L'accaparement Des Richesses En Côte D'ivoire
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UN CHOCOLAT AU GOÛT AMER : L’ACCAPAREMENT DES RICHESSES EN CÔTE D’IVOIRE OCTOBER 2020 By Jean Merckaert PERI WORKING PAPER SERIES: CAPITAL FLIGHT FROM AFRICA / WP#526 Un chocolat au goût amer : L’accaparement des richesses en Côte d’Ivoire Jean Merckaert1 Traduit et édité par Cadenza Academic Translations2 Avertissement : cette étude est parue dans sa version originale, en anglais, le 8 juillet 2020, peu avant la mort de Amadou Gon Coulibaly, alors candidat à la présidence de la République ivoirienne. C’est la traduction française de ce texte qui est publiée ici, sans mise à jour. Synthèse La filière cacao est le poumon de l’économie ivoirienne depuis que le pays a acquis son indépendance. La Côte d’Ivoire est aujourd’hui le premier producteur de cacao au monde (40%). Au cours des deux premières décennies après l’indépendance, l’impressionnante croissance économique du pays a été alimentée par les exportations de cacao. Le miracle ivoirien a néanmoins pris fin avec l’effondrement des prix du cacao et la flambée de la dette. Le pays a sombré dans une grave crise économique, suivie d’une crise politique, laquelle a abouti à une guerre civile au début des années 2000. Le secteur primaire des produits de base en Côte d’Ivoire s’est montré très vulnérable aux flux financiers illicites. Des écarts importants et persistants entre les chiffres du cacao exporté de Côte d’Ivoire et les chiffres du cacao importé par les principaux partenaires tels que les Pays-Bas, l’Allemagne et la France suggèrent qu’il se produit une substantielle fuite de capitaux. 1 L’essentiel de cette recherche a été menée alors que l’auteur était rédacteur en cheF de la Revue Projet au CERAS (Centre de Recherche et d’Action Sociales) à Saint-Denis en France. Il est aujourd’hui directeur de l’action et du plaidoyer au sein d’une organisation caritative française de premier plan. 2 Traduit de l’Anglais: “Bitter Chocolate: Wealth Extraction in Côte d'Ivoire”, PERI Working Paper 517, Juillet 2020. i Articulée autour de quatre grandes périodes de l’histoire politique ivoirienne, cette étude analyse les évolutions des flux financiers illicites dans la filière cacao, les mécanismes de captage de la rente tirée des ressources ainsi que d’enrichissement personnel qui les alimentent, les principaux acteurs nationaux et étrangers, et leur responsabilités. Sous le régime Houphouët-Boigny (1960-1993), à travers la gestion de la Caisse de stabilisation et de soutien des produits agricoles du pays, dite « Caistab », le président contrôlait pleinement la filière cacao et s’en servait pour son enrichissement personnel ainsi que celui de ses associés. Lui et son successeur Bédié (1993-1999) étaient de connivence avec des entreprises d’exportation dont les dirigeants politiques ivoiriens étaient actionnaires. Sous Gbagbo (2000-2010), la rente du cacao fut l’une des principales sources de financement de la guerre civile. Les techniques des Forces nouvelles dans le Nord et du gouvernement dans le Sud étaient similaires : taxer la production et les exportations de cacao, et exporter illégalement une partie de la production vers le Burkina Faso et le Ghana voisins. Sous le régime Ouattara (2011-2020), malgré une série de réformes visant la bonne gouvernance, la filière cacao est restée fortement concentrée entre les mains de quelques géants de l’agroalimentaire et rongée par le favoritisme. D’autres secteurs connaissent, eux aussi, des comportements de prédation persistants. Cette fuite des capitaux ininterrompue laisse penser que l’économie politique du cacao reste, encore aujourd’hui, profondément marquée par l’héritage colonial. Qu’elle soit dirigée par l’État ou par le marché, dominée par des acteurs étrangers ou nationaux, la filière cacao ivoirienne est restée la source d’accaparement des richesses préférée d’une poignée de membres de l’élite. Il est essentiel que la Côte d’Ivoire dépasse sa dépendance aux produits de base pour amorcer un développement équitable. ii Préface pour les Documents de Travail sur la Fuite des Capitaux en Afrique La fuite des capitaux constitue un obstacle majeur aux efforts de l’Afrique visant à combler les déficits financiers importants et croissants qui freinent ses progrès vers la réalisation des objectifs du développement durable. L’accumulation des preuves sur les sorties non enregistrées de capitaux en provenance d'Afrique a suscité des appels à des stratégies pour freiner l'hémorragie financière qui afflige le continent. Les preuves existantes sont toutefois encore insuffisantes sur quatre fronts. Premièrement, les preuves quantitatives sont majoritairement au niveau agrégé et ne fournissent pas des informations adéquates spécifiques par pays sur les mécanismes de la fuite des capitaux, le contexte institutionnel et le rôle des acteurs nationaux et étrangers qui la facilitent. Deuxièmement, la littérature n'a pas accordé une attention suffisante aux destinations de la richesse privée accumulée par la fuite des capitaux et aux rôles du secteur bancaire et des institutions publiques dans les juridictions de destination. Troisièmement, une grande partie de la littérature confond la fuite des capitaux avec le concept plus large des flux financiers illicites. Si toute fuite de capitaux constitue un acte illicite en raison de son transfert non enregistré - et souvent aussi en raison des origines illégales de la richesse et du défaut de déclaration des actifs et de paiement de l'impôt sur les revenus associés - tous les flux financiers illicites ne constituent pas une fuite des capitaux; par exemple, les paiements pour les importations de contrebande sont un flux illicite mais distinct de la fuite des capitaux. Quatrièmement, la littérature existante n'a pas suffisamment exploré la relation réciproque entre la fuite des capitaux et la gouvernance dans les institutions nationales et internationales. Pour aider à combler ces lacunes dans la littérature, le Programme de politique de développement en Afrique de l'Institut de recherche en économie politique (PERI) a lancé des analyses détaillées dans un projet généreusement soutenu par Open Society Foundations et Fondation Friedrich Ebert. Cette série de documents de travail présente les résultats du projet. Notre objectif en publiant ces rapports est de susciter une participation publique éclairée à la prise de décision sur la réglementation financière. Un volume édité contenant les principaux résultats sera publié par Oxford University Press. iii iv Remerciements Je souhaite exprimer ma profonde gratitude envers Matthieu Gonzalez, qui aura été un assistant de recherche infatigable et passionné tout au long de ce travail, et sans lequel cette étude n’aurait tout simplement pas pu voir le jour. Je voudrais rendre hommage à Léonce Ndikumana et James Boyce, qui m’ont non seulement fait confiance pour entreprendre ces recherches, mais qui m’ont aussi apporté un soutien constant. Leurs nombreux commentaires et leur aide à la finalisation de ce document, ainsi que l’aide précieuse d’Adam Aboobaker, m’ont été extrêmement utiles. Je suis redevable aux nombreux universitaires, fonctionnaires, hommes d’affaires, journalistes, militants et personnalités politiques qui ont accepté de répondre à nos questions. S’ils ne sont pas tous cités nommément (parfois à leur demande), ils ont collectivement contribué à faire la lumière sur les problématiques évoquées. Je souhaite remercier également le Centre de recherche et d’action sociales (Ceras) et son directeur d’alors, Bertrand Hériard Dubreuil, qui a accepté que je me charge de ce projet tout en assumant la rédaction en chef de la Revue Projet. J’adresse mes plus chaleureux remerciements à Mathilde, Jeanne, Sarah et Adélie, pour leur patience admirable et leur soutien sans réserve. v Liste des acronymes ACE Audit Contrôle Expertise ADM Archer Daniels Midland Company ANAPROCI Association Nationale des Producteurs de Café-Cacao de Côte d’Ivoire BAL Bolloré Africa Logistics BCEAO Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest BICICI Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie en Côte d’Ivoire BIS Bank for International Settlements (Banque de règlements internationaux) BNI Banque Nationale d’Investissement BNTED Bureau National d’Études Techniques et de Développement CAA Caisse Autonome d’Amortissement CAISTAB Caisse de Stabilisation et de Soutien des Prix des Produits Agricoles CBS Statistics Netherlands CCA Conseil du Coton et de l’Anacarde CCC Conseil Café-Cacao CCHA Compagnie Commerciale Hollando-Africaine Franc CFA Franc de la Communauté Financière d’Afrique CFAO Compagnie Française de l’Afrique Occidentale CFCI-Unilever Compagnie Française de Côte d’Ivoire CIDT Compagnie Ivoirienne pour le Développement du Textile CIE Compagnie Ivoirienne d’Électricité CIPEXI Compagnie Ivoirienne de Promotion pour l’Exportation et l’Importation CIPREL Compagnie Ivoirienne de Production d’Électricité CMA CGM Compagnie Générale Maritime CNUCED Conférence des Nations Unies sur le Commerce Et le Développement COMIVEX Compagnie Ivoirienne d’Exploitation des Mines CPI Cour pénale internationale DUS Droit Unique de Sortie ECP Emerging Capital Partners vi EDF Électricité de France EECI Énergie Électrique de Côte d’Ivoire Euro RSCG Roux, Séguéla, Cayzac et Goudard FDPCC Fonds de Développement et de Promotion des Activités des Producteurs de Café et de Cacao FGCC Fonds de Garantie des Coopératives Café et Cacao FILOCOM Fichier des Logements par Commune FMI Fonds Monétaire International FN Forces Nouvelles FPI Front Patriotique Ivoirien FRCC Fonds de Régulation du Café et du