Perspective Actualité en histoire de l’art

1 | 2009 Antiquité/Moyen Âge Antiquity/Middle Ages

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/perspective/1251 DOI : 10.4000/perspective.1251 ISSN : 2269-7721

Éditeur Institut national d'histoire de l'art

Édition imprimée Date de publication : 31 mars 2009 ISSN : 1777-7852

Référence électronique Perspective, 1 | 2009, « Antiquité/Moyen Âge » [En ligne], mis en ligne le 08 juin 2013, consulté le 01 octobre 2020. URL : http://journals.openedition.org/perspective/1251 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ perspective.1251

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Antiquité La recherche sur la sculpture grecque aujourd’hui ; la céramographie antique et les collections modernes ; les figurines en terre cuite ; publications sur les Phéniciens, la maison romaine en Italie, le dialogue entre les arts à l’époque hellénistique... Moyen Âge Quel statut pour l’image religieuse ? Qu’entend-on par art et architecture islamiques ? Dix ans de recherche sur le vitrail en Europe ; actualités sur les forteresses, la notion de trésor, la sculpture gothique française, nouvelles lectures pour les images médiévales, le Trecento italien... Ce numéro est vente sur le site du Comptoir des presses d'universités.

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SOMMAIRE

Le portrait iconique : entre histoire, littérature et histoire de l’art Gilbert Dagron

Antiquité

Débat

La sculpture grecque : découvertes archéologiques, avancées scientifiques, orientations méthodologiques Irene Bald Romano, Reinhard Senff, Emmanuel Voutiras et Antoine Hermary

Travaux

Céramographie antique et collections modernes : nouvelles recherches sur les vases grecs dans les musées historiques et virtuels Hildegard Wiegel

Les figurines antiques de terre cuite Annie Caubet

Actualité

D’Orient et d’Occident, les Phéniciens Pierre Rouillard

La maison romaine en Italie : planimétrie, décor et fonction des espaces Vincent Jolivet

Le dialogue entre les arts à l’époque hellénistique : perspectives nouvelles Jean Trinquier

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Choix de publications

Ouvrages reçus

Moyen Âge

Débat

Le statut de l’image religieuse au Moyen Âge, entre Orient et Occident Herbert Kessler, Jean-Michel Spieser, Gerhard Wolf et Anne-Orange Poilpré

Art et architecture islamiques : des catégories fluctuantes Heghnar Watenpaugh

Travaux

Le vitrail médiéval en Europe : dix ans d’une recherche foisonnante Brigitte Kurmann-Schwarz et Claudine Lautier

Actualité

Les images médiévales à la recherche de nouveaux cadres Dominique Donadieu-Rigaut

Des trésors au Moyen Âge : enjeux et pratiques, entre réalités et imaginaire Michele Tomasi

La sculpture gothique française aux XIIe et XIIIe siècles Pierre-Yves Le Pogam

Les images médiévales à la recherche de nouveaux cadres Dominique Donadieu-Rigaut

Le Trecento en Italie, entre Toscane, Lombardie et Vénétie Serena Romano

Choix de publications

Ouvrages reçus

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Le portrait iconique : entre histoire, littérature et histoire de l’art Iconic portraits: between history, literature, and art history

Gilbert Dagron

1 L’ouverture à de nouveaux sujets et le pragmatisme des méthodes permettent aujourd’hui aux historiens, historiens de l’art et philologues de chasser sur les mêmes terres et de s’échanger leurs armes. Il n’en fut pas toujours ainsi. Dans le panorama universitaire des années 1950 et 1960, le cloisonnement prévalait. C’était parfois affaire de personnes, plus souvent de clivages disciplinaires, et un grand problème comme la « crise des images », longue et violente dans l’Orient médiéval, plus épisodique mais non moins significative en Occident, n’appartenait en totalité à personne. Les historiens lui cherchaient des causes politiques ou sociales, plus sérieuses qu’un différend philosophique sur la représentation ou qu’une querelle entre théologiens, ou bien s’en débarrassaient par une opposition sommaire entre une tradition « hellénique » éprise de beauté et un tréfonds oriental décidément rebelle à toute figuration. Comme il arrive souvent, des travaux novateurs, tels que ceux d’André Grabar, eurent un effet retardé et un retentissement hors les murs. C’est le Centre de recherche sur les études byzantines de Dumbarton Oaks (Washington) qui catalysa les recherches, permit l’osmose, sinon l’interdisciplinarité, et tissa des liens entre des chercheurs occasionnellement invités ou permanents (Kurt Weizmann, Ernst Kitzinger, Otto Demus, André Grabar, Sirarpie Der Nersessian), dont beaucoup avaient eu à connaître l’exil et portaient en eux les héritages culturels de la vieille Europe. Plutôt qu’une « école », ce fut un lieu de réflexion et d’expérimentation. Et pour moi l’occasion d’une heureuse transgression, lorsque, dans un séminaire de 1990 qui correspondait à la sortie de Bild und Kult de Hans Belting1, je fus invité à parler sur un thème que j’avais depuis longtemps en tête, « Holy Images and Likeness », et qui a donné matière à un livre2.

2 Pas plus qu’André Grabar je ne crois à la spécificité de l’icône de culte. Elle est un portrait dans sa définition rigoureuse : la représentation d’une personne pour elle- même, hors de tout décor et de toute action. Sont aussi bien des « icônes » les

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représentations des empereurs ou de leurs fonctionnaires, affichées dans les lieux publics, et les portraits funéraires du genre de ceux du Fayoum. Tous ces portraits iconiques ont une dimension religieuse, dans la mesure où ils représentent un absent et visent à établir un lien direct et personnel non pas avec un simple spectateur, mais avec un fidèle qui prie son dieu, un sujet qui renouvelle son allégeance à un souverain, un parent qui se souvient d’un mort. Son passage par la théologie a seulement donné un peu plus de raideur à l’image de culte. Il a fait monter les enjeux. Ce qui était en bonne dialectique le paradoxe de la représentation, familier aux philosophes de l’Antiquité, est devenu un dogme, une orthodoxie ou une hérésie sans compromis possible, un cas extrême, mais dont l’analyse intéresse finalement le genre du portrait dans son ensemble.

3 L’icône est un portrait « vrai », ce que disent à leur manière le nom de « prototype » donné à la personne représentée – qui n’est que l’original d’une série illimitée de reproductions ayant même valeur –, et les nombreuses anecdotes qui montrent le peintre impuissant à reproduire les traits de son modèle, vivant ou mort, jusqu’à ce qu’ils s’impriment miraculeusement sur la fresque ou sur la surface vierge de l’icône. L’idée folle d’une image non faite de main d’homme (achéiropoiète), que réalisera plus tard la photographie, n’est que le superlatif d’une notion commune, sous-jacente à ce type de représentation dans lequel l’artiste est un technicien et l’art un mensonge. Le portrait iconique n’est jamais signé. Le nom qu’on y appose est celui de la personne représentée, pour éviter toute équivoque et sceller l’authenticité de ce qui est implicitement conçu comme une sorte d’autoportrait. Les types, sinon le style, sont invariants. Adolphe-Napoléon Didron, en révélant à l’Europe romantique le Manuel d’iconographie de Denys de Fourna3, qu’il avait découvert au Mont Athos en 1839, se disait fasciné par cette peinture rivée aux traditions, si différente de l’esthétique occidentale. C’est bien vu. L’art profane autorise les écarts d’imagination ; l’art sacré, en Occident même, apprit à se défier des « images inhabituelles » ; l’art cultuel du christianisme oriental les repousse par principe, pour ne garder que les modèles dont on pense qu’ils ont fait la preuve de leur efficacité comme intermédiaires de la prière et du miracle.

4 L’argument majeur des défenseurs de l’image, lors de la crise iconoclaste, fut de dire que le Christ, comme la Vierge et les saints, avait été « vu parmi les hommes » et était donc représentable. Cet appel à témoin rapproche l’icône d’un genre rhétorique bien connu du monde romain oriental, l’eikonismos, qui consiste à décrire les caractéristiques physiques d’une personne (absente, disparue et recherchée, historique ou inventée) à l’aide d’un vocabulaire limité et codifié, assez proche de nos portraits-robots. Apôtre Pierre : vieux, taille moyenne, cheveux courts, yeux sombres, sourcils se rejoignant, prompt à la colère, changeant facilement d’avis… Constantin le Grand : taille moyenne, cou massif, rouge de peau, barbe rare… Diomède : carré, vigoureux, blond, nez légèrement camus… Vrais ou forgés, ces signalements valent témoignages, et l’on comprend l’importance qu’ils purent avoir pour une iconographie chrétienne qui s’était détournée des motifs symboliques (agneau, poisson) et des « figures » vétérotestamentaires, afin de s’ancrer dans l’histoire. Des textes découverts et publiés par l’historien de l’art Manolis Chatzidakis montrent comment on passa des eikonismoi aux recettes des manuels de peinture, l’image n’ayant plus qu’à ressembler à elle- même, mais gardant l’autorité du témoignage et un étroit rapport avec les mots4. Reconnaître la parenté entre les images iconiques et les descriptions verbales, c’est aussi comprendre qu’elles se construisent de la même façon : par accumulation de

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détails individualisants (Ernst Kitzinger)5, dans la définition et la fonction de « portraits typologiques » (André Grabar)6 qui approchent l’individualité sans jamais tout à fait l’atteindre.

5 La « réception » est un autre concept d’histoire de l’art, utilisé notamment par Ernst H. Gombrich pour d’autres époques et d’autres genres7, qui permet de jeter sur l’icône une lumière nouvelle. D’abord parce que, de tous les genres de portraits, le portrait iconique est celui où comptent le plus les mécanismes de la reconnaissance. L’icône peut n’être fondée sur aucune réalité historique, à l’instar de l’image du Christ, mais elle doit être constante dans sa forme et gravée dans un imaginaire collectif sans variations trop fortes. Son authenticité dépend du seul consensus. Elle n’évoque pas un personnage du passé, elle préfigure la vision qu’on aura de lui. Dans la littérature de piété, les apparitions ont une assez faible teneur miraculeuse : le fidèle ne reconnaît jamais, en vision, rêve ou prière, que l’image du saint patron de son église, prête à l’emploi. Mais la réception de l’icône ne se réduit pas à cette reconnaissance. Elle donne à celui qui la regarde le soin de l’achever, de porter ce portrait typologique au-delà du seuil d’individualisation et de se l’approprier en communiquant avec lui. La liberté, chichement mesurée au peintre, est largement consentie au spectateur et libère en lui un flot de subjectivité, un discours explicite ou implicite, parfois une ekphrasis rhétorique mal adaptée à son objet, mais plus souvent un exercice de méditation pouvant mener à la « componction » et aux larmes.

6 Ces voies conduisent assez loin de la théologie dogmatique, à laquelle il faut pourtant revenir pour interpréter correctement ce qu’on appelle sommairement le « triomphe de l’image » et apprécier le nouveau statut qu’il donne à l’icône. De cette « crise » de cent trente années, émaillée de polémiques, de persécutions, de revirements et d’autocritiques, il est bien difficile de dire qui sortit vainqueur. Un retournement s’opéra, qui fit des saintes images non plus seulement le « livre des illettrés », formule de tolérance minimale qui continua d’avoir cours en Occident, mais l’affirmation nécessaire et suffisante de la foi. L’icône l’emporta, mais sa définition picturale tient compte, au moins en partie, des arguments iconoclastes : elle est paradoxalement signe et corps ; elle refuse le relief, place les personnages dans une surface plane, traite les visages comme des motifs ornementaux… Ces caractéristiques, notées avec précision par André Grabar, donnent à l’icône une part de négativité que l’historien rattachera aux interdits iconoclastes, et l’historien de l’art ou l’artiste à une recherche consciente de l’« intelligible » ou du « spirituel ». Sans doute ont-ils l’un et l’autre raison. L’image iconique prend soin de dire à la fois ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. C’est, me semble-t-il, cette part de négativité qui explique, en même temps que la beauté de l’icône, le rôle de modèle qu’ont voulu lui faire jouer des peintres comme Kandinsky ou Matisse et des critiques d’art comme Georges Duthuit dans leur rébellion contre le naturalisme finissant et le « rituel esthétique » des musées.

7 On comprendra sans peine qu’un byzantiniste, littéraire et historien par vocation, s’intéresse à l’icône, à son statut et à sa réception, sujets qui occupent une si grande place dans son corpus de sources. Devient-il pour autant historien de l’art ? J’en doute. Mon souci, en tout cas, a été de rester frontalier et de ne parler que des images en rapport avec les mots et des mots en rapport avec les images. Non par prudence mais par méthode : pour ne pas réintroduire la notion d’œuvre d’art dans un temps et un espace d’où elle a été délibérément exclue, et pour étudier les problématiques de la ressemblance, de la vérité, de la réalité et de la signification de l’image iconique dans la

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lumière crue que cette exclusion de l’art a projeté sur elles. Cas extrême et pour cette raison exemplaire. Plus généralement, mes rapports avec les historiens de l’art ont été de bon voisinage, mais d’indifférence aux querelles qui les opposaient naguère en écoles, au moins en France, et ne m’intéressaient pas. Celui d’entre eux que j’ai le plus constamment lu et admiré est Erwin Panofsky, mais c’est affaire de tempérament et d’occasion. Car on a raison de dire que les historiens sont opportunistes. L’histoire, telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui, est une science expérimentale portant sur le passé : pour être scientifique, il lui faut un champ d’observation aussi parfaitement contrôlé que possible, d’où l’importance des spécialités comme la mienne ; pour être intelligente, il lui faut des outils d’analyse très diversifiés, c’est-à-dire des problématiques importées ; pour aboutir à une œuvre écrite, il lui faut la médiation d’un historien, dont la personnalité dépend largement de ses propres lectures. Celles qui m’ont le plus marqué étaient assez éloignées de Byzance, allant, en dehors de Panofsky, d’Ernst Kantorowicz à Frances Yates et de Georges Dumézil à Claude Lévi- Strauss. Peut-être m’ont-elles donné une curiosité particulière pour l’iconographie et l’iconologie, les arts de mémoire, les structures du récit, les concepts juridiques et théologiques, les systèmes classificatoires ? Cette logique trop personnelle rend difficile le sentiment d’appartenance qu’exigent de leurs adeptes les disciplines plus fermées sur elles-mêmes. Vingt-six ans d’enseignement au Collège de France ont certainement accru mon sentiment d’indépendance. Elles m’ont donné le privilège de me lier d’amitié avec de brillants esprits, mais assez rarement d’engager avec eux des discussions théoriques. Si le décloisonnement est gage de liberté, il ne favorise pas les confrontations.

NOTES

1. Hans Belting, Bild und Kult, eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter der Kunst, Munich, 1990 [trad. fr. : Image et culte une histoire de l’art avant l’époque de l’art, Paris, 1998]. 2. Gilbert Dagron, Décrire et peindre, essai sur le portrait iconique, Paris, 2007. 3. Denys de Fourna, Manuel d’iconographie chrétienne grecque et latine, Adolphe-Napoléon Didron éd., Paris, 1845 (traduit du manuscrit byzantin Le guide de la peinture [du moine Denis]). 4. Manolis Chatzidakis, « Ek tôn Oulpiou tou Rômaiou », dans Epeteris Hetaireias Byzantinôn Spoudôn, 14, 1938, p. 393-414, repris dans idem, Studies in Byzantine Art and Archaeology, (Variorum Reprints), Londres, 1972. 5. Ernst Kitzinger, « Some Reflexions on Portraiture in Byzantine Art », dans Zbornik Radova, 8, 1963, p. 185-193. 6. André Grabar, « Le portrait en iconographie chrétienne », dans idem, L’Art de la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge, 2 vol., Paris, 1968, p. 591-605. 7. Ernst Hans Gombrich, Art and Illusion. A study in the psychology of pictorial representation, Londres 1960 [trad. fr. : L’Art et l’Illusion. Psychologie de la représentation picturale, Paris, 1971].

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INDEX

Mots-clés : crise des images, tradition hellénique, icône, iconoclasme, eikonismos, iconographie, iconologie, portrait, achéiropoiète, christianisme Keywords : Hellenism, sacred images, sacred objects, icons, iconoclasm, eikonismos, iconography, iconology, portraiture, acheiropoieta, Christianity Index géographique : Dumbarton Oaks, Mont Athos Index chronologique : 1800, 1900

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Antiquité

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Antiquité

Débat

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La sculpture grecque : découvertes archéologiques, avancées scientifiques, orientations méthodologiques Greek sculpture: archaeological discoveries, scientific advances, methodological orientations

Irene Bald Romano, Reinhard Senff, Emmanuel Voutiras et Antoine Hermary

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte résulte de l’envoi de questions aux participants et d’un échange de courriels.

1 Commençons ce débat par une remarque de vocabulaire qui en dit long sur les traditions historiographiques et les enjeux actuels de la recherche. L’emploi, dans les questions, du terme « sculpture » (en français et en anglais) a orienté les réponses vers les œuvres en marbre et en bronze, alors que l’expression « plastique grecque », plus générale mais peu usitée en français et en anglais – contrairement au mot Plastik en allemand – aurait peut-être entraîné davantage de remarques sur l’apport des découvertes et des recherches concernant les sculptures et figurines en terre cuite.

2 L’époque des « grandes fouilles » – en particulier celles des grands sanctuaires de Grèce continentale (l’Acropole d’Athènes, Delphes), du Péloponnèse (Olympie) et des îles égéennes (Délos, Samos) – étant passée depuis longtemps, les années récentes ne sont pas caractérisées par une abondance de découvertes. Excepté les statues archaïques mises au jour dans le cimetière du Céramique à Athènes, ce sont moins les marbres que les bronzes qui, pour les sculptures de grandes dimensions, constituent les nouveautés les plus spectaculaires : après les guerriers de Riace, qui ont permis de lancer sur de nouvelles bases les études techniques sur la statuaire grecque en bronze dans les années 1970 (rappelons, sur ce point, l’apport fondamental de Claude

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Rolley, récemment disparu), d’autres œuvres sont apparues, souvent au hasard de découvertes sous-marines (Le Satyre de Mazara del Vallo en Sicile, L’Apoxyomène repêché près des côtes croates). Les recherches sur les bronzes connaîtront sans aucun doute d’autres développements au cours des prochaines années. Ces découvertes, et d’autres, ne sont pas (encore) à l’origine des principaux changements d’orientation des années 1990 et 2000, caractérisés par un intérêt renouvelé pour les styles régionaux – notamment depuis les études de Francis Croissant – et pour les aspects techniques de la sculpture, en particulier l’origine des marbres – avec les colloques d’ASMOSIA (The Association for the Study of Marble and Other Stones in Antiquity) et le décor polychrome des œuvres, domaine dans lequel Vinzenz Brinkmann « occupe le terrain » de façon spectaculaire.

3 Les recherches sur la « réception » des sculptures antiques dans le monde occidental moderne et contemporain, et sur l’histoire de la discipline, sont abordées selon des bases renouvelées qui mettent en cause plus radicalement nos modes de compréhension de la sculpture antique. De nouvelles perspectives sont également envisagées autour de la destination et de la réception des œuvres, concernant en particulier la compréhension et l’appropriation des portraits grecs par les Romains, qui mettent en jeu les liens entre sculpture et histoire sociale et religieuse. La signification sociale des reliefs funéraires continue à susciter la réflexion, tout comme la notion de statue de culte sur le plan religieux : le livre de Gabriele Nick sur L’Athéna Parthénos de l’Acropole a, en particulier, relancé le débat1. Ces exemples montrent le poids du modèle athénien dans ce type d’étude : l’enjeu des prochaines années est, sans doute, d’essayer de l’atténuer. Enfin, les relations entre sculpture grecque et civilisations « périphériques » sont vues tantôt sous l’aspect des modèles proche-orientaux et égyptiens, dans l’ombre du livre Black Athena2 – un ouvrage dont les répercussions ont été limitées en France –, qui cherchait à mettre en valeur l’héritage africain, particulièrement égyptien, dont la civilisation grecque était redevable, tantôt sous celui des sculptures en marbre du monde phénicien et punique. Les chercheurs de langue allemande ont été particulièrement productifs dans ce dernier domaine, qu’il s’agisse des sarcophages dits anthropoïdes, sculptés pour la plupart en marbre de Paros, ou de l’ensemble mis au jour (essentiellement par l’archéologue français Maurice Dunand) dans le sanctuaire d’Echmoun, près de Sidon3. L’œuvre la plus mystérieuse reste, cependant, près de trente ans après sa découverte, la grande statue masculine trouvée à Mozia, ville punique de Sicile orientale, dont la date précise est difficile à établir (vers 470 ou après le milieu du Ve siècle avant J.-C. ?) et dont la signification a donné lieu à des dizaines d’articles, sans qu’une solution vraiment satisfaisante s’impose4.

4 Il est clair que l’on ne peut plus écrire l’histoire de la sculpture grecque comme le faisait Jean Charbonneaux il y a quarante ans : les deux volumes publiés dans les années 1990 par Claude Rolley l’ont bien montré5. Des synthèses prenant en compte les nouvelles découvertes et orientations scientifiques verront certainement le jour, en France et à l’étranger, au cours de la prochaine décennie [Antoine Hermary].

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Antoine Hermary. Quels sont les domaines dans lesquels les découvertes archéologiques des quinze à vingt dernières années ont le plus apporté à la connaissance de la sculpture grecque : chronologie, styles régionaux, attributions aux artistes, autres ? Reinhard Senff. De récentes découvertes archéologiques dans le domaine de la sculpture grecque antique ont généré des résultats significatifs quant à notre compréhension des styles régionaux, non seulement sur le continent grec, sur les îles de la mer Égée et dans la sphère culturelle grecque orientale, mais aussi dans les

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secteurs géographiques et culturels dépendants comme Chypre. En outre, les nouvelles technologies ont permis de renouveler l’étude scientifique des œuvres, produisant ainsi un nombre important de données qui viennent modifier de manière fondamentale le regard traditionnel porté sur la sculpture grecque. Une des découvertes récentes les plus spectaculaires dans la sphère de la sculpture grecque continentale a été faite par le Deutsches Archäologisches Institut (DAI) au cours de fouilles entreprises au Dipylon d’Athènes, l’entrée principale de la cité par l’ouest. C’est à cet endroit que la voie sacrée d’Éleusis pénétrait dans la ville et que le cortège des Grandes Panathénées se tenait tous les quatre ans. Site majeur faisant face à la porte du Dipylon, lieu de passage particulièrement fréquenté, le célèbre Kerameikos – ou cimetière du Céramique – rassemble de nombreux monuments funéraires de différents types. La plupart des tombes, richement décorées, appartenaient à des familles aisées de l’aristocratie athénienne ; il a même été récemment suggéré que l’un des tumuli recouvrait une stèle du début du VIe siècle avant J.-C., qui marquait la tombe d’un important politicien de l’influente famille des Alcméonides. La décoration de la plupart des tombes de la période archaïque a brutalement été détruite lors de la conquête de la cité d’Athènes par les Perses en 480 avant J.-C. Après le retrait des Perses, la démocratie s’affirma comme régime politique à Athènes ; il n’y avait alors plus aucune raison de reconstituer les monuments dévolus aux aristocrates. Ainsi, un grand nombre de sculptures mutilées a été utilisé comme matériau de construction pour la nouvelle muraille. Au cours des fouilles menées en 2002 dans le cimetière du Céramique, des sculptures en marbre de grande taille, en très bon état de conservation, ont été retrouvées. Un lion, un sphinx et un kouros grandeur nature, types caractéristiques du contexte funéraire, ont été exhumés non loin de ce qui était peut-être leur emplacement d’origine, dans le cimetière. Le kouros, dit « de la Porte Sacrée », s’est avéré être une des toutes premières figures monumentales produites dans un atelier attique autour de 600 avant J.-C. (Athènes, Musée archéologique du Céramique)6. Il se rapproche étroitement d’un groupe de sculptures attiques, comprenant une statue entière, le fameux kouros dit « de New York » (New York, The Metropolitan Museum of Art), ainsi qu’une tête et une main en marbre d’une très grande finesse découvertes lors de fouilles antérieures réalisées dans le même secteur. Les projets de recherche à long terme, dont un est porté par les universités de Munich et de Bochum en Allemagne, concernent la polychromie de la sculpture et de l’architecture grecques antiques. Leurs résultats, des plus stupéfiants, ont été présentés au public pour la première fois lors de l’exposition retentissante Gods in color, organisée dans différentes capitales européennes et aux États-Unis7. La mise en œuvre de nouvelles technologies, comme la microscopie électronique à balayage (MEB) et la photographie fluorescente non destructive, révèlent sur les surfaces sculptées des traces de peinture invisibles à l’œil nu. Les analyses au microscope et le traitement d’échantillons rendent possible l’identification de pigments utilisés dans l’Antiquité. Les résultats modifient de manière significative notre compréhension de la sculpture antique en pierre. Certes, il est depuis longtemps reconnu que les terres cuites de l’époque hellénistique, à l’exemple des fameuses Tanagra, étaient couvertes à l’origine de couleurs éclatantes, mais l’œil moderne, conditionné dans sa perception faussée d’une sculpture en marbre blanc, tend à être choqué par l’apparition de korai archaïques ou de statues classiques et hellénistiques aux draperies éclatantes et

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colorées, aux yeux et aux cheveux peints et à la peau traitée avec réalisme. Tant de détails étaient souvent uniquement rendus au moyen de la couleur sur la surface en pierre ! Ces nouveaux résultats montrent combien notre connaissance de la sculpture antique a jusqu’à présent été fragmentaire. Toute analyse future devra les prendre en considération.

Emmanuel Voutiras. Pour faire le point sur la situation actuelle des études sur la sculpture grecque, il est nécessaire de rappeler deux faits qui marquèrent successivement la recherche. Il faut tout d’abord garder à l’esprit que le mode de transmission qui caractérise notre connaissance des chefs-d’œuvre de la sculpture classique fut longtemps indirect, passant par les écrits des auteurs anciens et par les copies plus ou moins fidèles qui datent pour la plupart de l’époque impériale. Il faut ensuite évoquer les résultats des grandes fouilles menées surtout dans le dernier quart du XIXe et au début du XXe siècle, qui modifièrent profondément la conception des styles et des formes, fondée jusqu’alors essentiellement sur l’étude des copies. Les fouilles de l’Acropole d’Athènes et de Delphes mirent ainsi au jour un nombre considérable de monuments sculptés de l’époque archaïque, permettant d’établir une chronologie fiable et de distinguer des traits stylistiques régionaux, tandis que celles d’Olympie, avec les sculptures du temple de Zeus, firent connaître l’ensemble le plus complet d’œuvres originales du « style sévère ». Les fouilles ont en outre permis de mettre en valeur un matériel aussi vaste que varié. Aussi l’étude de la chronologie et des styles régionaux de la sculpture des époques archaïque et classique s’est-elle fondée non seulement sur les statues et les reliefs de grande taille, mais également sur des œuvres plus modestes mais beaucoup plus nombreuses, comme les statuettes en bronze, sans parler des terres cuites. Les premiers ouvrages solides dans ce domaine, utiles encore aujourd’hui, furent rédigés entre 1920 et 19408 ; ces travaux de base ont permis des pas décisifs dans la connaissance de la sculpture grecque. Aujourd’hui, les études exclusivement consacrées aux questions de chronologie et de style se font de plus en plus rares. La raison en est sans doute que la méthode a peu évolué, ce qui n’exclut pourtant pas d’intéressantes tentatives pour mettre en évidence la spécificité de la production artistique d’une région9. Il arrive aussi que des trouvailles exceptionnelles permettent de rouvrir de vieux dossiers, comme le montre la récente découverte à Athènes, près du Dipylon, d’un ensemble important de statues funéraires de l’époque archaïque, déjà évoqué par Reinhard Senff. Un domaine dans lequel notre savoir a avancé grâce, entre autre, à des trouvailles récentes est celui des techniques de fabrication. Ainsi la mise au jour des statues de Riace a donné une impulsion à la recherche sur la fonte des grands bronzes à la cire perdue10. Dans un autre domaine, les observations précises de Giorgos Despinis ont permis de comprendre la technique des statues acrolithes11. La mise en valeur de pièces insuffisamment étudiées ou méconnues a été à l’origine de quelques belles découvertes. Ainsi un travail assidu dans les réserves du musée de Delphes a permis de restituer les compositions des deux frontons du temple d’Apollon du IVe siècle avant J.-C., que l’on croyait depuis longtemps perdus12. Une tête féminine colossale en marbre de Paros du Musée de l’Acropole d’Athènes, une fois sa vraie provenance établie, a pu être identifiée avec beaucoup de vraisemblance comme celle d’Artémis Brauronia, mentionnée par Pausanias dans sa description de l’Acropole comme étant une œuvre de Praxitèle13. Cette découverte oblige à

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reconsidérer certaines idées reçues sur la production artistique du célèbre sculpteur, comme l’a montré l’exposition récemment organisée au Louvre14.

Irene Bald Romano. Les considérations sur la sculpture grecque ont été radicalement affectées au cours de ces vingt dernières années, notamment par de nouvelles approches méthodologiques, théoriques et scientifiques, et dans une moindre mesure par des découvertes archéologiques. On compte toutefois des découvertes extraordinaires depuis vingt-cinq ans, en particulier des bronzes révélés par l’archéologie. La paire de guerriers du Ve siècle avant J.-C., trouvée en 1972 au large de la côte de Riace, près de Reggio de Calabre (Reggio de Calabre, Museo nazionale della Magna Grecia), a nourri de nombreuses publications15. Une cachette de bronzes trouvée en 1992 près de Brindisi16, dont les fragments couvrent une période de plusieurs centaines d’années, du IIe siècle av. J.-C. à l’époque impériale avancée, comprenait, entre autres, l’image d’un « souverain hellénistique »17. Le Satyre dansant trouvé au large de la côte du sud-ouest de la Sicile près de Mazara del Vallo en 1998 (Museo del Satiro, Mazara del Vallo), dont le style n’est pas sans rappeler celui de Praxitèle, a ainsi renouvelé l’intérêt et le débat sur l’œuvre de ce sculpteur18. Enfin, un Apoxymène, probablement de la fin de l’époque hellénistique, a été retrouvé au large de l’île croate de Lošinj en 1999 (Zagreb, Musée archéologique). Dans tous les cas, ces découvertes ont donné lieu à d’importantes campagnes de restauration, à des analyses techniques et, pour la plupart, à des publications conséquentes venues enrichir notre connaissance des techniques et des usages de la sculpture antique en bronze19. Dans le domaine de la sculpture en marbre, des découvertes remarquables ont été faites, à l’exemple du kouros de presque cinq mètres de haut offert par un notable nommé Ischès, trouvé en plusieurs étapes – 1974, 1981 et 1984 – dans le sanctuaire de Héra à Samos (Samos, Musée archéologique de Vathy)20 ; et un second kouros, ressemblant étroitement à celui du Dipylon, a été découvert en 2002 près de la Porte Sacrée dans le cimetière du Céramique, avec un sphinx, deux lions en marbre et les fragments de deux stèles en marbre21. Le kouros en marbre thasien acquis par le Getty Museum à Malibu dans les années 1980, ce qui lui a valu sa réputation, a peut- être généré plus d’intérêt que les fouilles archéologiques elles-mêmes. À l’instar des sculptures en bronze issues de fouilles subaquatiques, il a été soumis à tous les examens possibles en matière de science et d’analyse scientifique. Reste que, finalement, son authenticité est loin de faire l’unanimité auprès des chercheurs. Le Getty Museum lui-même l’étiquette comme « grec, environ 530 avant J.-C., ou contrefaçon moderne ». De fait, les questions de l’acquisition illégale et immorale d’œuvres d’art grec, comprenant la sculpture, et la tentative de vérifier la légitimité des propriétaires tout comme l’authenticité des œuvres ont conduit la communauté scientifique à être dorénavant plus attentive aux techniques, à l’utilisation des matériaux et aux styles régionaux. J’en veux pour preuve une autre pièce bien connue acquise par le Getty Museum en 1988, une statue colossale de déesse, peut-être Aphrodite, datant de la fin du Ve siècle avant J.-C., qui a fourni des informations quant à l’utilisation de la technique pseudo-acrolithe (dotée d’un corps en calcaire, alors que la tête, les bras et les pieds sont en marbre parien) et sa portée régionale. Lors d’une journée d’études organisée au Getty Museum en mai 2007, Clemente Marconi a montré que, à l’époque classique, la Sicile est la seule région qui puisse revendiquer cette technique, son

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utilisation étant suscitée par le manque de marbre dans la région22. La statue, probablement issue d’un pillage sur le site de Morgantina en Sicile, sera rapatriée en Italie en 2010, selon un accord passé entre le Getty Museum et le Ministère italien de la culture. De même, la récente inauguration du Musée de l’Acropole, dont la muséographie permet de lire les sculptures selon un nouvel éclairage – aux deux sens du terme –, nous invite à porter un autre regard sur ces œuvres : cet écrin spectaculaire dévolu aux sculptures de l’Acropole va certainement intensifier le débat sur le retour des marbres du Parthénon conservés au British Museum. Du point de vue de la méthode, l’étude de la sculpture grecque antique a été transformée par l’historiographie et l’histoire de la réception. Ces deux approches ont donné lieu à des études contemporaines des plus stimulantes dans le domaine de l’art antique. En ce qui concerne l’historiographie, Greek Sculpture and the Problem of Description d’Alice Donohue (Cambridge/New York, 2005) présente les tendances et les facteurs intellectuels, culturels et historiques qui ont marqué les études de la sculpture grecque au cours des trois dernières décennies. Un essai antérieur édité par Alice Donohue et Mark Fullerton, Ancient Art and its Historiography (Cambridge/ New York 2003), mettait déjà en évidence ce type d’approche avec d’importantes contributions de divers chercheurs. Ces études ont encouragé les spécialistes de la sculpture grecque à être prudent vis-à-vis d’hypothèses excessives – notamment en ce qui concerne les études stylistiques – et à accepter les limites de notre capacité actuelle à comprendre et à lire la culture visuelle grecque antique. Dans cette optique, Art, Desire, and the Body in Ancient Greece d’Andrew Stewart (Cambridge, 1997) est un essai révolutionnaire en ce qu’il examine la conception grecque de la nudité, montrant en quoi elle nous éclaire sur l’intellect et la manière dont pensait la société dans l’Antiquité grecque, particulièrement en ce qui concerne le genre et la sexualité. Les études scientifiques mentionnées ci-dessus ont aussi ouvert le champ des recherches sur la sculpture grecque à de nouveaux horizons. Au cours des vingt dernières années, les travaux collectifs d’historiens de l’art, d’archéologues, de conservateurs, de chimistes et de géologues sur les marbres antiques ont fourni des informations essentielles sur les techniques. L’analyse des isotopes stables, par exemple, a permis d’identifier les marbres, de déterminer l’utilisation et la chronologie des carrières antiques, le commerce du marbre et le symbolisme de l’utilisation de certaines pierres. Le mérite de cette collaboration internationale exceptionnelle revient en majeure partie à l’audacieux géologue Norman Herz, professeur émérite à l’University of Georgia, instigateur et moteur de la formation d’ASMOSIA en 1988. Les actes des huit colloques internationaux organisés par cette Association pour l’étude des marbres et autres roches utilisés dans le passé constituent les sources principales d’informations sur le sujet. Enfin, l’utilisation des techniques photographiques et scientifiques pour identifier la peinture et d’autres substances appliquées sur les surfaces de la sculpture grecque en marbre – par exemple, dorures ou patines artificielles – a changé notre regard sur la sculpture grecque antique. D’importants articles ont été publiés à ce sujet dans les actes des colloques organisés par ASMOSIA, dont ceux de Brigitte Bourgeois et Philippe Jockey sur la sculpture de Délos23. Mais le travail le plus influent réalisé sur la polychromie de la sculpture grecque a été effectué par Vinzenz Brinkmann et une équipe internationale de la Liebieghaus Skulpturensammlung à Francfort. Des expositions de grande ampleur accompagnées de catalogues ont été présentées en

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Europe et aux États-Unis au cours des cinq dernières années, dont la dernière en date, Gods in Color, a déjà été citée. Si l’importance de la théorie de la réception et de l’historiographie ne fait aucun doute, nous reconnaissons désormais que la recherche des siècles précédents a déformé notre regard sur sculpture grecque antique. La première sculpture grecque en marbre n’était pas immaculée, mais au contraire richement colorée ; les sources antiques l’attestent. La recherche antérieure a nié l’évidence parce qu’une telle conception ne s’accordait pas avec la vision esthétique de sa propre époque.

Antoine Hermary. Quelle est actuellement la contribution de la sculpture aux études sur l’histoire sociale et religieuse du monde grec antique ? Emmanuel Voutiras. L’art grec a longtemps été considéré et étudié dans une perspective classiciste visant surtout à mettre en valeur ses mérites esthétiques. La sculpture en particulier a joué un rôle prépondérant dans cette perception et cette appréciation, fermement établie bien avant l’apparition de l’archéologie comme discipline indépendante. Depuis la Renaissance, l’admiration des artistes, des connaisseurs et des érudits pour la statuaire antique, et en particulier grecque, n’a cessé de s’affirmer. Il suffit de rappeler la sensation provoquée par la découverte à Rome, au début du XVIe siècle, de deux créations remarquables de la sculpture hellénistique, le groupe de Laocoon et le Torse du Belvédère24, qui exercèrent une influence considérable sur l’œuvre d’artistes tels que Michel-Ange. La recherche actuelle n’est plus axée sur la valeur artistique de la sculpture grecque, mais tend plutôt à exploiter le témoignage qu’elle apporte sur la culture et la société de la Grèce antique. Cette orientation s’est illustrée dans des efforts pour restituer l’aspect original des œuvres et les situer dans leur contexte d’origine. Un bel exemple est donné par la reconstitution, à l’aide de moulages, de la statue de Ménandre érigée par les Athéniens dans le théâtre de Dionysos au début du IIIe siècle avant J.-C., peu après la mort du célèbre poète comique25. L’analyse systématique de l’iconographie et la remise en contexte archéologique des monuments sculptés ont également permis d’en tirer parti pour la connaissance de la religion grecque. C’est dans cette perspective que se situe une tentative récente de définir la fonction de ce qu’il est convenu d’appeler une « statue de culte »26. L’étude typologique et iconographique des sculptures intégrées dans un édifice sacré révèle que certaines figures généralement considérées comme décoratives avaient en réalité une fonction cultuelle. Ainsi les Caryatides de l’Érechthéion sur l’Acropole d’Athènes ont été récemment interprétées comme des « choéphores », des jeunes filles apportant des libations à la tombe de Kékrops27. De même, l’étude très poussée de l’iconographie et des caractéristiques techniques d’un beau relief provenant du sanctuaire d’Artémis à Brauron en Attique, que l’on peut dater de la décennie 420-410 avant J.-C., a mis en évidence le rapport étroit de cette œuvre avec l’introduction du culte d’Iphigénie, évoqué dans l’Iphigénie en Tauride d’Euripide, produite à Athènes dans ces mêmes années28. Certaines tentatives de lire la sculpture grecque dans l’optique d’une histoire sociale sont en revanche moins convaincantes. La commande de statues et de reliefs, soit comme dédicaces, soit comme monuments funéraires, était indubitablement un

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privilège des classes aisées, mais il n’est pas facile de déterminer le statut social des commanditaires à partir de la facture ou de l’iconographie de ces monuments. Une étude récente replace les stèles et les monuments funéraires attiques de la fin du Ve et du IVe siècle avant J.-C. dans une perspective sociologique : les images familiales, souvent présentes sur ces monuments, seraient une expression symbolique du pacte familial (oikos) dans ses rapports avec la cité (polis)29. Il faut cependant remarquer que cette interprétation, fondée sur des données quantitatives, réduit la représentation des défunts et de leurs familles à des images conventionnelles et masque leur complexité.

Irene Bald Romano. Le portrait grec a été, jusqu’à récemment, un sujet largement confiné à l’identification des personnages et des copies romaines (la traditionnelle Kopienkritik). Cependant, de nouvelles recherches explorent une autre dimension dans le but de replacer ces portraits dans leur contexte social et politique, tant grec que romain. À cet égard, trois publications se distinguent : Hellenistic Royal Portraits de Smith (Oxford, 1988), The Mask of Socrates: The Images of the Intellectual in Antiquity de Paul Zanker (Berkeley, 1996) et Ancient Greek Portrait Sculpture: Contexts, Subjects, and Styles de Sheila Dillon (New York, 2006). Dans ces trois ouvrages, la réflexion s’articule autour des mêmes questions : pour qui étaient réalisés ces portraits ? Comment étaient-ils utilisés et considérés ? Que signifiaient-ils ? Smith déchiffre l’histoire politique complexe du monde hellénistique et la place qui y était accordée aux portraits. Le propos de Zanker est centré sur l’image mouvante des grands intellectuels, tels que les philosophes et les poètes, omniprésents dans l’histoire culturelle gréco-romaine, et se réfère, comme figure de comparaison, au milieu intellectuel allemand du XIXe siècle. Dillon traite des questions telles que la vision des Grecs ou l’interprétation romaine (l’auto-conceptualisation grecque et la réinterprétation romaine de celle-ci) ; comment et pourquoi les artisans romains ont- ils peint les Grecs de telle ou telle manière ; l’exposition de ces portraits de Grecs dans les galeries d’art antiques et dans la sphère tant publique que privée du monde romain ; et leur réception auprès du public romain. Ces ouvrages ont conduit à moduler le discours scientifique contemporain, dans des directions qui mettent davantage en lumière l’histoire culturelle et sociale de la Grèce antique et de Rome. Les études iconographiques qui ont recours à la sculpture grecque pour éclairer les différents aspects de l’histoire de la religion grecque ont incommensurablement été aidées, depuis les années 1980, par le méthodique Lexicon iconographicum mythologiæ classicæ (LIMC), une publication achevée en 1999, mais enrichie par un supplément publié en 2009 et, depuis 2005, disponible sur Internet30. Ce travail a été complété par le Thesaurus Cultus et Rituum Antiquorum (ThesCRA), exclusivement centré sur le domaine cultuel et rituel31. Peu d’autres outils ont eu un tel effet sur les études de l’iconographie gréco-romaine antique, rendant ainsi possible des recherches importantes qui s’appuient sur des images de la sculpture grecque, à l’exemple de l’ouvrage de Joan Breton Connelly sur les prêtresses grecques et sur le rôle clé des femmes dans le domaine des cultes grecs antiques et dans la vie religieuse32. La vue athénocentrique de la sculpture grecque a cédé la place, depuis vingt ans, à l’étude de corpus de sculptures d’autres régions, qui vise à dégager les caractéristiques régionales et la manière dont ces dernières reflètent des attitudes artistiques, sociales, politiques et religieuses, ou encore le caractère d’une cité ou d’une région33. L’exposition récente organisée à l’Onassis Cultural Center de

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New York, Athens-Sparta, a mis en œuvre une approche comparative de l’étude de la production artistique des deux cités-États grecques − Athènes et Sparte − à travers la sculpture, parmi d’autres catégories d’objets, pour examiner comment leurs propres histoires, leur idéologie politique et leurs normes culturelles ont influé sur la production artistique à diverses époques34. Pour la Laconie, par exemple, peu de kouroi ou de korai, les types idéaux de l’Athènes aristocratique à la période archaïque, sont documentés. Sparte, en revanche, avait une forte préférence, dès le milieu du VIe siècle avant J.-C. et jusqu’à la période romaine, pour les bas-reliefs honorant des ancêtres héroïsés mythiques, aussi bien masculins que féminins, comme les Dioscures ou des divinités chthoniennes. Il existe des interprétations contradictoires des bas-reliefs de héros laconiens, quant à leur utilisation comme marqueurs de tombe ou de lieux sanctifiés ou légendaires, et quant à leur aspect mémoriel, ceux-ci ne se rapportant pas à l’individu mais au genos spartiate35.

Reinhard Senff. En effet, les recherches actuelles ne sont plus centrées sur des cas isolés et ne visent plus uniquement à rattacher une œuvre à un sculpteur célèbre ou à un atelier régional. C’est au contraire la remise en contexte des œuvres d’art qui importe désormais. Par exemple, à l’examen de la statuaire funéraire antique – stèles, objets en céramique, statues –, la gestuelle des figures humaines est interprétée dans le respect du message qu’elle délivre au spectateur, y compris politique36. De même, les différents types de sculptures votives découvertes dans un sanctuaire – qu’il s’agisse de l’Acropole d’Athènes ou d’une cité secondaire – sont appréhendés et mis en regard avec d’autres sortes d’offrandes votives. Ils témoignent ainsi des diverses catégories de la société et des objets de cultes utilisés lors des célébrations37.

Antoine Hermary. Les découvertes et les recherches récentes ont-elles modifié notre vision des rapports entre la sculpture grecque et celle des civilisations « périphériques » (Anatolie, Phénicie, Chypre, Étrurie, monde ibérique) ? Irene Bald Romano. Les origines de l’art grec, en particulier la sculpture grecque et ses liens avec l’Égypte et le Proche-Orient, ont été l’un des sujets les plus stimulants des vingt dernières années, à la fois pour la communauté scientifique et, dans une certaine mesure, pour un plus large public. Je pense notamment aux volumes controversés de Black Athena, dans lesquels Martin Bernal revendique les origines africaines de la civilisation grecque38. Une autre évaluation scientifique récente de Bernal, qui porte sur ce qui est égyptien dans la première sculpture grecque, est au centre de la contribution de Jeremy Tanner dans les actes du colloque Ancient Perspectives on Egypt (2003)39. Il existe un vaste ensemble de preuves des interconnexions entre la Grèce, le Proche- Orient et l’Égypte dès l’âge du bronze via la mer Égée40, et certainement autour du VIIIe siècle avant J.-C. et plus tard encore. La période comprise entre les XIe et IXe siècles avant J.-C. est plus obscure, mais la tendance générale est d’assumer l’idée d’une persistance des contacts et d’un renouvellement ou d’un renforcement de ceux-ci entre la Méditerranée orientale et le Proche-Orient autour du IXe siècle, par l’intermédiaire des Phéniciens. Pour la sculpture grecque, il semble clair que l’engouement au VIIIe siècle avant J.-C. pour la création d’images de culte en tant que substituts anthropomorphiques des divinités, dans les sanctuaires grecs et les

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temples aussi bien que les pratiques de culte associées à ces images, est dû aux influences de l’Égypte41. En utilisant une approche historiographique et en combinant les témoignages littéraires, historiques et archéologiques, Sarah P. Morris expose les motifs de l’influence profonde du Proche-Orient sur le premier art grec, y compris la sculpture, dans Daidalos and the Origins of Greek Art (Princeton, 1992). Morris étant sur les traces du Dédale mythique, elle sépare le Dédale littéraire de la première sculpture grecque et recommande l’abrogation du terme dédalique pour décrire le style sculptural du VIIe siècle avant J.-C., celui-ci n’étant pas représentatif du large éventail de styles régionaux appliqués à des médiums variés, à une période qui devrait plus exactement être qualifiée d’« orientalisante ». Un livre à paraître de Jane Carter sur les débuts de l’art grec portera plus loin ces questions sur la part orientale de la sculpture grecque.

Reinhard Senff. Des découvertes spectaculaires ont été faites en Grèce orientale. La sphère culturelle d’Ionie qui, selon la tradition, a été colonisée depuis le continent à la fin du IIe et au début du Ier millénaire avant J.-C., a rapidement développé une identité culturelle propre ainsi qu’un haut niveau artistique. À Phocée, cité-mère de la colonisation grecque en Méditerranée occidentale et de Massalia (actuelle Marseille), de récentes fouilles ont permis de mettre au jour un temple archaïque décoré de grandes protomés de chevaux et de griffons qui dénotent une extraordinaire maîtrise technique et manifestent, encore une fois, l’originalité de la Grèce orientale et la haute qualité de ses objets. Plus au sud, à Milet, capitale de la Confédération ionienne, ont été récemment faites de nombreuses découvertes sur la sculpture de la période archaïque lors de nouvelles fouilles du sanctuaire d’Aphrodite, aussi célèbre en son temps que celui de Paphos sur l’île de Chypre. Outre les extraordinaires figurines de bronze qui avaient autrefois appartenu à de grands navires et quelques sculptures en marbre typiquement ioniennes, des centaines de figurines archaïques en terre cuite ont été trouvées, représentant des fidèles et la déesse elle-même ; elles illustrent des types iconographiques jusqu’alors inconnus. S’il s’agit clairement de productions d’ateliers locaux, ces œuvres affichent également des caractéristiques venues de l’iconographie proche-orientale et crétoise, et témoignent ainsi des contacts internationaux et de l’ouverture aux influences étrangères, l’Ionie jouant le rôle de passerelle entre l’Orient et l’Occident. D’abondantes importations du Levant et d’Égypte illustrent les itinéraires commerciaux qui, à cette époque, étaient les artères des contacts culturels. Un grand nombre de figurines importées, en terre cuite ou en calcaire chypriote, a récemment été mis au jour non seulement à Milet, mais aussi dans un sanctuaire à Emecik sur la presqu’île de Cnide et dans l’Heraion de Samos (où les découvertes, plus anciennes, furent abondantes)42, ce qui atteste que Chypre était bien intégrée dans ce réseau primitif. Le débat scientifique actuel s’attache à caractériser les composantes de ces objets d’art, à distinguer ce qui est proprement grec, chypriote, oriental ou égyptien.

Emmanuel Voutiras. Les débuts de la sculpture monumentale en Grèce sont marqués par des influences provenant du Proche-Orient et de l’Égypte. Cependant, dès l’époque archaïque, et surtout à partir de l’époque classique, la sculpture grecque a, à son tour, fortement marqué l’art des pays de la Méditerranée orientale. L’existence de ces rapports réciproques est unanimement reconnue, mais leur nature n’est pas toujours évidente et elle est constamment remise en question. La situation est sans doute plus claire dans le cas de l’Étrurie, dont la production artistique (et

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tout particulièrement la sculpture) a profondément et durablement été influencée par l’art grec, aussi bien dans le style que dans le choix des sujets mythologiques43. L’influence de la sculpture grecque sur les œuvres des « civilisations périphériques » se manifeste, dans la plupart des cas, à travers la facture et le style. En témoignent les sarcophages anthropoïdes phéniciens, issus d’un alliage du cercueil momiforme égyptien et de la sculpture grecque. Une étude récente dédiée à ces monuments funéraires, qui se retrouvent jusqu’à Carthage et Gadès et dont la production couvre le Ve et le IVe siècle avant J.-C., a mis en évidence les diverses composantes44. Le matériau, le marbre de Paros, et le style montrent que les créateurs des premiers exemplaires, mis au jour à Sidon, étaient des Grecs, venus probablement des îles de l’Égée, qui ont ensuite formé des disciples locaux. La présence de sculpteurs grecs est particulièrement évidente à Sidon, dans le sanctuaire d’Echmoun, et dans les sarcophages sculptés de la nécropole royale, parmi lesquels le « sarcophage d’Alexandre » mérite une mention spéciale45. Le principal problème est de savoir dans quelle mesure certaines sculptures de style purement grec recèlent des éléments iconographiques phéniciens. Il faut enfin mentionner dans ce contexte une trouvaille aussi impressionnante qu’énigmatique qui a fait couler beaucoup d’encre depuis sa découverte en 1979 : la statue de Mozia (au musée archéologique local)46. Ce chef-d’œuvre de la sculpture grecque du style sévère, que l’on peut dater d’environ 470-460 avant J.-C., fut trouvé dans l’installation punique sur l’îlot de Mozia (Motyè en grec) dans la lagune de Marsala en Sicile, près d’un sanctuaire. Le personnage représenté est un homme jeune vêtu d’une longue tunique rappelant celle des auriges, attachée à hauteur de la poitrine par une large ceinture. La question fondamentale qui se pose est de savoir si la statue a été conçue pour Mozia ou si elle fut apportée d’une ville grecque de Sicile. Si l’origine grecque du sculpteur est indiscutable, certains éléments du vêtement, à commencer par la ceinture, n’ont pas de parallèle dans l’art grec. La question reste donc ouverte, même si, dans l’état actuel de nos connaissances, il paraît difficile de privilégier l’hypothèse d’une commande carthaginoise. Il est intéressant de constater comment la sculpture grecque, traditionnellement admirée pour sa valeur esthétique, devient dans la recherche moderne, qui privilégie surtout l’étude des techniques et cherche à placer les œuvres dans leur contexte d’origine, un témoignage de la civilisation grecque et de ses rapports avec les autres civilisations de la Méditerranée antique.

NOTES

1. Gabriele Nick, Die Athena Parthenos: Studien zum griechischen Kultbild und seiner Rezeption, (MDAI[A], 19), Francfort, 2002. 2. Martin Bernal, Black Athena: The Afroasiatic Roots of Classical Civilization, I, The fabrication of ancient Greece 1785-1985, New Brunswick, 1987 [éd. fr. : Black Athena : les racines afro-asiatiques de la

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civilisation classique, I, L’invention de la Grèce antique, 1785-1985, Paris, 1996] ; II, The archaeological and documentary evidence, New Brunswick, 1991 ; III, The linguistic evidence, New Brunswick, 2006. 3. Hanns Gabelmann, « Zur Chronologie der Königsnekropole von Sidon », dans Archäologischer Anzeiger, 1979, p. 163-177 ; Rolf A. Stucky, Die Skulpturen aus dem Eschmun-Heiligtum bei Sidon. Griechische, römische, kyprische und phönizische Statuen und Reliefs vom 6. Jahrhundert vor Chr. bis zum 3. Jahrhundert nach Chr., (Antike Kunst Beiheft, 17), Bâle, 1993. 4. Voir Nicola Bonacasa, Antonino Buttitta éd., La Statua marmorea di Mozia e la scultura di stile severo in Sicilia, (colloque, Marsala, 1986), Rome, 1988. 5. Claude Rolley, La sculpture grecque, I, Des origines au milieu du Ve siècle, Paris, 1994 ; II, La période classique, Paris, 1999 ; voir aussi les importants travaux de Brunilde Sismondo Ridgway et d’Andrew Stewart. 6. Wolf-Dietrich Niemeier, Der Kuros vom Heiligen Tor: überraschende Neufunde archaischer Skulptur im Kerameikos in Athen, Francfort, 2002. 7. Gods in Color: Painted Sculpture of Classical Antiquity, (cat. expo., Cambridge, Arthur M. Sackler Museum/Francfort, Liebieghaus, 2007-2009), Cambridge (MA), 2007. 8. Il suffit de citer le livre « fondateur » d’Ernst Langlotz, Frühgriechische Bildhauerschulen, Nuremberg, 1927, qui a fait date. 9. Par exemple, Olga Palagia, William Coulson éd., Sculpture from Arcadia and Laconia, (colloque, Athènes, 1992), (Oxbow monograph, 30), Oxford, 1993. 10. Guglielmo B. Triches éd., Due bronzi da Riace: rinvenimento, restauro, analisi ed ipotesi di interpretazione, 2 vol., (Bollettino d’arte, série spéciale, 3), Rome, 1984 ; Alessandra Melucco Vaccaro et al. éd., I bronzi di Riace: restauro come conoscenza, 3 vol., Rome, 2003. 11. Voir en dernier lieu Giorgos Despinis, Zu Akrolithstatuen griechischer und römischer Zeit, (Nachrichten der Akademie der Wissenschaften zu Göttingen, 1/8), Göttingen2004. 12. Francis Croissant, Les frontons du temple du IVe siècle, (Fouilles de Delphes IV. Monuments figurés, sculpture, 7), Athènes, 2003. 13. Giorgos Despinis, « Neues zu einem alten Fund », dans Mitteilungen des Deutschen Archäologischen Instituts, Athenische Abteilung [MDAI(A)], 109, 1994, p. 173-198. 14. Praxitèle, Alain Pasquier éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2007), Paris, 2007. 15. Triches, 1984, cité n. 10. 16. Giuseppe Andreassi, Bronzi di Punta del Serrone: ricerche archeologiche subacquee a Brindisi nel 1992, (Bollettino di Archeologia, supplément), Rome, 1992. 17. The Fire of Hephaistos. Large Classical Bronzes from North American Collections, Carol C. Mattusch éd., (cat. expo., Cambridge, Arthur M. Sackler Museum/Tolède, Museum of Art/Tampa, Museum of Art, 1996-1997), Cambridge (MA), 1996, p. 34-35. 18. Il Satiro Danzante, Roberto Petriaggi éd., (cat. expo., Rome, Camera dei deputati, Palazzo Montecitorio, 2003), Milan, 2003 ; Roberto Petriaggi éd., Il Satiro Danzante Di Mazara del Vallo, il Restauro e l‘Immagine, (colloque, Rome, 2003), Naples, 2005. 19. Voir en particulier les synthèses très importantes de Caroline C. Mattusch, dont The Fire of Hephaistos, 1996, cité n. 17. 20. Helmut Kyrieleis, Samos X. Der grosse Kuros von Samos, Mayence, 1996. 21. Niemeier, 2002, cité n. 6. 22. Clemente Marconi, « Acrolithic and Pseudo-acrolithic Sculpture in Archaic and Classical Greece and the Provenance of the Getty Kouros », dans Karol Wight éd., Cult Statue of a Goddess, (colloque, New York, 2007), Los Angeles, 2008, p. 4-13. 23. Brigitte Bourgeois, Philippe Jockey, « Polychrome Hellenistic sculpture in Delos. Research on surface treatments of ancient marble sculpture. Part I », dans Lorenzo Lazzarini éd., Interdisciplinary Studies on Ancient Stone – ASMOSIA VI, (colloque, Venise, 2000), Padoue, 2002, p. 497-506, et « [ ... ] Part II », dans Yannis Maniatis éd., ASMOSIA VII, (colloque, Thasos, 2003), à paraître.

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24. Sur le rayonnement du Torse du Belvédère, malgré son état fragmentaire, voir le catalogue de l’exposition organisée à Munich, Der Torso: Ruhm und Rätsel, Raimund Wünsche éd., (cat. expo., Munich, Glyptothek/Rome, Musei Vaticani, 1998), Munich, 1998. Selon Giorgos Despinis, le torse représente probablement Philoctète : « Ancora una proposta di interpretazione per il torso del Belvedere », dans Atti dell’ Accademia nazionale dei Lincei. Rendiconti Classe di scienze morali storiche e filologiche (RAL), 15/3, 2004, p. 393-408. 25. Klaus Fittschen, « Zur Rekonstruktion griechischer Dichterstatuen, 1 : Die Statue des Menander », dans MDAI(A), 106, 1991, p. 243-279. 26. Nick, 2002, cité n. 1. 27. Andreas Scholl, « Χoηφόρoι. Zur Deutung der Korenhalle des Erechtheion », dans Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts [JDAI], 110, 1995, p. 178-212, et Die Korenhalle des Erechtheion auf der Akropolis: Frauen für den Staat, Francfort, 1998. 28. Giorgos Despinis, « Iphigeneia und Orestes. Vorschläge zur Interpretation zweier Skulpturenfunde aus Brauron », dans MDAI(A), 120, 2005, p. 241-267. 29. Johannes Bergemann, Demos und Thanatos: Untersuchungen zum Wertsystem der Polis im Spiegel der attischen Grabreliefs des 4. Jahrhunderts v. Chr. und zur Funktion der gleichzeitigen Grabbauten, Munich, 1997. 30. Voir le site Internet du LIMC, accessible en français, anglais, allemand, italien, espagnol et grec : http://www.limcnet.org 31. Le ThesCRA se compose actuellement de cinq volumes et d’un index publiés par le Getty Museum, Los Angeles, entre 2004 et 2006. 32. Joan Breton Connelly, Portrait of a Priestess: Women and Ritual in Ancient Greece, Princeton/ Oxford, 2007. 33. Voir, par exemple, Olga Palagia, William Coulson éd., Sculpture from Arcadia and Laconia, (colloque, Athènes, 1992), Oxford, 1993, et Regional Schools in Hellenistic Sculpture, (colloque, Athènes, 1996), Oxford, 1998. 34. Athens-Sparta, Nikolaos Kaltsas éd., (cat. expo., New York, Onassis Cultural Center, 2006-2007), New York, 2006. 35. Georgia Kokkorou-Alevras, « Laconian Stone Sculpture From the Eighth Century B.C. Until the Outbreak of the Peloponnesian War », dans Athens-Sparta, 2006, cité n. 34, p. 89-94. 36. Johannes Bergemann, Demos und Thanatos: Untersuchungen zum Wertsystem der Polis im Spiegel der attischen Grabreliefs des 4. Jahrhunderts v. Chr. und zur Funktion der gleichzeitigen Grabbauten, Munich, 1997. 37. Andreas Scholl, « Aναθηµατα των αρχαιων: Die Akropolisvotive aus dem 8. bis frühen 6. Jahrhundert v. Chr. und die Staatswerdung Athens », dans Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts [JDAI], 121, 2006, p. 1-173. 38. Bernal, 1987 (1996), 1991, 2006, cité n. 2 ; Martin Bernal, D. Chioni Moore, Black Athena Writes Back: Martin Bernal Responds to His Critics, Londres, 2001 (en particulier le chapitre 12, p. 289-307). 39. Jeremy Tanner, « Finding the Egyptian in Early Greek Art », dans Roger Matthews, Cornelia Roemer éd., Ancient Perspectives on Egypt, (colloque, Londres, 2000), Londres, 2003, p. 132-139. 40. Voir, par exemple, Eric H. Cline, Diane Harris-Cline éd., The Aegean and the Orient in the Second Millennium, (colloque, Cincinnati, 1997), (Aegaeumn 18), Liège/Austin, 1998. 41. Irene Bald Romano, « Early Greek Cult Images and Cult Practice », dans Robin Hägg, Nanno Marinatos, Gullög C. Nordquist éd., Early Greek Cult Practices, (colloque, Athènes, 1986), (Svenska institutet, 4/38), 1988, p. 127-134. 42. Voir Cyprus and East Aegean: Intercultural Contacts from 3000 to 500 BC, (colloque, Samos, 2008), sous presse. 43. Mario Torelli, « L’ellenizzazione della società e della cultura etrusche », dans Gli Etruschi, Mario Torelli éd., (cat. expo., Venise, Palazzo Grassi, 2000-2001), p. 141-155.

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44. Katja Lembke, Phönizische anthropoide Sarkophage, (Damaszener Forschungen, 10), Francfort, 2001. 45. Stucky, 1993, cité n. 3 ; Gabelmann, 1979, cité n. 3, p. 163-177 ; Robert Fleischer, Der Klagefrauensarkophag aus Sidon, Tübingen, 1983 ; Barbara Schmidt-Dounas, Der lykische Sarkophag aus Sidon, Tübingen, 1985 ; Marie-Theres Langer-Karrenbrock, Der lykische Sarkophag aus der Königsnekropole von Sidon, Münster, 2000 ; Volkmar von Graeve, Der Alexandersarkophag und seine Werkstatt, Berlin, 1970 ; Wolfgang Messerschmidt, « Historische und ikonographische Untersuchungen zum Alexandersarkophag », dans Boreas, 12, 1989, p. 64-92 ; Renate Bol, « Alexander oder Abdalonymos ? », dans Antike Welt, 31, 2000, p. 585-599. 46. Voir, en particulier, Bonacasa, Buttitta, 1988, cité n. 4.

INDEX

Index géographique : Grèce, Athènes, Delphes, Péloponnèse, Olympie, Délos, Samos, Sicile, Chypre, Riace, Brindisi, Rome, Égypte, Carthage, Proche-Orient, Ionie Keywords : sculpture, Greek aesthetic, Kerameikos, funerary art, stele, sarcophagus, kouros, polychrome, Archaic period, Imperial period, severe style, nudity, religion, Kopienkritik, votive sculpture, Orientalism Mots-clés : sculpture, plastique grecque, Kerameikos, art funéraire, stèle, sarcophage, kouros, polychromie, époque archaïque, époque impériale, style sévère, nudité, culte, Kopienkritik, sculpture votive, civilisations périphériques, dédalique, orientalisme Index chronologique : 2000 avant J.-C., 1000 avant J.-C., 600 avant J.-C., 500 avant J.-C., 400 avant J.-C., 100 avant J.-C., 1900, 2000

AUTEURS

IRENE BALD ROMANO

Directeur administratif de l’American School of Classical Studies à Athènes, elle a publié de nombreux catalogues de musées sur la sculpture classique ainsi que des articles sur les premières images de culte du monde grec.

REINHARD SENFF

Directeur associé du DAI à Athènes, il dirige les campagnes de fouilles sur le site d’Olympie. Il a réalisé des chantiers de fouilles à Milet et effectué des recherches sur la sculpture et l’architecture de Chypre et de Grèce orientale.

EMMANUEL VOUTIRAS Professeur d’archéologie classique à l’Université de Thessalonique, il est membre de la Society for the Promotion of Hellenic Studies de Londres, de la Société Archéologique d’Athènes, du Centre International d’Étude de la Religion Grecque Ancienne (CIERGA) de Bruxelles et membre correspondant du DAI. Il travaille principalement sur le portrait, l’épigraphie et la religion de la Grèce antique.

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ANTOINE HERMARY Professeur d’archéologie et de civilisation grecques à l’Université de Provence, il a travaillé en particulier sur les sculptures de Délos et de Chypre.

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Antiquité

Travaux

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Céramographie antique et collections modernes : nouvelles recherches sur les vases grecs dans les musées historiques et virtuels Ancient ceramics and modern collections: recent research on Greek vases in historic and virtual museums Antike Keramik und moderne Sammlungen: neue Forschungen zu Vasen in historischen und virtuellen Museen Ceramografia antica e collezioni moderne: nuove ricerche sui vasi greci nei musei storici e virtuali Ceramografia antigua y colecciones modernas: nuevas investigaciones sobre los jarrones griegos en los museos históricos y virtuales

Hildegard Wiegel

1 Les vases grecs n’ont jamais cessé de susciter l’admiration des visiteurs dans les grandes collections historiques d’antiquités comme celles du Musée du Louvre à Paris, du British Museum à Londres, de l’Altes Museum à Berlin ou des Staatliche Antikensammlungen à Munich. Les images de la poterie des Grecs anciens, surtout celles de la production attique et italiote à figures noires et à figures rouges, du VIe au IVe siècle avant J.-C., captivent par leurs compositions variées et vivantes ainsi que par leur rendu méticuleux du moindre détail. La majeure partie de la peinture grecque ne nous étant parvenue qu’indirectement, par des sources littéraires comme les textes de Pline l’Ancien ou d’autres auteurs grecs et latins, et par les copies romaines, l’imagerie grecque en terre cuite est d’autant plus indispensable pour notre connaissance du monde grec : à l’instar d’un récit littéraire, elle nous renseigne sur les mœurs, les rites, la religion, en somme, sur la vie quotidienne des Grecs anciens dans leur patrie et dans leurs colonies au sud de l’Italie, en Sicile et en Asie mineure.

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2 Même si l’on parle couramment de « peinture » pour les vases grecs, leur décoration figurée relève d’une technique ancienne, celle de l’engobe céramique. Cette technique est le résultat d’un triple processus de cuisson au four au cours duquel certains types d’argile – on en utilise au minimum deux sortes pour une même œuvre, dont une est riche en fer – rougissent ou noircissent. Au cours de la première cuisson, en atmosphère oxydante à environ 800 degrés, le vase se colore en rouge, puis au cours de la deuxième, par un processus de réduction dans lequel le four monte à environ 950 degrés, devient noir. La troisième cuisson, en atmosphère réoxydante, détermine le succès de l’opération : les parties du vase enduites d’argile riche en fer restent alors noires et brillantes, tandis que les autres redeviennent rouges. Cette technique, qui produit non seulement des vases à figures noires mais aussi à figures rouges (il existe aussi des vases dits « bilingues »), n’a été reconstituée que dans les années 1960 (NOBLE, [1965] 1988).

Vers un système épistémologique pour la céramique grecque

3 Cette découverte technique est l’une des étapes historiques des recherches sur la céramique grecque, qui conduisent depuis le Moyen Âge, avec quelques divergences et apories, aux analyses épistémologiques récentes (COOK, [1960] 1997, p. 275-311). La poterie grecque et les autres récipients antiques furent mis au jour par hasard à partir de la fin de l’Antiquité ; le premier récit de témoins oculaires d’une telle découverte date peut-être de la fin du Xe siècle (WIEGEL, 2002, p. 10). Aux siècles suivants, les témoignages de ce type restent assez rares, mais ils renseignent parfois sur les circonstances des découvertes, sur leurs lieux et leurs dates. Ainsi, le religieux Ristoro d’Arezzo, dans sa Composizione del Mondo (1282), traite-t-il de l’astronomie, de la géographie et du monde naturel. Or, à propos de la terre, il consacre un chapitre entier aux vases antiques figurés bicolores dont il fait l’éloge comme d’objets parfaits et admirables (RISTORO D’AREZZO, [1282] 1997, p. 311-314). Pour la première fois, au XVIIe siècle, les vases grecs furent sans ambiguïté l’objet de discours savants, dans la correspondance paneuropéenne de l’érudit Nicolas-Claude Fabri de Peiresc (1580-1637), installé à Aix-en-Provence. Dans ses archives, on trouve également des aquarelles de vases grecs qui représentent la première documentation visuelle du genre. Grâce à son intérêt profond pour les vestiges de l’Antiquité qu’il s’employa à interpréter, Pereisc peut être considéré comme un « antiquaire » (du latin antiquarius), l’un de ces savants qui se distinguent au cours de la Renaissance et qui représentent, pour partie, les prédécesseurs des archéologues d’aujourd’hui (CHAMAY, AUFRÈRE, 1996 ; CHAMAY, 2000).

4 Dans la littérature antiquaire, l’illustration des vases grecs commence avec le Romanum Museum de Michel-Ange de la Chausse (vers 1660-1724) de 1690, dans lequel est gravée une pélikè attique à figures noires, un vase qui se trouvait alors dans l’ancienne collection du Pape Urbain VIII Barberini (1568-1644) et qui a aujourd’hui disparu. La note iconographique qui l’accompagne (LA CHAUSSE, 1690, III, p. 101-102, et pl. 1-2) devint la norme de toutes les publications ultérieures qui, de plus en plus, offrirent des informations détaillées sur les découvertes de vases et sur les collections auxquelles ils appartenaient. Le Romanum Museum est caractéristique des publications savantes dans le domaine des antiquités, en folio royal ou impérial, qui constituaient autant des sources visuelles, des traités antiquaires et iconographiques, que des musées virtuels.

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D’après une tradition qui commença avec le célèbre Museo Cartaceo de l’érudit romain Cassiano del Pozzo (1588-1657), intime correspondant de Peiresc, qui recueillit les dessins de plus de 8 000 objets de l’Antiquité et de la storia naturale, on les appelle « musées de papier » (HERKLOTZ, 1999 ; JAUBERT, LAURENS, 2005).

5 À partir de 1711, grâce aux grandes découvertes des cités vésuviennes, Pompéi, Herculanum et Stabiae, qui offraient l’avantage d’avoir conservé le témoignage pétrifié de la vie quotidienne des Romains au moment de l’éruption du volcan en 79 de notre ère, les études des antiquaires évoluèrent vers une discipline plus épistémologique. Rétrospectivement, cette époque se révêle comme le moment où l’archéologie classique, dans le sens moderne, a commencé à se former, ce qui est directement lié à l’institutionnalisation progressive du savoir archéologique. En 1755, l’Accademia Ercolanese fut fondée dans le Royaume de Naples, qui se réserva le droit de publier tous les monuments et le fruit des fouilles de ses villes dans l’Antichità di Ercolano esposte, parue en neuf volumes entre 1757 et 1792 (BAJARDI, 1757-1792). Des savants tels que Johann Joachim Winckelmann (1717-1768), premier « commissario dell’Antichità » à Rome, remarquèrent que ces fouilles ne mirent au jour aucun vase grec. Il en a été déduit que les vases figurés venaient d’une époque plus ancienne que celle des Romains (WINCKELMANN, 1776, p. 195). Winckelmann fut membre correspondant d’une autre institution académique en Italie qui était, sur le plan de l’étude des vases grecs, plus importante que celle de Naples, l’Accademia Etrusca, fondée à Cortone en 1727 (L’Accademia etrusca, 1985). La plupart des membres étaient d’origine toscane, et les plus notables en furent les Florentins Filippo Buonarotti (1661-1733), de la famille de Michel-Ange (Filippo Buonarotti…, 1986), Antonio Francesco Gori (1691-1757) et Giovanni Battista Passeri de Pesaro (1694-1780). Les vases grecs, c’est-à-dire ceux qui comportaient une décoration peinte et figurée, furent considérés comme d’origine étrusque, une terminologie qui domina encore longtemps. Statistiquement, près de quarante pour cent des vases grecs connus aujourd’hui proviennent en effet de la région d’Italie qui correspond à l’Étrurie antique, la majorité ayant été découverte à Vulci ; mais les nécropoles étrusques ne furent exploitées systématiquement qu’au début du XIXe siècle (BURANELLI, 1995). En revanche, l’attribution des vases grecs aux Étrusques aux siècles précédents fut la conséquence de cette tradition savante fondée par les académiciens cortonais. La première expression de la supériorité de leurs ancêtres, à savoir les Étrusques, se manifesta au temps de la rédaction du traité De Etruria regali de l’Écossais Thomas Dempster (1579-1625), chargé par le Grand-duc Cosimo II de’ Medici au début du XVIIe siècle d’écrire un éloge des lointains ancêtres des Toscans. Le manuscrit de Dempster ne fut publié que dans les années 1720 sous la direction de Buonarotti. Celui-ci y ajouta des planches gravées de vases grecs avec des explicationes dans le second volume, dans lesquelles il discute l’iconographie et la technique de ces vestiges antiques. Selon lui, les récipients (vasi en italien) étaient inséparablement liés à une nation sur laquelle on pouvait projeter la nostalgie de l’Antiquité la meilleure. Quant à la céramique grecque, cette « étruscomanie » (ou etruscheria en italien) fut surtout perpétuée par les publications savantes de plusieurs membres de l’Accademia Etrusca à Cortone, et dans ce domaine leur chauvinisme fut particulièrement efficace (MORIGI GOVI, 1992).

6 Pourtant, des érudits tels qu’Alessio Simmachio Mazzocchi (1684-1771) et Winckelmann commencèrent à remettre en question la domination étrusque à la suite de riches découvertes de vases dans les nécropoles anciennes au sud de l’Italie, surtout dans les

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environs de Naples, dont plusieurs portaient des inscriptions grecques (MAZOCCHI, 1754-1755, p. 137-138, planches p. 138-139 et 554-555 ; WINCKELMANN, [1764] 2005, I, p. 120-125, 1767, I, p. 34-35, 1776, p. 193-212). Vers la fin du XVIIIe siècle, quand on découvrit des vases de même type que ceux qui étaient sortis du sol de la Grèce continentale, le monde savant avait déjà accepté le fait que ce genre de céramiques anciennes était un produit grec (BURN, 1997b). Pourtant, le terme « étrusque » pour des vases attiques et italiotes figurés eut encore un long vécu, comme l’attestent les titres de publications savantes telles que les Peintures de vases antiques vulgairement appelés étrusques de l’archéologue français Aubin-Louis Millin (1759-1818 ; MILLIN, 1808-1810). Lorsque les nécropoles étrusques furent mises au jour à Vulci, en Toscane, dans les années 1720, un grand nombre de vases, que nous considérons aujourd’hui comme attiques, portaient des inscriptions en grec ancien. À l’époque, elles étaient déjà identifiées comme étant des noms de peintres et de potiers grecs. Néanmoins, le propriétaire de Vulci, Lucien Bonaparte (1775-1840), frère cadet de Napoléon et prince de Canino et de Musignano, ne se gêna pas pour offrir le fruit de ses fouilles à toute l’Europe sous la classification de vases étrusques (BONAPARTE, 1829a, 1829b).

7 L’identification de peintres et de potiers grecs constitua une étape importante vers une étude plus scientifique des vases grecs, laquelle se dessina dans les deux derniers siècles. Son acte de naissance peut être daté par la publication du Rapporto volcente d’Eduard Gerhard (1795-1867) dans les Annali dell’Instituto di Corrispondenza en 1831 (GERHARD, 1831a). Cet institut – aujourd’hui le Deutsches Archäologisches Institut (DAI) – était l’organe officiel le plus important pour l’archéologie. Il réunissait, dans une ambiance cosmopolite, non seulement des érudits, mais aussi des poètes et des artistes comme et Bertel Thorvaldsen (1770-1844 ; MICHAELIS, 1879). Gerhard se rendit trois fois à Vulci afin d’y examiner directement le fruit des fouilles. En se fondant sur une connaissance intime de la matière et des publications précédentes, Gerhard, à l’époque secrétaire de l’institut bientôt raillé comme l’« Instituto dei vasi », proposa pour la première fois une périodisation correcte des vases grecs auxquels il attribua des catégories historiques et locales (GERHARD, 1831b). Même si les détails devaient en être corrigés, la chronologie relative de Gerhard reste encore valable aujourd’hui : les vases orientalisants sont plus anciens que les vases corinthiens, suivis des vases attiques à figures noires, puis ceux à figures rouges – lesquels viennent aussi de l’Attique – et enfin ceux du sud de l’Italie (GERHARD, 1831a, 1831b ; HAUSMANN, 1969, p. 53 ; HURSCHMANN, 1997, p. 101).

8 Les décennies suivantes furent marquées par un débat, parfois trop polémique, sur la périodisation de la poterie du monde grec. Cette périodisation était fondée sur un plus vaste ensemble de matériaux céramiques issus des grandes fouilles entreprises en Grèce, alors libérée de la domination ottomane, comme celles à Mycènes ou en Asie mineure, par exemple à Troie. Les fouilles furent essentiellement menées par des archéologues de nationalité allemande ou anglaise. La plus grande contribution francophone de l’époque dans ce domaine fut les quatre volumes de l’Élite des monuments céramographiques, parus en plusieurs livraisons à Paris (LENORMANT, DE WITTE, 1844-1961). Les deux auteurs archéologues, le Français Charles Lenormant (1802-1859) et l’aristocrate belge Jean de Witte (1808-1889), expliquèrent leur démarche dans un sous-titre programmatique : Matériaux pour l’histoire des religions et des mœurs de l’Antiquité. C’est notamment grâce à cet ouvrage que le terme « céramographie », qui

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signifie science de la céramique et traité sur l’histoire de la céramique, entra officiellement dans la langue française en 1866.

9 Le premier essai d’une définition générale de la discipline, qui date du milieu du XIXe siècle, fut celui d’Otto Jahn (1813-1869), à la fois archéologue, germaniste, philologue classique et musicologue, dans l’introduction de son catalogue de la collection de vases du Roi Louis I de Bavière à Munich. Il y dressa aussi la première histoire de l’étude de vases grecs jusqu’à son époque (JAHN, 1854, p. IX-CCXLVI). La prédominance de savants allemands dans ce domaine explique l’orientation vers une archéologie du savoir dans les différents pays d’Europe. En Allemagne, depuis la fin du XVIIIe siècle, et surtout dans les environs de l’Instituto, l’archéologie était considérée comme une discipline ayant les mêmes racines que l’histoire de l’art ; toutes deux vénéraient Winckelmann comme leur père fondateur. À l’Instituto, Gerhard, peut-être le plus impliqué et plus important représentant de l’idée de Kunstarchäologie, introduisit le « Winckelmann-Tag » [« la journée de Winckelmann »] en 1831 ; aujourd’hui encore, un doyen de la discipline donne une conférence en sa mémoire le jour de son anniversaire dans chaque département universitaire allemand d’archéologie classique.

10 Autour de 1900, cette archéologie de l’art s’exprima notamment dans l’imposante publication sur les vases peints, la Griechische Vasenmalerei, de Karl Reichhold et Adolf Furtwängler (FURTWÄNGLER, REICHHOLD, 1904-1932). Furtwängler, surtout pour la sculpture, était adepte d’une analyse sous la forme d’une suite de styles créés par de grands maîtres, le « Meisterforschung » (JOCKEY, 2007, p. 19). Reichhold et Furtwängler présentaient donc la décoration figurée des récipients antiques en trois dimensions comme des peintures plates, accompagnées d’attributions à des maîtres. Sur ce fond à caractère idéologique, il n’est pas surprenant que les recherches stylistiques de l’Anglais John D. Beazley (1885-1970) aient été mieux accueillies en Allemagne que dans sa patrie ou dans d’autres pays (ROUET, 2001). Après la Première Guerre mondiale, Beazley, chercheur à Oxford University, appliqua la méthode que Bernard Berenson (1865-1959) avait utilisée avec succès pour distinguer les styles de peintres italiens de la Renaissance aux vases grecs figurés – surtout ceux qui ne sont pas signés (on ne connaît qu’une quarantaine de noms). Berenson s’était rallié à la tradition morélienne introduite en histoire de l’art. Giovanni Morelli (1816-1891), qui avait fait des études en médecine et en sciences naturelles, non seulement appliquait les méthodes de l’autopsie et de la description des objets naturels qu’il avait apprises par la lecture d’ouvrages comme On the Origin of Species by Means of Natural Selection de Charles Darwin (1859), mais commençait aussi à redessiner des œuvres d’art comme des objets naturels, reproduisant avec grand soin jusqu’au moindre détail anatomique et physiologique. De cette manière, il découvrit une sorte d’écriture inconsciente, propre à chaque artiste. Cette observation fut le point de départ de Beazley pour ses propres analyses stylistiques, très attentives aux rapports entre corps et fond, corps et posture, corps et vêtements, au jeu des proportions et à la construction de l’anatomie, ainsi qu’à l’organisation des parties ornementales (ROUET, 1996, I, p. 28-226)1. Beazley concevait son approche comme « un système global et cohérent d’expression des formes » (BEAZLEY, 1922, p. 81)2, système qui lui permit de rétablir l’identité de presque mille artistes anonymes. Situées quelque part entre la Stilkritik à l’allemande et le connoisseurship à l’anglaise, les attributions de Beazley restent encore fiables aujourd’hui (Beazley, 1925, [1942] 1963). Son système de référencement pour des vases attiques à figures noires et à figures rouges, qui combine un numéro de page et un

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numéro de vase et qu’il présenta sous forme de listes dans ses grandes monographies, les Attic black-figure vase-painters et les Attic red-figure vase-painters, devint le standard international en archéologie (BEAZLEY, 1956, 1963).

11 Même si le système beazleyien est critiqué comme étant trop concentré sur le style, il a été complété par d’autres approches méthodologiques (épigraphie, anthropologie, structuralisme, sociologie, histoire, herméneutique, etc.). Il s’adapte en outre aux trois dates fixes d’une chronologie absolue des vases grecs : celle de la réorganisation des Jeux panathénaïques (566 avant J.-C.), qui se reflète sur les amphores du même nom, celle des tessons issus du « Perserschutt » à l’Acropole d’Athènes (ou sac de l’Acropole, 480 avant J.-C.), et celle des fragments retrouvés sous la base du monument de Dexiléos (394 avant J.-C.). Pour l’étude des vases italiotes (campaniens, lucaniens, siciliens, paestans), c’est un émule de Beazley, Arthur Dale Trendall (1909-1995), qui transposa sa méthode à ce type de matériel, quelques décennies après la Seconde Guerre mondiale.

Collections et collectionneurs : les musées de papier

12 Le critique le plus acerbe de la méthode de Beazley fut peut-être son collègue français Edmond Pottier (1855-1934), un contemporain de Furtwängler et conservateur au département des Antiquités orientales et de la céramique antique du Musée du Louvre. En 1887, Pottier fut probablement le premier archéologue français que l’intérêt professionnel et la curiosité personnelle poussèrent à se rendre dans les grandes collections allemandes de vases après la signature du traité de Francfort qui mit fin à la guerre franco-prusse. La classification des matériaux céramiques, c’est-à-dire celle de tous les récipients de la Méditerranée et des pays limitrophes, surtout ceux du Proche et du Moyen-Orient, était au centre de son intérêt scientifique : il souhaitait établir une approche universelle de classification fondée sur une chronologie relative et surtout sur les régions d’origine des vases. Pottier craignait que l’« attributionnisme » à l’anglaise ne soit un frein à ce type de classification, ou du moins que la prépondérance donnée au style ne le limite (ROUET, 1996, 2001). Un projet visant à surmonter ces problèmes et auquel il prit part fut mis en place après la Première Guerre mondiale. En 1919, après la création de la Société des Nations et dans le même esprit, l’Union Académique Internationale fut inaugurée à Bruxelles : elle réunissait les académies des grandes nations, à l’exception des vaincues, l’Allemagne et l’Autriche. Le premier projet scientifique commun de l’Union fut consacré aux vases antiques. L’objectif du Corpus Vasorum Antiquorum (CVA) était de présenter tous les vases des grandes collections européennes selon leur région de production et selon les mêmes directives (notamment une courte description de chaque objet accompagnée d’une photographie). Dans le premier volume, paru en 1923, Pottier publia ainsi les vases de Crète, de Santorin, ainsi que les vases laconiens et ceux d’autres centres de production conservés au Musée du Louvre. Si les directives ont dû être revues avec le développement de la céramographie, il n’en reste pas moins que le Corpus est devenu une voie de consensus entre les scientifiques de l’Europe : plus de 340 volumes ont été publiés jusqu’à nos jours, dont une grande partie couvre les collections importantes de l’Allemagne, laquelle rejoignit l’Union en 1935 ; la Russie y participe aussi depuis quelques années3.

13 Le CVA peut être considéré comme le point culminant, sinon la fin de la « muséalisation » des vases antiques, surtout des vases grecs, après presque cinq cents ans de collectionnisme en Europe. Comme Alain Schnapp l’a remarqué, « la passion de

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la collection […] est aussi ancienne que la curiosité humaine » (SCHNAPP, 1992, p. 167). Le goût pour les antiquités classiques est enraciné dans la culture de la Renaissance, notamment italienne ; cette tendance naquit à Rome, où l’intérêt pour les vestiges de l’Antiquité se développa puis se renforça grâce à de nombreuses découvertes et fouilles, dont plusieurs étaient menées par les propriétaires fonciers sur leur propre domaine (LANCIANI, [1902-1912] 1989). Toutefois, les collections d’antiquités les plus significatives, formées par de célèbres familles romaines, ne comprenaient que rarement des vases antiques en terre cuite (PIETRANGELI, 1985). La situation était identique dans le reste de l’Italie, à Venise et en Vénétie notamment (POMIAN, 1987, 1994, p. 108-109.), où de grandes collections d’antiquités s’étaient nourries, depuis le XVe siècle, de relations commerciales à longue distance (FAVARETTO, 1990, p. 17-61). À la fin du XVIe siècle, on identifie déjà 30 collections à Venise, 18 à Vérone, 11 à Padoue, 3 à Brescia, 3 à Rovigo, et 1 respectivement à Feltre, à Trévise et à Vicence (POMIAN, 1987, p. 95-96). Dans le cercle des intellectuels de l’université vénitienne de Padoue, la collection de l’humaniste Marco Mantova Benavides (1489-1582), juriste et professeur en droit civil et canon, est l’une des premières de ce type à inclure des vases grecs. À Florence, la famille régnante des Médicis possédait également des vases grecs dans la guardaroba, c’est-à-dire parmi ses biens privés. En Italie au XVIIe siècle (en Toscane, et surtout à Venise et à Rome), les vases grecs sont présents en nombre croissant dans les cabinets et les studioli des patriciens et aristocrates, des savants, et des hommes d’Église. Il existe des cas isolés ailleurs, comme en France, notamment dans les collections de savants en lien avec des confrères italiens (SCHNAPPER, 1994).

14 Pratiquement au moment où furent découvertes les cités vésuviennes à partir de 1709, les régions situées au sud de Rome – Naples et les Pouilles en particulier – devinrent, avec leurs nombreuses nécropoles, la source la plus féconde pour les vases antiques figurés classifiés aujourd’hui comme attiques et italiotes. Le cas le mieux étudié est celui du Musée Mastrilli à Nola, constitué de la collection de cette famille campanienne dont plusieurs générations ont mis au jour de nombreux vases tirés de leurs propriétés (LYONS, 1991, 1992, 1997).

15 La diffusion du goût pour les vases grecs à l’Europe entière tient pour l’essentiel à Sir William Hamilton (1730-1803), un collectionneur qui occupait le poste d’envoyé extraordinaire à la cour de Naples en 1764. Bientôt anobli, Hamilton, alors marié avec une riche héritière galloise, put profiter des opportunités offertes par la présence sur le marché napolitain de collections de vases plus anciennes, dont les vases Mastrilli. Pendant plus de trois décennies, il rassembla deux importantes collections de vases grecs et suscita également l’enthousiasme de son cercle d’intimes pour sa passion de collectionneur, en particulier les diplomates comme le Français Dominique-Vivant Denon (1747-1825), à Naples entre 1779 et 1785, et son contemporain Anton Franz de Paula, comte de Lamberg-Sprinzenstein (1740-1823), membre d’une vénérable famille aristocrate autrichienne. Hamilton commandita aussi des fouilles clandestines dans les environs de Naples, n’échappant à des poursuites pénales que grâce à son statut de diplomate. Les nombreux visiteurs accueillis dans son salon hospitalier discutaient passionnément des vases en français, la lingua franca de l’époque. Ce cercle était composé de gens des plus hautes couches sociales, savants et littéraires d’Europe, tel que Goethe, qui se laissèrent gagner par la passion inextinguible d’Hamilton (WIEGEL, 2002, I, p. 153-202, 2007).

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16 Ce goût pour les collections de vases fut aussi diffusé à travers les deux publications richement illustrées et financées par Hamilton, dont les planches gravées permirent à un vaste public européen d’apprécier les images portées sur les vases. Les quatre volumes respectivement des Antiquités étrusques, grecques et romaines, parus entre 1766 et 1767, et de la Collection of Engravings from Ancient Vases, publiés entre 1795 et 1803, s’intègrent parfaitement dans la tradition de documentation visuelle des « musées de papier » (HANCARVILLE, 1766-1767 [2004] ; HAMILTON, 1791-1795 [1795-1803]). L’archéologue et l’historien de l’art qui travaillent sur les collections y trouvent toujours des informations précieuses, souvent cachées d’ailleurs dans ce que les philologues appellent le « paratexte », c’est-à-dire les notes de bas de page qui contiennent des renseignements sur les circonstances et sur les sites de découverte ainsi que sur les collections historiques d’où ils provenaient.

17 Les correspondances des collectionneurs et les guides de voyage complètent ces sources. L’Italienische Reise de Goethe, par exemple, la version littéraire écrite quarante ans après son séjour en Italie entre 1786 et 1788, contient un grand nombre d’informations précises sur plusieurs collections d’antiquités de l’époque, et surtout sur les personnages qui les avaient rassemblées (GOETHE, [1787] 1978). La collection la plus remarquée par Goethe et par d’autres auteurs fut celle d’Ignazio Paterno (1719-1786), prince de Biscari, à Catane ; grâce à ces sources, on connaît aujourd’hui l’importance de cet aristocrate sicilien et homme de lettres non seulement comme collectionneur mais aussi comme fouilleur (LIBERTINI, 1930).

Les vases grecs et le collectionnisme

18 L’étude du collectionnisme dans le domaine des antiquités, à laquelle participent les chercheurs en archéologie classique et en histoire de l’art, s’est longtemps concentrée sur la sculpture antique. Il faut notamment mentionner la célèbre monographie Ancient Marbles of Great Britain (Cambridge, 1882) d’Adolf Michaelis (1835-1910), élève et neveu de l’Allemand Otto Jahn, qui fut professeur en archéologie classique à Strasbourg. Plus récemment, Taste and the Antique (Londres/New Haven, 1981) de Francis Haskell et de Nicholas Penny, alors chercheurs à l’Oxford University – un ouvrage fondamental rendu accessible à un public francophone par François Lissarrague sous le titre Pour l’amour de l’Antique (Paris, 1988) – créa de nouvelles normes dans ce domaine en intégrant les objets d’art dans le contexte intellectuel de l’époque. Ces livres sont considérés non seulement comme des publications clés pour l’histoire des collections et du goût, mais aussi comme les points de départ de plusieurs autres ouvrages sur la réception de la sculpture antique.

19 En revanche, le collectionnisme des vases antiques est longtemps apparu, dans le discours savant – c’est le cas dans Ancient Marbles –, comme une matière secondaire. En complétant les entrées de Michaelis sur plusieurs collections privées en Angleterre (publiées en quatre articles entre 1955 et 1959), Cornelius C. Vermeule et Dietrich von Bothmer ont mis en relief l’importance des vases grecs pour une histoire des collections d’antiques dans la seconde moitié du XXe siècle (VERMEULE, 1955 ; VERMEULE, BOTHMER, 1956, 1959). Dietrich von Bothmer, archéologue américain d’origine allemande et élève de Beazley à Oxford avant la Seconde Guerre mondiale, a présenté en outre un riche exposé sur la recherche historique sur les vases grecs (BOTHMER, 1987). Dans un article détaillé, il évoque le souvenir des antiquaires et archéologues, ainsi que celui des

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collectionneurs et de leurs musées du XVIIe au XIXe siècle, à travers les découvertes historiques des vases grecs. Il souligne le rôle central du Royaume de Naples pour le collectionnisme au XVIIIe siècle, période pendant laquelle les fouilles royales, ecclésiastiques et privées mirent au jour de nombreux exemplaires de vases qui entrèrent dans le musée du roi, dans les trésors d’églises et de monastères, ainsi que dans plusieurs collections aristocratiques (BOTHMER, 1987 ; ALONSO RODRIGUEZ, 2007).

20 À cette époque, la recherche sur les vases grecs était encore dominée par la terminologie « étrusque » des antiquaires, notamment ceux d’origine toscane. Le livre récent de Maria Emilia Masci sur l’histoire du collectionnisme des vases antiques au XVIIIe siècle a pour objet d’étude la correspondance de l’un des plus passionnants passeurs de cette étruscophilie extrême, l’académicien florentin Antonio Francesco Gori (1691-1757), lui-même collectionneur de vases grecs (MASCI, 2003). Pour lui, tous les vases étaient étrusques (« vasa omnia Etrusca »), comme il voulut le montrer dans son Museum Etruscum (GORI, 1737-1743, I, p. 24, 37 et 315). Publié en trois volumes en folio royal entre 1737 et 1743, cet ouvrage représente aussi un musée virtuel. La production savante de Gori n’aurait pas été possible sans sa propre correspondance, à laquelle ont été ajoutés des dessins de vases provenant de nombreuses collections en Italie, surtout à Rome, en Sicile, et à Naples et ses environs. Comme le montre Masci, ce Museum Etruscum constitua un manuel fécond dont son étudiant Giovanni Battista Passeri (1694-1780) put également bénéficier pour ses propres Picturae Etruscorum in vasculis (PASSERI, 1767-1775), à l’aide d’un tableau synoptique où les dessins de Gori, qu’il avait reçus de ses correspondants, sont mis en comparaison avec les planches de Passeri (MASCI, 2001, p. 20-35). Cette recherche parvient à mettre en évidence le fin réseau d’érudits et de collectionneurs qui forma la base d’échanges du savoir antiquaire, esthétique et artistique avant la naissance, au XIXe siècle, de l’archéologie classique en tant que discipline (MASCI, 2001, p. 9-51 et 65-278). La seconde monographie de Masci sur les Picturae de Passeri, actuellement en cours de publication, est particulièrement attendue.

21 C’est dans la partie napolitaine de ce réseau savant que le plus célèbre collectionneur de vases grecs de l’époque, Sir William Hamilton, put s’intégrer avec aisance lorsqu’il arriva à Naples en 1764. Cette ville était alors en train de disputer la préséance à Rome comme centre de la recherche antiquaire, grâce à la découverte spectaculaire des cités vésuviennes à partir des premières décennies du XVIIIe siècle (SCHNAPP, 2000). Le personnage complexe d’Hamilton, qui fut à la fois un homme d’esprit et un homme d’affaires, a été mis en relief dans ses aspects de vulcanologue et de collectionneur passionné d’antiquités et d’autres œuvres d’art par le superbe catalogue d’exposition de Ian Jenkins et Kim Sloan, Vases & Volcanœs. Sir William Hamilton and his Collection (Vases & Volcanœs…, 1996). Cette très riche exposition, qui a eu lieu au British Museum, a été complétée par un colloque international dont les actes ont été publiés, un an plus tard, dans un numéro spécial du Journal of the History of Collections. Lors de ce colloque, les chercheurs internationaux ont abordé le collectionnisme autour de 1800 selon des approches interdisciplinaires (BURN, 1997a).

22 Hamilton avait prévu de s’adresser à Winckelmann en personne pour la première publication de ses collections. À la mort violente de ce dernier, il se tourna vers Pierre François Hugues (1719-1805), autoproclamé « baron d’Hancarville », un aventurier et escroc notoire, quoique peut-être le plus illustre antiquaire de l’époque (HASKELL, 1987). Même si cette entreprise vacillante conduisit Hamilton au bord de la ruine, avec les

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Antiquités étrusques, grecques et romaines (HANCARVILLE, 1766-1767 [2004]), Hancarville a réussi un ouvrage extraordinaire que l’on regarde encore aujourd’hui comme le livre d’art le plus ambitieux de l’époque néoclassique (GRIENER, 1992). Envisagée comme un musée virtuel de la collection des vases grecs d’Hamilton, cette publication était également illustrée d’antiquités provenant des collections du peintre Anton Raphael Mengs (1728-1779) et du prince de Biscari. Ce furent surtout les somptueuses planches de vases, dont plusieurs ornements étaient copiés des gravures de Giovanni Battista Piranèse (1720-1778), qui apportèrent à la publication un succès éclatant (RAMAGE, 1991). La plupart des pièces étaient reproduites au moyen de trois planches gravées distinctes : une première présentait le vase en totalité, c’est-à-dire comme un monument, une autre rendait seulement la forme avec ses proportions – d’une manière métrique –, permettant aux artistes et aux artisans de la reproduire, et une troisième offrait le détail de la décoration figurée des récipients antiques à trois dimensions comme des peintures plates, ornées par des bordures coloriées à la main en rouge et en noir. Un dernier type de gravure eut une influence particulière sur la production artistique et artisanale contemporaine, car elle servit de modèle à l’époque néoclassique et au-delà, rendant grand service aux peintres, aux dessinateurs, aux ébénistes, et aux manufactures diverses (DENOYELLE, 2007). Les manufactures de céramique, surtout, en tirèrent parti : ainsi celle de Josiah Wedgwood (1718-1795 ; Genius of Wedgwood, 1995 ; Wedgwood: englische Keramik…, 1995 ; VOLLKOMMER, 2000, 2003, 2007) ou celle de Gotha (Gothaer Porzellan, 1995 ; DÄBERITZ, 2000 ; WIEGEL, 2002, 2004b). C’était d’ailleurs le but recherché par Hamilton et Hancarville, qui souhaitaient que les planches fussent « utiles aux artistes, aux hommes de lettres et, par leur intermédiaire, au monde entier » (HANCARVILLE, 1766-1767 [2004], intérieur de la jaquette). En 1772, alors que la publication d’Hancarville était encore inachevée, Hamilton vendit sa première collection pour la somme impressionnante de 8 400 livres au British Museum, fondé seulement quelques années auparavant. Cet apport forme encore le noyau de l’une des plus importantes collections de vases grecs au monde (EFFINGER, LÖWE, 2000).

23 La seconde publication commandée par Hamilton, elle aussi en quatre volumes in-folio royal, avait un caractère très différent et, par comparaison avec les planches de luxe d’Hancarville, assez modeste. Selon les ordres du commanditaire, Johann Wilhelm Tischbein (1751-1829), à l’époque directeur de la nouvelle Académie des beaux-arts napolitaine, créa des planches en cuivre dans un style linéaire – le « simple contour des figures », sans « décors ou couleurs inutiles » (HAMILTON, 1791-1795 [1795-1803], I, p. 4) – en calquant des silhouettes de figures sur les vases grecs. Ce style graphique et linéaire devint la règle pour la plupart des publications archéologiques suivantes, grâce à sa reproductibilité facile, et particulièrement pour les illustrations de John Flaxman (1755-1826) de plusieurs ouvrages d’Eschyle et d’Euripide, et des épopées homériques comme l’Iliade et l’Odyssée (DENOYELLE, 2003). Malgré la critique contemporaine des détails de figures « embellis » d’une manière néoclassique, les cuivres de Tischbein sont d’une qualité et d’une précision telles qu’ils ont permis de reconstituer la partie de cette collection qui, ayant sombré avec le HMS Colossus près de la côte des îles Scilly en 1798, n’était connue que par des tessons. En effet, presque deux cents ans plus tard, après la découverte et le repêchage de l’épave, les conservateurs du British Museum purent en publier la reconstitution dans un volume spécial du CVA ( WOODFORD, SMALLWOOD, 2003).

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24 Vases and Volcanoes a suscité un nouvel intérêt pour l’influence des vases grecs sur l’histoire de l’archéologie et sur l’histoire de l’art, ainsi que sur l’histoire des collections. Les publications qui ont suivi et qui s’intègrent dans cette perspective d’échanges artistiques et savants sont souvent des catalogues d’exposition. Dans l’ordre chronologique, on peut mentionner les titres suivants, dont la concentration sur une période de temps relativement courte montre à quel point les études se sont intensifiées : Ein Schatz von Zeichnungen: Die Erforschung antiker Vasen im 18. Jahrhundert (Ein Schatz von Zeichnungen…, 1997 ; SCHMIDT, 2000), suivi par 1768: Vasen machen Mode (1768: Vasen machen Mode, 1999), qui parut un an plus tard sous le titre Europa à la Grecque (Europa à la Grecque…, 2000). La même année est sorti un quasi-fac-similé de la première publication d’Hamilton : Pierre-François Hugues D’Hancarville: The Complete Collection of Antiquities from the Cabinet of Sir William Hamilton (WIEGEL, 2004c), reproduisant les planches sans le texte original. Ont également été publiés récemment Le vase grec et ses destins (Le vase grec et ses destins, 2003), un catalogue d’exposition accompagné d’un colloque international sur le vase grec dans l’art européen des XVIIIe et XIXe siècles (CABRERA, ROUILLARD, 2007), Miti Greci. Archeologia e pittura dalla Magna Grecia al collezionismo (Miti Greci, 2004), ainsi que Faszination der Linie. Griechische Zeichenkunst auf dem Weg von Neapel nach Europa (Faszination der Linie, 2007). En 2006, Ingres et l’antique : l’illusion grecque présentait un aspect décisif et peu connu de l’œuvre du peintre et, depuis, on citera encore Stanislaw Kostka Potocki’s Greek Vases. A Study Attempt at the Reconstruction of the Collection (2007) et De Pompéi à Malmaison, les Antiques de Joséphine (2008), qui traitent d’importants collectionneurs de vases grecs en Europe (Ingres et l’Antique…, 2006 ; Stanislaw Kostka Potocki…, 2007 ; De Pompéi à Malmaison…, 2008).

Le rapport des artistes aux vases grecs

25 Un des débats dominant les discussions savantes depuis les débuts de l’intérêt pour les vases grecs est la question de savoir si les dessins des vases figurés pourraient refléter les peintures disparues de l’Antiquité grecque. L’artiste le plus souvent mis en jeu dans ce contexte est Raphaël (1483-1520), qui permet d’évoquer le concept du disegno cher à la Renaissance. Une analyse approfondie de ce phénomène, à la fois historique et esthétique, serait féconde pour les domaines de l’histoire de l’art et de l’archéologie classique. Winckelmann, qui regardait les images en terre cuite comme un « trésor de dessins », était peut-être le plus instruit des savants sur ce sujet. Selon lui, les vases grecs sont des miracles de la nature (WINCKELMANN, [1764] 2005, p. 124-125). Après la création du style graphique et linéaire par Tischbein pour la seconde publication d’Hamilton, et après l’adaptation de ce style par Flaxman dans les récits homériques, le regard sur le contour jouit d’un nouvel intérêt parmi les artistes, comme parmi les savants. Dans ce contexte, la valeur accordée au contour permet de pénétrer le discours esthétique de l’intelligentsia de l’époque (CAIN, 2004). Le grand représentant du mouvement romantique en Allemagne, August Wilhelm Schlegel (1767-1815), par exemple, commença à regarder le contour comme le moyen d’expression artistique le plus complet. Selon son approche philosophique – et selon celle d’un nombre croissant d’autres savants –, le contour possédait un potentiel d’abstraction et une teneur en vérité sans pareil (Ein Schatz von Zeichnungen…, 1997 ; SCHMIDT, 2000, 2004 ; MÜLLER, 2004).

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26 Flaxman n’était pas le seul artiste attiré par les compositions et par les figures des vases grecs. Voici à peu près deux décennies que l’historienne de l’art Pascale Picard-Cajan a découvert les calques du peintre néoclassique Jean-Auguste-Dominique Ingres (1780-1867) dans les archives de sa ville natale, au musée de Montauban, dont elle a rendu compte dans sa thèse, soutenue en 1994 à l’Université de Montpellier (PICARD- CAJAN, 1994). Elle a pu établir qu’Ingres avait décalqué presque toutes les planches de vases de Tischbein, de Millin et de James Millingen (1774-1845), lui permettant ainsi d’étudier les principes de composition générale et les attitudes de chaque figure et de réutiliser certains motifs pour ses propres œuvres. Ingres se créa ainsi une documentation visuelle qui suivait le même principe que celui des musées de papier. Elle était complétée par une petite collection d’antiquités, dans laquelle on trouve quelques objets romains et des moulages de sculptures grecques, ainsi que des vases grecs. L’intérêt d’Ingres pour la sculpture antique est incontestable, au vu de l’ensemble des plâtres d’après des originaux romains qu’il fit réaliser en tant que directeur du Villa Médicis à Rome entre 1835 et 1841, et qu’il envoya à Paris. À l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris sont encore conservés des plâtres issus de ces campagnes de moulage. Durant toute sa carrière, Ingres n’a cessé d’enrichir son « laboratoire secret » par la copie d’antiques. Grâce à cette découverte, Pascale Picard- Cajan a pu non seulement relire la genèse monographique de quelques chefs-d’œuvre du peintre comme Les Ambassadeurs d’Agamemnon (1801, Paris, ENSBA), Oedipe et le Sphinx (1808, Paris, Musée du Louvre), la Stratonice (1840, Chantilly, Musée Condé), ou l’ Homère déifié (1865, Paris, Musée du Louvre), mais aussi réécrire un important chapitre sur l’art néoclassique en France, synthétisé dans le catalogue de l’exposition de 2006 (PICARD-CAJAN, 1994, 2003, 2007 ; Ingres et l’antique, 2006). La fascination des artistes pour les formes des vases grecs et leur décor figuré est avérée jusqu’au XXe siècle. Un sculpteur comme Auguste Rodin (1840-1917) ou un peintre symboliste comme Ferdinand Khnopff (1858-1921) possédaient des collections de vases et s’inspiraient des publications céramographiques (GARNIER, 2007 ; VERBANCK-PIÉRARD, 2007). Il faut y ajouter le nom de Pablo Picasso (1881-1973) et ses créations céramiques réalisées après la Seconde Guerre mondiale qui reprennent ces sources, parfois très directement (Picasso et la céramique, 2004). Mais la plus extraordinaire réception des vases grecs, et de leur iconographie en particulier, fut peut-être celle du danseur et chorégraphe russe Vaslav Nijinski (1889-1950) qui, pour élaborer L’Après-midi d’un faune (1912), mit en œuvre un langage du corps directement inspiré des figures mythologiques grecques comme celles des satyres, présentes sur les vases grecs à figures rouges, tels ceux du Musée du Louvre qu’il put observer à l’automne 1910. Par cette recherche d’une séquence gestuelle, Nijinsky utilisa le caractère graphique de ces sources iconographiques pour « suggérer une frise peinte réduisant les corps à une apparence, un ensemble de lignes plates, dépliées » (DENOYELLE, 2003, p. 296).

27 Les artisans, quant à eux, ont eu une vision encore plus pragmatique des vases grecs. L’architecture intérieure néoclassique a été directement influencée par les découvertes archéologiques, surtout celles des cités vésuviennes, et par un intérêt profond pour les vases grecs, à l’époque encore appelés « étrusques ». Pour ce phénomène, à la fois historique et stylistique, on utilise trois termes interchangeables : « style », « goût » – le « goût étrusque », aussi appelé « genre arabesque » ou même « goût arabesque ou étrusque », ne peut pas être défini strictement par les termes du vocabulaire actuel – et, surtout en allemand et en anglais, « mode », un terme qui couvre la totalité de cette

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gamme stylistique et renvoie à l’hétérogénéité des sources d’inspiration, l’Antiquité gréco-romaine étant ainsi mêlée en particulier aux « grotesques » (OTTOMEYER, 2000 ; sur la formation du terme « grotesques » à la Renaissance, voir DACOS, 1969, 2008). L’engouement pour les grotesques est en partie lié au renouveau d’intérêt de l’époque néoclassique pour Raphaël, notamment à travers la diffusion dans toute l’Europe d’estampes coloriées des loges du Vatican par Giovanni Volpato (1735-1803 ; Giovanni Volpato, 2007). Les grotesques étaient mélangées avec d’autres sources graphiques, comme les planches des Antichità di Ercolano esposte pour le « goût pompéien » (BAJARDI, 1757-1792). Avec les publications d’Hamilton dans le dernier quart du XVIIIe siècle, le « style étrusque » succéda progressivement au style pompéien avec une phase transitoire dans laquelle on trouve encore un mélange de styles (SCHNEIDER, 2004). Parmi les sources d’inspiration les plus utilisées, il faut citer les ornements d’après l’ouvrage de Piranèse, les Diverse maniere d’adornare i cammini parus en 1769 ( WILTON-ELY, 1989, p. 61) ; ses soixante-cinq planches offraient notamment des maquettes pour des cheminées dont il n’existait pas de modèles dans l’Antiquité. C’est pourquoi Piranèse prit la liberté de combiner des éléments de styles égyptien, étrusque, grec et romain en dehors de leurs contextes historiques (Giovanni Battista Piranesi…, 1999, p. 215-231, n° 12.1-12.74).

28 Autour de 1775 se développèrent les « cabinets étrusques » pour lesquels la décoration figurée de vases grecs fut une source d’inspiration décisive, diffusée par la publication d’Hamilton. Le premier exemple est probablement le cabinet du collectionneur comte François d’Erbach (1754-1823 ; HEENES, 1998, 2000 ; WIEGEL, à paraître). Les « cabinets étrusques » de l’époque (KULKE, 2002, 2003), encore conservés ou connus par des sources visuelles et textuelles, suggèrent qu’ils étaient envisagés parfois comme de simples espaces d’exposition de collections d’antiquités, mais qu’ils pouvaient servir également, voire en même temps, à présenter le bon goût du propriétaire et surtout son érudition classique (WIEGEL, 2004a). Le dernier cas, celui de l’Angleterre, est bien documenté, comme l’illustrent plusieurs collections anglaises (HAYNES, 1992 ; COLTMAN, 2006, p. 17-37).

29 La production céramique néoclassique de l’Angleterre au XVIIe siècle, le pays économiquement le plus fort en Europe, domina le goût continental. Ce fait historique est pratiquement lié à la seule figure de Josiah Wedgwood, un des potiers les plus novateurs jusqu’à nos jours. Grand-père de Charles Darwin, il esquissa non seulement une multitude de nouvelles formes de vases et d’autres récipients, mais il créa aussi plusieurs types de faïence et de grès dont il déposa les brevets d’invention. Wedgwood fut le premier bénéficiaire en Angleterre des planches gravées et coloriées d’Hancarville, qu’il avait reçues d’Hamilton, son correspondant. Il s’inspira des formes des vases grecs et également des figures rouges sur fond noir, pour lesquelles il inventa la catégorie Etruscan painting sur un genre de grès déjà existant, le black basalt, qu’il perfectionna. Ces productions jouirent d’un succès éclatant dans toute l’Europe, malgré leur coût élevé (WIEGEL, 2002 ; VOLLKOMMER, 2000, 2003, 2004). Non moins populaire fut le jasperware de Wedgwood, qu’il appelait « ma porcelaine », un grès qui avait l’avantage de pouvoir être teinté dans la masse de n’importe quelle couleur, en particulier des tons pastel à la mode, le bleu, le vert, le rosé et le jaune. Les objets réalisés dans cette terre reprennent également les figures et les thèmes caractéristiques des vases grecs (WIEGEL, 2002, I, p. 253, 341-342, 355).

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30 En 1769, Wedgwood baptisa la manufacture qu’il ouvrit avec son partenaire en affaires Thomas Bentley « Etruria » ; cette entreprise s’imposa rapidement comme la plus moderne d’Europe. Dans sa correspondance, il se désigne lui-même et sa famille comme « étrusques » (WIEGEL, 2002, I, p. 270). Wedgwood et Bentley promurent la diffusion du goût étrusque à travers une campagne promotionnelle très moderne : ils furent les premiers hommes d’affaires à faciliter l’achat de leurs produits céramiques en Europe et aux États-Unis par le biais de catalogues imprimés. Leurs clients les plus fidèles et les plus fortunés étaient les membres de l’aristocratie russe et polonaise (RAEBURN, VORONIKHINA, NURNBERG, 1995 ; WIEGEL, 2002, I, p. 289-291 ; Wedgwood Ceramika…, 2002). Bientôt, les formes et la décoration « à figures rouges » de Wedgwood furent copiées par ses concurrents continentaux, les manufactures de grès (Bielino près de Varsovie) et surtout celles de porcelaine récemment fondées, dont la plupart se trouvaient dans l’Allemagne d’alors (Berlin, Fürstenberg, Gotha, Ludwigsburg, Nymphenburg, Vienne) : c’est ce que l’on peut appeler une réception « secondaire » des vases grecs (DÄBERITZ, 2000 ; KERENYI, 2000 ; MANGO, 2000, 2003 ; RUDI, 2004 ; WIEGEL, 2004b). Ce phénomène était directement lié au fait qu’en Allemagne, les collections de vases grecs étaient assez rares avant 1800 (WIEGEL, 2007). La production de Wedgwood et Bentley et de leurs émules offrait donc un moyen de compenser ce manque.

31 Un autre type de réception secondaire peut être relevé à travers l’imitation, presque partout en Europe, de la production d’une autre manufacture de porcelaine : la Real Fabbrica Ferdinandea à Naples, dont Domenico Venuti, membre de la célèbre famille antiquaire de Toscane et ami d’Hamilton, fut directeur entre 1779 et 1800 (CARÒLA- PERROTTI, 1978 ; Le Porcellane dei Borbone…, 1986). Venuti cumula deux autres fonctions : il fut responsable des Antiquités du Royaume de Naples et directeur du Musée royal à Naples. Grâce à sa connaissance intime des vases grecs, la production de porcelaine de la Manufacture royale fut, sous son directorat, caractérisée par des services « à figures noires » et « à figures rouges », dont un grand nombre reproduit les formes des vases grecs. Avec l’aide de son ami Tischbein, Venuti rassembla sa propre collection de vases, ce qui permit ainsi à la manufacture de disposer de modèles. Le procédé était le même qu’à la Manufacture royale de Sèvres, où la collection de vases rassemblée par Dominique-Vivant Denon pendant son mandat diplomatique à Naples entre 1779 et 1785 arriva en 1786 (Dominique-Vivant Denon…, 1999). Néanmoins, comme sources d’inspiration pour les formes et la décoration de porcelaine, les deux manufactures utilisèrent également de grandes publications sur les vases grecs, celles de Passeri et d’Hamilton notamment (WIEGEL, 2002, I, p. 325-344).

32 Rétrospectivement, on peut constater que les musées de papier, c’est-à-dire les livres du savoir, devinrent aussi les livres de modèles les plus utilisés de l’époque néoclassique pour la production céramique comme pour la décoration intérieure (CAVALIER, 2007 ; CAVIRÒ, 2007). Ce phénomène s’est poursuivi jusqu’au début du XXe siècle : la Villa Kérylos, construite dans le style grec antique à Beaulieu-sur-Mer, en est le meilleur exemple (ARNOLD, 2003a, 2003b). D’autres objets d’arts décoratifs et d’usage courant, comme des éventails, des ceintures et des carrosses, ont repris ces motifs (ARIZZOLI, 1994 ; BONORA, 2003 ; WIEGEL, 2004a, p. 119-129 ; voir aussi le commentaire contemporain de Tischbein dans BÖTTIGER, 1797, II, p. 68-69). Les recherches espagnoles et polonaises récentes dans ce domaine montrent que ce phénomène fut paneuropéen, même si, dans ce contexte, la Russie catherinienne reste encore à découvrir (CAVIRO, 2007 ; Stanislaw Kostka Potocki…, 2007, p. 30-53 ; VALVERDE, 2007). L’engouement pour les

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vases grecs et leurs motifs apparut donc en Italie avant la Révolution française et fut bientôt répandu à l’étranger, surtout en Angleterre, d’où la plupart des voyageurs faisant le Grand Tour étaient originaires (WILTON-ELY, 1989 ; HAYNES, 1992).

33 La Révolution française marqua aussi un moment décisif pour le collectionnisme de vases grecs (DENOYELLE, LISSARRAGUE, 2004). Très récemment, deux importantes collections ont pu être reconstituées par des conservateurs de vases grecs, Martine Denoyelle en France et Witold Dobrowolski en Pologne. Les résultats de leurs recherches montrent à quel point les collections reflètent le développement historique de l’Europe.

34 Bien connu par le célèbre portrait à cheval qu’en a peint David (David, 1989, p. 109-111), le comte polonais Stanislaw Kostka Potocki (1755-1821) représentait l’ancien monde qui sombra à la fin du XVIIIe siècle. Érudit et écrivain, Potocki se fit un nom par sa traduction richement annotée des œuvres de Winckelmann, qui lui valut le surnom de « Winckelmann polonais » (une traduction dans une autre langue que le polonais serait d’ailleurs très utile au monde savant !). Membre privilégié d’une des plus grandes familles de l’aristocratie polonaise, il fit partie de l’illustre cercle parisien de Thomas Jefferson (1743-1826) avec le « baron d’Hancarville ». Non seulement il voyagea six fois en Italie (1765, 1772-1775, 1779-1780, 1785-1786, 1787 et 1795), où il acheta des vases sur le marché napolitain le plus important jusqu’au XIXe siècle pour les vases grecs (MILANESE, 2007), mais il y dirigea également ses propres fouilles, notamment à Nola, Fasano, Polignano et Savito. Le fruit de ses fouilles forma le noyau de sa collection, l’une des plus riches et des plus grandes en Europe à l’époque. Elle est aujourd’hui, comme toutes les anciennes collections d’antiquités privées polonaises, conservée au Musée national de Varsovie. Elle se trouvait autrefois dans le château de Wilanów du comte Potocki (banlieue de Varsovie), que ce dernier ouvrit au public en 1805, créant ainsi le premier musée public polonais. Potocki fut également l’un des plus importants hommes d’État polonais autour de 1800, qui, à la suite des trois partages de la Pologne (en 1772, 1792 et 1795), dut s’arranger avec les nouveaux potentats dans son pays.

35 En tant que collectionneur aristocrate, Potocki servit de modèle pour l’homo novus, Napoléon et sa famille, qui aspiraient à imiter les mœurs des collectionneurs de la haute aristocratie. Après l’invasion de l’Italie qui se termina par le traité de Tolentino (1797), les objets d’art du Vatican furent confisqués (pour un inventaire des vases alors transférés au Louvre, voir DENOYELLE, LISSARRAGUE, 2004, p. 226-227). Le roi Ferdinand IV de Naples, revenu de son exil sicilien et réinstallé à Naples, se sentait encore menacé par les troupes françaises. C’est pourquoi il proposa, en plus d’un traité de non- agression, de faire un don diplomatique à Napoléon, à l’époque encore général Bonaparte, qui aurait comporté de célèbres antiquités du Musée de Portici, parmi lesquelles se trouvaient le fruit des fouilles des cités du Vésuve, ainsi que des vases grecs provenant de l’ensemble du royaume. Sur les indications de savants français qui avaient « fréquenté » les « musées de papier », Bonaparte et son épouse Joséphine choisirent des objets d’après les publications antiquaires, surtout celle des Antichità di Ercolano esposte. Les œuvres arrivèrent à Malmaison en 1803, mais les espoirs de Ferdinand IV restèrent vains, car il fut remplacé sur le trône de Naples, d’abord par Joseph Bonaparte, puis, à partir de 1809, par Joachim Murat (1767-1815). Si ce don n’avait pas eu l’effet diplomatique désiré, il eut des répercussions positives sur le collectionnisme : les dignitaires de l’Empire de l’entourage de Joséphine et, parmi eux, l’épouse allemande du maréchal Soult, furent saisis par le goût de l’antique.

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Aujourd’hui, la plus grande partie de la collection de Joséphine, dispersée en 1814 (inventaire dans GRANDJEAN, 1964), se trouve au Musée de Louvre, après un passage dans d’autres collections (de Durand et Pourtalès, essentiellement). Il est remarquable que deux cents ans plus tard, ce sont encore les musées de papier, en l’occurrence, qui, croisés avec les Peintures de vases antiques (MILLIN, 1808-1810), les Peintures, vases et bronzes antiques de la Malmaison (LENOIR, 1810)4, l’inventaire après décès de la collection de Joséphine et d’autres documents d’archive, ont permis à Martine Denoyelle et à Sophie Descamps de restituer une grande partie de la collection d’antiques que Joséphine avait possédée à Malmaison (De Pompéi à Malmaison…, 2008). Cet important exemple montre bien que, dans le domaine des collections de vases grecs, soit historiques, soit virtuelles, il y a encore des découvertes à faire en ce début du XXIe siècle.

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NOTES

1. Pour l’histoire de l’étude des vases grecs, voir également le site Internet du Beazley Archive, Oxford University : http://www.beazley.ox.ac.uk/pottery/collection/classical.htm 2. « ... a coherent and comprehensive system of [...] forms » (BEAZLEY, 1922, p. 81). 3. La base de données du CVA est aujourd’hui en ligne : http://www.cvaonline.org 4. Il devait paraître en 24 cahiers avec 6 planches par livraison, mais seules 12 planches ont été publiées, c’est-à-dire seulement les deux premières livraisons.

RÉSUMÉS

Grâce à leur imagerie riche, les vases grecs suscitent encore l’admiration des visiteurs dans les grandes collections d’antiquités. Leur présence dans les musées est le résultat d’un développement linéaire du collectionnisme qui débuta au XVIIe siècle avec quelques précurseurs isolés et qui a duré trois siècles. Cet article fait un tour d’horizon des études menées sur les vases grecs depuis leur redécouverte historique jusqu’à nos jours, soulignant en particulier le rôle essentiel des « musées de papier » dans ce contexte. Publiées par des antiquaires, les ancêtres de nos archéologues, ces collections virtuelles ont eu également une profonde influence sur la production artistique. Combinées avec d’autres sources littéraires, elles permettent d’identifier des vases. Ces dernières dix années, plusieurs catalogues d’expositions ont montré la valeur des collections historiques et virtuelles pour l’étude archéologique des vases grecs.

With their rich imagery, Greek vases and related pottery still attract the attention of visitors to the great collections of art from antiquity. Their integration into museum collections is the result of a century-long development that started in the 17th century with a few disparate precursors. This article provides an overview of the history of the rediscovery of Greek vases and their study until the present day. The role and artistic reception of “paper museums,” virtual collections published by antiquarians, the predecessors of today’s archaeologists, is discussed in particular. These publications in large folio format, richly illustrated, are essential sources for the history of collections as they allow, together with literary texts of various genres, the identification of individual vases. A number of publications from the last decade, notably exhibition catalogues, have shown the importance of these historic and virtual museums for the history of the discipline of archeology and the study of Greek vases.

Griechische Vasen ziehen mit ihrer reichen Bildwelt bis heute die Aufmerksamkeit vieler Besucher in den großen Antikensammlungen auf sich. Dabei steht ihre Musealisierung am Ende eines Jahrhunderte langen Prozesses innerhalb der Sammlungsgeschichte, der, mit wenigen und verstreuten Vorläufern, im 17. Jahrhundert begann. Dieser Artikel zeigt im Überblick die Wiederentdeckung griechischer Vasen und ihre Erforschung bis heute. Vor allem die Rolle sogenannter Papiermuseen, die von Antiquaren, „Ahnen“ unserer heutigen Archäologen publiziert wurden, wird hierfür unterstrichen und deren künstlerische Auswirkungen dargestellt. Diese Art von virtuellen Sammlungen im Großformat, reich illustriert, ermöglicht zusammen mit literarischen Texten verschiedener Gattungen die Identifizierung individueller Stücke in historischen Sammlungen. Im vergangenen Jahrzehnt haben verschiedene

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Publikationen, vor allem Ausstellungskataloge den Wert solcher historischen und virtuellen Sammlungen für die Wissenschaftsgeschichte der Disziplin Archäologie hervorgehoben.

Grazie al loro ricco immaginario, i vasi greci suscitano ancora l’ammirazione dei visitatori nelle grandi collezioni di opere antiche. La loro presenza nei musei è il risultato di uno sviluppo lineare nel collezionismo che è cominciato grazie nel XVII secolo a qualche precursore isolato ed è durato per tre secoli. Quest’articolo fa una panoramica sugli studi sui vasi greci dalla loro riscoperta fino ai nostri giorni e sul ruolo essenziale che i « musei di carta » hanno giocato in questo contesto. Pubblicate dagli antiquari, gli antenati dei nostri archeologi, queste collezioni virtuali avevano inoltre una profonda influenza sulla produzione artistica. Se incrociate ad altre fonti letterarie, esse permettono di identificare dei vasi nelle collezioni storiche. In questi ultimi dieci anni, numerosi cataloghi di mostre hanno evidenziato il valore di collezioni storiche e virtuali per lo studio della disciplina dell’archeologia in materia di vasi greci.

Gracias a su rica imaginería, los jarrones griegos aún suscitan la admiración del público en las grandes colecciones de antigüedades. Su presencia en los museos es el resultado de un desarrollo lineal del coleccionismo que comenzó en el siglo XVII, a través de algunos pioneros aislados, y duró tres siglos. Este artículo revisa el estudio de los jarrones griegos desde su redescubrimiento histórico hasta nuestros días y sobre el rol fundamental de los “museos de papel” en este contexto. Estas colecciones virtuales, publicadas por anticuarios que fueron los precursores de nuestros arqueólogos, también exercían una influencia profunda en la producción artística. Ahora, combinadas con otras fuentes literarias, permiten la identificación de jarrones en las colecciones históricas. En los últimos diez años, varios catálogos de exposiciones han demostrado la relevancia de colecciones históricas y virtuales para el estudio de la arqueología en relación con los jarrones griegos.

INDEX

Index géographique : Italie, Toscane, Sicile, Asie mineure, Pompéi, Herculanum, Stabies, Naples, Cortone, Vulci, Athènes, Venise, Rome, Pologne Keywords : ceramic, pottery, black figure, red figure, slip, clay, antiquarian, classical archaeology, Etruscomania, necropolis, orientalizing vases, Corinthian vases, Attic vases, Italiote vases, periodization, ceramography, amphora, attributionism, paratext, collectionism, mold, copy, style, taste, grotesque Mots-clés : céramique, poterie, figures noires, figures rouges, engobe céramique, argile, antiquaire, archéologie classique, étruscomanie, nécropole, vases orientalisants, vase corinthien, vase attique, vase italiote, périodisation, céramographie, amphore, attributionnisme, paratexte, collectionnisme, musée de papier, moulage, copie, goût, grotesque, cabinets étrusques Index chronologique : 500 avant J.-C., 400 avant J.-C., 300 avant J.-C., 1500, 1600, 1700, 1800, 1900

AUTEURS

HILDEGARD WIEGEL Ancienne élève de la Freie Universität Berlin et de l’University of Oxford, et membre de la Society of Antiquaries de Londres, elle fait partie du groupe de recherche sur les « transferts culturels » à l’École normale supérieure à Paris. Spécialisée dans l’histoire des vases grecs et dans la céramique néoclassique d’après l’antique, ses recherches actuelles portent sur l’évolution de la discipline de l’archéologie classique en France, en Allemagne et en Angleterre. Sa thèse

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d’habilitation vise à mettre en relief le transfert culturel en matière d’Antiquité de Johann Wolfgang von Goethe et de son conseiller artistique, Johann Heinrich Meyer.

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Les figurines antiques de terre cuite Terracotta Figurines from the Ancient World: Twenty Years of Research Die antiken Tonfigurinen: ein Blick auf die letzten zwanzig Jahre Le statuette antiche in terracotta: uno sguardo sugli ultimi vent’anni Las antiguas figurillas de terracota: un repaso de los últimos veinte años

Annie Caubet

Toute ma gratitude va à Sabine Fourrier, Antoine Hermary, Arthur Muller et Marguerite Yon pour leur aide et leur patience.

« … l’industrie des terres cuites est une de celles où les relations entre les différentes civilisations de l’Antiquité se marquent avec le plus d’évidence… » (HEUZEY, 1883)

1 Dans les récits de Création, l’homme a été créé avec un peu d’argile : la Bible fait du modeleur divin le premier artiste coroplathe1, Prométhée modèle les premiers hommes (Pausanias, 10, 4, 4 ; MULLER, 2000, p. 97) et cette activité créatrice était fortement valorisée chez les Grecs. De fait, les premiers modelages ont sans doute été réalisés durant le paléolithique, quand l’homme s’essayait aux industries sur pierre et sur os, et il subsiste quelques témoignages en glaise crue, tels les bisons de la grotte du Tuc d’Audoubert. Même si les modelages de figurines et de récipients en argile cuite ne remontent qu’au néolithique, des millénaires plus tard, il est significatif que la littérature retienne la coroplastie comme art fondateur. Depuis la Renaissance, la coroplastie est pour le sculpteur ce que l’esquisse est au peintre, la liberté même de l’acte créateur. Une récente exposition au Musée du Louvre déployait toute la noblesse de ces créations en Europe pour la période moderne, de Pigalle à Canova (L’esprit créateur…, 2003). La même année, la démonstration s’opérait autour de l’atelier grec le plus célèbre, celui de Tanagra (Tanagra…, 2003). Parallèlement, le renouveau, depuis quelques années, de la recherche portant sur les figurines antiques favorise la réflexion sur les possibilités de ce médium et encourage à faire le point.

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2 Sans être absolument universel, le modelage de terre cuite constitue un élément essentiel de la culture de nombreux peuples, ainsi que le fait remarquer la citation de Léon Heuzey placée ici en épigraphe. À partir du néolithique, le Proche-Orient, la Grèce, les Balkans, l’Égypte, l’Asie Centrale, l’Inde, la Chine, le Japon et l’Amérique précolombienne ont produit des figurines en grande quantité. Certaines cultures, en revanche, ont pratiquement ignoré ce matériau, sans avoir pour autant l’excuse des Inuits, privés d’argile. L’on se demande pourquoi le monde Celte, par exemple, s’est à peu près passé de ce mode d’expression jusqu’à la conquête romaine.

3 Les civilisations qui l’ont pratiqué l’ont fait en abondance et dans des contextes sociaux extrêmement variés : sanctuaires, habitat, tombes, dépôts. Le matériau se conserve bien dans l’enfouissement, résiste au feu et à l’humidité et, par sa modestie même, n’a guère tenté les pillards antiques ou modernes. Dans le naufrage général de l’Antiquité, les figurines de terre cuite ont bien surnagé et constituent des témoins discrets mais éloquents. Pourtant, les figurines ont longtemps peu intéressé historiens et archéologues, qui privilégiaient des sujets d’étude « nobles », comme l’architecture, l’épigraphie ou la céramique peinte.

Genèse et fondements d’une historiographie

Les figurines comme objets d’art

4 C’est d’abord comme objet de dilection qu’une toute petite partie d’entre ces figurines a retenu l’attention. Les esthètes appréciaient les exemplaires complets et « de beau style », comme on disait alors. Parmi les premiers collectionneurs, le marquis de Campana en amassa un grand nombre venant du sol de l’Italie du Sud ; il acquit également un lot de figurines trouvées sur l’Acropole d’Athènes, entré dans les collections françaises avec le reste de sa collection en 1861 (Tanagra…, 2003, p. 159). Dans l’esprit des musées du XIXe siècle, les gracieuses « Tanagra » ont été source d’inspiration pour des peintres antiquisants tels qu’Alma-Tadema ou encore Jean-Léon Gérôme, dont la Tanagra trônait dans l’exposition du même nom ( Tanagra…, 2003, cat. 1). Plus tard, le mouvement cubiste, qui mena à la découverte des arts africains par l’Occident, s’est détourné du goût hellénistique pour s’orienter vers des formes plus « schématiques » : celles de la sculpture romane, de la Grèce préclassique, comme les images du néolithique et les œuvres des « primitifs », sont devenues sources d’inspiration pour l’avant-garde et seules jugées dignes de figurer dans le Musée Imaginaire d’André Malraux (1947). Resté moins célèbre que ce dernier, Christian Zervos est probablement le véritable précurseur de la confrontation entre artistes vivants et arts des hautes périodes à travers le livre d’art. Ses ouvrages sur la Grèce néolithique et la Mésopotamie, parus en 1933 et 1935, consacrent une large place aux terres cuites, avec une illustration somptueuse commandée à des photographes de renom comme Horacio Coppola et Hugo Herdeg (ZERVOS, 1933, 1935 ; DEROUET, 2006 ; CAUBET, 2006).

Premières études critiques

5 Quelques savants cependant ont élu les figurines de terre cuite comme objet d’étude, dès la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Léon Heuzey (1831-1922) reste le modèle dont l’envergure et les capacités continuent d’étonner. Jeune helléniste, membre de l’École

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d’Athènes, il entame sa carrière en Macédoine, puis opère une heureuse conversion aux études orientalistes, lorsqu’il est amené à succéder à Adrien de Longpérier au Musée du Louvre. Il est alors chargé du département des Antiquités orientales, nouvellement fondé en 1881 pour accueillir les envois des découvertes mésopotamiennes. À ce poste, il mène à bien la publication des missions archéologiques en Chaldée, révélant au public les premières découvertes sumériennes. Parallèlement, il devine que l’étude des figurines orientales devait ouvrir sur une meilleure compréhension de la pensée de ces civilisations qui revenaient à peine à la surface. Il publie le catalogue de la collection du Louvre en 1882 puis prépare une nouvelle édition fortement enrichie qui ne sortira, retardée par la Grande Guerre, qu’en 1923 (HEUZEY, 1882, 1923)2. Dans son album de 1883, illustré par des gravures d’Achille Jacquet, il explique pourquoi il présente aussi bien les figurines orientales (pl. 1-16 bis), que celles de la Grèce – principalement de Tanagra (pl. 17-39) – et celles de la Cyrénaïque (pl. 40-56) : « Pour bien connaître un art populaire comme celui des figurines antiques, il ne suffit pas d’étudier un petit nombre de types choisis ou des séries particulièrement intéressantes. L’observation doit s’étendre sur un champ aussi vaste que possible, embrasser des suites nombreuses, qui représentent les principaux centres où s’est développée l’industrie des anciens modeleurs d’images ou coroplastes […]. Les figurines grecques de Tanagra occupent nécessairement ici la plus grande place et la place d’honneur ; mais elles ne pouvaient faire négliger celles de la Cyrénaïque, plus anciennement connues […]. Pour les terres cuites de Tarse […] et pour celles de l’Italie […] le nombre de planches dont nous disposions ne nous a permis de les reproduire qu’en petit nombre et seulement à titre de comparaison […]. Une part importante a été faite au contraire, aux figurines assyriennes, babyloniennes, phéniciennes, cypriotes et grecques archaïques : c’est en effet le point de départ indispensable de toute étude sérieuse de l’art des coroplastes » (HEUZEY, 1883, préface). Heuzey inaugure ainsi les études comparatives de coroplastie et, parmi les premiers, se préoccupe de la destination et de la signification de ces figurines : la vignette du titre de l’album, d’après une peinture de vase grec, est la « représentation d’une fontaine où l’on voit des figurines archaïques négligemment jetées dans l’eau même du bassin, comme offrandes ».

6 Cependant Heuzey ne reste pas seul et des travaux comparables de défrichement, accomplis en Allemagne et au British Museum au début du XXe siècle, ont aussi longtemps servi de référence pour les classements typologiques (WALTERS, 1903 ; WINTER, 1903).

Les grandes récoltes archéologiques de l’entre-deux-guerres

7 Sans tenter de dresser la revue exhaustive des publications de coroplastie couvrant l’ensemble du temps et de l’espace du monde ancien, rappelons que l’âge d’or des fouilles archéologiques s’ouvre entre les deux guerres, en Grèce, en Turquie et au Proche-Orient. Les autorités du Mandat de la France et de l’Angleterre sur les anciennes possessions ottomanes entament une politique de recherches scientifiques en Irak, en Syrie et au Liban, et l’exploration de l’Iran se développe. Si d’énormes récoltes de figurines de terre cuite sont issues de chantiers de grande envergure, elles sont traitées diversement. Bien souvent, un tri était opéré à la fouille, pour ne retenir que les exemplaires intacts ou exceptionnels, au détriment des fragments représentatifs des différents types, donnant ainsi une vision tronquée des productions. Les publications, commencées dans les années 1930, se poursuivent encore et consistent soit en des

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catalogues de musées, soit en des inventaires de sites archéologiques. Les catalogues de collections anciennes, souvent dépourvues de contexte, sont encore loin de couvrir l’ensemble de l’existant, à l’exception de Chypre, dont Vassos Karageorghis a mené à bien la publication systématique des collections conservées dans les musées du monde entier (KARAGEORGHIS, 1991-1999). La liste des publications par site étant immense, nous limiterons aux quinze dernières années un survol région par région, en commençant par mettre en évidence les points communs de méthodologie et les moyens qui donnent une nouvelle impulsion à la recherche.

Les moyens actuels de la recherche

8 L’étude des figurines de terre cuite tend aujourd’hui à devenir un champ de recherche à part entière, intégré au cursus universitaire, au cœur de colloques spécialisés et sujet d’expositions. Sous l’impulsion d’Arthur Muller, les travaux de l’Université de Lille III explorent de nouvelles approches méthodologiques, au travers de thèses centrées sur les questions de techniques, d’iconographie et d’interprétation symbolique (COURTOIS FARFARA, 2007 ; HUYSECOM-HAXHI, 2008)3. Une communauté scientifique internationale, dont le nombre va croissant, se réunit à la faveur de colloques spécifiquement consacrés à des questions de figurines de terre cuite, et notamment la production de Chypre (VANDENABEELE, LAFFINEUR, 1991), le moulage (MULLER, 1997), Tanagra (JEAMMET, BECQ 2007), les offrandes (HUYSECOM-HAXHI, PRÊTRE, 2009), ou encore les « Figurines en contexte : de l’iconographie à la fonction » (colloque organisé par l’Université Lille III en décembre 2011). Celui qui s’est tenu à l’Université Dokuz Eylül à Izmir, ouvert à tous, s’est transformé en un gigantesque jamboree car la réunion répondait à une véritable attente de la part des chercheurs (LAFLI, MULLER, à paraître). Les annonces de ces activités et les travaux en cours sont désormais diffusés sur Internet, tandis qu’un Coroplastic Studies Interest Group basé à la State University de New York à New Paltz est animé par Jaimee Uhlenbrock4. Le site de ce groupe de contact publie une très précieuse bibliographie en constante progression, remontant pour l’instant (avril 2009) à 1980. Sa première lettre d’information en ligne, rattachée à l’American Society of Archaeology, vient de sortir et son premier colloque, « Coroplastic Studies at the Start of the 21st Century: From Collection to Context », a été organisé par Caitlin E. Barrett en janvier 2009 à Yale University. Enfin, l’attention du grand public est sollicitée, en France et à l’étranger, par des expositions spécialisées consacrées à une région ou à une période (The Coroplast’s Art…, 1990 ; Tanagra…, 2003 ; Figures d’Elam…, 2004). Il resterait à tenter une manifestation à caractère « transversal », plus anthropologique, qui présenterait au grand public les témoignages de sociétés choisies à travers le temps et l’espace.

Nouvelles orientations

9 Plusieurs directions s’imposent actuellement à la recherche. Les études iconographiques traditionnelles restent bien évidemment toujours indispensables. La démarche stylistique profite désormais de la démonstration proposée par Francis Croissant à propos des protomés grecs archaïques, montrant comment un groupe stylistique peut être attribué à un centre créateur distinct, qui se développe au sein d’une entité politique et culturelle forte (CROISSANT, 1983). L’approche technique se

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donne pour objectif l’adoption de définitions fondamentales acceptables par tous. Les distinctions éventuelles entre type, groupe et série, en particulier, jettent les bases des recherches sur le surmoulage (NICHOLLS, 1952 ; MULLER, 1996). Cette démarche débouche sur les questions d’organisation des productions dans les ateliers, de la compétence et du degré de spécialisation des artisans, des modalités de diffusion des produits et des outils de production, en bref sur des considérations sociales (MULLER, 2000). La question de la destination, de la fonction et de la signification des figurines conduit à une réflexion sur les pratiques votives et funéraires (voir, par exemple, HUYSECOM-HAXHI, MULLER, 2007 ; Muller dans HUYSECOM-HAXHI, PRÊTRE, 2009). Et, comme l’avait naguère pressenti Heuzey, on prend conscience que les figurines de terre cuite, par leur matériau, leur technique, leur diffusion et leur signification sont au croisement de l’Orient et de l’Occident, du monde grec et du monde oriental.

Définitions techniques

10 Avant d’aller plus avant, il est peut-être utile de décrire quelques procédés de base, définis notamment dans l’ouvrage de Marguerite Yon (YON, 1981, s.v. « modelage », « modeler ») et les écrits de Sabine Fourrier (dans CAUBET, FOURRIER, QUEYREL, 1998, p. 100-103). La technique la plus ancienne et la plus largement répandue est celle du modelage, qui est un façonnage à la main. Au cours du temps, les procédés sont devenus plus complexes, mettant en jeu le tournage – sur un tour de potier – de certains éléments de la figurine (souvent le corps). Le moulage consiste à appliquer la pâte humide dans un moule et permet de fabriquer un grand nombre d’exemplaires à partir du même moule. Le procédé du moule simple, mis au point en Mésopotamie et en Iran du Sud-Ouest vers la fin du IIIe millénaire avant J.-C., a permis de tirer d’innombrables figurines plaquettes dont on trouve la description technique dans BARRELET, 1968. Le moulage en creux (utilisant un moule pour l’avant et souvent une simple forme pour l’arrière), qui permet de fabriquer des pièces en trois dimensions, a été introduit au Levant et dans le monde grec vers le VIIe siècle avant J.-C. L’introduction de ce procédé suppose une répartition des compétences au sein d’un même atelier : la fabrication en masse réalisée par les mouleurs ne demande « ni imagination ni savoir-faire particulier » et pouvait même être « confiée à des enfants ». En revanche, la réalisation du prototype modelé sur lequel est pris le premier moule exige une parfaite maîtrise du travail de l’argile. Ce « maître est le véritable coroplathe » (MULLER, 2000).

11 Le saut quantitatif est dû à la pratique du surmoulage. Chaque figurine peut être surmoulée, donnant naissance à une deuxième génération de moule (surmoule) dont les produits peuvent être surmoulés à leur tour, et ainsi de suite sur plusieurs générations. Parce que l’argile se rétracte à la cuisson, chaque surmoule est plus petit que son modèle et chaque tirage est un peu plus petit que son moule. Par l’observation attentive des dimensions des différents exemplaires d’un même type, on peut reconstruire les générations successives (études de cas dans HUYSECOM, 2000). De plus, n’importe quelle figurine peut servir à son tour de prototype : il suffit de lui appliquer un peu d’argile crue pour en modifier légèrement l’attitude, le vêtement, ou pour y ajouter un attribut. Cette nouvelle version est alors moulée et servira à engendrer de nouveaux types, dérivés du premier. Les contours en seront un peu plus « flous ». Et ainsi de suite, jusqu’à obtenir des ixièmes générations, au relief d’aspect savonné. Leur

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aspect affadi n’est pas le fait des moules (qui ne s’usent pratiquement pas), mais l’effet de surmoulages répétés (MULLER, 1996, p. 33-34).

Moulage et surmoulage en Grèce et au Proche-Orient

12 On comprend mieux, alors, la prolifération des figurines moulées, dont le nombre va grandissant durant le premier millénaire pour « exploser » à la période hellénistique dans toute la Méditerranée orientale et jusqu’en Iran. En Grèce, l’adoption du moulage supplante les techniques bien plus exigeantes du modelage et du tournage dans le courant du VIIe siècle avant J.-C., pour se généraliser au VIe siècle avant J.-C. (MULLER, 2000). Cette pratique, connue en Orient depuis la fin du IIIe millénaire, a-t-elle été empruntée par les Grecs à l’Orient ? Des centres tels que Samos, où se trouvaient déposées de nombreuses œuvres d’origine orientale et chypriote, auraient pu servir d’intermédiaires (KYRIELEIS, 1993). Mais elle a pu être mise au point indépendamment, par des artisans qui se seraient inspirés de l’expérience d’une autre industrie à moulage, celle des bronziers. Ainsi à Samos, « les deux techniques de moulage, celle du bronze et celle de l’argile, apparaissent pratiquement en même temps » (MULLER, 2000, p. 96). L’antériorité du modèle oriental pour l’invention du moule bivalve reste d’ailleurs à démontrer. Les productions levantines et chypriotes des premiers siècles du Ier millénaire avant J.-C. témoignent de procédés complexes, mais assez différents. On distingue un groupe important de figurines en technique composite, représentant des porteuses d’offrandes et des musiciennes. Elles apparaissent autour de 750 avant J.-C. et combinent tournage pour le corps, moulage pour la tête – ou du moins pour le visage –, et modelage pour les différents éléments annexes – bras, instruments ou offrandes (pour le Levant sud : NUNN, 2000 pl. 20 ; DAYAGI-MENDELS, 2002 ; La Méditerranée des Phénciens…, 2007, n° 211-212, 214-217 ; pour Chypre : FOURRIER, 2007, chapitre III, groupes de Kition E1 à E 4). Ces objets sont produits, avec des variantes, au Levant sud et à Kition (Chypre) autour de 750-550 avant J.-C. Un deuxième groupe remplace progressivement le premier. Il est réalisé dans la technique moulée en creux qui aurait pu être imitée par les artisans grecs. Les exemplaires connus présentent des reliefs très affadis qui semblent tous tirés de surmoules de énième génération. Le répertoire très caractéristique représentant des figures divines phéniciennes comprend dea gravida trônant, déesse nue debout, Osiris trônant, Bès et « Ptah Patèque » ou démon enfant aux jambes tortues. Créé probablement dans la région de Tyr (NUNN, 2000 pl. 22, 23 et 29, n° 94 ; La Méditerranée des Phéniciens…, 2007, n° 200-210, 218, 230), cet ensemble iconographique a été diffusé, imité et modifié dans le sud de Chypre, à Amathonte et Kition (FOURRIER, 2007, Kition groupes B1-B5). Il ne semble guère être antérieur à la fin du VIIe siècle avant J.-C. et peut donc difficilement être considéré comme responsable de l’adoption de la technique de moulage par les ateliers grecs.

13 Cette question de la diffusion des techniques de fabrication conduit les chercheurs à évoquer la diffusion des produits (figurines), des outils (moules et surmoules) et des « produits dérivés » (types transformés par modification). On perçoit bien comment la pratique du moulage et surmoulage permet de diffuser très largement certains types. Un type peut être exporté loin de son centre de création, sous forme de moule ou de figurine, laquelle sera à son tour moulée et reproduite en nombre illimité sur plusieurs générations. Tout centre qui le souhaite a la possibilité, à partir d’un objet importé, de mettre en place une production locale et de se constituer un répertoire typologique

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propre, sans disposer nécessairement d’un coroplathe de haute compétence. La démonstration qui en a été faite par Arthur Muller à Thasos (MULLER, 2000 ; HUYSECOM, 2000) a nourri la réflexion de Lauriane Martinez-Sève pour les productions hellénistiques de Suse (MARTINEZ-SÈVE, 2002), comme celle de Sabine Fourrier pour le cas de Chypre (FOURRIER, 2007). Les phénomènes de diffusion, notamment durant la période archaïque puis suivant la conquête macédonienne, rendent les frontières géographiques particulièrement floues. S’impose dès lors la nécessité de dépasser les frontières académiques. C’est ce qu’illustre le cas du kouros d’origine ionienne, dont l’historiographie remonte au XIXe siècle.

Les avatars d’un type : l’exemple du kouros vêtu

14 Le type du kouros vêtu apparaît dans une estampe en couleur du catalogue du Musée Napoléon III, publiée par Adrien de Longpérier : la notice décrit une figure féminine phénicienne, provenant du « voisinage de Tortose » (probablement Amrit) et considérée « comme prototype de la Vénus des Grecs » (LONGPÉRIER, 1882, pl. XXVI, 1). L’ouvrage de Longpérier, publié seulement en 1882, avait été rédigé alors que le conservateur des Antiques était encore au Musée du Louvre, avant sa démission en 18695.

15 L’œuvre reparaît dans le catalogue des figurines du Louvre établi par Léon Heuzey en 1882, dans son chapitre sur les figures de Phénicie. Il récuse l’identité phénicienne avancée par son prédécesseur et relève les traits ioniens du costume (HEUZEY, 1882, n° 203-205, 1923, n° 206-208). Dans son édition de 1923, Heuzey rapproche l’exemplaire d’Amrit de figurines découvertes dans les fouilles de Camiros qui lui servent de base pour sa reconstruction de l’atelier de Rhodes : « [ces] types de figurines que l’on rencontre simultanément à Camiros et dans la Phénicie septentrionale sont les types les plus avancés et les plus caractéristiques de la série, ceux dans lesquels s’accuse le plus nettement, par son progrès continu, le style du premier archaïsme grec » (HEUZEY, 1923, n° 36-37, et pl. XII, 4). « Considérer ces figures comme importées de la Phénicie à Rhodes serait en réalité supprimer la fabrique rhodienne. Je n’hésite pas à penser que c’est le contraire qui a eu lieu : ce sont les Phéniciens, peuples de trafiquants, facilement épris des productions étrangères, qui se sont engoués, beaucoup plus tôt qu’on ne le croit, pour ces nouveautés du premier style grec, et qui les ont importés chez eux, du jour où elles ont commencé à être en vogue sur les marchés de la Méditerranée » (HEUZEY, 1923, p. 236). Le jugement négatif porté sur le caractère phénicien est bien de son temps (La Méditerranée des Phéniciens…, 2007, rappel historiographique de Pierre Rouillard, p. 25-31). L’identification comme des personnages féminins, au vu de leur anatomie rebondie, s’explique par l’ignorance où l’on était alors des créations de sculptures archaïques par les ateliers de Grèce orientale sur les rivages d’Asie Mineure. Mais la qualité novatrice de l’analyse de Heuzey réside dans sa perception précoce des interactions entre le monde phénicien et l’archaïsme grec. Le kouros vêtu d’Amrit ne poursuivit pas longtemps son existence dans la bibliographie. Il est encore signalé dans le volume phénicien du dictionnaire de Perrot et Chipiez, qui reprend fidèlement la première notice de Heuzey (PERROT, CHIPIEZ, 1885, p. 473, fig. 345). Dans l’édition de 1923, le catalogue de Heuzey renvoie à la même figure (certainement celle d’Amrit) pour les notices des exemplaires de Phénicie et de ceux de Camiros. Cette confusion, peut-être un raccourci économique pour répondre au besoin

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de limiter le nombre de planches, a été fatale à la postérité bibliographique de la statuette d’Amrit. Les spécialistes du monde Phénicien l’ont laissé de côté, parce qu’il avait été identifié comme Rhodien, donc Grec ; la recherche classique n’a pris en compte que les exemplaires de Camiros (le tableau de diffusion de HUYSECOM, 2000, p. 117, s’étend de la mer Noire à la Sicile et la Cyrénaïque mais ne donne pas de site levantin). Les autres statuettes du groupe d’Amrit, dont le vase en forme de jeune fille tenant un oiseau ont d’ailleurs partagé le sort du kouros vêtu, pour les mêmes raisons. Quand et comment la koré est-elle redevenue kouros, quand et pourquoi cet atelier rhodien a-t-il été identifié comme ionien ? Pour pouvoir y répondre, il faudrait sans doute retracer les étapes de cette recherche.

16 Les découvertes récentes, d’un bord à l’autre de la Méditerranée, d’exemplaires de ce kouros ou de types associés, comme celui de la koré à la colombe, lui redonnent de l’actualité (LANDOLFI, BERTI, 2007 pour le kouros vêtu à Iasos en Carie ; BERTASEGO, à paraître, pour la koré à la colombe en Sicile). Les exemplaires de Thasos ont permis à Stéphanie Huysecom-Haxhi de se livrer à une spectaculaire démonstration des générations successives de moules (HUYSECOM, 2000). Sa description des caractéristiques physiques viriles du personnage – carrure des épaules, épaisseur des bras, ampleur des pectoraux, indices de son identité ionienne – constitue une fine « relecture » des détails mêmes décrits naguère comme féminins par Longpérier et Heuzey (HUYSECOM, 2000).

17 Au-delà de l’anecdote, il y a une leçon à tirer de la disparition du kouros d’Amrit de la bibliographie : peut-être existe-t-il d’autres exemplaires à chercher et que l’arrivée précoce d’œuvres grecques dans les sanctuaires phéniciens ou levantins, comme Amrit, n’a pas été suffisamment explorée (NUNN, 2000, chapitre 4 C II, explore les importations au Levant durant le VIe siècle et la période classique). La pièce d’Amrit, toujours exposée au Musée du Louvre dans le département des Antiquités orientales, compte peut-être parmi les rares exemplaires connus qui soient tirés d’un moule de première ou seconde génération, comme le montrent la qualité du relief et ses grandes dimensions.

Compte rendu bibliographique par grandes régions

18 Les nouveautés bibliographiques apparaissant sur Internet sans classement autre que l’ordre alphabétique des auteurs, une présentation par grandes régions semble susceptible de mettre en valeur la dynamique de la recherche et sa remarquable progression géographique.

La Grèce et l’Ionie

19 Les foyers créateurs de Grèce et d’Ionie, de Troie et de Thasos à Corinthe, sont naturellement au cœur de la recherche et du renouvellement des méthodes et de la réflexion ; les nombreuses et importantes publications récentes sur la coroplastie de grands sanctuaires témoignent de la vitalité de ces travaux (MILLER, 1991 [Troie] ; BALD ROMANO, 1995 [Gordion] ; LILIMPAKĒ-AKAMATĒ, 1996 [Pella] ; MROGENDA, 1996 [Myrina] ; MULLER, 1996 [Thasos] ; SUMMERER, 1999 [Amisos du Pont] ; MERKER, 2000 [Corinthe] ; SAHIN, 2005 [Cnide] ; RUMSCHEID, 2006 [Priène]). On peut y suivre la production des ateliers de la période archaïque, fortement attachée à la personnalité de chaque sanctuaire, et dont certains types ont connu une large diffusion, tel celui du kouros vêtu évoqué ci-dessus. Ces ateliers ont connu avec la période hellénistique une très

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forte augmentation de leur production, qui s’accompagne souvent d’une certaine uniformisation.

La Méditerranée occidentale

20 La réception des modèles ioniens par les ateliers de Méditerranée occidentale, notamment Tarente, est revisitée par des travaux publiés ou sous presse (GRAEPLER, 1997 ; ALBERTOCCHI, à paraître ; BERTASEGO, à paraître ; HUYSECOM-HAXHI, à paraître). Les antécédents de ces courants de circulation entre l’est et l’ouest de la Méditerranée ont été recherchés à l’âge du bronze, en suivant la diffusion des caractères mycéniens en Italie (RAHMSTORF, 2005). L’adoption des pratiques de dépôts de figurines dans les sanctuaires des mondes indigènes, notamment en Gaule, retient aussi l’attention (BÉMONT, JEANLIN, LAHANIER, 1993).

L’Orient hellénisé

21 Si l’on se tourne vers l’Est, les publications récentes ont analysé la mutation spectaculaire de l’Orient hellénisé : dans les pas d’Alexandre, les traditions de coroplathes ont évolué au profit de modèles nouveaux venus du monde grec, souvent plaqués sur des réalités locales. Il apparaît que la figure de l’Héraklès oriental connaît un brusque développement, que les images de musiciens et de cavaliers deviennent plus populaires et que la « déesse nue » subit de nouveaux avatars. Ce phénomène d’hellénisation touche les pays du Levant, dont l’île de Chypre, les côtes d’Israël et de la Phénicie, la Mésopotamie, l’Iran et jusqu’à la Bactriane (MATHIESEN, 1982 [Ikaros, Koweit] ; INVERNIZZI, 1985 [Séleucie du Tigre] ; MARTINEZ-SÈVE, 2002, 2005 [Iran] ; DVURECHENSKAYA, 2006 [Bactriane] ; JACKSON, 2006 [Jebel Khalid, Syrie] ; KLENGEL-BRANDT et al., 2006 [Babylone] ; ERLICH, KLONER, 2008 [Maresha, Israël]). L’existence de grands centres est mise en évidence, Séleucie du Tigre, Babylone et Suse, qui à leur tour ont rayonné en Mésopotamie, dans le Golfe, en Iran. On estime généralement que le développement des ateliers après la conquête grecque a été favorisé par l’existence de traditions locales remontant à des périodes très anciennes (pour le Baluchistan, voir JARRIGE, 1988).

Le Levant

22 Au Levant, les contacts entre le monde grec et l’Orient ne dataient pas de la conquête du Macédonien. Les Philistins, au tournant du IIe et du Ier millénaire avant J.-C., avaient déjà importé des caractères égéens dans leurs nouvelles installations du Levant sud (BEN-SHLOMO, 2008 pour les niveaux philistins de Tel Mikne-Ekron). Un peu plus tard, l’Empire perse favorisa l’épanouissement d’un véritable art international qui faisait la part belle aux modèles d’origine grecque adaptés à des besoins et à des croyances locales (STERN, 1995, pour les débuts de l’installation grecque dans les niveaux perses de Dor, VIe-IVe siècles avant J.-C. ; NUNN, 2000, pour les sites phéniciens).

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L’orient préhellénistique

23 L’étude des productions de l’Orient millénaire, en Syrie intérieure, en Mésopotamie et en Iran, est actuellement très vivace et fortement nourrie par les orientations récentes de la recherche conduite sur le monde grec. Ces travaux joignent aux considérations d’ordre technique une réflexion sur le statut des artisans, les pratiques de dévotion et leur mutation dans le temps, ainsi que des considérations sur l’identité des divinités locales ou introduites.

24 Du point de vue technique, comme on l’a vu, l’invention du moule pour figurines plaquettes à la fin du IIIe millénaire avant J.-C. avait favorisé l’épanouissement d’une industrie de masse fonctionnant pour les besoins des grands sanctuaires de Mésopotamie et de Syrie intérieure, qui produisait aussi, à côté des « multiples » ainsi obtenus par moulage, un grand nombre de figurines modelées (WREDE, 1991 [Uruk en pays de Sumer] ; SPYCKET, 1992 [Suse, Iran] ; CZICHON, WERNER, 1998 [Munbaqa sur l’Euphrate] ; MARCHETTI, 2001 [Ebla en Syrie] ; KLENGEL-BRANDT et al., 2006 [Babylone]). La production de masse obtenue par la technique du moulage a eu une conséquence inattendue sur les publications : les quantités colossales ont été un obstacle non négligeable, lorsqu’elles ne décourageaient pas complètement l’entreprise. Le récent catalogue des trouvailles de Babylone comprend 4 239 numéros, et il ne s’agit « que » des figurines anthropomorphiques (KLENGEL-BRANDT et al., 2006). Les animaux, bateaux, chars et autres catégories d’objets sont annoncés pour plus tard. On ne sait s’il faut admirer davantage le courage de l’éditeur ou la ténacité de l’auteur. Il n’est pas certain que de telles entreprises trouvent à l’avenir des sorties sur papier. Dans le cas de Babylone, cet ouvrage peut apparaître comme une revanche du destin. Le devenir de ces figurines après la fouille ne fut qu’une série de désastres, dans la tourmente de trois guerres. Il n’est pas inintéressant d’en rappeler l’histoire, alors que Babylone vient d’être mise à l’honneur dans deux expositions internationales (Babylone, Mythe et réalité, 2007-2008, et Beyond Babylon, 2008-2009). L’expédition allemande que dirigeait Robert Koldewey a exploré les ruines de l’antique Babylone de 1899 à 1917, mettant au jour les remparts, la voie processionnelle, des palais et des temples, des milliers de tablettes cunéiformes et plus de 10 000 figurines de terre cuite. Les divagations antiques du Tigre et la montée de la nappe phréatique avaient rendu inaccessibles les niveaux antérieurs à la dynastie néobabylonienne, ceux de l’époque de Hammourabi enfouis sous les eaux n’étant conservés que dans un secteur très limité d’habitations privées, ce qui a pour conséquence une représentation inégale des différentes périodes dans le répertoire des figurines. La fouille fut interrompue par l’entrée des troupes britanniques en Irak en 1917. Une partie des découvertes resta dans la maison de fouille, tandis qu’une autre partie, destinée à l’Allemagne, finit par arriver à Istanbul. En 1926, un partage fut opéré entre Berlin et le département des Antiquités nouvellement mis en place par le Mandat Britannique en Irak. À Berlin, des travaux de restauration gigantesques permirent alors de présenter à partir de 1930 la célèbre Porte d’Ishtar dans le Vorderasiatische Museum spécialement aménagé dans l’île des musées. Fermées pour cause de préparatifs de guerre en 1938, ces galeries furent gravement endommagées par les bombardements alliés. Une part des collections de Berlin fut ensuite emportée par les Soviétiques et ne revint de Russie qu’en 1958. En outre, depuis la première guerre du Golfe en 1991, les collections conservées à Babylone et à Bagdad ne sont plus accessibles. Les œuvres échues en partage au musée d’Istanbul n’ont pu être examinées. Le catalogue pour les

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œuvres autres que celles conservées à Berlin repose donc sur les notes et les photographies du fouilleur et de ses successeurs après la Seconde Guerre.

25 Cet ouvrage miraculé reconstruit la production d’un des plus grands centres de coroplastie de l’Orient ancien. Les chiffres de Babylone sont éclairants sur le rapport entre les traditions locales et le renouveau dû à l’arrivée des Grecs. Sur les 4 239 numéros du catalogue, 160 concernent les IIIe et IIe millénaires avant J.-C. (rappelons que ces niveaux ne peuvent être atteints que sur une surface limitée) ; 14 sont néoassyriennes (VIIIe-VIIe siècle avant J.-C.) et 518 appartiennent à l’époque néobabylonienne, époque durant laquelle la ville atteint son plus grand éclat. Le répertoire de cette période est pourtant limité et comprend essentiellement des femmes nues se tenant les seins ou portant un enfant, et des hommes porteurs de vases, vêtus d’une tunique longue. Cette production, fabriquée en masse et sans grand soin, a été largement diffusée vers d’autres sites mésopotamiens. Après la chute de l’Empire babylonien en 539, l’activité des ateliers décline avant de reprendre avec la période séleuco-parthe (IIIe siècle avant J.-C. au IIIe siècle après J.-C.), qui compte 3 532 numéros. Les techniques nouvelles venues du monde grec s’imposent : le moulage en creux dans des moules doubles se substitue au moule simple, de la couleur est appliquée sur une base gypseuse, le répertoire fait une large place aux femmes drapées, aux musiciennes, aux couples d’enfants musiciens. Le type de la femme nue aux bras le long du corps représente probablement une persistance de traditions locales, traduite dans un style occidentalisé. Le type le plus populaire à Babylone, comme sur la plupart des sites du Proche-Orient durant la période séleuco-parthe, est le cavalier coiffé de couvre-chefs divers, pourvu d’un corps modelé et d’un visage moulé. Ces chiffres, et le contraste entre les 518 numéros de l’époque néobabylonienne et les 3 532 séleuco-parthes, sont comparables à ceux de l’autre grand centre asiatique, Suse, dont les niveaux anciens remontent au Ve millénaire. Là encore, on ne dispose des publications que pour les figures anthropomorphes. La période allant des origines au IIIe millénaire compte 126 numéros, le IIe millénaire 1 268 exemplaires (SPYCKET, 1992). Les périodes néo-élamite et perse (VIIe-VIe siècle avant J.-C.) en comptent 76, et 632 pour la période séleuco-parthe (MARTINEZ, SÈVE, 2002). Il faudrait encore compter plus de 1 000 numéros pour les figurines zoomorphes (Lauriane Martinez-Sève a entrepris le catalogue du fonds du Louvre). Il est clair sur les deux sites qu’une production locale déjà très abondante grâce au moule simple fait place à une activité nouvelle favorisée par l’introduction du moule bivalve et composite, d’origine occidentale.

L’Égypte et Chypre

26 Dans ce schéma général de la Méditerranée orientale, l’Égypte et Chypre constituent des cas particuliers. L’Égypte, considérée sous l’angle de la coroplastie, se distingue radicalement du Proche-Orient. À l’exeption de Heuzey, qui y fait allusion dans sa perspective comparatiste (HEUZEY, 1923, p. XIII-XXIV), la petite plastique en terre cuite de la longue période pharaonique, qui s’étend du IIIe millénaire avant J.-C. à l’arrivée des Ptolémées (282 avant J.-C.), n’a guère retenu l’attention, mises à part les figurines en matière vitreuse, amulettes et serviteurs shawabti à usage funéraire. Il existe pourtant divers types en argile modelée – les « concubines du mort » au Moyen Empire ou les étrangers vaincus à l’époque perse –, mais ces productions peu abondantes ne semblent pas avoir fait l’objet d’étude d’ensemble. En revanche, à partir de l’arrivée des

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Grecs au pouvoir, et durant toute la période romaine, les figurines pullulent, grâce au procédé de moulage : les méthodes de recherche expérimentées dans le reste du monde asiatique et méditerranéen pourraient leur être appliquées. Les catalogues abordent généralement la production égyptienne de manière globale dans une approche iconographique (DUNAND, 1990 ; FJELDHAGEN, 1995) : le répertoire très varié fait une large place au panthéon traditionnel égyptien revu sous une forme grecque, avec le cycle d’Isis, Harpocrate, Bès, à côté de motifs d’inspiration grecque, acteurs, musiciens. Depuis peu, sous l’impulsion de Pascale Ballet, l’on s’attache à la production du site le plus profondément hellénisé, Alexandrie (BALLET, 1995 ; KASSAB TEZGÖR, 2007), pour en distinguer l’évolution propre, mieux perceptible depuis la vaste entreprise de fouilles archéologiques menée par Jean-Yves Empereur. Resterait à rechercher et à caractériser d’autres centres actifs en Égypte et à distinguer la part de traditions locales et de nouveautés dues à l’hellénisation du pays.

27 Le cas de Chypre est exemplaire du renouvellement rapide de la recherche et de sa vitalité. Les figurines y sont particulièrement nombreuses et distinctives, les fouilles ont été dans l’ensemble bien conduites et les publications de chaque site qui ont vu le jour régulièrement rendent compte des productions qui vont en augmentant depuis la période chalcolithique jusqu’à l’époque romaine. Sur ces bases, les générations de recherches se succèdent en vagues rapprochées. L’expédition suédoise (1927-1931) avait tracé le cadre de la chronologie et de la coroplastie de Chypre, qu’Einard Gjerstad abordait comme un tout, sensible aux influences artistiques venues du Proche Orient, de l’Égypte et de l’Ionie (GJERSTAD, 1948). On disposa ensuite, grâce au labeur de Vassos Karageorghis, d’un vaste et indispensable répertoire iconographique qui rassemble tout le matériel connu, depuis l’âge du bronze jusqu’aux périodes géométrique et archaïque (KARAGEORGHIS, 1991-1999). On s’est attaché ensuite à caractériser les différentes régions de l‘île et à identifier des centres de production, en se fondant sur des critères de technique et d’iconographie (études de Caubet et Yon indiquées dans FOURRIER, 2007). La réflexion porte désormais sur la notion d’identités culturelles et de territoires politiques à l’époque des royaumes (FOURRIER, 2002) : le récent livre de Sabine Fourrier sur la coroplastique chypriote archaïque « ouvre un nouveau chapitre de l’archéologie de Chypre » (FOURRIER, 2007 ; HERMARY, 2008). Se proposant de rassembler les productions en groupes stylistiques afin de cerner non plus une identité insulaire, mais des identités culturelles régionales, l’auteur adapte au cas de Chypre une méthode de recherche que Francis Croissant applique magistralement au monde grec archaïque depuis une trentaine d’années. Dans le panorama des productions des centres urbains de l’île, les groupes stylistiques sont définis et classés selon la technique de fabrication, et la diffusion de ces productions est examinée dans le « cercle proche », les « sanctuaires de territoire » et les « sanctuaires de frontière ». Pour les grands centres (Salamine, Idalion), la diffusion des différents groupes de figurines permet de bien définir les contours d’un territoire « culturel » qui correspond pour l’essentiel à des frontières politiques. Les sanctuaires extra-urbains jouaient « un rôle d’affichage, d’exposition, affirmant, en l’absence de constructions monumentales, une identité culturelle sur le territoire du royaume » (FOURRIER, 2007, p. 124). À l’issue de son analyse, l’auteur aborde la question de l’origine, du nombre et de l’extension des petits royaumes de l’île avec un nouveau regard et propose, à partir des figurines, une véritable esquisse de géographie historique.

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28 Cette revue des nouvelles orientations de la recherche centrée sur la corosplastie reste sans doute bien lacunaire, mais il semblait important d’insister sur plusieurs points : le renouveau méthodologique, la vigueur de la recherche internationale et l’utilité de franchir les frontières académiques. La diffusion par Internet, la tenue régulière de conférences, l’entrée en lice de jeunes doctorants favoriseront certainement l’évolution des réflexions et le partage des lumières sur une production antique souvent qualifiée de mineure en raison de ses dimensions, mais que les statistiques et la richesse des interprétations historiques qu’elle laisse entrevoir font apparaître comme une activité majeure de l’Antiquité.

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NOTES

1. Coroplathe, du grec coroplathos, « qui modèles des poupées ou des figurines ». La forme coroplaste, plus utilisée, est moins régulière. De là les néologismes coroplathie et coroplastie pour désigner l’art du coroplathe ou coroplaste. 2. Voir Muriel Peissik, Noëlle Roy, Léon Heuzey ou la recherche des origines (1831-1922), monographie de muséologie, École du Louvre, Paris, 1990-1991.

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3. Citons également Belisa Muka, Terres cuites de type grec en milieu illyrien antique, thèse, Université Lille III, en cours. 4. Voir le site Internet du Coroplastic Studies Interest Group : http://coroplasticstudies.org 5. Voir la notice sur Longpérier dans Philippe Sénéchal, Claire Barbillon éd., Dictionnaire critique des historiens de l’art actifs en France de 1789 à 1920, édition électronique (http://www.inha.fr/ spip.php?article2421).

RÉSUMÉS

La production de terre cuite, comme technique de création artistique, concerne de très nombreuses civilisations antiques. Cette activité semble avoir joui d’une certaine valeur sociale, comme en témoignent les récits de Création. Modestes supports d’une imagerie abondante et variée qui éclaire sur les croyances, les cultes, la représentation des divinités et des fidèles et même sur l’idéologie sociale, les figurines de terre cuite ont mieux résisté que d’autres matériaux plus précieux aux destructions du temps. Leur étude est donc irremplaçable pour la compréhension de civilisations disparues. Le renouveau des études centrées sur les figurines de terre cuites antiques est le fait d’une communauté internationale consciente des caractéristiques communes à ces productions, qui franchissent les habituelles frontières géographiques et chronologiques. Grâce à la tenue régulière de colloques spécialisés et à un site Internet très actif, les avancées méthodologiques et les nouvelles réflexions sont rapidement partagées. Cet article rappelle quelques principes techniques de base, rend compte d’un ensemble de travaux marquants et esquisse un tableau historiographique des études sur l’art des coroplathes.

The production of terracotta as an art form is germane to a number of ancient civilizations and seems to have carried with it a certain social value, as testified by its place in creation myths. Though relatively humble objects, terracotta figurines, better preserved than many other, more precious materials, vehicle a rich and varied imagery that reveals much about beliefs, religion, the representation of divinities, and even social ideologies. Their study is therefore essential to our understanding of bygone civilizations. The renewed academic attention to terracotta figurines from antiquity is due to an international community of researchers who are fully aware of the shared characteristics of these objects, which surpass geographical and chronological borders. The dissemination of new methods and approaches is aided by an active online network and the organization of frequent conferences. This article recalls certain basic techniques, surveys recent, significant publications, and provides a historiographical overview of studies on coroplathy.

Die Tonproduktion, als eine Technik künstlerischen Schaffens, betrifft sehr viele antike Zivilisationen. Wie es die noch vorhandenen Schriftzeugnisse zeigen, scheint diese Aktivität einen gewissen sozialen Stellenwert genossen zu haben. Die bescheidenen Bildträger zeugen von einer reichen und unterschiedlichen Ikonografie, die sowohl über den Glauben, das Kultverhalten und die Darstellung der Gottheiten und der Gläubigen Auskunft gibt, als auch über die soziale Ideologie, denn die figürlichen Terrakotten haben den Widrigkeiten der Zeit besser getrotzt als andere edlere Materialien. Ihre Untersuchung ist von daher unersetzbar zum Verständnis der vergangenen Zivilisationen. Das Wiedererwachen der Forschung zu antiken Tonfigurinen ist einer internationalen Gemeinschaft von Wissenschaftlern zu verdanken, die sich den

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Gemeinsamkeiten dieser Produktionen bewusst ist und die üblichen geografischen und zeitlichen Grenzen überschreitet. Dank regelmäßiger Symposien und einer sehr aktiven Internetseite erfahren die methodischen Fortschritte und neuen Gedanken eine schnelle Verbreitung. Dieser Artikel fasst einige technische Grundprinzipien zusammen, bevor er eine Anzahl an bedeutenden Forschungen darstellt und schließlich die Historiografie des Studiums der Kunst der Tonhandwerker nachzeichnet.

La produzione di terrecotte, come tecnica di creazione artistica, riguarda molte civiltà antiche. Quest’ attività pare aver goduto di un certo valore sociale, come dimostrano i racconti della Creazione. Supporti modesti di un’iconografia abbondante e varia che fa luce sulle fedi, i culti, la rappresentazione delle divinità e dei fedeli fino all’ideologia sociale, le statuette in terracotta hanno resistito meglio di altri materiali più preziosi alle distruzioni del tempo. Insostituibile è quindi il loro studio per la comprensione di civiltà scomparse. Il rinnovamento degli studi focalizzati sulle statuette antiche in terracotta è il prodotto di una comunità scientifica internazionale cosciente delle caratteristiche comuni a queste produzioni, che oltrepassano le convenzionali frontiere geografiche e cronologiche. Grazie ad un’attività regolare di convegni specializzati e ad un sito internet molto attivo, i progressi metodologici e le nuove riflessioni sono rapidamente condivise. Quest’articolo richiama alcuni principi tecnici di base, rende conto di una serie di interventi fondamentali e traccia un quadro storiografico degli studi sull’arte dei coroplasti.

La terracota como técnica de creación artística se observa en muchas civilizaciones antiguas. Parece que esta actividad gozaba de cierto valor social, tal como lo atestiguan los relatos de la Creación. Modestos soportes de una imaginería variada y abundante que nos aclara las creencias, los cultos, la representación de las divinidades y de los fieles, y hasta la ideología social, las figurillas de terracota han resistido mejor que otros materiales más valiosos los desgastes del tiempo. Por lo tanto su estudio es ineludible para comprender las civilizaciones desaparecidas. La renovación de los estudios centrados en las antiguas figurillas de terracota se debe a una comunidad internacional consciente de las características comunes de dichas producciones que rebasan las habituales fronteras geográficas y cronológicas. Gracias a los frecuentes coloquios especializados y a un sitio web muy activo, los avances metodológicos y las nuevas reflexiones llegan a compartirse con rapidez. Este artículo recuerda algunos principios técnicos básicos, da cuenta de varios trabajos relevantes y esboza un cuadro historiográfico de los estudios sobre el arte de los ceramistas.

INDEX

Index géographique : Grèce, Athènes, Cyrénaïque, Chypre, Iran, Rhodes, Sicile, Thasos, Corinthe, Ionie, Syrie, Égypte Index chronologique : 2000 avant J.-C., 700 avant J.-C., 600 avant J.-C., 500 avant J.-C., 200 avant J.-C., 200, 1800, 1900, 2000 Keywords : clay, modeling, coroplastic studies, folk art, mold, overmolding, bronze, kouros, koré, Greek Archaic period, Phoenician, Herakles, Hellenization, Babylonian Empire, Neo- Babylonian period Mots-clés : argile, modelage, coroplathie, arts populaires, moule, surmoulage, bronze, kouros, koré, archaïsme grec, monde phénicien, hellénisation, Empire babylonien, époque néobabylonienne

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AUTEURS

ANNIE CAUBET

Conservateur général du patrimoine honoraire depuis 2007, elle est spécialiste de l’archéologie de l’Orient ancien. Ses recherches sont centrées sur les techniques et l’artisanat de luxe de l’âge du bronze et des débuts de l’âge du fer (faïence, ivoire, orfèvrerie). Elle participe à de nombreuses fouilles archéologiques, principalement à Chypre et en Syrie.

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Antiquité

Actualité

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D’Orient et d’Occident, les Phéniciens The Phoenicians, East and West

Pierre Rouillard

RÉFÉRENCE

José Luis López Castro éd., Las ciudades fenicio-púnicas en el Mediterráneo Occidental, (colloque, Adra, 2003), Almería, CEFYP/Universidad de Almería, 2007. 590 p., fig. en n. et b. et 85 en coul. ISBN : 978-84-8240-862-0 ; 44 €. La Méditerranée des Phéniciens de Tyr à Carthage, Élisabeth Fontan, Hélène Le Meaux éd., (cat. expo., Paris, Institut du monde arabe, 2007-2008), Paris, Somogy/Institut du monde arabe, 2007. 408 p., 506 fig. en n. et b. et en coul. ISBN : 978-2-7572-0130-5 ; 59 €. Juan Pablo Vita, José Ángel Zamora éd., Nuevas perspectivas, I, La investigación fenicia y púnica, (colloque, Saragosse, 2003), (Cuadernos de Arqueología Mediterránea, 13), Barcelone, Bellaterra, 2006. 144 p., fig. en n. et b. ISBN : 978-8-4729-0318-0 ; 25 €. Juan Pablo Vita, José Ángel Zamora éd., Nuevas perspectivas, II, la arqueología fenicia y púnica en la Península Ibérica, (colloque, Saragosse, 2005), (Cuadernos de Arqueología Mediterránea, 18), Barcelone, Bellaterra, 2008. 146 p., fig. en n. et b. ISBN : 978-8-4729-0422-4 ; 25 €.

1 L’historiographie de l’art phénicien est relativement récente. Certes, l’alphabet phénicien est lu depuis 1758 par l’abbé Jean-Jacques Barthélemy, mais il faut attendre le siècle suivant pour qu’un intérêt pour les Phéniciens s’exprime vraiment. Trois dates sont à rapprocher : Ernest Renan effectue sa grande « mission de Phénicie » en 1860-1861 et en publie les résultats entre 1864 et 1874, Flaubert publie Salammbô en 1862 et l’opéra de Berlioz, Les Troyens, est créé en 1863. Découverte ne signifie pas enthousiasme ni même simple goût. Une lecture de Renan montre combien l’image du Phénicien est encore bien dépendante de celle de l’Odyssée, où il ne saurait être qu’un colporteur, audacieux, retors et qui sait en conter (Odyssée, XIII, 280-286, XIV, 288, XV, 415-428). Premier d’une longue série d’archéologues désolés que les Phéniciens ne

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fussent pas tels les Grecs, Renan dénonce brutalement leur travail grossier de la pierre et leur manque d’originalité : « Cet art, sorti primitivement, ce semble, du troglodytisme, fut, dès qu’il arriva au besoin d’ornement, essentiellement un art d’imitation ; cet art fut avant tout industriel ; cet art ne s’éleva jamais, pour les plus grands monuments publics, à un style à la fois élégant et durable »1. Une seule vertu est reconnue aux Phéniciens, celle d’avoir servi d’intermédiaires entre la Grèce et le « haut Orient ». Mais si la Grèce, à l’origine, a beaucoup emprunté, « seule elle a inventé l’idéal ». Est ainsi postulée « l’infériorité des Phéniciens en fait d’art », qui trouve sa justification dans leurs caractères – gens de l’industrie et du commerce – sans cesse rappelés2. L’hellénocentrisme des décennies qui suivent trouve là un de ses fondements majeurs.

2 Jusqu’à récemment, les études sur le monde phénicien ont été marginalisées. Pourtant, il convient de rappeler quelques grandes dates de l’exploration du monde phénicien et punique, notamment les fouilles de Carthage au début du XXe siècle, avec une reprise sous la houlette de l’UNESCO et de l’INAA dans les années 1970-19803, et celles de Motyè. Puis vient le formidable développement, à partir des années 1960, des fouilles, tant en Italie que sur le littoral andalou, avec une conséquence notable : le décalage entre les données occidentales et les données orientales devient évident, tant les recherches sur la civilisation phénicienne du littoral du Levant restent modestes. Dans cette région la fin de la guerre du Liban (avec toujours des périodes conflictuelles) a permis des explorations riches dans l’habitat de Beyrouth et dans les nécropoles de Tyr (Hélène Sader, dans VITA, ZAMORA, 2006, p. 27-33).

3 Suivre les recherches dans ce domaine est resté longtemps délicat malgré d’heureuses initiatives à partir des années 1970-1980, telles que la Rivista di Studi Fenici publiée depuis 1973 par le groupe Istituti Editoriali e Poligrafici Internazionali de Pise et le volume de la collection L’Univers des formes sur les Phéniciens d’André Parrot, Maurice Chehab et Sabatino Moscati (publié en 1975 et réédité en 2007)4, qui constitua une étape majeure dans la reconnaissance de créations originales, même si les contours géographiques et chronologiques du sujet restent flous. Les Phéniciens y sont en effet appréhendés de l’âge du bronze à l’époque romaine, dans la seule région de la côte syro-palestinienne. Signalons aussi la série Studia Phoenica, éditée depuis 1982 par Peeters Publishers à Louvain, et celle des Cuadernos de Arqueología Mediterránea de María Eugenia Aubet, publiée depuis 1995. Les Congrès d’études phéniciennes et punique, organisés tous les quatre ans depuis 1979, sont l’occasion privilégiée d’échanges ; d’autres séminaires et colloques ont également été organisés, ainsi à Saragosse en 2003 et 2005. La première de ces deux rencontres, intitulées « Nuevas perspectivas », a envisagé des thèmes généraux : bilan des études épigraphiques, bilan de l’archéologie phénicienne d’Orient, historiographie, religion (avec des débats sur le tophet, lieu de sacrifice et/ou lieu de déposition des enfants morts dans les habitats phéniciens de Méditerranée centrale). La seconde rencontre, centrée sur des questions d’archéologie de la péninsule Ibérique, a privilégié les travaux sur des régions longtemps restées en marge de la civilisation phénicienne d’Andalousie : le Portugal, l’intérieur des terres péninsulaires, la région d’Alicante, l’embouchure du Segura et le littoral plus au nord, vers la Catalogne. Ana Maria Niveau de Villedary a également livré un état de la question phénicienne dans la région gaditane en insistant sur les questions de topographie et de géographie historique (VITA, ZAMORA, 2008, p. 81-127).

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4 Les expositions ont constitué un moyen privilégié de faire connaître le monde phénicien. Dans ce contexte, Les Phéniciens et le monde méditerranéen, présentée en 1986 à Bruxelles sous la responsabilité d’Éric Gubel, fait figure de pionnière, suivie deux ans plus tard de la grande exposition I Fenici, organisée à Venise par Sabatino Moscati5. Leur large cadre chronologique s’apparentait à celui employé dans le volume de L’Univers des formes, mais ces deux manifestations englobaient de manière inédite l’ensemble des sites qui ont abrité des Phéniciens dans la Méditerranée. L’usage est désormais de limiter l’appellation de « Phéniciens » aux habitants des communautés de la côte syro- palestinienne et de celles qui se sont dispersées, au premier millénaire avant J.-C., dans les îles, de Chypre à la Sardaigne, ou sur les côtes de la Méditerranée centrale jusqu’à la péninsule Ibérique. L’exposition Die Phönizier im Zeitalter Homers, organisée en 1990 par le regretté Hans Georg Niemeyer et par Ulrich Gehrig, situait la question phénicienne en relation avec le monde grec contemporain6. Une seconde, Hannibal ad portas, Macht und Reicht Kartagos, organisée à Karlsruhe en 2004-2005 sous la direction de Michael Maass, était davantage centrée sur Carthage, mais offrait de manière très claire des échantillonnages des productions artisanales de chacune des régions où des communautés phéniciennes s’étaient implantées7. L’accent était alors mis sur la diversité des solutions retenues par les différents ateliers.

5 En France, en revanche, l’étude de l’art phénicien demeure marginale face au poids de la tradition gréco-latine – objet (pour l’instant encore, mais pour combien de temps ?) d’enseignement à tous les niveaux – et en raison des préjugés contre l’art phénicien, qui se sont cristallisés d’Homère à Renan, et qui restent tenaces aujourd’hui. Soulignons encore que les Phéniciens ne furent manifestement pas en situation de conflit avec les Grecs dans la seconde moitié du VIIIe siècle, moment où les uns et les autres s’attachèrent à découvrir la Méditerranée. Au contraire, on observe, de la « Chapelle Cintas » aux tombes de Pithécuses, des exemples de « cohabitation ». Il faudrait, par exemple, aussi comprendre les circonstances qui ont abouti à l’installation de trois bétyles de type phénicien dans un sanctuaire de filiation grecque géométrique à Kommos (Crète)8. Relevons également que les communautés phéniciennes se sont établies dans un espace méditerranéen aussi ample que celui des Grecs, allant dans un premier temps de Chypre à l’extrême occident de la Méditerranée et jusque sur le littoral atlantique. Or, la découverte de la place et de l’influence des objets phéniciens au beau milieu de la mer Égée n’est pas un des moindres acquis des derniers travaux : des Phéniciens étaient présents à Eleutherna9 comme à Kommos, en Crète, et Paros 10 fournissait en marbre les sculpteurs de Sidon.

6 La Méditerranée des Phéniciens, de Tyr à Carthage, une exposition organisée en 2007-2008 par l’Institut du Monde Arabe en collaboration avec le Musée du Louvre, sous la direction d’Élisabeth Fontan et d’Hélène Le Meaux, a proposé une lecture plus globale du fait phénicien, là encore en insistant sur le dernier millénaire avant J.-C., avant la conquête d’Alexandre. Selon Élisabeth Fontan, l’objectif était de confronter « les objets issus du berceau phénicien, devenus prototypes, à ceux qu’ils ont suscités à travers tout le domaine géographique considéré » (La Méditerranée des Phéniciens…, p. 19). Parallèlement à l’étude des matériaux mis en œuvre – le bronze, la terre cuite, l’ivoire, l’or… –, les auteurs se sont attachés à dégager les constances et variations, d’une région à l’autre, d’un établissement à l’autre, d’un atelier à l’autre, et ce de l’est à l’ouest de la Méditerranée. Ce sont en effet ces questions mêmes qui sont au centre des débats

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actuels, alimentés par les trois dernières décennies de recherches sur les cités d’Orient à l’île du cuivre et au pays de Tartessos.

7 S’agissant des Phéniciens, le parti pris de présenter des œuvres en les confrontant conduit d’une part à conforter l’idée tenace que l’art phénicien est un art de l’objet – plutôt, d’ailleurs, du petit objet – et d’autre part à orienter principalement les analyses sur les modalités d’adoption et d’adaptation de formes et de programmes iconographiques portés par ces objets. Or, ceci occulte l’important dossier, renouvelé en profondeur ces dernières années, sur l’architecture et l’urbanisme. Certes, dans La Méditerranée des Phéniciens, les sites de l’Orient à l’Occident sont présentés avec leurs caractéristiques principales (p. 267-295), Carthage étant l’objet d’analyses plus complètes (p. 141-145 et 230-263), mais il convient de souligner l’apport des études récentes spécialisées.

8 On compte en effet plusieurs monographies sur Carthage11, Lixus12, Morro de Mezquitilla (Malaga)13, Toscanos (Malaga)14, La Fonteta-Rabita (Guardamar del Segura, Alicante)15 et Sa Caleta (Ibiza)16, et des mises au point synthétiques sur Cadix (Ana María Niveau de Villedary, dans VITA, ZAMORA, 2008, p. 81-127) et sur la présence phénicienne sur le littoral atlantique (Ana Margarida Arruda, dans VITA, ZAMORA, 2008, p. 13-23). Le colloque organisé en 2003 et publié en 2007 par José Luis López Castro, Las ciudades fenicio-púnicas en el Mediterráneo Occidental offre des mises au point par région ou sur des établissements présentés comme autant de cités-États. La place des usines de salaison aux Ve-IVe siècles avant J.-C., notamment dans la région gaditane, est ici soulignée (Darío Bernal Casasola et Antonio M. Sáez Romero, p. 315-368). Selon une analyse encore largement partagée par les collègues espagnols, les travaux présentés dans ce colloque soulignent l’importance du territoire agricole. Pourtant, on souhaiterait disposer de davantage de données sur la part indigène dans ces établissements qui naissent dans la seconde moitié du VIIIe siècle et sur leur identité que l’on ne saurait se contenter d’abriter derrière le mot « colonie ».

9 « Urbanistica fenicia e punica », un colloque organisé à Rome en 2007 par Dirce Marzoli et Sophie Helas des Instituts allemands (DAI) de Madrid et de Rome (actes sous presse), s’interroge ait sur les questions d’urbanisme. Un des acquis incontestables a été de montrer comment les Phéniciens de Carthage, de Sélinonte et des sites littoraux de la péninsule Ibérique (notamment à Fonteta/Rabita, Morro de Mezquitilla, Chorerras, et Sa Caleta dans l’île d’Ibiza) ont adopté les plans des maisons de l’âge du fer du Proche Orient : les maisons de l’époque archaïque sont rectangulaires, avec un mur médian partageant l’édifice en deux nefs de largeur inégale et des pièces « secondaires » disposées aux côtés d’une pièce principale17.

10 Au cœur de La Méditerranée des Phéniciens, les réflexions les plus approfondies concernent l’écriture (Pierre Bordreuil, Maria Giulia Amadasi Guzzo, Maria Pia Rossignani, p. 73-83) et les échanges (Caroline Sauvage, Leila Badre, Glenn Markoe, p. 93-107), soit les deux aspects qui identifient traditionnellement le mieux les Phéniciens et, bien sûr, leurs formes de création artistique. Les étapes de la mise en place d’un système d’écriture sont présentées : des premiers essais dès le XVe siècle avant J.-C. (dans le Sinaï) à l’alphabet linéaire phénicien, illustré par la première inscription lapidaire phénicienne, qui se trouve sur le sarcophage d’Ahiram, roi de Byblos, datée de la fin du Xe siècle avant J.-C. La diffusion de cet alphabet fut alors extrêmement rapide, comme en témoignent les exemples de Chypre et de Nora (Sardaigne) du IXe siècle avant J.-C. La transmission de l’alphabet ouest-sémitique au

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monde grec, dès le VIIIe siècle avant J.-C., se fit selon des voies diverses, l’apport araméen devant être pris en compte.

11 Le dossier des échanges peut être articulé autour du texte d’Ézéchiel (27) dont la prophétie menaçante contre Tyr décrit ce que la cité pourrait perdre en termes de produits transitant par son port. L’explication de cette activité intense reste délicate à connaître : elle peut tenir à la nécessité de chercher de nouveaux marchés pour faire face au tribut assyrien, ou à la volonté d’échapper à ce tribut, ou bien encore à la possibilité qui s’offrait aux Phéniciens de disposer d’un espace continental très vaste pour les échanges. La carte des provenances conduit des confins de la mer Noire aux rives arabiques de la mer Rouge, de Damas et des cités mésopotamiennes au bord de l’Atlantique – si la ville de Tarshish (ou Tarsis) évoquée dans l’Ancien Testament (Salomon, 10, 22) est bien, comme nous le pensons, la Tartessos des sources classiques. Tyr, « qui habite les avenues de la mer » (Ézéchiel, 27, 1), est un entrepôt, dont nous pourrions dire aujourd’hui qu’il est un marché international, qui reçoit et exporte métaux (or, argent, fer), bois, esclaves, textiles (et les teintures, notamment la pourpre), produits alimentaires (huile et vin), parfums, aromates et matières précieuses (ivoire, ébène…) ou d’autres produits exotiques, et bien sûr tout ce qui compte pour fabriquer des bateaux. La découverte d’un entrepôt de commerce à Beyrouth – daté du VIIe siècle avant J.-C. – illustre ces échanges en livrant des amphores du Levant (pour des raisins secs et de l’huile), de Chypre et d’Athènes.

12 Les métaux sont probablement l’objet des trafics les plus importants, qu’il s’agisse du cuivre de Chypre, de l’argent, de l’or ou de l’étain d’Espagne, ou du cuivre ou du fer de Sardaigne, une liste que nous déduisons des enquêtes archéologiques menées dans ces régions. Mais rappelons que ces trois régions ont compté, avec celles de Carthage et de la Sicile occidentale, le plus grand nombre d’établissements phéniciens, et soulignons que ces trois régions sont celles où éclôt l’art orientalisant.

13 Suivre, saisir d’abord les cheminements des arts phéniciens, c’est en fait esquisser une géographie des arts antiques de la Méditerranée. Il y a les créations, les modèles iconographiques, mais il y a aussi des matériaux, presque toujours précieux et rares. Certes, les Phéniciens ont travaillé la pierre et l’argile, mais ils se sont surtout exprimés en travaillant l’argent, l’or, le bronze, l’ivoire, la coquille d’œuf d’autruche, le tridacne (utilisé, une fois sculpté et gravé, comme palette à cosmétique), chaque région ayant tendance à mettre en œuvre un matériau, une technique ou un motif particulier. La Méditerranée des Phéniciens offre alors une série d’itinéraires d’Orient à l’Occident, de l’argile à l’ivoire.

14 Autre donnée fondamentale, la continuité des motifs entre le IIe et le Ier millénaire avant J.-C., un phénomène qui vaut comme pour l’écriture. Sidon, Byblos, Tyr ont conservé, outre les cultes, les thèmes iconographiques souvent hérités d’une part d’un passé d’échanges avec la vallée du Nil et les grands ports du Levant et d’autre part d’échanges de l’Anatolie au Jourdain. Ainsi, l’iconographie du sarcophage d’Ahiram de Byblos avec « pleureuse, courtisane, trône flanqué de sphinx, fleur de lotus, symboles d’origine égyptienne » plonge ses racines dans l’art égyptien (Hartmut Matthaüs, p. 127), et la présence de Phéniciens dans le delta du Nil dès le IXe siècle est attestée (Éric Gubel, p. 111-117 ; Hartmut Matthaüs, p. 127-135). Les cadeaux diplomatiques étaient souvent le vecteur de la circulation des formes. Pourtant, et ceci n’est pas un des moindres paradoxes de l’archéologie phénicienne, l’art phénicien nous est mieux connu dans les régions voisines des cités du Levant, ou dans celles ayant subi une

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influence phénicienne dans le bassin méditerranéen, que dans les territoires de l’actuel Liban et d’Israël.

15 Tel est le cas de Chypre, comme le montre Marguerite Yon (p. 119-125). L’île qui fait face aux cités levantines est le foyer d’une société « chypro-phénicienne » qui vénère les mêmes dieux phéniciens, Astarté, Eshmoun, Milquart, et qui adopte l’image de la dea tyria gravida ; mais dans ce dernier cas le coroplathe « innove en plaçant dans les bras de la déesse un enfant qu’elle allaite, reprenant le schéma traditionnel des siècles passés de la ‘déesse-mère’ de Chypre ». Là, dans l’île du cuivre, tout se mêle : schémas égyptiens, probables artisans phéniciens pour la fabrication de sarcophages, de coupes d’orfèvrerie ou de décors de meubles en ivoire. Mais ce foyer a aussi généré des types originaux comme le chapiteau hathorique ou les statuettes d’Héraclès-Milqart, que l’on retrouve ensuite dans la Méditerranée centrale ou en Andalousie.

16 Le cas de l’ivoire peut être considéré comme exemplaire (Hartmut Matthäus, p. 128, Annie Caubet, Élisabeth Fontan, Georgina Herrmann, Hélène Le Meaux et Constancio del Alamo, p. 204-217). La matière première est exotique. Une tradition de Syrie du nord féconde l’artisanat phénicien avec des décors végétaux, des représentations de dieux ou de héros, des lions et des griffons. À cela se greffent, dans les terres levantines, les motifs égyptiens, divinités ailées, sphinx coiffés de la double couronne, papyrus. À Chypre, de telles pièces d’ivoire sont incrustées dans les meubles déposés dans des tombes, ainsi dans la tombe 79 de Salamine de Chypre, datée vers 700 avant J.-C.

17 En Grèce, en Étrurie, dans la péninsule Ibérique, les pièces importées d’Orient sont finalement assez rares, car bien vite des ateliers locaux s’approprient le goût du travail de l’ivoire et la technique. En Étrurie, des meubles ornés de décors en ivoire se sont accumulés dans les tombes. En Grèce, les ivoires phéniciens reposent dans les sanctuaires, ce qui vaut pour la grotte du Mont Ida en Crète comme pour l’Héraion de Samos ; parallèlement un artisanat hellénique de l’ivoire se développe tant en Crète qu’en Laconie. Dans la péninsule Ibérique, les artisans ont privilégié la technique de la gravure et non celle du bas-relief, familière des ateliers levantins ou carthaginois, et un objet bien spécifique, le peigne ; le décor est alors le plus souvent fait d’animaux ou d’hybrides en files ou opposés, des lions, des sphinx, des bouquetins. Quant au lieu d’accueil privilégié des tombes indigènes de la région des Alcores ou de Setefilla (dans la province de Séville), il témoigne de l’intégration des élites tartessiennes dans les circuits phéniciens. Pour boucler ce panorama dans l’Orient mésopotamien, soulignons combien la destinée des ivoires levantins diverge : ils constituent une partie du butin ou des tributs versés au Grand Roi.

18 Une première internationalisation de l’art a bien lieu autour des VIIIe-VIIe siècles avant J.-C., qui tient pour une part à la très probable mobilité d’artisans phéniciens (mais aussi peut-être syriens, araméens) et pour une autre part aux échanges de produits et d’objets. Des réseaux complexes introduisent des objets d’artisanat phénicien dans l’aire culturelle grecque, notamment en Égée (Nota Kourou, p. 136-139), mais aussi en Étrurie, en Campanie, en Sardaigne et dans le sud de la péninsule Ibérique (Javier Jiménez Ávila, p. 159-165). Ainsi les premiers souverains étrusques ont-ils des meubles proches de ceux des princes de Chypre, comme en témoignent les tombes Barberini (Palestrina) et Bernardini (Preneste), de la première moitié du VIIe siècle (Rome, Musée Étrusque de la Villa Giulia). En outre, des coupes en métal précieux, des pièces qui devaient appartenir à la catégorie des cadeaux diplomatiques, avec des files d’animaux, des groupes de divinités égyptiennes, des scarabées, des sphinx, des

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pharaons égyptiens terrassant leurs ennemis, selon un modèle syrien, se retrouvent en nombre à Chypre ou en Crête et jusqu’en Campanie et en Étrurie18 aux VIIIe et VIIe siècles avant J.-C. (Glenn Markoe, p. 167-172). Il n’en va pas de même de l’Andalousie, où pourtant le modèle a dû être connu, car la structure du décor de certains plats est la même : comme à El Gandul (Séville), il s’agit d’un plat en bronze de forme ovale.

19 Avec cet art orientalisant, la Grèce connaît un changement culturel important tout comme l’Étrurie, la Campanie ou l’Andalousie. Dans ces régions, et selon des modalités fondamentalement différentes, l’usage de l’écriture est le premier signe du changement. On le repère ensuite dans l’ornement. La filiation orientale est clairement présente partout avec une organisation en files ou en bandes, les décors végétaux, les représentations d’animaux ou d’hybrides (griffons, sphinx…). L’Andalousie tartessienne produit toutefois des œnochoés en bronze, quand l’Italie préfère l’argent ou l’or (Gerta Maass-Lindemann, p. 175-179), et la même Andalousie préfère inciser l’ivoire, quand Carthage choisit la technique du bas-relief. De même pour l’orfèvrerie (Alicia Perea, p. 181-185), Carthage, Tharros ou Cadix produisent des bijoux d’or apparentés, mais qui ne sont pas l’objet d’exportations : ils s’apparentent sans doute des marqueurs d’identité. L’impression qui domine est bien que chaque région développe son art phénicien ou son art orientalisant.

NOTES

1. Ernest Renan, Mission de Phénicie, Paris, 1864-1874, p. 822. 2. Renan, 1864-1874, cité n. 1, p. 830-831. 3. Abdelmajid Ennabli éd., Pour sauver Carthage, Exploration et conservation de la cité punique, romaine et byzantine, Paris/Tunis, 1992. 4. André Parrot, Maurice H. Chéhab, Sabatino Moscati, Les Phéniciens : l’expansion phénicienne, Carthage, Paris, 1975. Une nouvelle édition est sortie en 2007, avec une présentation de Françoise Briquel-Chatonnet situant la première édition dans l’historiographie des trente dernières années. 5. Les Phéniciens et le monde méditerranéen, Éric Gubel éd., (cat. expo., Bruxelles, Générale de Banque/Luxembourg, Banque générale du Luxembourg, 1986), Bruxelles, 1986 ; I Fenici, Sabatino Moscati éd., (cat. expo., Venise, Palazzo Grassi, 1988), Milan, 1988. 6. Die Phönizier im Zeitalter Homers, Hans Georg Niemeyer, Ulrich Gehrig éd., (cat. expo., Hanovre, Kestner-Museum, 1990), Mayence, 1990. 7. Hannibal ad portas, Macht und Reichtum Kartagos, (cat. expo., Karlsruhe, Badisches Landesmuseum, 2004-2005), Stuttgart, 2004. 8. Joseph W. Shaw, « Phoenicians in Southern Crete », dans American Journal of Archaeology, 93, 1989, p. 165-183. 9. Sea Routes… From Sidon to Huelva. Interconnections in the Mediterranean 16th-6th c. B.C., Nikolaos C. Stampolidis éd., (cat. expo., Athènes, Museum of Cycladic Art, 2003), Athènes, 2003 ; Nikolaos C. Stampolidis éd., Eleutherna. Polis – Acropolis – Necropolis, Athènes, 2004. 10. Demetrio U. Schilardi, Dora Katsonopoulou éd., Paria Lithos. Parian Quarries, Marble and Workshops of Sculpture, (colloque, Paros, 1997), (Archaiologikēs kai historikēs meletes, 1), Athènes, 2000.

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11. Hans Georg Niemeyer et al. éd., Karthago: die Ergebnisse der hamburger Grabung unter dem Decumanus Maximus, (Hamburger Forschungen zur Archäologie, 2), Mayence, 2007. 12. Carmen Aranegui Gascó éd., Lixus-1: Colonia fenicia y ciudad púnico-mauritana, Anotaciones sobre su ocupación medieval, (Saguntum, Extra, 4), Valence, 2001 ; Lixus-2: Ladera sur, Excavaciones arqueológicas marroco-españolas en la colonia fenicia, Campañas 2000-2003, (Saguntum, Extra, 6), Valence, 2005. 13. Hermanfrid Schubart, Morro de Mezquitilla, El asentamiento fenicio-púnico en la desembocadura del Río Algarrobo, (Anejos de la Revista Mainake), Malaga, 2006. 14. Hermanfrid Schubart, Gerta Maass-Lindemann, Toscanos, Die phönizische Niederlassung an der Mündung des Río de Vélez, II, (Madrider Forschungen, 6, 2), Berlin, 2007. 15. Pierre Rouillard, Éric Gailledrat, Feliciana Sala Sellés, Fouilles de la Rábita de Guardamar, II, L’établissement protohistorique de La Fonteta (fin VIIIe-fin VIe siècle avant J.-C.), (Collection de la Casa de Velázquez, 96), Madrid, 2007. 16. Joan Ramon Torres, Excavaciones arqueológicas en el asentamiento fenicio de Sa Caleta (Ibiza), (Cuadernos de Arqueología Mediterránea, 16), Barcelone, 2007. 17. Voir Éric Gailledrat, « Architecture et urbanisme des phases I-III (v. 725/600 av. J.-C.) », dans Rouillard, Gailledrat, Sellés, 2007, cité n. 15, p. 99-126. 18. Pour ces régions, Glenn Markoe (p. 170) pense que les pièces étaient fabriquées sur place par des artisans immigrés, qui alors modifiaient l’iconographie ; ainsi les hybrides sont remplacés par des lions, des vaches ou des chevaux.

INDEX

Index géographique : Grèce, Carthage, Chypre, Sardaigne, Crète, Tyr, Rome, Beyrouth, Athènes, Espagne, Byblos, Sidon, Anatolie, Jourdain, Liban, Israël, Syrie Keywords : Phoenician art, Phoenician alphabet, Hellenocentrism, Phoenician archeology, city, urbanism, dea tyria gravida, Egyptian motif, diplomatic gift, griffon, sphinx, bronze, Oriental art, goldsmithing Index chronologique : 1400 avant J.-C., 900 avant J.-C., 800 avant J.-C., 700 avant J.-C., 600 avant J.-C., 400 avant J.-C., 500 avant J.-C., 700, 1800, 1900 Mots-clés : art phénicien, alphabet phénicien, hellénocentrisme, archéologie phénicienne, cité, urbanisme, dea tyria gravida, motif égyptien, ivoire, cadeau diplomatique, griffon, sphinx, bronze, art orientalisant, orfèvrerie

AUTEURS

PIERRE ROUILLARD Directeur de recherche au CNRS, UMR 7041 ; Maison René-Ginouvès, Nanterre

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La maison romaine en Italie : planimétrie, décor et fonction des espaces The Roman house in Italy: planimetry, decoration, and the function of spaces

Vincent Jolivet

RÉFÉRENCE

Penelope Mary Allison, Pompeian Households. An Analysis of the Material Culture, (Monographs, 42), Los Angeles, The Cotsen Institute of Archeology (UCLA), 2004. 255 p., 255 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 0-917956-96-6 ; £ 35. Marina De Franceschini, Ville dell’agro romano, (Monografie della Carta dell’Agro Romano, 2), Rome, Erma di Bretschneider, 2005. 564 p., 70 fig. en coul. et 100 fig. en n. et b., cartes. ISBN : 88-8265-311-0 ; 300 €. Katharina Lorenz, Bilder machen Raüme. Mythenbilder in pompeianischen Haüsern, (Image & Context, 5), Berlin, De Gruyter, 2008. 666 p., 230 fig. en n. et b. et en coul. ISBN : 978-3-11-019473-9 ; 98 €. Annalisa Marzano, Roman Villas in Central Italy. A Social and Economic History, (Columbia studies in the classical tradition, 30), Leyde, Brill, 2007. 832 p., nombreuses fig. en n. et b. ISBN : 978-90-04-16037-8 ; 159 €. Lucia Romizzi, Programmi decorativi di III e IV stile a Pompei. Un’analisi sociologica ed iconologica, (Quaderni di Ostraka, 11), Naples, Loffredo, 2006. 582 p., tableaux et plans, 3 cartes et 53 fig. en n. et b. ISBN : 978-8-875641719 ; 39 €.

1 En milieu francophone, les recherches sur la maison romaine, magistralement inaugurées par Les ruines de Pompéi de François Mazois (Paris, 1824-1838), poursuivies pendant plusieurs décennies, dans l’après-guerre, notamment en Italie (Bolsena), en Grèce (Délos) et en Tunisie (Bulla Regia), et naguère illustrées par une contribution importante d’Yvon Thébert1, semblent marquer le pas2. Cependant, la multiplication

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des découvertes dans les habitats et l’intensification spectaculaire des recherches portant sur les cités vésuviennes suscitent depuis une vingtaine d’années une floraison d’articles et d’ouvrages issus de toute la communauté scientifique, et destinés à un public très diversifié. Pour l’historien de l’art comme pour l’archéologue, l’étude de la maison romaine – dont on s’accorde aujourd’hui à reconnaître qu’elle doit être envisagée dans toutes ses dimensions, lorsque les vestiges mis au jour le permettent – représente l’un des champs les plus fructueux mais aussi les plus complexes qui soient. D’abord, parce qu’elle pose la question de la codification de l’habitat domestique et de son évolution, étroitement liée à celle de son statut social et des multiples manières dont celui-ci s’exprime au travers de l’architecture. Ensuite, parce que l’écueil de l’anachronisme y est évident : si nous savons bien, par notre propre vécu, ce que nous attendons d’une maison (spacieuse, confortable, lumineuse…, toutes caractéristiques « objectives »), il faut prendre en compte également les traits propres à la maison antique. Cette dernière est en effet constamment parcourue, depuis ses plus anciennes origines, par une tension entre ses fonctions pratiques, et les signes du sacré qui l’investissent et la placent perpétuellement en porte-à-faux par rapport au réel, tout en mettant progressivement en place l’héroïsation de son dominus, qui préfigure déjà, à l’époque d’Auguste, la divinisation des empereurs. Enfin, parce qu’elle a engendré une stratigraphie historiographique très complexe à deux niveaux différents, celui des recherches archéologiques proprement dites, et celui des vestiges antiques comme source d’inspiration pour les architectes, de la Renaissance à nos jours. Cette dernière question est bien présente dès l’Antiquité classique, puisque les écrivains latins se projetaient volontiers dans le passé et concevaient déjà, bien que vaguement, une histoire de la maison dans le sens d’une évolution graduelle – sinon d’un progrès – depuis la cabane (casa, en latin) jusqu’aux maisons (domus en ville, uilla à la campagne) dans lesquelles ils vivaient ou séjournaient, et dont ils faisaient remonter l’affectation des espaces aux temps les plus reculés, non mieux définis, du mos ueterum. À la Renaissance, en l’absence de tout vestige de maison reconnu, la redécouverte des textes anciens par les érudits avait abouti à des restitutions bien éloignées des modèles réels. Celles-ci influencèrent profondément, dès le XVe siècle, l’architecture des demeures en Italie3, puis celle de toute l’Europe, mais presque exclusivement par le truchement des monuments publics (arcs, édifices de spectacles ou grands thermes). Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la mise au jour des premières maisons d’Herculanum et de Pompéi porta à une remise en cause complète de ces acquis, mais ce n’est que dans le troisième quart du siècle suivant que Johannes Adolf Overbeck « réinventa » le plan de la maison romaine tel qu’il est connu aujourd’hui4 auprès d’un très large public. Probablement codifié en Étrurie dans la première moitié du VIe siècle avant J.-C., il s’est répandu par la suite dans une bonne partie de la péninsule italienne – mais jamais, à notre connaissance, dans ses provinces – jusqu’au début de l’Empire5. Porté par le néoclassicisme, ce modèle a suscité de multiples dérivations et imitations jusqu’à nos jours, dans l’architecture publique, bien sûr, mais aussi domestique, comme en témoignent la maison pompéienne à atrium (ou « maison de Diomède ») du prince Napoléon, construite au 16-18 de l’avenue Montaigne à Paris (1856-1860)6, ou les exemples hybrides, mêlant joyeusement hellénisme et romanité, de la villa Kérylos de Théodore Reinach à Beaulieu-sur-Mer (1902-1908)7 ou de la réplique de la villa dei Papiri, aux portes d’Herculanum, construite par Paul Getty à Malibu au début des années 19708.

2 Longtemps, les maisons d’Herculanum et de Pompéi sont demeurées le seul témoignage important auquel rapporter l’habitat romain9, et les chercheurs se divisent encore

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entre ceux qui pensent que l’exemple de ces maisons ne vaut que pour ce site et ceux qui les considèrent comme une illustration pratiquement directe du sixième livre du De architectura de Vitruve, tout entier consacré à la maison « romaine ». Quelle que soit la part des facteurs locaux (matériau de construction disponible, questions de l’eau, de la lumière ou de la chaleur), quelle que soit la diversité des plans effectivement reconnus sur le terrain, il est cependant clair aujourd’hui que l’habitat romain en Italie s’est conformé, au moins pendant la République, à une forma mentis bien définie, comme en témoignent les domus et les uillae récemment mises au jour dans un nombre croissant de sites10.

3 Cette documentation abondante est évidemment très dispersée, et c’est pourquoi la publication de deux corpus qui brassent une quantité importante de données, dont ils privilégient l’aspect planimétrique, est particulièrement bienvenue aujourd’hui. Il ne s’agit pas ici cependant d’habitat urbain, mais exclusivement de ces uillae qui jalonnaient le suburbium11 et le territoire des grandes cités. Ceux-ci combinaient, pour les plus importantes d’entre elles, la fonction de lieu de production agricole et celle d’habitat – normalement temporaire – de leur propriétaire, qui pouvait s’y livrer à un otium studieux, selon un mode de vie qui exerça une fascination profonde sur les élites de la Renaissance et influença durablement leur comportement ainsi que l’architecture de leurs résidences de campagne12. Compte tenu des lacunes dans notre connaissance de la domus urbaine, ces édifices attestés de manière capillaire, et dont le plan est souvent connu dans ses grandes lignes, présentent un intérêt particulier puisque, à en croire Vitruve (6.5.3), la pars urbana de ces maisons reproduisait exactement le plan des domus urbaines ; attestées tout au long de l’histoire de la Rome antique, elles permettent ainsi de suivre, comme dans un miroir, l’évolution de l’habitat des centres urbanisés.

4 L’ouvrage de Marina DeFranceschini13 concerne une aire géographique limitée, puisqu’il ne prend en considération qu’un choix d’édifices situés dans un rayon de 25 km à partir du centre de Rome. Il couvre cependant une grande diversité de sites, pour une période chronologique très vaste, comprise entre le VIe siècle avant J.-C. (comme dans le cas de la villa de l’Auditorium aux portes de Rome, qui a fait récemment l’objet d’une publication exhaustive14) et le VIe siècle après J.-C. L’ouvrage, qui comporte, outre les plans des édifices, de nombreuses photographies de qualité moyenne, se compose de trois grandes parties : un catalogue (p. 1-289), qui recense quelque cent uillae, une étude typologique (p. 291-344), qui les examine en fonction de onze approches différentes, et une série de dix-sept répertoires destinés à permettre au lecteur de sérier les données de manière thématique. Assez peu maniable, compte tenu de son poids et de ses dimensions, ce volume, auquel manque une réelle problématique, rendra surtout service aux archéologues.

5 Le livre d’Annalisa Marzano15, qui couvre seulement la période comprise entre le IIe siècle avant J.-C. et le Ve siècle après J.-C., se propose d’étudier la place des uillae de l’élite romaine dans la société et l’économie à partir des sources littéraires et des vestiges archéologiques. Il se compose pour moitié (p. 235-758) d’un catalogue d’édifices subdivisé entre les trois régions prises en considération – Latium, Toscane, Ombrie –, précédé de l’étude proprement dite (p. 1-233), et suivi de quatre appendices (p. 759-796) relatifs à la chronologie et à la synthèse des données, présentés par régions. Le plan de l’étude est curieusement hiérarchisé, puisque l’auteur a choisi de l’ouvrir sur la question bien spécifique de la uilla maritima, traitée en deux chapitres

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distincts, tandis que celle de la uilla rustica, pourtant au cœur de la problématique (même s’il est couramment admis aujourd’hui que les villas maritimes avaient aussi une fonction de rapport), fait l’objet des trois chapitres suivants ; le sixième chapitre regroupe, sans logique bien claire, les infrastructures (routes, ports, alimentation en eau) et les domaines impériaux, tandis que le septième et le huitième sont respectivement consacrés à la topographie et à la chronologie des différentes uillae. Cette partie du volume s’adresse donc plutôt à un cercle de spécialistes et suscite différentes réserves, notamment liées au choix de fonder ses conclusions sur une distribution des édifices envisagée en fonction de régions modernes, et non pas de celles de l’Italie antique, à savoir Rome et son suburbium, toute la VIIe région, Etruria, et une partie seulement des régions VI, Umbria, et I, Latium et Campania. La prise en compte des régions anciennes est pourtant essentielle, sur le plan historique, pour chercher à comprendre la dynamique de leur naissance et de leur développement, en relation avec le réseau viaire ou les principaux centres urbanisés. Mais c’est le catalogue des édifices, très clairement présenté, qui pourra rendre les plus grands services, bien en dehors des limites de la discipline. Il fournit, par exemple, l’état de la recherche la plus récente pour les sites visités ou décrits par des antiquaires de la Renaissance. Chaque fiche de site est accompagnée d’une bibliographie et d’une reproduction de bonne qualité du meilleur plan publié (quand il en existe) portant toujours, lorsque la documentation le permettait, l’indication du nord et une échelle – ce qui est malheureusement loin d’être la norme pour ce type de publication.

6 On se gardera de reprocher à ces deux auteurs de ne pas avoir redessiné les plans repris à de multiples sources, comme on aime à le faire aujourd’hui, de manière à donner plus d’unité à un ouvrage : cette tâche faussement simple implique de faire, à chaque étape, des choix graphiques qui peuvent se révéler à terme plus trompeurs qu’utiles, et compliquer l’analyse, alors que la qualité même du plan d’origine permet de se faire une première idée – au reste souvent inquiétante – du degré de fiabilité des plans sur lesquels celle-ci se fonde. En revanche, dans ces deux volumes, comme dans la quasi- totalité de la production archéologique actuelle qui brasse des plans d’édifices, on relève une indifférence surprenante à la question des échelles, toujours subordonnées au format de l’ouvrage ou aux exigences de la mise en page, avec presque autant d’échelles différentes que de constructions – le plus souvent fournies à des réductions peu commodes –, ce qui biaise inévitablement les comparaisons établies entre des édifices de tailles très diverses.

7 Si le domaine de la peinture romaine, illustré par plusieurs très beaux ouvrages publiés au cours de ces dernières années16 et souvent destinés à un très large public, est manifestement un objet de marketing éditorial, différents chercheurs ont récemment tenté d’approfondir l’approche du décor dans sa relation avec le bâti, sur fond de remise en question des quatre styles distingués par August Mau dans son ouvrage fondateur de 188217, qui résistent encore à plus d’un siècle d’offensive critique.

8 L’étude de Lucia Romizzi18 comporte deux grands volets. Le premier (p. 13-70) fournit un cadre sociologique des domus de Pompéi entre l’époque d’Auguste et la destruction de la cité, en regroupant les édifices en fonction du niveau social de leur propriétaire. Cette présentation lui permet de conclure à l’existence de « programmes figuratifs », aussi bien dans les maisons des couches supérieures de la population que dans celles de différents membres des classes moyennes, qui cherchaient ainsi à s’approprier de nouveaux symboles de statut. Le second volet (p. 71-156), iconologique, recense les

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thèmes mythiques dans la peinture pompéienne et discute le décor des différentes salles, de manière à dégager la signification de l’adoption du mythe dans la sphère domestique. Le reste de l’ouvrage (p. 167-496) est formé de plusieurs appendices très utiles, clairement présentés et de consultation facile : édifices conservant des décors de IIe, IIIe et IVe style ; distribution de l’iconographie par rapport à la chronologie et à la fonction des salles ; sujets des tableaux de IIIe et IVe style ; catalogue des maisons, essentiel pour présenter l’ensemble de ces peintures dans leur contexte topographique.

9 Une approche similaire a été développée parallèlement, au cours de la même période, par Katharina Lorenz (dont la bibliographie n’inclut pas l’ouvrage de Lucia Romizzi, pourtant paru deux ans plus tôt) qui, soucieuse de combler un vide manifeste entre interprétations architecturale et historique de la peinture murale, envisage l’utilisation et la fonction des fresques mythologiques comme des éléments structurants du contexte domestique, en les abordant au travers des méthodes de l’histoire et de la sociologie de l’art. L’ouvrage centré sur le début de l’époque impériale, se compose pour l’essentiel de deux longs chapitres. L’un (p. 53-258), construit autour de quatre études de cas de personnages figurés par deux, est consacré aux mythes représentés, dans leur diversité et leurs innombrables variantes, tandis que l’autre (p. 259-442) aborde le rapport complexe qu’entretiennent ces représentations entre elles et avec le décor peint des maisons, selon la position et la fonction des salles. L’auteur insiste sur le caractère opérationnel de l’idée d’« atmosphère » que ces compositions contribuent à donner aux différents espaces (voir notamment p. 431-442) – ce que son titre, malaisément traduisible en français – « les images font les salles » ? – résume de manière lapidaire. Pour le décor peint, elle suggère une distinction entre trois zones bien spécifiques : l’entrée, où se concentrent les symboles du statut de la famille ; les petites salles et le jardin, qui participent du monde du rêve et de la fantaisie ; les cenationes groupées autour du péristyle, théâtre de la représentation masculine dans un contexte monumental idéalisé.

10 L’ouvrage de Penelope Mary Allison, complété par une base de données accessible sur le Web19, reprend, résume et développe plusieurs articles écrits depuis 199220, qui sont autant de jalons d’une même recherche. Sur la base d’un corpus de trente domus, l’auteur s’attache à exploiter les objets découverts dans les maisons pompéiennes comme marqueurs de l’utilisation des différentes salles. Après une introduction relative aux contenus des maisons, elle examine la nature de l’évidence archéologique en fonction de la chronologie des dépôts avant et après l’éruption de 79 après J.-C., explicite ses critères d’analyse et discute la fonction du mobilier et celle des objets (p. 2-61). Dans le cinquième chapitre (p. 62-123), elle présente les salles de la maison en fonction de leur type architectural, considéré selon des critères « objectifs » – emplacement des salles et des ouvertures, types d’aménagements – qui lui permettent de distinguer non moins de vingt-deux types. Cette grille topographique est ensuite (p. 124-157) confrontée aux activités menées dans la maison (l’auteur en distingue neuf principales), avant de discuter des utilisateurs de celle-ci en fonction de leur statut, leur âge ou leur sexe. Au chapitre VII (p. 160-177), les vingt-deux types de salles sont confrontés aux informations fournies par les sources anciennes et à l’évidence constituée par le mobilier qui y a été retrouvé, mettant ainsi en relief un hiatus manifeste entre la terminologie courante en archéologie et la réalité de l’utilisation des espaces, dont l’auteur souligne le caractère conventionnel. Le dernier chapitre, sur les conditions du site avant et après l’éruption de 79 après J.-C., aurait sans doute pu se

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fondre avec le premier, mais il aide à relativiser les conclusions proposées par l’auteur au terme de son volume. En effet, celles-ci sont inévitablement biaisées, aussi bien par le caractère de la documentation sur laquelle elle a dû se fonder, partiel du fait des pillages intervenus juste après l’éruption et de l’état lacunaire des inventaires de mobilier du site, que par la physionomie tout à fait spécifique que présente cette cité, détruite alors qu’elle se trouvait dans une phase de travaux intense, pendant laquelle un certain nombre de maisons avaient changé de propriétaires et/ou d’affectation. Il est donc impossible de prouver sur cette base une contradiction flagrante entre l’utilisation des espaces et leur dénomination traditionnelle – surtout en étayant cette hypothèse par des sources littéraires qui ne font que souligner, dans un nombre d’ailleurs limité de cas, l’utilisation singulière d’un espace normalement destiné à une autre fonction. En dépit de l’intérêt de cette étude novatrice, qui brasse un nombre considérable de données selon une approche qui, inexplicablement, n’avait jamais été appliquée systématiquement aux maisons pompéiennes, la terminologie traditionnelle – telle qu’antiquaires et chercheurs l’ont peu à peu établie depuis la Renaissance – demeure la manière la plus rationnelle de désigner un certain nombre d’espaces de la maison romaine, clairement ou hypothétiquement identifiables.

11 Les différentes études présentées ici – une sélection parmi les innombrables publications consacrées aux maisons romaines au cours de ces dernières années – témoignent de la multiplicité des approches possibles, que celles-ci soient traditionnelles ou nouvelles, et quand bien même cette « nouveauté » consisterait simplement à dresser un inventaire du mobilier qui y a été découvert. Les approches traditionnelles, fondées sur plus de deux siècles d’étude du site, ont en effet conservé, dans ce domaine, une incontestable validité, à condition de ne pas perdre de vue le contexte historique dans lequel se produit cette évolution, comme le constate Andrew Wallace-Hadrill dans son dernier ouvrage21. Son analyse de la « révolution culturelle » intervenue entre la fin de la République et le début de l’Empire, fondée sur un examen croisé des sources archéologiques et épigraphiques, réaffirme le caractère opérationnel des concepts de « romanisation » et d’« hellénisation », volontiers remis en cause aujourd’hui, et met en évidence le rôle de la réflexion des « antiquaires » de la Rome ancienne ainsi que l’importance de l’accroissement du luxe dans l’évolution de l’habitat romain, qui ont puissamment contribué à forger l’image d’une nouvelle élite, issue du principat d’Auguste. Tout en améliorant notre connaissance des realia et en recadrant l’usage que chaque époque en a fait depuis, l’ensemble des nouvelles recherches sur la maison romaine permet de repenser et de reposer, progressivement mais radicalement, l’actualité de notre rapport à l’antique et les fondements de notre propre identité.

NOTES

1. Yvon Thébert, « Vie privée et architecture domestique en Afrique romaine », dans Philippe Ariès, Georges Duby, Paul Veyne éd., Histoire de la vie privée, I, De l’Empire romain à l’an mil, Paris, 1985, p. 301-397.

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2. Aux exceptions notables des travaux de Jean-Pierre Guilhembet dont Habitavi in oculis (Cicéron, Planc. 66). Recherches sur la résidence urbaine des classes dirigeantes romaines des Gracques à Auguste : la maison dans la ville, thèse, Université de Provence, 1995, est malheureusement encore inédite, de Nicolas Monteix, dont les recherches portent plus précisément sur l’artisanat et le commerce (Les lieux de métier : boutiques et ateliers d’Herculanum, thèse, Université de Provence, 2006, sous presse à l’École française de Rome), et d’Irene Bragantini et al. éd., Poseidonia-Paestum, V, Les maisons romaines de l’îlot nord, (École française de Rome, 42/5), Rome, 2008. 3. Voir, en dernier lieu, Georgia Clarke, Roman House – Renaissance Palaces. Inventing Antiquity in Fifteenth-Century Italy, Cambridge/New York, 2003. 4. Johannes Adolph Overbeck, Pompeji in seinen Gebäuden, Alterthümern und Kunstwerken für Kunst und Alterthumsfreunde, Leipzig, 1875, fig. 132-133. 5. Sur ces questions, voir Vincent Jolivet, Domus iusta. Sur le plan canonique de la maison étrusque et romaine des origines au principat d’Auguste, Rome, 2009 (sous presse à l’École française de Rome). 6. Cette maison, détruite en 1892, n’a pas fait l’objet, à ma connaissance, d’une monographie spécifique. 7. Astrid Arnold, Villa Kérylos. Das Wohnhaus als Antikenrekonstruktion, Munich, 2003. 8. Marion True, Jorge Silvetti, The Getty Villa, Los Angeles, 2005. 9. Parmi les initiatives les plus cohérentes et les plus systématiques, je me limiterai à signaler ici Pompei. Pitture e mosaici, dont les dix volumes ont été publiés sous la direction d’Ida Baldassare entre 1990 et 1999, Haüser in Pompeji, qui compte aujourd’hui douze volumes dirigés par Volker Michael Strocka entre 1984 et 2004, et la série des Studi della Soprintendenza archeologica di Pompei, à partir de 2001, qui compte aujourd’hui près de trente volumes, plus ou moins spécialisés ; un bon état des lieux est dressé dans Pier Giovanni Guzzo, Maria Paola Guidobaldi éd., Nuove ricerche archeologiche a Pompei ed Ercolano, (colloque, Rome, 2002), (Studi della Soprintendenza archeologica di Pompei, 10), Naples, 2005, ainsi que dans John J. Dobbins, Pedar W. Foss éd, The World of Pompei, Londres/New York, 2007. Parmi les publications les plus récentes relatives à la maison pompéienne, une mention spéciale revient aux quatre volumes consacrés, entre 1996 et 2006, à la seule insula du Ménandre : The Insula of the Menander at Pompeii, I, Roger Ling éd., The Structures, Oxford, 1996 ; II, Roger Ling, Lesley Ling éd., The Decorations, Oxford, 2005 ; III, Kenneth S. Painter éd., The Silver Treasure, Oxford, 2001 ; IV, Penelope Mary Allison éd., The Finds, a Contextual Study, Oxford, 2006. 10. Signalons notamment, en dehors du pré carré des études vésuviennes, Bragantini et al., 2008, cité n. 2. Le cas de uillae entièrement fouillées, et publiées avec leur matériel, demeure malheureusement exceptionnel. Signalons en particulier les travaux d’Andrea Carandini et de son équipe pour celles de Settefinestre, sur le territoire de Vulci, et de l’Auditorium, aux portes de Rome : Settefinestre. Una villa schiavistica nell’Etruria romana, I, Andrea Carandini éd., La villa nel suo insieme, Modène, 1985 ; II, Andreina Ricci éd., La villa e i suoi reperti, Modène, 1985 ; Andrea Carandini, Maria Teresa D’Alessio, Helga Di Giuseppe éd., La fattoria e la villa dell’Auditorium nel quartiere Flaminio di Roma, (Bullettino della Commissione archeologica comunale di Roma, supplément, 14), Rome, 2006. 11. Le suburbium de Rome a fait récemment l’objet d’un intérêt accru. Outre la série coordonnée par Adriano La Regina, Lexicon topographicum urbis Romae. Suburbium, qui compte cinq volumes parus à Rome entre 2001 et 2008 (et qui fait pendant au Lexicon topographicum urbis Romae coordonné par Eva Margareta Steinby entre 1993 et 2000), voir Lucrezia Spera, Il paesaggio suburbano di Roma dall’Antichità al Medioevo: il comprensorio tra le vie Latina e Ardeatina dalle Mura Aureliane al III miglio, (Bibliotheca archaeologica, 27), Rome, 1999, et les deux volumes parus à l’École française de Rome : Philippe Pergola, Riccardo Santangeli Valenzani, Rita Volpe éd., Suburbium: il suburbio di Roma dalla crisi del sistema delle ville a Gregorio Magno, (colloque, Rome, 2000), (École française de Rome, 311), Rome, 2003, et Vincent Jolivet et al. éd., Suburbium, II, Il Suburbio di Roma

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dalla fine dell’età monarchica alla nascita del sistema delle ville (V-II sec. a.C.), (colloque, Rome, 2005), Rome, 2009. 12. Voir, en tout dernier lieu, Perrine Galand-Hallyn, Carlos Lévy éd., La villa et l’univers familial dans l’Antiquité et à la Renaissance, Paris, 2008. 13. Compte rendu de Eeva-Maria Viitanen, dans Arctos, 2006, 40, p. 264-266. 14. Carandini, D’Alessio, Di Giuseppe, 2006, cité n. 10. 15. Comptes rendus détaillés de Roger J. A. Wilson, dans Journal of Roman Archaeology, 21, 2008, p. 479-484, et d’Helga di Giuseppe, dans Oebalus, 3, 2008, p. 364-375. 16. Voir en particulier Henri Lavagne, Elisabeth de Balanda, Armando Uribe Echeverria éd., Jeunesse de la beauté. La peinture romaine antique, Paris, 2001 ; Ida Baldassare et al. éd., La peinture romaine : de l’époque hellénistique à l’Antiquité tardive, Paris, 2006 [éd. orig. : La pittura romana. Dall’ellenismo al tardo-antico, Milan, 2002] ; Donatella Mazzoleni, Umberto Pappalardo, Domus. Pittura e architettura d’illusione nella casa romana, Vérone, 2004. 17. August Mau, Geschichte der decorativen Wandmalerei in Pompeji, Berlin, 1882. 18. Compte rendu détaillé, mais émanant curieusement du même éditeur, par Dolores Tomei, dans Ostraka, 16, 2007, p. 245-247. 19. Parmi une dizaine de comptes rendus, signalons notamment ceux de Julien Dubouloz, dans Revue archéologique, 2005, p. 414-417 et de Jens-Arne Dickmann, dans Oebalus, 1, 2006, p. 287-299 ; voir le site Internet http://www.stoa.org/projects/ph/home 20. Signalons également un volume collectif : Penelope Mary Allison éd., The Archaeology of Household Activities, (colloque, San Diego, 1995), Londres/New York, 1999. 21. Andrew Wallace-Hadrill, Rome’s Cultural Revolution, Cambridge, 2008 ; du même auteur, le recueil d’articles Houses and Society in Pompeii and Herculaneum, Princeton (NJ), 1994, a marqué une étape importante dans les études sur la maison romaine.

INDEX

Keywords : Roman house, dominus, hut, casa, domus, uilla, neoclassicism, Renaissance, hellenism, Roman culture, Romanization, Hellenization, suburbium, otium, uilla maritima, uilla rustica, figurative program, mural, mythology, cenationes Mots-clés : maison romaine, dominus, cabane, casa, domus, uilla, néo-classicisme, Renaissance, hellénisme, romanité, romanisation, hellénisation, suburbium, otium, uilla maritima, uilla rustica, programme figuratif, peinture murale, mythologie, cenationes Index géographique : Italie, Grèce, Tunisie, Herculanum, Pompéi, Étrurie Index chronologique : 500 avant J.-C., 100 avant J.-C., 100, 200, 300, 400, 1400, 1700

AUTEURS

VINCENT JOLIVET

CNRS – UMR 8546

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Le dialogue entre les arts à l’époque hellénistique : perspectives nouvelles On the dialogue between arts in the Hellenistic period: new perspectives

Jean Trinquier

RÉFÉRENCE

Christian Kunze, Zum Greifen nah. Stilphänomene in der hellenistischen Skulptur und ihre inhaltliche Interpretation, Munich, Biering & Brinkmann, 2002. 280 p., 104 fig. en n. et b. ISBN : 3-930609-36-3 ; 115 €. Évelyne Prioux, Petits musées en vers. Épigrammes et discours sur les collections antiques, (L’art et l’essai, 5), Paris, CTHS/INHA, 2008. 416 p., 66 fig. en n. et b., 26 fig. en coul. ISBN : 978-2-7355-0669-9 ; 40 €. Graham Zanker, Modes of Viewing in Hellenistic Poetry and Art, Madison, The University of Wisconsin Press, 2004. 224 p., 38 fig. en n. et b. ISBN : 0-299-19450-7 ; $ 39,95.

1 En ce début de XXIe siècle, la culture du monde hellénistique fait l’objet d’un intérêt renouvelé, de façon, il est vrai, encore plus nette dans le monde anglo-saxon qu’en France. Deux aspects du monde hellénistique retiennent plus particulièrement l’attention de notre époque : la question des identités multiples, dans un monde ouvert où la culture dominante de l’hellénisme entre en contact avec les nombreuses cultures indigènes ; une création littéraire et artistique qui déconstruit maintes formes traditionnelles, multiplie les innovations et expérimente différents modes de croisement et d’hybridation. C’est à cette question des échanges et des croisements entre formes d’expression littéraires et artistiques que s’intéressent trois ouvrages récents, qui adoptent à ce sujet des perspectives plus complémentaires qu’opposées.

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Le rapport entre texte et image : questions de méthode

2 La question du rapport entre texte et image est au cœur de l’ouvrage de Graham Zanker, Modes of Viewing in Hellenistic Poetry and Art, qui s’attache à dresser un ambitieux parallèle entre productions littéraires et productions artistiques de l’époque hellénistique. Cet ouvrage prolonge les recherches antérieures de l’auteur sur la littérature de cette période, qu’il avait étudiée à partir de deux notions clés, celle d’ enargeia, cette qualité du discours qui assure le passage du dit au visible et crée un troublant effet de présence, et celle de réalisme1. En mettant ainsi l’enargeia et le réalisme au centre de ses recherches, Zanker ne pouvait que rencontrer les arts figurés. Il est cependant bien conscient des difficultés d’une telle enquête. Le risque principal est de méconnaître les spécificités et la logique interne de chaque forme d’expression pour n’offrir qu’un inventaire de similitudes et de thèmes, ou bien un parallèle essentiellement rhétorique entre les arts. Pour éviter cet écueil, l’auteur restreint son propos à l’étude d’un double processus, la construction réciproque de la « visibilité » de l’œuvre et du regard porté sur elle. L’œuvre présuppose un certain type de regard en même temps qu’elle contribue à le créer, à le façonner. C’est dans cette passion pour le visible, construit et appréhendé selon des modalités nouvelles, que Zanker décèle l’une des originalités de la culture hellénistique. Il s’attache dès lors à « identifier ce qui est spécifiquement hellénistique dans le regard hellénistique » (ZANKER, 2004, p. 5), en étudiant dans une première partie les procédés qui sont employés pour rendre présent à l’expérience du lecteur ou du spectateur ce qui est représenté, tandis qu’une seconde partie s’efforce de montrer que les innovations hellénistiques dans le domaine visuel ont modifié non seulement les façons de voir, mais aussi les façons de sentir, en jouant notamment sur une gamme nouvelle d’émotions.

3 Cet ouvrage se caractérise par son pragmatisme. Son hypothèse de départ a une valeur avant tout heuristique et vise à faire dialoguer les recherches conduites dans les deux champs ; il s’agit notamment de vérifier si les concepts élaborés dans chacun pour caractériser au mieux les productions de cette période peuvent ou non, et au prix de quels aménagements et de quelles précautions, être transposés et utilisés dans l’autre domaine. De fait, l’auteur procède avec une louable prudence tout au long de son enquête, menant ses comparaisons avec souplesse et sans dogmatisme, quitte à reconnaître parfois, comme pour le personnage de Médée dans les Argonautiques ( IIIe siècle avant J.-C.), que le « réalisme » psychologique d’Apollonios de Rhodes – et plus largement des poètes de l’époque hellénistique – relève d’une approche qui n’a rien de visuel et qui ne se laisse pas mettre en regard avec les recherches conduites par les sculpteurs contemporains.

4 La contrepartie de ce pragmatisme est que les deux domaines ne sont pas toujours articulés avec la même force, ni selon les mêmes modalités. Il ne nous semble pas, en particulier, que le recours à la notion de pathétique soit suffisant, dans le dernier chapitre, pour véritablement dépasser le simple inventaire de thèmes communs. On peut également regretter une progression parfois sinueuse, qui n’évite pas de nombreuses répétitions et qui se révèle finalement assez peu démonstrative, comme en témoigne l’absence de conclusion, d’autant plus regrettable qu’il aurait été particulièrement nécessaire de dégager de façon synthétique, et non plus énumérative,

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les modalités spécifiques, à l’époque hellénistique, de cette construction conjointe du regard et du visible qu’étudie fort justement Zanker.

5 Pour analyser le dialogue qui se noue entre poésie et arts figurés, Évelyne Prioux s’intéresse quant à elle au cas particulièrement favorable des épigrammes liées, réellement ou fictivement, à des œuvres d’art. Après avoir accompagné, à titre d’inscription, les œuvres d’art et leur avoir servi de signature ou de commentaire, l’épigramme s’est émancipée de sa forme épigraphique, mais est restée l’un des vecteurs privilégiés des discours et des jugements sur l’art, « l’un des lieux où s’élaborent une histoire de l’art et une critique d’art encore naissantes » (PRIOUX, 2008, p. 24) ; aussi plusieurs notices de l’encyclopédie plinienne dérivent-elles de sources épigrammatiques. Cette spécificité du genre justifie amplement que l’auteur ait choisi de privilégier, parmi l’ample littérature ecphrastique de l’Antiquité, les seules ecphraseis épigrammatiques. La découverte du désormais célèbre papyrus de Milan (P. Mil. Vogl. VIII, 309, Milan, Università degli Studi)2, qui contient plus de cent dix épigrammes inédites de Posidippe de Pella et dont l’étude constitue justement l’un des points forts de l’ouvrage, est venue confirmer, s’il en était besoin, la pertinence de ce choix. La notion de collection sert de fil conducteur à l’ensemble de la recherche, qui démontre que les collections d’ecphraseis, réduites ici aux seules ecphraseis épigrammatiques, et les collections artistiques, dont l’auteur retrace magistralement l’histoire et l’évolution dans quelques pages très denses de son introduction, requièrent des stratégies de lecture similaires.

6 La première partie de l’ouvrage s’intéresse aux cas où une collection d’œuvres d’art, une collection statuaire ou une pinacothèque fictive est accompagnée et redoublée par une série d’épigrammes qui commentent chaque élément du décor et infléchissent la lecture et la compréhension de l’ensemble. Ces exemples favorables aident à saisir la logique des collections d’épigrammes qui sont étudiées dans la seconde partie. Il s’agit d’épigrammes ecphrastiques dont le référent est soit perdu, soit fictif, mais dont l’auteur arrive à montrer de façon convaincante qu’elles sont agencées de manière à former l’ordonnancement d’une collection artistique. Aux collections réelles se substituent les collections imaginaires construites par le recueil épigrammatique grâce à la collaboration du lecteur, qui forment ce que l’auteur appelle, d’une belle expression qui sert de titre à l’ensemble, de « petits musées en vers ».

7 L’idée de se tourner vers les ecphraseis d’œuvres d’art pour étudier le dialogue que poursuivent, dans l’Antiquité, la littérature et les arts figurés relève du bon sens. Le grand mérite de l’ouvrage de Prioux est d’avoir déplacé l’accent de l’ecphrasis à la collection de textes ecphrastiques, en l’occurrence épigrammatiques, et d’en avoir démontré, par des exemples bien choisis et des analyses aussi subtiles qu’approfondies, toute la fécondité. Ce déplacement permet d’envisager les correspondances entre la littérature et les arts figurés non plus du point de vue des thèmes ou du style, mais de celui de la composition.

8 L’établissement de telles correspondances ne constitue pas, en revanche, l’objectif de l’ouvrage de Christian Kunze, qui se concentre sur l’étude de la sculpture hellénistique. S’il a par conséquent plus d’un thème en commun avec le livre de Zanker, il obéit à un parti-pris méthodologique fort éloigné de ce dernier. Autant Zanker cherche à décloisonner les études hellénistiques en faisant dialoguer des travaux issus d’horizons disciplinaires différents, autant Kunze circonscrit son propos à l’étude de la sculpture hellénistique, plus précisément encore à celle de la première période hellénistique (du

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IIIe au début du IIe siècle avant J.-C.). Il s’inscrit résolument dans la longue tradition allemande d’étude de la sculpture antique, à laquelle il emprunte notamment un cadre conceptuel aussi ferme que systématique. Il procède avec rigueur : inventaire des différentes versions et répliques d’une œuvre, définition du type jugé le plus fidèle à l’original, discussion des questions d’attribution, description et analyse de l’œuvre, fondées notamment sur la définition des vues principales et des vues secondaires. L’analyse des dispositifs visuels construits par les œuvres le conduit ensuite à s’interroger sur leurs intentions et leur signification ; les deux temps de l’analyse, distincts, sont toujours remarquablement bien articulés. Kunze arrive ainsi à formuler des vues nettes sur l’évolution des formes, qui lui permettent de proposer des datations fondées sur des critères stylistiques lorsqu’aucune donnée extérieure n’est disponible.

9 Aussi centré soit-il sur la sculpture, l’ouvrage de Kunze n’en ouvre pas moins de vastes perspectives sur la culture hellénistique dans son ensemble, quoique avec quelque timidité. La plupart des rapprochements avec les productions littéraires de l’époque sont en effet soit cantonnés dans les notes infrapaginales, soit rejetés dans des excursus ; l’ouvrage n’en fourmille pas moins de suggestions et de pistes de recherche nouvelles. Pour ne prendre qu’un exemple, je mentionnerai l’intéressant rapprochement esquissé entre les tendances nouvelles qui se font jour dans la production sculptée de la seconde période hellénistique et une œuvre poétique comme l’Europe de Moschos (vers le milieu du IIe siècle avant J.-C.), qui ne représente pas directement le rapt de la jeune fille, mais le raconte à travers une accumulation de descriptions partielles et de commentaires, qui culminent dans le long monologue de la malheureuse héroïne (KUNZE, 2002, p. 240).

L’œuvre face à son spectateur ou son lecteur

10 Les trois ouvrages ont en commun de s’interroger sur les relations que les sculptures et les textes de la période hellénistique cherchent à nouer avec leur spectateur ou leur lecteur. Ils mettent en évidence deux tendances principales : soit l’œuvre cherche à imposer sa présence au spectateur ou au lecteur, à faire intrusion, en quelque sorte, dans son univers familier, soit elle s’offre à lui comme une réalité indépendante, qui est soumise à sa méditation et à sa sagacité.

11 Cette alternative organise tout le propos de Kunze, qui entend montrer que la première tendance est privilégiée par les œuvres de la première époque hellénistique (du IIIe et du début du IIe siècle avant J.-C.), tandis que la fin de l’époque hellénistique (IIe-Ier siècles avant J.- C.) opte plutôt pour la seconde. Cette thèse fait l’objet d’une démonstration méthodique, à travers l’étude du Taureau Farnèse (Naples, Museo Nazionale ; KUNZE, 2002, chap. B), des Galates Ludovisi (Rome, Museo Nazionale), de la Jeune fille d’Antium (Rome, Museo Nazionale), du groupe du Pasquino, du groupe de Scylla de Sperlonga (KUNZE, 2002, chap. C), des statues assises de philosophes et de poètes, des statues en pied de pêcheurs et de paysans, de la Vieille femme ivre (Munich, Glyptothek), des différentes Aphrodite au bain ( KUNZE, 2002, chap. D), et enfin des sculptures qui visent à représenter une action précise, tels l’Enfant étranglant une oie (Munich, Glyptothek), les Pancratiastes (Istanbul, Musée archéologique) et les Lutteurs (Florence, Musée des Offices). Il convient toutefois de remarquer que certaines sculptures hellénistiques posent des problèmes de datation, à l’exemple du Pasquino, parfois descendu à la fin de cette période3.

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12 Ces analyses centrées sur des œuvres bien choisies permettent à l’auteur de dégager en conclusion les traits propres aux sculptures du début de la période hellénistique et de justifier le titre de son étude, Zum Greifen nah, que l’on pourrait traduire « à portée de main », « prêt à être saisi ». Leur caractéristique peut-être la plus marquante est l’impossibilité de les embrasser d’un seul regard à distance. Nombre de statues vont même jusqu’à dérober au spectateur, du moins dans une vue frontale, leurs parties traditionnellement considérées comme les plus importantes. Le spectateur est ainsi contraint de s’approcher et de regarder de différents points de vue pour arriver à comprendre l’action représentée. Par là même, l’œuvre pénètre comme par effraction dans son univers, au lieu de s’inscrire dans une sphère autonome et distante, comme le faisaient celles de la fin de l’époque classique. Le contact s’établit selon deux modalités différentes : soit la figure semble s’adresser directement au spectateur et attendre une réaction de sa part, comme le Chrysippe assis (Paris, Musée du Louvre) ou la Vieille femme ivre de Munich, soit elle semble réagir à l’approche ou à l’intrusion de ce dernier, comme l’Aphrodite accroupie (Rome, Museo Nazionale). Tout aussi caractéristique des œuvres de cette époque est l’importance nouvelle accordée à certains détails – mèche folle, désordre dans le vêtement, ride ou pli de la chair –, de même que l’intérêt porté à des circonstances fortuites ou à des actions secondaires. Par leur caractère en apparence non intentionnel, ces détails accentuent l’effet de réalité et suscitent le sentiment d’une proximité qui peut prendre la forme d’une répugnante promiscuité, comme dans le cas d’œuvres dont le sujet représenté multiplie à plaisir les marques de la laideur, de la bassesse, voire de l’obscénité. Nombre de sculptures de cette époque affectent une simplicité et une absence d’artifice qui tranchent avec les compositions savantes de la période précédente. Fréquemment aussi, les personnages représentés sont saisis dans une situation ou une action concrète. En particulier, les éléments qui étaient introduits à titre d’attributs dans le dernier classicisme tendent à devenir partie intégrante de l’action. C’est ainsi que l’oiseau familier, d’attribut statique qu’il était, devient, dans le groupe de Munich de l’Enfant qui étrangle une oie, l’adversaire du petit garçon, de l’étreinte maladroite duquel il essaie de se libérer avec l’énergie du désespoir. La tendance illusionniste de la première période hellénistique conduit enfin à modifier les modalités d’exposition des œuvres, dans le but de les intégrer à leur environnement. C’est ainsi que certaines des œuvres étudiées ne sont plus placées sur des piédestaux élevés, comme à l’époque précédente, mais directement sur le sol, si bien qu’elles appartiennent au même espace que celui arpenté par le spectateur. C’était vraisemblablement le cas des statues votives comme la Jeune fille d’Antium, les figures de pêcheurs ou de paysans, ou encore l’Enfant qui étrangle une oie. Il est également significatif que l’on ait fréquemment cherché à masquer la terrasse de la statue en la traitant, par exemple, comme un rocher qui pourrait prendre place dans un paysage.

13 L’ensemble de ces traits donne un air de famille à ces statues, du moins si l’on accepte les conclusions de Kunze, qui les distingue de celles de la seconde époque hellénistique, au terme d’une évolution graduelle que l’auteur fait débuter dès la première moitié du IIe siècle avant notre ère. Ainsi, les sculptures de la seconde période hellénistique s’offrent au regard en une vue unique et sont conçues pour être contemplées par un observateur situé à distance. Moins engagées dans une action concrète, elles commentent au contraire cette action à l’intention du spectateur par des poses expressives et des gestes appuyés. La production de cette époque voit également la multiplication de figures qui sont autant de « spectateurs intégrés dans la représentation » et qui, là encore, servent à commenter l’action. Les œuvres ne

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cherchent plus à surprendre par leur présence immédiate et dramatique, mais sollicitent plutôt un regard distant, cultivé et savant, qui prend plaisir à les étudier et à déchiffrer leur message.

14 La première partie de l’ouvrage de Zanker porte sur le même type de question, puisqu’elle est consacrée à l’étude des procédés employés pour assurer la visibilité de ce qui est représenté. Ces procédés, communs aux poètes et aux artistes, sont à ses yeux la technique de la description détaillée, qui passe en particulier par la multiplication des angles de vue, l’inscription de la scène sur un fond paysager, la recherche des effets optiques et l’effort concerté pour donner accès à l’ethos des personnages représentés (ZANKER, 2004, chap. 2), en deuxième lieu l’appel à la collaboration active du lecteur ou du spectateur (ZANKER, 2004, chap. 3) et enfin l’intégration du récepteur à l’intérieur de l’œuvre (ZANKER, 2004, chap. 4). Les rapprochements proposés par l’auteur entre les productions littéraires et les productions figurées sont toujours stimulants. On retiendra en particulier l’analyse du groupe de l’Enfant à l’oie du Vatican : l’enfant, encore trop petit pour savoir se lever seul, tend la main droite vers le spectateur, tandis que de la main gauche, il écrase involontairement son oiseau familier pour prendre un appui destiné à compenser le mouvement de sa tête, qu’il renverse vers l’arrière ; le spectateur se trouve ainsi, comme le note très justement Zanker, dans la position de l’adulte qui s’apprête à prendre dans ses bras un petit enfant ne sachant pas encore marcher4. D’autres sculptures donnent au spectateur la position d’un témoin privilégié, voire celle d’un voyeur qui surprend un spectacle interdit. Zanker propose un rapprochement intéressant entre ces sculptures hellénistiques et des œuvres littéraires comme les hymnes mimétiques de Callimaque, qui font de leur lecteur un participant direct à la solennité religieuse, l’enargeia aidant ici à faire de l’expérience religieuse l’expérience sensible d’une présence, quelque lointains que les dieux puissent par ailleurs paraître.

15 Les analyses du troisième chapitre emportent moins la conviction. L’auteur y montre en détail que le procédé de la narration condensée et elliptique est commun à la poésie et aux arts figurés, même si le problème ne se pose évidemment pas dans les mêmes termes pour les deux domaines : à la différence du poète, qui peut, s’il le souhaite, proposer un récit continu des événements, l’auteur d’un groupe statuaire doit forcément soit choisir un moment précis, dans lequel se cristallise en quelque sorte la totalité de l’action, soit proposer une image synthétique, qui condense le récit de façon plus intellectuelle, au besoin à l’aide d’attributs. Zanker passe peut-être un peu vite de la recréation d’un spectacle ou d’une image visuelle à celle d’un sens, même si ces deux façons de solliciter l’activité du lecteur ou du spectateur ressortissent à un même goût de l’allusion voilée et de l’énigme. Imaginer une scène complète à partir d’une représentation partielle et fragmentaire ne constitue en effet pas la même activité qu’en déceler le sens caché, en partant de l’image pour en extraire un énoncé discursif d’une autre nature.

16 À la différence des deux ouvrages précédents, l’étude de Prioux ne porte pas au premier chef sur les tendances illusionnistes de l’art hellénistique. Elle n’en aboutit pas moins à réévaluer le rôle du lecteur ou du spectateur dans la réception des collections d’œuvres d’art ou de poèmes. Cette réévaluation va cependant de pair avec celle du « collectionneur » – qu’il s’agisse de l’ordonnateur d’une anthologie poétique ou du commanditaire d’une pinacothèque fictive – que Prioux place au centre de son propos. Il n’est, pour s’en convaincre, que de lire la belle analyse qu’elle consacre au décor de

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l’exèdre située dans l’angle nord-est du péristyle (y) de la Maison des Épigrammes, à Pompéi. Prioux propose d’interpréter le tableau central, qui montre deux jeunes pêcheurs en train de soumettre à Homère l’énigme qui causera son trépas, comme l’« image de la victoire irrévérencieuse que l’épigramme aurait remporté sur les genres poétiques anciens » (PRIOUX, 2008, p. 55), tandis que les autres panneaux illustrent à ses yeux, à travers quelques scènes choisies, les principaux sous-genres de l’épigramme hellénistique. Elle poursuit cette analyse en montrant dans le détail comment le modèle de la Couronne de Méléagre a pu inspirer les procédés de composition et d’association qui sont à l’œuvre dans la pinacothèque fictive de la Maison des Épigrammes. Elle tire, pour finir, toutes les conclusions de son interprétation en réévaluant la figure du maître de maison qui, de simple commanditaire qu’il était dans les interprétations antérieures, devient le véritable ordonnateur du décor, composant à la manière d’un Méléagre et guidé par le même idéal agonistique, celui d’une pinacothèque fictive qui restitue à l’anthologie poétique le contexte monumental qui était celui de l’épigramme à ses débuts. Il appartient dans le même temps au spectateur des fresques, au lecteur des épigrammes, de mobiliser toute sa culture pour résoudre les énigmes posées par le décor, déchiffrer les multiples allusions métapoétiques qu’il contient et déceler les différents réseaux de sens que le commanditaire a pris soin de ménager par l’agencement savant de sa double collection.

Culture et pouvoir

17 En étudiant le dialogue qui se noue entre les productions littéraires et les arts figurés, les trois auteurs ne pouvaient que rencontrer la question des rapports complexes qu’entretiennent culture et pouvoir à l’époque hellénistique. Après avoir montré comment on cherchait alors à rapprocher les dieux – au premier chef Aphrodite et Dionysos – de la sphère humaine et à les rendre présents aux sens, Zanker note avec pénétration que les souverains lagides entendaient s’identifier à ces divinités précisément pour s’infiltrer dans la sphère privée, voire intime, de leurs sujets (ZANKER, 2004, p. 128). Ces questions sont plus longuement discutées par Kunze. À propos de l’évolution des images des dieux, ce dernier soutient que la tendance à rapprocher le divin de la sphère de l’existence quotidienne ne témoigne pas d’un abaissement des dieux ni de la désacralisation de la société, mais constitue au contraire un effort pour défendre les dieux contre les critiques qui leur sont adressées en ménageant une sorte de rencontre entre la figure attrayante du dieu et ses adorateurs (KUNZE, 2002, p. 121-125). Deux autres excursus, centrés sur la figure du roi, prolongent ces analyses en montrant comment les souverains hellénistiques cherchaient à s’identifier à ces divinités présentes et agissantes en associant intimement les événements du présent au monde du mythe et des dieux (KUNZE, 2002, p. 165-168 et 170-175). En dernière analyse, Kunze met en rapport les caractéristiques originales des arts figurés de l’époque avec l’émergence d’une nouvelle figure de chef, être d’exception et charismatique qui est à la mesure moins du monde de la cité que du passé mythique et héroïque, qu’il réactualise et rend immédiatement présent. Ce retour aux sources de la culture grecque est également caractéristique de sociétés nouvelles dans lesquelles les attaches traditionnelles, locales et civiques se sont considérablement affaiblies, et qui se trouvent confrontées à la concurrence de cultures étrangères (KUNZE, 2002, p. 233-239).

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18 À l’inverse, les œuvres de la seconde période hellénistique témoigneraient, dans leur volonté de renouer avec l’esthétique du dernier classicisme, de la crise profonde, voire de la faillite de l’idéal incarné par les souverains hellénistiques et d’un retour aux traditions culturelles de la cité classique (KUNZE, 2002, p. 240-241). Le rôle de la puissance romaine dans ce processus mériterait sans doute d’être précisé : le retour aux traditions culturelles de la cité classique traduit-il un effort pour inventer et défendre une identité locale fondée sur les valeurs culturelles de l’hellénisme traditionnel ou bien porte-t-il la marque précisément des attentes des élites romaines, intéressées à la définition d’une culture grecque exemplaire ?

19 Avec les Petits musées en vers de Prioux, le centre de gravité se déplace plus encore vers Rome, puisque le parcours auquel l’auteur convie le lecteur conduit ce dernier de l’Alexandrie du IIIe siècle avant notre ère jusqu’à la Rome flavienne. Si Prioux procède par dossiers, il n’en résulte nul morcellement de l’analyse, car elle excelle à tisser des liens entre eux et à montrer l’importance séminale du moment alexandrin et des anthologies et collections hellénistiques pour la mise en place de ce que Tonio Hölscher a appelé le « système sémantique de l’art romain »5. Les ensembles étudiés sont ainsi remarquablement contextualisés. L’interprétation des lithika de Posidippe, par exemple, témoigne d’une profonde connaissance de la culture alexandrine et de ses enjeux idéologiques. Prioux montre comment l’anthologie poétique constitue dans ce cas une sorte d’« encyclopédie ptolémaïque », qui est à la fois un abrégé de la splendeur du monde, un inventaire des ressources du nouvel empire et un compendium du savoir gréco-égyptien, assurant ainsi la synthèse d’héritages multiples, grec, achéménide et égyptien. De la même façon, le cycle poétique des andriantopoiika est analysé comme une histoire de l’art en épigrammes, qui illustre les positions esthétiques de Posidippe tout en mettant en place, à partir de comparaisons stylistiques, une grille de lecture de l’art grec promise à un riche avenir. Particulièrement pertinent est le rapprochement entre le recueil de Posidippe et les Apophoreta de Martial (vers 84-85 après J.-C.)6, autre anthologie composée sous l’œil du prince, qui apparaît là encore comme un abrégé de l’idéologie dynastique du nouveau régime en même temps qu’un manifeste de ses choix esthétiques.

20 C’est donc à un voyage à travers cinq siècles d’histoire de l’épigramme et des anthologies poétiques que nous convie l’ouvrage de Prioux, une histoire qui croise subtilement celle du collectionnisme antique et des programmes décoratifs publics et privés. Dans ce vaste parcours, on peut regretter que le maillon intermédiaire de l’époque augustéenne ne soit pas mieux représenté, le décor de la Maison des Épigrammes se situant comme au seuil de cette période. Cette absence relative est justifiée par les failles de la documentation (PRIOUX, 2008, p. 339), qui n’offre pas, pour la période augustéenne, de cycles conservés où images et textes inscrits se répondent, pas plus qu’elle ne nous a livré de recueils épigrammatiques analogues à ceux de Posidippe ou de Martial, si ce n’est dans un état de dispersion quasi désespéré, comme c’est le cas pour l’œuvre d’Antipater de Thessalonique, un poète qui semble avoir été actif entre 20 avant J.-C. et 20 après J.-C. (PRIOUX, 2008, ibid.)7. Si la documentation fait défaut pour le type bien particulier de cycles picturaux, statuaires et poétiques que Prioux s’est proposée d’étudier dans cet ouvrage, il ne fait aucun doute que les principes de composition anthologique, que l’auteur a su déceler dans certains ensembles et qu’elle a formulés avec une grande clarté, se révéleront d’une grande utilité aussi pour l’étude de la culture augustéenne. Du reste, l’époque augustéenne demeure bien présente dans

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le fil des analyses. Pour ne prendre qu’un exemple, le rapprochement qui est esquissé entre le recueil épigrammatique de Posidippe et l’Épître aux Pisons d’Horace (datée soit des années 23-18, soit de 13-8 avant J.-C.) enrichit d’un élément important et nouveau le dossier de la réception par les poètes de l’époque augustéenne des textes critiques du début de l’époque hellénistique.

21 Ces trois ouvrages montrent tout le bénéfice que l’on peut attendre du décloisonnement des études hellénistiques, lorsque l’historien de l’art, le spécialiste de littérature et l’archéologue engagent un dialogue fécond, et que l’étude des correspondances entre les différentes formes d’expression ne se réduit pas à un simple inventaire de thèmes communs, mais se développe à partir d’une problématique précise, telle que la construction du regard ou la constitution des réseaux de sens d’une collection.

NOTES

1. Voir en particulier Graham Zanker, « Enargeia in the ancient criticism of poetry », dans Rheinisches Museum für Philologie, 124, 1981, p. 297-311, et Realism in Alexandrian Poetry. A Literature and its Audience, Londres, 1987. 2. Les 112 épigrammes de ce papyrus sont publiées dans Guido Bastianini, Claudio Gallazzi, Colin Austin éd., Posidippo di Pella, Epigrammi (P. Mil. Vogl. VIII 309), Milan, 2001. 3. Voir Nikolaus Himmelmann, Sperlonga: die homerischen Gruppen und ihre Bildquellen, (Geisteswissenschaften Nordrhein-Westfälische Akademie der Wissenschaften Vorträge, G 340), Opladen, 1995 ; Gilles Sauron, « Un conflit qui s’éternise : la ‘guerre de Sperlonga’ », dans RA, 1997, p. 261-296 ; Brundile Sismondo Ridgway, Hellenistic Sculpture, III, The Styles of ca. 100-31 B.C., Madison, 2002, p. 79. 4. Ailleurs, Zanker rapproche judicieusement cette œuvre de la conformation, selon Aristote, des petits enfants qui sont proportionnés « comme des nains » (Aristote, Partie des animaux, 686 b 8-12, etc.) [ZANKER, 2004, p. 136]. 5. Tonio Hölscher, Römische Bildsprache als semantisches System, Heidelberg, 1987. 6. Voir Marcus Valerius Martialis, Book XIV: The Apophoreta, Timothy J. Leary éd., Londres, 1996. 7. Voir notamment Anthologie Palatine, IX, 26 et 59 ; Anthologie de Planude, 143.

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INDEX

Mots-clés : texte et image, enargeia, réalisme, visibilité, poésie, arts figurés, épigramme, ekphrasis, sculpture hellénistique, illusionnisme, ethos, collectionneur, collectionnisme, pinacothèque fictive, anthologie poétique, énigme, compendium Keywords : text and image, enargeia, realism, visibility, poetry, figurative arts, epigram, ekphrasis, Hellenistic sculpture, illusionism, ethos, collector, imaginary picture gallery, poetic anthology, enigma, compendium Index géographique : Rome, Vatican, Pompéi, Alexandrie Index chronologique : 200 avant J.-C., 100 avant J.-C., 2000

AUTEURS

JEAN TRINQUIER

ENS-Ulm

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Choix de publications Selected readings

1 – Beyond Babylon: art, trade and diplomacy in the Second Millennium B.C., Joan Aruz, Kim Benzel, Jean M. Evans éd., (cat. expo., New York, The Metropolitan Museum of Art, 2008-2009), New York/New Haven/Londres, The Metropolitan Museum of Art/Yale University Press, 2008.

Prolongement de la manifestation Art of the First Cities consacrée en 2003, par la même équipe, au IIIe millénaire la dernière des expositions archéologiques du Metropolitan Museum of Art de New York (18 novembre 2008 - 15 mars 2009) était accompagnée de ce catalogue exemplaire. Pour la première fois, des œuvres représentatives de ce que l’on appelle souvent la civilisation internationale de l’âge du bronze étaient rassemblées. De Babylone à l’Égypte, de la Crète à l’Anatolie, des sociétés à organisation royale ou princière ont échangé des matières premières, des œuvres d’art, des princesses à marier accompagnées d’une cour d’artisans et de diplomates, après avoir négocié ces alliances par une correspondance rédigée dans la langue internationale du temps, l’Akkadien. Sont présentées ensemble des œuvres depuis longtemps célèbres, comme le coffret en ivoire d’Enkomi (Chypre), appartenant au British Museum, ou des découvertes récentes, parmi lesquelles la tombe royale de Qatna, en Syrie, et la cargaison de l’épave de bateau coulée au large d’Uluburun (Turquie), véritable inventaire à la Prévert de tout ce que pouvaient désirer un souverain et sa cour pour rivaliser avec ses voisins. Accompagnés d’illustrations somptueuses, les textes, essais et commentaires, confiés à des spécialistes internationaux, font le point sur la recherche. Cet ouvrage est autant un « beau livre » qu’un indispensable outil de travail [A. Caubet.]

2 – Marcello CARASTRO éd., L’antiquité en couleurs : catégories, pratiques, représentations, (colloque, Paris, 2005), Grenoble, Jérôme Millon, 2009.

La polychromie grecque reprend des couleurs et les études récentes sur le sujet ne manquent pas. Dans un domaine largement renouvelé par les découvertes

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archéologiques et les études physico-chimiques, l’ensemble de textes réunis par Marcello Carastro apporte une réflexion sur les catégories et les usages antiques liés aux couleurs. L’ouvrage regroupe seize contributions en quatre ensembles – façons de voir, pratiques de la couleur, nomination et représentation, penser la couleur – qui croisent les approches philologiques, philosophiques et anthropologiques tout en s’ouvrant à d’autres domaines que le monde gréco-romain (Égypte ancienne, Burkina Faso). Ce riche volume, qui met en dialogue les disciplines et les aires culturelles constitue un apport original aux recherches sur la couleur [F. Lissarrague].

3 – Enrico CIRELLI, Ravenna: archeologia di una città, (Contributi di archeologia medievale), Florence, All’Insegna del Giglio, 2008.

La publication de la thèse d’Enrico Cirelli, qui s’est formé auprès de l’éminent professeur Riccardo Francovich (Université de Sienne), malheureusement disparu, et auprès d’Andrea Augenti (Université de Bologne), propose une nouvelle vision de la Ravenne historique et archéologique. Loin de n’être qu’un livre de plus au sein d’une longue et volumineuse bibliographie sur les édifices les plus emblématiques de cette ville, de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge, cet ouvrage se distingue : il s’agit de la première étude d’archéologie urbaine globale qui utilise les nouvelles technologies numériques dont dispose aujourd’hui le chercheur.

4 La documentation rassemblée, textuelle, cartographique et archéologique, compte presque quatre cents localisations, datant de l’époque comprise entre l’Antiquité tardive et la fin du Moyen Âge, et a été traitée au moyen d’un SIG. Le résultat offre une vision de la ville de Ravenne dans sa globalité : les monuments connus ne sont pas vus comme des édifices ecclésiastiques isolés, mais au sein d’une trame urbaine dense et articulée qui permet de comprendre l’évolution civile et religieuse de la capitale de l’Empire, son suburbium et son environnement, depuis l’époque romaine – surtout depuis le Ve siècle – et jusqu’à la fin du Moyen Âge. L’illustration conçue est d’une grande utilité : pour figurer les édifices et les vestiges archéologiques, l’auteur a récupéré d’anciennes planimétries, et homogénéisé celles qui existaient unifiées et homogénéisées. De plus, des cartes de localisation générale ou spécifique, permettent de comprendre la situation et l’environnement du document étudié. Remarquable pour sa qualité graphique et le soin apporté à l’édition, ce volumineux catalogue de 389 fiches, doublé d’un vaste appareil bibliographique et d’analyses de l’évolution urbaine et architecturale de la ville, s’impose comme un instrument de travail particulièrement utile aux chercheurs [G. Ripoll].

5 – Alberto FERREIRO, The Visigoths in Gaul and Iberia: a Supplemental Bibliography, 1984-2003, (The Medieval and Early Modern Iberian World, 28), Leyde/Boston, Brill, 2006.

Voici deux nouveaux ouvrages d’Alberto Ferreiro sur la Gaule et l’Hispanie à l’époque wisigothique. Le premier réunit les fiches bibliographiques de publications parues entre 1984 et 2003 et le second, sous forme d’annexe, celles publiées entre 2004 et 2006.

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Il s’agit de la suite de The Visigoths in Gaul and Spain, A.D. 418-711. A Bibliography, publié par l’auteur chez le même éditeur en 1988. Dans ce dernier étaient réunies plus de 9 100 citations ; l’édition de 2006, c’est-à-dire de 1984 à 2003, présente près de 8 000 références bibliographiques, tandis que le volume de 2004 à 2006 regroupe presque 2 000 fiches. Ceci s’explique par une forte augmentation des publications, du fait d’une configuration nouvelle de la carte politico-administrative espagnole, constituée en communautés autonomes et consolidée par la démocratie, la régionalisation impliquant une quête d’une meilleure connaissance du passé historico-archéologique de ces communautés. Ces ouvrages, comme toute compilation bibliographique, sont incontestablement le reflet historiographique de la période étudiée : l’Antiquité tardive et l’époque wisigothique en Hispanie se dévoilent, à la lumière de cette gigantesque compilation, comme des champs en profond renouvellement scientifique. Les fiches bibliographiques, dont les contenus ne sont pas accompagnés de commentaires, sont ordonnées par sections thématiques qui couvrent tous les aspects historiques, littéraires, économiques, sociaux, culturels et archéologiques, et sont complétées par deux index, l’un d’auteurs et l’autre thématique, ce qui facilite indiscutablement la consultation. La compilation bibliographique titanesque d’Alberto Ferreiro s’avère donc un excellent instrument de recherche pour la communauté scientifique [G. Ripoll].

6 – Marc HEIJMANS, Jean GUYON éd., Antiquité tardive, haut Moyen Âge et premiers temps chrétiens en Gaule méridionale. Seconde partie : monde rural, échanges et consommation, (Gallia, archéologie de la France antique, 64), Paris, CNRS éditions, 2007.

Cette étude correspond à la seconde partie du dossier dédié à la Gaule méridionale pendant l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, la première partie, consacrée au monde urbain, ayant déjà été publiée dans le numéro précédent (Gallia 63-2006). Vingt ans après l’exposition Premiers temps chrétiens en Gaule méridionale dirigée par Paul- Albert Février, les résultats obtenus depuis lors dans le cadre de la recherche sur l’évolution des villes en Gaule et de leurs territoires aux IIIe-VIIIe siècles après J.-C. ont été rassemblés. La documentation archéologique de plus en plus précise, parallèlement à l’intensification des études spécifiques ou régionales sur le territoire, a permis une avancée considérable dans l’étude de l’espace rural qui, comme l’espace urbain, se définit ici par sa transformation continuelle. Cette publication, qui fait un bilan exhaustif de l’état actuel des connaissances sur le monde rural, insiste en particulier sur des aspects aussi fondamentaux que les nouvelles formes d’habitat et leur diversification (les villae perdant définitivement toute leur primauté en faveur de nouvelles constructions fortifiées), l’organisation ecclésiastique rurale à travers une architecture religieuse publique (églises paroissiales, cimetières, monastères, etc.) où l’intervention épiscopale joue un rôle déterminant, et, dans une moindre mesure, l’initiative privée. Enfin, est établie la dépendance des modèles urbains aux ensembles ecclésiastiques ruraux d’une certaine dimension (en particulier les groupes épiscopaux), ainsi qu’à certaines constructions funéraires. Les avancées dues aux études archéométriques permettent dans le même temps une connaissance plus précise des systèmes d’échange et de consommation des produits manufacturés par ces communautés rurales [I. Sánchez].

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7 – Miranda MARVIN, The Language of the Muses. The Dialogue between Roman and Greek Sculpture, Los Angeles, The Getty Museum, 2008.

On a longtemps considéré les sculptures découvertes à Rome comme des copies d’originaux grecs perdus, comme si l’Empire était incapable de produire des artistes. Le livre de Marvin traverse l’histoire de cette sculpture en l’analysant d’abord dans son contexte romain, puis dans la façon dont elle a été perçue par les collectionneurs et les savants en Europe, à la Renaissance et à l’époque moderne. Comment Rome, qui s’était posée en héritière du monde grec, devient-elle aux yeux des chercheurs un simple monde de copistes ? La manière dont a été perçue la sculpture antique est ici resituée dans une histoire longue qui interroge et met en question nos a priori en ce domaine. Dans la lignée des travaux de Nicholas Penny et Francis Haskell, le livre de Marvin retrace avec une élégante clarté l’histoire critique de la sculpture antique et de sa réception moderne [F. Lissarrague].

8 – Rome et les barbares : la naissance d’un nouveau monde, Jean-Jacques Aillagon, Umberto Roberto, Yann Rivière éd., (cat. expo., Venise, Palazzo Grassi/Bonn, Kunst und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland, 2008), Venise, Skira, 2008.

Cette publication est le fruit d’une étroite collaboration internationale entre différentes institutions, réunissant de nombreux chercheurs qui, dans une perspective historique mais aussi artistique, ont travaillé à analyser les relations entre Rome et les peuples qui existaient au-delà de ses frontières. À travers une étude complète de la période dite « des invasions barbares », qui correspond à l’immigration de ces peuples venus du nord et de l’est et à leur établissement progressif dans les différentes provinces de l’Empire, dès le IIIe siècle après J.-C., on aborde ici un épisode clé de l’histoire de la civilisation occidentale. Ce livre, catalogue d’une ambitieuse exposition accueillie au Palazzo Grassi de Venise et au Kunst und Ausstellungshalle der Bundesrepublik Deutschland de Bonn, réunit un grand nombre de pièces d’une valeur artistique et historique inestimable, provenant de 184 collections du monde entier. Les index des pièces de ce catalogue attestent d’un travail méthodologique extraordinaire sur la sélection, avec peut-être toutefois un certain déséquilibre. L’Espagne de l’époque wisigothique, par exemple, est que fort peu représentée ; elle n’est illustrée que par quelques éléments artistiques, déjà bien connus : fibules, boucles de ceinture ou trésors votifs de Torredonjimeno et Guarrazar. Les articles scientifiques, qui constituent chacun des six grands chapitres, analysent mille ans d’histoire (Ier siècle après J.-C.-Xe siècle après J.-C.), en commençant par Rome et les différents types de relations et d’échanges qu’elle avait établis avec les peuples frontaliers. De plus, le franchissement des limes par les « barbares » est traité avec une attention particulière dans la mesure où cette étape contribua au démembrement complet de l’Empire occidental et à la constitution dans ses anciennes provinces de nouveaux royaumes indépendants. Les manifestations architecturales et artistiques reflètent l’intégration définitive des « barbares », le christianisme, auquel ils se convertissent petit à petit, étant l’élément de cohésion entre tous. L’espace réservé au traitement du royaume wisigoth de Tolède

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est d’ailleurs également restreint. La dernière partie est consacrée à la création de l’Empire carolingien, qui, face à la pluralité des nations « barbares » qui l’avaient précédé, restitua au IXe siècle une « unité », et durant lequel s’établirent d’autres frontières à défendre, menacées par de nouveaux peuples envahisseurs [I. Sánchez].

9 – Rachael Thyrza SPARKS, Stone vessels in the Levant, (The Palestine Exploration Fund Annual, 8), Leeds, Maney, 2007.

Cet ouvrage traite d’une production artistique qui a tenu une place particulièrement importante en Méditerranée orientale à l’âge du bronze. Depuis les objets de prestige utilisés par l’élite comme symbole visible de leur statut et de leur pouvoir, jusqu’aux récipients utilitaires remplissant des fonctions cultuelles, domestiques ou industrielles, la vaisselle de pierre du IIe millénaire a connu une popularité grandissante, appuyée sur une prospérité croissante et un intense commerce interrégional. Rassemblant les très nombreuses publications de cette catégorie d’œuvres découvertes dans les différentes fouilles du Levant, l’auteur s’appuie sur les synthèses dont on dispose pour l’Égypte, la Crète et les Cyclades, afin de dresser le panorama qui manquait jusqu’alors. L’ouvrage fera date et deviendra un instrument indispensable aux chercheurs concernés par les sociétés cosmopolites de la Méditerranée orientale [A. Caubet].

10 – Worshiping Women: Ritual and Reality in Classical Athens, Nikos E. Kaltsás, Alan Harvey Shapiro éd., (cat. expo., New York, Onassis Cultural Center, 2009), New York, Onassis Cultural Center, 2008.

Cet ouvrage superbement illustré est le catalogue d’une exposition conçue par Alan Shapiro, professeur à la John Hopkins University et spécialiste reconnu de l’iconographie grecque replacée au cœur d’une vision sociale et politique. Centrée sur le rôle religieux des femmes au sein de la société athénienne, la démonstration – qui entend revenir sur la traditionnelle vision schématique d’une femme grecque passive et absente de la collectivité sociale pour souligner sa forte présence dans les images cultuelles – est servie par la publication d’objets de première importance pour la plupart peu connus (des prêts très généreux ont été consentis par les musées grecs, notamment les musées d’Athènes et du Pirée, ceux d’Eleusis et de Brauron). Les essais consacrés aux divinités féminines et aux activités rituelles des femmes, confiés à des spécialistes grecs ou américains (Angelos Delivorrias, Olga Palagia, Michalis Tiverios, Alan Shapiro, John Oakley…), peuvent d’ores et déjà être considérés comme des synthèses de référence [M. Denoyelle].

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Ouvrages reçus Books received

1 Perspective remercie les maisons éditoriales qui nous ont envoyé les ouvrages mentionnés ci-dessous. Selon les thèmes des prochains numéros et l’avis du comité de rédaction, ils seront susceptibles de faire l’objet d’une recension ou d’un compte rendu détaillé.

2 – Angelos DELIVORRIAS, The Parthenon Frieze. Problems, Challenges, Interpretation, Athènes, Melissa, 2007. Cet ouvrage fera l’objet d’un compte rendu détaillé dans Perspective 2010-1.

3 – Yannick LE PAPE, L’image subtile. Jeux visuels et manipulations de l’image dans l’art de l’Antiquité, Paris, L’Harmattan, 2009.

4 – Parfums de l’Antiquité. La rose et l’encens en Mediterranée, Annie Verbanck-Piérard, Natacha Massar, Dominique Frère éd., (cat. expo., Mariemont, Musée royal, 2008), Mariemont, musée royal, 2008.

5 – Marie-Christine VILLANUEVA PUIG, Ménades. Recherches sur la genèse iconographique du thiase fréminin de Dionysos, des origines à la fin de la période archaïque, Paris, Les Belles Lettres, 2009.

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Moyen Âge

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Moyen Âge

Débat

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Le statut de l’image religieuse au Moyen Âge, entre Orient et Occident The status of medieval religious imagery: between East and West

Herbert Kessler, Jean-Michel Spieser, Gerhard Wolf et Anne-Orange Poilpré

NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce texte résulte de l’envoi de questions aux participants et d’un échange de courriels.

1 La notion d’image dans la pensée médiévale renvoie aussi bien aux représentations des arts plastiques qu’aux figures métaphoriques de l’écriture. Les images de la pensée, des rêves et de la mémoire se fondent avec celles des peintres et des sculpteurs en une même catégorie, située aux fondements de la pensée chrétienne de cette époque. Imagines et similitudines définissent une appréhension biblique du monde où l’homme fut créé à l’image de Dieu. L’avènement christologique qui restaure un lien visuel entre Dieu et l’humanité place la question de l’image (parfaite) de Dieu au cœur même de la religion.

2 Ainsi, l’histoire de l’image avant l’époque de l’art, selon la formule de Hans Belting1, offre un champ d’étude qui permet de dépasser de bien loin une méthodologie du décryptage, pour élargir l’enquête à la définition du statut du figuré, du visuel et de l’objet dans la société chrétienne. Les recherches récentes sur la place de l’artiste, celle du public et de sa sensibilité, sur le rôle et le sens des matériaux, mais aussi sur les échanges artistiques et intellectuels qui ont lieu dans le monde médiéval, christianisé ou non, se combinent pour accéder à une compréhension du religieux et du social prenant pour focale l’œuvre d’art [Anne-Orange Poilpré].

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Anne-Orange Poilpré. L’étude des images médiévales s’est profondément transformée, surtout dans la seconde moitié du XXe siècle, sous l’influence de l’histoire sociale, de

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l’anthropologie historique, ainsi que de travaux sur l’exégèse et sur la liturgie. Faut-il envisager une distinction entre l’histoire de l’art et l’histoire de l’iconographie ? Jean-Michel Spieser. Il serait possible de s’amuser, dans un premier temps, à gloser sur le sens du mot distinction et à se demander si, par « distinction », on entend (ou non) opposition, ou encore si « distinction » empêche (ou non) de penser « histoire de l’art » comme un terme capable d’en englober d’autres, parmi lesquels figurerait « histoire de l’iconographie ». Il m’apparaît plus sain de redescendre sur terre et de ne faire ni de l’une, ni de l’autre de ces expressions des entités essentielles, mais de les traiter comme des termes définissant aujourd’hui des approches de monuments, d’œuvres et d’objets dont le corpus est d’ailleurs sans cesse redéfini. Le fait que cette question puisse être posée sous cette forme est en soi un indice de l’évolution de cette discipline académique, appelée histoire de l’art qui, pendant longtemps, s’était essentiellement arrêtée sur une étude des formes, plus ou moins ouvertement liée à des jugements de valeur, reposant sur des critères esthétiques. C’est peut-être aussi l’indice d’une résistance qui ne s’exprime pas ouvertement et qui voudrait réduire l’appellation « histoire de l’art » à ce seul aspect, une prise en considération de l’évolution des formes, donc des styles, dont la finalité essentielle, sinon unique serait d’assigner, dans un déroulement chronologique impeccable et assuré, à chaque artiste, à chaque siècle, à chaque région, les œuvres du passé méritant l’admiration. On voit bien que je force le trait et que les choses ont bien changé. Dans ce renouvellement, l’histoire de l’iconographie n’apporte pas en soi une pierre essentielle à l’édifice. Elle peut tout autant que l’histoire des styles ne servir qu’à classer et à attribuer, redoublant, raffinant éventuellement les conclusions de celle- ci. Le point essentiel est en fait une conception autre, non pas seulement de l’histoire de l’art, mais aussi de l’art. Cette rupture est symbolisée par le livre de Hans Belting, Image et culte : une histoire de l’image avant l’époque de l’art2. La prise de conscience du fait que la notion d’art telle qu’elle est conçue – disons, pour simplifier – dans le monde occidental moderne et contemporain n’est ni universelle, ni intemporelle est plus ancienne que le livre de Belting. Mais celui-ci a donné à cette notion une présence massive qui devrait empêcher tout retour en arrière vers la situation que décrivait Valentino Pace dans un précédent débat3, à savoir un temps où l’on essayait d’attribuer à des maîtres anonymes toute œuvre reconnue de grande qualité. Dans les dernières décennies, l’attention s’est davantage tournée vers la signification des « objets » étudiés (j’entends par objet toute production, jusqu’au monument architectural, qui relève du champ d’études de ceux qu’il faut quand même continuer à appeler « historiens de l’art »), vers leurs conditions de fabrication et leur utilisation. Une des conséquences en a été certainement une ouverture du champ d’études vers des séries plus modestes, mais qui ont paru, à juste titre, aussi significatives que des chefs-d’œuvre. On voit bien, pour en revenir à la question initiale, comment l’histoire de l’iconographie peut être valorisée, en particulier quand il s’agit de comprendre la signification de l’objet, de l’œuvre, pour son destinataire. Mais l’histoire de l’iconographie n’est qu’une composante de cette appréhension plus globale du phénomène artistique qui fait des historiens de l’art de véritables historiens.

Herbert Kessler. Bien loin de plaider pour un cloisonnement entre images, histoire de l’art et iconographie, les dernières recherches se sont attachées à retrouver

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comment les catégories modernes étaient inextricablement nouées durant la période médiévale. À partir du « tournant » sémiotique des années 1970, la relation de l’image au mot et son inter-picturalité sont revenues au tout premier plan des débats, mais avec une attention nouvelle portée aux relations structurelles. Dans le même temps, les chercheurs, intéressés par la question du rapport entre art et illettrisme, ont commencé à étudier les iconographies nées de sources non textuelles ainsi que leur ancrage dans la culture orale. De plus, l’affirmation de saint Jean, selon laquelle le Christ était le « Verbe qui s’est fait chair », fit accorder aux images matérielles un statut équivalent à celui du mot écrit ; selon la théorie médiévale de l’image, quiconque rejetait le caractère sacré des images se rendait coupable d’hérésie arienne (qui refusait la double nature du Christ). Depuis la publication de Die Sprache der Materialen de Thomas Raff en 1994 4, les médiévistes se sont attachés à souligner l’interaction entre l’iconographie et les médiums artistiques. Ils ont pu montrer que les matériaux étaient souvent choisis pour des raisons symboliques et comment l’utilisation conjointe de plusieurs matériaux avait un effet dynamique significatif. Gerhard Wolf et Klaus Krueger se sont penchés sur le voile comme matrice et comme métaphore5 ; les différentes techniques de travail des matériaux – par exemple la fonte et la reconstitution des métaux ou le cisellement du bois pour les crucifix – sont comprises comme ayant leur résonance particulière sur l’objet. Les chercheurs prêtent maintenant une attention particulière à la façon dont les sujets représentés ont une réelle incidence sur la compréhension des textes sur lesquels ils sont fondés, et notamment à la manière dont les images sont à l’origine du regard porté sur les inscriptions et inversement. Un certain nombre de byzantinistes ont classé les épithètes désignant les types et origines des icônes et Robert Favreau a pu montrer que les textes figurant sur un autel à Sens évoquent les débats judéo- chrétiens, éclairant ainsi le sens de l’ensemble des bas-reliefs6. Stefano Riccioni a prouvé que la morphologie des textes véhicule des messages distincts, et il est à l’origine de l’épiconographie, une nouvelle méthode visant à analyser le rôle pictural des textes inscrits dans les œuvres7. La présence matérielle de l’art comme catalyseur dans la création d’espaces sacrés est aussi au centre des préoccupations récentes des chercheurs, comme le montrent les écrits d’Alexei Lodov et d’Éric Palazzo8.

Gerhard Wolf. Les avancées réalisées dans le domaine de l’histoire de l’art médiéval ces cent dernières années furent autant le résultat du débat intense engagé entre les spécialistes de la matière que de leur dialogue tout aussi intense avec leurs homologues des disciplines voisines que sont l’histoire, l’anthropologie historique, la littérature comparée, etc. Il ne faut pas considérer que ces avancées constituent une menace pour l’existence de l’histoire de l’art en tant que telle. Les sciences humaines ont besoin d’une discipline centrée sur l’histoire des cultures dans leur dimension visuelle. Nul ne doute que le XXe siècle n’ait été le témoin d’inflexions majeures au sein même de l’histoire de l’art. La recherche iconographique, qui fut une réaction à une approche purement formaliste ou stylistique, a certainement ouvert de vastes perspectives dans le domaine de la signification de l’art médiéval et postmédiéval. En dehors des instruments utiles qu’elle donne pour l’identification des saints et autres

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sujets narratifs, l’iconographie en soi n’est pas un champ d’exploration autonome, mais un moyen sur le chemin de la compréhension des images et objets médiévaux. La question iconographique masque la façon dont les images ou les artistes construisent, véhiculent, communiquent voire « voilent » le sens. Le danger de l’iconographie, si on la considère comme une méthode, consiste à traduire les images en textes, ou plus précisément à rechercher un texte qui serait « avant » l’image, puis qui serait alors redécouvert ou reconstruit en un texte « après » l’image, faisant perdre leur importance aux images. La recherche de programmes iconographiques est le meilleur exemple de cette faillite de l’iconographie. Considérer qu’un programme écrit donne leur sens réel aux images est un défaut logocentrique : l’interprétation d’un ensemble d’images devrait s’axer sur la représentation même, l’organisation spatiale, la façon qu’ont les artistes de présenter leur argumentation picturale, ou de créer une séquence complexe ou un ordre d’images, lesquelles n’ont parfois même pas de « programme » dans le sens iconographique du terme. La question suivante concerne l’« histoire des images », ou Bildgeschichte. Cette tendance des quinze ou vingt dernières années (même s’il est possible de remonter à Aby Warburg et à ses prédécesseurs) affirme comprendre l’altérité des images (la différence iconique). Cette préférence pour l’iconique et le pictural ne se contente pas d’être un mouvement formé au sein de la discipline de l’histoire de l’art, mais relève d’une tendance générale à mettre le visuel au cœur des disciplines historiques. Les historiens et historiens de l’art ont énormément progressé dans le domaine de la vie des images au Moyen Âge et, pour certains, le renouvellement de l’étude des images passe impérativement par l’abandon de la notion traditionnelle d’art. Pour autant, je ne vois pas la nécessité d’une nouvelle discipline, mais plutôt celle d’un changement d’orientations au sein même du champ de l’histoire de l’art. Je ne pense pas que l’histoire de l’art doive définir les notions d’« art » et d’« histoire » pour pouvoir fonctionner. Mais il me semble que la notion féconde d’« image » pose des questions d’un ordre nouveau. Nous sommes donc confrontés à deux possibilités, soit historiciser de façon radicale la notion d’art en tant que système apparu au début des Temps modernes en Europe et en limiter ainsi l’application à la période postmédiévale, soit utiliser le terme « art » (tout en étant conscient de son historicité) pour définir la dimension esthétique de toute création humaine9. En substituant à l’histoire de l’art médiéval une notion d’histoire des images (Bildgeschichte) médiévale, nous avons certes une notion universelle de l’image (Bild) avec des connotations chrétiennes et/ou idéalistes potentiellement fortes, mais, ce faisant, nous risquons de nier leur dimension artistique, une perspective peu prometteuse. Cela laisse peu de latitude pour parler d’architecture et d’ornementation, ou d’objets artisanaux, qui mériteraient qu’on leur consacre plus d’attention. Je crois que l’histoire de l’art – notamment pour la période médiévale – peine à passer outre la distinction préétablie entre art et artisanat. Elle devrait plutôt s’intéresser à la dynamique des valeurs esthétiques et à leur corrélation avec la constitution de savoir et de sens, ou avec l’accès à l’invisible ou au divin offert par les images ou les objets. Une des questions les plus brûlantes auxquelles l’histoire de l’art médiéval est confrontée à notre époque concerne la dynamique des échanges interculturels entre l’Orient et l’Occident, la corrélation entre les arts d’Orient et d’Occident chrétien, islamique et juif, et leurs cultures visuelles. J’utilise ce terme de culture visuelle pour

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couvrir la totalité de la production visuelle, mais je pense aussi que l’histoire de l’art englobe tout cela. Les visual studies ne sont pas une alternative à l’histoire de l’art et nous n’avons pas besoin d’une nouvelle discipline qui s’appelle « Bildgeschichte » pour la remplacer. Cela ne signifie bien évidemment pas que les compétences et les objectifs de l’histoire de l’art l’empêchent de participer au débat interdisciplinaire actuel sur « l’image » au Moyen Âge, comme elle le fait activement depuis de nombreuses années déjà.

Anne-Orange Poilpré. Ces évolutions méthodologiques et historiographiques ont fait apparaître des notions telles que « le regard », « le visuel », ou le caractère « performatif » des images. Ces nouvelles approches, cherchant une plus grande proximité avec les catégories des acteurs, parviennent-elles vraiment à prendre en compte l’ensemble des paramètres permettant d’interpréter une image ? Ne négligent-elles pas des approches plus classiques comme l’étude du style et du langage des formes ? Jean-Michel Spieser. Cette question n’est, d’une certaine façon, que le prolongement de la précédente. L’acteur de l’image, au sens le plus large du mot, englobant aussi bien celui à qui elle est destinée – commanditaire ou acheteur d’une œuvre exceptionnelle ou d’une production plus modeste – celui qui la manipule, qui lui parle, qui l’expose, devient d’une certaine façon aussi important que l’œuvre elle- même. Pour prendre un exemple extrême, si des historiens de l’art byzantin s’intéressent au mandylion, son image imprimée sur un linge que le Christ aurait fait parvenir à Abgar, roi d’Edesse, ce n’est en aucun cas pour une quelconque valeur « artistique » de l’image, guère lisible, qui a été portée en grande pompe à Constantinople après la reconquête d’Edesse au Xe siècle, ni même pour l’intérêt esthétique des innombrables reproductions qu’on en trouve dans les églises byzantines, mais bien pour les enjeux liés à la possession de la relique et à la manière dont elle prenait place dans le discours byzantin sur l’image. Cet exemple est extrême parce que, dans ce cas, le discours sur l’image est plus important que l’image elle- même. L’historien de l’art, par cette approche, ne fait que reprendre l’attitude du fidèle du Xe siècle à qui la forme échappait quasi complètement. Un exemple plus récent montre une autre image inconnue, qui échappe au regard, donc privée de forme, et dont pourtant le fidèle attend des miracles. Je pense à l’icône, fameuse à Chypre, de la Vierge du monastère de Kykko, la Théotokos Kykotissa, cachée sans doute depuis le XVIe siècle derrière un revêtement en argent et dont le dévoilement causerait le malheur du monastère sinon de toute l’île. Est-ce que cette approche, qui donne toute son importance à l’acteur, néglige celles plus classiques ? Rappelons que les approches classiques ne se limitent pas à l’étude du style et du langage des formes. Les historiens de l’art les plus traditionnalistes connaissent l’intérêt de l’étude des sources documentaires, archives, chroniques et bien d’autres, qui sont tout autant fondamentales pour ces images un peu particulières auxquelles je fais référence ici. Sans qu’il y ait besoin de citer des exemples, il y a certainement eu, dans des travaux faisant la part belle à ces nouvelles approches, une tentation de négliger les aspects matériels et les aspects stylistiques. Mais il est d’autres œuvres d’historiens de l’art qui montrent combien ces nouvelles approches permettent d’enrichir celles plus traditionnelles sans les renier pour autant. Je prendrai deux exemples, d’abord les travaux d’Anthony Cutler sur les ivoires byzantins du Xe siècle,

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en particulier son livre The Hand of the Master10, où une réflexion sur la matérialité des objets, sur les conditions très concrètes de leur production, liées à la difficulté du travail et de l’acquisition du savoir-faire nécessaire, ainsi qu’à la rareté de l’ivoire, permet de donner une vision plus complète de ces objets que la lecture purement ou essentiellement stylistique qui en avait été faite quelques décennies plus tôt. Un autre historien de l’art, Henry Maguire, en particulier dans son livre, The Icons of their Bodies. Saints and Their Images in Byzantium11, s’est explicitement saisi de cette question et a montré, dans l’art byzantin, une utilisation très consciente du style par les peintres. Le style utilisé par le peintre ne dépend pas seulement d’une évolution chronologique, qu’il ne s’agit certes pas de nier, mais est lié à l’utilisation de l’image et à ce qu’il convient de dire sur le personnage représenté. Les nouvelles approches évoquées dans la question posée, loin de disqualifier les méthodes dites traditionnelles, les enrichissent et sont enrichies par elles.

Gerhard Wolf. Il ne faut pas opposer les catégories mentionnées dans cette question les unes aux autres. Les images et les objets sont au cœur de l’histoire de l’art et l’analyse formelle est une approche indispensable à leur compréhension, même si elle n’est pas sans défauts. La classique étude du style est une procédure hautement abstraite, qui revient parfois à une méthode consistant à « faire disparaître » l’image. Elle néglige souvent l’état physique de l’objet artistique, ne tient pas compte de sa matérialité ou de ses aspects techniques, et s’est construite sur la base de photographies en noir et blanc, qui ignorent traditionnellement la couleur. Il n’en reste pas moins que les méthodes d’analyse des formes développées par Aloïs Riegl et Heinrich Wölfflin restent des points de référence importants pour la recherche en histoire de l’art. Cependant, dans de nombreuses approches contemporaines, par le biais de l’analyse du style, la notion même de « style » reste floue et englobe des structures morphologiques, des formules iconiques, des topoï visuels, le « ductus » de la main de l’artiste, etc. En outre, certaines images médiévales occidentales et orientales ont été récupérées par des réflexions qui témoignent d’une attention réduite à leur égard, ou sont devenues des exemples, de simples illustrations, dans des études qui concernent plus les rituels ou les structures sociales. On constate ainsi le franchissement de la limite avec d’autres disciplines, ce qui ne pose pas de problème pour peu qu’on en ait conscience. Le problème est que l’histoire de l’art n’a pas une méthodologie fixée et ne propose même pas de questions fondamentales préétablies : c’est une discipline en continuelle reformulation de ses objectifs, voire, en partie de ses méthodes. Toutefois, on peut facilement s’accorder sur le fait que la question essentielle concernant « le regard », « le visuel » et le caractère performatif des images consiste à définir le rôle et le statut des formes plastiques ainsi que la matérialité des objets par rapport à ces aspects et aux réactions qu’elles suscitent. En bref, il nous faut procéder par méthode intégrée, et l’analyse formelle (incluant avec discernement la notion de style) doit aller de pair avec l’examen de l’état de conservation et de la technique de l’objet. L’étude de son pouvoir performatif est plus fascinante si elle comporte les dimensions formelle et matérielle des images et des objets, et elle exige bien évidemment la lecture des textes (qui sont moins souvent des sources que des « monuments » en soi), l’étude des rituels, celle des sites, etc. Certains travaux excellents procèdent ainsi, mais on sent bien qu’ils présentent un écueil fondamental : le discours de l’histoire de l’art y est souvent tourné vers les questions de création et se construit autour d’une série de moments clés de la production des images, oubliant ce faisant de se préoccuper de leur réception et des

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réactions qu’elles suscitent ou non. En outre, les sources littéraires en histoire de l’art sont trop souvent exploitées pour l’histoire des origines et de la création des œuvres. Il est donc nécessaire de les croiser avec l’étude de copies, d’estampes et d’autres types de matériel visuel lié aux images saintes. Pour avoir un exemple de la manière de naviguer parmi ces difficultés, on peut analyser Image et culte, le célèbre livre de Hans Belting12. Il me paraît important d’approfondir notre connaissance de la vie des œuvres après leur création, en utilisant la diversité des sources.

Herbert Kessler. L’étude du style persiste comme méthode de datation et d’attribution, malgré les réserves qu’on peut avoir quant à son utilité dans un contexte généralement peu documenté et favorisant la production anonyme et la copie. À l’instar des autres sens, la vue était suspecte pour le Moyen Âge chrétien ; en tant que fonction charnelle, elle était destinée à générer une vision mentale ou spirituelle censée être un don de Dieu, mais était, dans la réalité, imprégnée de théories cognitives. Les recherches réalisées sur les structures de la vision ont mis en relief les conditions de réception de l’art médiéval, surtout durant la transition entre sa conception en tant qu’extromission, héritée de l’antiquité classique, et comme intromission, influencée de sources arabes, à partir de la fin du XIIIe siècle.

Les travaux de Mary Carruthers dans le domaine des structures mnémotechniques portèrent l’attention sur les mécanismes de mémoire et de rhétorique ; les recherches de Georges Didi-Huberman et de Jeffrey Hamburger se sont concentrées sur la fonction de l’art comme tremplin pour la contemplation de l’invisible13. L’analyse formelle en tant que telle a laissé la place à une réflexion sur les divers paramètres des modes d’appréhension des objets hétérogènes et leur incidence sur les sens autres que celui de la vue, comme le montrent les subtiles études phénoménologiques de Bissera Pentcheva14.

Anne-Orange Poilpré. Enchâssée dans une pensée religieuse, ecclésiologique, sociale, pour aménager des médiations visuelles avec le divin et l’invisible, l’image chrétienne médiévale n’a-t- elle de sens que comme un objet sémantique bien articulé ? Le langage propre aux images dépasse-t-il les catégories d’analyse du sens, notamment en leur capacité à émouvoir ? Herbert Kessler. Le travail de Hans Belting, en particulier, a rappelé aux médiévistes que les images matérielles étaient censées être des présences réelles, et si, dans Le pouvoir des images15, David Freedberg porte moins son attention sur les images médiévales que sur d’autres objets d’étude, il souligne également la capacité qu’a l’art de susciter une réponse émotionnelle chez le spectateur. L’affirmation de la supériorité de la vue par rapport à l’ouïe (c’est-à-dire à la lecture) pour créer l’émotion fait partie de l’argumentaire en faveur de l’art depuis des époques très anciennes. L’empathie était un point particulièrement important lorsqu’il s’agissait d’encourager les représentations du Christ mort, comme le montre l’exemple du synode d’Arras en 1025, lorsque Gérard de Cambrai défendit les crucifixions parce que « l’âme a l’intérieur de l’homme est réveillée par cette image visible qui inscrit dans les fibres du cœur la Passion du Christ et la mort qu’Il a

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affrontée pour nous si bien que chacun peut reconnaître en soi-même combien il doit à son Rédempteur »16. Le décryptage d’une imagerie complexe et la lecture de codes visuels impliquant le « regard de l’esprit » n’étaient pas, pour autant, considérés comme antithétiques à l’apparition d’un sentiment intense. Bien au contraire : la lecture du sens d’une image matérielle et la place faite au décryptage destiné à élever l’esprit étaient envisagées comme les étapes précédant la transcendance émotionnelle. Comme Giordano da Pisa le prêchait au début du XIVe siècle, le pouvoir qu’a l’art d’émouvoir était compris comme un moyen de comprendre Dieu17.

Jean-Michel Spieser. Pour dire les choses autrement, on se demande ici comment une image fonctionne et quel rôle joue l’émotion dans le fonctionnement de l’image, c’est-à-dire dans la réponse donnée par celui qui, pour une raison ou une autre – et il n’est certainement pas indifférent de déterminer celle-ci – est confronté à une image. Il faut peut-être se rendre compte que la dichotomie ainsi suggérée entre sens et émotion n’est pas sans rapport avec une autre dichotomie, plus ou moins consciemment assumée, entre artiste et public, sinon entre commanditaire, appartenant à une élite cultivée, et spectateur « populaire ». La revendication de l’autonomie de l’artiste ne s’est que peu à peu imposée dans le monde de l’Europe moderne pour déboucher sur le mythe ou le thème, comme on voudra, de l’artiste incompris, de l’artiste maudit. Avant « l’époque de l’art », pour reprendre l’expression de Belting, l’artiste, le créateur, le fabricant – suivant la dignité qu’on veut donner à ce personnage ou la nuance que l’on souhaite mettre en valeur – était immergé dans une société dont il connaissait les attentes le plus souvent parce qu’elles étaient aussi les siennes. Il sait, parce que c’est une donnée dans la structure sociale à laquelle il appartient, quelle médiation avec quel divin lui est rendue possible par quelles images. En d’autres termes, une icône ne permet pas la médiation avec le divin par ses caractéristiques intrinsèques, mais parce que le lien entre des caractéristiques qui se sont développées dans une histoire – dont certains aspects sont toujours en débat – et une certaine conception du divin – qui a aussi une histoire – a été construit de manière à affirmer cette médiation. C’est encore dire que le fonctionnement d’une image est socialement construit, dans le sens où l’entendent Peter Berger et Thomas Luckmann dans La construction sociale de la réalité18. C’est ce qui explique la réaction effarée des moines du Mont Athos présents au concile de Florence devant des images de saints qu’ils ne reconnaissaient pas. Dans cette perspective, le sens de l’image ne peut qu’être articulé sur le savoir du milieu social dans lequel elle a été créée. On peut utiliser, en les transposant un peu, les concepts d’extension et d’intention utilisés par Jacques Schlanger dans Une théorie du savoir19 pour rappeler que toute l’extension du sens voulue et mise en place par le commanditaire – et qu’il appartient à l’historien de l’art de restituer – ne fait pas nécessairement partie de l’intention de celui qui la regarde, dont le savoir est plus limité et qui applique ce seul savoir à ce qu’il voit. Ce que j’appelle ici « savoir plus limité » n’est pas un détail d’un savoir plus vaste, mais une visée plus générale. Le fidèle qui entre dans une église byzantine n’a pas besoin d’être attentif à l’éventuelle cohérence du programme, ni à en comprendre tous les détails : quelques points forts lui suffisent pour savoir que les peintures qui l’entourent sont le marqueur d’un lieu rendu sacré par la présence divine. L’image médiévale est bien le résultat d’un processus lié à la tradition picturale et à la transmission d’un savoir-faire – qui eux-

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mêmes sont articulés sur le social – avant de se confronter à une pensée écrite qui fonctionne en particulier dans les registres théologique et ecclésiologique. Ce processus s’observe dans le développement du premier art chrétien, où la très forte tradition picturale s’est trouvée confrontée à un nouveau corpus de textes et d’idées. Ce corpus a fourni un support nouveau à cette tradition, qui a, de son côté, imposé des habitudes et des images qui se sont par la suite transformées. On ne souligne pas assez que ce phénomène, qui semble aller de soi à un monde occidental qui n’a jamais renoncé à l’image, a été rendu possible parce que, dans le monde gréco-romain, l’utilisation de l’image était une composante sociale suffisamment forte pour que sa continuité puisse s’imposer. Je n’ai pas encore parlé de l’émotion. Déjà Grégoire de Nysse pleurait devant des représentations du sacrifice d’Abraham. Il est inutile de revenir ici sur ce qui est quand même devenu un lieu commun sur le pouvoir des images, développé dans le livre bien connu de Freedberg déjà évoqué ci-dessus. Il me paraît plus important de s’interroger sur les moyens stylistiques qui permettent cette émotion. La conclusion vraisemblable à laquelle on devrait aboutir est que ceux-ci également sont socialement construits, c’est-à-dire qu’ils sont connus, transmis, institutionnalisés en quelque sorte par la tradition picturale, par la transmission du métier. La transmission sans préalable d’une image dans un autre milieu que le sien, situation qui se produit de manière beaucoup plus brutale et plus radicale dans le monde contemporain que dans le monde médiéval, pose d’intéressants problèmes, dont les enjeux ne sont pas à négliger.

Gerhard Wolf. La question est très complexe et on ne peut lui trouver une réponse qui soit universellement valable pour la période médiévale : la situation n’est pas la même en Orient et en Occident ; elle varie dans l’un comme dans l’autre, tout comme dans les zones intermédiaires (encore imparfaitement appréhendées). Et puis, il y a différentes catégories d’images religieuses. Les icônes médiévales du Mont Sinaï, avec leur potentiel introspectif sont différentes des icônes de la Vierge à Rome ou à Constantinople, avec leurs revêtements métalliques et leurs mains dorées. Une icône peut être un champ d’échange entre le divin et les fidèles ; elle peut créer son propre espace, un processus qu’on ne peut comparer avec la dynamique de la sémantique textuelle. Elle peut émouvoir celui qui la regarde (ce qu’un texte peut également faire, quoique différemment), ce à quoi peut contribuer de façon significative sa dimension formelle, elle peut réaliser des miracles, etc. Les images peuvent également mettre en avant des arguments théologiques, montrer le mystère de la Trinité, la conception de la Vierge ou l’Eucharistie. Elles peuvent être polémiques par rapport aux « autres », se « défendre » ou incorporer une dimension théorique. Si nous réfléchissons à l’extrême richesse et à la variété des images religieuses dans la chrétienté, qu’elle soit orientale ou occidentale, nous comprenons qu’il nous faut définir nos approches en fonction de la multiplicité des méthodes de l’histoire de l’art de façon inductive et en résonance avec d’autres champs d’étude comme, par exemple, l’anthropologie historique. S’il est exact qu’après des années de recherche orientée vers les références textuelles, les chercheurs sont attirés par le champ de la différence iconique ou de la soi-disant pure visibilité, il n’en reste pas moins que notre discipline consiste à écrire l’histoire de l’art (ou, mieux, à combiner mots et reproductions d’objets), ce qui signifie que nous sommes toujours en train de franchir (si possible de façon créative) les frontières entre les images et les mots.

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NOTES

1. Hans Belting, Image et culte : une histoire de l’image avant l’époque de l’art, Paris, 1998 [éd. orig. : Bild und Kult: eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter der Kunst, Munich, 1990]. 2. Belting, (1990) 1998, cité n. 1. 3. Fabienne Joubert et al., « L’artiste au Moyen Âge », dans Perspective. La revue de l’INHA, 2008-1, p. 90-110. 4. Thomas Raff, Die Sprache der Materialen, Munich, 1994. 5. Gerhard Wolf, Schleier und Spiegel. Traditionen des Christusbildes und die Bildkozepte der Renaissance, Munich 2002 ; Klaus Krueger, Das Bild als Schleier des Unsichtbaren. Ästhetische Illusion in der Kunst der frühen Neuzeit in Italien, Munich, 2001. 6. Robert Favreau, « La ‘Table d’or’ de la cathédrale de Sens », dans Bulletin de la Société des Fouilles Archéologiques et des Monuments Historiques de l’Yonne, 18, 2001, p. 1-12, et « Controverses judéo- chrétiennes et iconographie. L’apport des inscriptions », dans Comptes rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 2001, p. 1269-1303. 7. Voir, par exemple, Stefano Riccioni, Il mosaico di S. Clemente a Roma. « Exemplum » della Chiesa riformata, Spolète, 2006. 8. Alexei Lidov, Hierotopy. Creation of Sacred Spaces in Byzantium and Russia, Moscou, 2006, et New Jerusalems. The Translation of Sacred Spaces in Christian Culture, Moscou, 2006 ; Éric Palazzo, L’espace rituel et le sacré dans le christianisme. La liturgie de l’autel portatif dans l’Antiquité et au Moyen Âge, Turnhout, 2008. 9. George Kubler, Formes du temps : remarques sur l’histoire des choses, Paris, 1973 [éd. orig. : The Shape of Time. Remarks on the History of Things, New Haven, 1962] reste une importante source d’inspiration. 10. Anthony Cutler, The Hand of the Master, Princeton, 1994. 11. Henry Maquire, The Icons of their Bodies. Saints and Their Images in Byzantium, Princeton, 1996. 12. Belting, (1990) 1998, cité n. 1. 13. Mary Carruthers, Le livre de la mémoire : une étude de la mémoire dans la culture médiévale, Paris, 2002 [éd. orig. : The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, 1990], et Machina memorialis. Méditation, rhétorique et fabrication des image au Moyen Âge, Paris, 2002 [éd. orig. : The Craft of Thought: Meditation, Rhetoric, and the Making of Images, 400-1200, Cambridge, 2000] ; Georges Didi-Huberman, Fra Angelico : Dissemblance et figuration, Paris, 1995 ; Jeffrey Hamburger, The visual and the visionary: art and female spirituality in late medieval Germany, Cambridge (MA), 1998. 14. Bissera Pentcheva, « The Performative Icon », dans Art Bulletin, 88, 2006, p. 631-655, et Sensual Splendor: The Icon in Byzantiume. A History of the Relief Icon before the Era of Painting, sous presse. 15. David Freedberg, Le Pouvoir des images, Paris, 1998 [éd. orig. : The Power of Images: Studies in the History and Theory of Response, Chicago, 1989]. 16. Voir Brian Sock, The Implications of Literacy. Written Language and Models of Interpretation in the 11th and 12th Centuries, Princeton, 1983. 17. Gianfranco Contini, Letteratura italiana delle origini, Milan, 1996, p. 527-530. 18. Peter Berger, Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris, 1986 [éd. orig. : The Social Construction of Reality, Garden City (NY), 1966]. 19. Jacques Schlanger, Une théorie du savoir, Paris, 1978.

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INDEX

Keywords : iconography, exegesis, image, religion, Christian art, semiotics, interpicturality, veil, epiconography, Bildgeschichte, visual studies, performance, ductus, artisanship, empathy Mots-clés : iconographie, exégèse, image, culte, art chrétien, sémiotique, interpicturalité, épiconographie, Bildgeschichte, visual studies, performance, ductus, artisanat, empathie Index géographique : Constantinople, Chypre, Florence, Rome, Mont Sinaï Index chronologique : 900, 1300, 1500, 1900

AUTEURS

HERBERT KESSLER

Professeur à Johns Hopkins University, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur l’image au Moyen Âge, dont le plus récent, Neither God nor Man. Words, Images and the Medieval Anxiety about Art, Fribourg-en-Brisgau, 2007. Il est actuellement président de la Medieval Academy of America.

JEAN-MICHEL SPIESER Spécialiste d’archéologie et d’art paléochrétiens et byzantins, il est professeur à l’Université de Fribourg (Suisse). Il a participé aux travaux de l’Institut archéologique allemand d’Istanbul sur la fouille de Pergame et co-dirigé la fouille franco-yougoslave de Caricin Grad ; il est notamment co- auteur, avec Anthony Cutler, de Byzance Médiévale, 700-1204, (Univers des Formes), Paris, 1996.

GERHARD WOLF Directeur du Kunsthistorisches Institut de Florence – Max-Planck Institute et professeur honoraire à la Humboldt-Universität de Berlin, il consacre ses recherches aux relations entre image, religion, science et art, du Moyen Âge au début de l’époque moderne, et de l’Europe au Mexique.

ANNE-ORANGE POILPRÉ Elle est maître de conférences en histoire de l’art médiéval à l’Université Nancy 2 et enseigne à l’École du Louvre. Ses recherches portent sur l’iconographie christologique de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, ainsi que sur la place de l’image dans l’espace ecclésial, les livres religieux et les objets cultuels. Elle a publié Maiestas Domini. Une image de l’Église en Occident (Ve-IXe siècle), Paris, 2005.

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Art et architecture islamiques : des catégories fluctuantes Islamic art and architecture: variable categories

Heghnar Watenpaugh

1 Dans « The Map of Art History »1, Robert Nelson a montré combien les classifications utilisées en histoire de l’art sont intimement liées à la propre et complexe historiographie de la discipline, et à ses modes de production de connaissances. La nature intrinsèquement contingente et quelque peu arbitraire de la majorité des catégories utilisées – certaines divisions reposent sur le style, comme dans le « gothique », d’autres sur la technique, comme dans « l’histoire de la photographie », ou sur des considérations religieuses, comme dans « le premier âge de la chrétienté », « Byzance », ou « l’islam »… – résulte en grande partie des concepts et des hiérarchies générées par le milieu universitaire occidental. L’art islamique, conçu comme partie de l’histoire générale de l’art ou comme champ d’étude particulier, fournit un exemple notable de ce phénomène. S’il existe de nombreux travaux sur la définition, l’historiographie et l’état actuel des connaissances sur l’art islamique2, on s’est moins interrogé sur les présupposés qui sous-tendent cette catégorie et les implications de son usage en histoire de l’art.

2 Dans la carte de l’histoire de l’art traditionnelle, l’art et l’architecture islamiques sont compris entre 622 après J.-C. – l’an I du calendrier musulman – et le XVIIe siècle (moment où commence le prétendu déclin de l’art islamique), alors que la religion islamique continue d’être pratiquée. Comme d’autres catégories artistiques telles que l’art romain ou l’art italien de la Renaissance, l’art islamique est représenté, dans le panorama général de l’histoire de l’art, par des chefs-d’œuvre et son récit se fonde sur l’évolution des formes à travers le temps. De manière significative, la volonté de lui trouver une place dans ce panorama a pour effet d’en faire une catégorie à part, reconnaissable visuellement comme distincte et cohérente. Ces dernières années, un intérêt renouvelé pour l’art islamique a suscité la publication de synthèses sur ce sujet, intégrées à de plus larges collections de manuels, dans lesquels la catégorie « islamique » se voit accorder une place au même titre que les autres3. Les idées

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répandues sur l’art islamique y sont nuancées et certains remettent en cause le XVIIe siècle comme limite chronologique. Toutefois, ces synthèses tendent à exclure l’art islamique du déroulement de la « véritable » histoire de l’art. On doit y voir un modèle commun qui tend à marginaliser l’histoire des territoires non-occidentaux, placés en dehors de la séquence téléologique, complète, linéaire, chronologique et rationnelle de l’histoire de l’art dominante. Ainsi, dans le célèbre « arbre de l’architecture » de Banister Fletcher4 (schéma reproduit dans un manuel diffusé depuis le XIXe siècle), les traditions non-occidentales – dont le style « sarrasin » (l’équivalent d’« islamique ») – appelées « styles anhistoriques », occupent des branches terminales, tandis que le tronc et les branches en pleine croissance sont réservés aux styles occidentaux ou « historiques », lesquels conduisent inévitablement à l’époque contemporaine en Occident. On admet donc que l’art islamique est un champ à part entière, sans être pour autant égal à l’art occidental. Bien sûr, la discipline a connu des évolutions depuis que l’« arbre de l’architecture » a fait sa première apparition, mais la catégorie « art et architecture islamique » persiste et suscite même des études toujours plus nombreuses et variées.

3 Dans un système de classification, toute catégorie est reliée aux autres. Parmi les spécialités en histoire de l’art, l’art islamique s’apparente aux catégories religieuses dénommées, « paléochrétienne » ou « byzantine », mais il recouvre des étendues spatiales et temporelles bien plus importantes. À la différence de ces dernières, l’art islamique a eu tendance à se développer géographiquement, avec l’extension de la religion islamique à un grand nombre de pays (l’Indonésie et l’Asie centrale, longtemps considérées comme des « périphéries », de même que la diaspora musulmane en Europe et en Amérique), et ses limites temporelles vont désormais jusqu’à l’époque actuelle, alors que de nouveaux médias entrent en considération (photographie, cinéma, architecture vernaculaire). L’art et l’architecture islamiques constituent désormais un domaine d’étude qui risque fort de devenir une carte de Borges, si vaste et difficile à manier qu’il semble ne former plus qu’un avec le territoire qu’il est supposé représenter. Comment un spécialiste seul peut-il être à son aise dans un corpus si vaste et si divers ? C’est bien sûr impossible ! Dans la pratique, la plupart des chercheurs concentrent leurs travaux sur une question spécifique (je travaille, par exemple, sur l’urbanisme ottoman, notamment en Syrie), même s’ils sont capables d’enseigner des cours généraux sur les « canons » de l’art et de l’architecture islamiques. Surtout, alors que le champ d’application de la catégorie « islamique » ne cesse de croître, l’état des connaissances sur l’architecture islamique est en réalité très inégal. Certaines époques, certains lieux (par exemple, l’architecture ottomane d’Istanbul, ou l’architecture omeyyade) sont relativement bien connus mais souffrent encore de lacunes flagrantes. Pendant des décennies, les spécialistes occidentaux savaient très peu de choses sur l’architecture islamique de l’Afghanistan ou des pays de l’Asie centrale alors rattachés à l’Union soviétique. En outre, l’état des connaissances sur l’architecture islamique n’est pas proportionnel à la réalité démographique : le plus peuplé des états musulmans, l’Indonésie est également celui dont nous savons le moins sur la production artistique. Même là où il y a une activité architecturale qui se définit explicitement comme islamique (citons, par exemple, la construction de mosquées contemporaines dans le golfe Persique), la connaissance de son histoire locale reste minime : c’est le cas en Malaisie, aux États-Unis et dans le Golfe Persique. En d’autres termes, histoire et pratiques de l’architecture islamique sont déconnectées l’une de l’autre. Ce fait est – en

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partie – imputable aux origines de ce domaine d’étude et à l’attention concentrée initialement sur les « terres islamiques centrales ». Mais cela n’explique pas tout.

4 D’où vient ce terme « islamique » dans le contexte de l’histoire de l’art ? En raison, d’une part, de l’émergence de l’histoire de l’art comme mode distinct de connaissance et, d’autre part, de l’essor de l’Occident, avec le développement du colonialisme, de la modernité, et de l’affirmation fondamentale du droit de l’Occident à connaître et représenter le présent et l’histoire des autres sociétés5. Avant que le terme « islamique » ne fût tombé dans l’usage courant, des catégories vaguement « ethniques » prédominaient dans les débats sur ce même corpus, en particulier dans les travaux rédigés en français. Puisque ceux-ci eurent tendance, au XIXe siècle, à lier production visuelle et identité ethnique, l’architecture égyptienne postérieure à la conquête musulmane – domaine dans lequel la science française était à la pointe – fut définie comme « arabe ». Cette catégorie fut délimitée par ce qu’elle n’était pas, à savoir « l’art persan » ou « l’art turc », deux locutions couramment employées dans l’historiographie française vers la même époque. Toutefois, il ne s’agit pas de dire que ce discours portait un regard laïque sur « l’art arabe ». Au contraire, il confia à l’Islam, au côté du climat et de la race, un rôle essentiel et déterminant dans cette tradition visuelle. Prisse d’Avennes décrit la culture visuelle du Caire comme étant « engendrée par le Coran »6 et pour Viollet-le-Duc : « on s’accorde à donner le nom d’‘art arabe’ à l’art qui s’est répandu dans ces pays dans les milieux de races diverses, à travers les conquêtes de l’Islam, de l’Asie à l’Espagne… »7. Cette définition volontaire et arbitraire impose un nom ethnique unique à un éventail de productions visuelles qui sont le fruit de groupes sociaux disparates unifiés par la seule religion et par quelques similitudes formelles.

5 L’emploi de l’adjectif « islamique » pour se référer à l’art et à l’architecture se répandit dans les usages à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Il fut d’abord introduit par les auteurs anglophones, qui employèrent une catégorie d’inflexion britannique et d’essence religieuse, « Mahométan », et plus tard, vers l’époque de la Première Guerre mondiale, « islamique ». Cette terminologie, qui s’est forgée dans le contexte de l’Inde, où les Britanniques utilisaient des termes religieux pour désigner les catégories architecturales, est ainsi intimement liée à l’élaboration des frontières coloniales8. Les origines mêmes du terme reflètent son implication dans les rapports de pouvoir entre la science occidentale (non exclusivement pratiquée par les acteurs occidentaux) et son objet d’étude. Il n’est dès lors pas très étonnant que les régions les mieux étudiées soient celles qui ont subi avec la plus grande intensité le colonialisme ou les incursions occidentales, en premier lieu l’Égypte, dès l’expédition napoléonienne de 1798. L’Iran fait ici figure d’exception : jamais colonisé, ce pays fut néanmoins impliqué dans les intrigues politiques internationales, et son art, en particulier la peinture persane, constitue une branche centrale et très prestigieuse de l’art islamique. À l’aube du XXe siècle, la catégorie « art islamique » et les caractéristiques visuelles jugées les plus typiques – l’ornement, l’arabesque – furent au cœur de la façon dont les plus éminents fondateurs de l’histoire de l’art théorisèrent la discipline. Alois Riegl s’intéressa à ce qu’il crut être la position médiatrice de l’art islamique envers d’autres catégories de la culture visuelle, à la fois dans le temps et dans l’espace9.

6 Une fois popularisée, la dénomination « islamique » perdura, en dépit du fait que presque chaque étude qui traite de ce sujet en démontre la nature pesante et inefficiente. Considérons à présent la sémiotique de ce mot. Cette catégorie est en

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apparence religieuse, mais cela ne signifie en aucun cas qu’elle se rapporte seulement à l’art et à l’architecture de nature manifestement et exclusivement religieuse. Le grand historien Marshall Hodgson créa le néologisme « Islamicate » [« islamant »] pour signifier que, dans ce contexte, le mot « islamique » ne se réfère pas exclusivement à une relation à l’islam, mais plutôt, et dans les grandes lignes, à la culture de toute société où l’islam fut la religion dominante – mais pas exclusive. Dans l’entre-deux- guerres, et plus particulièrement depuis la Seconde Guerre mondiale, quand l’étude de l’art islamique fut établie aux États-Unis comme une composante clé du cursus en l’histoire de l’art, le marqueur « islamique », se mit à fonctionner comme une métaphore de l’univers culturel de sociétés où les musulmans gouvernaient, étaient dominants, ou encore où la loi islamique avait un poids persistant. Cette définition de l’Islam comme culture présentait l’avantage d’unir l’ère très vaste que couvre cette catégorie. Comme certains l’ont noté, le champ disciplinaire de l’histoire de l’art islamique nourrit une relation ambiguë avec la religion de l’islam10. En effet peu d’études dans ce domaine ont cherché à placer au centre la composante religieuse de l’architecture islamique. En pratique, la plupart des spécialistes s’emploient à éviter le trope orientaliste qui tend à attribuer l’origine logique de chaque caractère de la société islamique à l’islam. Cependant, qu’il s’agisse de l’Islam comme culture ou comme religion, la catégorie suggère une entité monolithique et permanente, qui transcende l’espace et le temps11.

7 La notion sécularisée de l’Islam comme culture constitue une catégorie bien plus souple, mais également difficile à définir et à entretenir. « L’‘art islamique’ qu’a-t-il d’‘islamique’ ? » est une question qui se pose souvent, et avec une grande acuité, dans un champ d’étude dont la quête d’identité a été particulièrement difficile. Aucune réponse claire n’émerge. C’est peut-être la raison pour laquelle tant de débats ont porté sur la question des définitions. Citons, à titre d’exemple, celui sur la « ville islamique » – qui dura des décennies et dont les termes ont été répétés, et critiqués par certains12 – dont l’interrogation centrale est de savoir si, et dans quelle mesure, l’islam, comme religion, fut un agent actif dans la détermination de la forme des villes. En voulant répondre à cette question, des spécialistes tels que William Marçais et Jean Sauvaget apportèrent au début du XXe siècle des réponses qui nous semblent aujourd’hui grotesques, anachroniques et réductrices13: la ville islamique n’aurait pas d’ordre urbain primordial ou d’institutions civiques ; le bazar serait le critère de définition de cette ville ; l’islam, comme religion, déterminerait littéralement la forme particulière des villes : à cause de l’islam, les rues tortueuses de la vieille ville seraient complexes, illogiques, difficiles à emprunter, inadaptées à l’usage moderne. Seules quelques études abordent d’une manière plus scientifique et nuancée le processus par lequel des traits spécifiques de la loi islamique se traduisent visuellement en des modèles cohérents. Baber Johansen, par exemple, travaillant sur les textes du XIXe siècle de l’école hanéfite de droit musulman et s’attachant au cas de Damas, a cherché à en extraire la définition juridique de la « ville » et la terminologie employée pour délimiter les frontières de celle-ci14. Le débat sur la cité islamique peut donc être analysé comme le symptôme de deux problèmes : premièrement, il s’agit d’une tentative de réponse au malaise permanent face à la signification de ce champ d’études et, deuxièmement, ce débat illustre la relation délicate de l’Islam comme culture avec l’islam comme religion, accordant le primat à celui-ci, qui donne forme et consistance à celui-là.

8 Il peut être – et a été – défendu que le qualificatif d’art islamique est hautement imparfait. Cette catégorie résiste pourtant. Dans ces circonstances, il est peut-être

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intéressant de déterminer non pas tant l’origine du terme que la manière dont il est demeuré opératoire dans l’histoire de l’art occidentale au cours du XXe siècle, et s’il est toujours compris de la même façon.

9 La catégorie « islamique » a fait preuve d’une troublante capacité à se renouveler, reflétant des préoccupations et des méthodes actuelles. Je dirais que, progressivement, dans de nombreux domaines, l’islam commereligion prit le pas sur l’Islam comme culture dans la compréhension de cette catégorie. Ces dernières années ont vu une tendance à considérer le terme islamique plus littéralement, comme un référent à la communauté transhistorique et universelle des musulmans telle qu’elle est définie par les fidèles, c’est-à-dire l’oumma. Cette perception est distincte du regard porté par l’histoire de l’art sur l’islam comme religion, un point de vue extérieur relevant d’un humanisme laïque. Ce processus d’islamisation de l’art islamique est appliqué par des acteurs qui s’identifient comme musulmans, sans pour autant leur être exclusif.

10 Ces dernières années, de grandes personnalités, qui se définissent elles-mêmes fondamentalement par leur ascendance islamique ou leur rôle dans la communauté islamique (l’oumma) plutôt qu’exclusivement par des désignations ethniques, ont joué un rôle immense dans l’encouragement à la constitution et la présentation d’importantes collections d’art islamique, à l’étude et à la pratique de l’art et de l’architecture islamique dans le cadre de prix internationaux et à la création de musées. Plusieurs musées ambitieux d’art islamique ont en effet été construits ou sont en cours de construction dans le golfe Persique, comme celui de Dar al-Athar al-Islamiyya/al Sabah à Koweit City et le Musée d’Art islamique à Doha, au Qatar, conçu par Ieoh Ming Pei. La collection Khalili à Londres a été rendue accessible par la publication de riches catalogues et par des expositions itinérantes. Fondées sur ce qui a été jugé prestigieux dans l’art islamique par les spécialistes et les collectionneurs depuis la fin du XIXe siècle, ces collections lui donnent en même temps un sens nouveau dans le contexte du marché de l’art actuel. Les œuvres sélectionnées ont en commun de répondre à la catégorie « islamique » – comprise non seulement au sens culturel, mais aussi, et de manière décisive, au sens religieux. Prenons l’exemple du prix Aga Khan pour l’Architecture. Crée en 1979, il est l’une des nombreuses manifestations du soutien, présent et passé, que l’Aga Khan et l’institution charitable qu’il a fondée apportent à l’étude et la pratique de l’architecture dans le monde islamique. L’Aga Khan étant l’imam des musulmans ismaéliens, son identité islamique transcende toutes ses autres facettes, comme il s’en est clairement expliqué à de nombreuses reprises. Pour l’imam, toute architecture islamique est une architecture créée par ou pour les musulmans, située dans un pays musulman ou se rapportant à un domaine culturel ou à une société islamique15. Ainsi, les bâtiments récompensés par le prix sont aussi bien le Terminal Hajj de l’aéroport international du roi Abdul Aziz à Djeddah, en Arabie Saoudite, par Skidmore, Owings et Merrill, que l’Institut du Monde Arabe à Paris par Jean Nouvel, en passant par les tours Petronas à Kuala Lumpur par Cesar Pelli, et la restauration d’un site historique clé comme la mosquée d’al-Aqsa à Jérusalem. Quand la fondation Aga Khan emploie le terme « islamique », on peut dire que l’adjectif revêt son sens spécifique, qui se rapporte à la communauté religieuse. La religion – l’adhésion à l’ oumma – est le dénominateur commun entre ces œuvres architecturales créées dans des zones éloignées. Tout autre caractère de cette architecture – turque, moderne, « soutenable » [sustainable], etc. – paraît dès lors moins pertinent. Pelli pensait-il qu’il était en train de créer de l’« architecture islamique » lorsqu’il conçut les tours

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Petronas ? Quelle que soit la réponse, la catégorie qualifie son œuvre, et se l’est appropriée.

11 Dans un autre domaine, le terme d’art islamique semble, en pratique, renvoyer à la religion plutôt qu’à la culture : dans le contexte nord-américain, le climat social qui a suivi le 11 septembre a conféré au marqueur « musulman » une actualité sans précédent, et une valeur péjorative dans la vie quotidienne. Aux États-Unis, « musulman » devint synonyme de l’Autre qu’il était permis de haïr ouvertement. Cette « interpellation de l’Autre » a mis l’accent sur la nécessité, pour ceux qui la partageaient, de reconquérir leur identité sous un jour plus favorable. Mon expérience en tant que professeur d’art et architecture islamiques dans trois universités américaines (dans le Massachusetts, le Texas et la Californie) m’a montré qu’un pourcentage significatif – je dirais près de 40 % – des étudiants qui s’inscrivent aux cours d’art et architecture islamiques, en particulier en licence, le font explicitement parce qu’ils sentent que de tels cours concernent ce qu’ils perçoivent comme « leur propre héritage » de musulmans (et non spécifiquement d’« Iranien », ou de « Pakistanais »). Un de mes étudiants, né aux États-Unis de parents sud-asiatiques musulmans, me remercia, à la fin d’un cours général sur l’art islamique qui avait laissé de côté le subcontinent indien tout entier, en déclarant que ce cours était important pour lui parce que « c’est mon peuple ! ». Ce qu’il a retenu de son expérience était donc bien différent de ce que j’avais voulu transmettre – à savoir appréhender de manière critique les objets issus de la culture visuelle islamique – et a servi à renforcer son identité musulmane et son sentiment d’appartenance à l’oumma. L’étude de l’art islamique renforce donc dans certains cas une revendication identitaire religieuse, alors même qu’une large part de ce champ d’étude lutte pour se définir en termes laïques.

12 Que le début du XXIe siècle s’annonce comme une ère de retour du religieux sur le terrain qu’il avait perdu au profit d’autres formes de solidarité au cours du XXe siècle est désormais un lieu commun. C’est particulièrement vrai du monde islamique, mais plus encore, je crois, de la diaspora musulmane. Pour les deuxième et troisième générations issues de ces individus originaires du Moyen Orient et de l’Asie du Sud qui émigrèrent massivement en Amérique du Nord, l’islam comme religion semble rester un marqueur clé, en dépit de l’érosion d’autres spécificités culturelles. Il serait intéressant de savoir si une forme semblable d’identification se manifeste en Europe, notamment dans des pays, tels que la France, qui présentent une histoire particulière de l’immigration.

13 Quoi qu’il en soit, les spécialistes et les historiens de l’art doivent sans doute parvenir à un modus vivendi sur cette nouvelle perception de la catégorie « islamique » par les collectionneurs et les « consommateurs » de l’art et de l’architecture islamiques. Quelles sont les dimensions spatiales et temporelles de l’architecture islamique pour ces nouveaux publics ? Comment en voient-ils le canon toujours changeant, toujours en expansion ? Quelques observations s’imposent. En premier lieu, l’islam comme religion, considéré depuis l’intérieur de la foi, est réifié comme une catégorie universelle, transhistorique, permanente, qui devrait peut-être même – selon quelques groupes musulmans tels que les Wahhabites – ne jamais changer. Or, cette notion va à l’encontre des principes mêmes de l’histoire de l’art comme discipline. En deuxième lieu est réaffirmée l’importance des périodes « classiques » de l’art islamique, soit la période médiévale, qui comprend les gloires de Damas, Bagdad, Jérusalem et Le Caire.

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C’est un écho à la mise en valeur du Moyen Âge, quand les grands États islamiques étaient dominants et souverains, par des spécialistes tant laïques qu’islamiques, tout au long du XXe siècle16. En troisième lieu, si l’on donne à l’islam comme religion la place centrale, on infléchit son propre point de vue : dans le domaine des arts visuels, tout est dès lors interprété comme fonction de l’islam, ce qui tend à conforter de façon gênante les anciennes thèses orientalistes essentialistes, anhistoriques et réductrices, qui ont été si méthodiquement démontées. En quatrième et dernier lieu, ce même regard, focalisé sur le témoignage visuel laissé par les sociétés islamiques, pourrait conduire à écarter les aspects que les spécialistes avaient estimés comme une preuve de la diversité des sociétés dans l’Islam comme culture.

14 Qu’en conclure à ce stade ? Peut-être devrions-nous simplement accepter que des approches radicalement différentes, et sans doute mutuellement exclusives, doivent coexister et parfois, peut-être, s’enrichir mutuellement. Peut-être devrions-nous percevoir l’ambiguïté de la catégorie « islamique » non comme une contrainte, mais comme une opportunité. Quelques voies de recherche, quelques lignes méthodologiques peuvent être suggérées ; elles pourraient être fécondes et productives, et conduire finalement à tirer profit de l’étrangeté de la catégorie « islamique ».

15 En premier lieu, je voudrais proposer une application plus rigoureuse de ce que l’on pourrait appeler une stratigraphie de l’histoire architecturale, soit l’histoire entière de la création et de l’usage ultérieur d’une structure ou d’un espace. Traditionnellement, l’histoire architecturale étudie la signification de l’édifice du point de vue de ceux qui construisent les bâtiments – maîtres d’œuvre et architectes. Par contraste, l’histoire architecturale récente ne se borne pas à étudier la conception, la construction et l’usage original des structures, mais prête aussi attention à la manière dont l’architecture est utilisée, interprétée et intègre la mémoire collective. Dans son ouvrage récent sur l’architecture aux États-Unis, Dell Upton note que « l’histoire de l’architecture devrait rendre compte de la vie entière d’une structure, de sa planification initiale à sa destruction, et même à ce qui en subsiste par l’histoire et par le mythe. Ceux qui utilisent l’architecture et ceux qui l’interprètent sont ses créateurs autant que ceux qui en dessinent les plans ou plantent les clous »17. On peut concevoir les utilisateurs des espaces architecturaux, qu’ils soient neufs ou anciens, comme les agents actifs de la signification de ces espaces en des périodes spécifiques. Il faudrait appliquer cette approche au premier monument de l’art islamique, un bâtiment islamique canonique, le Dôme du Rocher à Jérusalem, qui, en dépit de la position fondamentale qu’il occupe dans l’histoire passée et actuelle de cette région, n’a toujours pas fait l’objet d’une monographie détaillée qui en présenterait la chronologie et la documentation complète18. Il faudrait lire les bâtiments comme des palimpsestes, notamment quand ils témoignent d’un emploi conflictuel, comme le Dôme du Rocher ou la tour Giralda à Séville. Ce véritable palimpseste transculturel, auparavant minaret de la mosquée de la congrégation Almohade, fut transformé au XVIe siècle en clocher de la troisième plus grande cathédrale d’Europe. Conflit, appropriation, remploi, effacement sont quelques-unes des formes que prennent l’investissement de l’architecture par les sociétés, et qui devraient être intégrées aux débats actuels sur les dialogues entre les cultures.

16 De manière générale, il s’agit de tirer réellement profit de toutes les caractéristiques de l’art et de l’architecture islamique, même celles longtemps considérées comme des

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« défauts » de cette catégorie, comme la surreprésentation des arts dits décoratifs ou des objets mobiliers, ou, inversement, la rareté de la documentation concernant les artistes et les architectes. Les historiens de l’art se sont en effet sentis contraints parfois d’imiter les procédés narratifs d’études venues d’autres champs de l’histoire de l’art : la recherche d’un style identifiable pour un artiste, la constitution du corpus d’un grand maître, par exemple, ou de séquences taxinomiques complètes19. De telles approches sont vouées à l’échec dans le contexte de l’art islamique – la nature de nos sources nous placera toujours en position de faiblesse. En revanche, le fait que nous ayons si peu d’informations sur les architectes dans la plupart des sociétés historiques islamiques pourrait signifier que l’historien est libéré du poids de la notion traditionnelle de l’artiste/architecte comme « auteur », ce qui le laisse désormais libre de choisir des méthodes non traditionnelles pour l’étude des bâtiments et des espaces.

17 Un travail récent a montré que dans divers contextes historiques, il existait, dans les langues de l’Islam, des discours élaborés sur l’art, l’architecture, l’esthétique, le monde des connoisseurs et l’expérience des villes. De telles réflexions reviennent dans de nombreux textes de natures différentes. Par chance, des traductions et interprétations de textes sur l’architecture et l’histoire de la peinture persane ont paru récemment20. La prise en compte de ces textes permettrait non seulement de bousculer une discipline qui a trop longtemps cru pouvoir se développer sans l’apport de la connaissance d’autres époques et d’autres lieux, mais également de mettre à mal un autre trope orientaliste, selon lequel l’« indigène/autochtone » garde toujours le silence. Cela nous permettrait sans doute de comprendre et de ressentir des univers esthétiques et moraux différents du nôtre, d’en apprendre sur nous-mêmes et de porter un regard nouveau sur notre propre conception de l’art et de l’histoire de l’art.

NOTES

1. Robert S. Nelson, « The Map of Art History », dans Art Bulletin, 79/1, 1997, p. 29. Voir également Robert S. Nelson, « Living on the Byzantine Borders of Western Art », dans Gesta, 35/1, 1996, p. 3-11. 2. Oleg Grabar, « Reflections on the Study of Islamic Art », dans Muqarnas, 1, 1983, p. 1-14 ; Oleg Grabar, « Islamic Art I.1: Definitions », dans Jane Turner éd., Dictionary of Art, XVI, New York, 1996, p. 99-101 ; Sheila S. Blair, Jonathan M. Bloom, « The Mirage of Islamic Art: Reflections on the Study of an Unwieldy Field », dans Art Bulletin, 85/1, 2003, p. 152-184. 3. Pour une liste complète, voir Blair, Bloom, 2003, cité n. 2, p. 179, n. 41. 4. Gülsüm Baydar Nalbantoglu, « Toward postcolonial openings: rereading Sir Banister Fletcher’s History of Architecture », dans Assemblage, 35, 1998, p. 6-17. 5. Nicholas Dirks, « History as a Sign of the Modern », dans Public Culture, 2/2, printemps 1990 ; Timothy Mitchell, Colonising Egypt, Cambridge, 1988. 6. Emile Prisse d’Avennes, L’art arabe d’après les monuments du Kaire depuis le VIIe siècle jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, Paris, 1877, p. 1. 7. Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc, introduction à Jules Bourgoin, Les arts arabes, Paris, 1873.

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8. Irene A. Bierman, « Disciplining the Eye: Perceiving Medieval Cairo », dans Nezar Alsayyad, Irene A. Bierman, Nasser Rabbat éd., Making Cairo Medieval, Lanham (MD), 2005, p. 13-14. On pourrait aussi citer les travaux locaux précurseurs sur l’architecture dans le monde islamique, qui se sont développés particulièrement en Égypte et à Istanbul dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cependant, ceux-ci ne sont généralement pas pris en compte par l’historiographie de l’art et de l’architecture islamique, parce qu’ils semblent avoir peu influencé cette discipline occidentale, hautement professionnalisée. Cette hypothèse doit être débattue. 9. Alois Riegl, Questions de style : fondements d’une histoire de l’ornementation, Paris, 1992 [éd. orig. : Stilfragen: Grundlegungen zu einer Geschischte der Ornamentik, Berlin, 1893]. Voir le débat dans Blair, Bloom, 2003, cité n. 2, p. 155. Voir aussi Talinn Grigor, « Orient oder Rom? Qajar ‘Aryan’ Architecture and Strzygowski’s Art History », dans The Art Bulletin, 89/3, 2007. 10. Blair, Bloom, 2003, cité n. 2, p. 152-153. 11. Edward Said, « Impossible Histories: Why the Many Islams Cannot be Simplified », dans Harper’s, 305, juillet 2002, p. 69-74 ; Finbarr Barry Flood, « Islamic Identities and Islamic Art: Inscribing the Qur’an in Twelfth-Century Afghanistan », dans Elizabeth Cropper, éd., Dialogues in Art History, from Mesopotamian to Modern, (Studies in the History of Art, 74), Washington/New Haven, 2009, p. 90-117. 12. André Raymond, « Islamic City, Arab City: Oriental Myths and Recent Views », dans British Journal of Middle Eastern Studies, 21, 1994, p. 3-18. 13. Raymond, 1994, cité n. 12. ; sur Sauvaget, voir Heghnar Watenpaugh, « An Uneasy Historiography: The Legacy of Ottoman Architecture in the Former Arab Provinces », dans Muqarnas, 24, 2007, p.27-43. 14. Baber Johansen, « Urban structures in the view if Muslim jurists: the case of Damascus in the early nineteenth century », dans La Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée, 55-56, 1990, p. 94-100. 15. En complément des matériaux produits par AKAA, voir Sibel Bozdogan, « The Aga Khan Award for Architecture: A Philosophy of Reconciliation », dans Journal of Architectural Education, mai 1992, p. 182-188. Samer Akkach, « Expatriating Excellence: The Aga Khan’s Search for Muslim Identity », dans Stephen Cairns, Philip Goad éd., Buildings Dwelling Drifting: Migrancy and the Limits of Architecture, (colloque, Melbourne, 1997), Melbourne, 1997, p. 1-8. 16. Sur la place particulière de la période médiévale dans l’historiographie de l’art islamique, voir Bierman, 2005, cité n. 8, et Watenpaugh, 2007, cité n. 13. 17. Dell Upton, Architecture in the United States, (Oxford History of Art), Oxford, 1998. 18. Blair, Bloom, 2003, cité n. 162. 19. David Roxburgh, « Kamal al-Din Bihzad and Authorship in Persianate Painting », Muqarnas, 17, 2000, p. 119-146 ; David J. Roxburgh, « Concepts of the Portrait in the Islamic Lands, c. 1300-1600 », dans Cropper, 2009, cité n. 11, p. 118-137. 20. Par exemple, David Roxburgh, Prefacing the Image: The Writing of Art History in Sixteenth-Century Iran, Leyde, 2001 ; Howard Crane, Esra Akin, Sinan’s Autobiographies: Five Sixteenth-Century Texts, Leyde, 2006.

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INDEX

Index géographique : Indonésie, Asie centrale, Istanbul, Afghanistan, golfe Persique, Égypte, Le Caire, Malaisie, États-Unis, Inde, Iran, Damas, Arabie Saoudite, Jérusalem, Espagne Mots-clés : art islamique, sarrasin, style anhistorique, paléochrétien, périphérie, mosquée, colonialisme, art arabe, Mahométan, oumma, indigène, autochtone Keywords : Islamic art, Saracen, Early Christian, Byzantine, periphery, mosque, colonialism, Arab art, Mohammedan, oumma, indigenous, autochthonous Index chronologique : 600, 1500, 1600, 1700, 1800, 1900, 2000

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Moyen Âge

Travaux

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Le vitrail médiéval en Europe : dix ans d’une recherche foisonnante Medieval Stained-Glass in Europe: Ten Years Rich in Research Die mittelalterliche Glasmalerei in Europa. Zehn Jahre einer überreichen Forschung La vetrata medioevale in Europa: dieci anni di una ricerca fruttuosa El vitral medievo en Europa: diez años de fructífera investigación

Brigitte Kurmann-Schwarz et Claudine Lautier

Nous tenons à remercier nos collègues Francesca Dell’Acqua, Uwe Gast, Elisabeth Oberhaidacher- Herzig, Daniel Parello, Hartmut Scholz, Mary Shepard et Yvette Vanden Bemden, qui nous ont aidées à réunir la bibliographie et qui nous ont généreusement envoyé des ouvrages, des photocopies et des photographies.

1 Dans toute l’Europe, les vitraux anciens furent démontés de leurs fenêtres lorsque débuta la Seconde Guerre mondiale. Chaque pays prit indépendamment des mesures pour éviter que se répètent les pertes considérables dues aux bombardements de la Grande Guerre. Après l’armistice, les vitraux, avant d’être remis en place, bénéficièrent non seulement de réparations indispensables, mais aussi d’une documentation surtout photographique (OBERHAIDACHER-HERZIG, 2005). À cette occasion, les historiens de l’art eurent la possibilité d’examiner de près un très grand nombre de verrières ; le vitrail quitta alors le statut d’« art décoratif » pour accéder à celui de peinture monumentale.

2 Le regard des historiens de la peinture sur verre changea donc de manière radicale. Des synthèses importantes furent rapidement publiées : celle de Hans Wentzel sur les pays germaniques en 1951, l’ouvrage de Giuseppe Marchini sur l’Italie en 1956 et Le vitrail français en 19581. De grandes expositions, telles que Alte Glasmalerei der Schweiz à Zurich dès 1945, Meisterwerke alter deutscher Glasmalerei à Munich en 1947 et Vitraux de France du XIe au XVIe siècle à Paris en 1953 aidèrent non seulement à vulgariser le vitrail auprès d’un large public, mais firent aussi progresser la recherche2. Ces livres et ces expositions établirent les fondations d’une recherche revivifiée sur le vitrail et accompagnèrent les premiers pas du Corpus Vitrearum.

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3 Le demi-siècle qui sépare cette période pionnière des années qui nous intéressent pour la présente étude est jalonné par la publication d’ouvrages de synthèse importants, tels que ceux de Louis Grodecki sur le vitrail roman et sur le vitrail gothique au XIIIe siècle, ou plus récemment ceux de Richard Marks sur l’Angleterre et de Rüdiger Becksmann sur l’Allemagne3. La seule synthèse récente sur le vitrail médiéval européen est celle d’Enrico Castelnuovo (CASTELNUOVO, [1994] 2007), qui développe une vision personnelle de l’art du vitrail et de sa place parmi les arts. Sur le modèle de Becksmann, Elisabeth Oberhaidacher-Herzig a publié un bref résumé sur le vitrail en Autriche (OBERHAIDACHER- HERZIG, 2000), bienvenu car, depuis 1947, n’était parue aucune synthèse sur le vitrail autrichien4. Dans sa courte étude destinée aux étudiants en histoire de l’art, Elizabeth C. Pastan donne quelques clés pour aborder sans peine les grandes questions concernant le vitrail médiéval (PASTAN, 2006).

4 Si les expositions de vitraux sont rares, car il est exceptionnel que se présentent des circonstances favorables – généralement liées à des campagnes de restauration –, plusieurs manifestations ont pourtant permis à un large public d’approcher des œuvres par nature monumentales. Citons l’exposition de vitraux qui se tint à Erfurt en 1989, et celles qui eurent lieu à Ulm en 1995 et à Esslingen en 19975. La remarquable exposition Himmelslicht. Europäische Glasmalerei im Jahrhundert des Kölner Dombaus (1248-1349) organisée à Cologne en 1998, sur les vitraux européens au siècle de la construction de la cathédrale de Cologne, a marqué l’histoire de l’art en faisant état de nombreux aspects de la recherche sur le vitrail (techniques, types de vitraux, relations entre le vitrail et les autres arts, statut du vitrail dans l’édifice, insertion dans l’architecture, principaux thèmes iconographiques, contexte historique et spirituel ; Himmelslicht…, 1998). Les autres expositions de ces dix dernières années furent thématiques et intégrèrent les vitraux soit comme genre artistique (L’art au temps des rois maudits…, 1998), soit comme illustration d’une thématique précise, telle que la constitution des ateliers (Spätmittelalter am Oberrhein…, 2001), le métier de peintre-verrier (L’art du peintre- verrier…, 1998), la dévotion et le décor des édifices religieux (Gothic: Art for England…, 2003), les tendances stylistiques et les rapports avec les autres arts (La France romane…, 2005 ; Paris 1400…, 2004 ; Strasbourg 1400…, 2008).

5 Cependant, depuis plus de cinquante ans, le véritable moteur de la recherche est le Corpus Vitrearum Medii Aevi, qui a non seulement fédéré les recherches sur le vitrail mais leur a aussi donné une impulsion décisive. L’organisme vit le jour en 1952, au cours du XVIIe Congrès international d’histoire de l’art à Amsterdam. Hans R. Hahnloser y présenta ses « Directives pour l’établissement d’un plan d’ensemble » en vue de la publication de tous les vitraux médiévaux d’Europe selon un pro forma commun (FRODL-KRAFT, 2004). Les premières « Directives », rédigées en 1958, sont régulièrement adaptées à l’évolution de la recherche. Lors de sa fondation, le Corpus Vitrearum rassemblait sept pays. Rapidement d’autres nations européennes, ainsi que les États-Unis, le Canada et la Russie, rejoignirent ce noyau, pour atteindre le nombre de treize. Dans la vie du Corpus Vitrearum, les colloques internationaux sont d’une importance particulière ; depuis sa fondation, ils regroupent cette communauté scientifique tous les deux ou trois ans autour d’un thème central pour la recherche fondamentale. L’entreprise de publication scientifique, soutenue par l’Union Académique Internationale et par le Comité International d’Histoire de l’Art, fait preuve à long terme d’une réussite indéniable en raison du nombre et de la qualité des ouvrages qui forment désormais le socle indispensable à toute étude ultérieure.

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6 À l’origine, le Corpus Vitrearum ne concernait que le Moyen Âge et ne devait compter que des volumes monographiques, par édifice, par région ou par collection de musée, les ensembles vitrés étant traités de manière exhaustive avec, en premier lieu, une critique d’authenticité de chaque verrière représentée graphiquement, qui complète un exposé exhaustif de l’histoire des vitraux, de leur iconographie et de leur style, accompagné d’un catalogue raisonné. Certains pays, comme l’Allemagne, l’Autriche et la Suisse, ont consacré tous leurs efforts aux monographies, les deux premiers restant dans le cadre chronologique défini au départ, à savoir la période médiévale. Mais rapidement d’autres comités nationaux, en premier la Belgique puis la France, voulurent dépasser les limites chronologiques primitives en couvrant le champ des vitraux de la Renaissance et de l’époque moderne. Plusieurs comités ont également décidé de lancer, parallèlement aux monographies, des séries de « précorpus » (Recensement des vitraux anciens de la France, Summary catalogues pour la Grande- Bretagne, Checklists américaines), souvent en raison de l’importance de leur patrimoine. L’Italie, quant à elle, a préféré la forme électronique, en proposant une banque de données documentaires sur Internet : la Banca Ipermediale delle Vetrate Italiane (BIVI) 6. Pour publier des études thématiques hors du cadre strict des « Directives » appliquées aux monographies et aux « précorpus », plusieurs comités nationaux ont lancé une série d’« Études » (Studien) plus particulièrement adaptées à l’édition de thèses ou à des sujets transversaux, voire pluridisciplinaires. Au total, une centaine de volumes sont parus dans ces trois séries, parmi lesquels pas moins de vingt-cinq ont été consacrés ces dix dernières années totalement ou partiellement au Moyen Âge7.

7 La production scientifique sur les vitraux médiévaux est si vaste et si variée que le présent état de la recherche a nécessité des choix drastiques. Ils portent en premier lieu sur le cadre chronologique. Pour les fondateurs du Corpus Vitrearum, c’est la Réforme qui marque la fin du Moyen Âge. Mais l’historiographie récente montre que la « frontière » temporelle n’est pas aussi nette. Il a fallu donc adopter d’autres critères et la fin du XVe siècle a semblé être une limite acceptable pour le patrimoine des différents pays européens. Tout aussi arbitrairement, nous avons décidé de ne traiter ici que du vitrail monumental, ce qui exclut du propos les panneaux isolés ou les vitraux civils, qui posent d’autres problèmes méthodologiques. Les études sur la conservation et la restauration du vitrail ont également été écartées, qu’il s’agisse des périodes anciennes ou contemporaines, car elles entraînaient le lecteur sur des terrains certes pluridisciplinaires mais parfois fort éloignés des questions d’histoire de l’art. Les ouvrages et les articles retenus ont été classés par thèmes, et même si telle ou telle publication pouvait s’insérer dans plusieurs de ces thèmes, l’un d’entre eux a pu être privilégié.

L’histoire du vitrail

La genèse de l’art du vitrail

8 La connaissance des débuts de l’art du vitrail, entre l’Antiquité tardive et le XIIe siècle, a connu une avancée considérable ces dernières années grâce aux articles et à la thèse de Francesca Dell’Acqua (DELL’ACQUA, JAMES, 2001 ; DELL’ACQUA, 2003a et b ; DELL’ACQUA, 2007a et b ; DELL’ACQUA, 2008). Cette dernière, qui a notamment entrepris une recherche très complète sur les sources du IVe au XIe siècle, a observé que ce sont les chroniques et la

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littérature épistolaire des époques carolingienne et ottonienne qui contiennent le plus d’informations sur les verriers. On sait peu de leurs conditions de vie, car l’intérêt des auteurs porte non sur l’artiste et son activité, mais sur l’exaltation du commanditaire. En ce qui concerne les vitraux eux-mêmes, les textes antérieurs au VIIIe siècle citent rarement des représentations et louent plutôt les couleurs des verrières. Grâce à quelques écrits et aux fouilles, il est cependant possible d’avancer l’hypothèse que les verrières figurées n’apparaissent pas avant le début de la dynastie carolingienne (BECKSMANN, 1998/1999 ; LE MAHO, 2001 ; LE MAHO, LANGLOIS, 2004).

9 Les résultats des fouilles archéologiques complètent l’idée que l’on peut se faire des verrières et de leur développement au cours du premier millénaire. Quoique les cloisons de verre de couleurs des grandes basiliques romaines soient connues par les sources écrites depuis l’époque constantinienne, les témoins matériels de verre plat de cette époque sont très rares. En revanche, des découvertes importantes sur des périodes plus tardives ont été faites au cours des dernières décennies en France, en Italie, en Suisse et en Angleterre (CRAMP, 2001 ; DELL’ACQUA, JAMES, 2001 ; GOLL, 2001 ; LE MAHO, 2001 ; VITTOZ, 2001 ; KESSLER, WOLF, TRÜMPLER, 2005 ; DELL’ACQUA, 2007a et b). À l’époque carolingienne, un changement technique dans la production du verre est survenu : la soude utilisée comme fondant par les verriers du Proche-Orient a été remplacée par la potasse (GAI, 2001). Dans le même temps, les verriers ont mis en œuvre un nouveau système de jonction entre les pièces de verre avec des baguettes de plomb à double rainure (DEL NUNZIO, 2001 ; WHITEHOUSE, 2001). Les recherches ont aussi montré qu’avant le XIe siècle, le verre était un matériau encore plus rare et plus précieux que pendant les siècles médians du Moyen Âge (DELL’ACQUA, SILVA, 2001).

Les débuts du style monumental : le vitrail roman

10 Si la peinture sur verre germanique a fait l’objet du plus grand nombre d’études ces dernières années, la synthèse de Brigitte Kurmann-Schwarz sur le vitrail roman dans le Saint-Empire offre cependant un état de la question clair et documenté (KURMANN- SCHWARZ, 2004a). Plusieurs ensembles ont été récemment reconsidérés, en premier lieu les célèbres prophètes de la cathédrale d’Augsbourg, réputés jusqu’à récemment être les plus anciens vitraux in situ d’Europe. Becksmann reprend les questions de la conservation, de l’iconographie, de la place stylistique et de la datation de ces cinq grands personnages, en montrant comment ils avaient été réinstallés dans la nef de la cathédrale partiellement reconstruite en 1334-1335 (BECKSMANN, 2005/2006). De même, Hartmut Scholz réévalue l’historiographie des fragments du vitrail de l’histoire de Samson provenant de l’abbatiale d’Alpirsbach (Bade-Wurtemberg) et conservés au Württembergisches Landesmuseum de Stuttgart (SCHOLZ, 2001) ; il montre qu’ils faisaient partie d’une verrière typologique qui comprenait probablement la Résurrection et l’Ascension du Christ accompagnées de leurs préfigurations vétérotestamentaires. Leur style peut être rapproché de certains vitraux de la cathédrale de Strasbourg et du manuscrit disparu du Hortus deliciarum du Mont-Sainte- Odile. Denise Borlée, quant à elle, s’est attachée à reconsidérer la datation de la fameuse tête d’homme, provenant de Wissembourg et conservée au Musée de l’Œuvre- Notre-Dame de Strasbourg (BORLÉE, 2007), qu’elle situe dans la seconde moitié du XIIe siècle.

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11 En France, les recherches les plus novatrices concernent le vitrail roman dans le domaine Plantagenêt. Anne Granboulan a replacé un groupe de vitraux de l’Ouest de la France dans le premier tiers du XIIe siècle8, autour de la célèbre Ascension de la cathédrale du Mans (vers 1120), ce qui fait d’eux les plus anciens vitraux conservés in situ. Elle poursuit son étude avec les vitraux du chevet de la cathédrale de Poitiers (vers 1165), ceux de Chemillé-sur-Indrois et ceux de Chenu (troisième quart du XIIe siècle), en explorant leurs liens stylistiques avec les peintures murales du Sud-Ouest et leurs rapports avec la liturgie (GRANBOULAN, 1998). Plusieurs découvertes de panneaux ou de fragments de vitraux de la basilique Saint-Denis ont été faites récemment et la problématique sur les ateliers s’est élargie au travers d’un certain nombre de publications, dont Claudine Lautier a fait la synthèse (LAUTIER, 2004a).

L’art des grandes cathédrales : le vitrail gothique

12 Pour ce qui est de l’art gothique, c’est le vitrail français qui a le plus retenu l’attention des chercheurs au cours des années récentes. Les analyses des cathédrales de Laon (LAUTIER, 2000b), de Reims (BALCON, 2000), de Bourges (BRUGGER, CHRISTE, 2000) et de Chartres (KURMANN-SCHWARZ, KURMANN, 2001 ; LAUTIER, 2003a) ont permis de mieux comprendre leurs programmes iconographiques respectifs, de définir leurs caractéristiques stylistiques et de distinguer le travail des ateliers. D’autres édifices, comme la cathédrale de Noyon (LANE, 1998) ou la collégiale de Mantes (DE FINANCE, 2000a) ne sont que partiellement étudiés en raison de la conservation lacunaire de leur vitrerie.

13 Deux édifices souvent ignorés par les historiens du vitrail ont bénéficié de monographies qui permettent de mieux les situer et de reconnaître la qualité artistique de leurs verrières. Une étude solidement documentée et bien illustrée sur la cathédrale d’Amiens rend leur juste place à ses vitraux dont la réalisation s’étend de la fin des années 1230 jusqu’au début du XIVe siècle (FRACHON-GIELAREK, 2003). L’ouvrage de Michael Cothren sur la cathédrale de Beauvais est d’une toute autre importance. Il étudie de façon très complète cet ensemble majeur de la peinture sur verre en France, élaboré au cours de quatre campagnes, prenant en compte à chaque fois le contexte historique et architectural, l’histoire des restaurations, les thèmes iconographiques et le style (COTHREN, 2006).Mis à part le haut-chœur de Beauvais, le vitrail du XIVe siècle en France a été l’objet de peu d’études depuis les écrits de Jean Lafond9. Ces dernières années, quelques ensembles et verrières isolées ont cependant été analysés, tels que la chapelle de Navarre de la collégiale de Mantes (DE FINANCE, 2000b), la chapelle de la Vierge de la cathédrale de Rouen (LAUTIER, 1998b ; LAUTIER, 2003b), la collégiale d’Écouis (LAUTIER, 1999) et la grisaille du chanoine Thierry à Chartres, si novatrice dans l’histoire du vitrail (LAUTIER, 2004c), toutes dérivées de l’art parisien. D’un point de vue stylistique, les vitraux des chapelles rayonnantes de la cathédrale de León, réalisés dans les années 1270-1280 et consacrés aux vies des saints locaux, montrent des liens formels avec des vitraux parisiens, en particulier ceux de Saint-Germain-des-Prés (NIETO ALCAIDE, 2004).

14 Daniel Hess a défini le style particulier des débuts du gothique dans le Saint-Empire romain germanique, dénommé Zackenstil, comme étant une forme de « résistance » au gothique français et non un style roman tardif et baroque ou bien byzantinisant comme on le qualifie souvent (HESS, 1998). Ce « style dentelé », caractérisé par des plis en zigzag, est d’une grande force plastique sans équivalent dans l’art français ou anglais. Il

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apparut après 1230 dans des vitraux à Erfurt et à Mayence, se répandit rapidement d’Assise à Naumburg, de Ratisbonne à Fribourg-en-Brisgau, et produisit des chefs- d’œuvre, comme les panneaux subsistants d’un Arbre de Jessé à la cathédrale de Merseburg, datables vers 1240-1250 (MAERCKER, 2001). Mais tous les centres de production de vitraux ne furent pas touchés par le Zackenstil, comme le prouvent les vitraux de l’église cistercienne de Sonnenkamp (Mecklembourg-Poméranie), réalisés peu avant le milieu du XIIIe siècle (BÖNING, 2001).

15 Plusieurs études sont consacrées à des ensembles du XIVe siècle, parmi lesquels le plus important se trouve dans l’église du couvent double de Franciscains et de Clarisses de Königsfelden en Suisse (KURMANN-SCHWARZ, 1998). Les plus anciennes verrières, réalisées sans doute vers 1330-1340 a Bâle pour le chœur l’abbatiale, montrent des liens étroits avec le vitrail alsacien voire strasbourgeois. Kurmann-Schwarz montre qu’ils ont à leur tour influencé d’autres créations, comme les vitraux alsaciens de Niederhaslach créés vers 1350-1360 (KURMANN-SCHWARZ, 2004b). Deux monuments de l’autre côté du Rhin ont attiré l’attention des chercheurs. Scholz s’est intéressé à la Frauenkirche d’Esslingen (Bade-Wurtemberg) qui possède une vitrerie de belle qualité datable des années 1335-1350, empreinte d’élégance et de préciosité (SCHOLZ, 2005b). Daniel Parello, quant à lui, a étudié l’église paroissiale de Hersfeld (Hesse) qui possède une vitrerie du troisième quart du XIVe siècle, très bouleversée, dont il a minutieusement reconstitué les dispositions d’origine mariant les plages ornementales, les zones figurées et les encadrements d’architecture (PARELLO, 2001).

16 En Angleterre, la grande verrière orientale de la cathédrale de Carlisle (Cumbrie) a été réinterprétée grâce à une recherche fort documentée et accompagnée d’un catalogue, qui permet de proposer une nouvelle datation vers 1340-1350 et remet en cause les liens traditionnellement suggérés avec la grande fenêtre occidentale de la cathédrale d’York ou avec la baie orientale de Selby Abbey (O’CONNOR, 2004).

17 Un beau volume, issu d’un colloque qui eut lieu à la fin de la restauration des vitraux de la grande fenêtre ronde du chœur de la cathédrale de Sienne et à la suite de leur installation dans le Musée de l’Œuvre de la cathédrale, résume les recherches récentes sur cette œuvre importante du vitrail gothique en Italie. Luciano Bellosi confirme, comme il l’a déjà fait dans le catalogue de l’exposition Duccio. Alle origini della pittura senese10, l’hypothèse d’Enzo Carli, selon laquelle le peintre a bien créé le carton de ce vitrail. Il intègre ce projet dans l’œuvre de jeunesse de Duccio en le rapprochant de la Madone de Berne et de celle de la famille Rucellai à Florence. Francesco Scorza Barcellona, quant à lui, montre que les saints représentés dans le vitrail sont ceux dont la cathédrale a possédé des reliques ou qui ont été vénérés à l’un des autels (CACIORGNA, GUERRINI, LORENZONI, 2007).

Un art toujours florissant : le vitrail de la fin du Moyen Âge

18 Les recherches récentes sur le vitrail de la fin du Moyen Âge se sont concentrées en premier lieu sur la France, mais aussi sur l’Allemagne et sur d’autres pays d’Europe, parmi lesquels la Belgique, qui a fait l’objet d’un excellent résumé sur le vitrail du XVe siècle (VANDEN BEMDEN, 2000b). Les recherches sur le vitrail français, privilégiant le Centre, l’Auvergne, l’Alsace, le Lyonnais et la Bretagne, ont été publiées dans les volumes du Recensement des vitraux anciens de la France ; les études sur Saint-Georges à Sélestat, Saint-Guillaume à Strasbourg et Sainte-Walburge à Walbourg ont ainsi tiré

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profit de ces travaux antérieurs (GATOUILLAT, 2004a et b ; LORENTZ, 2004) et ont montré le rôle clé de ces édifices dans l’essor du vitrail strasbourgeois à la fin du XVe siècle.

19 La documentation et la reconstitution d’un ensemble vitré sont également au cœur de l’étude d’Élisabeth Pillet sur la découverte de six grands personnages provenant de la chapelle du collège de Beauvais à Paris (PILLET, 2006). Quoique très restaurés et fragmentaires, ces vitraux sont les seuls témoignages de la vitrerie parisienne commanditée dans le milieu royal au cours du dernier quart du XIVe siècle (1377/1378).

20 Les Arts libéraux provenant de la bibliothèque capitulaire, et aujourd’hui remontés dans une fenêtre de la chapelle Saint-Piat de la cathédrale de Chartres, représentent un autre cycle de vitraux mal connu qui relève de la tradition du gothique international autour de 1400 (LAUTIER, 1998a). Non seulement ces petits panneaux constituent un rare ensemble sur un thème non religieux, mais leur auteur est identifié : Jean Perier, responsable de l’entretien des vitraux de la cathédrale à partir de 1415-1416.

21 Récemment les vitraux de la cathédrale de Quimper (vers 1415 et fin XVe siècle) ont monopolisé l’attention de chercheurs qui, n’étant pas des spécialistes du vitrail, n’ont pu éviter quelques erreurs regrettables (DANIEL, BRIGNAUDY, 2005). Ainsi, le chapitre sur les vitraux du XVe siècle est une étude d’histoire sociale utile, mais qui en dit peu sur les aspects artistiques. L’article nécessairement court de Françoise Gatouillat dans le Recensement reste donc le texte de référence sur l’histoire de cet ensemble et sa place dans l’art11.

22 Les vitraux de la cathédrale de Bourges ainsi que ceux de la Sainte-Chapelle de Riom ont fait l’objet de plusieurs publications qui ont conduit à affiner la chronologie, à distinguer différentes mains et à identifier des modèles communs, révélant ainsi les liens étroits entre les deux chantiers (KURMANN-SCHWARZ, 1999b, 2000 ; BRUGGER, CHRISTE, 2000, p. 371-374).

23 La recherche récente sur le vitrail allemand de la fin du Moyen Âge s’est concentrée sur des ensembles de la seconde moitié du XIVe siècle : les vitraux de Saint-Sébald à Nuremberg (avant 1379 ; SCHOLZ, 2005a), la grande verrière occidentale de l’ancienne abbatiale cistercienne d’Altenberg (vers 1394 ; GAST, PARELLO, SCHOLZ, 2008) et les verrières de Notre-Dame de Francfort-sur-l’Oder (1364-1367 ; FITZ, 2008). Ces études tournent autour des problèmes de reconstitution, d’authenticité, d’état de conservation et de questions sur l’origine des artistes ou des ateliers. En raison du manque de documentation concernant la création des vitraux, la datation doit souvent être établie par comparaison avec d’autres ensembles ou avec des peintures murales ou des retables contemporains. La première vitrerie du chœur de Saint-Sébald de Nuremberg, par exemple, est plus ancienne que ce que les chercheurs pensaient jusqu’à présent. Si l’on se réfère à la biographie des donateurs, aucune verrière ne peut être postérieure à 1379. Mais en raison de restaurations désastreuses, les vitraux ont perdu presque la totalité de leur peinture, ce qui rend la définition de leur style quasiment impossible (SCHOLZ, 2005a). La grande verrière occidentale d’Altenberg, créée vers 1394, évoque les joyaux de l’orfèvrerie française de la fin du XIVe siècle et montre des rapports artistiques étroits avec la Flandre (PARELLO, 2005) ; mais là encore, ce chef-d’œuvre a subi des restaurations qui ont mis les panneaux en désordre jusqu’à rendre l’ensemble illisible. Une patiente recherche iconographique de Parello lui a rendu son intelligibilité (GAST, PARELLO, SCHOLZ, 2008, p. 51-71).

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24 En Italie, la Toscane a été au centre de l’intérêt des recherches récentes. Le vitrail à Florence, qui connaît un grand essor autour de 1400, se prête très bien à l’étude de la collaboration entre peintre-cartonnier et peintre-verrier. Non seulement les peintures murales et les vitraux sont conservés, ce qui facilite les études comparatives, mais il existe également une documentation abondante permettant d’apprécier le rôle de tous les acteurs impliqués dans la création (BOULANGER, LAUTIER, 2008). La grande verrière orientale de l’église des Dominicains à Pérouse, datée par une inscription de 1411, est issue de la collaboration entre le frère dominicain Bartolomeo da Perugia et le peintre et peintre-verrier florentin Mariotto di Nardo (PIRINA, 2006). Renée Burnam a constaté que le vitrail florentin du milieu du XVe siècle, comparé avec la peinture de la même époque, est presque inconnu car les historiens de l’art ne lui ont attribué que peu de valeur artistique. La plupart du temps, ces œuvres ont été considérées comme des exécutions mécaniques par des techniciens de cartons dus à de grands artistes. L’auteur contredit cette opinion erronée en analysant le raffinement technique des vitraux de la nef de la cathédrale de Pise et du Couronnement de la Vierge dans le tambour de la coupole de Santa Maria del Fiore à Florence (BURNAM, 2007).

La production

Ateliers et artistes

25 Il est remarquable que le plus ancien autoportrait dans la peinture sur verre médiévale soit de peu postérieur au milieu du XIIe siècle. Il s’agit de celui de Gerlachus qui, dans un vitrail qu’il réalisa pour l’abbatiale d’Arnstein sur la Lahn, accompagna son image d’une inscription implorant Dieu de le prendre sous sa protection dans la perspective du Salut. À partir de cet exemple, Dell’Acqua s’est attachée à définir, à travers les sources du IVe au XIe siècle, le statut des peintres-verriers au cours du Moyen Âge, depuis l’Antiquité tardive dans les régions de l’Ouest de l’Europe jusqu’à l’Italie du XVe siècle (DELL’ACQUA, 2004).

26 Yvette Vanden Bemden a étudié la place des peintres-verriers au sein des métiers. De nombreuses questions se posent en raison de la diversité des cas de figure, comme l’illustre l’analyse des archives conservées dans les anciens Pays-Bas qui renseigne sur l’insertion des verriers et peintres-verriers dans les corporations selon les villes, sur les tâches qui leur étaient confiées, sur les provenances des verres, leur prix et les conditions de leur achat, ainsi que sur l’organisation et la division du travail (VANDEN BEMDEN, 2000a). Joëlle Guidini-Raybaud s’est intéressée à la position des femmes au sein du milieu des verriers provençaux de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance (GUIDINI- RAYBAUD, 2005) et Michel Hérold s’interroge sur le statut social des peintres-verriers en explorant le milieu de la cour ducale de Lorraine (HÉROLD, 1999b).

27 Gatouillat a montré que, si de nombreux ateliers semblent avoir eu une implantation stable, multiples sont les mentions d’archives s’échelonnant du XIVe au XVIe siècle qui se rapportent à des artistes itinérants et peuvent parfois être mises en relation avec des œuvres conservées. Les hommes n’étaient pas les seuls à voyager ; les œuvres pouvaient également être exportées. Ce sont tantôt des arguments historiques et formels qui permettent d’arriver à de telles conclusions, comme pour les vitraux de Mézières-en- Brenne (Indre) datant de 1335-1339, tantôt les archives qui le démontrent, comme dans

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le cas des commandes émanant de Salzbourg ou de Francfort adressées au peintre- verrier Peter Hemmel installé à Strasbourg depuis 1447 (GATOUILLAT, 1998a). À propos des verrières de la Marienkirche de Francfort-sur-l’Oder, Frank Martin a cherché à définir les caractères formels d’un atelier itinérant qui a réalisé des vitraux dans différentes villes de la Hanse et de Pologne au cours de la seconde moitié du XIVe siècle (MARTIN, 2008a).

28 La diversité de production et la compétence de chaque intervenant dans la création de l’œuvre font également l’objet de plusieurs études. En Angleterre, David King a étudié certains ateliers qui pouvaient être polyvalents, comme celui de William Heyward, qui exécuta non seulement des vitraux pour les églises de Saint Peter Mancroft et East Harling à Norwich au cours de la seconde moitié du XVe siècle, mais encore des panneaux peints pour des jubés et des plaques funéraires ou votives en laiton gravé (KING, 2008). De même, les documents heureusement conservés concernant la grande verrière orientale de la cathédrale d’York au nord de l’Angleterre (fin XIVe siècle) donnent le nom du verrier John Thornton de Coventry et stipulent qu’il devait lui- même tracer les cartons et peindre les verres (BROWN, 1999). Douze panneaux datant de la fin du XVe siècle conservés au musée de l’université de Cracovie posent également la question de la polyvalence : leur analyse a permis à Scholz non seulement d’en attribuer l’origine au couvent des Clarisses de Nuremberg, mais encore de situer la provenance du peintre-verrier qui les a réalisés, artiste anonyme issu de Bamberg et dépendant de l’atelier de Michael Wolgemut (SCHOLZ, 2004b). La séparation des tâches à l’intérieur même de l’atelier dans l’exécution d’un vitrail est régulièrement discutée pour le vitrail italien. Comment se transmettaient les modèles, en particulier pour les zones décoratives comme les bordures ? Le même artiste exécutait-il les parties figurées et les parties ornementales ? Telles sont les questions posées à propos du vitrail de la Crucifixion provenant de l’église Saint-Augustin de Pérouse, du milieu du XIVe siècle (DEL NUNZIO, 2008) ou évoquées au sujet d’Antoine de Pise, peintre-verrier connu grâce aux archives (SANDRON, 2008) et par un seul vitrail datant de 1396 conservé dans la nef de la cathédrale de Florence (BOULANGER, 2008b). La comparaison avec les autres verrières de la nef, avec les vitraux réalisés par d’autres artistes à Florence à la même époque, et avec les peintures murales d’Agnolo Gaddi, auteur du carton, permet de supposer qu’il a peint lui-même la totalité de la verrière de la nef de Santa Maria del Fiore (BOULANGER, LAUTIER, 2008).

Les techniques : innovations et nouvelles datations

29 Malgré de nombreuses publications, depuis Pierre Le Vieil à la fin du XVIIIe siècle jusqu’aux synthèses les plus récentes, tout n’a pas été dit sur la technique du verre et du vitrail. Hérold observe, sur les vitraux eux-mêmes et au travers de la lecture des textes, que les verres soufflés en plateaux et ceux soufflés en manchons ont été utilisés conjointement en France vers la fin du Moyen Âge et pendant la Renaissance (HÉROLD, 2004).

30 Les techniques picturales et les pratiques d’atelier ont intéressé plusieurs spécialistes. On sait peu des premiers modèles de vitraux. Quelques exemplaires ont été identifiés, en particulier un feuillet de parchemin, datant des années 1355-1365 et provenant du monastère de Heilig Kreuz près de Meissen (Saxe), qui montre les projets de trois médaillons probablement destinés à une fenêtre du chœur de l’église (DRACHENBERG,

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1999). Quant aux pratiques de l’atelier, Cothren a repéré, sur des panneaux de vitraux conservés au Glencairn Museum (Pennsylvanie) – provenant d’Évron, de Sées et de Saint-Urbain de Troyes –, des marques et des tracés qui sont autant d’indices sur les pratiques en matière de pièces répétitives telles que les dais ou les grisailles ornementales (COTHREN, 1999).

31 La date de l’apparition de certaines techniques a aussi été débattue. La gravure à l’acide des verres plaqués, décrite dans le traité d’Antoine de Pise, avait d’abord été repérée sur des vitraux datant de 1430-1431 de la chapelle des Besserer du Münster d’Ulm (SCHOLZ et al., 1999) et sur un panneau strasbourgeois d’environ 1470 conservé à Arras (GATOUILLAT, 1998b). Mais l’analyse du vitrail d’Antoine de Pise à la cathédrale de Florence a permis de reconnaître que la gravure à l’acide était utilisée en Italie bien antérieurement, c’est-à-dire avant 1400 (BOULANGER, 2008b ; LAUTIER, 2008a). La connaissance du jaune d’argent, technique picturale qui permet de teinter localement le verre en jaune et qui a profondément influencé les développements stylistiques du vitrail, a beaucoup progressé. Des fouilles ont mis au jour des fragments peints au jaune d’argent sur verre sombre ou opaque provenant de vitraux du IXe siècle en Hongrie (SZOKE, WEDEPOHL, KRONZ, 2004) et du IXe au XIe siècle dans la lagune de Venise (VAGHI, VERITÀ, ZECCHI, 2004). C’est vers 1300, probablement à Paris, que le jaune d’argent s’est développé dans la peinture sur verre et a pris une importance considérable (LAUTIER, 2000a). Très négligée jusqu’à récemment, la fabrication des plombs de sertissage (moules et baguettes) et les conditions de leur mise en œuvre dans les panneaux sont désormais mieux connues (CUZANGE, 2004).

32 Une avancée décisive dans la connaissance des techniques médiévales a été faite avec l’expérimentation, inspirée des méthodes de l’archéologie expérimentale, des recettes décrites par Antoine de Pise dans son traité (LAUTIER, 2008b ; DEBITUS, LAUTIER, CUZANGE, 2008). Bien des préjugés concernant ces techniques sont tombés et bien des datations de l’apparition de certains procédés ont changé, comme celles de la coupe au ou de la gravure à l’acide, qui doivent être remontées de plusieurs décennies.

Le vitrail et les arts graphiques

33 Cerner la place du vitrail parmi les autres arts à l’époque gothique conduit à mieux comprendre cet art et ses modalités de production. Pour Robert Suckale, le vitrail est le genre pictural dominant au nord des Alpes avant le XIVe siècle (SUCKALE, 2003). L’exemple abordé par Hess du retable de Wetter, datant de 1260, est particulièrement éclairant : pour reconstituer le contexte artistique dans lequel il a été créé, il s’est avéré décisif de prendre en considération les vitraux de l’édifice contemporains du retable, lesquels sont à leur emplacement d’origine (HESS, 2002). La peinture de chevalet ne l’emporte qu’à partir du milieu du XIVe siècle et, désormais, les ressemblances entre le vitrail et les autres arts ne s’expliquent plus par le développement parallèle des différents genres artistiques, mais par le fait que les artistes maîtrisent conjointement plusieurs techniques (LORENTZ, 1999).

34 D’autres recherches soulignent, au contraire, qu’à la fin du Moyen Âge, les statuts des corporations limitaient l’activité des artistes hors du métier pour lequel ils avaient acquis une compétence. Ce constat conduit Fabienne Joubert à distinguer de manière stricte le rôle de l’artiste créateur de celui de l’artisan réalisateur des œuvres. Le dessin, sous différentes formes, a joué un rôle de plus en plus important dans la création

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artistique : un croquis pouvait accompagner le contrat signé avec l’artiste, ou celui-ci pouvait livrer un modèle de petit format pour permettre de visualiser la future réalisation, tout ceci menant à la conclusion que ce savoir-faire « représentait évidemment une qualification supérieure » (JOUBERT, 1999b). Mais il ne faut pas oublier que dans les villes où les corporations n’existaient pas, il y avait des ateliers polyvalents, comme celui de Michael Wolgemut à Nuremberg, qui réunissait des peintres, des peintres-verriers, des graveurs et des enlumineurs12. Hess souligne également la collaboration étroite entre dessinateur et verrier à l’exemple du Hausbuchmeister (HESS, 2004).

35 On ne peut donc pas douter qu’à la fin du Moyen Âge, les arts graphiques, ainsi que d’autres formes d’expression artistique, influèrent grandement sur l’évolution du vitrail. À cette époque, le mobilier liturgique prit de plus en plus d’importance, surtout les retables, et il n’est donc pas étonnant que leurs formes aient marqué la composition des vitraux, comme il a été montré à l’exemple du vitrail autrichien (OBERHAIDACHER- HERZIG, 2002). La mobilité des artistes contribua beaucoup aux échanges entre différentes branches de leur activité. Ainsi, des motifs tirés de l’enluminure française et de tableaux flamands arrivèrent probablement dans la région de Salzbourg grâce à un peintre-verrier itinérant (OBERHAIDACHER-HERZIG, 2004). Les rapports entre les artistes de l’Ouest de l’Empire et le Nord sont même plus conséquents, comme le montrait l’ensemble de vitraux de l’église des Dominicains de Lübeck (détruite en 1942), issu d’un atelier de peintres et de peintres-verriers placé sous la direction du Maître du Bergenfahreraltar. Cependant, le manque de dates assurées pour de nombreux monuments ne permet pas toujours d’entrevoir clairement les relations entre peintres et peintres-verriers (PARELLO, 2005).

36 On peut conclure que le rapport entre le vitrail et les autres arts ne connaît pas de règle, mais qu’il nécessite une étude approfondie. Hérold écrit à juste titre qu’« un peintre, par son art, peut assurément dominer idée et exécution. Le plus souvent cependant, ‘l’invention’ est partagée entre les divers intervenants, et à chacune des étapes de la fabrication de l’œuvre » (HÉROLD, 1999a, p. 11).

Le vitrail et les traités au Moyen Âge

37 D’une manière générale, les traités consacrés à la peinture et à l’architecture ont monopolisé l’attention des historiens de l’art, au détriment du vitrail, à l’exception du texte de Théophile (De diversis artibus, vers 1125), dont une partie seulement est consacrée à cet art. Kurmann-Schwarz a démontré que ce texte pouvait être relié à d’autres écrits théoriques sur les arts mécaniques et qu’il fut rédigé moins dans le but d’être utilisé dans les ateliers que dans celui de légitimer l’art par la théorie (KURMANN- SCHWARZ, 2008b). Cinq autres traités sur le vitrail appartiennent à la fin du Moyen Âge : ceux d’Antoine de Pise, de Francesco Formica et du moine de Zagan, ainsi que le Kunstbuch et la Rezeptsammlung de Nuremberg. Karine Boulanger a publié deux études comparatives sur ces écrits (BOULANGER, 2004 ; BOULANGER, 2008a) et tous ont été récemment traduits en français (LAUTIER, SANDRON, 2008). Un colloque du Corpus Vitrearum consacré à la question des traités sur le vitrail a eu lieu à Tours en 2006 (BOULANGER, HÉROLD, 2008). Il a été l’occasion pour Isabelle Lecocq et Jean-Pierre Delande d’étudier quelques aspects de deux traités paraphrasant partiellement Théophile (LECOCQ, DELANDE, 2008), et à Frank Martin d’exposer la position de Cennino Cennini,

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auteur d’un traité de peinture des années 1400, face à l’art et aux compétences du peintre-verrier (MARTIN, 2008b).

Les différents types de vitraux

Le mariage de la géométrie et des plantes : les vitraux ornementaux

38 Une histoire du vitrail ornemental fait défaut jusqu’à aujourd’hui, bien qu’il ait tenu un rôle important13. La question de l’origine des vitraux cisterciens et du rôle qu’ils ont joué dans le développement des verrières ornementales est au centre des débats depuis les études d’Eva Frodl-Kraft sur les vitraux de l’abbaye de Heiligenkreuz14, sujet qu’elle a récemment repris (FRODL-KRAFT, 1998 ; voir aussi SCHOLZ, 1998 ; SCHOLZ, 1999 ; ZAKIN, 2001 ; GAST, PARELLO, SCHOLZ, 2008). Théophile, dans son traité De diversis artibus, mentionnait déjà l’existence de vitraux colorés à simples entrelacs (SCHOLZ, 1999, p. 89). Un fragment de ce type provenant d’Alpirsbach (Bade-Wurtemberg) et conservé à Stuttgart pourrait bien dater de la première moitié du XIIe siècle15. Il se peut donc qu’au cours du deuxième quart du XIIe siècle, les Cisterciens, en renonçant à tout décor coloré, aient adopté une forme de verrière déjà répandue.

39 Au XIIIe siècle, la grisaille, ou vitrail ornemental sur verre blanc, s’est développée à partir de la forme tardive de la verrière à entrelacs dans laquelle de fins rubans sont combinés avec des rinceaux végétaux. Ce type de vitrail s’est rapidement enrichi d’éléments de couleurs (bordures, entrelacs, fermaillets) et devint prédominant dans les vitreries des cathédrales de France et d’Angleterre. Le goût croissant pour les grisailles s’explique non seulement par le coût moindre du verre blanc, mais surtout en raison du souhait des maîtres d’œuvre et des commanditaires d’apporter plus de lumière à l’intérieur des églises. La verrière dite « en litre », dans laquelle les panneaux figurés forment une bande de couleur dans une vitrerie en grisaille, devint la forme la plus répandue en France et en Angleterre au cours de la deuxième moitié du XIIIe siècle. La vitrerie composite, associant les ornements et les figures, était également connue dans les pays germaniques. L’axe était souvent mis en valeur par des vitraux figurés de pleine couleur (Cologne, cathédrale, chapelle d’axe et fenêtres hautes du chœur, vers 1290 : Himmelslicht…, 1998). En Alsace et à Cologne, les verriers placèrent les parties figurées dans le bas des ouvertures (Niederhaslach, collégiale, chœur, vers 1280/1290 : KURMANN-SCHWARZ, 2004b), tandis que dans la région du lac de Constance et en Suisse, les personnages se trouvent au-dessus de panneaux ornementaux aux couleurs soutenues.

Les portes de la Jérusalem céleste : les encadrements architecturaux dans les vitraux

40 En 2002, le Corpus Vitrearum consacra un colloque aux représentations architecturales dans les vitraux, qui jouent rôle primordial à partir de l’époque gothique. Becksmann situait les débuts de ce phénomène dans la vallée du Rhin au milieu du XIIIe siècle16 et James Bugslag en reconnaît les origines plus lointaines à la cathédrale de Strasbourg, mais dans les verrières romanes qui datent de la fin du XIIe siècle (BUGSLAG, 2000). Les encadrements d’architecture se transforment rapidement et se complexifient, des architectures religieuses ou civiles venant se superposer aux arcades (BUGSLAG, 2002). Parello a montré, à l’exemple de Sainte-Élisabeth de Marbourg (vers 1240), que ce

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système permettait de mieux agencer dans les baies les compositions à personnages superposés (PARELLO, 2002).

41 Une des questions majeures est celle des rapports entre architecture réelle et fictive. Comme dans l’enluminure, les peintres-verriers ont parfois représenté, au cours du XIIIe siècle, la construction des édifices pour illustrer les métiers des donateurs bâtisseurs ou pour raconter des épisodes de la vie des saints constructeurs d’édifices (LAUTIER, 2002), évocations narratives qui reflètent la réalité des métiers et non celle des édifices. À la suite de Becksmann, les historiens accordent volontiers une grande importance aux dessins d’architecture géométraux comme sources formelles (BACHER, 2004). Les plus anciens de ces dessins, des palimpsestes de manuscrits rémois réalisés au début de la période rayonnante au XIIIe siècle, ont souvent été considérés comme des projets de façades d’édifices.D’après Peter Kurmann, ces palimpsestes ont certainement été réalisés pour des micro-architectures, probablement des objets d’orfèvrerie (KURMANN, 2002). Pourtant, les projets géométraux ont aussi pu être des sources graphiques importantes pour les dais des images vitrées, même si les éléments architectoniques utilisés par les verriers deviennent des motifs plus que des imitations de l’architecture réelle, comme dans les représentations des églises suffragantes de l’archidiocèse de Reims situées dans les fenêtres hautes de la cathédrale (KURMANN, 1998 ; KURMANN- SCHWARZ, 2001a). Au cours du XIVe siècle, les dais peuvent atteindre des dimensions extravagantes – les trois-quarts de la hauteur des lancettes dans la chapelle Sainte- Catherine de la cathédrale de Strasbourg, vers 1340 (BECKSMANN, 2002a) – ou présenter la superposition fantastique, et hors de toute vraisemblance, d’éléments architecturaux tels que piliers, gâbles, tourelles, arcs-boutants, gargouilles monstrueuses, niches peuplées de saints, de figures christologiques ou mariales, transformant ces constructions en images de la Jérusalem céleste. À la fin du XIVe siècle, dans les panneaux de vitraux conservés de la Sainte-Chapelle du palais de Jean de Berry à Bourges – remontés dans la crypte de la cathédrale –, le cartonnier, probablement André Beauneveu, a conçu des dais illusionnistes, la perspective de chaque niche abritant des prophètes et des apôtres variant selon le point de vue du spectateur dans l’édifice (JOUBERT, 1999a).

42 La représentation de la profondeur, puis de la perspective, fut aussi au cœur des préoccupations des maîtres verriers italiens. Martin a étudié en détail la scène de l’Apparition de saint François à ses disciples à Arles représentée dans l’église haute d’Assise au cours du dernier quart du XIIIe siècle et dans l’église basse au début du XIVe siècle. L’évolution du sentiment de l’espace et de la perspective est si frappante que l’auteur attribue à Pietro Lorenzetti l’invention de l’« espace-boîte » du vitrail de l’église inférieure (MARTIN, 2002). À Florence, les recherches sur la perspective sont considérablement développées dans les vitraux, comme dans les autres arts, au cours du XVe siècle : dès 1433, avant la publication du traité d’Alberti, avec les cartons des vitraux du tambour de la coupole de la cathédrale, et un peu plus tard avec les vitraux de Baldovinetti à Santa Croce ou de Ghirlandao à Santa Maria Novella (PIRINA, 2002).

43 En France et en Allemagne, à la fin du XVe siècle, les phénomènes sont très différents, comme il ressort de la comparaison entre les dais du vitrail de la chapelle Le Roy à la cathédrale de Bourges (1473-1474), et ceux de la collégiale de Tübingen (1476-1479) et du vitrail de la famille Volckamer à Saint-Laurent de Nuremberg (vers 1481 ; KURMANN- SCHWARZ, 2002). À Bourges, les dais montrent une certaine perspective, mais ce sont

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surtout de puissantes et complexes niches architecturales dans lesquelles se serrent les apôtres. Dans les édifices allemands, les éléments architecturaux hiérarchisent et isolent les scènes,et ils s’enrichissent debranches et de feuilles jusqu’à former de hauts couronnements hybrides et fantastiques.

Questions iconographiques

Thèmes bibliques

44 Les études consacrées à l’iconographie biblique parues au cours des dix dernières années font preuve d’une nette prédilection pour le vitrail français du XIIIe siècle (GAUTHIER-WALTER, 2003 ; LILLICH, 2003 ; KRESS, 2004 ; GUEST, 2006) et pour les vitraux de la Sainte-Chapelle en particulier. Une seule verrière très prestigieuse du XIIe siècle, le vitrail anagogique du chœur de l’ancienne abbatiale de Saint-Denis, a suscité une interprétation de son contenu politique (FRANK, 1999).

45 Les articles sur le vitrail gothique portent surtout sur les verrières narratives des grandes cathédrales. De manière convaincante, Gerald B. Guest a mis la forme narrative de la parabole du Fils prodigue en rapport avec la culture des villes françaises (GUEST, 2006). De même, Meredith P. Lillich essaie d’expliquer la forme particulière du récit dans la rose nord de la cathédrale de Reims par les émeutes de 1234-1235, provoquées par les bourgeois de la ville, et leur châtiment qui s’ensuivit (LILLICH, 2003). Comme la parabole de l’Enfant prodigue, l’Histoire de Joseph jouissait d’une grande popularité au XIIIe siècle. L’excellente étude de Marie-Dominique Gauthier-Walter explique cette prédilection pour la fonction de Joseph, laïque par excellence, qui en fait le modèle du bon administrateur : non seulement le bon gouverneur veille sur le bien public, mais son action est toujours inspirée par Dieu (GAUTHIER-WALTER, 2003).

46 À côté des paraboles évangéliques, la recherche s’est surtout intéressée à deux autres thèmes : les cycles typologiques (REHM, 1999 ; RICHTER, 2004) et les chœurs angéliques (BRUDERER EICHBERG, 1998 ; MORGAN, 2004).

La Sainte-Chapelle

47 L’étude de l’iconographie des vitraux de la Sainte-Chapelle a considérablement progressé ces dix dernières années, d’une part grâce aux travaux d’Yves Christe et du groupe de recherche qu’il a constitué, et d’autre part grâce aux publications d’Alyce Jordan.

48 Pour mener leurs analyses, Christe et ses élèves ont repris à la base la question de l’authenticité des verrières en partant des archives et des descriptions de François de Guilhermy et surtout en examinant minutieusement les relevés à grandeur exécutés au moment où débutait la campagne de restauration des vitraux sous la direction de Lassus (1850-1855). Cette restauration provoqua des changements tels que le décor vitré de la Sainte-Chapelle n’est plus celui qu’avaient voulu Louis IX et Blanche de Castille. Pour Christe et ses collaborateurs, le programme iconographique des vitraux de la Sainte-Chapelle est de nature plus politique que morale ou typologique. La vitrerie constitue une forme de testament laissé par Louis IX avant son départ pour la Terre Sainte afin de véhiculer un message idéologique. La décision du roi de se croiser et sa volonté de manifester ses préoccupations dynastiques ont profondément marqué le

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programme iconographique, comme en témoigne la succession de scènes de couronnements qui rappellent le sacre des rois de France.

49 À deux reprises, Christe a proposé une synthèse des nombreux travaux de son équipe (CHRISTE, 2004c ; CHRISTE, 2007), qui s’attachent notamment à préciser les rapports étroits entre l’iconographie des vitraux et celle de cinq Bibles moralisées, dont quatre sont antérieures à l’acquisition des reliques par Louis IX. Dans les lancettes consacrées aux quatre grands prophètes, les liens avec les Bibles moralisées ont semblé si étroits aux auteurs qu’ils ont été tentés de reconnaître les manuscrits comme des modèles directs de ces verrières. Or, les liens des vitraux avec les Bibles moralisées paraissent plus lâches dans les travées droites de la nef, jusqu’à devenir quasi inexistants dans la verrière des Rois. La longue liste des publications débute par un article sur la verrière de l’Exode (CHRISTE, 1999). Ont suivi l’étude des lancettes consacrées aux prophètes Isaïe, Daniel et Ezéchiel, Jérémie (BUCHER, HÉRITIER, 2000 ; LINI, GROSSENBACHER, CHRISTE, 2000 ; CHRISTE, BRUGGER, 2001). Puis se sont succédées des publications consacrées aux autres thèmes vétérotestamentaires : Esther (CHRISTE, 2000 ; CHRISTE, 2001 ; MORARD, 2001), le livre des Juges et Samson (HEDIGER, 2001 ; HEDIGER, 2007b), Tobie (CHRISTE, BRUGGER, 2002), le Deutéronome et Josué (CHRISTE, 2003), le livre des Nombres (CHRISTE, 2004a), l’histoire de Job (CHRISTE, 2004b) et le livre des Rois (GROSSENBACHER, 2003/2004 ; GROSSENBACHER, 2007). John Lowden remarque qu’à l’inverse des Bibles moralisées, aucune scène moralisante n’est associée aux scènes bibliques des vitraux et en conclut que leur fonction même ne peut donc pas être comparée à celle des manuscrits, préférant penser qu’une grande part de la création iconographique réside dans la mémoire visuelle des artistes médiévaux17.

50 Jordan a choisi un tout autre point de vue. L’auteur a constaté qu’il y avait des parallèles très étroits entre les modes narratifs employés en littérature depuis plusieurs décennies avant la décoration de la Sainte-Chapelle, à savoir l’ars poetria, et le type de narration adopté dans les verrières de la Sainte-Chapelle, en particulier dans les fenêtres des travées droites (JORDAN, 2002, 2003a). Parmi les théories narratives, l’ amplificatio, par exemple, qui tient une grande place dans la littérature du XIIIe siècle, trouve un écho spectaculaire dans les vitraux par la répétition de certains types de scènes tels que les couronnements, les batailles, les scènes de négociations, etc. L’analyse des procédés littéraires appliqués à la narration dans les vitraux permet non seulement de proposer une réorganisation de l’ordre des panneaux anciens dans les verrières, mais aussi d’articuler les grandes lignes d’un programme iconographique fondé essentiellement sur la nature de la royauté : continuité avec la royauté dans l’Ancien Testament, permanence de la dynastie, devoir du roi d’assurer la protection de l’Église et de son peuple, glorification de la couronne.

51 Comme Christe, Jordan a également relevé le rôle important de Blanche de Castille, à partir des verrières de Judith et d’Esther, et a redonné un sens à la verrière abusivement dénommée « vitrail des reliques », alors qu’il s’agit d’un vitrail consacré aux fonctions royales (JORDAN, 1999). L’iconographie doit, selon Jordan, être mise en relation avec la liturgie du couronnement des rois de France et la liturgie composée pour célébrer la couronne d’épines (JORDAN, 2003b).

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Les vitraux hagiographiques

52 L’étude de l’iconographie des saints et de leur vie entraîne souvent un travail fastidieux de reconstitution de l’ordre initial de panneaux dispersés ou déplacés. Un exemple de ces difficultés est fourni par l’enquête de Cothren qui, en partant d’un panneau conservé au Glencairn Museum à Bryn Athyn (Pennsylvanie), a retrouvé la trace d’une verrière dédiée à la vie de saint Pierre ou des saints Pierre et Paul, créée en 1200-1210 pour une fenêtre du bas-côté sud de la cathédrale de Rouen (COTHREN, 1998). À partir de 1270, les panneaux furent remployés dans une « Belle Verrière », puis furent dispersés à une date inconnue. Contrairement à la cathédrale de Rouen, la vitrerie hagiographique de la cathédrale Saint-Nazaire de Bézier (1300-1310) est très peu connue (SUAU, 2002). Au XVIIIe siècle, elle fut littéralement éparpillée dans les grisailles ornementales des fenêtres du chœur. Il a fallu un grand effort à l’auteur pour reconstituer l’iconographie narrative et l’emplacement primitif des vitraux dans l’église. Au centre du chœur ont été placées une vie du Christ et celle des saints titulaires Nazaire et Celse. Les scènes de ces deux récits sont mêlées à des fragments de deux autres verrières narratives consacrées à saint Étienne et à saint Éloi qui proviennent des chapelles de la nef dédiées à ces derniers. Même disséminés, ces fragments de vitraux narratifs représentent un type devenu rare au XIVe siècle.

53 L’identification des scènes pose parfois des problèmes particuliers, car les récits hagiographiques, dans les vitraux, se réfèrent rarement à des textes précis mais souvent à une tradition orale. Au nord des Alpes, la vie de saint François a formé très tôt une tradition indépendante. Une des plus anciennes séries d’images a été créée pour les vitraux de l’église des Franciscains d’Erfurt (1230/1235), où la vie du saint est mise en rapport avec celle du Christ. Les inscriptions qui accompagnent les scènes prouvent que ces images ne se fondent pas sur la première vie du saint rédigée par Thomas de Celano, mais sur une tradition orale plus ancienne (RAGUIN, 2004). La verrière de François d’Assise à Königsfelden (vers 1340) véhicule encore des motifs remontant à la première moitié du XIIIe siècle et les adapte, en partie, à l’actualité de l’époque de la création de la verrière (KURMANN-SCHWARZ, 1999c).

54 Martin prend l’exemple de sainte Élisabeth pour discuter des premières tentatives dans l’art allemand et italien pour créer l’iconographie d’une sainte récemment canonisée. Les deux représentations les plus anciennes de sa vie, qui se trouvent sur la châsse de la sainte et dans une verrière à Sainte-Élisabeth de Marbourg, développent un parallèle, à la manière d’un cycle typologique, avec les œuvres de miséricorde exercées par la sainte, modèle de vertu (MARTIN, 2007). Si ce type de représentation de sainte Élisabeth est resté unique, le récit de la vie de la sainte a été adapté à la tradition des images réservée aux autres saintes femmes (à Assise, à Naumburg et encore à Marbourg même).

Programmes iconographiques

55 Aucun ensemble de vitraux du Moyen Âge ne nous étant parvenu sans avoir subi des pertes ou des désordres, l’analyse des programmes iconographiques exige, dans la majorité des cas, un travail de reconstitution en amont. On en veut pour exemple des vitraux de la Trinité de Vendôme, où les verrières mixtes composées de grisailles et de panneaux figurés, qui garnissent maintenant le chœur, avaient été créées vers 1280

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pour la chapelle axiale. Vers 1320, les moines décidèrent de les déplacer dans le chœur pour les rapprocher de l’armoire conservant la relique de la Sainte Larme du Christ, et de les compléter par une série de saints sous des dais (BOULANGER, 2005). Il en va de même à la cathédrale de Cologne où, après 1322, les fenêtres des chapelles du déambulatoire vitrées uniquement en grisailles reçurent des vitraux figurés de couleur dans leur partie basse, représentant des scènes hagiographiques ou des saints dans des niches. À l’époque moderne, ce programme vitré renouvelé fut malheureusement remonté dans le plus grand désordre et il fallut la réflexion approfondie d’un historien moderne pour lui redonner son sens originel (BECKSMANN, 2002b).

56 La reconstitution des programmes vitrés de l’ancienne église des Dominicains de Lübeck, de la salle capitulaire de la cathédrale de Salisbury et de Notre-Dame de Francfort-sur-l’Oder pose des problèmes encore plus complexes. Les vitraux de Lübeck (BÖNING, 1998) ont été presque entièrement détruits pendant la Seconde Guerre mondiale. Mais le chercheur et restaurateur Carl Julius Milde avait dessiné les vitraux quand, entre 1840 et 1872, ceux-ci avaient été reposés dans les fenêtres du chœur de l’église Notre-Dame, l’église des Dominicains ayant été démolie en 1818. Grâce à ces dessins et à d’autres documents iconographiques, Monika Böning a réussi à reconstituer cet ensemble d’une grande importance pour l’histoire du vitrail en Allemagne du Nord (voir aussi PARELLO, 2005). Pour des raisons religieuses, les vitraux de la salle capitulaire de la cathédrale de Salisbury, créés entre 1260 et 1280, furent presque entièrement détruits et dispersés à partir du règne d’Élisabeth Ire. L’étude des comptes de la fabrique et de l’iconographie de l’époque de l’historicisme du début du XIXe siècle a permis de reconstituer un programme de verrières mixtes avec des motifs figurés et héraldiques qui font référence aux défenseurs de l’Église (BLUM, 1998). Un sort plus heureux fut réservé aux vitraux de Notre-Dame à Francfort-sur-l’Oder, anciennement conservés dans les réserves du Musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, qui, en 2002, furent restaurés et rendus à leur lieu d’origine rebâti (PIOTROVSKY, 2002 ; KOZINA, 2005 ; FITZ, 2007). Cet ensemble retrouvé, créé avant 1367, présente un programme exceptionnel avec un cycle typologique au centre, comprenant le récit très détaillé de la Genèse au côté nord et la légende de l’Antéchrist (Antichristus) au côté sud. Mais le problème des sources de ce sujet rare et de l’identité des commanditaires n’est toujours pas résolu.

57 Une dernière question sur les reconstitutions concerne l’actualisation de programmes vitrés anciens, à l’origine entièrement composés de vitraux ornementaux (PARELLO, 2005/2006). Plusieurs églises des ordres mendiants d’Allemagne du Sud (églises franciscaines d’Esslingen et de Ratisbonne) avaient reçu à la fin du XIIIe siècle une vitrerie purement ornementale, conformément à l’esprit de l’ordre. Mais quelques décennies plus tard, dans un souci de modernité, ces édifices furent enrichis de vitraux figurés et colorés dans les fenêtres d’axe de leurs chœurs, transformant ainsi un programme purement ornemental en un programme historié.

58 En outre, les édifices n’ont que rarement conservé tout ou une partie de leur mobilier et de leurs vitraux d’origine. Il est donc d’autant plus difficile d’en comprendre le programme iconographique dans sa globalité. Dans certains cas, toutefois, il a été possible de démontrer que des vitraux d’Allemagne ou d’Autriche étaient étroitement liés aux vocables des autels et aux fonctions des églises ou de certains de leurs espaces intérieurs (LAUER, 1998 ; BECKSMANN, 2005b ; BUCHINGER, 2005 ; FITZ, 2005).

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59 La découverte des sources littéraires et théologiques fait le miel des chercheurs en iconographie, qui sont longtemps partis de l’hypothèse que les images se fondent sur des textes et qu’elles sont produites pour enseigner aux fidèles18. D’une manière convaincante, Ivo Rauch a expliqué le programme du chœur de la cathédrale de Chartres grâce à des sources théologiques (RAUCH, 2004). À Châlons-en-Champagne, la grande rose du bras nord du transept de la cathédrale a attiré l’attention de Lillich en raison de son programme figuré, profondément original, consacré au règne du Christ sur terre (LILLICH, 2001). La rose en elle-même, en particulier sa couleur verte, devient une représentation de la Jérusalem céleste, interprétation soulignée par la présence des figures de l’Église et de la Synagogue, ainsi que des apôtres dans la galerie du triforium. Cette iconographie complexe suggère qu’elle est l’œuvre d’un concepteur imaginatif, nourri de nombreuses sources textuelles et figurées. Il en est de même pour la rose de la cathédrale de Lausanne (KURMANN-SCHWARZ, 2008c). Cette image du monde en pierre et en verre résume le savoir chrétien sur le temps et l’espace qui encadrent la vie terrestre des fidèles et l’année liturgique des chanoines de la cathédrale (AMSLER et al., 1999).

60 Les vitraux du déambulatoire de la cathédrale de Bourges, créés autour de 1200, comptent parmi les ensembles les plus importants de France. La dernière étude parue soulève un point majeur, celui de l’intérêt du concepteur pour le programme vitré (VELHAGEN, 2003). L’auteur analyse un texte presque contemporain de la création des vitraux, le Liber bellorum Domini écrit par Guillaume de Bourges, un juif converti, qui reprend les mêmes rapprochements typologiques que ceux présentés dans les verrières. Or, la conversion de l’auteur et la création du programme vitré coïncident avec l’épiscopat de Guillaume de Dongeon, mort en 1209. L’auteur montre que le programme iconographique est largement inspiré de ce texte et que les vitraux sont antérieurs à la mort de l’archevêque en 1209.

Le vitrail et son contexte

Le vitrail et son contexte historique

61 Dans l’introduction à son livre Le corps des images publié en 2002, Jean-Claude Schmitt écrit : « Longtemps délaissées au profit des seuls historiens de l’art, les images sont aujourd’hui considérées comme des objets relevant, comme les autres (les témoignages écrits, en premier lieu), de l’observation des sciences sociales et du discours des historiens »19. C’est ne pas vouloir reconnaître que les historiens de l’art, particulièrement les médiévistes, ont depuis longtemps considéré l’image comme source au même titre que les textes. En témoignent les nombreuses études publiées ces dernières années, spécialement dans le domaine de la peinture sur verre.

62 La cathédrale de Chartres comme lieu de pèlerinage et son interaction avec les œuvres d’art conservées ou disparues a fait l’objet d’une étude de Bugslag, qui évoque les vitraux dans le cadre de son examen des manifestations de la dévotion à la Vierge (BUGSLAG, 2005). Dans des études précédentes, Bugslag avait concentré ses recherches sur certaines verrières, comme l’étonnante image de Jean Clément du Mez recevant l’Oriflamme des mains de saint Denis, placée dans une fenêtre haute située dans le bras sud du transept de la cathédrale de Chartres (BUGSLAG, 1998). Cette représentation, réalisée vers 1230, ne peut être expliquée que par des circonstances historiques

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exceptionnelles : d’une part la minorité du roi Louis IX et la régence de Blanche de Castille, et d’autre part l’accession d’Eudes Clément, frère de Jean, à l’abbatiat de Saint- Denis, dans un contexte conflictuel qui menaçait le royaume. D’après le même auteur (BUGSLAG, 2003), les croisades en Terre sainte ou contre l’hérésie albigeoise, auxquelles participèrent plusieurs seigneurs donateurs de vitraux, ont également influencé l’iconographie de certaines verrières.

63 La vitrerie de la cathédrale de Reims a été relativement peu étudiée en comparaison de son architecture ou de sa sculpture. Or elle présente un programme iconographique unique, surtout dans les fenêtres hautes du chevet (KURMANN-SCHWARZ, DEMOUY, 1998). Probablement commandités et offerts par l’archevêque Henri de Braine dès la première année de son épiscopat (1227-1240), les vitraux évoquent d’une part l’Église de Reims – symbolisée par les images de l’église métropolitaine et celles des diocèses suffragants, et par la représentation de l’archevêque et des évêques constituant la hiérarchie ecclésiastique – et d’autre part l’Église universelle représentée par la Vierge-Église, le Christ crucifié et les apôtres. Dans une période marquée par les conflits, l’archevêque de Reims expose sa propre vision de sa fonction ecclésiastique devant le roi et devant les chanoines. Lillich s’est intéressée à l’une des rosaces des fenêtres hautes de la nef proches du transept, qui montre Salomon couronné reposant sur un lit entouré par les guerriers d’Israël armés. L’auteur démontre que cette iconographie extrêmement rare, issue d’un passage du Cantique des Cantiques, est liée au couronnement des rois de France, qui se doivent d’être des modèles de paix et de sagesse ; en outre, elle fait le lien avec les écrits de l’archevêque carolingien de Reims Hincmar et avec l’Ordo du sacre qui date du milieu du XIIIe siècle (LILLICH, 2005).

64 À Florence, au cours du premier tiers du XIVe siècle, c’est dans le contexte de la querelle entre les Franciscains spirituels et conventuels sur la question de la pauvreté de l’ordre que les Bardi commanditèrent la décoration peinte et vitrée des deux chapelles de la famille à Santa Croce (THOMPSON, 2005). Saint Louis de Toulouse, récemment canonisé, tient ainsi une place majeure dans l’iconographie, accompagné de saints franciscains et de figures papales dans une fenêtre du transept, aux côtés de saint Louis de France et d’autres souverains canonisés dans la chapelle nord. Cette iconographie témoigne de l’allégeance des Bardi envers la dynastie des Angevins et de l’obédience des Franciscains de Santa Croce envers le pape.

65 La fonction même de la représentation des personnages historiques dans les vitraux est posée à propos des deux fenêtres occidentales de la nef de l’ancienne église abbatiale de Königsfelden créées vers 1360, qui montrent encore ou montraient jadis des princes et seigneurs de Habsbourg (KURMANN-SCHWARZ, 1999a). Ces portraits sont en relation avec le monument funéraire installé dans la nef et reprennent une tradition de cette famille : lorsqu’elle faisait ériger des tombeaux dans les monastères qu’elle avait fondés, elle les entourait d’images de ses membres.

66 Ainsi, la donation de vitraux peut éclairer le contexte politique d’une région à un moment donné, comme c’est le cas des vitraux du bras nord du transept de la cathédrale du Mans au cours du second quart du XVe siècle (GATOUILLAT, 2003). Si seulement huit portraits seigneuriaux ont survécu sur les trente-deux qui s’y trouvaient à l’origine, les documents permettent de restituer un programme global de propagande en faveur des Valois – en premier lieu le roi Charles VII – alors que le Maine était sous domination anglaise. L’occupant poussa même à l’achèvement de ce chantier de vitrerie en offrant des portraits de ses chevaliers. Gatouillat reprend cette

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question de la propagande politique par les Valois en ajoutant le cas du portrait de Charles VI dans la cathédrale d’Évreux. En effet, cette verrière était à l’origine entourée des donations de deux membres de la famille de Navarre alliés au roi, l’enjeu était d’affirmer la suprématie royale dans la capitale de ce comté resté longtemps insoumis (GATOUILLAT, 2005).

Le vitrail et son contexte liturgique

67 Les liens entre le culte des saints, leurs reliques, les processions et les lectures faites lors de l’office à la date de la fête de ces saints ont fait l’objet de deux études de Madeline H. Caviness. À Canterbury, le culte des premiers saints évêques, Dunstan et Alphege, était célébré dans le chœur des moines où étaient conservées les châsses et au-dessus duquel se trouvaient les vitraux qui leur étaient dédiés. Puis une liturgie élaborée fut mise en place dans la Trinity Chapel qui accueillait le tombeau du martyr Thomas Becket (CAVINESS, 1998). À Saint-Denis et à Chartres, le programme iconographique était étroitement lié au calendrier liturgique. Afin que les vitraux soient visibles lors des processions et des offices en l’honneur des saints représentés, on en vint même à déplacer certains vitraux, de la crypte à l’église supérieure à Saint- Denis, et, pense l’auteur, à l’intérieur de la cathédrale de Chartres (CAVINESS, 2000).

68 Le chevet de Saint-Denis a récemment fait l’objet d’une analyse globale qui concerne aussi bien les dispositions architecturales que le mobilier liturgique et les vitraux (FRANK, CLARK, 2002). Il apparaît que l’abbé Suger voulut faire du chœur de son abbatiale une « réplique » du Temple de Jérusalem, tel que l’avait dépeint Flavius Joseph. Les vitraux que décrit Suger étaient situés dans l’axe de vision du prêtre lorsqu’il célébrait la messe sur l’autel des martyrs, lieu le plus important de l’abbatiale, comparable au Saint des Saints du Temple de Salomon. Ces vitraux font référence à la lignée royale du Christ, descendant de David et de Salomon (Arbre de Jessé), à l’Arche d’alliance (vitrail « anagogique ») et à Moïse qui reçut de Dieu les tables de la Loi. Enfin, deux panneaux du XIIIe siècle faisant partie de la vitrerie de l’église de Wilton en Angleterre donnèrent l’occasion à Caviness de souligner l’importance de l’iconographie dédiée aux évêques et aux archevêques dans les cathédrales et les abbatiales françaises (CAVINESS, 1999).

69 Les reliques tiennent une place notable dans l’iconographie des vitraux de nombreux édifices. En témoigne une verrière reconstituée de la chapelle de la Vierge de Saint- Germain-des-Prés consacrée à l’histoire de saint Vincent de Saragosse (SHEPARD, 1998) ou le vitrail de l’ancienne abbatiale Saint-Julien de Tours remonté dans une baie de la cathédrale qui raconte l’histoire des reliques de saint Julien de Brioude, datant des environs de 1275 (SHEPARD, 2005).

70 À la suite d’une patiente enquête autour des reliques possédées par le trésor de la cathédrale de Chartres au moment de sa reconstruction, Lautier a pu établir que les liens entre verrières et reliques sont récurrents dans le programme iconographique de la vitrerie. En effet, une des fonctions des vitraux était de rendre visibles, transfigurées par la lumière, les images des saints dont les reliques étaient enfermées dans un trésor inaccessible aux fidèles (LAUTIER, 2003a). Le vitrail qui représente l’acquisition de la relique majeure, la « chemise de la Vierge » offerte à la cathédrale par Charles le Chauve, petit-fils de Charlemagne, devient ainsi par lui-même une « authentique » de la relique (LAUTIER, 2004b).

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Le vitrail, l’architecture et son décor

71 À la suite de l’article fondateur de Grodecki20, la question du rapport entre vitrail et architecture a été approchée par plusieurs auteurs ces dernières années, qui considèrent le vitrail comme élément d’un programme englobant la polychromie architecturale, les retables, les stalles, les clôtures de chœur et autre mobilier. La question du rôle et du statut du vitrail en tant que porteur d’images dans le contexte architectural, et de ses rapports formels et iconographiques avec l’espace bâti, est au centre des recherches. Ernst Bacher souligne qu’aux époques romane et gothique, l’architecture et le vitrail faisaient partie d’un système de polychromie englobant tout l’espace intérieur des édifices. À l’époque romane, les couleurs couvrant les murs pouvaient afficher des tons aussi éclatants que ceux du vitrail, tandis qu’à l’époque gothique les concepteurs avaient le choix entre deux solutions : maintenir un vif contraste ou bien rechercher l’harmonie (BACHER, 2004). Selon Bacher et Fritz Wochnik, les grandes campagnes de décoration des églises du Moyen Âge ont pu parvenir à un résultat convaincant uniquement grâce à la coopération de tous les protagonistes (BACHER, 2005 ; WOCHNIK, 2005)21. La chapelle Sainte-Catherine de la cathédrale de Strasbourg, par exemple, fondée en 1332 par l’évêque Berthold de Bucheck et probablement vitrée entre 1340 et 1345, permet de mettre en évidence les liens étroits entre les formes des vitraux et leur contenu d’une part, et l’architecture et sa fonction d’autre part (BECKSMANN, 2002a).

72 L’église de Merton College à Oxford, dont le chœur a été construit entre la fin des années 1280 et 1300, incite à analyser le rôle et l’identité de l’utilisateur reflétés à la fois dans une architecture simple et un décor précieux de vitraux (AYERS, 2007). Des verrières mixtes « en litre » (1311) montrent vingt-quatre fois le donateur, Maître Henry Mansfield, professeur au collège, agenouillé de chaque côté des apôtres ; un tel système compense la simplicité de l’architecture et lui donne des accents forts. Les apôtres prennent la fonction de modèle pour les membres de la communauté, qui sont aussi les utilisateurs privilégiés du chœur, tandis que l’image répétée du donateur renforce leur esprit de corps.

73 La cohérence entre les vitraux et le reste de l’édifice, dans sa forme comme dans sa fonction, est malheureusement souvent perdue. Les vitraux de la grande fenêtre ronde de la cathédrale de Sienne, créés d’après les cartons de Duccio (1285-1287), ont été privés du contexte architectural d’origine qui les liait primitivement à l’autel. Grâce à la monumentalité et à la clarté de la composition de Duccio et grâce au choix de la simple fenêtre ronde, ce rapport fut tout de même maintenu lors du remontage du vitrail dans le nouveau chœur, plus haut que dans le chœur d’origine (CAVINESS, 2007). La cathédrale de Bourges est également un exemple qui se prête à l’étude du rapport entre le contenu des vitraux et la fonction des différents espaces de l’édifice (KURMANN- SCHWARZ, 2007b).

74 Tandis que Grodecki s’était concentré sur l’impact de la forme des fenêtres et des vitraux sur la lumière interne des édifices, les chercheurs actuels mettent l’accent sur la complexité du rapport entre couleurs, formes et contenu des vitraux, avec les systèmes architecturaux, leur polychromie et les fonctions de leurs espaces internes. La réflexion sur ce sujet inclut les utilisateurs, c’est-à-dire le clergé et les fidèles, comme l’ont souligné aussi bien Caviness qu’Ayers, dans leurs études sur la réception. Les auteurs du Moyen Âge désignaient les fenêtres rondes, telle celle de la cathédrale de

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Sienne, comme étant les yeux d’une église. Or, les yeux humains passaient pour être les fenêtres de l’âme du fidèle qui percevait à travers les vitraux une réalité plus élevée (sur le symbolisme des fenêtres rondes, voir aussi HARTMANN-VIRNICH, 2004).

Transparence et transcendance : le rôle des couleurs et de la lumière

75 La couleur et la lumière sont constitutives du vitrail mais sont également primordiales pour définir l’aspect intérieur de l’architecture. Pendant longtemps, l’histoire de l’art a même considéré que l’esthétique et la métaphysique de la lumière fondaient les éléments créateurs du style gothique22. Les chercheurs ont ainsi tenté de donner à l’évolution de l’architecture gothique une base théorique, en exploitant les sources écrites telles que les textes de l’abbé Suger de Saint-Denis qui auraient rendu possible la naissance d’œuvres d’art. De nouvelles interprétations des écrits de Suger ont considérablement ébranlé, sinon réfuté, ces hypothèses (SPEER, 2004 ; BINDING, SPEER, 2001). La contestation de la position d’Erwin Panofsky, d’Otto von Simson et d’autres savants porte sur le manque de distinction entre la perception médiévale des œuvres et celle de notre époque. Par conséquent, les spéculations des auteurs médiévaux sur la lumière doivent d’une part être distinguées du développement de la forme des fenêtres, et d’autre part de la perception phénoménologique de la lumière qui passe à travers les vitraux colorés. C’est à juste titre qu’Andreas Speer a insisté sur le fait que les auteurs médiévaux ne se sont pas préoccupés de la lumière visible qui fait briller les vitraux, mais de la lumière qui émane d’au-delà du monde de l’expérience humaine. Il est donc hasardeux de parler d’une métaphysique de la lumière et plus juste de parler d’une symbolique fondée sur les écrits du Pseudo-Denis l’Aréopagite. La terminologie utilisée par l’abbé Suger trouve son origine dans la liturgie, surtout dans les rites de la consécration de l’église.

76 Il reste donc difficile de déceler une tendance philosophique ou théologique qui expliquerait l’évolution des formes architecturales tout au long des XIIe et XIIIe siècles23. Depuis le haut Moyen Âge, des générations de maîtres d’œuvre ont cherché des solutions satisfaisantes pour résoudre les problèmes de l’éclairage interne et pour le perfectionner en accord avec les verriers. À l’époque romane, les maîtres d’œuvre expérimentèrent des formes de fenêtres diverses intégrées dans différents systèmes architecturaux (HARTMANN-VIRNICH, 2004). À l’époque gothique, la lumière colorée devint un trait marquant de l’architecture (WESTERMANN-ANGERHAUSEN, 1998). Ce sont des idées déjà anciennes sur la Jérusalem céleste, véhiculées par la littérature hymnique et la liturgie, à l’origine de la perception que l’on avait du vitrail au Moyen Âge. Les commanditaires étaient en effet beaucoup plus familiers de ce genre de texte que des spéculations théologiques et philosophiques. La polychromie des édifices et de leurs vitraux leur rappelait les matériaux de construction de la Jérusalem céleste, comme les pierres blanches, l’or, le verre et les pierres précieuses. Ce sont surtout le verre et les couleurs qui avaient pour fonction de transcender les édifices. On peut en prendre pour témoin la deuxième préface du traité De diversis artibus, dans laquelle Théophile souligne la haute valeur du vitrail, qui a la possibilité de créer des images sans exclure la lumière du jour ; celle-ci est vitale pour la perception du vitrail car si elle ne le traverse pas, les images vitrées ne sont que des surfaces sombres recouvertes du réseau irrégulier des plombs (KURMANN-SCHWARZ, 2008a).

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La commande artistique

77 Par ses qualités lumineuses, le vitrail attire le regard des fidèles qui entrent dans les églises. C’est pour cette raison que les personnages haut placés commanditèrent de préférence des œuvres appartenant à ce genre artistique. Les commandes pouvaient être autant religieuses (évêques, chapitres, monastères) que laïques (bourgeois, seigneurs, princes), le nombre de ces dernières augmentant considérablement à la fin du Moyen Âge. La donation d’un vitrail ou d’un groupe de vitraux était toujours un moyen pour les donateurs d’œuvrer à leur salut.

78 Le droit canonique imposait aux évêques de financer pendant quelques années la reconstruction de leur cathédrale. Mais certains allèrent plus loin, comme Guillaume de Beaumont à Angers, qui fit donation de plusieurs vitraux de la cathédrale (BOULANGER, 2003a). L’évêque est représenté par ses armoiries, mais aussi en prière aux côtés de son oncle Raoul de Beaumont, lui aussi évêque d’Angers, aux pieds d’une Vierge à l’Enfant. L’action de l’évêque et du chapitre fut capitale dans la réalisation de la vitrerie de la cathédrale car les chanoines firent également des donations. Plus remarquables encore furent les libéralités du chantre Hugues de Semblançay qui offrit au XIIe siècle une dizaine de verrières de la nef (BOULANGER, 2003b). Plusieurs vitraux du haut-chœur de la cathédrale de Troyes témoignent également, par leur iconographie, des donations de ses évêques (BALCON, 2001), en particulier le vitrail de la Procession des reliques et celui du Pouvoir et de la hiérarchie ecclésiastique. L’étude des comptes du monastère des chanoines et des chanoinesses réguliers de Diesdorf aux confins occidentaux de l’Altmark montre qu’entre 1440 et 1530 des commandes régulières de vitraux furent passées dans les villes voisines de Salzwedel et Lüneburg (HINZ, 2000). Cela atteste l’importance des villes comme lieu où les métiers spécialisés pouvaient bénéficier des commandes nécessaires à leur survie.

79 Outre les commandes du clergé et des monastères, un des phénomènes les plus importants de la fin du Moyen Âge est la commande laïque. En évaluant les résultats d’une enquête menée dans des églises de Normandie et de Champagne ayant conservé des ensembles importants de verrières datant des XVe et XVIe siècles, Joubert a pu établir que les commanditaires laïcs isolés ont fait preuve d’un grand conformisme dans les choix des sujets iconographiques et de l’emplacement des vitraux (JOUBERT, 2001b). Le rôle du clergé et de la fabrique dans la conception du programme ne doit pas être négligé, mais il existe certains cas de recours à une thématique personnalisée qui touche plus les sujets hagiographiques que bibliques. Les vitraux maintenant conservés dans l’église Saint-Martin de Louze (Haute-Marne) viennent de l’abbaye de Prémontrés de Basse-Fontaine, près de Brienne-le-Château (Aube). Lillich identifie le donateur agenouillé comme étant Aimery de Brienne, qui aurait offert les verrières entre 1261 et 1266 (LILLICH, 1998/1999). Selon le même auteur, les vitraux de la fin du XIIIe siècle de la collégiale de Mussy-sur-Seine (Aube) et de l’hôpital de Tonnerre (dont il ne reste plus que des panneaux fragmentaires) furent commandités par Marguerite de Bourgogne, veuve du roi de Sicile Charles d’Anjou (LILLICH, 1998). Si la donation de la reine est assurée en ce qui concerne l’hôpital de Tonnerre, celle des vitraux de Mussy repose surtout sur des arguments stylistiques et non héraldiques ou documentaires. Kurmann- Schwarz, dans son étude sur Tonnerre, montre que Marguerite de Bourgogne, commanditaire de nombreuses œuvres d’art, a été fondatrice de l’hôpital des

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Fontenilles pour le salut de son âme et des membres de sa famille ; l’auteur restitue le décor de la salle des malades, dont les fenêtres étaient pourvues de grisailles décorées de bordures d’églantines et de médaillons enfermant des têtes de rois et de reines (KURMANN-SCHWARZ, 2007a). Il est bien possible que les lancettes des baies des trois absides fermant l’édifice aient comporté des images de la fondatrice et des saints patrons de l’hôpital.

80 À Évreux, une donation royale se déploie de manière éclatante dans la chapelle d’axe de la cathédrale : neuf verrières commémorent, au travers de leurs thèmes iconographiques consacrés à la Vierge, au Christ et à l’Arbre de Jessé, la cérémonie du sacre de Louis XI en 1461 (GATOUILLAT, 2001). Le roi renouvela la manifestation de sa reconnaissance envers Notre-Dame d’Évreux pour la naissance du dauphin en 1470, le futur Charles VIII, en offrant des verrières réalisées vers 1475-1480.

81 Des membres de deux générations de la famille ducale de Bourbon, ainsi qu’un représentant de la branche cadette des Bourbon-La Marche, comtes de Vendôme, commanditèrent des vitraux dans différents édifices du Centre de la France (Chartres, Riom, Moulins, La Ferté-Bernard, Lyon, Bourbon-L’Archambault) ; la motivation religieuse était étroitement liée à des objectifs séculiers (KURMANN-SCHWARZ, 2001b). Dans plusieurs cas, notamment l’Arbre de Jessé de la cathédrale de Moulins, les vitraux sont la marque d’une fondation religieuse et soulignent des aspects importants de la dévotion de la duchesse de Bourbon. Mais ces œuvres d’art étaient surtout utilisées comme moyen de représentation dans des lieux où le seigneur n’était que rarement présent.

82 Trois œuvres créées entre 1390 et 1450 environ, les vitraux de la Sainte-Chapelle de Bourges, la verrière de Charles VI à Évreux et le vitrail de Jacques Cœur à Bourges montrent que ces images restent fidèles à certaines formes traditionnelles comme l’intégration des personnages dans des cadres architecturaux. Ces derniers s’opposent à l’illusion du réel dont la peinture contemporaine témoigne à la même époque et leur fonction est de marquer les portes menant au palais céleste. C’est seulement en reconnaissant la signification de ces architectures peintes que l’on peut expliquer pourquoi ces commanditaires les souhaitaient, alors que l’illusion du réel était déjà au goût du jour dans la peinture (KURMANN-SCHWARZ, 2005b).

83 La vitrerie du prieuré bénédictin de Great Malvern (Worcestershire) est un des rares exemples d’Angleterre assez complet pour analyser comment ont pu être faites les donations de verrières au cours du XVe siècle (SCOTT, 2005). Il apparaît que les intérêts des donateurs laïcs et ceux des moines pouvaient coïncider pour la mise en place du programme iconographique, donnant une grande place aux premiers, tout en laissant au clergé le contrôle du projet figuré. Si de très nombreuses verrières furent détruites à l’époque de la Réforme, l’Angleterre a, en revanche, conservé un grand nombre d’archives, en particulier des testaments remontant à la fin du XIVe siècle, qui permettent d’identifier les intentions des donateurs (MARKS, 2004). Ces documents donnent beaucoup d’indications sur la décoration des édifices et sont aussi un miroir des conventions sociales car ils manifestent la volonté du donateur de commémorer sa lignée et son souhait d’assurer le salut de son âme.

84 Comme nous avons pu le montrer dans les chapitres consacrés au contexte historique et spirituel du vitrail, un nombre grandissant de chercheurs au cours des années récentes a étudié les œuvres dans une perspective qui relève de certains

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développements actuels de l’histoire de l’art. Dans les années 1980, l’analyse des systèmes narratifs des récits représentés dans les vitraux a été au commencement de cette tendance24. Ces études ont permis d’attribuer aux spectateurs des vitraux, c’est-à- dire les clercs et les fidèles venant à la messe ou les pèlerins visitant le sanctuaire, un rôle signifiant. En effet, le vitrail, par sa monumentalité et sa brillance, compte avec la sculpture monumentale parmi les œuvres d’art les plus publiques du Moyen Âge. Le rôle du spectateur face au vitrail a donc fait l’objet d’un nombre croissant d’études (CAVINESS, 2004, 2006). Ces dernières soulignent les fonctions mnémoniques (HARRIS, 2007) et les côtés moraux (HARDWICK, 2000) et historiques (SHEPARD, 2008) des images lumineuses. Un autre aspect de la réception touche la réflexion sur les matériaux et la manière dont ils ont « encodé » les images (HEDIGER, SCHIFFHAUER, 2007 ; KURMANN- SCHWARZ, 2008a). Ainsi l’image est-elle considérée en tant qu’objet complexe qui fonctionne comme un lien entre le spectateur d’une part et le saint ou le concept auquel la représentation fait référence d’autre part (KURMANN-SCHWARZ, 2005a).

85 Le nombre et la diversité des publications dont nous avons rendu compte témoignent d’un champ d’études foisonnant où recherche fondamentale en histoire de l’art et nouvelles tendances ne s’excluent pas mais, bien au contraire, s’inspirent mutuellement. L’étude novatrice d’un ensemble ou d’un groupe de vitraux n’est possible que si le chercheur peut s’appuyer sur des œuvres bien documentées et, inversement, l’inventaire et la documentation approfondie des vitraux ne doivent pas se suffire à eux-mêmes, mais être le point de départ de nouvelles perspectives.

BIBLIOGRAPHIE

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– SHEPARD, 2008 : Mary B. Shepard, « Memory and ‘Belles Verrières’ », dans Colum Hourihane éd., Romanesque Art and Thought in the Twelfth Century: Essays in Honor of Walter Cahn, Princeton, 2008, p. 291-302.

– Spätmittelalter am Oberrhein…, 2001 : Spätmittelalter am Oberrhein. Alltag, Handwerk und Handel 1350-1525, (cat. expo., Karlsruhe, Badisches Landesmuseum, 2001-2002), Stuttgart, 2001.

Perspective, 1 | 2009 171

– SPEER, 2004 : Andreas Speer, « Lux mirabilis et continua. Remarques sur les rapports entre la spéculation médiévale sur la lumière et l’art du vitrail », dans Le vitrail roman…, 2004, p. 85-97.

– Strasbourg 1400…, 2008 : Strasbourg 1400 : un foyer d’art dans l’Europe gothique, (cat. expo., Strasbourg, Musée de l’Œuvre Notre-Dame, 2008), Strasbourg, 2008

– SUAU, 2002 : Jean-Pierre Suau, « Vies des saints au debut du XIVe siecle dans les verrières démembrées de la cathédrale Saint-Nazaire de Béziers », dans Hagiographie et culte des saints en France méridionale : XIIIe-XVe siècle, (Cahiers de Fanjeaux, 37), Toulouse, 2002, p. 325-377.

– SUCKALE, 2003 : Robert Suckale, « Glasmalerei im Kontext der Bildkünste um 1300 », dans Robert Suckale, Stil und Funktion. Ausgewählte Schriften zur Kunst des Mittelalters, Munich, 2003, p. 381-390.

– SZOKE, WEDEPOHL, KRONZ, 2004 : Bela-Miklos Szoke, Karl-Hans Wedepohl, Andreas Kronz, « Silver- stained windows at Carolingian Zalavar, Mosaburg (southwestern Hungary) », dans Journal of Glass Studies, 46, 2004, p. 85-104.

– THOMPSON, 2005 : Nancy Thompson, « Cooperation and conflict: stained glass in the Bardi chapels of Santa Croce », dans William Robert Cook éd., The Art of the Franciscan Order in Italy, Leyde, 2005, p. 257-277.

– TOLLET, 2002 : Robert Tollet éd., Représentations architecturales dans les vitraux, actes du colloque international du Corpus Vitrearum, (colloque, Bruxelles, 2002), (Dossier de la Commission Royale des monuments, sites et fouilles, 9), Liège, 2002.

– VAGHI, VERITÀ, ZECCHI, 2004 : Francesca Vaghi, Marco Verità, Sandro Zecchi, « Silver stain on medieval window glass excavated in the Venetian lagoon », dans Journal of Glass Studies, 46, 2004, p. 105-108.

– VANDEN BEMDEN, 2000a : Yvette Vanden Bemden, « Le métier de verrier à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance dans les anciens Pays-Bas », dans Festschrift für Ernst Bacher, Österreichische Zeitschrift für Kunst und Denkmalpflege, 54, 2000, p. 377-384.

– VANDEN BEMDEN, 2000b : Yvette Vanden Bemden, « Le vitrail des XVe et XVIe siècles dans les anciens Pays-Bas », dans O Vitral. Historia, Conservaçao e Restauro, (colloque, Bathala, 1995), Lisbonne, 2000, p. 54-65.

– VELHAGEN, 2003 : Rudolf Velhagen, Ammoniciones lucis. Die Ermahnungen des Lichtes. Bildprogrammatik und Auftraggeber der Glasfenster im Chorumgang der Kathedrale von Bourges, 2 vol., Zurich, 2003.

– Le vitrail roman…, 2004 : Le vitrail roman et les arts de la couleur. Nouvelles approches sur le vitrail du XIIe siècle, (colloque, Issoire, 1999), numéro spécial de la Revue d’Auvergne, 570, 2004.

– VITTOZ, 2001 : Jean Vittoz, « Notre-Dame de la Basse-Œuvre de Beauvais », dans DELL’ACQUA, SILVA, 2001, p. 125-126.

– WESTERMANN-ANGERHAUSEN, 1998 : Hiltrud Westermann-Angerhausen, « Glasmalerei und Himmelslicht – Metapher, Farbe, Stoff », dans Himmelslicht…, 1998, p. 95-102.

– WHITEHOUSE, 2001 : David Whitehouse, « Window glass between the first and the eighth centuries », dans DELL’ACQUA, SILVA, 2001, p. 31-43.

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– WOCHNIK, 2005 : Fritz Wochnik, « Zur Wechselwirkung von Glasmalerei und äußerer und innerer Farbfassung von Sakralbauten in der Mark Brandenburg und in den angrenzenden Territorien », dans Ernst Badstübner éd., Licht und Farbe in der mittelalterlichen Backsteinarchitektur des südlichen Ostseeraums, Berlin, 2005, p. 281-325, 246-249.

– ZAKIN, 2001 : Helen Jackson Zakin, « Cistercian reuse of late Antique and early Medieval decorative motifs », dans DELL’ACQUA, SILVA, 2001, p. 159-172.

NOTES

1. Hans Wentzel, Meisterwerke der Glasmalerei, Berlin, 1951 ; Giuseppe Marchini, Le vetrate italiane, Milan, 1956 ; Marcel Aubert et al., Le vitrail français, Paris, 1958. 2. Alte Glasmalerei der Schweiz, (cat. expo., Zurich, Kunstgewerbemuseum, 1945-1946), Zurich, 1945 ; Meisterwerke alter deutscher Glasmalerei, (cat. expo., Munich, Bayerisches Nationalmuseum, 1947), Munich, 1947 ; Vitraux de France du XIe au XVIe siècle, (cat. expo., Paris, Musée des Arts décoratifs, 1953), Paris, 1953. 3. Louis Grodecki, avec Catherine Brisac, Claudine Lautier, Le vitrail roman, Fribourg, 1976. Louis Grodecki, Catherine Brisac, Le vitrail gothique au XIIIe siècle, Fribourg, 1984 ; Richard Marks, Stained Glass in England during the Middle Ages, Londres, 1993 ; Rüdiger Becksmann, Deutsche Glasmalerei des Mittelalters. Voraussetzungen, Entwicklungen, Zusammenhänge, Berlin, 1995. 4. Franz Kieslinger, Glasmalerei in Österreich, Vienne, 1947. 5. Mittelalterliche Glasmalerei in der Deutschen Demokratischen Republik, (cat. expo., Erfurt, Angermuseum, 1989-1990), Berlin 1989 ; Bilder aus Licht und Farbe. Meisterwerke spätgotischer Glasmalerei « Straßburger Fenster » in Ulm und ihr künstlerisches Umfeld , (cat. expo., Ulm, Ulmermuseum, 1995), Ulm, 1995 ; Von der Ordnung der Welt. Mittelalterliche Glasmalereien aus Esslinger Kirchen, Rüdiger Becksmann éd., (cat. expo., 1997, Esslingen, église des Franciscains), Stuttgart, 1997. 6. Banca Ipermediale delle vetrate italiane – Italian Stained Glass Windows Database : http:// www.icvbc.cnr.it/bivi 7. L’analyse de ces ouvrages ne pouvait malheureusement pas trouver place dans le cadre de cet article et l’on ne saurait trop inciter le lecteur à se reporter à la liste publiée sur le site web du Corpus Vitrearum international : http://www.corpusvitrearum.org. Le lecteur trouvera sur ce site non seulement la liste complète des publications des comités nationaux mais également un résumé de l’histoire du Corpus Vitrearum et le texte des « Directives ». 8. Anne Granboulan a développé son argumentation sur ces datations dans « De la paroisse à la cathédrale : une approche renouvelée du vitrail roman dans l’ouest », dans Revue de l’art, 103, 1994, p. 42-52. 9. Jean Lafond, « Le vitrail du XIVe siècle en France. Etude historique et descriptive », dans Louise Lefrançois-Pillion, L’art du XIVe siècle en France, Paris, 1954, p. 187-238 ; Jean Lafond, avec Françoise Perrot, Paul Popesco, Les vitraux de l’église Saint-Ouen de Rouen, CVMA-France, IV/1, Paris, 1970. 10. Duccio. Alle origini della pittura senese, Alessandro Bagnoli et al. éd., (cat. expo., Sienne, Santa Maria della Scala/Museo dell’Opera del Duomo, 2003-2004), Milan, 2003, p. 166-178. 11. Françoise Gatouillat, Michel Hérold, Les vitraux de Bretagne, (Corpus Vitrearum France, Recensement des vitraux anciens de la France, 7), Rennes, 2005, p. 172-182. 12. Peter Strieder, « Michael Wolgemut, Leiter einer ‘Großwerkstatt’ in Nürnberg », dans Lucas Cranach. Ein Maler-Unternehmer aus Franken, Claus Grimm, Eva Maria Brockhoff éd., Ratisbonne, 1994, p. 116-123.

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13. La thèse de Michael Burger, Geschichte des Ornamentfensters am Oberrhein, commencée sous la direction du Prof. Hans Hubert, promet de nouvelles avancées dans le domaine du vitrail ornemental. 14. Eva Frodl-Kraft, Die mittelalterlichen Glasgemälde in Niederösterreich, I, Albrechtsberg bis Klosterneuburg, (Corpus Vitrearum Medii Aevi Österreich, 2), Vienne/Cologne/Graz, 1972, p. 98-113 (vitraux en grisaille du cloître, vers 1220-1250), p. 125-145 (vitraux du chœur, vers 1290) ; idem, « Das ‘Flechtwerk’ der frühen Zisterzienserfenster. Versuch einer Ableitung », dans Wiener Jahrbuch für Kunstgeschichte, 20 (24), 1965, p. 7-20 ; Helen J. Zakin, French Cistercian Grisaille Glass, New York, 1979. 15. Hans Wentzel, Die Glasmalereien in Schwaben von 1200-1350, (Corpus Vitrearum Medii Aevi Deutschland, 1/1), Berlin, 1958, p. 218, fig. 613. 16. Rüdiger Becksmann, Die architektonische Rahmung des hochgotischen Bildfensters. Untersuchungen zur oberrheinischen Glasmalerei von 1250 bis 1350, Berlin, 1967. 17. John Lowden, « Les rois et les reines de France en tant que ‘public’ des Bibles moralisées : une approche tangentielle à la question des liens entre les Bibles moralisées et les vitraux de la Sainte-Chapelle », dans La Sainte-Chapelle de Paris. Royaume de France ou Jérusalem céleste ?, (colloque, Paris, 2001), Turnhout, 2007, p. 345-362. 18. La recherche récente a refusé cette dernière hypothèse avec raison. Voir aussi : Madeline H. Caviness, « Biblical Stories in Windows: Were They Bibles for the Poor? », dans The Bible in the Middle Ages. Its Influence on Literature and Art, (Medieval and Renaissance Texts and Studies, 89), (colloque, Binghamton [NY], 1985), Binghamton, 1992, p. 103-147 ; Colette Manhes-Deremble, Les vitraux narratifs de la cathédrale de Chartres. Étude iconographique, (Corpus Vitrearum France, Série Études, 2), Paris, 1993. 19. Jean-Claude Schmitt, Le corps des images. Essai sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, 2002, p. 21. 20. Louis Grodecki, « Le vitrail et l’architecture au XIIe et au XIIIe siècle », dans Gazette des Beaux- Arts, 6e période, 36, 1949, p. 5-24. 21. Pour cette raison, nous refusons la position de Wolfgang Kemp, Sermo Corporeus. Die Erzählungen der mittelalterlichen Glasfenster, Münster, 1987, p. 16-19, et de Leonhard Helten, Mittelalterliches Maßwerk. Entstehung, Syntax, Topologie, Berlin, 2006, p. 143-160, qui observent une soumission croissante du vitrail à l’architecture. 22. Erwin Panofsky, Abbot Suger and the Abbey Church of Saint-Denis and Its Treasures, Princeton, 1979 ; Otto von Simson, The Gothic Cathedral. Origins of Gothic Architecture and the Medieval Concept of Order, New York, 1956. 23. Pour la critique des hypothèses de Panofsky et de Von Simson, voir aussi : Christoph Markschies, Gibt es eine Theologie der gotischen Kathedrale. Nochmals: Suger von Saint-Denis und Sankt Dionys vom Areopag, Heidelberg, 1995. 24. Kemp, 1987, cité n. 22 ; Jean-Paul Deremble, Colette Manhes, Les vitraux légendaires de Chartres. Des récits en images, préface de Michel Pastoureau, Paris 1988 ; voir aussi le compte-rendu de Madeline H. Caviness, dans Speculum, 65, 1990, p. 972-975.

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RÉSUMÉS

Le démontage des vitraux lors de la Seconde Guerre mondiale, puis leur remise en place accompagnée d’une documentation, ont changé de manière radicale le regard des historiens de l’art sur ces œuvres. De plus, la fondation du Corpus Vitrearum en 1952 a donné à la recherche sur le vitrail une impulsion décisive qui perdure encore. Des volumes sont publiés régulièrement et des colloques bisannuels réunissent leurs auteurs. Parallèlement s’est développée une recherche si vaste et si variée que le présent article n’a pu rendre compte que des dix dernières années de publications sur le sujet. À côté des études monographiques qui couvrent le Moyen Âge en son entier, la recherche thématique sur le vitrail s’est intéressée à toutes les questions de l’histoire de l’art moderne : les aspects techniques, les sources, l’iconographie, le contexte historique et liturgique des ensembles vitrés, leur dimension spirituelle, le rôle du commanditaire et des artistes dans la production, la réception du vitrail et sa prise en considération comme média. Ces études sont la preuve que la recherche fondamentale et les nouvelles approches concernant ce genre artistique ne s’excluent pas, mais au contraire s’enrichissent réciproquement.

The dismantling of stained glass windows during World War II and their reinstallation, once properly documented, following the war, radically changed art historians’ consideration of these works. In addition, the creation of the Corpus Vitrearum in 1952 instilled research on stained glass with a driving force can be felt even today. New volumes are published regularly, and biannual conferences bring together their authors. Parallel to the activity of the Corpus, this field of research has developed so vastly and in such varied ways that the authors of the present article have been obliged to restrict their survey to publications from the past ten years. Besides monographic studies covering the entire Middle Ages, thematic research on stained glass has touched upon all of the issues raised by art history today: technical aspects, sources, iconography, the historical and liturgical contexts of stained glass ensembles, their spiritual dimension, the role of patrons and artists in production, the reception of stained glass, and its study as a form of media. These studies are proof that fundamental research and new approaches to stained glass are not mutually exclusive and, on the contrary, can greatly benefit one another.

Die Bergung der Glasmalereien während des zweiten Weltkrieges, die Rückführung an ihren Standort und ihre Dokumentation führten zu einer radikalen Veränderung des kunsthistorischen Blickes auf diese Werke. Außerdem gab die Gründung des Corpus Vitrearum im Jahre 1952 der Glasmalereiforschung einen Impuls, der sie bis heute vorantreibt. Regelmäßig erscheinen neue Bände, und alle zwei Jahre treffen sich ihre Autoren zu einem Kolloquium. Rund um diese Aktivitäten entstand eine so umfangreiche, vielfältige Forschung, daß der vorliegende Artikel sich auf die Besprechung der Arbeiten aus den letzten zehn Jahren beschränken mußte. Neben monographischen Studien zu den mittelalterlichen Glasmalereien behandeln die Beiträge alle Themen der modernen kunsthistorischen Forschung: Aspekte der Technik, die schriftlichen Quellen, die Ikonographie, den historischen und liturgischen Kontext der Verglasungen, ihre spirituelle Dimension, die Rolle des Auftraggebers und der Künstler bei der Herstellung der Glasmalereien, ihre Rezeption und ihre Untersuchung als Medium. Die behandelten Forschungsarbeiten belegen, daß sich Grundlagenforschung und neue Ansätze zur Untersuchung einer Kunstgattung nicht ausschließen, sondern gegenseitig bereichern.

Lo smontaggio delle vetrate durante la Seconda Guerra mondiale, e il loro ricollocamento accompagnato da un’operazione di documentazione, hanno radicalmente cambiato lo sguardo degli storici dell’arte su queste opere. Inoltre la fondazione del Corpus Vitrearum nel 1952 ha dato

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alla ricerca sulle vetrate un impulso decisivo che è ancora forte. Dei volumi sono pubblicati regolarmente e dei convegni biennali ne riuniscono gli autori. In parallelo si è sviluppata una ricerca così ampia e varia che il presente articolo non ha potuto rendere conto che delle pubblicazioni degli ultimi dieci anni sull’argomento. A fianco degli studi monografici che coprono l’intero medioevo, la ricerca tematica sulle vetrate si è interessata a tutte le problematiche della storia dell’arte moderna: gli aspetti tecnici, le fonti, l’iconografia, il contesto storico e liturgico dei complessi delle vetrate, la loro dimensione spirituale, il ruolo del committente e degli artisti nella produzione, la ricezione della vetrata e la sua presa in considerazione come supporto plastico. Tali studi sono la prova che i metodi di ricerca di base e i nuovi approcci riguardanti questo genere artistico non si escludono, ma al contrario si arricchiscono reciprocamente.

El desmontaje de los vitrales en la segunda guerra mundial y su posterior reinstalación documentada acarreó un cambio de mirada radical de los historiadores del arte con respecto a esas obras. Además, la fundación del Corpus Vitrearum dio en 1952 un impulso decisivo, que aún perdura, a la investigación sobre los vitrales. Se publican estudios con regularidad, cuyos autores se reúnen en coloquios dos veces al año. Asimismo se ha desarrollado une investigación tan amplia y variada que el presente artículo ha debido ceñirse a la publicación de los últimos diez años sobre el tema. Junto a los estudios monográficos que abarcan la totalidad de la Edad Media, la investigación temática sobre los vitrales ha llegado a examinar todos los aspectos de la historia del arte moderno: la faceta técnica, las fuentes, la iconografía, el contexto histórico y litúrgico de los conjuntos vitrales, su dimensión espiritual, el papel del encargante y de los artistas en la producción, la recepción del vitral y su consideración como medio de comunicación. Estos estudios demuestran que no se excluyen la investigación fundamental y los nuevos enfoques sobre este género artístico sino que se van enriqueciendo mutuamente.

INDEX

Index géographique : Europe, Amsterdam, États-Unis, Canada, Russie, Allemagne, Autriche, Suisse, Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie Keywords : stained glass, glassware, glazing, restoration, preservation, painter-glazier, Romanesque, Zackenstil, international Gothic, etching, biblical iconography, Tree of Jesse, hagiography, Heavenly Jerusalem Mots-clés : vitrail, verrière, vitrerie, restauration, conservation, peintre-verrier, style roman, Zackenstil, gothique international, gravure à l'acide, arbre de Jessé, iconographie biblique, hagiographie, Jérusalem céleste Index chronologique : 1000, 1100, 1200, 1300, 1400, 1700, 1800, 1900

AUTEURS

BRIGITTE KURMANN-SCHWARZ

Professeur d’histoire de l’art à l’Universität Zürich et chercheur au Vitrocentre Romont, Centre suisse de recherche sur le vitrail et les arts du verre. Elle est présidente, depuis 2004, du Comité international du Corpus Vitrearum et membre de la Commission pour le Corpus Vitrearum de l’Académie suisse des sciences humaines et sociales.

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CLAUDINE LAUTIER Chercheur au Centre national de la recherche scientifique. Elle est responsable de l’équipe de recherche sur le vitrail du Centre André Chastel (UMR 8150). Elle est depuis 2004 vice-présidente du comité international du Corpus Vitrearum.

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Moyen Âge

Actualité

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Les images médiévales à la recherche de nouveaux cadres Reframing medieval images

Dominique Donadieu-Rigaut

RÉFÉRENCE

Jérôme Baschet, L’iconographie médiévale, (Folio Histoire inédit), Paris, Gallimard, 2008. 468 p., 48 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 978-2-07-034514-4 ; 9,90 €. Brigitte d’Hainaut-Zveny, Les retables d’autel gothiques sculptés dans les anciens Pays-Bas. Raisons, formes et usages, (Classe des Beaux-Arts), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008. 437 p., 78 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 978-2-8031-0248-8 ; 30 €. Jean Wirth, L’image à l’époque gothique (1140-1280), Paris, Cerf, 2008. 426 p., 143 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 978-2-204-07915-0 ; 42 €.

1 Trois ouvrages parus en 2008 sur l’image médiévale semblent annoncer, chacun à sa manière, la fin de l’engouement pour le fractionnaire, le singulier et le discontinu qui a affecté les sciences humaines postmodernes. Loin d’adopter la posture de la « conclusion impossible » ou celle de la monographie n’engageant qu’elle-même, ces travaux cherchent à dégager de réels enjeux historiques et épistémologiques considérés à partir d’échelles temporelles amples et de corpus documentaires étoffés. Dans L’iconographie médiévale, Jérôme Baschet rassemble, en un format éditorial accessible à tous, l’ensemble de ses réflexions méthodologiques sur l’image médiévale menées depuis une quinzaine d’années. La mise en livre d’articles jusqu’ici épars révèle la cohérence d’une pensée nuancée qui se méfie des théories et des systèmes trop bien suturés ne pouvant déboucher que sur des analyses mécanicistes et univoques. Jean Wirth poursuit, avec L’image à l’époque gothique, l’écriture de la trilogie ouverte par L’image à l’époque romane1 et bientôt close par L’image à la fin du Moyen Âge d’ores et déjà annoncée. La structure tripartite de cette vaste entreprise, ainsi que les titres des trois ouvrages, suffisent à nous convaincre qu’il s’agit pour l’auteur de se confronter à l’œuvre d’Émile Mâle pour mieux la revisiter. Enfin, Brigitte D’Hainaut-Zveny, avec Les

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retables d’autel gothique sculptés dans les anciens Pays-Bas, élabore autour de son objet d’étude – un corpus d’une centaine de retables – une démarche d’investigation personnelle se nourrissant sans a priori d’apports méthodologiques empruntés à diverses branches des sciences humaines qu’elle fait cohabiter pour le plus grand profit de sa problématique. Son travail se présente non comme une synthèse à la Michelet, mais comme un essai de « compréhension globale » du tableau d’autel.

2 Ces trois ouvrages intègrent les apports majeurs de ces dernières années à l’étude des images médiévales, notamment la reconnaissance de leur dimension foncièrement anthropologique. Les auteurs emploient d’ailleurs volontairement le terme d’« image », et non celui d’« œuvre d’art » ou de « représentation », afin de faire leur le double héritage de Hans Belting2 et de Jean-Claude Schmitt 3 : les images ne peuvent être analysées en dehors de leurs usages et de leurs fonctions4, et ne peuvent se résumer aux images matérielles tant il est vrai qu’elles fonctionnent notamment en relation avec les représentations mentales surgissant lors des rêves ou dans la mémoire. En outre, la matérialité des œuvres doit être pleinement prise en considération puisqu’elle participe de leur effet : c’est l’« image-objet » de Baschet. Les trois auteurs reviennent également sur le phénomène central de l’incarnation dans la mesure où imago est un concept indispensable pour penser les rapports de ressemblance et de dissemblance entre Dieu et l’homme, mais aussi entre les trois personnes de la Trinité, le Fils étant, selon la célèbre formule d’Irénée de Lyon, la « visibilité du Père ». En ce sens, l’incarnation légitime non seulement la représentation anthropomorphique du divin mais aussi l’existence d’images porteuses d’une certaine forme de corporéité.

3 Cette volonté de saisir les objets médiévaux dans toute leur complexité et au-delà de ce qu’ils donnent à voir a poussé ces trois auteurs à repenser l’iconographie (que ce soit dans la lignée mâlienne ou panofskienne) à l’aune de l’anthropologie, de la théologie, voire de la sémiologie. Tous consacrent de belles pages soit à l’étude approfondie de telle ou telle œuvre (la voûte de Saint-Savin, entre autres, pour Baschet), soit aux associations entre thèmes iconographiques (les figures des saints et la Passion du Christ pour D’Hainaut-Zveny) ou bien encore à des sujets particuliers (la roue de la Fortune ou le Jugement dernier pour Wirth).

Comment articuler images et histoire ?

4 Redéfinir l’iconographie passe nécessairement par une élucidation des rapports entre images et histoire. Aucun des trois auteurs n’est adepte de la Vie des formes5. Tous prennent en compte les relations étroites entre les œuvres et l’histoire, en faisant toutefois référence (de façon implicite ou explicite et à des degrés divers) à la notion de « pensée figurative » développée par Francastel6, c’est-à-dire à la capacité qu’ont les images à produire du sens par elles-mêmes. Mais chacun situe à des niveaux différents les liens entre histoire et images. Pour Baschet, les images sont dans l’histoire dès lors qu’elles engagent des actes sociaux et contribuent à créer des interactions non seulement entre les hommes ici-bas, mais aussi entre les hommes et Dieu. En adoptant cette ligne très anthropologique, il rompt avec les conceptions de l’image comme simple « reflet de la réalité », ou même comme « témoin des mentalités » d’une époque. En d’autres termes, il réfute leur caractère passif, préférant insister sur leur capacité opératoire à produire « du réel et de l’idéel ». D’Hainaut-Zveny, qui se réclame également d’une perspective anthropologique, a choisi d’intégrer à sa démarche la

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notion de culture proposée jadis par Pierre Bourdieu : « un univers symbolique où les symboles, plus ou moins partagés, servent à penser, à agir, à juger »7. Son objectif consiste à resituer les retables sculptés dans « un complexe d’idées et de sentiments » pour tenter de « voir les choses du point de vue de leurs utilisateurs » (D’HAINAUT-ZVENY, 2008, p. 20). Là encore, c’est par le biais de la fonction (ou, plus subtilement, des usages différenciés des retables) que l’auteur appréhende les images et leur donne sens dans l’histoire. Elle récuse tout principe de causalité historique au profit de la notion de coïncidence qui lui permet de construire un réseau signifiant de thématiques et de pratiques rituelles et/ou dévotionnelles autour de ses objets. Elle décèle ainsi la « cohérence organique » (p. 21) des retables dans les corrélations qu’ils entretiennent avec l’écheveau de la société environnante. Les relations établies par Wirth entre histoire et images s’avèrent plus problématiques dans la mesure où il tire la définition de l’image gothique du côté de la sémiologie. En débutant son ouvrage par un savant chapitre sur les réflexions scolastiques ayant érigé l’image en signe, il semble sous- entendre que la théologie est première, ou du moins que le chercheur a nécessairement besoin de s’appuyer sur la scolastique pour penser les images médiévales. La prééminence qu’il accorde aux principes théologiques est tout entière au service du plan général de son ouvrage visant à prouver qu’il y a rupture entre une époque romane qui serait entièrement façonnée par l’idéologie monastique du mépris du monde, et une époque gothique plus ouverte au monde profane, réconciliée avec la chair et les sens.

5 Les rapports entre images et histoire engagent également la question des transformations des œuvres dans le temps. Wirth, renouant avec des conceptions historiographiques somme toute assez évolutionnistes (pour lui, l’époque gothique est « une véritable époque de progrès global, à la fois technique, politique et social », p. 388) n’en est pas moins très attentif à une datation précise qui l’amène à nuancer son discours. Il décèle notamment des décalages chronologiques entre la pensée scolastique et les « innovations » iconiques. Quelques-uns des sourires apparaissant sur les lèvres des Élus (porte du Prince de la cathédrale de Bamberg), des anges (façade occidentale de la cathédrale de Reims) ou encore de la Vierge (portail Saint-Honoré de la cathédrale d’Amiens) précèdent les théories hylémorphistes telles qu’elles furent réactualisées par Albert le Grand et Thomas d’Aquin. La grande statuaire semble donc avoir formulé avant les théologiens l’idée que le corps est le miroir de l’âme.

6 Baschet, en revanche, réfute avec force la notion d’unité historique qui permettrait d’englober la totalité des œuvres d’une période donnée en un même ensemble homogène. Il insiste au contraire sur l’inventivité foncière et permanente des images médiévales, une inventivité niée par l’iconographie traditionnelle dont l’un des objectifs est de définir les conventions de l’art religieux, ses modèles et ses stéréotypes. C’est précisément la raison pour laquelle l’auteur a mis au point une méthode d’« iconographie sérielle », qui vise à éclairer la façon dont les images s’apparentent les unes aux autres et font sens dans cette relativité dynamique. La construction de corpus sériels par le chercheur s’avère alors cruciale pour l’analyse non seulement des images elles-mêmes mais aussi de ce qui se joue entre les images, dans les citations, les emprunts, les glissements et les écarts. Cette approche implique des échelles temporelles pluriséculaires permettant de percevoir les phénomènes de tâtonnement, de coexistence temporaire ou d’effacement progressif de certains thèmes iconographiques au profit d’autres, comme Baschet en a déjà fait la démonstration dans un ouvrage précédant, à propos du sein d’Abraham8.

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7 La « longue durée » est également l’un des soucis méthodologiques D’Hainaut-Zveny. Bien qu’elle focalise son attention sur les retables des anciens Pays-Bas à la fin du Moyen Âge, l’auteur prend soin de mettre en perspective son objet d’étude, y compris d’un point de vue historiographique. C’est ainsi qu’elle repère trois moments distincts et successifs dans l’histoire des retables, sans pour autant nier les phénomènes de coexistence : « le temps des reliques », « le temps des images », « le temps du Saint- Sacrement ». Son argumentation vise à montrer qu’entre le XIVe siècle et le milieu du XVIe siècle, les images des retables ont assumé seules le rôle de présentification9 du sacré sur l’autel, sans que les reliques ou le Saint-Sacrement ne soient nécessairement intégrés à la structure de ces « images-objets ». Pour elle, le moteur essentiel de ces mutations réside dans les relations variables que les fidèles et le clergé entretiennent avec la présence divine ici-bas. Les rapports à la fois complémentaires et concurrentiels entre images, reliques et hostie consacrée semblent ainsi présider à cette histoire complexe des retables sculptés.

Les images et leurs « lieux »

8 Si la conjonction des images et du temps historique retient les trois auteurs, Baschet et D’Hainaut-Zveny consacrent à la question cruciale de l’espace, ou plutôt des lieux de l’image10, des pages essentielles. Depuis les travaux novateurs de Paul Zumthor11, nous savons que le Moyen Âge ignore l’espace unifié, homogène et continu en tant que catégorie abstraite, indépendante des objets qui l’habitent. C’est en termes de réseaux multipolaires que la question se pose, chaque locus étant le siège d’une présence, d’une force, d’un sentiment d’appartenance à partir duquel les rapports sociaux s’organisent, les entités sociales se constituent. Il est donc impropre et anachronique de parler d’espace tel que nous l’entendons aujourd’hui pour la période médiévale, aussi bien en ce qui concerne la structuration de la chrétienté que la composition d’une image matérielle12. Jérôme Baschet souligne d’ailleurs à quel point on ne saurait isoler les lieux de l’image des lieux sociaux tant il est vrai que les images-objets ont grandement contribué à la polarisation de la société féodale. Il focalise son attention sur le bâtiment ecclésial, centre d’un ensemble de cercles concentriques allant du cimetière à la chrétienté tout entière en passant par les échelles intermédiaires que sont la paroisse et le diocèse. En effet, l’église, ancrée dans un territoire, incarne non seulement le creuset où se réalise l’unité de l’Ecclesia (par le biais des sacrements), mais aussi le lieu par excellence des images puisque les ornamenta et les imagines contribuent à la magnifier, c’est-à-dire à la désigner comme sacrée. Abandonnant la dichotomie traditionnelle sacré/profane, l’auteur propose de penser ces configurations réelles et idéelles en termes « d’enveloppes sacrales ». Dès lors, il met en évidence non plus une frontière symbolique exclusive mais des successions de seuils menant à des degrés de sacralité marqués précisément par la présence d’images. Ainsi, le décor ecclésial, compris dans sa complexité et ses interactions (peintures murales, sculptures internes et externes, retables, luminaires et objets liturgiques), manifeste tout à la fois les zones de polarisation de l’édifice (autels consacrés), ses multiples divisions internes (mur diaphragme, jubé…), et son axialité dynamique et orientée (locus/iter).

9 L’importance des liens entre liturgie, espace ecclésial, organisation sociale et images est également soulignée par D’Hainaut-Zveny. Pour elle, les retables ordonnent l’agencement interne du bâtiment dans la mesure où ils contribuent à en faire un

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espace partagé clercs/laïcs. Par leur fonction ambivalente, ces tableaux d’autels sculptés renforcent d’une part le pouvoir sacerdotal en intensifiant les gestes et les paroles du prêtre lors du rituel eucharistique, et favorisent d’autre part les pratiques dévotionnelles en créant les conditions d’une relation à Dieu personnalisée. Le retable règle donc les rythmes de la vie religieuse et les modalités d’occupation des lieux en faisant cohabiter le temps de la messe et le temps des dévotions, personnelles ou collectives (familles, confréries, corporations…).

10 Si les retables sculptés sont dans l’église et sur l’autel, ils possèdent eux-mêmes leur propre configuration en volume. D’Hainaut-Zveny montre que chacune des multiples alvéoles de ces architectures en bois correspond à un petit théâtre de mémoire où vient se lover le rapport projectif du dévot au mystère divin. La disposition en cercle des personnages peuplant ces cavités ménage une place vide en amont de la scène : celle du fidèle, invité à faire sa propre expérience de la présence divine en concentrant dans ces écrins dorés les mouvements de son âme. Ainsi, la juxtaposition de niches permet l’absorption du sujet chrétien dans les lieux de l’Histoire Sainte. L’auteur oppose à cet égard les polyptyques des Pays-Bas aux retables peints en Italie à la même époque : là où le système perspectif institue la représentation en créant une distance entre celui qui regarde et le représenté, les « concrétisations imaginaires » des Pays-Bas refusent l’objectivation de la représentation, favorisant ainsi l’investissement du fidèle dans un dispositif en relief.

11 Les trois ouvrages montrent combien les images font les lieux et comment les lieux s’emboîtent ; les images réagissent les unes par rapport aux autres et suscitent dans la mémoire d’autres images, matériellement absentes ; les images prennent sens en interaction avec les gestes, les pensées, les affects des hommes. C’est ce que Baschet propose d’appeler « l’iconographie relationnelle » : les sens possibles d’une œuvre ne résident pas uniquement dans ses configurations plastiques et ses thématiques ; les nœuds de relations internes au discours figuratif interagissent avec les situations sociales qui se jouent devant les œuvres, notamment dans l’église.

Le visible, l’exhibé, le dissimulé

12 On peut difficilement parler d’images sans se soucier de la question du regard13. Non seulement parce que les hommes du Moyen Âge regardaient (ou non) les images-objets, mais aussi parce que celles-ci fixaient parfois les hommes de leurs yeux perçants. En outre, les représentations ne sont pas totalement étrangères aux différentes conceptions scientifiques de la vision, ni même à ce que nous considérons comme visible ou invisible, représentable ou non représentable, beau ou laid.

13 Wirth puise dans le Roman de la rose (1230-1270) matière à relier la vision, le reflet, la beauté et le désir. Il décèle dans ce grand texte de la littérature courtoise une légitimation du savoir passant par les sens et dont la nature serait l’objet principal. La totalité du monde étant alors considérée comme « un livre écrit du doigt de Dieu », l’image acquiert son sens spirituel dès lors qu’elle cherche à reproduire avec ressemblance l’aspect de ce monde tangible, scruté dans ses moindres détails. Le beau artistique n’a donc pas de réalité en soi : il n’est que l’émanation du beau naturel, reproduit dans ses proportions et ses qualités sensibles, voire sensuelles. Cette mutation culturelle constitue pour l’auteur la clé d’un art gothique résolument optimiste et anti-ascétique, ayant émergé dès le milieu du XIIe siècle dans le reflux de la

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réforme grégorienne. Loin de lui, cependant, l’idée simpliste d’une époque gothique qui se dégagerait de l’emprise de l’Église pour représenter un monde ici-bas résolument profane. Le nouveau regard que le sujet chrétien pose sur la nature participe de la divination de la chair christique dans le cadre eucharistique. L’heure n’est plus au spirituel invisible. Le vieil adage « heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jean 20,29), qui permettait de taxer d’incrédulité le geste de saint Thomas, cède la place à l’adoration de la divinité incarnée, visible, représentable, palpable et consommable. Wirth propose donc de substituer à la césure visible/invisible, le binôme naturel/surnaturel, la transsubstantiation étant la manifestation la plus accomplie du surnaturel sur terre.

14 À l’inverse, Baschet vide en quelque sorte l’ici-bas de sa consistance afin de mieux combattre la notion d’« image-miroir ». À partir d’exemples touchant à des actes rituels, il démontre que les images matérielles ne peuvent en aucun cas refléter le réel dans la mesure où, pour la pensée figurale du Moyen Âge, ce sont les réalités d’ici-bas qui constituent un pâle reflet des vérités célestes, par nature invisibles. Le chapiteau montrant le Christ lavant les pieds des apôtres dans le cloître de Moissac ne doit donc pas être analysé comme la simple représentation in situ de la cérémonie du mandatum impliquant l’abbé et ses moines. Ce serait plutôt le rite monastique qui reflèterait, au sein du monde claustral, la vérité christique. L’image, elle, serait là pour remémorer et manifester le prototype divin, c’est-à-dire donner sens aux gestes des moines s’effectuant dans le temps historique. Ainsi, la sculpture n’illustre rien : elle dévoile les raisons de l’efficacité rituelle, tout en métamorphosant temporairement l’abbé en figura du Christ. Et en dehors du déroulement du mandatum, l’image constitue la trace durable du rituel éphémère.

15 D’Hainaut-Zveny, étant donné la spécificité de ses objets d’étude, place au cœur de sa réflexion sur le visible et l’invisible la question du « comment rendre présent le sacré ». Elle analyse l’apparition, au XIVe siècle, des volets mobiles sur les retables comme l’émergence d’un dispositif permettant de réguler l’accès à la présence divine. Cette « innovation » n’est pas à envisager comme une simple modification formelle de la structure des retables, ni même comme une adaptation « mécanique » du tableau d’autel aux pratiques liturgiques. En orchestrant une alternance entre ostentation et occultation, les volets transforment le statut même des images. L’auteur en fait la démonstration en s’appuyant sur la définition du sacré selon Émile Durkheim comme « ce qui doit être tenu à distance », « ce qui doit être caché »14. Les images sculptées des huches, dissimulées par les images peintes des volets, acquièrent un degré de sacralisation inégalé, précisément parce qu’elles sont le siège d’une privation visuelle. Ainsi, les volets sacralisent les images, où plutôt leur confèrent cette capacité à rendre présent le sacré dès lors qu’ils contraignent la vision à l’incomplétude.

16 L’accessibilité ou la non-accessibilité constitue donc l’un des paramètres à prendre en considération dans l’analyse des images médiévales. Faut-il rappeler que nombre de sculptures ou de vitraux, traités avec un soin extrême, ont été placés sciemment hors de portée de l’œil humain, comme s’ils étaient dévolus d’abord et avant tout à l’œil omniprésent et omnipotent de Dieu ? La relation entre le regard humain et l’image n’est donc pas, au Moyen Âge, une relation absolument nécessaire. Pour certaines images, « être là » s’avère au moins aussi important qu’être vues.

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17 Ces trois livres, d’une densité remarquable (et qui recèlent encore bien d’autres champs non évoqués ici) méritent d’être lus et relus afin d’y puiser matière à réflexion, matière à expérimentation méthodologique, en infirmant ou confirmant les hypothèses et les démarches proposées. Leur volonté de se positionner vis-à-vis des « grands héritages » en fait des outils indispensables pour tous ceux qui souhaitent entreprendre ou poursuivre un vrai travail de questionnement sur l’image médiévale.

NOTES

1. Jean Wirth, L’image à l’époque romane, Paris, 1999. 2. Hans Belting, Image et culte. Une histoire de l’image avant l’époque de l’art, Paris, 1998 [éd. orig. : Bild und Kult. Eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter der Kunst, Munich, 1990]. 3. Jean-Claude Schmitt, Le corps des images. Essai sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, 2002. 4. Jérôme Baschet, Jean-Claude Schmitt éd., L’image : fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, (Cahiers du Léopard d’Or, 5), Paris, 1996. 5. Henri Focillon, Vie des formes, Paris, 1934 ; Pierre Wat éd., Henri Focillon, Paris, 2007. 6. Pierre Francastel, La figure et le lieu, l’ordre visuel du Quattrocento, Paris, 1967, en particulier p. 9-21. 7. Pierre Bourdieu, Roger Chartier, Robert Darnton, « Dialogue à propos de l’histoire culturelle », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 59, 1985, p. 87. 8. Jérôme Baschet, Le sein du Père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2000. 9. Nous devons cette notion à Jean-Pierre Vernant qui l’emploie dans son ouvrage Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, 1996 (« De la présentification de l’invisible à l’imitation de l’apparence »). 10. Jérôme Baschet, Lieu sacré, lieu d’images. Les fresques de Bominaco (Abbruzes, 1263) : thèmes, parcours, fonctions, Paris/Rome, 1991. 11. Paul Zumthor, La mesure du monde, représentation de l’espace au Moyen Âge, Paris, 1993, en particulier chap. 3, « Lieux et non-lieux ». 12. Jean-Claude Schmitt, « De l’espace aux lieux : les images médiévales », dans Construction de l’espace au Moyen Âge. Pratiques et représentations, (colloque, Mulhouse, 2006), Paris, 2007, p. 317-346. 13. Herbert Kessler, Seeing Medieval Art, Peterborough, 2004. 14. Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1960, p. 431-432.

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INDEX

Index géographique : Pays-Bas, France, Allemagne, Bamberg, Reims, Amiens Mots-clés : image médiévale, sémiologie, théologie, scolastique, iconographie, retable, relique Keywords : medieval image, semiology, theology, scholastic, iconography, altarpiece, relic Index chronologique : 1100, 1300, 1400, 1200, 1500

AUTEURS

DOMINIQUE DONADIEU-RIGAUT EHESS

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Des trésors au Moyen Âge : enjeux et pratiques, entre réalités et imaginaire Medieval treasuries: implications and practices, between reality and imagination

Michele Tomasi

RÉFÉRENCE

Lucas Burkart et al., Le trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de recherche. Der Schatz im Mittelalter. Fragestellung und Forschungsperspektiven, Neuchâtel, Université de Neuchâtel, 2005. 136 p., 12 fig. en n. et b. ISBN : 2-9700488-0-9 ; 20 €. Sauro Gelichi, Cristina La Rocca éd., Tesori. Forme di accumulazione della ricchezza nell’alto medioevo (secoli V-XI), Rome, Viella, 2004. 328 p., 52 fig. en n. et b. ISBN : 978-88-8334-093-2 ; 28 €. Matthias Hardt, Gold und Herrschaft: die Schätze europäischer Könige und Fürsten im ersten Jahrtausend, Berlin, Akademie Verlag, 2004. 369 p., 20 fig. en n. et b. ISBN : 978-3-05-003763-9 ; 64,80 €. Die Macht des Silbers: Karolingische Schätze im Norden, Egon Warmers, Michel Brandt éd., (cat. expo., Francfort, Archäologisches Museum/Hildesheim, Dom-Museum, 2005), Ratisbonne, Schnell & Steiner, 2005. 192 p., 17 fig. en n et b., 120 fig. en coul. ISBN : 978-3-7954-1725-3 ; 24,90 €. Elisabeth Vavra, Kornelia Holzner-Tobisch, Thomas Kühtreiber éd., Vom Umgang mit Schätzen, (colloque, Krems an der Donau, 2004), Vienne, Österreichischen Akademie der Wissenschaften, 2007. 360 p., 67 fig. en n. et b. ISBN : 979-3-7001-3721-4 ; 51,20 €.

1 Les historiens de l’art médiéval ont depuis longtemps accordé aux trésors une place de choix dans leurs recherches1. Pendant plus d’un siècle, leur intérêt s’est surtout porté sur les trésors religieux, que l’on a étudiés avant tout afin d’en restituer la composition

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primitive, au-delà des destructions produites par une histoire souvent mouvementée, et pour asseoir les connaissances concernant les œuvres ayant survécu à la disparition de leur contexte. Dans cette optique, le trésor est essentiellement conçu comme l’ensemble des biens mobiliers précieux appartenant à une personne ou à une institution puissante, ainsi que leur lieu de conservation. Ces dernières années, les trésors ont aussi trouvé une place assurée dans les ouvrages de référence sur l’art du Moyen Âge, signe évident du fait qu’ils sont désormais perçus comme l’un des objets cruciaux de l’histoire artistique, et, au-delà, de l’histoire médiévale tout court2. De grandes expositions ont contribué de manière décisive à ce développement3. Surtout, on a pris conscience qu’à partir du trésor, il faut désormais s’interroger sur des problèmes primordiaux comme la construction de l’autorité politique ou religieuse, l’articulation entre le matériel et l’immatériel, la définition de ce qui est précieux (sans nécessairement être coûteux d’ailleurs) au sein d’une société ou les critères qui permettent de marquer les différences de statut. Des notions aussi prégnantes que celles de mémoire ou de don entrent désormais en jeu dans l’étude des trésors.

Trésors et archéologie

2 Cette nouvelle perception du trésor dépend d’une accélération et d’une profonde transformation des enquêtes. Les publications présentées ici le prouvent, ainsi que plusieurs autres travaux à peine plus anciens et d’autres encore dont la parution est imminente4. Le caractère commun le plus marquant de ces investigations réside dans la volonté d’étudier le concept et la réalité du trésor sous tous ses avatars, en faisant dialoguer des spécialistes provenant d’horizons différents. Cette ouverture du champ explique que les apports les plus intéressants se retrouvent dans des ouvrages collectifs, des actes de colloque notamment, où l’échange entre les disciplines est plus aisé et plus efficace. Le dialogue est particulièrement intense avec les archéologues, qui définissent le trésor plutôt comme un ensemble de biens mobiliers cachés, souvent avec l’intention de les récupérer ensuite. Le colloque de Krems an der Donau en Autriche, qui a donné lieu à la publication Vom Umgang mit Schätzen, a été organisé à l’occasion de l’ouverture, à Linz, de la présentation muséale permanente du trésor de Fuchsenhof, remontant aux années 1276-1278 et découvert par un agriculteur à l’automne 1998. De même, l’exposition de Francfort et d’Hildesheim, Die Macht des Silbers: Karolingische Schätze im Norden, était centrée sur la présentation au grand public d’un sensationnel trésor viking, datant du IXe siècle et contenant plusieurs objets carolingiens en argent, découvert à Duesminde, sur l’île danoise de Lolland, en janvier 2002.

3 La prise en compte des découvertes archéologiques et de leur analyse est évidemment indispensable pour le haut Moyen Âge, et elle occupe par conséquent une place de choix dans Tesori. Forme di accumulazione della ricchezza nell’alto medioevo (secoli V-XI), dirigé par Gelichi et La Rocca. Toutefois, le cas autrichien et une récente exposition organisée au Musée national du Moyen Âge à Paris5 rappellent que l’enfouissement d’objets précieux n’est pas un phénomène qui a totalement disparu au bas Moyen Âge. Les recherches des dernières décennies ont déconstruit bien des mythes concernant les trésors cachés, en proposant une utile distinction entre « trésors d’épargne » (enfouis pour les garder de manière sûre) et « trésors d’urgence » (enfouis sous la contrainte d’un danger), soulignant ainsi la nécessité de distinguer l’enfouissement d’objets de celui de monnaies6. En effet, au haut Moyen Âge, les dépôts funéraires et les trésors

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enfouis semblent s’exclure mutuellement, d’un point de vue chronologique aussi bien que géographique, ce qui semblerait indiquer que les trésors cachés l’étaient souvent davantage pour des raisons symboliques que pour éviter des risques. La composition de ces trésors, formés presque toujours par le même éventail d’objets, somme toute restreint, conforte cette hypothèse7.

4 Au-delà de ces résultats, le questionnement des archéologues, largement façonné par l’analyse de ces pratiques, peut être particulièrement stimulant pour les historiens de l’art, dans la mesure où il peut pousser à s’interroger davantage sur le problème de la visibilité du trésor et de son accessibilité, ainsi que sur les différences de composition qui pourraient exister entre trésors visibles et trésors cachés8. En outre, pour la fin du Moyen Âge, on était plutôt habitués à traiter du trésor au regard de la naissance des collections, et ce depuis le travail fondateur de Julius von Schlosser, et sous l’influence des profondes réflexions de Krzysztof Pomian9. Cette approche reste pertinente, et la richesse et la variété de la documentation disponible pour cette période devraient permettre de préciser encore davantage quels étaient les critères de classification utilisés à l’époque, notamment en analysant l’articulation et le lexique des inventaires.

Des mots pour les trésors

5 L’étude lexicale se révèle d’ailleurs de plus en plus comme l’un des outils clé de la recherche sur les trésors, puisque les mots donnent accès aux catégories par lesquelles les femmes et les hommes du Moyen Âge appréhendaient le trésor10. Ceci semble aujourd’hui d’autant plus important que l’on souhaite désormais prendre en compte le trésor non seulement dans toutes les formes historiques qu’il a revêtues, mais aussi à travers ses manifestations dans l’imaginaire. Le colloque de Krems, l’ouvrage collectif Le trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de recherche, ainsi que le colloque organisé à Bâle et à Neuchâtel en 2006 faisaient la part belle à ce nouveau type de questionnements. Les spécialistes de littérature sont ainsi appelés à décortiquer les apparitions des trésors dans les œuvres littéraires, un exercice qui devient passionnant lorsque, ne se contentant pas de proposer un simple recensement, on cherche à éclairer la perception du trésor qu’a un auteur du passé à la lumière de sa propre expérience, vivante, des trésors réels ou imaginaires de son époque11.

6 Si les mots et les images des œuvres littéraires sont révélateurs d’une mentalité, il n’en reste pas moins que leur poids au Moyen Âge n’égale jamais celui des Écritures et des paroles de l’Église. C’est donc à raison qu’une large place est accordée, dans les travaux discutés ici, à la compréhension de l’attitude de l’Église à l’égard des trésors, des richesses, de leur possession et de leur usage. Le vrai trésor, pour l’Église, est bien sûr celui que l’on se constitue dans les cieux ; sur terre, le trésor de reliques est le seul qui reçoive une approbation inconditionnée – du moins dans les positions les plus rigoureuses, même si, pour la fin du Moyen Âge, on pourrait sans doute trouver des attitudes plus nuancées12. L’idée du trésor des reliques représente déjà un élargissement du champ sémantique par rapport à l’usage actuel du terme et il en va de même pour le trésor des chartes. Les études récentes visent à rappeler que l’éventail de significations du mot était encore plus large, et ne négligent donc plus ses usages métaphoriques, qui permettent de parler du « trésor des grâces », du « trésor des pauvres » (les biens ecclésiastiques) ou du « trésor de sagesse »13. Cette attention portée à la dimension symbolique n’entraîne pas un fléchissement de l’intérêt pour les

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conditions concrètes de conservation et d’utilisation des trésors : dans les ouvrages ici examinés ne manquent pas les articles évoquant les lieux (ou les meubles) où l’on gardait les trésors, ou encore les occasions et les modalités de leurs éventuels transferts. Ces orientations de la recherche méritent certainement d’être encore poursuivies14.

7 S’il est profitable de continuer à explorer les multiples sens du mot et du concept de trésor, il faudrait en revanche que les spécialistes résistent, autant que possible, à un usage banalisé du terme, qui en fait une sorte d’étiquette attrayante applicable à l’envi à tout ce qui est précieux, ou même à toute œuvre d’art. Le catalogue de l’exposition de Francfort et d’Hildesheim juxtapose ainsi aux chapitres analysant le trésor de Duesminde et son contexte, des chapitres consacrés à l’importance de l’argent dans la culture matérielle carolingienne, aux insignes du pouvoir impérial ou religieux dans cette période, et à la vaisselle liturgique en argent. Cette évocation de problèmes différents et de corpus disparates, sans mise en perspective forte, n’aide pas à éclairer la nature et la fonction des trésors aux VIIIe et IXe siècles et risque même de rendre la notion si floue qu’elle en perd son utilité.

Trésors du haut Moyen Âge

8 Les nouvelles pistes ont grandement enrichi notre compréhension du rôle des trésors, matériels et immatériels, au sein de la culture médiévale. Leur variété rend toutefois extrêmement difficile toute tentative de synthèse, en particulier pour la seconde moitié du Moyen Âge. Pour la période entre le début du Ve et la fin du Xe siècle, la situation est plus satisfaisante, de ce point de vue : l’ouvrage de Matthias Hardt, Gold und Herrschaft: die Schätze europaïscher Könige und Fürsten im ersten Jahrtausend, donne une vue d’ensemble claire et articulée des trésors royaux. Certes, les autres trésors ne sont pas pris en compte et comparés, et la distinction entre trésor et fisc n’est pas toujours tracée avec assez de rigueur. Par certains aspects, l’exhaustivité apparente de l’ouvrage est donc illusoire et c’est probablement un enthousiasme excessif qui a conduit à écrire que nous connaissons désormais bien la composition des trésors royaux du haut Moyen Âge car, malgré la richesse des sources assemblées et interprétées par Hardt, il faut bien admettre qu’en l’absence d’inventaires, nous ne connaissons la constitution précise d’aucun de ces trésors. Néanmoins, la synthèse ainsi produite est admirable à deux points de vue au moins. D’un côté, l’auteur a su s’appuyer sur une masse de sources impressionnante à la fois par sa richesse et par sa diversité. Les documents d’archives, les sources littéraires, les résultats des fouilles et, dans une bien moindre mesure, les objets conservés ont été tous convoqués pour éclairer l’histoire des trésors des rois francs, goths et lombards. Si les caractères propres à chaque type de source écrite auraient pu être mieux différenciés (les sources narratives renseignent plutôt sur les valeurs symboliques, les textes normatifs sur le trésor public…), l’exploitation qui est faite de cette documentation constitue un apport considérable. En second lieu, toutes les questions concernant ces trésors sont examinées par l’auteur, qui considère autant leurs contenus (métaux précieux, vêtements et tissus, armes, livres et documents, reliques, objets rares ou curieux…), leurs processus de formation, les modalités de leur conservation et de leur administration (y compris les lieux de conservation, le transport, les officiers chargés de la gestion…), que leur utilisation. L’un des résultats les plus importants de cette enquête ample et minutieuse est

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justement l’analyse de l’usage qui était fait du trésor, notamment en liaison avec la pratique du don, dans le but de forger ou de consolider les réseaux d’influence et les hiérarchies sur lesquels le souverain s’appuyait pour gouverner. L’autre apport fondamental est la mise en valeur de la signification symbolique du trésor royal comme enjeu crucial lors des passations de pouvoir : en cas de mort du roi, d’usurpation ou de guerre, la saisie du trésor est indispensable à l’affirmation de l’autorité qui se veut légitime.

Questions de géographie et de chronologie

9 Le livre de Hardt apporte aussi des éléments utiles à l’établissement d’une chronologie et d’une géographie des trésors médiévaux, qui nous font toujours défaut. Selon l’auteur, la nature et la fonction du trésor royal changeraient autour de l’an Mil, alors que l’impossibilité de se procurer l’or par les guerres, le pillage des richesses par des peuples provenant de la périphérie de l’Europe et la sédentarisation accrue poussent les souverains à s’attacher la fidélité de leurs vassaux plutôt par le don de terres que par celui d’objets puisés dans le trésor. Que l’on accepte ou non cette conclusion, l’hypothèse a le mérite d’inciter à adresser des questions d’ordre chronologique, trop souvent restées dans l’ombre des problèmes de typologie, et de l’analyse des pratiques, des enjeux et des fonctions. Peu de réflexions ont été proposées dans ce sens. Dans cette perspective, la contribution la plus ambitieuse a été offerte par Pierre-Alain Mariaux15, qui a insisté à plusieurs reprises sur l’idée que le XIIe siècle marquerait un tournant dans l’histoire des trésors : auparavant, la valeur du trésor, laïque ou ecclésiastique, aurait essentiellement résidé dans l’accumulation d’objets, la constitution d’une masse informe et impossible à quantifier de manière précise. À partir de la première moitié du XIIe siècle, en revanche, on assisterait à un souci nouveau de classification et de mise en scène du trésor, animé par quelques principes ordonnateurs symboliques. Dans cette même direction, il est certainement nécessaire de viser à établir une histoire des trésors qui distingue clairement les périodes de stabilité des moments de rupture, en essayant de faire ressortir aussi, éventuellement, les particularités géographiques de chaque développement.

10 En outre, les frontières des recherches actuelles mériteraient d’être élargies. Malgré la conscience très claire que l’on a depuis plusieurs décennies de l’unité du monde méditerranéen durant une bonne partie du Moyen Âge, il est curieux de remarquer que les approches comparatives, visant à évaluer les similarités, les différences, les échanges éventuels entre les conceptions occidentales du trésor et celles propres aux mondes byzantin ou musulman, restent très rares. Les traditions savantes nationales pèsent aussi lourdement sur la carte mentale que nous pourrions dessiner aujourd’hui du phénomène des trésors : si l’Europe entière est relativement bien représentée pour le haut Moyen Âge, dès que l’on s’approche des périodes romane et, plus encore, gothique, l’Espagne et l’Italie se retrouvent poussées aux marges du cadre, à l’avantage de la France et de l’Allemagne. Il serait ardu de dire combien ce constat reflète la réalité du passé ou plutôt les intérêts scientifiques dominants dans chaque pays. Il ne faut pas sous-estimer le poids de l’historiographie dans la compréhension que nous avons de la problématique des trésors et il faut certainement souhaiter que la réflexion de Cristina La Rocca16 suscite des travaux plus nombreux sur les enjeux identitaires et nationaux de l’étude des trésors du haut Moyen Âge au XIXe et au XXe siècle.

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11 La complexité et la diversité des phénomènes pris en compte et la nécessité de mettre à contribution plusieurs disciplines, de l’anthropologie à l’archéologie, de l’histoire de l’art à la sociologie, expliquent que les trésors constituent un domaine d’études en plein essor. Si le caractère central du trésor au sein de la culture médiévale ne fait plus de doute, il faudra probablement attendre encore un certain temps avant que l’effervescence de la recherche puisse donner naissance à de nouvelles synthèses.

NOTES

1. Pour un échantillon représentatif des travaux les plus anciens, voir Jean-Joseph Marquet de Vasselot, Bibliographie de l’orfèvrerie et de l’émaillerie française, Paris, 1925, p. 70-95. 2. Patrick J. Geary, « Oggetti liturgici e tesori della Chiesa », dans Enrico Castelnuovo, Giuseppe Sergi éd., Arti e storia nel Medioevo, III, Del vedere: pubblici, forme e funzioni, Turin, 2004, p. 275-290 ; Pierre-Alain Mariaux, « Collecting (and Display) », dans Conrad Rudolph éd., A Companion to Medieval Art, Malden/Oxford/Carlton, 2006, p. 213-232. 3. Pour ne citer que quelques cas récents : Le trésor de Saint-Denis, Danielle Gaborit-Chopin éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 1991), Paris, 1991 ; Le trésor de la Sainte-Chapelle, Jannic Durand, Marie-Pierre Laffitte éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2001), Paris, 2001 ; Le trésor de Conques, Danielle Gaborit-Chopin, Élisabeth Taburet-Delahaye éd., (cat. expo., Paris, Musée du Louvre, 2001-2002), Paris, 2001 ; The Treasury of Basel Cathedral, Timothy Husband éd., (cat. expo., New York, The Metropolitan Museum of Art/Bâle, Historisches Museum, 2001), New York, 2001. 4. Avant 2004, il faut mentionner spécialement Elizabeth M. Tyler éd., Treasure in the Medieval West, York, 2000 ; d’amples bibliographies sont réunies dans GELICHI, LA ROCCA, 2004, p. 289-299, et dans BURKART et al., 2005, p. 119-130. On attend la publication des actes du colloque international qui s’est déroulé du 15 au 18 novembre 2006 à Bâle et Neuchâtel : Lucas Burkart et al. éd., Le trésor au Moyen Âge. Pratiques, discours, images. Schatzkulturen im Mittelalter. Diskurs, Praxis, Vorstellung, Florence, à paraître. 5. Trésors de la Peste Noire : Erfurt et Colmar, Christine Descatoire éd., (cat. expo., Paris, Musée national du Moyen Âge, 2007), Paris, 2007. Cette exposition présenta deux trésors enfouis au milieu du XIVe siècle dans les quartiers juifs de Colmar et d’Erfurt. 6. Après les remarques pionnières d’Aaron J. Gurevič, Les catégories de la culture médiévale, Paris, 1983, voir surtout Lotte Hedeager, Iron Age Societies, Oxford/Cambridge (MA), 1992. 7. Voir, sur ces questions, surtout les contributions de Monica Baldassarri et Maria Chiara Favilla, Sauro Gelichi, Cristina La Rocca, Alessia Rovalli, Chris Wickham, dans GELICHI, LA ROCCA, 2004. Baldassarri et Favelli fournissent une liste des trésors enfouis datables entre le Ve et le Xe siècle retrouvés en Italie (p. 173-188). 8. Dagmar Eichberger étudie, par exemple, l’accessibilité des trésors de Maximilien I er et de Marguerite d’Autriche dans sa contribution dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 139-152. 9. Julius von Schlosser, Die Kunst- und Wunderkammern der Spätrenaissance, Leipzig, 1908 ; Krzysztof Pomian, Des saintes reliques à l’art moderne. Venise-Chicago, XIIIe-XXe siècle, Paris, 2003. 10. L’intervention d’Anita Guerreau-Jalabert et de Bruon Bon au colloque de Bâle et de Neuchâtel portait justement sur « Le ‘trésor’ et les mots pour le dire ».

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11. Pour des approches essentiellement descriptives, voir les contributions de Karin Licthblau et Hendrik Mäkeler dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 35-54, 153-166. Au colloque de Bâle et de Neuchâtel, Thomas Ricklin a brillamment suggéré d’interpréter le titre des encyclopédies de Brunetto Latini par rapport à son expérience de la réalité du trésor royal d’Alphonse X le Sage et à l’usage métaphorique que l’on faisait du mot en ce milieu, largement imprégné de culture arabe. 12. Pour le discours religieux sur les trésors, voir les contributions de Karl Brunner, Helmut Hundsbichler et Gerhard Jaritz dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 21-33, 55-97 ; la question à été abordée au colloque de Bâle et Neuchâtel par Giacomo Todeschini. Pour les reliques, Markus Mayr dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 99-114. 13. Pour le trésor des grâces, voir la contribution de Philippe Cordez dans BURKART et al., 2005, p. 55-88 ; pour la métaphore du trésor de sagesse, celle de Heide Klinkhammer dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 213-230. 14. Voir respectivement Andreas Bräm, « Schatzräume: Sakristien und Schatzkammern gotischer Kathedralen Frankreichs », dans Thesis, 8, 2006, p. 1-26, et l’article de Maria Hayward dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 307-325, concernant les modalités et les occasions de déplacement du trésor d’Henri VIII d’Angleterre. 15. Voir la contribution de Pierre-Alain Mariaux dans VAVRA, HOLZNER-TOBISCH, KÜHTREIBER, 2007, p. 345-357. Hardt consacre le sixième chapitre de son livre au problème de la continuité entre les trésors royaux du haut Moyen Âge et ceux de l’Antiquité tardive. Cette question est abordée pour les trésors religieux par Jean-Pierre Caillet, « Les trésors ecclésiastiques de l’Antiquité tardive à l’Europe romane : permanences de l’esprit des origines », dans Trésors et routes de pèlerinage dans l’Europe médiévale, Conques, 1994, p. 33-46. 16. Voir son article dans GELICHI, LA ROCCA, 2004, p. 123-141.

INDEX

Index géographique : Autriche, France, Paris, Krems, Francfort-sur-le-Main, Hildesheim, Allemagne Mots-clés : trésor, relique, bien ecclésiastique, culture matérielle, vaisselle liturgique Keywords : treasury, relic, ecclesiastical property, material culture, liturgical vessel Index chronologique : 400, 700, 800, 900, 1000, 1100, 1200, 1900

AUTEURS

MICHELE TOMASI Université de Lausanne

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La sculpture gothique française aux XIIe et XIIIe siècles Gothic scultpure in France in the twelfth and thirteenth centuries

Pierre-Yves Le Pogam

RÉFÉRENCE

Fabienne Joubert, La sculpture gothique en France. XIIe-XIIIe siècles, Paris, Picard, 2008. 248 p., 239 fig. n et b. et 43 fig. en coul. ISBN : 978-2-7084-0818-0 ; 45 €. Iliana Kasarska, La sculpture de la façade occidentale de la cathédrale de Laon. Eschatologie et humanisme, Paris, Picard, 2008. 271 p., 444 fig. n. et b. et en coul. ISBN : 978-2-7084-0832-6 ; 52,25 €. Benoît Van den Bossche, La cathédrale de Strasbourg. Sculpture des portails occidentaux, Paris, Picard, 2006. 216 p., 103 fig. n. et b. et en coul. ISBN : 2-7084-0779-1 ; 57 €.

1 Trois ouvrages parus récemment témoignent de la vitalité des études sur la sculpture gothique en France et notamment sur les XIIe et XIIIe siècles. On notera que les trois volumes ont été publiés par les éditions Picard, qui continuent ainsi à soutenir avec constance les efforts de la recherche sur l’art gothique français, comme ils le font depuis longtemps avec la collection naguère dirigée par la regrettée Anne Prache sur Les monuments de la France gothique.

2 L’ouvrage de Fabienne Joubert offre une synthèse générale sur la sculpture gothique en France, couvrant plus précisément la période qui va du milieu du XIIe au milieu du XIIIe siècle environ, c’est-à-dire les deux premières étapes du développement de l’art gothique telles qu’on les a définies traditionnellement : premier art gothique jusque vers 1200, puis gothique classique du début du XIIIe siècle aux années 1260-1270. Le choix d’une périodisation aussi courte pourrait étonner le non-initié, mais ces deux époques ont produit à elles seules les monuments et les ensembles sculptés les plus importants du gothique français. En adoptant les bornes chronologiques de Willibald Sauerländer, Joubert s’inscrit délibérément dans la lignée de ce livre magistral, paru il y

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a maintenant près de quarante ans sur le même sujet1 ; toutefois son approche diffère de manière radicale. On ne trouvera dans son livre ni un parcours chronologique qui retrace les évolutions du style, ni une analyse monographique des grands monuments et de leur décor sculpté, comme c’était le cas chez son devancier. La matière est divisée au contraire en trois grandes unités thématiques : l’historiographie du sujet ; les programmes iconographiques ; les problèmes liés à l’exécution des œuvres et au style.

3 En s’appuyant sur ce parti pris, on rendra compte ici de cet ouvrage et des deux suivants en regroupant les remarques selon des blocs conceptuels (historiographie et critique d’authenticité ; techniques de création, style et datation ; iconographie), au lieu d’aborder la question selon un mode monographique, comme nous y inviterait la lecture des ouvrages d’Iliana Kasarska et de Benoît van den Bossche. L’un et l’autre sont en effet dédiés à un édifice religieux, respectivement la cathédrale de Laon et celle de Strasbourg, avec le programme sculpté de sa façade occidentale. Précisons que, si la cathédrale de Strasbourg s’inscrit aujourd’hui dans le cadre du patrimoine français, elle relève pour sa construction de l’histoire de l’art germanique et sa façade n’a été élevée que dans la seconde moitié du XIIIe siècle, deux raisons pour lesquelles elle n’apparaît pas dans le livre de Joubert, contrairement à la cathédrale de Laon. Tandis que le livre de Kasarska aborde toute la palette des questions énumérées ci-dessus, la monographie de Van den Bossche ne prend pas en compte les problèmes stylistiques, ni ceux de datation fine, son étude étant concentrée sur l’iconographie et le programme, même si l’auteur donne un tour bien plus ample et plus fouillé à son enquête. On regrette donc seulement qu’un sous-titre n’indique pas au lecteur cette perspective a priori plus spécifique.

Historiographie et critique d’authenticité

4 En ce qui concerne l’historiographie, Joubert fournit une longue synthèse (un tiers de l’ouvrage), très détaillée et de grande qualité, où sont posées aussi bien la question du regard porté sur les monuments depuis l’époque moderne jusqu’aux historiens de l’art contemporains, que celle des modifications substantielles apportées à la sculpture par les destructions et par les grands programmes de restauration, notamment à partir du XIXe siècle. L’auteur insiste à juste titre sur les interventions des époques antérieures, souvent oubliées de la recherche, telles que les restaurations ayant eu lieu à la cathédrale de Reims aux XVIIe et XVIIIe siècles. Si dans la monographie consacrée à la cathédrale de Laon, l’historiographie est traitée plus rapidement, elle l’est en revanche de manière plus détaillée par Van den Bossche, dans la mesure où l’intérêt suscité très tôt par la cathédrale de Strasbourg a entraîné la publication de livrets de visite dès le XVIIe siècle, un phénomène dont on ne trouve guère l’équivalent pour les cathédrales françaises à la même époque. Les descriptions et les illustrations qui les accompagnent sont d’autant plus précieuses que la façade de la cathédrale, tout comme celle de Laon, a profondément souffert durant la Révolution française. L’un et l’autre édifice ont ensuite subi des restaurations extrêmement lourdes, dont on a souvent pensé qu’elles avaient dénaturé la substance de la sculpture et rendu impossible tout jugement sur le style, voire sur l’iconographie. Les deux auteurs ont fait justice de cette idée pour les cathédrales en question. Dans le cas de Strasbourg, Van den Bossche fournit une contribution décisive à la connaissance de la sculpture de la façade occidentale, en estimant zone par zone le degré d’authenticité des reliefs et des statues. Alors que son

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but est « seulement » de fournir une base solide à l’étude du programme iconographique, le sérieux et la précision de cette première partie de son ouvrage devraient permettre d’appréhender avec plus de confiance l’analyse stylistique des sculptures. Il faut aussi souligner la qualité et l’intérêt des schémas qui permettent de visualiser les résultats de son étude, même si l’on doit bien avoir conscience de la difficulté que pose la répartition de certaines œuvres entre les différents niveaux d’authenticité ainsi établis. Il est seulement dommage que le texte ne propose pas de renvois aux illustrations. L’analyse de Kasarska se montre tout aussi rigoureuse, même si l’on regrette ici encore l’absence de tels schémas, qui existaient pourtant dans des ouvrages antérieurs consacrés à la cathédrale de Laon, comme ceux publiés par l’Inventaire général et par les éditions Zodiaque2. L’auteur fournit néanmoins une cartographie écrite de l’authenticité du programme sculpté, qui permet de réhabiliter une grande partie des éléments autrefois rejetés de manière globale.

Techniques, style et datation

5 Les techniques de production, le style et la datation ne sont pas évoqués dans l’ouvrage de Van den Bossche consacré à la cathédrale de Strasbourg, conformément à son parti pris de départ, et il manque par conséquent l’analyse des influences réciproques entre le domaine iconographique et la réalisation matérielle des œuvres. Les techniques de production sont en revanche au cœur des volumes de Joubert et de Kasarska, qui offrent l’un et l’autre une source d’informations et de réflexions très précieuses. Cette démarche constitue certainement un des aspects les plus novateurs de la recherche actuelle par rapport à la tradition historiographique. Pour ce qui est de la cathédrale de Laon, l’auteur, s’appuyant sur une observation personnelle et directe, mais aussi sur des comparaisons et une bonne connaissance de la bibliographie récente, propose des aperçus significatifs sur les traces d’outils, le dessin préalable sur les blocs, la finition, la retaille, la question de la réalisation in situ, celle des figures sculptées dans plusieurs blocs, la polychromie dans sa palette et son emploi, etc. Joubert fournit quant à elle une synthèse passionnante sur le même sujet, en l’élargissant bien sûr à d’autres aspects qui ne touchaient pas au chantier de Laon, comme la rationalisation éventuelle des chantiers ou l’emploi de la polychromie à des fins expressives. Le même auteur traite avec une finesse remarquable une série de thèmes liés au style, parmi lesquels la question des différents langages stylistiques utilisés successivement (voire parallèlement) pendant la première moitié du XIIIe siècle – le style « dur » et le style « bloc » notamment, pour lesquels elle montre l’absence de solution de continuité –, la possibilité de simultanéité stylistique sur un même chantier, ou encore l’influence possible de modèles antiques grecs ou de l’art de la péninsule italienne3. Mais elle refuse, probablement sous l’effet des mises en garde salutaires de Jean Wirth, de s’engager de plain-pied sur le terrain miné des datations, sauf pour reprendre les exhortations à la prudence et souligner la difficulté du sujet4. C’est le seul regret que l’on peut exprimer à la lecture de cet ouvrage, qui paraît ainsi difficile à utiliser par les publics mêmes auxquels il s’adresse en priorité : étudiants en début de cursus, amateurs éclairés, grand public, etc., qui n’y trouveront pas les repères chronologiques nécessaires pour ancrer les monuments dans l’histoire. Il ne remplace donc pas, comme le souligne l’auteur, la contribution, pourtant ancienne, de Sauerländer.

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6 Or, la datation, loin de constituer un exercice gratuit d’érudition, reste un enjeu fondamental de la recherche sur l’art médiéval, comme l’illustre bien le livre de Kasarska. Le style et la datation forment l’un des axes fondamentaux de son propos, et l’on suit volontiers les grandes lignes de sa démonstration. Mais si l’on peut adopter globalement ses conclusions, sa méthode paraît parfois critiquable et la prudence, prônée par Wirth comme par Joubert, devrait être ici de mise. On accepte ainsi très favorablement la datation précoce proposée pour la première campagne du portail du Jugement dernier de Laon, qui serait non seulement antérieure au reste de la façade, mais remonterait à l’épiscopat de Barthélemy de Joux (1113-1150), précédant ainsi le début du chantier de reconstruction de la cathédrale à partir de 1155. Mais, lorsque l’auteur s’appuie sur la date du portail Sainte-Anne de la cathédrale Notre-Dame de Paris, il faudrait au moins rappeler que l’identification du personnage de gauche comme Étienne de Garlande n’est nullement acceptée de manière unanime. Si le portail parisien date effectivement des environs de 1150, cela n’implique pas que celui de Laon ne puisse présenter un écart chronologique de quelques années. De même, l’auteur distingue à juste titre d’un côté le style du portail du Jugement dernier et de l’autre celui des œuvres provenant de l’ancien chœur et le décor des arcs-boutants. Comme ce décor doit être daté, pour des raisons d’analyse monumentale, de 1155-1164, elle en conclut que celui du portail a dû être créé vers 1150. Cette datation est séduisante, mais il ne s’agit que d’une construction hypothétique ; on pourrait aussi admettre que le portail soit d’un style différent parce que conçu par une autre équipe ou un peu après (et non un peu avant) l’autre groupe d’œuvres. D’autres propositions appellent également à la prudence. Il en est ainsi de l’analyse de deux « manières » pour le reste de la façade, que l’auteur impute à la présence de deux sculpteurs ; des calculs, pour le moins discutables, quant à la durée d’exécution des portails à partir de la donnée précédente ; de l’appréhension de l’apparition du « style 1200 » comme un phénomène soudain, explicable surtout par des changements intellectuels et religieux ; de l’attribution à un seul et même artiste de la sculpture de Laon et du vitrail d’Orbais, intéressante mais qui devrait être présentée avec plus de circonspection, etc. Mais ce serait donner une mauvaise idée du livre, qui contient en outre d’excellents passages sur ces mêmes aspects, par exemple dans l’analyse stylistique précise des différentes mains ou dans la réflexion sur la construction de l’extérieur vers l’intérieur des voussures de la fenêtre nord. Soulignons à ce propos que le processus d’élaboration de cette fenêtre aurait pu constituer un exemple intéressant d’interaction entre la mise en œuvre et le programme iconographique.

Iconographie

7 Dans un long chapitre, Joubert propose une vision équilibrée, fine et exhaustive à la fois, des programmes iconographiques et de leurs enjeux (la sculpture décorative est absente de sa synthèse). L’ouvrage sur Laon de Kasarska fait preuve des mêmes qualités en partant d’un exemple précis et son analyse paraît globalement convaincante, en particulier lorsqu’elle souligne, comme de juste, le rôle de l’école cathédrale dirigée par l’évêque Gautier de Mortagne (1155-1174) ou l’influence de la pensée victorine (sans parler des rapports entre Barthélemy de Joux et Suger, qui pourraient justifier le programme du portail du Jugement dernier). Peut-être pourrait-on trouver cette interprétation un peu trop univoque, relever telle ou telle imprécision, ou quelques formulations peu adéquates, mais l’ensemble reste très utile5. L’ouvrage de Van den

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Bossche, dont l’analyse iconographique est le but ultime, laisse paradoxalement un sentiment mitigé à la première lecture. Après avoir consacré des pages remarquables à la critique d’authenticité, l’auteur aborde les questions de détails iconographiques plus rapidement et plus synthétiquement – même s’il reste tout aussi convaincant et juste. À titre d’exemple, alors que son examen des restaurations est parfaitement mené, il ne pose pas la question de l’ordre des statues des ébrasements. On aimerait en effet savoir si la disposition actuelle des célèbres figures du Tentateur et des vierges folles, à gauche du portail droit, et du Christ et des vierges sages de l’autre côté, reflète bien les dispositions d’origine (ce qui serait contraire à toutes les traditions iconographiques) ou s’il ne résulte pas d’un remaniement qui aurait inversé les deux groupes. De même, pour des images célèbres ou souvent analysées (on pense notamment au personnage d’Hédroit dans le Portement de croix, au squelette d’Adam placé au pied de la croix, au bouc dans la pendaison de Judas, au chien dans la scène du doute de saint Thomas, même si le premier de ces deux animaux n’est que le reflet moderne d’un sujet ancien), on aurait aimé que l’auteur offre une étude plus approfondie des sources ou des influences possibles. Mais ces quelques regrets s’effacent devant l’impression laissée par la synthèse. Avec beaucoup de subtilité et de rigueur, Van den Bossche démontre que l’attribution traditionnelle du programme iconographique à Albert le Grand n’est guère soutenable. Certes, bien des thèmes coïncident avec les idées du grand penseur dominicain ; mais il s’agit souvent de sujets relativement courants et les dates précises des séjours d’Albert le Grand à Strasbourg sont difficilement conciliables avec une influence aussi immédiate. Comme le suggère l’auteur, l’importance manifeste de l’aspect « éthique » du programme pourrait aussi bien venir de la direction du chantier, qui se trouve alors entre les mains des cercles dirigeants de la ville et non plus celles de l’évêque et du chapitre.

8 Chacun à sa manière, ces trois ouvrages apportent des clés nouvelles à la compréhension de la sculpture gothique, celui de Joubert en tant que remarquable manuel d’introduction au sujet, et ceux de Kasarska et Van den Bossche comme exemples de qualité d’une approche monographique intelligente et élargie.

NOTES

1. Willibald Sauerländer, La sculpture gothique en France, 1140-1270, Paris, 1972 [éd. orig. : Gotische Skulptur in Frankreich, 1140-1270, Munich, 1970]. 2. Martine Plouvier éd., Laon. Une acropole à la française, (Cahiers du patrimoine, 40/I), Amiens, 1995 ; Alain Saint-Denis, Martine Plouvier, Cécile Souchon, Laon, la cathédrale, Paris, 2002. 3. On regrette l’absence d’autres thèmes, comme le lien avec la sculpture germanique, ou des domaines géographiques non couverts, tels que le Midi de la France ou l’Ouest Plantagenêt. 4. Jean Wirth, La datation de la sculpture médiévale, Genève, 2004. Les nombreux comptes rendus qui ont souligné la qualité méthodologique de cet ouvrage, mais aussi les écueils dans lesquels il tombait éventuellement lui-même, constituent un autre appel à la prudence : voir Pascale Chevalier, dans Hortus artium medievalium, 11, 2005, p. 350-352 ; Yves Christe, dans Cahiers de civilisation médiévale, 48, 2005, p. 297-302 ; Pierre-Yves Le Pogam, dans Revue de l’art, 152/2, 2006,

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p. 74-75 ; Éliane Vergnolle, dans Bulletin monumental, 163/3, 2005, p. 282-283 ; Paul Williamson, dans Burlington Magazine, 1233/CXLVIII, décembre 2005, p. 828. 5. De manière générale, l’ouvrage est desservi par l’accumulation de petites erreurs ou de bévues qu’une bonne relecture aurait pu éviter.

INDEX

Keywords : Gothic art, high Gothic, iconography, sculpture, style, cathedral, portal, facade, dating, periodization Index géographique : Laon, Strasbourg, Paris Mots-clés : art gothique, gothique classique, programme iconographique, sculpture, langage stylistique, cathédrale, portail, façade, datation, périodisation, style 1200 Index chronologique : 1100, 1200

AUTEURS

PIERRE-YVES LE POGAM Musée du Louvre

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Les images médiévales à la recherche de nouveaux cadres

Dominique Donadieu-Rigaut

RÉFÉRENCE

Jérôme Baschet, L’iconographie médiévale, (Folio Histoire inédit), Paris, Gallimard, 2008. 468 p., 48 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 978-2-07-034514-4 ; 9,90 €. Brigitte d’Hainaut-Zveny, Les retables d’autel gothiques sculptés dans les anciens Pays-Bas. Raisons, formes et usages, (Classe des Beaux-Arts), Bruxelles, Académie royale de Belgique, 2008. 437 p., 78 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 978-2-8031-0248-8 ; 30 €. Jean Wirth, L’image à l’époque gothique (1140-1280), Paris, Cerf, 2008. 426 p., 143 fig. en coul. et en n. et b. ISBN : 978-2-204-07915-0 ; 42 €.

1 Trois ouvrages parus en 2008 sur l’image médiévale semblent annoncer, chacun à sa manière, la fin de l’engouement pour le fractionnaire, le singulier et le discontinu qui a affecté les sciences humaines postmodernes. Loin d’adopter la posture de la « conclusion impossible » ou celle de la monographie n’engageant qu’elle-même, ces travaux cherchent à dégager de réels enjeux historiques et épistémologiques considérés à partir d’échelles temporelles amples et de corpus documentaires étoffés. Dans L’iconographie médiévale, Jérôme Baschet rassemble, en un format éditorial accessible à tous, l’ensemble de ses réflexions méthodologiques sur l’image médiévale menées depuis une quinzaine d’années. La mise en livre d’articles jusqu’ici épars révèle la cohérence d’une pensée nuancée qui se méfie des théories et des systèmes trop bien suturés ne pouvant déboucher que sur des analyses mécanicistes et univoques. Jean Wirth poursuit, avec L’image à l’époque gothique, l’écriture de la trilogie ouverte par L’image à l’époque romane1 et bientôt close par L’image à la fin du Moyen Âge d’ores et déjà annoncée. La structure tripartite de cette vaste entreprise, ainsi que les titres des trois ouvrages, suffisent à nous convaincre qu’il s’agit pour l’auteur de se confronter à l’œuvre d’Émile Mâle pour mieux la revisiter. Enfin, Brigitte D’Hainaut-Zveny, avec Les retables d’autel gothique sculptés dans les anciens Pays-Bas, élabore autour de son objet

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d’étude – un corpus d’une centaine de retables – une démarche d’investigation personnelle se nourrissant sans a priori d’apports méthodologiques empruntés à diverses branches des sciences humaines qu’elle fait cohabiter pour le plus grand profit de sa problématique. Son travail se présente non comme une synthèse à la Michelet, mais comme un essai de « compréhension globale » du tableau d’autel.

2 Ces trois ouvrages intègrent les apports majeurs de ces dernières années à l’étude des images médiévales, notamment la reconnaissance de leur dimension foncièrement anthropologique. Les auteurs emploient d’ailleurs volontairement le terme d’« image », et non celui d’« œuvre d’art » ou de « représentation », afin de faire leur le double héritage de Hans Belting2 et de Jean-Claude Schmitt 3 : les images ne peuvent être analysées en dehors de leurs usages et de leurs fonctions4, et ne peuvent se résumer aux images matérielles tant il est vrai qu’elles fonctionnent notamment en relation avec les représentations mentales surgissant lors des rêves ou dans la mémoire. En outre, la matérialité des œuvres doit être pleinement prise en considération puisqu’elle participe de leur effet : c’est l’« image-objet » de Baschet. Les trois auteurs reviennent également sur le phénomène central de l’incarnation dans la mesure où imago est un concept indispensable pour penser les rapports de ressemblance et de dissemblance entre Dieu et l’homme, mais aussi entre les trois personnes de la Trinité, le Fils étant, selon la célèbre formule d’Irénée de Lyon, la « visibilité du Père ». En ce sens, l’incarnation légitime non seulement la représentation anthropomorphique du divin mais aussi l’existence d’images porteuses d’une certaine forme de corporéité.

3 Cette volonté de saisir les objets médiévaux dans toute leur complexité et au-delà de ce qu’ils donnent à voir a poussé ces trois auteurs à repenser l’iconographie (que ce soit dans la lignée mâlienne ou panofskienne) à l’aune de l’anthropologie, de la théologie, voire de la sémiologie. Tous consacrent de belles pages soit à l’étude approfondie de telle ou telle œuvre (la voûte de Saint-Savin, entre autres, pour Baschet), soit aux associations entre thèmes iconographiques (les figures des saints et la Passion du Christ pour D’Hainaut-Zveny) ou bien encore à des sujets particuliers (la roue de la Fortune ou le Jugement dernier pour Wirth).

Comment articuler images et histoire ?

4 Redéfinir l’iconographie passe nécessairement par une élucidation des rapports entre images et histoire. Aucun des trois auteurs n’est adepte de la Vie des formes5. Tous prennent en compte les relations étroites entre les œuvres et l’histoire, en faisant toutefois référence (de façon implicite ou explicite et à des degrés divers) à la notion de « pensée figurative » développée par Francastel6, c’est-à-dire à la capacité qu’ont les images à produire du sens par elles-mêmes. Mais chacun situe à des niveaux différents les liens entre histoire et images. Pour Baschet, les images sont dans l’histoire dès lors qu’elles engagent des actes sociaux et contribuent à créer des interactions non seulement entre les hommes ici-bas, mais aussi entre les hommes et Dieu. En adoptant cette ligne très anthropologique, il rompt avec les conceptions de l’image comme simple « reflet de la réalité », ou même comme « témoin des mentalités » d’une époque. En d’autres termes, il réfute leur caractère passif, préférant insister sur leur capacité opératoire à produire « du réel et de l’idéel ». D’Hainaut-Zveny, qui se réclame également d’une perspective anthropologique, a choisi d’intégrer à sa démarche la notion de culture proposée jadis par Pierre Bourdieu : « un univers symbolique où les

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symboles, plus ou moins partagés, servent à penser, à agir, à juger »7. Son objectif consiste à resituer les retables sculptés dans « un complexe d’idées et de sentiments » pour tenter de « voir les choses du point de vue de leurs utilisateurs » (D’HAINAUT-ZVENY, 2008, p. 20). Là encore, c’est par le biais de la fonction (ou, plus subtilement, des usages différenciés des retables) que l’auteur appréhende les images et leur donne sens dans l’histoire. Elle récuse tout principe de causalité historique au profit de la notion de coïncidence qui lui permet de construire un réseau signifiant de thématiques et de pratiques rituelles et/ou dévotionnelles autour de ses objets. Elle décèle ainsi la « cohérence organique » (p. 21) des retables dans les corrélations qu’ils entretiennent avec l’écheveau de la société environnante. Les relations établies par Wirth entre histoire et images s’avèrent plus problématiques dans la mesure où il tire la définition de l’image gothique du côté de la sémiologie. En débutant son ouvrage par un savant chapitre sur les réflexions scolastiques ayant érigé l’image en signe, il semble sous- entendre que la théologie est première, ou du moins que le chercheur a nécessairement besoin de s’appuyer sur la scolastique pour penser les images médiévales. La prééminence qu’il accorde aux principes théologiques est tout entière au service du plan général de son ouvrage visant à prouver qu’il y a rupture entre une époque romane qui serait entièrement façonnée par l’idéologie monastique du mépris du monde, et une époque gothique plus ouverte au monde profane, réconciliée avec la chair et les sens.

5 Les rapports entre images et histoire engagent également la question des transformations des œuvres dans le temps. Wirth, renouant avec des conceptions historiographiques somme toute assez évolutionnistes (pour lui, l’époque gothique est « une véritable époque de progrès global, à la fois technique, politique et social », p. 388) n’en est pas moins très attentif à une datation précise qui l’amène à nuancer son discours. Il décèle notamment des décalages chronologiques entre la pensée scolastique et les « innovations » iconiques. Quelques-uns des sourires apparaissant sur les lèvres des Élus (porte du Prince de la cathédrale de Bamberg), des anges (façade occidentale de la cathédrale de Reims) ou encore de la Vierge (portail Saint-Honoré de la cathédrale d’Amiens) précèdent les théories hylémorphistes telles qu’elles furent réactualisées par Albert le Grand et Thomas d’Aquin. La grande statuaire semble donc avoir formulé avant les théologiens l’idée que le corps est le miroir de l’âme.

6 Baschet, en revanche, réfute avec force la notion d’unité historique qui permettrait d’englober la totalité des œuvres d’une période donnée en un même ensemble homogène. Il insiste au contraire sur l’inventivité foncière et permanente des images médiévales, une inventivité niée par l’iconographie traditionnelle dont l’un des objectifs est de définir les conventions de l’art religieux, ses modèles et ses stéréotypes. C’est précisément la raison pour laquelle l’auteur a mis au point une méthode d’« iconographie sérielle », qui vise à éclairer la façon dont les images s’apparentent les unes aux autres et font sens dans cette relativité dynamique. La construction de corpus sériels par le chercheur s’avère alors cruciale pour l’analyse non seulement des images elles-mêmes mais aussi de ce qui se joue entre les images, dans les citations, les emprunts, les glissements et les écarts. Cette approche implique des échelles temporelles pluriséculaires permettant de percevoir les phénomènes de tâtonnement, de coexistence temporaire ou d’effacement progressif de certains thèmes iconographiques au profit d’autres, comme Baschet en a déjà fait la démonstration dans un ouvrage précédant, à propos du sein d’Abraham8.

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7 La « longue durée » est également l’un des soucis méthodologiques D’Hainaut-Zveny. Bien qu’elle focalise son attention sur les retables des anciens Pays-Bas à la fin du Moyen Âge, l’auteur prend soin de mettre en perspective son objet d’étude, y compris d’un point de vue historiographique. C’est ainsi qu’elle repère trois moments distincts et successifs dans l’histoire des retables, sans pour autant nier les phénomènes de coexistence : « le temps des reliques », « le temps des images », « le temps du Saint- Sacrement ». Son argumentation vise à montrer qu’entre le XIVe siècle et le milieu du XVIe siècle, les images des retables ont assumé seules le rôle de présentification9 du sacré sur l’autel, sans que les reliques ou le Saint-Sacrement ne soient nécessairement intégrés à la structure de ces « images-objets ». Pour elle, le moteur essentiel de ces mutations réside dans les relations variables que les fidèles et le clergé entretiennent avec la présence divine ici-bas. Les rapports à la fois complémentaires et concurrentiels entre images, reliques et hostie consacrée semblent ainsi présider à cette histoire complexe des retables sculptés.

Les images et leurs « lieux »

8 Si la conjonction des images et du temps historique retient les trois auteurs, Baschet et D’Hainaut-Zveny consacrent à la question cruciale de l’espace, ou plutôt des lieux de l’image10, des pages essentielles. Depuis les travaux novateurs de Paul Zumthor11, nous savons que le Moyen Âge ignore l’espace unifié, homogène et continu en tant que catégorie abstraite, indépendante des objets qui l’habitent. C’est en termes de réseaux multipolaires que la question se pose, chaque locus étant le siège d’une présence, d’une force, d’un sentiment d’appartenance à partir duquel les rapports sociaux s’organisent, les entités sociales se constituent. Il est donc impropre et anachronique de parler d’espace tel que nous l’entendons aujourd’hui pour la période médiévale, aussi bien en ce qui concerne la structuration de la chrétienté que la composition d’une image matérielle12. Jérôme Baschet souligne d’ailleurs à quel point on ne saurait isoler les lieux de l’image des lieux sociaux tant il est vrai que les images-objets ont grandement contribué à la polarisation de la société féodale. Il focalise son attention sur le bâtiment ecclésial, centre d’un ensemble de cercles concentriques allant du cimetière à la chrétienté tout entière en passant par les échelles intermédiaires que sont la paroisse et le diocèse. En effet, l’église, ancrée dans un territoire, incarne non seulement le creuset où se réalise l’unité de l’Ecclesia (par le biais des sacrements), mais aussi le lieu par excellence des images puisque les ornamenta et les imagines contribuent à la magnifier, c’est-à-dire à la désigner comme sacrée. Abandonnant la dichotomie traditionnelle sacré/profane, l’auteur propose de penser ces configurations réelles et idéelles en termes « d’enveloppes sacrales ». Dès lors, il met en évidence non plus une frontière symbolique exclusive mais des successions de seuils menant à des degrés de sacralité marqués précisément par la présence d’images. Ainsi, le décor ecclésial, compris dans sa complexité et ses interactions (peintures murales, sculptures internes et externes, retables, luminaires et objets liturgiques), manifeste tout à la fois les zones de polarisation de l’édifice (autels consacrés), ses multiples divisions internes (mur diaphragme, jubé…), et son axialité dynamique et orientée (locus/iter).

9 L’importance des liens entre liturgie, espace ecclésial, organisation sociale et images est également soulignée par D’Hainaut-Zveny. Pour elle, les retables ordonnent l’agencement interne du bâtiment dans la mesure où ils contribuent à en faire un

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espace partagé clercs/laïcs. Par leur fonction ambivalente, ces tableaux d’autels sculptés renforcent d’une part le pouvoir sacerdotal en intensifiant les gestes et les paroles du prêtre lors du rituel eucharistique, et favorisent d’autre part les pratiques dévotionnelles en créant les conditions d’une relation à Dieu personnalisée. Le retable règle donc les rythmes de la vie religieuse et les modalités d’occupation des lieux en faisant cohabiter le temps de la messe et le temps des dévotions, personnelles ou collectives (familles, confréries, corporations…).

10 Si les retables sculptés sont dans l’église et sur l’autel, ils possèdent eux-mêmes leur propre configuration en volume. D’Hainaut-Zveny montre que chacune des multiples alvéoles de ces architectures en bois correspond à un petit théâtre de mémoire où vient se lover le rapport projectif du dévot au mystère divin. La disposition en cercle des personnages peuplant ces cavités ménage une place vide en amont de la scène : celle du fidèle, invité à faire sa propre expérience de la présence divine en concentrant dans ces écrins dorés les mouvements de son âme. Ainsi, la juxtaposition de niches permet l’absorption du sujet chrétien dans les lieux de l’Histoire Sainte. L’auteur oppose à cet égard les polyptyques des Pays-Bas aux retables peints en Italie à la même époque : là où le système perspectif institue la représentation en créant une distance entre celui qui regarde et le représenté, les « concrétisations imaginaires » des Pays-Bas refusent l’objectivation de la représentation, favorisant ainsi l’investissement du fidèle dans un dispositif en relief.

11 Les trois ouvrages montrent combien les images font les lieux et comment les lieux s’emboîtent ; les images réagissent les unes par rapport aux autres et suscitent dans la mémoire d’autres images, matériellement absentes ; les images prennent sens en interaction avec les gestes, les pensées, les affects des hommes. C’est ce que Baschet propose d’appeler « l’iconographie relationnelle » : les sens possibles d’une œuvre ne résident pas uniquement dans ses configurations plastiques et ses thématiques ; les nœuds de relations internes au discours figuratif interagissent avec les situations sociales qui se jouent devant les œuvres, notamment dans l’église.

Le visible, l’exhibé, le dissimulé

12 On peut difficilement parler d’images sans se soucier de la question du regard13. Non seulement parce que les hommes du Moyen Âge regardaient (ou non) les images-objets, mais aussi parce que celles-ci fixaient parfois les hommes de leurs yeux perçants. En outre, les représentations ne sont pas totalement étrangères aux différentes conceptions scientifiques de la vision, ni même à ce que nous considérons comme visible ou invisible, représentable ou non représentable, beau ou laid.

13 Wirth puise dans le Roman de la rose (1230-1270) matière à relier la vision, le reflet, la beauté et le désir. Il décèle dans ce grand texte de la littérature courtoise une légitimation du savoir passant par les sens et dont la nature serait l’objet principal. La totalité du monde étant alors considérée comme « un livre écrit du doigt de Dieu », l’image acquiert son sens spirituel dès lors qu’elle cherche à reproduire avec ressemblance l’aspect de ce monde tangible, scruté dans ses moindres détails. Le beau artistique n’a donc pas de réalité en soi : il n’est que l’émanation du beau naturel, reproduit dans ses proportions et ses qualités sensibles, voire sensuelles. Cette mutation culturelle constitue pour l’auteur la clé d’un art gothique résolument optimiste et anti-ascétique, ayant émergé dès le milieu du XIIe siècle dans le reflux de la

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réforme grégorienne. Loin de lui, cependant, l’idée simpliste d’une époque gothique qui se dégagerait de l’emprise de l’Église pour représenter un monde ici-bas résolument profane. Le nouveau regard que le sujet chrétien pose sur la nature participe de la divination de la chair christique dans le cadre eucharistique. L’heure n’est plus au spirituel invisible. Le vieil adage « heureux ceux qui croient sans avoir vu » (Jean 20,29), qui permettait de taxer d’incrédulité le geste de saint Thomas, cède la place à l’adoration de la divinité incarnée, visible, représentable, palpable et consommable. Wirth propose donc de substituer à la césure visible/invisible, le binôme naturel/surnaturel, la transsubstantiation étant la manifestation la plus accomplie du surnaturel sur terre.

14 À l’inverse, Baschet vide en quelque sorte l’ici-bas de sa consistance afin de mieux combattre la notion d’« image-miroir ». À partir d’exemples touchant à des actes rituels, il démontre que les images matérielles ne peuvent en aucun cas refléter le réel dans la mesure où, pour la pensée figurale du Moyen Âge, ce sont les réalités d’ici-bas qui constituent un pâle reflet des vérités célestes, par nature invisibles. Le chapiteau montrant le Christ lavant les pieds des apôtres dans le cloître de Moissac ne doit donc pas être analysé comme la simple représentation in situ de la cérémonie du mandatum impliquant l’abbé et ses moines. Ce serait plutôt le rite monastique qui reflèterait, au sein du monde claustral, la vérité christique. L’image, elle, serait là pour remémorer et manifester le prototype divin, c’est-à-dire donner sens aux gestes des moines s’effectuant dans le temps historique. Ainsi, la sculpture n’illustre rien : elle dévoile les raisons de l’efficacité rituelle, tout en métamorphosant temporairement l’abbé en figura du Christ. Et en dehors du déroulement du mandatum, l’image constitue la trace durable du rituel éphémère.

15 D’Hainaut-Zveny, étant donné la spécificité de ses objets d’étude, place au cœur de sa réflexion sur le visible et l’invisible la question du « comment rendre présent le sacré ». Elle analyse l’apparition, au XIVe siècle, des volets mobiles sur les retables comme l’émergence d’un dispositif permettant de réguler l’accès à la présence divine. Cette « innovation » n’est pas à envisager comme une simple modification formelle de la structure des retables, ni même comme une adaptation « mécanique » du tableau d’autel aux pratiques liturgiques. En orchestrant une alternance entre ostentation et occultation, les volets transforment le statut même des images. L’auteur en fait la démonstration en s’appuyant sur la définition du sacré selon Émile Durkheim comme « ce qui doit être tenu à distance », « ce qui doit être caché »14. Les images sculptées des huches, dissimulées par les images peintes des volets, acquièrent un degré de sacralisation inégalé, précisément parce qu’elles sont le siège d’une privation visuelle. Ainsi, les volets sacralisent les images, où plutôt leur confèrent cette capacité à rendre présent le sacré dès lors qu’ils contraignent la vision à l’incomplétude.

16 L’accessibilité ou la non-accessibilité constitue donc l’un des paramètres à prendre en considération dans l’analyse des images médiévales. Faut-il rappeler que nombre de sculptures ou de vitraux, traités avec un soin extrême, ont été placés sciemment hors de portée de l’œil humain, comme s’ils étaient dévolus d’abord et avant tout à l’œil omniprésent et omnipotent de Dieu ? La relation entre le regard humain et l’image n’est donc pas, au Moyen Âge, une relation absolument nécessaire. Pour certaines images, « être là » s’avère au moins aussi important qu’être vues.

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17 Ces trois livres, d’une densité remarquable (et qui recèlent encore bien d’autres champs non évoqués ici) méritent d’être lus et relus afin d’y puiser matière à réflexion, matière à expérimentation méthodologique, en infirmant ou confirmant les hypothèses et les démarches proposées. Leur volonté de se positionner vis-à-vis des « grands héritages » en fait des outils indispensables pour tous ceux qui souhaitent entreprendre ou poursuivre un vrai travail de questionnement sur l’image médiévale.

NOTES

1. Jean Wirth, L’image à l’époque romane, Paris, 1999. 2. Hans Belting, Image et culte. Une histoire de l’image avant l’époque de l’art, Paris, 1998 [éd. orig. : Bild und Kult. Eine Geschichte des Bildes vor dem Zeitalter der Kunst, Munich, 1990]. 3. Jean-Claude Schmitt, Le corps des images. Essai sur la culture visuelle au Moyen Âge, Paris, 2002. 4. Jérôme Baschet, Jean-Claude Schmitt éd., L’image : fonctions et usages des images dans l’Occident médiéval, (Cahiers du Léopard d’Or, 5), Paris, 1996. 5. Henri Focillon, Vie des formes, Paris, 1934 ; Pierre Wat éd., Henri Focillon, Paris, 2007. 6. Pierre Francastel, La figure et le lieu, l’ordre visuel du Quattrocento, Paris, 1967, en particulier p. 9-21. 7. Pierre Bourdieu, Roger Chartier, Robert Darnton, « Dialogue à propos de l’histoire culturelle », dans Actes de la recherche en sciences sociales, 59, 1985, p. 87. 8. Jérôme Baschet, Le sein du Père. Abraham et la paternité dans l’Occident médiéval, Paris, 2000. 9. Nous devons cette notion à Jean-Pierre Vernant qui l’emploie dans son ouvrage Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, 1996 (« De la présentification de l’invisible à l’imitation de l’apparence »). 10. Jérôme Baschet, Lieu sacré, lieu d’images. Les fresques de Bominaco (Abbruzes, 1263) : thèmes, parcours, fonctions, Paris/Rome, 1991. 11. Paul Zumthor, La mesure du monde, représentation de l’espace au Moyen Âge, Paris, 1993, en particulier chap. 3, « Lieux et non-lieux ». 12. Jean-Claude Schmitt, « De l’espace aux lieux : les images médiévales », dans Construction de l’espace au Moyen Âge. Pratiques et représentations, (colloque, Mulhouse, 2006), Paris, 2007, p. 317-346. 13. Herbert Kessler, Seeing Medieval Art, Peterborough, 2004. 14. Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, 1960, p. 431-432.

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INDEX

Mots-clés : image médiévale, sémiologie, théologie, scolastique, iconographie sérielle, retable, relique Keywords : medieval image, semiology, theology, scholastic, medieval iconography, altarpiece, relic Index géographique : Pays-Bas, France, Allemagne, Bamberg, Reims, Amiens Index chronologique : 1100, 1200, 1300, 1400, 1500

AUTEURS

DOMINIQUE DONADIEU-RIGAUT

EHESS

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Le Trecento en Italie, entre Toscane, Lombardie et Vénétie The Trecento in Italy, between Tuscany, Lombardy, and Veneto

Serena Romano

RÉFÉRENCE

L’eredità di Giotto: arte a Firenze 1340-1375, Angelo Tartuferi éd., (cat. expo., Florence, Galleria degli Uffizi, 2008), Florence, Giunti, 2008. 256 p., fig. en n. et b. et en coul. ISBN : 978-8-8090-6031-9 ; 34 €. Fantasie und Handwerk: Cennino Cennini und die Tradition der toskanischen Malerei von Giotto bis Lorenzo Monaco, Wolf-Dietrich Löhr, Stefan Weppelmann éd., (cat. expo., Berlin, Gemäldegalerie, Staatliche Museen zu Berlin), Munich, Hirmer, 2008. 336 p., 213 fig. en n. et b. et 64 en coul., ISBN : 978-3-7774-4115-3 ; 39,90 €. Giovanni da Milano: capolavori del gotico fra Lombardia e Toscana, Daniela Parenti éd., (cat. expo., Florence, Galleria dell’Accademia, 2008), Florence, Giunti, 2008. 320 p., fig. en n. et b. et en coul. ISBN : 978-8-8090-5978-8 ; 45 €.

1 L’été 2008, à Florence, fut un été trecentesque avec deux expositions jumelles, et même siamoises, puisqu’elles étaient partiellement entrelacées : Giovanni da Milano à la Galleria dell’Accademia et L’eredità di Giotto aux Offices, respectivement sous la direction de Daniela Parenti et d’Angelo Tartuferi, furent à la fois un événement et une fête pour les yeux, et une extraordinaire occasion d’étude pour les spécialistes.

2 Il convient de suivre l’ordre chronologique en commençant par L’eredità di Giotto, qui posait le problème le plus précoce, celui de l’atelier, ou plutôt des ateliers du maître à partir des années 1310, une période qui s’ouvre avec le polyptyque de Raleigh (n° 1), le prêt le plus important de l’exposition, autrefois retable de la chapelle Peruzzi de Santa Croce. Cette peinture spectaculaire, datée de 1310-1315 environ, a attiré en effet l’attention sur la seconde décennie du Trecento, décennie clé pendant laquelle Giotto se fixe à Florence et intensifie les achats de terrains et de maisons dans son Mugello

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natal1. Solidement reliée aux grands banquiers, tels que les Peruzzi, et aux ordres religieux, dont les franciscains, qui avaient soutenu le peintre dès ses travaux à Assise, à Rimini et à Padoue, l’activité de Giotto continue à s’épanouir. La restauration du Crucifix d’Ognissanti, que Marco Ciatti dirige à l’Opificio delle Pietre Dure, contribuera assurément à la connaissance de ces années cruciales. Mais pour pleinement comprendre les enjeux complexes de l’activité du maître et de ses collaborateurs, il faudra encore se pencher sur des œuvres incontournables comme les fresques du transept droit de l’église inférieure d’Assise et celles de la chapelle de la Madeleine au Bargello à Florence – l’étude de ces dernières ayant été fort négligée jusqu’à ce jour2.

3 L’atelier de Giotto – après ces années qui soulèvent le problème de celui que l’on a appelé « Parente » et du polyptyque de Santa Reparata3 – manifeste progressivement un autre mode de fonctionnement. Il ne s’agit plus, désormais, de peintres travaillant dans le cadre très hiérarchisé des chantiers dirigés par Giotto, mais d’un réseau de grands maîtres, formés par et dans le « giottisme », qui gardent toutefois une personnalité indépendante et une activité qui ne se limite pas aux commandes adressées au peintre lui-même. Par leur biais, cette éclosion de la peinture florentine – mais aussi de la sculpture, dont l’exposition offrait un large panorama – dépasse la date de la mort de Giotto (1337) et se poursuit au-delà de 1348, l’année de la Peste noire, pour s’acheminer vers la seconde moitié du Trecento, qui était le véritable thème de l’exposition et qui a inspiré la phrase, un peu intimidante, affichée à l’entrée : « la seconde moitié du siècle n’a pas été une phase de décadence et de répétition de toutes les merveilles inventées et créées au début du Trecento ».

4 En voulant retracer l’œuvre de Bernardo Daddi, de Maso di Banco, de Taddeo Gaddi, puis d’Andrea Orcagna et de son frère Nardo, l’exposition se heurtait au problème suivant : de nombreuses œuvres conservées aux Offices sont restées dans les salles du musée, ce qui entravait la compréhension de la dimension réelle de certains peintres, représentés dans l’exposition par de petits tableaux beaucoup moins significatifs. C’était le cas pour Andrea Orcagna, grand peintre érudit, « cérébral » même, auquel les deux petits triptyques de Delaware et de Saint-Louis ne rendaient pas justice, alors qu’on pensait, par exemple, au grand retable du pilier d’Orsanmichele, peint par Andrea en 1367-1368 avec son frère Jacopo, quant à lui représenté dans l’exposition avec un beau petit triptyque de l’Accademia (n° 41). La présence de la statue de la Beata Umiltà (n° 25) était plus à même de faire comprendre les qualités d’Andrea Orcagna. Dans le catalogue, Enrica Neri discute les caractéristiques iconographiques et stylistiques de cette œuvre et déploie un panorama de la sculpture du Trecento florentin, mettant en relief la remarquable personnalité du Maître de San Cassiano. Bernardo Daddi était représenté par des panneaux de grande qualité, à partir desquels Tartuferi propose de manière convaincante la reconstruction d’un polyptyque. C’est au noyau stylistique Daddi/Maso que l’auteur, dans sa dense introduction au catalogue, attribue un rôle crucial dans le développement de la peinture florentine après la mort de Giotto et dans la formation d’Andrea Orcagna. Le profil de Maso était toutefois moins facile à comprendre dans l’exposition car l’attribution à ce peintre des deux retables de San Giorgio a Ruballa (n° 7) et de Santo Spirito (n° 10) n’est pas convaincante : d’autres chercheurs, Roberto Bartalini par exemple, ont proposé de donner la paternité de la pala de Ruballa au jeune Andrea Orcagna4. Le Couronnement de la Vierge de Budapest (n° 12) compose, avec la Sacra Cintola de Berlin et la Mort de la Vierge de Chantilly, un ensemble dont il est encore difficile d’imaginer la structure et la fonction. De Taddeo Gaddi, enfin – seul maître de l’atelier giottesque ayant survécu à la

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Peste – l’exposition présentait l’Annonciation de Fiesole (n° 14), couplée à l’extraordinaire Saint Antoine Abbé prêté par Moretti. Concernant une autre nouveauté de l’exposition, les Apôtres de la collection Cini (n° 4), Miklos Boskovits opte prudemment pour l’étiquette « atelier de Giotto ».

5 Le problème de la répartition des œuvres de Stefano et de Giottino touchait les deux expositions : plusieurs visiteurs auront regretté qu’on ait dû choisir entre les deux pour certaines œuvres qui auraient parfaitement pu figurer dans l’une ou l’autre. Concernant Stefano, un grand travail de recherche a été mené récemment en vue d’identifier la production de ce maître, marquée par la perte de nombreuses œuvres mais également par les malentendus historiographiques5. Aux Offices, le panneau comportant Saint Jean-Baptiste et saint Paul (n° 15), parvenu après maintes vicissitudes dans la collection Alana de Delaware, est justement attribué au peintre par Boskovits : les liens avec les fresques de Chiaravalle sont incontestables, même si l’état du panneau est mauvais. Dans son essai introductif, Tartuferi évoque aussi les fresques récemment attribuées à Stefano dans les églises florentines de San Pietro a Palco et de Santa Maria Novella. Il est, en revanche, moins facile de concilier le panneau de Delaware et le Noli me tangere (n° 2) présenté dans l’exposition Giovanni da Milano, fresque déposée de l’Evêché de Novara : Carla Travi le donne dans sa notice à un peintre toscan, mais dans le texte plutôt à Stefano, alors que dans son essai du catalogue, Mina Gregori lui reconnaît une origine lombarde.

6 De Giottino, l’exposition des Offices montrait la fresque du tabernacle de via del Leone (n° 35) et la Pietà de San Remigio (n° 38) – qui n’étaient malheureusement pas exposées l’une à côté de l’autre – ainsi que le panneau avec la Crucifixion et la Vierge en trône des Oblate, aujourd’hui à l’état de ruine. Manquaient seulement les fragments de fresques de San Pancrazio, aujourd’hui au Spedale degli Innocenti, attribués à Giottino par Volpe et Bellosi6. Il s’agit donc véritablement du premier grand hommage rendu à ce peintre majeur, le plus énigmatique et le plus magnétique de toute la seconde moitié du siècle. Giottino, avec Giovanni da Milano, est l’une des perles de la peinture dans la Florence « ville ouverte » des années 1350 et 1360 : l’affinité de la Pietà de San Remigio avec celle de Giovanni exposée à l’Accademia (n° 15) est soulignée par Federica Baldini dans sa notice du catalogue de « L’eredità di Giotto » (p. 172). Un autre tableau, qui aurait été à sa place dans l’exposition des Offices, aurait bien représenté l’ampleur de ces recherches sur la narration « théâtrale » à espace unifié : l’Annonciation avec donateur agenouillé, un tableau Kress assez endommagé et resté dans les marges du débat critique, peut-être parce qu’il se trouve au musée des beaux-arts de Ponce (Porto Rico), attribué au cercle d’Orcagna par Fern Rusk Shapley7.

7 L’exposition de l’Accademia, bien que restreinte à des espaces assez limités – et, en raison de son grand succès, surpeuplée – a été exemplaire. En effet, cette première « monographie » sur Giovanni da Milano a non seulement réussi à réunir pratiquement tous les panneaux du peintre (à de rares exceptions près, et de moindre importance d’ailleurs), mais aussi à présenter de manière agréable et efficace les problèmes et les points cruciaux du débat critique sur son œuvre, qui font l’objet de nombreuses et intéressantes contributions dans le catalogue. Les œuvres de Giovanni et celles des autres protagonistes du développement de la peinture entre l’Italie du Nord et la

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Toscane se répondaient dans les salles : la question des débuts lombards de Giovanni – dont la lunette de Mendrisio est le pivot – et celle du poids des deux éléments, toscan et lombard, pour la décennie clé 1340-1350, ressortaient bien par le biais du Noli me tangere de Novara, du Messale daté de 1347 (n° 3) et de deux œuvres attribuées au jeune Altichiero, la Crucifixion de Detroit (n° 5) et l’extraordinaire diptyque en ivoire de la Biblioteca Ambrosiana (n° 6). Malheureusement, la Crucifixion Rasini faisait défaut, mais on pouvait noter la présence de la petite Vierge en Majesté de Budapest (n° 7), datée de 1345, que Boskovits a attribuée au jeune Giusto de’ Menabuoi, dont la formation toscane ne serait donc plus contestable8. Presque tous les panneaux de Giusto étaient exposés, à savoir une bonne partie du Polyptyque Terzaghi (daté de 1363 et aujourd’hui démembré ; n° 9), et les panneaux de La Spezia et de Montecassino. L’orfèvrerie était également représentée (traitée par Marco Collareta dans le catalogue), ainsi que la sculpture, avec Giovanni di Balduccio et le Maître de Viboldone. Une Tête de jeune femme, « Faustina » (collection privée), est attribuée au maître par Laura Cavazzini avec de bons arguments. Toutefois, Guido Tigler, au cours de la journée d’étude du 1er décembre 2008, a proposé une datation du XVe siècle : les vicissitudes de la pièce – peut- être originairement une Vertu, à laquelle fut ajoutée la grande inscription qui la déguise en personnage antique – peuvent, du moins en partie, donner raison de ces incertitudes.

8 Ce portrait de la dialectique florentino-lombarde, si bien retracée dans l’exposition, aurait pu être élargi, ne serait-ce que par quelques exemples des autres composantes, extra-florentines et extra-italiennes, de la culture de Giovanni da Milano. Dans le catalogue, Erling Skaug, suivant ses études sur les poinçons, émet l’hypothèse que le peintre serait allé à Sienne pendant les années où sa présence à Florence n’est pas attestée, c’est-à-dire entre 1348 et le début des années 1360. Le pôle siennois est incontournable pour comprendre bon nombre de caractéristiques de la peinture de Giovanni, des caractéristiques qui ne peuvent s’expliquer par le seul axe Florence- Lombardie. La leçon de Simone Martini compte énormément dans l’univers du peintre, mais c’est surtout à la peinture cosmopolite de cette époque – dominée par les accents siennois – qu’il fait appel. D’ailleurs, en 1368-1369, Giovanni da Milano se trouvait à Rome, travaillant au Palais du Vatican au service du pape Urbain V, au sein d’un groupe de peintres – parmi lesquels Giovanni et Agnolo Gaddi, Giottino et Bartolomeo Bulgarini, qui décorèrent la Capella Magna, la Capella Secreta, puis la Capella Parva9; Matteo Giovannetti travaillait déjà dans le Palais en 1367, et rencontra probablement les autres peintres avant de disparaître en 1369. Giottino avait, semble-t-il, un rôle plus éminent ; c’est du moins ce que donnent à penser les paiements. Il serait extrêmement intéressant de savoir comment, et par qui, ce groupe fut formé : si l’initiative fut prise à Avignon, si les artistes furent sélectionnés en choisissant parmi les noms les plus à la mode, ou si les peintres – à l’instar de Matteo Giovannetti – avaient déjà des liens avec la cour avignonnaise.

9 La « différence » de Giovanni da Milano ne s’explique donc pas exclusivement par sa naissance lombarde. Son origine « étrangère », comme une marque d’altérité qui en appelle d’autres, produit une ouverture d’esprit qu’on ne retrouve pas chez les maîtres florentins contemporains, pas même chez le merveilleux Giottino. Les résonances françaises, évidentes dans l’œuvre de Giovanni mais qui n’ont pas encore trouvé d’explication précise, pourraient être le résultat de contacts avec la cour francophile des Visconti, ou être arrivées par Avignon ou directement par les foyers français. Cette

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question, qui demande encore beaucoup de réflexion, touche particulièrement les deux retables des églises de Prato et d’Ognissanti à Florence. Le polyptyque de Prato avait déjà été restauré peu avant l’exposition, tandis que celui d’Ognissanti le fut en vue de l’exposition, sous la direction d’Angelo Tartuferi. Les couleurs remises en lumière par le nettoyage sont les plus belles de tout l’œuvre de Giovanni : le Baptiste rose et violet d’Ognissanti – le lien du peintre avec les Umiliati est un point très intéressant de la discussion – est digne de la palette de Gherardo Starnina, mais aucun peintre florentin n’aurait pu concevoir les corps de ces martyrs, apôtres, patriarches et prophètes, avec leurs manteaux double face vivement contrastés en rose, orange, bleu, violet, jaune. Parler ici de Simone Martini ne suffit plus ; il faut évoquer les raffinements extrêmes de l’art de cour français et penser à des échos de la lignée Pucelle-Maître du Parement de Narbonne. La couleur accompagne aussi des audaces inouïes de dessin et de composition, à Ognissanti comme à Prato. Le Martyre de San Bartolomeo est, en effet, inconcevable sans la connaissance de peintures sienno-avignonnaises comme le panneau du Maître des Anges Rebelles, surtout le verso avec Saint Martin et le pauvre. Le Martyre de San Barnaba montre les deux bourreaux, l’un, en manteau rose et chaussettes orange, sortant du cadre et s’enfuyant dans l’espace perdu et non représenté, l’autre, qui pousse la tête du cadre et se cache encore de la main couverte par le manteau bleu et jaune, une idée bizarre et provocatrice, dont on ne saurait dire si elle doit être reliée aux audaces giottesques ou aux caprices français.

10 L’exposition avait une onclusion bien choisie : le tondo de la chapelle Guidalotti- Rinuccini, un Sauveur un peu chinois, la peau blanchâtre comme souvent chez Giovanni, la tunique rose et or, et le manteau autrefois bleu et aujourd’hui presque noir. La main bénissante montre le plus impressionnant raccourci du XIVe siècle, immédiatement repris par Giovanni dans l’autre Sauveur de la Pinacothèque de Brera (n° 27). Les résultats des recherches et de la restauration du tondo, d’un très grand intérêt, sont présentés par Roberto Bellucci, Cecilia Frosinini, Daniela Parenti et Alberto Lenza : ils permettent notamment de confirmer l’authenticité de la pièce. Le catalogue de l’exposition, qui s’ouvre avec l’introduction magistrale de Mina Gregori, offre donc un grand nombre de données techniques et de notices exhaustives, ainsi que d’excellents essais, parmi lesquels ceux de Daniela Parenti sur Giovanni da Milano à Florence, de Carla Travi sur le sujet ardu de la peinture sur bois en Lombardie au XIVe siècle et d’Annamaria Bernacchioni sur la documentation d’archives. C’est un ouvrage précieux, qui nous accompagnera longtemps dans les études sur la peinture italienne du XIVe siècle.

11 Plus petite, l’exposition Fantasie und Handwerk, organisée à la Gemäldegalerie de Berlin juste avant les deux manifestations florentines, touchait un point lié à la même thématique. Le musée berlinois avait lancé un projet coordonné par Stefan Weppelmann en collaboration avec la Freie Universität : des expositions de petite taille – il y a quelques années y ont été présentées les Geschichten auf Gold10 – axées sur des pièces de la Gemäldegalerie, avec quelques œuvres moins connues (provenant souvent de collections particulières) et accompagnées d’imposants catalogues, ou bien de volumes d’études et d’essais scientifiques qui partent des œuvres exposées et permettent d’approfondir des pistes nombreuses et diverses. Cette dernière exposition

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était placée sous la direction de Weppelmann et de Wolf-Dietrich Löhr, avec la participation de chercheurs du musée et de l’université.

12 Les deux panneaux de la Gemäldegalerie, deux figures de saint, un Evêque et un Pape (Grégoire ?), tous attribués à Cennino Cennini, constituent le point de départ de Fantasie und Handwerk. Le projet avait l’ambition de jumeler la lecture du Libro dell’Arte de Cennino avec une « réflexion approfondie sur les originaux » (Löhr-Weppelmann, p. 38). En abordant Cennino, sa production picturale très maigre et peu connue, et sa célèbre codification des techniques et des recettes du métier artistique, l’exposition posait la question de la continuité de la tradition et des pratiques giottesques au long du Trecento, bien représentées par la Dormitio Virginis de Giotto, provenant d’Ognissanti à Florence, et par la Crucifixion giottesque qui appartient au groupe rassemblé autour du Polyptyque Stefaneschi et de la question du « Parente ». Elle évoquait également les transferts des principes techniques et esthétiques du métier, de Florence et de la Toscane, à d’autres lieux d’Italie. Si Giovanni da Milano indiquait le chemin des relations avec la Lombardie, on peut parler, pour Cennino, de la cour de Francesco da Carrara il Vecchio à Padoue, puis de celle de son successeur Francesco Novello : une cour humaniste, riche en figures de tout premier rang comme Altichiero ou Giusto de’ Menabuoi, ou, parmi les lettrés et les intellectuels, Pier Paolo Vergerio ou Gasparino Barzizza. Dans le catalogue, Giovanna Baldissin Molli, Fabio Frezzato, dernier éditeur du Libro de Cennino, et Victor Schmidt s’expriment sur ces questions. Ce dernier se demande pourquoi, et pour qui, le Libro dell’Arte fut écrit, concluant qu’il fut probablement réalisé à la demande de Francesco da Carrara, qui voulait importer à Padoue le système toscan des corporations d’artistes afin d’organiser le savoir technique et d’en garantir la transmission. Mais l’intérêt pour la technique dépasse les frontières d’un simple transfert de système d’organisation sociale : il surgit par exemple dans la quête de « recettes » de la part de Giovanni Alcherio, qui recueillit celles de Jean Lebègue, notaire, humaniste et bibliophile de la cour parisienne, et d’autres entre Paris, Gênes, Bologne et Venise11.

13 Au cours de la restauration, les deux panneaux de Cennino ont révélé la présence, sur leur verso, d’inscriptions faisant allusion à des sujets narratifs : Weppelmann les explique comme des indications pour fixer, par de petits clous, des tissus sur le verso des panneaux – en fait une intégration « légère » au programme iconographique du polyptyque, vraisemblablement réservée à des occasions liturgiques spéciales. Cette donnée, rare il est vrai, ajoute un exemple original à l’histoire des pratiques liturgiques et à nos connaissances de la fonction et de la signification symbolique des objets d’art médiéval. Klaus Krüger se penche également sur ces questions dans le catalogue, revenant pour l’occasion sur un de ses sujets favoris, les origines du tableau d’autel et son développement aux XIIIe et XIVe siècles.

14 Les descriptions techniques de Cennino servent, en outre, à rattacher à l’exposition les deux extraordinaires dessins de Lorenzo Monaco conservés au Kupferstichkabinett de Berlin, distants l’un de l’autre de quinze ou vingt ans : la Visitation et le Voyage des Mages, deux monochromes, ou plus précisément, deux dessins réalisés sur papier préparé en ocre, rehaussés de blanc, et représentant un petit paysage à l’horizon, d’un bleu précieux avec des touches d’autres couleurs. Ce fut l’occasion, pour Katharina Christa Schüppel et Irene Brückle, d’écrire un article sur l’esthétique des monochromes autour de 1400 et, pour Johannes Tripps, sur le paysage de montagne chez Cennino et

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dans la mentalité du Trecento, un sujet qui ramène à Pétrarque et à la rencontre entre art et littérature, domaine auquel Cennino, bien que modestement, appartient.

15 Les deux expositions de Florence et celle de Berlin offrent en somme une quantité importante de nouvelles réflexions autour du problème qui constitue la colonne vertébrale de l’historiographie de l’art italien dès la fin du Moyen Âge et jusqu’à nos jours – le rôle germinal de la culture toscane pour le reste de l’Italie – mais elles mettent largement en lumière l’autre grand pôle qui domine la seconde moitié du Trecento : l’Italie du Nord, entre la Lombardie et la Vénétie, avec ses cours, ses intellectuels et sa culture précocement humaniste.

NOTES

1. Voir les documents récemment publiés par Michael Viktor Schwarz et Pia Theis, Giottus pictor, I, Giottos Leben, Vienne, 2004. 2. La chapelle du Bargello a été datée de 1321 environ par Janis Elliott, « The judgement of the commune: the frescoes of the Magdalen Chapel in Florence », dans Zeischrift für Kunstgeschichte, 61, 1998, p. 509-519. Cette hypothèse me paraît plus proche de la vérité que celle des années 1330 proposée autrefois. Elliott ignore toutefois la question du style de la grande fresque du Paradis, qui montre les traces de l’équipe qui collaborait avec Giotto sur le chantier de l’église inférieure d’Assise pendant la deuxième décennie du siècle. 3. Sur le « Parente », Giorgio Bonsanti, Miklos Boskovits, « Giotto? O solo un ‘parente’? Una discussione », dans Arte cristiana, LXXXII/763, 1994, p. 299-306 ; Miklos Boskovits, « Il Maestro della Croce del refettorio di Santa Maria Novella: un parente più probabile di Giotto? », dans Mitteilungen des Kunsthistorisches Instituts in Florenz, XLIV, 2000, p. 65-77 ; sur le polyptyque de Santa Reparata, pour lequel Gardner propose un terminus ante quem de 1318, Julian Gardner, « Giotto in America (and Elsewhere) », dans Victor Schmid éd., Italian Panel Painting of the Duecento and Trecento, (colloque, Florence/Washington, 1998), (Studies in the History of Art, XXXVIII), New Haven/Londres, 2002, p. 161-181 ; voir encore Giorgio Bonsanti, dans Giotto. Bilancio critico di sessant’anni di studi e ricerche, Angelo Tartuferi éd., (cat. expo., Florence, Accademia, 2000), Florence, 2000, p. 135-137. 4. Roberto Bartalini, « Maso, la cronologia della cappella Bardi di Vernio e il giovane Orcagna », dans Prospettiva, 77, 1995, p. 16-35. 5. Bruno Zanardi, « Da Stefano Fiorentino a Puccio Capanna », dans Storia dell’Arte, 32-34, 1978, p. 115-127. 6. Carlo Volpe, « Il lungo percorso del dipingere dolcissimo e tanto unito », dans Storia dell’arte italiana, seconde partie : Dal Medioevo al Novecento, I, Dal Medioevo al Quattrocento, Turin, 1983, p. 229-304, p. 2 662-2 668 ; Luciano Bellosi, « Giottino e la pittura di filiazione giottesca intorno alla metà del Trecento », Prospettiva, 101, 2001, p. 19-40. 7. Fern Rusk Shapley, Paintings from the Samuel H. Kress Collection. Italian Schools, n.s., XIII-XIV Century, I, Londres, 1966, p. 32.

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8. Miklos Boskovits, « Su Giusto de’ Menabuoi e sul ‘giottismo’ nell’Italia settentrionale », dans Studi di storia dell’arte in onore di Mina Gregori, Milan, 1994, p. 26-34. 9. Les documents des Archives du Vatican, déjà publiés par Giovanni Battista Cavalcaselle et par Eugène Müntz, ont été intégralement republiés par Alessio Monciatti, Il Palazzo Vaticano nel Medioevo, Florence, 2005, p. 317-329, et dans le catalogue de l’exposition (p. 299-305). À ce sujet, notons l’article précieux, bien que rarement cité, de John Shearman, « A Note on the Early History of Cartoons », dans Master Drawings, Symposium: From Cartoon to Painting: Raphael and His Contemporaries, 30, 1992, p. 5-8. 10. Geschichten auf Gold. Bilderzählungen in der frühen italienischen Malerei, Stefan Weppelmann éd., (cat. expo., Berlin, Gemäldegalerie, 2005-2006), Berlin, 2005. 11. Bianca Silvia Tosatti Soldano, « La ‘Tabula de vocabulis sinonimis et equivocis colorum’, ms. lat. 6741 della Bibliothèque Nationale di Parigi in relazione a Giovanni Alcherio », dans Acme, 34/2-3, 1983, p. 129-187.

INDEX

Keywords : Italian art, Tuscan culture, giottismo, workshop, fresco, polyptyque, diptyque, Florentine-Lombard dialectic, humanism, monochrome, polychromy Mots-clés : art italien, culture toscane, giottisme, atelier, fresque, polyptyque, diptyque, dialectique florentino-lombarde, peinture sienno-avignonnaise, humanisme, monochrome, polychromie Index géographique : Florence, Sienne, Rome Index chronologique : 1300, 1400

AUTEUR

SERENA ROMANO Université de Lausanne

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Choix de publications Selected readings

1 – François BLARY, Jean-Pierre GÉLY, Jacqueline LORENZ éd., Pierres du patrimoine européen. Économie de la pierre de l’Antiquité à la fin des temps modernes, Paris, CTHS, 2008. – Basile BAUDEZ éd., Grands chantiers et matériaux, (Livraisons d’histoire de l’architecture, 16), 2008. – Arnaud TIMBERT éd., L’homme et la matière. L’emploi du plomb et du fer dans l’architecture gothique, Paris, Picard, 2009.

Trois publications de 2008 et 2009, toutes trois sous forme de recueil d’actes de colloques, qui totalisent près de quatre-vingt contributions, confirment l’intérêt actuellement porté à l’emploi des matériaux (lithiques et métalliques surtout, les autres n’étant pas en reste dans la littérature récente) dans la construction (au sens large du terme, décor et mobilier inclus) et dans la restauration des monuments depuis l’Antiquité jusqu’au XXIe siècle. Les méthodes mises en œuvre sont variées, souvent opportunément croisées : archéologie des carrières et expérimentation ; analyse du bâti dans ses différentes composantes, que l’on ne saurait désormais envisager sans recours aux technologies de pointe ; étude des textes relatifs à l’approvisionnement (comptabilités médiévales et modernes, dossiers techniques et correspondance des architectes des Monuments historiques). Les approches témoignent également de la diversité des champs d’intervention des auteurs, dont certains émargent aux trois volumes : présentations méthodologiques ou historiographiques, monographies de lots de mobilier archéologique, d’édifices ou de périodes, ou études diachroniques. Ces dossiers sont autant de témoignages de pratiques universelles conditionnées par l’économie des moyens et des techniques (substitution, récupération…) ou par la pérennité de visées esthétiques (bossages, polychromie des matériaux, stéréotomie…), et de preuves de l’existence de tendances fortes dans la production et l’approvisionnement qui accompagnent l’évolution formelle de l’architecture : carrières à ciel ouvert dans l’Antiquité puis développement de l’extraction en puits ; renouveau de la pierre de taille après l’éclipse du haut Moyen Âge ; agrandissement de l’appareil du XIe au XVe siècle, qui motive de nouveaux approvisionnements – ou l’inverse – ; usage massif du fer aux XIIe-XIVe, puis déclin ; expérimentation de nouveaux

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matériaux aux XIXe et XXe siècle, etc. Une mine d’informations, dont certaines mériteraient d’être étayées par des recherches historiques et des analyses formelles plus poussées [É. Hamon].

2 – Louise BOURDUA, Anne DUNLOP éd., Art and the Augustinian Order in early Renaissance Italy, Aldershot/Burlington, Ashgate, 2007.

Le volume rassemble dix articles, précédés d’une introduction signée par Anne Dunlop, une des deux co-directrices. Avec le dénominateur commun de la référence à l’ordre augustinien, une série d’événements artistiques et d’œuvres de la fin du Moyen Âge et de la Renaissance est examinée, notamment sous le profil de la commande et de la fonction des images. Parmi les sujets plus attirants figurent le retable d’Agostino Novello de Simone Martini, la chapelle de San Nicola à Tolentino, le retable de santa Monica de Vivarini et le retable de Raphaël à Città di Castello. La mise à jour d’un certain nombre de problèmes importants de l’histoire de l’art italien est très utile, et le lecteur trouvera souvent dans les articles des informations nouvelles et des idées stimulantes [S. Romano].

3 – Christoph BRACHMANN, Um 1300. Vorparlerische Architektur im Elsaß, in Lothringen und Südwestdeutschland, (Studien zur Kunstgeschichte des Mittelalters und der Früher Neuzeit, 1), Korb, Didymos, 2008.

En Lorraine, l’historiographie fut longtemps influencée par le contexte politique frontalier et s’est surtout interrogée sur le caractère « français » ou « allemand » du gothique. Partant de l’église des Antonites de Pont-à-Mousson (consacrée en 1335), l’ouvrage examine une série d’églises du début du XIVe siècle en Lorraine et en Alsace, et met en évidence le rôle de centre de rayonnement architectural de Metz au XIVe siècle, du chantier de sa cathédrale et des églises mendiantes. Cette nouvelle synthèse montre comment, autour de 1300, la Lorraine, entre Rhin et Moselle, s’affirma comme une région de transferts culturels et d’innovation entre le royaume de France et l’Empire [Th. Coomans].

4 – Pavel BRODSKÝ, Jan PAŘEZ, Katalog iluminovaných rukopisů strahovské knihovny [Catalogue des manuscrits enluminés de la bibliothèque de Strahov], Praha, Scriptorium, 2008.

La bibliothèque du monastère des Prémontrés à Strahov (montagne Sion) à Prague s’est développée en parallèle à la naissance du monastère en 1143. Dans ses collections est conservé, entre autres, l’évangéliaire de Strahov (DF III3), manuscrit écrit vers 860 et enluminé à Trèves autour 980-985 par, semble-t-il, le maître du Registrum Georgii ou du Sacramentaire de Chantilly [K. Benesovska].

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5 – Laura CAVAZZINI, Il crepuscolo della scultura medievale in Lombardia, Florence, Olschki, 2004.

Malgré son titre crépusculaire, ce livre est une étude extrêmement lucide et novatrice du chantier de la cathédrale de Milan à la fin du XIVe et au début du XVe siècle. Des personnalités artistiques comme Giacomo da Campione ou Jacopino da Tradate en ressortent avec grande clarté [S. Romano].

6 – Renée COLARDELLE, La ville et la mort : Saint-Laurent de Grenoble, 2000 ans de tradition funéraire, Turnhout, Brepols, 2009.

Voici la publication exhaustive, fort attendue des spécialistes, d’un site que l’exceptionnelle préservation de ses structures haut-médiévales avaient de longue date signalé à l’attention. Y est exposé de manière détaillée l’évolution d’un complexe, où est notamment advenue l’incorporation d’une memoria épiscopale initiale dans un édifice cruciforme à deux niveaux et voûté, qui témoigne ainsi des hautes capacités de certains bâtisseurs des VIe et VIIe siècles. La mutation en église à deux chœurs opposés, intervenue au IXe siècle, est d’un intérêt notoire et en dit long sur la diffusion de certains schémas – et usages – des milieux carolingiens septentrionaux [J.-P. Caillet].

7 – Thomas COOMANS, Anna BERGMANS éd., In zuiverheid leven. Het Sint-Agnesbegijnhof van Sint-Truiden: het hof, de kerk, de muurschilderingen, (Relicta Monografieën, 2), Bruxelles, Vlaams Instituut voor het Onroerend Erfgoed, 2008.

Cette monographie analyse l’histoire de la communauté, l’architecture des maisons et de l’église, le mobilier et l’art d’un béguinage flamand inscrit au patrimoine mondial. L’église biscornue à voûtes de bois, construite par phases du XIIIe au début du XVIe siècle, exprime la pauvreté d’une communauté de femmes établie à l’écart de la ville. La présence de trente-sept peintures murales de dévotion, du début du XIVe au milieu du XVIe siècle, font des peintures murales du béguinage de Saint-Trond le plus important ensemble médiéval en Belgique. L’ouvrage, abondamment illustré, en révèle la signification iconologique, étudie l’iconographie des costumes et critique les restaurations [M. Boudon-Machuel].

8 – Rosemary CRAMP et al., Wearmouth and Jarrow Monastic Sites, 2 vol., Swindon, English Heritage, 2005/2006.

Cette monumentale publication rassemble les apports de trente ans de recherche sur deux sites monastiques « jumeaux » parmi les plus importants dans le cadre du monde

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insulaire – et même dans celui de l’ensemble de l’Occident haut-médiéval. On a désormais pleine confirmation que le fondateur Benedict Biscop y avait implanté, dès la fin du VIIe siècle, des structures en pierre « à la romaine » (qui n’était auparavant connues que par des sources textuelles). L’investigation archéologique a également livré les restes d’un décor pariétal sculpté et peint, ainsi que des fragments de verre polychromes permettant de reconstituer un vitrail figuré (trait particulièrement remarquable pour cette haute époque). On dispose là enfin – et l’apport n’est pas mince – d’un fort bon aperçu de l’organisation générale d’un complexe pré-carolingien [J.- P. Caillet].

9 – Giuseppe CUSCITO éd., Aquileia dalle origini alla costituzione del Ducato Longobardo. L’arte ad Aquileia dal sec. IV al IX, (Antichità Altoadraitiche, LXII), Trieste, Editreg, 2006.

Les actes de ce colloque qui s’est tenu en 2005 rassemblent une série substantielle de communications sur un milieu privilégié pour suivre, pratiquement sans hiatus, l’évolution de l’art de l’Antiquité tardive au seuil du Moyen Âge central. On y trouve de stimulantes relectures du célèbre groupe épiscopal paléochrétien puis de l’église carolingienne partiellement incorporée dans la grande basilique patriarcale du XIe siècle. Les autres édifices majeurs d’Aquilée même et de Grado se voient aussi fort utilement réenvisagés pour leurs aspects structurels aussi bien que fonctionnels, ainsi que diverses réalisations mobilières dont les musées locaux renferment des collections extrêmement riches [J.-P. Caillet].

10 – Flavia DE RUBEIS, Federico MARAZZI éd., Monasteri in Europa occidentale (secoli XVIII-XI): topografia e strutture, (colloque, Saint-Vincent, 2004), Rome, Viella, 2008.

Il s’agit ici du troisième colloque d’une série consacrée aux monastères du haut Moyen Âge ; celui-ci portait sur la topographie et les structures (architecture et données archéologiques en général) de ces établissements. En rapport avec la récente clôture du chantier de San Vincenzo al Volturno, on a essentiellement cherché à confronter les acquis relatifs à ce site majeur des VIIIe-XIe siècles à ce que l’on sait aujourd’hui des ensembles de ce type dans le cadre plus général de l’Occident. Indépendamment de nombreuses mises au point particulières, le grand complexe italien en ressort mieux intégré – voire salutairement « banalisé » – dans le développement global des implantations monastiques au cours de la période considérée [J.-P. Caillet].

11 – Jacques DUBOIS, Dictionnaire des artistes et artisans d’Alençon : 1370-1560, Paris, CTHS, 2008.

Jacques Dubois avait publié en 2000 une monographie sur l’église Notre-Dame d’Alençon, précieux jalon pour la connaissance de l’architecture flamboyante en

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Normandie. Avec ce répertoire de quelques 550 noms d’artistes et artisans des métiers du bâtiment, des arts figurés, du livre, de l’orfèvrerie et du textile, précédé d’une introduction historique, il confirme l’intérêt, pour la connaissance des milieux artistiques, des travaux de prosopographie appuyés sur des dépouillements d’archives qui ne préjugent pas de l’importance des individus repérés. Car c’est ce type d’enquête exhaustive qui fait surgir les personnalités dominantes de la création, patrons et hommes de l’art. En l’occurrence, ce travail met en lumière les ressorts humains du dynamisme artistique d’une principauté qui a tenu une place singulière dans l’histoire politique de la France à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance. En témoigne son attractivité, illustrée notamment par la venue vers 1530 d’un peintre-verrier du nom de Guillaume Dippre, que l’auteur rattache à la dynastie de peintres parisiens d’origine amiénoise. Souhaitons que cette nouvelle collection du CTHS portée par Jean- René Gaborit, qui renoue avec une tradition érudite trop longtemps délaissée, s’enrichisse rapidement de nouveaux titres qui permettront de dessiner les axes de circulation des artistes entres les foyers qui s’épanouissent un peu partout au cours de l’époque étudiée dans ce volume [É. Hamon].

12 – Christian-Frederik FELSKAU, Agnes von Böhmen und die Klosteranlage der Klarissen und Franziskaner in Prag. Leben und Institution, Legende und Verehrung, Nordhausen, Bautz, 2008.

Cette monographie en deux tomes est consacrée à Agnès, fille du roi de Bohême Premysl Otakar I, qui fut la fondatrice, en 1234, du premier couvent des Clarisses au nord des Alpes, dans la vieille ville de Prague. En 1237, Agnès de Bohême, elle-même abbesse du couvent, fit construire un second couvent pour les Franciscains (frères mineurs). Cette formule spécifique du double couvent allait servir de modèle à une série de fondations des Přemyslides à travers le royaume. Ce livre mérite d’être comparé avec l’importante monographie sur sainte Agnès, ses fondations et son mécénat ainsi que sur ses relations avec sainte Claire, et avec les empereurs et papes de son époque, publié en tchèque il y a vingt ans (Helena Soukupova, Anežský klášter v Praze, Odeon, Prague, 1989) [K. Benesovska].

13 – Jacques HENRIET, Saint-Philibert de Tournus. L’abbatiale du XIe siècle (Bulletin monumental, supplément 2), Paris, Société Française d’Archéologie, 2008.

14 La réédition sous forme de livre des deux articles de référence de Jacques Henriet sur l’abbatiale de Saint-Philibert de Tournus, parus dans le Bulletin monumental en 1990 et en 1992, augmentés d’une mise à jour bibliographique et d’addenda par Éliane Vergnolle, rend un service appréciable à cet édifice majeur de l’architecture du XIe siècle [Th. Coomans].

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15 – David HOUBRECHTS, Le logis en pan-de-bois dans les villes du bassin de la Meuse moyenne (1450-1650), (Dossier de la Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles, 12), Liège, 2008.

Première synthèse sur le logis en pan-de-bois dans les villes de la Meuse moyenne (de Dinant à Maastricht en passant par Namur, Huy et Liège), cet ouvrage met en œuvre les méthodes d’étude que sont l’architecture, l’archéologie du bâti et la dendrochronologie. Outre le cycle du bois, de la forêt à la mise en œuvre technique, l’auteur aborde les formes du logis en pan-de-bois, les structures, les élévations, la décoration, et leurs évolutions. Un monde à découvrir, à la charnière du Moyen Âge et des Temps modernes [Th. Coomans].

16 – Pedro Luis HUERTA HUERTA éd., Espacios y estructuras singulares del edificio románico, Aguilar de Campo, Fundacion Santa Maria la Real, 2008 [J.-P. Caillet].

On ne saurait que se féliciter de la multiplication des tentatives d’interprétation fonctionnelle des divers aspects morphologiques de l’édifice ecclésial. Au-delà de quelques rappels de réalités désormais bien admises grâce à de récentes études (ainsi sur les « galilées » clunisiennes), cet ouvrage collectif a le mérite de considérer les finalités d’un assez large éventail de formules – cryptes, salles hautes, portiques, ainsi que quelques traits plus ou moins insolites et spécifiques de l’Extrémadure castillane – à travers plusieurs cas bien documentés de la Péninsule ibérique [J.-P. Caillet].

17 – Humanisme et expressionnisme. La représentation de la figure humaine et l’expérience juive, Éliane Strosberg éd., (cat. expo., Pontoise, Musée Tavet-Delacour, 2008), Paris, Somogy, 2008.

Pour l’exposition montrée à Pontoise au printemps et au début de l’été 2008, Éliane Strosberg rédigea un livre très dense sur la figure humaine dans la tradition figurée juive des arts visuels, prenant en compte une chronologie étirée et examinant une problématique serrée, celle de l’être humain comme « une inspiration dominante » dans « un contexte culturel toujours en mutation », ainsi que l’observait dans sa belle préface Christophe Duvivier. Dans ses différentes parties, « L’expérience juive », « L’art juif avant l’Émancipation », « La figure humaine dans l’art moderne », enfin « Expressionnisme humaniste et art du XXe siècle », Éliane Strosberg a eu le souci de toujours rapporter les quelques constantes qu’elle repérait dans les réalisations des artistes juifs, dont certains parmi les plus contemporains (Ra’anan Levy, 1954- ; Serge Strosberg, 1966- ) à la tradition d’un art cultuel et liturgique juif car, dans presque tous les cas, ce fut celui-ci qui permit une « relecture existentielle » et donc « expressionniste de la présentation de la figure humaine », ainsi qu’elle le souligne en introduction. Cet art rituel faisait partie intégrante de la vie juive, sous toutes ses formes, dans tous ses aspects, et il se retrouve à diverses étapes des œuvres les plus contemporaines, nullement en contradiction, du reste, avec l’interdit biblique. La Bible, en effet, interdit l’idolâtrie, mais non la fabrication des images quand elles s’insèrent

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dans un environnement cultuel précis (voir Josef Guttman, Arnold Schwartman). Le livre de Pâque, la Haggadah, ou l’acte de mariage, la ketoubba, sont des livres illustrés et l’ont été depuis le Moyen Âge. Ainsi que Meyer Schapiro l’avait analysé dans l’un de ses articles de 1956 à propos de Marc Chagall et de ses illustrations pour la Bible, il y avait bien un paradoxe de l’art juif, l’artiste créatif construisant une individualité envers et contre toutes les difficultés. Ce paradoxe se retrouvait, à dire vrai, à la base même du processus à l’œuvre dans l’art : son aspect le plus marquant en était la recherche, sans cesse reprise, de la conscience artistique. C’est là, très précisément, ce qu’explore le beau livre d’Éliane Strosberg, dans la chronologie profonde de l’art juif, au-delà des thématiques et des signes visuels bien établis, et attendus, en s’ouvrant à la rencontre de la tradition et de la modernité, pour mieux souligner l’affirmation pleine et entière de l’objet pictural lui-même. Et c’est aussi là qu’elle croise les préoccupations et les intérêts des historiens qui travaillent sur ces questions, à partir des notions de la réification et de la matérialité, toutes périodes confondues [D. Russo].

18 – INSITU-Zeitschrift für Architekturgeschichte, Worms, Wernersche Verlagsgesellschaft, deux livraisons par an depuis 2009.

Saluons la naissance d’une nouvelle revue d’histoire de l’architecture, en couleurs, ouverte à des sujets de toutes périodes et à la théorie. Dans la première livraison, plusieurs articles sont consacrés à des sujets du Moyen Âge, notamment les églises romanes à tour au-dessus du chœur dans la région de Bonn et les premiers chapiteaux gothiques de la cathédrale de Magdebourg [Th. Coomans].

19 – Emanuel KLINKENBERG, Compressed Meanings. The Donor’s Model in Medieval Art to around 1300 (Architectura Medii Aevi, 2), Turnhout, Brepols, 2009.

Les représentations de fondateurs ou de bienfaiteurs tenant en main la maquette d’un édifice appartiennent à une tradition iconographique d’origine paléochrétienne et se rencontrent sur toutes sortes de supports (sculpture, peintures murales, mosaïques, tissus, monnaies, vitraux, miniatures, etc.). L’ouvrage ne s’interroge pas sur le caractère plus ou moins réaliste de ces représentations, mais sur leur signification, en tant qu’expression de l’importance symbolique d’un bâtiment ou affirmation du prestige d’un bienfaiteur [Th. Coomans].

20 – Hortensia LARRÉN IZQUIERDO éd., Moreruela. Un monasterio en la historia del Císter, Salamanque, Junta de Castilla y León, 2008.

La question de l’architecture cistercienne et celle du tardorrománico ibérique ont été précédemment évoquées dans Perspective (Susana Gonzalez Reyero, « Approches de l’image ibérique : nature, identité et changement social », dans Perspective. La revue de

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l’INHA, 2008-1, p. 49-66). La rencontre de ces deux thèmes est illustrée par un monument qui en devient emblématique : l’abbaye de Moreruela en León, dont les vestiges sont encore remarquables malgré les conséquences de la dissolution de 1835. Aussi ne peut-on que se réjouir de la sortie d’un somptueux ouvrage publié à l’issue d’une campagne de sondages archéologiques, de restauration et de mise en valeur (1989-2006). Il traite aussi bien du substrat botanique ou géologique que de la faïence à monogramme utilisée au XVIIIe siècle, aussi bien des abbés à la réputation de sainteté que des bâtiments neufs. L’illustration est de qualité (photographies anciennes du fonds Manuel Gómez Moreno ou du musée de Zamora, clichés des pierres de taille ou d’éléments décoratifs, reproduction de quelques actes sur parchemin) et les appendices sont très utiles (transcriptions de sources, tableaux formés des innombrables marques lapidaires). L’analyse de l’architecture de l’abbatiale est prise en charge comme il se doit par José Carlos Valle Pérez (p. 218-233), qui ne modifie pas ses interprétations antérieures. Mais celles-ci reçoivent un nouvel éclairage de la confrontation avec deux chapitres historiques écrits par Isabel Alfonso Antón, grande spécialiste des sources de l’abbaye depuis vingt ans, qui inscrit dans sa démarche les nouveautés dues à une meilleure connaissance de l’aristocratie et de ses stratégies. Bien que la récupération d’un ancien monastère dédié à Santiago reste obscure, faute de campagnes archéologiques systématiques dans les environs, les origines de l’établissement en tant que monastère cistercien et le démarrage immédiat du chantier sont maintenant bien cernés, et l’attribution du titre de première abbaye cistercienne ibérique, déjà fort spécieuse, ne peut plus être soutenue. Le domaine a été confié en 1143 par le roi Alphonse VII au comte Ponce de Cabrera, catalan d’origine, associé par son second mariage au clan léonais des Traba, autoproclamé « prince de Zamora et constructeur du monastère », personnage d’une chronique épique, et dont l’ascension rapide est liée aux conquêtes militaires autant qu’à la richesse et au dynamisme économique qui s’ensuivirent. Notons l’antériorité du monastère de Sobrado, relevé grâce au même Alphonse VII et à la famille Traba (1135-1142), également impliquée à Oseira. C’est très peu de temps avant la mort du fondateur (1162), entre un acte de 1158 et la bulle du pape de 1163, que l’abbaye reçut à la fois le nouveau vocable de la Vierge et des « institutions cisterciennes ». La construction du grand chevet à sept chapelles rayonnantes et déambulatoire éclairé (voir Clairvaux) a accompagné ce mouvement sans délai : le millésime de 1162, gravé sur une pierre de la première campagne et reconnu en 1994, fait désormais l’objet d’un consensus. La place de l’œuvre dans le premier gothique européen s’en trouve confortée [C. Andrault-Schmitt].

21 – Michel MARGUE, Michel PAULY, Wofgang SCHMID éd., Der Weg zu Kaiserkrone. Der Romzug Heinrichs VII. in der Darstellung Erzbischof Balduins von Trier, (Centre luxembourgeois de Documentation et d’Études Médiévales, 24), Trier, Kliomedia, 2009.

La chronique imagée (Manuscript I C I, Landeshauptarchiv Koblenz) représente le commentaire du voyage d’Henri VII à Rome pour le couronnement impérial (1313) en 73 images sur 37 pages. La chronique fut commandée par Baudouin, archevêque de Trèves et frère de Henri VII de Luxembourg, dans les années 1330-1340. Le livre édité par Margue, Pauly et Schmid, publié à l’occasion du sept-centième anniversaire de l’élection de ces deux Luxembourg en 1308 aux fonctions d’archevêque et de prince-

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électeur (pour Baudouin), et de roi des Romains (pour Henri), offre à côté de l’édition, la traduction et la description de la chronique, des essais de cinq auteurs, concentrés sur son contexte historique (la politique « italienne » de Henri VII, l’aide de son frère Baudouin, qui l’avait accompagné à Rome), ainsi que sur l’emplacement des enluminures de la chronique dans le domaine des manuscrits contemporains. Le reflet de la guerre et de la vie de la cour, la mise en scène de la politique, la memoria de la maison des Luxembourg, la représentation de Baudouin dans sa chronique : ce sont autant de thèmes traités dans le livre, aux illustrations d’une haute qualité [K. Benesovska].

22 – W. J. Thomas MITCHELL, Iconologie : image, texte, idéologie, Paris, Les Prairies ordinaires (Penser/Croiser), 2009 [éd. orig. : Iconology: image, text, ideology, Chicago, The University of Chicago Press, 1986].

À la rencontre de l’histoire de l’art, de l’esthétique, de la théorie littéraire et des cultural studies, W. J. Thomas Mitchell a construit, au début des années 1990, un modèle d’analyse des images, qui relève du nouveau champ des visual studies. Plus de vingt ans après la publication de ce livre phare, il est enfin traduit en français. Dans son ouvrage, dense et riche en ouvertures de toutes sortes sur l’épistémologie des sciences humaines et sociales, il encourage à considérer l’image comme ce qui participe de l’intégralité de la sphère sociale, mais aussi comme ce qui traverse toutes les autres disciplines, depuis le processus de la fabrication jusqu’aux dispositifs de la croyance aux « réalités » de l’image. Il interroge donc les discours portés sur les images, ou qui les instrumentalisent, mais aussi la performativité de ces discours sur le visible et, au-delà, sur la catégorie du visuel. Par ses relectures de Gotthold Ephraim Lessing (1729-1781), d’Edmund Burke (vers 1729-1797) et de Karl Marx (1818-1883), Mitchell s’efforce de montrer en quoi les images sont des lieux d’interaction entre des pouvoirs spécifiques, suscitant et ressuscitant sans cesse de violents conflits entre iconophiles et iconophobes. Les images se meuvent alors en objets fétiches, supports d’orgueil et de vénération, ou deviennent les signes d’un autre – racial, social, sexuel – , pouvant prêter à l’aversion et à la crainte. Pour l’auteur, la construction d’une analyse des images passe par la déconstruction des idéologies de ces mêmes images, et par la restitution au regard du spectateur de toute son historicité. Un très grand livre, qui se prolonge par les autres travaux tout aussi stimulants du même auteur (dans son What Do Pictures Want? The Lives and Loves of Images, Chicago, 2005) [D. Russo].

23 – Susie NASH, Northern Renaissance Art, Oxford, Oxford University Press, 2008.

Le titre de cet ouvrage pourrait tromper le lecteur français. En effet, conformément à la tradition historiographique anglo-saxonne, la « Renaissance nordique » du titre concerne ici exclusivement le XVe siècle, de Van Eyck à Veit Stoss, et le livre intéresse donc autant les médiévistes que les modernistes. En outre, il s’agit d’une contribution remarquable, destinée à un public avancé. L’auteur ne propose pas, en effet, un manuel

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qui embrasserait de manière systématique le champ géographique couvert, avec des contributions sur tous les artistes ou courants majeurs ; au contraire, elle fournit une synthèse d’une très grande finesse, organisée par chapitres thématiques, qui embrasse tous les aspects de la création artistique, depuis les conditionnements les plus concrets de la production jusqu’à la question de l’usage et de la vision des œuvres [P.- Y. Le Pogam].

24 – Lawrence NEES, Early Medieval Art, Oxford/New York, Oxford University Press, 2002.

Dans ce petit ouvrage à visée pédagogique affirmée, l’auteur présente, sous des entrées claires et synthétiques, les différents supports artistiques, les relations entre les objets, les œuvres et les créateurs, les milieux sociaux qui y sont intéressés, enfin les relations visuelles nouvelles qui se trouvèrent ainsi fondées entre l’Église et les chrétiens à travers les projets artistiques. Ce livre fournit une excellente introduction à la période complexe des années 300 aux années de l’an Mil. Lawrence Nees revient, à plusieurs reprises, sur la notion de la visualité dans les arts du haut Moyen Âge, thème qu’il avait brillamment étudié dans son grand livre sur A Tainted Mantle. Hercules and the Classical Tradition at the Carolingian Court, (Philadelphie, 1991), dans lequel il s’interrogeait sur le problème de la « renaissance carolingienne » à partir des objets mobiliers, de leurs matériaux et des décors figurés, notamment en prenant pour exemple la Chaire de saint Pierre (Cathedra Petri) [D. Russo].

25 – Richard D. ORAM éd., The Cistercian Abbey of Balmerino, Five (Scotland), (Cîteaux, commentarii cistercienses, 59), Forges-les-Chimay, 2008.

L’abbaye cistercienne de Balmerino en Écosse, ignorée par l’historiographie traditionnelle, fait ici l’objet d’une étude pluridisciplinaire exemplaire impliquant son histoire, son architecture et l’ensemble du domaine. La combinaison de ces approches complémentaires contextualisent les ruines des bâtiments et donnent à l’abbaye toute sa signification historique, dans ses dimensions sociale, économique et environnementale [Th. Coomans].

26 – Hana PÁTKOVÁ éd., Z Noyonu do Prahy: kult svatého Eligia ve středověkých Čechách/De Noyon à Prague : le culte de saint Éloi en Bohême médiévale, Prague, Scriptorium, 2006.

Cet ouvrage français-tchèque a été publié grâce au soutien de la Fondation Maison des Sciences de l’Homme et du Council Overseas Research Centers et de la Andrew W Mellon Foundation. Cette publication par Hana Patkova autour du manuscrit de saint Éloi, Vita et officium sancti Eligii (Paris, Bibliothèque historique de la Ville de Paris) présente l’analyse de ses enluminures (Hana J. Hlavackova), le contexte historique de l’ officium du point de vue d’un musicologue (Petr Eben), et la description du trésor

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ancien de la corporation des orfèvres praguois dans les années 1250-1350, comprenant entre autres la fameuse mitre-reliquaire, don de Charles IV à la corporation praguoise en 1378, après son retour du voyage à la cour royale de France (Dana Stehlikova) [K. Benesovska].

27 – Glenn PEERS, Sacred Shock. Framing Visual Experience in Byzantium, University Park, The Pennsylvania State University Press, 2004.

Après avoir réfléchi sur la notion d’intermédiaire dans l’art byzantin et étudié l’iconographie, autour des figures angéliques, dans son précédent ouvrage Subtle Bodies. Representing Angels in Byzantium (Berkeley, 2001), Glenn Peers examine la question de la perception visuelle dans l’art byzantin et de ses principales propriétés, à partir du concept de « l’absence réelle », développé par Herbert L. Kessler en un certain nombre de ses travaux (à présent repris, pour partie, dans le recueil Spiritual Seeing. Picturing God’s Invisibility in Medieval Art, Philadelphie, 2000). En cinq chapitres très précis, il pose la question des images corporelles pour les êtres invisibles par rapport au cadre qui leur est donné par l’art, à travers les exemples choisis de la Crucifixion, du feuillet qui se met à saigner dans le Psautier Chludov ( IXe siècle, Moscou, Musée historique), du paradigme architectural dans l’iconographie de saint Grégoire de Naziance (335-390 ; évêque de Constantinople, 379-381), des icônes de saint Georges et de celles montrant l’Annonciation à Marie. Refusant toute théorisation abusive, l’auteur s’intéresse à l’articulation entre le visuel et le textuel, entre l’iconique et le corporel, et aux modalités du regard porté par les spectateurs byzantins sur leur art, ou du moins les objets qu’ils considéraient comme tels. Il explore les différents types d’encadrements possibles, par rapport aux exemples retenus et analysés avec soin, pour mieux s’interroger ensuite sur la façon dont, à Byzance et dans l’Orient chrétien byzantin, on s’efforçait de rendre visible l’absence « présente » de la divinité et la manière dont on cherchait à l’intérioriser pour peut-être mieux la voir [D. Russo].

28 – Arnaud TIMBERT, Vézelay. Le chevet de la Madeleine et le premier gothique bourguignon, Rennes, Presses universitaires de Rennes, (Art et Société), 2009.

La collection Art et Société des presses universitaires de Rennes comprend déjà nombre d’ouvrages importants pour l’historien de l’architecture médiévale. Voici, avec le même soin, le même heureux équilibre entre texte et image (mais une photogravure un peu triste), une monographie concernant le chevet de Vézelay, qui résulte d’une thèse soutenue en 2001. Il faut souligner l’importance du sujet pour la « deuxième génération » du gothique, celle des années 1160, ainsi que pour l’activité des chantiers bourguignons, trop souvent oubliée. La progression du discours emporte la conviction. L’auteur commence par le dossier historique et par celui des restaurations. Puis l’analyse d’archéologie monumentale associe étude formelle (analyse exemplaire des profils, des moulurations et de la sculpture végétale des chapiteaux ; notations fines sur les continuités, notamment dans les supports) et étude matérielle. Cette dernière a pu

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bénéficier de carottages et de relevés pierre à pierre. Outre la présentation exhaustive et didactique (en couleurs) des résultats concernant les matériaux, les traces d’outils ou les signes lapidaires, qui fournit un catalogue de référence solide, les réflexions sur le montage (réglage par retaille) et l’appareillage (technique de l’amaigrissement) alimentent une riche mise en perspective. Enfin, de façon rapide, logiquement, l’auteur revient à l’appréciation de la marche du chantier, de sa datation et de son interprétation dans l’histoire architecturale. Même si quelques allusions à la notion d’émergence du gothique (ou à celle de ses « prémices ») pourront leur paraître plus ou moins spécieuses, selon leur sensibilité, les spécialistes ne manqueront pas de relever les apports de cette thèse (au sens noble du terme) : des sources textuelles peu concluantes, des traditions régionales visibles dans les techniques (souvent un héritage romain), une construction menée en deux campagnes à partir de 1165 (avant même la fin de la réalisation de la salle capitulaire) et jusque vers 1198, un parti initial avec arcs- boutants abandonné en cours de construction au profit de la mise en place de tribunes [C. Andrault-Schmitt].

29 – Giovanna VALENZIANO, Federica TONIOLO éd., Il secolo di Giotto nel Veneto, (colloque, Padoue/Trévise, 2002), Venise, Istituto Veneto di Scienze Lettere ed Arti 2007.

Il s’agit d’un recueil des exposés, conférences et interventions faites durant le séminaire conjoint organisé par l’École du Louvre et l’Istituto Veneto di Scienze Lettere e Art en 2004. Les sujets s’étendent sur tout le XIVe siècle dans la Vénétie, avec beaucoup de nouveautés et de réflexions intéressantes [S. Romano].

30 – Beth WILLIAMSON, The Madonna of Humility: development, dissemination and reception, c. 1340-1400, Woodbridge, Boydell and Brewer, 2009. 195 pp. ill.

Une étude iconographique qui se penche sur un problème très connu, mais jusqu’ici jamais soumis à une enquête de type monographique [S. Romano].

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Ouvrages reçus Books received

1 Perspective remercie les maisons éditoriales qui nous ont envoyé les ouvrages mentionnés ci-dessous. Selon les thèmes des prochains numéros et l’avis du comité de rédaction, ils seront susceptibles de faire l’objet d’une recension ou d’un compte rendu détaillé.

2 – Michele BACCI, San Nicola. Il grande taumaturgo, Rome, Laterza, 2009.

3 – Caroline BRUZELIUS, Le Pietre di Napoli. L’architettura religiosa nell’Italia angioina, 1266-1343, Rome, Viella, 2005.

4 – Etienne HAMON, Un chantier flamboyant et son rayonnement : Gisors et les églises du Vexin français, (Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté, 834, Architecture, 5), Besançon, Presses Universitaires de Franche-Comté/Société des Antiquaires de Normandie, 2008.

5 – Hélène PALOUZIÉ éd., Icônes et idoles. Regards sur l’objet Monument historique, Arles, Actes Sud, 2008.

6 – Meredith PARSONS LILLICH éd., Studies in Cistercian Art and Architecture, VI, Kalamazoo, Cistercian Publications, 2005.

7 – Michel QUENOT, Du visible à l’Invisible, Des images à l’icône, Paris, Éditions du cerf, 2007.

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