Au rendez-vous

jouer ce rôle, qu'il préparait quand il mourut. Jean-Louis Barrault l'a joué encore dernièrement, sans se soucier de Nancy des sarcasmes qui accompagnent, de- puis qu'elle a paru, la traduction de Gide. Cet hiver, le Théâtre national de Belgique a choisi la traduction d'Yves JACK LANG Bonnefoy et fait appel à un célèbre metteur en scène tchèque. Georges Wilson, lui, s'est adressé TriVé jeudi soir à Nancy, j'ai les « pacificateurs » brutaux ressem- à Pierre Vaneck, qui est effectivement assisté en trois jours à qtta- blent étrangement à des gardes ci- le seul possible en , a torze représentations, pris vils d'aujourd'hui ? Que voulez-vous, commandé à la va-vite une traduction part à trois colloques, à deux les tendances contemporaines du dé- à la femme de Vaneck, a demandé un séminaires et à une « table ronde » cor visent à la stylisation, et c'est vague dispositif scénique, des acces- de la critiqué parisienne, visité deux après tout l'Espagne éternelle, comme soires miteux et des costumes sans expositions consacrées à l'art draina le disent si bien les manuels, que pei- charmes à Jacques Demarquet, décora- tiques, délibéré avec un jury de qua- gnent les grands classiques. En un teur maison, fait exécuter une musique rante membres, renc,ontré des dizaines mot, si vous ne voulez pas de la sub- tonitruante à un jeune compositeur d'étudiants, d'acteurs, de metteurs en version, supprimez radicalement la imitateur de.Maurice Jarre. scène et d'écrivains. Vingt-cinq trou- cultire. Ou résignez-vous alors à voir Et puis, il a fait jouer la pièce à pes venues de vingt-et-un pays diffé- la censure dindonnée. ses acteurs. On a l'impression qu'il rents, un public d'une extraordinaire leur a dit de se débrouiller comme ils ferveur, et,dans l'air, une fièvre crois- pouvaient, qu'il y avait là une pièce sante, communicative, autour du mê- A l'Est, rien de nouveau qu'ils devaient savoir par coeur et que, me unique objet : le théâtre. pourvu qu'ils disent, dans la traduction de Sophie Becker : « Etre ou ne pas Messieurs les directeurs, ne nous La Tchécoslovaquie, elle, présentait être, tout est là », pour faire original, parlez plus désormais de vos salles une pièce écrite au xvie siècle par tin tout finirait par s'arranger. transformées en déserts: Le public prêtre protestant, qui puisait dans la que volis cherchez, il est là, à côté Bible tous ses arguments de critique de vous, il accepte de tout écouter, sociale. « Un riche et un mendiant », Comme un mélodrame pourvu qu'il soupçonne un peu de pas.; c'est une sorte d'enluminure naïve, sion chez vous et que vous acceptiez où l'on voit le bon Dieu récompenser de faire un pas vers lui. Ce qu'a les pauvres et le Diable se safsir des C'est ce qui arrive, en effet. Nous réussi Jack Lang, un jeune agrégatif méchants cupides : beaucoup de verve, savons « Hamlet » par coeur, nous aus- de droit nancéien, directeur de Fes- une vraie poésie, de l'humour, une si. Nous avons pu vérifier que tout se tival, vous devriez y parvenir à votre simplicité très directe, une invention pa,,:e comme d'habitude, que le spec- tour pour peu que vous posiez le vé- spontanée, c'est cela aussi le théâtre tre vient à l'heure dite — ne serait-ce ritable problème : les amoureux du populaire. De la même manière, la la voix de Jean Martinelli, c'est la théâtre ne sont plus les Mêmes que Hongrie nous a montré une comédie meilleure scène — qu'Ophélie devient ceux d'hier. de son xvme siècle, « la Veuve de Kar- folle, qu'il y a des fossoyeurs, le crâne Qu'on ne parle pas, non plus„ de nyo », et la Turquie un remarquable de Yorrick et le nombre de morts conve- fanatisme intellectuel chez ces nou- travail issu du Karagueuz et - du fol- nables. Il y a. même un duel très bien veaux spectateurs, étudiants et em- klore le plus ancien. Le théâtre pOlo- réglé et Pierre Vaneck fait preuve de ployés, bientôt peut-être ouvriers nais de Gdansk, cependant, s'est in- tant d'agilité physique, de tant de souf- on leur a montré Beckett et Marivaux, téressé tout spécialement à la fle sous son apparence un peu frêle, il Ghelderode et Lope de Vega, dés Chan- recherche formelle, nous livrant une PIERRE VANECK DANS « HAMLET » a un si beau visage, que nous pouvons Aucune question tefables et des paraboles brechtiennes, très subtile étude du mouvement, des dire que nous avons bien assisté à une des classiques et du folklore. Un seul couleurs, des lignes et des volumes. représentation de « Hamlet ». absent à Nancy. dont on aimerait voir Est-ce seulement cela que nous at- enfin dresser l'acte de décès : le théâ- tendons du T.1'n,I,P. ? Quoi ? Ils citent tre de pure consommation. Jan Kott, Victor Hugo, Jean , ils LE PALMARES ont vu un filin anglais, un film sovié- tique, ils ont vu John Neville au Théâ- L'Espagne éternelle Grand Prix (ex aequo) Espa- tre des Nations et la mise en scène de ene: (« Fuenteovejuna »deLope Peter Brook pour le « Roi Lear » et de Vega) et Tchécoslovaquie celles de Planchon pour « Henri W » et Quant à dessiner des lignes de cli- (« Un riche et un mendiant » de Un Hamlet celle de Rétoré pour « Macbeth » et ils vage d'après ce que nous ont présenté P. Kyrmezer) ; mentions spécia- représentent « Hamlet » comme un mé- les étudiants des cinq continents, on les : Finlande (« le Mariage des lodrame? peut au moins avancer ceci': le jeune petits bourgeois » de Brecht) Pas une intention, pas un parti pris, théâtre se préoccupe à la fois d'avoir Hongrie (« la Veuve deKarnyo» pas une idée dominante, pas un effet, beatnik une prise sur la réalité contemporain?. , de M. Csdkonai - Vitez) ;Polo- rien. Eh bien, cela n'est pas possible. qu'il recoure à la dénonciation ou a gne (« les Juges » de WysPians- On n'est pas le premièr théâtre popu- l'analyse critique, et de retrouver une ki) • Turquie (« le Cordonnier laire de France, on n'affiche pas certaine fraîcheur en redécouvrant ses Ahnied »). « complet » tous les soirs sans que cela racines populaires. C'est pour prendre crée de grandes obligations. acte de cette double tendance que le HAMLET Je ne veux pas dire que le T.N.P. jury a partagé son Grand prix entre doive être un théâtre de recherche, je les théâtres universitaires de Madrid Paradoxe : ce ne sont ni les démo- Trad.Sophie Becker. ne souhaite pas qu'on y traduise « Ham- et de Bratislava. craties de l'Est ni les pays en voie let>? en argot — quoique le vocabu- de développement (à l'exception du Théâtre National Populaire. laire de Sophie Becker soit particuliè- A l'Espagne, donc, la palme du théâ- Venezuela près) qui ont représenté rement pauvre et par trop anachroni- tre engagé et du courage intellectuel. à Nancy l'école brechtienne, mais le ires, soupirs, frémissements, Subventionnée par le très officiel silences, le jeune public qui que ,ni qu'on y fasse de « Hamlet » Studententheater de Berlin - Ouest S.E.U., la troupe madrilène iett pas - entourait ce soir-là le batail- je ne sais quel beatnik. Non, je deman- avec « la Bataille de Lobositz », du de seulement qu'entre toutes les possi- eu à soumettre le choix de sa pièce à ,dramaturge est-allemand PeterHacks, ft Ion des critiques au T.N.P. la censure : il s'agissait du classique n'avait sûrement jamais vu jouer bilités que nous offre cette oeuvre trop le Théâtre universitaire de Helsinki, riche, on en mette en.valeur quelques- « Fuenteovejuna », de Lope de Vega,: avec une excellente mise en scène de « Hamlet ». Lu peut-être, mais rien ne et tout le inonde sait que les classi- remplace, on le sait, une représenta- unes. la première pièce du fondateur du Ici, ni les rapports entre les person- ques ne sont pas dangereux. Ce n'est Berliner, « le Mariage des petits bour- tion. Le T.N.P. remplit donc parfaite- assurément pas la faute du metteur en ment son rôle quand il joue l'oeuvre la nages, ni le sens historique, ni psy- geois » (qui eut, elle aussi, mérité le chologique, ni philosophique, n'appa- scène Francisco Cruz de Castro siLope premier prix), et le Groupe théâtral plus célèbre de Shakespeare, que les a raConté l'histoire d'un village en proie Belges vont nous présenter dans quel- raissent à aucun instant. Si, au moins, de Louis-le-Grand : intelligents, mais. on pouvait se consoler avec le « spec- à l'arbitraire de son gouverneur, et de encore trop empêtrés dans leur doc- ques jours et qu'on a pu voir, au cinéma paysans qui refusent de dénoncer l'un cet hiver, dans la mise en scène de tacle ». Mais la seule trouvaille de trine, nos lycéens nous ont offert une Georges Wilson eV de son décorateur des leurs au tyran ; si les inquisiteurs explication didactique de « l'Héritier Kosinstev : le plus beau « Harolet » violaient les consciences et torturaient que j'aie jamais vu. Demarquet est d'avoir fait pauvre : de village » de Marivaux même dans ce registre, qui est celui l'Espagne d'hier, et si les villageois « Bref », le journal du T.N.P., repro- suppliciés faisaient face à la violence Ainsi, c'est peut-être du théâtre uni- duit fort judicieusement des passages du Berliner Ensemble ou de Peter Brook montant le « Roi Lear », C'est avec une admirable et patiente force versitaire que viendra le salut pour le du livre de Jan Kott, « Shakespeare d'âme. théâtre tout court. Reste &définir exac- notre contemporain » et des définitions raté. La simplicité, elle aussi, exige tement l'amateurisme en pareille ma- de Victor Hugo, qui montrent assez la de profondes recherches. Il est visi- tes comédiens, dites-vous, ont sup- ble que Georges Wilson ne s'est posé tière, à multiplier les liens et les échan- richesse inépuisable d'une des plus primé la scène finale où l'arbitrage ges, à approfondir la réflexion et à grandes pièces de théâtre jamais aucune question. Ce qui est tout de du roi réconciliait tout le monde ? développer, surtout en France, l'étude écrites. même gênant dans une pièce où l'on Mais le festival de Nancy imposait à ne fait que ça. des techniques dramatiques. On s'y Tout cela aurait dû impressionner chaque troupe de ne pas dépasser emploie déjà, à Nancy et ailleurs. Georges Wilson. Gérard Philipe avait l'heure. Les costumes ne renvoient attendu jusqu'à trente-sept ans de GUY DUMUR pas spécialement au xvne siècle, et ROB ERT ABIRACH E D Le Nouvel Observateur Page 2.5