la volonté d’être per- çue par le plus grand nombre, en utilisant des matériaux nouveaux, issus de la grande consommation (dans une volonté d’uniformisation à grande échelle de la société) ou même des matériaux de récupération, immédia-

4 Nicolas de OLIVEIRA, Nicola OXLEY, Michael PETRY, Installations, l’art en situation, 1997

-30- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 tement associés à nos habitudes et à notre environnement quotidiens. On assiste donc à une production artistique à destination universelle (en tout cas, dans les limites de la culture occidentale), d’une part, parce qu’elle fait appel à tous nos sens réunis et, d’autre part, parce qu’elle est ancrée dans notre quotidien : on pourrait donc aisément y adhérer ou physiquement y participer, sans succomber à un certain élitisme de l’art(?). « Le statut de ces installations contribue à faire percevoir comme du “grand art” des installations qui utilisent générale- ment un milieu profane et des matériaux ordinaires. L’installation totale est le lieu d’une « action » figée, où s’est produit, se produit ou se produira un “événement” ».5

En dehors du fait matériel et accumulatif, l’installation dite « totale » engage une véritable réflexion sur le temps : « (…) ce qui est le plus impressionnant dans l’installation totale c’est la facilité avec laquelle elle unit le temps et l’espace, couple qui vit d’habitude séparé. Les arts plastiques ont perdu le sentiment du temps. »6

Cependant, la nature de l’installation revêt tant de formes différentes (comme la performance d’ailleurs qui n’est qu’un terme générique) qu’il est difficile de la réduire à ces remarques et à la seule mise en espace de l’objet. En effet, certaines d’entre elles nous plongent dans un monde totalement fictionnel comme au cinéma, d’autres proposent une introspection ou une exaltation de nos sens, certaines une prise de cons- cience de soi et des autres, certaines un processus relationnel…, ce sont autant de facettes qui vont à l’encontre d’UNE histoire de l’installation et qui mettent en avant les différentes influences de cette forme d’art : celui-ci repose, en fait, essentiellement sur une conscience de l’espace et du temps pris en compte d’une manière autre que contemplative. Si, depuis le début du siècle dernier, on a cherché à représenter le mouve- ment, la vitesse, la lumière,… l’installation nous propose, quant à elle, une confrontation globale et une expérimentation de ces notions.

« L’espace et le temps sont les seules formes sur lesquelles la vie est fondée et donc sur lesquelles l’art doit être construit. » Naum GABO (Manifeste du Réalisme, 1920).

La relation entre l’art et le temps est, elle, directement issue d’un siècle qui aura introduit, plus que jamais, la dimension théâtrale sur la scène des arts plastiques. Le théâtre mime la vie et intègre la notion de durée; or, si les plasticiens ont voulu intégrer la vie dans leurs œuvres, ils l’ont fait en mettant en scène ou en espace, soit directement leurs réalisa- tions, soit le lieu d’exposition qui devient alors un lieu de vie : citons les futuristes qui expérimentèrent les nouvelles technologies de leur époque dans tous les domaines artistiques, ou encore l’enseignement du BAU- HAUS qui souhaitait réunir tous les aspects de l’art et de l’artisanat dans

5 Ilya Iosifovic KABAKOV, Ilya Kabakov : installations 1983-1995, 1995, p.27 6 Ibid., p.28

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l’espace partagé de la communauté ; évoquons également les premiers Environments d’Allan KAPROW à la fin des années ’50 contre un certain mercantilisme des galeries new-yorkaises autour de l’expressionnisme abstrait dominant, totalement coupé de la réalité. Allan KAPROW réalisa alors des œuvres qui tendaient à immerger le public dans un univers composé de matériaux de récupération, utilisant directement l’objet, plu- tôt que sa représentation, dans un désir d’immédiateté ; ce faisant, un de ses objectifs était de créer sciemment des œuvres non transportables, non maniables, afin qu’elles ne puissent pas être récupérées par le mar- ché de l’art.

Concrètement, l’installation repose avant tout sur la notion d’expérience physique et intellectuelle qui passe par l’engagement personnel, senso- riel et cérébral du visiteur. Cette prise en compte de l’exaltation des sens et de l’esprit du public dans la production artistique a, semble-t-il, été amorcée par une certaine conscience de l’espace et du temps : celle-ci a été assurée par l’intégration progressive de l’espace d’exposition au sein de la réalisation plastique. L’espace est longtemps resté un « outil » adapté à la mise en valeur de l’œuvre avant de devenir l’« objet » reconstruit par les artistes eux-mêmes. En 1964, l’exposition des toiles hexagonales de Frank STELLA chez le marchand Léo CASTELLI a réellement permis de poser un autre regard sur l’espace qui séparait les tableaux et à le considérer autrement que comme un volume blanc consacré. Ces murs, auparavant neutres, n’é- taient plus ceux sur lesquels étaient suspendus les tableaux traditionnels, ni ceux qui enfermaient la sculpture ; ils devinrent graduellement de véritables éléments de la composition. On retrouve ce souci de l’espace chez les sculpteurs minimalistes comme, par exemple, Donald JUDD et Robert MORRIS. Si leurs œuvres ne sont pas des installations, elles participent pourtant du même changement d’attitude vis-à-vis des œuvres et de leur contemplation (tenue, à tort ou à raison, pour passive et insensible) : les artistes minimalistes « redécouvrirent (…) le conflit intérieur à l’incarnation de l’idée dans une œuvre laquelle avait une existence matérielle »7; à l’instar des cubistes qui nous ont offert la représentation simultanée de plusieurs points de vue sur une même surface, la sculpture minimale a décentré le regard du visiteur. L’art dit minimal et les installations, en faisant ent- 18- Robert MORRIS, Untitled (L-Beams),1965 rer le public dans l’espace de l’œuvre lui ont per- mis d’avoir une vision à la fois démultipliée et très personnelle de celle-ci : plutôt que de se définir comme plastiques, ces créations ont tenté de faire « voyager » le visiteur dans l’espace de la galerie ; elles lui en ont fait prendre conscience, en même temps qu’il en réalisait les proportions, et considérait le poids et le volume de ces sculp- tures par rapport à ceux de son propre corps. A ce titre, il paraît sédui- sant d’opérer un parallèle entre sculptures minimales et installations, cependant ce parallèle serait exagérément sommaire : en effet, si elles

7 Hans BELTING, Le chef d’œuvre invisible, 2003, p.507

-32- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 permettent au public de considérer l’espace par leur seule présence et de l’emmener éventuellement dans un ailleurs, elles n’intègrent pas directe- ment l’environnement dans leur discours. D’ailleurs, Donald JUDD et Robert MORRIS insistent sur le fait qu’il n’y a pas de mise en scène « psychodramatique » dans leurs œuvres. Et Frank STELLA d’ajouter dans une conversation proposée par Bruce GLASER entre Frank STELLA et Donald JUDD : « ce que tu vois, est ce que tu vois d’esthétique. »8

Malgré tout, et quelques soient les positions des artistes minimaux par rapport à l’espace, force est de constater que l’expérience physique du public est un trait commun à l’art minimal et à l’installation dont elle serait ainsi issue.

Notons, par ailleurs, que l’installation est redevable des tra- vaux All over de Jackson POLLOCK qui a remis en question le cloisonnement bidimensionnel de l’œuvre ; Allan KAPROW, cité dans l’ouvrage de Claire BISHOP, y voit trois raisons : sa composition picturale était totale de par sa technique, ce qui le faisait rompre à la fois avec la vertica- lité du tableau et avec son sens de lecture et d’exécution ; selon ses contemporains, le côté performatif de sa création lui faisait pénétrer la peinture et l’espace de la toile; enfin, 19) le rendu de ses toiles et l’absence d’encadrement rendait interchangeables l’espace de l’artiste, celui du public, et celui du monde extérieur : ses méthodes de réalisation étaient chorégraphiques au point que les regardeurs eux- mêmes devaient pouvoir éprouver l’impact physique de ses drippings. Autrement dit, la distance entre l’œuvre et le regardeur avait été sensiblement réduite, ce que nous expérimentons aussi à travers les installations qui, en plus de faire pénétrer le visiteur dans un espace recomposé, peut l’y faire participer en tant qu’acteur : celui-ci la pénè- 20) 19, 20- Jackson POLLOCK tre, la hume, la touche, la fait évoluer. en action dans son ate- Cette « coopération » suppose qu’il se soit produit un lier changement dans la relation que le regardeur entretient avec l’œuvre et son auteur. Cette transformation a été d’ailleurs amorcée avec la naissance de productions qui ambitionnaient de démythifier l’œuvre et le créateur : elles devaient permettre au regardeur de prendre conscience de sa responsabilité et de réajuster son « statut » par rapport à celui de l’artiste. Marcel DUCHAMP avec son Air de Paris (1919) à qui Piero MANZONI répond par Souffle d’artiste (1961), ont tous les deux interrogé le fétichisme de l’insti- tution et l’aura de l’artiste de manière ironique mais aussi incisive; il en va de même des œuvres d’Yves KLEIN et selon Joseph BEUYS tout le monde est artiste ; ces propo- sitions, parmi d’autres, ont généré un autre regard sur l’art.

21- Marcel DUCAMHP, Air de Paris, 1919

8 Frank STELLA et Donald JUDD in Art news, Septembre 1966 p.55-61

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« Le travail de tous ces artistes remettait en question ce à quoi précisément on nous demande de nous intéresser lorsque nous regardons de l’art. Ces choses sont-elles importantes en elles- mêmes ou significatives en tant que sédiment déposé par une perturbation antérieure ? »9 À ce titre la question ne semble plus être « qu’est-ce qui est ou fait art ? », mais « quand y a t-il art ? »

L’installation, comme mode participatif, se déploie sous des formes variables, toutes actives, mais à des degrés différents : soit en sollicitant les sens du public, soit dans une relation d’interactivité où le visiteur, invité par l’artis- te, participe à la création et à l’évolution de son œuvre.

22- Piero MANZONI, Selon des moyens et un engagement plus ou moins mar- Souffle d’artiste, 1961 qué, le visiteur est amené à percevoir des situations qui vont de l’introspection à la contestation politique, en pas- sant par des revendications sur le discours de l’art… Plutôt que d’apporter une pierre à l’édifice de création de l’œuv- re au sens concret du terme, le public, de par sa mise en condition et son comportement, va faire ou non le jeu de l’artiste; prenons ici en exemple l’installation de Marcel BROODTHAERS Le Musée d’Art Moderne, Département des Aigles (1968-1972) qui est une installation totale, véri- table parodie du dispositif par lequel les musées confèrent de la valeur aux objets. Chaque objet, aussi insignifiant soit-il (mais qui, de près 23) ou de loin, nourrissait arbitrairement un rapport avec le thème de l’aigle), était présenté sous vitrine, accroché soi- gneusement aux cimaises, ou statufié et affublé d’un car- tel qui lui était propre (titre et numéro d’inventaire, comme dans un vrai musée) avec la mention : « ceci n’est pas une œuvre d’art ». L’usage de l’étiquette dénon- çait la légitimité artistique que l’institution accordait à tout objet en ses murs : Marcel BROODTHAERS amplifia le dispositif en remplaçant les œuvres par des fictions d’œu- vres afin d’enlever au musée toute forme de crédibilité. Le public déambulait donc dans une simulation de visite muséale en bonne et due forme, mais où il se trouvait manipulé par l’artiste : en décriant le musée, il confron- tait également le public à son statut de simple admirateur et d’adepte convié au rituel de la fétichisation. Sans la 24) modifier physiquement, le visiteur, de par sa présence et 23, 24- Marcel BROODTHAERS, Musée d’Art Moderne, Département des Aigles, Section des Figures, 1972, sa réaction, participait ainsi à l’œuvre en en démontrant Kunsthalle de Düsseldorf la pertinence.

9 Nicolas de OLIVEIRA, Nicola OXLEY, Michael PETRY, opus cité, 1997, p.19

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L’œuvre de Vito ACCONCI Command performance (1974), est une œuvre dans laquelle le public est l’acteur principal ; c’est une installation qui fonctionne comme un triptyque où le regardeur est à la fois passif et actif. La dénonciation de la manipulation politique en est le point central: c’est un appel contre l’instrumentalisation autant qu’une invitation à la révolution. Cette œuvre fonctionne à la fois sur le mode de l’instal- lation (avec une déambulation dans l’espace organisé par l’artiste) et sur le mode de la performance puisque le visi- teur est invité à endosser le rôle du performer. Soit deux colonnes sur lesquelles est accroché un moni- teur de télévision et disposées l’une derrière l’autre dans la pièce ; contre l’une des colonnes et faisant dos à l’un des postes, une chaise éclairée par un faisceau lumineux est face au second moniteur sur lequel est diffusée une vidéo de l’artiste qui incite le visiteur à entrer dans le cer- 25- Vito ACCONCI, cle de lumière et à réaliser lui-même une performance. Command Performance, 1974 La télévision, située derrière le visiteur/performer, retranscrit en direct la performance de ce dernier pour tous les autres visiteurs qui entrent dans la pièce. Ici, le public devient support de la réflexion engagée par l’installation en même temps qu’il peut décider d’en être que le simple « voyeur ».

Les premiers Happenings d’Allan KAPROW relèvent tout autant de l’installation que de la performance ; ce sont des œuvres participatives et évolutives dans lesquelles le visiteur est réellement mis en scène. En 1962, il réalise Words, à la Smolin Gallery de New York ; cette pièce est un espace entièrement « réamé- nagé » par l’artiste qui y a suspendu des draps blancs où sont inscrits des mots peints en noir (plusieurs fois répé- tés) et mis à la disposition du visiteur afin que celui-ci, les déplaçant, constitue des phrases. Le public devient créa- teur, il s’approprie l’œuvre en même temps qu’il la par- tage avec les autres protagonistes pour la modifier phy- siquement. Plus récemment, on retrouve aussi ce princi- pe d’intervention directe sur l’œuvre à travers une série 26- Allan KAPROW, Words, d’installations de Félix GONZALES-TORRES qui garnit le Smolin Gallery, New York, 11-12sept. 1962 sol des lieux d’exposition de bonbons et les offre au public : ici, la création tend à s’amoindrir au fur et à mesure que les friandises sont consommées. Dans ce cas, l’œuvre participe d’un processus relationnel qui prend son sens au sein de revendications politiques et sociales et, selon l’artiste, d’une certaine forme de recherche identitaire : l’acte « créatif » du visiteur ten- drait ainsi à affirmer sa position par rapport à la société et à rompre une nouvelle fois la barrière qui sépare le commun des mortels de l’artiste. Dans une même optique, Joseph BEUYS œuvra dans ses « sculptures 27- Félix GONZALEZ-TORRES, Sans Titre (Placebo- Landscape-for Roni 1993) sociales », sans pour autant y faire participer le public. Installation at Museum of Contemporary Art, Los Angeles, Avril/juin 1994

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Le travail de celui-ci exprime à la fois ses implications politiques et une mythologie personnelle issue de sa propre histoire désormais célèbre, à l’époque où il était pilote de la Luftwaffe. Convaincu de la puissance de la créativité, il accorda à celle-ci le pouvoir de changer le monde : pour lui, l’art était un moyen d’auto-réalisation de soi. Contrairement à ses contemporains (comme Daniel BUREN) pour qui l’art est intrinsèquement poli- tique et un outil de contestation de ce que valident les autorités institutionnelles, Joseph BEUYS conçoit son engagement politique comme une extension de sa pra- tique artistique : pour lui, la création d’un parti poli- tique vaut mieux que le boycott d’un musée. C’est ainsi qu’en marge d’installations mettant en espace des élé- ments directement extraits de son passé légendaire (la 28- Descriptif d’une œuvre d’art graisse, utilisée pour son côté organique, liquide et soli- (première page de FIU) de, ou le feutre en tant que conducteur de chaleur), il réalisa des pièces monumentales telle que la plantation de 7000 chênes signalés individuellement par une stèle de basalte lors de la Dokumenta de de 1982. Acte écologique, performance ou installation, reste que cette action s’inscrit dans le cadre de ses préoccu- pations politiques.

Thomas HIRSCHHORN, aujourd’hui, se réfère à BEUYS dans ses installations qu’il préfère nommer « display » (exposition/étalage) ; les environnements qu’il crée ont pour vocation d’immerger le visiteur dans une accumu- lation de photos, de vidéos, de photocopies, d’objets de récupération, de cartons,… ce faisant, et parce qu’il n’u- tilise pas des matériaux « intimidant » le public, Thomas HIRSCHHORN ne participe pas d’un art poli- tique mais « fait de l’art politiquement » ; à travers ses installations qui sortent souvent du cadre institutionnel, il se positionne socialement, culturellement, sans pour 29) autant prendre à partie le visiteur. Il ne milite pas cont- re, il travaille avec l’énergie que les contraintes lui insuf- flent afin de les mettre en avant. Invité à la Dokumenta 11, il exposa bien loin des bâtiments prévus à cet effet, au milieu des quartiers défavorisés de la banlieue de Kassel, son Bataille Monument qui devait confondre dans un même espace, la population d’un quartier avec, peut-être, d’éventuels connaisseurs de l’œuvre de Georges BATAILLE. Il mit le doigt ici sur ce que l’on nomme la notion d’identité communautaire, que les prétentions intellectuelles balaient souvent d’un revers de manche de façon méprisante. Sans être agressif, son 30) travail amène souvent à provoquer les esprits : « ce

29, 30- Thomas HIRSCHHORN, Bataille Monument, qui m’importe c’est que mon travail fournisse les matériaux Dokumenta 11, Kassel, juin/sept. 2002 de la méditation. Réfléchir est une activité. » 10

10 Thomas HIRSCHHORN, cité par Claire BISHOP, Installation art, 2005, p.127 (traduction personnelle)

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Cependant, l’installation n’est pas qu’une création à visée contestataire ou liée à une prise de conscience sociale qui engagerait nécessairement le public; elle existe aussi à travers des environnements esthétiques qui, sans pour autant devenir des sculptures, restent des espaces destinés au public où la notion d’expérience est encore une fois de mise. Ces installations concourent à la création d’une atmosphère contemplative ou intérieure en faisant usage d’éclairages, de sonorisations, de projec- tions vidéo ou de dispositifs architecturaux parti- culiers. James TURRELL réalise ainsi des espaces qui plon- gent le visiteur dans une ambiance lumineuse, totalement maîtrisée par l’artiste, à des fins d’au- to-perception et d’intériorisation, développant ainsi, chez le visiteur, son désir d’abandon jusqu’à 31- James TURRELL, Red Around (night), 1983 ne faire qu’un avec l’environnement alentour.

Les jeux de miroirs de l’artiste japonaise Yayoi KUSAMA participent du même effet d’auto-sub- mersion dans un univers où notre image est démultipliée et la perception de soi revisitée ; ses miroirs proposent à la fois une vision claustropho- bique de l’installation et une échappée infinie sur le monde, à la manière d’un mirage.

L’artiste américain Bill VIOLA, investit, quant à lui, des espaces entiers avec des installations vidéo qui immergent littéralement le spectateur dans un univers qui revisite ses sentiments, la conscience 32- Yayoi KUSAMA, Fireflies, 2002 de son être, de la vie et de la mort. Teintées d’i- mages se rapportant à l’eau ou au feu, dans un environnement sombre, ses installations entraînent progressivement le spectateur dans une atmosphère aussi troublante qu’envoûtante, rendue propice par la manière dont l’artiste traite la notion de durée.

Si les installations que nous avons évoquées tout au long de ce chapitre semblent exister de manière plus ou moins indépendante du lieu de leur implantation, il en existe qui sont dites in-situ qui revendiquent une rela- tion particulière avec l’espace et répondent à des caractéristiques tech- niques singulières. Relevant des mêmes préoccupations politiques, contestataires et/ou esthétiques,… que les exemples cités précédem- ment, elles ont pour particularité d’avoir été créées pour un lieu donné : de par sa nature ou de sa symbolique, l’espace participe au sens de l’œuvre et devient alors le support de celle-ci. Cependant, si ce type d’œuvres revendique la spécificité d’un espace, il n’en reste pas moins que toute forme d’installation restera toujours plus ou moins conditionnée par son lieu d’exposition.

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« (…) il faut admettre qu’il n’y a pas de site idéologiquement neutre. Tout contexte a son cadre et ses implications idéolo- giques. C’est une question de degré. »11

« Une œuvre in-situ produit le lieu qu’elle occupe et se confond avec lui. Cet attachement la définit en tant qu’œuvre site spe- cific. Ce n’est donc pas le site qui aurait une spécificité remar- quable, ni non plus l’œuvre, mais le lien entre les deux, qui importe (...). »12

« (…) employée pour accompagner mon travail depuis une quinzaine d’années, cette locution (in situ) ne veut pas dire seu- lement que le travail est situé ou en situation, mais que son rap- port au lieu est aussi contraignant que ce qu’il implique lui- même au lieu dans lequel il se trouve. (…) « In situ » veut dire enfin dans mon esprit qu’il y a un lien volontairement accepté entre le lieu d’accueil et « le travail » qui s’y fait, s’y présente, s’y expose. »13

Si ce panorama rapide offre des exemples de productions très variées, il nous montre bien à quel point il ne peut être envisagé de catégoriser précisément ce type de créations. Il paraît, en effet, très difficile de tabler sur une classification qui risque fort d’aboutir à créer des confusions, voire des non-sens. Il semble d’ailleurs que le terme générique d’instal- lation soit trop flou pour qualifier toutes les œuvres qui se déploient dans l’espace.

D'ailleurs, une question se pose face au foisonnement de Quoiqu’il en soit, il nous a été possible ici de prendre cons- créations se rapportant à l'installation et dont j'ai tenté, cience du caractère très conceptualisé de certaines de ces grâce à quelques exemples, de montrer la variété et les nuances au sein de catégories bien mal cloisonnées : que pièces et de leur consistance plus métaphorique que maté- dire des créations duchampiennes ? Les ready-mades ne rielle : à la lumière de cette remarque, nous devrons nous rentrent, en fait, ni dans le domaine de la sculpture à pro- interroger sur la place du conservateur-restaurateur vis-à- prement parler, ni ne correspondent à la définition proposée en ouverture de ce chapitre (accumulation d'objets dans un vis de ces œuvres dont le rapport à la matière peut-être espace pour une durée déterminée). L'objet est présenté quasiment réduit à néant, dès lors qu’il est question d’ex- seul, même s'il n'a pas été sculpté il peut relever d'un agen- cement autographe d'éléments, il est empreint d'un dis- périence, de sensation, d’immatérialité… cours subversif… mais est-ce cependant suffisant pour qua- Peut-on véritablement restaurer ces œuvres et se position- lifier cet objet devenu œuvre, d'installation ? Et que dire ner en tant que professionnel de la conservation face à une enfin d'Etant Donnés, œuvre posthume, qui est un espace entièrement créé par DUCHAMP mais dans lequel le visiteur production qui revendique la non fétichisation et dont l’es- ne pénètre pas, du moins physiquement, mais uniquement sence réside davantage dans son concept que dans sa à travers un œil de bœuf, par lequel notre regard de voyeur matérialité ? et notre imagination fantasque sont seuls à pouvoir pénét- rer ? Autrement dit, il sera nécessaire de nous questionner sur la manière de restaurer et de réinstaller ces œuvres : car si notre rôle de conservateur-restaurateur se limite pour l’es- sentiel à des interventions sur la matérialité de l’œuvre, qu’en est-il véritablement face à ce type de créations qui revendiquent principalement des paramètres immatériels ?

11 Richard SERRA, cité par Jean-Marc POINSOT in Quand l’œuvre a lieu, l’art exposé et ses récits autorisés, 1999, p.95 12 Anne CAUQUELIN, Fréquenter les incorporels, 2006, p.49 13 Daniel BUREN, in ibid., p.86

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A/4. PETITE HISTOIRE DE L’ART-ACTION

Force est de constater que le terme « performance » apparaît comme une expression générique bien mal définie ; d’une part, parce que le sens commun (mais également celui véhiculé par le milieu spécialisé) lui fait incarner tout ce qui se rapporte plutôt à l’art-action en général et, d’autre part, parce que le terme lui-même (apparu dans les années ’70- ’80) se défend de toute définition trop précise.

« Le mot « performance » apparaîtrait pour la 1ère fois, selon Jacques DONGUY, en 1970 sous la signature de M.HEIN dans le journal of Aesthetics (il est, à mon avis, soit antérieur, soit pos- térieur, mais peu importe). Son sens peut-être ambigu puisqu’il recouvre en anglais aussi bien le rôle d’un acteur, l’effort d’un sportif (sans connotation d’exploit comme en français) ou la représentation théâtrale. D’où la nécessité qu’ont eue les Anglais et les Américains de lui accoler le mot « art » : « per- formance art ». C’est l’action comme art opposé aux « perfor- ming arts» (les arts qui se représentent : danse, théâtre, etc…) (…). J’ai voulu garder l’imprécision que véhicule l’usage courant du mot pour nommer l’ensemble des actions publiques, éphé- mères, quelquefois contradictoires, d’artistes à la fin des années 70 et des années 80… »14

Or, il faut préciser ici que notre propos ne s’attache pas à la seule « per- formance » comme décrite plus haut, mais à l’art-action qui englobe généralement toutes formes d’expressions corporelles publiques autres que la danse et le théâtre et, parmi elles, la performance. Mais qu’est-ce que l’art-action? Qu’est-ce que cette forme artistique hors catégorie, souvent marginalisée et décriée ? S’il revêt souvent des accents contestataires, provocateurs, en tout cas qui ne laissent jamais vraiment indifférent, l’art-action affirme pouvoir permettre la rencontre de l’art et de la vie, l’introduction de la vie dans l’art et inversement, alors que, jusque-là, l’art imitait la vie et la vie se reconnaissait dans le miroir de l’art. L’action devient œuvre et non plus objet d’art. Les artistes qui ont choisi ce mode d’expression ont ainsi transgressé les barrières dans lesquelles l’art officiel les avait enfermés et s’en sont soustraits en manifestant toute la force de leur créativité et

14 Arnaud LABELLE-ROJOUX, L’acte pour l’art, 2004, p.285

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de leurs revendications : le corps est alors devenu l’instrument ultime de l’artiste qui ne se satisfait plus désormais des moyens « traditionnels » d’expression ; ceci a naturellement engendré une forme de communica- tion directe avec un public dont le regard sur l’artiste et le monde ne pou- vait que changer. Par la pensée extériorisée par le corps et le corps (non théâtralisé) offert au visiteur, l’artiste reprenait sa place auprès des hommes et la vie deve- nait œuvre d’art. « Utiliser son corps pour la révélation d’une œuvre d’art veut dire (…) libérer entièrement la charge d’expressivité de l’indivi- du en allant jusqu’au bout de la tension physique ou psychique, jusqu’à l’instant que l’artiste déclenche chez autrui des facultés de révélation et de résistance aux déterminismes. (…) L’artiste corporel informe la société sur ses automatismes, ses détermi- nismes, ses tabous. »15

« Le fait d’inclure des gestes d’actions intimes dans un contex- te public brise les usages et les normes ; il se produit alors un questionnement de la valeur et des conditionnements. »16

En dehors de ce que la Performance dégage et engage, de la présence physique et parfois active du public, il est important de mettre l’accent sur un point « pratique/technique » essentiel de cette forme d’art, un point qui la rend aussi incisive que rare : c’est son caractère événemen- tiel. En effet, la performance et l’art-action dans leur grande majorité sont l’«accomplissement public d’un acte par un artiste » (Arnaud LABELLE-ROJOUX), ce qui suppose à l’évidence que, durant un laps de temps donné et dans un espace déterminé, un événement, qui réunit un public et un artiste, a lieu ; l’action devient une œuvre unique, éphémè- re et immatérielle, qui n’est éprouvée qu’à un instant donné.

« Nous sommes rassemblés, réunis dans un espace-temps qui a toutes les apparences d’être homogène pour toutes les per- sonnes co-présentes dans cette salle, ici et maintenant. C’est un trait récurrent de ce qu’on appelle performance : une œuvre d’art qui apparemment cesse d’exister lorsque le performer et son public se séparent, une œuvre voulue dépendante du hic et nunc, intransportable dans l’espace et non reproductible dans le temps. »17

Les gestes publiquement manifestés se sont toujours fait l’écho de prises de positions contestataires envers l’autorité, que celle-ci se niche au sein de la politique ou de l’art officiel. Cependant, et en dehors de toutes considérations revendicatrices, l’art-action, reconnu comme tel et tel que nous l’avons défini plus haut, a pour principal fondement ce désir de confondre à des degrés divers l’art et la vie, ce qui le rend aussi violent que poétique, aussi tragique que facétieux.

15 François PLUCHARD, “Notes sur l’art corporel”, in Artitudes international N°12/14, 1974, p.66 16 Richard MARTEL, “Les tissus du performatif”, in Art action 1958-1998, rencontre internationale et colloque interactif, Québec du 20 au 25 octobre 1998, sous la direction de Richard MARTEL, 2001, p.33 17 Thierry DE DUVE, “La performance, hic et nunc”, in Performance, text(e)s & documents, 1981, p.18

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Ainsi, que ce soit par de l’autodérision ou à travers un discours d’inspira- tion politique ou sociale, l’art-action (happening, Fluxus, art corporel, performance, poésie action ou actionnisme...), a toujours porté un regard critique, en tout cas incisif sur la vie. Il se joue des catégories et renouvelle les critères de la littérature, de la danse, du théâtre ou de la musique, empruntant à chacune de ces productions tout en se gardant bien d’appartenir véritablement à l’une ou l’autre. Ces créations d’un nouveau genre fédérateur, mobilisent souvent des paramètres inédits, tesl que l’inattendu, la prise de risque, le hasard que la présence d’un public, véritablement acteur des pièces, contribue à renforcer. Par ailleurs, s’est développé, en dehors du cadre des manifestations publiques, ce que l’on a appelé un art de comportement. Celui-ci, per- sonnifié par Marcel DUCHAMP, relève davantage de l’attitude que d’un acte ponctuel.

« Marcel DUCHAMP (…) [a posé] « les bases d’un art de com- portement (tonsure du crâne en forme d’étoile filante en 1919, etc.). Cette action révélatrice a été confortée par les mises en garde dadaïstes, la musique bruitiste, la poésie phonétique et simultanée, les scandales du Cabaret Voltaire, les provocations de Johannes BAADER, Richard HUELSENBECK,… (…) Ce sont surtout les happenings, les actions et l’art de comportement qui ont fait sauter la machine détraquée de l’art pour l’art et mis fin aux bons produits de consommation esthétique, étiquette moderniste et pensée progressiste garanties . » »18

Si l’on fait habituellement remonter les premières manifestations d’art- action aux futuristes (1909), j’aimerais rappeler les interventions, à la fin du 19ème siècle, des artistes Incohérents qui, avec Alphonse ALLAIS, annoncent les prémices de l’art-action et de certains courants d’art contemporain. Alors qu’Alfred JARRY, avec son Ubu roi (1896), ébranlait les codes du Théâtre. Les Futuristes, Filippo Tommaso MARINETTI, Umberto BOCCIONI, Luigi RUSSOLO en tête, posèrent les bases d’un art dynamique en peinture, dans la danse et dans la musique (RUSSOLO peut être considéré, par exemple, comme un des précurseurs de la musique concrète). Dada ouvrira une nouvelle page de l’art-action en 1916 avec la création du cabaret Voltaire à Zürich ; l’aventure se poursuivra à , , Paris, New York,... avec des figures aussi singulières que subversives (Tristan TZARA, Hugo BALL, Francis PICABIA, Arthur CRAVAN,…) En Allemagne, le Bauhaus s’inspira fortement des expériences passées pour instaurer un enseignement basé sur une synthèse des arts : le mouvement et le corps, dans ce qu’il a d’expressif et non d’imitatif, y pre- naient une place importante, que se soit dans la danse ou au théâtre. Ce sont d’ailleurs des membres du Bauhaus expatriés aux Etats-Unis qui ont, en quelque sorte, joué un rôle de trait d’union avec l’avant-garde européenne au Black Mountain College : c’est là que John CAGE réalisa en 1952 un évènement qui marquera les futurs pères fondateurs de l’art- action : Untitled Event réunissait dans une même manifestation la pein-

18 François PLUCHARD, opus cité, 1974, p.46

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ture, la danse, la musique, la poésie, l’image filmée, une conférence et surtout le public, totalement immergé dans cet univers composite.

« L’art ne devait pas être différent [de] la vie, mais être une action dans la vie. Comme tout ce qui fait la vie, ses accidents, ses hasards, sa variété, ses désordres et ses beautés qui ne sont qu’éphémères. »19

Nous sommes là, à l’aube de tous les changements officiellement recon- nus qui seront à l’origine de l’histoire de l’art-action. Mais, avant de péné- trer les méandres de l’art-action à travers ses différents « réseaux », il faut signaler ici l’influence d’Antonin ARTAUD (1896-1948) qui sut, très tôt, proposer une vraie réflexion sur les cloisonnements de l’art et tenir des discours précurseurs que les générations suivantes, dans leur désir à moitié assouvi de faire de l’art sous une forme nouvelle, ont repris qua- siment mot pour mot.

« (…) Protestation contre l’idée séparée que l’on se fait de la culture, comme s’il y avait la culture d’un côté et la vie de l’au- tre ; et comme si la vraie culture n’était pas un moyen de com- prendre et d’exercer la vie. »20

« L’espace de la scène est utilisé dans toutes ses dimensions et on pourrait dire sur tous les plans possibles.»21

« (…) la vieille dualité entre l’auteur et le metteur en scène [sera] remplacée par une sorte de créateur unique, à qui il incombera la responsabilité double du spectacle et de l’ac- tion.»22

En même temps qu’il pose les bases de l’art-action, ARTAUD anticipe ici à la fois sur ce que seront les Happenings et l’attitude des performers à travers leur gestion de l’espace et du corps scénique.

La fin des années ’50 marqua la naissance des Happenings dont Allan KAPROW est officiellement l’initiateur. La première manifestation de ce genre eut lieu en 1958 avec 18 happenings in 6 parts : déclinées dans trois salles, les actions se déroulaient toutes en même temps au signal d’une cloche et engageaient le public à participer selon les directives volontairement évasives, édictées par KAPROW sur les cartons d’invita- tion qui avaient été envoyés. De même qu’il l’avait fait avec ses premiers environments, Allan KAPROW répondait au milieu marchand des galeries qu’il rejetait en bloc en usant ici d’un genre défini par lui-même comme un évènement qui ne doit être réalisé qu’une seule fois ; il attirait donc le regard du public sur un type de production artistique non commercia- lisable et subversif. Mais ce qui l’intéressait avant tout était de créer une

19 John CAGE, cité par RoseLee GOLDBERG, in La performance, du futurisme à nos jours, 2001, p.126 20 Antonin ARTAUD, préface de « le théâtre et la culture », le théâtre et son double, 1964, p.13 21 Antonin ARTAUD cité par Richard MARTEL, opus cité, 2001, p. 49 22 Ibid., p. 49

-42- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 atmosphère, un environnement. Je l’ai évoqué précédemment au sujet de ses premières installations (environments), Allan KAPROW a été for- tement marqué par l’art de Jackson POLLOCK dans lequel il voit les pré- mices d’expressions inédites fondées sur l’expérience commune, l’envi- ronnement en action : ses Happenings devaient, de la même manière, immerger le public dans une ambiance enveloppante. Ceci marque une différence avec les manifestations du groupe Gutaï qui, dès les années 50, au Japon, est à l’origine des premières actions publiques et le véritable précurseur du Body Art et de l’art performance. Ce groupe visait une approche esthétique dans ses actions, en même temps qu’une forme de transcendance : ses protagonistes, dont Shozo SHIMAMOTO, ou Saburo MURAKAMI, avaient pour but la réalisation d’une œuvre en direct ; mais une œuvre sensible, qui manifeste l’inves- tissement de l’artiste, son énergie et sa concentration : le corps et l’âme confondus en une force créatrice, quelquefois destructrice, mais dont l’essence résidait dans l’acte considéré comme l’œuvre elle-même. C’est ainsi que Kasuo SHIRAGA, dont l’une des actions historiques le montrait rampant dans la boue, proclame, à propos de la peinture et surtout de l’acte de peindre : «Je peins pour retrouver cette sensation quand, abandonnant le chevalet, clouant la toile au mur et la taillant à coups de hache, je tombe de sueur, vacillant d’épuisement. »23

MURAKAMI, quant à lui, traversa, dans une intervention désormais célèbre, une série de châssis sur lesquels étaient tendues de grandes feuilles de papier recouverts d’une pellicule d’or, Breaking through many papers screens, (1955).

Si le terme « happening », à l’instar du terme « perfor- mance », a été utilisé abusivement pour parler de l’art- action, il a des caractéristiques qui lui sont propres et qu’Allan KAPROW a lui-même tenté de définir dans son ouvrage L’art et la vie confondus. On peut dire des hap- penings qu’ils sont généralement réalisés dans un endroit prédéfini et entièrement investi et qu’ils se déroulent spontanément : s’ils partent d’une trame plus ou moins élaborée en amont, ils ne sont pas pour autant une re- 33-Saburo MURAKAMI, Breaking présentation. through many papers screens,1955

« (…) Le happening (…) comprend 4 conditions : indétermina- tion, hasard, caractère éphémère et usage de matériaux de récupération. (…) Pas d’écriture à l’avance, seule une partition de notes fournit les directives, mais celles-ci obéissent à une fonction alogique. Ainsi, selon Kirby, « l’action dans les happe- nings est souvent indéterminée mais non improvisée ». (…) Il [le happening] est éphémère. Il ne comporte aucune répétition ni reproduction. Toute reprise varie considérablement des pré- cédentes. La primauté est accordée à la surprise. »24

23 Kasuo SHIRAGA, cité par Arnaud LABELLE-ROJOUX, op. cité, 2004, p.87 24 Olivier LUSSAC, Happening et Fluxus, polyexpressivité et pratique concrète des arts, 2004, p.194

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« Jacques DONGUY : « J'ai été surpris d'apprendre, en lisant La surprise serait ainsi le propre de l’incursion de la vie « Happenings » de Michael KIRBY, qu'un script très précis définissant «18 happenings in six parts », ton 1er happe- dans l’art : c’est cette part de prise de risque, volontaire- ning public à N.Y. ment introduite dans l’œuvre, qui en fait un échec assumé ou un instant de magie. Allan KAPROW : à cette époque, je cherchais encore à com- prendre ce qu'était le nouvel art et j'utilisais beaucoup de Pratiquement au moment où fleurissaient les Happenings, conventions liées aux arts traditionnels, notamment le naît aux Etats-Unis et en Allemagne, le groupe Fluxus, par- script. J'ai vite réalisé que les gens ne pourraient pas suiv- rainé par George MACIUNAS, figure aussi emblématique re ce script, moyennant quoi l'apparence, le ton général de l'événement devenaient presque austères, solennels, cal- que controversée. [Fluxus tiré de flux et qui sous-entend mes. Tandis que les gens allaient d'une pièce à l'autre (il y un processus évoluant de façon continue.] en a trois) et qu'ils circulaient simultanément, comme dans un cirque à trois pistes. Ensuite j'ai commencé à écrire un Plus incisifs que les Happenings de KAPROW, ses actions plan plus simplement. De fait, j'ai publié en '58 un article sur se voulaient résolument tournées vers une perspective l'impossibilité d'être précis : (…) il apparaissait très claire- sociale : ment que les scripts sont une chose et les actions une autre.»»25 « “Les buts de Fluxus (…) sont dirigés vers l’élimination gra- duelle des beaux-arts…”, Fluxus s’opposait donc catégorique- ment à l’objet d’art, “cette marchandise inutile qui n’est desti- née qu’à être vendue”. (…) les artistes devaient se consacrer à des buts “socialement constructifs” afin de paver la voie à une société (…) Le rêve n’était pas seulement de dé-commercialiser l’art mais aussi de le dé-professionaliser et de le mettre dans les mains de tous. »26

Les actions, intitulées events, étaient relativement simples, souvent poé- tiques, burlesques, et laissaient une grande part de liberté aux acteurs. Ceux-ci n’étaient pas fédérés dans un mouvement Fluxus mais dans un réseau Fluxus qui attirait de nombreux artistes à travers le monde, sou- dés autour de l’idée qu’il ne fallait plus produire que du non-art.

« Il [Fluxus] a existé partout sans que les gens se connaissent forcément (...) [et sans] manifestes unificateurs, rassembleurs ; c’est un système de communication.»27

Techniquement parlant, les events de Fluxus se déroulent souvent sur scène, selon une partition faisant figure de trame de l’action à présenter. Ces partitions donnent la possibilité de diverses formes d’interprétations. On rapporte ainsi que la partition de Philip CORNER, « démontez un piano et remontez-le ! » s’est vue interpréter de manière « sauvage » avec la destruction pure et simple dudit piano à coups de hache alors que son auteur imaginait une action dans le temps avec un démontage et un remontage minutieux générant beaucoup de son. Ces actions ne font pas participer le public de manière active, cependant les protagonistes restent attentifs à ses réactions car elles sont suscepti- bles de déterminer la suite à donner aux pièces. « Les actions des performers sont indéterminées ou variables, (…) [ce] n’est pas à proprement parler un happening, mais une forme non-théâtrale scénique. (…) Les interprètes usent d’ac- tions indéterminées et le public reste passif. »28

25 Interview entre Jacques DONGUY et Allan KAPROW in Catalogue Hors limites, 1994, p.67 26 Hans BELTING, opus cité, 2003, p.512 27 Dick HIGGINS, « Fluxus et l’intermédia », Colloque Art-action 1958-1998, 2001, p.99 28 Olivier LUSSAC, opus cité, 2004, p.196

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C’est ainsi que Nam June PAIK brisa un violon après de longues minutes de tension durant lesquelles il prenait très lentement son élan, laissant le public dans l’incertitude de voir ou non la désintégration du violon, ou que l’artiste niçois BEN Vautier s’assied silencieusement sur scène face au public, un tableau noir à ses côtés sur lequel on pouvait lire : « regardez moi, cela suffit ». Il ne quitta la scène qu’après avoir provo- qué l’exaspération des visiteurs.

« Le terme event ce sont surtout les artistes de Fluxus qui l’ont employé. Event signifie que quelque chose se passe mais, dans ce qui se passe, le temps, la durée, n’a que peu d’importance ; il y a des events d’une seconde, de deux minutes, etc... Et sur- tout l’event n’est pas l’action, mais quelque chose de beaucoup plus expressif, beaucoup plus, disons, « conceptuel » ; l’effort physique apparaît moins.»29

Si les membres actuels de Fluxus se défendent d’appartenir à un mouve- ment, ce groupe a généré sous sa bannière nombre de créations artis- tiques à travers le monde, qui se sont cristallisées autour d’événements tel que le festival Fluxus de Wiesbaden en 1962, les concerts Fluxus, les fluxfilms ou encore les objets divers et variés estampillés Fluxus. Mais au-delà de ses formes, Fluxus reste un réseau foisonnant d’idées et de créations, aux expressions multiples, variées, dépourvues d’une réel- le ligne directrice autre que celle de faire de l’art à partir de la vie. Ses revendications et aspirations offrant un maximum de liberté et d’ouver- ture possibles, l’artiste Dick HIGGINS a qualifié Fluxus d’art intermédia, qu’il traduit comme étant une production multiforme, communicative, participative, hybride, sans définition possible.

« L’art n’est pas une entité finie, on ne peut pas l’encadrer ni le déterminer complètement. (…) L’intermédia c’est une œuvre ouverte, une œuvre qui change, une œuvre qui invite les spec- tateurs, le public à participer. (…) La manière de nommer ce que nous faisons, qu’on l’appelle art ou pas n’a pas d’importance. Ce qui est important, c’est qu’on ne sait pas ce que l’on a devant soi, qu’on ne peut pas le classer dans une catégorie quelconque. »30

Quand bien même la définition resterait large, afin de ne pas délimiter les actions Fluxus, il existe un esprit Fluxus, une manière d’être Fluxus. A la question de Michel GIROUD « qui est ou n’est pas Fluxus ? », BEN répond : « (…) BEUYS, dans les feutres et les margarines, il y a de l’arte povera, ailleurs il y a du vedettariat et de la démagogie politique, donc Beuys n’est pas Fluxus mais un artiste qui s’est servi de Fluxus. En ce qui concerne Robert FILLIOU, il n’a jamais revendiqué vouloir être Fluxus. Pourtant « la réha- bilitation des génies de bistrots » et l’esprit anti-professionnel sont très Fluxus (…).»31

29 Harald SZEEMANN, in Catalogue Hors limites, 1994, p.259 30 Dick HIGGINS, “Fluxus et l’intermédia”, in Colloque Art-action 1958-1998, 2001, p.99 31 Entretien entre Michel GIROUD et BEN , in Catalogue Hors limites, 1994, p.117

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Car il faut bien noter qu’aux côtés de Yoko ONO, George BRECHT, Nam June PAIK, Dick HIGGINS, Wolf VOSTELL,… il existe une figure marquante de Fluxus qui est Robert FILLIOU. Il incarne à lui seul le véritable esprit Fluxus, celui que le discours prône mais que les artistes appliquent davantage lors des manifestations publiques qu’à travers une discipline quotidienne, en somme une façon de vivre. FILLIOU est de ceux qui vécurent pleinement leur art avec modestie et honnêteté, n’essayant pas de rentrer dans le moule prédéfini par des manifestes pompeux. Alors même que George MACIUNAS en délimitait les frontières, Fluxus revendiquait son indépendance ; FILLIOU est resté libre, confondant magnifiquement l’art et la vie dans une produc- tion qui visait la non-hiérarchisation de l’art, qu’il accompa- 34- Nam June PAIK, gnait d’un discours fortement teinté de revendications poli- Zen for Head, 1962 tiques, économiques, sociales,…sur le devenir de la planète et des hommes. Il disait de lui-même « je suis le spécialis- te du mal fait, c’est ma contribution la plus importante à l’art ». Loin d’être une manière de se dénigrer ou de s’ériger en tant qu’« artiste nul » comme le fera plus tard Jacques LIZENE, il a su humblement faire de la vie un art, en s’inspi- rant fortement du bouddhisme Zen.

En marge de Fluxus et dans un style très différent, se déve- loppa ce que l’on appelle le Body Art, très inspiré des mem- bres du groupe Gutaï. Dans cette frange de l’art-action, le 35- Robert FILLIOU, corps physique de l’artiste joue un rôle considérable, car Fait, mal fait, pas fait, 1969 c’est lui qui fait l’œuvre et qui est le support du discours.

« Mon corps est l’intention, mon corps est l’événement, mon corps est le résultat »32

Les pratiques du Body Art recrouvrent, de prime abord, des actions mettant en scène le corps physique plutôt que le corps intellectualisé. L’enveloppe corporelle est aussi violen- tée que choyée, elle est l’objet de mises en abîme, d’expé- riences, de transgressions. Piero MANZONI ou Yves KLEIN semblent être des précur- seurs de ce courant. Piero MANZONI et ses sculptures vivan- tes, Yves KLEIN et ses Anthropométries ou, plus récem- ment, les Living sculptures de GILBERT & GEORGE sont les exemples d’un certain type de productions se référant au corps, mais dont le discours se définit davantage dans la proximité d’une mythologie personnelle ou d’un pied de nez au milieu feutré de l’art que dans celle d’un discours sur fond 36- Gilbert & George, Red Sculpture, de préoccupations politiques ou sociales, véhiculé par une Living Piece, 1975 mise en danger du corps de l’artiste.

32 Extrait du manifeste des actionnistes viennois (1965), cité par Jacques DONGUY “Art corporel” in Colloque Art-action 1958-1998, 2001, p.127

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Les actions filmées de Gina PANE ou de Michel JOURNIAC participent de cette « catégorie » en étant de véritables constats subversifs et incisifs sur la guerre au Vietnam ou sur la religion. Dans L’escalade non anes- thésiée, Gina PANE grimpe nu-pieds aux barreaux d’une échelle ponctuée de pointes acérées : le thème de la blessure et de la douleur a été ainsi exploité par l’artiste qui y voit « un signe de l’état de fragilité extrême du corps, un signe de la douleur, un signe qui fait ressortir la situation extérieure d’agression, de violence à laquelle nous sommes sans cesse exposés. »33

Et, dans Messe pour un corps, Michel JOURNIAC, organise un simulacre de communion où il offre aux « fidèles » du boudin réalisé avec son pro- pre sang. Les vidéos de Vito ACCONCI, qui le montrent exalté, transi, perturbé et perturbant, ont également touché à la question de la sexualité refoulée, de la souffrance, du plaisir,… Mais c’est avec l’actionnisme que le body art connaît ses limites les plus extrêmes. Incarné par un groupe d’artistes viennois, dont les figures marquantes sont Otto MÜHL, Hermann NITSCH, et Günter BRUS, le mou- vement fera scandale dans une Autriche d’après guerre, rongée par la honte et la culpabilité d’a- voir été considérée comme victime alors même que les pires bourreaux de ce deuxième conflit mondial en étaient issus. Le malaise de la guer- re qui marqua de son empreinte toutes les stra- tes de la société, est au cœur du travail de ces artistes plusieurs fois arrêtés et poursuivis pour leurs actions blasphématoires et violentes. Tandis que NITSCH éventrait des bœufs dans de sombres rituels païens, MÜHL travaillait davantage sur le thème de la sexualité (que la société bien-pensante viennoise considérait comme tabou), alors que BRUS s’automutilait, 37- Hermann NITSCH, (Aktion) 48ème action, 1974 retournant la violence et l’agressivité de son environnement contre lui-même. Leurs actions ont choqué fortement les consciences car elles s’attaquaient, non seule- ment à des sujets polémiques qui remettaient en cause la politique, la religion, le conformisme social, mais également parce qu’elles montraient des corps nus, maculés de sang, d’excréments, de sperme, d’aliments en tout genre, souvent dans des positions volontairement provocantes. « Si on est un homme bien, si on est un homme religieux, et si on est un homme qui se tient correctement, si on est un homme qui croit que son corps est quelque chose de sale et que sa pen- sée est quelque chose de bien, et que cet homme produit un tel inhumain, celui du fascisme, du nazisme, alors quelque chose ne va pas. Et c’est ce que les actionnismes vont essayer de cher- cher dans leurs actions. Ils vont descendre dans l’enfer humain, ils vont ouvrir l’écluse de l’inconscient, puisque l’Autriche est aussi le pays de Wilhelm REICH et de Sigmund FREUD, qui les ont beaucoup influencés »34

33 Gina PANE, citée par Jacques DONGUY “Art corporel” in colloque Art-action 1958-1998, 2001, p.131 34 Danièle ROUSSEL, “actionnisme viennois : la destruction amène la création” in colloque Art-action 1958-1998, 2001, p.159

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«Si la plupart des attitudes au cours des années ’60 ont utilisé la transgression, voire l’iconoclasme, c’est que le tissu social avait besoin d’être bousculé par le performatif. L’art action est cette nécessité artistique de trouver des alternatives politiques ou économiques. Cela fait partie du travail de l’artiste. »35

En France, ORLAN, artiste issue de la performance, prolon- ge le body art dans ce qu’elle nomme l’art charnel. Elle uti- lise son corps et surtout son visage qu’elle offre aux com- pétences de la chirurgie esthétique, portant ici atteinte à l’image de la femme, formatée par la société dont elle tente de dénoncer les travers.

Ce bref tour d’horizon de l’Art Corporel montre à quel point les manifestations qui s’y rapportent, revêtent des modes d’expression très différents; la « catégorie » est mouvan- te et c’est pourtant elle qui donnera naissance à la perfor- mance : celle-ci, issue bien évidemment de l’art-action et de ses avatars, reste néanmoins relativement proche des préoccupations du Body Art, tant dans son discours que 38- ORLAN,1990 dans la forme, qui ne fait plus intervenir physiquement le public dans la pièce, mais l’y introduit émotionnellement. « S’appellerait performance toute forme d’art contemporain qui ne serait ni peinture ni sculpture, ni danse, ni musique, ni pan- tomime, ni narration, ni même happening, tout en empruntant plus ou moins à ces formes diverses.»36

Certains de dire, comme Allan KAPROW, que la perfor- mance est plus théâtrale, puisqu’elle met en présence un acteur et un public, et qu’elle est plus psychologique : elle engendrerait davantage de communication entre les hom- mes et mettrait plus souvent en scène la personnalité ainsi que l’histoire de l’artiste. Elle reste cependant revendica- trice, exaltant l’oppression de toute forme de minorité eth- nique, sexuelle ou religieuse… Ana MENDIETA, ou Adrian PIPER, parmi d’autres, ont ainsi défendu certaines convic- tions à travers leurs performances. Mais elles peuvent également prendre des tournures paro- diques, poétiques, dramatiques,… autant de variétés de formes et de discours qui font de la performance une acti- vité « critique », « “critique de l’art dans sa réalité institu- 39- Ana MENDIETA, Death of a Chicken, 1972 tionnelle à travers une pluralité de médiums”, “critique des nor- mes culturelles”, “critique de soi, nourrie des transformations de son identité”. »37

Sur le plan parodique, les français de PRESENCE PANCHOUNETTE sont parmi d’autres, des artistes jouant avec les codes des galeries et des marchands, à travers des saynètes burlesques ou des productions plas-

35 Richard MARTEL, “les tissus du performatif” in colloque Art action 1958-1998, 2001, p.59 36 Thierry DE DUVE, opus cité, 1981, p.18 37 Christine BUCI-GLUCKSMAN citée par Arnaud LABELLE-ROJOUX, opus cité, 2004, p.322

-48- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 tiques décalées, non pas pour changer le monde, mais, comme ils le dis- ent eux-mêmes, pour y « participer le moins possible », s’inscrivant ainsi dans une sorte de constat cynique de l’état de l’art occidental.

Quelques soient ici le ton, le propos ou le support (j’entends par support, ce qui véhicule l’œuvre, le temps de l’action), nous venons de parcourir à grands pas l’éventail et la variété des productions regroupées sous les étiquettes « art-action » et « performance ». Ceci nous révèle à quel point ces désignations sont mouvantes et quelques fois impropres, tant les actes ont des objectifs multiples et leurs auteurs une volonté de res- ter indépendants de toute forme de catégorisation. Nous pouvons égale- ment constater que la désignation de ces différents types de créations a conduit l’art-action à devenir une sorte de catégorie des Beaux-Arts alors même que celui-ci dénonçait toute forme d’académisme. A travers ce tour d’horizon inévitablement lacunaire, partial, partiel, nous pouvons dégager trois périodes charnières qui, sans vouloir catégoriser davantage un art « hors limites », permet de mieux considérer l’assise de la performance aujourd’hui. L’évolution de l’art-action comporterait ainsi trois grandes phases historiques : une première (et je reprends encore Richard MARTEL) qui marque le début d’un art de contestation de l’art officiel et des institutions que les manifestes en tout genre ont contribué à fixer ; une seconde dans les années ’50-’60, qui « consoli- da » les actions des précurseurs avec des actions de plus en plus recon- nues ; enfin, une troisième, actuelle, où l’on voit se développer un inté- rêt croissant pour l’art-action à travers des théorisations et autres justifi- cations critiques de ces mouvements.

Quoiqu’il en soit, l’art-action, tel qu’il nous intéresse ici, réside dans sa nature même - éphémère, immatérielle, fugace, incarnée en la person- ne de l’artiste - qu’on retrouve aujourd’hui collectionnée (à mille lieux des revendications de ses précurseurs !). C’est dans ces conditions et parce que les performances ont trouvé un marché en tant qu’objet d’art et œuvre à part entière, que notre rôle de conservateur-restaurateur doit être interrogé. A l’instar des installations, le professionnel se confronte à une production où la notion de matérialité est radicalement opposée à sa définition classique : une nouvelle fois, nous voilà invités à nous interro- ger sur la place du conservateur-restaurateur face à ce type de produc- tion et à tenter d’interroger ce qu’il en est de la restauration du geste, du corps, de l’acte,… que ce soit d’un point de vue éthique, technique ou encore juridique.

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B1/ DE L’ACQUISITION DES INSTALLATIONS ET DES ŒUVRES D’ART ACTION

B1/1. CE QU’ACQUIÈRENT VÉRITABLEMENT LES COLLECTIONNEURS ET LES INSTITUTIONS

En décrivant la nature des installations et des œuvres issues de l’art- action, nous interrogeons l’exposition mais surtout l’acquisition de ces créations : en effet, que possèdent réellement ceux qui investissent dans l’achat d’une production éphémère, impermanente ou immatérielle ? J’insiste d’ailleurs ici sur la notion d’achat qui engage inévitablement le cessionnaire à prendre conscience des problèmes de conservation spéci- fiques mais également de ceux de désignation et d’authenticité suscités par ces œuvres.

Face au caractère impermanent, voire immatériel, de ces œuvres, il sem- ble nécessaire d’appréhender le statut et la nature de ce qui est exposé lorsque nous sortons du cadre événementiel de la performance ou de l’exposition ponctuelle de certaines installations. Il faut, en effet, admet- tre que l’objet sous vitrine, à défaut d’être l’œuvre dans ce qu’elle a de fugace, n’est souvent qu’un moyen de commémoration, un témoignage, voire un simulacre d’œuvre : en fait, selon l’investissement de l’artiste dans la diffusion de son travail, ce qui entre dans la collection prendra une valeur et un crédit particuliers.

Quand Gina PANE se produit et qu’elle fait photographier ou filmer son action, elle considère le témoignage comme une œuvre en soi, scénarisée, cadrée, parfaite- ment maîtrisée ; elle peut donc vendre sa performance sous la forme d’un support matériel, objet authentique, pérenne, qui a vocation à être conservé et restauré comme n’importe quel autre production artistique. Cependant, la plupart des artistes de l’art-action sem- blent peu se soucier de la transmission ou de la conser- vation de leurs prestations au moment où ils les produi- sent; c’est pourquoi il ne subsiste généralement de leurs créations que des clichés, pris à la volée par le public, des récits, des partitions, des textes témoignant de l’é- 40- Gina PANE, Action sentimentale, 1973 laboration de l’action… Si rares soient-ils, ce sont autant de documents d’archives qui sont trop souvent fétichi- sés, et divulgués sans un contrôle permanent et rigou- reux de l’artiste. Cela peut d’ailleurs se vérifier : les vidéos, lorsqu’elles ne sont pas consi- dérées par l’auteur comme une œuvre en soi, témoignent partiellement de l’évènement, tandis que sont diffusées des interviews d’artistes et que des vestiges de performance sont exposées, telles des reliques dans les vitrines.

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En ce qui concerne les installations, le phénomène est identique : les œuvres d’Artur BARRIÒ sont très bien documentées, tant au cours de leur élaboration, que durant leur exposition. Dès lors, il serait envisageable que l’on ne montre que ses carnets de travail et sa documen- tation sans que ses œuvres soient réinstallées. En matière d’art-action ou d’installations, ce que possè- dent en réalité la grande majorité des institutions repose donc sur une documentation qui ne peut, en aucun cas, être confondue avec les œuvres, sauf si l’artiste désigne certains de ces éléments comme telles. 41- Caderno libro - Artur BARRIÒ carnet de travail pour Interminavel, Gand, Juillet 2005

Passés les murs du musée, ces témoignages sont fréquemment appré- hendés de la même manière que les œuvres elles-mêmes par les conser- vateurs et les conservateurs-restaurateurs qui leur confèrent autant d’im- portance, et d’ailleurs à raison ; car si ces objets ne peuvent à propre- ment parler être identifiés comme des productions visuelles en soi, ils restent néanmoins des documents uniques qui authentifient un moment dans l’histoire de l’art : celui de l’exécution de la performance ou de la réalisation de l’installation. C’est ce gage d’authenticité qui en fait des objets prisés, valorisés, convoités ; il arrive ainsi qu’on les considère davantage que comme de simples documents alors même qu’ils vont, dans un certain sens, à l’encontre d’une production qui s’éprouve dans la durée, en figeant pour l’éternité un instant évanescent. Si, en n’ayant pas à faire le choix de restaurer ou non un document plu- tôt qu’une œuvre, le conservateur-restaurateur d’œuvres d’art a moins à répondre à ce genre d’interrogations, peut-être que le musée devrait envisager une autre manière de montrer ce type d’œuvres.

« (…) très souvent, tant à cause du marché de l’art que pour des raisons culturelles ou par fétichisme, l’objet manuscrit qui décrit (…) [une] pièce est souvent collectionnée, voire conser- vée, restaurée, quand l’encre s’évapore ou quand il disparaît, ce qui est évidemment quelque peu absurde. Cet exemple touche le point extrême de la problématique de la conservation et de la restauration de ce type d’objet, qui est celui de déterminer où se situe en fin de compte l’œuvre à restaurer, voire l’œuvre tout court. La question fondamentale est de savoir s’il est histori- quement plus important de sauvegarder les objets, de les main- tenir coûte que coûte comme objet de référence ou si la place qu’ils se sont forgés dans notre culture (indépendamment de leur degré de conservation) est en réalité la chose la plus impor- tante. (…) je conserve une certaine tendresse à l’idée que l’ob- jet puisse être lui-même considéré comme une chose secondai- re et qu’il n’y ait dès lors pas une absolue nécessité de le res- taurer. »38

38 John ARMLEDER, “Les réflexions d’un artiste” in La restauration des objets d’art – rencontre du 17.10.1994, 1994, p.158

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« On sait que l’attitude documentaire est toujours une tentation du Musée, mais on ne doit pas perdre de vue que l’histoire de l’art au musée, c’est une collection d’objets esthétiques dont la dimension est dite et qu’un musée d’art est l’archive de l’art dans la mesure même où il a conféré aux objets esthétiques, du fait qu’il les conserve, une dimension historique. »39

En effet, si le musée fait entrer en ses murs des œuvres qui refusent l’institution ou, en tout cas, sont incompatibles par nature avec sa mis- sion de pérennisation et de transmission, il pourrait s’interroger, et avec lui tous ses partenaires, sur une possible adaptation de ses objectifs et de ses ambitions aux évolutions des productions visuelles. Faut-il mont- rer les œuvres ou seulement les éléments qui s’y rapportent ? Si le musée continue à acheter protocoles, statements, ou vidéos de perfor- mance pourrait-il prendre le risque de faire re-présenter ces œuvres dans le cadre de manifestations vivantes plutôt que d’exposer les modes d’em- ploi ou les témoignages qui s’y réfèrent ?

Ceci questionne à la fois le rapport que l’Occident entretient avec ses objets et le lieu de l’œuvre. Il suffit d’évoquer les œuvres du Land Art, exclusivement destinées à être appréciées sur place durant un laps de temps contraint par les éléments naturels : elles ont été photographiées et diffusées pour des raisons évi- dentes à travers le tirage de ces clichés, mais sont devenues, malgré elles, des œuvres photographiques, ce qui peut apparaître aux yeux de certains comme une contradiction par rapport à leur nature. Le statut des documents en regard des institutions et du marché de l’art, en se confondant trop souvent avec l’œuvre disparue dont ils témoignent de l’existence ponctuelle, est donc ambigu. Dans un autre registre, lorsqu’une institution achète une œuvre évoluti- ve, elle devrait peut-être accepter de considérer l’œuvre à travers son concept et son évolution, et non à travers l’objet acquis : l’attitude inver- se relève quelquefois d’une incompréhension de la volonté de l’artiste et du sens de l’œuvre. Quant à la relation de nos institutions et, plus précisément, de notre cul- ture avec les reliques, il apparaît souvent que, sous couvert d’un témoi- gnage relatif à une création évènementielle, on en arrive à des actes de fétichisation où le moindre fragment ou témoignage se retrouve collec- tionné, exposé, prenant autant de valeur que si l’œuvre elle-même avait pu être achetée. Si cette attitude peut surprendre, on peut remarquer une nouvelle fois que, d’une part, à l’instar des photos et des vidéos, ces objets témoignent de l’existence d’un évènement, et que, d’autre part, au même titre que n’importe quelle œuvre pérenne, les installations et les performances font aujourd’hui partie intégrante du marché de l’art. Or, ce n’est qu’autour de leurs reliques qu’un échange peut s’opérer : dans ce contexte, il paraît tout à fait naturel d’assister à une marchandi- sation de ces restes de créations éphémères qui demeurent toutefois, le plus souvent, des « accessoires » de l’œuvre.

39 Jean-Marc POINSOT, opus cité, 1999, p.20

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« (…) le brevet de KLEIN (…) n’est perçu comme une œuvre ni par l’artiste ni par les historiens, alors que le carnet à souches de cession des Zones de sensibilité picturale immatérielles entre immédiatement dans les livres. »40

Il semble, d’ailleurs, à peu près évident que des réalisations comme cel- les de Piero MANZONI avec sa merde d’artiste ou d’Yves KLEIN avec ses œuvres immatérielles, sont, entre autres, des pieds de nez aux institu- tions, au marché de l’art, à la fétichisation, à la collection,… De même nous pourrions évoquer, dans un autre registre, l’exemple de Maurizio CATTELAN qui, en lieu et place de l’œuvre, affiche la déclaration de vol d’une création hypothétique. Si nous soulevons ici le problème de l’acquisition d’œuvres évolutives ou de documents relatifs aux productions éphémères ou immatérielles, il faut préciser que les institutions et les collectionneurs investissent égale- ment dans d’autres formes. Ainsi, l’agent d’art Ghislain MOLLET-VIEVILLE ne possède pas d’œuvres en tant que telles, mais des catalogues et des écrits d’artistes, des statements, des protocoles ; ce sont autant d’élé- ments qui ne produisent pas, selon ses propres mots, de « scoop formel » mais qui garantissent la mémoire de ces œuvres et autorisent, dans certains cas, leur re-présentation. C’est sur la base des statements de Lawrence WEINER, qu’il organisa ainsi, en 2003, en collaboration avec l’Ecole des Beaux-Arts de Reims, une exposition consacrée à la réalisa- tion matérielle de ces énoncés à travers leur réinterprétation. « En remettant en cause de manière radicale le statut tradition- nel de l’objet d’art, l’artiste n’oppose aucune limite à la réalisa- tion matérielle de ses propositions, ni à la perception poétique que l’on en a dans l’espace et le temps. Ici tout est évolutif, l’œuvre devient plurielle et se joue des ambivalences tangible/intangible, visible/invisible, en renvoyant le collection- neur qui prend la responsabilité de ses « Statements », à l’é- ternelle question de ce qu’est la réalité de l’œuvre qu’il possè- de. Les actualisations à l’infini de toutes ces œuvres, témoignent de ce que l’art dont il est question ici, tient moins à la nature conventionnelle de ses produits qu’à la façon dont on l’inscrit dans un nouveau contexte architectural, social ou idéologique et qu’en conséquence le collectionneur doit pouvoir en favoriser les présentations successives. A ce stade, les rôles de l’artiste, du commissaire d’exposition, du collectionneur, du critique et de l’agent d’art deviennent interchangeables ou pour le moins com- plémentaires. »41

Dans un registre similaire, le collectionneur italien Giuseppe PANZA di BIUMO a fait l’acquisition de plusieurs œuvres immatérielles, qui utilisent la lumière comme matériau de base ; aujourd’hui, il ne sait comment les céder, principalement pour deux raisons : à partir de quel critère estimer leur valeur et sur quelle base établir son droit de propriété. Ce dernier reposerait en fait davantage sur le projet rédigé par l’artiste plutôt que

40 Didier SEMIN, Le peintre et son modèle déposé, 2001, p.39 41 Ghislain MOLLET-VIEVILLE, “Quelles dispositions contractuelles pour les nouveaux contours de l’œuvre ?”, in colloque Copyright/ copywrong, Février 2000, 2003, p. 129

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sur la forme de sa réalisation, ce qui laisse la possibilité aux nouveaux acquéreurs d’interpréter librement la mise en espace de l’œuvre.

Aujourd’hui, on assiste donc à l’acquisition, par les musées ou les collec- tionneurs, d’œuvres ne reposant que sur un concept ou un protocole : c’est ainsi que le S.M.A.K. de Gand a fait l’acquisition en 2005 de l’instal- lation performative d’Artur BARRIÒ, Interminavel ; le musée n’a, en fait, acheté que le concept et conserve aujourd’hui quelques matériaux témoins de l’installation en vue d’une éventuelle réinstallation mais ceux- ci ne devraient pas faire l’objet d’une exposition sous vitrine. Citons également l’exemple de l’Institut d’Art Contemporain de Villeurbanne qui a acquis en 2004 une œuvre de Tino SEHGAL, This is exchange, totalement immatérielle, et dont le principe est basé sur une transmission orale, tant du projet de l’artiste à l’institution, qu’entre les protagonistes, lors de son exécution. L’Institut ne possède qu’un acte notarié faisant foi de son statut d’acquéreur de l’œuvre.

L'artiste Tino SEHGAL a réalisé, en 2004, pour l'Institut d'Art En fait, toutes ces productions existent davantage dans leur Contemporain de Villeurbanne, This is exchange, une conception et dans la variété de leurs mises en espace, que œuvre dont le concept repose sur l’immatérialité la plus totale : cette œuvre fonctionne sur le principe de la trans- dans la trace témoignant du projet ou de la réalisation. Ces mission orale et le souvenir. L'artiste a, ainsi, interdit à ses œuvres ne se révèlent véritablement que dans l’adaptation protagonistes la rédaction du protocole de l'œuvre et est et l’interprétation d’un énoncé. Même si ce dernier reste la allé jusqu'à proscrire toutes formes de traces faisant foi de transactions financières entre lui et l'institution… référence de toutes les déclinaisons, il ne devrait pas être considéré comme l’œuvre, si cette dernière réside dans la concrétisation d’un mode d’emploi. Ainsi, n’est-ce pas un non-sens que d’exposer un énoncé qui devrait être interprété ? Certes, sa matérialisation ne sera ni pérenne, ni autographe, mais qu’importe si l’essence de l’œuvre réside dans une perpétuelle revisitation réincarnée du texte ? Au sujet de ces œuvres protocolaires qui pourraient être considérées comme immatérielles, Anne CAUQUELIN écrit : « Le vide, peut-on conclu- re alors, est le garant d’une répétition illimitée, c’est-à-dire d’un présent illimi- té... »42

Face à des protocoles et des concepts à réinterpréter ou à des œuvres performatives, quel peut être notre rôle de conservateur-restaurateur ? Rappelons d’ailleurs, à ce sujet, que, dans le cas d’Artur BARRIÒ, l’œuv- re a déjà fait l’objet d’un « prêt » en novembre dernier au Palais de Tokyo qui a invité l’artiste à réaliser la pièce en ses lieux. Le conserva- teur-restaurateur n’a donc pas eu à intervenir ; cependant la question de l’intervention de celui-ci s’est posée dès l’achat de la pièce, en vue de son éventuelle re-présentation après la disparition de l’artiste ; mais, à ce stade, il faut pouvoir s’interroger sur la position du conservateur-restau- rateur : s’il doit pouvoir réinstaller cette œuvre, ne saura-t-il pas dans l’o- bligation de transgresser les codes imposés par sa déontologie et de faire évoluer son statut vers celui d’interprète ? Pour l’instant, cette idée paraît peu probable ; en effet, au regard de cer- tains collectionneurs, l’intervention du conservateur-restaurateur ou de l’interprète sur ce type de productions pourrait avoir une influence sur

42 Anne CAUQUELIN, opus cité, 2006, p. 67

-54- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 l’intégrité originelle de l’œuvre, du moins sur sa valeur. De ce fait, tant que l’artiste est vivant, on préfère s’en référer à lui. En fait, c’est bien la question de l’authenticité qui taraude les collection- neurs et les institutions : ceux-ci acceptent encore mal que les œuvres protocolaires puissent être réinterprétées par autrui, car ceci entraîne inévitablement un questionnement autour de la véracité des productions réalisées à partir de ces énoncés. D’une part, parce qu’une mauvaise réinstallation peut nuire à son authenticité, et, d’autre part, parce qu’en autorisant la réinterprétation, les protocoles ou statements nient la qua- lité autographe de l’œuvre et ébranlent alors l’association classique auto- graphe=authentique=original.

Cette situation nous engage à une réflexion sur la place de ces œuvres dans les musées et sur notre rôle au moment de leur exposition et de leur éventuelle réédition. Il semble qu’une adaptation de notre métier à ce type de créations serait le gage d’une présentation juste et pertinente.

B1/2. DU NON-SENS DE CERTAINES ŒUVRES AU SEIN DU MUSÉE ?

Nous avons abordé, plus haut, le cas des œuvres protocolaires et l’achat d’œuvres évolutives par les musées afin d’émettre une hypothèse quant à une évolution de l’institution dans la gestion et l’exposition de ces créa- tions. Je souhaiterai évoquer, ici, le cas de certaines installations qui, répondant à des caractéristiques techniques classiques, n’en restent pas moins des œuvres qui reposent sur des considérations immatérielles et conceptuelles singulières, indispensables à considérer au moment de leur appréhension et ce, quelque soit l’intervention envisagée.

La conservation et la restauration d’une œuvre doivent pouvoir répond- re aux conditions d’intégrité de l’œuvre, celle-ci reposant de manière tra- ditionnelle sur une prise en compte de son support, de sa couche pictu- rale, mais aussi de sa dimension symbolique. Or, certaines œuvres d’art contemporain ont opéré une complète métamorphose de ces critères, accordant désormais la primauté aux aspects immatériels de l’œuvre au détriment des éléments solides. La part conceptuelle dans la réalisation de l’œuvre devient, dès lors, un paramètre essentiel à prendre en comp- te dans le cadre des interventions de conservation et de restauration. En effet, sans cette considération, l’acte de conservation-restauration et, avant lui, la seule acquisition de l’œuvre risqueraient de compromettre

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son sens et sa nature. Mais, s’il semble à première vue difficile de restaurer une idée, notre enjeu devrait permettre au moins la conservation de cette idée qui est le gage du respect de l’œuvre, lors de futures présentations.

Certaines installations et, en particulier, les installations in-situ, qui ne peuvent accepter une réimplantation dans un lieu autre que celui pour lequel elles ont été conçues, semblent remettre en question la mission du musée : dans le cas précis des installations in-situ, le contexte spatial peut en effet faire partie intégrante de la pièce qui peut se retrouver dénaturée dans un nouvel environnement. Nous pouvons rapporter, à ce propos, l’exemple d’une œuvre de Joseph BEUYS, Olivestone que l’artiste réali- sa en 1984 au Castello di Rivoli, près de Turin, à la demande de Rudi FUCHS, alors directeur du Stedelijk Museum d’. Son installation se composait de cinq auges de grès, anciennement utilisées pour la décantation de l’huile d’olive. Joseph BEUYS y avait fait introduire un bloc de pierre similaire à celui qui les constituait de manière à ce qu’il comble pratiquement le volume intérieur : dans l’in- terstice restant, il versa 200 litres d’huile d’olive qui affleuraient à la surface des bacs et produisaient un effet de miroir. Mais la qualité absorbante de la pierre, connue pour sa porosité, nécessitait qu’on remplisse 42- Joseph BEUYS, Olivestone, 1984, Castello di Rivoli régulièrement les vasques alors que l’huile suintait et gouttait au sol. Disposée en Italie dans un environne- ment baroque imprégné de la forte odeur d’huile d’oli- ves que dégageaient les bacs pierreux, cette œuvre donnait l’impression d’être restée là depuis des décen- nies. Or, en 1992, l’installation a dû être déplacée pour des raisons techniques, c’est alors qu’Harald SZEEMANN, proposa de la remonter au sein des murs blancs de la Kunsthaus de Zürich. Ce qui faisait la puissance de cette installation semblait, pour certains, avoir dispa- ru. Les auges de grès devinrent ainsi de simples sculp- tures dégoulinantes d’huile dans un espace immaculé. Autre exemple, à nouveau issu du parcours apparem- ment chaotique - aux dires de quelques-uns - des œuvres de Joseph BEUYS réinstallées après sa dispa- 43- Joseph BEUYS, Olivestone, 1984, Kunsthaus Zürich rition ; il s’agit de Plight, acquise en 1989 par le Centre Georges Pompidou à Paris et qui y est aujour- d’hui exposée de façon permanente. A l’origine, cette œuvre avait été créée à Londres en 1984, dans la gale- rie Anthony d’Offay, alors submergée par le bruit de travaux de réhabili- tation à l’extérieur du bâtiment. L’artiste avait choisi d’isoler du bruit et de l’extérieur l’espace de la galerie en y disposant sur les parois une série de rouleaux de feutre, puis il y a installé un piano à queue, accompagné d’un tableau noir à partitions et d’un thermomètre (cf. le chapitre consa- cré aux installations, p.30). Lorsque l’installation fut achetée par le Centre Georges Pompidou, il fut décidé, avec les héritiers de l’artiste, de

-56- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 reconstituer à l’identique l’espace d’origine (puisqu’en dépendaient, entre autres les dimensions de l’œuvre). Aujourd’hui, si l’espace respecte scru- puleusement la surface de la galerie d’Offay, les esprits critiques n’ont pas manqué de noter que « le contexte du vacarme industrieux était perdu - on passait d’un espace déjà feutré (celui du musée) à celui doublement feutré de Plight; les impératifs de sécurité propres à la charpente métallique du Centre Pompidou obligeaient à maintenir ouverte une issue de secours ; et surtout, l’ensemble de l’espace apparaissait construit comme un décor de théâtre, sans nécessité structurelle. »43

Certes l’environnement sonore a changé, ce qui rend l’im- pression d’isolation auditive sans doute moins violente, mais le bruit qui règne dans le musée est réel et constitue une sorte de substitut aux échos extérieurs de la galerie d’Offay. On pourrait d’ailleurs ajouter que, si Joseph BEUYS a réalisé cette pièce dans une galerie, c’est bien qu’il envi- sageait son achat et le déplacement dans un nouveau contexte : autrement dit, si le Centre Georges Pompidou n’a pas récréé les conditions initiales de cette œuvre, c’est qu’elle devait pouvoir accepter sa décontextualisation. Cependant, si l’on avait voulu se conformer aux exigences qu’impliquait cette installation, il aurait peut-être été possi- 44- Joseph BEUYS, Plight, 1985, Galerie d’Offay ble de la réinstaller ailleurs, à l’extérieur du Centre, par exemple, ce qui aurait accentué le contraste sonore entre l’extérieur et l’intérieur de l’installation. Quoiqu'il en soit, la remarque de Didier SEMIN, met ici le Plight a récemment fait l’objet d’une restauration des rou- doigt sur un problème qui est bien réel et effectif dans cer- taines collections : celui de la décontextualisation des œuv- leaux de feutre qui enserrent l’encadrement de la porte res ; mais, au fond, n'est-elle pas la prolongation d'un phé- d’accès : s’il semble visuellement nécessaire de reconsti- nomène qui existe depuis que les hommes pillent et muséi- tuer les zones usées par le passage du public, sommes- fient des artefacts? Phénomène subi par quantité d'œuvres et qui consiste à les isoler de leur environnement initial. nous sûrs qu’il faille intervenir ? Quelle est ici la valeur d’u- Leur décontextualisation participe ainsi d'une nouvelle sédi- sage de l’œuvre ? Doit-on la maintenir régulièrement dans mentation de leur sens qui se réactualise, finalement, en un état de fraîcheur relatif ou le musée peut-il accepter que permanence à chaque re-perception. l’œuvre puisse se dégrader « naturellement » ? Le dilemme semble bien réel ici, entre la mission du musée et les inten- tions des artistes.

Voici deux exemples qui semblent témoigner de malentendus en matière d’appréhension de l’œuvre ; cependant, et je reviens ici sur la remarque de Didier SEMIN, si ces œuvres apparaissent comme décontextualisées, ne s’agit-il pas là, en fait, du problème lié toute patrimonialisation de l’art contemporain ? Si le regardeur fait l’œuvre – pour reprendre DUCHAMP - il est évident que chaque confrontation entre le public et l’objet d’art sera à l’origine d’une nouvelle « version » de ladite œuvre, qui, en soi, est toujours une forme de décontextualisation. Ce phénomène, nous l’a- vons dit dans l’encart ci-dessus, existe - quelles que soient les produc- tions artistiques (ou non artistiques, d’ailleurs) ; mais, s’il semble moins choquant aujourd’hui d’admirer un retable dans un musée plutôt que dans une église, ce que dénoncent certains, vis-à-vis de l’exposition de

43 Didier SEMIN, De la contradiction au musée d’art moderne et contemporain : notes sur un cas d’espèce, communication de l’auteur, Mars 2000

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l’art contemporain et qui participe du même processus, est sans doute lié à la muséification de productions très actuelles et donc beaucoup trop vite patrimonialisées : autrement dit, l’écart temporel entre la création des œuvres d’art contemporain et leur muséification est si mince, que la vison délivrée aujourd’hui par l’institution de ces productions peut parfois apparaître comme trop décalée par rapport à la manière dont l’artiste avait proposé son travail pour la première fois, alors que ce décalage semble moins choquant en regard de l’art ancien. Dès lors, on pourrait penser qu’une installation contemporaine - présentée en extérieur ou dans des conditions contextuelles particulières - acquise et exposée par l’institution, non pas immédiatement mais dans une cinquantaine d’an- nées, soulèverait moins de polémiques quant à la manière dont elle serait présentée au public, qu’elle soit ou non re-présentée dans un contexte plus ou moins identique à celui de sa création. Parce que l’institution est devenue la vitrine de l’art contemporain, il existe donc un paradoxe entre la volonté pour l’institution de constituer une collection d’œuvres récen- tes et la manière dont elle la montre quand les œuvres qu’elle expose n’ont pas été réalisées pour un environnement muséal. Si certains dénoncent ce clivage, devrait-on s'en prendre uniquement à l'institution qui, si elle achète de leur vivant Par ailleurs, certains de décrier la manipulation et le détour- des œuvres aux artistes, voit rarement ses offres déclinées par ces derniers ? nement des œuvres plus encore que leur mauvaise exposi- « (…) continuer un rigoureux contrôle sur l’œuvre une fois faite et se trouvant entre les mains d’autrui qui la possède me semble tion : essentiel si l’on veut justement que tous les contrôles opérés pré- cédemment et qui ont abouti à l’œuvre, continuent ou aient une chance de continuer à être opérants, sans sombrer au point où l’œuvre contrôlée par d’autres (collectionneurs, directeurs de musées ou de galeries, organisateurs d’expositions, etc…) ne dit plus que ce que veulent bien lui faire dire ces manipulateurs d’œuvres que sont ceux qui les possèdent, contrôleurs ultimes du dire de l’œuvre. »44

Daniel BUREN insiste ici sur la dérive opérée par certaines institutions qui adaptent l’œuvre à leurs exigences plutôt qu’elles ne participent de la démarche inverse. Cependant, si l’on en vient ici à remettre en cause les interventions de conservation et de restauration et l’acquisition de ces œuvres, on aurait tort d’ « incriminer » la seule responsabilité des acteurs de leur diffu- sion. Comme je l’ai évoqué plus haut, l’artiste participe activement au marché de l’art, c’est donc aussi à lui qu’incombe la tâche de formuler des directives précises quant à la manière de (re-)présenter son travail.

Mais alors, quid du rôle du conservateur-restaurateur face à ces œuvres, face à une production artistique qui refuse, en quelque sorte, sa muséi- fication et donc sa conservation ? Il faut, à nouveau, nous interroger sur la pertinence de notre métier…

44 Daniel BUREN cité par Jean-Marc POINSOT,op. cité, 1999, p.152

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« Dans la définition n°13 qui est une proposition de travail, le peintre [Claude RUTAULT] nous décrit ainsi son intervention : « Un coup de peinture, un coup de jeunesse : exposition dans cinq espaces successifs de la même toile, tendue sur châssis et peinte de la même couleur que le mur sur lequel elle est accro- chée. A chaque présentation, l’organisateur de l’exposition a le choix entre trois solutions : -repeindre la toile de la couleur du mur ; -repeindre le mur de la même couleur que la toile ; -repeindre les deux d’une même couleur. » Voilà le restaurateur soit au chômage, soit transformé en pein- tre. »45 45- Claude RUTAULT, Artista, 1973-1985

A la lumière de cette anecdote, nous comprenons bien les antagonismes que les artistes contemporains nourrissent avec les conservateurs-res- taurateurs. Il nous faudrait donc admettre qu’en matière d’art contempo- rain, il serait plus juste de parler de conservation que de restauration. Cette citation évoque clairement le problème de la réexposition ou plutôt de la reconstitution des œuvres, qui, il me semble, est devenu l’enjeu central des conservateurs et des conservateurs-restaurateurs actuels, prenant ainsi le pas sur la restauration à proprement parler.

Quitte à bousculer certaines règles établies, le conservateur-restaurateur aura à proposer une politique originale de conservation et de restaura- tion envers ces œuvres, en démontrant la pertinence d’une adaptation de son statut face à des créations qui nécessitent des interventions inédites.

L’exposé des différentes situations auxquelles se confrontent le musée et, en son sein, les conservateurs et les conservateurs-restaurateurs, nous permettra d’aborder de nouvelles problématiques dans l’exercice de notre profession. Celle-ci doit-elle s’adapter ou peut-on accepter l’idée que notre métier s’arrête là où commencent les œuvres conceptuelles, impermanentes et performatives ?

B2/3. DE LA JURISPRUDENCE EN MATIÈRE D’ŒUVRES IMMATÉRIELLES ET IMPERMANENTES

Si nous avons montré la nécessité d’une évolution du musée et du métier de conservateur-restaurateur vis-à-vis des œuvres de type « installa- tions performatives » et « productions d’art-action », la législation applicable aux créations artistiques mériterait également une attention particulière

45 Blandine CHAVANNE, “ “Un coup de peinture, un coup de jeunesse, ou de la restauration de l’art contemporain”, in Conservation-restauration des biens culturels, n°3, décembre 1991, p.8

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En effet, l’immatérialité d’une œuvre contemporaine, son caractère impermanent ou non autographe, sa non-originalité, … sont autant de particularités et de spécificités qui ne garantissent pas une protection optimale contre la contrefaçon, le plagiat ou la décontextualisation opé- rée par certaines expositions - alors même que quelques-unes de ces productions attachent une grande importance à leur cadre de présenta- tion. Un commentaire du droit d’auteur français, au regard de ce type d’œuv- res, me semble indispensable pour mieux appréhender leur conservation et leur restauration et d’en assurer une présentation juste et fidèle. Dans une prochaine partie, nous reviendrons sur ces notions juridiques appli- quées aux œuvres performatives en vue de leur éventuelle « restaura- tion ». Précisons que le droit d’auteur constitue avec le droit à la propriété industrielle, l’une des deux branches du droit à la propriété intellectuelle.

« L’œuvre est protégée qu’elle appartienne à l’un ou à l’autre de ces trois genres : celui des lettres, celui de la musique, celui des arts plastiques ; est donc protégée comme l’exprimait l’ar- ticle 7 de la loi de 1793, « toute production de l’esprit ou du génie aux beaux-arts » (…) « l’œuvre est protégée quelle que soit sa forme d’expression, c’est-à-dire son procédé de réalisa- tion. » »46

Si, à première vue, toute forme de création artistique semble pouvoir faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur, on constatera néan- moins que l’émergence d’œuvres dématérialisées, conceptuelles, éphé- mères,… modifie considérablement le champ d’application des textes qui deviennent, dès lors, très restrictifs lorsqu’il s’agit de statuer sur la seule définition de l’œuvre et non plus uniquement sur la manière dont elle est diffusée. En effet, face à une production artistique de plus en plus dépourvue de support matériel ou qui revendique la prééminence de l’idée sur la matière, le droit d’auteur s’en trouve quelque peu ébranlé. Par exemple, celui-ci ne protège pas l’idée, au motif qu’elle est trop vola- tile et impersonnelle et qu’il n’y a aucun élément qui puisse justifier de l’exclusivité de la propriété d’une idée par untel. « Le droit d’auteur ne protège pas les idées »47 Les œuvres conceptuelles, qui revendiquent la primauté de l’idée au-delà de la matière, sont de ce fait vulnérables - d’autant plus qu’elles mani- festent le concept de l’auteur à travers des objets ordinaires, non auto- graphes, parfaitement falsifiables. Ceux-ci participent au désenchante- ment volontaire de la matière, à sa désacralisation au profit de l’idée. Cet exemple révèle que, dans le domaine de l’art contemporain, la dis- tinction qu’impose le droit d’auteur, entre l’idée et la forme, est inadap- tée. Malgré tout, l’Art conceptuel, parce qu’il exprime l’idée à travers l’objet, aussi banal soit-il, offre une échappatoire en matière de protection juri-

46 Claude COLOMBET, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, 9ème édition, 1999, p.23 47 ibid., p.19

-60- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 dique. Mais qu’en est-il des œuvres immatérielles et, avant elles, du son produit par un instrument de musique, ou encore de l’essence d’un par- fum ? Comment assurer une protection satisfaisante aux productions impalpables et pourtant perceptibles ? Ainsi nous pouvons citer la célèbre affaire PINONCELLI qui condamna l’artiste au titre de vandale, pour avoir uriné dans l’une des éditions de Fountain de DUCHAMP : en l’occurrence, son acte relevait, pouvait-on penser, du happening et non pas du vandalisme. Le propriétaire de l’urinoir n’exigeait pas là réparation en regard de l’at- teinte portée à l’œuvre, mais plutôt de sa dégradation matérielle ; mal- gré tout, s’il avait été question de la protection de l’intégrité de l’œuvre, Pierre PINONCELLI aurait pu mettre en avant le fait que son acte créa- teur était une forme de revalorisation de l’œuvre duchampienne, quand bien même aurait-il eu à en faire la preuve. Nous verrons qu’en la matière, ce n’est pas forcément évident.

Mais revenons-en à la protection des œuvres au regard du plagiat : pourrait-on, dans le domaine de l’art-action, invoquer la protection d’un procédé ? Tout semble indiquer que cette solution est inappropriée : non seule- ment parce que le droit d’auteur ne protège pas la mise en œuvre, mais aussi parce que c’est le droit à la propriété industrielle qui, seul, en garantirait la préservation par le biais du dépôt d’un brevet, enregistré à l’Institut National de la Propriété industrielle. Or il serait incongru d’assi- miler l’acte du performer à la seule exécution d’une technique.

Si la performance ne peut être assimilée à un procédé, pourrait-on alors l’associer à un style ? L’artiste incarnant l’œuvre, le style de sa création émanerait alors de ses traits physiques en même temps que de son atti- tude. Mais le style, au même titre que le procédé, n’est pas, en tant que tel, protégeable : « La loi (…) ne protège que des créations d’objets déterminés, individualisés et parfaitement identifiables, et non pas un genre ou une famille de formes qui ne présentent entre elles des caractères communs que parce qu’elles correspondent toutes à un style ou à un procédé découlant d’une idée. »48

En effet, il semble impossible de protéger un genre (sauf s’il y a absence de dichotomie entre la forme et l’idée), parce que cela supposerait le monopole d’un auteur, non plus sur une œuvre mais sur une famille artistique. C’est ainsi que CHRISTO et JEANNE-CLAUDE n’auraient pu crier qu’au parasitisme lorsqu’une agence publicitaire s’inspira de leurs empaquetages, peu de temps après l’emballage du Pont-Neuf. De la même manière, qui- conque souhaiterait peindre des bandes monochromes régulières pourrait, à première vue, faire du « BUREN ».

46- Christo et Jeanne-Claude, Emballage du Pont-Neuf Paris,1985

48 Nadia WALRAVENS, L’œuvre d’art en droit d’auteur, forme et originalité des œuvres d’art contemporaines, 2005, p.43

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Il paraît ainsi inévitable de voir des productions d’art-action parasitées ou copiées à des fins serviles ; ceci serait préjudiciable aux œuvres et, par voie de fait, aux artistes qui mettent ici en jeu leur personnalité, pour ne pas dire leur personne. En opérant un parallèle avec le monde du cirque ou de la pantomime, on relèvera que, dans ce domaine aussi, « on peut éprouver des difficultés à tracer la frontière entre le genre, non protégeable et son expression particulière qui le sera. En d’autres termes, la personne qui invente un tour (…) peut-elle pour autant interdire à des tiers de présenter un tour similaire alors que nous sommes dans un domaine où il y a absence de dichotomie entre l’idée et son expression ? » 49

Si le principe d’originalité (article L 112-4 du CPI) peut garantir une rela- tive sauvegarde de l’œuvre, il faut, d’une part, s’interroger sur les critè- res qui permettent de juger de l’originalité d’un geste et, d’autre part, être attentif aux possibilités d’adaptation, de versions, d’interprétation de ces créations qui, selon le contexte, peuvent, elles, bénéficier de la pro- tection du droit d’auteur. En effet, l’« adaptateur », pour être considéré comme tel, fixe son exécution sur un support ; ce faisant, le droit d’au- teur lui garantit une protection au titre de création de l’esprit, exprimée, divulguée, diffusée, condition qui, seule, régit la défense de l’art corpo- rel. Ainsi le droit d’auteur offre des garanties aux arts du spectacle et plus particulièrement aux « « arts d’expression corporelle », (…) sous réserve, « que leur mise en œuvre soit fixée par écrit ou autrement », c’est-à- dire, par dessin, ou par tout autre système de notation, comme la « labanota- tion » utilisée traditionnellement en matière de danse. Mais aussi par un enre- gistrement audiovisuel (c.f. le terme « autrement » qui figure dans la loi).» »50

On pourrait, dès lors, envisager la protection de l’art-action. Cependant, il faut préciser, d’une part, que l’art-action refuse la plupart du temps la notation, se basant davantage sur un principe d’improvisation et de par- ticipation du contexte, du hasard, du public…, et que, d’autre part, les enregistrements à ce jour sont, soit inexistants, soit partiels, soit retra- vaillés dans l’optique d’une œuvre vidéo ; enfin, nous devons souligner que ce texte sous-entend le concept de composition et se réfère donc plus particulièrement aux œuvres chorégraphiques : ceci limiterait donc la défense des œuvres d’improvisation soumises au plagiat ou à la contrefaçon. Nous rappelons, en effet, que « le terme [chorégraphie] vise un enchaîne- ment de mouvements et seul celui-ci bénéficie de la protection accordée par la loi. Un seul pas de danse ou “une danse” au sens générique du terme, où les enchaînements de mouvements sont laissés à l’initiative du danseur, est “par sa nature et sa destination, soustraite à l’appropriation privée.” »51

Autrement dit, la chorégraphie est protégée dans sa substance, à l’instar du geste d’improvisation du danseur, puisque le droit d’auteur s’applique à toute forme que peut prendre une œuvre exprimée, mais pourrait-être, néanmoins, contesté dès lors qu’il n’a pas été fixé.

49 André BERTRAND, Le droit d’auteur et les droits voisins, 1999, p.180 50 Ibid., p.195 51 Ibid., p.181

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Au même titre, il serait donc possible de protéger les events au niveau de leur partition et de l’improvisation de l’artiste, dès lors que l‘on appor- te la preuve de son exécution. Le délicat problème de l’attestation reste un problème central en ce qui concerne les œuvres d’art-action sans trame. « C’est à celui qui prétend se prévaloir d’un monopole de démontrer que ses œuvres remplissent la condition légale d’ori- ginalité. Encore faut-il pour que la question soit en débat qu’el- le ait été soulevée par le défendeur. »52

Quand Mike BIDLO refait, en 1985, les Anthropométries de KLEIN, son acte passe délibérément pour une parodie, une copie ou une contrefaçon. Il l’affirme comme telle et signe cette action de son nom : Mike BIDLO, Not Yves Klein Anthropometries, 1986. Imaginons maintenant qu’un interprète reprenne cette œuvre pour son propre compte en en revendiquant la paternité ; en admettant qu’Yves KLEIN n’ait laissé aucun document relatif à la création de cette œuvre et qu’il n’y ait aucune image de cet évènement, il ne sera pas possi- ble de protéger le procédé, ni même l’idée comme nous 47- Mike BIDLO, Recreating Yves Klein’s l’avons vu ; la notion d’œuvre autographe ne pourra pas, Anthropometries, New York, 1985 non plus, être mise en avant puisque l’artiste ne fait qu’as- sister à l’exécution des tableaux : en fait, seule lui appar- tient l’idée de l’évènement ; quant à la « chorégraphie » laissée au gré des participantes, quand bien même elle aurait été ébauchée, il serait intéressant de savoir à partir de quel degré de précision sa rédaction garantit-elle à l’artiste une protection au regard du droit d’auteur ? En gardant cet exemple à l’esprit, on pourrait mettre en avant le fait qu’Yves KLEIN interprète un « personnage » inséparable de son action, on imaginerait mal une redite de cet événement sans l’artiste, si celle-ci ne revendique pas autre chose qu’une parodie ; nous entrevoyons alors un moyen de protéger l’action de toute tentative d’usurpation. Si cette hypothèse paraît absurde dans le cas de Yves KLEIN, qui est mondiale- ment reconnu et dont la paternité de l’œuvre est avérée, qu’en est-il d’ar- tistes moins médiatisés, à la merci de tout pillage intellectuel ? Malheureusement, il semble que l’assimilation d’un interprète au person- nage qu’il incarne ne puisse suffire à protéger l’auteur : si l’on évoque Charlie CHAPLIN/CHARLOT ou Peter FALK/COLUMBO, « celui-ci est indiscutablement le seul auteur et en conséquence le seul titulaire des droits sur le personnage qu’il a créé (…) cependant, l’incarnation de l’acteur dans le personnage de fiction, si célèbre soit-il, ne peut lui conférer pour autant un droit d’auteur ou un monopole sur un genre déterminé. »53

Reste, cependant, une alternative possible à la protection de l’art-action sans trame et non documentée ; le droit d’auteur protège en effet les plaidoiries d’avocat :

52 Michel VIVANT, in Code de la propriété intellectuelle, 2003, p.109 53 André BERTRAND, opus cité, 1999, p.627

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« Sont considérées notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code : (…) les conférences, allocutions, ser- mons, plaidoiries et autres œuvres de même nature.»54

En tant que manifestations corporelles, sans nécessairement faire appel à un script et ne faisant pas toujours l’objet d’un enregistrement, les plai- doiries pourraient se confondre avec les expressions d’art-action. Par analogie, et parce qu’il n’est pas exhaustif, l’article L112-2 pourrait donc protéger les performances. Si l’extrait de cet article pourrait passer pour un moyen de défense des œuvres d’art-action, il apparaît à la fois comme le plus approprié et comme le moins précis, du fait qu’il ne désigne pas en particulier ce type de production artistique et qu’il reste encore à savoir sous quelles condi- tions il est applicable.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 3 décembre 2004 (4ème chambre B), revient sur un litige concernant l’artiste Alberto SORBELLI qui se retourna contre une photographe ayant diffusé, sans son consentement, l’épreuve d’une de ses performances réalisée au Louvre en décembre 1997. Ces clichés furent, en effet, exposés et vendus sans men- tion du nom du performer et sous un autre titre que celui utilisé par l’artiste pour cet évènement. C’est au nom du droit d’auteur et du droit à la paternité qu’Alberto SORBEL- 48- Alberto SORBELLI, Visite au Louvre, 1994 LI demandait réparation. C’est pourtant au nom du droit à l’image qu’il obtint gain de cause en première instance : la performance se confondant avec la personne de l’artiste, c’est davantage la diffusion illicite de son image qui était mise en cause plutôt que la création elle-même. La Cour d’appel a néanmoins révisé la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris et a statué sur le droit à l’image et sur le droit d’auteur, au titre d’une œuvre de collaboration, sous-entendu que la photographe et l’artiste avaient conjointement par- ticipé à la création d’une œuvre performative et photographique.

« Le danger, dont témoigne à merveille, dans cette affaire, la décision du Tribunal de Grande Instance de Paris, est celui d’un droit à l’image conquérant se substituant à un droit d’auteur paresseux. »55 A travers ces exemples, on prend la mesure de l’inadaptation et de l’in- suffisance du droit d’auteur en regard des évolutions artistiques : les artistes, dont on « emprunte l’idée » ou l’expression corporelle, pour- raient alors se trouver lésés. En fait, la difficulté majeure de la justice, face aux productions éphémè- res et immatérielles, réside essentiellement dans l’attribution des quali- tés d’authenticité et d’originalité qui reposent davantage aujourd’hui sur l’intention de l’artiste et sur le contexte environnemental de réalisation que sur des éléments concrets. Ceci signifie qu’en face d’œuvres

54 Article L112-2 du CPI 55 Edouard TREPPOZ, “Commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, 4ème chambre, section B, 3 décembre 2004”, in Recueil DALLOZ 2005 Jurisprudence, p.1237

-64- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 contemporaines qui revendiquent de plus en plus la prééminence de l’i- dée sur la forme, l’idée serait le seul gage de leur authenticité. C’est le cas de tous les exemples cités ici, lesquels sont, dès lors, non protégea- bles du fait que le droit d’auteur ne reconnaît aucune originalité à l’idée - sauf si celle-ci est exprimée par écrit ou sous une quelconque forme matérielle. Face à l’absence d’une prise en considération de l’idée en tant que telle par le droit d’auteur et à la subjectivité de la notion d’originalité, on pour- rait, de nouveau, invoquer le droit à la propriété industrielle et générali- ser l’utilisation de brevets : ce faisant, on n’accorderait de protection qu’aux idées nouvelles absolument originales ; ceci entraînerait un appauvrissement de l’ensemble de la création artistique puisqu’en la matière, il est évident que l’on ne crée pas sans influence ou sans réfé- rences… Etendre l’utilisation du brevet à tous les artistes contribuerait à tarir la veine de l’inspiration.

Si nous venons de dresser un panorama rapide des failles du droit d’au- teur dans le domaine très particulier de l’art-action, qu’en est-il de la pro- tection des installations ? Plus facilement assimilables à des sculptures, du fait qu’elles peuvent être constituées d’éléments pérennes, il n’en reste pas moins que certaines d’entre elles sont éphémères et que la plu- part nourrissent une relation très étroite avec un concept et un environ- nement singulier. Malgré tout, il est des cas connus d’erreurs d’apprécia- tion juridique qui relèvent d’un manque de considérations de ces para- mètres immatériels, inhérents à l’œuvre. Ainsi, certaines installations in- situ n’ont pas bénéficié de protection au moment de leur décontextuali- sation, alors même que le lieu pour lequel elles avaient été créées parti- cipait du concept global de l’œuvre. L’œuvre de Richard SERRÀ, Titled arc, (1981) a spé- cialement été réalisée pour la Federal Plaza à Manhattan ; or, en 1989, elle a été démontée et démembrée pour être stockée dans un entrepôt ; par la suite, elle fut déplacée, ce qui pour l’artiste équivalait non seulement à une destruction, mais également à une atteinte à la nature même et au concept de l’œuvre - devenue mobile alors même qu’elle devait faire « à jamais » partie d’un lieu 49) dont la singularité était intrinsèque à son sens. En l’occurrence, cet argument n’a pas convaincu la jus- tice américaine qui n’a pu réparer le tort fait à l’ar- tiste. Parallèlement à ce genre de préjudice, nous relève- rons des cas d’expositions d’œuvres qui se firent sans l’accord de l’artiste, dans des contextes totale- ment en décalage avec le concept de l’œuvre : ceci constituait un dommage porté au sens même de l’œuvre et, indirectement, à son auteur. C’est ainsi que Daniel WALRAVENS a vu l’une de ses composi- tions, spécialement réalisée pour un lieu d’exposi- tion précis, être présentée en dehors de son cadre 50) initial, c’est-à-dire au-delà de la durée prévue à l’o- 49,50- Richard SERRA, Titled Arc, 1981 rigine et entourée de la production d’artistes locaux. (ph. in catalogue Richard SERRA, 1983)

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Il semble pourtant qu’il existe un droit à la représentation et à la repro- duction qui garantit à l’artiste un rapport d’exclusivité avec son œuvre, ce qui lui permet de gérer les conditions d’expositions de celle-ci…

Le droit de suite (c.f. article L.122-8 du CPI) doit, quant à lui, pouvoir préserver la rémunération des ayants droit, lors de la revente d’une œuvre : or, celui-ci est difficilement applicable aux œuvres dites in-situ car elles sont, par nature, vouées à l’immobilisme et éphémères, car cel- les-ci fondent leur concept sur une finitude programmée et, par consé- quent, interdisent l’échange. Néanmoins, il est des cas de transactions rendues possibles par le biais des protocoles de réalisation. Par ailleurs, si l’on s’en tient aux œuvres éphémères ou in-situ et, en par- ticulier, aux oeuvres du Land Art, on constate, de manière assez para- doxale, que les photographies de ces créations, seuls témoins de leur existence ponctuelle, peuvent bénéficier d’une protection à titre d’œuv- re, alors même que les sujets originels de ces clichés sont, en grande partie, exclus du domaine de la préservation par le droit d’auteur. C’est pourquoi, d’aucuns dénonceront une forme de discrimination du droit d’auteur à l’encontre des productions non pérennes ou performati- ves ; car, aujourd’hui, ce droit conduit à privilégier les éléments maté- riels d’une œuvre au détriment de sa substance, alors même que ces élé- ments ne sont que les moyens de sa manifestation.

« (…) l’évolution irréversible des pratiques artistiques stigmati- se davantage le décalage existant entre le droit d’auteur et le marché de l’art. »56 « (…) il conviendrait alors que le droit d’auteur adopte, à l’é- gard des œuvres d’art contemporain une conception plus intellectuelle de la création. »57

On en convient : les installations, que ce soit à travers leur caractère in- situ ou performatif, et les œuvres d’art-action restent des créations qui mériteraient une attention particulière de la part du droit d’auteur et, par conséquent, à son évolution, quand bien même celui-ci assure la protec- tion de l’œuvre quelle que soit sa forme : en effet, et plus spécifique- ment si l’art-action est protégé dans l’absolu, reste, malgré tout, aux artistes d’apporter la preuve de leur réalisation dès lors qu’on leur conteste ce droit - attestation qui peut être difficile à présenter si on ne l’a pas expressément prévue.

56 Nadia WALRAVENS, opus cité, 2005, p.363 57 Ibid., p.463

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C1/ À PARTIR DE QUEL MOMENT L'ŒUVRE EST-ELLE CONSIDÉRÉE COMME TELLE ?

C1/1. DE LA PERTINENCE DE LA CONSERVATION- RESTAURATION VIS-A-VIS DES INSTALLATIONS ET DES ŒUVRES D’ART-ACTION

Le panorama historique que j’ai dressé plus haut nous permet, malgré sa brièveté, d’énoncer des caractéristiques propres aux installations et à l’art-action : celles-là même qui les désignent comme telles et comme objet d’art et que le conservateur-restaurateur doit pouvoir prendre en compte de manière pertinente.

Comme je l’ai déjà écrit, l’installation repose sur l’investissement par un artiste d’un espace prédéterminé et ce, au moyen de l’implantation d’ob- jets, de matériaux ou d’une transformation physique de cet environne- ment par une intervention directe qui complète ou modifie l’aire de créa- tion. L’acte et/ou l’organisation de matériaux répond(ent) à la concrétisation d’un concept : en effet, la matière n’existe pas au sein de l’installation de manière autonome, ni pour elle-même en tant qu’objet esthétique. D’autre part, pour l’œuvre, le moment de son démontage et celui de sa disparition se confondent ; ainsi la matière disparaît visuellement et/ou physiquement. Les seuls témoignages de son exposition, et donc de l’œuvre elle-même, résident dans les documents qui jalonnent les étapes de création et d’ins- tallation. Ceux-ci peuvent prendre la forme de notes, photos, plans, vidéos, croquis, … La pièce connaît donc des états bien définis qui seraient d’abord l’ébau- che d’un concept, puis la réalisation autographe ou l’agencement de matériaux et d’objets manufacturés dans l’espace, enfin la documenta- tion. À moins que l’artiste n’en décide autrement, le document garde sa valeur de document et n’interfère en rien dans la désignation de l’œuv- re.

Comment pouvons-nous donc intervenir, en tant que témoin, passeur ou transmetteur, face à des œuvres qui refusent la conservation matérielle? D’autant plus que la restauration de la documentation ne peut être confondue avec celle de l’œuvre, sauf, encore une fois, si l’artiste la considère comme un élément de son travail : Artur BARRIÒ, par exem- ple, expose toujours ses carnets de travail en regard de son installation; ils sont une partie de l’œuvre mais ne sont pas considérés comme une fin en soi. Comment garantir justement notre devoir de transmission des œuvres aux générations futures si le support matériel des œuvres disparaît déli- bérément? À quel moment de l’existence de l’œuvre pouvons-nous inter- venir ?

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En l’occurrence, lorsqu’il s’agit d’installations, la restauration se confond avec la réinstallation. Mais que veut dire « réinstaller » et comment opère-t-on ? La réinstallation suppose, dans la plupart des cas, que les matériaux ont été conservés ou que le concept artistique autorise qu’ils puissent être remplacés selon certaines conditions, que l’artiste ait laissé des plans précis, que le lieu et le moment, voire le décalage temporel entre la pre- mière et la future exposition importe peu dans le sens de l’œuvre, … ce faisant, on peut réorganiser, ré-agencer les éléments constitutifs de l’œu- vre, soit dans le lieu initial de l’installation, soit dans un espace recons- truit à l’image de l’original, soit en réinterprétant l’installation sous réser- ve qu’elle soit adaptée aux exigences d’un nouvel espace… Quand bien même les exigences matérielles et techniques d’un artiste et ses directives sont respectées et que le travail de réinstallation se fait parfois avec le soutien de l’assistant de l’artiste, il est des impératifs à prendre en compte - ceux-là même qui sont liés à des aspects immaté- riels de certaines œuvres. Ainsi, il existe des installations qui nient leur côté simplement sculptural et n’existent qu’à travers l’acte autographe ou en fonction de l’attitude d’un artiste dans un environnement donné. J’entends par « côté sculptural » le fait d’installations qui investissent un espace à la façon de sculptures : dans le cadre d’une réinstallation, elles devront alors être reconstruites précisément, matériellement et techni- quement, pour en garantir l’impact sur le public.

Les installations d’Artur BARRIÒ posent, à ce stade, un vrai problème : car, en plus d’agencer des élé- ments matériels entre eux, l’artiste vise une trans- formation autographe de l’espace d’exposition dans lequel il se produit en griffonnant sur les murs, en les éclaboussant de café mouillé ou de vin ou en en éventrant les parois. Comment peut-on véritablement imaginer une res- tauration matérielle d’éléments impermanents et une re-présentation fidèle de telles interventions? En admettant que la ré-installation de l’œuvre d’Artur BARRIÒ se fasse dans le lieu originel de sa 51- Artur BARRIÒ - Palais de Tokyo, création, il paraît possible de réimplanter les objets novembre 2005 en leur place et de reproduire un tracé graphique, au préalable soigneusement documenté ; mais qu’en sera-t-il des jets de café et de vin ? Peut-on admettre de ne pas les reproduire, sous prétexte que leur « ré-installation » engagerait de la part du conservateur-restaurateur un geste « créateur » ? Et qu’adviendra-t-il le jour où l’institution acquéreu- se de l’œuvre décidera de la prêter, et ce, après la disparition de l’artiste ? Pourrons-nous adapter à la fois la disposition des objets matériels et des tracés au nouvel espace d’exposition ? De la même manière, lorsque l’on reconstitue l’espace originel 52- Marqueurs utilisés par Artur BARRIÒ d’une installation pour sa re-présentation, ne rend- sur les murs, durant ses installations

-68- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 on pas compte d’une méconnaissance de l’intention artistique, d’un acte qui vise à réduire l’œuvre à sa seule technicité et à son aspect formel ? S’il faut accepter l’idée que certaines œuvres ne peuvent être réinstallées sans la présence de leur auteur, peut-on imaginer une « parade » à cette situation et tenter une réflexion sur la possibilité d’un substitut vala- ble après la disparition de l’auteur, afin d’éviter tout contresens au moment de la réinstallation ?

Tout ceci m’amène à m’interroger véritablement sur les enjeux de la res- tauration de certaines installations qui peuvent être évolutives, non figées, ou éphémères, et qui interpellent les institutions sur leur capaci- té à accepter leur disparition. Ainsi, que pouvons-nous espérer de la seule restauration matérielle de ces œuvres lorsqu’il faudrait prendre en compte ce qui relève du geste voire de l’aura ? C’est le cas d’œuvres, comme celles précédemment citées, qui n’ont jamais connu de meilleure réinstallation que du vivant de leur auteur ; ces productions dont le concept, en tout cas l’intention artistique, exige la « recréation » d’une œuvre performative ou évoluti- ve : leur réinstallation copie conforme par autrui, revêtirait, en effet, un caractère inauthentique : la réinstallation sera certes non autographe, mais surtout inauthentique du point de vue du concept de l’artiste. Il semble donc, qu’a priori, seul l’artiste puisse réinstaller ses oeuvres.

Poursuivant ce raisonnement, je me dois d’évoquer ici l’aura de l’artiste qui devrait pouvoir être prise en compte lors de certaines réinstallations : à ce sujet l’exemple de Joseph BEUYS me paraît assez parlant; le statut de « chaman », qu’il affectionnait, et son charisme, insufflaient à ses pièces une force toute particulière ; ses installations ne peuvent, de ce fait, véritablement se passer de sa présence de rassem- bleur, de militant, qui accompagnait la puissance de ses créations, « et c’est cet aspect de son travail qui ne peut guère se passer de sa présence physique vivan- te.»58 Il semble, d’ailleurs, qu’aujourd’hui beaucoup s’ac- 53- Joseph BEUYS, Coyote, 1974 cordent à dire qu’il n’y a pas eu de bonnes exposi- tions BEUYS depuis sa disparition.

C’est bien parce que certaines installations n’existent pas en tant que sculptures, qu’elles engagent une approche spécifique de la part de notre profession au moment de leur réexposition. Et si j’ai évoqué jusqu’ici le problème des installations, cela nous conduit naturellement vers celui de l’art-action. De la même manière, de nombreuses questions vont émerger, dès lors que l’on considère ces œuvres sous l’angle de la conservation-restaura- tion.

58 Rainer ROCHLITZ, “BEUYS entre symptôme et symbole” in catalogue Joseph BEUYS – multiples, Galerie Tendances, p.18

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Par art-action, on désigne un geste exécuté publiquement par un artiste. Comme je l’ai déjà écrit plus haut, le terme « art-action » regroupe quantités d’expressions artistiques qui répondent plus ou moins et, en tout cas, de façons très diverses à des caractéristiques « techniques ». Si l’on s’en tient à ces paramètres, on dira qu’au sein des Happenings, la trame est utilisée comme une assise à l’improvisation, la scène a son importance et le public peut être invité à participer à la pièce. Les Events sont plus structurés au niveau de la partition proprement dite, autorisant a priori une réinterprétation par autrui (John CAGE a ainsi vu plusieurs de ses pièces reproduites ou réinterprétées). Le public y est présent mais il ne participe que très rarement : l’œuvre est plus re-pré- sentative que participative. Le groupe Fluxus n’a pas vraiment rédigé de partitions ou de modes d’emploi mais plutôt des propositions qui ressemblent à des ordres que chacun peut choisir d’exécuter à sa guise : selon Michel GIROUD, il ne peut donc être question de « restauration » pour de telles œuvres, car il ne s’agit pas d’interpréter une partition mais de réaliser un geste, de produire un acte issu d’un ordre ; ce qui compte, c’est d’être en commu- nion avec l’esprit Fluxus et de créer, de faire, de concrétiser une propo- sition. La partition n’existe pas, seule l’injonction guide le performer dans son improvisation et, par la suite, il n’est pas question de reproduire mais de créer à nouveau à partir d’une base commune. Le Body art semble, quant à lui, ne pas avoir de directives « techniques » spécifiques, celles-là mêmes qui pourraient permettre de dégager des caractéristiques pratiques, communes aux différentes actions s’y rappor- tant. Si, en général, les œuvres d’art-action sont toutes à considérer de manière individuelle, cela est d’autant plus vrai avec le Body art ou la performance. De ces créations, on ne peut dire d’emblée si elles sont réalisées dans un lieu déterminé, si la présence du public est nécessaire, si le son, la mise en scène ou la lumière prennent une valeur particuliè- re. C’est pourquoi si ces caractéristiques techniques nous importent, elles devraient pouvoir être compilées au moyen d’une « enquête » et d’un questionnaire qui ferait état de chaque cas auprès de leur auteur. D’autre part, s’il est difficile d’affirmer que ces actions sont issues d’un concept précis, on peut cependant avancer l’idée que l’attitude même de leur créateur, son intention et son engagement en sont les déclencheurs. L’improvisation et la prise de risque étant souvent les maîtres mots de ces réalisations, il me semble, en effet, périlleux de s’engager sur la voie de la conceptualisation de l’art-action. Enfin, l’action est de nature éphémère : son existence à un instant T n’est donc rapportée qu’à travers des témoignages de toutes sortes. Cela étant, nous pouvons dégager de cet inventaire le même organi- gramme qu’avec les installations, correspondant aux étapes du déroule- ment de l’œuvre : intention, réalisation, documentation. Cette dernière peut d’ailleurs prendre chez quelques artistes, comme Gina PANE, une valeur qui va au-delà du simple témoignage et exister en tant qu’objet d’art. « Gina PANE (…) interdit que l’on photographie ses performan- ces. Mais elle a une assistante qui mitraille la scène sans arrêt et qui ne se gêne pas pour déranger les spectateurs. »59

59 Thierry de DUVE, “La performance hic et nunc”, in Performance, text(e)s et documents, 1981, p.27

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« Sa matérialisation [en parlant de l’œuvre de Gina Pane] est un constat photographique (ou filmé) qui constitue l’œuvre elle- même. »60

L’œuvre ne réside donc plus uniquement dans l’action mais dans la preu- ve de sa manifestation. Dans ce cas précis, il serait donc envisageable de situer notre action de conservateur-restaurateur au niveau du document-œuvre, et cela dans la mesure où nos interventions sont limitées à la matérialité de l’objet dési- gné en tant qu’œuvre. Mais le cas de Gina PANE est un cas isolé qui fait exception dans une frange de l’art contemporain où l’œuvre se confond avec son exécution. Ceci induit le fait que l’œuvre se manifeste et existe dans un laps de temps limité, à travers le corps de l’artiste, puis dans la mémoire des spectateurs.

«Par « œuvre » on désigne aujourd’hui aussi bien les objets matériels qu’immatériels. Mais on désigne toujours implicite- ment une proposition achevée. La notion d’œuvre implique, en effet, une causalité et une hiérarchie entre processus et finalité, une différence entre deux étapes, dont la première est subor- donnée à la seconde. Et c’est précisément cette temporalité pro- pre à l’œuvre, qui est de plus en plus mise à mal. L’art actuel ne se déploie pas lors du surgissement de l’œuvre mais tout au long d’une conduite processuelle de création. Sa finalité est coextensive au processus (…). (…) L’art actuel s’inscrit davan- tage dans le temps que dans l’espace. (…) les modalités de mise en espace propres aux institutions actuelles s’avèrent, à cet égard, inadaptés. »61

Si Stephen WRIGHT évoque ici l’inadaptation des institutions, il pourrait tout autant questionner les moyens de la conservation-restauration face à l’art-action. Dans l’hypothèse de la conservation et de la « restauration » de l’art- action, il est nécessaire de s’interroger de la même manière qu’à propos des installations sur les enjeux et les possibilités de notre profession. Qu’elle ait ou non une trame, de quelle manière une performance pour- rait-elle être restaurée, dès lors que l’on ne considère que l’action et non plus ses vestiges ? Dans cette hypothèse, il serait indispensable de s’ap- puyer sur des indications « scéniques », propres au contexte de réalisa- tion, aux protagonistes, aux contraintes techniques, mais également au cadre historique, politique ou social du déroulement de l’action. En admettant que tous ces éléments soient exhaustifs, objectifs, recueillis auprès de l’artiste lui-même ou de témoins, nous nous retrouve- rions là face à une sorte de script qu’il faudra mettre en scène. Mais ne serions-nous pas là en train de recomposer une performance à la maniè- re d’une pièce de théâtre ? Sommes-nous d’ailleurs dans le même regis- tre ?

60 François PLUCHARD, “Trois actions de Gina PANE”, in ARTITUDES n°3, p.12 61 Stephen WRIGHT, “Le désœuvrement de l’art”, in Mouvements, n°17, septembre-octobre 2001, p.11

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Je rappelle à ce titre que le théâtre et la danse, à la différence de la plu- part des productions d’art-action, sont des entités, certes immatérielles, mais relativement structurées, qui acceptent la « répétabilité », lorsqu’il ne s’agit pas de théâtre d’improvisation. Mais qui dit structure et répéti- tion, dit absence d’improvisation ; or, occulter cet aspect de l’art-action, c’est transformer un acte unique en un processus. Etant donné la composante essentielle de l’art-action qui est la prise de risque en présence du public, il semble impossible de restaurer l’œuvre d’action pure, car on ne saurait prétendre restaurer un acte d’improvisa- tion. La nécessaire maîtrise de notre métier ne laisse, d’une part, aucu- ne place à la fantaisie et, d’autre part, aurait pour conséquence inélucta- ble de gommer le caractère unique de l’instantané. La seule justification d’une telle intervention de « restauration » serait alors une commémo- ration, une reproduction exacte pour mémoire. Par ailleurs, à l’instar des installations performatives que j’évoquais plus haut, l’art-action (dans la plupart des cas) se révèle aussi à travers le corps d’un artiste, son charisme, son attitude, son engagement, son his- toire, … La question du corps vivant et instable, du corps expressif et inimitable, du corps mobile qui réalise le geste ou le non-geste de manière instan- tanée ou prolongée, est centrale dans le domaine de l’art-action et inévi- table dans celui de sa restauration. Si le corps n’est pas l’œuvre, il en est le seul véhicule cognitif et sensible. Dès lors que nous envisageons de re-présenter des performances, qui d’autre que l’artiste lui-même pourrait les reproduire? « La présence du corps dans les performances acquiert une autre qualité : ce n’est pas un corps fragmenté, comme nous sommes habitués à le voir au travers du cinéma ou de la télévi- sion, avec des changements de plans ou perspectives (syntag- me de la manifestation bidimensionnelle) mais un corps ou un ensemble de corps tridimensionnels, dans toute son amplitude gesticulaire et volumétrique. »62

Sauf certains Happenings et Events fondés sur le principe du protocole - qui dédouane le rédacteur de toutes réalisations puisque quiconque le souhaite peut réaliser ses énoncés -, il paraît difficile, à première vue, de restaurer une œuvre d’art-action si l’on s’appuie uniquement sur notre déontologie et nos moyens actuels.

Si tout semble indiquer que nous nous trouvons dans une sorte d’impas- se face à la restauration de certaines installations et de l’art-action en général, il me paraît nécessaire de dépasser les limites propres à notre démarche pragmatique afin de mieux appréhender ces créations dans leur forme, et d’envisager alors la préservation de leur fond. Ce qui sem- ble impliquer une autre approche de l’objet d’art et de l’œuvre en soi. C’est pourquoi, en ce point de mon analyse il me semble pertinent de faire intervenir la notion d’aura qui émane de toute œuvre quelle qu’elle soit.

62 Jorge GLUSBERG, en introduction des Journées interdisciplinaires sur l’art corporel et performances (15-18 février 1979), 1979

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C1/2. DE L’AURA DE L’ŒUVRE À CELLE DE L’ARTISTE

Ayant mis en évidence que les installations et les œuvres d’art-action ne se réduisaient pas à leur seule matérialité, il me paraît difficile de n’ima- giner que la restauration du support, c’est-à-dire de la matière « expo- sable » qui, pour certaines créations, n’est que le véhicule d’un discours, d’une intention, d’une intuition, et en aucun cas l’essence de l’œuvre. Or, la conception matérielle de l’œuvre, directement héritée de notre tra- dition patrimoniale, nous conduit à la considérer, dans sa matérialité, comme pur produit (esthétique) de la création. C’est en cela que l’art- action et certaines installations questionnent notre conception de l’œuv- re : en effet, ces productions nient ou négligent l’aspect matériel et, quelquefois, esthétique de l’objet pour n’en faire qu’un relais entre l’ar- tiste et le spectateur, l’expression d’un message et une tentative d’appro- che de l’idéal.

Pourtant, ces productions appartiennent bien au monde des Bien que son travail apparaisse comme très plastique et arts plastiques et sont reconnues comme telles. Mais que maîtrisé, lors d'un montage, Artur BARRIÒ m'interpella dépité sur ce qu'il venait de faire : « C'est trop esthétique, qualifie-t-on alors d’œuvre si nos critères de jugement ne hein ? Je deviens esthétique… » reposent plus sur la matière, ni sur une approche esthé- tique ? Et, d’une manière générale, où se situe l’œuvre dans des arte- facts désignés comme objets d’art ? En effet, que désignent véritable- ment les termes peinture, sculpture, installation, photographie,…, rela- tifs à une typologie des productions artistiques humaines ? Peut-on baser notre compréhension de l’œuvre sur leurs seules caractéristiques techniques ? Certaines installations de type performatives et les productions d’art- action me semblent pouvoir véritablement interroger la notion d’œuvre en nous invitant justement à faire la part des choses entre l’acte, son support et ce qu’il en résulte. Ne faisons-nous pas trop souvent une confusion entre objet d’art et œuvre ?

Nous pouvons d’ailleurs rappeler à ce sujet l’épisode, dés- ormais célèbre, de Fountain ou de l’urinoir signé R. MUTT et réalisé par Marcel DUCHAMP : la pièce était volontaire- ment provocatrice, puisque présentée face à un comité ne voulant refuser aucun artiste dans le cadre d’une exposi- tion justement destinée aux « refusés » ; cette commis- sion négligera pourtant l’« œuvre », en se référant à une certaine idée de l’art qui n’avait pourtant fait l’objet d’au- cun consensus. DUCHAMP, qui faisait partie du comité organisateur, a alors démissionné et c’est ainsi que Fountain entra dans la légende. Mais où se situe véritablement l’œuvre ? Ne résiderait-elle pas davantage dans le geste de démission et dans la pro- vocation dont le déclencheur fut l’objet, que dans l’objet lui-même? Quoiqu’il en soit, l’objet a ensuite été au centre d’un débat ouvert dans la revue artistique The blind man, où il appa- raissait sur une photographie réalisée par Alfred STIEGLITZ 54- Marcel DUCHAMP, Fountain, 1917 qui défendait la liberté de l’art :

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« Le photographe donna ainsi une crédibilité à l’œuvre (…), il [Marcel DUCHAMP] n’aurait pu trouver de meilleure preuve que la reconnaissance de l’œuvre d’art était fondée sur une fic- tion.»63

L’objet urinoir existe bien, sa restauration est tout à fait possible mais, si l’œuvre réside essentiellement dans le geste iconoclaste qui l’a produit, peut-on pour autant la « restaurer » en ne restaurant que l’objet ? Si l’on veut bien admettre que l’urinoir n’est pas l’œuvre, il devient alors un témoin, un document qui fait mémoire d’un geste et d’une position, et c’est bien ce document et non l’œuvre qui sera soumis à restauration. «L’œuvre artistique se manifeste comme objet extérieur, avec une détermination immédiate et une individualité sensible que lui confèrent sa couleur, sa forme, sa sonorité, ou bien comme intuition particulière. De même, la contemplation esthétique ne cherche pas à aller au-delà de cette objectivité immédiate qui lui est offerte et à saisir le concept de cette objectivité comme le concept universel, comme le fait la science. »64

Si l’objet d’art existe et est désigné comme tel à travers l’exposition, les textes ou la convocation du public,… l’œuvre me semble résider, avant tout, dans l’émotion esthétique et/ou dans notre manière d’éprouver un acte ou une installation.

Cet aspect des choses est d’autant plus perceptible avec certaines installations et les productions d’art-action : du fait que celles-ci soient impermanentes, éphémères ou immatérielles, on ne peut véritablement prendre conscien- ce de leur valeur d’œuvre (ou pas) qu’en les éprouvant au moment même de leur réalisation puis à travers le souve- nir que nous en avons gardé. Quand Jean TINGUELY crée une sculpture cinétique qui s’autodétruit en public, c’est 55) dans la conception et l’autodestruction qu’il faut percevoir l’œuvre, et non pas dans la sculpture disparue, aussi plas- tique qu’elle puisse être. (Hommage à New York, 1960) « (…) les œuvres qui s’autodétruisent (…) nous interrogent sur le moment où l’œuvre n’en est plus une, du moins matérielle- ment. Ce cas de figure ramène au concept selon lequel la défi- nition intellectuelle de l’œuvre serait plus enrichissante que le produit fini. » 65

L’œuvre résiderait donc dans une immatérialité totale que l’objet d’art contribue à manifester : sa perception et le trouble qu’elle génère peuvent, sans doute, être associés 56) à l’aura de l’objet et à celle de l’artiste. 55, 56- Jean TINGUELY, L’aura peut d’ailleurs être définie comme une sorte d’éma- Hommage à New York, 17 mars 1960 nation ou d’atmosphère qui entoure d’une charge symbo-

63 Hans BELTING, op. cité, 2003, p.369 64 Georg Wilhelm Friedrich HEGEL, Esthétique, textes choisis, 1973, p.18 65 John ARMLEDER, “Les réflexions d’un artiste” in La restauration des objets d’art – rencontre du 17.10.1994, 1994, p.157

-74- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 lique, esthétique, … un être ou une chose, née du caractère d’unicité de l’objet, de sa rareté, de son hic et hunc ; la performance étant, par défi- nition, un acte unique rarement répété, et l’installation, le fait d’une accumulation ponctuelle d’éléments dans un lieu donné, ces productions artistiques nourrissent une dimension auratique de par leur caractère événementiel, donc unique. « Qu’est-ce à vrai dire que l’aura ? Une singulière trame d’espace et de temps : l’unique apparition d’un lointain, si pro- che soit-il. Suivre du regard, un après-midi d’été, la ligne d’une chaîne de montagne à l’horizon ou une branche qui jette son ombre sur lui, c’est, pour l’homme qui repose, respirer l’aura de ces montagnes ou de cette branche. »66

L’aura, telle qu’elle est définie par Walter BENJAMIN, repose évidemment sur le principe d’unicité de l’objet, mais, selon lui, elle est avant tout issue d’une tradition cultuelle qui a introduit un rapport particulier entre l’hom- me et son environnement. L’aura d’une chose serait ainsi perçue à tra- vers une relation mystérieuse, lointaine, quasi inconsciente, instinctive ou intuitive que j’imagine teintée d’admiration, de crainte, de respect, de plénitude, de malaise, d’attirance …, celle-ci conférant à l’objet, du fait de sa seule présence, une certaine autorité. L’aura conduit à appréhen- der l’objet avec une sorte de déférence mystique qui lui garantit la consi- dération. « [Si] les plus anciennes œuvres d’art naquirent au service d’un rituel, magique d’abord, puis religieux (…) cette liaison fon- damentale est encore reconnaissable, comme un rituel séculari- sé, à travers le culte voué à la beauté (…) De plus en plus, à l’u- nicité des phénomènes régnants dans l’image cultuelle, le spec- tateur tend à substituer l’unicité empirique de l’artiste ou de son activité empirique. » Si l’aura de l’objet est désormais étroitement associée à l’artis- te, la dimension cultuelle n’a pas disparu : au contraire, la modernité va assister à l’éclosion d’une « théologie de l’art » qui se déclinera sous la formule de « l’art pour l’art ». »67

L’œuvre résiderait ainsi dans la perception de l’aura de l’objet et de celle de l’artiste, au-delà de la matière ; perception qui résulterait néanmoins de la conjoncture des éléments matériels. En d’autres termes, les créations visuelles existent en tant qu’œuvres dès lors qu’elles véhiculent l’aura de l’objet d’art (émanant de son unicité, de son esthétique, de sa symbolique, de son contexte historique,…) et de celle de l’artiste. Et ce n’est pas un vain mot de rappeler cette conception de l’œuvre d’autant que Walter BENJAMIN déplore une déperdition de l’aura de l’ob- jet d’art, depuis la fin du 19ème siècle ; déperdition qui résulterait de la confusion entre l’œuvre et son processus de création et conduirait à ne plus percevoir l’œuvre qu’à travers la personne de l’artiste et de son aura.

66 Walter BENJAMIN, “L’art à l’époque de sa reproductibilité technique”, in Poésie et révolution, traduction de Maurice de GANDILLAC, 1971, p.179-180 67 Jean-Philippe UZEL citant Walter BENJAMIN in “L’impermanence de l’œuvre”, réf. www.religilogiques.com, 2001, p.178

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Cependant, si j’évoque ici l’aura concernant la personne de l’artiste, je ne veux nullement parler de la starification de son image, comme le dénon- cent les deux citations suivantes. « (…) L’expert et le notaire ne se conçoivent l’un et l’autre que dans un système bien spécifique de circulation des objets d’art, qui lie la valeur (marchande et symbolique) à l’artiste plus qu’à l’œuvre elle-même et fait du rattachement indiscutable de l’œu- vre à un auteur notoirement considéré une condition de sa vertu, de son impact et de son prix. »68

« Le rapport entre l’artiste et le spectateur ne devrait plus être un rapport de force entre l’être élu et le commun des mortels mais un rapport d’égal à égal, pour cela, l’artiste en tant que guide, prophète, être exceptionnel, doit disparaître. »69

Je souhaiterais, en fait, comparer la figure de l’artiste à celle du « tech- nicien » qu’il a longtemps été : en effet, il ne faut pas oublier que l’ar- tiste fut, avant tout, un maître et que ce qu’il créait, existait bel et bien en tant qu’objet et œuvre d’art à la fois: quand bien même son geste, son discours, son coup de burin ou de pinceau pouvaient être concep- tualisés, ils étaient avant tout justifiés par des exigences et une recher- che esthétiques. Ce qui signifie que l’objet pouvait exister en tant qu’œu- vre, du seul fait de sa grâce. Dès lors, restaurer un tableau ou une sculp- ture contribuait à rétablir l’aspect matériel et esthétique altéré de l’objet, et, par là même, l’aura dont elle émane. Ceci marque une différence fondamentale avec les productions artis- tiques qui émergent à la fin des années ’50 et pour lesquelles les notions d’aura et d’authenticité doivent être revisitées, tant les enjeux sont dés- ormais différents.

La perte d’aura de l’objet que souligne Walter BENJAMIN a, certes, été amorcée par la reproductibilité des productions artistiques, annulant, dès lors, leur caractère d’unicité et d’authenticité, mais a aussi été renforcée par la « désesthétisation » des objets d’art, parallèlement à leur concep- tualisation : le discours et la désignation accompagnent désormais presque toutes les productions artistiques qui ne se suffisent plus tou- jours à elles-mêmes et, ceci, afin d’asseoir le caractère autoritaire et auratique de l’œuvre. Avec l’introduction des ready-mades sur le marché de l’art, Marcel DUCHAMP a mis en avant la pertinence d’une création qui réside davantage, selon lui, dans l’intention de l’artiste que dans l’objet; il revisitait ainsi la vision traditionnelle de l’œuvre qui ne pourrait, doré- navant, plus être confondue avec l’objet et qui repose désormais sur la seule proposition mentale du créateur. La banalité et la multiplicité des objets présentés (il existe une multitude d’éditions signées de Fountain aujourd’hui) participent, alors, du désenchantement de l’objet d’art et de son aura, au bénéfice d’un art intellectualisé et comportemental.

68 Didier SEMIN, Le peintre et son modèle déposé, 2001, p.10 69 Daniel BUREN cité par Jean-Marc POINSOT, op. cité, 1999, p.152 et suivantes

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Cette intellectualisation de la création a conduit à sa dématérialisation, au profit d’une incarnation de l’œuvre en la personne de son auteur, manifestée par son attitude, ses choix, son engagement, son intuition, son improvisation ou, plus simplement, son geste. Un transfert s’est ainsi opéré de l’objet d’art vers le processus de créa- tion, puis vers la seule figure de l’auteur - ce qui a engendré un affadis- sement de l’aura de l’objet au bénéfice de celle du créateur. Si l’authen- ticité, liée à l’aura de l’objet matériel, s’en est également trouvée affai- blie, il n’en reste pas moins que l’on peut dire d’une œuvre éphémère ou impermanente qu’elle est authentique de par l’unicité de l’évènement et de par son aspect inaugural. Ce caractère authentique, révélé par le cha- risme de l’artiste, la puissance de son geste, le sens qu’il lui insuffle, et par le rapport privilégié instauré avec le spectateur, contribue, dans notre système de croyance, à conférer une dimension « auratique » à ce type d’œuvres.

C’est pourquoi, la nature même d’une performance semble, à première vue, faire obstacle à toute forme de restauration : d’une part, parce que l’action se veut unique et, d’autre part, parce que son aura s’en trouve- rait dégradée. Subséquemment, peut-on véritablement envisager la « restauration » ou la reconstitution d’une intervention de Joseph BEUYS ou d’une « pein- ture » murale d’Artur BARRIÒ sans tomber, soit dans la parodie, soit dans l’absurdité de la reproduction d’un geste, dès lors réduit à ses qualités techniques ? La seule ré-exposition semble d’ailleurs relever des mêmes questionnements : « Ré-exposer la zone de sensibilité immatérielle sans la présen- ce et la consécration de KLEIN lui-même serait, nous dit Denys RIOUT, “un plagiat, une facticité privée de toute aura, et relè- verait de la parodie”. Or, exposer, c’est se mettre en situation d’avoir à ré-exposer, et donc de déléguer de la présence à ce qui ne peut en avoir par soi-même. Rejouer la scène de la pré- sence.»70 En résumé, si l’œuvre a perdu en consistance matérielle pour être confondue avec la personne de l’artiste et qu’il y ait, alors, moins à consi- dérer l’aura de l’œuvre que celle de l’artiste, il faut s’interroger sur la per- tinence de la restauration de ces productions artistiques : car, si celle-ci devait nécessairement passer par la reproduction du geste de leur auteur, elle réduirait celui-ci à un procédé habile - risquant ainsi de déna- turer l’aura de ces œuvres, de la même manière que la reproduction technique a nui à celle des objets d’art. Autrement dit : comment est-il possible de parvenir à une restauration satisfaisante de l’œuvre si celle- ci suppose que l’on ait à restaurer quelque chose de l’aura de l’artiste ?

Si notre rôle consiste à transmettre et à pérenniser la quintessence de l’œuvre et de son sens à travers ses dimensions matérielles en tant qu’objet d’art, quel serait l’intérêt de la restauration d’une œuvre éphé- mère ou immatérielle ? C’est-à-dire d’une œuvre dont la dimension artis- tique ne serait liée qu’à la posture ou à l’aura de l’artiste.

70 Anne Cauquelin, opus cité, 2006, p.65-66

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Par conséquent, si nous ne restaurons ou ne pouvons restaurer que les traces de ces évènements, ne faisons-nous pas là acte de fétichisation ou de commémoration ?

C’est à ce stade qu’il faut peut-être s’interroger à nouveau sur la validité de notre exercice, car si celui-ci devait se révéler judicieux au-delà de la simple reproduction à l’identique d’un geste, c’est-à-dire à travers une réinterprétation, qui en légitimera l’exécution ? Et quelles seront alors les nouvelles limites de nos interventions ? L’œuvre d’art-action, comme certaines installations, connaîtrait alors trois états distincts : l’instant fugace de l’acte, sa pérennisation à travers le document et, enfin, sa reconstitution comme mémoire vivante.

C1/3. DE L’IMPORTANCE DU COMMENTAIRE ET DE LA MÉDIATION

Lorsque l’on se penche sur ce qui fait d’un artefact ou d’une posture banale une œuvre d’art aux yeux du public, il apparaît souvent qu’aujour- d’hui la désignation de l’objet accrédite son statut d’œuvre. Ainsi, l’expo- sition annoncée, le cartel, le titre, la critique, mais surtout la convocation d’un public à travers le carton d’invitation (information primordiale dans le cas des performances), confèrent au geste et à l’individu qui l’exécu- te une valeur singulière : il deviendra l’œuvre d’un artiste.

« En 1974, l’essayiste américain Tom WOLFE avait ironisé dans un livre intitulé Le Mot peint sur le fait qu’une bonne peinture moderne devait désormais être accompagnée d’une théorie esthétique convaincante, sans quoi elle ne valait rien. Un tableau expressionniste abstrait avait besoin pour être identifia- ble comme tel d’un texte théorique formaliste, de préférence signé GREENBERG, vantant sa planéité ou d’une analyse de la démarche gestuelle, de préférence signée ROSENBERG, vantant l’expressivité de l’action picturale. Faute de quoi, ce n’était qu’un gribouillis. On a vite compris que la charge de la validation n’in- combait pas seulement à des textes plus ou moins hermétiques de préfaciers plus ou moins célèbres, ou à des cartels du genre « sans titre, techniques mixtes ». Pour que les œuvres soient reconnues comme telles, il fallait, en fait, toute une mise en scène d’exposition et notamment celle du « cube immaculé » de la galerie d’avant-garde. Il faut qu’un ensemble d’indications visuelles, langagières et comportementales délimite et définisse la zone d’opération et d’expérience artistique. »71

71 Yves MICHAUD, L’art à l’état gazeux, 2003, p.36-37

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C’est ainsi que le discours, parfois critique, donne très souvent son sens à l’œuvre ; celui-ci apporte un éclairage particulier sur l’objet et l’artiste, leur attribuant la reconnaissance d’un milieu et des amateurs qui sont avant tout des lecteurs. C’est souvent grâce à la publication, à la diffu- sion et à la publicité que l’œuvre éclôt.

Encore faut-il, lorsque l’on ne parle plus d’un objet mais d’une œuvre, savoir qualifier précisément la production élue afin d’en conforter le sta- tut ; sa désignation permet ainsi de générer des comparaisons, de réfé- rencer l’œuvre par rapport à d’autres, de poser des jalons, voire de la catégoriser alors même que la classification reste périlleuse, si ce n’est incongrue selon les productions - il suffit d’ailleurs de se reporter à ma propre typologie. De cette façon, nous avons vu qu’il règne une confusion au sein même de l’art-action trop souvent appelé Performance, terme qui désigne déjà en soi un groupe précis, à l’intérieur de la grande famille de l’art-action. Dans un autre registre, dire d’Interminavel d’Artur BARRIÒ que c’est une installation peut sembler réducteur, tout autant que de classer hâtive- ment l’Hommage à New York de Jean TINGUELY dans la catégorie des sculptures alors que l’œuvre semble relever davantage de l’action. Ces difficultés de nominations révèlent aussi l’impact de la terminologie sur le statut ou la nature même d’une œuvre, or « ce problème d’identifi- cation de l’œuvre est la conséquence directe des effets de singularité propres à l’art contemporain, qui rendent souvent difficile, même à des experts la simple « prise » - fût-elle purement visuelle ou verbale - de l’objet. Il en va de même avec le travail de classification, qui consiste d’abord à faire entrer l’objet, men- talement, dans des catégories cognitives puis, une fois résolu ce problème de classement, à le faire entrer, physiquement dans des murs (le musée, la gale- rie), des tiroirs, des cimaises, des réserves. »72

Ces précisions me paraissent importantes car c’est par la dénomination que l’on parvient à reconnaître le lieu de l’œuvre et à mieux appréhen- der une pièce afin d’envisager correctement sa conservation et sa restau- ration, et, cela, au-delà de ses seules caractéristiques techniques. Elles nous aident à situer notre intervention de conservateur-restaurateur et à ne pas commettre d’impair.

Mais, si le texte contribue à désigner une œuvre, il permet également de « starifier » son créateur en contribuant à la fabrication d’une aura médiatique : l’artiste devient alors une icône, une image, une figure née des récits autorisés et produits par l’artiste lui-même ou par les médias qui véhiculent un nouveau modèle. Force est de constater qu’aujourd’hui on ne peut pas, semble-t-il, se passer d’une effigie, même imaginaire, au moment de la circulation d’une œuvre. Jim SHAW, s’est ainsi créé un personnage de substitution - lui-même artiste - qui revendique à sa place la paternité des œuvres. Ceci permet de rappeler que l’écriture existe avant tout chez les artistes à travers la signature ; si celle-ci est un gage (même falsifiable) d’authenticité, elle a surtout été pour certains l’assise d’un concept créa-

72 Nathalie HEINICH, opus cité, 1998, p.191

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tif en même temps qu’une critique du milieu marchand et de la fétichisa- tion de l’art : l’auteur, du moins son nom, est ainsi capable de conférer une valeur artistique à n’importe quel objet. « Dans le cas des ready-mades, DUCHAMP déclarait qu’un objet qu’il n’avait pas fabriqué lui-même mais avait trouvé déjà fait pouvait être une œuvre simplement parce qu’il y ajoutait sa signature. »73

Piero MANZONI, a également fait usage de la signature et de l’écriture comme d’un acte créatif : lorsqu’il signe de sa main le corps de femmes, il accorde à ces « supports » le statut d’objet d’art du seul fait de son autographe.

Un artiste comme BEN (qui, lui, aura signé la mer, le ciel ou l’horizon...), se sert aussi de l’écriture comme d’un outil, un signe, un « médium » immédiatement recon- naissable, authentifiant et l’œuvre et l’artiste - au même titre que s’il s’agissait de n’importe quelle composition pic- turale. Un autre exemple plus récent est celui de Philippe THO- MAS qui, pour sa part, détourne la signature et ce qu’elle suppose en tant qu’authentification de ses œuvres en apposant, au bas de ses créations, le nom de leur acqué- 57- Piero MANZONI signant le bras d’une femme, 1961 reur. Comme il le dira lui-même, « c’est le regardeur qui fait l’artiste ».

Le texte a toujours servi à désigner et à légitimer. Son hégémonie est si grande sur l’oralité, qu’il est considéré quasi universellement comme le garant de la vérité. C’est ainsi que des artistes, comme Jean TINGUELY ou Yves KLEIN, se sont servis de l’écrit comme d’un moyen de protection et d’authentification de leurs œuvres : les bre- vets que ce dernier déposa, notamment pour son bleu IKB, assurait l’originalité du procédé d’obtention de cette couleur et de sa texture, en même temps qu’il attribuait à cette invention technique une « aura » et une légitimité particulière. KLEIN s’est aussi servi de l’écriture pour manifester l’im- matériel. Il cède ses zones de sensibilité picturale immaté- rielle contre de la poudre d’or qui sera dispersée au vent. 58- BEN, couverture d’un cahier Quo Vadis Pour preuve écrite de la transaction, l’acquéreur obtient un reçu (rédigé par l’artiste) qu’il devra brûler pour posséder totalement la parcelle invisible ; lors de ces évènements, l’artiste convoque des témoins officiels qui attestent donc, par voie de presse, l’existence de l’action artistique - le texte et l’image procédant ainsi de la révélation de l’immatériel et de l’acte de l’artiste.

73 Hans BELTING, opus cité, 2003, p.369

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« La complicité des témoins, dûment prévus par le rituel, est capitale. Ils représentent le monde de l’art dans son ensemble, critiques, galeries, salons et musées. (…) leur présence caution- ne uniquement (…) [la] recevabilité [de l’action] comme tenta- tive artistique, une tentative que les critiques pourront juger à leur guise. »74

«“KLEIN vend du vent” titrait alors la presse, ce qui d’une cer- taine manière est encore trop dire puisque le vent a une exis- tence sensible que n’a pas le concept.»75

59- Yves KLEIN, Cession à Claude PASCAL de la zone de sensibilité picturale immaté- rielle n°6, série n°1, Paris, 4 février 1962

Nous retrouvons le même principe de manifestation de l’œuvre par l’écri- ture lors de l’exposition organisée par le collectionneur Seth SIEGELAUB en Janvier 1969, et dont voici la retranscription du carton d’invitation :

0 objets/0 painters/0 sculptures/4 artists/1 Robert BARRY/ 1 Douglas HUEBLER/1 Joseph KOSUTH/1 Lawrence WEINER/ 32 works/1 exhibition/2000 catalogs/ e 44 . 52st NEW YORK/5-31 January 1969/ (212) 288-5031 Seth SIEGELAUB

Le visiteur est prévenu qu’il ne verra pas d’oeuvre, pourtant il est convié à une exposition que légitime la convocation par écrit et dans laquelle il ne verra que des catalogues. Quand Lawrence WEINER ou Joseph KOSUTH proposent des œuvres sous la seule forme d’une phrase, ils font certes acte de dématérialisa- tion de l’art mais accordent une fois de plus aux mots une valeur trans- cendante qui devrait engager le spectateur à percevoir l’œuvre au-delà de la seule réception visuelle. Par ailleurs, le texte peut s’imposer comme un élément créatif et, quel- quefois, rester le seul témoignage d’une œuvre plastique éphémère. Artur BARRIÒ inscrit sur les murs qui accueillent Interminavel, le nom de la ville où il se trouve et, quotidiennement, l’heure à laquelle il commen- ce et termine de travailler ; par le signe encré, il souligne de manière forte le caractère d’unicité de sa pièce. Cependant, si l’écriture, prise en compte ici à travers l’indication de la date, devrait pouvoir authentifier l’œuvre à l’instar de toute production artistique, c’est oublier le fait que, dans le cas précis d’Artur BARRIÒ, la

74 Denys RIOUT, Yves Klein, manifester l’immatériel, 2004, p.109-110 75 Didier SEMIN, opus cité, 2001, p.35

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date disparaît avec les éléments éphémères, au moment du démontage de l’installation… il ne reste donc plus que les témoignages visuels (photos, vidéos, …) et les carnets qui renferment les notes de l’artiste pour justifier de l’installation disparue.

Ce développement et ces exemples m’amènent à insister sur l’importan- ce des textes et sur la légitimité qu’ils confèrent aux objets. Ceci me sem- ble primordial lorsqu’il s’agit d’œuvres performatives, puisque dans leurs cas précis, seul l’écrit peut avérer leur existence et leur authenticité.

« E. BENVENISTE : « un énoncé performatif n’a de réalité que s’il est authentifié comme un acte » les conditions requises pour valider les actes concernant au premier chef le sujet qui les énonce. Comme l’indique BENVENISTE, n’importe qui peut bien crier : « je décide la mobilisation générale. » sur la place publique, l’énoncé n’aura aucun effet car les « actes d’autorité sont d’abord et toujours des énonciations proférées par ceux à qui appartient le droit de les énoncer. Cette condition de validi- té relative à la personne énonçante et à la circonstance de l’é- nonciation, doit toujours être supposée remplie quand on traite du performatif. »76

D’autre part, les textes qui accompagnent ces productions sont souvent, pour le conservateur et le conservateur-restaurateur, les seuls moyens de re-présenter ces œuvres sans faire de contresens. Les indications de l’ar- tiste deviennent alors primordiales, que ce soit d’un point de vue tech- nique aussi bien que purement cognitif. C’est pourquoi est apparu récem- ment en France et au sein des FRAC, un dispositif de questionnaires dis- tribués aux artistes par les institutions acquéreuses de leurs œuvres afin de respecter au mieux la volonté artistique mais aussi les contraintes techniques des réalisations au moment de leur re-présentation. (dans le domaine de l’art-action, il n’en existe pas à ce jour, c’est pour- quoi nous tenterons de rédiger un questionnaire spécifique avec toute la rigueur qu’exige notre profession.)

Dans le cas des events qui se réfèrent, je le rappelle, à une partition, nous nous retrouvons face à un reste authentique de l’œuvre, en même temps que nous disposons d’un des seuls éléments tangibles pouvant permettre la re-présentation de l’action : nous possédons, en tout cas, l’information à l’origine de la première interprétation. Il est évident que, dans une démarche de restauration, ce document reste indispensable, même s’il n’est ni le témoin visuel du déroulement physique de cette action, ni le gage d’une « restauration » pertinente. Cependant, dans le cadre d’une réinterprétation, la partition est essen- tielle car elle légitime et authentifie en partie toute nouvelle version de l’œuvre. « La partition de CAGE n’est pas une transcription : elle est en quelque sorte toujours première. Non pas l’originale mais la matrice de tous les originaux qu’elle rend possibles, comme le brevet de KLEIN. »77

76 Béatrice FRAENKEL, La signature : genèse d’un signe, 1992, p.185 77 Didier SEMIN, “L’impossibilité d’être précis. John Cage, Yves Klein : artistes ou inventeurs ?”, in L’Inactuel, N° 7, 2001, p.113

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L’énoncé, le protocole, la partition sont autant des documents témoi- gnant d’un concept que l’unique référence de toutes les déclinaisons qu’ils autorisent.

Par ailleurs, si le support écrit peut permettre de « restaurer », en tout cas de réinterpréter, de re-présenter des œuvres éphémères, conformé- ment à une base, il est également le garant du respect de l’œuvre, dès lors que l’artiste s’oppose à certaines interventions : ainsi, on peut rele- ver ces propos au sujet d’une œuvre d’Artur BARRIÒ. « L’importance fondamentale du contexte et de la situation dans la définition de ses projets a mené l’artiste à écrire récem- ment sur un papier fixé au sol de la galerie, auprès d’un ballot exposé : « Ceci n’est pas une œuvre d’art, c’est à peine un prototype. » après avoir signé ce papier, il ajoute : « ce ballot ne pourra jamais être restauré ». »78

Cet énoncé de l’artiste s’oppose donc à toute fétichisation de l’objet par le musée ou la galerie qui ne devraient prendre en compte ici que son concept. Il remet également en cause, de façon générale, les interven- tions de restauration qui seront décidées par les instances acquéreuses. Néanmoins, s’il est bien clair que c’est le musée qui décide ou non de la restauration d’une œuvre et que le conservateur-restaurateur n’intervient quasiment jamais au moment de ce choix, ce texte n’engage-t-il pas aussi notre manière de restaurer et donc notre approche de ce type d’œuvres ? Car, par « ce ballot ne pourra jamais être restauré », l’artiste indique aussi bien son refus de la restauration que le non-sens d’une éventuelle restauration de cet élément - certes constitutif de l’œuvre mais qui n’est pas l’œuvre. L’artiste exprime, à travers ce texte, l’incon- gruité de telles pratiques, selon lui révélatrices de l’incompréhension des institutionnels face à l’objet exposé, en lieu et place de l’œuvre.

D’un point de vue purement pratique, le texte reste le seul relais tangi- ble, témoignant des différentes versions de l’œuvre et de nos interven- tions, entre toutes les personnes habilitées à transmettre et à re-présen- ter l’œuvre dans le temps. C’est ainsi que l’on confère au document écrit une grande responsabilité car sa perception et son interprétation seront le gage du respect de l’artiste et de l’œuvre, quelle que soit l’intervention envisagée.

Les textes qui sont susceptibles d’accompagner les œuvres, restent donc fondamentaux, que ce soit pour les appréhender autant que pour per- mettre leur suivi. Sans eux, il n’existe pas d’authentification de ce type d’œuvres, ni de moyen de légitimer les actes du conservateur et du conservateur-restaurateur ; nous verrons plus loin que l’écrit et, avec lui, la rédaction d’un contrat, deviennent les conditions premières de toute intervention de la part du conservateur-restaurateur concernant des œuvres impermanentes.

78 Cristina FREIRE, “Artur Barriò : enregistrements contre l’oubli ou la « précarité est précaire »”, in Les artistes contemporains et l’archive, inter- rogation sur le sens du temps et de la mémoire à l’ère de la numérisation, actes du colloque des 7, 8 décembre 2001, 2004, p.148

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ENVISAGER LA CONSERVATION ET LA RESTAURATION DES ŒUVRES 2 IMPERMANENTES ET PERFORMATIVES

A2/ CONSERVER ET RESTAURER: POURQUOI?

A2/ 1. LA MISSION DE L’INSTITUTION

Parce que j’ai abordé la question de l’achat des œuvres par les collec- tions, je voudrais développer ici la question de leur exposition et la mis- sion de l’institution envers le public. Aujourd’hui, la France expose et dif- fuse les artistes de l’art contemporain essentiellement via des fondations, des musées, des centres d’art et des FRAC. Que ces institutions gèrent une collection, acquièrent ou non des œuvres, toutes participent au rayonnement de la production actuelle sous la forme d’événements, d’ex- positions permanentes, de publications ou d’éditions. Si les centres d’art, tel que le Palais de Tokyo, ne procèdent pas à l’achat d’œuvres, ils garantissent la promotion d’artistes vivants. C’est donc aux musées et aux FRAC qu’incombe la charge de la conservation et de la transmission des créations aussi bien contemporaines que modernes. Voici comment le Centre Georges POMPIDOU se définit :

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«Le Musée national d'art moderne - Centre de création indus- trielle a pour mission : - d'inventorier, de conserver, de restaurer, d'enrichir, de présen- ter au public et de mettre en valeur les collections d'œuvres d'art dont le Centre Pompidou a la garde, dans les domaines des arts plastiques, des arts graphiques, de la photographie, du cinéma expérimental, de la vidéo, des nouveaux médias, de la création industrielle, du design et de l'architecture depuis le début du XXème siècle ; ces collections comprennent également les fonds documentaires et les archives qui les concernent ; - de présenter au public, en tous lieux, toute manifestation visant à diffuser et à approfondir la connaissance de l'art depuis le début du XXème siècle ; - de favoriser la création contemporaine sous toutes ses formes. L'acquisition est l'aboutissement d'un travail, parfois d'une rela- tion forte avec les artistes et leurs marchands qui deviennent solidaires des collections. Le travail muséographique des conservateurs sur un artiste (documentation, réflexion, valorisa- tion intellectuelle…) induit un engagement mutuel et contribue à la vie des collections. Les acquisitions historiques concernent essentiellement les œuvres de la première moitié du XXème siècle. Elles s'appuient souvent sur les relations tissées entre le Musée et les héritiers des artistes, le don et la dation étant les moyens d'acquisition les plus importants. Pour les acquisitions contemporaines, il convient de retenir aujourd'hui les œuvres et les artistes qui feront l'histoire de l'art de demain. Dans tous les cas il s'agit d'acquérir des œuvres majeures mais aussi tout ce qui permet de mettre en lumière le processus de composition d'un artiste ou d'un concepteur : études, croquis, dessins…

Certains domaines sont entrés plus récemment dans les collec- tions du Musée comme l'architecture, le design ou les nouveaux médias. Il s'agit dans ce cas de créer de nouveaux ensembles, d'inventer leur identité, leur spécificité tout en s'adaptant aux contraintes de technologies récentes (nouvelles logiques de pro- duction, fragilité des œuvres…). »1

Les FRAC, quant à eux, visent également à constituer une collection riche d’œuvres d’artistes actuels mais tentent, avant tout, d’en promouvoir la diffusion à travers des manifestations in-situ ou hors les murs. Le rôle de ces institutions est, en effet, de garantir une vision juste du patrimoine culturel contemporain au public d’aujourd’hui et de demain : il est donc primordial de s’intéresser à la manière dont on rend compte de ces créations à travers leurs monstrations régulières.

Si les installations et les œuvres d’art-action doivent pouvoir être éprou- vées par le visiteur, il semble que la transmission de bribes ne pourra jamais se substituer, ni aux paramètres complexes mis en place par l’ar- tiste, ni au créateur lui-même, quand bien même ceux-ci sont autant d’é- léments nécessaires à la perception de l’œuvre.

1 Références : www.cnac-gp.fr

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À la lumière de cette remarque, une question peut-être posée : pourquoi vouloir pérenniser des créations dont les restes ne peuvent retranscrire l’intensité de l’acte et dont l’exposition passe quelquefois pour un acte de fétichisation, alors qu’il suffirait d’accepter la nature éphémère de certai- nes œuvres et donc leur disparition, ou de constater l’impossibilité de réinstaller certaines créations impermanentes ?

C’est un fait : les institutions acquièrent des œuvres à l’avenir incertain et celles-ci posent souvent de véritables problèmes de réexposition; dès lors, l’institution se voit investie d’une mission vis-à-vis du public à qui elle doit la diffusion de ces œuvres, à l’instar des pièces pérennes régu- lièrement remontrées. Par ailleurs, la culture occidentale a tendance à refuser la disparition des objets et des êtres. L’œuvre étant une entité à part, pourvue d’une aura issue du geste autographe de l’artiste, il semble difficile d’envisager sa disparition pourtant inéluctable, voire définitive, en l’absence de réinstal- lation, quand bien même elle est éphémère. Enfin, on ne peut nier le fait que leurs auteurs participent au marché de l’art ; ce faisant, ils créent une certaine convoitise autour d’œuvres éphémères et impermanentes, donc rares, que seule la documentation peut permettre de révéler et de diffuser. En autorisant l’exposition de ces vestiges, une confusion risque de se créer dans l’esprit du public qui risque de faire l’amalgame entre l’œuvre et son témoignage. Aujourd’hui l’institution fonctionne sur deux modes de présentation de l’œuvre éphémère : d’une part, l’exposition d’une trace, d’un objet ou d’un reste qui peut prendre le statut de relique (du fait de sa conserva- tion et de sa restauration) et, d’autre part, la monstration d’un geste à travers sa reproduction, via les vidéos et les photographies quand celles- ci ne sont pas considérées comme des œuvres à part entière.

Parce que le musée ne peut envisager de réduire ses fonctions à celles d’un mécène ou d’un commanditaire évènementiel, il ne songe que très rarement à la re-présentation vivante des œuvres d’art-action, cependant il tente de perpétuer sa vocation de sauvegarde du patrimoine, quelle que soit la nature de celui-ci. Quant au conservateur-restaurateur, il est de son devoir de se donner les moyens de transmettre, avec probité, aux générations futures les œuv- res de nos contemporains et de nos ancêtres ; cela signifie qu’il est tenu de léguer l’œuvre et que cette diffusion transgénérationnelle doit se faire dans un souci de compréhension dans toute sa complexité.

Certaines institutions, pourtant, conscientes de leur responsabilité, envi- sagent la réinstallation et la reconstitution de ces créations afin de pal- lier aux présentations habituelles qui n’en présentent que des bribes. Cependant, cette tâche est le plus souvent confiée à des artistes qui pro- cèdent alors à l’interprétation ou à la ré-interprétation de l’œuvre d’au- trui, plutôt qu’à sa réédition « copie conforme ». La plupart du temps, c’est, d’ailleurs, l’auteur lui-même qui, de son vivant, réinstalle son œuvre en en proposant une nouvelle version, comme Artur BARRIÒ ou Daniel BUREN.

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« Au-delà de cette interaction avec le lieu, chaque œuvre de Buren se caractérise par certains types de rapports qui sont reproductibles et éventuellement déclinables. Ainsi la prestation du Guggenheim fut-elle reproduite par l’occupation similaire du puits de lumière du parking de la villa Borghese lors de l’expo- sition Contemporanea à en Décembre 1973 et déclinée avec la pyramide renversée dans la grande halle de la Villette à l’occasion de la Biennale de Paris en 1985. Il apparaît donc que le registre sur lequel se situe l’œuvre de Buren peut présenter dans ses « occurrences » différentes autant de réglages que des lieux investis sans pour autant qu’on ne puisse concevoir que la série ne se poursuive et ne donne lieu à d’autres occur- rences tout aussi pertinentes en d’autres lieux. »2

Pourquo,i à la limite, ne pas envisager de re-présenter, en les reprodui- sant, des œuvres disparues ? Il semble que la justification majeure reste l’impuissance ou la faiblesse de la documentation (que nous détaillerons plus loin), celle-là même qui ne peut pas offrir au public une expérience physique et sensible de l’œuvre aussi intense que sa version en trois dimensions. Face à cette frustration, d’aucuns trouveront légitime de nourrir l’espoir d’éprouver réellement ces créations disparues : en effet, si ces productions artistiques sont élaborées sur le principe d’une percep- tion directe, elles ne peuvent véritablement se suffire de la seule trans- mission des témoignages ponctuels de leur existence. Cependant, si l’on envisage de développer l’idée de la re-présentation des œuvres impermanentes et éphémères, il faut prendre conscience des risques et des responsabilités que cela implique. De fait, nous avons vu qu’en matière d’installation, plusieurs tentatives de re-présentations avaient déjà eu lieu. Mais certaines se sont révélées plutôt polémiques (c.f. Plight au Centre Georges Pompidou, p. 56-57).

Les œuvres de Joseph BEUYS, en général, paraissent poser de délicats problèmes aux conservateurs qui continuent à inscrire l’œuvre dans un cube blanc plutôt que dans un contexte global où l’objet doit pouvoir remplir un rôle « fonctionnel » et non pas seulement celui d’un support de contemplation. En mars 2006, lors d’un séjour en Allemagne et, plus précisément, à Darmstadt, j’ai pu prendre la mesure des dires de SAR- KIS qui fustige les expositions actuelles de BEUYS. Le Landesmuseum conserve le Block Beuys, pièce installée de son vivant par l’artiste, d’abord achetée par la galerie Anthony d’Offay en 1981, puis mise en dépôt au Musée qui l’achètera finalement en 1989. Pour cette œuvre, BEUYS a entièrement investi quatre salles du musée, dans lesquelles se déploie une série de vitrines, qu’il a lui-même réalisées et implantées, avec des éléments autographes que l’on aurait tort de considérer comme des sculptures. Le sol de chacune de ces pièces est recouvert de moquette et les murs sont calfeutrés d’une toile de couleur rouille; l’environnement de l’installation apparaît ainsi comme un espace en dehors du musée, dont on prend conscience dès que l’on pénètre dans le Block Beuys, quittant le parquet et les cimaises blanches des piè- ces adjacentes.

2 Jean-Marc POINSOT, Quand l’œuvre a lieu, l’art exposé et ses récits autorisés, 1999, p.86

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On déambule dans cet espace aménagé, on frôle les œuvres, on les touche, on les hume, on fait vérita- blement corps avec l’installation dont la force réside essentiellement dans le rapport calorique et énergé- tique qui existe entre les êtres vivants et les élé- ments conducteurs. Etant donné que le corps humain est lui-même conducteur et source de cha- leur, il doit pouvoir s’intégrer aux éléments exposés. Il n’y a ni barrières de protection, ni cartels d’infor- mations, tout juste le nom de l’artiste ; tout est mis en place pour ne pas conditionner le visiteur et ne 1) pas entraver ses émotions et ses sensations : l’œu- vre est à éprouver dans toute sa complexité. J’ai pu comparer cette expérience avec celle de l’ex- position Joseph BEUYS organisée en Mars 2005 à la Tate Modern de Londres. On y retrouvait les vitrines mais surtout une variation de Fond III présente à Darmstadt: des empilements réguliers d’épaisses feuilles de feutres gris surmontés d’une plaque de cuivre de même dimension. Une nouvelle fois le concept de conduction énergétique était mis en avant, à ceci près que le public ne pouvait participer à l’œuvre de la même manière qu’à Darmstadt; non 2) seulement, l’œuvre était présentée dans un espace immaculé et sonore (échos, bruits de pas sur le revêtement du sol), mais celle-ci était entourée d’une plinthe qui signifiait au visiteur de ne pas s’ap- procher de trop près : on assistait, donc, davantage à une exposition de sculptures de Joseph BEUYS, qu’à une immersion dans un environnement. D’autre part, les vitrines, volontairement présentées à Darmstadt dans une très grande proximité et du public et des pièces entre elles, avaient été répar- ties, à Londres, dans des salles trop grandes : était 3) ainsi offert au public une collection d’objets du quo- 1, 2, 3- Joseph BEUYS, Block Beuys, Darmstadt tidien, de matériaux sans âme et sans véritable lien entre eux. Selon le critique d’art Camiel Van WIN- KEL, il y a un non-sens à exposer les œuvres de Joseph BEUYS selon le seul point de vue de leur matérialité, alors même qu’elles font directe- ment appel à l’esprit de l’artiste.

SARKIS affirme qu’à la Tate Modern de Londres, il a fallu faire une expo- sition « comme il faut », ce faisant, l’œuvre s’est retrouvée morcelée en une dizaine de sculptures alors que l’espace du musée est resté intact, tel qu’il a été quasi universellement organisé pour recevoir peintures et sculptures : en d’autres termes, c’est l’œuvre qui a subi les contraintes du lieu. Ceci signifie que les choix du musée ont conduit à une vision détournée de l’œuvre ; plutôt que d’adapter le lieu à la création, l’œuvre a suivi les codes et les habitudes propres à la plupart des expositions actuelles. Dans cette présentation, les fragments de l’installation originelle ont été conservés, on en convient, mais peut-être aux dépens de l’œuvre.

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Lors de la ré-installation de ce type de création plastique, peut-on accep- ter une certaine forme de disparition de l’œuvre ou prendre alors la responsabilité d’intervenir de manière aussi performative que l’artiste, c’est-à-dire en investissant réellement les lieux d’exposition, en respec- tant le contexte initial, en acceptant la proximité du public avec l’œuv- re… ? Si cette vision semble aller au-delà des limites déontologiques du métier de conservateur et de conservateur-restaurateur, ne devrions- nous pas, néanmoins, entreprendre des interventions plus respectueu- ses vis-à-vis du public et de l’œuvre, en respectant notre mission de transmetteur ?

Si le musée s’engage sur la voie de la re-présentation de certaines œuv- res impermanentes par souci de transmission d’une œuvre, par nature tridimensionnelle et interactive, il apparaît comme une évidence que cette pratique ne peut, ni être systématisée, ni, pour être viable, ignorer certains paramètres - paramètres contextuels, notamment - dont la prise en compte ne réduirait pas l’œuvre à son seul aspect formel.

En comparant désormais les questions liées aux installations de Joseph BEUYS avec celles d’Artur BARRIÒ, il est possible de faire des parallèles et d’arriver à des observations convergentes. Si l’œuvre de l’artiste portugais est impermanente et performative, elle est néanmoins prêtée, comme nous l’avons vu, - au Palais de Tokyo, par exemple; pour l’instant, l’artiste intervient lui-même dans chaque nouvel- le exposition, mais qu’adviendra-t-il après la disparition de son auteur ? Acceptera-t-on de ne pas re-présenter son travail, ou décidera-t-on de ré-installer son œuvre à sa manière plutôt que de montrer sous vitrines des photos-témoignages ?

Si l’on envisage la re-présentation de certaines installations, qu’en est-il des productions de l’art-action ? Si le musée et les conservateurs-restau- rateurs répondent à leur devoir de transmission de l’œuvre, n’est-il pas plus juste de tenter une re-présentation de l’œuvre performative que de n’en montrer que les restes ?

En étudiant, au cas par cas, les œuvres performatives qui sont entrées ou qui entreront prochainement au musée, est-il complètement incongru d’oser envisager une réitération de ces œuvres afin de transmettre aux générations futures l’émotion suscitée par ces œuvres ? La question mérite selon moi d’être posée car elle souligne les devoirs du conservateur-restaurateur vis-à-vis du public, en même temps qu’elle interroge la pertinence des présentations actuelles de productions d’art- action qui n’ont pas vocation à être perçues qu’en deux dimensions. « Un grand nombre des artistes (…) ne reconstituent que très rarement leurs performances, principalement parce que l’essen- tiel de l’œuvre – créée par les artistes eux-mêmes a été conçue précisément pour la voix ou le corps de ces artistes. Il n’existe pas non plus de compagnie au sens théâtral du terme, dont la fonction serait de re-présenter l’œuvre, de sorte que la repré- sentation de ce type de travail sous la forme de textes et d’ima- ges devient un acte d’imagination. (...) même si l’on n’a assisté à aucune des œuvres évoquées ici, les images parlent, les

-90- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 décors, les photographies de plateau et des performances, les photogrammes de film, sont autant d’instantanés vivants d’une forme d’art qui résiste à toute documentation. »3

Dans la perspective de la re-présentation, quels seront le rôle et la responsabilité du conservateur-restaurateur ? On remarquera qu’il n’est plus ici question de restauration proprement dite ; non seulement parce que l’intervention à même l’œuvre est impossible - la matérialité de l’ob- jet ayant souvent disparu - mais aussi parce que la restauration doit satisfaire aux exigences d’authenticité et d’intégrité de l’œuvre, exigen- ces auxquelles la re-présentation ne peut véritablement répondre. Si cette dernière peut être authentique d’un point de vue conceptuel, elle ne sera souvent rien de plus qu’une façon de faire mémoire de l’œuvre ou d’en proposer une nouvelle version mais, en aucun cas, elle ne sau- rait être un substitut de celle-ci - sauf si l’artiste déclare pouvoir l’authen- tifier.

« Selon une multitude de cas de figures possibles, le problème auquel doit répondre l’invention du restaurateur consiste à savoir comment produire la visibilité d’une invisibilité. »4

A2/2. LES INSUFFISANCES DE LA DOCUMENTATION

« La présence de l’absence, qui est la présence d’une image, est la propriété la plus universelle de l’image… » Hans BELTING (in Le chef d’œuvre invisible)

Vidéos, photographies, interviews, partitions, coupures de journaux, textes critiques, témoignages en tout genre, carnets d’artistes, édi- tions,… occupent désormais une grande place dans toute monstration ayant pour thème l’art-action ou les œuvres éphémères. Il est vrai que l’adoption de ce système garantit la possibilité de faire une exposition sans œuvres puisqu’il est avéré que certains artistes considèrent ces éléments documentaires comme des œuvres à part entière ; cependant, et si recherchés soient-ils, ils ne constituent pas toujours l’essence de l’œuvre - même s’ils témoignent d’un instant souvent unique et qu’ils en permettent la diffusion.

3 Avant-propos de Laurie ANDERSON in Roselee GOLDBERG, Performances, l’art en action, 1999, p.6 4 Thierry LENAIN, “Pour une poïétique de l’acte restaurateur”, in Recherches Poïétiques, 1995, p.15

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C’est ainsi que Michel JOURNIAC réalisa Messe pour un corps à deux reprises - en 1969 à la galerie Templon puis en 1975 à la galerie Stadler où l’action a été filmée; cet acte de reproduction et de pérennisation était à la fois un moyen de diffuser l’œuvre et de la conceptualiser : à tra- vers la réitération qu’il a lui-même réalisée et le docu- ment d’archives, l’artiste affirme le principe de son œuvre et autorise, par sa reproduction, qu’on la mette en paral- lèle avec le rituel de célébration catholique. « (…) la vidéo était une chose extrêmement rare dans les années ’60 – et il [Michel JOURNIAC] a voulu s’en servir, je pense, tout simplement pour marquer cet épisode volontaire- 5 4) ment ritualisé et conceptualisé de sa propre démarche. »

Il est vrai que, dans ce cas particulier, le document nour- rit un rapport d’ambivalence avec l’œuvre, non seule- ment parce que c’est l’artiste qui a décidé de la présen- ce de la caméra lors de cette seconde version, mais aussi parce qu’il maîtrise la nature de ces images.

La fonction de ce type de document, lorsqu’il n’est pas considéré comme une œuvre, est, avant tout, de témoi- gner de faits artistiques et de fournir au public des repè- res dans l’histoire de la création, mais ces témoignages ne peuvent pas véritablement prétendre révéler aux visi- teurs l’essence d’une œuvre ou rendre compte de l’atti- tude d’un artiste. 5) Ceci participe d’ailleurs d’un non-dit avéré de la part des Michel JOURNIAC, Messe pour un corps, 1969 & 1975 institutions, étant donné qu’il est rarement précisé sur les cartels d’exposition la nature des documents propo- sés, alors qu’on ne peut nier le fait que les documents souffrent d’une impuissance, corollaire à leur incapacité de retranscrire une expérience vivante. L’art-action, comme l’installation, relève d’un corpus de créations qui invi- tent le visiteur à partager une expérience à partir d’une mise en espace d’éléments matériels ou en présence de l’artiste. La notion de hic et nunc prend ici toute son importance et, sans ce paramètre, il est impossible de prétendre avoir assisté à une œuvre performative ou éphémère. Aucun texte, aucune photographie, aucun enregistrement ne pourra donner la mesure d’une action publique - aussi passionnante, surprenante, ennuyeuse, déroutante, percutante, soit-elle. Durant le Festival d’Avignon 2005, j’ai pu assister à une représentation de The Biography Remix, mis en scène par Michel LAUB, sur la vie de Marina ABRAMOVIC, interprétée par l’artiste elle-même et accompagnée de quelques uns de ses étudiants. La série de performances (même rejouées ou réinterprétées en extraits) m’a profondément touchée; ceci étant, il m’a paru évident que seule ma mémoire pourrait encore véhicu-

5 Pierre RESTANY in Art action 1958-1998, rencontre internationale et colloque interactif, Québec du 20 au 25 octobre 1998, sous la direction de Richard MARTEL, 2001, p.131

-92- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 ler la force de mes émotions et serait plus évoca- trice, alors que les ouvrages relatant ce specta- cle/performance ne me proposent qu’un point de vue qui trahit mon souvenir, déforme mon regard. Ceci est d’autant plus évident que le document n’est jamais neutre : quel qu’il soit, il ne fait que refléter le regard de celui qui en est l’auteur ; si ce dernier est un membre du public, l’artiste lui- même, son assistant, un conservateur-restaura- teur ou un journaliste,… il aura inévitablement une 6- Marina ABRAMOVIC, The Biography Remix, 2005 vision personnelle de l’action de par son statut, un point de vue inévitablement subjectif et restrictif. La vidéo et, plus précisément, la photographie privilégieront, malgré elles, un cadrage à un autre et, même si elles tentent une capture d’en- semble, elles omettront sans doute des détails importants. Pourtant, cer- tains estiment, sans doute à raison, que le vidéaste, dont c’est la com- pétence, pourrait retranscrire de manière juste une action ; j’en conviens, mais je crains, néanmoins, qu’il ne livre là son point de vue avant tout. Comme il n’y aura pas deux images identiques, il n’y aura pas deux témoignages similaires, d’autant que les récits, et notamment les textes des historiens de l’art, introduisent des mots là où il y a de l’action ; ils ne sont pas dans la performance. Dans Six years : the dematerialisation of the art object from 1966 to 1972, Lucy LIPPARD relate, à travers sa propre histoire, ses expériences vécues de la performance en les décrivant et en les commentant et témoigne ainsi d’une vision personnelle de certaines actions.

Didier SEMIN fait, quant à lui, un parallèle avec la danse dont on conser- ve les partitions musicales et chorégraphiques : celles-ci constituent un cadre de mémorisation gestuelle précis sans pour autant pouvoir entiè- rement documenter le travail chorégraphique. Le langage peut devenir le traître de la vision. C’est pourquoi il paraît difficile de retranscrire le geste d’un artiste, soit parce que l’écrit seul ne peut se passer de l’image, soit parce que l’ima- ge ne peut véritablement se couper du discours qui permet de suivre le déroulement de l’action alors que la photographie la fige. Si la vidéo pro- pose une alternative à l’insuffisance de certains documents photogra- phiques ou littéraires, elle participe de la même manière au désenchan- tement de l’œuvre en autorisant le visionnage en boucle d’un instant fugace volontairement éphémère. « Un cas typique est celui de BEUYS. Une performance comme Eurasienstab par exemple est une mise en scène archaïsante et sacralisante qui exclut toute intervention de la technologie moderne sur scène mais toute la performance a été filmée de l’extérieur de la scène, d’un point de vue censé être celui d’un spectateur transcendant et transhistorique, qui aurait à tout moment la possibilité de faire revivre la performance. Tout a été fait, dans cette manière de filmer, pour que le hic et nunc de la projection s’efface devant la réincarnation de l’aura du Chaman. De toute évidence, BEUYS ignore, ou veut ignorer la leçon de

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BENJAMIN : dès qu’une œuvre est reproductible, c’est son aura qui est détruite, et quoi que souhaite BEUYS, nous n’avons plus sous les yeux qu’un rituel défunt. »6

En outre, comment peut-on envisager la transmission de l’œuvre via le document cadré et bidimensionnel quand celle-ci investit à l’origine un espace dont il faut prendre la mesure ou qu’elle fait appel à nos sens olfactif ou auditif ? Comment rendre compte justement d’Interminavel d’Artur BARRIÒ ? Cette installation plonge, non seulement, le public dans une obscurité environnante, mais aussi dans un large espace dont le sol est entière- ment saupoudré de café moulu : l’impression de ce revêtement mou sous nos pas et la forte odeur de café qui règne dans la pièce me sem- blent très difficilement documentables. Dès lors que l’on ambitionne de parler d’art-action, il pourrait sembler judicieux, cette fois-ci, de proposer une re-présentation de l’action, sans laquelle, isolés au milieu d’une pièce de musée, les éléments matériels qui ont pu en faire partie présentent un intérêt moindre.

C'est le parti pris par Christian BERNARD et le MAMCO, en Si nous avons déjà évoqué, plus haut, une évolution sou- 2005, qui exposa les décors de performances de Guy de haitable du métier de conservateur-restaurateur, en propo- COINTET et convoqua des acteurs pour re-présenter une des œuvres de l'artiste dans l'optique d'une reconstitution sant que celui-ci s’engage sur la voie de l’interprétation de "historique" momentanée. certaines œuvres, il semble que d’aucuns trouveront cette hypothèse inacceptable. Cependant, doit-on rappeler que la seule présentation de la documentation relative aux œuvres impermanentes relève déjà d’une mise en scène et donc d’une interpré- tation ?

S’il n’est pas question ici de remettre en cause l’existence de ces sources d’informations, uniques et indispensables en matière de conservation- restauration, il est, malgré tout, nécessaire d’avoir un regard clairvoyant sur leur nature et sur l’ensemble des paramètres dont ils ne peuvent ren- dre compte. « Pour les spectateurs de cette fin de siècle, la fragilité, la contingence, le caractère unique du phénomène théâtral, son contenu émotionnel sont presque devenus des attributs propres à son essence. Ses ultimes destinataires sont la rétine et la mémoire des spectateurs. C’est pour cette raison qu’il est si dif- ficile d’élaborer de façon effective un travail de documentation sur le théâtre, car les restes de cette flambée, qui a eu lieu devant tous nos sens en éveil, ne sont plus qu’une poignée de cendres. Nul n’a encore inventé la machine capable de reprodui- re ou de conserver les émotions. Il est donc nécessaire de reconnaître d’avance notre échec avant d’assumer la tâche - par ailleurs impérieuse et inéluctable - visant à conserver ou à transmettre aux générations futures et à nos contemporains qui n’ont pu accéder aux événements théâtraux, la mémoire de son processus de gestation, de son existence si brève et unique. (…) les restaurateurs découvrirent

6 Thierry de DUVE “ la performance hic et nunc” in Performance, text(e)s et documents, 1981, p26-27

-94- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 les nus originels de la Chapelle Sixtine malgré l’intervention des censeurs, et le Nosferatu de Murnau déambulera à nouveau dans son palais de cauchemar sous l’effet de la télécommande du magnétoscope…mais personne ne pourra reconstruire l’émo- tion radicale, troublante, unique de la classe morte*. »7

7- Tadeusz KANTOR, La classe morte, 1975

A2/3. UN PARALLÈLE POSSIBLE AVEC LA MUSIQUE, LE THÉÂTRE, ET LA DANSE

Si l’on a tendance à comparer l’art-action et les installations aux produc- tions issues du théâtre, de la danse ou de la musique, la comparaison devrait s’arrêter à des considérations techniques, tant les enjeux reven- diqués par les artistes de l’art-action, en particulier, tentent de marquer une différence. Ephémères par nature, car relevant des arts vivants, présentées en public dans des espaces variés qu’un décor et/ou quelquefois le seul mouvement de l’interprète occupe, les œuvres théâtrales, chorégra- phiques, musicales, possèdent des caractéristiques communes aux pro- ductions d’art-action et aux installations. Cependant, ces dernières, nous l’avons vu au cours de notre survol historique, refusent notamment la comparaison avec le théâtre dont elles ont voulu s’affranchir. Ayant une préférence affichée pour la spontanéité des gestes et des atti- tudes, voire la participation du public, les œuvres d’art-action, en parti- culier, ne peuvent, quant à elles, reprendre les codes du théâtre qui selon les artistes de l’art-action simule, plus qu’il ne vit et éprouve la présen- tation publique. Dans le domaine de l’art-action, on ne parle pas d’acteurs mais d’artistes - ceux-là mêmes qui sont censés exprimer et non plus jouer ou imiter. Mais, en dehors de ces considérations « techniques », il est des para- mètres indéniablement communs au théâtre et à l’art-action et, parmi eux, l’existence d’une trame plus ou moins définie qui peut quelquefois régir le déroulement de certaines actions. Dans le domaine de l’installation, les remarques sont semblables : il ne s’agit pas d’un décor imitatif, mais d’une mise en espace qui invite le public à le pénétrer à travers l’expérience d’un environnement sensible.

7 Georges BANU, Kantor, l'artiste à la fin du XXème siècle, Symposium international sous la direction de George BANU, les 29 et 30 juin 1989, 1990, p.157 * œuvre de Tadeusz KANTOR

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Il n’est pas question d’habiller un lieu mais de créer un espace dans l’espace afin de révéler le lieu d’ac- cueil ou d’en proposer une mise en abîme, à moins qu’il ne s’agisse d’engager le visiteur sur la voie de sa propre introspection au moyen d’une expérience physique et sensorielle. Malgré ces quelques différences que revendiquent les arts plastiques impermanents, il est néanmoins remarquable que ces œuvres, qu’il s’agisse d’instal- lations ou d’art-action, se soient déjà vues re-pré- sentées par leurs auteurs ou par autrui, alors même que la majorité d’entre eux s’opposent à la répéti- tion. Ainsi ce qui relevait de l’intuition, de l’improvi- 8- Gina PANE, The conditionning, 11 Janvier 1973, Galerie Stadler sation, s’est vu répéter ailleurs, touchant quelque- fois aux frontières du théâtre. Malgré tout, il ne peut être question de théâtralisation à leur endroit quand bien même la répétition pourrait y faire son- ger; il est préférable de parler de nouvelles inter- prétations, voire de réinterprétations. Marina ABRAMOVIC a ainsi, elle-même, re-présenté quelques-unes de ses performances et même réinterprété, très récemment, certaines œuvres de Joseph BEUYS ou de Gina PANE. Quant à Artur BARRIÒ, il revisite à chaque fois son installation Interminavel dans des lieux d’expositions différents. Et que dire des artistes qui participèrent à la mani- festation A little bit of history repeated * (Berlin, 9- Marina ABRAMOVIC performing Gina Pane's Conditioning, first action of 2001)? Self-Portraits (1973) at the Solomon R. Guggenheim Museum on November 12, 2005

Celle-ci proposait, à des artistes, de réinterpréter des performances illus- tres ; à l’instar d’une œuvre musicale ou théâtrale, ces dernières conser- vaient leur paternité mais se voyaient réactualisées, confrontées de nou- veau au public qui, jusque-là, ne les connaissait qu’à travers des docu- ments. Il en est de même d’une partition musicale, de la labanotation ou enco- re du script, qui confèrent à l’œuvre sa pérennisation, mais pas sa trans- mission à travers son expression publique ; ce sont autant de repères formels auxquels les chefs d’orchestre et les metteurs en scène moder- nes se confrontent ou se conforment pour nous en proposer une inter- prétation. A chaque re-présentation, le public est ainsi conscient qu’il n’assiste pas à une nouvelle œuvre mais à une nouvelle version d’une création du passé, proposée par tel ou tel interprète.

*Jens HOFFMAN, alors organisateur de la manifestation, affichait d’ailleurs clairement les objectifs de cet évènement du point de vue de la conser- vation des œuvres performatives : ce devait être là une platefrome d’étude et de recherches pour les professionnels du monde muséal ; malheu- reusement, et malgré mes sollicitations, je n’ai pas pu obtenir, de sa part, plus d’informations sur les conclusions établies à l’issue de cette mani- festation.

-96- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Et qu’en est-il du jazz ? Cette musique tire son originalité de la capacité des musiciens à improviser pendant leur set ; il est donc communément admis que les compositions du passé acceptent leur réinterprétation. Ainsi, tous les morceaux des plus grands jazzmans sont aujourd’hui rejoués, et, à l’instar des compositions originelles qui font la part belle aux improvisations, le musicien de jazz endosse véritablement sa respon- sabilité d’« interprète » et reprend le morceau en y intégrant sa propre part d’imagination interprétative. C’est de cette manière que l’œuvre est transmise de générations en générations. On salue donc à travers l’interprétation de tel musicien, la mémoire, mais surtout la musique de tel ou tel grand compositeur, et ce n’est que lui rendre hommage que de proposer une variation de sa partition. Il sem- ble indéniable que ce type de pratique témoigne avant tout d’un désir de transmission; même si l’on connaît nombre de critiques à l’encontre de certains metteurs en scène qui proposent des scénographies - notam- ment d’opéra - avant-gardistes, on ne peut nier le fait que leur intention est bien de faire découvrir ou redécouvrir une œuvre à un public.

Le documentaire de Marie-Hélène REBOIS, Histoire de transmission, So schnell à l’Opéra (1999), propose de revenir sur le parcours de la com- pagnie de Dominique BAGOUET que les danseurs ont pris en charge après sa disparition de celui-ci. Ces danseurs souhaitent, aujourd’hui, transmettre le travail du chorégra- phe à de nouvelles recrues qui n’ont pas connu le fondateur des Carnets Bagouet.

Et cette transmission s’effectue à travers la labanotation, Interrogée sur son rôle, Olivia GRANDVILLE répond avec un autant qu’à travers un effort de communication autour de autre danseur : «-Ah non, je ne me sens pas chorégraphe, pas du tout là; l’expérience de travail et de vie que les anciens danseurs c'est vraiment un travail d'interprète qu'on fait, c'est le vrai ont partagé avec Dominique BAGOUET et, parce que son sens du travail d'interprète… -c'est la courroie de transmission, c'est le prolongement œuvre est inséparable d’un contexte personnel de création, logique lié au décès du chorégraphe des suites d’une longue mal- -c'est mettre à nu ce qui reste normalement secret. C'est le adie ; instruits de tous ces paramètres, les jeunes danseurs travail de l'interprète dont on parle si peu souvent, c'est ça qu'on fait.» devraient pouvoir se mouvoir avec une grande justesse.

A travers ces exemples, on voit bien que des œuvres créées pour être vues en public sont re-présentées et surtout interprétées, sans pour autant devenir l’œuvre d’un autre. Si on a salué la version des variations Goldberg de Glenn GOULD, il n’en reste pas moins que Jean-Sébastien BACH en est l’auteur incontesté, que l’on admire à travers l’un de ses interprètes. La transmission et, avec elle, l’interprétation deviennent 10- Dominique BAGOUET, donc le moyen de « conservation » de ces œuvres éphé- So schnell, 1990 mères. Qu’en sera-t-il alors des installations et des performances ? Acceptera-t-on qu’en matière d’arts plastiques et d’œuvres éphémères, on puisse engager un spécialiste distinct de l’auteur pour re-présenter une installation ou une œuvre d’art-action, si celle-ci le permet ?

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D’aucuns évoquent déjà cette éventualité en matière de réinstallations : « Attentif aux transformations que le contexte fait subir aux œuvres même lorsqu’elles demeurent apparemment identiques, il [Christian BOLTANSKI] préconise une conception ouverte, évo- lutive, de la conservation, autorisant une part d’interprétation : (…)Il y a une espèce de règle du jeu que j’essaie de donner : la chose est évolutive, peut se transformer, c’est une notation musicale » (et SARKIS renchérit : « cela pourrait être un métier à part entière, il faudrait des interprètes d’installa- tions.(…))»8

Dans le cadre du colloque sur la conservation et la restauration des d’œu- vres d’art contemporain organisé par l’I.N.P. en 1992, Christian BOLTANSKI déclare : « J’ai l’impression qu’il y a une partie de l’art contemporain qui est à interpréter, qui est plus ou moins notée, comme des par- titions sont plus ou moins précises, et il y a des partitions extrê- mement précises et d’autres qui sont à interpréter. Et le cas de BEUYS est constant. Quand on représente une œuvre de BEUYS dans un lieu qu’il n’a pas connu, qu’est-ce qu’il aurait fait ? Il faut avoir le courage, que doivent aussi avoir les conservateurs, de dire : « je pense que c’est comme ça, je n’en suis pas sûr, mais je l’interprète comme ça.» »9

Au cours d’une interview réalisée auprès de SARKIS en Mars 2005, nous avons longuement abordé ces questions de réinterprétation. L’artiste prône l’émergence d’un nouveau métier à même de satisfaire la pérenni- té d’une création et ce, au travers de versions autrement plus intéressan- tes qu’une présentation de l’œuvre dans un état définitivement figé et historicisé. Lui-même intervient sur ses œuvres, non pas sous la forme d’un repentir, mais avec la volonté de faire muer son œuvre, de la faire évoluer au cours de ses différentes expositions. Chaque nouveau contex- te d’exposition devient alors un prétexte à la transformation formelle de l’objet, et, selon les artistes, à une adaptation du discours. Dans le compte-rendu du colloque précédemment cité, SARKIS témoigne déjà de cette prise de position : il prend en exemple une de ses œuvres Révélateur (1969-1991), constituée d’un bac métallique ; celui-ci doit pouvoir subir les effets du temps, en même temps qu’à chacune de ses expositions, un élément peint sur une de ses parois, doit pouvoir être repeint par-dessus sa version antérieure.

Même si, en l’occurrence, il est question de ré-installations d’œuvres pérennes jusqu’ici prises en charge par les conservateurs, il semble que l’idée pourrait faire son che- 11- SARKIS, Révélateur,(1969-1991) min et que l’on visite bientôt des manifestations où l’on

8 Nathalie HEINICH, Le triple jeu de l’art contemporain, 1998, p.116 9 Christian BOLTANSKI, in actes du colloque Conservation et restauration des œuvres d’art contemporain, colloque des 10, 11, 12 décembre 1992, 1994, p. 41-42

-98- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 verra « œuvre interprétée par un tel ou un tel », à l’instar de A little bit of history repeated. Dans la mesure où ces créations autoriseraient leur réexposition, il n’est pas inconcevable de proposer leur réitération sans pour autant trahir leur essence. Inévitablement, leur forme sera légère- ment différente mais, si la plupart de ces œuvres reposent davantage sur une stratégie que sur une esthétique formelle, il semble pertinent d’en- trevoir la possibilité de leur interprétation : dès lors, on considérerait la première présentation de l’œuvre impermanente comme originelle et non pas comme originale. En effet, une œuvre qui autorise sa transmission à travers l’interprétation devrait être davantage considérée comme une base de référence plutôt qu’une sorte de modèle à reproduire. Ainsi, pourquoi accepter la re-présentation dans le domaine du théâtre, de la musique ou de la danse, et la refuser dans celui des arts plastiques et des arts visuels en général où l’on peut identifier quantité d’œuvres dont la transmission pourrait être assurée par le biais de leur re-présen- tation ? La signature, le caractère autographe restant, pour l’institution et dans l’esprit du public, les gages de l’authenticité d’une œuvre, il est, pour l’instant, difficile de s’orienter sur une telle voie : les institutions conçoi- vent encore mal le fait de pouvoir créer un poste d’« interprète », dési- gné en tant que tel et habilité à une telle tâche, indépendamment de la volonté des artistes ; autrement dit, il faudrait que SARKIS ou que BOLTANSKI, puissent engager à leurs côtés une personne qui remplirait le rôle d’interprète afin d’en légitimer la fonction : sans cet aval de l’ar- tiste, il est encore improbable que les musées recrutent des interprètes dont finalement la fonction est aujourd’hui plus ou moins assurée par le conservateur. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ledit conservateur endosse en quelque sorte officiellement la responsabilité d’un corps de métier que certains souhaitent voir émerger, mais dont pourtant la seule évocation semble encore heurter quelques esprits… La qualité d’interprè- te reste donc encore à développer, car, jusqu’à ce jour, elle génère la polémique.

Peut-on, cependant, sous couvert de leur ressemblance formelle avec le théâtre et la musique, proposer l’idée d’une transmission des œuvres impermanentes à travers leur re-présentation ? Dans l’affirmative, qui en assurera la responsabilité ? Pourra-t-on confier cette tâche à un conservateur-restaurateur ? Il semble que cette éven- tualité annonce les prémices d’une évolution inévitable, en tout cas sou- haitable, de notre profession, et que la présence grandissante d’œuvres impermanentes au musée pourrait de plus en plus requérir.

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B2/ VERS UNE ÉVOLUTION DU PRINCIPE DE LA CONSERVATION-RESTAURATION?

B2/1. REVISITER LES THÉORIES EXISTANTES

La prise en compte, par la conservation-restauration, des œuvres perfor- matives relève, nous l’avons vu, d’un nouveau champ d’investigation dans ce domaine et ce, parce qu’il engage une réflexion sur leur possi- ble re-présentation, voire leur réinterprétation en guise de restauration. L’art conceptuel et les œuvres périssables ont déjà poussé les conserva- teurs et les conservateurs-restaurateurs à adopter des interventions ori- ginales par rapport aux théories jusqu’ici admises. Nous reviendrons ici sur le texte de Cesare BRANDI Théorie de la restauration qui fut rédigé en grande partie entre 1939 et 1954, avant d’être publié pour la premiè- re fois dans les années ’60, et qui reste, encore aujourd’hui pour beau- coup, une référence en matière de restauration… d’art ancien. Parce que les œuvres performatives sont entrées au musée, elles génè- rent l’attention des conservateurs et des conservateurs-restaurateurs, mais, parce qu’elles sont loin de reposer sur des caractéristiques immé- diatement assimilables aux œuvres dites classiques, elles méritent que l’on s’interroge précisément sur leur cas, plutôt qu’on ne leur applique des méthodes et des raisonnements inappropriés.

Il n’est pas question ici de remettre en cause la Théorie de la restaura- tion mais, plutôt, de commenter quelques extraits de ce texte et quelques commentaires de Georges BRUNEL, afin de mesurer l’étendue de l’évolution de la production artistique et l’inadaptation de cette théo- rie aux œuvres contemporaines - plus précisément, lorsqu’il s’agit d’en- visager la restauration des productions performatives. Tout cela pour distinguer ce qui invite à une évolution nécessaire et ce qui reste immuable à la déontologie du conservateur-restaurateur - quel que soit le type de créations.

Sur le passage du temps

«(…)ouverte sur un présent éternel sans pourtant échapper à la prise du temps, l’œuvre est un objet d’une nature paradoxa- le. »10

D’un point de vue purement physique, les œuvres impermanentes connaissent un présent instantané qui ne permet pas une appréciation diffuse dans le temps : seule la documentation témoigne de l’existence de l’œuvre impermanente à un instant T, en la figeant à jamais ; c’est

10 Georges BRUNEL, “Cesare Brandi: la matière et l’image”, en introduction de Théorie de la restauration, 2000, p.9-10

-100- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 cette documentation qui va directement et physiquement subir les effets du temps ; de plus, si elle témoigne d’un évènement contextualisé, elle sera le support de la re-perception de l’œuvre et, par conséquent, de sa recontextualisation par le public contemporain; ainsi, l’œuvre imperma- nente, par le biais de sa documentation, peut s’altérer, en tout cas, se modifier au cours du temps quant à son signifié.

« La restauration, pour représenter une opération légitime, ne devra pas présumer que le temps est réversible et l’histoire abo- lie. »11

En matière d’installations impermanentes, la question de la restauration ne peut pas consister en la préservation d’un état qui « ressurgirait » dans la conscience du spectateur après un certain laps de temps, puisque l’œuvre a disparu, ni même en sa pérennisation à partir d’un instant donné (contraire à son concept), mais plutôt en une re-présenta- tion tout aussi impermanente. Quant à l’art-action, celui-ci lie le moment de sa création avec celui de sa disparition, il est donc impossible de per- cevoir le moindre changement d’état physique lié au passage du temps, ainsi que le laps de temps qui sépare les instances de création et de per- ception puisqu’elles sont inévitablement confondues. Cependant, si le retour à un état originel est utopique en matière d’œu- vres anciennes et témoigne d’une erreur de jugement, il l’est tout autant pour ce qui est de la production contemporaine et des œuvres impermanentes ou performatives dont la création est souvent contextua- lisée et aussi parce qu’elles peuvent être fortement liées à leur auteur : si l’on évoque leur éventuelle restauration, il est d’ores et déjà exclu de revenir à un état primitif. Dans le domaine de la peinture ou de la sculpture, on peut dire de la pati- ne* de certaines œuvres qu’elle modifie la perception par rapport à leur état originel ; par analogie, on pourrait la comparer au changement d’at- tention, de sensibilité, de sens d’une œuvre immatérielle que l’on redé- couvre à travers sa documentation ou que l’on revisiterait à travers sa re- présentation, et dont la perception aurait subi le passage irréversible du temps.

Sur la matière

« Sans une conscience qui la vise, l’œuvre n’est qu’un morceau de matière, dans lequel, selon l’expression de BRANDI, elle ne fait que subsister mais n’existe pas (…) la matière façonnée par le travail n’est pas l’image, mais le support qui permet à celle-ci de se former dans une conscience. De cette analyse découle le corollaire suivant : on ne restaure que la matière. C’est elle, explique BRANDI, qui est le lieu et le temps de la restaura- tion.»12

11 Cesare BRANDI, Théorie de la restauration, 2000, p.50 *Patine : résidu matériel issu de la transformation de la matière par le temps et qui recouvre la surface d’une œuvre 12 Georges BRUNEL, opus cité, p.11

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Seule la conscience assure à la matière une qualité d’image et donc d’œuvre ; la matière doit garantir la reconnaissance de l’œuvre, c’est pourquoi BRANDI n’encourage que la restauration de la matière ; plus loin dans son texte, l’auteur évoque la matière immatérielle de la littéra- ture et de la musique : cependant, il ne s’engage pas sur la voie de la restauration de ces œuvres impalpables, il ne traite que de leur re-per- ception et inévitable re-contextualisation dans le présent des recevants ; or plusieurs questions se posent : si les arts visuels intègrent l’art-action et les œuvres impermanentes, dans quelle mesure peut-on envisager la pratique de la conservation-restauration, face à de telles créations impermanentes qui refusent toute conservation et face à des performan- ces dont la matière même réside dans le corps et le geste de l’artiste ? Peut-on imaginer la restauration d’un geste ? Autrement dit, peut-on aller au-delà de la matière et considérer la re-présentation comme une intervention curative, lorsque l’on est un conservateur-restaurateur patenté ? Se pose ici le délicat problème de la définition ou du lieu de l’œuvre et de ce que doit conserver ou restaurer l’institution. En situant ce lieu de l’œuvre au niveau de la seule matérialité de l’arte- fact, BRANDI rend inapplicable ses théories aux œuvres impermanentes et performatives qui doivent être davantage considérées à travers leur concept qu’à travers leur matière.

Sur la restauration

« La restauration constitue le moment méthodologique de la reconnaissance de l’œuvre d’art, dans sa consistance physique et sa double polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission aux générations futures. (…) Si l’état de l’œuvre d’art se révèle tel qu’il exige le sacrifice d’une partie de sa consistance matérielle, le sacrifice, ou en tout cas l’intervention, devra se faire selon les exigences de l’instance esthétique. Cette instance sera de toute façon la première, car la singularité de l’œuvre d’art par rapport aux autres produits de l’homme ne dépend pas de sa consistance matérielle, ni même de sa double historicité, mais de sa valeur artistique ; une fois celle-ci perdue, il ne reste plus qu’une épave. (…) La période intermédiaire entre le temps où l’œuvre fut créée et ce présent historique qui avance continuellement sera cons- tituée par autant de présents historiques qui sont devenus pas- sés ; (…) Or l’instance historique ne se réfère pas seulement à la première historicité mais aussi à la seconde [le moment de la perception] La restauration constitue le moment méthodolo- gique de la reconnaissance de l’œuvre d’art, dans sa consistan- ce physique et sa double polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission aux générations futures.»13

Cet extrait est, sans doute, celui qui pose les bases de toute la démar-

13 Cesare BRANDI, opus cité, p.30 et 32

-102- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 che réflexive de Cesare BRANDI autour des questions de conservation et de restauration des œuvres d’art plastiques. C’est donc cette citation qu’il nous importe surtout de discuter par rapport aux créations très contemporaines qui ont totalement revisité, voire rejeté la conception classique du temps et de l’esthétique. Nous l’avons abordé dans nos défi- nitions des termes d’éphémère et d’immatériel, mais également dans notre survol historique des œuvres de type installations et performances. Ces créations ont remis en cause et bouleversé le panorama de la pro- duction plastique traditionnelle par la transgression de certaines habitu- des. L’œuvre s’est dématérialisée et désesthétisée, pour ne plus résider que dans le concept (concept qui existe quelles que soient les œuvres, dès lors qu’elles sont conçues) en même temps qu’elle a opéré une trans- lation vers le corps et l’histoire de l’artiste pour ne plus se révéler qu’à travers l’acte (ou l’action) limité dans le temps, éphémère, fugace, instantané, voire réduit au seul concept. Il semble, par conséquent, assez évident que cette part de la production contemporaine ne peut plus être abordée par la conservation-restaura- tion sous le même angle que celle de l’art ancien. En premier lieu, ces créations ne peuvent plus être uniquement considérées du point de vue d’une instance esthétique, du seul fait que leur discours revendique la primauté du concept sur la matière : certaines installations et œuvres d’art-action délivrent davantage un message qu’un instant de grâce ; même si d’autres invitent à la contemplation, elles engagent le public à une contemplation sur le monde et sur une introspection de soi, plutôt que sur celle de l’objet artistique qui manifeste et doit provoquer cette attitude. Par conséquent, si le discours prend le pas sur l’objet, il ne peut être question de la primauté de l’instance esthétique lorsqu’il s’agit de telles œuvres ; que certains artistes fassent délibérément évoluer les éléments constitutifs de leurs travaux est d’ailleurs symptomatique de cette démar- che anti-esthétique. L’œuvre relève ici du sous-entendu, du second degré, de la subtilité, elle est liée à une foison de références plus ou moins évidentes qu’il faut pouvoir déceler au-delà de la matière, quand bien même celle-ci peut être appréciée d’un point de vue esthétique ; Mais l’un n’empêche pas l’autre : ce n’est pas parce qu’il ne faut plus pri- vilégier l’instance esthétique au moment de la restauration de ce type d’œuvres qu’il ne faut plus la prendre en compte. L’instance conceptuel- le prend, certes, le pas sur l’instance esthétique, mais il ne faut pas, pour autant, totalement évacuer celle-ci.

Mais qu’en est-il, maintenant, de l’instance historique, face à des œuvres dites éphémères, impermanentes, performatives ou contextualisées ? BRANDI considère cette instance selon les deux moments clés du par- cours d’une œuvre : celui de sa création et celui de sa perception ou de son instauration. A noter que cette perception relève, quant à elle, d’un présent sans cesse réactualisé. S’il est vrai, qu’en matière d’art ancien, la perception fluctue au cours de l’histoire des recevants qui accueillent l’œuvre pérenne à travers un filtre perpétuellement enrichi par la percep- tion qu’en ont fait les générations antérieures, il faut se demander si les installations impermanentes et les productions d’art-action relèvent d’une approche semblable.

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En regard des œuvres impermanentes, protocolaires, éphémères ou encore performatives, le seul moment de la création est diversement appréciable . Étant donné que les productions protocolaires devraient être considérées comme des œuvres au moment de leur concrétisation, où se situe exac- tement le moment de leur création? Au niveau de la rédaction du state- ment ou, plutôt, lors de son interprétation? En évacuant la première hypothèse, l’œuvre connaît plusieurs moments de création historicisés inhérents au contexte de ses exécutants succes- sifs. Par contre, s’il se situe au moment de sa rédaction, l’œuvre possè- de une double historicité : lors de sa conceptualisation par son auteur, ( celui de sa création), et lors de sa présentation, ou de son instauration, par son (ses) exécutant(s). Il semble qu’il en soit de même pour les installations impermanentes dont l’aspect formel peut varier d’une exposition à une autre. Dans les deux cas, et quelque soit le type de production, il existe bien un moment de création historicisé, contextualisé ; cependant, dans le cas des œuvres impermanentes, celui-ci n’est pas ancré dans leur matériali- té : on n’en prend conscience qu’en ayant connaissance de la date de leur élaboration.

Ces œuvres ont donc opéré un renversement par rapport aux principes édictés par BRANDI : le moment historicisé de la création réside plus dans l’élaboration d’un concept que dans une matérialité (re)composée : c’est le concept qui portera les stigmates du temps, davantage que l’ob- jet, lui-même soumis à des variations formelles plus ou moins importan- tes. De ce fait, la perception des recevants se focalisera sur le concept de l’artiste plutôt que sur l’objet, puisque celui-ci est voué à varier du fait de son impermanence. Dès lors, le moment de la perception des œuvres protocolaires et impermanentes repose sur un présent qui, d’un côté n’est pas réactuali- sable puisque c’est leur matérialisation qui se réactualise (et donne donc naissance à un moment de perception sans cesse nouveau) et, d’un autre côté, est réactualisable puisque le concept sera sans cesse revisité par des générations de visiteurs, à l’instar des œuvres pérennes.

Les œuvres éphémères, qu’elles soient performatives ou non, connais- sent, quant à elles, un moment de création contemporain de celui de leur perception, voire un moment de création confondu avec celui de leur instauration et donc de leur perception. Par conséquent, leur instance historique n’est pas double, celle-ci correspond à un présent unique et non réactualisable puisque, par définition, elles refusent leur réédition. Enfin, que dire des œuvres contextualisées ? Celles-ci peuvent être éphémères, d’un point de vue aussi bien matériel que conceptuel (dès lors que le concept ne peut plus être immédiatement reçu par certaines générations), ou impermanentes, dès lors que leur concept autorise leur déplacement dans un nouveau contexte auquel elles devront s’adapter. Ces œuvres sont inévitablement liées à un moment historique de créa- tion mais peuvent, à l’instar des œuvres éphémères ou impermanentes, voir le moment de leur perception devenir intrinsèque à un présent unique, non réactualisable.

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Notons, par ailleurs, l’importance que prend la documentation à l’égard de l’ensemble de ces œuvres. C’est elle qui fige et transmet une partie de l’œuvre (et de ses éventuelles versions) et de son contexte aux géné- rations futures : autrement dit, elle est la garante du moment de créa- tion de l’œuvre et permet sa re-perception fragmentaire dans son état originel. C’est un témoin du passé qui répond aux mêmes caractéris- tiques qu’une œuvre pérenne ancienne, à savoir que le document connaît une instance historique double et une instance esthétique qui resterait, néanmoins, à appréhender.

A propos de la reconstitution

A l’égard de la reconstitution, BRANDI est extrêmement virulent et en parle comme d’une hérésie qu’il assimile à une restauration de pure ima- gination ; éminemment polémique et dangereuse en matière d’art ancien, la reconstitution n’est pas à exclure en matière d’art contempo- rain, dès lors que l’artiste l’approuve ou la suggère, ou qu’il y ait suffi- samment de documents qui accompagnent l’œuvre au moment de son acquisition par la collection. A noter que pour des oeuvres très actuelles, le laps de temps qui sépa- re le conservateur-restaurateur de ces créations peut-être réduit à l’infra- mince lorsque le professionnel est contemporain de l’artiste.

« La reconstitution, la restitution, la copie ne peuvent même pas être abordées à propos de la restauration, elles sortent naturellement du sujet pour entrer uniquement dans le domai- ne de la légitimité ou de l’illégitimité de la reproduction à « froid » des procédés aboutissant à la formulation de l’œuvre d’art.»14

Si cette remarque est parfaitement justifiée en matière d’art ancien, il en est autrement de certaines productions contemporaines ; nous estimons d’ailleurs qu’il n’y a pas de restauration possible, au sens classique du terme, quand il s’agit d’œuvres d’art performatives : elles nient en effet la restauration puisque, par essence, elles refusent la pérennisation. De ce fait, il ne peut être question de restauration à leur sujet, mais de com- mémoration, ou de remémoration ; ce faisant, il est impossible de reven- diquer un acte de restauration alors même qu’il s’agit de réitérations ou de re-présentations en tant que telles. Je reviendrais plus loin sur le rap- port que nourrit la conservation-restauration avec la notion de reconsti- tution que n’ont pas manqué d’aborder des conservateurs-restaurateurs illustres. A la lumière de ces commentaires, il apparaît que la production contemporaine nécessite de la part de la conservation-restauration une approche spécifique et que les œuvres impermanentes et performatives, en particulier, doivent, soit être acceptées comme telles et ne pas être conservées (on devrait alors admettre leur finitude, leur fugacité, leur instantanéité), soit donner naissance à des recherches orientées vers l’in- vention de nouveaux outils, en élargissant certains principes institués.

14 Ibid., p.54

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Pourquoi ne pas s’orienter vers une évolution de nos critères et de nos modes d’interventions, si l’on souhaite, en tant que conservateur-restau- rateur, intervenir sur une production artistique contemporaine particuliè- rement disparate ? Si l’adaptation est nécessaire, elle passe aussi par l’acceptation de certaines opérations jusqu’ici proscrites, telle que la refaisabilité d’une œuvre. Cependant, cette pratique, si elle est envisa- gée, devra inévitablement s’accompagner d’une redéfinition des termes de notre métier ainsi que de l’instauration des limites et des objectifs de ce nouvel exercice.

D’où les questions : que conserver et que restaurer en matière d’œuv- res impermanentes et performatives ? À partir de quel instant la restauration des vestiges d’une œuvre devient- elle aussi une forme de fétichisation ou, à l’inverse, une recréation, lorsque celle-ci prend les allures d’une interprétation? De notre regard sur ce qui reste d’une œuvre impermanente et/ou per- formative, dépend la justesse et la pertinence d’une intervention entre- prise sur des œuvres de ce type. Lorsque Richard BAQUIÉ demande à l’institution acquéreuse de préser- ver la mémoire de son œuvre, il faut pouvoir déterminer la nature et la fonction des éléments cédés au FRAC; lorsque Marina ABRAMOVIC, ou Artur BARRIÒ se produisent, que lèguent-ils à la collection ? Quelle valeur accorder aux restes de l’œuvre? Comment ces artistes envisagent- ils la conservation de leurs œuvres?

Il me semble qu’en matière d’œuvres performatives, on ne puisse plus évoquer que des interventions de conservation qui autoriseraient la réité- ration, la reconstitution, voire l’interprétation, en guise de pérennisation. L’objectif est de pouvoir tenter de faire mémoire d’un acte dans l’expé- rience physique de sa durée autrement qu’à travers sa seule documen- tation.

B2/ 2. DISCUTER LA RE-PRÉSENTATION

Si nous envisageons la conservation des œuvres éphémères à travers leur re-présentation, faut-il encore, pour la rendre pertinente, prendre en compte la multiplicité de raisons qui s’opposent à cette proposition. L’approche des éléments qui sont sujets à caution devra nous permettre de déterminer, par la suite, les limites d’une telle opération et d’en res- treindre l’exercice à un certain type d’œuvres. C’est pourquoi nous abor- derons cette discussion tout d’abord d’un point de vue éthique, puis déontologique.

-106- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 a) Une question éthique

Réitérer l’œuvre d’un artiste par la main, voire par le corps d’autrui relè- ve évidemment d’une prise de décision périlleuse, avant même d’être un acte particulièrement délicat.

Si l’on peut y voir, de la part des institutions, une volonté de satisfaire à leur mission, il ne faut pas sous-estimer l’impact d’un tel acte sur le public ; il s’agit ici de réaliser l’impact de la re-présentation sur ceux qui auraient assisté à la première présentation d’une installation ou d’une performance. Comment celui-ci appréhendera-t-il la restauration et la conservation d’une œuvre par sa re-présentation ? Quel sera son rapport avec ce nouvel objet qui ne sera jamais formellement identique, et qui pourtant ambitionnera de générer des émotions similaires ? N’est-ce pas manquer de respect à la mémoire du visiteur que de le plonger à nou- veau dans une atmosphère qu’il aura, soit délibérément évacuée, soit précieusement conservée dans sa mémoire? N’est-ce pas détourner la version originelle de l’œuvre ? En effet, proposer la re-présentation d’une œuvre impermanente, c’est lui faire peut-être perdre de sa magie, de son unicité, de son aura… et, par ailleurs, vis-à-vis du public, il me semble qu’au premier abord cette intervention risquerait d’altérer la prégnance de ses souvenirs et d’a- moindrir le privilège qu’il a eu d’assister à telle ou telle manifestation, que désormais seule sa mémoire peut retranscrire. J’imagine que cela pourrait trahir ce qu’il projetait sur l’œuvre - à savoir son inévitable évanescence, son inexorable finitude. Je pense ici à la réflexion de la performeuse Doreen UHLIG (membre du groupe I.P.G.) qui attestait de ce lien intime, existant entre le spectateur et son œuvre qu’elle fonde sur un travail de mémoire ; en révélant au public sa propre enfance, l’artiste éveille des souvenirs enfouis dans la conscience de son auditoire. Doreen UHLIG n’envisage pas, dans l’absolu, la réitération de son œuvre, car celle- ci doit pouvoir avant tout survivre à travers la mémoire du visiteur, plutôt que d’être éprouvée à nouveau: selon elle, c’est véritablement la mémoire qui effectue ici le travail de restauration de l’œuvre. 12- Doreen UHLIG En autorisant la re-présentation, le rapport particulier qui Projet Brutal Education à l’Ecole d’Art s’instaure entre le public, un artiste ou une œuvre, risque- d’Avignon, juillet 2005 rait fort d’être rompu, même sous couvert d’une commé- moration…

« Les artistes de la performance nous ont montré ce que nous ne verrons pas deux fois et que parfois nous aurions souhaité ne jamais voir, mais ils nous ont appris, avant tout, à nous attendre à l’inattendu et à espérer qu’au moins une seule image vienne marquer de son empreinte notre imagination. »15

15 Laurie CARLOS in Roselee GOLDGERB, Performances, l’art en action, 1999, p.7

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Cependant, d'aucuns pourraient rétorquer que personne Par ailleurs, la réitération d’un geste unique et spontané, n'oblige un visiteur à assister à la re-présentation d'une œuvre éphémère ou impermanente et qu'en outre, certains propose-t-elle une vision valable de l’œuvre? seraient ravis d'expérimenter à nouveau une œuvre réité- On pourrait arguer que non, comme je l’ai déjà écrit, rée: ne vous est-il jamais arrivé de revoir une exposition, puisque l’action et l’installation performatives relèvent assister de nouveau à un concert ou retourner dans un lieu que vous pensiez ne plus jamais éprouver ? avant tout d’un acte inspiré, irreproductible, alors que la re- Et qu'en avez-vous tiré : un immense bonheur, ou une pro- présentation, à l’instar de la restauration, nécessite une fonde déception ? grande technicité aux antipodes de la spontanéité. D’autre part, le geste est lié au corps de l’artiste, ce qui suppose que sa re-présentation ne pourra être qu’imitative, alors même qu’elle ambitionne de restituer à l’œuvre son côté matériel (s’il en est) et « auratique ». A ce propos, il faut rappeler que le corps de l’artiste, ou celui de l’artiste performer, n’est pas le corps de l’acteur. Cette différenciation est essentielle pour comprendre la sincérité du geste qui émane de soi ou du personnage que l’on incarne. Re-présenter un geste, et plus par- ticulièrement lorsqu’il s’agit d’art-action, c’est risquer de théâtraliser une production artistique qui refuse généralement les codes du spectacle. Le performer ne représente pas, il présente ; il n’y a pas de hiatus entre l’idée et celui qui l’exprime ou la diffuse : c’est la différence entre jouer et interpréter, entre « act » et « enact ».

« La gestalt est une qualité que l’œuvre réalise en se «The gestalt is a quality which the work realizes based on its basant sur ses matériaux ; c’est ce qui sert d’exemple. Mais materials, it is what it exemplifies. But it is not, for example, a ce n’est pas, par exemple, une hypothèse ou un message qui pourrait être une entité en soi, capable de preuve ou de hypothesis or a message in the sense of being a separable idea, 16 démonstration.» Traduction personnelle capable of proof or demonstration.»

Or, si l’on respecte une démarche scientifique en accord avec notre déon- tologie, il ne sera pas question de ré-interprétation mais du témoignage fidèle d’une action, à l’instar de la retouche qui tente d’imiter le geste enlevé de l’artiste : autrement dit, la re-présentation évacuera toute forme de spontanéité ; ce faisant, la commémoration revêtira inévitable- ment un caractère maîtrisé, non improvisé, qui pourrait desservir le sens de certaines œuvres.

Le résultat d’une telle intervention sera, soit décevant à l’image de cer- taines réinstallations, soit carrément inacceptable car la re-présentation deviendrait alors un pastiche ou une parodie. A trop vouloir respecter le geste d’un artiste en vue de sa commémoration, on risquerait de totale- ment dénaturer son œuvre; par excès de déférence, la restauration de l’acte peut passer pour une fétichisation et devenir pathétique, dès lors qu’elle reprend les codes du transformisme et que le conservateur-res- taurateur orchestre une re-présentation avec un sosie sans âme. [Ceci dit, il ne faut pas nier l’effet d’un clône de Claude FRANÇOIS qui semble pouvoir émouvoir les foules autant que son « édition » originale…]

16 Dick HIGGINS, “Postmodern performance : some criteria and common points”, in Performance by artists, 1979, p.179

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D’autre part, qu’en est-il de la question de l’aura de l’œuv- «(...) il y a trois ans, j'étais aux bains avec un jeune homme dont toute la personne était alors empreinte d'une grâce re (c.f. p 73) et donc de sa perpétuation à travers la re-pré- merveilleuse. (...). il se trouvait que nous avions vu, sentation de l’œuvre ? quelques jours auparavant, à Paris, cet éphèbe retirant une Si l’aura est déjà partiellement altérée par le document, la épine de son pied ; le moulage de cette statue est très connu et se trouve dans la plupart des collections alleman- réitération de la création saura-t-elle être un gage de des. Un regard jeté dans un grand miroir au moment précis respect et un témoignage plus satisfaisant de celle-ci? où, pour l'essuyer il mettait le pied sur le tabouret, le lui A ce titre, nous pouvons relever cette remarque concernant rappela. (...) comme pour tester la sûreté de la grâce qui l'habitait (...), je me mis a rire et lui dis qu'il avait des la restauration des monochromes d’Yves KLEIN : visions! - il rougit et leva le pied une deuxième fois pour me faire voir ; mais, comme il était facile de le prévoir, la ten- « Il ne saurait être question de repeindre sa surface, car la tative échoua. Décontenancé, il leva le pied une troisième nature profonde, émotionnelle, et sensible de l’œuvre serait puis une quatrième fois, et ainsi peut-être dix fois de suite: en vain ! Il était incapable de refaire ce mouvement - que alors perdue à jamais. Quand bien même le résultat visuel res- dis-je ? les mouvements qu'il exécutait avaient quelque tituerait à l’identique celui de l’état antérieur, son être intime se chose de si comique que j'avais du mal à me retenir de trouverait irrémédiablement modifié. » 18 rire.»17

Dans le domaine de l’art-action, la question est encore plus probléma- tique puisque l’œuvre est souvent confondue avec la personnalité de l’auteur : « Le jugement porté par le public touche à la fois l’œuvre, mais également et surtout, à travers elle, la personne même de l’au- teur »19

Or la reproduction d’une œuvre d’art-action ne pourra jamais réintrodui- re la présence physique de l’artiste… Peut-on, dès lors, accepter une intervention qui ferait fi de l’auteur alors même que l’aura de l’œuvre émane de sa présence ? Peut-on se résoudre à admettre que la répéti- tion d’une performance, qui met en scène une personnalité forte, ne sera que formelle ? Il semble que les détracteurs d’une intervention de re-présentation avan- cent l’idée que celle-ci ne fera pas resurgir l’aura de l’œuvre originale : autrement dit, ceux-là semblent nourrir, à travers l’acte de restauration en général, l’espoir d’un retour à l’état originel de l’œuvre… cela relève d’une vision utopique vis-à-vis de la restauration dont ce n’est ni l’ambi- tion, ni la prétention ; si l’on suit leur raisonnement, alors que penser des conséquences de certaines interventions de restauration dans le domaine plus classique de l’art ancien ? Qu’en est-il, par exemple, du remplacement d’un châssis ? Si cet acte n’est pas justifié par des impé- ratifs techniques et qualitatifs auxquels le châssis ne répondrait plus, pourquoi tolérer davantage cette intervention arbitraire plutôt qu’une tentative réfléchie de re-présentation d’œuvres impermanentes et perfor- matives ? Si cet exemple n’est pas des plus spectaculaires, que penser de la pose d’un vernis sur une surface mate non vernie à des fins de conservation? D’autre part, la re-présentation ne relève pas ici d’une reproduction mécanique (comme le dénonce Walter BENJAMIN) mais d’une réitération incarnée ; ceci ne pourrait-il pas être le gage d’une possible restitution de l’aura de l’œuvre ?

17 Heinich von KLEIST, Petits écrits, œuvres complètes tome I, Mayenne, éd. Le Promeneur, 1999, p. 215-216 18 Denys RIOUT cité par Nadia WALRAVENS in L’œuvre d’art en droit d’auteur, 2005, p.287-288 19 Nadia WALRAVENS, L'œuvre d'art en droit d'auteur, forme et originalité des œuvres d'art contemporaines, 2005, p.439

-109- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Si l’on admet que, dans le cas de l’art-action, la re-présentation réduit le geste à sa dimension plastique en occultant les paramètres d’improvisa- tion et de spontanéité, qu’en est-il du domaine de l’installation ? Ainsi, comment ne pas s’interroger sur la pertinence d’un projet de restaura- tion qui viserait à reproduire les tracés d’Artur BARRIÒ grâce à leur décalque projeté au mur? Est-on sûr de pouvoir répondre aux exigences conceptuelles de l’œuvre dont l’essence réside davantage dans la ges- tuelle de son auteur que dans l’aspect esthétique de l’œuvre achevée ? Si, dans ce cas précis, il serait absurde de parler de parodie, il serait néanmoins légitime d’invoquer un malentendu vis-à-vis du concept de l’œuvre : faut-il alors privilégier la gestuelle de l’artiste ou son tracé appliqué? Quelle doit être la position du musée acquéreur, celle du conservateur-restaurateur et celle du conservateur, à l’égard de telles productions? Parce que le conservateur-restaurateur n’est pas un artiste, il ne peut, à première vue, que défendre la seconde proposition : tant qu’à réexposer un objet inévitablement non autographe, autant qu’il corresponde aux tracés de l’auteur. Cependant, si cet argument est légitime (à condition de ne pas sombrer dans un excès de fétichisme), il devrait être revisité du point de vue de la conservation : en privilégiant la matière au détri- ment du concept, on risque fort d’être conduit à la falsification de l’idée de l’œuvre.

Dès lors, si l’on considère la copie comme étant réductrice du travail per- formatif d’un artiste ou comme étant absurde (car trop minutieuse par rapport à un travail original issu d’une liberté de mouvement, d’une aisance, quelquefois d’une improvisation totale), il faut alors pouvoir envisager la ré-interprétation de ces créations artistiques. Nous venons de l’énoncer, le conservateur-restaurateur n’est pas l’artis- te, son rôle n’est pas de celui du créateur et c’est pourquoi l’idée de la ré-interprétation peut paraître saugrenue : quel professionnel de la res- tauration pourrait-il, à ce jour, s’improviser « concepteur de variations » d’une œuvre ? Le geste du conservateur-restaurateur, s’il ne peut être mimétique de celui du créateur, ambitionne néanmoins d’atteindre un résultat qui puisse se confondre visuellement avec l’ouvrage de l’artiste, tout en s’en distinguant d’un point de vue matériel. Or il est bien évident que la restauration de l’acte performatif, même si elle respecte les codes formels de l’œuvre, ne pourra jamais réhabiliter le corps de l’artiste qui, dans la plupart des cas, fait lui-même partie de l’œuvre. Parce que cette translation est impossible et parce que le geste du conservateur-restau- rateur ne vise en aucun cas à se substituer à celui de l’artiste, le conser- vateur-restaurateur s’il est inévitablement un interprète, ne sera jamais un ré-interprète, ou un re-créateur.

En fait, l'acte de re-présentation, dès lors qu'il est envisagé Il incombe aux artistes de rendre hommage aux œuvres de par le conservateur-restaurateur connaît ses limites avec leurs pairs par le biais de la ré-interprétation et de la re- l'appropriationisme. Ce courant artistique s'il en est, s'est développé à partir des années '60, et est notamment repré- création, et au conservateur-restaurateur de proposer la re- senté par les artistes américains Mike BIDLO (déjà cité), présentation de l’œuvre annoncée comme telle au public et STURTEVANT, Richard PETTIBONE ou encore Sherrie réalisée selon un protocole propre à chaque cas. LEVINE qui réalisent des copies ou des reprises, selon leur intention, d'œuvres plastiques illustres du XXème siècle. Ils signent ces nouvelles versions (dont certaines vont jusqu'à Cependant, certains vont se demander quelle sera la natu- conserver les dimensions originales des œuvres re-présen- re de cette re-présentation ? Si nous reconnaissons par

-110- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 avance que la reproduction ne sera jamais qu’une version tées) mais s'en réfèrent dans le titre à l'auteur initial : leur discours varie selon que cette appropriation témoigne de la de l’œuvre originale, il est légitime que d’aucuns s’interro- mort de l'art ou de la signature du fait de sa massification, gent sur l’intérêt d’une telle intervention qui ne leur resti- ou qu'il s'agisse d'un hommage et de la réintroduction de la tuera pas l’œuvre originale. main de l'auteur au milieu de créations désincarnées dans une sorte de mise en abîme du chef-d'œuvre... il n'est pas Dans ce contexte, certains de préférer la version proposée forcément ici question de transmettre l'œuvre mais bien de par un autre artiste à celle orchestrée par un conservateur- lui apporter un sens nouveau - celui-là même qui sert le dis- restaurateur. On peut en effet la préférer, mais celle-ci ne cours du «copieur». devra pas être considérée comme une re-présentation mais plutôt comme une re-création, car, vis-à-vis de l’œuvre d’autrui, l’artiste ne prend pas de dispositions neutres, contrairement au conservateur-restaurateur qui tente d’êt- re le moins interventionniste possible, ou en tous cas le moins subjectif. En effet, l’artiste-interprète s’inspire inévi- tablement de son propre travail et, de ce fait, signe son interprétation. Les protagonistes d’une re-présentation d’une œuvre par un autre artiste accordent par ailleurs davantage de crédit à l’artiste qu’au conservateur-restaurateur : ceux-là admet- tent donc la possible réitération d’une œuvre mais restent dubitatifs quant au résultat de celle-ci, dès lors qu’il sera le fruit d’une démarche scientifique et non pas d’une appro- 13- Sherrie LEVINE -Untitled che sensible de la part du conservateur-restaurateur ; cette after Henri MATISSE), 1984 vision assez sévère témoigne de leur scepticisme à l’égard de la crédibilité d’une œuvre recomposée par un conserva- teur-restaurateur. Cette remarque me paraît injuste, car elle tend à réduire le succès d’une telle intervention au seul statut de la personne qui en prend la respon- sabilité et à dénigrer les capacités du conservateur-restaurateur en la matière. Il me semble pourtant que le recul du technicien pourrait être un gage de qualité lors de la re-présentation - et non de la ré-interpré- tation - de ces œuvres qui n’interférerait pas alors avec le propre langa- ge créatif de l’artiste-interprète.

Il pourrait également m’être reproché de souhaiter repro- A ce titre, une comparaison imagée s'impose : alors que la duire aujourd’hui, des œuvres contextualisées par une diffusion d'une compétition sportive tente de proposer au téléspectateur un maximum d'informations et d'objectivité époque ou une histoire ; à ce titre il semble bien évident via les images enregistrées par la multitude de caméras qu’omettre le paramètre contextuel conduirait automati- mises en place à différents angles, l'œil du vidéaste, tant au quement à un échec. moment de la captation que lors du montage, aura quelque chose du parfum de sa propre expérience.

«However accurate the ressources used in performance, how « Quand bien même les ressources utilisées pour la perfor- can we hear early music as it was originally heard ? In a word, mance seraient précises, comment pouvons-nous entendre 20 la musique ancienne telle qu’elle était entendue originelle- how can we re-create the experience of early music ? » ment ? Autrement dit, comment peut-on re-créer l’expérien- ce de la musique ancienne ? » Traduction personnelle

En fin de compte, l’acceptation d’une telle intervention ne résiderait t-elle pas fondamentalement dans une question de croyance ? En effet, si l’on veut bien s’émouvoir devant une œuvre restaurée, même partiellement, en y superposant la composition originale de l’artiste,

20 Kemal SALIM et Ivan GASKELL, Performance and authenticity, 1999, p.158

-111- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 quand bien même on n’ignore pas le travail de restauration qui y a été effectué, pourquoi ne pas tenter de croire, non pas en la réincarnation de l’œuvre dans sa re-présentation, mais en la juste commémoration d’une production performative? Une telle intervention serait-elle foncièrement différente de certaines processions religieuses qui réincarnent des passages de textes sacrés et n’en troublent pas moins les populations qui y assistent ? En fait, une restitution juste et précise, que ce soit dans le cadre du rituel ou de la restauration d’un artefact, participe de l’illusion qui va renforcer la croyance en l’authenticité de l’œuvre.

Ce n’est qu’en prenant conscience des remarques susmentionnées qu’il sera possible de tenter et de légitimer l’éventualité d’un acte de re-pré- sentation d’une œuvre performative. Cependant, on ne peut justifier d’une telle opération qu’en ayant envisagé les risques de celle-ci. Encore faut-il en tirer les conséquences, appréhender ce qui est possible, ne pas systématiser une telle pratique, discerner les œuvres concernées par ce type d’interventions de celles dont on devra accepter la définitive fixation dans nos mémoires ou sur des supports documentaires. Nous devrons toutefois, et avant tout, envisager cette opération d’un point de vue déontologique.

B2/3. b) Une question déontologique

Re-présenter, réitérer,… par qui et selon quels principes déontologiques? Vis-à-vis de cette éventualité, quelle est la légitimité du conservateur-res- taurateur ? Peut-on accepter, sous prétexte de la transmission d’une œuvre, une intervention qui outrepasse les limites autorisées par notre code déonto- logique ou notre statut?

De ce point de vue, il peut en effet sembler inapproprié de re-présenter l’œuvre d’un artiste qui l’aurait définie comme un événement éphémère, (sous-entendu volontairement irreproductible) - même si, techniquement parlant, l’œuvre serait en mesure d’être recomposée, il est indispensable de respecter le concept artistique reposant sur l’unicité du geste. Si l’ar- tiste affirme ce caractère à la fois fugace et unique de son œuvre, il est impensable de tenter quelque re-présentation que se soit ; entendons par re-présentation un acte orchestré par un conservateur-restaurateur, c’est-à-dire dénué de tout souci de création ou re-création et donc d’ori- ginalité : l’attitude scientifique et sensible du conservateur-restaurateur pourrait légitimer une telle intervention, c’est-à-dire qu’elle serait condui- te à la fois avec une exigence d’authenticité et une recherche de justes- se. Cependant, ceci n’empêche pas l’interprétation de l’œuvre par un autre artiste qui souhaiterait lui rendre hommage et qui ferait sienne cette nou- velle production comme je l’ai évoqué précédemment.

-112- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

« Les activités professionnelles du conservateur-restaurateur sont différentes de celles des professions artistiques ou artisa- nales. Un des critères fondamentaux de cette différence est que, par son activité, le conservateur-restaurateur ne crée pas d’objets culturels nouveaux. Reconstruire physiquement ce qui n’existe plus ou ne peut être préservé est du domaine de l’arti- sanat ou des professions artistiques, telles que ferronniers, doreurs, ébénistes, décorateurs et autres. Cependant, ceux-ci peuvent aussi bénéficier considérablement des découvertes et des connaissances des conservateurs-restaurateurs. »21

Si ce texte semble interdire toute forme de réitération dans les limites de l’exercice du métier de conservateur-restaurateur, il faut cependant men- tionner cet extrait du Code de déontologie canadien :

« Reconstitution : toutes les mesures prises en vue de recréer en tout ou en partie un bien culturel, d’après des sources histo- riques, littéraires, graphiques, visuelles, archéologiques, ou scientifiques. La reconstitution a pour objet de mieux faire com- prendre un bien culturel. Elle peut se faire sans aucun matériau d’origine ou à l’aide d’une faible quantité d’originaux ; toutefois des renseignements précis sur un état antérieur du bien cultu- rel sont nécessaires. »22

Nous sommes conscients que ce dernier texte s’applique davantage à des œuvres matérielles, cependant, il paraît possible de voir le technicien s’engager sur la voie de la re-présentation quand celle-ci découle d’un acte de restauration, dépourvue d’intentions mercantiles, uniquement dans un but didactique et de transmission d’une œuvre aux générations futures. Mais peut-on engager un tel projet sans l’aval de l’artiste, dès lors qu’il a disparu ? Quels arguments justifieraient que la re-présentation sera bien fidèle à l’œuvre originale ? Quel sera le degré d’interprétation accepta- ble par le conservateur-restaurateur avant que son acte ne conduise à la production d’une autre œuvre ?

« Il est clair (…) que le temps de la création s’est clos à jamais avec l’achèvement de l’œuvre par son auteur et que toute ten- tative de reprendre au présent la démarche passée est illusoire et ne peut constituer une restauration au sens critique que cette opération implique. »23

Même si d’aucuns reconnaissent à tout acte de restauration une part inévitable d’interprétation, il semble que la re-présentation proprement dite ne puisse être acceptée si celle-ci émane du conservateur-restaura- teur.

21 Conseil international des musées (ICOM) - Le conservateur-restaurateur : une définition de la profession, §4.1 22 Extrait du code Canadien, cité dans le rapport de l’AFCOREP, 1995, p.26 23 Paul PHILIPPOT, “La restauration, acte critique”, in Recherches Poïétiques, 1995, p.24

-113- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

« Faute de se tenir lui-même sous le contrôle permanent d’une critique multidisciplinaire, l’acte restaurateur risque fort de tra- hir la présence authentique de l’œuvre en lui faisant perdre sa valeur de témoin de sa propre histoire au profit d’une image arbitraire, émanation directe d’une seule strate de conscience. En ce sens, l’acte restaurateur se distingue radicalement de la plupart des pratiques créatrices où l’invention peut se produire sans explication critique. »24 L’acte restaurateur, bien qu’il reste une forme de réactualisation, ne peut être le moyen de légitimer la reproduction qui s’assimile à une reconsti- tution de l’objet et du contexte : cela constituerait un faux historique, inauthentique, que la conservation-restauration ne peut tolérer ; elle accepte pourtant un certain interventionnisme interprétatif, sous couvert de la réversibilité de l’acte : en effet, la réintégration ne confère-t-elle pas à l’œuvre originale un certain degré d’inauthenticité due à l’apport d’un geste étranger à celui de l’auteur? Parce que cette intervention est strictement contrôlée et répond au critère de réversibilité (en tout cas en art ancien), elle est admise par les conservateurs et les conservateurs- restaurateurs. Qu’en est-il de la réversibilité d’une éventuelle re-présentation d’œuvres impermanentes ? Dans un premier temps, on pourrait affirmer que la réitération ignore le principe de réversibilité ; en effet, la re-présentation d’œuvres impermanentes implique que celle-ci prenne en compte leur caractère fugace; autrement dit, la re-présentation deviendrait un acte unique en soi, mais non réversible : une fois l’intervention de réitération achevée, il sera possible de la juger mais non d’y revenir. La version pré- sentée au public, à l’instar d’une intervention de restauration, peut s’a- vérer de mauvaise qualité et, par conséquent, porter atteinte à l’artiste en même temps qu’à l’œuvre originale : elle pourrait en donner un sens impropre à un public non averti qui manquerait de moyens de comparai- son s’il a pas assisté à la présentation originelle de l’œuvre; dans ce cas précis, la seule alternative possible serait de proposer une nouvelle re- présentation, mais, à la différence d’une restauration réversible, il ne sera pas question de « dé-restauration ». Si un artiste réalise une per- formance ou une installation jugée médiocre, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même ou aux critiques, mais si un conservateur-restaurateur manque de compétence en la matière et effectue une mauvaise intervention de reproduction, c’est, en même temps, l’œuvre reconnue d’un artiste qu’il falsifie ou détourne. Cependant, il est possible de nuancer nos propos : de par sa nature nécessairement impermanente et non interventionniste sur la matière même de l’œuvre - rendue évidemment impossible -, on pourrait consi- dérer la re-présentation comme un acte qui correspond aux critères de réversibilité, contrairement à certaines interventions de restauration directement effectuées sur le corps de l’œuvre pérenne.

Si, comme énoncée précédemment, l'intervention de restauration, quel- le qu'elle soit, relève d'une réactualisation, elle l'est avant tout au niveau de la simple intention du praticien. Thierry LENAIN parle ainsi de réac-

24 Ibid., p. 17

-114- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 tualisation symbolique. Celle-ci concerne aussi bien le conservateur-res- taurateur classique que l'ethno-scénographe chargé de re-présenter cer- tains rituels, que, finalement, le conservateur-restaurateur qui entrepren- drait la réitération de quelques œuvres d'art-action. Cette notion sous- entend tout ce qui doit conduire à la perpétuation d'une œuvre par rap- port à " un horizon de sens " toujours contemporain, donc fluctuant. Au- delà de la " réfection " de l'objet, c'est ce vers quoi tend tout traitement de conservation-restauration, avant même qu'il y ait eu intervention directe sur la matière même de l'œuvre. Or, la réactualisation symbolique est la caractéristique majeure de notre proposition de re-présentation, dans la mesure où elle vise - via la réité- ration, entre autres - à commémorer l'œuvre et à l'inscrire de nouveau dans des perspectives contemporaines ; mais, à l'instar de la conserva- tion-restauration des œuvres pérennes, cette procédure implique des choix inévitablement engagés. « L’intention conservatrice implique des décisions et des actes qui, posés en fonction et au service d’une réactualisation sym- bolique, ne seront pas neutres quant à la présence même de l’œuvre » 25

La notion de réactualisation symbolique semble particulièrement adaptée à la re-présentation en cela qu’elle vise la commémoration de l’œuvre disparue, voire son incarnation : elle aspire, en effet, à faire signe au- delà de la matérialité de l’œuvre. Le champ de la conservation-restaura- tion ne pourrait-il pas valider une telle pratique ? La notion de re-présentation souffre malheureusement d’une connotation négative du fait qu’elle tend à annihiler l’instance historique de l’œuvre. En effet, certains estiment que le conservateur-restaurateur qui ambi- tionnerait la re-présentation d’une œuvre impermanente, abolirait la dis- tance temporelle qui sépare le moment de son exécution de celui de sa re-perception ; si l’on peut faire le même genre de remarques en matiè- re de restauration traditionnelle, il semble que, dans tous les cas, la cons- cience de ce paramètre évite au conservateur-restaurateur une interven- tion impropre.

« La vérité de la reconnaissance-compréhension, exige dès lors que l’on reconnaisse pleinement l’altérité de l’œuvre, qu’on ne réduise pas l’œuvre à soi-même, c’est-à-dire, l’œuvre au pré- sent dans lequel cependant elle se manifeste. (…) le conserva- teur-restaurateur-interprète devra donc se situer herméneuti- quement vis-à-vis des traditions transmises par l’œuvre et de celle à l’intérieur de laquelle il opère. Et son intervention, qui inscrit l’œuvre dans cette problématique, sera à son tour un acte historique, un moment de la traditio operis. (…) L’intervalle entre la création et la recréation ou réactualisation de l’œuvre par le recevant, peut apparaître comme une période vide et sans incidence. Mais ce serait là une vue inexacte. Comme l’image est incarnée dans la matière, et comme celle-ci subit des transformations avec le temps, l’intervalle a inévitable- ment une incidence sur l’image à sa réception, le cas le plus

25 Thierry LENAIN, “Pour une poïétique de l’acte restaurateur”, in Recherches Poïétiques, n°3, Hiver 1995, p.12

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général et le plus simple étant celui de la patine. Ce phénomè- ne n’est d’ailleurs pas limité aux arts plastiques ; il existe aussi pour la poésie, la littérature et même la musique. »26

J’estime qu’il ne peut y avoir de confusion, même lors d’une re-présen- tation, entre le temps passé et celui du recevant actuel. C’est au public de se recontextualiser, mais aussi au conservateur-restaurateur en char- ge d’une telle intervention, de permettre au visiteur d’opérer cet exerci- ce mental afin qu’il ne soit pas qu’un spectateur passif tel que le décrit Umberto ECO dans La guerre du faux où l’auteur fustige les reconstitu- tions.

D’autre part, il faut, dans ce cas, distinguer la re-présentation de toute intention de « restauration » au goût du jour ; non seulement parce qu’elle ambitionne de respecter la nature de l’œuvre en ne sacrifiant pas au hic et nunc du présent, mais aussi parce qu’elle souhaite surtout se différencier des Revival historicistes qu’évoque Paul PHILIPPOT ; ceux-là mêmes qui prétendent pouvoir reprendre les gestes de l’artiste afin de réhabiliter une oeuvre dégradée ou inachevée. A l’instar des interventions pratiquées sur les œuvres d’art ancien, la re- présentation aspire à rétablir une vision de l’œuvre aussi fidèle que pos- sible grâce à une prise de conscience rigoureuse et exigeante ; il serait cependant utopique de croire atteindre une totale objectivité, dans la mesure où les conditions de ce type d’interventions sont inhérentes à un contexte contemporain. En fait, cette entreprise relève d’un travail d’ob- jectivation extrêmement précis qui, pourtant, ne peut pas atteindre une impartialité absolue, en raison de quantité de paramètres impossibles à appréhender de manière purement scientifique et cartésienne. « L’opération restauratrice doit nécessairement s’effectuer en fonction d’une visée de l’authenticité. Celle-ci n’est jamais tout à fait objectivable, puisqu’elle dépend de l’horizon de sens depuis lequel se produit la réactivation symbolique de l’objet. (…) Viser l’authenticité, c’est essayer de conférer à l’œuvre la plus grande richesse historiale possible, c’est respecter son appartenance à de multiples aires de l’horizon de sens depuis lequel nous pouvons réactualiser sa présence. »27

Mais peut-on accuser des conservateurs comme Harald Quand bien même leurs intentions se veulent nobles et SZEEMANN, de faire dialoguer des œuvres entre elles pour proches des objectifs du conservateur-restaurateur, il sem- en révéler la profondeur, les interactions ? S'il est vrai que leurs choix sont contemporains et subjectifs, il n'en reste pas ble qu’on ne puisse éviter de taxer les tentatives de re-pré- moins qu'ils affirment bien là que le sens de l'œuvre ne rési- sentation d’acte de ré-interprétation. Les qualités de l’in- de plus uniquement dans l'artefact. terprète étant souvent confondues avec celles de l’artiste, le conservateur - qui n’est pas le conservateur-restaurateur (et qui, en tant que tel, n’est même pas investi du droit à intervenir sur l’œuvre) – s’est déjà vu accusé à plusieurs reprises de se substituer à l’artiste et de faire du montage d’exposition une œuvre d’art.

26 Paul PHILIPPOT “L’œuvre d’art, le temps et la restauration” in « histoire de l’art », de la restauration à l’histoire de l’art n°32 déc. , 1995, p.5 27 Thierry LENAIN, op. cité, p.14-15

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A ce titre, d’aucuns de renchérir en dénonçant la « créativité » du conser- vateur-restaurateur dont l’intervention, à travers l’Histoire, a souvent conduit à des non-sens ; en effet, l’interprétation de l’œuvre par les conservateurs, conservateurs-restaurateurs ou techniciens, au moment de sa présentation publique, varie nécessairement en fonction de leur sensibilité, ce qui rend le procédé très subjectif. J’en conviens, mais a-t- on déjà vu deux conservateurs-restaurateurs s’accorder sur l’intervention à pratiquer sur une œuvre d’art ancien ? «La présence et le sens d’une œuvre ne sont jamais compris de manière univoque, et l’acte restaurateur constitue donc toujours potentiellement une pomme de discorde.» 28

Ces considérations sur l’acte même de restaurer sont inévitables dès lors que l’on évoque la re-présentation, puisqu’il ne s’agit plus de réintégra- tion mais de restitution intégrale. Il ne peut, en effet, en être autrement en la matière puisque la re-pré- sentation, quand bien même elle pourrait prendre l’allure d’une reconsti- tution fidèle, sera inévitablement une version de l’œuvre réalisée dans un cadre et selon des paramètres inévitablement différents de ceux dans lesquelles la création originelle a été produite : elle sera donc assimilée à quelque chose de nouveau et ce, tout particulièrement, dans le domai- ne de l’art-action.

« Dans l’art corporel et les performances, même la copie des cérémonies et des rituels est quelque chose de réellement nou- veau, étant donné que le changement de contexte – de l’ouver- ture du réel à l’artistique - dédouble l’imaginerie de l’émetteur et du récepteur et les placent devant une revalorisation de l’ac- tion corporelle. »29

À la lumière de ces observations, il apparaît que la re-présentation d’une œuvre, quelle qu’elle soit, ne puisse véritablement être prise en charge actuellement par le conservateur-restaurateur, même si, en théorie, il envisagerait cette intervention avec la même déférence qu’il aurait vis-à- vis d’une œuvre d’art ancien. C’est pourquoi, il est légitime de se deman- der si l’avenir ne verra pas naître une nouvelle compétence pour le conservateur-restaurateur - à l’instar de l’ethno-scénographe - invité à entreprendre cette tâche sans pour autant exécuter celle-ci en dehors des exigences déontologiques de sa profession.

28 Ibid., p.13 29 Jorge GLUSBERG en introduction des Journées interdisciplinaires sur l’art corporel et performances (15-18 février 1979), 1979

-117- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

C2/ D’UNE ÉVOLUTION TERMINOLOGIQUE À UNE REDÉFINITION DU CADRE JURIDIQUE ?

C2/1. UNE QUESTION DE TERMINOLOGIE

A la lumière des précédentes observations, nous prenons la mesure des changements qui sont en voie de s’opérer au niveau des fonctions et du rôle du conservateur-restaurateur. Il est d’ailleurs remarquable qu’il ne peut plus être question de « restau- ration », s’agissant des œuvres impermanentes, pour la simple raison que le conservateur-restaurateur ne peut intervenir sur la matérialité d’une œuvre disparue : dès lors, son intervention relève davantage d’un acte de réexposition, celui-là même qui remplace en quelque sorte l’ac- te de restauration. D’autre part, la disparition des œuvres impermanentes n’étant pas la conséquence d’un accident, leur « réhabi- litation » ou leur nouvelle visibilité ne saurait relever du domaine de la restauration, même s’il n’est pas encore totalement exclu d’imaginer le conservateur-restaurateur endosser ce rôle. Il est évident que la re-pré- sentation d’une œuvre engagée par le conservateur-restaurateur n’en sera pas une version autographe : celle-ci n’ambitionne nullement de se substituer à l’œuvre originelle, et non pas originale, mais d’en perpétuer la nature et le sens. Etant donné que ces productions contemporaines revendiquent des mises en œuvre en rupture avec les créations anciennes, il apparaît que la restauration, si elle veut s’adapter à ces pratiques, doit également envisager une évolution de son champ lexical, en parallèle de mutations techniques et déontologiques. Dès lors, quels termes employer pour désigner cette activité d’un nou- veau genre - engagée par certaines institutions, encouragée par quelques artistes et qui annonce de nouvelles responsabilités et de bou- velles fonctions pour le conservateur-restaurateur actuel ?

« La restauration est la remise en état par des techniques anciennes ou modernes d’une œuvre abîmée par l’homme ou la nature. Elle est plus qu’une réparation : si l’instauration consti- tue l’œuvre, la restauration veut la restituer corps et âme. » 30

C’est pourquoi il nous faut trouver un terme approprié pour désigner la présentation actuelle d’une œuvre impermanente ou performative du passé, tout en évacuant des connotations négatives ou anti-déontolo- giques.

Mais, avant tout, il est indispensable de définir la notion d’authenticité dont le respect sera le gage d’une juste re-présentation.

30 in Vocabulaire d’esthétique, sous la direction d’Etienne SOURIAU, 1990

-118- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Authenticité : « L’authenticité est la qualité d’un objet qui est réellement ce qu’il paraît, si un objet d’art est effectivement de l’époque, de la main de l’artiste auquel on l’attribue, il est dit authentique (…) l’objet dépourvu d’authenticité n’est pas forcé- ment un faux : il peut-être une copie ou un pastiche. »31

Cette authenticité ne s’applique-t-elle pas tout aussi bien au concept d’une œuvre ? Qu’en est-il, en effet, lorsqu’un artiste déclare que son œuvre doit être sans cesse réinterprétée selon un protocole décidé par lui ? Les versions proposées par autrui seront-elles authentiques ? Selon nous, elles le seront car, par nature, elles respecteront le projet artistique de l’artiste, même si elles ne seront pas autographes. Nous développe- rons, d’ailleurs, plus longuement ce point dans une prochaine partie. Si la conception classique de l’œuvre authentique se trouve ainsi ébran- lée par certaines propositions artistiques, elle doit être reconsidérée : c’est la notion même d’œuvre qui, du coup, se trouve affectée. Parce que ces œuvres autorisent leur interprétation, il est légitime de s’interroger sur l’éventualité d’une telle intervention sur des installations ou des per- formances (acquises par l’institution sous forme de documents ou de projets) et de proposer une gradation de termes correspondants à des niveaux de respect d’authenticité et d’interventionnisme de la part du conservateur-restaurateur. A ce titre, la restauration n’est-elle pas davan- tage un gage de respect de l’authenticité de l’œuvre plutôt que la non restauration ? Enfin, il importe de définir la notion de transmission : car la question est bien de savoir quel type de transmission le conservateur-restaurateur se propose-t-il d’entreprendre et, ce faisant, quel degré d’authenticité de l’œuvre respectera-t-il ? Transmettre : c’est faire parvenir, communiquer ce qu’on a reçu ; c’est permettre le passage, agir comme intermédiaire, faire passer.

Le terme de réinstallation, couramment employé lorsqu’il s’agit de réexposer une installation constituée d’éléments pérennes, n’est, selon nous, pas assez précis ; en effet, s’il désigne l’intervention, il ne stipule pas dans quelles mesures l’œuvre sera interprétée ; pourtant, il est illu- soire de croire que les installations, même pérennes, sont réexposées avec neutralité (la preuve en est en observant les partis pris de certaines institutions à l’égard de quelques installations). Un choix est dicté par la muséologie ou par la compréhension de l’œuvre qu’en ont les responsa- bles de telle intervention ; il n’en reste pas moins que l’interprétation est inévitable, mais jusqu’à quel point ? Pour les mêmes raisons, la reperformation ne peut convenir à l’éventuelle re-présentation d’œuv- res d’art-action.

Actualiser/réactualiser, ces deux termes prennent deux sens diffé- rents selon que l’on oppose actuel et passé ou actuel et virtuel. Même si l’intervention du conservateur-restaurateur semble, à première vue, vouloir abolir l’effet du temps sur les œuvres, nous avons démontré qu’à l’instar de la musique ou de la poésie, il n’y a pas de présentation contemporaine de textes ou de partitions anciennes sans une certaine

31 ibid.

-119- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 forme d’altération : la décontextualisation temporelle, comme la patine sur une peinture, est la révélation du temps qui passe ; parce qu’en général, les musiciens d’aujourd’hui ne jouent plus sur les mêmes instru- ments qu’il y a deux siècles, il ne peut être question, pour l’auditeur, d’entendre la musique du passé, quand bien même les partitions sont identiques : la prise en considération de ce décalage temporel témoigne du temps qui s’est écoulé sur l’œuvre, alors que l’on nous en propose aujourd’hui une version légèrement décalée. Actualiser signifie une transposition de forme et de fond dans le pré- sent, à la différence de la modernisation qui ne fait qu’employer des techniques nouvelles dans l’expression d’un fonds ancien ; même si les corps qui re-présentent une œuvre impermanente et surtout performati- ve seront inévitablement contemporains, il ne peut être question de modernisation puisque notre objectif n’est pas forcément d’utiliser des moyens récents dans le cadre de la re-présentation, sauf si l’artiste lui- même érige cette recommandation, comme c’est le cas pour certaines œuvres évolutives. D’autre part, il n’est pas question de faire apparaître quelque chose de virtuel, mais plutôt de montrer à nouveau un évènement fugitif, qui a physiquement existé. Actualiser participerait donc d’une présentation au présent d’une œuvre impermanente, sans qu’il y ait eu de modifications de sens ou de forme au moment de sa re-présentation. Cependant, on ne peut pas confondre actualiser et copier. L’actualisation autorise un léger décalage ou certaines imperfections, alors que la copie est quasiment le calque d’une œuvre originale. Non seulement une œuvre performative ne pourra jamais être copiée (pas même par son auteur) mais, en plus, on est en droit de s’interroger sur l’intérêt d’une telle perspective. En effet, s’il est question ici de réhabili- ter un geste ou une manière d’agencer des éléments entre eux lorsqu’il s’agit d’installations, sera-t-il plus authentique de refaire à l’identique une œuvre originale en respectant son agencement initial, de rééditer une performance avec le sosie de l’artiste, voire de présenter une version juste de l’œuvre, dans l’esprit et dans la forme, sans pour autant la copier ? En effet, le risque de la copie est de passer pour un acte grotesque, témoignant de l’absence de compréhension du concept artistique : car, si la copie est un refuge qui garantit le respect formel d’une création, l’ac- te du copiste n’est pas le gage d’une perception juste et pertinente de l’œuvre au-delà de sa matérialité. Par ailleurs, la réédition et la copie annihilent le laps de temps entre le moment de la création et celui de la re-perception ; or, si l’acte de re- présentation doit être considéré comme une forme de restauration pos- sible, reposant sur des intentions similaires, ces termes ne peuvent être employés, car ils peuvent être connotés comme des pratiques qui relè- vent de la falsification.

La finalité de l’adaptation réside en une modification, voire une refon- te complète d’une œuvre d’art, afin d’en proposer une destination diffé- rente (adaptation d’une création scénique pour la radio, par exemple). Or la finalité de la transmission n’est pas de présenter une œuvre à la manière de la photo ou de la vidéo qui proposent une vision bi-dimen-

-120- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 sionelle d’une œuvre se déployant dans l’espace. Cependant, si l’on considère l’adaptation comme une variation formel- le d’une installation qui n’est pas in-situ, elle ne saurait consister, par exemple, en la transformation de l’installation en une sculpture (donc à un changement de statut), mais de son agencement dans un nouvel espace. L’adaptation prend alors l’allure d’une transmission d’une œuvre d’un espace à un autre, sans pour autant en altérer le sens ; ce serait, par exemple, reprendre les codes formels d’Artur BARRIÒ ou de Joseph BEUYS et de tenter de les moduler dans des espaces différents.

L’adaptation pourrait être synonyme de l’arrangement ; terme cou- rant dans le domaine de la musique, il correspond à l’adaptation - au sens où nous venons de la définir - d’un morceau de musique à des contraintes techniques (changements d’instrumentalisation, ou morceau pour soliste devenu « à quatre mains »,…). Dès lors que l’on considère la décontextualisation spatiale ou temporelle comme une contrainte technique à laquelle les œuvres qui le permettent devront être adaptées, il sera possible de parler d’arrangement. Dans les deux cas, la notion d’authenticité est respectée dès l’instant où elle se situe au niveau du concept d’une œuvre et non plus à celui de sa seule forme.

La répétition suppose un changement d’état de l’œuvre à chacune de ses reprises, alors que la représentation offre au public une création dans un état fixé qu’il est possible de montrer indéfiniment. La répéti- tion serait envisageable dans le cas d’œuvres à partitions qui, dès leur création, invitent à la réinterprétation. La représentation, quant à elle ,évoque le monde de la scène, ce qui tendrait à théâtraliser l’art-action et à considérer les installations comme des mises en scène au lieu de mises en espace. Ce terme se différencie de la re-présentation qui est une seconde présentation et en suppose d’autres, sans pour autant pré- ciser ce que son exercice recouvre, ni autoriser sa systématisation. La répétition correspondrait donc à une forme de réinterprétation et s’ap- pliquerait davantage aux œuvres évolutives.

La reproduction s’inscrit dans un processus mécanique dans l’optique d’un résultat techniquement identique - à la différence de la restitution qui vise l’obtention d’un objet particulièrement fidèle à l’original, sans recours à la mécanisation. Cependant on pourrait entendre le terme de reproduction au sens de nouvelle production d’œuvre, ce qui le rappro- cherait de la re-création qui n’est du ressort que de l’artiste lui-même.

La reconstitution, quant à elle, aspire à re-présenter un fait, un évène- ment de la manière la plus fidèle possible, c’est-à-dire en tenant compte du contexte originel spatial et temporel, alors que la copie ne s’en tient qu’à une re-présentation purement formelle. A ce titre, la reconstitu- tion concernerait des œuvres in-situ ou des créations qui ne prennent leur sens qu’à un moment particulier du calendrier. Elle n’autorise, par conséquent, aucune variation si ce n’est implicitement, du fait qu’elle ne sera pas réalisée par l’artiste et sera donc, à moindre échelle, une inter- prétation. Au regard de l’authenticité de l’œuvre originale, quand bien même elle

-121- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 ne sera pas autographe, la reconstitution semble pouvoir garantir un résultat conforme à la création de référence. Enfin, de par la conscience qu’elle implique du contexte initial de réalisation, on ne peut véritable- ment lui reprocher d’annihiler le temps qui sépare l’œuvre de sa re-per- ception, car elle l’intègre au moment de la recontextualisation de l’œuv- re re-présentée.

La réactivation ou la régénération vise à redonner de la vigueur à un objet terne ou qui ne serait plus en mesure de fonctionner. Ces termes ne peuvent convenir car ils supposent une amélioration dans la percep- tion de l’œuvre, or il n’est pas question, par le biais de la re-présenta- tion, d’intégrer un jugement de valeur qui, dès lors, s’assimilerait à une « restauration » au goût du jour. Le terme de réactivation est pour- tant utilisé lorsqu’il s’agit de re-présenter des rituels : il s’agit là de réin- troduire des pratiques ancestrales ; si le but en est d’abord une appro- che didactique, historique, elle peut, à terme, conduire au raffermisse- ment de certains liens sociaux.

Ressusciter signifie ramener à la vie ; or l’œuvre éphémère, quelle qu’elle soit, ne meurt véritablement jamais car elle survit à travers les documents qui y font référence et surtout à travers la mémoire du public qui était présent lors de sa première manifestation.

L’interprétation ambitionne la communication d’une pensée, d’un esprit, à travers une expression formelle ou corporelle ; appliqué aux arts plastiques, ce terme implique la re-présentation d’une œuvre à tra- vers une variante ou, lorsqu’il s’agit de ré-interprétation, d’un détour- nement d’une idée et de son expression formelle originelles. L’interprétation ne peut véritablement être assimilée à une adapta- tion, car, contrairement à cette dernière, elle ne répond pas à une contrainte ; elle relève davantage d’une entreprise personnelle, à moins qu’elle ne soit dictée par la volonté de l’artiste de voir son œuvre évoluer. La ré-interprétation est elle aussi indépendante des exigences d’une œuvre par rapport à un contexte ; mais, parce qu’elle suppose un plus grand interventionnisme de la part de l’exécutant, elle est très proche de la re-création.

La traduction est, soit l’expression d’un sentiment, soit la transposition fidèle d’un texte dans une autre langue que celle dans laquelle il a été rédigé. Par analogie, la re-présentation d’une œuvre pourrait être assimi- lée à la traduction, en cela qu’elle la transpose dans un contexte tempo- rel différent de celui dans lequel elle a été créée. Par ailleurs, la traduc- tion, à l’instar de la re-présentation, offre au public le moyen de prend- re connaissance d’une œuvre alors qu’il n’a pu appréhender sa version originale, soit par sa méconnaissance de la langue, dans un cas, soit à cause de son absence lors de sa manifestation originelle. En tant que traduction, la version proposée se veut très semblable à l’original et ne doit pas omettre de recontextualiser le public par rapport aux paramèt- res de création initiaux.

La simulation reste une intervention mensongère puisqu’elle tend à faire croire à ce qu’elle n’est pas or, il est impensable de proposer une

-122- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 version fidèle d’une œuvre sans annoncer qu’il ne s’agit pas de l’œuvre originelle; néanmoins, la re-présentation, si elle n’est pas une simulation, ne sera pas forcément un ersatz d’œuvre, c’est-à-dire une proposition de moindre qualité.

L’imitation relève de l’interprétation : l’imitateur s’inspire d’un artis- te ou de l’œuvre d’autrui, sans pour autant se prendre pour celui qu’il imite, contrairement au plagiaire ; elle se différencie de la parodie,en cela qu’elle ne joue pas du style d’autrui, et du pastiche, qui déforme volontairement l’œuvre d’un autre sur le mode satirique. L’imitation, de par sa définition se démarque volontairement de l’œuvre originale qu’el- le n’envisage pas de retranscrire. Si un artiste peut autoriser l’interpréta- tion de son œuvre, il n’encouragera pas son imitation qui confèrerait à l’exécutant le statut de créateur par le biais de celui d’imitateur.

La recréation reste, quant à elle, un acte assimilable à la réinterpréta- tion. Elle se confond, en effet, avec le geste du créateur et devient l’œu- vre d’un autre quand il ne s’agit pas de l’auteur lui-même qui revisite son œuvre.

La réplique est une copie plus ou moins fidèle de l’œuvre, exécutée ou non sous le contrôle de l’auteur original, selon des procédés similaires ou différents de ceux d’origine. La réplique reste donc un acte qui privilé- gie la forme de l’œuvre plutôt que son fond. Il serait possible de parler de réplique au sujet de la re-présentation de l’œuvre d’Artur BARRIÒ pour laquelle il a été proposé de reproduire les tracés au moyen de trans- ferts et de projections murales. Ce faisant, même si le processus perfor- matif original qui a conduit à ces inscriptions n’est plus respecté, il n’en reste pas moins que le résultat optique serait satisfaisant au regard de l’aspect purement formel de l’œuvre. Quant aux giclées de vin et de café, ou encore aux trous effectués à même les murs, ils pourront être repro- duits, sous couvert de la réplique, de manière plus ou moins fidèle dans les limites d’un résultat esthétique cohérent. Malgré tout, et même si, de toute façon, le public d’Artur BARRIÒ n’assiste pas au processus d’élabo- ration de l’œuvre, ce serait réduire son travail à une simple technique et à son seul aspect formel.

Réitérer et reconduire restent, quant à eux, des termes assez flous dans leur procédé mais dont l’intention est proche de celle de notre objectif. Ils signifient que l’on procède à une nouvelle présentation, sans pour autant préciser le degré de ressemblance susceptible d’exister entre la version réitérée et son original.

La commémoration est le garant du souvenir d’un évènement. En tant que tel, le terme semble assez approprié à notre démarche, puisqu’il exclut la réactualisation ; cependant celle-ci peut prendre des formes totalement différentes de celles de l’évènement originel : un monument aux morts commémore les victimes d’une guerre, mais la guerre ne sera ni « rejouée » ni simulée pour autant ; enfin la commémoration intervient souvent à une date précise, périodiquement rappelée. L’idée du souvenir qu’elle ravive régulièrement correspond à la visée de la re- présentation lorsqu’il s’agit d’œuvres éphémères et non impermanentes.

-123- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

En effet, comme nous l’avons déjà évoqué, l’œuvre impermanente auto- rise a priori sa réinstallation alors que l’œuvre éphémère reste un évène- ment unique, non reproductible ; sa re-présentation relèverait donc davantage de la commémoration que de la réinstallation.

Nous pouvons, à la lumière de ces définitions, établir la hiérarchisation des substantifs sélectionnés et regroupés sous le vocable de re-présen- tation, en fonction de la nature des interventions qu’ils connotent : Reproduction

D’un point de vue technique, les termes d’arrangement et de réplique, nous semblent les plus appropriés car ils précisent immédia- tement que l’on a affaire à une version de l’œuvre et non pas à l’œuvre elle-même, en même temps qu’ils supposent, par certains aspects, une variation de l’œuvre originelle. Etant donné que la conservation de ces œuvres ne peut-être, ni effective, ni satisfaisante à travers leur docu- mentation, reste la possibilité de la transmission par voie de réplique qui peut rester encore un moyen de se confronter à l’essence de l’œuvre, à travers une version formelle de celle-ci autrement que par le biais de la vidéo ou de la photographie. Par rapport à notre intention, la commémoration se révèle assez juste puisqu’elle évoque l’idée du souvenir et de la résurgence des sentiments, alors qu’il nous importe de re-éprouver ces oeuvres disparues. Cependant, aucun de ces vocables ne sous-entend mieux la notion de conservation, sous-jacente à notre ambition, que celui de perpétuation : ce terme évoque, en effet, les gestes, la mémoire, l’immatériel ; il peut- être tenu pour synonyme de conservation, de transmission et de repro- duction. Perpétuer une œuvre, ce serait la révéler périodiquement, en assurer la conservation et la préservation aussi bien dans le fond qu’à travers une forme fidèlement reproduite ou interprétée.

Enfin, que dire du terme d’instauration ? Si la définition actuelle de ce substantif correspond à la fondation, l’inauguration, l’établissement d’une chose ou d’un évènement pour la première fois (à l’instar de la création), il n’en a pas toujours été ainsi, puisque le terme a été longtemps syno- nyme de renouvellement ; instaurer signifiait en effet « recommencer », « réparer », « célébrer à nouveau », avant de se transformer en res- tauration. (c.f. Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain REY, Paris, éd.Robert, 1993)

« (…) l’idée d’instauration suppose une dynamique, une expé- rience active menée à son terme qui est une existence. » L’instauration aboutit à une œuvre mais se distingue néanmoins de la création : « la création a une résonance nettement méta- physique « action de tirer quelque chose du néant », invention, ce qui se fait pour la première fois mais « instauration » a le sens bien précis d’une expérience dialectique qui conduit à don- ner l’existence à une œuvre.

-124- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

«(…) tout processus, qui peut-être abstrait ou concret, d'opéra- tions créatrices, constructives, ordonnatrices ou évolutives, qui conduit à la position d'un être (…) avec un éclat suffisant de réalité. » »32

Nous pourrions, en ce cas parler, d’instauration et d’instaurateur [ou de ré-instauration et de ré-instaurateur pour se conformer au sens actuel du terme d’instauration] pour évoquer plus justement le rôle du conservateur-restaurateur envers les œuvres impermanentes et perfor- matives. Cela semble d’autant plus approprié que l’instauration, dans l’é- tape de création d’une œuvre, correspond au moment de sa présenta- tion publique ; la ré-instauration signifierait donc une re-présentation de l’artefact ou du geste et de l’œuvre. Sachant, d’autre part, qu’il a donné naissance au terme restauration, il sous-entend que cette intervention interdit toute recréation.

Enfin, ce terme, restant encore relativement ouvert, pourrait englober, de par son sens, un éventail de nuances quant à la manière de re-présen- ter une œuvre qui, de toutes façons, ne peut prendre, le cas échéant, l’allure d’une technique appliquée selon le même schéma à chaque œuvre. En effet, chaque création qui autorise sa re-présentation doit pouvoir être considérée indépendamment d’une famille d’œuvres et être appré- hendée au cas par cas. Ainsi, si une installation permet son interpréta- tion, une autre invitera plutôt à son adaptation, alors que quelques unes seraient plus justement présentées à travers leur reproduction ; dès lors, la personne habilitée à une telle intervention devra être en mesure d’a- nalyser la façon la plus adéquate de transmettre une œuvre en fonction de sa nature et des paramètres de sa réexposition : elle devra privilégier dans tous les cas la justesse, à l’instar des interprétations musicales.

Cependant, si les termes de ré-instauration et de ré-instaurateur, semblent répondre de manière adéquate aux opérations envisagées en matière de « restauration » d’œuvres impermanentes, voire performati- ves, il faut préciser qu’il s’agit là d’un choix personnel qui n’a pas voca- tion à faire école. Etant donné qu’il doit pouvoir évoquer des interventions de re-présenta- tions d’une œuvre à travers les différentes versions de celle-ci, le terme de ré-instauration recouvre, en fait, des tâches sensiblement similai- res à celles qui incombent à l’interprète, terme communément utilisé dans les arts du spectacle. C’est pourquoi les locutions interprète et ré-instaurateur pourront être utilisées de manière interchangeable, en attendant de trouver un dénominateur approprié et approuvé de maniè- re collégiale.

D’autre part, ce néologisme est né d’une recherche étymologique au sein de la langue française ; en conséquence il semble ne pouvoir être aisé- ment employé par des professionnels étrangers ; il resterait donc à arrê- ter un terme dont le sens soit compréhensible de manière internationa-

32 ibid.

-125- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

le. C’est tout l’enjeu d’un des colloques du Projet Culture 2000, qui se concentre, néanmoins, plus spécifiquement sur le problème de la conser- vation-restauration des installations. Les partenaires du projet remettront leur rapport en 2007 et, avec lui, une proposition visant, notamment, à unifier le champ lexical employé dans le domaine de la conservation-res- tauration à l’égard de cette forme de productions.

C2/2. LE PROBLÈME DE L’AUTHENTICITÉ

Si l’objectif de la réinstauration ne vise pas à se substituer à l’œuvre ori- ginelle, certains d’argumenter qu’une reconstitution de l’œuvre, même désignée comme telle par l’exécutant, ne sera pas la garantie d’une expérience physique de même intensité, avant tout parce qu’elle serait inauthentique.

La présentation contemporaine d’une œuvre impermanente du passé, si elle est décidée par le conservateur et le conservateur-restaurateur et qu’elle n’est pas réalisée par l’artiste, devient un objet ou une action non- autographe ; mais sera-t-elle pour autant totalement inauthentique ? Quels sont les paramètres qui rendent ces créations authentiques aux yeux de l’institution et du public lorsque certaines d’entre elles sont allo- graphes ? En effet, lorsqu’il est question d’œuvres reposant sur des scripts (comme les Happenings), ceux-ci ouvrent par nature la voie de l’interprétation et de la ré-interprétation quand l’artiste ne considère pas sa propre version comme la seule manière d’exécuter son œuvre. Quand bien même ces œuvres seraient ré-interprétées, elles n’en restent pas moins authentiques, (en tout cas aux yeux de l’auteur) et continue- raient à véhiculer l’œuvre de l’artiste : « Qu’elle soit jouée par Maurizio POLLINI ou par le dernier des élèves d’un conservatoire, ne retirera pas à CHOPIN la paterni- té de sa musique. »33

Même il s’agit ici de la musique et, donc, de créations qui ont vocation à être réinterprétées, cette remarque pourrait très bien s’appliquer à cer- taines œuvres d’art plastiques dont l’impermanence invite à une interpré- tation ultérieure.

« L’œuvre authentique, en vérité, c’est « l’œuvre » et son temps réel, non l’éternité possible de son exposition, mais bien le moment de son élaboration ainsi que l’écrit Stephen WRIGHT qui relève la nécessaire prise en compte de ce « dés-oeuvre- ment » pour qualifier l’évolution de l’art : « toujours pensée

33 Didier SEMIN, “L'impossibilité d'être précis. John Cage, Yves Klein : artistes ou inventeurs ?”, in L'Inactuel, n° 7, 2001, p.109

-126- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 comme porteuse de valeur incarnée, la notion d’œuvre se révè- le aujourd’hui (…) singulièrement inadaptée pour penser la pro- duction artistique la plus contemporaine de plus en plus tournée vers des processus ouverts ». »34

Ainsi, lorsqu’il s’agit d’œuvres à partition, telles que celles proposées dans l’exposition Do it conçue par Hans-Ulrich OBRIST en 1995, il ne peut être question de simulacre, puisqu’il n’existe pas de réalisations autographes à partir desquelles l’œuvre devrait pouvoir être immuable- ment re-présentée : « Do it renonce complètement à la notion d’original pour une conception ouverte à la réalisation de l’œuvre. (…) Deux ver- sions réalisées d’un mode d’emploi de Do it ne sont jamais iden- tiques. (…) Chaque exposition réalisée est une vérité parmi d’autres – il ne s’agit pas de reconstituer ou de copier des œuv- res dont l’original serait quelque part ailleurs mais plutôt de créer un modèle d’exposition ouvert, « en devenir ». (…)»35

Dans le même registre, signalons que BEN met en ligne sur Internet un mode d’emploi à destination de qui sou- haiterait faire chez lui un concert Fluxus. (Cf. en annexe) Il en est de même de John CAGE et de sa célèbre pièce 4’33” que d’aucuns réinterprétèrent à plusieurs reprises : celle-ci se base sur une partition extrêmement épurée, puisqu’il s’agit en l’occurrence de quatre minutes et tren- te-trois secondes de silence. (Cf. dans le DVD ci-joint)

Enfin qu’en est-il de certaines œuvres in-situ qui accep- tent néanmoins leur réadaptation en d’autres lieux ? Si c’est le cas de certaines réalisations d’Artur BARRIÒ, c’est 14- John CAGE, partition de 4’33”, 1952 surtout le cas de celles de Daniel BUREN ; tous deux remettent ainsi en cause la notion d’originalité au profit du concept (il faut, cependant, ne pas oublier que leurs tra- vaux, réédités en d’autres espaces, restent encore des réalisations autographes…).

« (…) la condition de l’authenticité en art, c’est la continuité du lien entre la personne du créateur et l’objet créé, entre l’intério- rité du projet créateur et son extériorisation dans le monde habité par autrui. »36

Mais incombe-t-il au conservateur-restaurateur d’interpréter ces scripts ?

« Si l’œuvre in-situ est pertinente dans le temps et l’espace de sa mise en vue, sa capacité à durer ou à être actualisée à nou- veau tient uniquement au réglage que l’artiste a fait sur ce temps et cet espace et rien n’exclut - dans la mesure où elle n’est pas frappée du tabou des œuvres originales, fixées à tout

34 Paul ARDENNE, L’art contextuel, 2004, p.51 35 Hans-Ulrich OBRIST, introduction du catalogue Do it, 1995 36 Nathalie HEINICH, op. cité, 1998, p.123-124

-127- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

jamais dans leur matérialisation première - qu’elle donne lieu à des adéquations de détail. Ainsi, par exemple, de nombreuses œuvres de BUREN (les Cabanes entre autres) ou de Sol LEWITT (les Wall drawings) intègrent dans leurs modalités d’installation des variantes qui leur permettent, sans changer de structure, de continuer à coller aux cadres successifs de leurs actualisations. La rupture décisive à l’origine de l’œuvre in situ tient dans le fait que l’artiste s’est mis à organiser son activité à partir de l’évè- nement social (exposition) et ceci, en prélevant, dans l’ensem- ble de la circonstance de mise en vue à laquelle cet évènement lui donnait accès, une substance sémiotique pour produire son œuvre. Ce faisant, la pratique de l’in situ a fait apparaître avec plus d’évidence la dimension pragmatique d’œuvres moins «cir- constancielles » telles que les collages, assemblages, les œuv- res donnant à voir leur propre processus d’élaboration, et a rendu possible la réitération de l’« évènementialité » d’autres œuvres jusqu’alors condamnées au seul éphémère que sont les installations, les évènements, actions ou happenings. »37 Finalement, la polémique suscitée par la question de la re-présentation ne se fonde-t-elle pas, paradoxalement, sur la présence des documents relatifs à l’œuvre originelle, notamment lorsqu’il s’agit d’art-action ? En effet, si ces documents retracent, en photo ou en vidéo, la performan- ce d’un artiste telle qu’elle a eu lieu initialement et, qui plus est, avec l’ar- tiste himself dans le rôle du performer, il est évident que la re-présenta- tion ne peut que souffrir de la comparaison. Pourtant la restauration d’une œuvre picturale ou sculpturale n’amoindrit pas sa valeur d’authenticité, pourquoi en serait-il autrement de la perpé- tuation d’une œuvre ? Les ambitions sont sensiblement les mêmes que celles de la conservation-restauration classique sauf que la pratique ne consiste pas en une réintégration mais en une re-présentation de l’œu- vre ? En admettant que les œuvres impermanentes participent davantage d’un concept que d’une forme (c’est-à-dire que leur première présentation ne serait pas considérée comme un modèle immuable), il serait envisagea- ble de considérer la re-présentation comme une variation authentique de l’œuvre originelle, et non comme un simulacre de l’œuvre originale.

La question de l’authenticité, en matière d’œuvres impermanentes, reste un délicat problème - directement issu d’une conception occidentale de l’objet d’art pour qui est authentique ce qui est autographe. Dès lors que l’artiste propose lui-même une version de son œuvre, celle- ci devient, malgré lui, une référence, quand bien même il est des artis- tes qui encouragent l’interprétation de leurs œuvres ; par ailleurs l’ab- sence de trame semble, par excellence, être le frein à la validité de toute re-présentation, car d’aucuns considèreraient alors qu’il y aurait ici une volonté de se substituer au créateur - ce qui aboutirait nécessairement à une parodie. En fait, se pose fondamentalement ici la question du geste, de sa repro- duction, imitation, restauration, le rapport entre l’artiste et l’interprète, et la notion d’original. C’est cette notion qui va finalement régir les défini-

37 Jean-Marc POINSOT,opus cité, 1999, p.139

-128- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 tions d’artiste et d’acteur, d’auteur et d’interprète : il n’y a, en effet, pas d’interprétation possible sans original.

Michel GIROUD, fait ainsi une distinction entre l’improvisation et la spon- tanéité. La spontanéité est une émanation naturelle, imprévue, quasi inconsciente, alors que l’improvisation est une invention qui tire son inspiration de certains codes, d’une base chorégraphique, musicale, … De ce fait, les artistes Fluxus improvisent à partir d’une partition, seule à devoir être véritablement considérée comme originale. A partir de là, le performer est acteur (s’il n’est pas l’auteur de la trame de départ) et toute tentative de re-présentation est, et ne devrait être, qu’une impro- visation sur cette partition : comment envisager la restauration de la trame autrement que par sa re-présentation et donc par son interpréta- tion ? Dès lors, le ré-instaurateur est tout autant acteur que l’artiste- interprète originel et la notion d’originalité disparaît, au profit de la seule transmission d’un état d’esprit. En fait, Fluxus revendique un processus, un comportement ; l’œuvre est annihilée, puisqu’elle n’est que l’effet causé sur l’esprit ; ne restent donc que des actions et des instants ponc- tuels à considérer, avant tout, dans le présent : selon Michel GIROUD, Fluxus et Dada évincent toute notion de passé et de futur pour ne privi- légier que le moment du faire ; dès lors, il n’y a pas de restauration pos- sible parce qu’il n’y a pas d’œuvre originale (donc pas de copie ou d’in- terprétation possible) et qu’il n’est pas question de transmettre quelque élément du passé, mais plutôt de perpétuer un état d’esprit qui passe par une réappropriation des codes et non plus par leur imitation. Finalement, c’est la tradition qu’il s’agit ici de perpétuer : il n’est plus question de transmettre des œuvres ou des actions tenues pour des références. Ici, l’authenticité réside dans le respect d’une attitude globale. Si le cas de Fluxus est extrême en la matière, on pourrait dire des performances en général et des installations qu’elles reposent, certes sur un concept, mais aussi sur un point de vue singulier de l’artiste quant à son environne- ment, vision que le ré-instaurateur pourrait tenter de transmettre avec justesse.

De nouveau s’impose ici le parallèle avec la musique. On peut évoquer ici la conception chinoise de la conserva- Evidemment, il existe une trame (comme dans le jazz qui tion et du patrimoine. La plupart des conservateurs-restau- rateurs chinois sont avant tout des artistes qui restituent autorise et, même, encourage le musicien, qui reprend la l'œuvre altérée à travers sa re-présentation, selon des tech- composition d’un autre, à y adjoindre une part d’interpréta- niques transmises de générations en générations ; il s'agit là de la perpétuation d'un lien mémoriel : ainsi c'est la tech- tion en dehors de la partition), mais, pour autant, qui peut nique, davantage que l'expression formelle qui en résulte et prétendre jouer comme MOZART, BACH, ou CHOPIN ? Où qu'il faut pouvoir transmettre. réside donc l’authenticité de l’œuvre ?

« How did John DOWLAND really want his " forlone hope fancy" « Comment John DOWLAND a-t-il réellement souhaité que to sound ? Here authenticity purpotedly hinges not on the qua- sonne sa « forlone hope fancy »? Ici l’authenticité dépend non pas de la qualité des expériences de l’auditeur, mais du lity of the recipient's experiences, but on the content of the contenu de l’esprit du compositeur. Le problème est que composer's mind. The supposition is that we misrepresent the nous représentons l’œuvre sous un mauvais jour en ne pro- work without such information, and that is a bad thing. »38 posant pas ces informations*, et ceci n’est pas une bonne chose. » (* relatives à l’esprit du compositeur) Traduction personnelle

38 Salim KEMAL and Ivan GASKELL, op. cité, 1999, p.160

-129- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

À vrai dire, juge-t-on plutôt de l’authenticité de l’œuvre ou de sa récep- tion par le public ? Le public considèrera-t-il l’œuvre, ou plutôt l’intensi- té d’émotion qu’elle lui procure ?

« À quoi doit-on faire référence pour être authentique : à la musique pure ? Ou à la culture du passé ? Dans tous les cas, l’authenticité, ne présente pas ici de sens historique intégral. Historiquement construits, devons-nous être en accord avec l’expression du compositeur ou avec ses souhaits supposés, avec les attentes auriculaires et émotionnelles de l’auditeur d’autrefois, avec les habitudes pratiques de l’interprète? Très rarement, avons-nous à devoir être en accord avec le côté abstrait de l’œuvre, avec la meilleure interprétation possible de cette œuvre, avec l’expérience auditive idéale. »39

Dès lors qu’une œuvre repose sur un concept ou une trame, qui peut juger de l’authenticité de son expression formelle ? Qui est en mesure de dire qu’un musicien ou qu’un ré-instaurateur interprète de manière juste ou fausse ? En l’occurrence, il est inévitable de faire des choix, même inconscients, au moment d’une re-présentation - des choix dictés par des paramètres historiques, techniques, émotionnels, relatifs aux exi- gences de l’institution,…

Ainsi la question de l’authenticité doit pouvoir être revisitée si l’on veut faire accepter l’idée que certaines œuvres d’art-action ou d’installations performatives puissent être un jour re-présentées ; en d’autres termes, il faut prendre conscience que l’authenticité de ce type de productions réside avant tout dans une idéologie, dans un concept et que c’est dans le respect de celui-ci que va dépendre la juste re-présentation d’une œuvre.

Lorsque l’on aura évacué le rapport quasi messianique qui lie aujourd’hui la majorité du public avec le nom de l’artiste, il sera peut-être envisage- able de tenter l’expérience d’une re-présentation de performances orchestrée par un conservateur-restaurateur. Si, pour l’heure, il est le seul à pouvoir intervenir sur une œuvre en dés- acralisant sa matérialité, il n’en est rien, pour l’instant, de l’œuvre perfor- mative qui reste, semble-t-il, un type de production « sacrée ».

Dans l’optique d’une réitération des œuvres, et parce qu’aujourd’hui, on accorde énormément de crédit à la documentation d’une œuvre, il me paraît important de proposer - en complément de toute nouvelle mani- festation de l’œuvre - un maximum de témoignages relatifs à celle-ci, et, dans l’absolu, ceux qui témoigneraient de ses re-présentations successi- ves. Ceci permettrait, à la fois, d’éviter chez le visiteur une confusion entre la forme originelle de l’œuvre et sa re-présentation et de mettre en avant le caractère plus conceptuel que formel des œuvres qui autorisent leur réédition. Ce faisant, l’acte du ré-instaurateur participerait d’une identification de l’œuvre et de l’œuvre - à travers sa documentation et sa re-présentation.

39 ibid., 1999, p.168

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Autrement dit, le ré-instaurateur marquerait la différence entre son inter- vention et celle de l’auteur en mettant l’accent sur l’authenticité plus conceptuelle que formelle de l’œuvre. Le geste du ré-instaurateur relè- verait donc autant d’une transmission que d’une approche didactique. Même si un autre artiste serait à même de procéder à une intervention similaire, reste que l’attitude objective et la plus neutre possible du conservateur-restaurateur ambitionnera la re-présentation de l’œuvre avec davantage de justesse que ne le ferait un autre artiste - artiste qui, inévitablement, signera cette nouvelle version de l’œuvre. Par consé- quent, le ré-instaurateur serait le garant de l’authenticité (conceptuelle) de l’œuvre à travers sa perpétuation. Dans la mesure où l’objectivité n’est pas forcément le gage d’une resti- tution fidèle de l’esprit de l’artiste, il faut, tout de même, nuancer ces propos : un artiste peut re-présenter l’œuvre d’autrui en l’interprétant totalement, reste que sa re-présentation sera peut-être davantage fidèle à l’esprit de l’auteur originel qu’une ré-instauration minutieuse. En effet, il faut pouvoir accepter l’existence de différents horizons de sens et niveaux d’authenticité ; la justesse, qui semble ici impérative à la bonne re-présentation d’une œuvre, dépend d’un équilibre harmonieux entre tous ces paramètres qui sont plus ou moins authentiques et que le futur ré-instaurateur devra prendre en compte.

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C2/ 3. DE LA PATERNITÉ DE L’ŒUVRE RE-PRÉSENTÉE

Re-présenter (ou reproduire une œuvre) implique une grande responsa- bilité de la part de celui qui pourrait en être chargé, car cela peut provo- quer d’éventuels malentendus au niveau juridique quant à la paternité de cette nouvelle version de l’œuvre qui, pourtant, ne se veut pas différen- te - dans l’intention - de celle qu’offre la restauration d’un tableau alté- ré. Pour les besoins de la présente démonstration, je considère le conserva- teur-restaurateur comme habilité à entreprendre de telles interventions. Qu’il s’agisse de réitération ou de re-présentation, ce type d’intervention implique qu’une personne différente de l’artiste exécute son œuvre à nouveau dans une optique didactique : malgré tout, l’individu accrédité ne devra pas être considéré comme un interprète au sens artistique du terme, c’est pourquoi il me semble nécessaire de revenir à nouveau sur la question du droit d’auteur en la matière. « La protection du droit d’auteur commence avec la création de l’œuvre et signifie en général que certaines utilisations de l’œu- vre ne sont licites que si elles sont autorisées par le titulaire du droit d’auteur. De cette autorisation dérivent : le droit de copier ou de reproduire ; le droit de faire des enregistrements sono- res; le droit de représenter ou d’exécuter en public ; le droit de communiquer au public (…) ; le droit de traduire; le droit d’a- dapter toutes sortes d’œuvres (…). »40

Ainsi, il semble inconcevable - même en tant que conservateur-restaura- teur - de décider de la reproduction ou de l’interprétation d’une œuvre sans l’avis de son auteur. Et cela pour des raisons évidentes : si la repro- duction est erronée, celle-ci peut desservir la notoriété de l’artiste et dénaturer l’essence de son œuvre ; juridiquement parlant, il y aurait ici atteinte au droit moral de l’artiste, et plus précisément violation de son droit à la paternité : l’auteur pourrait tout à fait renier être l’auteur d’une œuvre qu’une re-présentation malheureuse aurait dénaturée. Dans ce cas précis, il incombe à l’exécutant la responsabilité du résultat. Si le droit d’auteur prône le respect de l’œuvre et de l’artiste, il y a donc atteinte à l’intégrité de l’œuvre, dès lors que celle-ci a été modifiée dans

40 Alfredo ILARDI “Bref survol de la propriété intellectuelle” in actes de colloque La question du droit d’auteur liée à l’activité de la conserva- tion-restauration, 1997, p.14

-132- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 sa matérialité, sans le consentement de l’artiste ou qu’il y ait eu une « exploitation ou adaptation qui ne respecte pas l’esprit de l’œuvre. Par exemple, l’altération d’une pièce de théâtre par une mise en scène contraire à l’esprit de son auteur »41

En portant atteinte aux droits patrimoniaux de l’artiste, la re-présentation passerait pour une contrefaçon . Il faut donc pouvoir engager la reproduction des œuvres d’art contem- porain, et plus particulièrement celle des créations performatives et impermanentes, en fonction des directives de l’artiste. En France, il est admis que la restauration de par « la fidélité à l’image et à l’esprit de l’œuvre empêche tout arbitraire et tout droit d’auteur »42, l’activi- té du conservateur-restaurateur relèverait d’une simple technicité dénuée de toute expression originale donc d’empreinte de sa personna- lité. Pourtant d’aucuns admettent que, plus le travail de restauration est compliqué et plus il exige de la part du professionnel un apport person- nel - apport qui peut s’apparenter à une création de l’esprit, protégeable par la loi. Qu’en sera-t-il alors du conservateur-restaurateur qui tenterait la re-pré- sentation d’une œuvre performative? En Italie, la jurisprudence a reconnu la protection du droit d’auteur au conservateur-restaurateur dont l’intervention avait conduit à une vision nouvelle de l’objet par rapport à son état antérieur : c’est-à-dire que le traitement, qui aboutit à un résultat dont on peut visuellement prendre la mesure et qui tend à requalifier l’objet par rapport à son aspect pré- cédent, est considéré comme un acte original protégé par la loi. Cependant, il faut nuancer ces affirmations qui visent à protéger l’acte de restauration en tant que création d’un point de vue juridique et non pas du point de vue artistique : en effet, le conservateur-restaurateur ne peut s’opposer à une nouvelle restauration, alors que l’artiste peut inter- dire toute modification de son œuvre : ce n’est donc que partiellement que le droit d’auteur est reconnu aux professionnels de la restauration.

Dans un autre registre, un musicologue avait entrepris la restauration d’une partition lacunaire de DE LALANDE 43 ; la question s’est alors posée de savoir où se situait l’œuvre ? La restauration est-elle ou non une œuvre ? Même si le principe de fidélité par rapport à l’œuvre originale, auquel doit pouvoir se conformer tout conservateur-restaurateur, est le gage d’une absence d’originalité de l’acte de restauration et, par là-même, de recon- naissance par le droit d’auteur du conservateur-restaurateur, il n’en reste pas moins que, dans ce cas précis, il a été décidé de protéger le musico- logue assimilé à un compositeur. Les ajouts et modifications qu’il a effec- tués, même en vertu d’une restitution de l’œuvre de DE LALANDE, ont conduit à qualifier le conservateur-restaurateur d’auteur. Notons, cepen- dant, que c’est sans doute en l’absence de la partition originale complè- te - et donc de moyen de comparaison - qu’il en a été décidé ainsi.

41 Claude COLOMBET, Propriété littéraire et artistique et droits voisins, 9ème édition, 1999, p.273 42 Nadia WALRAVENS, op. cité, 2005, p.424 43 TGI Nanterre, 1ère chambre, 19 janvier 2005 ; Juris-Data n°2005-279499

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Dès lors, qu’en est-il du droit d’auteur en regard du professionnel char- gé de la re-présentation d’œuvres performatives ou impermanentes et dont l’état original est connu ? Il pourrait, en fait, être comparé à un traducteur : son rôle est en effet de proposer une lecture, la plus fidèle possible, de l’œuvre à un public n’ayant pas eu accès à l’œuvre originale, par méconnaissance de la lan- gue de l’auteur ou par absence physique, lors de la présentation initiale de l’évènement. En admettant cette comparaison, l’acte de re-présenta- tion deviendrait donc une forme d’adaptation, protégeable en tant que telle par le droit d’auteur… Ainsi, « sont protégées comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale, les traductions, adaptations, arrange- ments de musique et autres transformations, d’une œuvre littéraire ou artis- tique. »44, cela signifie que la re-présentation pourrait être protégée indépendamment de l’œuvre au titre d’œuvre de l’esprit ; cependant, si elle découle des directives de l’artiste et que le conservateur-restaurateur ou le professionnel habilité les a strictement respectées, le droit d’auteur s’appliquera à la re-présentation, au nom de la création d’une œuvre composite : soit une œuvre réappropriée par le conservateur-restaura- teur que l’artiste peut légitimer, mais à laquelle il ne participe pas.

Pour autant, ce n’est pas parce qu’une nouvelle production est protégée par la loi que celui qui en est l’auteur est un artiste ; ainsi n’est pas considéré comme un créateur :

« La personne qui procède uniquement au choix des matériaux qui n’ont pas d’incidence sur l’expression ou la forme de la créa- tion ; la personne qui se contente de reproduire mécanique- ment des données et des instructions, sans pouvoir imprimer à son travail la marque de son empreinte personnelle, (…) ; la personne qui se contente de reproduire une création existante avec seulement quelques modifications de détails. »45

Bien qu’il faille s’entendre sur ce que recouvre la notion de « modifica- tions de détails », cette remarque semble pouvoir appuyer la jurispru- dence italienne en n’accordant le statut d’artiste, ni au conservateur-res- taurateur, ni au traducteur qui travaillerait dans le respect formel de l’œu- vre et dans l’exact esprit de l’artiste ; sans quoi, l’activité du conserva- teur-restaurateur porterait directement atteinte à l’artiste et à sa produc- tion - à moins que lui-même ne s’érige en artiste-interprète : «à l’exclusion de l’artiste de complément, considéré comme tel par les usages professionnels, l’artiste-interprète ou exécutant est la personne qui représente, chante, récite, déclame, joue ou exécute de toute autre manière une œuvre lit- téraire ou artistiques, un numéro de variétés, de cirque ou de marionnettes.»46 (Article 212-1 du CPI).

44 Article 2, alinéa 2 de la Convention de Berne 45 André BERTRAND, Le droit d’auteur et les droits voisins, 2ème édition, 1999, p.120 46 Article 212-1 du CPI cité par Claude COLOMBET, opus cité, p.313

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L’artiste-interprète est protégé, en tant qu’exécutant, par les droits voi- sins à ceux du droit d’auteur, alors qu’il n’est pas considéré comme l’au- teur de l’œuvre qu’il représente.

Afin de statuer sur la protection ou non du conservateur-restaurateur (futur ré-instaurateur) par le droit d’auteur, il semble qu’il faille, en tout état de cause, se reporter à notre code déontologique : celui-ci n’auto- rise pas le conservateur-restaurateur a quelque forme de liberté dans l’exercice de sa profession, dès lors il n’y a pas, de sa part, de « créa- tion » ; si le code engageait le conservateur-restaurateur à davantage de liberté, celui-ci serait reconnu comme véritablement créateur et serait, à ce titre, reconnu légalement par le droit d’auteur.

Par ailleurs, il faut évoquer ici la protection de la reproduction ; une œuvre - même réactualisée -, dès lors que l’artiste a encouragé sa modi- fication, reste protégée par le droit d’auteur : l’évolution matérielle, en tout cas physique, d’une œuvre n’entrave pas sa protection en droit d’au- teur. Ainsi, la restauration de Buddha’s Catacomb de Nam June PAIK, (pour laquelle il a été préconisé, avec l’accord de l’artiste, le remplace- ment et la réactualisation du tube cathodique) n’a pas dénaturé l’œuvre qui reste authentique en regard de la loi et du droit d’auteur, quand bien même certains ont vu dans cette « modernisation » un acte de falsifica- tion. Le remplacement du tube cathodique défectueux par un appareil des années ’70 pourrait passer pour une incompréhension du concept et pour une entrave aux vœux de l’auteur... Non seulement la loi protège cette version de l’œuvre, l’artiste ayant donné son accord à l’institution pour l’actualisation de son installation. Celle-ci devient une œuvre composite, protégée en tant que telle par le droit d’auteur, et doit pouvoir être considérée comme authentique.

Dans notre cas précis, il ne s’agit plus de la modification d’une œuvre mais de sa reproduction intégrale et non-autographe ; à ce titre, cette version de l’œuvre pourrait bénéficier d’une protection individuelle, indé- pendamment de celle accordée à l’œuvre.

Si la transmission des œuvres impermanentes s’engage sur la voie de leur re-présentation, il sera nécessaire de redéfinir l’engagement de notre profession ou de définir le statut d’un nouveau corps de métier habilité à ce type d’intervention. A moins qu’il ne suffise de faire évoluer les compétences du conservateur-restaurateur pour légitimer cet acte et garantir à l’artiste que ladite intervention ne sera pas confondue avec une re-création artistique - alors que le droit d’auteur semble accorder au conservateur-restaurateur actuel une certaine protection.

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RÉ-INSTAURER LES ŒUVRES 3 IMPERMANENTES ET PERFORMATIVES

A3/ REPOUSSER LES LIMITES DE LA CONSERVATION-RESTAURATION ?

A3/1.L’ÉMERGENCE D’UNE NOUVELLE COMPÉTENCE ?

Si l’acte de re-présentation ne semble pas pouvoir être légitimé par les codes actuels qui régissent le métier de conservateur-restaurateur, l’est- il davantage par la fonction du conservateur ou de tout autre acteur de la diffusion de l’art contemporain ?

Le curateur est avant tout la personne qui tente, par une démarche didactique, de proposer au public une approche singulière de l’œuvre et d’en aiguiser l’esprit critique. Il va essayer de soulever de nouveaux questionnements et de lever le voile sur les interrogations que peuvent susciter, chez le visiteur, certaines productions. Son approche est perti- nente puisqu’elle vise à déconstruire un discours pour en révéler l’essen- ce, en même temps qu’elle tend à évacuer les idées reçues. Son exercice s’éloigne donc de la simple re-présentation de l’œuvre et rejoint plutôt celle de l’analyste, voire celui de l’interprète.

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L'assistant d'artiste, lui, seconde l'auteur dans ses réalisations techniques : il exécute davantage qu'il n'élabore ; il répond à un protocole, suit des directives : l'artiste peut lui déléguer certaines tâches alors que lui revient la conception d'une œuvre. C'est lui qui, du vivant de l'artiste, intervient parfois directement à la place du créateur dans la réalisation matérielle d'une œuvre. L'institution peut également faire appel à lui, lors de réinstallations et pour des problèmes techniques et matériels. Cependant, l'assistant ne peut se substituer complètement à l'artiste, (par exemple, lors de la réadaptation d'une œuvre dans un nouvel espa- ce quand elle nécessite une recréation). A moins qu'il ne soit encouragé par l'artiste, c'est le plus souvent à ce dernier d'intervenir.

Enfin, le régisseur, à l’instar de l’assistant, préside, au sein de l’institu- tion, à la gestion matérielle des œuvres, à leur conditionnement dans les réserves, à leur emballage et à leur transport, à la réalisation mais non à la conception d’espaces d’exposition ponctuels. Il ne participe pas directement à la réinstallation d’une œuvre quand bien même il peut pro- poser ses compétences techniques.

Qu’en est-il désormais des conservateurs et des conservateurs-restaura- teurs ? « Alors que l’artiste ou l’artisan ont pour objectif de créer de nouveaux objets ou d’entretenir et de réparer les objets pour leur utilisation fonctionnelle, le conservateur-restaurateur a pour objectif la préservation des biens culturels.»1

Ceci implique non seulement les traitements préventifs et curatifs, mais également le souci de préservation de la propriété culturelle ; le conser- vateur-restaurateur doit donc toujours agir dans cette perspective. Il est le seul à pouvoir toucher les œuvres, alors qu’il revient au conser- vateur de classer la collection et d’en assurer la protection.

« La conservation recouvre la mise en ordre des collections (établissements et récolement des inventaires), leur enrichisse- ment (mise en œuvre du dépôt légal et du dépôt des archives publiques, gestion des legs, achats et dépôts et enfin leur étude scientifique (confection de fichiers, répertoires et catalogues).»2

Le conservateur de musée a la tâche du « soin intellectuel » des collec- tions (c’est-à-dire, de montrer la valeur esthétique et historique des œuv- res) ainsi que celle d’intermédiaire entre l’artiste, le public et les spécia- listes. Son métier est donc fait de relations humaines et de travail docu- mentaire au profit de l’œuvre et de son sens afin d’éviter impairs ou mal- entendus,… il doit donc assurer la bonne exposition de l’œuvre. Plus qu’un monteur d’expositions, il doit pouvoir assurer une mise en scène pertinente des œuvres, en accord avec leur concept. Le conservateur-restaurateur, en amont, doit, quant à lui, mettre en valeur l’aspect matériel de l’objet afin d’en révéler les stigmates histo- riques, la symbolique sociale ou religieuse, la fonctionnalité et l’esthé-

1 E.C.C.O., La profession de conservateur-restaurateur, code éthique et formation, Mars 2003 2 La conservation-restauration en France, Lyon Palais des Congrès, 1999, éd. ICOM CC, 1999, p.17

-138- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 tique et ce, en palliant aux déficiences structurelles et aux altérations de sa perception.

Cet aperçu des rôles respectifs des différents intervenants n’offre que peu d’indications quant à la matière d’appréhender les œuvres impermanentes en cas de re-présentation. Si le curateur est un interprète, l’est-il en son nom, ou à celui de l’artis- te ? Autrement dit, ses positions servent-elles davantage la pertinence d’une exposition ou le concept de l’artiste ? Etant donné l’exigence d’objectivité, en tout cas, de respect des volontés de l’artiste, que je suppose, dans la re-présentation de ce type d’œuvres - dès lors qu’elle est entreprise par un acteur du monde institutionnel, je ne suis pas certaine que le curateur puisse, à lui seul, satisfaire aux ambi- tions de cette tâche.

Si l’on en revient aux métiers de conservateur et de conservateur-restau- rateur, force est de constater que la gestion des œuvres impermanentes n’est pas explicitement abordée, rendant les codes, qui régissent notam- ment la profession du conservateur-restaurateur, particulièrement res- trictifs, tant ces créations exigent une approche inédite. Il me semble, dès lors, légitime de s’interroger sur la possibilité de créa- tion d’un nouveau métier où les rôles de conservateur et de conserva- teur-restaurateur pourraient être confondus en un seul corps, capable d’assumer l’acte de re-présentation ; à moins que cela ne devienne une nouvelle compétence du conservateur-restaurateur. Une telle compéten- ce requiert, selon nous, les qualités combinées du conservateur, du conservateur-restaurateur et du curateur, en même temps qu’elle relève d’une démarche scientifique encadrée par une déontologie plus adaptée. Cette activité, que j’ai fini par nommer ré-instauration, pourrait être l’a- panage du conservateur-restaurateur, investi de nouvelles responsabilités et davantage associé aux travaux du conservateur lors des montages d’expositions ; c’est un fait : alors que le conservateur-restaurateur est chargé de la reconnaissance de l’œuvre (de son historicité et de son sens), il est souvent considéré en France comme un exécutant plus qu’un acteur véritablement engagé au moment de la re-présentation de l’œuv- re. Or, envisager la re-présentation d’une installation ou d’une œuvre d’art-action, passe nécessairement, et en premier lieu, par sa reconnais- sance. Les qualités du conservateur-restaurateur devraient, me semble t-il, pou- voir être reconnues en amont, afin de garantir la bonne réception de l’œuvre par le public.

Si, à première vue, la ré-instauration ne fait qu’élargir le champ d’activi- té du conservateur-restaurateur, elle lui permettrait aussi d’affirmer son autorité scientifique aux côtés des conservateurs. Cependant, cette acti- vité devrait comporter des approches bien plus complexes, dès lors qu’il s’agira d’œuvres impermanentes et performatives - œuvres qui nécessi- tent, avant tout, le respect d’une authenticité basée sur la transmission des préceptes de l’artiste et du concept initial, au-delà de la seule maté- rialité de l’œuvre. En conséquence, le champ d’action du ré-instaurateur devrait se référer à des règles spécifiquement rédigées, à l’instar de celles qui régissent la

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conservation-restauration ; malgré tout, et même si la ré-instauration est issue de la conservation-restauration, il serait indispensable d’envisa- ger l’élaboration d’un code conforme à ses ambitions qui serait à même de légitimer cette activité et d’en contrôler les dérives ; c’est pourquoi, je tente de revisiter, ici, le texte Une définition de la profession, (Copenhague 1984), en opérant, en son sein, quelques modifications afin de l’adapter aux exigences de la ré-instauration. (Cf. en annexe le texte original en français). Les formulations en gras correspondent aux chan- gements effectués, les passages en italique reprennent le texte original. Je commence délibérément son examen à partir de la 2ème partie (la 1ère partie étant davantage un préambule qui fait état de la définition de la profession de conservateur-restaurateur au moment où ce document a été rédigé).

2. L’activité du ré-instaurateur

§2.1 L’activité du ré-instaurateur consiste en l’examen technique de l’œuvre, en la préservation des éléments relatifs à l’œuvre (reliques et documents de toute nature) et en la perpétuation du bien culturel. L’examen technique est la premiè- re procédure suivie pour déterminer la structure originale de l’œuvre et les composants d’un objet, les caractéristiques conceptuelles et contextuelles de l’œuvre, ainsi que (…) l’étendue des conditions de son éventuelle re-présentation, (…).

La préservation est l’action entreprise pour retarder ou prévenir la détérioration ou les dommages que les reliques et documents sont susceptibles de subir, au moyen du contrôle de leur environnement et/ou du traitement de leur structure pour les mainte- nir le plus possible dans un état de stabilité.

La perpétuation est l’action entreprise pour rendre un objet impermanent compré- hensible en sacrifiant au minimum son intégrité cognitive, conceptuelle et histo- rique.

§2.2 Les ré-instaurateurs travaillent dans les musées, dans les services officiels de protection du patrimoine, dans des entreprises de conservation privées ou de manière indépendante. Leur tâche est de comprendre l’aspect matériel et immatériel des objets ayant une signification historique et artistique afin de prévenir leur dénatura- tion et d’en favoriser la compréhension de façon à permettre la distinction entre ce qui est original et ce qui est faux, par une information immédiatement perceptible par le public.

3. Impact et classification des activités du ré-instaurateur §3.1. Le conservateur-restaurateur a une responsabilité particulière lors d’un traitement apporté à des originaux irremplaçables, souvent uniques et d’une grande valeur artis- tique, religieuse, historique, scientifique, culturelle, sociale ou économique. La valeur de tels objets réside dans le caractère de leur fabrication, dans leur témoignage direct en tant que documents historiques et donc dans leur authenticité. Ces objets “sont l’ex- pression significative de la vie spirituelle, religieuse et artistique du passé, souvent les documents d’une situation historique, que ce soient des œuvres de première importan- ce ou simplement des objets de la vie quotidienne”.

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§3.2. La qualité documentaire d’un objet historique est la base de la recherche en his- toire de l’art, en ethnographie, en archéologie et dans les autres disciplines à base scientifique. De là l’importance de la préservation de leur intégrité physique.

§3.3 Parce que le risque de manipulation ou de transformation nuisibles d’un objet est inhérent à toute intervention en conservation ou restauration, le conservateur-restau- rateur doit travailler en coopération étroite avec le responsable des collections, l’artis- te ou les ayants droit et autres spécialistes. Ensemble, ils doivent distinguer entre le nécessaire et le superflu, entre le possible et l’impossible, l’intervention qui met en valeur la qualité et le sens, la destination et l’intention d’un objet, et celle qui est faite au détriment de son essence. Parce qu’il n’est pas question de réhabiliter une œuvre qui est un document en soi, l’ob- jet, né de l’activité de ce spécialiste, sera de proposer une version de l’œuvre dans le cadre autorisé par l’artiste, mais qui aura valeur de document.

§3.4 Le ré-instaurateur doit être conscient de la nature documentaire d’un objet. Puisque chaque objet contient - seul ou dans un ensemble - des données et messages (…) le ré-instaurateur doit s’y montrer sensible, reconnaître leur nature et être guidé par eux dans l’accomplissement de sa tâche.

§3.5 Cependant, toutes les interventions doivent être précédées d’un examen métho- dique et scientifique, orienté vers la compréhension de l’objet dans tous ses aspects, et les conséquences de chaque manipulation doivent être entièrement prises en considé- ration. Quiconque, par manque de formation, ne peut réaliser un tel examen ou qui- conque, par manque d’intérêt ou, pour toute autre raison, ne procède pas de cette manière, ne peut être chargé de la responsabilité du traitement. Un conservateur-res- taurateur et/ou un ré-instaurateur éduqué, bien formé et expérimenté, est seul capable d’interpréter correctement les résultats de tels examens : seule une personne possédant ces qualités peut prévoir les conséquences des décisions prises.

§3.6 Toute intervention sur un objet historique ou artistique doit suivre la démarche commune à toute méthodologie scientifique : recherche de sources, analyse, interpré- tation et synthèse. Ce n’est que dans ces conditions que le traitement réalisé préserve l’intégrité physique de l’objet et rend sa signification accessible. Plus important encore, cette approche augmente notre capacité à déchiffrer le message et contribue, de cette façon, à une nouvelle connaissance. §3.7 Le ré-instaurateur ne travaille pas sur l’objet lui-même. Sa démarche reste, cependant, issue d’un savoir-faire. De plus, comme dans le cas du traducteur, l’habileté intellectuelle doit être liée à une faculté de jugement et à une capacité d’évaluer simultanément la situation et d’agir immédiatement en conséquence tout en évaluant son impact.

§3.8 La coopération interdisciplinaire est d’une importance primordiale car, aujourd’hui, le ré-instaurateur doit travailler en tant que membre d’une équipe. Si le traducteur ne peut être en même temps metteur en scène, chorégraphe, et médium, le ré- instaurateur devrait pouvoir maîtriser le contexte historique, culturel qui a permis la production de l’œuvre, en même temps que les dispositions men- tales de son auteur à ce moment-là. Cependant, comme dans le cas du traduc- teur, le travail du ré-instaurateur(…) doit être complété par les résultats d’analyses

-141- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 et des recherches de spécialistes ainsi que par l’entourage de l’artiste, voire de l’artiste lui-même. Cette collaboration fonctionnera bien si le ré-instaurateur est capable de formuler ses questions de manière scientifique et précise et d’interpréter les réponses dans un contexte exact.

4. Différences avec les professions apparentées

§4.1 Les activités professionnelles du ré-instaurateur, sont différentes de celles des professions artistiques ou artisanales. Un des critères fondamentaux de cette différen- ce est que, par ses activités, le ré-instaurateur ne crée pas d’objets culturels nou- veaux, sauf si l’artiste l’y encourage et accorde ce statut à la version non- autographe du nouvel objet. Reconstruire physiquement ce qui n’existe plus ou ne peut-être préservé est du domaine de l’artisanat, (…) à moins d’être annoncé comme tel, soit dans un but purement didactique et commémoratif, soit parce qu’il sera encouragé par l’artiste lui-même.

§4.2 Seul un conservateur-restaurateur ou un ré-instaurateur bien formé et cultivé, expérimenté et très sensible, peut recommander qu’une intervention sur un objet ayant une signification historique et/ou artistique soit faite par un artiste, un artisan ou un conservateur-restaurateur. Seule cette personne, en accord avec le conservateur ou un autre spécialiste, a tous les moyens d’examiner un objet, déterminer sa condition, éva- luer sa signification documentaire matérielle.

La formation du futur ré-instaurateur ne pourra être foncièrement diffé- rente de celle du conservateur-restaurateur ; celle-ci deviendrait une spécialité, car ce nouveau professionnel doit également pouvoir satisfai- re aux exigences de conservation et de restauration des documents ori- ginaux et des éléments pérennes relatifs à l’œuvre éphémère ou imper- manente. Il pourrait être envisagé d’appréhender ces œuvres de façon spécifique, au cours d’un cursus de formation adapté, afin d’avoir une démarche plus souple vis-à-vis de ces productions qui engagent déjà, pour certaines, les conservateurs et les conservateurs-restaurateurs sur la voie de l’interprétation. Cependant, ceci ne signifie pas qu’il faille re- présenter toutes les œuvres impermanentes : une fois de plus, il sera nécessaire de faire appel à des facultés de jugement à même de déter- miner la pertinence ou non d’une telle intervention, sous peine de quoi il faudra peut-être se résoudre à la disparition de l’œuvre.

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A3/2. L’AMBITION ET LE RÔLE DU RÉ-INSTAURATEUR

En envisageant la naissance d’une nouvelle compétence, j’ai tenté de mettre en avant ses raisons d’être, mais reste encore à savoir précisé- ment quelle sera l’ambition de ce personnage « hybride », qui n’a rien d’un artiste, et de déterminer la nature exacte de son exercice. Il est, en effet, nécessaire de préciser en amont ses objectifs. Si nous avons évoqué le cas d’artistes qui réinterprètent leurs propres œuvres ou celles d’autres artistes, il s’agit là de recréation. Or, dans le cas du ré- instaurateur, il ne peut être question de recréation, à moins qu’il ne soit invité à le faire par l’artiste lui-même. C’est le cas de Maryline TERRIER (étudiante en dernière année de la sec- tion conservation-restauration de l’école de La Cambre à Bruxelles) qui s’est vue confier un travail relativement inédit par l’artiste belge, Joëlle TUERLINCKX, et ce, dans le cadre du Projet Culture 2000. Dans ce cas précis, l’artiste a proposé à l’étudiante de travailler plusieurs mois avec elle, autour d’une installation impermanente qui appartient au S.M.A.K. de Gand, Un ensemble autour de MUR, (1998). Cette œuvre s’organise autour d’éléments disparates (dont certains peu- vent être remplacés) qui prennent un sens, une fois associés. Dissociés, ils sont quasi insignifiants, ils ne prennent leur valeur que par leur agen- cement. Et il ne peut y avoir une seule manière de les réunir : il en faut toujours au moins trois, donc trois couches au minimum d’interpréta- tions, l’une spatiale, l’autre narrative et une troisième conceptuelle. Durant une année, Maryline s’est consacrée au travail de l’artiste alors que cette dernière souhaitait former une personne capable de proposer une réinstallation fidèle de ses œuvres après sa disparition. Son travail ayant vocation à être interprété, il était nécessaire, pour l’artiste, d’avoir, à ses côtés, quelqu’un à même d’engager dans le futur une intervention de réinterprétation fidèle à l’esprit initial. Pour Joëlle TUERLINCKX, il n’était pas question de former une nouvelle artiste, mais de s’assurer, qu’à l’avenir, cette œuvre serait présentée avec justesse et pourrait continuer à être signée de son nom. Ainsi, Maryline TERRIER a dû, à plusieurs reprises, faire des propositions de réinstallations à l’artiste qui validait ou non ces variations. L’étudiante n’avait pas à entreprendre un acte de recréation, à l’instar de l’artiste : en effet, ses tentatives de réinstallations effectuées avec trop de sponta- néité ou d’improvisation, ou bien à la suite d’une perception trop linéai- re de l’œuvre dans son contexte, se sont toutes soldées par un échec. Ce n’est qu’avec de la méthode et de la logique, comme elle le dit elle- même, qu’elle a réussi à obtenir des résultats en accord avec l’esprit de l’artiste.

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Quand bien même on aurait pu penser qu’elle avait usurpé le rôle de l’ar- tiste, il n’en est rien : son rôle auprès de Joëlle TUERLINCKX, était celui d’un conservateur-restaurateur investi d’une mission de « conservation préventive » de son œuvre, même si ladite « conservation préventive » a pris des allures de conservation curative tant elle est apparue interven- tionniste.

« C’est une attitude politique d’une certaine manière, si l’on réussi à prouver que ce processus d’installation variable résiste à l’institution en s’y insérant tout en gardant ses caractéristiques mouvantes, cela sera une victoire, une leçon. Cela n’est pas un but, mais une nécessité. »3

Maryline TERRIER fut très bien accueillie dans le musée ; l’institution avait besoin de son aide afin de prévenir les risques de méprise au moment de la réinstallation de l’œuvre et, surtout, de permettre l’expo- sition de celle-ci, jusqu’ici restée en caisse parce que personne ne sou- haitait engager sa responsabilité, lors de sa re-présentation.

Dans ce cas précis, c’est sur une demande explicite de l’artiste et avec sa collaboration que le rôle du conservateur-restaurateur a été détourné et redéfini au profit de la juste réinstallation de son œuvre. De la sorte, le conservateur-restaurateur devenu ré-instaurateur est en mesure de re-présenter l’œuvre de Joëlle TUERLINCKX en l’interprétant tout en signalant sur son cartel qu’il s’agit bien d’une œuvre de l’artiste belge et non pas d’une proposition de Maryline TERRIER à partir d’une installation de Joëlle TUERLINCKX (il existe, à ce jour, huit versions de MUR, dont il ne sera possible de se rendre compte qu’en 2007, à la fin du projet Culture 2000, avec la consultation en ligne de l’ensemble des cas d’étu- de présentés aux différentes institutions partenaires).

Dans ces conditions, le rôle du conservateur-restaurateur est clair, tout autant que la nature de la ré-installation. Il est le ré-instaurateur manda- té par l’institution et l’artiste, avec qui il collabore, et se différencie de l’artiste-interprète, en cela qu’il ne signe pas cette re-présentation et tra- vaille dans le respect de l’œuvre de l’auteur original plutôt qu’il ne re-crée pour son propre compte. On peut tirer, de l’exemple précédemment pro- posé, deux éléments : d’une part, que l’institution acquéreuse d’une œuvre impermanente devrait confier au conservateur-restaurateur spé- cialisé ou au ré-instaurateur, la tâche de constituer, dès le début, une étude, voire une sorte de cahier des charges dans l’optique de sa re-pré- sentation ; d’autre part, que l’acte d’interprétation de l’œuvre (contrôlé par l’artiste mais néanmoins effectué par le conservateur-restaurateur) ne lui fait pas perdre de son authenticité ; étant donné que le conserva- teur-restaurateur a pour mission de garantir l’authenticité d’une œuvre, peu importe que celle-ci ait aujourd’hui opéré une translation du maté- riau vers son seul concept ; c’est à lui d’honorer aujourd’hui son devoir en respectant l’authenticité de l’œuvre à travers celui de son concept. Et si l’artiste n’envisage d’authentifier son œuvre qu’à travers l’interpréta- tion de celle-ci, alors le conservateur-restaurateur pourrait effectivement

3 Maryline TERRRIER, mail du 24.10.2005

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être chargé de la re-présentation et de l’interprétation des productions impermanentes et performatives.

« Nombreux sont les artistes qui (…) font un art éphémère qui pourtant nous semble digne de conservation. Il serait sans doute très positif d’envisager sous un jour nouveau la notion de reconstitution. Si le XIXème siècle a abusé de cette pratique sans suivre à la lettre les données historiques, si la « copie » est une œuvre ayant perdu son aura, il est indéniable que la « version » est pour l’historien d’art considérée au même titre que l’original. (…) Ainsi pourrait-on envisager lors de l’achat d’une œuvre dont les matériaux ne peuvent être conservés, un contrat de reconstitution. »4

Cependant, si l’artiste a disparu sans avoir laissé aucune directive préci- se à ce sujet et que, malgré tout, l’institution souhaite que son œuvre soit re-présentée, le ré-instaurateur deviendrait alors un traducteur qui tenterait de restituer l’œuvre au public en proposant une forme de com- mémoration plutôt qu’une interprétation. C’est dire que son rôle devrait pouvoir se limiter à la proposition d’une vision didactique de l’œuvre. La re-présentation de celle-ci devra, le cas échéant, s’accompagner de l’en- semble de la documentation relative à la pièce afin de permettre au public de faire la distinction entre l’œuvre originelle et ce qui lui est pro- posé. Il ne saurait y avoir de confusion possible. D’ailleurs, et afin d’évi- ter tout malentendu, il serait honnête de mentionner sur le cartel qu’il s’agit là d’une version réalisée par tel ou tel ré-instaurateur, ce qui n’éva- cuera pas le nom de l’artiste et l’authenticité de l’œuvre.

« (…) les conditions de présentation devront clarifier pour le spectateur qu’il s’agit bien d’une reconstruction contemporaine d’une œuvre antérieure de l’artiste.»5

Dans le cas où le ré-instaurateur ambitionne une re-présentation juste de l’œuvre, c’est-à-dire en interrogeant les limites de son action, en s’assu- rant du respect du concept artistique, en prenant en compte le passage du temps, tout en intégrant les demandes de l’institution acquéreuse,… il n’est pas exclu qu’il soit également amené à admettre l’impossibilité d’une telle opération. Si l’on compare l’intervention de ré-instauration de l’œuvre à celle de la réintégration des lacunes, le ré-instaurateur devra faire preuve d’ « une interprétation critique actuelle, et non [d’]une prétention à reprendre la démar- che créatrice et à abolir le temps écoulé. »6

4 Blandine CHAVANNE, “« Un coup de peinture, un coup de jeunesse », ou de la restauration de l’art contemporain”, in Conservation-restaura- tion des biens culturels, n°3, décembre 1991, p.8 5 R. GAGNIER « Du possible de la dérestauration : art contemporain, le droit de l’artiste, le multiple, la reconstruction », actes du colloque Restauration, dé-restauration, re-restauration, colloque sur la conservation-restauration des biens culturels, Paris, 5, 6 et 7 octobre 1995, 1995, p.26 6 Paul PHILIPPOT “L’œuvre d’art, le temps et la restauration” in Histoire de l’art, De la restauration à l’histoire de l’art, 1995, p.9

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Une comparaison s’impose ici, une nouvelle fois, avec le monde de la musique où les interprètes - les traducteurs pourrais-je dire - de parti- tions, effectuent un travail similaire à celui de l’éventuel ré-instaurateur.

« L’enjeu est de rendre accessible les anciennes pratiques «The point of the pursuit is to make past performance practice musicales. «Recréer» est un terme qui prête à confusion. accessible. " recreate " is a confusing term. Our job is to renew Notre travail est de renouveler et de restaurer, de recons- and restore, to reconstruct, to revive, to rebuild with luck, to truire, de faire renaître, de rebâtir avec un peu de chance, revitalize. de revitaliser. Bien entendu, nos reconstructions actuelles, sont des Of course, our present reconstructions are present reconstruc- reconstructions actuelles : à quel autre moment pourraient- tions. When else could they take place ? The proper questions elles exister ? to ask are : are they good or defensible reconstructions of for- Les véritables questions qu’il faut se poser sont : sont-elles mer practice ? Have we generated the most probable hypothe- de bonnes ou de défendables reconstructions d’anciennes pratiques ? Avons-nous émis les hypothèses les plus proba- ses with the best evidence to hand ? Can we improve on them? bles, avec sous la main les meilleurs témoignages? Peut-on Have we left anything important out ? To these, these are les améliorer? N’avons-nous pas laissé de côté quelque élé- methods of inquiry and non-arbitrary ways of adjudicating bet- ment important?» (Traduction personnelle) ween the answers these methods propose.»7

Et après ? Quelle sera concrètement l’activité du ré-instau- rateur ? Si, dans le cas des installations, c’est bien à lui que reviendra le rôle de proposer un agencement pertinent des éléments, qu’en sera-t-il des œuvres d’art-action ? Il me semble qu’en la matière, il doive s’en tenir à des analyses qui conduiront éventuellement à une re-présentation de l’œuvre par autrui, sans pour autant devenir un ré-instaura- teur-acteur. Cela dit, s’il se permet d’agir au nom de l’artis- te lors d’une réinstallation, pourquoi ne pas faire de même avec les productions d’art-action ? Pourquoi Marina ABRAMOVIC, refaisant une performance de Joseph BEUYS, serait-elle plus crédible qu’un ré-instaurateur dans le même rôle ? Parce que l’action de Joseph BEUYS n’est pas purement for- melle et que Marina ABRAMOVIC est une artiste dont l’ex- 1- Joseph BEUYS, How to Explain périence personnelle et professionnelle est incontestable, il Pictures to a Dead Hare (1965) semble qu’elle soit arrivée à transmettre un peu de son his- toire à travers cette performance ; son histoire n’est pas celle de Joseph BEUYS, mais bien la sienne - celle-là même qui, aujourd’hui, va prendre un certain sens à travers l’œu- vre de Joseph BEUYS en même temps qu’elle lui en insuf- flera un nouveau. [Andrea SAEMANN, qui a étudié auprès de Marina ABRAMOVIC et qui a assisté à Seven Easy Pieces en novembre dernier, a confirmé ce point de vue : elle m’a confié que Marina ABRAMOVIC a re-présenté ces œuvres emblématiques avec son propre regard et, surtout, avec sa propre expérience et ses propres codes : Andrea SAEMANN avait pu reconnaître, à travers la réédition de l’œuvre, les 2- Marina ABRAMOVIC performing Joseph BEUY’S How to Explain Pictures to a Dead Hare (1965) choix de Marina ABRAMOVIC et ses références personnel- at the Solomon R. Guggenheim Museum on les.] November 13, 2005

7 Salim KEMAL et Ivan GASKELL, Performance and authenticity, 1999, p.159

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En fait, cette re-présentation d’œuvres de Joseph BEUYS et de Gina PANE s’est doublée d’une performance de l’artiste Marina ABRAMOVIC, qui a nourri ces performances de sa propre histoire ; ce faisant, il est dif- ficile de parler ici de re-présentation alors qu’il s’agirait davantage d’une re-création, implicitement signée par Marina ABRAMOVIC.

Au cours de « The Biography Remix » de Michel LAUB (présentée notam- ment en 2005 pour le 59ème festival d’Avignon), Marina ABRAMOVIC n’é- tait pas la seule à re-présenter des extraits de ses propres performances. En effet, parmi les œuvres qu’elle nous proposait de revisiter, certaines d’entre elles étaient re-performées par quelques-uns de ses étudiants ainsi que par des élèves de l’Ecole d’art d’Avignon. Ceux-ci reprenaient la posture de l’artiste, ses gestes, soit en reconstituant une partie de la per- formance originelle, soit en en proposant une ré-interprétation que le metteur en scène avait choisie parmi d’autres, en amont. Ces re-présentations fonctionnaient parfaitement, d’autant plus que cer- taines d’entre elles étaient accompagnées de projections de photos ou de vidéos qui témoignaient de la performance originale de Marina ABRAMOVIC. Pourquoi ces reconstitutions même partielles étaient-elles justes ? Pourquoi celles-ci étaient-elles puissantes, incisives ? Pourquoi ne sem- blaient-elles pas dénaturer l’œuvre originelle ? Il est évident que la présence de l’artiste entre les tableaux proposés par ses étudiants pouvait passer pour une légitimation de l’acte de re-perfor- mation, mais, quand bien même elle a pu valider ces re-présentations en amont, il est indéniable que l’ensemble aboutissait à un résultat convain- cant.

Cependant, et même si ce dernier argumentaire tend à aller dans le sens d’une possible validation de l’acte de reperformation par un tiers (dès lors que l’artiste le cautionne), il ne faut pas omettre le fait que « The Biography Remix » n’est pas une performance mais un spectacle de Michel LAUB, construit autour d’extraits de performances de Marina ABRAMOVIC, et que les étudiants de Marina ABRAMOVIC sont, avant tout, des artistes ; par conséquent, en ne nous appuyant que sur ces exemples, il me semble évident que la question de la présence du ré- instaurateur-acteur ne peut être tranchée dans l’immédiat.

Si, malgré tout, et dans le cadre d’une re-présentation cette fois, le ré- instaurateur devait être mandaté par l’artiste qui l’encouragerait à inter- préter son œuvre, il ne s’agirait pas d’une re-création : non seulement parce qu’il ne suivrait que les directives édictées en amont par l’artiste et qui délimiteraient ainsi son champ d’investigation, mais aussi parce qu’il n’interviendrait pas en tant qu’artiste mais en tant que simple transmet- teur de l’œuvre du performer, sans intention de re-création.

Et si l’interprétation est un des moyens envisagés par les artistes, elle apparaît le plus souvent comme la seule alternative juste à toute tenta- tive de re-présentation, car il est en effet à craindre que la « copie » d’une performance n’aboutisse qu’à une parodie.

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Au demeurant, certains n’envisagent que cette solution pour satisfaire une re-présentation d’art-action car, par nature, ce qu’en propose l’au- teur original n’est qu’une des innombrables manières de montrer l’œuv- re. Une fois de plus, il semblerait relativement approprié de faire un parallèle entre l’art-action et la musique.

« Ici, il ne peut y avoir aucune exécution définitive, de la « There can be no definitive performance here, as there might même manière qu’avec les œuvres symphoniques de with a symphonic work of Mozart, Berlioz or Schoenberg. One Mozart, Berlioz ou Schoenberg. On obtient, au lieu de cela, des échantillonnages, l’échantillonnage [le sampling] peut- gets, instead, samplings, the sampling maybe brilliant, but there être brillant, mais il faut toujours avoir conscience du fait is always the consciousness that one is experiencing only one of que l’on éprouve seulement l’une des nombreuses manières several ways in which a given work could be realised " selon lesquelles une œuvre peut être réalisée. " Of course there has always been some sense of the change of Bien évidemment, il y a toujours eu du sens à modifier la signification d’une œuvre, celle-ci est déjà perceptible dans meaning of a work, the shift in how an audience has experien- la façon qu’une assistance a d’éprouver telle ou telle œuvre ced this or that work through its history. »8 au cours de son histoire. » Traduction personnelle

« Vous n’assistez pas à un concert de John CAGE pour y « You do not come to a John CAGE concert to hear The Great entendre Les grands Fuggitutti interpréter le chef d’œuvre Fuggitutti perform The Master's Immortal Masterpiece. You immortel du Maître. Vous venez entendre certains sons qui seront signifiants pour vous, pour voir, pour écouter certai- come to hear certain sounds which will be meaningful to you, to nes choses qui enrichiront votre culture ou votre expérien- see and hear certain things which will enrich your cultural or ce esthétique. aesthetic experience. Skills maybe involved. They usually are. Les qualifications peuvent être impliquées ; elles le sont Paul ZUKOWSKY, who plays CAGE's recent violin pieces, is an généralement. Paul ZUKOWSKY, qui interprète une pièce récente au violon de CAGE, est, certes, un violoniste adroit consummately skillful violonist.(…) if CAGE happens to be pre- (…) mais si CAGE pouvait être présent et jouer, il ne joue- sent and performing, he does not do so do rostro as a great rait pas un do rostro à la manière d’un grand homme ou man or great authority, but as an active and involved partici- avec autorité, mais plutôt comme un participant actif et pant. Or in performing in a happening or a Fluxus event, one impliqué. Que ce soit dans l’exercice du happening ou lors des events de Fluxus, le performer est plus ou moins rem- performer is more or less replaceable by another so long as plaçable par un autre, à condition qu’il ait les capacités phy- there exist the physical capability of doing a given performance siques de réaliser une tâche donnée et d’y adhérer spirituel- task and the spiritual appropriateness of that task and to be lement, et que cette tâche puisse être exécutée par le per- 9 former que l’on a sous la main. »Traduction personnelle done by the performer at hand. »

Si Marina ABRAMOVIC a su apporter un certain crédit à la transmission des œuvres de Joseph BEUYS, Gina PANE, Bruce NAUMAN ou Valie EXPORT, pourquoi en serait-il autrement d’un ré-instaurateur, dès lors qu’il serait autorisé par les artistes à reperformer leur travail, voire à for- muler des propositions en faveur de telle ou telle re-présentation?

Dans un cadre strict, on pourrait, sans doute, envisager de se lancer dans la re-présentation des œuvres d’art-action. Il suffirait, pour cela, d’évacuer tout malentendu et intention malhonnête au profit d’une resti- tution juste de l’œuvre au public, scellée d’une garantie d’authenticité qu’un contrat passé entre l’artiste et le ré-instaurateur pourrait légitimer. Reste, désormais, à expérimenter cette possibilité de manière concrète afin d’en justifier ou non la pertinence.

8 Dick HIGGINS, “Postmodern performance : some criteria and common points”, in Performance by artists, 1979, p.181 9 Ibid., p.181

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B3/ LÉGITIMITÉ ET CONTRACTUALISATION DE LA RE-PRÉSENTATION

B3/1. DE LA PRISE EN COMPTE DE PARAMÈTRES IMMATÉRIELS

Afin de parvenir à une re-présentation juste de l’œuvre impermanente, il est des paramètres immatériels qu’il est inévitable de prendre en comp- te, ceux-là mêmes qui font partie intégrante de l’œuvre, dès lors qu’elle n’est plus à considérer d’un point de vue purement formel. Mais avant même de proposer une nouvelle version de l’œuvre, il faut pouvoir connaître les intentions de l’artiste pour entreprendre une intervention censée servir son travail. Existent, alors, deux cas de figure : celui des artistes décédés et celui des auteurs encore vivants qui sont à même de livrer leur opinion, leur désaveu ou leur approbation d’un tel projet. Lorsqu’il s’agit de l’œuvre d’un feu artiste, il est toujours délicat de se prononcer en son nom s’il n’a pas, de son vivant, laissé de directives pré- cises concernant son travail. Dans ce cas, on s’en réfère souvent à ses ayants droit, à son entourage, à ses anciens galeristes, à ses fournis- seurs,… et, généralement, les décisions finissent par se prendre en fonc- tion des impératifs de l’exposition. Dans la première hypothèse, certains critiqueront les commissaires d’ex- position dans la manière qu’ils auraient de supplanter l’artiste pour les besoins d’une manifestation - sous prétexte que l’auteur n’a laissé aucun commentaire de son travail ; d’autres, au contraire, estimeront que l’œu- vre appartenant à l’institution, c’est à elle d’en disposer. Le même genre de remarque peut être fait à propos de l’entourage de l’artiste : sous quel prétexte leur relation avec l’auteur pourrait-elle faire autorité sur la décision du ré-instaurateur ? Comment pourraient-ils, en fin de compte, témoigner objectivement de l’opinion d’un homme aujour- d’hui incapable de justifier de sa position ? Néanmoins, n’est-il pas indispensable de prendre en compte leurs déclarations plutôt que de s’en tenir uniquement à des théories (relevant davantage de l’histoire de l’art que d’une approche sensible de l’œuvre et de son auteur) ? En effet, le risque de méprise ne sera-t-il pas moins grand, dès lors que l’on se limite aux dires des proches de l’artiste plutôt que sur une vision personnelle de l’œuvre - en l’occurrence celle du conservateur, du conservateur-restaurateur, ou du ré-instaurateur ? Quand bien même leurs propos pourraient s’opposer à la re-présentation ou à la forme qu’elle pourrait prendre, voire se contredire, il nous sem- ble indispensable de les intégrer dans l’analyse de l’œuvre et de son identification en vue de sa réexposition. C’est pourquoi, il est primordial de réunir l’ensemble de ces témoignages afin de pouvoir les discuter et en révéler la pertinence, c’est-à-dire réus- sir à en extraire l’essentiel afin de savoir dans quelle mesure l’œuvre accepterait ou non une réexposition, une interprétation,...

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Cela peut se faire sous la forme d’interviews enregistrées ou filmées ou bien d’une lettre de décharge rédigée, signée et datée. La meilleure solution reste, cependant, la relecture des notes personnel- les de l’artiste, ses croquis, ses réflexions, ses plans, ses trames, dans lesquelles il devra être opéré un tri et une analyse conformes aux exigen- ces de l’exposition à venir et la nature de l’œuvre. Si, dès lors, à travers l’ensemble de ces indications écrites ou orales, on relève des éléments significatifs autorisant ou non une démarche de re-présentation, il faudra en décider selon la volonté de l’artiste, sans quoi il ne saurait être ques- tion d’une re-présentation mais d’une ré-interprétation de sa création. Le cas de Richard BAQUIÉ et de son œuvre Ballon, évènement du 20 Mars 1983, constitue un très bon exemple : l’œuvre appartient au FRAC PACA qui souhaite la réexposer alors qu’elle est éphémère, que l’artiste est décédé, que les opinions de son entourage divergent radicalement et que les carnets de l’artiste restent davantage une source de renseigne- ments plus techniques que conceptuels. Ce n’est qu’en confrontant les différents points de vue, à l’issue d’une véritable enquête policière, qu’il a été possible de dégager une première hypothèse de re-présentation à la fois respectueuse de l’œuvre et de sa nature et ce, en conformité avec les exigences de chacun. La prise de décision en l’absence de l’artiste reste néanmoins un problè- me délicat et pourtant central : dans l’optique d’une restitution juste, ce paramètre apparaît comme bien plus complexe que les dispositions tech- niques nécessitées par l’œuvre. Le respect des intentions artistiques est un des gages d’une intervention réussie, or, quand les certitudes de cer- tains relèvent de l’ordre de l’interprétation, on ne peut aboutir qu’à des suppositions et à un résultat plus ou moins approximatif.

Qu’en est-il des artistes vivants et de ceux qui ne se sont pas encore posés la question de savoir s’il sera un jour possible de re-présenter leur travail ? Il est des auteurs qui prévoient au moment de la réalisation de leur pièce des directives dans cette optique : certains proposent des plans, des tra- mes ou des modes d’emploi, d’autres statuent sur l’évolution de leur création selon des contraintes relatives à leur concept ou, au contraire, affirment qu’il ne sera, en aucun cas, envisageable de procéder à une quelconque réexposition de leur prestation. Lorsque ceux-ci entrevoient un moyen de proposer à nouveau l’exposition de leur œuvre, il faut enco- re obtenir d’eux un maximum d’informations afin de convenir des condi- tions de cette intervention, dès lors qu’elle sera réalisée par autrui : car il ne suffit pas d’avoir l’approbation de l’artiste, faut-il encore pouvoir pré- voir avec lui les innombrables paramètres qu’impose le cadre de la réex- position. Pour ce qui est des artistes ne s’étant pas encore prononcés sur l’éven- tualité d’une re-présentation, il semble indispensable de les interroger dès l’acquisition de leur œuvre par l’institution. Et ce, à travers une inter- view qui aurait pour objet de recueillir la volonté de l’auteur, sa concep- tion de la conservation de son œuvre,… et qui pointerait avec exhausti- vité les problèmes auxquels pourraient se confronter le ré-instaurateur chargé de la re-présentation. L’interview écrite ou orale constitue le meilleur garant du respect et de l’éventuelle perpétuation de l’œuvre.

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Cette étape est, une nouvelle fois, indispensable afin de légitimer notre acte et de conformer toute tentative de réitération aux intentions de l’ar- tiste. Reste que ce recollement a d’autant plus de poids qu’il a été rédigé : comme nous l’avons déjà évoqué précédemment, l’écrit est ce qui confè- re à toute pratique son bien-fondé et sa garantie. Notre intervention ne peut-être considérée comme la re-présentation d’une œuvre performati- ve qui, en plus, est impermanente, sans une justification écrite, sans quoi elle risque de passer inévitablement pour une re-création d’artiste. La source écrite est un témoignage autant que la formulation d’une auto- risation ou d’une interdiction à l’encontre de l’acte de ré-instauration.

« Who owns the meaning and what do we do with it ? » «Qui possède le sens et que faisons-nous avec?» « However, I felt that I would only be confortable supporting «Cependant, je sentais que je ne pourrais aisément suppor- the idea of a replica if I was able to discuss it with the artist ter l’idée de la réplique que si j’étais en mesure de pouvoir discuter avec l’artiste en premier.» Traduction personnelle first.»10

Le compte-rendu écrit des exigences de l’artiste qui envisage la re-pré- sentation de son œuvre devra mettre en lumière l’ensemble des condi- tions de cette réitération et des paramètres immatériels « techniques », autrement occurrents. Cette synthèse devra donc permettre d’identifier l’œuvre et de définir ses caractéristiques contextuelles, s’il en est, ainsi que les références de l’artiste. A-t-il réalisé son œuvre dans un lieu et/ou à une date spécifique ? A-t-il lui-même réalisé la pièce ? Quelle impor- tance attache-t-il à la présence du public ; en d’autres termes, le public est-il acteur ou non de la création ? Le contexte historique, politique, social, économique, spatial, architectural,… est-il fondamental à la bonne réception de son travail ? De quelle manière la durée de l’action ou de l’installation est-elle à prendre en compte ? Quel statut confère-t-il aux éléments matériels qui peuvent accompagner sa réalisation et aux vidéos, textes, photographies,… qui en témoignent ? Envisage-t-il la reconstitution, la ré-interprétation, l’adaptation,… de son installation ou de son action? Quelle(s) personne(s) imaginent-ils pouvoir participer à la re-présenta- tion de son œuvre ? Quelles sont les données techniques (éclairage, son, décor, vête- ments,…) indispensable à la compréhension de sa création ?... ce sont autant de strates, non seulement indispensables à la bonne compréhen- sion de l’œuvre par le ré-instaurateur, mais, également, à sa juste réité- ration; à l’instar du traducteur qui doit pouvoir pénétrer le discours et la psychologie de l’écrivain, celui qui sera en charge de formuler un proto- cole de réexposition du travail de l’artiste doit pouvoir intégrer tous ces éléments et en restituer la valeur et le sens au public. J’ai beaucoup insis- té là-dessus, il ne peut être question de ne prendre en considération que l’aspect formel de l’œuvre : non seulement ce serait une preuve d’in- compréhension du projet original de l’artiste, mais également, en quelque sorte, faire fi de la nature impermanente de la création.

10 Lucy LIPPARD, citée par Bob RATTON in « The relationship between artist, conservator and artwork – ethics and aesthetics », in Conservation news, n°72 July 2000, p.37

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La prise en compte de l’ensemble de ces éléments fera de l’intervention de ré-instauration un acte conscient de recontextualisation de l’œuvre, et ce, par le biais de la compréhension actuelle que nous avons des para- mètres du passé. C’est ce scrupule, vis-à-vis de la distance qui sépare l’œuvre de sa re-perception, qui sera à même de permettre sa juste re- présentation.

Il ne peut ainsi être pris de décision sans une approche globale et des éléments constitutifs de l’œuvre et de l’opinion de l’artiste ou de son entourage. La production impermanente reposant souvent sur des para- mètres immatériels intrinsèques et déterminants dans l’expérience que l’auteur souhaite faire partager au public, il est impossible de les occul- ter pour ne privilégier que le résultat formel du travail. Il s’agit donc, pour le ré-instaurateur, d’engager avec l’artiste une collaboration efficace, le temps d’établir ensemble des directives à même de répondre à ses exi- gences et aux contraintes de la réexposition. Le ré-instaurateur ne pour- ra se passer de cette contribution qui, seule, légitimera son intervention - en d’autres termes nous réaffirmons ici l’importance de l’existence d’un contrat entre l’artiste et le ré-instaurateur.

Je viens d’évoquer le cas des artistes qui avaient déjà une opinion quant à l’avenir de leurs productions. Il est des artistes qui ne se sont jamais véritablement interrogés à ce sujet ou n’ont fait que repousser le problè- me. Dans un cas, il leur est égal de gérer cette transmission, dans l’aut- re, ces auteurs tiennent un discours ambigu qui ne laissera, le moment venu, que la place à l’interprétation. Ainsi je souhaite relater l’expérien- ce que j’ai vécue auprès d’Artur BARRIÒ : depuis longtemps, celui-ci pra- tique l’art de la performance et de l’installation dans un sens toujours subversif et volontairement tourné contre le monde muséal. Ses actions, les matériaux qu’il utilise, sont autant d’éléments qui refusent la muséi- fication et la conservation et viennent conforter son discours particuliè- rement incisif à l’encontre de la conservation-restauration; pourtant, en 2005, le S.M.A.K. de Gand devient la toute première institution à ache- ter une œuvre-installation de l’artiste. Artur BARRIÒ rentre dans la col- lection, mais pour autant sa collaboration semble difficile avec les restau- ratrices du Musée. De nombreuses discussions ont été entamées, un questionnaire a été préétabli, une interview a été déclinée… et reste qu’aujourd’hui, le Musée a mis en boîte les éléments pérennes de l’œuvre - comme il le fait pour chaque artiste - et a réalisé une documentation précise de celle-ci, aussi exhaustive que possible, alors que l’artiste ne s’est pas du tout pronon- cé de manière claire quant à la re-présentation de son travail. Il est tou- jours resté évasif et quelque peu sarcastique devant des restauratrices passablement agacées et médusées de voir leur mission risquer d’être compromise ; le suivi opéré avec l’artiste durant ses trois semaines de présence au Musée n’avait pas pour objectif d’essayer de le convaincre de quoi que ce soit concernant la conservation de son œuvre mais plu- tôt de lui faire prendre conscience que notre démarche était là pour ser- vir son travail afin que celui-ci ne soit pas mal interprété dans le futur : exposé alors qu’il ne le souhaiterait peut-être pas, voire re-présenté ; il s’agissait, avant tout, d’établir avec son concours les objectifs et les limi- tes de la conservation de son installation.

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Au terme de plusieurs tentatives infructueuses, il n’a pas été établi de protocole de réinstallation, en tout cas, pas de contrat autorisant ou interdisant l’institution à intervenir d’une manière ou d’une autre à l’ave- nir. Cet exemple montre à quel point la question de la conservation et de la restauration est un sujet à débattre avec les artistes, avant que leur tra- vail ne devienne un problème épineux pour l’institution en risquant, après leur disparition, de générer des conflits lors de l’interprétation des dires de l’artiste. Par conséquent, c’est un travail de collaboration qu’il faut pouvoir enga- ger avec l’artiste, dès lors que son œuvre fait l’objet d’une acquisition par une institution. Le ré-instaurateur ne devra donc plus uniquement tra- vailler sur une matière figée dans le temps et orpheline de son créateur, mais directement en relation avec l’auteur dont il est le contemporain et le juste transmetteur. Mais, avant tout - et le cas d’Artur BARRIÒ le montre assez bien -, il faut pouvoir engager un travail de médiation qui n’est pas toujours aisé. [Certains artistes se montrent méfiants à l’égard de l’institution : la dis- cussion serait-elle, pour autant, rendue plus fructueuse si elle se dérou- lait entre un artiste et un ré-instaurateur privé, moins assujettis aux contraintes du monde muséal puisque soumis au droit privé?]

« Many artists are reluctant to discuss how they feel about the « Nombre d’artistes sont peu disposés à discuter de la work being reinterpreted or reinstalled in the future. They often manière dont ils envisagent la réinterprétation ou la réin- find that the piece is only relevant to the present situation; in stallation de leurs œuvres dans le futur. Ils trouvent sou- vent que l’œuvre n’est pertinente que dans la situation pré- such cases the documentation of the piece may be the only sente; dans ces conditions, la documentation de ces œuv- necessity. The work then becomes a moment in history, never res reste la seule nécessité. Le travail devient alors un to be constructed, only read about or viewed in photographs or moment de l’histoire, qui ne doit pas être re-construit, uni- films. But over time the attitude towards reconstructing the quement appréhendé à travers des photographies et des films. Mais, dans le temps, les attitudes des artistes à l’é- work may change and the artist may become more willing to gard de la reconstruction de leurs œuvres peuvent changer have works reinstalled in different environments, with different et l’auteur peut devenir plus enclin à voir ses œuvres réin- criteria and on a different scale. stallées dans divers lieux, selon différents critères et à une The initial interviews can be helpful in obtaining information autre échelle. Les premières interviews peuvent être d’une grande aide pour obtenir des informations sur l’importance about the importance of elements such as specific materials and de certains éléments tels que certains matériaux, sur les what to do if they are not available, and about the parameters solutions à adopter en cas de problèmes et sur les paramè- for altering a colour, light, measurement, etcetera - depending tres d’altération des couleurs, de l’éclairage, de la lumière, on the situation at hand. Some artists are very casual about des dimensions,…selon les cas. Certains artistes aiment voir leurs œuvres se transformer d’elles-mêmes au cours de their ideas and enjoy having them transformed by history and l’histoire et selon les circonstances. » circumstance.»11 Traduction personnelle

À la lumière de ce que nous venons d’exposer, nous prenons la mesure de l’importance du recollement d’informations auprès de l’artiste : celui- ci reste la personne la plus à même d’aiguiller le ré-instaurateur en ce qui concerne les paramètres à privilégier et les limites à imposer à toutes tentatives de re-présentations. La ré-instauration suppose donc un travail relationnel relativement important mais néanmoins conseillé, si ce n’est indispensable.

11 Carol STRINGARI « Installations and problems of preservation » in Modern art : who cares ?, 1999, p.280

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B3/2. DE L’USAGE DE NOUVEAUX OUTILS a) Questionnaires et interviews

Afin de respecter au mieux la volonté de l’artiste et les paramètres imma- tériels de l’œuvre, il est indispensable de faire appel à des outils interac- tifs et, en premier lieu, à l’interview d’artistes qui serait du ressort et à la charge du ré-instaurateur. Celle-ci doit permettre d’approcher personnel- lement l’auteur d’une œuvre afin de cerner ses intentions autrement que ne le ferait un questionnaire ; en effet, si le questionnaire est un outil extrêmement précieux et utile, l’interview reste le moyen idéal d’engager une discussion, d’évacuer les incompréhensions, de ne pas laisser en suspens des éléments de réponse incomplets, de mettre en lumière cer- tains détails que le questionnaire aura omis de prendre en compte, de nuancer les propos de l’artiste, de développer davantage sa pensée, … Non seulement l’interview est une source privilégiée d’informations, mais, en plus, elle peut être le moyen d’instaurer un rapport de confian- ce entre l’artiste et l’institution, dès lors que les volontés de chacun auront été exposées. Il faut pouvoir pénétrer l’esprit de l’artiste et sa conception de l’œuvre. Malgré tout, si l’interview ne peut pas être réalisée parce qu’elle suppo- se quelques contraintes pratiques, le questionnaire, s’il est exhaustif, peut être un substitut malgré tout efficace à la rencontre. Parce que le domaine de l’art-action n’a pas encore été exploré par la conservation-restauration et, notamment, à travers un travail de recolle- ment directement effectué auprès des artistes, j’ai rédigé deux question- naires destinés aux performers. Le premier ne vise qu’à éclairer le com- portement des artistes de l’art-action et leur position, dès lors que l’on évoque la question de la conservation et de l’éventuelle re-présentation de leurs œuvres. Le second tente de recueillir de la manière la plus pré- cise possible les conditions de réalisation d’une de leurs actions - autre- ment dit, à relever aussi bien leurs particularités techniques que leurs paramètres immatériels. Ce deuxième questionnaire est réservé aux artistes de l’art-action qui ont autorisé dans le précédent sondage la re- présentation de l’une de leurs œuvres. Dans le chapitre suivant, je propose une lecture des quelques résultats obtenus et tente de faire une analyse des réactions suscitées par le ques- tionnaire lui-même et par sa forme. En effet, ces questionnaires ont été réalisés sur la base de formulaires préexistants (réservés à des œuvres pérennes) qui répondent aux préoccupations des conservateurs-restau-

-154- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 rateurs et des régisseurs. Etant donné les particularités des œuvres d’art- action, j’ai adapté ces questionnaires afin qu’ils soient véritablement uti- les dans le cadre de cette étude.

En ce qui concerne l’installation, il faut noter qu’il existe déjà un ques- tionnaire spécifique à ce type de créations qui circule aujourd’hui au sein des FRAC. Il est l’un des sept questionnaires rédigés par un groupe de recherche composé de conservateurs-restaurateurs, chargés de diffu- sion, régisseurs, spécialisés dans divers domaines de la création contemporaine. (Vous trouverez en annexe les questionnaires sur les quels je me suis basée ainsi que les exemplaires vierges de ceux que j’ai élaboré.) Ce formulaire doit pouvoir être remis aux artistes, dont les œuvres ont été acquises par une institution, afin d’envisager avec eux le meilleur moyen de maintenir leurs installations en l’état et en garantir leur bonne réexposition. Ces questionnaires s’adressent néanmoins à des œuvres semble-t-il pérennes, non évolutives, et non performatives : ils ne pré- voient pas, en effet, la possibilité pour un artiste d’autoriser l’interpréta- tion de son travail par l’institution au cours de ses différentes re-présen- tations publiques. C’est pourquoi, il m’a paru utile de proposer deux types de questionnaires similaires à ceux que j’ai proposé aux performers afin de dégager le point de vue des artistes concernant les modalités de réexposition de leur œuvre, dès lors qu’elles comportent des parties autographes et éphémères. J’ai complété le formulaire préexistant et en ai rédigé un autre directement orienté sur les questions d’interprétation de ces œuvres : en effet, puisque quelques artistes envisagent déjà l’in- terprétation de leur travail, il m’a également paru important de connaît- re le cadre dans lequel pourrait se faire une telle intervention et de sti- puler leurs remarques et précisions par écrit.

En complément de l’interview et des questionnaires, il est des sources d’informations indispensables à la bonne re-présentation d’une œuvre : la photo-documentation et la vidéo sont des outils particulièrement uti- les, à l’instar des croquis et des notes diverses qui témoignent de l’éla- boration d’un projet. b) L’exemple de Barbro SCHULTZ

Je souhaiterais, sur ce point, évoquer le travail de Barbro SCHULTZ, cinéaste suédoise qui a réalisé le montage des rushes des 9 evenings : theatre and engineering ; cette manifestation qui a eu lieu en octobre 1966 à New York et qui se déroula sur neuf soirées, réunissait plusieurs artistes, dont Robert RAUSCHENBERG, Deborah HAY, David TUDOR, Robert WHITMAN et John CAGE. Le fil conducteur du festival était de faire collaborer des ingénieurs avec des artistes dans le cadre de dix per- formances, chacune proposée deux fois. Le père de la musique indéterminée y produisit Variation VII ; cette per- formance s’organisait autour d’une idée simple : créer de la musique à partir de la modulation de sons recueillis dans l’air. En pratique, John CAGE, avec la complicité de David TUDOR, avait installé une table de mixage au milieu du public qui permettait de travailler les sons captés par

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Couverture et 4ème de couverture du programme des 9 evenings (copie de l’original que possède Mme Barbro SCHULTZ)

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Présentation de la performance de Robert RAUSCHENBERG, Open Score, dans le programme des 9 evenings (copie de l’original que possède Mme Barbro SCHULTZ)

-157- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

des combinés téléphoniques dispersés dans la ville et laissés vacants, par des microphones et des générateurs de fréquence installés dans la salle que le flux du public faisait vibrer. La matière sonore ainsi enregistrée était restituée à l’auditoire en direct sous forme de variations. Inévitablement, chacune des deux versions était différente, alors qu’elle était issue pourtant du même procédé tech- nique. Il y a quelques années, Barbro SCHULTZ, visitant les archives de Billy KLÜVER (l’organisateur des 9 evenings), y découvrit des bobines de films : celles-ci retraçaient des bribes de la manifestation et des dix perfor- mances qui furent réalisées à l’occasion de ce festival. Elle se mit en quête de monter ces rushes afin d’en produire dix films mais qui n’é- taient, ni des documentaires, ni une fiction, ni l’œuvre des artistes que le montage retraçait, mais une forme de mémoire de l’œuvre que la cinéas- te a voulu sans adjonction de commentaires et avec le plus d’objectivité possible ; ce n’est qu’en aval de ces films qu’elle propose des interviews d’artistes et de leurs collaborateurs qui, en se remémorant l’événement, permettent de préciser le contexte et le contenu des images.

Barbro SCHULTZ témoigne très bien, dans l’interview que j’ai réalisé, de la difficulté qu’elle eut à monter ces films dont elle n’était pas l’auteur ; Alphonse SCHILING a été le seul à tourner sur place lors de la manifes- tation : il n’a ni filmé en continu, ni enregistré le son en simultané. Ce qu’elle nous propose est une tentative de retranscription en images des œuvres, de l’atmosphère qui régnait ces soirs là, et du son, quand bien même il n’est toujours pas certain qu’il corresponde aux images. Son travail est un témoignage rare et très utile dès lors que l’on envisa- ge de pouvoir rééditer certaines de ces performances. C’est une base de travail riche à partir de laquelle, d’ailleurs, il semble qu’il soit envisagé de monter très prochainement une exposition commémorative de cette manifestation, au cours de laquelle pourrait être propo- sée la re-présentation de certaines performances… Dans le DVD ci-joint, sont gravés des extraits d’un des films que Barbro SCHULTZ a réalisé : ils retracent la performance de Robert RAUSCHENBERG Open Score, qui se déroule en grande partie sur un terrain de tennis indoor, où Frank STELLA tape quelques balles avec la jeune tenniswoman Mimi KANAREK : chaque rebond sur la raquette est amplifié par un dispositif savant insé- ré dans le manche et diffusé par radio.

3- Robert RAUSCHENBERG, Open score, 1966 Quand bien même la vidéo ne serait pas un support unique à la perception d’une œuvre, elle reste néan- moins un outil essentiel dans l’optique d’une réitération.

Malgré tout, et pour qu’il puisse être exploité par le ré-instaurateur, le film doit avoir été mûrement réfléchi avant la réalisation d’une œuvre performative. Sans doute n’est-il pas toujours possible de prévoir ce genre de recours mais, dans l’absolu, il faudrait pouvoir confier cette tâche à un vidéaste qui ne serait pas là pour faire une vidéo artistique ou pour servir le discours de l’auteur mais pour enregistrer le maximum de

-158- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 données utiles à l’archivage et à l’élaboration d’un protocole pour les re- présentations à venir, dès lors que l’auteur l’autorise. Autrement dit, la vidéo pourrait passer pour une dissection de l’œuvre afin d’en révéler les moindres détails, dans l’objectif d’une future re-présentation. La vidéo devrait permettre, par ailleurs, de capter le mouvement, sa vitesse, sa durée, ce que ni les mots, ni la photographie ne peuvent rela- ter. Une nouvelle fois, la prise en compte de la documentation (et de l’impor- tance de son élaboration au moment de la re-présentation) pourrait aboutir à la constitution d’une base de données en amont de la réitéra- tion ; par conséquent, les témoignages de ce genre devraient, à l’instar de l’interview ou du questionnaire, être envisagés du vivant de l’artiste, dans une collaboration fructueuse.

c) Le cas du Schaulager

Si j’ai surtout abordé ici le moyen de documenter l’art-action dans l’optique de son éventuelle re-pré- sentation (ou non), je souhaiterai évoquer, ici, le cas des installations à travers l’exemple d’un lieu unique en Europe qui leur est dédié et qui propose au public et aux professionnels, une façon originale de les mon- trer. La fondation Emmanuel HOFFMAN a été créée à Bâle, en 1932, par Maja HOFFMAN-SACHER ; celle-ci comptait y accumuler des œuvres majeures de la pro- 4- Façade du Schaulager duction plastique du XXème siècle avant que la petite- fille de la fondatrice ne décide d’investir un ancien entrepôt avec une partie de cette collection, en ayant à l’esprit de faire de ce lieu un Schaulager (« réser- ve d’exposition »). Le principe en est assez simple : proposer aux acteurs de la diffusion de l’art contem- porain (conservateurs, conservateurs-restaurateurs, chercheurs, étudiants,…) de venir consulter en état d’exposition une série d’installations stockées dans 16 500 m2, subdivisés en quatre étages et en « box » d’environ 27 m2 chacun. Il s’agit d’une réserve dans laquelle les œuvres ne sont pas laissées en cais- 5- Arrière du bâtiment se, mais agencées dans un espace réservé et modu- lable afin de les appréhender en dehors d’une pré- sentation dans des expositions consacrées, dès lors que l’on envisage d’en réaliser l’étude.

6- Partie réservée au stockage des œuvres

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J'ai pu visiter ce lieu en Juin 2006 en compagnie d'Isabelle A cet égard, il semble que ce lieu existe comme une FRIEDLI, historienne de l'art, travaillant pour le compte du Schaulager : elle organisa à ma demande une visite guidée sur documentation grandeur nature et vivante car les mesure en fonction des œuvres que je souhaitais voir parmi les œuvres n’y sont pas tout à fait en situation, tout en quelques 650 que conserve le site. J'avais délibérément sélec- offrant néanmoins une approche plus interactive qu’à tionné des œuvres peintes, sculptées, des installations et des productions vidéos, autant de créations hétéroclites dont j'étais travers leurs seules descriptions photographiques. curieuse d'appréhender l'agencement au sein du Schaulager. Si L’avantage majeur de ce dispositif est de permettre cet espace offre en premier lieu une architecture extérieure et un accès tridimensionnel aux œuvres et d’en révéler, intérieure saisissante, il est, avant tout, organisé selon les exi- gences des œuvres à qui il offre de bonnes conditions de conser- pour partie, les caractéristiques plastiques et tech- vation. Si celles-ci sont bien montrées en dehors de leur caisse, niques, voire conceptuelles, dès lors que l’on est en elles ne sont pas pour autant exposées au sol et la plupart sont accrochées au mur, avant tout pour permettre leur examen par situation de les considérer physiquement. des chercheurs. Certaines d'entre elles ont même été installées Dans le cadre des installations, ce lieu unique en son tel quel par les artistes eux-mêmes, faisant de leur mise en espa- genre pourrait devenir, pour le conservateur-restaura- ce une sorte de référence en matière de réexposition, les auteurs précisant qu'il s'agit là de la manière dont devrait être montré teur, un outil privilégié, en cela qu’il lui offre la possi- leur travaux, même si, d'un point de vue pratique, il n'est pas bilité d’envisager, en amont de l’exposition, la re-pré- toujours possible de répondre à leurs souhaits. C'est le cas d'une sentation d’une installation - en la considérant, non œuvre d'Ilya KABAKOV ou encore de celle des artistes Peter FIS- CHLI et David WEISS dont on peut apprécier le travail tel qu'eux- seulement directement dans son ensemble, mais éga- mêmes désirent l'exposer. Si ces cas sont isolés, ils permettent lement dans un espace neutre de tout contexte, de néanmoins de prendre la mesure des instructions des artistes et du partenariat aujourd'hui indispensable entre l'institution et les toute thématique qui pourraient interférer avec le auteurs pour la bonne exposition d'une pièce. sens de l’œuvre. Aborder l’installation dans ces condi- tions serait peut-être le gage d’une juste appréhen- sion de son essence, en même temps que la base d’un travail d’élaboration d’hypothèses et de straté- gies de réinstallations originales, en dehors du seul environnement muséal.

Si nous privilégions, au sein de cette démarche, une documentation directement constituée auprès de l’artiste, il est important, comme dans tout traitement de conservation-restauration, de prendre connaissance des interventions déjà pratiquées autour d’une œuvre. Cela passe par le récolement de tous les éléments relatifs aux expositions antérieures de l’installation ou de la performance, des témoignages éventuels des per- sonnels en charge de ces manifestations, seuls capables de mentionner les pièges qu’il sera nécessaire d’éviter, etc… Avant tout, il faut pouvoir établir des bases de travail multidisciplinaires impliquant l’ensemble des acteurs de la diffusion et de la protection de l’œuvre ; il ne peut être question de confier une telle opération à une seule personne qui ne peut pas être compétente dans tous les domaines auxquels touche ce genre de création. Il s’agit, en l’occurrence, de cons- tituer une équipe interactive qui travaillerait de manière transversale en parfaite collaboration. En plus des conservateurs, des curateurs, des régisseurs, des techniciens et des conservateurs-restaurateurs, il serait utile, selon les cas, d’intég- rer un juriste qui serait à même de prévoir dans quelle mesure l’authen- ticité de l’œuvre pourra être respectée et perpétuée à travers sa re-pré- sentation. Chaque étude devra faire l’objet d’une banque de données réunissant l’ensemble des informations recueillies : cette centralisation de rensei- gnements serait complétée à chaque nouvelle réexposition par les com- mentaires de leurs acteurs et ferait état des conditions contextuelles de leur réalisation. L’artiste devrait également, s’il le souhaite, apporter, le

-160- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 cas échéant, ses remarques et suggestions. L’ensemble de ces documents devrait permettre, non seulement de pro- poser une éventuelle re-présentation, mais aussi de répondre à deux questions fondamentales : que conserver et que restaurer ? Il serait ainsi possible de définir l’œuvre et d’éviter un excès de fétichis- me à son égard - ceci afin de garantir la bonne réexposition des éléments pérennes qui s’y rapportent. Lorsqu’une vidéo accompagne une performance ou est directement acquise par une institution sans que l’artiste ne réalise son action en ses murs, il importe de savoir si la collection intègre un document d’archive ou une œuvre vidéo et envisager, dans les deux cas, la manière de remontrer cette vidéo. Il en est de même des installations impermanentes : doit-on, au cours de leur re-présentation publique, exposer les documents qui s’y réfèrent afin de spécifier davantage au visiteur qu’il s’agit d’une réitération de l’œuvre originelle, ou l’artiste considère-t-il la version proposée comme une œuvre authentique qui pourrait exister seule ? Et si l’on conserve, doit-on néanmoins exposer ? Et si l’on acquiert des éléments matériels, doit-on les restaurer ? Ce sont autant d’interrogations qu’une investigation minutieuse pourrait permettre d’éclairer.

C’est donc un outil de travail relativement inédit et complet qui pourrait être spécifiquement élaboré autour des œuvres performatives. Comme je l’ai déjà dit, l’absence de pratique en la matière ne me permet pas enco- re de l’expérimenter et, par conséquent, de l’améliorer ou de le modifier. Son stade est, pour l’instant, embryonnaire, mais je souhaite pouvoir le développer grâce aux questionnaires rédigés proposés aux artistes qui sont déjà une source de précisions importantes pouvant déboucher sur des modifications, voire remettre en cause l’élaboration même de ce pro- jet. La participation active de tous les acteurs de diffusion de ce type d’œu- vres reste une contribution inestimable car indispensable à la mise en place d’une réflexion critique, celle-là seule qui pourrait justifier d’une évolution de la conservation-restauration en la matière.

Reste cependant une question cruciale, comment exposer les œuvres, ou pourquoi montrer les oeuvres à travers le mode unique de l’exposition ? Le cas du Schaulager pose les bases d’une réflexion qui tend à remettre en cause l’apanage de l’institution. En effet, en optant pour une présen- tation d’œuvres en attente d’expositions, le site interroge, malgré lu,i les espaces consacrés et ce qu’ils transmettent. En d’autres termes, l’exem- ple du Schaulager doit peut-être nous permettre d’élaborer, en parallèle, de nouveaux outils, d’autres modes de présentation des œuvres. En effet, à l’heure actuelle, l’institution et les lieux apparentés sont les seuls à accorder à l’artefact un statut d’œuvre et à le faire connaître au grand public. Ce faisant, ils créent, en quelque sorte, un monopole et régissent les modes de diffusion de ces productions ; autrement dit, leur manière de présenter et le choix opéré parmi les œuvres et les docu- ments qui leurs sont associés, deviennent les références uniques aux- quelles peuvent se conformer les visiteurs peu avertis. Ce faisant, l’œu- vre semble pâtir de n’être montrée que sous un seul angle et le public de

-161- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 rester passif. Finalement la question serait de savoir si, plutôt que de demander à l’institution de s’adapter aux productions contemporaines, il ne serait pas plus intéressant de montrer les œuvres au lieu de les expo- ser, et ce, en dehors des collections. Pourquoi ne pas tenter de proposer à l’institution de faire sortir les œuv- res du contexte muséal afin de les faire vivre différemment sans trop les fétichiser ? Cette hypothèse me semble devoir être étudiée avec soin car, si l’on défend ici le respect et la reconnaissance du concept de création et, de manière générale, l’œuvre, il faudrait probablement confronter la notion de patrimonialisation des œuvres d’art contemporain avec l’acte de ré- instauration qui témoigne d’une volonté de faire véritablement éprouver l’œuvre au public dans une forme d’interactivité - alors que l’exposition apparaît davantage comme un moyen d’information sur le mode contem- platif.

Si, dans un premier temps, il semble primordial de communiquer avec l’artiste et de documenter son œuvre, il reste néanmoins indispensable de devoir penser la re-présentation d’une œuvre en anticipant son lieu de monstration car, en effet, il n’est pas assuré qu’une œuvre acquise par l’institution trouve en ses murs consacrés et connotés, l’espace et l’envi- ronnement les plus appropriés à sa présentation.

B3/3. LE POINT DE VUE DES ARTISTES a) Le cas des œuvres d’art-action

Afin d’étayer mes recherches et de tenter une approche aussi concrète que théorique de la re-présentation d’œuvres performatives, j’ai notam- ment rédigé un questionnaire destiné aux artistes de l’art-action afin de mieux cerner leur opinion quant à la réitération de leur travaux. Je me propose ici de synthétiser les réponses reçues.

Qui sont les artistes ayant répondu ? Je tiens à préciser que j’ai envoyé ces questionnaires à des artistes aussi bien français qu’étrangers : je n’ai reçu, à l’heure actuelle, que des réponses provenant d’artistes anglophones qui ont pour la plupart suivi un enseignement auprès de Marina ABRAMOVIC et qui sont membres du groupe I.P.G. (Independant Performance Group. c.f., dans le DVD ci-joint, un descriptif de ce collectif d’artistes). Ceux-ci travaillent de part le monde, en solo ou en collaboration, et rési- dent en Allemagne, en Autriche, aux Pays-bas ou encore aux Etats-Unis. Leurs travaux sont réunis sous le vocable de Performance mais, comme nous l’avons précisé au début de ce mémoire, celui-ci regroupe quantité de variantes : dans un des films qui accompagnent ce mémoire vous trouverez d’ailleurs un montage réalisé à l’issue d’un après-midi de per- formances organisé au sein de l’Ecole d’Art d’Avignon au cours du 59ème

-162- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 festival d’Avignon, en Juillet 2005 : Brutal Education (I.P.G. Project à Avignon). Cette vidéo témoigne de la variété de formes que peuvent prendre les productions de l’art-action ; si ces performances ont toutes été exécutées en conti- nu six heures durant, quelle analogie peut-on réelle- ment établir entre Snezana GOLUBOVIC qui compte un à un ses cheveux, Viola YESILTAC qui tourne le dos au public pendant toute la durée de la performan- ce dans un espace clos et sombre, tapissé de posters 7- Snezana GOLUBOVIC figurant des couchers de soleil, Herma WITTSTOCK (Avignon, juillet 2005) qui, chaque heure exécute une performance qui lui a été dictée par ses camarades, Eun Hey HWANG qui célèbre un pseudo-rituel religieux autour de pop corn qu’elle fait éclater au micro-ondes, ou Doreen UHLIG qui se remémore à voix haute et en allemand les bri- bes de souvenirs de son enfance en ex-RDA sur fond de comptine revenant en leitmotiv alors qu’elle est reprise par une vidéo où l’artiste chante en boucle ce même refrain avec force et conviction ? Parce que ces actions sont toutes différentes, qu’elles mettent en espace le corps et la présence de l’artiste selon différents modes, il est difficile de tirer une syn- 8- Viola YESILTAC thèse unilatérale des réponses issues de ces question- (Avignon, juillet 2005) naires et surtout d’imaginer, le cas échéant, UNE manière de re-présenter ces travaux. C’est pourquoi j’ai également rédigé, à destination des performers enclins à la réitéra- tion de leurs œuvres, un deuxième questionnaire qui ambitionne de rele- ver un maximum de renseignements à propos d’une de leurs actions.

Qu’est-il ressorti des questionnaires plus généralistes?

A 98% ce sont des artistes féminins qui m’ont répondu et leurs réactions ne sont évidemment pas convergentes à cause de la diversité de formes que prennent leurs actions, et, de manière générale, l’Art-action. Il est d’ailleurs probable qu’un questionnaire proposé à des artistes peintres aurait donné des réponses tout aussi disparates, étant donné la multitu- de des expressions picturales… Cependant, il était intéressant de confronter les points de vue d’artistes issus de l’art corporel et ayant des avis divergents quant à la documen- tation de leurs travaux, quant aux notions d’authenticité, de transmission et d’impermanence.

L’accueil fait à ce questionnaire a été relativement mitigé : d’abord, parce que les artistes n’avaient pas tous pensé à la manière de transmet- tre leur œuvre, autrement qu’à travers le document, ensuite parce que certaines de leurs productions ne pouvaient pas, par nature, intégrer ce genre d’interrogations (par exemple, Tehching HSIEH est un artiste qui pratique la performance sur des périodes d’un an, One Year Performances (cf. dans le DVD) ou, encore, parce que mon questionnai- re leur paraissait quelque peu réducteur : en effet, certains n’ont pas manqué de me reprocher de vouloir considérer la performance comme

-163- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 une représentation théâtrale reproductible ; c’est pourtant parce que je suis consciente que l’art-action a des caractéristiques propres et volon- tairement différentes des codes du théâtre qu’il m’importait de réaliser ce sondage et d’interroger, à travers lui, notre position de conservateur- restaurateur, face à ce type de productions d’art visuel.

C’est pourquoi j’ai construit ce questionnaire autour de trois axes princi- paux : -la reconnaissance de l’œuvre ; -la place de la conservation-restauration vis-à-vis de ces créations ; -l’éventualité de leur re-présentation.

Je me suis rendue compte que les artistes ne vendent pas nécessaire- ment à l’institution un document relatif à leur action et qu’ils sont payés pour leur prestation publique, sans s’inquiéter de monnayer après coup quoique ce soit qui témoignerait de leur action. Par conséquent, même si la plupart d’entre eux exposent, par la suite, leurs performances à travers des dessins, des photographies, des vidéos, des gravures, ou des objets matériels ayant servi lors de l’évènement, il reste que certains réalisent à chaque « exposition » une nouvelle action. Ceux-là disent posséder des clichés ou autres textes qui docu- mentent leur travail mais que ceux-ci ne sortent pas du cadre privé.

Les artistes qui montrent leurs œuvres à travers l’image ou le texte consi- dèrent, à part égale, ces témoignages comme une simple documentation et d’autres comme l’œuvre en soi ou partie de l’œuvre. Cela signifie donc que l’authenticité de l’œuvre ne réside pas seulement dans l’action mais aussi, parfois, dans les preuves matérielles de sa réalisation. En fait, certains considèrent que la documentation peut exister en elle- même : l’action étant éphémère, les témoins matériels se substituent à elle ; d’autres de penser que c’est au propriétaire de définir la nature de ces éléments, quand bien même l’artiste les considère comme des docu- ments.

Les vestiges ou objets pérennes utilisés dans certaines performances deviennent pour la plupart des archives, mais quelques artistes les consi- dèrent comme des œuvres : tout dépend, en fait, du sens que ces objets nourrissent avec l’action et de la profondeur qu’ils peuvent lui donner. Par conséquent, tous s’accordent à peu près sur le fait que l’exposition de leur travail à travers des documents reste satisfaisant - quand bien même ils savent que le cliché ou le croquis qui est exposé n’est pas l’œu- vre.

Tous témoignent avoir déjà re-présenté leur propre travail… mais, à la différence d’une pièce de théâtre reproductible, ces artistes considèrent leur propre réitération comme une nouvelle œuvre parce qu’ils la réali- sent devant un public nouveau ; ils n’évoquent pas, en revanche, le cas des œuvres faisant participer le visiteur, sans doute parce qu’eux-mêmes n’ont pas de productions intégrant sa présence. En fait c’est l’évolution, la version de leur travail dans un contexte inédit qui les intéressent davantage que sa reproduction. Toutefois, certains ont répondu à une demande explicite d’un commissaire d’exposition qui

-164- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 souhaitait voir une de leurs performances re-présentée, d’autres l’ont fait uniquement dans le but de la voir évoluer dans un environnement diffé- rent de la première présentation mais en gardant néanmoins à l’esprit son concept original. Concernant la place de la conservation-restauration des reliques de leur travail, les avis sont divergents. Certains approuvent le fait que les reliques sont bien considérées comme telles et non pas comme l’œuvre ; d’autres sont franchement contre ; d’aucuns de l’approuver parce que ces « restes » sont les seuls témoins de l’œuvre éphémère : ce n’est pas parce que la performance est de nature éphémère que les institutions qui encouragent ces réalisations ne devraient plus pouvoir les faire connaître au public ; dès lors, le résidu conservé et restauré devient un support didactique, une plateforme d’in- formations pour tous ceux qui n’ont pas pu assister à l’action. Un autre artiste se prononce, quant à lui, en faveur de la restauration des reliques parce qu’il les considère comme des œuvres à part entière. Enfin, une autre, de les conserver à titre privé, uniquement en guise de souvenir ou dans l’éventualité d’une re-présentation réutilisant ce maté- riau.

A propos de la re-présentation des œuvres de ces artistes, considérée comme un acte de « restauration », là aussi les points de vue ne se recoupent pas toujours, même s’il y a autant d’artistes qui sont pour, que d’autres contre. Une nouvelle fois, tout dépend du concept initial : si le concept est ouvert et indépendant du performer et du contexte de réalisation, il sem- ble qu’il n’y ait aucun obstacle à la réitération et ce, même par autrui : une artiste encourage d’ailleurs la re-présentation de son travail parce qu’elle la considère comme le gage d’un certain intérêt pour son œuvre. Enfin, si d’autres restent indifférents à cette éventualité, ils ne sont pas foncièrement contre. A l’inverse, d’autres s’y opposent, dès lors que leurs œuvres sont intrin- sèquement liées à leur personne ou parce qu’ils considèrent l’action comme une expérience unique ; cependant, ils n’excluent pas complète- ment la possibilité d’une tentative de re-présentation de leur œuvre par autrui, sous certaines conditions.

La place du conservateur-restaurateur, en regard de leurs performances, a également été débattue. Tous n’ont pas répondu à cette question mais ceux qui l’ont fait considèrent son rôle plutôt comme celui du documen- taliste, c’est-à-dire d’une personne capable de récolter un maximum d’in- formations à propos d’une action, dans le but de l’historiciser ; une artis- te considère que seul un autre artiste pourrait « restaurer » son œuvre, elle estime d’une part que l’endurance et les dispositions mentales que requiert la réalisation d’une action relèvent de conditions particulières que seul un artiste serait à même d’intégrer ; d’autre part, la restaura- tion ne procédant pas selon elle d’un acte d’interprétation, elle n’envisa- ge le conservateur-restaurateur que dans une posture d’imitation de son action alors qu’elle souhaite que ses œuvres soient réinterprétées. Malgré tout, une artiste a fait un parallèle direct entre la mission du conservateur-restaurateur et les réinterprétations des œuvres de Joseph BEUYS, de Gina PANE ou de Valie EXPORT que Marina ABRAMOVIC a

-165- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

réalisées en novembre 2005 au Guggenheim Museum de New York, et que j’ai évoqué précédemment. La « perfor- meuse » considère là qu’il y a eu acte de transmission d’une œuvre du passé à un public contemporain, à l’instar de ce qu’un restaurateur peut opérer avec des œuvres anciennes. A travers l’interprétation, Marina ABRAMOVIC aurait permis au public d’avoir un certain aperçu de ce qu’a pu être l’œu- vre initiale et d’en révéler la pertinence, que ce soit par rap- port au contexte originel ou à celui, dorénavant contempo- rain, de la recréation.

9- Valie EXPORT, Genital Panic, (1969)

10- Marina ABRAMOVIC performing VALIE EXPORT's Action Pants: Genital Panic (1969) at the Solomon R. Guggenheim Museum on November 11, 2005

« Dans Seven Easy Pieces (sept œuvres simples), Marina « In Seven Easy Pieces ABRAMOVIC reenacts seminal ABRAMOVIC re-présente les performances emblématiques performance works by Vito Acconci, Joseph Beuys, Valie et fondamentales de Vito ACCONCI, Joseph BEUYS, Valie Export, Bruce Nauman, and Gina Pane dating from the EXPORT, Bruce NAUMAN, et Gina PANE, réalisées entre 1960 et 1970 : l’artiste les interprète à la manière d’œuv- 1960s and ’70s, interpreting them as one would a musi- res musicales et documente chacune de ces réalisations. Ce cal score and documenting their realization. The project projet est une proposition faite en tenant compte de la fai- is premised on the fact that little documentation exists ble documentation existant pour la plupart des œuvres for most performance works from this critical early per- d’art-action produites durant cette période décisive ; en effet, on doit souvent compter sur la parole des témoins iod; one often has to rely upon testimonies from witnes- d’autrefois, ou sur les photographies qui montrent seule- ses or photographs that show only portions of any given ment une partie de ces œuvres. Seven Easy Pieces exami- piece. Seven Easy Pieces examines the possibility of ne la possibilité de refaire et de préserver ce genre d’œuv- 12 res performatives. » Traduction personnelle redoing and preserving such performative work. »

En majorité, les artistes interrogés répondent en faveur de la re-présen- tation de leurs œuvres plutôt qu’à l’exposition de ses témoins visuels ; les adversaires de la re-présentation estiment que la décontextualisation ferait perdre de sa force à l’œuvre originale ou donnerait naissance à une recréation plutôt qu’à une re-présentation. Les artistes favorables à la re-présentation la considèrent néanmoins diversement : entre la réitération, l’interprétation ou la reproduction « copie conforme », il semble que les opinions divergent ; sans doute

12 texte d’introduction aux Seven Easy Pieces ; réf. www.guggenheim.org

-166- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 d’ailleurs, parce que les intentions en amont sont différentes : certains de parler d’une nouvelle œuvre, et une artiste d’apporter une précision quant à la ré-interprétation par rapport à l’action originale - elle craignait de flouer le public en lui proposant une ré-interprétation que ce dernier, mal informé, aurait pu aisément confondre avec l’œuvre originale. Quant au statut de la re-présentation, les auteurs la considèrent en majorité comme une re-création néanmoins très proche de l’œuvre ori- ginale ; une artiste la considère à la fois comme une restauration et comme une commémoration ; à noter, cependant, qu’en soi une restau- ration est toujours une commémoration. Si tous s’accordent à répondre qu’ils sont prêts à refaire l’une de leurs performances, ils sont également presque tous enclins à ce qu’autrui re- présente leurs œuvres, mais à condition, par exemple, que l’on n’omet- te pas de citer le nom du créateur. La présentation des documents relatifs à l’œuvre, en regard de la re-pré- sentation, reste à creuser : à part égale les auteurs sont, soit indécis, soit contre ; une seule artiste estime qu’il faille réellement informer le public de la nature de la re-présentation, cependant, il n’est pas question pour elle de faire état de l’ensemble des archives : il faudrait, semble-t- il, procéder dans ce domaine à une sélection qualitative plutôt que d’o- pérer selon une démarche quantitative. A noter que deux artistes ont répondu avoir fait l’objet d’une re-présen- tation de leur œuvre et en avoir été insatisfaites. (n.b. : Marina ABRAMOVIC a, elle aussi, répondu de la même manière, mais cette fois dans le cadre du second questionnaire spécifiquement orienté sur une de ses œuvres, Art must be beautiful, artist must be beautiful (1975)). L’une d’elles parce qu’elle estime que l’interprétation de son œuvre n’a- vait pas été poussée assez loin, l’autre pour des raisons qu’il serait plus juste de définir comme relevant du plagiat plutôt que de la réinterpréta- tion puisque l’on a délibérément exécuté l’action en son nom propre… (à noter, en marge de cette remarque, que l’artiste, qui a rapporté ce fait, travaille en collaboration avec un autre performer sur le principe de la ré- interprétation : l’un et l’autre, ils re-présentent leurs œuvres en confron- tant l’interprétation que chacun a fait du même énoncé ou concept).

Quelles conclusions tirer de ces réponses diverses et variées ?

Il apparaît difficile de statuer à partir de ces statistiques, d’une part, parce que le nombre de réponses est modeste (une dizaine en tout) et, d’autre part, parce que ces réponses sont très hétéroclites, conformé- ment à la diversité des productions d’art-action. Ce questionnaire a permis toutefois, non seulement de voir que les artis- tes de la performance acceptent en majorité la re-présentation de leur travail, mais, quoi qu’on en dise, qu’ils conservent des témoins visuels de leur performance (qui peuvent d’ailleurs se confondre avec l’action sans pour autant s’y substituer). L’enquête a aussi montréi que la réitération est avant tout une recréation avant d’être une « restauration » et que celle-ci peut être assurée par autrui - qu’il soit artiste ou pas -, dès lors que le concept est respecté. A la lumière de ces observations, nous pourrions conclure que, globale- ment, l’idée de « re-présentation » est plausible en matière d’art-action, même si ce serait généraliser un peu vite un propos à un ensemble trop

-167- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 vaste de créations, même si le travail des artistes sondés témoigne déjà d’une grande variété. Mais il nous faut préciser que la re-présentation, telle que l’entendent la plupart de ces performers, se distingue de la res- tauration : ils insistent sur le fait que la réitération de leurs œuvres ne peut s’envisager qu’à travers une interprétation, c’est-à-dire que la re- présentation ne saurait être juste que dans la mesure où celui qui en aurait la charge interviendrait avec sa vision personnelle de l’œuvre, avec sa propre histoire. La restauration étant connotée, pour ces artistes, comme une intervention impliquant le respect formel de l’œuvre, certains d’entre eux craignent que le conservateur-restaurateur habilité n’inter- vienne qu’en tant que copiste de leurs actions : ceci leur semble absur- de et inintéressant et c’est pourquoi ils préfèrent confier cette tâche à un autre artiste. Cependant, il nous semble possible, dès lors qu’un contrat est établi entre l’artiste et le ré-instaurateur, d’autoriser ce professionnel à re-présenter une action dans les limites édictées par son auteur, celles- là mêmes qui pourraient stipuler son désir de procéder à l’interprétation de son œuvre plutôt qu’à sa copie. Les artistes attachent, en effet, de l’importance à ce que l’œuvre puisse s’exprimer à travers le corps et l’his- toire personnelle de l’exécutant. Finalement, ne serait-ce pas seulement le terme de « restauration » qui modère le désir des artistes à autoriser le conservateur-restaurateur à intervenir lors de la re-présentation de leurs actions ?

On retiendra également que les actions susceptibles d’être re-présen- tées, relèvent d’un concept précis, d’une trame qu’il serait possible de suivre et pour lesquelles, ni le contexte, ni la personne même de l’artis- te, n’interfèrent réellement dans le sens de l’œuvre. À ce titre, j’ai inter- rogé Andrea SAEMANN à propos du rapport qu’elle entretient avec le théâtre alors que son travail est essentiellement gestuel et oral (elle rela- te ou déclame) et qu’elle a déjà re-présenté plusieurs fois les mêmes actions. Même s’il lui arrive de répéter certains textes appris par cœur, elle estime que son travail n’est pas à mettre en parallèle avec le théât- re parce qu’elle travaille seule, sans les injonctions d’un metteur en scène, et qu’elle ne crée pas pour satisfaire un public donné. Elle n’est pas sous contrôle, elle se crée tout simplement.

Si les artistes interrogés ici sont déjà en majorité enclins à la re-présen- tation de leur œuvre, il pourrait être intéressant de développer plus pré- cisément avec eux les conditions d’une telle réalisation, ce qui permet- trait de cerner davantage le rôle du ré-instaurateur et de comprendre précisément sur quel type d’œuvre celui-ci pourrait intervenir. Il serait aussi important de définir le statut des documents et des vesti- ges qui reste pour l’instant relativement incertain, tout au moins particu- lièrement variable selon les artistes.

Ces observations nous obligent également à envisager de nouvelles stra- tégies en matière de rédaction de questionnaires, afin de les affiner et de les rendre plus pertinents et utiles dans le cadre de la re-présentation d’une œuvre d’art-action.

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Dans le tableau récapitulatif joint ci-dessous, vous trouve- A travers ces remarques peut se poser la question de la rez la synthèse de ce développement et constaterez que le transmission énergétique de l’œuvre. Quand on sait, par exemple, que les artistes du groupe nombre de réponses est quelques fois supérieur au nomb- I.P.G. qui ont répondu à cette enquête ont participé pour la re de sondés : cela est dû au fait que certains artistes ont plupart aux workshops proposés par Marina ABRAMOVIC, on peut aisément se rendre compte de ce que cela signifie. coché plusieurs réponses pour une même question. Dans l'ouvrage Student body, qui rend compte de plusieurs de ces " séminaires ", on prend conscience de la mise en condition psychique et corporelle dans laquelle ces artistes se sont plongés, et dont sont issues certaines de leurs per- formances ; on prend la mesure de l'implication personnel- le du performer. À nouveau il n'est pas question de généra- liser, mais dans ce cas précis, il est évident que ce qui se dégage de certaines actions est directement lié à certaines dispositions mentales et à une logique propres à chaque artiste, mêlées à leur histoire personnelle. Ceci révèle enco- re davantage les difficultés relatives à la re-présentation de l'œuvre d'art-action, mais également de celle de certaines installations, qui exige selon moi des dispositions intellec- tuelles singulières et quelquefois similaires. b) Le cas des installations

Si je viens d’aborder longuement l’analyse des questionnaires destinés aux performers, qu’en est-il de ceux soumis aux artistes qui réalisent des installations ? Il se trouve qu’à ce jour, je n’ai reçu aucune réponse - et pour causes : je n’ai, d’une part, malheureusement pas obtenu assez de contacts per- sonnels pour pouvoir en envoyer en quantité suffisante ; quant aux demandes effectuées par le biais de galeries ou d’institutions elles n’ont pas abouti. D’autre part, SARKIS et Pascal BROCCOLICHI à qui j’ai per- sonnellement écrit, restent favorables à la discussion, mais refusent pour l’instant de se soumettre à une enquête de ce genre qu’ils trouvent non seulement inappropriée en regard de l’ensemble de leur production plas- tique variée, mais aussi parce que ce questionnaire suggère des directi- ves auxquelles ils se refusent à répondre. SARKIS estime que la discus- sion que nous avons eu au cours de l’interview que j’ai effectuée auprès de lui en Mars 2005, suffit à asseoir sa position :

« Chère Anita, Je ne peux pas répondre à ces questions sous forme d’enquête. Nous avions parlé de longues heures et je pense que vous devez avoir la réponse à toutes les questions. Cordialement. Sarkis » (e-mail du 23.04.2006)

(Dans le DVD ci-joint vous trouverez quelques extraits de cette inter- view.)

SARKIS reste favorable à l’interprétation de son œuvre, mais les détails de cette intervention restent néanmoins imprécis dès lors que l’on s’in- terroge sur les modalités et les limites d’une telle démarche ; il aurait été nécessaire de lui suggérer de répondre à ces questions à propos d’une installation particulière.

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Quant à Pascal BROCCOLICHI, son travail prend les allures d’une œuvre évolutive, qu’il est quelquefois le seul à pouvoir réinstaller ; ce n’est pas le cas pour l’ensemble de ses installations, qui peuvent également, le cas échéant, être qualifiées d’œuvres in-situ. La variété de son travail suppo- se, en conséquence et inévitablement, une multiplicité de réponses qu’un questionnaire unique ne peut prendre en charge. Je viens donc de lui proposer de tenter l’approche que d’une partie de sa création par le biais de cette enquête.

Quoiqu’il en soit, il aurait été intéressant que ces artistes se soumettent à ce questionnaire même incomplet, ne serait ce que pour en pointer les failles et me permettre d’y apporter précisément des modifications et de l’adapter davantage à un certain type de créations.

A la lumière de l’ensemble de ces observations, il semble désormais indispensable de s’engager sur la voie d’une rédaction plus rigoureuse de ce type de questionnaires dont les réponses peuvent être une source d’informations précieuses; cela nous aura au moins permis de mettre en avant le fait que des artistes de l’art-action ne refusent pas la re-présen- tation de leurs œuvres - oeuvres qu’il nous faut, dès lors, considérer comme impermanentes plutôt qu’éphémères. Ce type de sondage reste à affiner pour pouvoir en tirer plus de précisions et de remarques perti- nentes mais, au demeurant, il me paraît fort utile en prémices d’une pre- mière approche de l’artiste, quand bien même l’interview reste, sans doute, le meilleur outil d’investigation.

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SUR 9 RÉPONSES OBTENUES

Il se peut que l'addition du nombre de réponses d'une même colonne excède le nombre total de question- naires ; ceci est dû au fait que certains artistes ont coché plusieurs réponses pour la même question.

Ce qui est vendu à Quelle est la Quelle est la valeur l’institution valeur des photos, des vestiges de vidéo, … ? votre action? L’action 2 Photos, vidéos, 5 autres,… L’œuvre partielle ou 7 1 totale Un document 4 5 Autre 3 N’ont pas répondu 2

Faut-il Avez-vous Accepteriez-vous Pensez-vous qu’il restaurer les déjà la re-présentation faille exposer des vestiges ? re-présenté de votre œuvre documents relatifs votre œuvre ? par autrui ? à l’action originale lors de sa re-présentation ? Oui/ pour 4 9 7 1 Non/contre 3 2 3 Sans avis /autre 2 5 N’ont pas 1 répondu

Quelle serait la valeur Quelle serait la valeur de l’acte de de l’action re-présentation ? re-présentée ? Réédition 3 Copie 2 Réinterprétation 3 Autre 1 Restauration 2 Commémoration 2 Nouvelle œuvre 4 Autre 1 N’ont pas répondu 1 2

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Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

C3/ ÉTUDES DE CAS

Richard BAQUIÉ - Ballon évènement du 29 Mars 1982 p.174

Artur BARRIÒ - Interminavel p.202

Marina ABRAMOVIC - Art must be beautiful, artist must be beautiful (1975) p.214

Andrea SAEMANN - Ausflug in die fresken (2004), Eisblock (2002) p.218

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C3/1.PROTOCOLE DE RÉINSTALLATION DE L’ŒUVRE DE RICHARD BAQUIÉ (1952-1996) Ballon évènement du 29 Mars 1982

(Mai 2006)

PRÉAMBULE : Au cours d’un stage effectué au sein du FRAC PACA en avril 2005, j’ai ren- contré Éric MANGION alors qu’il en était encore le directeur (celui-ci est, a) depuis, devenu directeur de la Villa Arson à Nice. Il a été remplacé par Pascal NEVEUX avec qui j’ai pu continuer mes recherches) ; nous avons eu l’occasion de nous entretenir de mon sujet de mémoire et, au cours de nos discussions, il m’a proposé de me pencher sur un cas qui lui posait problè- me, celui d’une œuvre de Richard BAQUIÉ, Ballon évènement du 29 Mars 1982 en m’expliquant qu’il souhaitait vivement réexposer cette pièce mais que le protocole actuel d’installation de celle-ci lui semblait insatisfaisant ; c’est pourquoi il m’a incité à mener un travail d’investigation autour de cette œuvre dans la perspective d’une future re-présentation.

DESCRIPTION : C’est une œuvre éphémère qui peut être considérée à la fois comme une installation, une sculpture et une oeuvre évolutive ; elle est constituée, au départ, d’un ballon météorologique en latex blanc, gonflé à l’hélium et lesté par des élingues métalliques reliées à huit socles posés au sol. Lesdits b) “socles” se composent chacun d’une pierre de carrière blanche, prise dans une croix de plomb, et percée dans sa longueur afin d’y faire passer le câble métallique. Gonflé à l’hélium, le ballon, dont l’enveloppe de latex est poreu- se, se dégonflait lentement tout au long de son exposition, jusqu’à choir de façon aléatoire au centre des ancres.

Nous sommes en présence d’une création dont le concept repose, d’une part, sur des objets matériels, d’autre part, sur le caractère éphémère de leur exposition que déterminent les contraintes physiques du matériau. A ce titre, le Ballon évènement du 29 Mars 1982, peut être assimilé à une sculpture intégrant volontairement (de par son titre et de par son instabili- té) une dimension éphémère et qui, à ce jour, se réduit, dans la collection, f) à quelques vestiges (élingues plus socles - le ballon étant désormais absent), accompagnés par le témoignage d’une photographie, prise lors de l’évènement originel et marouflée sur aluminium. Cette pièce a été présentée pour la première fois dans l’atelier de l’artiste (34, rue de la Joliette à Marseille), dans le cadre d’une manifestation «atelier portes-ouvertes» organisée le 29 mars 1982, par le collectif d’artis- tes Images, actes liés. g)

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TEXTE ACCOMPAGNANT L’ŒUVRE DANS LE CATALOGUE DES COLLECTIONS DU FRAC (acquisitions 1982-1988) : « Boire une bière et transporter ce goût d’urine dans sa bouche toute une journée. Certainement, je ne désire pas limiter l’art à sa propre description. Il ne s’agissait que de sculpture ; il a volé, il ne vole plus. Je dompte, ça monte, je me fatigue. Il vole peut-être dans les mémoires. Qui l’a vu ? Quelle image se forme, lointaine ? J’aime l’odeur du café qui annonce la proximité d’une torréfaction - Stimuline – qui c) se déplace en zones invisibles et lourdes. Vivre Marseille ; Espace virtuel où tout est possible. Mais cette tristesse qui propo- se des jeux si simples, si dénudés. Le jeu du regard net, trouble ; ne rien créer. a)Richard BAQUIÉ gonflant le Une action désespérée. Des diverses tensions physiques et mentales, naît une ballon météorologique immobilité latente, du temps suspendu qui entraîne le corps et la pensée dans une b), c), d), e), vues absence ou un silence, une perte d’identité. Et alors, rien du tout, de l’air. » (Texte générales et de détail du ballon, prises dans extrait du catalogue “Jeunes créateurs” centre culturel communal d’Aubagne, 1982) l’atelier de l’artiste

INTENTION ARTISTIQUE : Richard BAQUIÉ considère cette pièce comme étant une sculpture en même temps qu’il veut en saper les fondements : en effet, l’absence de pesanteur et l’évolution physique - qui va vers la disparition de l’objet « sculpté » - remettent en cause l’idée de sculpture en général et la notion de pérennité des œuvres.

Interrogée au sujet de la réalisation de cette œuvre et de la naissance de ce projet, Axelle GALTIER (qui a été la dernière compagne de l’artiste) me d) répond que Richard BAQUIÉ a réalisé cette pièce peu après son passage aux Beaux-Arts de Marseille et s’en souciait peu. L’œuvre a été réalisée à hauteur d’homme, à hauteur de Richard BAQUIÉ (c’est-à-dire environ 1,74m) et à bout de bras ; une manière de signifier qu’il ne pouvait aller au-delà : cette œuvre est un travail autour de la mémoire (« Dans la mémoire le souvenir, une image lointaine qui s’essouf- fle et disparaît ou disparaîtra, l’évènement c’est tout ça »13), de l’esprit tou- jours relié à des éléments « terre à terre » (le ballon lui-même relié au sol), mais également à l’histoire et à l’Histoire.

De son histoire, on apprend que Richard BAQUIÉ a passé son enfance avec un père revenu marqué par les camps de la mort, obsessionnel, traumatisé, violent qui n’a pas oublié et qui vivait au quotidien le souvenir douloureux de la guerre : en faisant usage de plomb pour lester le ballon, l’artiste ferait ainsi référence à l’Histoire, à la guerre, aux wagons de déportés, aux murs plombés… Cependant, tous ces éléments restent subtilement suggérés dans l’installation, c’est pourquoi il est peut-être important de le savoir et de le comprendre dans le cadre d’un protocole de réinstallation mais en évitant de le montrer de façon littérale; c’est de la même manière que l’artiste est e) intervenu à l’abbaye de Fontevreau, pour l’œuvre « Passion oubliée » (1984), créée en relation directe avec l’histoire du lieu, mais dont le lien était tout juste évoqué : le sol était jonché d’écailles de nacre de coquilla- f), g) les caisses dans ges, en référence au matériau que les prisonniers de guerre utilisaient pour lesquelles sont conservés les socles et les élingues la confection de boutons.

13 Richard BAQUIÉ, notes concernant Ballon, événement du 29.03.1982

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L’artiste aimait ainsi savoir que ses œuvres pouvaient avoir plusieurs niveaux de lecture, de la plus « primaire », au sens psychanalytique du terme, à la plus fouillée.

D’un point de vue pratique, l’œuvre ne connaît pas de direc- tives particulières si ce n’est qu’elle s’inspire d’une montgol- fière et que la membrane doit être unie, sans motif. Le lieu importe peu puisque la mémoire et le souvenir peu- vent se manifester n’importe où… Nous n’avons pas d’indice concernant les raisons de la pré- sence de huit socles au sol. Y a-t-il une référence à l’histoi- re de l’art ? A Piero della FRANCESCA ou Leonardo da VINCI que Richard BAQUIÉ admirait ? Ou bien, encore, à la confi- guration spatiale de la molécule d’eau H2-O dont l’artiste s’inspire souvent et qui ressemble au schéma simplifié de cette installation ? Geneviève ESCUDIER (qui était la première compagne de l’artiste) confirme que cette œuvre est la dernière d’une série d’œuvres éphémères réalisées ou, en tout cas, conçues à l’époque où l’artiste était étudiant. C’est par la suite que l’artiste s’est tourné vers des installations beaucoup plus lourdes. Cette œuvre est à considérer comme un refus de la sculptu- re en dur, posée sur le sol et stable. Si l’artiste avait pu ne l’arrimer à rien il l’aurait fait. On peut aussi y voir une réfé- rence à l’évasion, au voyage en ballon de Jules VERNE. h)photographie du ballon faisant partie de l’oeuvre du FRAC PACA

Axelle GALTIER ajoute que Richard BAQUIÉ a réalisé d’autres œuvres éphémères : les lâchers de ballons du Salon de Mai à Paris en 1982, “Tout ce que je vis ne peut être écrit” à Poitiers, “Opération Rhinocérus” à Marseille en 1983... Toutes ces créa- tions se rejoignent dans un lien mémorial, dans l’idée du souvenir.

« Sculpture : représentation, suggestion d’un objet dans l’espace au moyen d’une matière à laquelle on impose une forme déterminée, dans un but esthétique. Ensemble des techniques qui permettent cette représentation v. plastique » « Eau : si ce qui fait sculpture c’est le poids, ici il n’est pas saisissable visuellement dû à l’ap- préhension difficile de l’eau (transparence et non bloc opaque). Depuis plus d’un an et demi, je tente de réduire le point d’appui lieu où passe le poids de la sculpture (branches taillées en poin- te, ballon à l’hélium).» « Verticalité : référence à la sculpture grecque classique la position centrale position centrale dans un espace ou centre comme noyau autour duquel gravitent des éléments en expansion » F. CHENG : « notion centrale souvent négligée parce que centrale « celle du vide ». « Le vide se présente comme un pivot dans le système de la pensée chinoise ». « Le vide n’est pas comme on pourrait le supposer quelque chose de vague et d’inexistant mais un élément immensément dynamique et agissant ».

(Notes personnelles de Richard BAQUIÉ)

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« Disparition : je pars de la sculpture, j’en fais une analyse et cela m’entraîne vers d’autres préoccu- pations. Tous mes 1ers travaux ont disparu, j’appelais cela des événements : ils étaient à base d’eau, de glace, ou d’hélium, par exemple. La sculpture a tendance à être éternelle, ces 1ers travaux vivaient et disparaissaient au bout de 15 jours environ. »14

« Fixer : tout ce que je vis ne peut-être écrit, autrement dit, on ne peut pas fixer l’instant même si on en rêve… La pérennité est une vertu du mouvement… c’est-à-dire de l’art mis au service d’un pou- voir et non de l’art lui-même. »15 « (…) pour la destruction (c’est là, que je vais être radical), elle me satisfait totalement non que je la souhaitais, mais qu’elle est une démonstration de l’illusion de la pérennité dans laquelle l’on baigne. Tout est voué à disparaître et la durée sans être programmée reste une constante de tout élément constitutif. »16

PROTOCOLE D’EXPOSITION ACTUEL : - Une photo contre collée sur l’aluminium h 80 x 50 cm - huit ancres en pierre et métal avec chacune un câble traversant la pierre (à disposer au sol, sous la photo).

Selon Véronique LEGRAND (directrice du FRAC PACA peu de temps après l’acquisition de l’œuvre) qui a interrogé Richard BAQUIÉ alors qu’elle sou- haitait réexposer la pièce, celui-ci ne souhaitait pas réinstaller la pièce dans son état originel, estimant que le FRAC ne devait qu’en préserver la mémoi- re à travers ce qu’il lui avait vendu.

" (…) Je n'étais pas encore au frac quand le " ballon " de Richard Baquié a été acheté, et je n'ai pas assisté non plus à l'événement. Même si j'ai été le premier directeur du frac Paca, je n'y suis arrivée qu'à la toute fin de l'année 1983 et des pièces avaient commencé à être acquises par son Président, Jean-Louis Prat (directeur de la Fondation Maeght à Saint Paul de Vence jusqu'à l'année dernière) et un comité technique d'achat.

Lorsque j'ai voulu présenter la collection du frac, pour la première fois et dans son entier, au musée Cantini à Marseille, j'ai interrogé Richard Baquié sur cette oeuvre et lui ai expliqué com- ment je pensais la montrer. Il estimait, lui, qu'elle ne pouvait plus être montrée, qu'elle était, par essence, éphémère (et non immatérielle !) et que le frac ne pouvait qu'en conserver la mémoire... Cela a donc été la seule oeuvre du frac qui n'a pas été montrée au public lors des premières présentations, au musée Cantini et à la Fondation Maeght. Et quand j'ai inventorié les oeuvres, à mon arrivée, il n'y avait pas de ballon dégonflé ni de dessin. " (copie du mail du 26.02.2006) Ceci nous amène à penser que l’œuvre réside davantage dans les restes de l’évènement que dans la durée de l’évènement lui-même qui proposait alors au public une lente dégénérescence de l’installation à travers le changement physique du ballon, passant d’un état idéal gonflé à un stade « dégradé » qui mettait un terme à l’exposition et, donc, à l’œuvre.

Kouid MOKDAD (premier régissseur du FRAC, en fonction depuis 1983), confirme les propos de Véronique LEGRAND : à l’époque, l’institution pos- sédait un lieu de stockage des œuvres à Vitrolles, au Centre de Fontblanche, où le régisseur assure n’avoir jamais vu le ballon.

14 Catalogue Richard BAQUIÉ, 1952 -1996, rétrospective, 1998, p.98 15 Ibid. p.99 16 Ibid, p.92

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LOCALISATION ACTUELLE : Le FRAC PACA possède l’œuvre depuis 1983 ; l’inventaire actuel ne men- tionne que les socles de lestage, les élingues et une photographie (80x50cm) prise par l’artiste et qu’il a lui-même marouflée sur une plaque d’aluminium. Si cet inventaire ne signale effectivement pas la présence du ballon météorologique, il n’en reste pas moins que certains témoignages semblent s’accorder sur le fait que l’institution en aurait bien fait l’acquisi- tion auprès de l’artiste, au moment de son achat ; en effet, Geneviève ESCUDIER se souvient d’un tube de carton (qui devait contenir l’enveloppe de latex) et d’un dessin qui accompagnaient la photographie et les autres i) éléments de l’installation ; par ailleurs, Olivier LEPINE, alors conseiller artis- tique régional et membre du comité d’achat du FRAC aux côtés de Jean- Louis PRAT, m’a lui aussi confirmé par téléphone que le ballon figurait bien au protocole d’achat de l’œuvre. Comme on a pu le voir ci-dessus, Véronique LEGRAND affirme, au contrai- re, que le ballon n’a pas été inventorié ; enfin, une photocopie des carnets de l’artiste, archivée par l’institution, évoque le Ballon évènement du 29 Mars 1982 sans pour autant mentionner la présence de la sphère dégonflée.

Un doute subsiste donc quant à la présence, à un moment donné, de cet

élément majeur dans les collections du FRAC ; même si l’on connaît les pro- J) priétés physiques du latex qui se dégrade très rapidement à la lumière jus- qu’à jaunir et devenir pulvérulent, il est primordial de revenir sur les raisons de l’absence actuelle de ce ballon dans l’inventaire matériel de l’œuvre : est-elle corollaire d’une négligence de l’institution (à cette époque où les choses démarraient, les questions concernant la conservation des oeuvres n’étaient pas au centre des préoccupations des FRAC) ou dépend-t-elle d’une volonté de l’artiste ? De cette précision découleront des propositions différentes quant aux conditions de réexposition de la pièce.

EXPOSITIONS : Cette œuvre a été présentée une première fois, en l’état, le 29 Mars 1982, au sein même de l’atelier de l’artiste (34, rue de La Joliette à Marseille). K) Après son acquisition par le FRAC PACA, il est mentionné, dans le catalogue des acquisitions 1982/1988, que l’œuvre a été exposée deux fois, mais aucun autre document en témoigne. L’œuvre a, en tout cas, été présentée en 1999 au Musée du Luxembourg, lors de l’exposition Hypothèses de collection mais uniquement dans le cata- logue de l’exposition par le biais de la photographie originale de l’artiste. Éric MANGION, alors directeur du FRAC, préférait, à l’époque, ne présenter l’œuvre que sous sa forme photographiée, en attendant de pouvoir propo- ser un protocole plus pertinent que celui qui accompagne actuellement l’œuvre.

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Retranscription originale d’une note par Richard BAQUIÉ (c.f. texte manuscrit du carnet p.186 - remarquer que le texte est ici légèrement différent)

DISCUSSION : Ce que possède le FRAC PACA aujourd’hui, réside donc en un document autographe témoignant de l’exposition de l’œuvre (la photographie) et des éléments constitutifs de cette installation disparue, en partie autographes (les socles, les élingues). La photographie prise par l’artiste a une valeur d’instantané : elle fixe un moment dans l’existence fugace du ballon, mais doit-elle être, pour autant, considérée comme un simple document ? Ayant été prise par l’artiste, puis marouflée par celui-ci avant d’être vendue à l’ins- titution, elle pourrait tout aussi bien prendre le statut d’œuvre ou d’élément de l’œuvre...

En l’absence du ballon météorologique, l’inventaire matériel actuel apparaît comme lacunaire et l’exposition des éléments inventoriés tronquée, dans la l) mesure où la photographie passe à la fois pour un témoignage de l’aspect gonflé du ballon et pour un ersatz du ballon, aujourd’hui absent. Mais cette i), j), k), l) remarque ne peut-être valable que dans le cas où le ballon faisait effective- atelier Rue de la Joliette (Marseille) ment partie de l’achat de la pièce. (Novembre 2005) Dans l’hypothèse inverse, le ballon ayant été volontairement été omis par l’artiste au moment de l’acquisition des autres éléments par le FRAC, la photographie reste un témoignage du ballon dans son état de gonflement maximum ; l’absence physique de ce dernier au milieu des socles et des élingues retombées sur le sol renforce alors le sens de l’envol, de l’échap- pée, comme une métaphore de la disparition, de la non pérennité des œuv- res et des choses en général.

Pour François BAZZOLI (enseignant à l’école d’art de Marseille et ami de la famille Baquié) l’œuvre réside dans l’é- vènement qui fait de l’œuvre un reste et c’est ce reste que l’artiste a vendu au FRAC en tant qu’œuvre. Nous comprenons bien ici que la présence ou l’absence du ballon météoro- logique au moment de l’acquisition de l’œuvre régissent les conditions de sa réexposition et nourrit des hypothèses quant à la valeur de ces restes d’é- vènement. Qu’est-ce qui doit être considéré comme œuvre : l’événement ou ses témoignages physiques ? A partir de ces observations nous nous proposons, dans les pages suivan- tes, de discuter différentes interprétations de re-présentation de cette installation. Ainsi, nous tenterons d’argumenter, d’une part, la re-présentation de cette pièce en admettant que le ballon ne faisait pas partie de l’achat et, d’autre part, de dégager des hypothèses de réexposition dans le cas où l’envelop- pe de latex aurait disparu inopinément après son acquisition.

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Extraits de l’inventaire actuel du FRAC

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Extraits du catalogue, FRAC Acquistions 1982/1988 - documents annexes

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m) n)

m) photo du ballon prise par Richard Baquié, dans son atelier de la Joliette, le 29 mars 1982

n) photo prise dans l’atelier de l’ar- tiste, sous un angle similaire, novembre 2005

HYPOTHÈSE N°1 : le ballon météorologique n’a jamais été acquis par le FRAC

Si l’on s’en réfère aux notes de Richard BAQUIÉ, qui ne mentionnent pas la présence du ballon, et à l’absence effective de cet élément dans l’inven- taire du FRAC, il apparaît que le protocole de réexposition actuel de la pièce est juste. L’œuvre réside dans les témoignages de l’événement échu, dans cette finitude que renforce l’absence physique du ballon. Cette absence de la sphère n’est que la transcription du concept de cette pièce; au sens pro- pre et au sens figuré, l’enveloppe remplie de gaz s’est envolée, les élingues ne l’ayant pas retenue.

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PROPOSITION :

Afin de respecter la valeur documentaire et mémorielle (pour les gens qui ont assisté à l’évènement) de l’œuvre éphémère, nous proposons que les “vestiges” soient exposés tels quels en étant, éventuellement, accompa- gnés du texte, extrait des notes de l’artiste, que le FRAC possède actuelle- ment.

Photographie originale marouflée

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HYPOTHÈSE N°2 : le ballon météorologique a bien été acheté par le FRAC, mais a disparu

En admettant que le ballon météorologique ait disparu après son acquisition en 1983, il est évident que la pièce actuelle est lacunaire, amputée d’un élé- ment majeur de sa constitution. Dès lors, il faudrait pouvoir envisager de rajouter à l’inventaire matériel de l’œuvre un nouveau ballon dégonflé - dégonflé, et non pas non-gonflé, car l’aspect physique d’un ballon non utilisé est différent de celui d’un ballon usagé. Pour ce faire, il faut pouvoir engager la ré-installation de l’œuvre et établir les conditions dans lesquelles celle-ci serait possible, avant d’en dis- cuter les faiblesses ; en effet, si l’on considère la faisabilité d’une réinstal- lation de l’œuvre d’un point de vue purement technique, il ne faudra pas omettre la volonté première de l’artiste qui s’opposait à toute ré-installation de son œuvre.

I. DE LA RECONSTITUTION

« (…) Je partage l’avis de Geneviève Escudier et pense que l’œuvre peut être réin- stallée. (…) Bien que conservatrice, je n’ai aucun intérêt pour le fétichisme... » Blandine CHAVANNE, conservatrice du Musée des Beaux-Arts de Nancy, qui exposa, au Musée Sainte-Croix de Poitiers, en 1983, une œuvre éphémère de Richard BAQUIÉ, dans le cadre d’un symposium sur la sculpture. (mail du 25.01.2006)

a) PROTOCOLE TECHNIQUE: Il semble que, ni le lieu, ni la date, ni le contexte politique ou social d’ex- position de la pièce n’importaient : l’œuvre a été montrée dans le cadre de « l’atelier portes ouvertes » du collectif « images – actes liés » le 29 mars 1982 ; c’est donc naturellement que l’œuvre a été montrée dans l’atelier de l’artiste (34, rue de la Joliette à Marseille). (Axelle GALTIER précise : la date qui est mentionnée dans le titre, ne marque que l’ouverture de l’exposition « Sculptures » dans le cadre d’une manifestation portes ouvertes. La date et le lieu, ainsi que les participants de cette exposition, n’ont rien à voir avec le sens de celle-ci. La date de clô- ture de l’exposition aurait dû naturellement marquer le moment de la des- truction programmée de l’œuvre, cependant elle n’était pas présente à ce moment-là et ne peut en dire plus.)

Il est donc tout à fait envisageable de reconstituer cette installation dans un contexte tout à fait différent de celui d’origine. Cette remarque est d’ailleurs renforcée par le fait que l’artiste ait lui-même vendu cette œuvre et qu’il autorisait donc bien sa monstration hors contexte.

D’un point de vue pratique, nous notons la perte d’un élément majeur de l’installation : le ballon météorologique. Cet élément étant de facture industrielle, (il a été commandé par l’artiste dans une entreprise spécialisée, sans exigence particulière), il est donc pos- sible de commander un ballon météorologique de même constitution et de

-184- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 mêmes dimensions. Cet achat reste indispensable à la reconstitution de l’œuvre : un ballon de même constitution et gonflé à l’hélium serait un gage de respect vis-à-vis de la nature des éléments constitutifs originaux et du caractère éphémère de l’œuvre. Cependant, il est bien évident qu’un ballon neuf fera fi du laps de temps qui sépare la date de création de l’œuvre et de celle de sa re-pré- sentation alors même que les socles et élingues et, notamment, la photo- graphie, en témoignent. Si l’on reconnaît ici un réel anachronisme, il ne faut pas oublier qu’il s’agit là d’une reconstitution et non pas d’une réexposition de l’œuvre. Nous ne sommes plus en présence de l’objet-œuvre, mais de quelque chose qui tente de raviver un instant, une expérience physique qui devra nécessairement être présentée comme telle au public. Les croquis conservés dans les carnets de l’artiste et ses indications concer- nant la distance qui le sépare du sol, nous permettront de disposer les élé- ments de manière fidèle. (Geneviève ESCUDIER précise que, le 29 mars 1982, il importait à l’artiste de gonfler le ballon avant l’arrivée des visiteurs.)

Enfin, concernant l’éclairage de la pièce, il semble qu’il n’y ait eu aucun dispositif particulier, puisque seule la lumière du jour a été utilisée à l’époque. En conséquence, dans l’hypothèse d’une reconstitution, il ne devra pas y avoir d’éclairage focalisé directement sur l’œuvre.

b) DE LA NATURE DE CE NOUVEL OBJET : Etant donné les éléments restants et le caractère non-autographe du ballon météorologique, il est techniquement possible de reconstituer l’œu- vre. L’objet qui sera créé ne sera, ni une réactualisation, ni une interprétation de l’œuvre de 1982, mais sa re-présentation avec des éléments d’origine et un ballon neuf. Cette reconstitution ne se substituera pas à l’original, en raison de la natu- re même de la RE-présentation qui suppose le caractère non authentique de l’objet ; nous joindrons à la reconstitution de la pièce la photographie ori- ginale (inséparable des autres éléments) et un cartel explicatif en guise d’in- formation au public ; enfin, nous prendrons le parti de ne pas réactualiser la date mentionnée par le titre original de l’œuvre, en précisant qu’il s’agit d’une reconstitution du Ballon évènement du 29 mars 1982, mais daté du moment de son exposition.

c) DE LA CONSERVATION DE CETTE RECONSTITUTION: Suite à la re-présentation de l’œuvre, il sera nécessaire de conserver, en plus de tous les éléments constitutifs de l’installation, le nouveau ballon qui, dès lors, complèterait l’inventaire matériel de la pièce et permettrait ses réinstallations ultérieures. Les socles sont aujourd’hui conservés en caisse ; il faudra alors prévoir un stockage adapté au ballon dégonflé, sans pour autant oublier que la natu- re même de ce type de matériau lui confère une conservation limitée dans le temps.

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Photocopies des pages du carnet de Richard Baquié, aujourd’hui conservées au FRAC (date inconnue)

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Pages extraites des carnets de Richard Baquié 1981-1982 (conservés par Geneviève Escudier)

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RÉCAPITULATIF

Soit : -Huit socles d’environ 4,7 x 17,5 x 17,5 cm, dont la masse totale de 45,5kg se décompose en cinq éléments de 5,5kg chacun et trois de 6kg chacun

-des élingues métalliques

-une photographie prise par l’artiste et marouflée sur plaque d’aluminium

Soit, à l’origine : -un projet de sculpture volontairement éphémère -un lieu et une date d’exposition déterminés par un évènement communau- taire

Soit, dans les carnets de l’artiste : -des indications techniques sur les dimensions du ballon (environ 200 cm de diamètre)

-le nom et l’adresse du fournisseur d’hélium

-des notes qui vont à l’encontre de la reconstitution

Soit, à partir des témoignages de son entourage : -des propos recueillis auprès des témoins de l’époque et des ayants droit qui apportent des indices quant à la hauteur à laquelle gravitait la sphère, mais qui ont également des avis divergents sur l’éventualité d’une reconstitution de l’installation et sur la nature même des éléments aujourd’hui conservés par l’institution (sont-ils à considérer comme une œuvre à part entière ou comme une documentation de l’évènement, voire les deux ?)

Soit des matériaux manquants : -un ballon météorologique

-un volume d’hélium de 4 à 5 m3

Contacts pour les fournitures : -ballon : le centre météorologique départemental de Nîmes (j’y ai contacté Mr DUCHEMIN qui m’a généreusement offert un ballon météorologique neuf) Tél. : 04 66 02 92 50

-hélium : Airliquide www.france.airliquide.com Le Pontet Route de Carpentras BP 11 Vedène 84965 Le Pontet cedex Tél. : 04 90 03 70 00

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II. INTERPRÉTATIONS

Étant donné que Richard BAQUIÉ ne souhaitait pas ré-installer sa pièce mais engageait l’institution à en faire mémoire, il faut pouvoir engager des hypo- thèses de re-présentation pertinentes et honnêtes : c’est pourquoi, si, d’un point de vue purement technique et contextuel, il semble possible de reconstituer l’œuvre, il ne faut pas omettre l’intention de l’artiste, sous pré- texte que nous disposons de moyens suffisants pour permettre la reproduc- tion de sa pièce. En prenant en compte ce paramètre, il faut pouvoir envisager une manière juste de présenter au public les éléments acquis par l’institution, sans tom- ber dans un acte parodique, ni dans une simulation.

a) PROPOSITION N°1 Cette proposition se base sur un postulat de départ qui considère que l’œu- vre résidait à la fois dans l’évènement et dans ses vestiges. Dans l’optique d’une reconstitution de cette œuvre, je m’inspirerai grandement de la conversation téléphonique que j’ai eu avec Éric FABRE, qui fut le galeriste de Richard BAQUIÉ.

(Entretien téléphonique du 22.03.2006). Éric FABRE considère que, par nature, l'œuvre est dérisoire et, de ce fait, l'exposition de docu- ments tout aussi dérisoires ne le choque pas. Cependant, au cours de notre discussion et bien qu'il se soit d'abord catégoriquement opposé à toute reconstitution de l'œuvre, il ne trouve pas inintéressant de rajouter, aux éléments exis- tants, le caoutchouc du ballon dégonflé qui serait, selon lui, plus pédagogique qu'une reconsti- tution ponctuelle et limitée dans sa durée (respectueuse du projet initial). De ce fait, on com- plèterait l'inventaire des éléments relatifs à la pièce. Mais, dans l'absolu, il lui paraît absurde, et même aller à l'encontre du processus artistique que de remonter la pièce : si l'artiste a vendu ces vestiges de son vivant en les accompagnant d'une photographie qu'il a lui-même réalisé, c'est bien que son intention était la préservation de la mémoire à travers des documents et non la re-matérialisation d'un évènement. La photographie, telle qu'elle a été cadrée, révèle l'importance de ces documents aux yeux de l'artiste et leur fonction au sein de la collection du FRAC ; la seule pérennisation possible de cette œuvre reste ainsi la documentation, il n'y a pas de place pour la reconstitution. Malgré tout, Éric FABRE envisage une alternative qui contournerait le problème et participerait d'un parcours didactique, sans pour autant dénaturer les vœux de l'artiste : en admettant que le but de cette reconstitution soit informatif, il serait alors peut-être judicieux de proposer une exposition de cette pièce plusieurs jours durant. Le jour de l'ouverture, la pièce réinstallée avec un ballon neuf et gonflé, serait accompagnée de la photographie originale, du cartel habituel sur lequel le ballon serait mentionné comme faisant partie d'une reconstitution et du descriptif de l'œuvre qui retracerait l'intention de l'artiste et l'histoire de cette œuvre. A mesure que l'exposition se déroulerait, le ballon se dégonflerait comme prévu jusqu'à tomber sur le sol, ce serait dans ces conditions que la manifestation se poursuivrait. Ce faisant on témoi- gnerait de l'aspect visuel de l'œuvre telle qu'elle avait été présentée le 29 Mars 1982, on préser- verait le concept initial et le caractère éphémère de l'œuvre, tout en proposant une exposition limitée dans le temps et à visée didactique.

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Il semble donc que, pour re-présenter de manière juste l’acte et l’installa- tion de Richard BAQUIÉ, il faut pouvoir considérer la reconstitution sous un angle didactique. Etant donné la volonté de l’artiste qui souhaite faire mémoire de son œuvre mais refuse catégoriquement sa réitération, il ne peut être question de réinstallation à proprement parler. Ainsi, nous envisageons, dans un premier temps, de réaliser, hors du contexte de l’exposition, une reconstitution de la pièce au sens scientifique du terme, avec les socles et les élingues d’origine et un ballon météorolo- gique neuf. Ce dispositif devra pouvoir rendre compte de la mise en espace de l’installation dans un environnement clos, en même temps qu’elle sera le moyen d’attester de la durée de diffusion de l’hélium, et d’observer les changements physiques du ballon depuis son installation jusqu’au moment de sa retombée au sol. Cette intervention n’aura absolument pas l’ambition de se faire passer pour une réinstallation, cette reconstitution n’aura d’inté- rêt que dans un cadre purement expérimental ; elle sera filmée et devra donner une idée de ce que pouvait être, physiquement parlant, l’œuvre datée du 29 Mars 1982. Autrement dit, le film vidéo, n’ayant pas vocation à se substituer à l’installation éphémère, devra être monté selon un parti pris technique qui, dès lors, exclut sa diffusion en intégralité, quand bien même il sera réalisé sur toute la durée du dégonflement du ballon. Il sera néces- saire d’établir un protocole précis, visant notamment à établir les plans à privilégier lors du tournage. Nous suggérons, d’ailleurs, de disposer quatre caméras proposant des angles fixes de vue différents (vue de face, vue d’en haut, vue d’en bas, caméra au sol) et une approche en mouvement, grâce à une caméra mobile qui replace l’œuvre dans l’espace. La vidéo serait, avant tout, un outil didactique, en même temps qu’un témoignage actuel, dans la durée, d’un évènement du passé : bien que contemporain, il me semble possible de dire que la vidéo fera mémoire de l’œuvre, tout du moins de son processus. À l’issue de cette étape, nous intègrerons le ballon météorologique neuf et dégonflé à l’inventaire matériel du FRAC. C’est parce qu’un ballon dégonflé récent complètera les éléments aujourd’hui inventoriés, qu’il me semble juste de proposer au public une vidéo retraçant les conditions d’entrée de ce matériau neuf au sein de la collection (en effet, un ballon non gonflé pré- sente une enveloppe dont l’aspect est différent de celle d’un ballon dégon- flé ; il est donc indispensable de procéder à son gonflage et donc à la réité- ration du processus de l’œuvre originale).

Dans cette configuration, nous imaginons pouvoir présenter les éléments de Ballon évènement 1982, sous la forme d’une exposition-témoignage : les socles et les élingues seraient disposés selon les plans de l’artiste, mais en leur centre serait déposé l’enveloppe de latex dégonflée ; en parallèle de cette mise en espace, seraient présentés la photographie d’origine (dont l’aspect actuel témoigne du laps de temps écoulé entre la date de l’évène- ment et sa commémoration) et la vidéo en guise d’information technique. Mais par le biais de quel dispositif sera-t-elle diffusée ? Nous pourrions ima- giner un écran divisé en quatre parties, chacune d’entre elles proposant le point de vue d’une des quatre caméras utilisées lors du tournage, auquel viendrait s’ajouter un time code renseignant le public sur la durée réelle du dégonflement du ballon. Par ailleurs, il faut s’interroger sur la manière dont cette vidéo - qui vien- drait se rajouter à l’inventaire matériel de l’œuvre - sera exposée avec les

-192- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 autres éléments existants et sur lesquels elle ne devra pas prendre le pas : seule la photographie peut témoigner de l’évènement ; le film vidéo ne vient s’ajouter à elle que parce qu’il propose une vision technique et rappor- te, dans la durée, un dispositif similaire mais réalisé dans un cadre scienti- fique et non pas artistique. Nous pensons qu’il serait pertinent de proposer au public la reconstitution de l’œuvre avec la photographie originale présen- tée au premier plan et de proposer, en marge de ce dispositif, la vidéo dif- fusée sur un moniteur tournant le dos à l’installation afin que le visiteur ne confonde pas cet élément avec les matériaux constitutifs de l’œuvre. Nous n’envisageons pas de projections en grand format en raison du caractère purement documentaire - et non pas artistique - de cette vidéo qui ne ferait que compléter l’exposition d’un point de vue didactique. C’est pourquoi un moniteur d’environ 50cm et disposé au sol devrait pouvoir renseigner juste- ment le public sans pour autant s’imposer à l’œuvre re-présentée. L’ensemble de ces éléments serait accompagné d’un cartel explicatif et d’un titre annonçant la nature des éléments exposés. Le ballon étant neuf, il ne pourra s’agir que d’une reconstitution, mais en aucun cas d’un simulacre, ni d’une parodie, dès lors que nous respectons les exigences de Richard BAQUIÉ, c’est-à-dire en ne réinstallant pas son œuvre et en se limitant à faire acte de mémoire de l’évènement.

Photographie originale marouflée

Moniteur de télévision

Nouveau ballon météorologique dégonflé

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b) PROPOSITION N°2 Cette proposition est une variante de la première en cela qu’elle privilégie à la vidéo retraçant le dégonflement du ballon une photographie documentai- re de l’installation reconstituée. Cette hypothèse de re-présentation doit pouvoir justifier de la présence d’un ballon météorologique neuf au milieu des éléments originaux, en même temps qu’elle met l’accent sur le fait que l’œuvre réside uniquement dans les vestiges de l’évènement vendus à l’ins- titution et non pas dans l’évènement que l’artiste ne souhaitait pas réitérer de toute façon. En effet, étant donné que l’artiste a vendu des éléments de l’évènement qui témoignent de son état initial (la photographie) et final (le ballon dégonflé, aujourd’hui disparu), et qu’aucun autre élément se référant à l’évolution physique de l’œuvre, ni même à l’installation originelle, n’a été cédé, force est de constater que Richard BAQUIÉ ne souhaitait pas montrer ce qui s’est déroulé entre ces deux étapes ; il existe pourtant au moins un cliché inter- médiaire (c.f. p. 174). Par conséquent, il peut sembler inopportun de pro- poser, comme précédemment, une reconstitution accompagnée d’un dispo- sitif vidéo retraçant dans la durée le changement d’état du ballon alors que l’artiste n’a vendu aucun élément le relatant de la sorte. Même si cette vidéo passe pour un document retraçant la reconstitution scientifique du proces- sus, celle-ci révèle à un public contemporain un procédé sensiblement iden- tique à celui d’origine, alors que l’artiste refusait sa reproduction ; la justi- fication scientifique de ce film vidéo n’est peut-être pas suffisante à sa pré- sence et à sa diffusion dans un contexte de réexposition de l’installation, trahissant, de manière détournée, la volonté de Richard BAQUIÉ.

Photographie témoignant Photographie originale marouflée de la reconstitution

Nouveau ballon météorologique dégonflé

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En tenant compte de ce dernier paramètre, nous pensons qu’il pourrait être pertinent de ne photographier le nouveau ballon gonflé qu’à son stade ulti- me de gonflement. Ce cliché rendrait compte, aussi bien que la vidéo, de l’aspect neuf de la sphère de latex et donc de la nature même de l’exposition (à savoir une reconstitution), sans pour autant divulguer au public contemporain l’évolu- tion physique de l’installation telle qu’elle aurait pu se produire le 29 mars 1982. Cependant, nous sommes conscients que cette nouvelle photographie, même sans être marouflée à l’instar de l’originale, pourrait être considérée à tort, de part son cadrage, comme une œuvre en soi, comme un travail artistique, alors même qu’elle ne vise qu’à témoigner de la reconstitution contemporaine de l’installation et de la réitération du processus qui a conduit un ballon neuf non gonflé à remplacer le ballon original dégonflé et disparu. Si cette proposition se justifie par rapport à l’intention de l’artiste et à la mis- sion qu’il a confiée à l’institution, il faut néanmoins penser l’exposition de ce nouveau cliché afin d’éviter toute confusion entre la nature de la photogra- phie initiale et celle de la nouvelle. C’est pourquoi, nous envisageons de réaliser un cliché dont l’angle de prise de vue serait différent de celui de la photographie autographe – sans pour autant révéler davantage d’éléments que ceux sciemment montrés par Richard BAQUIÉ - et d’y adjoindre, à l’ins- tar de la vidéo de la proposition précédente, un cartel identifiant ce docu- ment comme tel. Cette nouvelle photographie serait plus petite et présen- tée en marge de la réinstallation.

Cette proposition respecterait les directives émises par l’artiste en ne pro- posant pas au public la reproduction de l’évènement tout en en faisant mémoire par le biais de la re-présentation de ses vestiges dont la réactua- lisation de l’un d’eux est justifiée (et sera documentée) dès lors que le ballon a bien été vendu au FRAC avec les autres éléments.

EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE 1 : A travers ces propositions, nous avons dégagé des hypothèses de réexposi- tion de Ballon, évènement du 29 mars 1982 qui témoignent, dans leur varié- té, de la complexité d’appréhension de cette œuvre en l’absence d’une don- née majeure : le ballon météorologique faisait-il partie oui ou non du proto- cole d’achat du FRAC ? Préférer une manière de réexposer cette pièce plutôt qu’une autre relève donc d’un parti pris fort dont la conséquence peut changer la valeur et le sens de cette installation.

A la lumière de cette remarque, il faut pouvoir engager de nouvelles inves- tigations qui permettraient d’établir précisément les conditions initiales d’ac- quisition de cette pièce avant de décider de la meilleure manière de réex- poser cette œuvre. Il reste donc, à l’heure actuelle, une inconnue majeure à ce protocole - celle-là même qui nous empêche de tabler justement sur un type de re-présentation valable et respectueux des volontés de l’artiste.

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EN GUISE DE CONCLUSION PROVISOIRE 2 : Le 4 juillet 2006, j’ai pu présenter au nouveau directeur du FRAC PACA, Pascal NEVEUX et au régisseur de la collection, Pascal PROMPT, mes propositions quant à la réexposition de l’œuvre de Richard BAQUIÉ. Cette rencontre a été l’occasion d’exposer nos différents points de vue et surtout de compléter ma docu- mentation : en effet, Pascal NEVEUX m’a remis le dossier de l’œuvre inventoriée dans lequel ont été archi- vés des documents d’époque qui témoignent en grande partie de la transaction effectuée entre l’artiste et l’institution. Si, parmi ces documents, un seul mentionne les dimensions exactes du ballon météorologique - ce qui subodore qu’il a bien fait partie de l’acquisition du FRAC - les autres pièces officielles ne permet- tent malheureusement pas de confirmer ou d’infirmer en définitive l’existence de la sphère au moment de l’achat de Ballon évènement du 29 mars 1982. A noter que deux documents (c.f. en annexes) évoquent l’oeuvre de Richard BAQUIÉ sous le titre “ballon” et non pas “ballon, évènement du 29 mars 1982” : cette première information trahit le fait que cette pièce n’aurait pas été considérée au départ comme les traces d’un évènement passé ; d’autre part, ces mêmes communiqués mentionnent avec précision les éléments consitutifs de la pièce : notamment un ballon météorologique et de l’hélium... ce qui suppose, en plus, qu’à l’origine il était peut-être entendu de reconstituer l’évènement dans sa forme initiale. Pourtant, dans un courrier datant sans doute de la même époque, il n’est question, ni de ballon, ni d’hélium. Etant donné ce complément d’enquête et l’incertitude qui règne encore autour de cette acquisition, il a été décidé de poursuivre les investigations, notamment en tentant de joindre l’ensemble des membres du comité technique alors réuni au moment de l’achat de la pièce. Par ailleurs, une nouvelle proposition de re-présentation des éléments de l’œuvre de Richard BAQUIÉ s’est dégagée : comme je l’ai écrit plus haut, en l’absence de certitude concernant la présence du ballon météo- rologique au moment de l’acquisition de l’œuvre, décider de la réexposition de la pièce en opérant un choix parmi les propositions que j’ai émises, engage une grande responsabilité de la part du décideur, car c’est statuer sur le caractère plus ou moins lacunaire de l’installation. C’est pourquoi, il a été privilégié de laisser planer le doute autour de cette œuvre et de proposer au public une exposition didactique dans laquelle seraient présentés les éléments que possède aujourd’hui le FRAC, ainsi qu’un ensemble de documents (textes de l’artiste, carnets, croquis, interviews et témoignages de ses proches,...) qui permettrait plus ou moins de reconstituer l’enquête jusqu’ici menée, celle-là même qui fait aujourd’hui partie de l’histoire de l’œuvre. Cette décision n’exclut cependant pas une reconstitution de l’œuvre en dehors du cadre de l’exposition, ni la réalisation d’une vidéo retraçant la réinstallation de cette pièce jusqu’au dégonflement du ballon météo- rologique. Cette séquence, si elle ne sera pas forcément diffusée lors de la re-présentation publique de la pièce, pourrait néanmoins intégré les archives de l’institution afin de compléter la documentation tech- nique de cette œuvre. A ce sujet, Pascal NEVEUX a, en effet, trouvé inopportun de diffuser cette vidéo au visiteur : quand bien même elle affirme son caractère scientifique, il n’en reste pas moins qu’elle révèle ce que l’artiste refusait justement de remontrer ; par ailleurs, celle-ci ne lui semblait pas forcément pertinente, ni pédagogique, préférant laisser le Ballon, évènement du 29 mars 1982, s’entourer de mystère. Dans l’optique de cette future présentation publique, nous avons décidé de nous revoir très prochainement afin d’établir un cahier des charges et un protocole précis qui permettraient de décider de la nature des documents à réunir ainsi que de la manière de réaliser les interviews des proches de l’artiste (seraient- elles filmées ou non ? Quelles en seraient les questions ? Qui serait présent lors de ce recollement ?...). J’estime qu’il sera également nécessaire de revoir ensemble les conditions et la nature de cette réexposi- tion qui, dès lors, prendra les allures d’un parcours pédagogique.

Si cette rencontre a permis de tirer des conclusions, même non définitives quant à la re-présentation de cette pièce, elle a surtout démontré la nécessité et l’importance d’un travail de collaboration étroit entre les différents acteurs du monde institutionnel lorsqu’il s’agit de la re-présentation d’une installation de ce genre. Quand bien même la décision finale revient à l’institution, je pense que la discussion que nous avons pu engager autour de cette œuvre s’est révélée intéressante pour les différentes parties en présen- ce, en contribuant à la mise en place d’une réflexion commune. A suivre...

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Richard BAQUIÉ est né à Marseille le 1er Mai 1952, il y est décédé le 17 Janvier 1996 Sa propre histoire est liée à l’imaginaire de Marseille, sa ville natale. La culture musicale, plastique ou ciné- matographique des années 60-70 imprègne par ailleurs sa sensibilité artistique qu’il exprime par le biais d’objets recyclés et détournés : morceaux de voiture, avions de fer blanc, qui, une fois associés à des mots, des sons et des images, parlent de voyage ou d’amour. Ainsi mis en scène, mots et objets déclinent des fragments d’histoire personnelle tout en questionnant « l’histoire des métaphysiques quotidiennes ». Grave et facétieuse à la fois, l’œuvre de Richard Baquié joue avec les lieux communs et les poncifs, récu- père, mêle, détourne les matériaux, les objets et les mots, leurs formes, leur propriété et leur sens. Utilisant à plein l’association, l’assemblage, le collage et la discordance de fragments d’objets et de mots, il refait une réalité et renouvelle le lien entre jeu et réalité ; la pauvreté des matériaux, leur caractère de déchets industriels révèlent un attachement à la ville, lieu de la rencontre entre la nature et l’artifice, de l’entrecroisement des cultures et des temps, donc le lieu de l’art ; tout cela constitue en soi une interpré- tation de l’histoire de la sculpture et du devenir de l’objet dans ce siècle, et de la culture contemporaine. (Source www.fr.wikipedia.org)

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C3/2. PROTOCOLE DE RÉINSTALLATION DE L’ŒUVRE D’ARTUR BARRIÒ Interminavel (2005)

(Avril 2006)

Soit l’œuvre d’Artur BARRIÒ, Interminavel. Protocole à établir en étroite collaboration avec le S.M.A.K. de Gand, acqué- reur de l’œuvre en 2005, alors sous la direction de Mr Philip Van CAUTEREN.

Etude de cas dans le cadre du Projet Culture 2000 sur la préservation et la réinstallation d’installations, à l’initiative du groupe de recherche de l’I.N.C.C.A.. (International Network for the Conservation of Contemporary Art) a)

DESCRIPTION : Interminavel est une installation in-situ et performative, monumentale, interactive et éphémère. Elle n’a pas été spécifiquement réalisée pour le S.M.A.K mais a été réalisée dans le lieu, en interaction avec l’espace muséal. Autrement dit, le lieu est prétexte à telle ou telle adaptation de l’œuvre à l’espace et inversement, mais, en soi, il ne joue pas un rôle symbolique dans la perception de l’œuvre. Si le concept existe et a été réédité plusieurs fois en différents endroits, il n’en reste pas moins que l’œuvre de Gand est une pièce unique. b)

L’installation, qui est davantage une mise en espace d’éléments qu’une accumulation d’objets dans une aire, se constitue de 27 matériaux aussi hétéroclites que périssables (café moulu, pain, un homard) ou pérennes (comme un poste de télévision, des câbles électriques, un sofa,…). Le sol est entièrement recouvert de café moulu, en son centre a été disposée une montagne d’une centaine de miches de pain; par ailleurs, l’artiste réalise des compositions à même les murs de l’institution : il les éventre, les grif- fonne, les tache, les macule, les éclaire ; c’est en cela que nous la quali- fions d’œuvre performative. L’oeuvre est éphémère mais elle fait surtout appel aux gestes de l’artiste, jusque-là présent à chaque nouvelle présenta- tion de son œuvre. e)

(Vous trouverez ci-dessous, dans les annexes, un récapitulatif exhaustif de tous les éléments utilisés, répartis sur des plans précis qui ont été réalisés quotidiennement pour une lecture progressive de l’élaboration de l’installa- tion.)

L’œuvre s’accompagne du Caderno Libro, carnet de notes et de croquis qui suit l’installation en amont et au cours de sa réalisation. Il est généralement exposé pendant la manifestation.

f)

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LOCALISATION : L’œuvre se déploie sur cinq salles (une salle principale d’environ 400 m2 au sol et de 8 m au faîte, de trois cabinets qui couvrent une surface d’environ 68m2 ; enfin d’une pièce transitoire entre deux espaces d’exposition). Toutes ont vu leurs fenêtres recouvertes d’un film adhésif opaque qui empê- chait la lumière naturelle de pénétrer l’espace.

Présentée durant l’été 2005 (2 juillet-11 septembre 2005), Interminavel, dont le concept a été acheté par le Musée, a été entièrement démontée à l’issue de l’exposition ; les éléments organiques ont été jetés. A l’instar de toutes les œuvres du Musée, seuls quelques éléments et échantillons ont été conservés dans une boîte étiquetée au nom de l’artiste, et dont Artur BARRIÒ pourra se re-servir à sa guise ultérieurement. c)

INTENTION ARTISTIQUE : Cette installation est l’unique installation de l’artiste achetée par une insti- tution depuis qu’il en produit. Et ceci s’explique par le fait qu’Artur BARRIÒ, artiste reconnu, nie le système muséal, refuse la conservation en réalisant sciemment des œuvres périssables et performatives. On lui connaît d’ailleurs des propos assez virulents au sujet de la restauration. A ce titre, cette acquisition peut paraître paradoxale, cependant il semble que ce soit d’un commun accord, et au terme de plusieurs rencontres qui d) ont scellé leur amitié, que Philip Van CAUTEREN a convaincu l’artiste de lui vendre un projet et parce que le directeur du S.M.A.K. de Gand prône une politique d’acquisition assez inédite, par laquelle il souhaite, selon ses mots « rendre le musée à l’artiste ». Parallèlement à l’argumentaire de son discours anti-institutionnel, l’artiste travaille avec des matériaux périssables parce qu’ils sont également le sym- bole de sa terre d’accueil et la métaphore de la situation économique et du développement précaire du Brésil. Le café et le pain sont des éléments qui reviennent en leitmotiv à chacune de ses installations, ainsi que les paillet- tes de Laque des Indes, la pénombre et les points de lumière. Enfin le public est implicitement invité à participer à l’installation : ses pas sur le café moulu créent inévitablement des zones où le sol se découvre ; parallèlement à cette démarche involontaire, il peut manger le pain ou des- siner avec les fusains suspendus aux murs. g) Paillettes de gomme Shellac Mais Interminavel, telle qu’elle a été installé au S.M.A.K., participe d’un concept plus global, qui ne s’arrête pas à la seule installation d’Artur BARRIÒ. En fait l’idée de cette exposition reposait sur une confrontation géographique et artistique des créations d’Europe du Nord avec celles

Interminavel GAND juillet 2005, d’Amérique du sud, et plus précisément entre les installations du Portugo- en cours de réalisation du brésilien avec celles de Joseph BEUYS. 20.06.2005 au 1.07.2005 a), b), c), d), f), g) Room 11 Artur BARRIÒ devait être à même de proposer une confrontation entre cette e) Room 10 installation inédite et les œuvres de la collection BEUYS du Musée de Gand. Il n’était pas question de créer un jeu de comparaison mais d’établir une liai- son dynamique entre les deux.

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MONTAGE : J’ai participé à l’accueil de l’artiste, au montage et surtout à la documenta- tion d’Interminavel au cours de sa réalisation. Mon rôle, tout au long des trois semaines que j’ai passé au Musée en compagnie des conservatrices- restauratrices et en collaboration avec une assistante free-lance (Katleen WIJNEN), a été de récolter un maximum d’informations aussi techniques qu’abstraites au sujet de cette œuvre et des conditions de sa ré-installation. C’est autour des directives émises par le projet Culture 2000, que j’ai pu établir une documentation constituée de fiches techniques, de plans, de photographies, d’interviews, de textes,… l’objectif étant de pouvoir obtenir une vision globale et aussi exhaustive que possible de cette œuvre, tant dans ses paramètres technologiques que conceptuels, et ce afin de pouvoir répondre à toutes éventualités lors de sa réexposition. J’ai quitté le S.M.A.K. le soir du vernissage, mais durant les semaines qui suivirent et tout au long de l’exposition, il a été réalisé des constats d’états documentés (en annexe vous trouverez un exemple de ces constats d’état).

Le montage s’est déroulé sur deux semaines effecti- ves. Artur BARRIÒ est arrivé du Brésil et a trouvé un espace déjà préparé, c’est-à-dire dégagé de toutes œuvres en exposition, dont les ouvertures sur l’exté- rieur avaient toutes été recouvertes d’un film de Venilia opaque et où avaient été mis à sa disposition 900 kgs de café moulu (offerts par la Maison Lavazza). L’artiste est arrivé avec ses propres marqueurs, fusains et avec des poches de coton traditionnelle- ment utilisées au Brésil pour la fabrication de quelque fromage. Le musée a complété son matériel au fur et à mesure de l’avancement du montage : il a notam- ment été nécessaire de faire cuire une centaine de miches de pain chez le boulanger le plus offrant, de h) Livraison de café moulu faire acheminer 300 mètres de câble électrique noir de moins d’1 cm de diamètre, quelques ampoules de 25 à 30 watts rondes à culots, et surtout plusieurs dizaines de kilos de paillet- tes de Laque des Indes (gomme Shellac), de forme, d’épaisseur et de cou- leur bien particulières et dont l’artiste n’avait ramené qu’un maigre échan- tillon. Des éléments aussi hétéroclites que des rouleaux de carton, du papier, des tiges de bambous, un pneu de bicyclette, un homard, des gobe- lets en plastique, etc… ont été glanés par l’artiste au gré de ses promena- des au sein même du musée et dans la ville de Gand. Chaque jour amenait ainsi son lot de matériaux nouveaux, qu’Artur BARRIÒ insérait dans son installation.

Que ce soient avec les inscriptions à même les murs, les coups de marteaux sur les parois ou l’agencement d’éléments, la mise en place des éclaira- ges,... il est difficile de déterminer avec précision l’ordonnancement des éta- pes de réalisation : tout est parfaitement intuitif et réalisé dans un ordre aléatoire, il n’y a pas une action qui prime sur une autre ; seul le saupou- drage du café au sol ponctue réellement la réalisation de l’installation en cela qu’il en annonce l’achèvement : c’est la touche finale qui offre au public un espace « immaculé de café ». Chaque intervention ou manipulation est plus ou moins reprise, repensée, rectifiée, réajustée, complétée, voire

-201- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 effacée. Artur BARRIÒ travaille avec le temps, le recul, une certaine distan- ce, et avec plus ou moins d’intensité d’inspiration : d’ailleurs, il note quoti- diennement et à même le mur de l’espace d’exposition, la date, l’heure de son arrivée et de son départ ; ceci témoigne d’une organisation temporelle hétérogène : avec des journées très vite écourtées ou prolongées tard le soir, voire quelques moment d’absence, mais, ce faisant, on appréhende davantage son travail comme a work in progress et non pas comme la matérialisation d’un projet pensé en amont qu’il ne resterait plus qu’à livrer. Ce paramètre reste d’ailleurs un point indispensable à prendre en compte lors d’une éventuelle réexposition de l’œuvre.

i)

PROTOCOLE DE RÉINSTALLATION ACTUEL : Il n’y a jamais eu de protocole réellement établi et ce, parce que les instal- lations précédentes de l’artiste n’ont pas été acquises : dans ces conditions, il n’y a jamais eu de réinstallations de ses œuvres. La seule directive vérita- blement émise par l’artiste au cours de ses récentes installations, exige un re-saupoudrage régulier du sol avec du café frais, et ce afin de maintenir le lieu dans une atmosphère intensément odorante. Il a également insisté sur l’importance de la nature du poste de télévision présent dans plusieurs de ses installations : il doit pouvoir diffuser des images en noir et blanc, quel- k) les que soient ces images, car il fait allusion à ses premières mises en espa- ce des années ’70, à une époque où il n’y avait pas encore de postes de télévision couleur au Brésil. Pour le moment, l’artiste s’est toujours chargé de l’installation de ce projet à chaque nouvelle exposition ; dans l’absolu, et spécifiquement dans le cadre d’Interminavel, l’idée est de proposer l’exposition itinérante de l’œu- vre dans différents lieux possédant une collection BEUYS : Artur BARRIÒ serait alors amené à intervenir lors de chaque manifestation afin de produi- re une nouvelle version de son œuvre en fonction de l’espace et de la natu- re des pièces de BEUYS présentes en chaque lieu.

m)

DISCUSSION : L’œuvre d’Artur BARRIÒ, si elle n’avait pas fait l’objet d’une acquisition par une institution, n’aurait sans doute pas engendré autant de questions qui restent malheureusement encore aujourd’hui sans réponse. Le problème majeur de cette installation, qui est à l’origine de nos préoccu- pations, réside en cela que l’artiste, à l’instar du performer, intervient direc- tement dans un espace de manière totalement aléatoire et que son acte, inséré dans une installation éphémère, devient une trace unique et irrepro- ductible. Ses écritures réalisées au marqueur ou au fusain, ses éclaboussu- res de café mouillé ou encore les résidus laissés par les blocs de glaise qu’il n) lance contre les murs, restent le résultat d’une série d’actions documenta- bles mais imprévisibles et uniques. Toute la difficulté pour les conservatrices et conservatrices-restau-

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ratrices du S.M.A.K. (Frederika HUYS et Anne De BUCK) a été d’envisager la réexposition de l’œuvre dans le cadre de la mission du musée et ce, après la disparition de l’artiste. Car il est bien évident que, si les problèmes d’ordre technique restent rela- tivement simples à résoudre, il n’en est rien de la mise en œuvre de l’artis- te - qui reste des plus spontanées et inattendues - et de l’authenticité de l’installation, dès lors qu’un membre du musée réinstalle la pièce à la place de l’artiste.

Afin de proposer une solution cohérente et pertinente, il semblait indispen-

j) sable de réaliser une série d’entretiens avec l’artiste. Ceux-là étaient orien- tés de manière à pouvoir tirer des réponses le maximum d’informations concernant l’avenir de l’œuvre au sein de l’institution. Cependant, à travers divers textes rédigés durant ces vingt dernières années, nous connaissions déjà l’opinion de l’artiste sur la conservation et la restauration et nous savions qu’il était relativement difficile d’engager, à ce sujet, une discussion précise avec quelqu’un qui reste farouchement opposé à la conservation et qui, aujourd’hui, élude le problème plus qu’il ne défend sa propre position. Dans un premier temps, Kathleen WIJNEN et moi-même, lui avons soumis un questionnaire sur papier assez généraliste afin de cerner ce à quoi il atta- chait de l’importance dans son installation : que ce soit au niveau des élé- l) ments périssables et pérennes ou dans la manière de réaliser la pièce. Au sujet de la réinstallation de son œuvre, les réponses ont été très succinctes, mais cependant catégoriques : il estime une telle éventualité impossible.

Frederika HUYS a tenté, de son côté, d’organiser au sein du musée une table ronde filmée et enregistrée qui aurait dû mettre en présence tous les protagonistes : les conservatrices-restauratrices, le directeur et l’artiste à qui il aurait été posé une série de questions relatives à la conservation et à la ré-installation de son œuvre au S.M.A.K.. La rencontre n’a pas eu lieu, l’artiste ayant décliné le rendez-vous. Il fut question de réitérer l’expérience quelques mois plus tard au Palais de Tokyo, mais l’entrevue ne se fit pas non plus. i), j) Room 10 k), l), m) Room 11 n), o) Room 11 au soir du A ce stade, plusieurs éventualités sont à envisager : 1er juillet 2005 -admettre le caractère éphémère de l’œuvre, c’est-à-dire de ne plus l’expo- ser, à moins que l’artiste consente à rééditer l’œuvre de son vivant, au sein du Musée. -tenter de reconstituer l’œuvre au moyen de la documentation établie en cours de montage, en en reproduisant les tracés grâce à un système de transferts et de reports ; ceci étant, se posera encore le problème des per- forations des cloisons et des éclaboussures de café mouillé. -persévérer auprès de l’artiste et poursuivre le recollement d’informations dans l’optique de la ré-installation de son œuvre.

o)

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L’HYPOTHÈSE DE NON RECONSTITUTION DE L’ŒUVRE

Ce choix est un choix critique : parce qu’à la différence de l’œuvre de Richard BAQUIÉ, le musée n’est acquéreur que d’un concept et non de cli- chés et autres éléments que l’artiste aurait pu considérer comme une œuvre et qui auraient pu donc faire l’objet de quelque exposition, l’institution admettrait, ce faisant, de n’être plus qu’un mécène. L’œuvre étant ce qu’el- le est - c’est-à-dire une installation éphémère - et le S.M.A.K. ayant à sa tête un directeur avec des idées avant-gardistes, il serait opportun de se confor- mer aux volontés ou, plutôt, au silence de l’artiste. Dès lors, l’archivage res- terait l’ultime document témoignant du processus de création de l’œuvre, en même temps que la référence visuelle de ceux qui souhaiteraient appréhen- der Interminavel.

L’HYPOTHÈSE DE RE-PRÉSENTATION DE L’ŒUVRE

A l’heure actuelle, nous en sommes au stade des supputations plus que des affirmations, l’artiste n’ayant toujours pas précisé ce qu’il comptait autoriser ou non lors d’une éventuelle réexposition d’Interminavel. Etant donné les éléments mis à disposition (les documents photogra- phiques, les constats d’état, les plans, …) et en l’absence de perspectives définies, claires et établies par l’artiste en collaboration avec les conserva- trices-restauratrices du musée, l’objectif du S.M.A.K. ne peut être qu’une tentative de reconstitution de l’installation, de la manière la plus fidèle pos- sible. Si l’on admet le paradoxe d’une telle entreprise qui vise à restituer précisément une œuvre parfaitement improvisée, il n’en reste pas moins que si le musée souhaite satisfaire à sa mission, il ne peut s’ériger en inter- prète ou en adaptateur de l’œuvre sans le consentement de l’artiste. Parce que la technologie et le recollement réalisé lors du montage d’Interminavel peuvent permettre une re-présentation quasi conforme à l’original, l’institu- tion préfère peut-être s’en tenir à ce type d’intervention qui garantirait une transmission formelle fidèle de l’œuvre d’Artur BARRIÒ.

Malgré tout, ne serait-il pas plus pertinent de proposer une version de l’œu- vre plus aléatoire ? Autrement dit, intégrer les paramètres de durée et de hasard qui sont inhé- rents à la création de l’œuvre et accepter que la ré-installation se fasse sans une maîtrise totale de tous les paramètres ? Cette proposition est d’autant plus envisageable que, de toute manière, les traces de café mouillé, les trous laissés dans les parois ou, encore, la disposition des mètres carrés de feuilles de papier seront laissés au gré du hasard : dans ces conditions, on aboutirait, toutefois, à une re-présentation de cette installation sous une forme hybride, une sorte de croisement entre une copie partielle de l’origi- nal et son interprétation. Dès lors, il pourrait être judicieux de re-présenter l’œuvre à la manière de plutôt que d’ambitionner d’en faire une copie. Il

-204- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 n’est pas question de se substituer à l’artiste sans son approbation mais de tenter de répondre aux exigences du musée et du concept de l’installation. La nature des éléments originaux serait respectée, mais les empreintes et les stigmates portés aux murs seraient librement réalisés par un ré-instau- rateur dans le cadre d’un protocole précis qui tiendrait compte du caractè- re impermanent de l’installation. L’absence de plans et de directives préci- ses rédigées par l’artiste concernant la réinstallation de son œuvre, peut, en effet, aussi bien être interprétée comme une interdiction qu’une autorisation implicite pour un tel type d’intervention.

La nouvelle version de l’œuvre pourrait ainsi davantage prétendre au respect des conditions initiales de réalisation – aussi inhérentes, selon moi, au concept qu’à sa matérialisation - en même temps qu’elle servirait l’aspect formel de l’œuvre. Etant donné le côté non-autographe de la re-présentation de l’œuvre et l’ab- sence d’authentification de cette version par l’artiste lui-même, il serait indispensable de mentionner la nature de la réinstallation au public. Le musée remplirait, dès lors, son rôle de transmetteur de l’œuvre d’Artur BARRIÒ sous une forme didactique. Quoiqu’il en soit, il ne s’agit là que d’hypothèses, les investigations et les perspectives d’exposition restent, pour l’instant, en suspens en attendant une collaboration plus étroite entre l’institution et l’artiste.

PERSÉVÉRER AUPRÈS DE L’ARTISTE

Mars 2006 : Frederika HUYS rentre du Japon où elle a accompagné quelques œuvres de la collection du S.M.A.K., et où elle a retrouvé Artur BARRIÒ. Après une dizaine de jours, l’artiste a évoqué de son propre chef le cas de l’œuvre acquise par le S.M.A.K.. Il semble qu’il envisage dans les prochaines semaines de se pencher plus précisément sur les questions de conservation mais surtout de réexposition d’Interminavel. Frederika HUYS reste confiante et espère pouvoir rendre compte des directives de l’artiste d’ici la fin du projet Culture 2000. Elle a pris le parti de laisser Artur BARRIÒ décider et admet que, dans l’avenir, ce genre d’œuvres devra faire l’objet d’un protocole proposé par l’artiste et non plus par les conservateurs-restaurateurs.

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ARTUR BARRIÒ

Extraits de textes concernant la conservation-restauration et le système muséal

A propos des qualités techniques des enregistrements ou de leur précarité Premièrement, chaque situation, et n’importe laquelle, en étant enregistrée, cloisonne le contenu d’un moment; donc, l’enregistrement n’est pas régi par des qualités tech- niques ni seulement par le contenu lui-même, mais aussi par le comportement psychologique de son auteur, lorsqu’il s’agit d’un photographe, etc… (1970/1975)

?art contemporain ? LA REPARATION : ce n’est pas une considération intrinsèque à mon travail,……………. (…) ainsi n’importe laquelle de mes oeuvres qui est restaurée perd sa qualité d’« œuvre » (en français dans le texte) originale, (tendant à être), (devenant) automati- quement un faux.

À propos de la Chapelle Sixtine : (…) Concernant la réparation, je souhaiterais écrite au sujet de la restauration des repeints de pudeur des figures masculines de Michelangelo (!pourtant réalisés sous ses instructions !) et de ceux des personnages féminins sur la voûte de la Sixtine : les tissus de pudeur (qui couvrent les organes génitaux), ont été restau- rés……………………………………, que peut-on dire d’autre ???…………………………………………………………………………………….. (Arthur BARRIO 10/25-30-2000/ 4.35PM text)

Artur BARRIÒ est né en 1945 à Porto. Depuis les années 1960, Artur Barrio est installé à Rio de Janeiro. Il y réalise sa première exposition en 1967 à la Galerie Gemini, puis se démarque peu du courant néo-concret, son héritage artistique. Le Brésil étant soumis à la dictature, il met en scène « le terrorisme poétique », expression qu’il a écrite sur un mur lors d’une exposition au Portugal. Nommé « Situations », ce nouveau concept est caractérisé par sa forme libre et imprévisible. Il utilise dans ses créations in situ des matériaux précaires comme des rebuts ou du papier hygiénique, ainsi que du sel, du sang ou du café qu’il écrase sur les murs. Il affectionne les traces, les salissures et le chaos. Ses oeuvres intitulées « Parede » et « Experiência » ont été créées sur place pendant l’exposition « De Adversidade Vivemos » au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2001. Figure historique de la scène artistique brésilienne, Artur Barrio choque et impressionne toujours autant le public notamment lorsqu’il recouvre les rues de Rio de Janeiro de sacs ensanglantés, composés d’excréments, de viandes et de déchets. (Source www.evene.fr)

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C3/3.PROTOCOLES DE RE-PRÉSENTATION DE PERFORMANCES (Mai 2006)

Avertissement : les protocoles qui vont suivre ne sont que des suggestions, des hypothèses proposées dans le cadre de réexpositions fictives. En effet, il ne m’a pas encore réellement été proposé de ré-instaurer une œuvre d’art-action. Cependant, le fait de travailler sur des œuvres de Marina ABRAMOVIC et d’Andrea SAEMANN n’est pas anodin. a) Art must be beautiful, artist must be beautiful Marina ABRAMOVIC (née en 1946 à , Serbie-et-Monténégro)

J’ai rencontré Marina, en juillet 2005, au cours du 59ème Festival d’Avignon, alors qu’elle venait présenter, avec un groupe d’étudiants, Biography Remix de Michel LAUB. Toujours dans le cadre du Festival, lesdits étudiants, regroupés au sein d’I.P.G. (Independant Performance Group), réalisèrent également six heures de performances à l’Ecole d’Art d’Avignon. Ma curiosité et mon désir de rencontrer cette artiste emblématique ont notamment été aiguisés par la lecture, au cours de mon séjour gantois, d’une interview qu’elle accorda à Frederika HUYS, alors restauratrice au S.M.A.K.. Celle-ci révéla l’intérêt de Marina ABRAMOVIC pour la conservation et la perpétuation de son œuvre. Si notre rencontre fut trop brève à mon goût, elle m’a néanmoins conforté dans l’idée que l’artiste est préoccupée par ces questions et serait ravie d’y apporter une solution cohérente et pertinente. Sa démarche personnelle qui consiste, entre autre, à re-présenter ses œuv- res antérieures, voire celles de ses pairs, m’est apparue comme de bon augure dans le cadre d’un questionnement autour de l’éventuelle re-présen- tation et ré-interprétation des œuvres d’art-action. A la suite de notre première entrevue, nous avons tenté de communiquer par mails interposés ; durant ces semaines j’ai commencé à rédiger une série de questionnaires (cf. annexes). Si, dans un premier temps, j’ai réali- sé des questionnaires plutôt généralistes, j’ai également mis en place une enquête dont les résultats devaient pouvoir aboutir à la rédaction d’un protocole de re-présentation d’une œuvre d’art-action en particulier. C’est ce questionnaire que j’ai soumis à Marina ABRAMOVIC pour son œuvre Art must be beautiful, artist must be beautiful (Festival d’art de Copenhague, 1975).

«Je me brosse les cheveux avec une brosse de métal dans la main droite et un peigne de métal dans la main gauche, simultanément, en répétant à haute voix ces mots : l'art doit être beau, l'artiste doit être beau jusqu'à la destruction de mes cheveux et de mon visage.»

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a) b) c)

Marina ABRAMOVIC, Art must be beautiful, artist must be beautiful (1975), extraits de la vidéo réalisée lors de cette performance

-209- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Mon idée était relativement simple : proposer une réédition de l’œuvre sur fond d’images, de vidéos et de documents d’époque présentant la perfor- mance dans son état originel et confronter ces deux états à une interpréta- tion de cette œuvre. L’objectif de ce dispositif devait permettre de mettre en évidence, dans ce cas précis, la pertinence ou le non-sens de la ré- instauration par rapport à l’œuvre originale, désormais considérée dans sa forme documentaire, face à la réactualisation de l’œuvre.

La re-présentation devait consister en la re-production de cette performan- ce : mettre en scène, à la manière de Marina ABRAMOVIC, une jeune femme se coiffant énergiquement les cheveux au moyen d’un peigne et d’une brosse métallique, jusqu’à s’abîmer le visage et la chevelure, tout en répétant « Art must be beautiful, artist must be beautiful ».

En regard de cette reconstitution, je souhaitais proposer une interprétation de cette pièce qui se baserait sur le discours que l’œuvre originale exprime, en l’adaptant à un contexte contemporain.

Art must be beautiful, artist must be beautiful conteste le discours qui domi- ne une partie du monde de l’art : pour être qualifié d’art, l’art doit être beau, il est reconnu comme tel dès lors qu’il est esthétiquement « beau » et qu’on le dit beau. D’autre part, l’artiste revendique la violence de son geste et la douleur qu’el- le s’inflige comme une libération du corps et de l’esprit en regard des res- trictions imposées par la culture occidentale et la peur de la douleur et de la mort. Selon elle, la performance est une manière de transgresser ses limi- tes physiques et mentales. Cette performance « montre le conflit de l’être avec son environnement »17

En guise de ré-interprétation, il m’a été proposé de mettre en scène une transposition ironique de cette performance ; soit une translation de cette action à une certaine frange de la création artistique contemporaine, qui est aujourd’hui davantage fondée sur le discours que sur une esthétique formel- le, esthétique ayant effectué un déplacement sur la personne de l’artiste médiatisé et érigé en icône. Sous cet angle, il était envisageable de présenter un homme ou une femme prenant soin de leur corps, et de leur apparence de manière délicate et rigoureuse, répétant à voix haute « Art must be beautiful, artist must be beautiful ».

J’ai donc envoyé mon questionnaire à Marina ABRAMOVIC. (Vous trouverez ce dernier, complété, dans les documents annexes.)

17 Davor Maticevic, in Marina Abramovic, Sur la voie, 1990, p.18

-210- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

A la lumière de ses réponses, il apparaît clairement que Marina ABRAMOVIC est encline à ce que son œuvre soit re-présentée, et ce, de la même maniè- re qu’une œuvre musicale ; en affirmant que le film a un statut autonome d’installation vidéo, l’artiste fait bien la distinction entre la vidéo actuelle (unique témoignage de l’action de 1975) et la performance en elle-même.

Les conditions d’une éventuelle réitération, d’un point de vue purement technique, semblent relativement simples : l’artiste ne mentionne pas de directives particulières, ni en ce qui concerne l’exécutant (ni l’âge, ni le sexe ne sont des critères à prendre en compte), ni celui du cadre de la réalisa- tion. La première édition s’est déroulée sur invitation de l’artiste à un festi- val ; aucun son ou éclairage particulier n’est exigé ; si la date à laquelle doit se produire la performance est aléatoire, sa durée (à savoir une heure) est inhérente au concept. Seuls véritablement comptent le texte prononcé et l’utilisation d’une brosse et d’un peigne en métal, mais ceux-là ne répondent pas à des caractéris- tiques formelles singulières.

(La seule entrave à cette intervention reste, pour ma part, les conditions financières de cette re-présentation : l’artiste exige, en effet, le paiement de ses droits.)

(e-mail reçu avec les réponses, le 02.05.2006) :

Dear Anita

I'm sorry it took so long to answer your questions, but it was a long list and it took a long time. First of all, this performance was done in 1975. I could not answer some of the questions becau- se I couldn't remember details. But I answered what I could. If you need to get the tape, contact Montevideo to rent it to you. The name is Theus Zwakhals. his email is [email protected]

Good luck

Best regards

Marina

-211- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 b) Ausflug in die Fresken / Eisblock Andrea SAEMANN (née en 1962 à Wilmington, Delaware, U.S.A.)

Andrea SAEMANN est l’une des seules artistes ayant répondu à mon ques- tionnaire destiné aux performers en mentionnant le fait qu’une de ses per- formances avaient déjà été re-présentée par autrui et qu’elle en avait été insatisfaite. En conversant avec elle par téléphone, j’ai compris qu’il s’agissait plus d’une réitération de son geste que d’une re-présentation d’une de ses œuvres. L’artiste m’a expliqué que ce que recherchait sa « doublure » était davan- tage la transmission de l’énergie qu’elle dégageait dans ses actions (à tra- vers sa posture et sa relation avec le public) que, véritablement, la repro- duction d’une de ses performances.

Dear Anita,

Steffi Weissmann didn't actually choose to work from a specific performance of mine, at least the time I saw her, but she talk what she felt my essential energy or approach to the public, which often is from the front. It was through a friend of mine, that I heard she was doing that. And the funny thing is, that she wouldn't mention the name first, but would show how this or that performer would work. And my friend immediately thought, this must be Andrea and she wrote me a very beautiful e-mail about that performance. That is how I got to know about it. Then later only on the phone I would ask steffi to tell me more about what she was doing, because first it felt kind of spooky.

Me, myself i started to re-enact performances in Berlin, the time when you were there. Copying the chinese man which impressed me..... Sincerely, Andrea (e-mail du 11.04.2006)

Andrea SAEMANN a elle-même refait des performances conçues par d’aut- res artistes mais selon deux modes différents ; elle s’est ainsi intéressée aux travaux de Carolee SCHNEEMANN et de Huang RUI. Dans le premier cas, elle n’avait pas vu la performance de l’artiste Interior scroll (1975), ni en direct, ni à travers aucun document filmé ou photographique. Elle ne s’est basée que sur les écrits de l’artiste qui décrivait cette action ; Andrea SAEMANN, m’expliquait ainsi qu’elle s’était donc appropriée l’œuvre de son aînée et l’avait re-présentée en y apportant sa propre histoire, sa propre personnalité. Ce qui n’était pas vraiment le cas de la performance de Huang RUI, High calibre (2002), qu’elle a re-présentée après avoir assisté à la version de son auteur. Andrea SAEMANN précisait qu’elle avait tenté de « rejouer » un rôle, de reproduire l’émotion qu’elle avait perçu sans y adjoindre sa propre expérience. Cette distinction dans la manière de re-présenter une œuvre performative me semble capitale, car celai implique, de la part de l’exécutant, un inves- tissement plus ou moins important lors de la réédition d’une œuvre : doit- on préférer une re-présentation formelle ou une réelle mise en danger de soi?

-212- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

d)- Ausflug in die Fresken, Sarnen, 27.03.2004

e)- Eisblock, Bâle, 07.12.2002

-213- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Dans le cadre de la re-présentation de son propre travail, l’artiste répond elle-même qu’elle préfèrerait que son travail soit montré selon une appro- che personnelle et pas seulement formelle.

M’ayant envoyé son dossier artistique et une vidéo de ses dernières perfor- mances elle m’a proposé de choisir les œuvres qui m’intéressaient le plus. Mon choix s’est porté sur deux œuvres ; il est vrai que mon orientation s’est faite de manière subjective et affective, cependant avec Ausflug in die Fresken (2004), j’ai choisi une œuvre assez représentative du travail de l’ar- tiste (c’est-à-dire une performance en solo qui intègre l’oralité et l’improvi- sation, la communication avec le public), Eisblock (2002) est, quant à elle, une œuvre de collaboration.

Pour chacune de ces œuvres, Andrea SAEMANN a bien voulu me fournir des informations d’ordre technique en guise de mode d’emploi ou de protocole, me laissant par contre - et elle a d’ailleurs insisté sur ce point - toute liber- té dans la manière de me réapproprier son travail avec ma propre histoire, dans l’hypothèse où je serai amenée à re-présenter moi-même son œuvre. En fait, on pourrait même considérer que cette proposition puisse passer pour une instruction, pour une des conditions du protocole de réitération de ses pièces. (Vous trouverez ses réponses dans les documents annexes.)

Ausflug in die Fresken C’est une œuvre qui se divise en trois parties, ou plutôt en trois moments et qui se déroule dans deux lieux situés dans la ville de Sarnen qui est mar- quée par son histoire religieuse : c’est, en effet, ici que fut canonisé, au début du 20ème siècle, le premier moine suisse, Frère Klaus, (Niklaus von der Flüe) qui vécut de 1417 à 1487.

Dans un premier temps l’artiste se produit dans la salle de congrégation de l’église de Sarnen, avant de poursuivre dans la galerie Hofmatt, mitoyenne de l’église : les murs de cette dernière racontent l’histoire du Frère Klaus à travers des fresques qui témoignent des pèlerinages que les gens ont effec- tués auprès de lui pour lui demander conseil, alors qu’il avait quitté sa famille et qu’il vivait reclus. Il se serait installé non loin d’eux, à l’âge de 50 ans et se serait consacré à la prière, sans rien manger durant les 20 années qui suivirent. Durant la première partie de l’action, Andrea SAEMANN expo- se, derrière elle, deux dessins réalisés spécialement pour elle par Monika DILLIER (originaire de Sarnen) et qu’elle montre ensuite au public. (L’artiste n’en dira pas plus sur ces dessins, ni dans le questionnaire, ni à travers les questions que j’ai pu lui poser par la suite). Dans l’église, Andrea SAEMANN raconte les promenades autour de Sarnen, le paysage représenté sur les fresques de la galerie Hofmatt et l’histoire du Frère Klaus. Ce faisant, et au sein de la salle de congrégation, l’artiste com- mente le rapport entre le paysage décrit par les fresques et l’intérieur de la galerie à travers une gestuelle et ses mots, en insistant sur le fait que l’ar- chitecture limite notre perception de la nature et que la peinture ré-ouvre l’espace intérieur de nos constructions. Elle développe également son argu-

-214- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 mentaire qui tend à considérer les mystiques comme des précurseurs des artistes de l’art-action : tous deux chercheraient à se réaliser à travers une expérience directe ; elle dit, d’ailleurs, que c’est de cette manière qu’elle comprend pourquoi le Frère Klaus a été conduit à contempler les souffran- ces du Christ durant la période où il fut ermite. L’artiste est ensuite amenée à évoquer différentes manières de changer la vie de quelqu’un, et l’action au sein de l’église se termine inopinément par le son des cloches. Dans la galerie, et plus précisément dans la pièce où se trouvent les fresques décrites dans le premier mouvement, Andrea SAEMANN conclut en interprétant une chanson inspiré par l’un des dessins de Monika DILLIER (cette mélodie ne s’accompagne d’aucune musique et a été plus ou moins improvisée). A cet instant, l’artiste proposait, à l’assistance assise, de regar- der l’écran d’une télévision qui diffusait, en même temps qu’elle était tour- née, une vidéo censée retranscrire le regard d’Andrea SAEMANN sur le des- sin de Monika DILLIER ; le film est réalisé pendant que la performeuse chante. La performance dure 45 minutes.

Cette version a été présentée dans le cadre d’un colloque scientifique ayant pour thème les Mystiques : l’action devait pouvoir apporter une contribu- tion à cette rencontre.

Bien que cette action soit basée sur une part importante d’improvisation, Andrea SAEMANN explique que la première partie s’inspire de deux dessins de Monika DILLIER, réalisés sur papier, que la performeuse érige en sym- bole.

Techniquement parlant, l’action nécessite la présence d’une peinture mura- le et de dessins, ainsi que d’un matériel audiovisuel. Le reste - à savoir les chaises destinées à asseoir le public et à surélever l’artiste - appartenaient à l’église de Sarnen.

PROTOCOLE DE RE-PRÉSENTATION L’œuvre semble être, à travers sa description et les conditions de sa réali- sation, totalement contextualisée. Le lieu, autant que l’audience à qui elle s’adressait, relève d’un choix opéré en amont et lié à l’organisation de l’é- vénement axé sur les Mystiques. Cependant, Andrea SAEMANN, envisage tout à fait que l’on re-présente cette pièce hors contexte, mais, dans ce cas, de manière parcellaire, c’est- à-dire sans le concours des fresques de Sarnen, ni des dessins de Monika DILLIER, qui ne doivent pas être considérés comme faisant directement par- tie du concept, ce sont des documents, des supports à l’improvisation de l’artiste mais rien de plus. En fait, Andrea SAEMANN explique que son concept réside essentiellement dans le rapport entre les Mystiques et les artistes de l’art-action, c’est pour- quoi il est tout à fait possible de re-présenter cette œuvre dans un autre environnement, en prenant comme support l’histoire d’un autre saint que celle du Frère Klaus.

-215- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Si nous avions à réitérer cette performance dans la région d’Avignon, je sug- gère que l’on se base sur l’histoire de Saint Gens, qui fut également ermite et dont voici la biographie :

Des documents écrits, comme la tradition orale, placent la courte vie de Gens au début du XIIème siècle. Né à Monteux, dans le diocèse de Carpentras, il quitte sa famille et son village, encore adolescent, pour se retirer dans la solitude d’un vallon sauvage proche du Beaucet. Il y vit de façon humble et édifiante, dans le renoncement, tout appliqué à la prière, au travail et à la pénitence. Il y meurt le 16 mai 1127 et son corps est dépo- sé dans un rocher, près duquel une chapelle romane est élevée vers le milieu du XIIème siècle. Appuyé sur la ferveur populaire et de nombreux miracles, son culte est approuvé par l’Église. Il est invoqué pour obtenir la pluie en période de grande sécheresse. Ses reliques, transportées au XVII’ siècle dans l’église du Beaucet, ont été ramenées en 1972 dans l’église de son ermitage. De nos jours, comme aux f)- Saint GENS siècles passés, son pèlerinage est l’un des plus fréquentés de toute la région provençale. (Source: www.catholique-avignon.cef.fr)

Eisblock Eisblock est une action qu’Andrea SAEMANN a réalisée avec Chen TAN en décembre 2002, à Bâle, dans le cadre de portes ouvertes d’ateliers d’artis- tes.

Celle-ci se déroule autour d’un dispositif relativement simple : statiques, les deux artistes se font face de chaque côté d’une table sur laquelle a été déposé un bloc de glace de 20 x 20 x 3 pouces (soit 50,8 x 50,8 x 7,62 cm). La performance a pris fin lorsque la respiration des deux protagonistes a fait fondre la glace jusqu’à y creuser un trou par lequel ils pouvaient, tous les deux, percevoir et recueillir le souffle de l’autre. La glace fondue était recueillie dans une gouttière fixée sur l’un des côtés de la table et construi- te de telle manière que l’écoulement était unilatéralement orienté ; l’eau finissait par goutter dans un récipient métallique : le son, ainsi produit, ponctuait l’action qui a duré trois heures.

Cette œuvre d’Andrea SAEMANN est née du rapport qu’elle entretenait, à l’époque, avec les lieux dans lesquels vivaient certains de ses amis artistes. En l’occurrence, cette action s’est déroulée à Bâle, près du Rhin, dans une résidence appelée « la maison de glace ».

PROTOCOLE DE RE-PRÉSENTATION Quand bien même cette œuvre relève d’un contexte et d’une disposition mentale personnels, l’artiste ne voit aucun inconvénient à ce qu’elle soit re- présentée par elle-même ou par autrui ; cette action prend davantage son sens dans l’expérience physique des protagonistes que dans les conditions initiales de sa réalisation. Le concept repose donc uniquement sur la rela- tion entre les deux artistes et Andrea SAEMANN invite donc quiconque serait

-216- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 intéressé par cette expérience à la reproduire, s’il en a le désir. Il est donc tout a fait envisageable de re-présenter cette œuvre dans un contexte différent de celui dans lequel elle a été créée. Cependant il est important pour l’artiste que le futur interprète de son œuvre investisse à sa manière cette action en lui insufflant un sens personnel, issu des raisons pour lesquelles il choisira de la re-présenter.

Sans directive particulière concernant le lieu et le moment de la réalisation, les seuls impératifs restent donc d’ordre technique, et uniquement limité au dispositif lui-même : il n’y a, en effet, aucune indication d’éclairage ou de son à respecter. Andrea SAEMANN ne stipule que les caractéristiques techniques de la table et invite les futurs participants à s’installer confortablement.

La table devra donc être constituée de pieds dont la hauteur sera légère- ment décalée pour permettre à l’eau de s’écouler de façon unidirectionnel- le jusqu’à rejoindre une gouttière et se déverser dans un seau métallique placé à cet effet.

Etant donné les caractéristiques techniques de cette pièce qui resteront à définir ultérieurement (au moment de l'établissement d'un protocole pra- tique), je n'évoquerais ici que le rapport que j'estime pouvoir nourrir avec cette œuvre et le sens que je pourrais éventuellement lui donner.

J'en ai fait part à l'artiste, qui m'a encouragée à entretenir une relation nou- velle avec cette pièce, à créer une voie d'accès singulière à cette œuvre, à me l'approprier afin de véritablement l'éprouver et de la faire revivre : je lui ai alors raconté que, durant mon adolescence, je passais pour quelqu'un d'austère que les gens avait du mal à aborder, au point que l'un de mes amis m'avait surnommée “ la princesse de glace “. Il me semble avoir travaillé, depuis, sur moi-même et réussi à rompre la glace avec mon environnement ; cette pièce pourrait très bien devenir une métaphore de ma propre histoire. C'est donc à partir de cette idée que je pourrais re-présenter cette œuvre.

Si, dans ce cas précis, je pourrais être suspectée de volonté d'appropriation - dépassant, dès lors, les limites que j'ai moi-même plus ou moins définies dans l'exercice de la re-présentation des œuvres impermanentes -, il ne faut pas omettre le fait que les directives émises par l'artiste doivent être respec- tées avant toute chose : en l'occurrence, Andrea SAEMANN engage ici celui qui réitère son œuvre à la faire sienne et non pas à la ré-interpréter comme le ferait un autre artiste - seulement l'éprouver profondément pour que cette re-présentation fonctionne. Si telle est sa volonté et si tel est le concept de sa pièce, alors pourquoi ne pas tenter cette expérience sans pour autant oublier que cette intervention doit pouvoir servir la transmission de l'œuvre et que le geste du ré-instaurateur ne sera pas celui du recréa- teur ?

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CONCLUSION GÉNÉRALE

J’ai envisagé, tout au long de ces chapitres, une série de questions centrées sur les rôles respectifs de l’institution et du conservateur-restaurateur vis-à-vis des créations contemporaines lorsqu’elles prennent plus particulièrement la forme d’installations et d’œuvres d’art-action. Les caractéristiques conceptuelles et techniques de celles-ci m’ont amenée à interroger le métier et la posture du conservateur-restaurateur, dès l’instant où celui-ci intervient dans le cadre d’un processus de patrimonialisation et de muséification d’œuvres qu’à priori rien ne semblait destiner au musée. Appréhender ces créations contemporaines sous l’angle de la conservation-restauration, m’a conduite à émettre l’hypothèse d’un élargissement des compétences du conservateur-restaurateur à travers une redé- finition du champ de la conservation-restauration qui devrait, par ailleurs, pouvoir s’accompagner d’une nouvelle manière de présenter ces œuvres. J’en suis ainsi venue à revisiter le code déontologique qui régit actuellement cette activité et à proposer une évolution des responsabilités du conservateur-restaurateur vers celles d’un ré-instaurateur : ce der- nier opérerait dans un cadre strict, exempt de toute intention créatrice, afin de répondre aux exigences de pérennisation de ces œuvres, en même temps qu’à celles des artistes qui souhaitent voir leurs travaux réinterprétés. Bien qu’une telle proposition puisse surprendre, il n’en reste pas moins que cette idée a déjà fait son chemin puisque des institutions y songent, que des conservateurs-restaurateurs ne s’y opposent pas forcément, et que certains artistes y adhèrent, voire l’encouragent. Les exemples que j’ai choisi d’étudier, depuis la sculpture éphémère de Richard BAQUIÉ jusqu’aux perfor- mances de Marina ABRAMOVIC et d’Andrea SAEMANN, témoignent d’une volonté de dématérialisation de l’œuvre, ce qui m’a permis de mettre en évidence que ces artistes contemporains en particulier, mais d’au- tres avant eux, avaient opéré un changement radical dans notre manière d’appréhender l’œuvre et la notion d’authenticité.

En privilégiant souvent le concept, au détriment de la matière, et la fugacité d’une expérience physique du public plutôt que la contemplation passive d’un objet pérenne, les œuvres de ces artistes nous enga- gent à développer de nouvelles stratégies en matière de conservation et de transmission aux générations futures, tout en posant des problèmes d’ordre juridique.

Proposer l’émergence d’une nouvelle compétence pour le conservateur-restaurateur m’a ainsi amenée à revisiter des axiomes pourtant bien établis : la notion d’authenticité dans le domaine des arts plastiques et le rôle du conservateur-restaurateur. En autorisant la re-présentation des œuvres impermanentes et/ou performatives, certains plasticiens contemporains ont effectué un déplacement de sens dans la notion d’authenticité : la dichotomie authen- tique/inauthentique n’est plus aussi franche et révèle, dès lors, plusieurs niveaux d’authenticité ; non seu- lement l’œuvre peut être réitérée et non-autographe, mais, surtout, elle peut être formellement différen- te, ceci pourtant ne constitue pas, selon ces artistes, un affadissement de sa qualité et de son originalité

-218- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 quand l’esprit et le concept de son créateur sont respectés. Dès lors, l’œuvre plastique impermanente et/ou performative semble rejoindre les productions chorégra- phiques, scéniques et musicales - dans la mesure où leur transmission s’opère à travers la justesse de leur interprétation. C’est, d’ailleurs, cette justesse – davantage que la fidélité formelle - qui me semble pouvoir être la garante de l’authenticité de ces créations, lors de leur re-présentation. Il ne s’agit donc plus ici de restauration mais de sauvegarde et de perpétuation au sens où l’entendent les professionnels qui tentent d’œuvrer pour la protection du patrimoine immatériel. La notion d’authenticité, telle qu’elle est désormais envisagée par ces artistes, devrait davantage être prise en compte par le conservateur-restaurateur - ceci afin de lui permettre d’objectiver ses interventions et d’atteindre à une re-présentation pertinente et juste de ce type de créations. Si son rôle, ses compétences et sa responsabilité ont pu être discutés vis-à-vis de ce type de création, il me semble, pourtant, que ses qualités sont précisément celles recherchées dans le cadre d’une telle entre- prise : son recul vis-à-vis des œuvres ainsi que sa déontologie en font le garant du respect de l’authenti- cité conceptuelle d’une œuvre, tant sur un plan moral que légal, dans la mesure où il ne se substitue pas à l’artiste, qu’il ne signe pas la re-présentation d’une œuvre, tel que le ferait un autre artiste, et qu’il aspi- re à la ré-instauration d’une œuvre et non à sa ré-interprétation. Par ailleurs, sa démarche - à la fois scientifique et sensible - est requise dans le cadre de la ré-instaura- tion d’une œuvre impermanente, à l’instar d’un traitement de conservation-restauration classique. La rigueur scientifique du conservateur-restaurateur - devenu ré-instaurateur - est l’assurance qu’un important travail d’investigation sera engagé. Cela dans le but d’établir une étude documentée et exhaus- tive qui devra exposer l’ensemble des paramètres à prendre en compte, dans le cadre d’une re-présenta- tion respectueuse à la fois de l’œuvre et de l’esprit de son auteur. Enfin, sa méthodologie, même si elle reste à adapter à ce type d’œuvres, est une qualité fondamentale dans l’exercice de la ré-instauration car c’est elle qui le conduira à privilégier une re-présentation jugée la plus fidèle possible à l’œuvre originelle.

Si ces dispositions sont indispensables au moment de la réexposition d’une œuvre impermanente et/ou performative, elles devront, d’ores et déjà, pouvoir être exploitées du vivant de l’artiste, dans le cadre d’un recollement d’informations le plus complet possible afin d’éviter tout malentendu ou contresens au moment de sa re-présentation.

Quand bien même les œuvres impermanentes et/ou performatives semblent quelque peu bousculer le domaine de la conservation-restauration classique, elles nous engagent à interroger de manière plus large la posture et le geste du conservateur-restaurateur. La re-présentation, la réitération, la ré-instauration, considérées comme des alternatives à la survivance de ce type d’œuvres - dès lors qu’elles sont appréhendées dans leur instantanéité - semblent engager la responsabilité du conservateur-restaurateur au-delà de ce qu’elle recouvre habituellement.

Pourtant, et bien qu’elle apparaisse très interventionniste et donc difficile à légitimer, j’estime que la ré- instauration n’est que le prolongement de la conservation-restauration classique qui aurait opéré ici une translation par rapport au support qu’elle envisage de traiter. Si la ré-instauration peut devenir une nouvelle compétence du conservateur-restaurateur - et non pas un nouveau métier -, c’est bien parce qu’elle requiert les qualités du conservateur-restaurateur et surtout qu’elle répond fondamentalement aux mêmes exigences et critères que la conservation-restauration - en affirmant des convictions et une rigueur similaires.

Malgré tout, et même si la ré-instauration peut se révéler un moyen pertinent de transmettre une œuvre de nature fugace, je reste intimement convaincue qu’il ne faut pas systématiser cette alternative à l’en- semble des œuvres impermanentes et encore moins aux œuvres d’art-action : pour ma part, l’absence de pratique en la matière ne peut que contredire l’éventuelle institution d’une telle intervention à leur égard.

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Pour l’heure, il me semble qu’il faut pouvoir davantage explorer cette question et l’accompagner d’un tra- vail d’investigation au cas par cas, dans une collaboration étroite entre les artistes et les acteurs du monde institutionnel ; car, s’il est un point capital à la réussite d’une telle entreprise, c’est bien l’interdisciplinari- té qui doit concourir à un maximum d’objectivité. En l’occurrence, le cas de Richard BAQUIÉ est un exem- ple, parmi d’autres, d’une approche commune de son travail, aussi bien entre les membres du FRAC pro- priétaire de l’œuvre et moi-même, qu’avec les proches de l’artiste : la conjonction de nos points de vue devrait, d’ici quelque temps, aboutir à une juste re-présentation de sa création.

Ce genre d’interventions devrait continuer à être développé et à être théorisé au travers des expériences sur le terrain (cf. le cas de Joëlle TUERLINCKX/Maryline TERRIER) avec un échange fructueux avec des professionnels qui auraient déjà œuvré dans ce sens dans d’autres domaines - comme en ethnologie à tra- vers la réactivation de certains rituels ; ceci devrait, notamment, permettre, d’une part, d’affiner le systè- me de questionnaires proposés aux artistes et, d’autre part, à l’ensemble des institutions en possession de ce type de productions plastiques, de penser la re-présentation de ces œuvres en dehors du seul cadre institutionnel, donc, à terme, d’adapter de manière pertinente le domaine de la conservation-restauration aux exigences des œuvres d’art-action et des installations. Les résultats, issus de ces nouvelles recherches à l’échelle nationale ou internationale, pourraient, le cas échéant, déboucher sur l’organisation d’une table ronde dédiée à ces questions; à l’instar du projet Culture 2000 orienté vers les problèmes de réinstallation des installations, il serait peut-être utile d’engager le même type de discussions autour du cas particulier des œuvres impermanentes et performatives et ce, en collaboration avec des conservateurs et des conservateurs-restaurateurs qui débattent déjà du problème de la sauvegarde du patrimoine immatériel.

Si le sujet demande donc à être encore débattu et les solutions à être élaborées autour d’une méthodolo- gie stricte qui reste à construire, cette étude aura quant à elle, je l’espère, contribué à nourrir une réflexion très actuel- le.

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POSTFACE

PASO DOBLE. Miquel BARCELÒ - Josef NADJ (création 2006 pour le 60ème Festival d’Avignon)

Créée au Festival In d’Avignon 2006, Paso Doble est une performance réalisée à quatre mains par Josef NADJ (commissaire artistique du festival cette année) et Miquel BARCELÒ. Cette œuvre est née de la rencontre entre le chorégraphe et le plasticien : c’est une pièce, à la fois physique et poétique, où les gestes et les corps composent avec la matière et dans une confrontation chorégraphique. L’espace dans lequel évoluent les deux artistes se décompose en une surface plane horizonta- le et un plan incliné à environ 80°, constitués de 6 tonnes de terre glaise humide et, en par- 1- le dispositif de mur et de surface au sol en terre glaise avant le début de la performance (26.07.2006) tie, recouverts d’argile blanche. La surface est irrégulière : on distingue les traces de doigts et de mains qui ont lissé l’épaisseur de la couche de terre. La performance dure 45 minutes durant les- quelles les deux protagonistes habillés en costume noir travaillent et sont travaillés par la matière, ils la sculptent, l’attaquent, la mal- axent, la hachent, la frappent... jusqu’à pénét- rer l’œuvre qui est en train de se réaliser et qu’ils font émerger et évoluer, au fur et à mesure de la progression. L’action est plongée dans une lumière jaune et un fond sonore très présent qui tend à accentuer la violence du geste sur la matière. La performance a été présentée treize fois, tout au long de l’édition 2006 du Festival d’Avignon ; chaque version a été conclue par la destruction de l’œuvre réalisée - les murs de 2- Résultat après 45 mn de performance (26.07.2006) terre ayant été, à chaque fois, aplanis afin de permettre aux artistes d’évoluer le lendemain sur une surface à nouveau plane et vierge.

Parce que cette œuvre a bénéficié d’un financement au titre de la procé- dure de la commande publique*, elle est d’autant plus pertinente dans le

*Procédure mise en place par la délégation aux arts plastiques du Ministère de la Culture. En 1982, avec la création du Centre National des Arts Plastiques (CNAP), le fonds de la Commande Publique est créé dans un souci de faire inter- venir les artistes dans l’espace urbain et de développer une politique de commande en partenariat avec les collectivités territoriales. Dans un esprit prospectif, la procédure de la commande publique est également sollicitée dans la production d’œuvres inédites, sur les terrains les plus variés et expérimentaux. Cette procédure nécessite la validation de nombreuses étapes (groupe de la commande publique, comité d’experts, études com- mission nationale de la commande publique...)

-222- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 cadre de mon étude, puisque se pose ici, vérita- blement, la question de la trace : que reste-t-il de l’œuvre après cette performance ? Qu’ont réelle- ment acquis les pouvoirs publics ? Quelle straté- gie de conservation a été mise en place au moment de l’acquisition de l’œuvre ?

Si le problème a bien été abordé avec les artistes, ces derniers ont décidé de réaliser un film retra- çant cette action en guise de témoignage de l’œu- vre éphémère. Tourné en Mai dernier, ce document a même été proposé aux festivaliers ; mais, si sa durée est calquée sur celle de la performance (45 minutes), celui-ci n’est pas un reportage ou un témoignage fidèle de la métamorphose des murs de glaise et des acteurs eux-mêmes, c’est davantage, semble- t-il, un regard sur les gestes et sur l’effort des protagonistes tout au long de la performance : cadré de très près, il ne laisse que peu de place 3- Détail à l’issue de la performance aux plans larges et morcelle considérablement (26.07.2006) l’espace temps en saccadant les actions et en ne montrant jamais celles-ci du début jusqu’à la fin. Le spectateur manque de recul et est pris dans un tourbillon d’images qui ne lui laisse pas la possibilité d’éprouver l’œuvre dans sa globalité.

J’ai pu assister au filage de cette performance, puis à la projection du film, avant de revoir une seconde fois l’action en direct, le dernier jour où elle a été présentée au public ; je me suis alors interrogée sur la natu- re de la séquence filmée : quel était le souhait de départ et l’objectif des artistes ainsi que celui des autorités au moment du tournage et du mon- tage ? Quel était le sens des images tournées ? Si les artistes ont déci- dé de conserver leur travail à travers ces images, ce film devait-il être réalisé comme un documentaire ou comme une œuvre de vidéaste ? Ou, encore, de manière extrêmement pointilleuse et scientifique - à la manière d’un constat d’état de l’œuvre à toutes les étapes de son élabo- ration ?

J’ai rencontré Miquel BARCELÒ, un soir de représentation. Je l’ai ques- tionné sur son rapport avec la notion d’éphémère, sur la trace, sur la conservation de cette œuvre, et sur le film. C’est en tant que peintre qu’il a répondu à mes différentes questions et surtout en tant qu’artiste soucieux de la pérennité de son œuvre, cons- ciencieux dans le choix des matériaux qu’il emploie - sauf dans certains cas où il utilise volontairement des éléments périssables tels que des matériaux organiques. L’artiste a été très clair au sujet de Paso Doble : cette création est éphé- mère, c’est lui qui en assure la réalisation avec Josef NADJ et la mémoi- re des spectateurs constitue, à elle seule, un moyen de véritablement la conserver ; il estime qu’aucun film ne retracera jamais l’émotion qu’elle provoque : selon lui, l’œuvre réside essentiellement dans le déroulement de l’action et dans ce qu’elle suscite.

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Il ne peut donc être envisagé de conserver quoique ce soit de l’objet, ni de « restaurer » , de « ré-instaurer » ou, encore, de transmettre l’ac- tion à travers sa réitération : d’une part, parce que Miquel BARCELÒ ne produit jamais deux fois le même tableau lors de ces représentations et qu’il ne suit ici que son intuition, sans l’aide d’un script établi en amont avec Josef NADJ (le plasticien a d’ailleurs insisté sur le fait qu’il ne copie jamais les gestes de la veille, même s’il s’en inspire. Il crée véritable- ment, à chaque fois, une nouvelle œuvre : il ne peut donc être question de se substituer à lui) ; d’autre part, parce que la réitération de cette œuvre sans ses protagonistes s’avère totalement absurde dans la mesu- re où c’est, avant tout, la rencontre et la relation entre le peintre et le chorégraphe qui importent. A ce sujet, Josef NADJ que j’ai également pu rencontrer, n’a fait que confirmer les propos du plasticien et témoigner de toute la déférence et de l’estime qu’il nourrit vis-à-vis de Miquel BARCELÒ et de son œuvre ; le profond respect mutuel que l’on ressent chez les deux hommes à tra- vers cette performance reste un des fondements de cette création et une des raisons majeures qui la rend non reproductible. C’est, d’ailleurs, cet argument qu’a invoqué en premier lieu Josef NADJ qui m’a confié avoir travaillé tout au long de ces re-présentations à pénétrer l’œuvre du plas- ticien jusqu’à reprendre les gestes de Miquel BARCELÒ et permettre à la composition finale d’être aussi harmonieuse que possible, telle que la seule main du peintre aurait pu la réaliser.

A propos du film, Miquel BARCELÒ m’a expliqué que s’il répondait à l’ob- jectif de la commande publique, il en aurait réalisé un de toutes façons. Il lui importe, en effet, de témoigner de l’évènement à travers la trace, même si celle-ci ne peut en restituer toute l’émotion. Il avait, d’ailleurs, d’abord songé à éditer un livre avec des images de la performance réali- sées lors de ses différentes présentations, associées aux photographies des œuvres qu’il exposait en parallèle.

Il m’a aussi appris qu’il souhaitait vivement refaire le film présenté actuellement autour de cette œuvre, avec de nouvelles images et un nouveau montage, montage qu’il n’avait, jusqu’ici, pas pu suivre. Il envisage cette nouvelle version comme un témoignage de l’évolution de la pièce depuis sa première présentation : photographiée chaque soir et filmée entièrement lors des deux dernières présentations, la perfor- mance a, semble-t-il, connu quelques variations qu’il importe, en effet, à l’artiste de montrer. Il prévoit moins d’images de détails, davantage de plans d’ensemble ; cependant, il ne considère pas cette captation comme une œuvre, ni même comme un document de travail, elle reste juste le témoin visuel d’un évènement passé.

Quand bien même l’œuvre ne sera pas transmise au public autrement que par les images tournées par l’équipe qui accompagne les artistes, il me semble que la relation entre ces derniers, le commanditaire du spec- tacle (Festival d’Avignon), la DRAC, et les membres de la commission nationale de la Commande Publique aurait peut-être pu être exploitée davantage et élaborée autour d’une problématique qui concerne, ici, aussi bien les acteurs de la performance que le commanditaire. Un véritable travail en amont aurait peut-être pu permettre de dégager,

-224- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 autour de cette œuvre, une stratégie de conserva- tion, en tout cas, de transmission, appropriée : même si les artistes n’envisageaient que le film comme moyen de témoigner de la performance, une réflexion commune autour de ce projet aurait, sans doute, permis d’aboutir, dès le premier mon- tage, à une vision juste de l’œuvre pour les artis- tes et le public, et constituer pour les autorités un document exploitable et bien pensé, dont la natu- re aurait été définie avant même que la perfor- mance ait été produite. La constitution d’une équi- pe et la rédaction d’un cahier des charges préci- sant, dès le début, vers quoi devait tendre la réali- sation de ce film, auraient pu se révéler pratiques 4- Détail à l‘issue de la performance et, surtout, rassurants vis-à-vis des autorités : il (26.07.2006) semble, en effet, qu’il aurait été utile de réfléchir posément à ces questions au moment de l’acquisition de l’œuvre - aujourd’hui, encore, les membres de la commission nationale de la com- mande publique s’interrogent sur ce qui va réellement rester de cette pièce.

Ces préoccupations me semblent révéler la nécessité d’une démarche active de collaboration et de réflexions autour de la conservation et de la transmission des œuvres éphémères ou impermanentes - en amont de leur production et de leur éventuelle acquisition (sous des formes qui res- tent cependant à imaginer) et avant leur présentation, puisqu’en la matière, la documentation reste primordiale et qu’elle ne peut donc être constituée dans la précipitation ; il me semble, en tout cas, qu’elle doit pouvoir être élaborée avec le concours de tous les acteurs qui participent à la diffusion de ce type de créations.

Malgré tout, et cette fois en tant que spectatrice ayant eu le privilège d’assister plusieurs fois à la présentation de cette œuvre, je m’interroge sur la manière dont j’aurai pu documenter l’ensemble de cette perfor- mance : même si le film actuellement diffusé reste insatisfaisant d’un point de vue technique, il n’en reste pas moins la transcription d’une cer- taine vision de l’œuvre ; vision inévitablement différente de la mienne et de celle des autres spectateurs, vision d’autant plus éloignée de la mien- ne que mon rapport avec l’œuvre s’est nourri de son filage, du visionna- ge de ce film, d’une représentation complémentaire ainsi que de mes entretiens avec les artistes. Ma conception actuelle de l’œuvre est donc issue de l’assimilation pro- gressive de ces différents points de vue, ce qui rend mon approche cer- tainement moins naïve, mais pas forcément objective. Pour moi, Paso Doble réside dans ces rencontres et dans les évolutions techniques que j’ai pu y percevoir - depuis sa première version jusqu’à sa dernière pré- sentation ; selon moi, cette action relève donc du passage du temps, du changement, des métamorphoses, à la fois, des acteurs et de mon regard sur leur composition, d’une expérience vécue, fugace et mouvan- te qui révèle ici toute la difficulté qu’il y a à produire un document retra- çant justement l’œuvre performative.

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ANNEXES

ANNEXE 1 Notes p.229 A propos des œuvres évolutives p.230 A propos de la notion d’immatériel p.232

ANNEXE 2 Études de cas p.249 Richard BAQUIÉ Ballon, évènement du 29 mars 1982 - Documents relatifs à l’achat de l’œuvre par le FRAC PACA p.250 Artur BARRIÒ Interminavel (Gand 2005) - exemple d’un constat d’état p.254 - plans relatifs au montage de l’exposition de Gand (Juin 2005) p.260 - questionnaire proposé lors de la table ronde p.268 - réponses au questionnaire rédigé par Kathleen Wijnen et Anita Durand p.269 Marina ABRAMOVIC - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Art must be beautiful, artist must be beautiful p.272 Andrea SAEMANN - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Ausflug in die fresken p.282 - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Eisblock p.292 ANNEXE 3 Questionnaires p.301 Questionnaire acquisition -installation p.302 (conçu par le groupe de recherches conduit par Pascale SAMUEL) Questionnaire à l'intention des artistes performers p.308 Questionnaire relatif aux œuvres performatives p.313 (qui viennent d'être acquises) en vue de leur re-présentation Questionnaire à l'intention des artistes de l'Installation p.322 Quelques réponses aux questionnaires destinés aux performers p.327

ANNEXE 4 Documents divers p.345 BEN - extraits de quelques partitions Fluxus p.346 Texte original de l’ICOM: Le conservateur-restaurateur: une définition de la profession p.350

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ANNEXE 1

NOTES

A propos des œuvres évolutives p. 230 A propos de la notion d’immatériel : p. 232 - Notes à propos de l’immatériel en tant que langage p. 232

- Notes à propos de l’immatériel comme pur concept p. 236

- Notes à propos de l’immatériel comme processus relationnel p. 238

- Notes à propos de l’immatériel comme transcendance de la matière p. 240

- Notes à propos de l’immatériel à travers le virtuel p. 242

- Notes à propos de l’immatériel patrimonial p. 244

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NOTES A PROPOS DES ŒUVRES ÉVOLUTIVES

Dans les paragraphes consacrés à la définition de la notion d’éphémère (dans la 1ère partie), j’ai évoqué la présence d’œuvres évolutives dans le panorama des productions contemporaines : j’ai cité le cas d’œuvres impermanentes constituées d’éléments périssables remplaçables, mais il faut évoquer aussi certaines œuvres dont le concept se fonde sur une évo- lution physique des éléments pérennes qui les constituent ; cette mutation est effective, soit parce que le public intervient directement sur la pièce, soit parce que l’artiste limite arbitrairement la durée de vie des composants matériels de sa création. Par exemple, le FRAC Champagne-Ardennes pos- sède une installation de l’artiste belge Honoré δ’O qui est constituée, pour partie, d’éléments tels que des paquets de lessive à réactualiser régulière- ment. L’œuvre all the details extended, fractures recomposées est conçue pour être modulable et réactualisable par les générations futures afin qu’el- le conserve une « éternelle » contemporanéité. Ce faisant, l’artiste a prévu une manière de conserver la validité « éternelle » du concept par rapport au caractère éphémère de sa mise en forme.

« Comment peut-on réaliser au présent une œuvre pour une société à venir où les structures relationnelles seront totalement différentes ? Qu’adviendra-t-il le jour où le contexte culturel aura disparu ? (…) le passé et l’avenir sont proches du virtuel. Certes ils existent, mais comment pouvons-nous les connaître et y accéder ? S’il existe une vérité relative au moment présent, comment pouvons-nous restaurer une construction dans sa forme originale ? Devons-nous nous accrocher au fétichisme artistique des monuments éphémères? Pourquoi vouloir repro- duire exactement ce que l’artiste a créé, puisque ce qu’il cher- chait, était précisément cette imprévisibilité virtuelle ? Honoré δ’O anticipe le problème de la détérioration. (…) Le message doit évoluer avec le temps. Dans cette optique, l’artiste peut facilement vivre avec l’idée que ses matériaux soient remplacés par d’autres. »1 1- HONORE d’O, all the details extended, 2000

Ici l’artiste fixe sciemment la durée de son œuvre en choisissant des élé- ments constitutifs de l’œuvre pour leur contemporanéité : s’ils ne sont pas réactualisés, ils deviendront obsolètes, l’œuvre perdra alors de sa significa- tion et de sa force. Dans ce cas précis, le caractère impermanent de l’œuv- re est lié au temps et à l’Histoire, c’est-à-dire, à la fois à sa durée mais éga- lement à sa date de présentation, autrement dit à son contexte spatial et historique. Ces œuvres devraient donc connaître plusieurs variantes au cours de leur existence et, par conséquent, plusieurs datations : ces productions sont censées être présentées sous des états variables puisqu’elles doivent régu- lièrement être exposées dans une nouvelle version : chaque variation tend

1 Filip LUYCKX, «Une iconographie pour les générations à venir» in Honoré δ’O, all the details extended , fractures recomposées, 2003, p.38-39

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alors à fausser plus ou moins la datation physique de l’œuvre; cette impres- sion est encore renforcée si l’artiste exige la réactualisation périodique d’é- léments constitutifs très référencés. En définitive, leur concept est daté mais les éléments pérennes et référen- cés constitutifs de l’œuvre sont régulièrement remplacés au gré de l’inspi- ration des réinterprètes autorisés par l’artiste ou selon des directives édic- tées par celui-ci : celles-là mêmes qui stipulent le renouvellement des objets manufacturés devenus kitsch ou « obsolètes », par des éléments similaires, en accord avec le public contemporain.

≠ Le Copyleft propose un aperçu différent de ce que peut être une œuvre évolutive : son principe repose sur la mise à disposition, par des artistes, d’œuvres par le truchement de la Toile Internet ; tout auteur qui souscrit à ce concept accepte l’utilisation par autrui de son travail et l’autorise à signer toute nouvelle version, selon les conditions strictes édictées par la protec- tion du droit d’auteur et adaptées au Copyleft.

« Droit d’utiliser Droit de copier Droit de diffuser Droit de transformer Obligation de conserver les quatre droits énoncés »2

Comparant le contrat de la Licence Art Libre avec le contrat de Seth SIEGELAUB rédigé en vue de protéger les artistes envers et contre toutes formes d’exploitation, Antoine MOREAU écrit :

« Avec le Copyleft, l’artiste n’a pas « raison contre quiconque ». Il est en intelligence avec quiconque. La raison est là, ni offensi- ve ni défensive, mais offerte à qui veut bien l’entendre et y don- ner, en écho, de sa voix. »3 L’auteur de l’original délègue ainsi à autrui la modification de son œuvre et l’autorise à se l’approprier. L’artiste accepte que l’œuvre change de main et de « paternité ».

2 Antoine MOREAU, Le copyleft appliqué à la création artistique, Mémoire de DEA Arts des Images et Art Contemporain, 2005, p.18 3 Ibid. p.33

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NOTES A PROPOS DE LA NOTION D’IMMATÉRIEL Avertissement : en complément des développements de la première partie sur la notion d’immatériel, vous trouverez ici quelques notes et remarques à propos de formes artistiques différentes de l’installation ou de l’art- action, qui, soit reposent sur un concept, soit tentent d’exprimer l’immatériel.

NOTES A PROPOS DE L’IMMATÉRIEL EN TANT QUE LANGAGE

≠ Les œuvres basées sur la transmission orale ou écrite et qui font interve- nir le langage, sont des manifestations artistiques immatérielles où les mots deviennent la traduction visible et auditive de l’esprit. Le dadaïsme et, avec lui, le surréalisme ont certainement été les précurseurs du développement de ce type de productions ; ils ont, tous deux, contribué à l’éclatement des visions traditionnelles de l’art et à l’élargissement des lieux de manifestation et d’exposition. L’investissement de nouveaux lieux (cafés, cabarets, rues,…) et de nouveaux supports de création, tels que les journaux, ont conduit à démythifier l’art et à le faire entrer dans la sphère du quotidien en en employant des éléments significatifs, notamment la parole et le geste : deux médiums immatériels.

≠ Dans le prolongement du dadaïsme, le groupe Fluxus a réalisé des per- formances basées sur le langage et la poésie sonore.

≠ L’Art Conceptuel revendique le langage comme médium principal de création ; voici comment Henry FLYNT définit ce mouvement, dès 1961 :

« Les concepts sont à l’Art Concept ce que le son est à la musique, un matériau de base. Puisque les concepts sont liés de près au langage, l’Art Concept est une forme d’art qui a pour matériau de base le langage. »4

Si l’on considère l’art conceptuel comme étant un mouvement en quête de ce que Hans BELTING nomme l’œuvre absolue, il faut évoquer, par exem- ple, le groupe ART & LANGUAGE qui participe directement de ce projet. On lui connaît des précurseurs tels que Marcel DUCHAMP mais également Honoré de BALZAC et son Chef d’œuvre inconnu : celui-ci met en avant l’impossibilité d’atteindre de manière concrète le chef-d’oeuvre tel qu’il est pensé : sa matérialisation inexorablement vouée à la déception, l’œuvre absolue ne pourrait exister que dans l’esprit du créateur et à travers sa conceptualisation.

≠ Art and Language (1968), qui était une revue avant de devenir un col- lectif, aborde l’art littéralement comme un langage par le biais de textes liés à la philosophie analytique anglo-saxonne. L’œuvre ne résidait pas en un discours sur l’art mais sur le langage comme art : et ceci afin de s’opposer, de manière souvent critique et virulente, aux institutions.

4 Cité dans Florence de MEREDIEU, Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, 1994, p.354

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A la fin des années 60, les artistes conceptuels se sont nourris de plusieurs constatations et contestations : après s’être délestés du poids de l’acadé- misme, de la religion, des conventions de goût, qui étaient autant de contraintes immatérielles, les artistes n’ont cessé de produire des œuvres en parallèle au développement technologique ; subséquemment à cette profusion de productions, ils se sont peu à peu allégés du poids du matériel dans l’espoir d’accéder à la quintessence du vide, à la réflexion pure ; le lan- gage (entre autres) pouvait répondre à ce besoin de dématérialisation de l’art qui dénonçait en premier lieu sa marchandisation. Cette dénonciation se traduisit alors par le refus de toute production plas- tique en vue de contourner l’exploitation de l’art par les galeries ; cepen- dant, ce choix formel ne devait pas conduire à une rupture avec le public : c’est pourquoi le langage s’imposa comme un médium approprié. Les textes étaient censés pouvoir répondre à l’insuffisance du formalisme devenu inapte à représenter l’idée de l’art. Dans cette optique, les concep- tuels souhaitaient faire la distinction entre l’œuvre et l’idée de l’art, qu’ils jugeaient pouvoir mieux « représenter » par le langage que par la forme. Joseph KOSUTH déclara ainsi :

« J’ai changé la forme de la représentation…et acheté des espaces dans les journaux…je mets ainsi l’accent sur l’immaté- rialité de l’œuvre et j’exclus tout lien avec la peinture. »5.

Dans son ouvrage de 1969, Art after philosophy, ce der- nier développe son discours :

« « Les œuvres d’art sont des propositions analytiques » de ce qu’est l’art. En tant que telles elles sont tautologiques. En effet, un artiste tente simplement de dire dans une œuvre que « cette œuvre d’art particulière est de l’art, ce qui signifie qu’elle est une définition de l’art. Il est donc vrai a priori que c’est de l’art ». (…) dès lors, pourquoi devait-on continuer à en produire puisque la preuve n’était plus nécessaire ? »6 2- Joseph KOSUTH, One and three chairs, 1965

Cependant, « un art fondé sur le mot peut également rendre étrange l’acte même de penser. Quand on se débarrasse de l’objet à l’excep- tion de quelques bouts de papier ou de quelques bribes d’écri- ture sur un mur, il ne reste que les mots à l’intérieur de notre tête. »7

5 Joseph KOSUTH cité par Hans BELTING, opus cité, 2003, p.517 6 Ibid., p.518 7 Tony GODFREY, L’art conceptuel, 2003, p.170

-233- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

≠ D’autres artistes se sont servis du médium langage et ont su jouer sur le fait que le sens commun lui confère un statut particulier, en accordant à l’écriture une forme de légitimité, de vérité, de garantie d’authenticité : ce qui est écrit est forcément véridique. Ils ont détourné ce fait établi, soit pour donner un autre sens à ce que le public pouvait immédiatement identifier, soit pour vali- der leur création ; René MAGRITTE fut un précurseur avec Ceci n’est pas une pipe, ainsi que Marcel DUCHAMP avec ses ready-mades et autres jeux de 3- René MAGRITTE, mots. Ceci n’est pas une pipe, 1928-1929

≠ Janvier 1967, le groupe BMPT - BUREN, MOSSET, PARMENTIER, TORONI - expose au Salon de la jeune peinture à Paris en ne proposant qu'une banderole : « BUREN, MOSSET, PARMENTIER, TORONI n'exposent pas » qui fit suite à un autre message « peindre, c'est accorder une valeur esthétique aux fleurs, aux femmes, à l'érotisme, à l'environnement quotidien, à l'art au dadaïsme, à la psychanalyse et à la guerre du Viêt-nam. Nous ne sommes pas peintres.» 4) Cette « vérité » inscrite s’accompagnait de l’exposition de toiles à motifs ; motifs qui faisaient office de signa- ture, de signe et d’écriture. C’est donc le langage sous sa forme plastique et sous celle du discours revendica- tif et contestataire à l’encontre de l’exposition, qui a néanmoins généré l’œuvre : dire que l’on expose pas c’est déjà s’exposer.

5) 4,5- BUREN, MOSSET, PARMENTIER, TORONI, manifestation au Salon de la jeune peinture. Paris, Janvier 1967

-234- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

≠ Le groupe des Artistes Incohérents, emmené par Jules LEVY de 1882 à 1896, pratiquent un véritable art parodique construit autour du langage, sans pour autant se considérer eux-mêmes comme des artistes à part entière. Combat de nègres dans un tunnel, Bas-relief (un bas cloué sur un socle en bois), Récolte de la tomate par des cardinaux apoplectiques au bord de la mer rouge (étoffe rouge en guise de tableau monochrome rouge) par Alphonse ALLAIS ou encore Monochroïdes, et Mona Lisa fumant la pipe par Eugène BATAILLE, sont des exemples, parmi d’aut- res, de jeux de mots artistiques.

6- Eugène BATAILLE, Mona Lisa, 1887

Si ce groupe peut nous sembler très avant-gardiste, jusqu’à apparaître comme une des précurseur des créations artistiques des années ‘60 (peint- ures monochromes, performances, installations,...), il faut néanmoins pou- voir distinguer le discours et, surtout, l’environnement contemporain des Incohérents, de celui des artistes des années ‘60, afin de mieux comprend- re ce qui animait l’ensemble de ces créateurs et les a conduit, à des époques très différentes, à créer des pièces formellement comparables et pourtant radicalement éloignées d’un point de vue conceptuel.

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NOTES A PROPOS DE L’IMMATÉRIEL COMME PUR CONCEPT

≠ La plupart des installations et les œuvres conceptuelles autrement mani- festées que par le langage, existent avant tout à travers la matérialisation d’un procédé mental plutôt que comme des œuvres plastiques. Les actions, comme tout spectacle, sont une sorte de processus illusionniste qui fait oublier sa part matérielle (et esthétique) à l’œuvre, pour emmener le spec- tateur dans un « au-delà » idéologique ou imaginaire. En fait, c’est la bonne alchimie entre l’objet/corps et le geste qui garantit l’illusion et l’accès à une sphère immatérielle.

C’est pourquoi, malgré un support concret et pérenne, les œuvres concep- tuelles peuvent être considérées comme immatérielles parce qu’elles repo- sent davantage sur un concept que sur une matière : le support devient alors un moyen de traduire, de servir l’idée. Il est important de noter que, dans certaines œuvres dites conceptuelles, l’objet n’est pas forcément associé de façon immuable à la représentation du concept, il peut être interchangeable : un objet O, présenté lors d’une exposition, pourra être remplacé dans les conditions régies par l’artiste par un objet O’ similaire ou différent, lors d’une exposition ultérieure. Dans les années ‘90 le MAMCO de Genève reconstitue ainsi une exposition datée de 1994 et qui fut alors organisée dans l’Hôtel Richmond de John ARMLEDER ; à l'origine, cette manifestation présentait entre autres les artistes John ARMLEDER et Sylvie FLEURY qui proposaient, tous deux, des œuvres conceptuelles ; Christian BERNARD relate la reconstitution de cette exposi- tion à l'ouverture du Musée, pour laquelle les artistes eux-mêmes sont venus reconstituer leur œuvres passées : John ARMLEDER a remonté une œuvre totalement différente, d'un point de vue esthétique, de sa première version, mais conceptuellement identique à celle-ci ; quant à Sylvie FLEU- RY, elle présentait 4 murs d'un même espace, tous divisés par une bande peinte à base de 4 tons de fonds de teint différents : en 1990, elle avait choisi de travailler avec les 4 tons de fonds de teint choisis parmi les plus à la mode; en voulant reproduire cette même œuvre en 1994, elle a alors choisi les 4 tons les plus en vogue de l’année en cours.

Pièce pour linge sale En mettant à leur disposition des énoncés rédigés Quand vous recevrez à la maison, sortez votre par Yoko ONO, la dernière Biennale de Lyon propo- linge sale, en expliquant comment chaque article s'est sali sait aux visiteurs des protocoles à interpréter au et pourquoi... sein même de l’institution ou dans le cadre privé.

Y.O. été 1963 Même si ces œuvres connaissent, en premier lieu, une existence sur papier, elles sont considérées Biennale d'Art Contemporain de Lyon avant tout comme des actes et donc comme des © Yoko Ono, 2005 œuvres immatérielles. S’il est vrai que l’on peut trouver exposés - et même vendus - certains de ces protocoles manuscrits ou rédigés sur ordinateur par l’artiste, il n’en reste

-236- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 pas moins que, du point de vue de l’artiste, l’œuvre est l’accomplissement du protocole à travers toutes les variantes possibles. L’œuvre réside donc dans l’énoncé, dans l’injonction, qu’elle soit rédigée ou non et ne se maté- rialise véritablement qu’au gré de ses interprètes, sous des formes variables - le temps d’un geste ou d’une installation fugace.

Les œuvres dites protocolaires n’existent que sous la forme d’un énoncé à réinterpréter à chaque nouvelle présentation et ce, par toute personne ayant pris connaissance de ses directives. Pour ce qui est de ces œuvres, il arrive qu’il y ait des traces matérielles de l’interprétation et/ou de leur énon- cé mais celles-ci ne devraient pas être appréhendées comme l’œuvre en soi puisqu’elles n’en sont que le résultat. « Sans doute a-t-il fallu attendre la révolution opérée au XXème siècle par les différentes avant-gardes des années 20 et plus encore, l’art conceptuel des années 60 pour que l’accent soit porté non sur le seul résultat, mais sur le processus créatif lui- même : projet, programme, intuition, ou concept. »8

Que ce soit l’exemple de Sylvie FLEURY ou celui de John ARMLEDER ou bien encore celui des œuvres protocolaires, il n’est pas question de considérer le geste de réactualisation comme un repentir : le procédé de réinterprétation affirme que ces œuvres résident davantage dans leur concept que dans leur matière.

8 Florence MEREDIEU (de), opus cité, 1994, p.355

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NOTES A PROPOS DE L’IMMATÉRIEL COMME PROCESSUS RELATIONNEL

≠ Dans son essai Esthétique relationnelle, Nicolas BOURRIAUD s’intéresse à des créations artistiques reposant essentiellement sur un principe de par- ticipation active ou tacite du public ; c’est le dialogue que ces œuvres - pour la plupart des installations - instaure avec le public et, à travers lui, l’expérience personnelle du visiteur qui confère à l’objet d’art son statut d’œuvre et lui garantit la reconnaissance du milieu. L’essence même de ces oeuvres résiderait, selon Nicolas BOURRIAUD, dans le principe de commu- nication qui s’est étiolé après la deuxième guerre mondiale et qu’elles ten- tent de restaurer : l’émergence des villes et le développement toujours plus grand de l’urbanisme a cloisonné les populations jusqu’à réduire au néant les relations entre les individus. L’artiste, conscient de ce phénomène, à la fois comme observateur et, involontairement, comme acteur du processus, aurait ainsi essayé de rétablir un système d’échange entre les hommes, à travers des œuvres qui nécessitent la participation active du regardeur. La réaction qu’elles suscitent sur le spectateur et la participation mentale que celui-ci va développer, constituent une partie de l’œuvre : s’il y a eu réflexion, réaction, mais surtout participation, il y a eu œuvre.

« Le visiteur y tient [devant l'œuvre] une place prépondérante, car son interaction avec les œuvres contribue à définir la struc- ture de l’exposition (…) il se voit confronté à des dispositifs qui requièrent sa décision.. »9

« La véritable « voix » d’une œuvre littéraire ne réside pas dans l’écriture mais dans la lecture que l’on en fait : cette assertion pourrait s’appliquer aussi à l’œuvre d’art et à ceux qui la regarde. La perception de l’œuvre a au moins autant d’im- portance que l’œuvre elle-même. »10 (Roland BARTHES)

Si ces œuvres sont parfaitement matérielles, l’œuvre repose néanmoins sur la réaction du public face à tel objet ou telle situation élaborée par l’artiste ; de ce fait elles pourraient être « classées » parmi les œuvres immatérielles. En effet, Nicolas BOURRIAUD cite dans la catégorie de l’art relationnel, les tableaux–pièges et les dîners de Daniel SPOERRI, le travail de Philippe THOMAS qui met en avant la relation narcissique entre le collectionneur et l’artiste en apposant la signature du collectionneur au bas de ses créations. L’auteur cite également, en exemple, les œuvres d’art-action dont l’instanta- néité et la non répétitivité nécessitent la convocation du public à une forme de rendez-vous ; ce faisant, elles instaurent déjà une relation entre le public 7- Daniel SPOERRI, et le créateur. Déjeuner, 1972

9 Nicolas BOURRIAUD, Esthétique relationnelle, 2001, p.39 10 Roland BARTHES cité in Tracey WARR, Le corps de l’artiste, 2005, p.12

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Ici, Nicolas BOURRIAUD insiste sur le fait que certaines œuvres d’art contemporain, plutôt que d’être réduites à des considérations de forme, sont, avant tout, des productions qui engagent une réelle réflexion sur le rapport avec le spectateur. Le processus artistique des créateurs actuels résiderait moins dans l’obtention d’une forme esthétique et com- mercialisable que dans une approche des « modes de sociabilité (…) et des rencontres interhumaines ».

8- Philippe THOMAS, sans titre, 1987 « Qu’a-t-on acheté lorsqu’on possède une œuvre de TIRAVANIJA ou de Douglas GORDON, sinon un rapport au monde concrétisé par un objet qui détermine de lui-même les relations que l’on a envers ce rapport : la relation à une rela- tion? »11

11 Nicolas BOURRIAUD, opus cité, 2001, p.50

-239- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

NOTES A PROPOS DE L’IMMATÉRIEL COMME TRANSCENDANCE DE LA MATIÈRE

≠ Dans Histoire matérielle et immatérielle de l’art moderne, Florence de MEREDIEU aborde l’immatériel comme conséquence d’une sorte de trans- cendance de l’objet matériel. L’auteur évoque ainsi la peinture abstraite et les œuvres monochromes, cel-

Cependant, avant d’adopter cette les d’Yves KLEIN ou de RYMAN. Ce dernier revendique la dimension intel- position radicale, RYMAN aurait lectuelle de ses œuvres qui doit pouvoir dépasser la seule contemplation du réalisé des monochromes blancs en tableau blanc. affirmant, à l’inverse, que la peinture n’était, et ne devait être, que matiè- re, c’est-à-dire réduite à la présence d’une toile, d’un châssis, d’une matière picturale. Ce n’est que dans une seconde étape qu’il considéra ses compositions blanches comme les tenants d’un discours sur l’immatéria- lité de l’art. Les recherches sur la monochromie et sur la couleur ont conduit nombre d’artistes à engager leurs œuvres dans une direction « mystique » ou, du moins, spirituelle (tels que Yves KLEIN, Mark ROTHKO ou Barnett NEWMAN).

« Elles ressemblaient plutôt à des personnes, par leur maniè- re « d’incarner des sentiments » et de révéler leur passion intérieure. NEWMAN effectuait ici un changement surprenant de définition du tableau. Maintenant que la peinture avait expulsé la figuration, l’œuvre non iconique s’était transformée en une image d’elle-même. Renonçant à la rhétorique pictura- le, elle transformait l’icône en une idée spirituelle. »12

9- Mark ROTHKO, sans titre, 1969

Si l’on s’en tient à ces considérations, ne pourrions-nous pas évoquer ici les peintures rupestres dont on suppose que quelques unes d’entre elles étaient réalisées à des fins rituelles?

≠ Florence de MEREDIEU évoque, plus loin, le travail d’artistes ayant choi- si de travailler avec la transparence du verre organique ou du plexiglas afin d’exprimer l’immatérialité, l’éternité, la liberté,…

≠ Il en est de même des premières pièces de Dan FLAVIN ; dans les années ‘60/‘70, l’artiste encadrait ses tableaux de néons, dans le but de signifier l’absence de pesanteur, de finitude, de limite instaurée arbitrairement par les dimensions du châssis.

12 Hans BELTING, opus cité, 2003, p.478

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≠ Les dessins à l’encre d’Henri MICHAUX, réalisés sous mes- caline afin de permettre la retranscription sur papier des effets de la drogue, et les Dream drawings de Jim SHAW : ce der- nier a fait naître de ses propres rêves des bandes dessinées fragmentées, déstructurées, réalisées au crayon de papier au sortir de phases de sommeil qu’il s’imposait quotidiennement. Evoquons également les photos de Man RAY censées pouvoir capter le phénomène de l’extase.

Si l’objet peinture, photographie ou sculpture est ici considéré comme tel dans ce qu’il a d’esthétique, il est, avant tout, une 10- Henri MICHAUX, sans titre, 1959 véritable tentative de représentation de l’immatériel. Il tente une transposition concrète de dimensions impalpables.

11- Jim SHAW, sans titre, 2002

Ne pourrions-nous pas « classer » dans cette catégorie la musique et la danse ? Car ces créations sont souvent imitatives ; certaines d’entre elles tentent ainsi d’exprimer une sensation, un état d’esprit, une atmosphère,… une saison. Ces manifestations ambitionnent probablement d’exprimer et de faire ressentir au public la « vérité » d’un sentiment, d’une expérience telle que le compositeur ou le chorégraphe l’éprouvait. Dans un autre registre, il faut rappeler les tentatives de traduction du son en images. Ainsi Oskar FISCHINGER s’attela à donner une forme abstraite mouvante aux sons, aux intonations, aux rythmes,… alors que Walt DISNEY construit, dans Fantasia (1940, orchestré par James LEVINE), une trame réaliste autour des compositions de grands compositeurs tel que BEETHOVEN : le son et l’image participaient, conjointement et réciproque- ment, à l’expression de sentiments, d’éléments immatériels.

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NOTES A PROPOS DE L’IMMATÉRIEL Á TRAVERS LE VIRTUEL

≠ Les œuvres virtuelles ou le mail art, le cinéma, la vidéo et la photo sont tout, sauf immatériels, puisque ces créations reposent sur des supports : logiciels, écran, papier,…, voire sur des infrastructures extrêmement lourdes et coûteuses telles que peut en disposer le cinéma ; pourtant, si elles ne traduisent pas forcément quelque chose d’immatériel et ne font pas néces- sairement référence à des concepts ou à des dimensions spirituelles, elles pourraient être considérées comme immatérielles parce que, techniquement parlant, et à l’instar des œuvres musicales ou chorégraphiques, elles ne pro- duisent rien de concrètement palpable.

Paul DEVAUTOUR membre actif du CERCLE RAMONASH a réalisé Black Box en 1998, sorte de caisson cubique, noire, d'aspect hermétique, dans lequel sont disposés en série plusieurs moniteurs Macintosh qui permettent de mettre en relation virtuelle le spectateur et l'artiste qui sont censés pouvoir communiquer.

12- Paul DEVAUTOUR, Black box, 1998, Métal laqué, câbles électriques, voyants verts, 3 ordinateurs et 3 consoles, programme "Sowana", 183x183x183 cm, dimensions variables selon installation, collection Frac Provence- Alpes-Côte d'Azur/Yoon-Ja et Paul Devautour (ph. www.ciren.org)

Certains de mettre à part la photographie sous prétexte que le tirage de l’image existe sur papier : certes, mais le papier n’est pas le pro- duit du tirage, c’est le support de l’image au même titre que le DVD ou la cassette magnétique ou la bobine de film sont les supports-objets de l’œu- vre ; œuvre que le spectateur ne découvrira qu’ultérieurement grâce aux appareils de diffusion et qui confèrent d’ailleurs, à ces œuvres, une maté- rialité temporelle puisque l’on peut maîtriser leur durée : accélérer, aller en arrière, retarder, s’arrêter, reprendre plus loin…. actions que nulle autre œuvre ne permet. Je m’interroge, en fait, ici sur ce qu’est une image qui reste fantasmée sans le soutien d’un support ; il en est de même des sons ou du geste qui ne sont réellement manifestés que grâce aux instruments ou à la partition et au corps. L’image est une vue de l’esprit, un parti pris du créateur à des fins personnelles ou professionnelles, esthétiques, sociales, politiques, écono- miques… Qu’elle soit fixe ou animée, est-elle véritablement différente de l’i- dée qu’on se fait visuellement d’un événement, d’un laps de temps, d’un visage, d’une rêverie à un instant T (exactement de la même manière que la danse et la musique traduisant un sentiment ou une vision mentale en son ou en gestes) ? Dès lors, la peinture ou la sculpture, qui sont également à considérer comme des images en deux ou trois dimensions, pourraient également être taxées d’immatérialité si nous en venions à considérer la pierre ou la toile

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ou toute matière comme de simples supports de transmission de l’i- mage, donc de l’idée. A ce compte-là, l’Art ne serait qu’immatérialité dont nous ne prenons conscience que par la matière, le corps ou l’instrument. C’est ce qu’ont tenté de mettre en avant les artistes conceptuels, à travers un discours affirmant la suprématie de l’idée sur la matière qui la véhicule. C’est aussi le projet de nombre de créateurs qui font fi de la singularité des objets qu’ils mettent en scène dans des installations : si jamais ceux-là devaient s’altérer ou disparaître, ils pourraient indifféremment être rempla- cés par des objets de même nature : c’est ce qu’ils traduisent, plutôt que ce qu’ils sont, qui importe ici à ces artistes.

« L’Art se réfugie tout entier dans l’idée, l’intention, ou le pro- gramme ; l’essentiel de l’œuvre appartient désormais à l’ordre de l’invisible et de l’immatériel. »13

« Les intentions, les attitudes et les concepts deviennent des substituts d’œuvres. Ce n’est pas pour autant la fin de l’art : c’est la fin de son régime d’objet. »14

13 Florence de MEREDIEU, opus cité, 1994, p.311 14 Yves MICHAUD, opus cité, 2003, p.11

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NOTES A PROPOS DE L’IMMATÉRIEL PATRIMONIAL

≠ Traditions orales, rites et folklores : ces manifestations, apparentées aux légendes que l’on raconte de génération en génération, aux défilés proces- sionnaires ou encore aux danses et aux gestes répétés à date fixe, en mémoire ou en l’honneur de tel ou tel saint, martyre, divinité ou figure mythique… peuvent être appréhendées sous l’angle de la notion d’immaté- riel. Si l’on a pu souvent considérer d’un point artistique ces évènements ou les objets qui s’y rapportent, il ne faut pas oublier que ceux-ci sont avant tout des objets ou des manifestations cultuels, des symboles spirituels, exposés, photographiés, enregistrés, et conservés dans les vitrines des musées occi- dentaux qui semblent les présenter comme des témoins d’évolutions artis- tiques. Ces objets connaissent effectivement une évolution, des variations sty- liques, mais ils conservent, avant tout, un statut bien défini, souvent fonc- tionnel qui est lié à une manifestation spirituelle : ces artefacts (grigris, costumes, chapelets, figures processionnaires, danses, chants...) servent ainsi une croyance, ou participent d’une ferveur collective.

Considérés hors contexte, l’ensemble de ces productions ne véhiculent plus de dimension immatérielle et se coupent de toute évolution stylistique, dès lors qu’ils n’évoluent plus en parallèle d’une tradition - elle-même en perpé- tuelle mutation. Il en est ainsi des danses et des chants qui sont directement issus d’une transmission orale par définition immatérielle et qui est davantage liée à une croyance plutôt qu’à un concept. Parce qu’elle est liée à une culture qui n’est pas restée archaïque, la produc- tion immatérielle transmise oralement est naturellement mouvante et en évolution permanente ; elle refuse d’être figée, c’est pourquoi, il peut sem- bler incongru de définir le style d’une danse ou d’un chant selon des critè- res plus ou moins contemporains et d’interrompre, ainsi, une évolution naturelle qui a su adapter ses traditions à des exigences contemporaines ; « conserver » ces manifestations à un moment précis de leur histoire, ce serait « fossiliser » ces expressions fluctuantes en interrompant leur évo- lution et faire de leurs re-présentations de simples commémorations qui auraient perdu et leur identité et leur dimension spirituelle. C’est ainsi que, dans certains groupes, le touriste peut déjà assister à tout moment de l’an- née à des défilés « rituels » en costume et en musique, dépourvus de toute ferveur, la célébration étant devenue un spectacle.

≠ En marge des manifestations spectaculaires, il faut noter que certains gestes quotidiens semblent également liés à une transmission séculaire : ainsi la construction du Temple d’Isé au Japon procède d’une tradition architecturale transmise de générations en générations. Lorsqu’il se dégra- de, plutôt que d’être conservé et restauré, il est détruit ; il est alors recons- truit selon des techniques ancestrales, au rythme de chants et de séances méditatives, qui perpétuent la transmission d’un savoir-faire : ici, c’est véri- tablement le côté immatériel qui accompagne la construction du temple ainsi que la transmission d’une technique qui priment sur l’existence concrè- te du temple.

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A l’instar des œuvres contemporaines occidentales conceptuelles qui emploient des objets en guise d’assise matérielle à une idée, les manifesta- tions, citées ici en exemple, reposent sur une tradition, donc sur la transmission d’un immatériel que les objets rappellent, évoquent mais n’ex- priment pas toujours, à moins d’être directement investis d’une symbolique et d’une croyance singulière. Ces objets que les musées conservent - comme on expose les vestiges des œuvres d’art-action ou des installations - sont le pendant de manifestations ritualisées mais n’en sont pas le cœur. Cependant, il semble qu’aujourd’hui, on remette en question notre manière de conserver ces réalisations dont on mesure mieux la part d’immatériel sur laquelle repose une grande partie de notre patrimoine.

≠ En 2003, l’UNESCO a rédigé une convention sur la sauvegarde du patri- moine immatériel, voici comment elle définit celui-ci : Article 2 : Définitions

Aux fins de la présente Convention, 1. On entend par "patrimoine culturel immatériel" les pratiques, représentations, expressions, connaissances et savoir-faire - ainsi que les instruments, objets, artefacts et espaces culturels qui leur sont associés - que les communautés, les groupes et, le cas échéant, les individus recon- naissent comme faisant partie de leur patrimoine culturel. Ce patrimoine culturel immatériel, transmis de génération en génération, est recréé en perma- nence par les communautés et groupes en fonction de leur milieu, de leur interaction avec la nature et de leur histoire, et leur procure un sentiment d'identité et de continuité, contribuant ainsi à promouvoir le respect de la diversité culturelle et la créativité humaine. Aux fins de la présente Convention, seul sera pris en considération le patrimoine culturel immatériel conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l'homme, ainsi qu'à l'exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, et d'un développement durable.

2. Le "patrimoine culturel immatériel", tel qu'il est défini au paragraphe 1 ci-dessus, se manifes- te notamment dans les domaines suivants : (a) les traditions et expressions orales, y compris la langue comme vecteur du patrimoine cultu- rel immatériel ; (b) les arts du spectacle ; (c) les pratiques sociales, rituels et événements festifs ; (d) les connaissances et pratiques concernant la nature et l'univers ; (e) les savoir-faire liés à l'artisanat traditionnel.

3. On entend par "sauvegarde" les mesures visant à assurer la viabilité du patrimoine culturel immatériel, y compris l'identification, la documentation, la recherche, la préservation, la protec- tion, la promotion, la mise en valeur, la transmission, essentiellement par l'éducation formelle et non formelle, ainsi que la revitalisation des différents aspects de ce patrimoine.

Ce dernier point précise le terme de « sauvegarde » qui semble évacuer la conservation-restauration au profit de la seule préservation. Cette dernière passerait par le respect de la transmission de cet héritage culturel immaté- riel. A ce titre, il semble que cette notion de sauvegarde - et, avec elle, la mission de perpétuation - connaît des parallèles étroits avec certaines créa- tions contemporaines.

L’immatériel prend peut-être ici une valeur plus rationnelle que dans l’uni- vers artistique occidental contemporain où il est davantage conceptualisé,

-245- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

voire théorisé, alors que ce qui relève du patrimoine immatériel est l’af- faire de tous, est constitué d’un ensemble de pratiques où l’immatériel s’exerce inconsciemment (rituels religieux mis à part) et naturellement par transmission, par filiation. « La langue » est ainsi le médium univer- sel et indispensable à la perpétuation de la tradition ; « les pratiques sociales, les rituels, les commémorations, et les célébrations » sont des événementiels institués qui suivent des directives immuables, inscrites au sein d’un calendrier commun à une population.

Dans l’univers de l’art occidental, les vernissages font en quelque sorte office de rituels ponctuels et variés, parce que délibérément très théâtralisés…

Quelle que soit l’approche que l’on peut avoir de l’immatériel dans le domai- ne très large du patrimoine ou dans la frange très restreinte de l’art contem- porain occidental (elle-même faisant partie du patrimoine), les problèmes concernant sa pérennisation se recoupent ; il me semble qu’à l’avenir, les propositions faites en la matière par les conservateurs chargés de la sauve- garde du patrimoine immatériel devront être des sources d’inspiration et de mises en parallèle possibles avec les productions artistiques contemporaines impermanentes et/ou performatives. C’est d’une réflexion commune que pourront peut-être surgir alors des solutions pertinentes afin d’offrir aux générations futures la possibilité de découvrir cette richesse et surtout de leur permettre de la transmettre.

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-247- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

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ANNEXE 2

ÉTUDES DE CAS

Richard BAQUIÉ Ballon, évènement du 29 mars 1982 - Documents relatifs à l’achat de l’œuvre par le FRAC PACA p.250

Artur BARRIÒ Interminavel (Gand 2005) - exemple d’un constat d’état p. 254 - plans relatifs au montage de l’exposition de Gand (Juin 2005) p. 260 - questionnaire proposé lors de la table ronde p. 268 - réponses au questionnaire rédigé par Kathleen Wijnen et Anita Durand p. 269

Marina ABRAMOVIC - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Art must be beautiful, artist must be beautiful p.272

Andrea SAEMANN - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Ausflug in die fresken p. 282 - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Eisblock p. 292

-249- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Extraits de documents complémentaires acquis durant la réunion du 4 juillet 2006

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-251- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-252- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

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Condition Report for Paintings

1. IDENTIFICATION

Artist: Artur Barrio

Object: Interminável / Part ‘wall-painting’

Date: 2005

Inventory number:

0wner/ collection: SMAK - Gent

Location: Room 11 and cabinets right

Dimensions: height: broadness:

Former restoration/ former measures: O document, paper, report O executive

2. MATERIALS

FRAME CHASSIS SUPPORT PREPARATION PICTORIAL PROTECTION LAYER LAYER LAYER

| absent | absent | line | absent | ink | absent | wood | wood | cotton | water-bearing | acrylics | present | metal |metal | paper | oil-bearing | charcoal | natural | synthetic |synthetic | | others: | coffee | material material synthetic powder synthetic | others: | others: | wood | coffee & water mixture | pictorial | others | traces of layer: gold- clay leaf/ paint/ varnish

3. CONSTRUCTION/ARRANGEMENT

| classic | combined with...... construction | staples | nails | others. mural......

COMMENTS ABOUT MATERIALCONSTRUCTION AND ARRANGEMENT

1. The texts are written with fat markers, the artist fills them up with ink when they’re empty. These markers and ink the artist brought from Brazil. (writing material see photo) For the text and drawings in the heights the artist fixes his marker at the end of a long and flexible bamboo stick. Text is sometimes chopped away. In one place (wall X) the text is painted over with white wall paint. 2. The charcoal is used to draw lines and scrawls which sometimes are cut or chopped away. 3. On various places the artist cuts in the walls with hammer, chisel and axe. (cutting material see photo) Sometimes he cuts away text or scrawls. And some of the cuts or holes are later filled with coffee powder. 4. The artist rolled balls of clay. He threw them against wall G & H in Room 11 were they remained. The next day, when the balls dried out they fell on the floor. What remains are traces of clay. 5. Against wall Q the artist splattered with a coffee & water mixture. The results are brown/yellowish traces and drips. Before these wet spots totally dried he threw coffee powder over it that here and there sticks.

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4. SCETCHES/DIAGRAMS

Front Back

photos- Anita Durand

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-256- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

6. INFORMATION AND CONTACTS

O Reconstruction O closer verification on the arthistorical O closer verification on the material-technical O Instruction of treatment of the artist O written O verbal O tests for a possible treatment O treatment under direct management O in co-operation with externs: proposal:……………………………………

7. REGISTER OF MEASURES (conservation-card)

to execute date urgent desirable - basic cleaning - thorough cleaning - partial cleaning - consolidation - reconstruction of the original - restretching - treatment of deformation - replacement of keys - supporting construction - new stretcher - new framing - hanging system - fillings - retouches - protecting coating - disinfecting of mould - insect control - measures of conservation

- measures of restoration

- packing

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8. GENERAL COMMENTS

9. REFERENCES

9.1. PRESENTATION O installation plan/ guidelines O hanging O standing O free (standing) O with plinth O needing a plinth O accessories/aids:………………………………… ……………………………………………………….. O persons with practical knowledge 9.2. CONSERVATION O guidelines for temperature: O guidelines for humidity: O guidelines for lighting: 9.3. STORAGE O supporting construction O no supporting construction O keep free of dust O storagepacking O necessary special storage packing 9.4. MANIPULATION O amount of persons needed:…………………….. O aids:……………………………………………….. ……………………………………………………….. O special care to:…………………………………… ……………………………………………………….. ……………………………………………………….. ……………………………………………………….. ……………………………………………………….. 9.5. PACKING O climate-crate O basic crate O storage packing O none O necessary to build

10. GUIDELINES FOR PACKING

Carrying out by: Date:

11. PHOTOGRAPHS

12. TREATMENT REPORT

13. ENCLOSURES

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-259- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Légendes des quelques plans qui retracent ici le montage d’Interminavel réalisé au S.M.A.K. de Gand du 20.06.2005 au 1.07.2005

-260- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

11,20 m

8,95 m

22.06.2005

-261- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

11,20 m

8,95 m

24.06.2005

-262- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

11,20 m

8,95 m

29.06.2005

-263- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

14m

24,69m

-264- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

14m

24,69m

-265- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

14m

24,69m

-266- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

14m

24,69m

-267- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

ARTUR BARRIÒ – questionnaire de la table ronde (Frederika HUYS, 28 juin 2005)

Réinstallation

Souhaitez-vous re-présenter de nouveau cette œuvre ? Envisagez-vous qu’un membre du S.M.A.K. participe à sa réinstallation ? Si oui, qui pourrait-il faire ? Si non, qui documentera l’œuvre ? Quelle est la relation entre votre œuvre et le Caderno libro ? Envisagez-vous de la rendre publique ? Qu’arrivera-t-il lorsque vous ne serez plus en mesure de réinstaller l’œuvre ?

Conservation

Quels éléments sont temporaires et ceux qui sont pérennes ? Ces éléments seront-ils transportés lors d’autres expositions ? Si les autres matériaux doivent être remplacés, doivent-ils être identiques ?

Maintenance au S.M.A.K. (juillet- septembre 2005)

Est-ce que le parcours du public sur les plages de café est partie intégrante de l’œuvre, ou doit-on quo- tidiennement reconstituer ces zones ? Quid des papiers dans la deuxième salle ? Quid de la montagne de pain ? Le public est-il autorisé à emmener du pain chez lui ? Quid de la position des câbles ? Si le public est amené par inadvertance à marquer le mur de traces de fusain, doit-on les laisser ou les effacer régulièrement ? Est-ce que la télévision doit être toujours allumée sur la même chaîne ?

-268- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

RÉPONSES AU QUESTIONNAIRE RÉDIGÉ PAR KATHLEEN WIJNEN ET MOI-MÊME, REÇUES PAR MAIL EN JUILLET 2005.

De la maintenance de l’œuvre au S.M.A.K.

1. Est-ce que le parcours du public sur les plages de café fait partie intégrante de l’oeuvre, ou doit-on quotidiennement reconstituer ces zones? 2. Quid des papiers dans la deuxième salle? 3. Quid de la montagne de pain? Le public est-il autorisé à emmener du pain chez lui? 4. Quid de la position des câbles? 5. Si le public est amené par inadvertance à marquer le mur de traces de fusain, doit-on laisser ou effa- cer régulièrement ces traces? 6. Est-ce que la télévision doit être toujours allumée sur la même chaîne?

1. Il en a pas de partie intégrante de l’oeuvre,...... pour ce qui me touche il faut rien reconstituer. 2. La même chose. 3. S’il le veut, oui...... , il peut aussi le manger. 4. Les câbles sont au saveur du déplacement journalier. 5. Si c’est une inadvertance de qualité il faut le laisser. 6. Toujours en noir et blanc et off (sans son ),mais elle peut être allumée sur d’autres chaînes dès que flamandes (flamengas).

Matériaux

1. Quelles sont les raisons du choix de vos matériaux? (Symbolique, idéologique, ou purement plas- tique...) 2. Les matériaux que vous utilisez (comme la glaise, le café, la laque des Indes,..) répondent-ils à des caractéristiques particulières de couleur, de texture, d’odeur, 3. Depuis quand utilisez-vous tel ou tel matériau? Et pourquoi? Y a-t-il eu des évolutions significatives dans l’emploi ou l’abandon de certains d’entre eux? 4. Y a-t-il un lien entre les matériaux employés pour cette oeuvre et vos travaux antérieurs où l’on peut retrouver l’usage des mêmes éléments?

1. Toutes les raisons. 2. Oui. 3. À partir de 1969...... 1970...... etc. Les matériaux reviennent de temps en temps, pas des abandons. 4. Quelques variantes

-269- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Conservation

1. Souhaitez-vous re-présenter de nouveau cette oeuvre? 2. Envisagez-vous qu’un membre du SMAK participe à sa réinstallation? Si oui, que pourrait-il faire? Si non, qui documentera l’oeuvre? 3. Quelle est la relation entre votre œuvre et le caderno libro? Envisagez-vous de le rendre publique? 4. Quels éléments pourront être réutilisés ? Si les autres matériaux doivent être remplacés, doivent-ils être identiques? 5. Si votre œuvre peut-être considérée comme une œuvre éphémère, envisagez-vous, néanmoins aujourd’hui, sa conservation et sa re-présentation ? Et si oui, comment ? Prenez-vous en compte ces paramètres lors de la création de l’œuvre ? 6. Qu’arrivera-t-il lorsque vous ne serez plus en mesure de réinstaller l’oeuvre? 7. Quel est votre avis sur la ré-interprétation des oeuvres?

1. Non...... pas tel. 2. Impossible réinstaller. 3. Quelques aperçus. Oui. 4. Les câbles électriques...... , pourront l’être dès que. Pas de tout, rien n’est identique. 5. Non. 6. Rien. 7. Fausse.

-270- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-271- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-272- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

The piece 3. TitleArt must be beautiful, artist must be beautiful

4. Author(s)Marina Abramovic

5. Dates and locations of its past presentations Museum of Modern Art, New York,September 16, 2005 – March 16 2006

6. Description of the performance I brush my hair with a metal brush in my right hand and simulatneously comb my hair with metal comb in my left hand.

While doing so, I continuously repeat : « Artst mube beautiful, artist must be beautiful : until I hurt my face and damage my hair. Duration : 1 hour Charlottenburg Art Festival, Copenhagan

7. The way it is shown now A Archives/documents A Video/film-- YES A Pictures A Sound A texts A other (please, be precise)

8. What is left of the past performance ? (please, include some documents) Nothing left of the past performance. I made one video and I show this as a video installation.

The acquisition 9. What was really sold to the institution ? A a video-- YES A a statement-- YES A a picture A sketches A a relic A other (please, be precise)

-273- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

10. Is it the first time you(the artist)has sold one of your(his) performances ? A No, please give the name of the owner(s) I have sold many works in 35 years of myeer. car I don’t keep the lists of collectors. The galleries keep the lists.

Specifically, Art Must be Beautiful, Artist beMust beautiful has been sold to the Museum of Modern Art.

A Yes (A I do not know)

11. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … considered as : A the piece in itself-- ? YES A a documentation and a part of the piece ? A a simple documentation ? (A I do not know) Comments The value of the video Art Must Be Beautiful, Artist Must Be Beautiful is 70,000 Euros. It is an edition of 5 videos + 2 artist proofs.

12. Who madethis evidence ? A You(the artist) A members of the public A an assistant A other (please, develop) (A I do not know) A cameraman was hired to make a video recording of the performance.

13. Are there some relics, meaning some objects that have been used during the performance ? A Yes A No (go to question 14)n° metal brush and metal comb I no longer have them. Nobody has them. I don’t keep any relics from this performance.

-274- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

What is their value? A archives A the piece in itself-- YES A a documentation and a part of the piece ? A other (please, explain) (A I do not know)

The frame of the (re)presentation(s) 14. Was the performance presented during ? A a collective display ? please precise the theme in this meeting It was made during a performance festival.

A a personnal exhibition (please be precise)

(A I do not know)

15. If it was during a collective display, who were the other participants ? (A I do not know) I don’t remember. It was in 1975.

The context 16. Did the economical, political, social, historical, context have an importance for the meaning of the piece ? A Yes, (please explain what kind)

A No –No, no extra meaning (A I do not know)

-275- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

17. Were the date(s) and the duration of performance an importance ? A Yes, (please, be precise)

A No (A I do not know) The date was not important but the duration was important.

18. Was the performance presented to a specific audience ? A Yes, (please, explain)

A No – No, just the general public who came to the festival. (A I do not know)

The development 19. Did the performance refer to a script, or is it a pure improvisation ? please, be precise Performance was related tostructions in written before.

(A I do not know)

20. Did the public participate to the action ? A Yes, (please, explain how)

A No – no public participation (A I do not know)

-276- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-277- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

25. Could certain objects be replaced by similar and contemporary ones ? A Yes, (please, precise which one)Every object I used in the performance could be replaced by another one bought at the time of the performance.

A No, why ?

(A I do not know)

26. Could they be used again for a re-presentation ? A Yes, why ?

A No, why ? No because I don’t have them.

(A I do not know)

The place 27. Was the place important ? A No, why ? No because I perform wherever I have been invited.

A Yes, why ? please precise the geography and how it was arranged ? How big was the space?... please, describe the place

(A I do not know)

The sound 28. Are there some sounds in this performance ? Or is there a way to modulate or create sounds during the performance ? A Yes, please explain if there is a partition or a special way to use the sound all along the piece The sound was only my voice, recorded on the video.

A No (go to question n30)°

(A I do not know)

-278- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-279- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

33. In which context, did you(the artist) re-present your(his) performance ? A a galery– YES. Only the video was shown again. A a festival A a exhibition in a museum– YES. Only the video was shown again. A other (please, be precise) (A I do not know)

34. Was the performance re-presented each time as similar as the first one ? Or was it reinterpreted ? It was redone in part in the theater piece The Biography.

(A I do not know)

35. Was it re-presented with the sameicipants part and in the same context? A Yes, A No, please precise who they were, why the context has changed,… Context was changed because it wasa theater piece about my life.

(A I do not know)

The re-presentation 36. Could you(the artist) imagine re-presenting this performance ? A Yes, why ? Yes because a performance can be represented like a music score.

A No, why ?

(A I do not know)

Could you(the artist) precise who couldre-perform your(his) performance in the future, or would you(the artist) accept that a restorer chooses the new participiant(s) ? Yes because a performance can be represented like a music score.

(A I do not know) 37. Do(es) you (the artist) wish to be informed beforepublic a re-presentation of your(his) work ? A Yes –Anyone who wants to reperform the piecehas to ask the artist for permission and pay the rights, the same as for a music score or play. A No (A I do not know)

-280- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Who could we contact after your (his) decease to legitimate re-presentations of this performance? The artist’s foundation will represent the artist after her death.

(A I do not know)

38. Did someone already try to re-perform this performance ? A Yes, please precise where and when Yes, five young artists in Amsterdam in 1998. I don’t remember the details.

A No A I do not know

If yes, were (was) you (the artist) satisfied by it ? A Yes, why ? I was not asked for permission and I didn’t see the piece.

A No, why ?

(A I do not know)

39. Remarks and documentation

Date 02.05.2006 Signature MarinaABRAMOVIû

-281- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-282- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

with the frescoes (described in the first part) and one (temporary) drawing of the artist Monika Dillier.

I tell about walks around Sarnen, the landscape frescoes in the Galerie Hofmatt, and Brother Klaus. In the congregation hall, a few steps away from the frescoes, I construct a new space with words and gestures. I investigatethe facts that architecture blocks our view of nature and that landscape painting re-opens the constructed indoor space. I recognize the Mystics as forerunners of Performance Art. Both are based on the search for Realization throughrect di experience. It is in this sense that I can understand why Brother Klaus, in his greatneed, was driven to the contemplation of Christ's suffering in his hermitage. I tell about various ways of breaking out of and changing one's life. At the end I sing a song for the drawingthat Monika Dillier executed on the wall, where a woodstove used to stand in the fresco room.

Duration : 45 minutes

7. The way it is shown now x Archives/documents x Video/film x Pictures A Sound x texts A other (please, be precise)

8. What is left of the past performance ? (please, include some documents)

-the invitation card -one or two photographs -a videotape of the whole performance -(a documentation video of the fresco room)

The acquisition 9. What was really sold to the institution ? nothing A a video A a statement A a picture A sketches A a relic A other (please, be precise)

-283- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

10. Is it the first time you(the artist)has sold one of your(his) performances ? it would be the first time if it would be sold…. A No, please give the name of the owner(s)

A Yes (A I do not know)

11. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … considered as : A the piece in itself1'000.--CHF A a documentation and a part of the piece ? A a simple (video) documentation60.--CHF (A I do not know) Comments

12. Who madethis evidence ? A You(the artist) x members of the public x an assistantcalled Iris Beatrice Baumann (she is artist herself) A other (please, develop) (A I do not know)

13. Are there some relics, meaning some objects that have been used during the performance ? A Yes X No (go to question 14)n°

What is their value? A archives A the piece in itself A a documentation and a part of the piece ? A other (please, explain) (A I do not know)

-284- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

The frame of the (re)presentation(s) 14. Was the performance presented during ? x a collective display ? please precise the theme in this meeting

it was presented within our exhibition "bin zu dorff gesyn" exhibition and events conceived, organizedand realized from Monika Dillier and Andrea Saemann in the «Galerie Hofmatt», Sarnen, Switzerland

On the 25.3.2004 we organized an event with several scientific talks and speeches about the mystics, and mystical appearances, and my performance was one contribution within this context. (Brother Klaus is the only swiss being spoken holy by the pope)

A a personnal exhibition (please be precise)

(A I do not know)

15. If it was during a collective display, who were the other participants ? (A I do not know) Monika Dillier (conception ofe wholeth exhibition and events)

For the event of the 27.march 2004, wevited in the following people to contribute : Alexander Rischer (artist, Hamburg, heoke sp about«Stigmatorische Ideoplastik») Monika Gsell (psychoanalyst, Zürich) Ines Mateos (scientist for literature, , she spoke about «Schmerz und Grenzüberschreitung — Mystik und unbewusste Phantasie», about pain and the transgression of boarders — mystics and the unconscious phantasy)

The context 16. Did the economical, political, social, historical, context have an importance for the meaning of the piece ? x Yes, (please explain what kind)

Sarnen is a city in the middle of Switzerland.It belongs to the Kanton Obwalden, which is one of the 3 most ancient of the swissKantone to build Switzerland in 1291. Brother Klaus (Niklaus von der Flüe) lived 1417-1487from in that area and became the only swiss saint in the beginningof the thwentieth century. The Galerie Hofmatt is situated in an old house in Sarnen, the fresco in one room shows the place where Brother Klaus lived after he his left family and people started to make pilgrimages to see him and ask his advice.

I placed my thoughts about the experience of the mystic and the doing of performance art within this social, historical and geographical context, which meant : the old house of the gallery, the life of Brother Klaus (he was toldhave to left his family when he was 50 years old and the live nearby in a small hut praying and not eating anything anymore for the next twenty years) and the landscape around that place as depicted in the fresco.

A No (A I do not know)

-285- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

17. Were the date(s) and the duration of performance an importance ? A Yes, (please, be precise)

x No (A I do not know)

18. Was the performance presented to a specific audience ? x Yes, (please, explain) Monika Dillier grew up in Sarnen, so ither was home town, which meant that meany people from her family were present debesi the gallery-goers from Sarnen.

A No (A I do not know)

The development 19. Did the performance refer to a script, or is it a pure improvisation ? please, be precise

it referred to the painted fresco, to experience i made walking in the depicted landscape, and of information i gathered our of books about Brother Klaus.

(A I do not know)

20. Did the public participate to the action ? A Yes, (please, explain how)

x No (A I do not know)

21. Did the age, the sex, the clothes, the relationships, others,… of the participants have an importance? A Yes, Why ? What kind of parameters were important ? (please, develop)

x No (A I do not know)

-286- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-287- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-288- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-289- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

The re-presentation 36. Could you(the artist) imagine re-presenting this performance ? A Yes, why ?

x No, why ? it would be just possible for parts (the first two parts) of it.

(A I do not know)

Could you(the artist) precise who couldre-perform your(his) performance in the future, or would you(the artist) accept that a restorer chooses the new participiant(s) ? Open, everybody interested to do so.

(A I do not know)

37. Do(es) you (the artist) wish to be informed beforepublic a re-presentation of your(his) work ? x Yes A No (A I do not know)

Who could we contact after your(his) decease to legitimate re-presentations of this performance? Bildwechsel (women artists archive in Berlin)

(A I do not know)

38. Did someone already try to re-perform this performance ? A Yes, please precise where and when

x No A I do not know

If yes, were(was) you (the artist) satisfied by it ? A Yes, why ?

A No, why ?

(A I do not know)

39. Remarks and documentation

Just let me know, if you wish more documentary material about this performance. Maybe you would need translation as well, fromswiss german into french or english.

Date 14.Mai 2006 SignatureAndrea Saemann

-290- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-291- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-292- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

7. The way it is shown now x Archives/documents A Video/film x Pictures A Sound A texts A other (please, be precise)

8. What is left of the past performance ? (please, include some documents)

some photographs table

The acquisition 9. What was really sold to the institution ? nothing A a video A a statement A a picture A sketches A a relic A other (please, be precise)

10. Is it the first time you(the artist)has sold one of your(his) performances ? A No, please give the name of the owner(s)

A Yes (A I do not know)

11. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … considered as : A the piece in itself ? x a documentation and a part of the piece photographs,100.— CHF each A a simple documentation (A I do not know) Comments

12. Who madethis evidence ? A You(the artist) x members of the public, Simone Fuchs, Hagar Schmidhalter (both artist friends of mine) A an assistant A other (please, develop) (A I do not know)

-293- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

13. Are there some relics, meaning some objects that have been used during the performance ? x Yes A No (go to question 14)n°

What is their value? x archives A the piece in itself A a documentation and a part of the piece ? A other (please, explain) (A I do not know)

The frame of the (re)presentation(s) 14. Was the performance presented during ? x a collective display ? please precise the theme in this meeting

as an event during the « portes ouvertes » weekend in Basel 2002 (open studios ofll a Basel artists)

A a personnal exhibition (please be precise)

(A I do not know)

15. If it was during a collective display, who were the other participants ? (A I do not know)

see flyer of the portes ouvertes Basel 2002

The context 16. Did the economical, political, social, historical, context have an importance for the meaning of the piece ? x Yes, (please explain what kind) social context, at that time i was falling in love with the other artist geographical context, the house we performed in was called the glass house and was situated at the edge of the river Rhine

A No (A I do not know)

17. Were the date(s) and the duration of performance an importance ? x Yes, (please, be precise) it needed the time, the bloc would melt, so that in the middle there would be a hole to look through and feel each other breathing

A No (A I do not know)

-294- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

18. Was the performance presented to a specific audience ? x Yes, (please, explain) basel artists coming to the final party at the end of portes ouvertes

A No (A I do not know)

The development 19. Did the performance refer to a script, or is it a pure improvisation ? please, be precise

it was just the concept. To breath onto a piece of ice, sowould it melt, until our breathing would meet

(A I do not know)

20. Did the public participate to the action ? A Yes, (please, explain how)

x No (A I do not know)

21. Did the age, the sex, the clothes, the relationships, others,… of the participants have a importance? A Yes, Why ? What kind of parameters were important ? (please, develop)

x No (A I do not know)

The materials 22. Did the performance require props, extra materials ? x Yes A No (go to question n27)° (A I do not know)

-295- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-296- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-297- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-298- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Could you(the artist) precise who couldre-perform your(his) performance in the future, or would you(the artist) accept that a restorer chooses the new participiant(s) ?

Anybody interested to live the experience

(A I do not know)

37. Do(es) you (the artist) wish to be informed beforepublic a re-presentation of your(his) work ? x Yes A No (A I do not know)

Who could we contact after your(his) decease to legitimate re-presentations of this performance? Bildwechsel (women artists archives in Hamburg)

(A I do not know)

38. Did someone already try to re-perform this performance ? A Yes, please precise where and when

x No A I do not know

If yes, were(was) you (the artist) satisfied by it ? A Yes, why ?

A No, why ?

(A I do not know)

39. Remarks and documentation

let me know if you do want more of the photographs

Date 14.5.2006 Signature Andrea Saemann

-299- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-300- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

ANNEXE 3

QUESTIONNAIRES Questionnaire acquisition -installation p. 302 (conçu par le groupe de recherches conduit par Pascale SAMUEL) Questionnaire à l'intention des artistes performers p. 308 Questionnaire relatif aux œuvres performatives p. 313 (qui viennent d'être acquises) en vue de leur re-présentation Questionnaire à l'intention des artistes de l'Installation p. 322 Quelques réponses aux questionnaires destinés aux performers p. 327

-301- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006 Questionnaire acquisition – installation Vos réponses à ces questions ont pour but de nous aider à présenter et à préserver votre oeuvre dans les meilleures conditions possibles. Pouvez-vous nous transmettre tout type de document (fiche technique, plan de montage, notes d’intention, photographie(s),... ) susceptible de nous renseigner sur la réalisation de l’oeuvre en vue de sa ré-installation. Si votre oeuvre a déjà fait l’objet d’un texte critique, d’un descriptif et/ou d’une présenta- tion visuelle dans une publication, veuillez nous donner copies de ce(s) document(s) en nous précisant sa/leur provenance. Nous vous serions reconnaissant de joindre votre biographie à ce questionnaire.

Fiche documentaire

Questionnaire : Questionnaire rempli : Date : par l’artiste autre, préciser :

en présence de l’artiste à distance par fax par téléphone par e-mail par courrier Remarques :

Œuvre : Auteur (nom patronymique et prénom patronymique) : Nom d’artiste : Titre principal : Sous-titre : Date de réalisation : Dimensions (HxLxP) : En exposition : En réserve : Poids : <50kg 50>100kg >100kg Nombre d’éléments : Liste des documents joints :

-302- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Choix des matériaux et des fournisseurs

1. Si votre installation comporte des éléments réalisés par vos soins : Listez ces éléments et précisez les matériaux et la technique :

2. Si votre installation comporte des éléments réalisés par un tiers : Listez ces éléments et précisez le corps de métier si nécessaire et les coordonnées :

3. Si votre installation comporte des éléments manufacturés : Listez ces éléments et précisez la marque et les fournisseurs spécialisés si c’est important :

Raisons de vos choix

S’ils ont été modifiés pour l’installation, précisez leur modification :

4. Si votre installation comporte des éléments trouvés : Listez les objets ou matériaux trouvés.

S’ils ont été modifiés pour l’installation, précisez

5. Si votre installation comporte un ou des appareils électriques : Si votre installation comporte des éléments électriques en marche et visibles comme partie intégrante de l’œuvre, indiquez la marque et le fournisseur spécialisé éventuel :

Le son de ces appareils en marche a-t-il son importance ? oui non

Dans le cas de l’utilisation d’un moteur pour donner un mouvement, précisez la cadence.

-303- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Processus créatif et mise en œuvre

6. L’œuvre a-t-elle été réalisée dans un contexte particulier ? Si oui lequel ? Dans le cas d’une coproduc- tion pouvez-vous nous préciser le nom des coproducteurs ?

7. Si, avant son achat, l’œuvre a fait l’objet d’une ou de plusieurs présentations, veuillez-nous l’indiquez leurs lieux et dates.

8. Si l’œuvre a subi des modifications au cours de ces présentations antérieures, précisez lesquelles, pourquoi, où et quand ?

9. Si cette installation se rattache par sa technique, ses matériaux ou son sujet, à une ou d’autres oeuv- res, veuillez nous préciser leur titre et leur date de création, ainsi qu’éventuellement leur attachement à une collection.

10. Avant sa réalisation, l’œuvre a-t-elle fait l’objet d’étude(s), de maquette(s) oui non

Pouvez-vous nous précisez, si nécessaire, le ou les processus de réalisation ?

11. Pour la fabrication de l’œuvre avez-vous eu recours à des assistants? oui non Sont-ils susceptibles de nous aider en vue de la ré-installation? oui non Vos remarques :

-304- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Installation et entretien

12. L’œuvre a-t-elle un plan de montage et d’installation ? oui non

13. L’installation relève-t-elle : d’un protocole (partition, trame, scénario,…) ? d’une improvisation ? des deux ? ( Je ne sais pas)

14. En l’absence de plan de montage, pouvez-vous nous décrire l’ordre d’assemblage des éléments et/ou matériaux ?

15. Autorisez-vous l’interprétation de cette installation par autrui ou est-il nécessaire de faire appel à vous à chaque réinstalaltion ? oui non

16. Y’a-t-il déjà eu des (tentatives d’) interprétations de cette pièce ? Oui, veuillez préciser dans quel cadre et quand

Non Je ne sais pas

17. Quelles sont vos exigences de présentation ou d’accrochage?

18. Si l’œuvre a une surface d’exposition minimum ou maximum, précisez :

19. Si cette œuvre nécessite un mode d’éclairage particulier, précisez :

-305- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

20. Si le visiteur a un rôle particulier pendant l’exposition, précisez le contexte et la nature de l’interac- tion avec le public ? Remarques et conseils :

21. Le contexte économique, social, politique, historique, culturel,… avait-il un lien direct avec l’œuvre ? Oui, veuillez préciser

Non ( Je ne sais pas)

22. La date et la durée de la présentation importaient-elles ? Oui, pourquoi ?

Non ( Je ne sais pas)

Vieillissement et restauration

23. Précautions particulières à observer durant l’exposition :

24. Précautions particulières à observer durant le transport ou le stockage :

25. En cas de dommage, listez les éléments qui peuvent être remplacés :

26. En cas de dommage, listez les éléments qui peuvent être restaurés :

-306- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

27. En cas de panne de moteur pouvons-nous remplacer les pièces ? oui non

28. En cas de restauration souhaitez-vous être consulté ? oui non

29. Quel est votre sentiment à l’égard du vieillissement des matériaux ?

30. Le vieillissement fait-il partie intégrante de cette oeuvre ? Vos remarques et vos conseils :

Date Signature

-307- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire à l’intention des artistes performers

Ce questionnaire a pour vocation d’être un outil de travail dans le cadre de la conservation et de l’éventuelle restauration des œuvres performatives. Le recollement par écrit de vos remarques, prises de position, suggestions, sur ce sujet permettra une meilleure approche de votre œuvre dans l’avenir et ce, en vue de sa possible réexposition. Il vise essentiellement à recueillir votre sentiment sur la « restauration » des oeuvres d’art-action, sur sa légitimité, sa méthode, son sta- tut.

Vous-même 1. Coordonnées

L’acquisition 2. S’il vous est arrivé de vendre une de vos actions, sous quelle forme l’avez-vous fait ? Vidéo Statement, protocole, trame, partition,… Photographie autre (veuillez préciser)

3. De quelle manière montre-t-on aujourd’hui vos actions ? À travers des vidéos À travers des photos À travers des témoignages Autres (veuillez préciser)

4. Quel est le statut de ces moyens de « diffusion » de l’action? Les dessins, vidéos, photos, ou enre- gistrements sont-ils à considérer comme : l’œuvre à part entière ? des documents et partie de l’œuvre ? de simples documents/archives ? Autres (veuillez préciser)

-308- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

5. Qui est à l’origine de ces témoignages ? Vous-même Des membres du public Un assistant Autres (veuillez préciser)

6. S’il y en a, les objets résiduels, c’est-à-dire les éléments qui accompagnaient la réalisation de l’action et qui demeurent conservés, ont-ils une valeur seulement documentaire (de mémoire) ? documentaire et constituante de l’œuvre ? d’œuvre- relique ? autre (veuillez préciser)

La re-présentation 7. Avez-vous déjà re-présenté certaines de vos actions ? Non, pourquoi ? (Passez directement à la question n°8)

Oui, dans quel cadre ? Une galerie Un festival Une exposition muséale Autre (veuillez préciser)

Pourquoi avoir re-presenté plutôt que d’avoir créé une nouvelle oeuvre ?

8. Lors d’expositions, la seule monstration des reliques ou des documents relatifs à votre action, vous satisfait-elle ? Oui, pourquoi ?

Non, pourquoi ?

-309- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

9. Etes vous pour ou contre la conservation des traces et des objets-reliquaires? Pour, pourquoi ?

Contre, pourquoi ?

La restauration (on entend ici le terme de restauration en terme de re-présentation publique) 10. Pensez-vous que votre œuvre puisse être « restaurée » ? oui non Sans avis

11. Etes vous pour la « restauration » de votre œuvre ? Oui, pourquoi ?

Non, pourquoi ?

Sans avis

12. Selon vous, où pourrait se situer le rôle du restaurateur face aux oeuvres d’art-action ?

13. Seriez-vous enclin à re-présenter votre action non plus sous la forme d’archives mais sous la forme d’une réédition ? Oui, dans quelles conditions ?

Non, pourquoi ? (Le questionnaire s’arrête ici pour vous, merci de le dater et de le signer en bas de page)

Sans avis

-310- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

14. La représentation de l’une de vos actions serait : Une réédition Une reproduction/copie Une réinterprétation Autre, (veuillez préciser)

15. Quel serait la valeur de cette re-présentation ? Une restauration Une commémoration Une nouvelle oeuvre Autre (veuillez préciser)

16. Pensez-vous pouvoir reconduire vous-même cette action de votre vivant ? Oui Non

17. Dans l’absolu pourriez-vous imaginer qu’autrui se charge de re-présenter votre action ? Non, pourquoi ?

Oui, préciser dans quelles conditions ; quels pourraient être le statut de cette personne et sa légitimité ?

18. Dans le cadre de la re-présentation de votre action, pensez-vous qu’il soit légitime d’accompagner celle-ci d’une documentation relative à l’action d’origine ? Oui Non

19. Y’a-t-il déjà eu des (tentatives de) réactualisations de vos actions ? Oui, veuillez préciser par qui, le lieu, la date,…

Non Je ne sais pas

-311- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Si oui, en étiez-vous satisfait ? Oui, pourquoi ?

Non, pourquoi ?

20. Remarques

Date Signature

-312- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire relatif aux œuvres performatives (qui viennent d’être acquises) en vue de leur re-présentation

Ce questionnaire a pour vocation d’être un outil de travail dans le cadre de la conservation et de la restauration des œuvres performatives. Le recollement par écrit de vos remarques, prises de position, suggestions, sur ce sujet permettra une meilleure approche de votre œuvre dans l’ave- nir en vue de sa réexposition. Tout document complémentaire (plan de montage, scénarii, photos, notes,..) à ce questionnaire sera le bienvenu afin d’étayer notre documentation.

Le questionnaire L’artiste Nom, prénom, adresse, téléphone, e-mail…

La personne qui répond au questionnaire si ce n’est pas l’artiste Nom, prénom, adresse, téléphone, e-mail…

Fonction et lien avec l’artiste

Les ayants-droits Nom, prénom, adresse, téléphone, e-mail…

L’institution Nom, adresse, téléphone, e-mail…

L’œuvre 3. Titre

4. Auteur(s)

5. Date et lieu de sa première présentation

-313- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

6. Bref résumé de l’action

7. Support actuel de diffusion de l’oeuvre Archives/documents Vidéo/film Photographies Son Textes Autres (veuillez préciser)

L’acquisition 8. Sous quelle forme vient d’être achetée cette action ? Vidéo Statement- protocole (trame, partition,…) Photographies Documents/croquis objets-reliquaires Autres (veuillez préciser)

9. Avez-vous déjà (l’artiste a-t-il) vendu ou légué d’autres actions ? Oui, nom de l’acquéreur

Non ( Je ne sais pas)

10. Quel est le statut des moyens de diffusion de l’action? Les dessins, vidéos, photos, ou enregistre- ments sont-ils à considérer comme : de simples documents ? documents et partie de l’œuvre ? l’œuvre en soi ? Autre (veuillez préciser) ( Je ne sais pas)

-314- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

11. Qui est à l’origine de ces témoignages ? Vous-même (l’artiste) Des membres du public Autres ( Je ne sais pas)

12. S’il y en a, les objets résiduels, c’est-à-dire les éléments qui accompagnaient la réalisation de l’ac- tion et qui demeurent conservés, ont-ils une valeur seulement documentaire (de mémoire) ? documentaire et constituante de l’œuvre ? d’œuvre- relique ? autre (veuillez préciser) ( Je ne sais pas)

Le cadre de la ou des présentation(s) 13. L’action a-t-elle été présentée pour la première fois au cours d’une manifestation : Collective ? (Veuillez préciser, s’il s’agissait d’une manifestation thématique)

Individuelle ? (Veuillez préciser)

( Je ne sais pas)

14. Dans le cadre d’un évènement collectif, quels étaient les autres participants ?

( Je ne sais pas)

Le contexte 15. Le contexte économique, social, politique, historique, culturel,… avait-il un lien direct avec l’œuvre ? Oui, veuillez préciser

Non ( Je ne sais pas)

-315- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

16. La date et la durée de la présentation importaient-elles ? Oui, pourquoi ?

Non ( Je ne sais pas)

17. L’action s’adressait-elle à un public particulier ? Oui, veuillez préciser

Non ( Je ne sais pas)

Le déroulement 18. L’action relève-t-elle : d’un protocole (partition, trame, scénario,…) ? d’une improvisation ? des deux ? ( Je ne sais pas)

19. Est-ce que l’âge, le sexe, la filiation, l’apparence vestimentaire,… des protagonistes participaient du sens de l’action ? Oui, veuillez préciser les caractéristiques particulières que nécessitaient les protagonistes et la raison de ces conditions.

Non ( Je ne sais pas)

20. Le public participait-il à l’action ? Oui, de quelle manière ?

Non ( Je ne sais pas)

-316- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-317- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-318- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-319- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

La re-présentation 35. Pensez-vous (que l’artiste puisse) pouvoir reconduire vous-même (lui-même) la re-présentation de cette action ? Oui Non, pourquoi ?

( Je ne sais pas)

Si non, souhaitez-vous (souhait-il) émettre des directives quant au choix des protagonistes de cette « restauration » ou autorisez-vous (autorise-t-il) le restaurateur à prendre cette décision? Pourquoi ?

36. Souhaitez-vous (souhaite-t-il) être consulté avant la re-présentation publique de votre (son) action ? Oui Non ( Je ne sais pas)

Et dans l’absolu lors des futures « restaurations » ? Oui Non ( Je ne sais pas) Qui pourrons-nous consulter à ce sujet après votre (sa) disparition ?

( Je ne sais pas)

37. Dans le cadre de la re-présentation de cette action, pensez-vous (l’artiste pense-t-il) qu’il soit légiti- me d’accompagner celle-ci d’une documentation relative à l’action d’origine ? Oui Non, pourquoi ?

( Je ne sais pas)

38. Y’a-t-il déjà eu des (tentatives de) re-présentations de cette pièce ? Oui, veuillez préciser dans quel cadre et quand

Non Je ne sais pas

-320- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Si oui, en étiez-vous (est-il) satisfait ? Oui, pourquoi ?

Non, pourquoi ?

( Je ne sais pas)

39. Toutes remarques seront les bienvenues. Merci

Date Signature

-321- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire à l’intention des artistes de l’Installation

Ce questionnaire doit pouvoir devenir un outil de travail dans le cadre de la conservation, de la restauration et de l’éventuelle re-présentation des installations. Le recollement par écrit de vos remarques, prises de position, suggestions, sur ce sujet permettra une meilleure approche de votre œuvre dans l’avenir et ce, en vue de sa réexposition. Il vise essentiellement à recueillir votre sentiment quant à la possibilité de l’installation de votre œuvre par autrui, voire de son interprétation : vos réponses permettront ou pas, de commencer à statuer sur sa légitimité, sa méthode, et d’authentifier l’objet re-présenté par rapport à l’installation originelle.

Vous-même 1. Coordonnées

L’œuvre 2. S’il vous est arrivé de vendre une de vos installations, sous quelle forme l’avez-vous fait ? Un ensemble d’éléments pérennes Un ensemble d’éléments composites (pérennes et périssables), veuillez préciser Un ensemble d’éléments éphémères Autre (veuillez préciser)

3. Vos œuvres comportent-elles des éléments autographes ? Oui, de quelle nature ?

Non

4. Présentent-elles des éléments performatifs ? (J’entends par là qu’elles peuvent être ou s’accompa- gner d’actions, d’éléments autographes éphémères indéplaçables (telles que des inscriptions sur les murs, …) Oui, de quelle nature ?

Non

-322- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

5. Travaillez-vous avec un assistant ? Oui Non (passez à la question n°7)

6. Quel est son rôle auprès de vous ?

L’exposition 7. De quelle manière montre-t-on vos installations aujourd’hui? À travers leur réinstallation À travers des vidéos À travers des photos À travers des témoignages Autres (veuillez préciser)

8. Comment considérez-vous les éléments qui témoignent de la version originelle de votre œuvre ? Les dessins, vidéos, photos, ou enregistrements sont-ils à considérer comme : l’œuvre à part entière ? des documents et partie de l’œuvre ? de simples documents/archives ? Autre (veuillez préciser)

9. Qui est à l’origine de ces témoignages ? Vous-même Des membres du public Un assistant Autre (veuillez préciser)

La restauration 10. Quelle est votre position quant à la restauration des éléments pérennes, dès lors qu’il y a dégrada- tion ? Pour, pourquoi ? (Passez à la question n°12)

Contre Sans avis

-323- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

11. Envisagez-vous dès lors: de les laisser se dégrader de les remplacer par des éléments identiques de les remplacer par des éléments similaires de les réactualiser autre

La re-présentation 12. Vos installations ont-elles vocation à être re-présentées ? Non, pourquoi ?

Oui

13. Acceptent-elles le prêt d’une institution à une autre ? Non, pourquoi ?

Oui, sous quelles conditions ? (Par exemple, doit-on adapter le lieu à l’œuvre ou inversement ?)

14. tes-vous à l’origine de chaque réinstallation ? Oui, pourquoi ? (Passez à la question n°16)

Non, qui s’en charge ?

Cela dépend, pourquoi ?

15. Quel est le protocole de la réinstallation ? Le suivi d’un plan précis rédigé par vous La présence d’un staff particulier, veuillez préciser La libre interprétation par l’institution des éléments qui lui ont été vendus : dans ce cas qu’attendez-vous de l’interprétation de votre œuvre ?

Autre (veuillez préciser)

-324- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Et après ? 16. Comment envisagez-vous la re-présentation de vote œuvre après votre disparition ? On ne pourra pas la re-présenter (Le questionnaire est fini, veuillez signer et dater)

On pourra la représenter en mon nom parce que j’aurai donné des directives à l’institution parce que j’aurai formé une personne à même de perpétuer la réexposition de mon travail autre

17. Pourriez-vous accepter qu’un « interprète » se charge de réinstaller vos œuvres ? Oui, qui imagineriez-vous dans ce rôle ?

Non, pourquoi ?

18. La re-présentation de vos installations serait : Une réinstallation Une réinterprétation Autre, (veuillez préciser)

Sans avis

19. Quel serait la valeur de cette re-présentation ? Une version authentique de l’œuvre Une commémoration Une nouvelle œuvre Autre (veuillez préciser)

Sans avis

-325- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

20. Y’a-t-il déjà eu des (tentatives de) réinstallations de vos œuvres ? Oui, veuillez préciser par qui, le lieu, la date,…

Non Je ne sais pas

Si oui, en étiez-vous satisfait ? Oui, pourquoi ?

Non, pourquoi ?

21. Y’a-t-il déjà eu des (tentatives de) réinterprétation de vos installations ? Oui, veuillez préciser par qui, le lieu, la date,…

Non Je ne sais

Si oui, en étiez-vous satisfait ? Oui, pourquoi ?

Non, pourquoi ?

22. Remarques

Date Signature

-326- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire for the performers

The goal of this inquisition is to become a tool for the conservation and the « possible » resto- ration of performative pieces. The collection of your remarks, suggestions, opinions, questions on this subject would allow us to have a better approach and understanding of your own piece, in case of its future re-presentation.

1. Personnal information name, adress,phone,e-mail,…

Jeremiah Barber 1116 W Grand Chicago, IL 60622

1.312.850.2185 [email protected]

The acquisition 2. If you had already sold one of your performances, under what form ? a video a statement a photography other (please, develop)

3. How is your work shown today ? X through videos X through pictures X through evidences X other (please, develop)

Preliminary studies, similar to blueprints.

4. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … considered as simple documentation, or as fragments of the piece or as the piece in itself? the piece X one part of the piece a documentation

Comments I make drawings to allow another point of access into an ephemeral piece. Also, I do most « performan- ces » in public, for a non-art viewing audience. I make drawings with the intended art-viewing audience. The different audiences guides the work. It is the first rule to writing, and also to my work, to know the audience that will receive the work. I attempt to make the live experience as visceral and estatic as a sin- gle breath. The after-image is found in the gallery, where the experience is recreated.

327 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

5. Who made that evidences ? X You members of the public an assistant X other (please, be precise)

If not made by me, the photographer is another who is familiar with performance, so that the action of documenting is not distracting but plays a role in the piece.

6. What is the value of the relics, meaning the objets that were used during the performance, if there are some ? X archives the piece in itself other (please, develop)

Mostly relics are for personal studying in my own work. However, sometimes the relic will tell the story of the performance, in which case I am happy to allow it to do so in the gallery context.

The re-presentation 7. Did you already re-present one of your performances ? No, why ? (go to question N°8) X Yes, why ? In which context ? X a galery a festival an exhibition in a museum other (please, precise)

Why did you re-present a piece instead of creating a new one ? because, somebody asked to you to(please precise) X because you were satisfied of this piece (please precise) other reasons, please precise

Same reasons as before – the different audience provided a new perspective.

8. Are you satified by the exhibition of your work through the pictures, the videos of your performances, or through the relics, the texts… ? X Yes, why? Mostly. Though the live experience is always more significant, I try and make the secon- dary explanation worth viewing. No, why?

9. What do you think about the conservation of the relics and the evidence of your performances ? X in favour against other (please precise)

Just because the live moment cannot be recreated does not mean that the gallery/museum viewer there- fore shouldn’t know about the work. It becomes a matter of storytelling, like folk tales.

328 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

The restoration (we mean restoration here as a re-presentation) 10. Do you think that your performances can be « restored » ? Yes, why ? X No, why ? No, perhaps, not restored. I think that most live experiences should be left as they are. By this I am talking specifically about re-performing a specific live action.

11. Are you in favour of the « restoration » of your work ? Yes,why ? X No, why ?

Every live work has unplanned moments which are at the heart of making performance artworks. Unless the artist decides before making the work that it will be done several ways, with new challenges or some other form of flexibility throughout, then I feel that a performance serves best as an experiment, to be taken as a sole event. Though this is my own law, I find that it too, can be broken.

12. According to you, what could be the role of a restorer faced with the artists’ performances ?

If the restorer is working without the input of the artist, then the job should be purely historical, like an archaeologist. If the restorer is repeating an artist’s action, then the piece is no longer the original one and is an homage.

13. Would you accept to re-present your performances through a re-performation instead of a presenta- tion of archives ? Yes, under which conditions ? X No, why ? (the questionnaire is finished, please date it and sign)

14. The re-presentation of your performances would be : a re-performation a reproduction as a « copy » a re-interpretation something else, please precise

15. How would you consider that re-presentation ? As a restoration As a commemoration As a new piece As something else, please precise

16. Could you imagine to re-present one of your past performances ? Yes, why ? No, why?

329 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

17. In the future, could you imagine someone else representing one of your past performances ? No, why? Yes, under which conditions? Who could be that personn ?

18. In the case of a re-presentation of one of your performances, do you think that it would be useful to exhibit all the documentation related to the original piece ? Could it be a kind of legitimacy of the re-pre- sentation? Yes No I do not know

19. Did someone already try to re-perform one of your performances ? Yes, please precise No I do not know

If yes, were you satisfied by it ? Yes, why ? No, why?

Date Signature

4/7/2006 Jeremiah Barber

330 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire for the performers

The goal of this inquisition is to become a tool for the conservation and the « possible » restora- tion of performative pieces. The collection of your remarks, suggestions, opinions, questions on this subject would allow us to have a better approach and understanding of your own piece, in case of its future re-presentation.

1. Personnal information name, adress,phone,e-mail,…

Doreen Uhlig Obkirchergasse 15/10 1190 Vienna Austria

[email protected]

0043 (1) 9686325

The acquisition 2. If you had already sold one of your performances, under what form ? a video a statement a photography x other (please, develop) I sold the performance itself, means I was paid for doing a performance.

3. How is your work shown today ? through videos through pictures through evidences x other (please, develop) Actually only as live performance. I did not show performance documentation or a fragment in an exhibi- tion context.

4. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … con- sidered as simple documentation, or as fragments of the piece or as the piece in itself? the piece one part of the piece x a documentation Comments I am not sure, that I understood the questions. To me everything that is made out of the actual perform- ance piece is something you made out of it, but it is not a part of the performance (as situtation) or even

331 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

the performance itself. Sometimes objects can have a importance for members of the audience as some- thing like a souvenir. But this is a personal thing and makes only sence if you can connect a memory and a concrete experience with the object.

5. Who made that evidences ? You members of the public an assistant other (please, be precise) not applicable in my case.

6. What is the value of the relics, meaning the objets that were used during the performance, if there are some ? archives the piece in itself x other (please, develop) It is much different. Some relicts can get piece quality (as object piece, not as performance piece) with- out a reference to the original use. Some might make only sense in relation to the performance (for exam- ple objects, that were transformed during the performance). Sometimes objects can offer something like a proof that the performance went the way is told (or they might make audience think this.)

The re-presentation 7. Did you already re-present one of your performances ? No, why ? (go to question N°8) Yes, why ? In which context ? a galery a festival an exhibition in a museum x other (please, precise) To me an important reason to document performances is to make your work as a whole imaginable for somebody who did not experience it. For example if you propose a new work for a participation in a fes- tival you will mostly have to explain earlier works of you. But from my experiences even this often fails. This must not be a question of a good or bad performance but of the difficulty to represent a situation or an experience, and to me performance is about a situations and experiences (personal and collective, con- cerning performer and public as collaborators).

Why did you re-present a piece instead of creating a new one ? because, somebody asked to you to (please precise) because you were satisfied of this piece (please precise) other reasons, please precise I would always prefer to do a new piece instead of representing an earlier one, but in some cases (ques- tion N°7) this is not possible.

332 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

8. Are you satified by the exhibition of your work through the pictures, the videos of your performances, or through the relics, the texts… ? Yes, why? No, why? I never exhibited documentations.

9. What do you think about the conservation of the relics and the evidence of your performances ? in favour against x other (please precise) If I do think, there is a special quality in the relics I would try to conserve it. I for myself conserve some- times as a kind of souvenir. And I do have to conserve something that makes a representation according to answer N° 7.

The restoration 10. Do you think that your performances can be restored ? Yes, why ? x No, why ? A situation can’t be restored. An experience can’t hardly shared, it only can be made.

11. Are you in favour of the restoration of your work ? Yes,why ? x No, why ? Sometimes it might be more interesting to have a restoration of a member of audience. But I absolutely disagree with the consummation attitude of members of audience using cell phone photography and so on just to capture “nice/strange etc. images”.

12. According to you, what could be the role of a restorer faced with the artists’ performances ?

13. Would you accept to re-present your performances through a re-performation instead of a presenta- tion of archives ? x Yes, under which conditions ? No, why ? (the questionnaire is finished, please date it and sign) It depends on the concept of the performance and on the person who will perform it.

14. The re-presentation of your performances would be : a re-performation a reproduction as a « copy » x a re-interpretation x something else, please precise It’s a performance of somebody performing a performance of somebody else for some reasons (this might be different reasons). It is something fundamentally different than the performance the reperformation based on, even if it is not perseptionable for audiences, that only know the representation.

333 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

15. How would you consider that re-presentation ? As a restoration As a commemoration x As a new piece x As something else, please precise A new piece, using (parts of) a concept of an other piece.

16. Could you imagine to re-present one of your past performances ? x Yes, why ? In some cases. But I would prefer to realize a new performance concept. No, why?

17. In the future, could you imagine someone else representing one of your past performances ? No, why? x Yes, under which conditions? Who could be that person ? Yes, but it would become an fundamental different situation/ experience/ work. The person could be everybody, but not everybody could do it in an interesting way. It should not just be a quote of the orig- inal.

18. In the case of a re-presentation of one of your performances, do you think that it would be useful to exhibit all the documentation related to the original piece ? Could it be a kind of legitimacy of the re-pres- entation? Yes No x I do not know It depends on the re-presented piece.

19. Did someone already try to re-perform one of your performances ? Yes, please precise No x I do not know

If yes, were you satisfied by it ? Yes, why ? No, why?

Date 02.03.2006 Signature Doreen UHLIG

334 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire for the performers

The goal of this inquisition is to become a tool for the conservation and the « possible » resto- ration of performative pieces. The collection of your remarks, suggestions, opinions, questions on this subject would allow us to have a better approach and understanding of your own piece, in case of its future re-presentation.

1. Personnal information name, adress,phone,e-mail,…

Herma Auguste Wittstock, Kameruner Str. 44, 13351 Berlin, Germany 030/62208151, mobile: 0173/7175534 e-mail: [email protected] website: www.hermaauguste.de

The acquisition 2. If you had already sold one of your performances, under what form ? X a video a statement X a photography other (please, develop)

The best is to make my performance life and get a honorrar. But I sold it under the form video and photo, too.

How is your work shown today?

It depens what kind of exhibition it is. When it is a performance-event or festival I show my performance life, and I do if mostly myself. When I have a longer exhibition I show it as videodokumentation, or as photoimages. Sometimes as a roominstallation. Than I only perform life by the opening and finishing.

4. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … considered as simple documentation, or as fragments of the piece or as the piece in itself? X the piece X one part of the piece X a documentation In my position all of these answeres are possible. It depens on the exhibitons, too. And it depens if the performance, for example, was only a performance for the photograph, but I never show it in front of public. I only made something life to have good art photos, later. Than the value is the photograf, but mostly the life-performance with the public and time, and space, and my body and all what happend aroud is the value.

335 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

5. Who made that evidences ? X You X members of the public X an assistant X other (please, be precise) Again all answeres are possible. Mostly I made it.

6. What is the value of the relics, meaning the objets that were used during the performance, if there are some ? X archives X the piece in itself other (please, develop) I answered it before. In my lifeperformance all what is there and all what a person can feel there or see, all together is the value. (Time, space, body, public, reactions of the public and me, light, cloth, architec- ture... all, all together)

The re-presentation 7. Did you already re-present one of your performances ? No, why ? (go to question N°8) X Yes, why ? In which context ? a galery a festival an exhibition in a museum other (please, precise) Every time when I made one of my pieces a second time I represent my work. I never can do the same work twice, because the public, the space , the time, my feeling etc is different to the first time. « Drink ambrosia » was a piece where I normally wear a typical german dirndl and have a bowl filled with fruits, I stomp the fruits till I have juice and I sing the whole time ava maria by mozart. Later I represent the piece that I wear the national cloth from the country in which I perform and stomp the typical fruits of this country. Because of the different colours and cloth the piece had a totally different meaning in the dif- ferent countries.

Why did you re-present a piece instead of creating a new one ? X because, somebody asked to you to(please precise) X because you were satisfied of this piece (please precise) other reasons, please precise Mostly I made new ones. Sometimes I made my performance twice or more often because this piece is good for the whole context of an event or a gallerist aks me for a appointed piece. Some of my interacti- ve pieces are only function when I made it in other countries to see how other nationalities use it. Or sometimes I have the feeling to do a piece again.

336 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

8. Are you satified by the exhibition of your work through the pictures, the videos of your performances, or through the relics, the texts… ? Yes, why? No, why? X other I cannot only say yes or no. Mostly when I have an exhibition I have to create the exhibition. So I deci- ded what kind of material I like to show and where I like to hang or stand or present it. In case that I have enough time I think I made my job well to present my work really good. Than I’m satisfied with the exhibition. But sometimes I learn later that the presentation was not so good as it could be or I had not enough time than I’m not satisfied. Or I get enough money but I have not so much to say by an exhibi- tion and sometimes I do not like how the curator present my work, but mostly it is ok or good. But of course nothing can present a performace as well as the lifeperformance can do it.

9. What do you think about the conservation of the relics and the evidence of your performances ? in favour against X other (please precise) Normally I conservated my material, cloth ect. from my pieces, because I never know if I need it ones again to make an old piece again. But in my whole life I’m a person who conservated a lot of stuff to remember all old nice time. But sometimes I cannot conservated my material because after the piece it is desturbed or I cannot use it anymore. The piece won’t like that I conservated this material, than it is ok, too. Because the life per- formance is more important as any sentimental feelings of myself, because I’m the performance or the biggest part of the performance, too.

The restoration (we mean restoration here as a re-presentation) 10. Do you think that your performances can be « restored » ? Yes, why ? No, why? Again it depens on the piece. Some pieces I cannot represent because of the situation, my feelings and most important the architecture. I often make a piece after I see the space where I can perform. Some pieces I can represent everytime and everywhere and some have to be representated because of the dif- ferent feelings of the public and different nationalities and diffenrent situations. These pieces are only interesting if I represent it on different spaces.

11. Are you in favour of the « restoration » of your work ? X Yes,why ? No, why? If I create a work in which I like to see how different the situation happend because of the different public, town, time.... than I really like to restorate a piece, but I’m interested in new works, too. So I cannot real- ly say what I prefer. I make more often new pieces than restorated ones.

337 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

12. According to you, what could be the role of a restorer faced with the artists’ performances ? In my point of view nobody else can restorated the piece of an artist. Concentration and endurance are important for my work, but if somebody else will cover my piece the best is the person only take the main idea of my work and create it in his or her new style. To have a good piece something must be there from the person who perform life, I think if not you feel and see that it is not really true.

13. Would you accept to re-present your performances through a re-performation instead of a presenta- tion of archives ? X Yes, under which conditions ? No, why ? (the questionnaire is finished, please date it and sign) It depens again on the piece. I think some of my pieces cannot function as a cover. Some of the pieces I cannot do again and nobody else. But some of them I can cover and the audience will feel in the same strong way than the first time. Maybe some are function by performing from another person, too, but my feeling will be very different, if the person cover it one by one.

14. The re-presentation of your performances would be : a re-performation a reproduction as a « copy » a re-interpretation something else, please precise

When I perform a piece twice it will be another situation, so it cannot be a copy or reperformation, or rein- terpretation. I’m not sure if I know a word for this, it is the same main idea and I’m in the same concen- tration but all other is different. If the time I made it before is not long ago and I made it on a near place to the other place it could be similar to a copy, but if the time is long ago and the town is completely dif- ferent it could be something completely different. It not depens only on me it depens on the public and feeling aroud.

15. How would you consider that re-presentation ? As a restoration As a commemoration X As a new piece As something else, please precise Something between a new piece and a cover.

16. Could you imagine to re-present one of your past performances ? X Yes, why ? No, why? I can imagine, because sometimes I do it.

17. In the future, could you imagine someone else representing one of your past performances ? No, why? X Yes, under which conditions? Who could be that personn ? I explained before. I can imagine that someone else take the main idea from me and makes something

338 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

different from it, it could work really well. I can imagine someone else representing a piece from me one by one, too. But I think it won’t be a good piece. I think in every piece the performer has to bring some- thing personally to make a good piece. You see the different quality if somebody cover a piece one by one or somebody makes the original one.

18. In the case of a re-presentation of one of your performances, do you think that it would be useful to exhibit all the documentation related to the original piece ? Could it be a kind of legitimacy of the re-pre- sentation? X Yes No I do not know It is not important to exhibit ALL the documentation related to the original piece. But If somebody like to represent a piece it will be helpful to see the original one as a videodocumentation or photoimages. The requisite to represent a piece it to know something about the original one. If somebody take only a part of the origial piece and did not say that this idea is from another artist, than the person steal a part of the old piece, but nobody know and the person has a new piece, his/her own. Of course if somebody repre- sent a piece he/she has to say or to write in the exhibition the name and title of the original piece and artist, than all is fine.

19. Did someone already try to re-perform one of your performances ? X Yes, please precise No I do not know Yes, and it was totaly unfair, because she steal my idea. I proposed it on an exhibition but the museum didn’t take it. I showed it her and she remembered it and made it by herself with the same title, the same cloth, the same place, nothing was new but my name was nowere.

Declan and I work together under the name « the new spastiks », we thought about to make the single piece we had shown on other exhibition of the other. It means I will cover one by one pieces from Declan and he will cover it one by one from me. Because we are so different of course we cannot cover it one by one some will changed, but nobody know what it will be. It will be one of our new project, but we have not started now.

Date Signature 18th may 2006 Herma Auguste Wittstock

339 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Questionnaire for the performers

The goal of this inquisition is to become a tool for the conservation and the « possible » resto- ration of performative pieces. The collection of your remarks, suggestions, opinions, questions on this subject would allow us to have a better approach and understanding of your own piece, in case of its future re-presentation.

1. Personnal information name, adress, phone, e-mail,…

Milan TUTUNOVIC 51 rue Philonarde 84000 AVIGNON [email protected]

The acquisition 2. If you had already sold one of your performances, under what form ? a video a statement a photography other (please, develop)

3. How is your work shown today ? X through videos X through pictures X through evidences other (please, develop)

4. What is the value of these mediums ? Are the sketches, the videos, the pictures, the recordings, … considered as simple documentation, or as fragments of the piece or as the piece in itself? X the piece one part of the piece a documentation Comments

5. Who made that evidences ? You X members of the public X an assistant other (please, be precise)

340 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

6. What is the value of the relics, meaning the objets that were used during the performance, if there are some ? archives the piece in itself other (please, develop)

They have a value of medium that after the performance is lost in oblivion.

The re-presentation 7. Did you already re-present one of your performances ? No, why ? (go to question N°8) X Yes, why ? Technical problems In which context ? a galery a festival an exhibition in a museum other (please, precise) School project

Why did you re-present a piece instead of creating a new one ? because, somebody asked to you to(please precise) because you were satisfied of this piece (please precise) other reasons, please precise Because the first one did not work entirelly and the public was not there.

8. Are you satified by the exhibition of your work through the pictures, the videos of your performances, or through the relics, the texts… ? X Yes, why? No, why?

It makes me feel the limits and test the limits of self and others.

9. What do you think about the conservation of the relics and the evidence of your performances ? X in favour against other (please precise)

The restoration (we mean restoration here as a re-presentation) 10. Do you think that your performances can be « restored » ? X Yes, why ? No, why? It would be interesting to see it in some other context, maybe evenit would seem to me better than the original.

341 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

11. Are you in favour of the « restoration » of your work ? X Yes, why ? No, why? look on the previous answer.

12. According to you, what could be the role of a restorer faced with the artists’ performances ? He will have to do it personally.

13. Would you accept to re-present your performances through a re-performation instead of a presen- tation of archives ? X Yes, under which conditions ? X No, why ? (the questionnaire is finished, please date it and sign) Yes - of a specific demande which could make it better. No – the moment of the performance is irreplaceable.

14. The re-presentation of your performances would be : X a re-performation a reproduction as a « copy » a re-interpretation something else, please precise

15. How would you consider that re-presentation ? X As a restoration X As a commemoration X As a new piece As something else, please precise

16. Could you imagine to re-present one of your past performances ? X Yes, why ? No, why? just to make somme things better and to pass the message more strongly.

17. In the future, could you imagine someone else representing one of your past performances ? No, why? X Yes, under which conditions? Who could be that personn ? anybody

342 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

18. In the case of a re-presentation of one of your performances, do you think that it would be useful to exhibit all the documentation related to the original piece ? Could it be a kind of legitimacy of the re- presentation? X Yes X No I do not know

19. Did someone already try to re-perform one of your performances ? Yes, please precise X No I do not know

If yes, were you satisfied by it ? Yes, why ? No, why?

Date Signature 15.03.2006 TUTUNOVIC

343 Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-344- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

ANNEXE 4

Documents divers

BEN - extraits de quelques partitions Fluxus p. 346

Texte original de l’ICOM: Le conservateur-restaurateur: une définition de la profession p. 350

-345- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-346- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-347- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-348- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

-349- Anita DURAND - Perpétuer l’instant ? - E.S.A.A. - département conservation-restauration d’œuvres peintes - diplôme 2006

Conseil international des musées (ICOM)

Comité pour la conservation

Groupe de travail pour la formation en conservation et restauration Le conservateur-restaurateur : une définition de la profession

Avant-propos

Ce document est basé sur un texte préparé en allemand par Agnes Bollestrem et soumis, en tant que document de travail, au Comité de normes et de formation de l’ICCROM lors de sa réunion de novembre 1978. Le Groupe de travail pour la formation en conservation et restauration du Comité de l’lCOM pour la conservation a discuté pour la première fois ce document lors de sa réunion de Zagreb en 1978. Une ver- sion révisée a été publiée dans les prétirages de la reunion triennale du Comité de conservation de 1981 d’Ottawa Canada, (rapport 81/22/0) avec une introduction de H.C. van Imheff. Elle a été récrite par Eleanor McMillan et Paul M Perrot. La nouvelle version a été présentée et adaptée d l’unanimité avec des amende- ments mineurs au cours de la réunion provisoire du Groupe de travail pour la formation en conservation et restauration, à Dresde, le 5 septembre 1983. Le document a ensuite été soumis au Conseil de direction du Comité, lors de sa réunion de Barcelone, le 26 novembre 1983. Le Conseil de direction a demandé une étude complémentaire de la rédaction de cette Définition avant que le Groupe de travail ne la présente à l’ensemble du Comité au cours de sa réunion triennale de Copenhague en septembre 1984. Cette dernière version a été révisée par Raj Isar, Janet Bridgland et Christoph von Imhoff entre novembre 1983 et août 1984.

1. Introduction

1.1. Le but de ce document est d’établir les objectifs, principes et besoins fondamentaux de la profession de conservateur-restaurateur.

1.2. Dans la plupart des pays, la profession de conservateur-restaurateur1 reste encore à définir : actuelle- ment toute personne qui conserve et restaure est appelée conservateur ou restaurateur, quels que soient l’étendue et le niveau de sa formation.

1.3. Dans un souci de respect de l’éthique professionnelle et des normes de la pratique de la conservation pour les objets en traitement et pour les propriétaires de ces objets, des essais de définition de la profes- sion ont été tentés à plusieurs reprises, pour la distinguer des professions apparentées2 et pour détermi- ner les besoins appropriés en formation. D’autres professions, comme celles de médecin, de juriste ou d’architecte, ont, au cours de leur évolution, passé par des phases d’autos examen et de définition et ont fixé des normes reconnues qui sont maintenant généralement acceptées. Définir la profession de conser- vateur-restaurateur est justifié et opportun et doit permettre à la profession d’avoir un statut égal à celui des autres disciplines apparentes comme celles du conservateur, de l’archéologue ou du scientifique.

2. L’activité du conservateur-restaurateur

2.1. L’activité du conservateur-restaurateur, la conservation, consiste en l’examen technique, la préserva- tion et la conservation/restauration de biens culturels :

L’examen est la première procédure suivie pour déterminer la structure originale et les composants d’un objet, ainsi que l’étendue des détériorations, des altérations et des pertes qu’il a subies et la documenta- tion des découvertes faites.

La préservation est l’action entreprise pour retarder ou prévenir la détérioration ou les dommages que les biens culturels sont susceptibles de subir, au moyen du contrôle de leur environnement et/ou du traitement de leur structure pour les maintenir le plus possible dans un état de stabilité.

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1. Ce terme est utilisé dans ce texte comme un compromis étant donné que le même professionnel est appelé “conservateur” dans les pays anglophones et “restaurateur” dans les pays de langues romanes ou germaniques.

2. Certaines professions apparentées à la conservation-architectes, scientifiques, ingénieurs spécialisés dans la conservation- et toutes celles qui contribuent à la conservation et ne sont pas mentionnées dans ce document car elles sont déjà soumises à des normes professionnelles reconnues.

La restauration est l’action entreprise pour rendre un objet détérioré ou endommagé compréhensible en sacrifiant au minimum son intégrité esthétique et historique.

2.2. Les conservateurs-restaurateurs travaillent dans les musées, dans les services officiels de protection du patrimoine, dans des entreprises de conservation privées ou de manière indépendante. Leur tâche est de comprendre l’aspect matériel des objets ayant une signification historique et artistique afin de prévenir leur dégradation, et d’en favoriser la compréhension de façon à permettre la distinction entre ce qui est ori- ginal et ce qui est faux.

3. Impact et classification des activités du conservateur-restaurateur

3.1. Le conservateur-restaurateur a une responsabilité particulière lors d’un traitement apporté à des origi- naux irremplaçables, souvent uniques et d’une grande valeur artistique, religieuse, historique, scientifique, culturelle, sociale ou économique. La valeur de tels objets réside dans le caractère de leur fabrication, dans leur témoignage direct en tant que documents historiques et donc dans leur authenticité. Ces objets “sont l’expression significative de la vie spirituelle, religieuse et artistique du passé, souvent les documents d’une situation historique, que ce soient des œuvres de première importance ou simplement des objets de la vie quotidienne”3.

3.2. La qualité documentaire d’un objet historique est la base de la recherche en histoire de l’art, ethnogra- phie, archéologie et dans les autres disciplines à base scientifique. De là l’importance de la préservation de leur intégrité physique.

3.3. Parce que le risque de manipulation ou transformation nuisibles d’un objet est inhérent à toute inter- vention en conservation ou restauration, le conservateur-restaurateur doit travailler en coopération très étroite avec le responsable des collections ou autre spécialiste.

Ensemble, ils doivent distinguer entre le nécessaire et le superflu, le possible et l’impossible, l’intervention qui met en valeur la qualité d’un objet et celle qui est faîte au détriment de son intégrité.

3.4. Le conservateur-restaurateur doit être conscient de la nature documentaire d’un objet. Puisque chaque objet contient (seul ou dans un ensemble) des données et messages historiques, stylistiques, ico- nographiques, technologiques, intellectuels, esthétiques et/ou spirituels, le conservateur-restaurateur, lors- qu’il les rencontre au cours de ses recherches et de son travail sur l’objet, doit s’y montrer sensible, recon- naître leur nature et être guidé par eux dans l’accomplissement de sa tâche.

3.5. Cependant, toutes les interventions doivent être précédées d’un examen méthodique et scientifique, orienté vers la compréhension de l’objet dans tous ses aspects, et les conséquences de chaque manipula- tion doivent être entièrement prises en considération. Quiconque, par manque de formation, ne peut réali- ser un tel examen ou quiconque, par manque d’intérêt ou pour toute autre raison, ne procède pas de cette manière, ne peut être chargé de la responsabilité du traitement. Un conservateur-restaurateur éduqué, bien formé et expérimenté est seul capable d’interpréter correctement les résultats de tels examens : seule une personne possédant ces qualités peut prévoir les conséquences des décisions prises.

3.6. Toute intervention sur un objet historique ou artistique doit suivre la démarche commune à toute méthodologie scientifique : recherche de sources, analyse, interprétation et synthèse. Ce n’est que dans ces conditions que le traitement réalisé préserve l’intégrité physique de l’objet et rend sa signification accessible. Plus important encore, cette approche augmente notre capacité à déchiffrer le message et contribue, de cette façon, à une nouvelle connaissance.

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3.7. Le conservateur-restaurateur travaille sur l’objet lui-même. Ce travail, comme celui du chirurgien, est par dessus tout un art manuel/un savoir faire. De plus, comme dans le cas du chirurgien, l’habileté manuelle doit être liée à une connaissance théorique et à une capacité d’évaluer simultanément la situa- tion et d’agir immédiatement en conséquence tout en évaluant son impact.

3. G.S. Graf Adelmann, “ Restaurator und Denkmalpflege “ in Nachrichtenblatt der Denkmalpflege in Baden-Württemberg, 8, n° 3.

3.8. La coopération interdisciplinaire est d’une importance primordiale car aujourd’hui le conservateur-res- taurateur doit travailler en tant que membre d’une équipe. De même qu’un chirurgien ne peut être en même temps radiologue, pathologiste et psychologue, le conservateur-restaurateur ne peut être un expert en art ou en histoire culturelle et en chimie et/ou autres sciences naturelles ou humaines. Comme dans le cas du chirurgien, le travail du conservateur-restaurateur peut et doit être complété par les résultats d’ana- lyses et de recherches des scientifiques. Cette coopération fonctionnera bien si le conservateur-restaura- teur est capable de formuler ses questions de manière scientifique et précise et d’interpréter la réponse dans un contexte exact.

4. Différences avec les professions apparentées

4.1. Les activités professionnelles du conservateur-restaurateur sont différentes de celles des professions artistiques ou artisanales. Un des critères fondamentaux de cette différence est que par son activité, le conservateur-restaurateur ne crée pas d’objets culturels nouveaux. Reconstruire physiquement ce qui n’existe plus ou ne peut être préservé est du domaine de l’artisanat ou des professions artistiques telles que ferronniers, doreurs, ébénistes, décorateurs et autres. Cependant, ceux-ci peuvent aussi bénéficier considérablement des découvertes et des connaissances des conservateurs-restaurateurs.

4.2. Seul un conservateur-restaurateur bien formé et cultivé, expérimenté et très sensible peut recomman- der qu’une intervention sur un objet ayant une signification historique et/ou artistique soit faite par un artis- te, un artisan ou un conservateur-restaurateur. Seule cette personne, en accord avec le conservateur ou autre spécialiste, a tous les moyens d’examiner un objet, déterminer sa condition a évaluer sa signification documentaire matérielle.

5. Formation et éducation du conservateur-restaurateur

5.1. Pour acquérir les qualités et les spécifications professionnelles décrites ci-dessus, les futurs conserva- teurs-restaurateurs doivent recevoir une formation artistique, technique et scientifique basée sur une édu- cation complète, générale.

5.2. La formation devrait comprendre le développement de la sensibilité et de l’habileté manuelle, l’acquisi- tion d’une connaissance théorique des matériaux et des techniques, et une connaissance fondamentale de la méthodologie scientifique pour développer la capacité à résoudre les problèmes de la conservation par une approche systématique, à partir de recherches précises et par une interprétation critique des résultats.

5.3. La formation et les études théoriques doivent comprendre les sujets suivants :

- histoire de l’art et des civilisations,

- méthodes de recherche de documentation,

- connaissance de la technologie des matériaux,

- théorie et éthique de la conservation,

- histoire et technologie de la conservation-restauration, chimie, biologie et physique des proces sus de détérioration et des méthodes de conservation. 5.4. Il est entendu que le stage constitue une partie essentielle de tout programme de formation. La forma tion doit se terminer par une thèse ou un mémoire et son achèvement être reconnu par l’équivalent d’un diplôme universitaire.

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5.5. A tous les stades de la formation des conservateurs-restaurateurs, l’accent devrait être mis sur la pratique mais sans jamais perdre de vue la nécessité de développer et aiguiser la compréhension des facteurs techniques, scientifiques, historiques et esthétiques. Le but ultime de la formation est de développer des professionnels haute- ment compétents, qualifiés et capables de réaliser de manière réfléchie des interventions extrêmement complexes en conservation et de les documenter à fond afin que le travail et les données enregistrées contribuent non seule- ment à la préservation, mais aussi à une plus profonde compréhension des événements historiques et artistiques relatifs aux objets en cours de traitement. Copenhague, septembre 1984

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GARIMORTH Julia, Problèmes de conservation et de restauration en art moderne et contemporain, Université de Vienne, Juillet 1996

JAGOT Jean-Michel, NYEBORG Pierre Emmanuel, RAMEL Sylvie, ROUAULT Anne-Elisabeth, SAMUEL Pascale, TESSIER Béatrice, Renforcement des capacités en conservation préventive des Frac : les ques- tionnaires d’artistes, sous la direction de SAMUEL Pascale, Décembre 2004 (non publié mais disponible sur Internet : www.cnap.fr)

MOREAU Antoine, Le copyleft appliqué à la création artistique - Mémoire de DEA Arts des Images et Art Contemporain, sous la direction de Me Liliane TERRIER (Maître de Conférence à Paris 8), Juin 2005

USUELS :

Code de la propriété intellectuelle, 6ème édition, Lonrai, éd. du JurisClasseur, 2003

Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction d’Alain REY, Paris, éd. Robert, 1993

Vocabulaire d’esthétique, Etienne SOURIAU, 1ère édition, Paris, éd. P.U.F., 1990

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SITES INTERNET : www.incca.org www.insideinstallations.org www.ubu.com www.variablemedia.net

FILMOGRAPHIE : Le théâtre de Tadeusz Kantor, réalisé par Denis BABLE, (1 h 44 min), prod. CNRS Audiovisuel (France), 1988

Histoire de transmission, so schnell à l’opéra, réalisé par Marie-Hélène REBOIS, (54mn), prod. Daphné, prod. CGP la SEPT arte – opéra national de Paris, Mezzo, Carnets Bagouet, 1999

Ben et Fluxus Nice, réalisé par Hubert BOUTELOUP, (45 min), prod. Les Omnibules productions, 1992 Fluxfilm anthology, réalisé par Nam June PAIK, Dick HIGGINS, George MACIUNAS..., (120 min), prod. Anthology Film Archives et Light cone vidéo, 1998

Robert WHITMAN, Performances from the 1960s, prod. Artpix, 2003

Trisha BROWN, Early works 1966-1979, Prod. Artpix et Trisha BROWN, 2004

COLLOQUES SUIVIS À TITRE PERSONNEL :

ICHIM, exposition de laboratoires de recherche en arts, science et technologie, 21, 22, 23 septembre 2005

Inside installations : Preservation of installation art ; workshop : « documentation of installation art », Karlsruhe, 1er et 2 Décembre 2005

L’authenticité d’une œuvre, Aix en Provence, 7 avril 2006

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CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES

Avant propos 1 - www.ncf.ca

Sommaire p.8 vignette n°4 Joseph BEUYS, Fettsthul, 1964, photo in catalogue Joseph BEUYS Skultupturen und objekte, 1988 p.9 vignette n°3 Matthew BARNEY, Cremaster 3, 2002, photo Chris Ninguet in Catalogue Mattew BARNEY, The Cremaster Cycle, 2002 p.9 vignette n°4 Sarah SZE, Seamless, 1999, photo in catalogue Sarah SZE, 1989 (pour les autres vignettes se reporter au fil des pages)

Chapitre 1 1 - photographie appartenant à Me Axelle Galtier 2, 15, 16, 17, 41, 51, 52 - Anita Durand 3 - in Marina Abramovic, Sur la voie, 1990 4 - Andrea SAEMANN 5 - Christian Altengarten, www.chocolat-koeln.de 6 - www.lyceecurie.net 7 - www.ywwg.com 8 - Peter Ammon, in Parkett n°27, 1991 9 - Archives Yves Klein, in Denys Riout, Yves KLEIN, manifester l’immatériel, 2004 10 - Gilbert et Lila Silverman Fluxus Collection Foundation, New York, in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 11 - www.communityarts.net 12, 13, 14 - Harry SHUNK in acte du colloque Art action 1958-1998, 2001 18 - Courtesy Castelli Gallery 19, 20 - Namuth HAMS, in L’atelier de Jackson POLLOCK, 1979 21, 22 - in OLIVEIRA (de), OXLEY, PETRY, Installations, l’art en sotuation, 1997 23, 24 - Maria Gilissen in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 25 - in Claire Bishop, Installation Art, 2005 26 - Robert McElroy, in Claire Bishop, Installation Art, 2005 27 - Courtesy of Andrea Rosen Gallery, New York and Museum of Contemporary Art, Los Angeles, in Claire Bishop, Installation Art, 2005 28 - in Arnaud Labelle-Rojoux, L’acte pour l’art, 2004 29, 30 - Courtesy Barbara Gladstone/ Werner Maschmann, in Claire Bishop, Installation Art, 2005 31 - Nance Calderwood, in catalogue James TURELL, 1992 32 - www.thecityreview.com 33 - © Jiro Yocshihara, in Arnaud Labelle-Rojoux, L’acte pour l’art, 2004 34 - in Art in America, Juin 1994 35 - Schmitz-Fabri, in catalogue Robert Filliou, 1984 36 - in Gilbert & George 1968 to 1980, 1980 37 - courtesy Hermann Nitsch, in Roselee Goldberg, La Performance, 2004 38 - www.standfor.edu 39 - Courtesy de Estate of Ana Mendieta et Galerie Lelong, New York, in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 40 - © F. Masson, in Arnaud Labelle-Rojoux, L’acte pour l’art, 2004 42 - Paolo Pelcion di Persano, in catalogue Ouverture, arte contemporana, Castello di Rivoli, 1985 43 - Jacques Faujour, centre G. Pompidou, in catalogue Joseph BEUYS, 1994 44 - in catalogue Joseph BEUYS, skulpturen und objekte, 1998 45 - www.labottegadelpittore.it 46- www.christojeanneclaude.net 47 - in Denys Riout, Yves KLEIN, manifester l’immatériel, 2004 48 - www.art-action.org 49, 50 - in catalogue Richard SERRA, 1983 53 - Caroline Tisdall, in Roselee Goldberg, La Performance, 2001 54 - Alfred Stieglitz, in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003

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55, 56 - D. Gahr in catalogue Tinguely, 1989 57 - Herning Kunstmuseum, Danemark, in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 58 - couverture d’un cahier Quo Vadis 59 - Gian Carlo Botti, in Denys Riout, Yves KLEIN, manifester l’immatériel, 2004

Chapitre 2 1, 2, 3 - Kurt Wyss in catalogue Joseph BEUYS, 1994 4, 5 - André Morin, in catalogue Michel JOURNIAC, 2004 6 - www.theatre-danse.fluctuanet.net 7 - www.pol-institut.de 8 - Françoise Masson, in Artitudes n°3, Février-Mars 1973 9 - Kathryn Carr © The Solomon R. Guggenheim Foundation, New York 10 - www.webpublic.ac-dijon.fr 11 - in actes du colloque, La conservation et la restauration de l’art contemporain, I.N.P., 1992 12 - Anita Durand 13 - in catalogue Aspects de l'art du XXème siècle, L'œuvre reproduite, Mike BIDLO, Sherrie LEVINE, Richard PETITBONE, STURTEVANT, Philip TAAFFE, Abbaye Saint-André, Centre d'Art Contemporain, Meymac, 1991 14 - www.medeinkunstmetz.de Chapitre 3 1 - www.remue.net 2, 10 - Kathryn Carr © The Solomon R. Guggenheim Foundation, New York 3 - www.medienkunstmetz.de 4, 5, 7, 8 - Anita Durand 6 - Jonas Kubn (Schaulager) 9 - www.deitch.com Études de cas RICHARD BAQUIÉ: a), b), c), d), e) - clichés appartenant à Mme Axelle Galtier f), m) - Richard Baquié g), h), i), j), k), l), n) - Anita Durand

ARTUR BARRIÒ a), b), c), d),e) f), g), h), i), j), k), l), m), n), o) - Anita Durand

MARINA ABRAMOVIC a), b), c) - in Marina Abramovic, Sur la voie, 1990

ANDREA SAEMANN d), e) - Andrea Saemann f) - www.catholique-avignon.cef.fr

Postface 1, 2, 3, 4 - Anita Durand Annexes 1 - André Morin, in catalogue, Honoré d’O, all the details extended, fractures recomposées, 2003 2 - Jay Cantor in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 3 - www.wikipedia.org 4,5 - Daniel Buren in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 6 - www.artsincoherents.info 7 - in Tony Godfrey, L’art conceptuel, 2003 8 - D. Boudinet, in Art in America n°119 nov.1987 9 - Christie’s images Ltd., Londres/New York, in catalogue Mark ROTHKO, 2004 10 - in Henri MICHAUX, Peinture et Poésie, 1993 11 - www.stevenwolffinearts.com 12 - www.ciren.org

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INDEX DES NOMS D’ARTISTES CITÉS F (en gras, le numéro de page qui correspond à une étude précise consacrée à ces artistes) FILLIOU Robert, p.46 FLAVIN Dan, p. 240 FLUXUS, p.26, 44-45 FLEURY Sylvie, p. 236-237 G GABO Naum, p.31 GILBERT&GEORGE, p.46 GIROUD Michel, p.45, 70, 129 GOLUBOVIC Snezana, p.163 A GONZALES-TORRES Félix, p.35 ABRAMOVIC Marina, p.13, 19, 27, 92, 96, 106,146, GOULD Glenn, p.97 162, 166-167, 208-211, 272-281 ACCONCI Vito, p.35, 47 ALLAIS Alphonse, p.41, 235 H ANSELMO Giovanni, p.22 HAMILTON Ann, p.22 ARTAUD Antonin, p.42 HAY Deborah, p.155 ARMLEDER John, p.236-237 HIGGINS Dick, p.45-46 HIRSCHORN Thomas, p.36 HONORÉ d’O, p.24, 230 B HSIEH Teching, p.27, 163 BAGOUET Dominique, p.97 HWANG Eun Hey, p.163 BALL Hugo, p.41 BAQUIÉ Richard, p.13, 17, 19, 21, 106, 150, 174-197 BARCELÒ Miquel, p.222-225 J BARRIÒ Artur, p.13, 18-19, 51, 54, 67-68, 77, 79, 81, JOURNIAC Michel, p.47, 92 83, 87, 90, 94, 96, 106, 110, 121, 152-153, 198-207 JUDD Donald, p.32-33 BATAILLE Eugène, p.235 BEN Vautier, p.45, 346 K BEUYS Joseph, p.33, 35-36, 56-57, 69, 77, 88-90, 96, 121, 146 KANDINSKY Vassily, p.281 BIDLO Mike, p.63, 110 KAPROW Allan, p.30, 32-33, 35, 42-44, 48 BOCCIONI Umberto, p.41 KLEIN Yves, p.26, 28, 33, 46, 53, 63, 80, 109, 240 BOLTANSKI Christian, p.98-99 KOSUTH Joseph, p.24, 81, 233 BRECHT George, p.46 KUZAMA Yayoi, p.37 BROCCOLICHI Pascal, p.169-170 BROODTHAERS Marcel, p.34 BRUGGEN (van) Coosje, p.21 L BRÜS Gunter, p.47 LEVINE Sherrine, p.110 BUREN Daniel, p.36, 58, 61, 87, 234 LIZENE Jacques, p.46 LEVY Jules, p.235 C CATELLAN Maurizio, p.53 M CHRISTO, p.61 MANZONI Piero, p.33, 46, 53, 80 CORNER Philip, p.44 MAGRITTE René, p.234 CRAVAN Arthur, p.41 MARINETTI Filippo Tommaso, p.41 MENDIETA Anna, p.48 D MICHAUX Henri, p.241 DUCHAMP Marcel, p.30, 33, 41, 57, 61, 73, 76, 232, MONTANO Linda, p.27 235 MORRIS Robert, p.32-33 DEVAUTOUR Paul, p.242 MOSSET Olivier, p.234 MÜHL Otto, p.47 MURAKAMI Saburo, p.43

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N U NADJ Josef, p. 222-225 UHLIG Doreen, p.107, 163 NEWMANN Barnett, p. 240 NITSCH Hermann, p.47 V VIOLA Bill, p.37 O VOSTELL Wolf, p.46 OLDENBURG Claes, p.21 ONO Yoko, p.46, 236 ORLAN, p.48 W WALRAVENS Daniel, p.65 WEINER Lawrence, p.53, 81 P WHITMAN Robert, p.155 PAIK Nam June, p.6, 45, 135 WITTSTOCK Herma, p.163 PANE Gina, p.47, 50, 70-71, 96, 166 PARMENTIER Michel, p. 234 PETTIBONE Richard, p.110 Y PICABIA Francis, p.41 YESILTAC Viola, p.163 PINONCELLI Piero, p.61 PIPER Andrian, p.48 POLLOCK Jackson, p.33, 43 PRÉSENCE PANCHOUNETTE, p.48 R RAUSCHENBERG Robert, p.155, 158 RAY Man, p.241 ROTHKO Mark, p.240 RUSSOLO, p.41 RUTAULT Claude, p.59 RYMAN, p. 240 S SAEMANN Andrea, p.13, 19, 146-148, 168, 212-217 SAINT PHALLE Niki, p.28 SARKIS, p.7, 28-29, 88-89, 98-99, 169 SEHGAL Tino, p.54 SERRÀ Richard, p.65 SHAW Jim, p.79, 241 SHIMAMOTO Shozo, p.43 SHIRAGA Kazuro, p.43 SORBELLI Alberto, p.64 SPOERRI Daniel, p.238 STELLA Franck, p.32-33, 158 STURTEVANT Mary, p.110 T THEK Paul, p.22 THOMAS Philippe, p.80, 238 TINGUELY Jean, p.74, 79-80 TORONI Niele, p.234 TUDOR David, p.155 TUERLINCKX Joëlle, p.143-144 TURRELL James, p.37 TZARA Tristan, p.41

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TABLE DES MATIÈRES

REMERCIEMENTS p.5 AVANT PROPOS p.6 SOMMAIRE p.8 INTRODUCTION p.12

1. CONSIDÉRER L’ŒUVRE p.17 A1/ POSTULATS DE DÉPART 1. Présentation des cas étudiés p.17 2. S’accorder sur les termes p.20 a-épingler l’éphémère p.20 b-manifester l’immatériel p.24 3. Notes sur l’installation comme pratique artistique p.30 4. Petite histoire de l'art-action p.39 B1/ DE L’ACQUISITION DES INSTALLATIONS ET DES ŒUVRES D’ART-ACTION 1. Ce qu'acquiert véritablement l'institution ou le collectionneur p.50 2. Du non-sens de certaines œuvres au sein de l’institution? p.55 3. De la jurisprudence en matière d’œuvres immatérielles et impermanentes p.59 C1/ À PARTIR DE QUEL MOMENT L'ŒUVRE EST-ELLE CONSIDÉRÉE COMME TELLE ? 1. De la pertinence de la conservation-restauration vis-à-vis des installations et des œuvres d’art-action p.67 2. De l’aura de l'œuvre à celle de l’artiste p.73 3. De l’importance du commentaire et de la médiation p.78

2. ENVISAGER LA CONSERVATION-RESTAURATION DES ŒUVRES IMPERMANENTES ET PERFORMATIVES p.85 A2/ CONSERVER ET RESTAURER: POURQUOI ? 1. La mission de l'institution p.85 2. Les insuffisances de la documentation p.91 3. Un parallèle possible avec la musique, le théâtre et la danse p.95 B2/ VERS UNE ÉVOLUTION DE LA CONSERVATION-RESTAURATION ? 1. Revisiter les théories existantes p.100 2. La question de la légitimation de la re-présentation de ces œuvres p.106 a- une question éthique p.107 b- une question déontologique p.112 C2/ D’UNE ÉVOLUTION TERMINOLOGIQUE À UNE REDÉFINITION DU CADRE JURIDIQUE ? 1. Une question de terminologie p.118 2. Le problème de l'authenticité p.126 3. De la paternité de l'œuvre re-présentée par le restaurateur p.132

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3. RÉ-INSTAURER LES ŒUVRES IMPERMANENTES ET PERFORMATIVES p.137 A3/ REPOUSSER LES LIMITES DE LA CONSERVATION-RESTAURATION ? 1. De l'émergence d'une nouvelle compétence ? p.137 2. L'ambition du ré-instaurateur p.143 B3/ LÉGITIMITÉ ET CONTRACTUALISATION DE LA RE-PRÉSENTATION 1. La prise en compte de paramètres immatériels p.149 2. De l’usage de nouveaux outils p.154 a-questionnaires et interviews p.154 b-l'exemple de Barbro SCHULTZ p.155 c-le cas du Schaulager p.159 3. Le point de vue des artistes p.162 a-le cas des œuvres d’art-action p.162 b-le cas des installations p.169 C3/ ÉTUDES DE CAS 1. Richard BAQUIÉ p.174 2. Artur BARRIÒ p.198 3. Marina ABRAMOVIC et Andrea SAEMANN p.208

CONCLUSION GÉNÉRALE p.218 POSTFACE Miquel BARCELÒ/Josef NADJ Paso Doble p.222

ANNEXES p.227 ANNEXE 1 - Notes p.229 - A propos des œuvres évolutives p.230 - A propos de la notion d’immatériel p.232 ANNEXE 2 - Études de cas p.249 - Richard BAQUIÉ Ballon, évènement du 29 mars 1982 - documents relatifs à l’achat de l’ œuvre par le FRAC PACA p.250 - Artur BARRIÒ Interminavel (Gand 2005) - exemple d’un constat d’état p.254 - plans relatifs au montage de l’exposition de Gand (Juin 2005) p.260 - questionnaire proposé lors de la table ronde p.268 - réponses au questionnaire rédigé par Kathleen Wijnen et Anita Durand p.269 Marina ABRAMOVIC - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Art must be beautiful, artist must be beautiful p.272 Andrea SAEMANN - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Ausflug in die fresken p.282 - réponses au questionnaire relatif à l’œuvre Eisblock p.292 ANNEXE 3 - Questionnaires p.301 - Questionnaire acquisition-installation (conçu par le groupe de recherches conduit par Pascale SAMUEL) p.302 - Questionnaire à l'intention des artistes performers p.308 - Questionnaire relatif aux œuvres performatives p.313 - Questionnaire à l'intention des artistes de l'Installation p.322 - Quelques réponses aux questionnaires destinés aux performers p.327 ANNEXE 4 - Documents divers p.345 -BEN - extraits de quelques partitions Fluxus p.346 -Texte original de l’ICOM: Le conservateur-restaurateur: une définition de la profession p.350 BIBLIOGRAPHIE p.355 CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES p.364 INDEX p.366

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