Arthur Rimbaud
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COLLECTION PORTRAITS LITTÉRAIRES dirigée par P. M. de BIASI - Y. CHEVREL - M. COLLOT - J-L. JOUBERT Arthur Rimbaud par Jean-Marie Gleize HACHETTE H Supérieur Couverture : Arthur Rimbaud par Ernest, © ADAGP. ISBN 2-01-018717-2 Hachette-Livre, 1993, 79 Bld Saint Germain 75006 Paris Tous droits de traduction, de reproduction et d 'adaptation réservés pour tous pays. Rimbaud comme Essai pour Jacques Roubaud les ressemblances le gênaient il parlait de cette impossibilité de mentir Claude Royet-Journoud Prologue Jadis, si je me souviens bien, Rimbaud était un poète maudit. Il était l'homme aux semelles de vent. Et puis, l'auteur du Bateau ivre et du Dormeur du val. Un de mes meilleurs souvenirs d'enfance (poétique) est ce jour où je me suis aperçu que les lettres initiales du dernier tercet de ce poème (le Dormeur) faisaient verti- calement le mot LIT. Ensuite, j'avais l'impression d'être autorisé à lire indifféremment «dans un trou de verdure» ou «dans un trou de vert dur», et plus bas, «lit vert» ou «l'hiver», etc. Le texte se met- tait à tourner. Ce fut ma première «hallucination des mots». Sinon, je n'ai jamais pu voir une mosquée à la place d'une usine, ni rien de ce genre. J'ai envie de dire : au contraire. Et mon débat avec Rimbaud n'a peut-être jamais cessé de concerner cela. Ou bien cul- ture et transmission de l'hallucination simple, l'hallucination ver- bale pouvant à la rigueur servir de relais, de moyen, de tremplin. Et jouissance panique à tout ce qui en résulte. Ou bien, mais c'est plus difficile à dire, à décrire, à justifier : pratique de la poésie (étude, calculs, séance des rythmes) jusqu'à ce qu'on parvienne à écrire en prose, jusqu'à «la morale et la langue réduites à leur plus simple expression, enfin !» C'est le sujet, ou la raison, de ce livre. Qui n'est pas une présen- tation de Rimbaud . Qui est une traversée intempestive, partiale et sans précautions, d'un texte consulté «de main nocturne et jour- nelle», pour y trouver quelque chose. Cela ayant à voir avec le quelque chose et le sans fin et le minage dont parle Rimbaud au second de ses Déserts de l'Amour : «minant sans fin quelque chose». Cette phrase serait un beau titre. Elle est simplement belle, c'est-à-dire juste, comme le titre qu'il me faudrait. Coïncidant au sans fin dont ces lignes ne pourront être qu'un fragment. Il est inutile, dans ces conditions, de préciser que je ferai comme si, contre toute superstition scolaire, et contre toute liturgie scienti- fique ou idolâtrique, tous les énoncés de Rimbaud n'avaient pas le même poids. Ils n'ont pas le même poids pour moi, au moment où j'écris. Certains sont inépuisables. D'autres nuls. Le fait même de la lecture permanente permettant à ces poèmes ou segments de poèmes, ou phrases, d'échanger leurs places, de re-devenir nuls ou inépuisables, selon. Il s'agit de valeurs d'usage. Rimbaud me parle de cette impossibilité de mentir. Rimbaud comme. Hugo Pratt, Les Éthiopiques, © Casterman, 1978. 1. Qui n 'est pas d'abord, pour son auteur, une simple «présentation» de Rimbaud. Qui, en terme d engagement personnel, d'engagement d'écriture, représente pour son auteur beaucoup plus qu'une simple «présentation». Agencé toutefois de façon telle qu'au terme de son usage Rimbaud soit «présenté» à son lecteur. Et même rendu présent, s'il se peut. 2. «Il parlait de cette impossibilité de mentir». Ce vers de Claude Royet-Journoud (Le Renversement, Gallimard, 1972) vient ici en épigraphe. Selon moi il parle de la poésie comme refus des doubles. Il y a la poésie qui est l' exercice du mensonge, la production à volonté de la féerie des doubles. Et celle qui est au contraire l' expérience de l'impossibilité du mensonge. Sous certaines conditions la poésie est même la seule forme de «littérature» ou d'expression qui ne mente pas. Rimbaud ne veut rien d'autre que la vérité et la réalité c'est-à-dire la délivrance. Commencements «Rimbaud (Arthur), poète français, né à Charleville (1854-1891). Génie d'une précocité extraordinaire, il avait, à dix-neuf ans, donné toute son œuvre ; se révoltant contre toutes les traditions, il cherche à exprimer, dans sa poésie, l'absolu des choses ; il eut une grande influence sur Verlaine et le symbolisme. On lui doit : Le Bateau ivre, Les Illuminations, Une Saison en enfer. De vingt ans à sa mort, il mena une vie d'aventurier.» Par lui-même, le 17 avril 1871 : «Ne sachant rien de ce qu'il faut savoir, résolu à ne faire rien de ce qu'il faut faire, je suis condamné, dès toujours, pour jamais.» Écrire de Rimbaud après le dix novembre mille neuf cent quatre vingt onze est un peu étrange. Il vient de mourir à cent trente sept ans. Il vient de remourir. On le voit dans les cimetières : après la cérémonie la tombe dis- paraît sous les fleurs, étouffée. Le silence de Rimbaud est de plus en plus fort. Plus nous parlons de lui, plus nous écrivons de lui, plus son silence est audible, puis- sant, impressionnant. Est-il possible dès lors de faire comme si de rien n'était ? Comme si rien de tout cela (célébrations, biographies, nouvelles gloses savantes, œuvres «complètes» etc.) n'avait eu lieu ? Peut-être. D'un côté : plus nous parlons de et pour lui, plus nous parlons à sa place, plus son silence est terrible. Mais d'un autre côté : jamais nous ne parviendrons à le faire taire. Rien ne peut le faire taire. Ou bien l'effacer. D'où vient-il ? Se peut-il que nous ayons besoin de lui ? Comment ? S'il continue de parler malgré nous, en nous, comment et où le rejoindre ? Toutes ces questions je les sens maladroites, incorrectes, inconvenantes, impertinentes, à côté de ce qu'il fau- drait. Pourtant, je n'en ai pas d'autres, ou d'autres formules. Seules l'insistance de Rimbaud, la certitude qu'il survit en moi-en nous à sa re-mort, me poussent, me contraignent. Je ne suis jamais allé à Charleville, bien sûr Il n'y a pas de commencement. En voici un : l'adjectif «brutal». C'est dans Les poètes de sept ans que j'ai d'abord (je parle ici d'une chronologie personnelle) rencontré ce mot, au centre du poème (c'est vrai, presque au centre, vers 38, quand il y a 64 vers dans ce texte) : il s'agit du saut, sexuel, de la «petite» (huit ans), sur le dos de l'enfant (sept ans) «en secouant ses tresses» : corps à corps, coups (de poings et de talons), morsure (aux fesses), «saveurs de la peau»... Et puis je l'ai retrouvé dans les Trois bai- sers : «Elle», assise et mi-nue «eut un doux rire brutal». Puis encore aux Réparties de Nina : «Lui», devant elle riante (toujours d'un «rire fou») est dit sur le point de la prendre, «brutal d'ivresse». Raturé enfin (sur les conseils du professeur Izambard) à la conclusion du poème À la musique : «Et mes désirs brutaux s'accrochent à leurs lèvres.» J'en déduis que brutal est de part et d'autre, lui ou elle, violence et douceur, et désir et ivresse. Brutal est donc et restera pour moi un mot «rimbaldien», à sens double, à double sexe (comme il est écrit du satyre à la poitrine de cythare dans Antique), lié à ce mystère de la douceur et de la douleur qui est à la fois, indissolublement, de Rimbaud à Anne-Marie Albiach, celui de l'amour et de la poésie. Autre : Il m'est arrivé d'écrire que je me suis d'abord imaginé la littérature à partir de ces mots, que je ne «comprenais» pas : Un hydrolat lacrymal lave. Ou plutôt : la poésie. Ou plutôt : la littéra- ture comme, nécessairement : la poésie. C'est-à-dire : cette façon qu'a le langage de s'imposer, et de s'opposer, de «faire résonner le son-sens ; la sonorité qui crée ce bizarre environnement atmosphé- rique chargé d'un sens irréductible au sensé» (Bernard Noel). Ainsi, dans le souvenir que je dis : un ciel vert (chou) lavé par un 1. Contrairement à Alain Borer je ne crois pas utile de me rendre sur les lieux. Rimbaud a lieu ici- maintenant où je suis (en train de le lire). Tout le reste relève d'un tourisme douteux, ou d'une fausse idée de la présence. Pour être présent, et le devenir, chacun sait que Rimbaud n'était jamais là. 2. Léman, édition du Seuil, Coll. Fiction & Cie, 1990, p.27. bruit de langue, premier : un hydroLAT LAcrymAL LAve... : lallation, la-la-la, l.a. la, l'énergie insensée d'un départ. Plus loin, plus tard, la découverte des mots «étrangers» au milieu du poème, leur impé- rieuse nécessité, évidence, trouant à chaque fois le tissu, le wasser- fall blond, le steerage, le long pier en bois, le strom, le cœur ambre et spunk, jusqu'au fragment absent de tout lexique, dont les plus judicieux érudits peuvent à perte de vue justifier la présence, ima- giner le sens. En vain. Ce mot, à lui seul, figure la langue-la poésie telles qu'elles apparaissent à Rimbaud, puis au lecteur de la langue-Rimbaud, telle aussi que Rimbaud la rend, nous la rend : étrangère (brutale ?) : «BAOU». J'ai prononcé le nom d'Anne-Marie Albiach. On cherche sou- vent à savoir ce qui de Mallarmé ou de Rimbaud ou d'autres de nos «classiques» parle dans la poésie contemporaine.