Mort Aux Ramones
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Dee Dee Ramone avec Veronica Kofman Mort aux Ramones! Traduit de l’américain par VIRGINIE DESPENTES Tiens, puisqu’on parlait des Ramones, le livre de leur bassiste Dee Dee est l’un des trois meilleurs bouquins rock de tous les temps. Me cherchez pas : les livres rock correspondent grosso modo à trois familles caté- goriques. Premièrement, il y a les livres universitaires. Lents, lourds, lugubres. Écrits comme ça, par des professeurs qui accumulent les anecdotes vérifiées et les références de singles disparus sans jamais approcher le quart de la moitié de l’intensité du pire solo de Johnny Ramone. Des livres, ça? Des pensums! Deuxième catégorie: les dictionnaires du rock. Tous 5 pesant près de 20 kilos. Le rocker les adore. Armé d’un stylo, il les annote en rouge, ajoutant les morts récents. Notamment Dee Dee Ramone, 5 juin 2002, Los Angeles. Surdose. Et enfin, bingo: les bizarres brûlots des rescapés du grand huit binaire. Mötley Crüe, le batteur du Band ou Ian Hunter, on prend tout. Parce que ces grands brûlés racontent la déflagration vécue en première ligne, au cul de la machine. Alors quand Dee Dee pique au truc… du Jules Vallès branché 220 volts, voilà tout à fait le style du personnage. Un livre à l’image de son rock, finalement: décapé, désossé, sans inutile circonvolution ou fioriture sty- listique, droit au but, phrases de quinze mots, aussi courtes que définitives, pas moyen de reprendre son souffle avant la conclusion vicieuse du petit chapitre, tout est restitué en direct, baffes, lignes, shoots, marques d’amplis et accidents de bagnoles… une vie. En plus Dee Dee était un Ramone. « One Two Three Four » c’était lui. Gueulait ça avant chaque morceau, lors de chaque concert, dix-huit ans durant. Au début, les Ramones sont un groupe de rock clas- sique: quatre gamins paumés, fous des Beatles et des Stooges. Les quatre Ramones apprennent à la dure, deviennent fièrement pros, deviennent salement bons. D’un coup, les quatre de Forest Hill se retrouvent fer de lance du punk américain. Deux générations de fans apprendront à mouliner des accords ou tricoter de la basse sur leur premier album, paru en 1976. Sid Mort aux Ramones Vicious le premier, qui révérait Dee Dee, un gars 6 comme lui, «sérieux dans la défonce». Mais les Ramones représentaient une formidable menace pour l’opulente bourgeoisie du business rock. Dans un touchant ensemble, le métier du disque américain décida que ce mouvement punk ne passe- rait pas, nulle part. En tous cas, ni à la radio, encore moins à la télé. Du coup la fabuleuse aventure de Dee Dee vire tra- gédie. Que faire ? Restent le camion, la route, les clubs. Déçu par l’ampleur de cette moderne croisade, le groupe accepte toutes les compromissions avec l’idée de départ (« Être les nouveaux Beatles, yeah, yeah, yeah») se colletant avec les bas-fonds de l’Amé- rique puis de la planète, portant eux-mêmes le matos, dix-huit ans empilés à six dans un minibus, on est loin du boeing privé du Zeppelin. Le groupe admet tout, toute cette misère, sauf… Sauf que ça n’em- pêche pas les Ramones de faire une prodigieuse consommation de drogue et d’alcool. Comme des grands. Comme des stars. Tout sauf idiot, Dee Dee ne prêche pas. Il raconte minutieusement l’explosion de sa personnalité. Sa transformation en humanoïde dézingué et querelleur. Dans une crise samouraï ultime, le bouillant bassiste finit par s’autovirer du groupe dont il est fondateur, a trouvé le nom, écrit les principaux hits aussi. C’est ça, l’histoire. Comme une grande virée sur le Rollercoaster de Coney Island. Avec une superbe ten- tative du Victor Hugo punk pour recoller les mor- ceaux de sa pauvre vie. 7 Par un destin taquin, Joey le chanteur allait mourir d’un cancer le 15 avril 2001, juste après la publica- tion de ce livre, juste avant la probable réconciliation, le tribute des grands du rock, le Rock’n’Roll Hall Of Fame et l’inévitable reformation. Depuis ce jour ter- rible de la disparition de son chanteur, Dee Dee se colletait avec son fantôme. Quel culot, ce disparu ! Dans ses interviews, Dee Dee le maudissait, protes- tant de sa propre importance historique, faisant bien son boulot d’Averell Dalton jusqu’au bout de sa route. Qui ne fut pas une catastrophe en avion comme Lynyrd Skynyrd, pas la châtaigne électrique qui tue comme pour Keith Relf et pas non plus la crise car- diaque en scène comme Molière et Johnny Guitar Watson, mais fut une overdose sur canapé, chez lui, à Hollywood, son premier fix depuis huit ans, j’en garde pour ma copine, pas de problème, ouais, sauf que la fille a retrouvé le bassiste des Ramones tout bleu, seringue dans le bras. Mes chers enfants, n’es- sayez pas ça chez vous. Vous reprendrez bien une tranche d’expérience per- sonnelle ? Moi qui vous parle, j’ai même dîné avec Dee Dee Ramone. Un mardi de mai 1990, à Paris. Ce soir-là, nous étions réunis à quatre, Stiv Bators, Johnny Thunders, Dee Dee Ramone et votre modeste serviteur, assis dans un bistrot mexicain du centre de Paris. Déboulant pour préparer ce qui aurait dû être la formation du meilleur groupe de tous les temps, Mort aux Ramones Dee Dee affirma que j’avais «une dégaine de connard 8 rock critique ». Son intention, si je confirmais cette appartenance à une profession qui ne lui avait pas fait de cadeau, semblait être d’en découdre illico presto. Stiv et Johnny ont sauvé la soirée (et ma bobine) en affirmant au bouillant ex-Ramone que j’étais « un excellent producteur télé» (tous deux étant passés aux Enfants du Rock, on en resta là). Je n’ai jamais revu Dee Dee et incroyablement, ça m’a manqué. Atypique, le personnage était allé jus- qu’au bout de son destin. Ex-Ramone, écrivain, il publiait, mais tournait aussi régulièrement avec un groupe pro dont il était enfin patron (rires). Ses der- nières années sur terre ressemblent à un chemin de croix, une ultime pénitence. Il se pourrait, et cette notion mériterait d’être très prochainement débattue par des pasteurs, voire des théologiens, que Dee Dee Ramone soit mort en état de semi-sainteté. Comment expliquer alors l’absence totale de réac- tions de la presse mondiale à cette disparition alors que celles du guitariste des Beatles ou du bassiste des Who font le journal de Claire Chazal? Dee Dee avait ce qu’on appelle « une sale réputa- tion». Irrécupérable maniaque en proie à des sautes d’humeur démentes, il avait commis plusieurs crimes, brûlant une nuit la guitare de Thunders, déboulant encore tout récemment à 4 heures du matin chez un ami photographe pour redécorer son appartement à la batte de base-ball… Qu’on se rassure: dans le rock du troisième millé- naire, on ne verra plus trop de voyous comme ce 9 Monsieur Dee Dee Ramone. Braves gens, l’industrie musicale maintient à bonne distance ces vilains punks de cuir noir, leur opposant chaque soir les saines valeurs de la télé karaoké. Peut-être est-ce pour cela qu’on voit de plus en plus de gens se promener avec un casque de Walkman sur les oreilles. Dans le métro, la réalité ou l’espace, ils sont les seuls à entendre Dee Dee Ramone crier «one two three four ». Et ils sont les seuls à entendre les tubes de Dee Dee, ces cartes postales de la misère la plus noire: 53d & Third, Loudmouth, Now I Wanna Sniff Some Glue, Poison Heart, Chinese Rocks. Moi, j’appelle ça un suicide. Philippe Manœuvre Introduction Dragon volant Si jamais il existe une quelconque logique dans cette vie, alors j’aimerais beaucoup la connaître. Et me voilà, une nouvelle fois, hôtel Chelsea, à New York. Ce que j’ai pu me défoncer, dans cet hôtel… Et, aujourd’hui, c’est ici que je viens décrocher. Bizarre, non? Dans deux semaines, c’est mon anniversaire. Ça me laisse donc quinze jours pour décrocher de la Métha- done, la pire de toutes les drogues, niveau accoutu- mance. Je sais déjà que cette épreuve sera plus difficile que toutes celles que j’ai connues. Aucune chance pour que ça reste anecdotique. Et tous les démons de 13 mon passé reviennent pour me tourmenter. On raconte que le Chelsea est hanté. Je suis prêt à le croire. Juste à l’instant, une libellule entre dans la chambre, elle vole en dessinant des cercles. Un dragon avec des ailes. Un dragon femelle. Comme Connie, un de mes démons d’il y a très longtemps. Il y a dix-sept ans, elle entrait dans ma chambre sans frapper. Elle a fait irruption par la porte en me trai- tant de tous les noms. Connie était très, très bourrée. Finalement, elle s’est écroulée et endormie. Seulement, avant ça, elle avait totalement détruit l’endroit. Elle avait pété une bouteille de champagne contre le radia- teur et tenté de me tuer en me tailladant le cou avec. Et puis elle s’était fatiguée toute seule, elle avait jeté la bouteille par la fenêtre, la brisant au passage. C’était le «bonne nuit», façon Connie: «Va te faire enculer, c’est fini. Allez, va te coucher.» Donc je me suis mis au pieu. Le lendemain matin, on a fait tous les deux comme si de rien n’était. On a rassemblé nos esprits, enfin, ce qu’on pouvait, et on s’est remis en route, tant bien que mal. On est descendus, on a sauté dans un taxi pour aller Lower East Side et on a trouvé quelqu’un pour nous revendre de la came.