CONCINI

- HÉLÈNE DUCCINI

CONCINI Grandeur et misère du favori de Marie de Médicis

Albin Michel DL- 1903199 1-0859 1

(0 Éditions Albin Michel S.A., 1991. 22, rue Huyghens, 75014 ISBN 2-226-05265-8 Je veux ici rendre hommage à mon maître, Robert Mandrou, trop tôt disparu, à qui je dédie ce livre. Il m'a ouverte à cette autre Histoire, celle des mentalités, qui veut qu'on s'interroge sur les pensées, les senti- ments, les comportements, les ambitions de ces gens qui nous ont précédés, qu'ils fussent ou non au pouvoir.

L'HOMME DE COUR 1600-1610

CHAPITRE I Un jeune homme plein d'avenir

La famille oncino Concini est né à le 24 novembre 15691 et, c contrairement à une légende tenace, d'une famille de bonne noblesse. La Conjuration de Conchine, parue en 1618 et qui pourtant n'est pas tendre pour lui, décrit ainsi ses origines : « Son père avait été Secrétaire de Monsieur le grand-duc de Toscane, fort habile homme, de grand entendement, et bien versé aux affaires d'État, et qui avait été employé par son maître en plusieurs honorables Ambassades, vers l'Empereur et autres grands Princes, où il s'était fort honorablement acquitté de ses charges et en avait remporté beaucoup d'honneurs et de loyers dignes de sa vertu 2. » Un décret rendu dans le conseil des Quarante-Huit avait déclaré Bartholomeo, l'aïeul, lui-même ambassadeur, citoyen de Florence le 23 août 1557. Depuis lors, la situation de son fils Giambattista à la cour du grand-duc lui avait permis, avec 1 assentiment du magistrat suprême de la cité, de faire reconnaître sa maison comme sortie de celle des comtes de la Penna et de Catinaia, dont le dernier représentant était mort peu auparavant à Arezzo (les familles nobles qui venaient à s'éteindre pouvaient ainsi être « relevées » par une décision du magistrat de Florence '). Bartolomeo Concini, qui avait si heureusement élevé le nom de sa maison, n'avait pu se constituer une grande fortune : il pouvait avoir tout au plus 5 000 à 6 000 écus de rente, ce qui suffisait a peine à maintenir le train d'une famille qu 'il avait nombreuse. Son fils, Giambattista Concini (1532-1605), avait suivi ses traces dans la diplomatie, puis, devenu sénateur et chevalier de l'ordre de Saint-Etienne, avait géré habilement son bien, accumulé une fortune déjà respectable de la 000 écus de rente et épousé Camilla Miniati, dont il avait eu quatre fils. L'aîné, Cosimo, destiné comme son père à la diplomatie, était, en 1600, ambassadeur du grand-duc auprès de l'empereur ; le second, Bartholomeo, fit son chemin dans l'administration à Florence et devint à son tour sénateur et chevalier de Saint-Etienne ; le troisième, dont le prénom n'est pas conservé, mourut prématurément et le qua- trième se prénommait Concino : il était promis au plus bel avenir. Unede Toscane. sœur, enfin, Eleonora, fut attachée au service de la princesse Si l'on en croit Vittorio Siri, historien de Florence et auteur des Memorie Recondite publiés en 1676, Concino « était de bonne prestance », et avait « un extérieur agréable, beaucoup d'esprit, et des manières honnêtes et obligeantes4 ». Il avait fait, à l'université de Pise, de solides études qui semblaient le destiner à une autre carrière que celle des armes. Il fut même, croit-on, tenté un moment par la vie monastique, sous l'influence d'un de ses plus chers et plus intimes amis qui avait pris la bure. Dans un élan mystique, comme on en voit dans les hagiographies, il aurait voulu abandonner l'habit de satin et de velours pour endosser le froc de l'humble moine. Mais cette vocation fut sans lendemain... Sa mauvaise réputation, qui le peint « gentilhomme dissolu et perdu de dettes 5 », est fondée essentiellement sur un texte des Mémoires de Bassompierre qui met en scène l'Italien au moment de la mort de sa fille en janvier 1617. Bassompierre rédige un dialogue reconstitué, dans lequel Concini se lamente sur « les élévations de la fortune, mais encore les chutes et les décadences », thème classique de la littérature, mais illustré de façon si démons- trative par sa vie et par sa mort. Originaire de Lorraine, le jeune Bassompierre avait, dit-il plus tard, été l'hôte, en 1596-1597, du grand-duc Ferdinand et de la grande-duchesse Christine de Lorraine, nièce de Catherine de Médicis. Ce détour florentin authentifie, semble-t-il, son témoignage sur Concini : débauche, quelquefois prison, bannissement, désordre, mauvaise vie, jeu et dettes de jeu. Dans le texte du mémorialiste, l'Italien parle à la première personne : « Je suis né gentilhomme et de bons parents ; mais, quand je suis venu en , je n'avais pas un sou vaillant et devais plus de huit mille écus [24 000 livres] 6 ». Il est vrai que les témoignages sont nombreux sur ses habitudes de joueur. Après ses études, Concino fit un séjour à Rome, dans la suite du deuxième cardinal de Lorraine, le frère du duc de Guise, qui avait demandé à son parent par alliance, de lui adresser des jeunes gens de Florence pour compléter son train. On ne manqua pas par la suite d'affirmer que Concini avait été « croupier » dans la suite du cardinal de Lorraine ! Le séjour à Rome était pour Concino, ce fils de diplomate, un premier contact avec un milieu français, une introduction à la vie et aux arcanes de la curie, initiation que Mazarin connaîtra lui aussi plus tard. Le mariage Médicis Mais ce qui devait vraiment servir ce jeune homme bien doué, ce fut, en 1600, le mariage de la princesse Marie avec l'un des plus grands rois de la chrétienté, Henri IV. Des projets de mariage avaient déjà envisagé des unions avec le prince de Parme, le neveu de l'empereur, et les négociations avaient été un moment fort avancées; puis avec le duc de Lorraine, parent de la grande- duchesse. Il existait alors, dans les cours italiennes, des astrologues chargés d'étudier la configuration astrale des princes et de leur prédire l'avenir. On faisait aussi appel à des religieuses en odeur de sainteté, des beatae, qui avaient commerce avec le ciel dans leurs longues oraisons7. Catherine de Sienne, en son temps, avait conseillé les puissants. En cette fin du xvie siècle, à Sienne encore, une sainte personne, la religieuse Passithée, douée du don de prophétie, avait prédit à Marie qu'elle serait un jour reine de France, à une époque où Henri était marié légitimement à Marguerite de Navarre et où rien ne le laissait prévoir. Tous ces rêves avaient donné à la nièce du grand-duc une haute opinion de son rang et du respect qui lui était dû : bien que sa sœur, la duchesse de Mantoue, fût son aînée, elle obligeait celle-ci à lui céder le pas. Marie et à ses côtés Leonora Dori (plus tard Galigaï), sa confidente, avaient une ambition plus haute. Cette dernière « croyait que ladite Dame Reine eût été mieux en Espagne qu'en France, à cause des guerres et troubles de France qui étaient lors, d'autant qu'en ce temps-là, tout était paisible en Espagne8 ». Mais cette alliance ne correspondait pas aux choix politiques du grand- duc, qui avait très tôt penché pour Henri IV. Le roi de France préserverait mieux l'indépendance de la Toscane que l 'Espagne, laquelle dominait l'Italie, au nord par le Milanais, au sud par le royaume de Naples et une bonne partie du reste par ses pistoles. Le projet d'une union avec la couronne de France avait eu tout le temps de mûrir. # . Les démarches du grand-duc étaient conduites par les intérêts et la politique. Très tôt, compte tenu de la situation en Italie, Ferdinand avait joué la carte française, même celle de Henri de Navarre contre les Espagnols : méritoire lucidité en un temps où les troubles de France faisaient de Henri IV un prince contesté en Europe et dans son propre royaume. De longues négociations, entamées dès 1594, avaient conduit à la conversion du roi, puis à Toscaneson absolution avait activement par le pape, contribué le 17 septembre à l'avancement 1595. Le de grand-duc cette affaire. de Par ailleurs, il apparaissait clairement qu'il fallait un héritier au roi de France pour prévenir le retour des guerres civiles, que ne manquerait pas d'amener une succession contestable. A cette fin, il fallait d'abord obtenir du pape qu'il accepte de prononcer la nullité du premier mariage du roi, celui qui l'avait uni à la sœur de Henri III, Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis, que l'on appelait familièrement la reine Margot. En 1599, de nouveaux contacts furent pris avec le grand-duc Ferdinand, qui s'entremit activement dans les négociations avec la cour de Rome. Brûlart de Sillery, qui avait négocié à Vervins pour Henri IV la paix avec les Espagnols en 1598, fut envoyé en ambassade à Rome. Passant par Florence, il ne manqua pas de prendre conseil du grand-duc, auquel il fit des ouvertures en vue d'un mariage de Henri IV avec sa nièce Marie. Clément VIII, désormais bien disposé, désigna trois juges pour instruire la cause : le cardinal de Joyeuse, l'archevêque d'Arles et l'évêque de Modène, nonce apostolique en France, qui déclarèrent nul le premier mariage de Henri IV, parce que contracté entre une princesse catholique et un prince héréti- que, parce que les deux époux avaient des liens de parenté trop proches au regard des interdits du droit canon et, enfin, parce que la reine Marguerite y avait été contrainte, ce qu'elle avait accepté de confesser par écrit. Cette issue laissait donc au roi de France toute latitude pour contracter une nouvelle union. Les contacts furent repris avec le grand-duc qui confia cette mission à un homme fort habile, le chanoine Baccio Giovannini, ancien secrétaire de Giambattista Concini, le père de Concino, au temps où celui-ci était ambassa- deur du grand-duc François, le père de la reine. D'origine modeste, l'ecclésiastique avait un esprit souple et délié, une grande simplicité de manières et un sens aigu des affaires, toutes qualités fort nécessaires dans une négociation qui risquait d'achopper sur des marchandages, le roi de France ayant contracté d'énormes dettes auprès de la banque Médicis. Henri IV « héritait » d'un reliquat de celle de Charles IX, d'un montant de 45 232 ducats, à laquelle s'ajoutaient les siennes propres : il avait largement fait appel au grand-duc pour financer les guerres de reconquête intérieureintérêts continuaient de son royaume, à courir. soit unPour total éteindre de 1174147 cette écusdette, dont le roiles demandait au Toscan de fournir à sa nièce une dot de 1 000 000 de ducats. Le Florentin en offrait de son côté 500 000, dont 400 000 à prendre sur les dettes du roi et 100000 à verser comptant à Marseille, quand la princesse débarquerait en France. En outre, pour faire escorte à la reine dans son voyage, le grand-duc demandait que le roi louât des galères de Malte; lui-même s'adresserait à Gênes pour compléter cette flotte et le pape y ajouterait les siennes, ce qui ferait une escadre d'honneur de vingt- quatreLivourne galères, à Marseille. qui accompagneraient la reine et sa suite de Rapprocher les points de vue devait prendre des semaines et même des mois. Villeroy, secrétaire d'Etat chargé des Affaires étrangères, qui négociait pour Henri, pouvait mettre en avant d'autres partis souhaitables pour un roi de France ; les intrigues de la cour, les amours passionnées de Henri pour Gabrielle d'Estrées, puis, après la mort de celle-ci en 1599, pour Henriette d'Entra- gues, venaient encore compliquer la tâche des négociateurs. Le cardinal de Gondi, qui oeuvrait depuis longtemps dans le sens du mariage toscan, faisait valoir à la cour de Florence les inconvé- nients de ces retards : « Il en résulte que bien des gens qui ont de mauvaises intentions reprennent courage et proposent au roi d'autres partis, et il pourrait y prêter l'oreille ou bien se plonger dans cette Entragues. Car l'un est tout sens et l'autre toute malice ; elle cherchera tous les moyens d'avoir un fils pour se faire reine 9. » Une nouvelle ambassade de Sillery, accompagné du cardinal d'Ossat, fut envoyée à Florence pour trouver un point d'accord. Finalement, en février 1600, la dot de Marie de Médicis était fixée à 600000 ducats d'or, dont 350000 au comptant et le reste à prendreMédicis sursigna les lescréances articles du du grand-duc. contrat de Le mariage 25 avril, de Ferdinand sa nièce ende présenced'Alincourt. de Henril'envoyé IV écrivaitdu roi, à Sillery,M. de Chatte,et du filsambassadeur de celui-ci, en Angleterre : « Je suis de ceux qui pensent qu'un bon mariage leur doit aider à payer une partie de leurs dettes. » C'était là résignation, car le « parti » n'était point si glorieux. Dans les était(Economies d'une desroyales, moindres Sully faitmaisons parler de Henri la Chrétienté : « Le Duc qui de portent Florence le titre de Prince, n'y ayant pas plus de soixante ou quatre-vingts ans que ses devanciers n'étaient au rang des plus illustres bourgeois de leur ville, et de la même race de la reine mère Catherine, qui a tant fait de maux à la France, et encore plus à moi en particulier. » Les Italiens n'étaient pas très bien vus à la cour de France. Une chance à saisir Le marché enfin conclu, il convenait pour le grand-duc de tirer bénéfice de cette opération et de constituer la suite de Marie, pour laquelle la compétition à la cour des Médicis était serrée. Beaucoup gardaient mémoire de la belle carrière de certains de leurs compatriotes qui, une cinquantaine d'années auparavant, avaient accompagné Catherine de Médicis à Paris. L'élévation des Gondi de Retz était dans toutes les mémoires. Plus près d'eux, Sébastien Zamet, venu en France en 1580, n'était-il pas maintenant le plus grand financier de France, seigneur suzerain de 1 800 000 écus d'or, créancier de la couronne et d'une partie de la noblesse française ? Une correspondance très suivie et très minutieuse s'échangeait entre Florence et Paris pour fixer la liste des membres italiens de la maison de la reine. La décision dépendait du ministre des Affaires étrangères, Villeroy. Or, parmi les premiers noms cités, on trouve celui de Concini, comme en témoigne une note conservée dans le registre des Parentadi della Serenissima Casa di Medici : « Concino Concini, des Comtes de la Penna, est un jeune homme rempli de bonnes qualités, issu d'une maison qui a bien mérité du Grand-Duc et de la reine ; son père est auditeur suprême et Monsieur Cosme, son frère, est ambassadeur résident du Grand- Ducfamille auprès très debien Sa Majestévue de leursimpériale. Altesses En somme,et il voudrait il appartient se fixer à une en France et y servir avec fidélité et diligence, pour gagner les bonnes grâces de Sa Majesté et avoir sa place parmi les gentilshommes qu'elle entretient pour la suivre et la servir en tous lieux et même à la guerre ; et son Altesse serait vraiment tout à fait reconnaissante qu'il soit bien et favorablement accueilli10. » En outre, le résident florentin à Paris, Belisario Vinta, était l'oncle de Concini (le beau- frère de sa mère). Il était donc excellemment placé pour avancer cette candidature qu'il s'employait à soutenir auprès de Sully et, surtout, de Villeroy, bien disposé à l'égard de Concino, pour avoir deautrefois bonnes connu chances et estimé d'être sonretenu. grand-père. Ce postulant avait donc Le 12 mai 1600, Giovannini, l'agent du grand-duc, rendait compte de la situation telle qu'on la voyait à Paris. Les serviteurs de la princesse qui occupaient un emploi précis l'accompagne- raient à coup sûr : « Les blanchisseuses, les officiers de bouche, la jeune fille qui prend soin de la coiffure de la reine [Leonora Dori- Galigaï], la gouvernante, la sous-gouvernante n. » Pour les autres, le dossier était plus difficile à plaider : Henri IV ne voulait pas voir arriver dans les bagages de Marie une nuée de gentilshommes désargentes, désireux de faire fortune en France. Pour Concini il n y avait guère d'emploi : « Le Roi a des gentilshommes que l'on appelle ses ordinaires, et qui ne servent pas par quartier [c'est-à- dire par trimestre] ; ils sont quinze ou vingt, la plupart huguenots, et sont toujours allés à la guerre avec Sa Majesté ; ils la servent et la suivent continuellement où qu'elle aille et même à la chasse; toujours debout et les bottes aux pieds, ils peinent et supportent quelqueles plus duresgouvernement fatigues. deEn forteresse fin de compte, ou autre on chose les récompense semblable x\ par » En temps de guerre, ajoutait Giovannini, les postes de gentils- hommes ordinaires étaient plus nombreux et le roi pourrait recruter des officiers pour son armée, parmi lesquels Concini pourrait faire carrière en se signalant par son courage. Mais en ce temps de paix, les compagnons de Henri IV allaient courir le cerf et forcer le sanglier. Comme disait le duc de Biron, qui trouvait ce sport lassant : « Le Roi fatigue tout le monde et derrière lui on use sa vie et ses chevaux. » Il fallait donc que le candidat pesât le pour et le contre et consultât son père, car « il faut compter avec la grande dépense qu'occasionne la vie de cour : un gentilhomme comme le signor Concini ne sera guère estimé s'il n'a pas un carrosse, deux chevaux, des officiers de sa maison et laquais et serviteurs en grand nombre, s'il n'a pas aussi une bonne table 13 ». Giovannini donnait des conseils très précis et très concrets : le signor Concini devrait louer une maison pour 150 écus par an et la meubler pour quelques milliers d'écus, les logements garnis coûtant une fortune ; acquérir des pièces d'argenterie pour tenir son rang, car de moindres que lui en ont ; prévoir des dépenses bleimportantes luxe vestimentaire. pour la vie Laquotidienne fin de la trèslettre coûteuse de Giovannini et l'indispensa- résume son point de vue : « Pour l'homme patient qui aura les moyens d'attendre, pour l'homme intelligent et ambitieux qui jouira de la faveur et des bonnes grâces de ses maîtres, il y a en ce règne-ci du drap en abondance, et l'on peut s'y tailler de bons morceaux14. » Il fallait avoir l'oreille de Villeroy, mais si la reine parlait elle- même au roi, il n'y aurait plus le moindre obstacle. Telle était la situation en juillet 1600 : l'essentiel était de partir ; à l'arrivée, en demandant cette faveur à la reine, Concini pourrait trouver place parmi les officiers de sa Maison. Le 28 août 1600, le grand écuyer, M. de Bellegarde, ancien mignon de Henri III, rallié à Henri IV depuis la mort de son maître en 1589 et du même âge que lui, arriva à Florence accompagné d'une suite brillante de trente-cinq gentilshommes français. Il était porteur de la procuration du roi. Le 4 octobre, enfin, le cardinal Aldobrandini, neveu du pape Clément VIII, qui devait présider la cérémonie, arriva à Florence au son des trom- pettes et avec tout l'appareil d'une grande « entrée » : immense défilé de noblesse, de troupes et de dignitaires de l'Eglise venus de Rome, gentilshommes et troupes de parade sortis de Florence pour accueillir le cardinal-légat. Le lendemain 5 octobre, le mariage fut célébré en grande pompe dans la cathédrale de Florence, le grand-duc tenant l'emploi du marié, cérémonie évoquée plus tard par Rubens (qui y assista) au palais du Luxembourg. Le soir eurent lieu des danses au palais Pitti et le grand-duc offrit un somptueux festin à ses hôtes. Les jours suivants, ce furent des chasses, des joutes et des courses de bague et, dans les soirées, les spectacles mythologiques succédaient aux représentations théâtrales. On vit pour la première fois un opéra, l'Eurydice de Peri. Ces fêtes magnifiques se prolongèrent pen- dant13 octobre une semaine, 160015. jusqu'au départ de la princesse, qui eut lieu le CHAPITRE II Leonora et Concino : la rencontre

Le voyage rente textes, récits ou poèmes, rendent compte du voyage de la jeune reine de France, depuis son départ de Florence Tjusqu'à son arrivée à Lyon, le 3 décembre 1600. Presque deux mois de longues péripéties, mais aussi de fêtes somptueuses à l'entrée dans les grandes villes. La première escale fut pour Pise où se déroulèrent de belles joutes sur l'Arno. Le 17 octobre, on était à Livourne. Était-ce la première fois que la princesse voyait la mer ? C'était sans doute le cas de bon nombre de ses compagnons. Qu'on se représente ce déplacement de la suite de la nouvelle reine : plus de mille personnes ! Le duc de Bellegarde et les gentilshommes français venus avec lui à Florence, des nobles toscans, comme Concini, souvent accompagnés d'un ou, mieux, de plusieurs serviteurs, suivant leur rang, les dames de compagnie et les filles de la reine, des secrétaires particuliers, des envoyés du grand-duc, mais aussi des soldats pour la garde et une nuée de serviteurs pour la princesse et pour sa suite : cochers et palefre- niers, cuisiniers, gâte-sauce et galopins de toutes sortes, femmes de chambre et personnel domestique. Or, dans l'entourage immédiat de Marie, se voit « une petite personne fort maigre et fort brune, de taille assez agréable, et qui, quoiqu'elle eût tous les traits du visage beaux, était laide à cause de sa maigreur16 », c'est « la jeune fille chargée de la coiffure de la Reine ». De cinq ans son aînée, Leonora Dori, qui prit ensuite le nom de Galigaï (le magistrat de Florence pouvait ainsi relever le nom des familles nobles menacées d 'extinction) partage son intimité depuis seize ans déjà. La nièce du grand-duc a eu, en effet, une enfance assez triste, dans l'immense et austère palais Pitti : elle a perdu sa mère, Jeanne Leonora Dori acheta leur nom aux derniers descendants des Galigaï : « J'ai eu, disait-elle, l'honneur d'être aimée de la Reine pour l'avoir suivie dès sa jeunesse. J'ai acquis sa bienveillance en la étaitbien servant,de sa volonté. en me rendant» très diligente à la suivre et à faire ce qui d'Autriche, la nièce de Charles Quint, en 1578 — elle avait alors cinq ans —, puis son frère, Philippe, en 1583, et, l'année suivante, sa sœur Anne, quelques mois après que leur aînée, Eléonore, eut épousé le duc de Mantoue. Lui reste seulement Virginio Orsini, un jeune cousin dont on prétend qu'elle s'éprit plus tard. Pour distraire l'enfant de onze ans, sa belle-mère, Bianca Capello, lui a donné une compagne de jeux, la fille, dit-on, d'un maître charpentier qui travaille sur les chantiers du grand-duc. Leonora, elle, affirmait être la fille d'un « gentilhomme de Florence ». Une tradition parle d'un Jacques de Batstein, à rapprocher peut-être de Bassompierre (de son nom allemand Betstein) dont la galanterie défrayait la chronique de la cour (même si Bassompierre était contemporain de Leonora !) ? Un doute subsiste donc. La jeune fille était douée d'une vive intelligence et d'un caractère enjoué. D'une gaieté pleine d'entrain, elle manifestait une humeur plaisante. Les amitiés d'enfance sont souvent les plus vives et les plus durables. L'affection de Marie pour Leonora était très passionnée. Matteo Botti, l'envoyé florentin, disait même : « Je puis dire que Sa Majesté l'aime extraordinairement [en italien estraordinarissimanente] et qu'elle semble comme enamourée d'elle. » Giovannini, qui ne pouvait supporter cette rivale, écri- vait : « Questa insipida e damnosa passione ! » Et Leonora disait : « J'ai eu l'honneur d'être aimée de la Reine pour l'avoir suivie dès sa jeunesse. J'ai acquis sa bienveillance en la bien servant, en me rendant très diligente à la suivre et à faire ce qui était de sa volonté. » Même l'auteur critique de la Conjuration de Conchine écrit : « Toutes les deux, comme l'on dit, avaient tiré mêmes mammelles, et avaient été nourries de mesme lait ; elles avaient pris substance de même chose et, depuis 1 'enfance, cette femme n'était jamais départie des côtés de la Reine, se rendant d ailleurs fort soigneuse de sa personne. » En fait, Leonora n était pas la fille de la nourrice de la reine, que l'on connaît par ailleurs. Le spectacle qui s'offrait aux voyageurs à leur arrivée a Livourne était magnifique. Sur la Méditerranée, au soleil cou- chant, resplendissaient les galères de l'escadre royale, qui compre- nait finalement dix-sept navires : le pape en avait envoyé cinq, le roi de France avait demandé à Malte de lui en fournir cinq et le grand-duc lui-même en avait affrété sept, dont la galère de la reine qui montrait un luxe inouï, à la hauteur de sa « réputation ». « a galère royale était de la longueur de septante pas et de vingt -sept rames de chaque côté, dorée partout ce qui se pouvait voir au- dehors. Le bois de la poupe était marqueté de cannes d Inde, de Grenatines, d'Ébène, de Nacre, d'Ivoire et pierres bleues. Elle était couverte de vingt cercles de fer doré, croisés et enrichis de pierreries et de perles, avec vingt grosses topazes et émeraudes. Au-dedans, vis-à-vis du siège de la Reine étaient élevées les armes de France en Fleurs de Lys de diamant et à côté celles du Grand- Duc en cinq rubis avec un saphir de la grosseur d'une balle de pistolet, avec une grosse perle au-dessus et une grande émeraude au-dessous. On estimait ces armes septante mil écus. Entre ces armoiries, deux croix de rubis et de diamants. Les vitres tout autour étaient de cristal, les rideaux de drap d'or à franges. Les chambres de la galère tapissées de même 17. » Ce splendide bâtiment était confié au commandement de Don Antonio, le fils de Bianca Capello, seconde femme du grand-duc Ferdinand. Le 19 octobre, prirent place à bord avec la reine, sa tante, Mme la grande-duchesse de Florence, sa sœur, Mme la duchesse de Mantoue, venues l'accompagner jusqu'à Marseille, et leur suite. L'itinéraire choisi longeait les côtes pour ne pas risquer de mauvaises rencontres, les pirates étant à redouter, et même les Turcs. Il fallait aussi pouvoir s'abriter en cas de mauvais temps. Après une escale au port d'Espetia, où les ambassadeurs de Gênes vinrent saluer Sa Majesté, lui offrant en outre que leurs galères accompagnent le convoi, on mouilla à Portofino. On n'avait prévu qu'un court arrêt, mais il fallut attendre : le vent et la tempête se mirent à souffler de telle sorte qu'ils interdisaient la poursuite du voyage. Cette escale forcée et prolongée facilitait les rencontres et c'est là sans doute que le signor Concini fit la connaissance de Leonora Dori. Ce gentilhomme avenant et spirituel était sensiblement de son âge, le visage agréable, les traits réguliers, la moustache élégante. Selon Tallemant des Réaux, qui ne le flatte pas, « c'était un grand homme, ni beau ni laid, et de mine assez passable18 ». Les portraits qui nous restent sont plus plaisants et montrent un homme qui porte beau et a, somme toute, fière allure, se tenant très droit. Il n'avait pas été sans remarquer la place toute particulière qu'occupait Leonora dans l'entourage de la reine. Sans doute ne devait-il pas oublier que sa situation en France dépendrait des faveurs de Sa Majesté. Il avait tout intérêt à entrer dans les bonnes grâces de la jeune fille qui l'approchait de si près. L'entreprise n'était point si aisée : d'autres gentilshommes, des Français de la suite du duc de Bellegarde, n'hésitaient pas à faire à Leonora une cour assidue. Le jeune Italien avait pour lui une conversation spirituelle, un esprit gai, une humeur agréable. sentiments.Leonora fut séduite sans cependant rien laisser paraître de ses Après neuf jours d'attente, le convoi reprit la mer le 28 octobre pour mouiller à Savone, puis en trois jours on fut à Toulon où l'on arriva le 1er novembre. On y prolongea l'escale pendant deux jours. Le 3 enfin, vers cinq heures du soir, on atteignit Marseille. Le voyage par mer se terminait heureusement après une rude traversée : « Depuis Gênes jusques à Marseille, la Reine s'est trouvée en des détroits effroyables, a passé des vagues et tempêtes très dangereuses, sans en donner à voir aucun signe de soin ou de crainte. Chacun était abattu et accablé de la tourmente, l'un pantelait de ça, l'autre pâmait de là : elle seule se riait d'eux et encourageant tantôt l'un, tantôt l'autre, arraisonnait les matelots, puis les Comites, ou les pilotes, leur donnant courage, demandant de leur pays et de leur état, commandant de ramer vivement et avancer le voyage. Chacun restait épris d'admiration et ravi d'étonnement de voir ce cœur mâle, guerrier et généreux se jouer de la mer, se rire des flots, se gausser du temps et de la tempête ; [...] si le Roi est un Mars en terre, elle est une Vénus en mer, etbravant des flots19. les ondes » et se montrant maîtresse victorieuse des orages La nouvelle Patrie La réception à Marseille devait être grandiose : « Ne se peut représenter la magnificence de la descente desdites galères, cha- cune prenant port et place selon son rang. » Le roi avait fait les choses somptueusement, d'autant plus sans doute qu'il était lui- même absent, retenu par la guerre qu'il menait contre le duc de Savoie. On estimait pour le moins à sept mille personnes le nombre des gentilshommes ou soldats, gardes et serviteurs « qui se défrayent aux dépens du Roi »". La reine descendit de la galère royale et mit le pied sur le grand ponton dressé pour l'accueillir et où se tenaient les représentants de la cour de France. Les quatre consuls de Marseille, « étant à genoux », présentèrent à Sa Majesté deux clefs d'or attachées d'une chaîne, que la reine donna à M. de Lussan, capitaine des gardes. Alors M. du Vair, premier président du parlement d'Aix chargé de faire le discours de bienvenue, s'avança. « Le Roi, dit-il, excellent en vertu, admirable en bonté, incomparable en vail- lance », va s'unir à la reine dont on admire les grâces : « rare beauté, naïve douceur, vivacité de l'esprit, sollicitude [solidité] du jugement, élégance du discours, suaves et religieuses mœurs. r...] Nous présageons que nous verrons bientôt au jour de vous un on nombre de beaux enfants portant sur leurs fronts la valeur de leur père, la vertu de leur mère, la grandeur et noblesse de la Maison de France, l'heur et la puissance de celle d'Autriche, la prudence et la sagesse de celle de Florence21 ». Le séjour à Marseille se prolongea pendant deux semaines. Toutefois, le moment des séparations approcha. Mme la grande- duchesse avait remis entre les mains des ministres du roi la dot de sa nièce et en avait reçu quittance. Il fallait s'en retourner. Ayant donc fait ses adieux à sa tante et à sa sœur, la duchesse de Mantoue, Marie vit s'éloigner une partie de la suite italienne qui l'avait accompagnée jusque-là. Restaient ceux que le roi avait agréés,ceux-là. qui espéraient faire fortune en France : Concini était de Le vendredi 17 novembre, la cour quitta Marseille pour Aix, où Malherbe, présenté à la reine, lui offrit cette Ode à Marie de Médicis sur sa bienvenue en France qui marqua le début de sa réputation à la cour où il viendra en 1605 ; puis l'on s'en vint coucher à Salon. Le 18, on partit traverser la Durance à Cavaillon. Le passage de la rivière s'opéra dans le plus grand désordre : la presse, la bousculade, « l'embouteillage », étaient indescriptibles. La traversée de la rivière, commencée vers midi, n'était pas achevée à la tombée de la nuit, qui venait vite en cette saison. Une partie des carrosses et des bagages durent rester sur l'autre rive. Le courant était rapide et violent : plusieurs personnes de la suite furent renversées, un laquais de Mgr de Gondi se noya en tentant de traverser à gué un petit bras de la rivière. L'ambassadeur Baccio Giovannini réussit à passer, non sans mal. La saison était froide, un fort mistral balayait la vallée du Rhône. Fut-ce ces premiers froids, l'adaptation à une nourriture différente, une « grippe » qui peut-être avait cours ? Concini tomba malade, fut affligé d'une forte fièvre et commença de garder la chambre. Leonora prit très à cœur un mal aussi violent. Que l'on songe au peu d'efficacité de la médecine du temps ! Elle vint voir Concino chez lui et lui prodigua elle-même des soins attentifs ; bref, elle n'hésita plus à faire paraître ses sentiments. La reine approuvait-elle cette passion ? N'eût-il pas mieux valu, pour sa chère Leonora, qu'elle fît choix d'un gentilhomme français ? Et il n'en manquait pas, « de fort beaux et fort bien faits », comme aurait dit la princesse de Clèves. Dès le départ de Florence, il s'en était trouvé plusieurs qui lui faisaient la cour. La princesse, fort jalouse, se montrait-elle offensée de cette passion si affichée ? Mais pouvait-elle refuser à Leonora de se choisir un époux selon son cœur, au moment où elle-même allait convoler avec le roi de France pour les besoins de la politique ? Elle se fit donc indulgente aux amours de son amie : Concini eut ses entrées dans les appartements de la reine, et eut même quelquefois l'insigne honneur d'être admis à la table royale. Dès lors, il pouvait craindre les jaloux. Ils ne manquèrent pas. Le plus redoutable était sans doute le chanoine Baccio Giovannini, qui avait oeuvré pour faciliter le départ du fils de son ancien maître et conservait en France un rôle de mentor. Il avait placé auprès de lui un de ses parents, moine défroqué qui attendait son absolution de Rome, et qui était chargé de gérer ses affaires. Ce personnage avait-il en outre un rôle de surveillant ? Était-il indélicat ? ou maladroit dans ses propos ? On ignore pour quelle raison, Concini lui avait signifié son congé au moment de sa maladie. Ce serviteur éconduit s'était plaint à Giovannini, qui était venu réclamer à grands cris une somme de 30 livres qu'il disait être due à son parent et cette scène violente avait eu pour effet d'aggraver l'état de Concino. Leonora prit cette querelle très à cœur et les relations avec le chanoine Giovannini s'aigrirent tout à fait. A dater de ce moment, surtout au début de 1601, les dépêches et la correspon- dance de l'envoyé du grand-duc montrent un parti pris hostile à Concini qui rend suspect son témoignage. Craignait-il que l'étoile montante de son compatriote auprès de la reine, via sa camériste, ne vienne à lui faire de l'ombre? Ce jeunot, ce freluquet, ce godelureau n'était-il pas en train de s'imposer parmi tous les Italiens de l'entourage de la reine ? De tels avis ont certainement beaucoup contribué à forger l'image d'un Concini ambitieux, prêt à tout pour réussir dès son arrivée en France. La ville du pape : Avignon Le vice-légat du pape était venu à la rencontre de la reine, on ne pouvait donc retarder les cérémonies de la grande « entrée » . le dimanche 19 novembre, Avignon fit à la princesse de Toscane un accueil vraiment triomphal, dans la grande tradition des fêtes romaines. On peut y saisir tout le poids de la politique et de la propagande. Le détail en est fort bien connu, car la ville, désireuse d'en perpétuer le souvenir et de servir à la fois sa réputation et celle des jésuites, qui en étaient les maîtres d oeuvre, a demandé au père Valladier, professeur de leur collège, d en rédiger un compte rendu". L'ouvrage, qui comporte deux cent quarante-quatre pages et quinze très belles gravures du Strasbourgeois Mathieu Greuter, fut adressé en 1601 au roi et au grand-duc. Après de merveilleuses festivités, auxquelles le prétendant de Leonora, du fait de son indisposition, n'avait pu assister, le mercredi 22 novembre, la reine quittait « la Rome de deça des monts, la Constantinople des Gaules, la Florence de France, la perle des belles villes, vierge et nette de toute hérésie, la colonie des nations, l'asile des étrangers [allusion aux jésuites ?], le gracieux, plaisant et agréable séjour des Princes et des Roys, [...] accompagnée de toute la noblesse de cette Ville et de sa Cour, et merveilleusement satisfaite tant du bon accueil de mondit Seigneur leLa Vice-Légat reine fut sensible en particulier, à l'effort que des dejésuites. toute laAvait-elle Ville en étégénéral23 convain- ». cue par le visiteur général qu'elle avait rencontré ? Par le vice-légat lui-même ? Par le concours d'une imposante représentation des émissaires de Sa Sainteté ? Nièce du grand-duc Ferdinand, lui- même si lié à Rome, se sentait-elle une dette de reconnaissance à l'égard de ceux qui l'avaient conduite en France ? Est-ce que le fruitnaient mûrissait? de Henri IVDeux le droit ans deplus revenir tard, en en France 1603, etles le jésuitesroi choisissait obte- pour son confesseur le père Coton du collège d'Avignon. La rencontre de Henri et de Marie Après une dernière étape à Vienne, on arriva le soir du 2 décembre dans le faubourg de la Guillotière, aux portes de Lyon. Après le Te Deum chanté à la cathédrale, la reine fut accueillie à l'archevêché. Le 17 novembre, le roi avait fait savoir qu'il désirait que son mariage fût célébré dans cette ville. Ayant « réduit » le fort Sainte-Catherine, il descendit enfin le Rhône en bateau. Le samedi 9 décembre, à proximité de la ville, il quitta son embarcation, monta à cheval, vint à Lyon et descendit chez le connétable de Montmorency qui logeait aux Célestins, en face de l'archevêché,, de l'autre côté de la Saône. Il dépêcha vers la reine le secrétaire d'Etat Loménie pour prendre contact avec les ministres àqui l'archevêché se trouvaient dans auprès la soirée. de Marie Mais et leurle roi annoncer se fit encore que le attendre.roi serait Lui-même voulait donner à sa première rencontre avec la jeune princesse, de vingt ans plus jeune que lui, un tour romanesque. Il voulut la voir incognito. Il était près de huit heures du soir. On disait que le roi tarderait un peu. Le chancelier de Bellièvre, fort âgé et qui commençait à s'endormir, prit congé et se retira, accompagné du chevalier Vinta, le résident florentin. Ils engagèrent la reine à prendre son souper (notre dîner). Elle passa donc à table ne gardant auprès d'elle que ses familiers : don Antonio, son frère, don Virginio, son cousin, et Mme de Nemours qui devait lui enseigner les manières de la cour française et qui s'était prise d'affection pour la jeuneseulement reine. de Pourtrois oune quatrepas se gentilshommes,faire voir, le roi dont arriva son accompagné vieil ami le duc de Bellegarde, qui avait eu tout loisir de lui décrire les avantages de la princesse italienne fort belle et avenante, plus même que ne le laissaient supposer les portraits que le roi avait reçus. Caché derrière Bellegarde, Henri s'approcha de la chambre où Marie prenait son dîner. Mais un mouvement se fit autour du roi qu'on avait reconnu et auquel on voulait faire place. Les deux compères se retirèrent précipitamment. La reine avait bien com- prissans quefinir sonle repas, époux elle était se arrivé.retira dansSe levant ses appartements. de table tout Toujoursaussitôt, dissimulé par Bellegarde, Henri vint à sa chambre. Le grand devaitécuyer êtrefrappa le roi alors ». Lors, à la porteon ouvrit « si aussitôtfort que et la Henri reine IVjugea fut enque face ce de la princesse. Emue, elle s'agenouilla, mais le roi ne lui en laissa pastendrement le temps contre : la luirelevant, et la baisa il la trois prit oudans quatre ses fois,bras, « lada pressatutti i lati della faccia », comme l'écrit le chanoine Giovannini. Pendant une demi-heure, « ce ne furent que honneurs, caresses et baisers, respects et devoirs mutuels24 ». Attirant Marie près de la chemi- née pour la considérer à loisir et lui parler plus secrètement, il l'entretint en a parte et sollicita alors son hospitalité pour la nuit, prétextant qu'il n'avait point de gîte à Lyon. Il se fit ensuite présenter les seigneurs italiens présents : don Antonio, don Virginio et Baccio Giovannini. Fait digne de remarque, il demanda reineà voir la la tenait. signora Elle Leonora, avait eu, dontces jours il savait derniers, déjà «en un quelle accès estimede fièvre la catarrhale », mais elle parut dès que le roi eut parlé d'elle et celui- ci l'embrassa a la francese. Sans plus tarder, le roi s'en vint souper « légèrement », comme le souligne le chroniqueur, en présence des seigneurs italiens avec lesquelscoutumières. il conversa Il leur avec dit lacombien simplicité la etreine la familiarité lui paraissait qui lui aimable, étaient plus belle encore que ses portraits, « avec une mine et une physionomie qui indiquaient la fermeté et la sagesse ». Que pouvaitbesoins réserverde l'État auet roide sesce mariagefinances « ? àIl distance engageait », l concluavenir pour: Henri les avait besoin de beaux et solides enfants qui prissent après lui les éclataitrênes de dans l'État, son et beauMarie teint semblait clair. douéeIl avait d unebesoin excellente pour eux santé d unequi mère attentive, soucieuse du respect qui leur serait dû, et, si son âge déjà relativement avancé ne lui permettait pas de les voir devenir adultes, d'une régente qui prendrait sur elle les responsa- bilités du pouvoir. Pour les choses du cœur, il était pris ailleurs, dans les rets d'Henriette d'Entragues, marquise de Verneuil. Que la reine fût une belle blonde, bien en chair, ce qui allait avec les canons de beauté du temps, c'était une chance de surcroît qui le mettait sans doute de joyeuse humeur. Il avait vaincu le duc de Savoie, une « bonne paix » était en vue par l'entreprise du légat Aldobrandini, neveu de Sa Sainteté Clément VIII. L'avenir lui souriait. Après s'être fait déshabiller, le roi revint dans la chambre de la reine, qui s'était déjà retirée dans son lit clos. Le prince prit encore un moment pour échanger quelques propos avec les personnes présentes, puis il pria les dames et les filles de la reine de se retirer : les époux étaient enfin réunis. Le lendemain, dimanche 10 décembre, le couple royal monta sur le bateau du roi sur le Rhône et fut ouïr les vêpres à l'abbaye de Saint-Aignan. Le mercredi 13, on célébra l'anniversaire du roi et il y eut un bal et un banquet à la cour. Le samedi enfin, arriva le légat pontifical Aldobrandini. La cérémonie solennelle fut marquée par toute la pompe de l'Eglise romaine : la procession de la cour respectait les rangs de chacun et, à la sortie de l'église, furent jetées destinéesdes pièces àd'or en etconserver d'argent lafrappées mémoire, pour et la lecirconstance, chevalier Vinta reliques ne manqua pas d'en envoyer une au grand-duc. Après cette cérémo- nie qui se prolongea pendant trois ou quatre heures, on vint au banquet : M. le prince de Conti fit l'office de grand maître, M. le duc de Montpensier de grand échanson, M. le comte de Saint-Pol de grand pannetier. Pour la reine, ces offices furent tenus par MM. de Guise, de Joinville et de Sommerive. Un grand bal termina la journée. CHAPITRE III La carrière du courtisan

A la recherche d'une fonction à la cour ès le 10 décembre, Belisario Vinta, secrétaire d'État de Toscane, était venu voir Marie pour recueillir ses premières impressionsD et celles de son entourage. La reine allait se faire coiffer. Elle était accompagnée du jeune César de Vendôme, fils aîné de Gabrielle d'Estrées, âgé de sept ans et demi, et qui voulait se faire adopter par la nouvelle femme de son père. L'enfant, « beau et gracieux », appelait encore le roi « papa » et, tout naturellement, la reine « maman ». Henri IV adorait ses enfants, avec peut-être une préférence pour cet aîné. Quand il pénétra dans la chambre de la reine, il fut donc enchanté de constater que la princesse italienne adoptait ainsi son César. Marie lui présenta l'ambassadeur Vinta, qui lui fit compliment de sa santé, de ses victoires récentes et sollicita une audience. Le roi se montra très aimable et lui promit un entretien le jour même ou le lendemain matin. L'audience eut lieu, en fait, le jeudi 14 décembre. L'ambas- sadeur était chargé de négocier des « situations » stables et honorables pour les Italiens qui accompagnaient la reine. Tâche épineuse qui avait été entamée par les contacts qu avait eus Giovannini à Paris au début de l'année, mais dont certains points restaient à débattre. Le chanoine lui-même sollicitait un emploi dans la maison de la reine, comme aumônier, secrétaire italien et maître des requêtes de la reine. C'était beaucoup. L ambassadeur fit valoir ensuite qu'il fallait laisser à la reine le temps de s'accoutumer aux moeurs et à la cuisine françaises : elle avait besoin d'un cuisinier, d'un médecin, d 'un apothicaire, d 'un sommelier, d'un officier de bouche, d 'un tailleur, de quelques femmes pour son service et de quelques demoiselles de compagnie de nationalité italienne pour lui adoucir les amertumes de 1 'exil. Vinta développa ensuite le cas particulier de Leonora. Elle avait servi la reine « continuellement depuis le temps du grand-duc François, son père ; nulle autre qu'elle ne lui a jamais touché la tête, ni ne l'a assistée en ce qui concerne le soin de sa personne ; la Reine désire qu'elle continue à lui rendre les mêmes services » ; il sollicitait pour elle la charge de dame d'atours. Le roi pouvait beaucoup, mais il ne pouvait pas tout : contrevenir aux coutumes de la cour risquait d'indisposer son entourage. Aussi fit-il à Vinta une réponse mesurée : « La reine commence déjà à devenir française, et elle s'accoutumera vite à notre cuisine, qui est meilleure que la vôtre. Si elle était malade ou qu'elle devînt grosse, nous saurions bien la soigner, nous autres. N'importe, je consens à lui accorder tout ce que vous demandez. Quant à Leonora, nous voulons qu'elle coiffe la Reine et que nulle autre qu'elle ne lui touche la tête ; notre intention est qu'elle soit la première dans sa chambre ; nous la favoriserons, la comblerons de bienfaits, nous la ferons grande. Si la Reine a à s'arranger les cheveux à la française, je veux que ce soit encore Leonora qui la coiffe ; elle se le fera apprendre. En somme, nous voulons ce que veut la Reine. Pour ce qui est de lui donner le titre de Dame d'atours, outre que je l'ai donné à une autre, je ne puis le faire. Mais elle aura la réalité et les attributions de l'emploi. » Les charges de la cour ne pouvaient être occupées que par des gens de haute naissance, ou, en tout cas, de noble extraction. Les origines roturières de Leonora étaient le premier obstacle à surmonter et il était de taille. En effet, le roi demanda à Vinta si l'amie d'enfance de Marie était gentil-donna (noble dame). L'ambassadeur, un peu pris au dépourvu, répliqua qu'elle était cittadina. Le roi, ne pouvant souffrir l'ambiguïté sur ce point, appela Zamet pour qu'il lui traduise précisément le terme. Le financier donna le mot bourgeoise. Vinta se récria, disant qu'à Florence, cittadina désignait une situation plus relevée. La fonction de dame d'atours était très recherchée, car cette personne montait dans la carrosse de la reine. Il fallait, pour approcher de si près la personne royale, dans des circonstances publiques qui plus est, faire la preuve de sa gentilezza ; la dame, en outre, devait être mariée. La comtesse de l'Isle, fille de M. de la Roche, resta donc titulaire de l'emploi. Vinta, enfin, fit l'éloge de Marie : « Elle sera una buona menaggiera, aussi voulait-elle, pour régler sa dépense, un contrô- leur général pris parmi les serviteurs de sa Maison, bon comptable et expert dans les écritures, connaissant la langue française et que la Reine désignera à Sa Majesté. » Vinta ne nous dit pas quel pouvait être le candidat à cette fonction. Était-ce une charge possible pour Concini ? Fils et frère d'ambassadeur, ayant servi à Rome dans la suite du cardinal de Lorraine, il possédait sûrement déjà le français. Mais après un premier refus sur la charge de dame d'atours, Vinta ne voulait pas, en avançant un nom, risquer une nouvelle rebuffade. Le roi rit de bon cœur à l'évocation de la « bonne ménagère », qui ne « ménageait » guère ses finances en lui demandant tant de faveurs ! Il congédia l'envoyé du grand-duc sans se prononcer plus avant sur ses propositions. La faveur dont bénéficiait Leonora retombait sur Concino, mais les jaloux ne pouvaient manquer d'exploiter contre lui les faux pas. La familiarité du jeune homme chez Leonora choquait. Cette liberté était taxée de licence. Le reproche en retombait sur la reine. Les ragots finirent par remonter jusqu'au roi qui manifesta son mécontentement. Rosny [Sully], qui s'attribue si facilement le beau rôle dans ses Mémoires et qui fut par la suite hostile à Concini, ne manque pas de signaler que, dès cette époque, il avait mis en garde le roi contre la faveur excessive que la reine accordait aux deux Italiens. Ces témoignages doivent être reçus avec beaucoup de précaution. Plus éclairantes et moins déformées, à la fois par le souvenir du mémorialiste et par l'objectif de justifica- tion, les dépêches de l'ambassadeur Vinta nous informent de l'évolution de la carrière des deux jeunes gens. Dans l'immédiat, Baccio Giovannini avait l'avantage. Le roi, averti des projets de mariage de Leonora, fit dire à la reine qu'il consentirait volontiers, que même il donnerait à ses protégés une dot de mille écus, mais qu'il leur faudrait alors retourner en Italie. Si Leonora persistait à rester en France, elle devrait épouser un gentilhomme français. Pour être bien clair : Concini devait s'en retourner à Florence et ne même pas poursuivre son voyage. Les affaires du roi s'étaient heureusement réglées : par l'entre- mise du légat pontifical Aldobrandini, il avait traité avec le duc de Savoie. Au terme de l'accord signé le 17 janvier 1601, Charles- Emmanuel gardait le marquisat de Saluces en échange de la Bresse, du Bugey, du Valromey et du pays de Gex. Le roi de France complétait sa frontière sur les Alpes et abandonnait les entreprises de ses prédécesseurs en Italie. Vinta voyait avec regret Henri IV laisser le champ libre aux entreprises des Habsbourg. Il avait fait tout son possible pour peser sur la décision et faire garder à la France le marquisat de Saluces, mais en vain. Désormais, rien ne retenait plus le roi à Lyon. Il était impatient de revoir Henriette d'Entragues et quitta donc la ville le 21 janvier, à l'aurore. Il avait déjà l'espérance d'une grossesse dont il « s'était réjoui avec la Reine ». Marie aurait voulu tenir la chose secrète, mais le roi était si heureux que son naturel expansif de Méridional l'empêcha d'accéder au désir de son épouse. Il divulgua la nouvelle et Marie elle-même en informa le grand-duc par une lettre du 20 janvier 1601. La grande affaire du mariage du roi avait donc conduit à l'heureux événement que toute la France attendait et qui faisait l'objet de tous les discours de bienvenue que la jeune reine avait entendus depuis son arrivée à Marseille. Le roi parti, Concini décida de suivre la cour malgré l'interdic- tion. La reine ne pouvait résister aux pleurs de Leonora. Le jeune Italien fit donc route dans son carrosse suivi de ses laquais. Il fallut quatre jours pour aller de Roanne à Briare, puis deux pour atteindre Nemours où l'on arriva pour la Chandeleur, le 2 février. Le roi vint alors chercher la reine pour l'amener lui-même à Fontainebleau et lui faire les honneurs du château. Il faisait un froid glacial que l'on n'avait pas vu depuis trente ans. Malgré la leses protection pièces d'eau, de sa litière,les forêts Marie étaient avait gelés. les joues On restagercées. enfermé Les jardins,dans le château pendant quatre jours. La reine avait rencontré là le comte de Soissons, cousin germain du roi, la princesse de Condé, sa cousine, et le fils de celle-ci, Henri, un jeune homme de seize ans, qui devait plus tard lui faire une si grande opposition. Le 8 février enfin, la cour entra à Paris. Un peuple nombreux et enthousiaste voyait arriver dans ses murs la reine qui portait ses espérances. Il n'y eut pas de grande « entrée », mais une foule dense et enthousiaste se pressait sur le passage de la cour. Le Louvre n'était pas prêt à accueillir Leurs Majestés : les bagages et les meubles devaient être réinstallés dans la grande demeure. En attendant, la reine s'arrêta deux jours chez le sieur de Gondi qui ne reniait pas son origine florentine, puis chez le financier Zamet, italien lui aussi. Elle fut reçue à un grand dîner à l'Arsenal, chez Rosny. En arrivant, une entrevue pénible l'attendait : la présenta- tion de la maîtresse du roi, Henriette d'Entragues. Les moeurs du temps laissaient au roi la liberté de faire vivre ses maîtresses à la cour. Dès le premier jour, Marie dut accepter sa rivale à sa table.

Paris En 1600, Paris, pense-t-on, compte environ 250000 habitants, seconde ville d'Europe après Naples (280 000 en 1606) et avant Rome (113 000 en 1630) ou Florence (100000), capitale où chacun souhaite faire sa cour au roi, où l'activité économique draîne les affaires pour l'administration royale, pour la cour, pour tous les Grands qui ont, dans les faubourgs, de beaux hôtels, peuplés de, parents et d'une nombreuse domesticité, pour les gens d'Eglise, dépendant de l'évêque, des paroisses ou des abbayes comme Saint-Germain-des-Prés. Ville grouillante des petits métiers, des étudiants du quartier Latin, des marchés, du port très actif sur la Seine, où arrivent de Rouen les blés et le ravitaillement, mais aussi des épices venues des Amériques ou des marchandises venues des grands ports de l'Europe, au premier rang desquels on trouve Venise, Gênes, Anvers, Ams- terdam, Londres . Les vues perspectives de la ville montrent, à l'intérieur de l'enceinte, trois parties nettement distinctes : au centre, la Cité dominée par les tours de Notre-Dame et la masse imposante de son grand vaisseau, au sud, le quartier de l'Université et, au nord, ce que l'on appelle « la ville ». C'est là que se trouvent les « beaux quartiers », les plus beaux édifices et le plus impor- tant d'entre eux, le Louvre. Longtemps délaissé par les rois de la Renaissance qui préféraient leurs résidences des bords de Loire ou de l'Ile-de-France, Fontainebleau ou Saint-Germain- en-Laye, le vieux château médiéval a souffert des injures du temps. Restauré, agrandi et mis au goût du jour par les der- niers Valois, il a bénéficié des travaux de Pierre Lescot. Sous Henri II surtout, s'est élaboré « un grand dessein » réalisé seurs.progressivement sous son règne et sous celui de ses succes- Le palais comprend quatre corps de bâtiment donnant sur la cour du château médiéval, dont le vaste donjon a été abattu en 1527. A l'angle qui réunit l'aile occidentale construite par Pierre Lescot et l'aile du midi donnant sur la Seine, se trouve le cœur de cet ensemble : un grand pavillon comprenant qua- tre niveaux : au rez-de-chaussée, la salle du Conseil et son antichambre; au premier étage, l'étage noble, la chambre de parade de Sa Majesté, où elle reçoit les courtisans et les visi- teurs et, attenante, une chambre plus petite où elle couche ; au deuxième étage, plus bas de plafond, les chambres des princes ou des favoris. Au troisième, enfin, une très belle salle, haute de plafond, éclairée par six fenêtres : trois donnant au sud vers la rivière, trois autres vers l'ouest, c'est-à-dire vers Saint-Tho- mas et Saint-Nicolas et d'où l'on voit se développer la grande galerie du bord de l'eau, dont les travaux seront activement poussés sous Henri IV. Cette vaste salle est le « cabinet du roi », où l'on garde des objets de valeur, en particulier une belle collection d'armes. L'aile du midi donne au loin sur le Pont-Neuf. De l'autre côté de l'eau, on aperçoit le couvent des Grands-Augustins et le Pré-aux-Clercs, où les rois ont édicté qu'on ne bâtirait rien pour ménager une libre perspective. L'aile méridionale du Louvre comporte trois niveaux : de grandes salles au rez-de-chaussée, dont celle des gardes, et, au premier étage, les appartements que l'on veut aménager pour la reine. Le mur d'enceinte, qui ferme la cour en direction de l'est, est encore celui de la vieille forteresse médiévale. Au milieu de cette façade, une grande porte donne accès au palais, flanquée de deux tourelles rondes coiffées de poivrières. On y accède par un pont qui enjambe le fossé et dont on peut voir encore aujourd'hui les piles, dégagées par les fouilles du vieux Louvre. Pour entrer, il fallait donc d'abord franchir l'enceinte de Philippe Auguste en traversant une poterne étroite ou barbacane, puis traverser le pont, en partie « dormant », c'est-à-dire fixe, et l'autre mobile, avec un pont-levis. C'est dans ce lieu, bien austère, que les Italiens allaient vivre désormais, loin du ciel bleu de Florence et de ses somptueux palazzi. De surcroît, ils y arrivaient en plein hiver, par une saison exceptionnellement froide. Henri IV allait au-devant de bien des difficultés en imposant à la reine la présence quotidienne de sa maîtresse. On le blâmait à la cour et Marie était ulcérée de la conduite de son époux. A quarante-sept ans, Henri IV conservait la fougue de sa jeunesse et n'était pas disposé à se priver de Mme d'Entragues, pour un mariage que lui imposait la politique. S'ouvrant à don Giovanni de Médicis, il disait : « J'ai vécu plus de cinquante ans, avec la liberté d'aller d'une femme à l'autre, et il n'est pas possible que j'y renonce26. » Il appréciait chez la marquise un esprit vif et primesautier qu'il était loin de trouver dans son épouse. Henriette était une personne « pleine de sagacité, lettrée, extrêmement désireuse de triompher du cœur de toute personne 27 » et qui déployait toutes les ressources de la séduction sur un homme qui ne demandait qu'à se laisser captiver. Dans cette atmosphère de conflits, l'appui de Leonora pouvait devenir précieux. Concini entreprit donc d'approcher Henriette d'Entragues pour lui expliquer le parti qu'elle pouvait tirer elle- même de l'influence qu'exerçait Leonora sur l'épouse légitime : elle s'efforcerait de calmer la reine et la toute-puissante maîtresse plaiderait auprès du roi la cause des jeunes Italiens. Chacun avait à gagner à cette entreprise. Cette alliance porta ses fruits : l'humeur de la reine se fit moins agressive, elle accepta mieux la présence de Mme d'Entragues et envoya même, chaque jour, à la marquise quelqu'un de ses gens « savoir de ses nouvelles » ! Leonora obtint la charge si convoitée de dame d'atours le 5 avril 1601 avec 6 000 livres de pension annuelle. Pour assumer cet office auprès de la reine et s'occuper de ses toilettes, il fallait qu'elle demeurât au Louvre même. Elle se vit donc attribuer trois petites pièces au deuxième étage du palais dans l'aile du midi, juste au-dessus de l'appartement de la reine. Elle était chargée de tout ce qui regardait l'habillement de Marie et entreposait chez elle, dans une vingtaine de coffres, les « hardes » de la souveraine : robes brodées d'or, cousues de perles, trésors inestimables. Elle imaginait des modèles et les faisait tailler dans les tissus qu'elle commandait elle-même en Italie ou en Flandre. Elle pouvait aussi rendre heureuses bien des jeunes femmes, en leur donnant accès aux ateliers qui travaillaient pour la reine, en offrant quelques pièces de brocart, de velours, de damas ou de soieries précieuses. Elle s'occupait de lui procurer des parfums et elle hébergea un moment en 1607 son apothicaire Emmanuel Mardès pour qu'il lui parfume des gants. Elle tenait aussi en dépôt les joyaux de la reine où dominaient les diamants et les perles, mais dont la pièce la plus somptueuse était le carcan (très large collier qui enserre le cou) que le roi lui avait offert par les mains de estimaitRoquelaure à 450000 quelques livres. jours avant leur rencontre et que l'on Mais la situation de la dame d'atours était enviable surtout parce qu'elle suivait la reine partout où elle allait, l'accompagnait dans son carrosse et veillait à son confort, place privilégiée qui permettait, au fil de la conversation, de placer une recommanda- tion, d'apprendre quelques secrets et d'apaiser les tristesses, les chagrins d'une jeune femme déracinée et trompée au vu et su de tous. Tandis que Leonora s'installait près de sa maîtresse, Concini cherchait un gîte en ville. Leonora lui trouva un logement convenable dans le faubourg Saint-Honoré. Ce n était pas le Marais28, le quartier le plus chic de la capitale, mais sûrement trop cher pour le comte de la Penna, ni le faubourg Saint-Germain, en vogue et en pleine expansion. Mais la maison était proche du centre et du Louvre. En échange de l'amélioration des relations entre la reine et Henriette d'Entragues, le roi qui avait toujours refusé jusqu'ici de recevoir Concini se montra disposé à l 'accueil- lir, et donna son accord à son mariage. Il s excusa de ses refus antérieurs par le fait qu'il ne connaissait pas le personnage et « qu'on lui avait dit beaucoup de mal de lui [sans doute Baccio Giovannini] 29 ». Mais maintenant qu'il était détrompé, il voulait que Concini suive toujours sa personne et il assura la reine qu'il lui donnerait prochainement une charge de gentilhomme de la chambre. La faveur des deux Italiens commençait, même si Henri IV n'était pas sans savoir quelle générosité excessive Marie manifestait envers ses favoris. Le 11 juin 1601, Belisario Vinta note cette remarque du roi : « Je ne veux pas donner un sou à la Reine, parce que tout irait dans la bourse du Signor Concini. » Un mois plus tard, le 12 juillet 1601, ayant obtenu ses « lettres de naturalité » qui lui donnaient le droit de posséder, gérer, vendre ou léguer des biens meubles et immeubles en France, comme un Français, Concino épousait Leonora. Le contrat de mariage, passé « par-devant Ferrant, notaire et tabellion royal à Saint-Germain- en-Laye », stipule que la reine dotait sa dame d'atours, promettant « bailler et donner aux dicts Sieur et Dame Concini, en faveur de leur mariage, la somme de 23 333 écus 1/3, évalués en livres tournois suivant l'ordonnance, à 70 000 livres tournois 30 ». Pour mesurer l'importance du don consenti aux jeunes mariés, il faut savoir que les plus grosses dots, à cette époque, atteignaient 60 000 livres, qu'un revenu annuel de 1 000 à 1 500 livres était, pour un bourgeois, tout à fait convenable, qu'une femme de chambre de la reine en touchait 120 par an et qu'un manouvrier, le plus pauvre des paysans, n'en gagnait pas plus de 80. Cette fortune, bien gérée par Leonora, qui fut effectivement une « bonne ménagère », allait devenir la base de l'ascension des Concini. Mais il fallait au comte de la Penna une charge à la cour. Il ne pouvait décidément pas ambitionner de devenir gentilhomme ordinaire du roi, mais il obtint en 1605 une charge beaucoup plus lucrative : celle de premier maître d'hôtel de la reine. Il y fallait un gentilhomme de toute confiance. Celui-ci avait en effet la respon- sabilité de la gestion de toute la Maison de la reine qui ne comptait pas moins de quatre cent soixante-quatre personnes, dont deux cent une fournissaient un service quotidien régulier (la maison de Henri IV en compte mille soixante-deux). Il devait appliquer les règlements, tenir à jour la comptabilité, infliger des blâmes ou même des sanctions, proposer des promotions ou recruter du personnel. On ne pouvait faire entrer au Louvre que des domestiques dont la fidélité garantissait contre les surprises. Il fallait donc au premier maître d'hôtel de grandes qualités : intelligence et activité, volonté et autorité, savoir-faire et savoir- commander, en imposant ou en convaincant, mémoire des noms et des visages, car il faut connaître jusqu'au dernier galopin des cuisines. Le maître d'hôtel assumait des tâches d'inspection : tenue des locaux, surveillance de l'éclairage (lourde charge dans un palais éclairé de bougies qui présentaient toujours un risque d'incendie). Le personnel logeant en ville, il fallait imposer rigueur et ponctualité. Le premier maître d'hôtel est debout dès l'aurore et sa journée s'achève quand s'éteint la dernière bougie. Dès le réveil de la reine, il vient dans la chambre royale prendre les ordres pour les cuisines. Une partie du personnel fonctionne par trimestre, il faut donc dresser la liste de ceux qui sont en service. Le 4 du premier mois de quartier, il leur rappelle le règlement et leur recommande de servir « avec fidélité, intégrité, soin et diligence ». Toute absence doit être justifiée par un certificat médical et la personne absente ne peut être remplacée sans l'aval du premier maître d'hôtel, qui inscrit le nom du suppléant sur un registre spécial. L'inspection des tâches se fait, à l'occasion, dans la journée, où il passe d'office en office. Il peut ainsi avoir l'oeil sur chacun, fixer et changer les attributions, décider d'un renvoi ou d'un avancement. Toutes les fonctions subalternes doivent lui être familières, aussi bien celles qui sont accomplies par des nobles que celles des serviteurs, valets et hommes de main. Il est aidé dans sa tâche par un maître d'hôtel ordinaire et un maître d'hôtel en quartier qui est son véritable adjoint. La gestion financière, qui est aux mains du maître de la chambre aux deniers, du contrôleur général de l'hôtel et des clercs d'office est supervisée par lui. Or le budget de la maison de la reine monte à 345 000 livres par an. Le premier maître d'hôtel a aussi l'occasion de passer des contrats et des commandes de matériels, de provisions de bouche, viandes, vins, légumes et farines, de fournitures de toutes sortes. Nous trouvons encore des traces de ces contrats, comme le dernier où apparaît Concini, du 10 janvier 1608, qui règle la fourniture de ce vin blanc et clairet (un bordeaux) qu'il « conviendra avoir tant pour les bouches de Sa Majesté que pour ceux de sa maison », contrat passé entre l'un des douze marchands de vin privilégiés et « stipulant et acceptant pour sa maîtresse [...] Messire Concino Concini, Comte de la Penna, Conseiller et Premier Maître d'Hôtel ». Cette fonction, on le voit, est à la fois un honneur et une prébende. Certes la pension n'est que de 800 livres par an, mais que l'on peut multiplier par un fort coefficient car il est bien facile, à ce poste, de se faire des amis, de favoriser l'un ou l'autre, d'obtenir des avantages en nature en traitant avec les fournisseurs, d'entretenir peut-être aussi des « indicateurs », qui rapportent les menus bruits, dont on pourra par la suite tirer profit. La santé de Leonora Leonora était une petite personne frêle et, comme le dit Tallemant des Réaux, « plutôt maigre ». Cette complexion la prédisposait aux troubles nerveux. Ceux-ci commencèrent à se manifester dès l'hiver 1602 et les médecins qu'elle consultait avaient bien du mal à poser un diagnostic et plus encore à prescrire une thérapeutique. Leonora souffrait de crises nerveuses, de convulsions, d'oppression, elle avait l'impression d'étouffer, la gorge serrée par l'angoisse. Elle fit appel à Marescot et Duret, médecins de la reine, mais ne trouva guère de soulagement dans leurs traitements et son état donnait certains jours de l'inquiétude. La médecine se révélant impuissante, les Concini se tournèrent vers les secours de la religion. Ils en furent une fois récompensés : en 1603, la reine, qui aurait fait l'impossible pour sa dame d'atours, avait mandé de Sienne la Passithée, qui vint à Paris accompagnée d'un religieux. Elle vivait en recluse, gardait sur la tête un grand voile noir, qui la dissimulait aux regards, et passait lason maladie temps ende prièresLeonora, et en son longues intervention méditations. sembla Lors décisive d'un accès : « On de n'y attendait quasi plus de vie, même que les Capucins étaient venus pour la veiller en sa chambre du Louvre, lors ladite Passithée dit qu'il se fallait mettre en prière, disant qu'avec l'aide de Dieu, ce ne serait rien. Et de fait quelque temps après [Leonora] se porta mieux contre l'opinion de tout le monde, et retourna à Chaillot [auprès de la reine], prendre l'air 31. » Mais le « miracle » qui avait sauvé la dame d'atours n'avait pas supprimé les rechutes. Comme de bons chrétiens, les Concini faisaient dire des messes et des neuvaines dans les couvents du faubourg Saint-Germain, aux carmes déchaussés, aux augustins. En novembre 1604, au dire de Pierre de L'Estoile, on fit réciter des prières « par les églises de Paris et principalement aux Augustins, du commandement du Roi et de la Reine, pour la Conssine [sic], fille de la nourrice de la Reine [L'Estoile véhicule ici un faux bruit, nous l'avons vu] ». On en était donc aux prières publiques. Les augustins avaient même organisé une procession des reliques qu'ils gardaient en l'abbaye de Saint-Victor jusques à l'hôtel d'Ancre, où elles avaient été déposées sur une belle nappe blanche, entre deux cierges allumés. Avec le père Roger, son confesseur, qui était de ce couvent, Leonora avait fait le pèlerinage de Notre- Dame de Chartres. Tous ces efforts demeurant inutiles, les Concini en vinrent à admettre que Leonora était peut-être la proie des démons, explication qui paraissait logique et finalement « rationnelle » dans le contexte culturel de l'époque. L'Eglise admettait l'exis- tence du Malin et son action maléfique sur certaines de ses victimes. Mais, comme une maladie honteuse, souvent la posses- sion diabolique n'osait s'avouer. Leonora nia toujours catégori- quement avoir été possédée. Mais elle-même croyait sans doute à cette interprétation de ses symptômes pathologiques. En 1604, Concini fit donc appel à des exorcistes avec d'ailleurs le conseil, l'appui et même la présence du confesseur de Leonora, le père Roger. Il fit d'abord venir de Flandre un chanoine de Lille réputé expert en ces matières, mais ses exorcismes se révélant sans effet, il se tourna vers le général du couvent des ambrosiens de Nancy, qui avait traité avec succès le cardinal de Lorraine, réputé ensorcelé. Concini avait connu le cardinal à Rome. Etait-ce cette relation qui l'avait amené à s'adresser aux ambrosiens ? Le général du couvent vint à Paris avec deux moines de sa communauté et ils s'installè- rent chez les Concini. A leur accent, on jugeait qu'ils venaient de Milan. Selon le frère Antoine Bourdon, docteur en théologie, le général était « réputé magicien [...] ce que quelques-uns interpré- tant bénignement ses actions, disaient ne lui pouvoir être imputé à crime, étant un don de Dieu que celui qu'il avait de pouvoir sur les hommes32 ». Les séances d'exorcismes eurent lieu d'abord à l'hôtel d'Ancre, dans les jardins, où furent promenés des encensoirs et récitées les prières qui devaient chasser les démons, mais, pour traiter « la possédée » elle-même, les ambrosiens officièrent à Saint-Sulpice. Le curé, maître Henri Lemaire, compréhensif, autorisa ses illus- tres paroissiens à faire pratiquer les exorcismes dans son église à une heure où il n'y avait pas d -offices. Marin Loret, clerc lay de la fabrique (le conseil de communauté) de la paroisse, reçut l ordre de tenir pour Concini une petite porte de derrière ouverte aux heures où il viendrait faire ses prières. Concini n assistait pas aux séances des ambrosiens et gardait l entrée ; seul le père Roger était présent « près de la porte du maître-autel ». Concini « n osait amener sa femme aux heures qu'il y avait du peuple dans 1 eg lise ou aux rues à cause qu'elle était comme frénétique et que son mal lui pourrait augmenter à la vue du peuple ». Quoi qu'il en soit, ces séances ayant alerté et perturbe certains paroissiens, les exorcistes se transportèrent au couvent des augus- tins, avec l'autorisation du prieur, le père Leboeuf. Les exorcismes consistaient en prières et invocations au cours desquelles Leonora, malade, « ne se pouvant tenir à genoux, s'appuyait, tantôt d un côté tantôt de l'autre, sur des coussins de la sacristie » et si « elle faisait quelquefois des plaintes, c'était pour sa débilité [du fait de sa faiblesse] ». Le recours aux exorcistes ayant échoué lui aussi, le salut sembla venir de la pratique d'un grand médecin juif, Montalto. Né à Castel Branco, au Portugal, il appartenait à une famille de médecins et avait épousé Rachel da Fonseca, elle-même d'une famille de médecins connus. Il avait fait ses études à Salamanque, puis s'était fixé en Italie, à Livourne, en 1599. En 1606, il s'installa à Florence et devint le médecin du grand-duc Ferdinand. Dès cette époque, il jouissait d'une très grande réputation en Europe. A son retour en Italie, après un séjour en France et aux Pays-Bas, le grand-duc Ferdinand lui proposa la chaire de médecine de Pise, qu'il refusa, de même que, plus tard, celles de Bologne, Messine, Rome et Padoue34. Cette même année 1606, lorsqu'il passa par Paris, il fut reçu par Marie de Médicis. Leonora profita de ses soins et il diagnostiqua chez elle une hystérie, bulbus hystericus, qui se manifestait par des crises nerveuses épuisantes. Au dire de François Alvarez, son confrère, qui soigna Leonora plus tard, cette hystérie allait de pair avec « une humeur mélancolique et hypocondriaque, qui procède de plus longue main ». Montalto appliqua à sa patiente une médecine douce : diète et régime, repos, silence et calme. Andrea de Lizza, l'aumônier de Leonora, témoigna plus tard qu'il ne lui avait vu donner « que des aposumes [décoctions et infusions de tisanes et de simples] et médecines ordinaires qu'elle prenait trois à quatre fois la semaine ». En dehors donc d'un traitement de bon sens, le médecin passait deux à trois heures par jour avec sa patiente. Au dire de Andrea de Lizza, sa conversation était « bonne et agréable, il était grand philosophe et grand médecin35 ». Il semble que les soins de Montalto aient réduit pour un temps les manifestations de la maladie de Leonora : elle se considérait même comme guérie et souhaitait donc le retenir à Paris. Ne pouvait-il devenir médecin de la cour ? Mais, depuis deux siècles, les juifs n'avaient pas le droit de pratiquer leur religion en France, le roi ne pouvait donc accepter un médecin juif à sa cour, d'autant plus que celui-ci, très attaché à sa tradition religieuse, n'était pas disposé à une conver- sion. La montée de la faveur A partir de ce moment, les Concini conduisirent brillamment leur carrière et augmentèrent rapidement une fortune que Leonora gérait avec sagacité. Le 7 juin 1603, elle accoucha d'un fils qu'elle prénomma comme le roi, Henri. Le baptême fut célébré en grande pompe : la reine avait bien voulu accepter d'être la marraine de l'enfant et le parrain fut l'un des premiers princes du sang, le comte de Soissons, cousin du roi. Ces parrainages situaient les Concini parmi les familiers les plus intimes du roi et de la reine. Quand ils eurent une fille en 1607, le roi accepta d'être son parrain et la marraine fut la princesse de Condé. Le prénom de l'enfant, Marie, témoignait de l'attachement de Leonora à sa maîtresse. L'accès facile et quotidien « à la chambre de la reine », permettait de rendre des services et de mériter quelques dons. Malgré ses réticences, Henri IV savait récompenser ses serviteurs. Ainsi, en février 1602, il donna 3 000 livres à Concini. Dix-huit mois plus tard, en octobre 1603, on vit apparaître une autre forme de gratifications : Concini reçut le brevet de certains offices, entre eutres, ceux des greffiers des insinuations des offices vacants. Il devait rechercher des postulants qui lui laisseraient une commis- sion. Il se faisait aider dans ces sortes d'affaires par Renault de Lessegnes. Autre formule : quand un contribuable indélicat était poursuiviattribuée auet favori.condamné En ànovembre une amende, 1603, celle-ciConcini pouvait reçut ainsiêtre « l'aubaine » d'un Florentin, nommé Canisiani. Mais quelquefois, il guignait des affaires qui furent attribuées à d'autres. Ainsi, le 23 novembre, une opération du même genre, valant 150 000 livres, échut au cardinal de Bonzi, confesseur et grand aumônier de la reine, qui eut la préférence. Pour consoler Renault de Lessegnes qui« Assurez-vous se lamentait deet vousla perte, ressouvenez Concini luique tint devant ce discours qu'il soit optimiste un an ou : peu après, je tiendrai toute la France en ma main. » Rodomontade méridionale pour surmonter la déception de l aubaine envolée, mais qui traduit aussi l'ambition du personnage et son impatience. En approchant le roi, Concini avait pu faire valoir ses qualités de gentilhomme, de courtisan et de négociateur. Cet esprit vif, qui plaisantaitéducation volontiers,dans une familleétait bien de faitdiplomates pour plaire a sûrement à Henri IV.servi Son sa carrière. Il était tout désigné pour conduire les ambassades du roi de France vers le grand-duc de Toscane. Le 11 mars 1606, Henri le chargea de cette missive : « Mon Oncle, s 'en allant Concini par- delà avec la permission de la Reine, ma femme, je lui ai commandé vous visiter de ma part, et en vous donnant assurance de la continuation de ma bonne volonté et de mon affection, vous informer de ce qui se passe en ce Royaume, de quoi je vous prie le croire comme moi-même, qui prie Dieu vous avoir, mon Oncle, en sa sainte et digne garde. » Au retour de cette ambassade, la position des Concini était suffisamment solide pour qu'ils envisagent de s'enraciner vraiment dans leur pays d'adoption. Le château et la seigneurie de La Ferté- Vidame était à vendre et, bien que le prix atteignît la somme considérable de 600 000 livres, ils ne désespéraient pas d'obtenir le concours de Marie pour s'en rendre acquéreurs. C'était aller trop vite et susciter trop de jalousies. Il fallut remontrer à la reine que « cette acquisition ayant trop d'éclat, elle les en devait faire Cetteabstenir affaire de crainte ayant que avorté, le blâme Leonora n'en retombât voulut suracheter elle-même36 l'hôtel de». Picquigny qu'elle louait depuis quelque temps déjà. Cette belle demeure, sise rue de Tournon (n° 10 de la rue actuelle), non loin du Luxembourg et près de l'hôtel de Condé, appartenait à Charles du Plessis, seigneur de Liancourt, premier écuyer de la petite Écurie et gouverneur de Paris, qui en obtint 42 000 livres. Les Concini accédaient au faubourg Saint-Germain, ils surent, en Italiens raffinés, améliorer leur maison 37. Les querelles devaient être fréquentes entre les époux Concini, qui n'avaient pas le même comportement vis-à-vis de l'argent. L'épouse, de modeste origine, se montrait avide et épargnante, accumulant les richesses, soit en bijoux et pierreries, soit en objets d'art, tapisseries, tableaux, vaisselles ciselées, vêtements de brocart et de velours, atours de grand luxe, en deniers aussi, qu'elle faisait fructifier auprès des banquiers, en France ou en Italie. Venu d'un milieu plus aisé de diplomates, l'époux se montrait généreux, voire magnifique, en vrai gentilhomme. Mais surtout Concini aimait le jeu, Henri IV aussi d'ailleurs, et ils ne pouvaient manquer de se voir, le soir, autour des tables où se perdaient chaque jour des sommes immenses. Les Concini s'étaient mariés selon un contrat de séparation de biens, comme en témoigne un arrêt du Conseil du roi qui reproduit l'acte de mariage : « qu'il n'y aurait communauté entre eux et que leurs biens meubles, acquêts et conquêts mariage,immeubles, leur qui demeureraient seraient par euxpropres faits 3 pendant». Sans etdoute constant Leonora ledit avait-elle pris cette précaution après avoir vu le comportement de son prétendant lors du voyage d'Italie en 1600. Ainsi la cittadina, la bourgeoise, comprenait-elle mal la dépense excessive du gentil- homme. Marie de Médicis, au contraire, savait apprécier l'attitude de grand seigneur du comte de la Penna. Autre comportement propre à la noblesse : Concini était un sportif qui maîtrisait fort bien les exercices du corps. Les académies militaires de l'Italie étaient réputées dans toute l'Eu- rope. Les jeunes gentilshommes des grandes familles françaises ne manquaient pas d'y parfaire leur éducation. Bassompierre, le futur maréchal, avait ainsi fait un séjour à Florence, reçu par le grand- duc au palais Pitti. Concini, qui n'avait pu obtenir une charge dans l'armée ou comme gentilhomme ordinaire, eut cependant l'occa- sion de faire la preuve de son courage physique, de son adresse et de son endurance. En mars 1607, une joute fut organisée dans la rue Saint-Antoine, où les gentilshommes de la cour devaient s'affronter. Depuis la mort de Henri II dans la lice, le seul combat autorisé était le jeu de la quintaine. Les concurrents, à cheval, devaient renverser une quintaine, un mannequin servant de cible. Concini y excellait certainement puisqu'il remporta le prix. Cet exploit servit sa popularité : un compte rendu de cette rencontre fut publié et vendu par les rues les jours suivants, vantant les mérites du champion. L'ascension du courtisan n'allait cependant pas sans difficultés. Les plus importantes, semble-t-il, lui venaient de certains de ses compatriotes qui enviaient sa réussite. Le plus acharné, et cela depuis son arrivée en France, était le secrétaire de Marie de Médicis, Baccio Giovannini. En correspondance presque journa- lière avec le grand-duc Ferdinand, il ne manquait pas une occasion de médire de Concini, et même de le calomnier, ses succès auprès de Leonora d'abord, puis de Marie, lui déplaisait fort. Le jeune Italien pouvait également redouter l'inimitié de don Giovanni de Médicis, frère bâtard du grand-duc. Ce capitaine heureux à la d'Ostende.guerre avait Henri quitté IV l'avaitle service accueilli des trèsEspagnols favorablement après àle sa siègecour en juillet 1606 : il espérait se l'attacher et en priver ainsi les Espagnols. Or don Giovanni ne pouvait souffrir la faveur dont jouissaient les Concini. Après s'être lié avec Henriette d'Entra- gues, il était pour ainsi dire passé dans l'autre camp. Concini et Leonora, toujours fidèles à Marie, faisaient cause commune avec elle contre le parti de la marquise. La reine s'en plaignait au grand- duc : « Quant à Don Giovanni, j'en suis aussi mal satisfaite que possible à cause des secrètes intelligences qu 'il entretient avec la Marquise. Il m'a fait plus de mal avec ses flatteries pour le Roi que n'en ont pu faire tous mes ennemis. Il va jusqu 'à s employer en faveur de Baccio. » Il y avait des clans à la cour et il était plus facile pour certains de pencher du côté du roi d'où venaient les faveurs. Marie, qui savait pouvoir compter sur la fidélité des Concini, leur garda toujours sa confiance et son appui. Don Giovanni supportait donc avec impatience le « sieur Conchine ». Leurs relations s'aigrirent à tel point que l'oncle de la reine menaça de mort son adversaire. Ainsi, le 2 septembre 1607, Malherbe écrit : « Les inimitiés du sieur Don Giovan et du Sieur Conchin ne se réconcilient point. Il y a un nommé Jean-Paul Guerre en prison, pour être soupçonné d'avoir voulu tuer le sieur Conchin. L'écuyer du Sieur Don Giovan, l'allant visiter en prison, y a été retenu sur ce qu'il offrit vingt écus au geôlier pour le laisser parler à lui 39. » Dans ces circonstances, malgré la faveur dont jouissait don Giovanni auprès du roi, celui-ci couvrit toujours Concini qui lui était trop précieux pour maintenir un minimum Verneuil.d'harmonie dans les rapports de Marie et de la marquise de La reine finit par obtenir le rappel de Baccio Giovannini et même le départ ae don Giovanni. Les ambassades de Concini à Florence lui avaient sans doute permis de plaider sa cause avec succès auprès du grand-duc. Le roi songeait à le récompenser par l'octroi d'un gouvernement, mais le Conseil et les Grands se montraient hostiles. Certains des membres du parlement ne devaient pas non plus l'apprécier. Fontenay-Mareuil relate à cet égard une anecdote significative : « Quelques années devant la mort du Roy, le seigneur Conchine estant allé le matin dans la galerie du palais pour y chercher compagnie d'hommes et de femmes, comme c'estoit la mode de ce temps-là, il se trouva, quand les présidents passèrent pour sortir, appuyé sur une boutique, regardant quelques marchandises ; mais le bruit qui se fait devant eux l'ayant fait retourner quand ils furent vis-à-vis de lui, il ne leur osta point le chapeau, soit parce qu'il fut surpris et n'y pensa pas, ou parce que, comme estranger, il ne sçavoit pas que c'estoit la coutume. Surquoy le président Séguier [le futur chancelier], qui marchait ce jour-là le premier, ne fit autre chose que de lui prendre son chapeau sur la tête et le mettre à ses pieds ; dont le seigneur Conchine fust, comme on peut penser, fort estonné. Mais pour ne faire pas une seconde faute, il ne fist que le relever sans en rien dire qu'il ne fust au Louvre, où il en fist de telle sorte l'histoire, que le président fust condamné de tout le monde et du Roy même. A quoy M. d'Espernon et Madame de Guercheville [dame d'honneur de la reine], qui l'aimaient fort, et en prévoyaient les conséquences, voulant remédier, ils allèrent aussitost trouver Conchine pour l'apaiser, luy offrant toute satisfaction : mais luy, en usant galamment, ne fist point semblant d'y penser ; et les remerciant de l'honneur qu'ils lui faisaient, les enassura effet40. qu'il » ne s'en souvenait déjà plus et n'en tesmoigna plus rien Le temps passant, la faveur des Concini s'affermissait. L'année 1608 leur apporta une occasion de monter dans la hiérarchie des honneurs. Au mois d'avril, M. de la Roche, le père de Mme de l'Isle qui avait laissé sa charge de dame d'atours à Leonora, vint à mourir. Il était premier écuyer de la reine, occupant ainsi la première charge de sa Maison. Bien que cet office eût été promis à monsieur de la Barre, la préférence fut donnée à Concini qui l'acheta pour 30000 livres et vendit à son rival sa charge de premier maître d'hôtel, pour 6 000 livres. Désormais Concini figurait sur le rôle des princes, seigneurs et dames qui entraient au Louvre à cheval ou en carrosse. Insigne honneur, si l'on songe que la nuit, par exemple, seuls Epernon, Bouillon et Sully pouvaient entrer en carrosse « par grâce spéciale, attendu leur âge et indispositions41 ». Cette promotion n'allait pas sans provoquer des murmures. Camillo Guidi observait qu'on eût trouvé plus convenable le choix « d'une barbe blanche que celui d'un jeune homme pour l'exercice de fonctions qui le mettaient sans cesse et publiquement en contact avec la reine 42 ». Un autre signe de la position de Concini apparaît dans l'anecdote suivante rapportée par le même chevalier Guidi, dans une dépêche au grand-duc. L'Italien avait cru surprendre un refroidissement dans l'attitude du roi à son égard. Le 4 août 1608, à Fontainebleau, il joua d'audace, et, abordant le roi après qu'il eut donné ses audiences dans le parc, il lui fit cette harangue : « Sire, Votre Majesté croit avoir quelque chose à me reprocher, puis- qu'elle n'a pas avec moi son air de tous les jours. Ce n'est pas ce qui m'importe le plus, parce que je me sentirai toujours très honoré de la façon dont elle voudra bien me traiter, quelle qu'elle soit. Mais je suis ennuyé de ne pas savoir la raison de ce mécontentement, que rien dans ma conduite ne saurait justifier, et je supplie Sa Majesté de me le dire pour qu'elle puisse à son tour connaître toute la vérité. » Le roi parut surpris, protesta de ses bonnes intentions, mit sur le compte de la distraction ou des soucis du gouvernement la mine qu'il avait pu faire au courtisan, et, le lendemain, l'emmena au bout du parterre pour suivre les travaux du canal. Au retour, il le fit monter dans son carrosse pour rentrer au château, honneur que le roi réservait à ses plus intimes familiers. Le chevalier Guidi ne manque pas de remarquer que « c'était la première fois », d'où l'on pouvait noter deux choses : « l'une qu'avec le roi qui est vif, il faut être vif, l'autre que le roi estime la reine et ses serviteurs plus qu'il ne le montre43 ». Cette même année, Concini vit arriver, à la cour de France, son frère Bartolomeo qui conduisait l'ambassade que le grand-duc envoyait à Henri IV à l'occasion de la naissance du duc d'Anjou, son troisième fils, le futur Gaston d'Orléans. En novembre 1608, le roi voulut que la réconciliation de la princesse de Conti (sœur des Guise et l'une des amies les plus intimes et les plus chéries de la reine, comme sa mère la duchesse de Guise), et de Henriette d'Entragues eût lieu chez les Concini. Le roi et la reine dînèrent donc rue de Tournon. Henri loua toutes choses, la grâce italienne du décor, le magnifique escalier, le luxe de la vaisselle d'argent « qui aurait contenté n'importe quel prince 44 », l'abondance et le raffinement de la table. L'année suivante, en 1609, Concini fut à nouveau chargé d'une ambassade à Florence. Le grand-duc venait de mourir et il fallait porter à son successeur les condoléances du roi et de la reine. Le poste d'ambassadeur de France auprès du grand-duché était vacant. C'était une charge de prestige et le roi envisageait d'en doter Concini. Trouvait-il, malgré leur faveur ou à cause d'elle, les Italiens trop encombrants ? Voulait-il avoir à Florence le fils d'un ancien serviteur du grand-duc, fort habile, et qui pourrait lui être très utile dans les négociations européennes ? La capitale de la Toscane était un poste d'observation privilégié des affaires d'Italie, de la politique du Saint-Siège et des ambitions des Habsbourg. Mais ni Leonora ni la reine ne pouvaient envisager une séparation. Par ailleurs, Concini savait bien qu'il avait plus à gagner près du soleil du roi de France. Quel que fût le prestige de cette promotion, il demanda à rester, mais il fallut l'intervention personnelle de la reine et des amis des Concini, qui en comptaient beaucoup désormais, pour qu'ils demeurassent à la cour. Cependant, les gens des cours souveraines, qui morguaient volontiers les gentilshommes, ne manquèrent pas de lui faire affront. L'Estoile nous donne dans son Journal un récit piquant d'une aventure advenue à Concini : le mardi 4 mai 1610, le marquis d'Ancre étant allé au parlement, et étant entré, sans y prendre garde, dans une des chambres des Enquêtes avec des éperons dorés à ses bottes et le chapeau en tête, les clercs du palais se sont jetés sur lui, les lui ont ôtés avec son chapeau et lui ont donné quelques coups. Le lendemain, dit L'Estoile, « le marquis d'Ancre fit sa plainte au roi : ce que la Cour du Parlement ayant su, députa vers Sa Majesté dix conseillers pour lui représenter l'immunité de leur demeure. Cela se passa doucement, le regret demeurant audit sieur d'Ancre, auquel Sa Majesté dit que l'épée qu'il portait n'était pas aussi effilée que la plume de ces Mes- sieurs45 ».

L'argent et la politique Durant ces dernières années du règne de Henri IV, l'influence des Italiens ne cessait d'augmenter, leur rôle d'intermédiaires dans la vente de charges de plus en plus importantes en est un signe incontestable. En décembre 1608, dans chaque bureau des tréso- riers de France, on avait créé deux charges nouvelles de présidents. Par commandement du roi, maître Germain Chalange, secrétaire du roi chargé des Finances, traita avec Concini, « comme soi faisant fort de sa femme, par contrat passé par devant notaires ». A quelque temps de là, le roi s'informa du montant de ces charges : « Tel don pouvait valoir 80 000 livres et le seigneur Roi dit tout haut, en présence de plusieurs seigneurs et gentilshommes étant en la chambre : puisque ce qu'il avait donné à ladite Conchine valait 80 000 livres, qu'elle n'y revint plus de quatre ans et qu'il ne lui donnerait rien . » Il y avait aussi les commissions et pots-de-vin, les « épingles », comme on disait alors. Certaines charges représentaient des fortunes considérables. Celle de lieutenant civil était l'une des plus hautes du parlement de Paris lequel avait la juridiction la plus étendue du royaume et la plus prestigieuse, puisque proche du roi, dans sa capitale. Le titulaire, François Miron, mourut en 1609. Le choix du successeur fut réservé à la reine qui s'empressa de confier cette affaire délicate aux Concini. Les candidats étaient nombreux et l'on risquait de faire des jaloux, des déçus. Par ailleurs, le lieutenant civil occupant un poste politique important, il fallait y placer un homme dont la fidélité fût éprouvée. Il y eut certaine- ment de longues tractations dans le secret du cabinet, entre les candidats et Leonora. Finalement, le président Le Jay obtint la charge. C'était un érudit, auteur d'une Bible polyglotte, qui avait fait toute sa carrière au parlement comme avocat, puis conseiller et enfin président; il dut verser 150000 livres, et « en outre, 75 000 livres pour les " épingles " de la Reine, de Conchine et autres, desquels il avait fallu gagner la faveur par argent ». Certains candidats monnayaient leur désistement et rien ne se faisait sans d'importantes commissions aux intermédiaires. A ces différentes sources de revenus, bases de la fortune et du pouvoir, s'ajoutaient les opérations de courtage réalisées auprès des banquiers. En attendant les rentrées de l'impôt ou de la vente des offices, le trésorier de la reine devait emprunter. Il signait alors des billets de créance. Pour faciliter les tractations, il laissait en blanc le nom du bénéficiaire. Ainsi les Concini pouvaient-ils, au cours des affaires auxquelles nombre de personnes étaient intéres- sées, tirer des billets à ordre sur le trésor. En 1609, Chalange en avait signé jusqu'à concurrence de 94 500 livres48, sommes très importantes qui permettaient d'étendre le réseau des obligés et, par conséquent, de traiter de plus en plus d'affaires. Le trafic d'influences faisait boule de neige. En quelques années, les biens des Concini étaient devenus une fortune. Ils avaient des affaires sur les places financières de l'Europe, mais principalement en Italie, à Lucques et surtout à Florence où il était facile, ayant sur place de la famille et des amis, d'effectuer de bons placements à la banque Médicis. Les circuits financiers de cette époque n'ont pas été éclaircis dans le détail et seules les très grosses affaires ont laissé des traces. Mais combien de « moyennes » et de « petites » ont- elles permis d'accumuler cette immense fortune dont disposaient les Concini, huit ans seulement après leur arrivée en France ? En quelques années, du fait de qualités personnelles incontesta- bles, Concini et Leonora s'étaient acquis une position de tout premier plan à la cour, dans l'intimité de celle qui allait devenir, en 1610, la régente du royaume. Ils allaient progresser encore dans les honneurs, mais surtout passer insensiblement de la place de courtisans, de familiers, voire d'intermédiaires, à celle, plus enviable et plus respectée, de conseillers politiques de la reine. Concim

Le 24 avril 1617, Concino Concini, marquis d'Ancre, maréchal de France, favori et principal conseiller de la régente Marie de Médicis, est assassiné à l'entrée du Louvre sur ordre de Louis XIII. Ce coup d'Etat met fin à la Régence : le jeune roi de quinze ans inaugure son règne personnel, la reine-mère est exilée à , les ministres, dont Richelieu, sont chassés, et les grands en révolte, vaincus militairement et politiquement, font leur soumission. Pour justifier cet assassinat politique — perpé- tré par le Très Chrétien Louis le Juste contre le mari de Leonora Galigaï, amie d'enfance et émi- nence grise de sa mère —, il fallut organiser une véritable entreprise de propagande : un procès inique et une campagne de pamphlets s'achar- nèrent à confirmer une légende noire, celle du "tyran" italien, de l'aventurier avide de pouvoir et d'argent, et de sa "sorcière" de femme. Cette légende fut reprise par les historiens et s'impose comme vérité à la mémoire collective. Avec un regard neuf, Hélène Duccini reprend l'enquête sur cette période de troubles, vraie fronde avant la Fronde, et analyse le rôle politique du favori. Conduite ainsi à réhabiliter Concini, elle lui rend sa dimension et sa place, celle d'un homme d'État, entre Sully et Richelieu, dans la continuité des grands ministres qui ont bâti la monarchie absolue. Hélène Duccini, agrégée d'histoire, est maître de conférences à l'université de Paris-X-Nanterre.

Portrait de Concino Concini, copié par Denis Le Cocq (1834). Musée de Versailles, Photo R.M.N. - Didier Thimonier

Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

Cette édition numérique a été réalisée à partir d’un support physique parfois ancien conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal. Elle peut donc reproduire, au-delà du texte lui-même, des éléments propres à l’exemplaire qui a servi à la numérisation.

Cette édition numérique a été fabriquée par la société FeniXX au format PDF.

La couverture reproduit celle du livre original conservé au sein des collections de la Bibliothèque nationale de France, notamment au titre du dépôt légal.

*

La société FeniXX diffuse cette édition numérique en vertu d’une licence confiée par la Sofia ‒ Société Française des Intérêts des Auteurs de l’Écrit ‒ dans le cadre de la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012.