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arts Regards croisés Actes delajournée d’étude

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du 14septembre 2018 l’Occitanie

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l’Islam

1 Ouvrage sous la direction d’Ariane Dor

Auteurs María Barrigón Montañés [MBM] conservatrice en charge des textiles médiévaux, Patrimonio Nacional, Dirección de las Colecciones Reales (Madrid) Ariane Dor [AD] conservatrice des Monuments historiques, drac Occitanie, site de Toulouse Gwenaëlle Fellinger [GF] conservatrice, Département des arts de l’Islam, musée du Louvre (Paris) Sébastien Gasc [SG] enseignant contractuel inu Champollion (Albi) chercheur associé iramat – ce (umr 5060) Hélène Guillaut [HG] directrice adjointe du musée Ingres (Montauban) Mireille Jacotin [MJ] conservatrice, pôle « Vie publique », MuCEM (Marseille) Claudine Jaquet [CJA] chargée des collections, musée Saint-Raymond (Toulouse) Carine Juvin [CJU] chargée de collections, Département des arts de l’Islam, musée du Louvre (Paris) Yannick Lintz [YL] directrice du département des arts de l’Islam, musée du Louvre (Paris) Julien Rebière [JR] doctorant ciham (umr 5648) Fernando Valdés [FV] professeur, Université autonome de Madrid Ana Zamorano [AZ] archéologue, Université de Séville

Couverture : Détail du suaire de saint Exupère, Toulouse, basilique Saint-Sernin, clmh 30/12/1897. Page précédente : Peinture murale représentant une fausse tenture, 3e quart du 13e s., Saint-Antonin-Noble-Val, maison Muratet. Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Regards croisés

Actes de la journée d’étude du 14 septembre 2018

p a t r i m o i n e protégé

Sommaire

8 Préface Michel Roussel 7 Avant-propos Ariane Dor 11 Introduction - Les arts de l’Islam et l’Occitanie Yannick Lintz

12 Les monnaies arabes du début du 8e siècle dans le Sud-Ouest, vestiges archéologiques de la conquête musulmane Notices Dinar à indiction Fals de type II Fals de type XVII Sébastien Gasc et Julien Rebière

24 Objets d’art islamique dans les églises d’Occitanie Ariane Dor Notices Fragments d’un gobelet - Carine Juvin Encrier - Gwenaëlle Fellinger Fragments de textiles ayant enveloppé le crâne de sainte Foy - Ariane Dor

44 Deux trésors d’art islamique conservés dans la basilique Saint-Sernin de Toulouse Claudine Jacquet

54 Les objets en cristal de roche islamiques conservés en Espagne et leur origine Prof. Dr. Fernando Valdés Fernández et Ana Zamorano Notice Fragment d’une bouteille - Ariane Dor

68 Textiles islamiques dans les collections publiques espagnoles La collection du monastère de las Huelgas Notices Coiffe de l’infant Ferdinand Cercueil d’Alphonse de la Cerda María Barrigón Montañés

78 Des collections d’art islamique redécouvertes à l’occasion du premier récolement décennal du musée Ingres de Montauban (Tarn-et-Garonne) Hélène Guillaut Notice Vase - Mireille Jacotin

86 Lexique Fragments du manteau de Nostra-Senyora-de-la-Victoria, soie, Andalousie, 12e s., Thuir, église paroissiale Saint-Pierre, clmh 25/05/1955.

6 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie – Préface La drac Occitanie a accueilli, le 14 septembre 2018, une journée d’étude intitulée « Les arts de l’Islam en France : collections, trésors et découvertes archéologiques », acte III du programme du Réseau d’art islamique en France (raif). Cette journée a été organisée en partenariat étroit avec le Département des arts de l’Islam du musée du Louvre, et en particulier avec sa directrice Yannick Lintz, que je remercie chaleureusement.

Cette journée a permis de mettre en relation de nombreux profession- nels de la région Occitanie, d’autres régions voire de pays limitrophes, mais également de faire mieux connaître les arts de l’Islam auprès du grand public, puisqu’une quarantaine de personnes ont assisté aux conférences. Fort du succès de cette journée, mon prédécesseur, Laurent Roturier, en a opportunément proposé la publication dans la collection duo. L’objectif de cet ouvrage est justement d’élargir en- core la portée de cette journée auprès du public, et de notre région en particulier.

En effet, il a été montré à plusieurs reprises que la région Occitanie conservait un patrimoine riche des apports de la présence musul- mane en Septimanie au 8e siècle, puis des échanges commerciaux durant tout le Moyen Âge avec le Bassin méditerranéen mais surtout avec l’Espagne musulmane, dont la proximité est une particularité propre à notre région. Je me réjouis d’ailleurs de constater que cela favorise, encore aujourd’hui, les relations entre professionnels fran- çais et espagnols.

Enfin, des siècles plus tard, érudits et savants locaux ont enrichi les collections muséales de la région par des souvenirs de voyage ou des achats, à l’époque où les grands empires coloniaux ont favorisé la cir- culation de biens culturels entre l’Europe et l’Afrique du Nord ou le Levant. L’une de ces collections a pu être révélée grâce au récolement décennal, mettant ainsi en évidence le bien-fondé de cette démarche, portée par les musées et accompagnée depuis des années par la drac.

Les échanges et l’étude autour des arts de l’Islam, qui je crois est un thème important dans le paysage culturel actuel, doivent être pour- suivis et favorisés. C’est l’objectif du raif et de cet ouvrage, qui contri- bue à son échelle à l’animation de ce réseau. Il a vocation à mieux faire connaître certains aspects des arts de l’Islam, qui font partie intégrante de notre patrimoine national et européen.

Michel Roussel Directeur régional des affaires culturelles

Préface – Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 7 Avant-propos

La journée d’étude qui s’est tenue à la drac Occitanie le 14 sep- tembre 2018 formait le troisième acte d’un programme intitulé « Les arts de l’Islam en France : collections, trésors et décou- vertes archéologiques », piloté par le Réseau d’art islamique en France (raif), et dont les deux premières journées ont eu lieu le 12 septembre 2016 au Louvre1 et le 12 juin 2017 au mucem de Marseille. Ce thème, qui a peu de visibilité dans l’espace public et dans la recherche appliquée à l’histoire de l’art dans le Sud- Ouest, trouve pourtant un sens particulier dans notre région.

C’est en effet dans l’actuelle Occitanie que s’implantent durant quelques décennies du 8e siècle les conquérants musulmans. Plusieurs découvertes archéologiques d’importance ont per- mis de mettre en évidence les traces de leur occupation, déce- lable notamment à travers les monnaies, comme le montre l’article de Sébastien Gasc et de Julien Rebière. Leur présence physique a également été mise en évidence par des fouilles archéologiques, comme celle qui eut lieu en 2005 sous le par- king Jean Jaurès de Nîmes. Trois sujets masculins, dont l’un présentait une malformation rare que l’on retrouve en Afrique du Nord, et inhumés selon le rite musulman, sont de pro- bables témoins de ces incursions sarrasines du 8e siècle. L’histoire de cette conquête laissera des traces durables dans l’imaginaire collectif, dans lequel puiseront à la fois le récit national et les légendes de fondation de nombreux établisse- ments religieux du sud de la France.

Malgré le repli des Musulmans au sud des Pyrénées, et en dépit du traumatisme apparent qu’ils semblent avoir laissé derrière eux, les potentats chrétiens nouent avec eux des relations diplomatiques et commerciales durant tout le Moyen Âge. Le nombre important d’objets d’art islamique retrouvés dans nos trésors d’églises, comme le montre la synthèse que j’ai essayé d’en faire pour la région Occitanie d’après les publications et les différentes bases patrimoniales, est le reflet de ces échanges. L’un de ces trésors, sans doute l’un des plus importants à l’époque médiévale par le nombre de ses reliques et la fréquen- tation des pèlerins, est celui de Saint-Sernin de Toulouse. Deux objets d’art islamique remarquables, dont il est encore déposi- taire, sont présentés par Claudine Jacquet.

Fort de ses relations à l’international, le raif a permis de fédérer autour du sujet des arts de l’Islam dans le Sud-Ouest deux col- lègues espagnols, qui ont eu l’occasion d’étudier un phénomène

1. Les conférences ont fait l’objet de captations disponibles en ligne sur le site duraif , voir https://www.louvre.fr/artsislamiqueenfrance/reseau-art-islamique-en-france/ressources#tabs.

8 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie – Avant-propos comparable, quoique beaucoup plus important en ampleur puisque la présence musulmane a été durable en al-Andalus*, à celui que l’on peut observer dans les trésors d’églises du sud de la France. Fernando Valdés a présenté un panorama du corpus des cristaux de roche islamiques conservés en Espagne, ainsi que les récents résultats de fouilles archéologiques menées dans la ville palatiale des califes omeyyades*, qui permettent de poser sérieusement la question d’une production implantée en al-Andalus. María Barrigón Montañés a quant à elle présenté les évolutions de la recherche et de la muséographie du pan- théon des rois de Castille à Santa Maria la Real de las Huelgas, à Burgos. La richesse du mobilier conservé, et en particulier des textiles, en fait un lieu privilégié pour étudier non seulement la production textile en al-Andalus aux 12e et 13e siècles, mais éga- lement un observatoire des pratiques cultuelles, culturelles et commerciales au nord de l’Espagne à cette époque.

La deuxième partie de la journée d’étude du 14 septembre 2018 était consacrée aux objets d’art islamique conservés dans les musées d’Occitanie, essentiellement alimentés aux 19e et 20e siècles par des savants et des collectionneurs, au gré de leurs voyages ou de leurs acquisitions sur le marché de l’art euro- péen. Deux de ces communications n’ont pas pu être éditées dans le présent ouvrage. La première, présentée par François Amigues, conservateur des antiquités et objets d’art de l’Aude, brossait un panorama des collections d’art islamique dans la région Occitanie, et en particulier de celles des musées de Nar- bonne. La seconde, présentée par Hélène Guérin, maître de conférences associée en histoire de l’art et de l’architecture à l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier, a mis en évidence un aspect méconnu de la personnalité du mécène montpelliérain François Sabatier (1818-1891) qui rapporte de ses voyages en Sicile des carnets et un goût pour l’Orient. L’article d’Hélène Guillaut permet toutefois d’illustrer une autre personnalité de ce 19e siècle qui cède à la mode de l’Orient, Armand Cambon, principal contributeur d’une collection d’art islamique et extra-occidentale presque ignorée jusqu’à l’achè- vement du récolement décennal du musée Ingres. Cette collection, qui a fait l’objet d’une petite exposition en 2015, a vocation, comme d’ailleurs la plupart des objets présentés lors de ces journées, à être mieux connue et étudiée par des spé- cialistes des arts de l’Islam. C’est pourquoi le présent ouvrage a été complété, en plus de l’édition des communications, par des notices rédigées par des conservateurs et chargés de collec- tions afin de documenter certaines œuvres jusqu’alors inédites, ou connues uniquement par des publications régionales.

[AD]

Avant-propos – Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 9 Dunkerque

Lille

Douai

Saint-Riquier

Dieppe Amiens Noyon Cherbourg-Octeville Rouen Beauvais Compiègne

Bayeux Chantilly Metz Caen Vernon Chaalis Reims Ecouen Sainte- Menehould Sèvres Meaux Paris Nancy Strasbourg Dreux Bar-le-Duc Versailles Provins Saint-Dié- des-Vosges Chartres Nogent-le- Rotrou Laval Chateaudun Sens Rennes Le Mans Pithiviers

Saint-Calais Auxerre Orléans Mulhouse Gien Montbard Blois Saint Louis Angers Tours Varzy Semur-en- Dijon Besançon Nantes Auxois Saumur Villandry Cosne-Cours- Auxonne sur-Loire Chinon Beaune Pontarlier Bourges Nevers Arbois Autun musée Poligny Chalon-sur-Saône Tournus édifice religieux Moulins Cluny Niort château Bourg-en-Bresse Roanne bibliothèque Rochefort Ambazac Annecy Limoges Saintes Lyon Angoulême Milhaguet Cognac Saint-Etienne

Grenoble Périgueux Albepierre Le Puy- en-Velay Romans

Bordeaux Valence Le-Buisson-de-Cadouin Le Monastier- sur-Gazeille Figeac Conques

Agen Pont- Saint-Esprit Carpentras

LA RÉUNION Bayonne Nîmes Avignon Apt Nice Cagnes-sur-Mer Auch Toulouse Montpellier Arles Aix-en-Provence Cannes Saint-Louis Pau Martres- Caunes-Minervois Marseille Tolosanes Toulon Narbonne Foix

Perpignan

Cartographie des collections d’art islamique en France.

10 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie – Introduction Introduction Les arts de l’Islam et l’Occitanie

Depuis 2016, le département des Arts de l’Islam du Louvre a créé le raif1 (Réseau d’Art Islamique en France), afin de mieux connaître et valoriser les collections d’art islamique en France. L’Occitanie occupe une place particulière dans cet héritage français puisqu’il participe d’une double histoire nationale et régionale. L’histoire nationale qui explique cette présence de l’art islamique en France est celle des échanges entre l’Orient et l’Occident. Ces relations commencent dès le Moyen Âge. La Méditerranée est le lieu de circulation par excellence entre les ports d’Espagne, du Maghreb, de l’Italie, de l’Égypte et du Proche-Orient. Cette économie méditerranéenne est floris- sante dès le 11e siècle et les produits de luxe venus des divers pays islamiques du pourtour méditerranéen alimentent les Bassin dit « baptistère de saint princes et l’aristocratie religieuse de la Chrétienté européenne Louis » (détail), vers 1320-1340, intensément jusqu’au 14e siècle. À l’époque moderne, l’empire Égypte, Paris, musée du Louvre ottoman de Constantinople et les Perses safavides d’Ispa- (provient de l’ancien trésor de la han développent les relations diplomatiques et commerciales chapelle de Vincennes), inv. lp 16. avec la France et ses acteurs économiques. Apparaît enfin au 19e siècle dans le contexte de l’empire colonial et des Exposi- tions universelles ce fameux goût pour l’Orient qui entraîne la mode de l’orientalisme dans les intérieurs bourgeois du Second Empire et de la Troisième République. Cet héritage national se retrouve ainsi quelques siècles ou décennies après dans nos musées et parfois dans nos trésors d’églises. Mais la particularité de l’Occitanie tient bien sûr à sa frontière limitrophe avec l’Espagne. Elle a eu en partage un héritage musulman dans cette courte période de présence de l’autorité musulmane conquérante au 8e siècle dans le Sud-Ouest de la France. Il y en a des traces archéologiques. Et les voies de circu- lation venant de Méditerranée par l’ancienne via Domitia notam- ment et par-delà les Pyrénées aussi ont favorisé cette proximité avec les voisins musulmans de l’Espagne et du Maghreb notam- ment. Cette histoire explique que les traces de cet héritage com- mun entre le monde islamique et l’Europe sont particulièrement présentes dans cette région de contact des deux mondes. Je suis donc particulièrement heureuse que la journée d’études sur les collections d’art islamiques en Occitanie qui s’est tenue le 14 septembre 2018 à la drac Occitanie à Toulouse trouve à travers cette publication une forme de pérennisation de la connaissance de ce patrimoine national.

[YL]

1. Voir le site : https://www.louvre.fr/artsislamiqueenfrance/reseau-art-islamique-en-france/ressources

Introduction – Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 11 Les monnaies arabes du début du 8e siècle dans le Sud-Ouest de la France Vestiges archéologiques de la conquête musulmane

Parmi les monnaies arabo-musulmanes du réformés en 102H (720-721). Ces dinars tran- 8e siècle conservées dans les médailliers sitionnels ont fait l’objet de plusieurs études3 des musées de la région Occitanie, figurent et la mise en place graduelle d’un monnayage de rares monnaies en or, essentiellement réformé en al-Andalus peut être chronologi- des dinars* dits transitionnels frappés en al- quement définie. Les premiers furent émis Andalus* ou en Ifrīqiya*, quelques dirhams*, entre 93H (711-712) et 95H (713-714), soit au dont une grande partie provient des ateliers moment de la présence dans la Péninsule du omeyyades* orientaux, et des pièces de gouverneur Mūsā b. Nuṣayr, et se distinguent cuivre (ou fulūs*). S’il n’est pas toujours aisé par des légendes inscrites en caractères latins, de déterminer l’origine et les conditions d’ac- à l’image de celui conservé au musée Goya quisition de ces monnaies, certaines d’entre de Castres [notice 1]. Le gouverneur al-Ḥurr elles proviennent de découvertes locales fit par la suite frapper des dinars bilingues au et constituent des vestiges matériels de la cours de l’année 98H (717-718). Longtemps conquête musulmane de l’ancienne province considérées comme le premier témoignage wisigothique de Narbonnaise. du nom arabe de la province d’al-Andalus4, ces monnaies se caractérisent par des légendes Les monnaies arabo-musulmanes en caractères latins au droit et en arabe au dans les musées d’Occitanie revers. À la différence des émissions d’Ifrīqiya de 97H et de 99H (715-716 et 717-718), ceux de Les dinars transitionnels constituent une la péninsule Ibérique portent une étoile carac- part non négligeable des monnaies en or du téristique des premières émissions des musul- 8e siècle frappées en terres musulmanes et mans dans l’ancien royaume wisigothique5. Si conservées dans les musées d’Occitanie. Ces les collections de monnaies arabo-andalouses pièces portent des légendes qui ne reflètent des musées du Sud de la France ont pu être pas encore la réforme monétaire du cinquième constituées par des acquisitions, peut-être calife omeyyade ‘Abd al-Malik (65H-86H/685- réalisées en Espagne, certaines pièces peuvent 705)1 suite à laquelle les monnaies ne compor- provenir de découvertes locales, en particulier taient plus de représentations figuratives mais dans le Languedoc. Il serait hasardeux de pré- présentaient des légendes pieuses en arabe2. senter le dinar latin d’al-Andalus de 94H (712- À l’image des émissions transitionnelles des 713) et le tiers de dinar frappé en Ifrīqiya entre provinces centrales du califat omeyyade, les 89H et 92H (707-711) conservés au musée premières monnaies d’al-Andalus marquent Joseph Puig de Perpignan (fig. 1) comme pro- une évolution jusqu’à l’émission de dinars venant de la région. Toutefois, il convient de signaler que des monnaies de types similaires ou approchants sont mentionnées en Narbon- 1. Les dates sont indiquées à la fois selon le calendrier naise, notamment sur l’oppidum de Ruscino6. grégorien, en usage aujourd’hui dans les pays occidentaux, et selon le calendrier de l’Hégire (signalé par un H). Aussi appelé calendrier islamique, ce dernier est fondé sur une année de 12 mois lunaires de 29 à 30 jours chacun. L’an 1er 3. Voir notamment : , 1988 et 1976. du calendrier hégirien correspond à l’Hégire, qui eut lieu en 4. Une inscription sur un sceau pourrait toutefois être 622 ap. JC. antérieure : Sénac et Ibrahim, 2017, p. 30. 2. La réforme monétaire est l’un des marqueurs de la 5. L’étoile, portant généralement sept ou huit branches, a fait politique d’arabisation et d’islamisation entreprise par ‘Abd l’objet de plusieurs études. Voir notamment : Ariza Armada, al-Malik. Après une série d’émissions dites transitionnelles, 2016 ; Frochoso Sánchez, 2015; Segovia Sopo, 2015 ; Gasc, les premiers dinars réformés sont frappés en 77H (696-697), 2012 ; Ariza Armada, 2001. les premiers dirhams en 79H (698-699). 6. Rébé et alii (dir.), 2014, p. 290.

12 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie x 2 x 2

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x 2 x 2

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0 3

(fig. 1) Dinars, Perpignan, musée Joseph Puig : A : Tiers de dinar d’Ifrīqiya (inv. esp. 1) ; B : Dinar à épigraphie latine d’al-Andalus (inv. esp. 2).

La monnaie divisionnaire du système moné- médaillier, figure aussi un exemplaire de taire islamique, appelée fals (pl. fulūs), est type XVII qui mentionne l’atelier d’al-Andalus également représentée dans les collections inscrit au centre du revers et une étoile dans régionales. Ainsi, le médaillier du musée d’Art le champ du droit [notice 3]10. et d’Histoire de la ville de Narbonne conserve dans ses collections onze fulūs de la période Le contexte des émissions des gouverneurs d’al-Andalus relevant de Damas (711-750). Il s’agit probablement des La conquête du royaume wisigothique de « monnaies de cuivre de petits modules » Tolède à partir de 711 s’inscrit dans le cadre provenant des « sous-sols des musées » que de l’expansion du califat omeyyade. Quelques mentionnait Jean Lacam, malheureusement années auparavant, suite à la prise définitive sans préciser davantage le contexte de la de Carthage en 80H (698-699) par Ḥasān b. découverte7. Neuf de ces exemplaires appar- al-Nu‘mān, l’administration omeyyade s’ins- tiennent au type II [notice 2]8, très majoritaire talla progressivement comme l’illustre la dans les collections de la péninsule Ibérique mise en place graduelle d’un monnayage et qui constitue également le type moné- réformé. À la tête de l’administration pro- taire le plus représenté dans le corpus des vinciale, le gouverneur (wālī) « réunit tous découvertes en Narbonnaise9. Dans ce même les éléments de la souveraineté, commande l’armée, préside la prière, coiffe la machine

7. Lacam, 1965, p. 72. 8. Frochoso Sánchez, 2001, p. 21-23. 9. Voir notamment : Sénac et alii, 2010 et 2014. 10. Frochoso Sánchez, 2001, p. 41-43.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 13 royaume wisigothique dont la capitale de la province la plus septentrionale, Narbonne, fut prise en 719. La fonction de ces « mon- naies de la conquête » a fait l’objet de plu- sieurs hypothèses. Les dinars transitionnels, vraisemblablement frappés dans des ateliers itinérants, ont été présentés comme destinés à faciliter le partage du butin, en complément des tremisses wisigothiques15. Si l’argument présentant la frappe des fulūs dans l’optique du paiement de la solde16, reposant notam- ment sur des légendes de certains exem- plaires nord-africains mentionnant une « paye » ou une « solde », « sur le chemin de Dieu »17, a pu être remis en question18, il semble admissible de présenter une pre- mière circulation de ces monnaies de cuivre au sein de l’armée. Dans un second temps, utilisées pour les transactions quotidiennes, elles firent probablement l’objet d’une plus large diffusion. Au-delà de ces considéra- tions, il demeure que le monnayage arabo- u andalou répondait également aux exigences d’une fiscalité naissante dont les contours sont difficiles à déterminer avec précision dans la mesure où les données des sources (fig. 2) Lieux de découvertes defulu s en Narbonnaise écrites sont lacunaires pour la période des 1. Aumes ; 2. Lézignan ; 3. Montredon ; 4. Narbonne ; gouverneurs (711-756). Elles permettent 5. Vinassan ; 6. Fleury d’Aude ; 7. Villefalse ; néanmoins de mettre en avant un lien chro- 8. Portel ; 9. Sigean ; 10. Roquefort-des-Corbières ; nologique entre la première organisation de 11. Salses ; 12. Fitou ; 13. Ruscino ; 14. Villelongue- la perception de l’impôt et le début du mon- dels-Monts ; 15. Argelès-sur-Mer. nayage en argent en 103H (721-722), puis entre l’augmentation des revenus fiscaux et administrative, détient la justice répressive celle de la production monétaire au cours de et criminelle »11. Certaines monnaies de la période omeyyade. Ainsi, Miquel Barceló cuivre furent ainsi frappées aux noms des soulignait que l’économie d’al-Andalus se gouverneurs d’Ifrīqiya Ḥasān b. al-Nu‘mān « monétarisait » pour des raisons fiscales en 80H (699-700)12, Mūsā b. Nuṣayr13 (85- et non pour « d’inexplicables exigences de la 95H/705-715) ou encore Muḥammad b. Yazīd circulation mercantile »19. (97-99H/715-717)14. Les monnaies du début du 8e siècle furent donc frappées sous l’autorité des gouver- neurs d’al-Andalus dans le contexte de la conquête arabo-musulmane de l’ancien 15. Chalmeta Gendrón, 2003, p. 237. 16. Walker, 1956, p. XLIV ; Manzano Moreno, 2006, p. 69. 17. Walker, 1956, p. LXVIII-LXIX. 11. Djaït, 1973, p. 602. 18. Casal García et alii, 2009, p. 853. 12. Walker, 1956, p. 61-62, n°164-ANS 12. 19. Barceló, 2010, p. 148 : « Puede decirse que al-Andalus 13. Ibid., p. 59-63, n°159-163 ; Codera y Zaidin, 1879, n°10 es una sociedad intensamente monetizada para poder (LAM II) ; Lavoix, 1887, p. 41-43, n°120-124. tributar y no por unas inexplicadas exigencias de circulación 14. Lavoix, 1887, p. 355, n°1388 (Walker, 1956, p. 231, p.123) ; de mercancías. Sin embargo los intercambios debieron Khiri (dir.), 2007, p. 235, n°31. beneficiarse de esta monetización ».

14 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie A

B C cm 0 3

(fig. 3) Exemples de dirhams omeyyades du musée Joseph Puig, Perpignan, musée Joseph Puig : . A. Dirham frappé à Damas en 91H (inv . esp. 3) ; B. Dirham frappé à Wā sit en 95H (inv. esp. 6) ; C. Dirham frappé à Wāsit en 96H (inv. esp. 7).

Les données de l’archéologie mises en relation avec du mobilier archéo- en Narbonnaise logique. Plusieurs observations peuvent néanmoins être formulées à partir de la Plus d’une centaine d’objets monétiformes localisation, attestée ou supposée, des islamiques des 8e et 9e siècles ont été décou- découvertes, ou de l’étude typologique des verts en Gaule Narbonnaise depuis la fin du monnaies. La majorité du corpus étant 19e siècle (fig. 2). Composé par une majorité constitué de fulūs de type II et, dans une de fulūs, ce corpus compte également cinq moindre mesure, de type XVII, parfois asso- dirhams orientaux de l’époque des califes ciés à des sceaux en plomb comme dans le de Damas, treize dirhams des émirs de cas exceptionnel de Ruscino, il est permis Cordoue, deux dinars transitionnels et plus de proposer une chronologie haute pour d’une quarantaine de sceaux en plomb men- cette première circulation monétaire depuis tionnant un butin licite fait à Narbonne et al-Andalus. Celle-ci se fit donc du sud vers trouvés à Ruscino. La chronologie des mon- le nord, le long des anciennes voies de com- naies s’échelonne ainsi de 97H (715-716), munication, comme semble l’attester la date d’émission d’un dinar bilingue d’Ifrīqiya concentration des découvertes à proximité mentionné à Ruscino, à 207H (822-823) des principales voies romaines, en particu- pour un dirham émiral d’al-Andalus à Lézi- lier de la voie domitienne. gnan-Corbières (Aude). Les découvertes À ces dinars transitionnels et fulūs, il résultent le plus souvent de prospections convient d’ajouter quelques dirhams orien- de surface réalisées à l’aide de détecteurs taux de la fin du 7e siècle ou de la première de métaux et ne peuvent donc être atta- moitié du 8e siècle. Nombreux en péninsule chées à aucun contexte stratigraphique ni Ibérique et découverts essentiellement sous

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 15 la forme de trésors, ils ont en général été circulation se divise en deux grandes phases mis en relation avec l’arrivée des contin- chronologiques24. La première concerne les gents syriens qui pénétrèrent dans la Pénin- épisodes liés à la conquête de l’ancien royaume sule suite à la révolte berbère20, ou lors de wisigothique et de ses territoires, entre la l’entrée de nouvelles populations arabes conquête de Narbonne en 719 et la prise de sous le wālī Abū al-Khaṭṭār (743-745). C’est la cité par les armées de Pépin le Bref en 759. donc à la fin de la période dite « des gouver- L’autre phase chronologique couvre la seconde neurs » (711-756) que circulèrent ces mon- moitié du 8e et la première moitié du 9e siècle et naies, parfois jusqu’en Narbonnaise. Si leur ne concerne plus que les dirhams d’al-Anda- provenance ne peut être définie et que rien lus. En Narbonnaise, ce courant est représenté n’indique qu’ils furent découverts dans la par des exemplaires frappés entre 145H (762- région, il faut signaler que le musée Joseph 763) et 207H (822-823). En Aquitaine et sur la Puig de Perpignan possède sept dirhams façade atlantique, les dirhams découverts ont omeyyades, frappés pour la plupart à Wāsit des dates d’émission allant de 150H (767-768) en Iraq, qui sont représentatifs des décou- à 250H (864-865). Dans ces régions, le rôle des vertes en al-Andalus puisqu’ils furent frappés établissements vikings a déjà été souligné25. entre 91H (709-710) et 124H (741-742)(fig. 3). Il convient enfin de préciser qu’en l’état actuel Enfin, la seconde moitié du 8e et le début du de la recherche, aucune découverte de dirham 9e siècle sont marqués par la circulation de émiral postérieur à 250H (864-865) n’est men- dirhams émiraux d’al-Andalus. Ces mon- tionnée en Gaule alors même que le fait moné- naies ne constituent alors plus les vestiges taire se généralise en al-Andalus26. De même, matériels de la conquête de l’ancienne pro- les découvertes de deniers carolingiens dans la vince wisigothique mais ceux de contacts Péninsule ne dépassent pas le règne de Charles de différentes natures dont certains sont le Chauve (843-877)27. Cette chronologie cor- probablement militaires, à l’image de la respond à l’arrêt des mentions d’échanges campagne de 177H (793-794) menée par le diplomatiques entre la Gaule et al-Andalus, et général ‘Abd al-Wāḥid21. Sans négliger le il semblerait que l’émirat omeyyade fut alors rôle des échanges commerciaux22, il convient davantage orienté vers le reste du monde de souligner celui des déplacements mili- musulman, ce qui pourrait correspondre au taires, pouvant entraîner des mouvements phénomène « d’orientalisation », ou d’islamisa- monétaires, dans le contexte du début du tion, particulièrement sensible sous le règne de 9e siècle marqué par la prise de Barcelone ‘Abd al-Raḥmān II (206-238H/822-852). par Louis le Pieux en 801 et par les sièges de Tortose jusqu’en 810. C’est également le cas [SG] et [JR] pour les ambassades entre l’espace carolin- gien et al-Andalus, mentionnées dans les sources écrites dans la première moitié du 9e siècle23.

Le corpus des monnaies islamiques décou- vertes dans le sud de la Gaule s’échelonne donc entre 97H (715-716) et 250H (864-865). Comme le présentait Mickaël Mc Cormick, cette 24. McCormick, 2001, p. 349. L’auteur distingue une première phase à dater des conquêtes musulmanes en Occident, reflétant le mouvement des « armées, des réfugiés et des 20. Martín Escudero, 2005, p. 75. colons ». La seconde phase, entre 777-778 et 820-821 ou 21. Sénac, 2002, 64-65 ; Griffe, 1941. 844-845, est marquée par la circulation de dirhams expliquée 22. Pour la présentation des sources textuelles mentionnant en partie par des pillages francs en al-Andalus, la chronologie les échanges commerciaux, notamment les cuirs de débutant avec l’expédition de Charlemagne à Saragosse. Cordoue, et la circulation des objets entre al-Andalus et 25. Clément, 2008, p. 159-187 et 2009, p. 245-256. la Gaule, voir notamment : Doehaerd, 1971, p. 252-256 et 26. Gasc, 2018. Sénac, 2015, p. 234-237. 27. Pour les découvertes de monnaies carolingiennes en 23. Sénac, 2002, p. 109. al-Andalus, voir Doménech Belda, 2013.

16 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Notice 1 Dinar à indiction

Les dinars à épigraphie latine (également Cet exemplaire conservé au musée Goya de appelés par les numismates « solidii » ou Castres fait partie des dinars dits « à indic- dinars « latins », « arabo-latins », « proto- tion ». Les légendes du revers indiquent la islamiques » ou « pré-réformés ») furent date d’émission selon le calendrier hégirien émis en al-Andalus* entre 93H (711-712) (94H/712-713) dans la marge et selon le sys- et 95H (713-714), ce qui correspond à la tème calendaire byzantin (indiction XI) dans présence du gouverneur Mūsā ibn Nuṣayr le champ. Elles indiquent également que dans la péninsule Ibérique. Vraisemblable- cette monnaie fut frappée en « Hispania », ment frappés dans des ateliers dits « itiné- le nom arabe de la province (al-Andalus) rants », ils se caractérisent pas des bords n’apparaissant sur les dinars qu’à partir des arrondis, indices d’une frappe réalisée sur émissions bilingues. Au droit, outre l’étoile des petites boules de métal fondu plutôt que caractéristique des émissions de la pénin- sur des flans* ordinaires1. À l’inverse, les sule Ibérique, la légende en latin retranscrit dinars bilingues, frappés en 98H (716-717) la shahāda, la profession de foi musulmane révèlent un procédé plus classique utilisé prônant l’unicité divine. en al-Andalus au moment où la capitale fut établie à Cordoue et que l’atelier monétaire [SG] et [JR] de la province y fut installé.

1. Balaguer, 1976, p. 26.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 17 Notice 2 Fals de type II

Ce fals appartient au type II de la classification de ce type dont la masse des exemplaires établie par Rafael Frochoso Sánchez1. Il est varie de 0,97 à 8 grammes, pour des modules frappé de légendes arabes en caractères cou- compris entre 9 et 22 mm de diamètre. fiques*. Le début de lashah āda, la profession de La présence de la shahāda et de la mission foi musulmane, inscrite sur deux lignes, occupe prophétique de Muḥammad n’est pas une la partie centrale du droit et est entourée par un caractéristique des ateliers occidentaux cercle de grènetis. Sur le revers apparaît la mis- du califat omeyyade* puisque ces mêmes sion prophétique de Muḥammad, également légendes se retrouvent également sur de inscrite sur deux lignes. Ni la date d’émission, nombreuses séries orientales. Il convient tou- ni l’atelier émetteur ne sont mentionnés sur ce tefois de souligner quelques différences dans type monétaire. l’aspect des monnaies. En Égypte et en Orient Il existe plusieurs variantes dans cette série ces formules sont écrites sur trois lignes avec qui portent les mêmes légendes mais qui parfois l’ajout de légendes circulaires et la se distinguent par la présence, ou non, de shahāda est fréquemment complétée par la motifs décoratifs tels que des anneaux pleins mention « il est unique ». Par ailleurs, si les ou creux (type II-b), des chevrons (II-c), des ateliers égyptiens et orientaux placent la lettre étoiles associées à des croissants (II-d), ou « rā » du mot rasūl au début de la deuxième encore des formes ondulées (II-e). Sur le ligne, les émissions des ateliers occidentaux fals présenté ici (II-a), n’apparaissent que d’Ifrīqiya et d’al-Andalus se distinguent par les légendes et le grènetis, sans autre motif l’emplacement du « rā » à la fin de la première décoratif. Ce type, majoritairement représenté ligne, juste après le « dāl » de Muḥammad. En dans les collections espagnoles, est le plus al-Andalus, cette graphie semble disparaître commun dans les contextes archéologiques vers la fin de la période des gouverneurs en péninsule Ibérique et en Narbonnaise, (711-756) ou au début de l’émirat de Cordoue permettant ainsi de confirmer son attribution (756-929). à l’atelier d’al-Andalus*. Le catalogue de R. Frochoso Sánchez regroupe 249 monnaies [SG] et [JR]

1. Frochoso Sánchez, 2001, p. 21-23.

18 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Notice 3 Fals de type XVII

Les fulūs de la série XVII méritent une est souvent considérée comme caractéris- attention particulière à bien des égards. La tique des premiers dinars d’al-Andalus, elle shahāda, incluant la mission prophétique ne constitue pas une distinction géogra- de Muhammad, est placée dans la marge phique aussi évidente pour les fulūs dans la du droit tandis que la partie centrale est mesure où elle se retrouve sur certains types réservée à une étoile, de six à huit branches, de monnaies de cuivre frappées en d’autres entourée par un cercle de grènetis. Le revers régions du califat omeyyade2*. Par ailleurs, se compose de la même manière, avec une alors que la mention de l’atelier apparaît légende marginale mentionnant que ce fals généralement dans la légende circulaire des a été frappé au nom de Dieu. Dans la partie séries postérieures (types XVIII, XIX-b et XIX- centrale du revers, est inscrit « en al-Anda- d), elle est ici placée dans le champ du revers. lus* » sur deux lignes. Ce sont donc deux À l’exception de la série XVII-d, curieusement informations majeures qui apparaissent ici : frappée des mêmes légendes circulaires au le nom de l’atelier émetteur ainsi que la droit et au revers, les variantes du type XVII dénomination de la monnaie (« fals »). se distinguent par le nombre de branches En s’appuyant sur une comparaison typolo- de l’étoile. Ainsi, cet exemplaire orné d’une gique entre les monnaies en or et en cuivre, étoile à huit branches appartient à la variante Michael Bates situait l’émission de la série XVII-c. Les monnaies similaires ont une XVII autour de 98H (716-717), faisant donc de masse comprise entre 2,38 et 13 grammes ce fals un contemporain du dinar bilingue1. pour des modules allant de 16 à 27 mm. L’étoile dans le champ du droit des dinars latins et bilingues aurait été reproduite sur le [SG] et [JR] monnayage en cuivre. Si cette iconographie

1. Bates, 1993. 2. Miles, 1958, type 2 ; Nicol, 2009, p. 1258-1259 et 1166-1167 ; Walker, 1956, 812.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 19 Bibliographie

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Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 21 Répartition des objets d’art islamique en contexte monu- ment historique dans la région Occitanie.

Figeac Conques Mende

Cahors Rodez

Puylaroque

Saint-Antonin-Noble-Val Alès

Montauban

Albi Nîmes

Villariès Auch Montpellier Castres Toulouse

Sète Martres-Tolosane Caunes-Minervois Béziers Agde Tarbes Carcasonne Narbonne Saint-Bertrand-de-Comminges Pamiers Origine des objets Lourdes Saint-Polycarpe Espagne Foix Proche et Moyen-Orient Saint-Lizier Saint-André Italie Égypte

Corneilla-de-Conflent Perpignan Nombre d'objets conservés plus de 5 ThuirThuir 2 Trouillas 1

Saint-Martin-du-Canigou Brouilla 50 km Fondpérouse

22 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Figeac Conques Mende

Cahors Rodez

Puylaroque

Saint-Antonin-Noble-Val Alès

Montauban

Albi Nîmes

Villariès Auch Montpellier Castres Toulouse

Sète Martres-Tolosane Caunes-Minervois Béziers Agde Tarbes Carcasonne Narbonne Saint-Bertrand-de-Comminges Pamiers Origine des objets Lourdes Saint-Polycarpe Espagne Foix Proche et Moyen-Orient Saint-Lizier Saint-André Italie Égypte

Corneilla-de-Conflent Perpignan Nombre d'objets conservés plus de 5 ThuirThuir 2 Trouillas 1

Saint-Martin-du-Canigou Brouilla 50 km Fondpérouse

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 23 Objets d’art islamique dans les églises d’Occitanie Introduction

L’inventaire des objets d’art islamique dans Plusieurs constats peuvent être faits d’après les trésors d’églises de la région Occitanie l’observation de la carte. Près de la moitié se heurte à plusieurs problèmes de termi- des objets sont localisés près de la chaîne nologie et de méthode. La première difficulté pyrénéenne, avec une concentration parti- porte sur l’attribution à l’aire culturelle ou culièrement forte dans le département des géographique islamique, question qui n’est Pyrénées-Orientales. Les autres points de d’ailleurs pas propre à notre cas d’espèce rassemblement sont les deux trésors les plus mais qui se pose pour toute la discipline. importants de la région Occitanie, Conques et Une autre difficulté vient du fait que, si la plu- Saint-Sernin de Toulouse. L’origine des objets part proviennent de trésors d’églises ou en tout représentée sur la carte montre également cas d’un contexte cultuel, ils sont aujourd’hui que l’essentiel provient d’al-Andalus*, à plus dispersés dans des lieux de conservation va- forte raison dans les lieux situés près de la riés, tels que des musées, sociétés savantes, frontière avec l’Espagne. dépôts archéologiques ou « trésors » aména- gés ces dernières décennies dans des églises. Une majorité d’objets originaires Le recours aux seules bases de données du d’al-Andalus ministère de la Culture (Joconde, Palissy, Patriarche...) ne permet pas de dresser un Les raisons de cette répartition sont assez inventaire exhaustif du corpus, puisqu’elles évidentes ; la proximité géographique de l’Es- suivent souvent des logiques administratives pagne musulmane a permis des échanges qui ne recouvrent pas la diversité des lieux de réguliers de part et d’autre de la frontière na- conservation, et que les objets d’art islamique, turelle et confessionnelle, et ce par plusieurs souvent mal identifiés et/ou sous protégés au voies. On a beaucoup insisté sur le rôle de la titre des monuments historiques – en particu- dans la constitution de butins lier les textiles – , ne font que rarement l’objet qui ont ensuite servi à alimenter les trésors de notices spécifiques. d’églises en Occident. On sait par exemple L’inventaire d’un tel corpus engage donc à une que Raimond, comte de Rouergue, vainqueur double précaution, car ni l’exhaustivité ni le ca- des musulmans aux environs de Barcelone ractère résolument « islamique » de ses par- à la fin du e 10 siècle, donne une selle aux ties ne peuvent être assurés de façon certaine. moines de Conques qui fut remployée pour la fabrication d’une croix de procession, tout en Cela étant dit, le débat sur la légitimité de l’ad- préservant la qualité « des riches ciselures jectif « islamique » échappant aux prétentions des Sarrasins »2. De même, la présence de la de cet ouvrage, l’inventaire réalisé à partir de la boîte en ivoire au nom d’Ismâ’îl, actuellement connaissance du terrain et des acteurs locaux conservée dans le trésor de la cathédrale de la conservation porte le corpus à une qua- Saint-Just-Saint-Pasteur de Narbonne (fig. 1), rantaine d’objets d’art islamique provenant des a été associée aux butins constitués après trésors d’églises d’Occitanie. Le volume et le la prise de Valence en 1238, à laquelle avait lieu de conservation des objets1 ont été repor- tés sur la carte (voir p. 22-23).

2. Garland (Emmanuel), « Le trésor de Conques au Moyen Âge : quelques observations sur son histoire ancienne », Cahiers de 1. Tous les objets sont conservés à proximité de leur lieu de Saint-Michel-de-Cuxa, 2010, XLI, p. 85 ; Le trésor de Conques, découverte, même si certains ont pu être déposés dans le trésor catalogue de l’exposition. Paris, musée du Louvre, 2 novembre de la cathédrale ou le musée archéologique les plus proches. 2001-11 mars 2002, Paris, Éditions du patrimoine, 2001, p. 15.

24 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 1) Pyxide au nom d’Ismâ‘îl, ivoire et argent niellé, Cuenca (Espagne), avant 1032, Narbonne, trésor de la cathédrale Saint-Just-Saint-Pasteur, clmh 13/06/1906.

participé l’archevêque de Narbonne aux côtés Conques pour se repentir d’avoir laissé les de Jacques Ier d’Aragon3. Maures tuer sa propre mère5. Les violences qui opposent les chrétiens et À Thuir, dans les Pyrénées-Orientales, les les musulmans dans les premiers siècles textiles espagnols en partie conservés dans de l’expansion musulmane ont d’ailleurs ali- l’église sont liés au culte d’une Vierge en menté les légendes de fondation de plusieurs plomb, qui tiendrait son nom « Nostra Senyo- des sanctuaires du Sud-Ouest. Le Rouergue, ra de la Victoria » de la victoire qu’elle aurait particulièrement touché par les offensives accordée à Charlemagne contre les Sarra- sarrasines, en fournit plusieurs exemples4. sins à Monastir del Camp, à quelques kilo- Le diplôme de Louis le Pieux (819) et celui mètres de Thuir6 (voir p. 23). de Pépin d’Aquitaine (838) indiquent que le fondateur du monastère de Conques, Da- Mais les butins formés lors des affronte- don, s’était retiré « dans un lieu où quelques ments entre chrétiens et musulmans ont chrétiens [s’étaient] récemment réfugiés par sans doute été surestimés dans les récits crainte des Sarrasins qui ont presque entiè- légendaires et la bibliographie sur le sujet rement dévasté cette terre et l’ont réduite au détriment d’autres modes d’approvi- en désert ». Un autre document du 9e siècle sionnement d’objets d’art islamique dans indique même que Dadon se serait retiré à l’Occident latin. Les cadeaux et les échanges

3. Makariou (Sophie), « L’ivoirerie de la péninsule ibérique 5. Gournay de (Frédéric), « Le diplôme de Louis le Pieux aux XI-XIIe siècles : entre Andalus et Hispania », Cahiers de en faveur de Conques », Études aveyronnaises, 1996, Saint-Michel-de-Cuxa, 2004, XXXV, p. 72-73, fig. 1. p. 130-135. 4. Sénac, 2000, p. 19. 6. Carcassonne, 1993, p. 98.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 25 son père Louis le Pieux avait déjà offert vers 823 un dessus de lit espagnol à l’abbaye de Saint-Wandrille en Normandie, qu’il avait probablement reçu en cadeau8. De même, les relations nouées entre les comtés chrétiens de part et d’autre des Pyrénées et al-Anda- lus ont sans doute favorisé de tels échanges. Ainsi la pyxide en ivoire provenant de Caunes- Minervois, actuellement en dépôt au trésor de la cathédrale de Carcassonne, est peut- être parvenue au trésor de l’ancienne abbaye par des dons entre les vicomtes de Béziers et souverains aragonais, à qui ils étaient liés9. Des marchandises moins prestigieuses pou- vaient s’acheminer en Occident par les routes commerciales, comme l’illustrent deux exemples conservés à Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et- Garonne), ville située au 13e siècle et au début du 14e siècle à une importante croisée de routes commerciales. Ses marchands sont alors pré- sents dans les grandes foires de Champagne,

8. Jacoby, 2017, p. 142-143. 9. Paris, 2014, cat. 4.

(fig. 2) Peinture murale représentant une fausse tenture, 3e quart du 13e s., Saint-Antonin-Noble-Val, maison Muratet. diplomatiques ont dû également jouer un grand rôle dans cette répartition7. Plusieurs échanges d’objets sont documentés par les sources entre des souverains de l’Occident latin et ceux d’al-Andalus, dès l’époque ca- rolingienne. En 865, Abd al-Rahman III fait envoyer des soieries à Charles le Chauve ;

7. Voir par exemple Rosser-Owen (Mariam), « Islamic Objects (fig. 3) Relevé des profils de bacini sur la façade in Christian Context : Relic Translation and Modes of Transfer principale (milieu du 12e s.), Saint-Antonin-Noble- in Medieval Iberia », Art in Translation, mars 2015, volume 7, Issue 1, p. 39-64. Val, maison romane.

26 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie mais surtout à celles de Narbonne, Montpellier, Barcelone, Valence ou encore Perpignan, alors capitale du royaume de Majorque et grand carrefour d’échanges10. Déjà au 12e siècle la ville et son commerce prennent leur essor, comme en témoignent la présence sur la fa- çade de la « maison romane », construite au milieu du 12e siècle, de quatorze bacini* (fig. 3). Un seul fragment est conservé ; les analyses de pâte permettent de l’attribuer au sud de l’Espagne dans la première moitié du 12e siècle11. Au siècle suivant appartient une peinture murale sur un pan de bois conservée à l’intérieur d’une autre maison de la ville, datée par dendrochronologie des années 1259-6412 (fig. 2). Le décor de fausse tenture montre de grands médaillons entrelacés, meu- blés de griffons et de rosettes. La partie supé- rieure porte une frise de cavaliers portant écu et bannière. Le tissu, qui correspond à ce que les sources latines nomment « ciclato » ou « siglatun », reproduit sans doute les tentures tissées en al-Andalus qui paraient les maisons (fig. 4) Saint suaire ou saint Cabouin de Carcassonne, des élites urbaines, selon une mode qui se soie, Moyen-Orient, Asie centrale ou Chine (?), fin e 13 répand dès le 11 siècle . 13e s.-début 14e s, Carcassonne, trésor de la cathédrale.

Objets en provenance de l’est d’art islamique en Occident, dont un certain du Bassin méditerranéen nombre sont liés aux reliques de personnages saints, comme l’illustrent les deux tissus fati- La carte met en évidence le faible nombre d’ob- mides les plus célèbres parvenus en Occident : jets provenant de Méditerranée orientale par le voile de sainte Anne (trésor de la cathédrale rapport à ceux provenant d’al-Andalus dans les d’Apt, Vaucluse) et le suaire de Cadouin (trésor trésors d’églises d’Occitanie. Pourtant les Croi- de l’abbaye de Cadouin, Dordogne). sades et la formation des royaumes latins au Proche-Orient ont favorisé l’arrivée d’objets La légende veut que le saint suaire ou saint Cabouin de la cathédrale Saint-Michel de Carcassonne (fig. 4) provienne également de 10. Loncan (Bernard) (dir.), Caylus & Saint-Antonin-Noble-Val Terre Sainte. Deux religieux augustins l’au- – Tarn-et-Garonne, le patrimoine de deux cantons aux confins raient rapporté de Palestine vers 1298, après du Quercy et du Rouergue, Cahiers du patrimoine n°29, Paris, la reddition de Saint-Jean d’Acre, dernier bas- Imprimerie nationale, 1993, p. 163. tion franc en Terre Sainte. Cette légende n’est 11. Toulouse, 1989, p. 93. La pratique est bien connue en Italie, mais plus rare en France, et unique pour le Sud-Ouest pas contredite par la datation au carbone 14 de la France, tous les autres exemples étant conservés dans du tissu, qui se situe entre 1220 et 1475 (avec le Sud-Est. Voir Vallauri (Lucy), « Les “ bacini ” : disques de 95 % de certitude). En revanche sa provenance lumière en Méditerranée et sur les façades du Midi fran- çais », in Esquieu (Yves) (dir.), Les couleurs de la ville : Réali- proche-orientale ne peut être confirmée par tés historiques et pratiques contemporaines, Viviers, Presses les caractéristiques techniques du tissu, universitaires de Provence, 2016, p.185-194. puisque l’armure taffetas* et la largeur de 12. Saint-Antonin-Noble-Val, maison n°2 dite Muratet, dossier 40 cm de la laize peuvent aussi se rencontrer d’inventaire, IA00065531 [en ligne URL: http://patrimoines.laregion. 14 fr/index.php?id=369&L=0¬ice=IA00065531&tx_patrimoine- dans l’Occident latin pour l’époque . search_pi1%5Bstate%5D=detail_simple&tx_patrimoinesearch_ pi1%5Bniveau_detail%5D=N3, consulté le 21/03/2019]. 13. Jacoby, 2017, p. 145-146. 14. Carcassonne, 1993, cat. 21.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 27 (fig. 5)Saint « voile » de Puylaroque, soie, Puylaroque, Objets d’art islamique église Saint-Jacques. liés à deux grands sanctuaires : Saint-Sernin de Toulouse et Conques Un fragment de ce suaire a probablement été découpé dans le courant du Moyen Âge La carte montre que le trésor de Conques pour être déposé dans un reliquaire daté du et, dans une moindre mesure, celui de 14e siècle de l’église Saint-Jacques de Puyla- Saint-Sernin de Toulouse (voir p. 44-53), roque (Tarn-et-Garonne)15 (fig. 5). conservent un nombre important d’objets d’art islamique. Ils forment d’ailleurs les La présence en Occitanie d’autres objets trésors les plus importants d’Occitanie, ali- proche-orientaux, comme les fragments mentés au Moyen Âge par des dons favo- d’un verre émaillé découvert sur le site de risés par la présence des restes de saints Notre-Dame-du-Pinel à Villariès (Haute-Ga- nombreux et insignes. ronne) (voir p. 36-37), s’explique peut-être L’essentiel des objets d’art islamique conser- par des échanges entre les comtes de Tou- vés dans le trésor de Conques est formé par louse et leurs parents implantés en Pales- des textiles, et par un objet en cristal de tine, puisque le comté de Tripoli, fondé par la roche de fabrication très probablement fati- maison de Toulouse en 1109, reste dans son mide (voir p. 67). Le trésor conserve d’ail- giron tout au long du 12e siècle16. leurs les plus anciennes soieries connues dans la région, datables du 8e ou 9e siècle, de production byzantine ou proche-orien- 15. Le fragment présente la même largeur de laize, la même tale. Plusieurs fragments s’apparentent par nature de fils et d’armure, le même roulotté de soie vert au leur technique, leur gamme colorée et leur point de chausson. La légende voudrait qu’il s’agisse d’un iconographie, à des tissus d’Asie centrale fragment du suaire de Cadouin [voir Delluc (Brigitte et Gilles), « Le voile de Puylaroque n’est pas un fragment du Suaire de ou du Proche-Orient. C’est le cas d’un petit Cadouin », in Les Pérégrinations du suaire de Cadouin, Actes fragment de samit* à décor d’animal pas- du 3e colloque de Cadouin, 24 août 1996, Cadouin, 1997, sant (fig. 7), proche du fameux « suaire » de p. 35-38]. Peut-être que les sources anciennes faisaient en saint Loup et sainte Colombe conservé dans fait référence au « Cabouin » ? 16. Voir à ce sujet Toulouse, 1989. le trésor de la cathédrale de Sens (fig. 6), et

28 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 6) Suaire dit de saint Loup et de sainte Colombe, soie, Proche-Orient, fine 9 -début 10e s. (?), Sens, trésor de la cathédrale, inv. B 2, clmh 26/09/1903.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 29 attribué au Proche-Orient à la fin du 9e ou au début du 10e siècle17. Un autre fragment de samit pourrait être plus ancien, puisque des éléments de comparaison, reproduisant le motif de lion passant, auraient été fabriqués en Asie centrale au 8e ou 9e siècle18.

Il faut sans doute attribuer la présence de soieries aussi anciennes et, par leur qualité et leur provenance, aussi prestigieuses, aux libéralités de souverains carolingiens en fa- veur du sanctuaire de Conques. Si la plupart des textes relatant la fondation du sanctuaire

17. Schorta (Regula), « Central Asian Silks in the East and West during the Second Half of the First Millenium », In Oriental Silks in Medieval Europe, Riggisberger Berichte 21, Bern, Abegg Stiftung, 2016, p. 46-63. 18. Trésor de Conques, inv. 10. Voir par exemple Riggisberg, fondation Abegg, inv. 4864 a-d. Otavský (Karel), Wardwell (Anne E.), Die Textilsammlung der Abegg-Stiftung, Band 5: Mitte- (fig. 7) Samit à décor d’animal passant, Conques, lalterliche Textilien. II, Zwischen Europa und China, Riggisberg, abbatiale Sainte-Foy, inv. 23A. Abegg-Stiftung, 2011, cat. 7.

(fig. 8) Voile de sainte Foy, Conques, abbatiale Sainte-Foy, inv. 1,clmh 18/05/1895.

30 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 9) Broderie de soie sur toile, Conques, abbatiale Sainte-Foy, inv. 11,ismh 19/01/2019. ont exagéré (ou inventé) le rôle exercé par L’enrichissement du trésor de Conques en tis- Charlemagne ou Pépin le Bref à Conques, sus, dont certains proviennent de terres d’Islam, des diplômes authentiques du règne de Louis se poursuit au cours des siècles suivants. Le le Pieux et de Pépin d’Aquitaine montrent que « voile » de sainte Foy (fig. 8) est un samit ap- ces souverains ont véritablement contribué parenté au corpus des draps d’areste*, et dont au rayonnement du monastère19. Leurs libé- une soixantaine d’exemples ont été repérés ralités ont pu se concrétiser par des dons de en Europe. Parmi eux, deux sont datables du tissus, comme ce fut le cas pour des sanc- 13e siècle par leur contexte archéologique, et tuaires voisins d’Auvergne20. plusieurs portent des inscriptions coufiques* ou pseudo-coufiques. On situe leur fabrication en al-Andalus ou dans le Sud-Ouest de la France21. 19. Voir à ce sujet Gournay de, op. cit. [note 5] et Cordez (Philippe), « Vers un catalogue raisonné des « objets légen- Des objets fabriqués en terres d’Islam par- daires » de Charlemagne. Le cas de Conques », in Cordez (Philippe) (éd.), Charlemagne et les objets : des thésaurisa- viennent au sanctuaire de Conques jusqu’au e e tions carolingiennes aux constructions mémorielles, Berne, 15 ou 16 siècle, puisqu’une broderie en soie Berlin, Bruxelles, Peter Lang sa, 2012, p. 135-168. sur toile de lin (fig.9) se rapproche d’un groupe 20. Voir notamment l’histoire du suaire de Mozac (Puy-de- de broderies produites en al-Andalus puis au Dôme), aujourd’hui conservé au musée des Tissus de Lyon (inv. MT27386). Durand (Maximilien), Notice : « Suaire de saint Austremoine, dit aussi “suaire de Mozac“ », in Lyon, mtmad, www.mtmad.fr [en ligne], mise en ligne 2014. 21. « Voile de sainte Foy », in Berthod (Bernard), Favier (Gaël), Consulté le 01/10/2017. Conques, un trésor millénaire, Tours, cld Éditions, 2019, p.50.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 31 (fig. 10) Nappe d’autel dite de la comtesse Ghisla, Casteil, abbaye Saint-Martin-du-Canigou,clmh 04/07/1903.

32 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 33 (fig. 11) Tympan, Conques, abbatiale Sainte-Foy.

Maroc entre le 15e et le 20e siècle. Le trésor dans le Sud-Ouest, par une assimilation d’élé- de l’abbaye de Saint-Martin-du-Canigou ments matériels de la culture arabe. L’un des (Pyrénées-Orientales) conserve d’ailleurs une exemples les plus troublants de ce phéno- broderie proche de celle de Conques (fig. 10), mène est sans doute l’inscription arabe qui se ornée des inscriptions arabes « al-izz » (la trouve au tympan de l’abbatiale Sainte-Foy de gloire) ou « yumn » (la félicité, le bonheur), Conques (fig. 11 et 12). La bordure de la tunique et qui a été attribué à l’Espagne nasride* de l’ange soufflant dans un olifant porte une (15e siècle) ou au Maroc (16e siècle)22. inscription en caractères coufiques, lue tantôt « al-yumn » (la félicité)23 ou « al-hamda » (la La présence d’objets d’art islamique dans les gloire)24. Quoique son interprétation est dispu- trésors d’églises de l’Occident latin, et en par- tée, il est remarquable qu’une inscription arabe, ticulier dans ceux de l’actuelle région Occitanie, intelligible, se trouve affichée au portail de l’un trouve ses sources dans des histoires variées des sanctuaires les plus célèbres de l’Occident et complexes, qui unissent ou séparent les chrétien. différentes puissances chrétiennes et musul- manes implantées autour de la Méditerranée [AD] au Moyen Âge. Ces échanges sont d’ailleurs beaucoup plus profonds que la simple circula- tion d’objets d’art, et se manifestent également, 23. Balsan (Louis), « L’inscription arabe du tympan de l’église de Conques », in Procès-verbaux de la Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, 1954-58, t. XXXVIII, p. 339. 24. Fau (Jean-François), « À propos de l’inscription en 22. Desrosiers (Sophie), Soieries et autres textiles de l’Antiquité caractères coufiques sur l’ange sonneur d’olifant au tympan au XVIe siècle, Musée national du Moyen Âge – Thermes de de Sainte-Foy de Conques », in Enfer et Paradis, Cahiers de Cluny, catalogue, Paris, Réunion des musées nationaux, 2004, Conques n°1, Conques, Centre Européen d’Art et de Civilisa- cat. 86. tion Médiévale, 1995, pp. 67-70.

34 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 35 (fig. 12) Tympan, détail de l’ange soufflant dans l’olifant, Conques, abbatiale Sainte-Foy.

Bibliographie Jacoby (David), « The Production and Diffusion of Andalusi Silk and Silk Textiles, Mid-Eighth to Mid-Thirteenth Century », The Chasuble of Thomas Becket : A Biography, The Bruschettini Foundation for Islamic and Asian Art, Munich, Hirmer, 2017, p. 142-151. Sénac (Philippe), L’Occident médiéval face à l’islam. L’image de l’autre, Paris, Flammarion, 2000. Fils renoués : trésors textiles du Moyen Âge en Lan- guedoc-Roussillon, catalogue de l’exposition, Carcas- sonne, musée des Beaux-Arts, 7 avril-13 juin 1993, Carcassonne, musée des Beaux-arts, 1993. De Toulouse à Tripoli : la puissance toulousaine au xiie siècle, 1080-1208, catalogue de l’exposition, Toulouse, musée des Augustins, 6 janvier-20 mars 1989, Toulouse, musée des Augustins, 1988. Le Maroc médiéval : un empire de l’Afrique à l’Espagne, catalogue de l’exposition, Paris, musée du Louvre, 17 octobre 2014-19 janvier 2015, Rabat, musée Moham- med VI, 2 mars-1er juin 2015, Paris, Hazan ; musée du Louvre, 2014.

34 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 35 Fragments d’un gobelet

Syrie, fin du 13e siècle-1re moitié du 14e siècle Verre soufflé à décor émaillé Dimensions : diam. ouverture : 11,5 cm Provenance : Villariès (Haute-Garonne), Prieuré de Notre-Dame de Pinel Villariès, dépôt communal

Bibl. : Prieuré de Notre-Dame de Pinel, xiie-xviiie siècles, Rapport de synthèse, Association de recherches archéo- logiques, Villariès/ Section Archéologie - aseat, Toulouse, 1990, p. 107, 114 ; À travers le verre, du Moyen Âge à la Renaissance, catalogue de l’exposition, Rouen, Musée des antiquités de la Seine-Maritime, 1989-1990, Rouen, Musées et monuments départementaux de la Seine-Maritime, 1989, p. 189-195, n°124, pl. XIII ; Archéologie et vie quotidienne aux xiiie et xive siècles en Midi-Pyrénées, catalogue de l’exposition, Toulouse, Musée des Augustins, 1990, Toulouse, Association pour la promotion de l’archéologie et des musées archéologiques en Midi-Pyrénées, 1990, cat. 687.

Ces fragments proviennent du Prieuré de d’émail se concentre sur certaines parties, les Notre-Dame de Pinel, situé à une vingtaine de touches de couleur autres que le rouge et le kilomètres au Nord de Toulouse. Le prieuré, blanc sont parcimonieuses et incitent à une affilié à l’ordre de Grandmont, est fondé au datation avant le milieu du 14e siècle, si l’on 12e siècle et occupé jusqu’au 18e siècle. Les suit la proposition récente de Rachel Ward fragments de verrerie ont été trouvés lors de d’évolution technologique et stylistique, le fouilles effectuées en 1981 et 1989, dans les caractère couvrant et polychrome s’intensi- remblais d’une fosse-dépotoir, sans indication fiant dans la seconde moitié du 14e siècle4. de datation précise. Le motif du lion passant a souvent été asso- La forme étroite s’évasant rapidement vers le cié au blason du sultan mamlouk Baybars haut est typique des gobelets orientaux médié- (1260-1277). Néanmoins, le lion passant a été vaux des 13e-14e siècles. Certains présentent un également utilisé comme emblème par plu- évasement plus prononcé comme le gobelet aux sieurs autres sultans au cours du 14e siècle cavaliers du musée du Louvre (oa 6131) ou le et ne peut donc être retenu comme un critère gobelet dit de Charlemagne conservé au musée de datation fiable, comme l’a souligné Rachel des Beaux-Arts de Chartres (inv. 5144)1. Cette Ward5. Une bouteille du British Museum pré- forme diffère de celles plus trapues des gobe- sente ainsi un décor associant des médaillons lets européens médiévaux fabriqués notam- à lion héraldique, et des fleurs de lotus qui ment en France, en Allemagne ou à Venise. n’apparaissent guère en territoire mamlouk Le profil du gobelet, la disposition des deux avant environ 13206. Le dessin particulier du bandes inscrites – l’une en haut près du lion, avec sa patte antérieure nettement levée bord, ponctuée de blasons, et l’autre près de et sa queue relevée formant un S, ne suit la base2 –, le caractère peu soigné de l’écri- d’ailleurs pas le modèle des lions associés ture curviligne (illisible), la palette de couleur aux inscriptions ou aux monnaies de Baybars (blanc, rouge, jaune dominant) trouvent un ou d’autres sultans. Un lion assez similaire proche équivalent dans un gobelet conservé se trouve sur un flacon aspersoir du Corning au British Museum (oai 9047-6.21)3. Le décor Museum of Glass (inv. 69.1.2), lequel présente

1. Reproduits dans : Lagabrielle (Sophie) (dir.), Le verre. Un Moyen Âge inventif, Paris, rmn, 2017, ill. 114 p. 119 et 116 p. 121. 4. Ward (Rachel), « Mosque Lamps and Enamelled Glass : 2. Le fragment à droite en bas sur l’illustration, qui est Getting the Dates right », in : D. Behrens-Abousief (ed.) The présenté à l’envers, tête en bas. Arts of the Mamluks in Egypt and Syria – Evolution and Impact, 3. Ward (Rachel), « Glass and Brass : Parallels and Puzzles », in : Bonn University Press, 2012, p. 55-75. Ward (Rachel) (ed.), Gilded and Enamelled Glass from the Middle 5. Ward, 1988, op. cit., p. 31. East, Londres, British Museum Press, 1988, planche I, 9.12 6. Ibid., pl. B, 9.11.

36 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie aussi un motif rayé alternant bandes rouges et inventaires du trésor du roi Charles V d’Anjou jaunes7, ou encore sur une coupe sur pied du (m. 1379) mentionnent plusieurs verres de musée du Louvre (mao 895). diverses formes « à la façon de Damas »8. Mais De nombreux gobelets de ce type provenant des pièces plus communes, comme ce gobelet du Proche-Orient semblent avoir été expor- fragmentaire de Villariès, ont pu trouver leur tés vers l’Europe, par le biais du commerce, place dans des contextes moins prestigieux. de voyageurs ou de dons. Leur taille réduite et Ce sont les seuls exemples de verrerie isla- leur caractère précieux et coloré en faisaient mique à décor d’émail retrouvés dans la région des objets d’importation exotique idéaux. Cer- Sud-Ouest. Un autre fragment de verre isla- tains ont intégré des trésors d’églises, comme mique médiéval, en verre bleu à décor de filets le gobelet aux cavaliers du Louvre, trouvé incrustés blancs et rouges, est également sous l’autel d’une église d’Orvieto, la « Coupe conservé au dépôt communal de Villariès9. des huit prêtres » offerte en 1329 à la cathé- drale de Douai (disparue lors de la première [CJU] guerre mondiale) ou le gobelet du musée de Chartres, provenant de l’église de la Made- leine de Châteaudun. D’autres ont appartenu 8. Rogers (J. Michael), « European Inventories as a Source à des familles nobles, tel le fameux « Luck of for the Distribution of Mamluk Enamelled Glass », in : Rachel Edenhall » anciennement détenu par la famille Ward (ed.), Gilded and Enamelled Glass from the Middle East, anglaise des Musgrave, aujourd’hui au Victo- Londres, British Museum Press, 1988, p. 70-71 ; Labarte (Jules), Inventaire du mobilier de Charles V, roi de France, ria and Albert Museum, ou même royales : les Paris, Imprimerie nationale, 1879. 9. Un autre gobelet fragmentaire à décor de bandes bleues, retrouvé à Vacquiers, a parfois été attribué au Levant, mais 7. Atil (Esin), Renaissance of Islam. Arts of the Mamluks, Wash- doit plutôt être considéré comme une production régionale, ington, 1981, n°46 p. 128 ; Carboni (Stefano), Glass of the d’autres fragments de même type ayant été retrouvés dans Sultans, New York, Metropolitan Museum, 2001, n°122, p. 246. la région voir Rouen, 1989, p. 149-150, n°67.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 37 Encrier

Alliage de cuivre martelé, décor estampé et repoussé Espagne,10e -11e siècles Dimensions : H. 5,8 cm ; la. 4,4 cm Provenance : Brouilla (Pyrénées-Orientales), église Sainte-Marie Ille-sur-Têt, Hospice d’Ille-Centre d’art sacré Classé au titre des monuments historiques le 4 mars 1966

Bibl. : Galvez Vasquez (Eugenia), « Consideraciones sobre la inscripción de un tintero califal de la iglesia de Corberes (Rosellón) », Revista de la Asociación Española de Orientalistas, 11, 1963, p. 192-196 ; Almagro Basch (Martin), « El Tintero arabe califal de la Iglesia de Corberes (Rosellon) », VIII Congreso Nacional de Arqueología, Sevilla-Málaga, 1963, Saragosse, 1964, p. 487-490 ; Ponsich (Pierre), « L’encrier mozarabe de Brulla (xie siècle) », Archéologie pyrénéenne et questions diverses, actes du 106e congrès national des sociétés savantes (Perpignan, 1981), Paris, cths 1984, p. 101-105 ; Catalunya Romanica, XIV : el Rossello, Enciclopèdia Catalana, Barcelona, 1995, p. 139 ; Martínez Enamorado (Virgilio), « Bronces de al-Andalus y Epigrafia : el caso del Hallazgo de Denia (Siglo XI) », in Travelling through Time, Essays in honour of Kaj Öhrnberg, Ed. Sylvia Akar, Jaakko Hämeen-Anttila & Inka Nokso-Koivisto, Helsinki 2013, p. 153 ; Santa Cruz (Noelia Silva), « Entre la Ebanisteria y la Eboraria : un probable tintero (dawat) nazari y otras tara- ceas Medievales / Between Woodwork and Ivory-Carving : a probable nasrid Inkwell (dawat) and other Medieval inlaid objects », Codex Aquilarensis, 31/2015, pp. 233-258.

L’hospice d’Ille-sur-Têt présente aujourd’hui anneaux, aujourd’hui dépourvus de chaîne, un encrier déposé par la commmune de ils auraient pu servir à retenir des instru- Brouilla. De forme octogonale, l’objet pro- ments d’écritures ou à fixer l’objet à la cein- vient de l’église Sainte-Marie, où il est ture. Un dernier a disparu : seule subsiste réputé avoir servi de lipsanothèque*. Son la trace rectangulaire de la fixation qui le histoire reste cependant obscure. Si l’église maintenait. fut bâtie au cours du 11e siècle, aucune archive ne donne, pour l’instant, la clé de La forme octogonale, employée pour de l’arrivée de l’œuvre dans celle-ci1. Elle petites boîtes, n’est pas inconnue en al- semble avoir été découverte, cachée sous Andalus* : elle apparaît notamment l’autel, dans les années 19502. Cette petite employée en bois, pour des boîtes de taille boîte facettée, aux huit côtés ornés d’ins- supérieure à celles de cet encrier. Les criptions encadrées d’un motif en arête de exemples les mieux étudiés sont néan- poisson, se détachant sur un fond ponctué, moins postérieurs de plus de trois siècles à agrémenté de quelques oiseaux, de rouelles l’objet ici présenté, comme la boîte en bois ou de palmettes, se clôt par un bouchon incrustée d’ivoire conservée au Metropoli- circulaire retenu par une chaînette. Celle- tan Museum de New York3, les plaquettes ci est fixée par le biais d’un anneau soudé en ivoire formant à l’origine un coffret au centre du sommet du couvercle. Sur octogonal, aujourd’hui dans le trésor de la l’épaule de l’objet sont placés deux autres cathédrale de Troyes4 ou encore l’encrier

1. Catalunya Romanica, p. 137-140. 3. New York, Metropolitan Museum, Inv. 50.86. 2. Martin Almagro Basch semble confondre deux 4. Voir G. Fellinger, « Coffret octogonal », in Maroc églises et indique que l’œuvre provient de l’église de Médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne, catalogue Corbères (Almagro Basch, 1964, p. 487), tandis que de l’exposition, Paris, musée du Louvre, 17 octobre Pierre Ponsich indique la provenance de l’église Sainte- 2014-19 janvier 2015, Paris, Louvre Éditions/Hazan, Marie de Brouilla (Ponsich, 1984, p. 101). 2014, p. 78.

38 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 39 Lipsanothèque (?), al-Andalus, 11e s., Madrid, mu- sée archéologique national, inv. 1980/69/36. octogonal en laiton ajouré aujourd’hui à l’Instituto de Valencia de Don Juan, à Madrid5. Ce dernier présente, notamment, un système d’accroche à l’aide de petits anneaux qui rappelle celui de l’encrier de Brouilla, auquel est toujours rattaché un cordon textile. Le coffret de Troyes, tout comme celui de Madrid, partage également avec l’encrier de Brouilla le fait d’avoir été remployé comme reliquaire ou comme boite à hosties en contexte chrétien6.

Les études épigraphiques ont, jusqu’à pré- par la suite8. Néanmoins, une étude précise sent, constitué l’essentiel des publications de l’objet montre qu’une relecture attentive dédiées à l’encrier. Le premier à entamer est aujourd’hui attendue : l’inscription elle- son analyse est l’érudit madrilène Mar- même semble effectivement comporter deux tin Almagro Basch, peu de temps après sa noms, dont la transcription reste sujette à redécouverte, en 1964. Il fait lire l’inscription caution9. Celui du destinataire a été apposé à M. Oçana Jimenez7. Sa lecture est légère- entre les registres, sans réserve préalable, ment corrigée par Eugenia Galvez Vasquez signalant que cette inscription avait été antérieurement conçue indépendamment de celui-ci, pour être apposée sur un objet 5. Inv. 3075, publié, entre autres, dans Nebrada Martin (Lara), Documentacion sobre arte y arqueologia en el Instituto de Valencia de Don Juan, analysis de la coleccion andalusi a 8. Galvez Vasquez, 1963. traves de sus documentos, thèse de doctorat, Madrid, 2017, 9. Je remercie Etienne Blondeau et Bassam Dayoub pour p. 617-618. Pour ce type de boite, voir aussi Santa Cruz, 2015, leur aide et leur analyse épigraphique précise, qui montre que en particulier p. 237-241. tant Eugenia Galvez qu’Oçana Jimenez ont omis des lettres, 6. L’encrier de l’Instituto de Valencia de Don Juan provient en voire des mots entiers, et interprété certaines d’entre elles effet de l’hôpital de San Julian de Cuellar, voir Ibidem. de manière vraisemblablement erronée. Les conclusions 7. Almagro, 1964. présentées dans ce paragraphe leur sont directement dues.

40 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie auquel on aurait rajouté, in extremis, le nom fin du 11e siècle13. Ce fond ponctué rappelle, d’un acheteur. Mais il n’est, à ce jour, pas par ailleurs, le travail des quelques objets possible de déterminer précisément quel en conservés d’argenterie ibérique de la même fut le fabricant, ni le destinataire. période : on retrouve ainsi sur le coffret de En revanche, il est certain que ces inscriptions Saint-Isidore de Leon14, datant vraisembla- mettant en exergue la première personne blement de la première moitié du 11e siècle, du singulier font parler l’objet de sa propre un fond similaire sur lequel se détache une fonction. Si ce procédé est fréquent sur les épigraphie anguleuse très proche de celle de encriers originaires du monde oriental, et l’encrier de Brouilla. Celle-ci est également en particulier iranien, de la même période, il particulièrement semblable à celle qui se est moins étudié en ce qui concerne l’Occi- déploie sur le coffret d’argent d’Hisham II, dent islamique10. Les encriers sont, en effet, vraisemblablement fabriqué entre 973 et souvent utilisés comme marqueurs de fonc- 97615. Tous ces éléments semblent donc tion et apparaissent comme le symbole des pointer vers une production de la fin de scribes et des fonctionnaires11. l’époque califale ou de la période des reyes de taifas*, faisant de cet encrier un marqueur La datation de l’œuvre semble, en revanche, très important des productions de métal plus aisée à établir : une petite boite octogo- andalouses. nale conservée au musée archéologique de Madrid est également qualifiée de lipsano- [GF] thèque et semble dater du 11e siècle12. Ses dimensions sont presque exactement les mêmes que celles de l’encrier de Brouilla et on y retrouve des anneaux de suspension fixés sur les côtés. L’inscription, de nature coranique, laisse penser à une fonction talis- manique. L’épigraphie qui l’orne est très similaire à celle de l’encrier de Brouilla : on y retrouve le même type de caractères, mais aussi un fond ponctué, dont l’état très usé ne permet toutefois pas de comparaison stricte. Une observation attentive indique que ce motif est obtenu, sur l’encrier de Brouilla, par l’estampage d’un outil à trois points, semblable à celui aujourd’hui connu pour avoir servi à orner le griffon de Pise ou le lion de Mari-Cha. L’emploi de ce type d’outil est non seulement un marqueur indiquant la provenance ibérique de l’œuvre, mais permet e aussi de dater l’œuvre entre la fin du 10 et la 13. Voir à ce sujet l’étude récente d’Anna Contadini : Conta- dini (Anna), The Pisa Griffin and The Mari-Cha Lion, History, Art and Technology in the Medieval Islamicate Mediterranean, Pise, 2018, p. 219-220. L’outil qu’elle a isolé comporte cinq points et non trois, mais semble très proche. Il pourrait s’agir de 10. Voir néanmoins Santa Cruz, 2015, p. 246-251. variantes d’atelier. Je remercie Ariane Dor de m’avoir trans- 11. Graves (Margaret), Arts of Allusion, object, ornament and mis les photographies en très haute qualité de M. Castillo, Architecture in Medieval Islam, Oxford, 2017, p. 111. Voir aussi qui permettent de visualiser aisément ces trois points et la Taragan (Hana), « The “Speaking“ Inkwell from Khurasan: marque de cet outil. Object as “World“ in Iranian Medieval Metalwork », Muqar- 14. Les Andalousies, de Damas à Cordoue, catalogue de nas: An Annual on the Visual Culture of the Islamic World, XXII, l’exposition, Paris, Institut du monde arabe, 28 novembre p. 29-44 et Melikian Chirvani (Assadullah Souren), « State 2000-15 avril 2001, Paris, Hazan/ima, 2000, p. 175, n°205. Inkwells in Islamic Iran », Journal of The Walters Art Gallery, 15. Labarta (Ana), « The Casket of Hisham and its Epigra- vol. 44, 1986, p. 70-94. phy », svmma: Revista de Cultures Medievals, n°6, automne 12. Inv. 1980/69/36. 2015, p. 104-128, p. 122.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 41 Fragments de textiles ayant enveloppé le crâne de sainte Foy

Espagne, 1re moitié du 12e siècle ? Soie. Pseudo-lampas* ; fond sergé* 2 lie 1, S, décor louisine* de 2 fils Dimensions : n°24 : H : 33 cm ; la : 36 cm ; n° 20 : H : 7 cm ; la : 15 cm Conques (Aveyron), ancienne abbatiale Sainte-Foy, trésor (réserves), inv. 24 (ill. ci-dessous) et 20 (ill. ci-contre). Inscrits au titre des monuments historiques le 9 janvier 2019

Bibl. : Dor (Ariane), « Le remploi d’objets d’art orientaux dans les trésors d’églises en Occident : l’exemple de Conques », Études aveyronnaises, 2015, p. 345-360 [p. 359].

Ces fragments de textiles étaient pour par- à reliques ménagée dans la statue, et tie présentés jusque dans les années 2000 qu’il enveloppait la calotte crânienne de la sous verre dans le trésor de Conques (frag- sainte1. ment n°24), accompagnés d’une étiquette portant l’inscription « fragmentum panni qui circumdabat caput sctae fidis V.M. ». Le 1. Procès-verbaux authentiques et autres pièces concernant la procès-verbal de l’ouverture de la Majesté reconnaissance des reliques de sainte Foy, vierge et martyre, et de plusieurs autres saints honorés dans l'antique église de sainte Foy, établi en 1880, indique en effet Conques au diocèse de Rodez, recueillis et coordonnés par que le tissu a été découvert dans la cavité Mgr Joseph-Christian-Ernest Bourret, Rodez, 1880, p. 73.

42 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie z

Ces fragments de tissus appartiennent à une autrefois bleu3, se détachent sur un fond catégorie de soieries façonnées d’époque rouge profond. médiévale qui se distingue par leur tech- Ce décor se retrouve sur plusieurs supports nique : le motif et le fond sont formés par en al-Andalus* ou au Maroc tout au long du le croisement d’une seule chaîne (la chaîne 12e siècle. Des compositions très similaires, de liage), avec deux trames, l’une épaisse, dans leur dessin et leur palette, ont été de couleur rouge, qui forme un sergé 2 lie 1 découvertes sur des peintures murales de (le fil de trame passe au-dessus de deux fils Fès ou de Séville dont la datation est échelon- de chaîne et est lié par le troisième) direc- née entre le 2e quart et le milieu du 12e siècle, tion S, et une deuxième plus fine, qui forme soit à la fin de la période almoravide*4. une armure louisine*. On se situe donc dans une technique de transition entre le samit* [AD] et le lampas*, à laquelle on a donné le nom de « pseudo-lampas ». D’autres textiles pré- sentant cette même technique et un décor similaire ont été retrouvés dans des trésors européens ou en contexte archéologique. Quelques-uns, associés à la sépulture de grands prélats, donnent des jalons datés, comme le vêtement de l’évêque d’Angers Ulger, mort en 1142, ou celui de l’évêque Otton II (m. 1192) à Bamberg2. 3. On devine dans certaines parties du fragment n°20, Le décor du tissu de Conques est formé par moins affadi que le n°24, la couleur bleue de la chaîne de des entrelacs qui dessinent des étoiles à liage. Cette palette se retrouve sur plusieurs tissus, notam- huit branches inscrites dans des rosaces. ment un fragment conservé à l’Instituto Gómez-Moreno (inv. Les espaces délimités par ces entrelacs 523), provenant de la collégiale de Tudela [Lopez Redondo (Amparo) et Marinetto Sanchez (Purificación), A la luz de la sont meublés de rinceaux et d’inscriptions Seda, Madrid, TF Editores e Interactiva, 2012, cat. 162] ou un arabes. Les motifs, délimités par un liseré autre provenant de contexte archéologique à Londres [Crow- beige-jaune, mais qui était probablement foot (Elisabeth), Pritchard (Frances), Staniland (Kay), Medie- val Finds from Excavations in London, Textiles and Clothing, 1150-1450, Londres, Boydell Press/Museum of London, 2001, p. 107-112, pl. 15B]. 2. Ce corpus de pseudo-lampas a été étudié en détail par 4. Maroc Médiéval, un empire de l’Afrique à l’Espagne, cata- Regula Schorta dans son ouvrage Monochrome Seiden- logue de l’exposition, Paris, musée du Louvre, 17 octobre gewebe des hohen Mittelalters, Berlin, Deutscher Verlag für 2014-19 janvier 2015, Paris, Louvre Éditions/Hazan, 2014, Kunstwissenschaft, 2001, p. 41-42 et 177. cat. 98, 99 et 100 et p. 327.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 43 Deux trésors d’art islamique conservés dans la basilique Saint-Sernin de Toulouse

(ou memoria) fut élevé par Hilaire, successeur de Saturnin, au-dessus de la tombe de l’évêque martyr, à une date inconnue mais certaine- ment plusieurs décennies après sa mort. Puis, à la fin du e4 siècle ou au tout début du siècle suivant, une basilique funéraire fut construite à l’emplacement de la basilique actuelle, com- mencée par l’évêque Sylve et terminée par son successeur, Exupère2. Les vestiges de l’abside outrepassée de cet édifice ont été reconnus dans les fouilles menées entre 1967 et 1969 à l’occasion de la restauration des cryptes par le service des Monuments historiques.

Le culte de Saturnin, dont le nom s’est trans- formé en Sarni, puis Sernin, s’est rapidement développé, rayonnant dans tout le sud de la Gaule et franchissant même les Pyrénées. Les pèlerins en chemin vers Saint-Jacques de Compostelle commencèrent à affluer. Dès lors, l’église élevée au-dessus de la tombe de Saturnin par ses lointains successeurs nécessita, au 11e siècle, un édifice plus impo- (fig. 1) Vue du chevet, Toulouse, basilique Saint-Sernin. sant, consacré en 1096 par le pape Urbain II. Au fil du temps, la dévotion à saint Sernin en La basilique Saint-Sernin est certainement l’un appela d’autres et de nombreuses reliques des édifices romans majeurs d’Occident (fig. 1). vinrent rejoindre celles du fondateur de l’église Avec 800 000 visiteurs annuels, elle est le monu- toulousaine3. ment historique le plus visité de Toulouse. Ainsi, au milieu du 13e siècle, sans doute Placée sur la voie d’Arles qui mène à Saint- pour répondre au désir des pèlerins d’accé- Jacques de Compostelle, Saint-Sernin est de- der au plus près du corps du saint, l’abside puis dix siècles une étape incontournable pour principale de l’église fut réaménagée et le les pèlerins, ce qui lui a valu d’être inscrite au patrimoine de l’Humanité par l’unesco, au titre du bien solidaire Chemins de Saint- Jacques de Compostelle en France, en 1998. 2. Les vestiges de l’abside de cet édifice ont été reconnus dans les fouilles menées entre 1967 et 1969 à l’occasion de la restauration des cryptes par le service des Monuments Histo- Au-delà de son architecture romane d’une unité riques. Voir Durliat (Marcel), « Les cryptes de Saint-Sernin remarquable1, Saint-Sernin doit sa renommée de Toulouse à la lumière des fouilles récentes », Bulletin de la société nationale des antiquaires de France, 1970, p. 26-28. aux nombreuses reliques qu’elle renferme, à 3. Saint-Martin (Catherine), « Les reliques de Saint-Sernin commencer par celles de Saturnin, premier de Toulouse (xie-xviiie siècles), chronologie et sources», in évêque de Toulouse, martyrisé en 250, sous Cassagnes-Brouquet (Sophie) et Dubreil-Arcin (Agnès) (dir.), Le ciel sur cette terre. Dévotions, Église et religion au Moyen le règne de l’empereur Trajan Dèce. La Passio Âge, Mélanges en l’honneur de Michelle Fournié, Toulouse, sancti saturnini rapporte qu’un premier caveau cnrs-Université Toulouse-Le Mirail, 2008, p. 45-55 et Toulouse, 1999.

44 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 2) Ancien baldaquin gothique de la basilique où étaient conservées les reliques, Toulouse, basilique Saint-Sernin. Gravure issue de l’Histoire générale du Languedoc, Devic et Vaissette, T2, 1730-1745, p. 292. tombeau de Saturnin élevé au-dessus de la et ayant un fort pouvoir d’attraction sur les crypte, sous un baldaquin de style gothique pèlerins5, est connu par plusieurs inven- (fig. 2) (le premier niveau de ce baldaquin for- taires compilés en 1904 par l’abbé Céles- mant aujourd’hui la crypte supérieure). Lors tin Douais. Le plus ancien, dressé en 1246, de ces travaux, furent mises au jour les sé- mentionne, outre des ornements précieux et pultures de Papoul, Honoré, Hilaire et Sylve, des éléments d’orfèvrerie, quelques pièces enterrés ad sanctos, aux côtés du saint mar- majeures : un grand camée (la gemma au- tyr. Au siècle suivant, le creusement de la gustea), production du 1er siècle (aujourd’hui crypte inférieure fut entrepris, occasionnant collection du Kunsthistorisches Museum de la mise au jour d’autres tombes et suscitant Vienne, en Autriche, inv. IXa 79), l’Évangéliaire l’élévation de nouveaux « corps saints »4. de Charlemagne, manuscrit du 8e siècle en Comme dans nombre d’églises, c’est autour lettres d’or (conservé dans les collections de de ce culte des reliques que fut constitué le la Bibliothèque nationale de France, inv. nal trésor de la basilique. Ce trésor, participant 1203), ou encore un oliphant, dit « cor de au prestige de l’église et de ses donateurs,

4. Costa, 1989, p. 177. 5. Paris, 2014, p.73.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 45 Roland » (exposé au musée Paul-Dupuy, « suprême bénédiction » ou « la bénédiction Toulouse, inv. 18036). parfaite ».

Il est complexe aujourd’hui de reconstituer La comparaison de ce textile avec d’autres l’historique de ce trésor tant son histoire mou- tissus hispano-arabes tend à situer sa pro- vementée a connu de vicissitudes, notamment duction dans le sud de l’Espagne, peut-être à l’époque révolutionnaire. Nous pouvons citer dans les ateliers d’Almería, à l’instar de tis- à ce propos l’abbé Auriol : « C’est une doulou- sus conservés dans la cathédrale de Sigüen- reuse étude que la lecture des Inventaires, qui za (Castille) qui présentent des similitudes, furent faits depuis le 13e jusqu’au 18e siècle, tant sur le plan du tissage, que de la dispo- des pièces d’orfèvrerie accumulées dans la sition des motifs animaliers et de la graphie crypte et le déambulatoire. À peine demeure- des inscriptions9. 6 t-il quelques épaves ». Si ce jugement est La grande qualité du tissu et sa fabrication quelque peu radical, il faut reconnaître que en al-Andalus sont en outre confirmés par l’origine et l’histoire de ces « épaves » (parmi les analyses de colorants réalisées sur le lesquelles figurent tout de même des pièces suaire. Elles ont mis en évidence l’usage majeures comme le reliquaire de la Vraie- d’indigo (Indigofera spp.)10 pour le colorant Croix, le reliquaire d’argent figurant le mar- bleu et de cochenille du genre Kermes spp. tyre de Saturnin, les gants de saint Rémy, etc.) pour le rouge11. est bien souvent méconnue. C’est lors d’une cérémonie de reconnaissance La chasuble dite « suaire de saint Exupère »7 des reliques, le 11 août 1846, que cette étoffe (fig. 3 et 4) fut découverte dans la châsse-reliquaire de saint Exupère12. Depuis, elle a fait l’objet de Il en est ainsi d’un textile, vraisemblablement plusieurs publications, notamment à l’occa- issu des ateliers d’al-Andalus* et daté de la sion d’expositions temporaires13. Au fil de ses première moitié du 12e siècle, ayant servi à apparitions dans la littérature scientifique, ce envelopper les ossements d’Exupère. tissu change de dénomination14, tour à tour Il s’agit d’un samit* de soie8 au tissage d’une appelé « suaire », pour avoir protégé les restes grande finesse, à quatre lats constitués de fils à deux brins (rouge et beige, bleu et blanc, bleu et brun pour le fond). Les couleurs, qui 9. Paris, 2014, cat. 9. 10. Prélèvement réalisé sur le fragment du suaire conservé sont à dominante rouge ou écrue aujourd’hui, au Victoria and Albert Museum de Londres (inv. 828-1894), devaient compter également du vert à l’origine. voir García Gómez (Beatriz), Parra Crego (Enrique), « Tablas Son décor somptueux est composé de six de resultados de análisis de los tejidos estudiados », in registres répétitifs superposés où sont figu- Rodríguez Peinado (Laura) et Cabrera Lafuente (Ana) (dir.), La investigación textil y los nuevos métodos de estudio, Madrid, rés des paons affrontés de part et d’autre Fundación Lázaro Galdiano, 2014, p. 185-213. d’un élément végétal stylisé. Les queues, 11. Prélèvement réalisé sur le suaire conservé à Toulouse. relevées en roue, forment un arc outrepassé Les analyses, non publiées à ce jour, ont été réalisées par Lore Troalen, chercheur au laboratoire du musée national au-dessus de chaque couple tandis qu’au d’Écosse à Edimbourg. pied de la tige du motif végétal sont repré- 12. Costa, 1989, p. 202. sentés deux petits quadrupèdes (cervidés ou 13. La dernière en date est Maroc médiéval (Musée du bouquetins ?), adossés. Sous les paons est Louvre, 2014-2015). Auparavant, ce tissu avait figuré dans les expositions suivantes : Les Trésors des églises de France encadrée une ligne d’inscription en arabe, (Paris, 1965) ; L’arte del tessuto in Europa (Milan, 1974) ; Les disposée en miroir, qui peut se traduire par : routes de la foi, reliques et reliquaires de Jérusalem à Compos- telle (Paris, 1983) ; Saint-Sernin, trésors et métamorphoses (Musée Saint-Raymond, Toulouse, 1989-1990) ; Al-Andalus, Las artes islámicas en España (Granada, Espagne, 1992 ; 6. Auriol (Achille), Rey (Raymond), La basilique Saint-Sernin Metropolitan Museum of Art, New York, 1992) ; Toulouse, sur de Toulouse, Toulouse, Edouard Privat, 1930. les chemins de Saint-Jacques (Les Jacobins,Toulouse, 1999). 7. Classé monument historique le 30 décembre 1897 ; 14. Andrieu (Nicole), À propos du « suaire de saint Exupère », musée Saint-Raymond, inv. SSTe9. Mémoires de la Société archéologique du Midi de la France, 8. Dimensions : H. 151 cm ; L. 287 cm. 2015, t.75, p. 173-174.

46 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 3) Suaire de saint Exupère, Toulouse, basilique Saint-Sernin,clmh 30/12/1897. de saint Exupère, « chasuble »15 en raison de dont l’historique demeure flou. Un textile sa forme, ou encore « tissu hispano-mau- en tous les cas observé, manipulé (et mal- resque à décor de paons affrontés »16. En mené) à de nombreuses reprises. Lorsqu’il 1927, Gaston Migeon mentionne ce tissu a été retrouvé, en 1846, il servait à envelop- comme provenant « de la châsse du Roi Ro- per deux paquets de reliques de saint Exu- bert »17. C’est peut-être cette information, père. Contrairement à ses prédécesseurs, d’ailleurs totalement erronée, et une origine Exupère n’avait pas été enterré dans la sicilienne supposée, qui incite Georges Costa, basilique Saint-Sernin mais dans un ora- alors inspecteur des monuments historiques, toire de la commune de Blagnac, près de la à utiliser l’appellation « chape du roi Robert » maison où il rendit l’âme vers 415, selon la dans les années 1960. tradition. Perdue, sa tombe fut retrouvée un Les fluctuations de sa désignation montrent ou deux siècles plus tard et ses ossements, bien les difficultés d’identification d’un tissu recueillis par les chanoines de Saint-Sernin et devenus reliques, furent apportés à la basilique. 15. C’est aussi la dénomination qui figure dans l’acte de reconnaissance des reliques de 1582. Ce terme est utilisé Si la tradition hagiographique a fait d’Exupère par Viollet-Le-Duc en 1858 et par Dorothy Shepherd et Gabriel Vial, chercheurs au ceita (Centre international le défenseur de Toulouse contre les Barbares, d’étude des textiles anciens) de Lyon, en 1964. C’est aussi le elle a aussi mis en exergue ses qualités de terme retenu aujourd’hui. guérisseur. Ses reliques furent alors natu- 16. Costa, 1989, p. 202-203. 17. Migeon (Gaston), Manuel d’art musulman, arts plastiques rellement réputées pour leur pouvoir thau- et industriels, T2, Paris, Auguste Picard, 1927, p. 316. maturge : elles étaient trempées dans l’eau

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 47 bénite qui était ensuite bue par les malades18. deux « chasubles de samit noires » (IIe casule On peut donc supposer que le tissu les enve- nigre de samid), conservées dans la sacris- loppant ait été maintes fois manipulé. tie19. L’une de ces deux casule est-elle le « suaire de saint Exupère », la couleur noire La châsse de saint Exupère, ouverte en 1846, pouvant être celle du fond, aujourd’hui bleu- contenait aussi un authentique acte de recon- noir ? Les reliques ont-elles été enveloppées naissance des reliques, daté du 17 janvier en 1258 dans une chasuble taillée dans ce 1582, mentionnant que, suite à des dégrada- tissu hispano-arabe ? Est-ce à ce moment tions du reliquaire (la châsse avait été dépouil- que la chasuble fut partagée en deux grands lée de ses pièces en argent), les chanoines morceaux enveloppant les reliques ? décidèrent d’entreprendre une réparation et Il est fort probable que la préciosité du samit ait « sortirent dehors le coffre les saintes reliques joué en faveur de l’utilisation du textile comme que furent trouvées en deux pacquets couverts enveloppe protectrice des saintes reliques. d’un certain drapt de soye antique ou damas vert figures à ramaiges et petits oisilons de rouge et Découpages et restaurations bleu et aultres diverses couleurs, le dict damas cousu et replié, et sembla à plusieurs avoir au- L’étoffe de soie fut vue et admirée par plu- trefois servi de chasuble à chanter messe ; plus sieurs archéologues et érudits à partir de fut trouvé un parchemin plié en long ». Puis le 1846. Arcisse de Caumont, venu à Toulouse texte précise que les reliques furent remises avec ses confrères de la Société française à leur place « avec les mêmes linges et étoffes d’archéologie pour participer au Congrès anciennes ». Dépouillée de son revêtement scientifique de septembre 1852, dresse un métallique en 1794, lors de la Révolution fran- rapport sur la basilique Saint-Sernin publié çaise, la châsse fut redorée en 1834 et repla- dans le Bulletin monumental. Il évoque des cée dans la chapelle axiale de la basilique, tissus contemporains du « suaire » de saint dite chapelle du Saint-Esprit, où elle se trouve Exupère mais « bien loin d’être comparables, encore aujourd’hui. Le parchemin de 1582 pour l’élégance du dessin, la beauté du style » faisait également état d’une translation anté- et, ajoute-t-il, « je ne connais rien de plus gra- rieure des reliques en 1258. Cette date est im- cieux que ces grands oiseaux affrontés20 ». portante dans l’histoire de la basilique : c’est En 1858, Eugène-Emmanuel Viollet-le-Duc le celle de la translation des reliques de saint publie à son tour dans le Dictionnaire raison- Sernin suite à la construction du baldaquin né du mobilier français (article « Étoffes »). Il gothique dans l’abside de l’édifice. Aurait-on donne une description succincte de cet « ad- voulu, dans un même mouvement de célébra- mirable tissu », et souligne, comme si cet élé- tion des corps saints, associer la translation ment l’avait particulièrement frappé, que « la des reliques d’Exupère à la mise en exergue/ teinture des fils de soie de ce tissu est mer- valeur de celles de Saturnin ? veilleusement belle et bien conservée21 ». Si l’on remonte encore un peu le temps, on notera que l’inventaire de 1246 mentionne 19. Le rapprochement entre le terme de samid et le suaire de saint Exupère, qui est en effet un samit, a été fait par Gwenaëlle Fellinger (voir Paris 2014, cat. 9). Cela étant dit, le terme samid ou samit est employé de façon relativement 18. Voir la légende, notamment relatée par Raymond Daydé courante durant le Moyen Âge, dans des inventaires d’églises en 1661 in L’histoire de St Sernin, ou l’incomparable trésor de ou des testaments de prélats, et il est hasardeux de penser son église abbatiale de Tolose, Toulouse, 1661, p.337-338) : que cela correspond toujours à de véritables samits, qui plus « Saint Ambroise étant travaillé de fièvres, fut miracu- est façonnés, dans l’acception actuelle du terme.... leusement guéri par les mérites de ce saint, ayant pris de 20. Caumont (Arcisse de), « Rapport verbal sur plusieurs l’eau de la purification du calice avec lequel il célébrait la excursions en France, en Hollande et en Allemagne », Bulle- sainte messe ; et encore aujourd’hui, ceux qui sont atteints tin monumental, 1854, série 2, t. 10, vol. 20, 1854, p. 47-49 et de fièvres reçoivent la même faveur, prenant de l’eau dans Caumont (Arcisse de), Abécédaire ou Rudiment d’archéologie laquelle on trempe quelques reliques de ce même saint, (architecture religieuse), Caen, Hardel, 1859 (4e éd.), p.303-305. qu’on bénit à l’honneur de Dieu, sous l’invocation dudit saint 21. Viollet-le-Duc (Eugène-Emmanuel), Dictionnaire raisonné Exupère ». Sur cette pratique, voir également Toulouse, du mobilier français de l’époque carlovingienne à la Renaissance, 1999, p. 66. T.3, Paris, Librairie Gründ et Maguet, 1858, p. 360 et planche VI.

48 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 4) Détail du suaire de saint Exupère, Toulouse, basilique Saint-Sernin,clmh 30/12/1897.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 49 fragments furent acquis par un marchand, Stanislas Baron, établi à Paris, qui en céda l’un au musée de Cluny en 1892 et l’autre au Victoria and Albert museum de Londres en 1894. Ces deux fragments, jointifs, n’en formaient qu’un à l’origine, long de 45 cm. Un troisième fragment fut acquis par le mu- sée du Bargello de Florence (legs datant de 1906) sans que l’on sache si Stanislas Baron servit d’intermédiaire.

Le « suaire de saint Exupère » connut une première restauration en 1953, confiée à Madeleine Parquet, restauratrice parisienne qui collabora à de nombreuses reprises avec le service des Monuments historiques dans les années 195025. Madeleine Parquet traita la partie gauche de la chasuble, aplanit les déformations dues à son séjour prolongé dans le reliquaire et remonta le samit sur un taffetas* de soie noir (fig. 5). En 1964, Georges Costa confia l’étude du textile à deux chercheurs du cieta (Centre International d’Étude des Textiles Anciens – Lyon), Dorothy Shepherd et Gabriel Vial, et sa restauration (fig. 5) Suaire de saint Exupère, détail de la partie gau- à Margarita Classen-Smith. Cette dernière che après restauration par Madeleine Parquet (1953), traita la partie droite de la chasuble et utilisa Toulouse, basilique Saint-Sernin, clmh 30/12/1897. une toile de coton noir en guise de support.

Selon Maurice Prin, l’un des pans de cette L’analyse technique très approfondie menée chasuble, devenu lui-même relique car par D. Shepherd et G. Vial démontre que la « imprégné de la sainteté des reliques qu’il chasuble fut taillée dans un seul pan de a entouré »22, fut exposé à partir du milieu tissu qui, tombé du métier, devait avoisiner du 19e siècle « dans une petite armoire vi- les 3 m de long pour 1,30 m de large. Elle a trée placée en arrière de la porte des pèle- aussi permis de replacer trois petits frag- rins dans la crypte de la basilique »23. Le ments séparés (peut-être à la même période second morceau fut probablement remisé à que les fragments aujourd’hui conservés à la sacristie. C’est dans la deuxième moitié Paris, Londres et Florence ?). Ces trois frag- du 19e siècle, avant 1892, que furent disper- ments et les deux grands quarts de cercles, sés trois fragments appartenant à ce même chacun monté sur un tissu de support diffé- tissu. Procéda-t-on alors à des découpages rent, ont été cousus pour l’occasion sur une ou ces morceaux étaient-ils déjà séparés ? toile de lin. Un sixième fragment ne trouvant La documentation dont nous disposons ne pas sa place dans le remontage fut cousu nous permet pas de trancher24. Deux de ces au verso pour éviter qu’il ne s’égare (sage précaution !).

22. Paris, 2014, p. 73. 23. Prin (Maurice), « Les vêtements liturgiques du couvent des frères prêcheurs de Toulouse », Mémoires de la société 25. Pour les restaurations anciennes voir Dor (Ariane), archéologique du Midi de la France, 1964, t.30, Toulouse, 1964, François (Nadège), « La restauration des textiles (protégés) [p. 123-130], p. 128. monuments historiques en Midi-Pyrénées, bilan et perspec- 24. Ces fragments ont été réunis pour la première fois dans tives », Patrimoines du sud [http://journals.openedition.org/ l’exposition Maroc médiéval (voir Paris, 2014). pds/1934], 6, 2017, p. 22-52.

50 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Depuis, aucune restauration n’a été entreprise Il apparaît également sur une photographie mais deux diagnostics poussés ont été réali- de l’ancienne présentation du trésor, au bas sés en corollaire du prêt à l’exposition Maroc d’une petite vitrine, photographie non datée Médiéval. Ces diagnostics, dressés par Nadège mais antérieure à 1965 (fig. 6). François puis Sylvie Forestier26, on souligné la grande fragilité du textile, cousu sur trois Il est constitué d’un couvercle à quatre pans supports différents (soie, coton, lin) qui ne réa- articulé par deux charnières de cuivre, dont gissent pas uniformément aux variations cli- les terminaisons sont en forme de becs matiques. Ils ont aussi révélé que les bords de pointus, tout comme la potence en cuivre, certains fragments avaient été collés lors de la sur la face antérieure du couvercle, qui peut restauration de 1964, sans doute pour limiter s’enclencher dans une serrure pour une fer- l’effilochage. Enfin, ils ont clairement pointé les meture à clef. Une petite anse en cuivre est altérations, provoquées par les diverses mani- placée sur le dessus du couvercle. Les faces pulations et la suspension épisodique du tissu du coffret sont recouvertes de plaques d’ivoire (notamment lors de l’exposition de 1999). peintes et clouées sur l’âme de bois. Les cou- leurs ne sont que partiellement conservées, Par conséquent, le diagnostic réalisé par ce sont surtout des touches de doré, de rouge Sylvie Forestier en 2015 conclut à la néces- et de vert qui ont résisté au temps. sité, pour une conservation pérenne du tex- tile, de procéder à une dérestauration et à un montage sur support rigide. Cette der- nière étude a également révélé qu’une zone centrale présentait, sur les deux fragments, des couleurs préservées. Il est envisageable que des orfrois aient été cousus sur cette zone, ce qui corrobore l’hypothèse d’une chasuble dont les ornements auraient pu être décousus soit lors de l’utilisation du vêtement, usé mais néanmoins précieux, pour envelopper les reliques, soit lors d’un inventaire postérieur.

Un coffret d’ivoire du 12e siècle27 (fig. 7 à 9)

Ce coffret en ivoire a rejoint le trésor de la basilique Saint-Sernin au 19e siècle, lorsqu’il fut transféré de la chapelle du collège de Mirepoix, menacé de destruction. Bien moins documenté que le « suaire de saint Exupère », ce coffret est mentionné en 1930 par Achille Auriol et Raymond Rey dans leur publication sur la basilique Saint-Sernin28.

26. François (Nadège), 31 – Toulouse, basilique Saint- Sernin, Constat d’état de la chasuble dite « suaire de saint Exupère », janvier 2014 et Forestier (Sylvie), 31 – Toulouse, basilique Saint-Sernin, Constat d’état du « suaire de saint Exupère », décembre 2015. 27. Classé monument historique le 30 décembre 1897 ; (fig 6) Détail de l’une des vitrines du trésor avant 1965, musée Saint-Raymond, inv. sstm1 ; dimensions : H. 10,5 cm ; Toulouse, basilique Saint-Sernin. L. 17 cm ; P. 9,5 cm. 28. Auriol, Rey, op. cit. [note 6].

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 51 (fig. 7 à 9) Coffret en ivoire, Toulouse, basilique Saint-Sernin, clmh 30/12/1897.

Des arabesques sont présentes sur les pe- La face arrière du coffret est décorée de tits côtés du couvercle et sur la face prin- sortes de petites fleurs et de divers animaux. cipale (caisse et couvercle). Ces dernières Dans ce bestiaire, on reconnaît des oiseaux, sont circonscrites par un cercle à double positionnés sur le couvercle, un paon de pro- filet. Ces arabesques étaient, à l’origine, fil, dans un cercle à double filet (dans la par- dorées sur fond rouge. À gauche et à droite tie centrale du couvercle et sur chaque petit des arabesques du couvercle sont figu- côté de la caisse), une antilope, également rés des oiseaux, une fleur dans le bec et la dans un cercle à double filet, marchant fiè- tête tournée vers ces motifs centraux. Ces rement vers la gauche, pattes avant droite et mêmes oiseaux, aujourd’hui très effacés, arrière droite levées, et enfin, encadrant ce étaient disposés de part et d’autre d’une médaillon, deux félins (lions ou panthères ?) arabesque, au centre de la caisse du coffret. tenant chacun une fleur dans son museau. Ils sont en partie recouverts par la plaque Le revêtement de la caisse est en plusieurs de serrure. Il n’est pas possible de dire si parties, de fines plaquettes d’1 cm de large une première serrure, ne masquant pas ce faisant le tour de la partie supérieure et consti- décor, a existé ou si le coffret a, dès l’ori- tuant un bandeau sur lequel court une frise gine, été conçu ainsi. épigraphique en caractères cursifs. Lucien

52 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Golvin29 qui publia ce coffret en 1973, soulignait Bibliographie les difficultés de lecture de cette inscription Costa (Georges), « Le rétablissement du « Tour mais déchiffrait les mots « Izz idûm » (« gloire des corps saints » et l’aménagement du trésor de durable »). Saint-Sernin », Saint-Sernin de Toulouse, trésors et métamorphoses, catalogue d’exposition, Toulouse- Ce type de coffret orné d’animaux et de Paris, Toulouse, Musée Saint-Raymond, 1989. fleurs est connu par divers exemplaires sou- vent attribués à des productions siciliennes Le Maroc médiéval : un empire de l’Afrique à l’Es- du 12e siècle. Fabriqués pour une clientèle pagne, catalogue de l’exposition, Paris, musée du chrétienne par des artisans de tradition Louvre, 17 octobre 2014-19 janvier 2015, Rabat, islamique, ces coffrets qui ont pu servir musée Mohammed VI, 2 mars-1er juin 2015, Paris, d’écrin pour des objets précieux ont souvent Hazan ; musée du Louvre, 2014. rejoint les trésors d’églises pour servir de réceptacles à des reliques. Le coffret le plus proche de celui de Saint-Sernin, par sa fac- ture et son décor, est conservé dans le trésor de la cathédrale de Sion, en Suisse. Deux autres coffrets présentent une forme différente (couvercle plat) mais un décor très similaire à celui de Toulouse : le reliquaire d’Apt (cathédrale Sainte-Anne)30 et un cof- fret conservé au musée de Glasgow (Écosse, Royaume-Uni)31. Les animaux (paons, ga- zelles, félins) cernés d’un double-filet sont identiques à ceux de Toulouse, de même que les oiseaux tenant une fleur dans le bec et les motifs floraux. Ces similitudes laissent sup- poser un même atelier pour ces différentes productions. Ces ateliers ont souvent été situés en Si- cile, cependant, la découverte d’éléments de coffrets (plaquettes d’ivoire et ferrures) dans des contextes archéologiques datés (première moitié du 12e siècle) dans le sud de l’Espagne et au Maroc32 offre de nouvelles perspectives à l’étude de ces objets précieu- sement conservés dans les trésors d’églises et dont l’histoire est à reconstruire.

[CJA]

29. Golvin (Lucien), « Notes sur quelques objets en ivoire d’origine musulmane », Revue de l’Occident musulman et de la Méditerranée, n°13-14, 1973, p. 413-436. 30. op. cit., p. 425-436. 31. Inv. BC 21.1. Voir http://islamicart.museumwnf.org/ database_item.php?id=object;ISL;uk;Mus04;3;en&pageD=N [consulté le 22/01/2020]. 32. Paris, 2014, p. 79-80.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 53 Les objets en cristal de roche islamiques conservés en Espagne et leur origine1

Le nombre de pièces de cristal de roche d’Orense (8), d’Astorga (Léon) (1) et de actuellement cataloguées en Espagne Tolède (2) –, des couvents – San Clemente s’élève à quarante et un. À ce chiffre il faut (Tolède) (1) (fig. 2) –, des monastères – San en rajouter une, publiée de manière géné- Millán de la Cogolla de Yuso (La Rioja) (3), rale par Manuel Gómez-Moreno en 1951, Cañas (La Rioja) (1) –, des églises – Cole- malheureusement non localisée2. Celles giata de San Salvador de Oña (Burgos) (1), du premier groupe se trouvent dans des San Pedro et San Ildefonso de Zamora (1) – musées – musée Archéologique National et au musée du site de Madinat al-Zahra’ (1). (Madrid) (1), musée de l’Alhambra (Gre- On peut affirmer que la grande majorité de nade) (1), musée Provincial et Diocésain de ces pièces sont stockées depuis au moins Lérida (20) –, des cathédrales – cathédrale cent ans dans leur lieu actuel de conser- vation, sauf celles du musée Archéologique National et du musée de l’Alhambra3, dont 1. Ce travail n’aurait pu être réalisé sans le financement de l’origine n’est pas connue. la Fondation Max van Berchem (Genève) et sans le soutien du Deutsches Archeologisches Institut (Madrid et Berlin) et du Conjunto Arqueológico de Madinat al Zahra’- Junta de Comme caractéristique formelle, il est Andalucía. important de signaler que la majorité des 2. Gómez-Moreno, 1951, III, p. 341. objets sont des pièces d’échecs (31) et des flacons (10), complets ou incomplets. Tous sont de petite taille et ont été utilisés comme reliquaires ou ornements pour des objets liturgiques en lien avec le culte. Seule la bouteille d’Astorga, à laquelle il manque une grande partie du col, et le flacon du musée Archéologique National de Madrid (fig. 1), qui est très lourd, sont de plus grande taille. Celui du musée de Lérida paraît avoir eu la forme d’une meule. Les pièces d’échecs sont également de petite taille.

Quant à la matière première dans laquelle ils ont été taillés, c’est-à-dire le cristal de roche, il convient de noter son extraordinaire transparence, sans impuretés. Seul le flacon de Oña présente un léger blanchiment et une des pièces d’échecs du musée de Lérida est d’une couleur légèrement noire, sans nuire à sa transparence. Il est évident que dans tous les cas, le matériau a été soigneusement sélectionné à partir d’une matière première de grande qualité.

(fig. 1) Flacon en cristal de roche, Madrid, musée archéologique national, inv. 62317. 3. Casamar, Valdés, 1999a et b.

54 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 2) Flacon en cristal de roche, Tolède, couvent de San Clemente.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 55 Décoration J. Lamm à l’Égypte5, comme avant lui M. H. Longhurst et d’autres auteurs6. La base de Les flacons et les pièces d’échecs sont toutes les hypothèses concernant l’origine de décorés dans presque tous les cas. Certains la fabrication des cristaux de roche reposait d’entre eux sont sculptés en relief et d’autres alors sur les informations contenues dans incisés, en particulier les pièces d’échecs. les textes arabes7. La bouteille d’Astorga et le flacon de San On peut affirmer que, depuis l’apparition de Clemente, plus petits, sont des pièces d’une l’ouvrage de C. J. Lamm, nous n’avons que exceptionnelle qualité. Au contraire, celles légèrement modifié notre opinion sur ces du monastère de Cañas et de l’Alhambra ont pièces « égyptiennes » grâce aux travaux un motif décoratif plus classique, différent de K. Erdmann8 et de R.H. Pinder-Wilson 9. de celui observé dans les autres cas, et plus Le premier a établi, d’une manière évolu- grossier. tionniste et linéaire, la possibilité d’une Les pièces d’échecs sont massives et à base continuité entre une production répu- plate, plus ou moins circulaire ou ovale ; les tée antérieure, située en Irak – peut-être flacons sont cylindriques ou de forme lan- Basra – et la période des Tulunides (868- céolée et il y a un exemple – à Lérida – en 905), en Égypte, qui aurait connu diverses forme de meule. La bouteille d’Astorga est phases jusqu’à la disparition de l’industrie presque sphérique. manufacturière au 11e siècle, pendant le Les motifs décoratifs sont très simples, for- califat fatimide. Le second a établi, à partir més par quelques lignes, avec des rinceaux des inscriptions arabes de certaines pièces stylisés. Le flacon de San Clemente est mentionnant le nom d’un personnage, une lisse, avec seulement deux moulures cordi- chronologie absolue. Il a ainsi classé cer- formes latérales. Les flacons cylindriques tains des exemples les plus notoires, sans sont ornés de décoration florale. Celui de résoudre ni le problème des origines de la Madrid présente deux aigles affrontés sur fabrication, ni celui de l’existence hypothé- chaque face et une des trois pièces de San tique de plus d’un centre, ni celui de la pos- Millán de la Cogolla un éléphant schéma- sibilité que plusieurs ateliers aient coexisté tique, dessiné par incision. Seul l’exemple en travaillant simultanément. de Madrid présente une inscription arabe À l’appui du premier de ces deux cher- en relief. cheurs, c’est-à-dire de la théorie évolution- niste à partir d’un seul centre de production Théorie sur le cristal de roche islamique plus ancien et oriental que l’Égypte fatimide, est parue, en 1983, la publication de S. D. Dans les années 1920-1930 le chercheur Carl Goitein10, qui reprend un texte issu de la J. Lamm publia un ouvrage encyclopédique Geniza du Caire. Il est fait mention dans ce contenant la totalité des fragments de cris- document de l’envoi de trois objets en cristal tal de roche connus jusqu’alors4. L’un de ses de roche du Yémen à l’Égypte (début 1150). chapitres est consacré au cristal de roche islamique provenant selon lui du Moyen- 5. Falke (Otto von), « Gotisch oder Fatimidisch », Pantheon, Orient. Ce n’était pas le premier travail n° 5, 1930, p. 120-128. consacré à l’analyse de ce type d’objets, mais 6. Schmidt, 1912; Longhurst (Albert Henry), « Some Crystals le premier à rassembler tous les exemples of the Fatimid Period », The Burlington Magazine, n° 48, 1926, publiés et à essayer d’établir une classifica- p. 149-155. 7. Kahle, 1936 ; Canard (Marius), « Fatimides », Encyclope- tion et une chronologie. La même année, en dia Islamica2, II. Leiden/Paris, 1977, p. 877-878; Nanji (Azim), 1930, Otto von Falke souleva de nouveau la « Nasir-i Khusraw », Encyclopedia Islamica2, Leiden/Paris, question de l’origine des cristaux de roche 1993, p. 1007-1009. 8. Erdmann, 1951, p. 144-145. fatimides, qu’il attribuait au contraire de C. 9. Pinder-Wilson, 1954, p. 84-85. 10. Goitein (Shlomo Dov), A Mediterranean Society. The Jewish Communities of the Arab World Portrayed in the Documents of the Cairo Geniza. IV. Daily Life, University of California Press, 4. Lamm, 1929/30, p. 177-240, pl. 64-88. 1983, p. 223-224.

56 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Malgré son caractère général, la mention Chronologie schématique peut être interprétée, avec autant d’argu- des pièces espagnoles ments pour et contre, comme un indice de l’existence d’un centre de fabrication au Seuls certains objets en cristal de roche Moyen-Orient. conservés en Espagne sont relativement Peu de progrès ont été accomplis depuis bien datés, fournissant des jalons histo- dans la détermination de l’origine et de riques pour le corpus. Il faut écarter le la chronologie de la grande majorité des flacon du musée de l’Alhambra (Grenade) objets en cristal de roche connus, sans (n° d’inv. : 4620)15, acquis il y a quelques qu’il n’y ait aucune proposition préconçue 11 années et celui du musée Archéologique ou bien forçant l’information disponible au National (Madrid), d’origine inconnue16. La profit d’une autre théorie, comme l’a fait partie du flacon de l’église San Pedro et San H. Wentzel12, dans la tentative de démon- Ildefonso (Zamora)17 n’ajoute rien en termes trer l’influence artistique de l’impératrice de chronologie, car elle fut utilisée dans un Theophanu (c. 955-990) princesse byzantine calice du 16e siècle, avec d’autres pierres mariée à l’empereur Otton II (c. 955-983), d’origine différente, réunies par un atelier sur l’art ottonien. L’important travail ulté- d’orfèvre. Les deux fragments de cristal rieur de A. Shalem13 a permis d’éclaircir les de roche conservés dans le reliquaire de la aspects symboliques des objets en cristal cathédrale de Tolède18 et celui du couvent de de roche, mais pas de déplacer les jalons San Clemente de la même ville ont connu le chronologiques. même sort19. En l’absence d’autres preuves, tous les Le flacon stocké dans le monastère de auteurs semblent se mettre d’accord sur le Cañas (La Rioja)20 fournit une date assez fait que la fin de la fabrication des objets en précise de son arrivée et on peut dire avec cristal de roche appelés fatimides corres- certitude qu’il n’a jamais changé de lieu pond au moment où la collection du calife de dépôt. Il n’a pas pu y arriver avant la al-Mustansir (1036-1094) est dispersée. La disponibilité soudaine sur le marché d’un grand nombre d’objets, dont beaucoup 15. Casamar (Manuel), « Esenciero », Arte islámico en Granada. Propuesta para un Museo de la Alhambra, Catalogue d’entre eux de haute qualité, aurait coulé d’exposition, Grenade, Museo de la Alhambra, 1er avril- l’industrie du cristal de roche et définitive- 30 septembre 1995, Junta de Andalucía - Patronato de la ment interrompu son activité14. Alhambra y del Generalife, Grenade, 1995, p. 498, n° 252 ; Valdés, 2007, p. 95, figs. 5 a. b. 16. Gómez-Moreno, 1951, p. 341, fig. 403 a ; Pinder-Wil- son, 1954 ; Ezzy (Wafiyya), Pinder-Wilson (Ralph H.) « Rock Crystal and Jade », The Arts of Islam, Catalogue de l’exposi- tion, Londres, Hayward Gallery, 8 avril-4 juillet, 1976, p. 128, nº 110; Zozaya, (Juan), « Antigüedades andalusíes de los 11. Philippe (Joseph), « Reliquaires médiévaux de l’Orient siglos VIII al XV », Museo Arqueológico Nacional. Edad Media, chrétien, en verre et en cristal de roche, conservés en Museo Arqueológico Nacional, Madrid, 1991, p. 65 ; Zozaya Belgique (y compris la fiole du Saint-Sang de Bruges) », (Juan), « Importaciones casuales en al-Andalus », IV Congre- XX Corso di Cultura sull’arte ravennate e Bizantina. Ravenne, so de Arqueología Medieval Española, Alicante, 1993, p. 123, 1973, p. 363-382 ; Philippe (Joseph), « Le cristal de roche et fig. 6 b ; Casamar, Valdés, 1996, p. 67. la question byzantine », XXVI Corso di Cultura sull’arte raven- 17. Gómez-Moreno (Manuel), Catálogo Monumental de nate e bizantina. Ravenne, 1979, p. 235. España. Provincia de Zamora (1903 - 1905), Madrid, Ministerio 12. Wentzel (Hans), « Bergkristall », Reallexikon zur Deutschen de Instrucción Pública y Bellas Artes, 1927, p. 158, pl. 170 ; Kunstgeschichte. T. II. Stuttgart-Waldsee, 1948, p. 275-298 ; Casamar, Valdés, 1996, p. 67– 69 ; Valdés, 2007, p. 92–94, Wentzel (Hans), « Das byzantinische Erbe der ottonischen figs. 2 a–3 a. Kaisar Hypothesen über den Brauschatz der Theophanu ». 18. Revuelta et al., 1989, p. 308, pl. 108; Casamar, Valdés, Aachener Kunstbläter, n° 43, 1972, p. 11-96. 1996, p. 67 ; Casamar, Valdés, 1999a, p. 370, fig. 5. 13. Shalem, 1996. 19. Martínez (Balbina), Conventos de Toledo. Toledo, castillo 14. Kahle (Paul E.), « Die Schätze der Fatimiden », Zeitschrift der interior, Madrid, 1990, p. 94 ; Revuelta et al., 1989, p. 72 ; Deutschen Morgenländische Gesellschaft, n° 89, 1935, p. 329-362 ; Casamar, Valdés, 1996, p. 67 ; Casamar, Valdés, 1999a, Kahle, 1936 ; Ibn Zubayr, Book of Gifts and Rarities (Kitab al-Hu- p. 370, fig. 4. daya wa al-Tuhaf), traduit et annoté par Ghada al-Hijjawi al-Qad- 20. Casamar, Valdés, 1996, p. 67 ; Casamar, Valdés, 1999a, dumi, Cambridge, Harvard University Press, 1996. p. 370, fig. 6 ; Valdés, 2007, p. 94-99, fig. 4 b.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 57 (fig. 3) Bouteille, León, cathédrale d’Astorga.

58 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie fondation du monastère, en 1169 ou 1170 21. ornement d’un autre objet – boîte ou reli- La pièce n’est pas de grande qualité et res- quaire –, sans remplir leur fonction originelle. semble à celle du musée de l’Alhambra. 28 Mais la construction du monastère est trop Flacon d’Oña (Burgos) tardive pour préciser les dates de fabrica- Il n’a pu parvenir au monastère avant sa date tion de ce type de pièces. de la fondation en 1011. C’était peut-être un Seuls les objets conservés au musée de la cadeau du comte fondateur Sancho Garcés cathédrale d’Astorga (León)22 (fig. 3) et à la (c. 965/6-1017) ou de Sancho III de Navarre collégiale de San Salvador de Oña (Burgos)23, (992-1035), comte de Castille, vers 1033. Dans ainsi que ceux provenant des monastères les deux cas, nous placerions l’arrivée de la de Celanova (Orense)24, Àger (Lérida)25 et pièce dans la première moitié du 11e siècle. San Millán de la Cogolla de Yuso (La Rioja)26 donnent des jalons suffisamment anciens et Figures d’échecs d’Àger (Lérida) fiables pour situer la période de diffusion dans Celles conservées au musée de Lérida et au la Péninsule Ibérique des cristaux de roche. musée du Koweït. Elles ont pu faire partie du En partant du principe que les objets n’ont butin de guerre de la veuve du comte Armen- pas pu atteindre les églises, les cathédrales gol Ier d’Urgel (974-1010) après la campagne ou les monastères avant leur fondation, nous de Cordoue, en 1010, au cours de laquelle il pouvons essayer de fixer ce moment : a trouvé la mort. Il n’est pas exclu, ni certain, que le comte ait déjà eu une forme de cristal Pièces d’échecs de Celanova de roche avant de partir pour la capitale du Le monastère fut fondé et construit à partir de Califat. Selon mon point de vue actuel, il est 937. La tradition locale les associe à Rudesin- plus probable qu’il soit arrivé à Àger après dus, abbé entre 959 et 97727. Malgré l’ambiguïté la conquête définitive de la population par de toutes ces informations, elles seraient les le chevalier Arnau Mir de Tost (c. 1050) et la pièces les plus anciennes documentées en rédaction de l’inventaire de ses biens (1071) Espagne. On ne sait pas si elles sont arrivées où sont mentionnés des jeux d’échecs. Arnau seules ou ont fait partie d’un jeu d’échecs décéda sans héritiers masculins directs, ce complet, ni si elles ont été utilisées comme qui laisse penser que le cadeau à la collégiale a eu lieu après 1071.

21. Casamar, Valdés, 1996, p. 67. Pièces d’échecs de San Millán de la Cogolla 22. Schmidt, 1912, p. 65 ; Lamm, 1929/30, p. 197, pl. 67, 11; de Yuso (La Rioja)29 Erdmann, 1951, p. 146; García (Rosario), Valdés (Fernando), « Acerca del origen y de la cronología de los cristales de Il semble qu’elles ornaient déjà le reli- roca llamados fatimíes: el vidrio de Badajoz y la botella quaire du saint, commandé par Sancho III de de Astorga », Cuadernos de Prehistoria y Arqueología de la Universidad Autónoma de Madrid, nº 26, 1996, p. 260-276 ; Navarre (992-1035) en 1030. Casamar, Valdés, 1999a, p. 371, fig. 13. 23. Casamar, Valdés, 1996, p. 67 ; Casamar, Valdés, 1999a, Bouteille d’Astorga p. 376-378; Casamar, Valdés, 2002, p. 166-168; Valdés, 2015. Il est fort probable qu’elle y soit arrivée sous 24. Gómez-Moreno, 1919, p. 239-241 ; Lamm, 1929/30, p. 496 ; Casamar, Valdés, 1996, p. 67 ; Shalem, 1996, p. 190, le règne d’Alphonse VI (1047/48 - 1109), vers n° 13 ; Valdés (Fernando), Las figuras de ajedrez y cristal de 1069, avec la consécration de la première roca del Museo Catedralicio de Ourense, Ourense, Grupo Fran- cathédrale dédiée à Sainte-Marie. cisco de Moure, 2004. 25. Casamar, Valdés, 1996 ; Shalem, 1996, photo. 189, n° 20; De tout cela, nous pouvons en déduire Zozaya (Juan) « El objeto de arte como expresión del poder que, à l’exception des pièces d’échecs de califal », El Islam en Cataluña, Barcelone, Institut Català de Celanova, qui ont peut-être atteint leur la Mediterrània/Museu d’Historia de Catalunya/Lundwerg destination au 10e siècle, toutes les autres editores, 1998, p. 119; Casamar, Valdés, 1999a, p. 376-378. 26. Casamar, Valdés, 1999a, p. 372-376 ; Casamar, Valdés, pièces de cristal de roche espagnoles sont 2002, p. 162-166. 27. Dans une donation faite au monastère de Celanova (Orense) et datée de 942, il est question de « […] vasa vitrea: 28. Casamar, Valdés, 2002, p. 166-168 ; Valdés, 2015. concas aeyrales II, arrodomas aeyrales IX », voir Sánchez- 29. Casamar, Valdés, 1999a, p. 372-376 ; Casamar, Valdés, Albornoz, 1978, p. 188. 2002, p. 162 – 166.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 59 arrivées dans leur lieu actuel de conserva- situées à l’angle sud de la maison occiden- tion au 11e siècle. Ces objets sont parvenus tale des domestiques et faisait partie, à son dans la Péninsule Ibérique à la fin du califat tour, du réseau d’assainissement de l’alca- de Cordoue ou au début des Royaumes de zar31. Cette zone présente, selon son fouil- Taïfas, comme objets de commerce ou de leur32, des caractéristiques architecturales butins de guerre. remarquables qui permettent de l’attribuer La période coïncide justement avec celle de à la résidence d’un grand personnage, la plus haute activité des ateliers du Caire, peut-être même Ya’far b. ‘Abd al-Rahman avant la fin brutale de leur production, entre (891 – 961), affranchi de ‘Abd al-Rahman III 1060 et 1071, selon la théorie bien fondée qui, pendant les dernières années du règne de K. Erdmann30. Mais la distribution de ce de ce monarque, fut chef des écuries et du type d’objets dans la Péninsule Ibérique a pu tiraz et, à la mort du calife, promu hayib par transiter par Cordoue, et ce dès avant la pro- al-Hakam II (915 – 976). Cette nomination clamation du califat omeyyade* en 929. On a conduit à la restructuration d’une partie a toujours considéré – et je partage ce point de la ville palatine, édifiée durant le règne de vue – que les œuvres de ce type arrivaient de ‘Abd al-Rahman III. Une partie des rési- depuis l’Égypte par la voie méditerranéenne. dences royales ont alors été rénovées et Nous n’avons jamais pensé que certaines la Casa de Ya’far a été construite, comme pourraient provenir d’une fabrication locale, cela a été démontré par plusieurs chapi- jusqu’à ce que la découverte de deux objets teaux retrouvés en fouilles33, datables par issus de fouilles programmées, soulève cette leurs inscriptions du 10e siècle : l’un, dans hypothèse pour la première fois. les premières années du règne d’al-Hakam II, qui débute en octobre 961 34, l’autre en La trouvaille de Madinat al-Zahra’ 964/5 et le dernier entre 972 et 975. La construction de la Casa de Ya’far a néces- Ces objets ont été découverts lors de fouilles sité la destruction de trois anciennes mai- effectuées récemment dans la ville-palais sons35. Comme le décrit A. Vallejo36, le de Madinat al-Zahra, construite par le calife nouveau bâtiment présente une distribution omeyyade de Cordoue ‘Abd al-Rahman III complexe, avec trois domaines. Par la suite, (891-961). Il s’agit d’un fragment de cou- ce même logement a été l’objet de légères vercle hémisphérique – 23,39 mm de hau- rénovations. Selon A. Vallejo37, il faut ratta- teur x 27,08 mm –, avec un petit pédoncule cher à cette phase les couples de chapiteaux sur sa partie supérieure – 8,30 x 8,30 mm - et les bases datées autour de 97238, après le (nig : 24258) (fig 4). Le bord est plat et porte décès de Ya’far b. ‘Abd al-Rahman et le trans- une moulure périmétrique. Entre celle-ci et fert du fatà Fa’iq b. al-Hakam, qui lui succéda le bord, la surface n’est pas complètement dans l’exercice de ses fonctions. lisse. Il présente une certaine irrégularité, presque invisible à l’œil nu, probablement délibérée, pour provoquer un certain frot- tement avec le bord du vase – une fiole de 31. Pendant la « Intervención Arqueológica de apoyo al forme sphérique ou cylindrique avec un proyecto de Consolidación de las Viviendas de Servicio y court cou – afin que le couvercle se res- Patio de los Pilares (Fase 1) » voir Vallejo (Antonio), La ciudad serre. La pièce est apparue en 1995, faisant califal de Madinat al-Zahra’. Arqueología de su excavación, Jaén, Ed. Almuzara, 2010, p. 470-471. partie du sédiment d’un égout, au-des- 32. Ibid., p. 471. sous d’une des dépendances secondaires 33. Martínez (María Antonia), « Epígrafes a nombre de de l’ensemble architectural connu sous le al-Hakam en Madinat al-Zahra’ », Cuadernos de Madinat al-Zahra’, nº 4, 1999, p. 83-103. nom de Casa de Ya’far (fig. 5). Ce conduit 34. Ocaña (Manuel), Al-Hakam al-Mustansir bi-llah, el segundo recueillait les rejets provenant des latrines califa de Córdoba, Cordoue, 1976, p. 2. 35. Vallejo, Montejo, García, 2004, p. 204-206. 36. Vallejo, op. cit., p. 490. 37. Ibid. 30. Erdmann, 1951, p. 144. 38. Martínez, op. cit.

60 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 4) Couvercle de cristal de roche découvert en fouilles à Madinat al Zahra’.

Sous la maison circule un réseau d’égouts complet pourrait avoir une forme semblable dans lequel notre couvercle a été trouvé 39. à celle de la pièce conservée dans le trésor Nous pouvons en déduire que le rejet de la de Saint-Marc de Venise40. pièce de cristal dans les égouts a dû avoir lieu entre 964/65, lors de la construction Y a-t-il eu à Madinat al-Zahra’ un atelier de de la Casa de Ya’far, et le changement sculpture de cristal de roche ? d’usage de la maison, après 972/3, et, plus précisément, lorsque ce lieu a cessé de En outre, quelques fragments de cristal remplir son usage officiel. Pour nous, la de roche brut (n° inv. : S/P 142)41 (fig. 6), date la plus importante est précisément conservés dans les entrepôts d’al-Zahra’, la première, au moment de la construction ont été retrouvés avec d’autres matériaux de la résidence, lors de la transformation au cours d’anciens travaux menés sur le site de la zone et la réforme des logements de archéologique. Ils proviennent de fouilles fonction, construits sous le règne de ‘Abd effectuées dans le secteur de l’alcazar, al-Rahman III, ainsi que l’agrandissement sans contexte stratigraphique ni localisation partiel de l’égout, où la découverte a eu exacte connus. Il est très peu probable que lieu. Cela signifierait que le couvercle en ces morceaux de cristal de roche soient arri- cristal de roche était déjà à Madinat al- vés dans la ville après le pillage et la des- Zahra en 964, ce qui lui donne une datation truction du palais. Ils ne sont pas très usés. relative plus ancienne et plus exacte que Même si nous ne pouvons pas argumenter les autres objets de son genre conservés à l’appui d’une stratigraphie connue, il est en Espagne. évident que leur présence dans un contexte Il est difficile de savoir à quoi ressemblait le général comme celui de Madinat al-Zahra support sur lequel se vissait le couvercle. Ce ne peut que surprendre. n’était certainement pas un flacon de petite taille. Sa forme est étrange et s’éloigne de ce qui est connu jusqu’à présent. L’objet 40. Lamm, 1929/30, I, p. 202–203; II, pl. 68 : 17; Grube (Ernst J.) « Alto vaso in cristallo di roca », Eredità dell’Islam : arte islamica in Italia, Catalogue d’exposition, Venise, Palazzo ducale, 30 octobre- 39. Vallejo, Montejo, García, 2004, p. 204-205, fig. 7. Dans la 30 avril 1994, Venise, Silvana Editoriale, 1993, p. 145-46, n° 55. restitution des résultats, cet objet n’est pas mentionné. 41. Le majeur pèse 25,8 grammes et le mineur 11,7 grammes.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 61 VIVIENDA DE SERVICIOS OESTE (C_11)

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(fig. 5) Madinat al-Zahra’. Lieu de la découverte. En grisé, en haut : emplacement général à l’Alcazar ; en bas : emplacement dans la Casa de Ya’far.

62 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Origine de la matière première auteurs, comme al-Bakrí46 et ‘Udrí47. Mais quelles que soient ses informations, il La fréquence avec laquelle les objets en s’avère qu’elles sont exactes. Il existait en cristal de roche sont mentionnés dans les effet à quelques kilomètres de Badajoz (Bata- chroniques arabes et latines du 10e siècle est lyaws) un endroit où l’on extrayait du cristal surprenante42. Leur énumération fait partie, de roche. Il ne s’agissait évidemment pas de manière presque systématique, des objets d’un gisement isolé, mais d’un filon, suffi- de cour, des cadeaux remis ou envoyés par samment important pour alimenter réguliè- la chancellerie califale aux personnages rement un atelier spécialisé dans le travail de illustres. D’autre part, il ne faut pas non plus cette matière. ignorer l’importance du commerce dans sa Comme mentionné précédemment, il n’existe diffusion. aucune preuve géologique de la présence Pline l’Ancien a souvent été cité comme l’un de cristal de roche dans la région de Cordoue, des premiers auteurs à décrire le cristal ce qui laisse supposer que nos fragments de roche et ses lieux d’origine. Toutefois, je faisaient partie d’un lot de matière première trouve surprenant qu’on n’ait pas remar- importé. En conséquence, on peut propo- qué que l’auteur latin cite entre autres les ser l’existence d’une production d’objets Ammaiensis iugis (Pline l’Ancien, xxxvii, 24 de ce type – flacons, bouteilles, etc. – dans et 127)43. Récemment, les travaux publiés les ateliers de la ville palatine. Le fait peut concernant la ville romaine d’Ammaia – dis- sembler étrange à cause de l’absence de trict de Portalegre, région de l’Alentejo (Por- tradition antérieure – ni pré-andalouse, ni tugal) – très proche de la frontière espagnole, andalouse – dans la fabrication de cris- semblent indiquer que la prospérité écono- tal de roche. Nous connaissons l’arrivée mique de cette ville durant le Haut Empire d’artisans spécialisés à Samarra’ (Irak), est due à l’extraction et le commerce de cer- au moment de sa fondation par le calife taines matières premières d’origine minérale ‘abbasside al-Mu’tasim (835)48 et nous sup- et, parmi elles, du cristal de roche, qui y était posons que les califes omeyyades d’Occi- particulièrement abondant44. Cette informa- dent ont agi de la même manière en édifiant tion semble avoir été reprise par l’auteur Madinat al-Zahra’. Cette importation de maghrébin ‘Abd al-Mu’nim al-Himyari dans main-d’œuvre qualifiée ne se limiterait son livre Rawd al-Mi’tar45. Cet auteur ne peut pas à l’arrivée d’ouvriers liés aux ouvrages pas être considéré comme une source de architecturaux, mais également des arti- première main, mais plutôt comme un com- sans capables de produire des objets de pilateur d’informations provenant d’autres luxe non seulement pour la consommation de la cour, mais aussi comme preuve de richesse et de pouvoir, car beaucoup étaient 42. Gómez-Moreno, 1919, 341 ; Sánchez-Albornoz, 1978, p. 188, destinés à des cadeaux de cour et possé- 199, 205. Le terme redomas est mentionné dans divers documents : Celanova, daté en 942, (Sánchez-Albornoz, 1978, p. 188); Lugo, dans daient un caractère propagandiste. C’est le un don de l’évêque Pelayo daté en 998 (Sánchez-Albornoz, 1978, cas des ivoires49. p. 188); Lalín (Pontevedra), un don d’Adosinda au monastère de San Martín (Sánchez-Albornoz, 1978, p. 188); San Isidoro de León, dans la donation du roi Ferdinand erI et de la reine Sancha en 1063 (Sánchez-Albornoz, 1978, p. 188). 46. Vidal Beltrán (Eliseo) (éd.), Abu Ubayd al-Bakri, Geografía 43. Il mentionne le témoignage d’un certain Cornelius de España (Kitab al-Masalik wa-l-Mamalik), Saragosse, Bocchus et cite deux fois, en ce qui concerne l’extraction du Ed. Anubar, 1982. cristal de roche, les termes de Hispania (§ 127) et de Lusi- 47. Molina (Luis), « Historiografía », Los Reinos de Taifas. tania (§ 24). Al-Andalus en el siglo XI, Historia de España Menéndez-Pidal, 44. Taelman (Devi) et al., « The Stones of Ammaia: Use and Coordinación y prólogo Mª. Jesús Viguera Molins, Vol. VIII.2, Provenance », Interdisciplinary Studies on Ancient Stone. Madrid, Ed. Espasa-Calpe, 1994, p. 17. Proceeding of the Association for the Study of Marbles and 48. Herzfeld (Ernst), Geschichte der Stadt Samarra, Die Other Stones in Antiquity, Tarragone, Institut Català d’Arqueolo- Ausgrabungen von Samarra, VI, Hamburg, Eckardt, 1948, p. 97. gia Clàssica, 2012, p.117-126. 49. Valdés (Fernando), « Manufacturas palatinas, objetos de 45. Lévi-Provençal (Evariste), La Péninsule Iberique au Moyen corte, regalos de embajada en la Córdoba omeya », in Islamic Âge d’après le Kitab ar-Rawd al-Mi’tar fi habar al-Aktar d’Ibn Artefacts in the Mediterranean World. Trade, Gift, Exchange and al-Munim al-Himyari, Leiden, 1938, p. 3 § 6. Artistic Transfer, Venise, Marsilio, 2010, 63-70.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 63 L’hypothèse de l’existence d’une manufacture les œuvres en ivoire52. Mais jusqu’à présent, locale de cristal de roche, alimentée par des nous manquions – en Espagne et en dehors artistes étrangers attirés par la cour omeyyade, – de la moindre preuve matérielle découverte peut être envisagée pour la première fois, dans un contexte archéologique connu. Et les même si l’analyse stylistique des pièces n’aide autres théories proposées au fil des années pas pour le moment à la confirmer. Alors que ne se sont appuyées que sur des sources les spécialistes des productions en ivoire documentaires et sur les analyses stylistiques parlent de l’imposition d’un style décoratif cor- ou épigraphiques de certains exemplaires, dobés dans les œuvres des artisans venus de toujours étudiés hors contexte. La première l’extérieur d’al-Andalus*50, rien de semblable méthode est pour le moins incertaine, et la n’a été observé jusqu’à maintenant dans les seconde très limitée. productions en cristal de roche. Les détails Dans le cas étudié ici, la somme des preuves décoratifs des pièces les plus élaborées ne fournies par la présence d’un couvercle et de coïncident ni avec ceux de l’ornementation fragments de cristal brut sont un argument pariétale des bâtiments de la cour51, ni avec

52. Ewert (Christian) « Die pfanzlichen Dekorelemente der 50. Valdés (Fernando), « Algo más sobre los marfiles de Elfenbeinskulpturen des Kalifats von Córdoba im Vergleich Madinat al-Zahra «, Madrider Mitteilungen, nº 54, 2013, 528-547. mit dem westislamischen plastischen Bauschmuck des 51. Ewert (Christian), Die Dekorelemente der Wandfelder im 10.-12. Jhs. », Madrider Mitteilungen, nº 49, 2008, p. 451-542 ; Reichen Saal von Madinat al-Zahra’: eine Studie zum westu- Ewert (Christian), Die pflanzlichen Dekorelemente des Elfen- maiyadischen Bauschmuck des hohen 10. Jahrhunderts, beinskulpturen des Kalifats von Córdoba, Madrider Beiträge Madrider Beiträge, 23, Mainz, Reichert, 1996. 31, Wiesbaden, Reichert, 2010.

(fig. 6) .Fragments de cristal de roche brut, Madinat al-Zahra’.

64 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie favorable à la théorie d’une production locale, Si nous acceptons les arguments avancés dans mais ne suffisent pas à tirer des conclusions. les études consacrées aux objets sculptés La quantité de matières premières est très en ivoire, nous pouvons en déduire quelques faible et son contexte n’est sûr que dans un conclusions applicables aux oeuvres en cristal cadre spatial général, car il se situe, sans de roche. De toutes les pièces de cette matière autre précision, dans le palais d’Al-Zahra’, ce élaborées pendant le califat de Cordoue et qui permet de tracer une date ante quem pour arrivées jusqu’à nous, aucune ne mentionne son inhumation par rapport au moment du qu’elle ait été produite dans cette ville et quinze pillage et de la destruction de la ville (1010). seulement portent une inscription, mais elles Le couvercle, quant à lui, nous donne une date ne contiennent pas toutes une date. Il n’y en a très approximative pour son abandon et permet que six qui portent l’année de leur fabrication. donc de préciser une valeur temporelle relative Il s’avère que la plupart de ces objets ont été pour tous ceux de sa série. Elle ouvre cepen- fabriqués à la fin du règne de ‘Abd al-Rahman dant une interrogation d’une part sur sa forme, III et pendant celui d’al-Hakam II, plus précisé- étrangère à tout ce qui est connu aujourd’hui et ment pendant la période où l’atelier d’ivoirerie d’autre part sur son absence de toute décora- était dirigé par le fatà Durri al-Sagir (? – 976)53. tion. Sa rareté typologique dériverait-elle de sa Tous les autres exemplaires ont été datés par possible fabrication locale, liée à son tour aux comparaison stylistique, ce qui entraîne une morceaux de matières premières non travail- incertitude chronologique. lées apparus à Al-Zahra’? Mais si nous nous Par analogie, on pourrait supposer que l’atelier appuyons sur les informations contenues dans de taille du cristal de roche – et en supposant les documents arabes et latins, leur utilisation qu’il n’y en avait qu’un, installé dans Madinat comme un objet de trousseau devrait être large- al-Zahra’ – aurait dû commencer à travailler ment répandue dans les couches aristocratiques aux mêmes dates que celui consacré à la sculp- de la société. Étaient-ils tous importés, comme ture de l’ivoire. Cependant, les références à des semble l’indiquer le nom iraque qu’on leur don- objets en cristal de roche sont si nombreuses et nait au Moyen Âge? Y avait-il une sorte de pro- si anciennes que nous devons admettre que sa duction locale de qualité artistique moindre que production est antérieure à celle de l’ivoire, et celle des pièces fabriquées en Orient ? Et dans le pourrait même hypothétiquement se produire second cas, les objets étaient-ils destinés à for- dans plusieurs ateliers. La source d’approvision- mer des contenants luxueux pour des matières nement en matière première aurait été située premières onéreuses – parfums, pommades, dans la région de l’ancienne Ammaia, sur l’ac- etc. –? Les caractéristiques morphologiques du tuelle frontière entre l’Espagne et le Portugal. couvercle, son bord légèrement irrégulier pour L’existence d’un tel atelier dans la Pénin- faciliter son ajustement au flacon pourraient sule Ibérique ne signifie pas, à mon avis, peut-être répondre à cette question. que toutes les pièces que nous connaissons, en particulier celles qui ont la plus grande Conclusions valeur artistique, proviennent d’al-Andalus, mais qu’une industrie s’y est implantée, peut- Il est évident que des ateliers ont pu s’ins- être un seul atelier, dont le développement a taller à Madinat al-Zahra’ ou à proximité été interrompu par la disparition du califat depuis la date théorique de la fondation de de Cordoue. Nous devons réexaminer l’en- la ville. Mais nous savons aujourd’hui que la semble des pièces conservées en Espagne et ville palatiale a été précédée d’une résidence peut-être ailleurs pour tenter de résoudre le de campagne, et ce n’est qu’après quelques problème, dans la mesure du possible, dans années qu’il aurait été décidé de l’agrandir. une optique différente. Le débat sur l’origine Nous devons donc supposer que ces ateliers de l’industrie au Moyen-Orient reste ouvert. sont postérieurs à la conversion du site en ville palatiale, sans négliger la possibilité [FV] et [AZ] qu’il y ait déjà eu des ateliers consacrés à cette activité à Cordoue depuis des années. 53. Valdés, op. cit. [note 50].

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 65 Bibliographie Casamar (Manuel), Valdés (Fernando), « El arte sun- Lamm (Carl Johan), Mittelalterliche Gläser und tuario medieval de origen egipcio en Castilla: las pie- Steinschnittarbeiten aus den Nahen Osten, Berlin, D. zas de ajedrez de San Millán de la Cogolla (La Rioja) Reimer, 1929/30. y el frasco de Oña (Burgos) », Culturas del Valle del Pinder-Wilson (Ralph H.), « Some Rock Crystals of Nilo. Su historia, relaciones externas e investigación the Islamic Period ». The British Museum Quarterly, española, López Grande (María José) (ed.), Barce- nº 19, 1954, p. 84 - 87. lona, Museu Egipci de Barcelona, 2002, p. 159-171. Revuelta (Matilde) et al., Inventario artístico de Tole- Casamar (Manuel), Valdés (Fernando), (1999a) do. T. II. La Catedral Primada, Madrid, Ministerio de « Les objets égyptiens en cristal de roche dans Cultura, 1989. al-Andalus, éléments pour une réflexion archéo- logique », L’Égypte fatimide, son art et son histoire, Sánchez-Albornoz (Claudio), Una ciudad de la Es- Paris, 1999a, 367-382. paña cristiana hace mil años. Estampas de la vida de León, Madrid, Ed. Rialp, 1978. Casamar (Manuel), Valdés (Fernando), (1999b) « Saqueo o comercio. La difusión del arte fatimí Schmidt (Robert), « Die Hedwigsgläser und die en la Península Ibérica », Codex Aquilarensis, 14, verwandten fatimidischen Glas- und Kristallschnit- 1999b, p. 133-160. tarbeiten », Jahrbuch des Schlesischen Museums für Kunstgewerbe und Altertümer, 6, 1912, p. 53-78. Casamar (Manuel), Valdés (Fernando), « Arrotomas Irakes », in Balasachs Pijoan-C. (Esther), Berlabé Shalem (Avinoam), Islam Christianized. Islamic por- Jové-M. (Carmen), Burrel (Maria) (ed.), Homenatge table Objects in the Medieval church Treasuries of the a mossèn Jesús Tarragona, , 1996, 67–88. Latin West. Frankfurt-am-Main. Peter Lang, 1996. Erdmann (Kurt), «“Fatimid “ rock crystal ». Oriental Valdés (Fernando), Frasco de cristal de roca, Asocia- Art, nº 3, 1951, p. 142 - 146. ción de Amigos de San Salvador de Oña, Oña, 2015. Gómez-Moreno (Manuel), Iglesias mozárabes. Arte Valdés (Fernando), « Three Rock Crystal Bottles in español de los siglos IX a XI, Centro de Estudios His- Old Castile (Spain) », Facts and Artefacts. Art in the tóricos, Madrid, 1919. Islamic World, Festschrift for Jens Kröger on his 65th. Birthday, Ed. A. Hagedorn and A. Shalem, Lei- Gómez-Moreno (Manuel), El arte árabe español den-Boston, Brill, 2007, 89-103. hasta los almohades. Arte mozárabe, Ars Hispaniae, III, Madrid. 1951. Vallejo (Antonio), Montejo (Alberto), García (An- drés), « Resultados preliminares de la intervención Kahle (Paul E.), « Bergkristall, Glas und Glasflüsse arqueológica en la “Casa de Ya’far” y en el edificio nach dem Steinbuch von el-Beruni », Zeitschrift der del “Patio de los Pilares » de Madinat al-Zahra’ », Deutschen Morgenländische Gesellschaft, nº 90. N.F. Cuadernos de Madinat al-Zahra’, nº 5, 2004, 199-239. nº 15, 1936, p. 322–355.

66 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Fragments d’une bouteille Égypte ?, fin du 10e – début du 11e siècle Cristal de roche taillé H : 9,5 cm ; diam. : 10,5 cm Conques (Aveyron), ancienne abbaye Sainte-Foy, trésor Classés au titre des monuments historiques le 23 mai 2016

Bibl.: Dor (Ariane), « Le remploi d’objets d’art orientaux dans les trésors d’églises en Occident : l’exemple de Conques », Études aveyronnaises, 2015, p. 345-360 [p. 354-356].

Le 21 avril 1875, lors du dégagement des maçon- neries du chœur de l’abbatiale de Conques, est découverte une cavité renfermant deux coffres en bois, qui contenait, en plus des ossements interprétés comme ceux de sainte Foy, de nom- breux objets précieux. Parmi eux se trouvent « trois fragments potables d’un verre en cristal de roche ornementés de riches dessins ». Rassemblés et maintenus par une armature métallique, ces fragments sont présentés à par- tir de 1955 dans le trésor de l’abbaye de Conques, à côté d’autres objets découverts dans le coffre. conservé dans le trésor de Saint-Marc à Venise2, En 2015 le montage a été remplacé par une res- et celui de la bouteille conservée dans le trésor titution des parois lacunaires en cire-résine. de San Lorenzo de Florence3, et son décor rap- pelle les compositions de rinceaux et feuilles L’objet obtenu par remontage adopte une panse stylisées qui ornent leurs parois. droite, portant un décor de rinceaux stylisés, organisés en deux (ou trois?)1 grands motifs à Comme ces deux exemples italiens, de nom- symétrie axiale. Certaines feuilles ou tiges sont breux cristaux de roche ont servi de reli- animées de stries. La base est plate, comme le quaires dans l’Occident latin, car le caractère montre le profil des fragments conservés. Une à la fois précieux et transparent du matériau petite palmette est encore visible sur l’un d’eux, en a fait des réceptacles particulièrement indi- et formait peut-être un décor radial. Le départ qués pour montrer le sang du Christ ou celui de l’épaule de l’objet montre au contraire qu’elle d’autres martyrs4. On a d’ailleurs cru, lors de n’était pas parfaitement plane mais qu’elle la découverte des fragments de Conques, que affecte un léger fruit. Les fragments sont trop la bouteille avait servi à recueillir le sang de courts pour laisser deviner le dessin de l’ouver- sainte Foy, martyrisée à Agen en 3035. ture ou du col originels de l’objet, et c’est par analogie avec d’autres cristaux de roche taillés [AD] que l’on peut rétablir la forme de l’objet conservé à Conques. Il se rapproche d’une typologie de bouteilles à panse droite et col tubulaire, attri- 2. Inv. 63 ; hauteur totale de la bouteille : 10 cm. Voir Hahn- loser (Hans Robert) (dir.), Il Tesoro di San Marco, 2. Il Tesoro et buées à l’Égypte fatimide. Son format se situe il museo, Sansoni ed., Florence, 1971, cat. 128. entre celui du reliquaire du Sang miraculeux 3. Inv. 1945, n°2 ; hauteur de la bouteille : 24,5 cm. 4. Voir à ce sujet Makariou (Sophie), « Le cristal de roche islamique et ses avatars liturgiques dans l’Occident roman », Cahiers de Saint-Michel-de-Cuxa, XXXVII, 2006, p. 239-247. 1. Le diamètre de l’objet, dicté par la courbure des fragments 5. Procès-verbaux authentiques et autres pièces concernant la conservés, ne permet pas d’intégrer sur son périmètre trois reconnaissance des reliques de sainte Foy, vierge et martyre, séquences du même motif ; mais deux répétitions seulement et de plusieurs autres saints honorés dans l’antique église de laissent une place pour un motif plus petit sur le pourtour Conques au diocèse de Rodez, recueillis et coordonnés par de l’objet. Mgr Joseph-Christian-Ernest Bourret, Rodez, 1880, p. 21.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 67 Tissus islamiques dans les collections publiques espagnoles Collection du monastère de las Huelgas

que leurs descendants. Le monastère devint ainsi le panthéon d’une partie de la famille royale pendant les 13e et 14e siècles2. Ces sépultures ont connu quelques vicissi- tudes au cours des siècles, en particulier lors de l’occupation du bâtiment par les soldats de Napoléon entre 1808 et 1812, qui ouvrirent la plupart des sarcophages pour y prendre les bijoux et autres objets de prix. Suite à ces troubles, certains vêtements ou fragments de vêtements ne furent pas remis dans leur sépulture d’origine. Laissant de côté un certain nombre d’ouver- tures sans intérêt pour nous, je m’arrêterai sur celles qui ont été effectuées dans un but scientifique entre 1942 et 1944 par une com- (fig. 1) Vue extérieure, Burgos, monastère de Santa mission nommée par le ministère de l’Édu- María la Real de las Huelgas.. cation Nationale, en charge à l’époque des affaires culturelles, et le Patrimonio Nacio- nal, administrateur du site3. Cette opération a Cet article présente une vision générale de commencé par une exploration préalable dans l’histoire, des recherches et des possibilités trois des tombeaux du monastère (ceux appar- d’étude du trousseau funéraire du panthéon tenant à Fernando de la Cerda, Alfonso VIII et royal du Monastère de Santa María la Real Berneguela, fille de Fernando III) (fig. 2). Après de las Huelgas, à Burgos1 (fig.1). Du fait de avoir considéré l’intérêt scientifique et l’état de sa quantité et de sa qualité, cette collection conservation des textiles trouvés dans ces trois de plus de deux cents étoffes permet plus sépultures, la commission a décidé d’ouvrir les que toute autre l’étude de différents aspects autres tombes pour sauver, étudier et préser- de la Castille du 13e siècle, en lien avec les ver leur contenu. contextes de production en Occident islamique Manuel Gómez-Moreno, illustre historien, de l’époque almohade* et à l’époque nasride*. membre de l’Académie Royale d’Histoire, fut Le monastère de Santa María la Real de las nommé responsable des opérations de sau- Huelgas à Burgos fût fondé par Alphonse VIII et vetage et d’étude. Il dut affronter la question son épouse Aliénor Plantagenêt en 1187. Ayant difficile de la provenance des pièces, mani- toujours bénéficié d’une relation privilégiée festement mélangées et dispersées dans avec la monarchie, il a été choisi pour le cou- différents tombeaux. Sa rigueur d’archéo- ronnement de plusieurs rois et pour les céré- logue lui permit de résoudre presque tous les monies d’adoubement. En 1199, ses fondateurs problèmes d’attribution. N’ont échappé à sa firent don du monastère à l’ordre de Cîteaux et perspicacité que quelques fragments impos- exprimèrent le souhait d’y être enterrés ainsi sibles à replacer dans le gigantesque puzzle

1. Pour une version développée de l’histoire de la collection 2. Lizoaín Garrido, 1985, p. 19-23, 92-94; Alonso Abad, et de ses possibilités au niveau de recherche, voir : Barrigón, 2007; Abella Villar, 2015. 2019. 3. Gómez-Moreno, 1947.

68 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie des sépultures et des fonctions du nombre Bien que le souci de préservation des textiles impressionnant de pièces retrouvées. ait existé dès l’ouverture des sépultures, Les résultats de l’étude de Gómez-Moreno ont les premiers travaux de «sauvetage» ont été publiés en 1946 dans une monographie4 été réalisés en employant des techniques dans laquelle l’auteur établit les noms des aujourd’hui considérées comme domma- 38 personnages reposant dans le panthéon, geables pour les objets, par exemple le col- et classe les ensembles textiles funéraires lage ou la couture des pièces sur des tissus provenant de chaque tombe. Afin d’identifier modernes, et la reconstitution des parties l’origine géographique probable des tissus, il manquantes sur les fonds modernes avec en fit une étude technique remarquable pour de la peinture7. On peut estimer que ces quelqu’un qui n’était pas du tout spécialiste techniques ont toutefois contribué à la pré- du domaine. De ce point de vue, il s’est même servation des pièces dans leur état actuel. trouvé très en avance sur son temps. Au final, Dans le projet de recherche initial avait été il parvint à décrire des aspects très importants programmée la création d’un musée dans le des rituels funéraires en cours aux 13e-14e monastère, de sorte que le public puisse voir ces siècles au sein de la famille royale de Cas- pièces qui constituent d’authentiques trésors. tille. Aujourd’hui, son œuvre est fondamentale Le projet architectural a été dessiné par Fran- pour qui souhaite se pencher non seulement cisco Íñiguez Almech et le musée a finalement sur l’étude de cette collection mais aussi sur ouvert en 1949 dans une salle voisine de la salle l’ensemble des tissus médiévaux espagnols. capitulaire, avec une présentation conforme Les autres travaux importants à signaler aux normes de conservation de l’époque8 (fig.3). pour cette époque sur les textiles médiévaux Avec le temps, celles-ci se sont avérées inadé- espagnols sont ceux de Dorothy Shepherd, quates du point de vue de la muséographie et conservatrice du Cleveland Museum of Art5, de la conservation préventive, par exemple sans qui s’est parfois opposée aux hypothèses de contrôle des changements de température et Gómez-Moreno, et ceux de Florence Lewis d’humidité relative, ou en pliant et clouant les May, conservatrice de la Société Hispanique étoffes sur des supports afin de les présenter de New York, qui a décrit l’histoire de la soie dans les vitrines. en Espagne entre les 8e et 15e siècles6. Heureusement, de nouveaux financements ont permis dans les années 1980 de repen- ser la présentation en respectant les nou- 4. Gómez-Moreno, 1946. velles normes en vigueur. L’exposition sur 5. Shepherd, 1951. 9 6. May, 1957. Alphonse X qui a eu lieu à Tolède en 1984 a joué un rôle important dans cette dynamique du fait que dix pièces du collection de las Huelgas y ont été présentées et ont dû donc être restaurées par l’ancien icroa (Institut de conservation et de restauration d’œuvres d’art), dépendant du ministère de la Culture. Chica Mantilla de los Rios, chimiste formée à la Fondation Abegg, en Suisse, et à l’irpa (Ins- titut Royal du Patrimoine Artistique) de Bel- gique, a été chargée de la direction du projet. Elle est la pionnière de l’introduction de la res- tauration textile en Espagne. Suite à ces pre- miers travaux, la perspective de la célébration

(fig. 2) Ouverture du cercueil de Fernand de la Cer- 7. Luis Sierra, 2010, p. 105. 8. Monteverde, 1949. da en 1942, Burgos, monastère de Santa María la 9. Faci, 1984 ; Herrero Carretero, 2005, p. 130 ; 2018, p. 384 ; Real de las Huelgas. Faci, 1984.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 69 (fig. 4) Présentation des textiles de 1998 à 2005, Burgos, musée du monastère de Santa María la Real de las Huelgas.

(fig. 3) Présentation des textiles à partir de 1949, la collection. Tout d’abord, les vitrines pour Burgos, musée du monastère de Santa María la les objets présentés au musée ont été réno- Real de las Huelgas. vées. Étant donné le magnifique résultat, une rénovation plus profonde a été décidée en 2005. du VIIIe centenaire de la fondation du monas- Durant la fermeture temporaire du musée tère a déclenché une grande campagne de pour effectuer son agrandissement et les restauration entre 1985 et 198810. Par la suite travaux de réaménagement, les pièces furent a été fondé le département de restauration montrées lors d’une exposition au Palais textile, qui poursuit aujourd’hui son travail au Royal de Madrid intitulée « Vestiduras ricas : Palais Royal de Madrid. Depuis lors, le nombre el Monasterio de las Huelgas y su época, de pièces restaurées s’est accru au fil des ans. 1170-1340 »13. Le catalogue de cette expo- Une fois les pièces correctement restau- sition reflétait un intérêt particulier dans rées, le musée a rouvert dans son nouvel l’étude plus scientifique de certaines pièces. emplacement, situé dans l’ancien grenier En plus de quelques essais sur différents du monastère. Le mode d’exposition dans aspects, huit tissus firent pour la première les vitrines évoquait les cercueils d’où pro- viennent les pièces exposées (fig.4). Le catalogue du musée, établi par Concha Her- 13. Yarza Luaces, 2005. rero11, explique l’exploration du panthéon et la création du premier musée à travers des documents conservés aux archives géné- rales du Palais, et présente une biographie succincte de dix des personnages inhumés à las Huelgas, accompagnée de notices pour les trente-trois pièces qui étaient alors exposées au musée et qui faisaient partie de leur trousseau funéraire. Ce catalogue, qui suit les directives de Gómez-Moreno, a le mérite d’inclure pour la première fois des photographies en couleur des pièces12. Au tournant du 21e siècle, il a été néces- saire de prendre d’autres mesures afin d’actualiser à nouveau la muséographie de

(fig. 5) Oreiller de Fernando de la Cerda (†1275), 10. VVAA, 1989. 11. Herrero Carretero, 1988. Burgos, monastère de Santa María la Real de las 12. Lavesa Martín-Serrano, 2001, p. 487. Huelgas, inv. 00651901.

70 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie fois l’objet d’une analyse technique, d’après que depuis l’œuvre de Gómez-Moreno de 1946, la méthodologie/terminologie internationale aucune autre étude systématique d’ensemble établie par le cieta (Centre international n’a été réalisée sur la totalité de la collection, d’étude des tissus anciens). Ces analyses ont mais seulement sur des aspects partiels de été effectuées par Pilar Benito, Lourdes de celle-ci. Luis et Purificacion Cereijo ; les analyses de Les aléas de l’ensemble, depuis sa décou- colorants par Enrique Parra. verte jusqu’à présent, auxquels s’ajoutent les Après les travaux au musée de las Huel- nouveautés des dernières décennies dans la gas, l’espace d’exposition est passé de 240 à 400 m², grâce à la cession à cette fin d’une galerie par la communauté ecclésiastique. L’éclairage par fibre optique maintient une luminosité inférieure à 50 lux, et la tem- pérature et l’humidité relative sont désor- mais parfaitement contrôlées. Par ailleurs, le nombre de pièces exposées a augmenté, grâce à une nouvelle campagne de res- tauration menée ces dernières années. Ce nouveau musée a été inauguré en 200814. Les collections sont présentées de façon chronologique, commençant par une vitrine où sont exposées les pièces les plus anciennes de la collection ; suivies de celles appartenant aux fondateurs du monastère Alphonse VIII et Aliénor Plantagenêt ; y com- pris deux pièces célèbres qui ne proviennent pas des sépultures : la bannière et la croix de las Navas de Tolosa. Après celles-ci se trouvent les pièces appartenant aux enfants (fig. 6), petits-enfants (fig. 5) et arrière-petits- enfants des fondateurs15. Ces dernières années, ces pièces ont en outre fait l’objet d’un enrichissement documentaire, qui a consisté à recenser les travaux (en plus de ceux déjà mentionnés) de Cristina Partear- royo, Anne Wardwell ou Sophie Desrosiers, pour ne citer que quelques noms16. Bien que la bibliographie qui mentionne cette collection textile soit relativement importante, il est vrai

14. Les caractéristiques du musée et l’explication des projets muséologiques / muséographiques et architecturaux sont rassemblés par leurs auteurs respectifs dans : Luis Sierra, 2009; García-Gallardo, 2009 et ont ensuite été publiés dans : Herrero Carretero, 2014, p. 325 ; 2018, p. 386-392; Barrigón, 2017, p. 144. 15. Le choix des pièces sélectionnées pour l’exposition permanente est explicité dans Luis Sierra, 2010, p. 107-113. (fig. 6) Bliaud de Leonor de Castille (†1244), fille 16. Cristina Partearroyo (Partearroyo 2005 ; 2007) a fait une d’Alfonso VIII et d’Aliénor Plantagenêt, Burgos, classification historique-artistique des tissus. Anne - Ward well (Wardwell, 1989) et Sophie Desrosiers (Desrosiers, Vial, monastère de Santa María la Real de las Huelgas, de Jonghe, 1989 et Desrosiers, 1997, 1999) ont étudié des inv.00650515. caractéristiques techniques.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 71 recherche sur le textile, ont rendu indispen- coiffure, l’inventaire n’incluait jusqu’alors sable une étude globale et pluridisciplinaire qu’un voile et des fleurs attribués à la reine ; sur la collection qui ne soit pas seulement elle compte à présent 31 éléments. On a éta- descriptive, mais qui se préoccupe égale- bli en revanche que la bottine exposée au ment de la caractérisation technique de cha- musée ne lui a jamais appartenu, ainsi que cun des objets pour atteindre ainsi un niveau de nombreuses fleurs utilisées à l’époque d’analyse interprétative qui aide à inscrire pour orner les défunts. En ce qui concerne chaque pièce dans son contexte historique. les oreillers, il y a des changements en trois Lorsque la collection a été révélée dans les housses par rapport aux années 1980. années 1940, Gómez-Moreno avait pris soin Quant au trousseau funéraire d’Alphonse VIII, d’annoter, de décrire ou d’indiquer d’une on considérait depuis les années 1980 que manière ou d’une autre la composition des seul en restait un fragment de manteau vert différents ensembles. En constatant qu’il y orné d’écus de gueules contenant des châ- avait une divergence entre la classification des teaux (inv. 00650537). En réalité ce fragment pièces des années 1940 et celle des années fait plus probablement partie de la garniture 1980-90 quand toute la collection a été inven- du cercueil ou bien d’un oreiller. En revanche, toriée dans la base de données numérique du on conserve un oreiller jaune à bandes rouges Patrimonio Nacional17, il a fallu enquêter sur (inv. 00651975) – dont l’attribution avait été l’historiographie de ces œuvres. C’est pour jusqu’alors perdue –, l’édredon dont son corps cela que j’ai effectué récemment une ana- était couvert (inv. 00653820) ; mais surtout ses lyse approfondie des publications de Gómez- vêtements, composés de sa chemise, d’une Moreno, en conjuguant l’information livrée cotte et d’un manteau bleu, lesquels seront par les pièces elles-mêmes et l’inventaire. maintenant détaillés pour illustrer l’importance Les hypothèses établies ont ensuite été véri- d’entreprendre des études de base à caractère fiées avec le matériel inédit de Gómez-Moreno technique sur les pièces, de façon à ce qu’elles conservé à Grenade, qui se compose de docu- servent de support à l’interprétation historique. mentation, photographies, dessins, notes et Dans les années 1980 on considérait que onze échantillons textiles18. La méconnaissance de des pièces de las Huelgas faisaient partie d’une la fonction d’une pièce, ou de la personne à qui cotte (ou tunique) de l’infant Philippe, mort en elle appartenait, ou les deux, entraîne naturel- 1327. Grâce à l’étude des pièces et des maté- lement de nombreuses lacunes qui fragilisent riaux par Gómez-Moreno, j’ai pu prouver qu’il les hypothèses d’attribution et de datation. s’agit en réalité des restes du costume d’Al- Cette recherche de base visait donc à redéfi- phonse VIII qui se composait d’une cotte (fig. nir l’ensemble funéraire de chaque tombe, et 7) et d’un manteau20. L’observation minutieuse la fonction ou l’usage de chaque pièce textile, de ces éléments a montré qu’il s’agissait de dans les cas où la documentation jusqu’alors fragments identiques entre eux du point de constituée faisait défaut. vue technique. Étant donné que Alphonse VIII Afin d’illustrer l’importance et la nécessité de est mort en 1214, cela prouve que le premier cette reclassification des matériaux conser- roi vêtu de bleu dans l’Occident latin n’était pas vés, prenons pour exemple les changements saint Louis, suivi d’Henri III d’Angleterre21, mais des trousseaux du couple royal fondateur de que cette couleur était déjà liée à la dignité las Huelgas, Alphonse et Aliénor19. royale plusieurs décennies auparavant en Concernant la reine Aliénor Plantagenêt Castille. Cela s’explique par l’approvisionne- et en résumé, deux nouvelles doublures de ment en colorant bleu, issu plus probablement son cercueil, certes moins luxueuses que de l’indigotier déjà importé à cette époque du les deux déjà inventoriées et connues, sont Moyen-Orient en al-Andalus* ; par ailleurs, venues enrichir son trousseau. Quant à la il est probable également que la symbolique

17. Herrero Carretero, 1998, p. 37. 18. Fernández Lozano, 2012. 20. Barrigón, 2015a ; b. 19. Barrigón, 2015a, 2015b, 2015c, 2016, 2018. 21. Pastoureau, 2000, p. 62.

72 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 7) Cotte d’Alphonse VIII, Burgos, musée du monastère de Santa María la Real de las Huelgas, inv. 00651967. attachée à cette couleur dans le monde isla- tissage et aux typologies décoratives propres à mique ait été adoptée dans la sphère chrétienne cette époque, qui se sont prolongées jusqu’à la à travers une frontière plus que perméable aux période nasride. idées et à l’esthétique. La reconstitution et l’analyse – au moins du point Les analyses techniques ont également permis de vue technique – de chaque trousseau funéraire de regrouper les pièces en corpus, qui peuvent peuvent désormais servir de base à des études parfois être attribués à des ateliers situés dans d’un autre ordre, de façon à avoir une meilleure des zones géographiques diverses, notamment connaissance dans de multiples domaines de en al-Andalus. Une partie de la fabrication la vie sociale, culturelle et commerciale dans le des tissus du panthéon de las Huelgas coïn- royaume de Castille au 13e siècle. cide avec les dernières décennies de l’empire almohade, et correspondent aux techniques de [MBM]

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 73 Coiffe de l’infant Ferdinand

La coiffe de l’infant Ferdinand1, fils d’Al- phonse VIII, est un très bel exemple de coiffe masculine du 13e siècle. Selon Carmen Ber- nís, ce type de coiffe, inspiré du costume militaire, pouvait être élaboré en différentes matières2. Celle-ci a été confectionnée en cousant deux étoffes en tapisserie très fine à motifs géométriques d’entrelacs, de spirales doubles, de feuilles et de tresses disposés en registres alternant avec une inscription cur- sive qui peut se traduire par « Le Seigneur est celui qui réconforte (ou qui redonne la joie) »3. La technique de tapisserie et l’emploi de fils métalliques permettent d’imiter les effets de matière obtenus en orfèvrerie pour certaines parties du décor des tissus. Ils ont été régu- lièrement utilisés tout au long du 13e siècle combinés avec différentes armures4. Le pan- neau central de l’un des cinq oreillers prove- nant de la sépulture de la reine Éléonore de Castille, fille d’Alphonse VIII morte en 1244, en est la preuve5. Des motifs presque similaires se retrouvent sur la tenue ecclésiastique de saint Valère, de l’église Saint-Vincent de Roda de Isábena6, sur le décor inférieur de la cape de Ferdinand III le Saint (mort en 1252) enterré dans la cathédrale de Séville7, ou encore dans la tunique de l’infant Alphonse (mort en 1291), fils de Sancho IV enterré dans l’église de Saint-Paul de Valladolid8. Le bliaud de l’infante Léonor (morte en 1275), inhumée dans le monastère de Caleruega (Burgos), et récem- ment retrouvée, est également orné d’un rec- tangle de tapisserie avec fils métalliques9.

[MBM]

1. Gómez-Moreno, 1946, p. 25; Herrero Carretero, 1988, Coiffe de l’infant Ferdinand, Burgos, musée du p. 60 ; Yarza Luaces, 2005, p. 177. monastère de Santa María la Real de las Huelgas, 2. Bernis Madrazo, 1956a, p. 17, 25. inv. 00650505 3. Gómez-Moreno, 1946, p. 82. 4. Bernis Madrazo, 1956b ; Partearroyo Lacaba, 2005. 5. Yarza Luaces, 2005, cat. 42. 6. Martín i Ros, 1999. 7. Patrimonio Nacional, inv. 10000587. Voir Gómez-Moreno, 1948 ; Sanz, 2000. 8. Rivera Manescau, 1944. 9. Barrigón, à paraître.

74 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Cercueil d’Alphonse de la Cerda1

Cercueil d’Alphonse de la Cerda, Burgos, musée du monastère de Santa María la Real de las Huelgas.

Al-Andalus*1 n’a pas été la seule terre isla- Le même type de tissu (tartarí) a été choisi mique d’où l’on a importé de magnifiques par Fernando IV pour confectionner le vête- tissus. On nomme panni tartarici les tissus ment porté lors de sa cérémonie d’intronisa- provenant des manufactures d’Asie Cen- tion en 1295, dans la cathédrale de Tolède5. trale de la seconde moitié du 13e siècle et du 14e siècle, d’après les mentions relevées [MBM] dans les inventaires latins de l’époque pour désigner les étoffes d’Extrême-Orient. Anne Wardwell a été la première à distinguer plu- 5. Rosell, 1875 p. 93. sieurs ensembles de ces tissus asiatiques, répartis en huit catégories selon leurs carac- téristique techniques2. Les tissus orientaux ont fait l’objet d’une étude récente à la Fon- dation Abegg-Stiftung de Riggisberg3. À las Huelgas trois de ces tissus garnissaient trois cercueils, datant tous du premier tiers du 14e siècle : celui d’Alphonse de la Cerda, celui de Blanche de Portugal († 1321) et ce- lui de l’infant Pierre († 1319)4. Lors de leur découverte en 1943 on a observé la présence de plusieurs sceaux polygonaux et circulaires estampés à l’encre sur l’envers du tissu, marques présentes aussi sur d’autres tissus, interprétées comme des marques commer- ciales. Ce groupe de tissus à las Huelgas représente des exemples clairs de l’étendue des routes commerciales au Moyen Âge re- liant l’Asie à la péninsule Ibérique à travers ces soieries.

1. La plupart de ce texte fait partie de la notice d’œuvre de cette pièce dans Gómez Ródenas, 2017, p. 78-79. 2. Wardwell, 1989. Burgos, musée du monastère de Santa Maria La 3. Fircks, Schorta, 2016. 4. Gómez-Moreno, 1946 p. 33-35, 64-65 et XXXV, XLVI, Real de las Huelgas, cercueil d’Alphonse de la Cer- XCI-XCVI ; Herrero Carretero, 2004. da, détail des marques commerciales.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 75 Bibliographie

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Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 77 Des collections d’art islamique redécouvertes à l’occasion du premier récolement décennal du musée Ingres de Montauban (Tarn-et-Garonne)

Pensé comme un musée encyclopédique au conservateur du musée. Ces pièces portent 19e siècle, dans le même esprit que beaucoup des numéros d’inventaire construits ainsi de musées de grandes villes de province, le 50.n n+1. musée Ingres conserve des collections très Dans cet inventaire, plusieurs céramiques diverses et mal connues. C’est notamment sont identifiées comme « islamiques »2. le cas d’un fonds de pièces d’art décoratif Pour tous ces objets, l’attribution à leur aire extra-européen. La question de leur étude culturelle respective s’est révélée exacte, à s’est posée à l’occasion du premier récole- l’exception notable de l’aiguière 50.389 don- ment décennal et a donné lieu à un projet née comme provenant de Saint-Jean-de-Fos d’exposition1. (fig.1). Or à l’évidence, il s’agit d’une « demoi- Le récolement décennal est intimement lié selle d’Avignon » des ateliers de Canakkale à Montauban – du moins pour le récolement en Turquie. La production de Canakkale est 2004-2014 – à l’externalisation des réserves attestée dès le début du 17e siècle parallè- et au chantier des collections mené entre lement à celle d’Iznik et de Kütaya. Jusqu’au 2007 et 2008 pour préparer le transfert des milieu du 19e siècle, il s’agit souvent de céra- œuvres. miques de bonne qualité (plats, assiettes, Ce chantier a révélé a posteriori que seuls cruches) constituant des souvenirs à l’inten- 33% des objets concernés, c’est-à-dire ceux tion des voyageurs plus que des objets uti- qui étaient conservés dans les divers espaces litaires. À la fin du 19e siècle, la qualité des de réserve aménagés dans le palais épisco- objets diminue ; ils sont souvent caractérisés pal, étaient inscrits à l’inventaire, principa- par des peintures partielles sur la glaçure , lement les collections considérées comme ce qui est le cas de cette pièce. Arrivant par « nobles » depuis la première moitié du les ports de la Méditerranée, ces aiguières 19e siècle, à savoir les peintures, sculptures, ont rapidement été surnommées « demoi- arts graphiques, une partie des céramiques, selle d’Avignon » dans les intérieurs bour- ainsi que les acquisitions effectuées depuis geois qu’elles décoraient. le milieu des années 1940, période à partir de laquelle des professionnels prennent en Figurent également dans l’inventaire de main la destinée du musée. 1950 des textiles examinés par Yvonne Des- Restaient donc 3 514 objets à identifier, inven- landres3, conservateur au musée des arts torier, mesurer, photographier, documenter décoratifs, qui a généralement confirmé les et étudier dont un très grand nombre étaient données de l’inventaire. Elle avait également stockés de la réserve dite « chapelle », très identifié la grande majorité des pièces en peu accessible et qui contenait cependant leur attribuant un numéro provisoire R.n/n+1. près de 2 500 objets. Autre donnée du chantier des collections, Provenant de l’aire culturelle qui nous inté- celui mené entre 1997 et 2007 par Patricia resse aujourd’hui, quelques objets figuraient dal Pra, conservateur-restaurateur de col- cependant dans l’inventaire rétrospectif lections textiles, à raison d’une campagne réalisé en 1950 par Daniel Ternois, alors

2. Inv. 50.389 / 50.427 / 50.428 / 50.429 / 50.430 / 50.431 / 50.432 / 1. Révélations : trésors cachés du musée Ingres, catalogue de 50.434 / 50.435 / 50.438 / 50.439 / 50.440 / 50.441 / 50.442 / 50.443 l’exposition, Montauban, musée Ingres, 3 juillet-1er novembre / 50.444 / 50.445 / 50.446 / 50. 447 / 50.608 / 50.609 / 50.610. 2015, Montauban, musée Ingres/Paris, Le Passage Éditions, 3. 50.627 / 50.644 / 50.649 / 50.661 / 50.666 / 50.676 / 50.690 / 2015. 50.695 / 50.699 / 50,706 / 50.748 / 50.749 / 50.751.

78 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie (fig. 1) Aiguière zoomorphe, terre cuite vernissée, Çanakkale, Turquie, 19e s., Montauban, musée Ingres Bourdelle, inv. 50.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 79 (fig. 2) Base de huqqa, bidri (alliage à base de zinc) incrusté d’argent, fin 18e – début 19e s., Montauban, musée Ingres Bourdelle, inv. 2008.0.2991.

80 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie annuelle. Ces collections étaient alors des objets supplémentaires, vraisemblable- conservées roulées ou mal pliées dans du ment achetés par Armand Cambon. Si l’on se papier kraft. Les pièces étaient très poussié- réfère aux informations fournies par Bouis- reuses, tachées, certaines infestées. set, il semble que les deux fonds ont été rapi- À l’automne 2014, j’ai proposé à Florence dement confondus et que le rôle de Cambon a Viguier, directrice d’établissement, de publier été très vite minimisé dans leur constitution. les collections textiles et de réaliser une Il faut dire que leur état de conservation ne exposition dossier. Le premier récolement facilitait pas leur identification… décennal était terminé dans les temps Cette intuition a été confirmée par le rappro- impartis ; les collections étaient invento- chement avec des listes manuscrites datées riées, photographiées, mesurées, marquées. de 1876 à 1885 énumérant les acquisitions Les recherches plus approfondies sur ces effectuées par Cambon pour le compte du collections jusque-là un peu délaissées musée, curieusement rangées dans un dos- allaient pouvoir reprendre et les opérations sier intitulé « Ingres archéologique ». post-récolement pouvoir s’organiser. Le principal défi à relever a été de pallier au Qui est Armand Cambon ? Il est essentielle- peu de connaissances de l’équipe scienti- ment connu des Montalbanais par son rôle fique dans le domaine extra-européen. Fort d’exécutant testamentaire d’Ingres, mais heureusement, toutes les archives du musée aussi par ses peintures (présentées dans sont parfaitement conservées et accessibles. l’une des salles du musée qui porte son Très rapidement, je suis remontée à Armand nom selon ses volontés) et par ses études Cambon et au musée des arts décora- dessinées. Armand Cambon commence sa tifs qu’il avait cherché à créer en 1877. En formation dans l’atelier de Léon Combes 1926, Félix Bouisset, alors conservateur du à Montauban. Il s’installe à Paris en 1842 musée, décrivait ainsi cette section du musée pour y étudier la peinture. Il est alors pré- Ingres : « […] dans la seconde salle, c’est la senté par ses parents à un cousin éloigné : chatoyante harmonie des étoffes persanes Ingres. Alors occupé par son vaste projet de brodées soie et or qui voisine heureusement l’ Âge d’or au château de Dampierre, com- avec de beaux vases cloisonnés du Japon. mandé par le duc de Luynes, Ingres confie Puis c’est la gamme pittoresque des vieilles son parent à Paul Delaroche tout en l’auto- faïences de l’Inde et de Rhodes et de rares risant à fréquenter son atelier. Armand Cam- spécimens de l’art hispano-arabe.[...] La bon y fait la connaissance de Flandrin et de plupart des objets qui garnissent cette salle Balze, mais aussi de Charles Nègres. Il se ont été donnés en 1863 par M. le docteur présente au Prix de Rome puis au concours Lapeyre, ancien pharmacien en chef du corps de la République en 1848 pour lequel il reçoit expéditionnaire de Chine. M. A. Cambon a les conseils d’Ingres. Cambon participe par également acquis plusieurs pièces ou bibe- la suite à la réalisation de la sainte Germaine lots décoratifs […] Dans une vitrine, des bro- de Pibrac4 et à certains des portraits tardifs carts soie et or d’Espagne forment un cadre d’Ingres, dont celui de Madame Moitessier5. harmonieux à des statuettes en bois sculpté La confiance que le maître a en lui incite du 16e siècle […]. Bouisset ne décrit rien Ingres à le faire nommer directeur du musée moins que des natures mortes, composées à de Montauban en 1862 et à lui confier le rôle des fins esthétiques, sans autre ambition que d’exécutant testamentaire. Après 1867, date d’associer matière et couleur. de la mort d’Ingres, Armand Cambon s’at- Effectivement dans l’ancienne réserve dite telle à l’identification et au classement de chapelle, réserve des objets, se trouvaient l’énorme fonds graphique légué par Ingres et bien des collections chinoises provenant du don Lapeyre dont la liste composée d’environ 300 numéros avait été publiée, à la fin du 4. Tableau conservé dans l'église Saint-Etienne-de-Sapiac catalogue du musée de 1864. Cependant, il de Montauban, classé au titre des monuments historiques le 30 novembre 1908. était évident que les étagères contenaient 5. Londres, National Gallery, inv. NG4821.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 81 il sert d’intermédiaire entre la ville de Mon- utilisées pour marquer le fonds Lapeyre et tauban et la veuve de l’artiste. Il a presque nous avons choisi d’isoler d’abord les objets terminé cette mission quand il commence de cet ensemble chinois, grâce à la liste à acquérir des œuvres pour le musée en imprimée en 1864. cherchant à compléter la vision originelle Pour tous les autres objets portant une éti- de l’établissement, très commune à la fin quette, quand elle n’était pas effacée, nous du 19e siècle : fournir aux artistes et aux avons cherché les correspondances entre artisans des modèles et des sources d’ins- les numéros relevés et les listes manus- piration. Lors de l’hommage prononcé au crites. Dans certains cas, les numéros ne conseil municipal quelques jours après sa renvoyaient ni à la liste Lapeyre, ni à celles disparition en 1885, le maire de Montauban de Cambon, preuve du côté fragmentaire de rappelle que « c’est à cette préoccupation nos sources mais indice également d’une incessante de notre ami [enrichir le fonds autre provenance possible en particulier des du musée] que nous devons l’idée première collections personnelles de Cambon léguées et la création, dans les salles voûtées infé- à la ville. rieures de l’hôtel de ville, de ce nouveau Nous avons dû ensuite nous résoudre à musée des arts décoratifs qui, quoique bien ne nous appuyer que sur des descriptions incomplet encore, fait déjà l’admiration des sommaires de motifs décoratifs. Certaines connaisseurs, des ouvriers et des artistes. étaient particulièrement évidentes. Malgré Tantôt, avec l’appui de nos représentants au un encrassement faisant disparaître sa pré- Sénat et à la Chambre, nous le voyons plai- ciosité, il n’a pas été difficile de retrouver un der notre cause auprès des ministres et des « vase en bronze avec dessin en argent niellé directeurs des Beaux-Arts pour nous faire ayant forme d’une cloche » qui était finale- attribuer la plus large part possible des libé- ment une base de pipe à eau (fig. 2)6, une ralités de l’État ; tantôt nous le voyons dans « boîte forme boîte à gants en bois dur recou- des ventes publiques ou privées, exercer son verte d’ivoire et de mosaïque formant des goût éclairé dans l’achat de quelques belles étoiles »7 ou encore un « vase en terre rouge œuvres d’art et dépenser ainsi noblement les à dessins de pointes en relief et petit goulot fonds qui lui étaient alloués comme directeur avec couvercle » (voir p. 84-85). D’autres se du musée de Montauban ». sont révélées des chausses-trappes comme cette « descente de lit oriental ». Certes, on Les listes sur lesquelles nous avons travaillé pourrait discuter sans fin sur le statut de la se sont révélées mal commodes d’utilisation, description. Subjectif, reflet des connais- quelques fois illisibles et apparemment tron- sances, inutile aujourd’hui que la photogra- quées. Elles comportent en outre de nom- phie numérique accompagne chacune de nos breux doublons, comme si Cambon avait dû démarches. La mise en adéquation entre les justifier à plusieurs reprises ses acquisitions objets et les listes n’a été qu’une étape. Il a et leur coût pour obtenir le remboursement fallu vérifier les dénominations et détermi- de ses avances. Nous avons donc tout d’abord ner les provenances. Les listes de Cambon tenté d’identifier et d’éliminer les doublons ne mentionnent qu’à de rares occasions des pour constituer de nouvelles listes informa- provenances. Hormis ces quelques indica- tisées plus simples, mais qui comprenaient tions, nous n’avons que peu, pour ne pas dire tout de même 630 items. pas, d’information sur le mode d’acquisition Un vaste travail s’est alors engagé, mettant des œuvres par Cambon. La seule référence en œuvre un va-et-vient incessant entre indiquée formellement concerne sept vases listes et objets d’apparence orientale ou kabyles achetés lors de la vente après décès extrême-orientale. Dans un premier temps, du peintre Isidore Pills. les recherches ont été facilitées par la pré- sence sur certains objets d’étiquettes octo- gonales à liseré bleu. Il est apparu que ces 6. Inv. 2008.0.2991. étiquettes étaient les mêmes que celles 7. Inv. 2008.0.2940.

82 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie de réalisation ou l’originalité des formes qui attirent l’œil du collectionneur. Homme de son temps – rappelons aussi son intérêt pour une technique alors nouvelle : la photographie – Cambon s’intéresse à ces produits de l’industrie (céramique, arts du métal, textiles), les seuls sans doute cor- respondants aux faibles crédits alloués par la ville de Montauban. En osant des paral- lélismes anachroniques, je pense que l’on peut dire que Cambon a acquis des objets de « bazar », les mêmes sans doute que ceux rapportés par les voyageurs, et si peu différents de ceux que l’on peut ramener aujourd’hui. On peut cependant s’étonner du nombre d’objets en provenance d’Inde, région dans laquelle l’influence britannique devient prédominante après 1858.

Contrairement à de nombreux autres artistes, peintres et écrivains romantiques, il est acquis que Cambon n’a pas fait le voyage en Orient. Il suit, cependant, dans le sillage (fig. 3) Portrait d’ Armand Cambon coiffé d’une de Charles Nègre, les débats qui entourent le chéchia, photographie (fonds inédit), Montauban, mouvement pictural orientaliste, sans y par- musée Ingres Bourdelle. ticiper lui-même à l’exception d’une œuvre conservée dans une collection particulière, En cette fin de 19e siècle, lorsque Cambon intitulée Le Fumeur d’Opium. On connaît aussi s’attelle à la création d’un musée d’art déco- deux photographies orientalistes de Charles ratif, la mode est à l’Orient. Mais comme Nègre, appartenant aux collections du musée l’indique le Dictionnaire universel du 19e siècle Ingres. Sur l’une d’entre elles Armand Cam- de Larousse, « rien de plus mal défini que la bon est coiffé d’une chéchia (fig. 3), sur l’autre contrée à laquelle on applique ce nom ». Charles Nègres pose en fumeur d’opium. Ainsi, les descriptions figurant sur les listes A-t-il acquis des pièces exceptionnelles, voire manuscrites laissent percevoir le caractère simplement intéressantes ? Je ne suis pas très approximatif des connaissances que sûre que cela soit à nous d’en juger. Il nous l’on avait sur l’identification des formes, appartient simplement de reconnaître ces des fonctions ou des motifs, sur la data- objets, de les faire vivre et de les transmettre. tion ou la provenance des objets. Certes les On peut cependant s’interroger sur l’occulta- grands voyageurs ont rapporté souvenirs tion qu’ont connu ces collections, peut-être et collections, les premières publications simplement parce qu’elles n’étaient pas au scientifiques paraissent ; les Expositions uni- bon endroit au bon moment. verselles révèlent les richesses artisanales de l’Orient. Ainsi par exemple, un vase niellé [HG] indien contient une étiquette manuscrite nous renseignant sur la présence de cette pièce à l’Exposition universelle de Bombay de 18788. Mais ce sont surtout les techniques

8. Inv. 2008.0.2987.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 83 Vase

Céramique tournée et lissée à décor champlevé Égypte, Haute-Égypte, Assiout (?), début du 19e siècle Dimensions : H. 22,5 cm ; diam. max. 14 cm Achat par Cambon pour le musée de Montauban Montauban, mib, inv. 2008.0.1118

Bibl. : Révélations : trésors cachés du musée Ingres, catalogue de l’exposition, Montauban, musée Ingres, 3 juillet-1er novembre 2015, Montauban, musée Ingres/Paris, Le Passage Éditions, 2015, p. 62.

Ce flacon de terre cuite sur piédouche pré- d’eau, de pouvoir former une pâte qui se sente une panse légèrement carénée sur- laisse pétrir (…), mais ils ne font que des montée d’un col cylindrique et évasé. La pâte ouvrages communs et qui n’inspireraient a été champlevée et gravée pour créer un aucun intérêt, s’ils ne leur donnaient des décor de surface sur l’épaule, dans un ban- formes agréables, et s’ils ne les rendaient deau où se déploie une frise de palmettes, très propres aux différents usages auxquels selon le même modèle que sur le gobelet ils les emploient »1. Cette curiosité pour les égyptien (inv. 2008.0.3134). Deux galons per- objets populaires et du quotidien, associés lés en relief ornent la partie supérieure du aux usages de l’eau, du café, ou encore du col. Le décor ciselé et rapporté, qui témoigne tabac a permis justement aux savants orien- d’une bonne connaissance des modèles talistes qui ont sillonné l’Égypte autour de antiques, constitue une véritable économie 1800, de rendre compte de la réalité de de moyens pour cette pièce de céramique fabrication de ces objets et d’en ramener en monochrome. France quelques exemplaires. Le terme d’aiguière (qolal), comme celui de C’est ainsi qu’une pièce de facture compa- hallab, pour désigner ce type de flacon, est rable à celle du musée de Montauban a été renseigné dans les dictionnaires de langue confiée par la famille Delaporte aux Musées arabe dès le premier quart du 19e siècle. En nationaux2 ; ancien consul de France au 1845, Jean-Joseph Marcel (1776-1854) le Maroc, arabisant et berbérisant, Jacques- recense dans son Vocabulaire Français-Arabe Denis Delaporte avait contribué au travail des des dialectes vulgaires africains d’Alger, de années 1840-1842 préparatoire à la publica- Tunis, de Marok et d’Égypte. Ce savant avait tion de l’Exploration scientifique de l’Algérie dirigé l’Imprimerie nationale d’Égypte, puis par Émilien Renou et Adrien Berbrugger. l’Imprimerie impériale à Paris (1803-1815) Ces bouteilles portent souvent des marques après avoir participé à l’expédition d’Égypte d’ateliers, comme celles d’Assiout en Haute- de Bonaparte en tant qu’interprète avec le Égypte ; les marnes de Qosseir sur la rive Marseillais Venture de Paradis. Il aura lar- orientale du Nil, et les argiles d’Assiout et de gement participé à la publication de la Des- Kenneh étaient d’ailleurs réputées encore cription d’Égypte en donnant des planches dans les années 1850-1860 pour la fabrication d’inscriptions en arabe ou des planches de poteries fines et bardaques (c’est-à-dire consacrées à l’ethnographie (costumes, pièces pour le service des boissons). La forme objets mobiliers…). La planche FF y pré- de ces bouteilles, à très haut col, les a ensuite sente justement des vases, meubles et ins- associées aux usages de l’opium, comme base truments qui permettent de nous informer des pièces de forme en céramique produites e en Égypte au début du 19 siècle. D’ail- 1. Description de l’Égypte ou Recueil des observations et des leurs, Bodet y indique « Les Egyptiens pro- recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition de fitent, comme nous, de la propriété qu’ont l’armée française, Paris, Imprimerie impériale, 1829, pl. XXII. 2. Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, portant la marque les terres dites argileuses de se pénétrer Ali Yunus, inv. 74.1985.4.3.1.

84 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie Inv. 2008.0.1118 (à gauche) ; inv. 2008.0.1183 (à droite). de narghilé pour consommer aussi du tabac isolante de la pâte céramique), mais aussi des ou d’autres substances sous forme de vapeur. insectes ou de la poussière. Ces bouteilles au L’autre vase du musée de Montauban décor simple à effet sculpté permettaient de acquis par Cambon a conservé un couvercle préserver la qualité de l’eau potable et d’en (inv. 2008.0.1183) ; ces pièces de forme étaient garantir le service avec élégance. en effet d’abord destinées à préserver l’eau de la chaleur (en raison de la nature opaque et [MJ]

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 85 Lexique al-Andalus : nom arabe désignant le territoire musulman en péninsule Ibérique. Le toponyme pourrait dériver du nom des Vandales qui s’étaient éphémèrement installés dans le sud de la Péninsule au 5e siècle ou d’un terme wisigoth définissant un partage de terres. Almohades (1130-1269) : dynastie d’origine berbère du sud du Maroc, les Almohades (du terme ‘al-Muwahiddun, « ceux qui proclament l’unité de Dieu ») ont conquis l’ensemble du Maroc et envahi la Tunisie et l’Algérie, et ont exercé une influence importante sur une partie de l’Espagne. Almoravides (1062-1147) : formée par une coalition de Berbères du Sahara occidental, les Almoravides (de ‘al-Murabitun, les gens du ribat, ou de la forteresse) prônent l’observance rigoureuse du Coran et adoptent un mode de vie austère. Ils s’installent au Maroc et envahissent l’Espagne à la demande des Reyes de Taïfas, menacés par la Reconquête chrétienne. bacini (sing. bacino) : « bassin » en italien, il désigne des céramiques de forme ouverte utilisées pour orner des façades d’édifices civils ou religieux en Grèce, en Italie ou en France. coufique : adjectif dérivé du nom de la ville irakienne de Kufa et utilisé communément pour désigner des écritures anguleuses qui y auraient été mises au point au 8e siècle. dinar : monnaie d’or du système arabo-musulman dont la masse théorique est de 4,25 grammes. dirham : monnaie d’argent du système arabo-musulman dont la masse théorique est de 2,97 grammes. drap d’areste : soieries double-face trame, tissées avec une seule chaîne, et qui se caractérisent par un fond soit en sergé, soit couvert de losanges plus ou moins grands et dont les motifs sont liés en chevron. Ce terme se rencontre fréquemment dans les inventaires anglais et français du 13e et début du 14e siècle. flan : en numismatique, un flan est un morceau de métal taillé puis pesé avant d’être frappé par un coin monétaire. fulūs : (pluriel de fals) : monnaies de cuivre dont le nom est dérivé du follis byzantin.

Ifrīqiya : nom arabe, dérivé du latin Africa, désignant, lors des conquêtes arabo-musulmanes, l’ensemble du Maghreb actuel (du Maroc à Tripoli), puis, à partir du 9e siècle, la région correspondant approximativement à l’actuelle Tunisie et une partie du Constantinois et de la Tripolitaine. lampas : tissu réalisé avec l’emploi d’au moins deux chaînes et deux trames. Le décor formé par une ou plusieurs trames et une chaîne de liage se détache sur le fond, formé par la chaîne pièce et une ou plusieurs trames, souvent par l’emploi d’une armure différente. La

86 Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie technique apparaît au Moyen-Orient à la fin du e 10 ou au début du 11e siècle, et se diffuse rapidement en terres d’Islam. Elle est attestée en al-Andalus dès le 12e siècle, puis au 13e siècle dans l’Occident latin. lipsanothèque : objet destiné à recueillir des reliques. louisine : taffetas produit par groupes de deux fils de chaîne ou plus. Nasrides (1230-1492) : Dynastie fondée par Muhammad al-Ghalib, qui réussit à se rendre maître de la province de Grenade alors que l’Espagne est presque entièrement tombée aux mains des Chrétiens. Il y fonde la citadelle de l’Alhambra. Les Nasrides maintiennent pendant deux siècles un riche foyer artistique et intellectuel à Grenade d’où ils finissent par être chassés en 1492. Omeyyades : première dynastie califale dont la capitale était située à Damas. Ils succédèrent aux quatre premiers califes, et mirent en place un pouvoir héréditaire. Après la prise du pouvoir par les Abbassides (750), un descendant des Omeyyades, ‘Abd al-Raḥmān al-Dākhil (l’exilé), fonda en al-Andalus un émirat indépendant dont la capitale était Cordoue (756), qui se maintint jusqu’en 1031. Reyes de Taifas : avec l’effondrement du califat omeyyade en al- Andalus en 1031, le territoire se morcelle en une multitude de royaumes, les Reyes de Taifas, qui ne cesseront de se combattre entre eux ou contre les assauts de la Reconquête chrétienne. Leur chute est provoquée par l’invasion des Almoravides, à partir de 1086. samit : terme d’origine médiévale, dérivé du grec hexamitos, qui signifie 6 fils. Tissu réalisé avec l’emploi d’au moins deux chaînes et deux trames. Tissu à dominante trame (les chaînes ne servent qu’à lier les trames de décor et de fond), tissé en armure sergé. La technique est attestée au moins depuis le 5e siècle de notre ère. sergé : armure caractérisée par des côtes obliques produites par le déplacement des liages de la valeur de 1 fil à chaque coup de trame. taffetas (ou toile) : armure (croisure) dans laquelle les fils de chaîne pairs et impairs alternent à chaque coup au-dessus et au-dessous de la trame. On emploie généralement le terme de « toile » pour désigner une étoffe tissée avec des fibres discontinues (laine, fibres végétales...) par opposition à « taffetas », réservé aux étoffes en fibres continues, en particulier la soie.

Les arts de l’Islam de al-Andalus à l’Occitanie 87 Ouvrage publié par la Direction Crédits photographiques régionale des affaires culturelles Musée archéologique national, Madrid photo Á. Martínez Levas 40 et (drac) Occitanie photo P. Elena Suárez 54 Conservation régionale des Patrimonio Nacional, Madrid : 68, 70 (fig 4 et 5), 71, 73, 74, 75 monuments historiques (crmh) Archives de la Province de Burgos, Fonds Photo-Club 69 et 70 (fig 3) Hôtel de Grave Archivo del Conjunto arqueologico de Madinat al-Zahra photos P. 5 rue de la Salle l’Évêque - cs 49020 Pijoan (2008) 61, 64 34967 Montpellier Cedex 2 Anonyme (fournie par C. Jacquet) 51 Tél. 04 67 02 32 00 Musée du Louvre, raif 10 Hôtel Saint-Jean Réunion des musées nationaux 11 32 rue de la Dalbade - bp 811 Médiathèque de l’architecture et du patrimoine 50 31080 Toulouse Cedex 6 Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France 45 Musée de Sens photo J-P. Elie 29 Directeur de la publication Musée de Villariès 37 Michel Roussel, directeur régional Palais-Musée des Archevêques de Narbonne photo C. Lauthelin 25 des affaires culturelles Musée des Beaux-Arts de Carcassonne 27 Rédacteur en chef Musée Ingres Bourdelle, Montauban 79, 80, 83 et 85 Laurent Barrenechea, conservateur Centre de restauration et de conservation du patrimoine, Perpignan régional des monuments historiques 6, 32-33, 39 Service de l’Inventaire, conseil régional d‘Occitanie 26 (fig 3) Coordination scientifique J-F. Peiré Drac Occitanie 1, 26 (fig 2), 30 (fig 8), 34, 35, 44, 47, 49, 52 Hélène Palouzié, conservatrice A. Dor 22-23, 28, 67 régionale des monuments historiques S. Gasc et J. Rebière 13, 14, 15, 17, 18, et 19 adjointe, site de Montpellier J. Patterson 55, 58 M. Plantec et V. Monier 30 (fig 7), 31, 42 et 43 Coordination éditoriale F. Valdès 62 Fabienne Tuset, secrétaire de documentation Remerciements Merci à Yannick Lintz, directrice du département des arts de l’Islam, Graphisme pour l’impulsion qu’elle a donné à la journée d’étude de Toulouse et Charlotte Devanz pour sa collaboration à son organisation et à l’édition de cet ouvrage. Fabrication Merci également aux autres collègues du musée du Louvre et du Printteam, Nîmes MuCEM qui ont bien voulu participer à l’écriture de cet ouvrage, Gwenaëlle Fellinger, Carine Juvin et Mireille Jacotin. Merci à Flore Achevé d’imprimer Collette, directrice des musées de Narbonne, et aux restauratrices Juillet 2020 Véronique Monier et Martine Plantec, pour les photos qui illustrent cet ouvrage. Merci enfin à tous les auteurs et aux participants à cette Dépôt légal journée. Juillet 2020 isbn n° 978-2-11-155541-9

de larégion. ments historiques, dans l’ensemble d’art protégés au titre des monu objets et immeubles des encore remarquable contemporaineou » « labellisés des édifices mobilier, et monumental tiers de restauration du patrimoine chan des découvrir de public au « collection la ments historiques), les ouvrages de (conservation régionale des Monu des affaires culturelles Occitanie régionale direction la par Édités monuments objets Duo Diffusion gratuite - isbn Direction régionale desaffaires culturelles Occitanie proposent » Architecture : : 978-2-11-155541-9 - - - islamique enFrance ( journées d’études coordonnées par le Réseau d’art l’Islamde arts aux ledans Sud-Ouest,le dans cadre de consacrée journée une Louvre, du musée le affaires culturelles Occitanie, et en partenariat avec des régionale direction la à 2018 septembre 14 le été organisée qu’a régional patrimoine du fiques spéci- aspects ces lumière en mettre pour C’est trésors d’églises. les dans d’art l’introductiond’objets favorisé ment notam - a qui al-Andalus, musulmane, l’Espagne riques. Le plus déterminant a été sa proximité avec la présence s’explique par plusieurs facteurs histo- dont islamique, dépositaire d’art d’objets nombre aujourd’hui grand d’un est Occitanie région La Regards de al-Andalusàl’Occitanie Les artsdel’Islam tions demuséesFrance delarégion. collec- les dans conservés ou historiques ments monu- des titre au protégés islamique d’art objets des certains sur particulier éclairage un apportent qui d’oeuvres notices de enrichies journée, cette de interventions des plupart la réunit ouvrage Cet France etal-Andalus. la de relationsentretenuesSud-Ouestentrele des la spécificité d’illustrer afin l’Espagne, de nord le dans également mais région, la dans d’acquisition modes leurs de et islamique d’art collections des panorama un brosser de permis a journée Cette ne peut

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