CONCINI - HÉLÈNE DUCCINI CONCINI Grandeur et misère du favori de Marie de Médicis Albin Michel DL- 1903199 1-0859 1 (0 Éditions Albin Michel S.A., 1991. 22, rue Huyghens, 75014 Paris ISBN 2-226-05265-8 Je veux ici rendre hommage à mon maître, Robert Mandrou, trop tôt disparu, à qui je dédie ce livre. Il m'a ouverte à cette autre Histoire, celle des mentalités, qui veut qu'on s'interroge sur les pensées, les senti- ments, les comportements, les ambitions de ces gens qui nous ont précédés, qu'ils fussent ou non au pouvoir. L'HOMME DE COUR 1600-1610 CHAPITRE I Un jeune homme plein d'avenir La famille oncino Concini est né à Florence le 24 novembre 15691 et, c contrairement à une légende tenace, d'une famille de bonne noblesse. La Conjuration de Conchine, parue en 1618 et qui pourtant n'est pas tendre pour lui, décrit ainsi ses origines : « Son père avait été Secrétaire de Monsieur le grand-duc de Toscane, fort habile homme, de grand entendement, et bien versé aux affaires d'État, et qui avait été employé par son maître en plusieurs honorables Ambassades, vers l'Empereur et autres grands Princes, où il s'était fort honorablement acquitté de ses charges et en avait remporté beaucoup d'honneurs et de loyers dignes de sa vertu 2. » Un décret rendu dans le conseil des Quarante-Huit avait déclaré Bartholomeo, l'aïeul, lui-même ambassadeur, citoyen de Florence le 23 août 1557. Depuis lors, la situation de son fils Giambattista à la cour du grand-duc lui avait permis, avec 1 assentiment du magistrat suprême de la cité, de faire reconnaître sa maison comme sortie de celle des comtes de la Penna et de Catinaia, dont le dernier représentant était mort peu auparavant à Arezzo (les familles nobles qui venaient à s'éteindre pouvaient ainsi être « relevées » par une décision du magistrat de Florence '). Bartolomeo Concini, qui avait si heureusement élevé le nom de sa maison, n'avait pu se constituer une grande fortune : il pouvait avoir tout au plus 5 000 à 6 000 écus de rente, ce qui suffisait a peine à maintenir le train d'une famille qu 'il avait nombreuse. Son fils, Giambattista Concini (1532-1605), avait suivi ses traces dans la diplomatie, puis, devenu sénateur et chevalier de l'ordre de Saint-Etienne, avait géré habilement son bien, accumulé une fortune déjà respectable de la 000 écus de rente et épousé Camilla Miniati, dont il avait eu quatre fils. L'aîné, Cosimo, destiné comme son père à la diplomatie, était, en 1600, ambassadeur du grand-duc auprès de l'empereur ; le second, Bartholomeo, fit son chemin dans l'administration à Florence et devint à son tour sénateur et chevalier de Saint-Etienne ; le troisième, dont le prénom n'est pas conservé, mourut prématurément et le qua- trième se prénommait Concino : il était promis au plus bel avenir. deUne Toscane. sœur, enfin, Eleonora, fut attachée au service de la princesse Si l'on en croit Vittorio Siri, historien de Florence et auteur des Memorie Recondite publiés en 1676, Concino « était de bonne prestance », et avait « un extérieur agréable, beaucoup d'esprit, et des manières honnêtes et obligeantes4 ». Il avait fait, à l'université de Pise, de solides études qui semblaient le destiner à une autre carrière que celle des armes. Il fut même, croit-on, tenté un moment par la vie monastique, sous l'influence d'un de ses plus chers et plus intimes amis qui avait pris la bure. Dans un élan mystique, comme on en voit dans les hagiographies, il aurait voulu abandonner l'habit de satin et de velours pour endosser le froc de l'humble moine. Mais cette vocation fut sans lendemain... Sa mauvaise réputation, qui le peint « gentilhomme dissolu et perdu de dettes 5 », est fondée essentiellement sur un texte des Mémoires de Bassompierre qui met en scène l'Italien au moment de la mort de sa fille en janvier 1617. Bassompierre rédige un dialogue reconstitué, dans lequel Concini se lamente sur « les élévations de la fortune, mais encore les chutes et les décadences », thème classique de la littérature, mais illustré de façon si démons- trative par sa vie et par sa mort. Originaire de Lorraine, le jeune Bassompierre avait, dit-il plus tard, été l'hôte, en 1596-1597, du grand-duc Ferdinand et de la grande-duchesse Christine de Lorraine, nièce de Catherine de Médicis. Ce détour florentin authentifie, semble-t-il, son témoignage sur Concini : débauche, quelquefois prison, bannissement, désordre, mauvaise vie, jeu et dettes de jeu. Dans le texte du mémorialiste, l'Italien parle à la première personne : « Je suis né gentilhomme et de bons parents ; mais, quand je suis venu en France, je n'avais pas un sou vaillant et devais plus de huit mille écus [24 000 livres] 6 ». Il est vrai que les témoignages sont nombreux sur ses habitudes de joueur. Après ses études, Concino fit un séjour à Rome, dans la suite du deuxième cardinal de Lorraine, le frère du duc de Guise, qui avait demandé à son parent par alliance, de lui adresser des jeunes gens de Florence pour compléter son train. On ne manqua pas par la suite d'affirmer que Concini avait été « croupier » dans la suite du cardinal de Lorraine ! Le séjour à Rome était pour Concino, ce fils de diplomate, un premier contact avec un milieu français, une introduction à la vie et aux arcanes de la curie, initiation que Mazarin connaîtra lui aussi plus tard. Le mariage Médicis Mais ce qui devait vraiment servir ce jeune homme bien doué, ce fut, en 1600, le mariage de la princesse Marie avec l'un des plus grands rois de la chrétienté, Henri IV. Des projets de mariage avaient déjà envisagé des unions avec le prince de Parme, le neveu de l'empereur, et les négociations avaient été un moment fort avancées; puis avec le duc de Lorraine, parent de la grande- duchesse. Il existait alors, dans les cours italiennes, des astrologues chargés d'étudier la configuration astrale des princes et de leur prédire l'avenir. On faisait aussi appel à des religieuses en odeur de sainteté, des beatae, qui avaient commerce avec le ciel dans leurs longues oraisons7. Catherine de Sienne, en son temps, avait conseillé les puissants. En cette fin du xvie siècle, à Sienne encore, une sainte personne, la religieuse Passithée, douée du don de prophétie, avait prédit à Marie qu'elle serait un jour reine de France, à une époque où Henri était marié légitimement à Marguerite de Navarre et où rien ne le laissait prévoir. Tous ces rêves avaient donné à la nièce du grand-duc une haute opinion de son rang et du respect qui lui était dû : bien que sa sœur, la duchesse de Mantoue, fût son aînée, elle obligeait celle-ci à lui céder le pas. Marie et à ses côtés Leonora Dori (plus tard Galigaï), sa confidente, avaient une ambition plus haute. Cette dernière « croyait que ladite Dame Reine eût été mieux en Espagne qu'en France, à cause des guerres et troubles de France qui étaient lors, d'autant qu'en ce temps-là, tout était paisible en Espagne8 ». Mais cette alliance ne correspondait pas aux choix politiques du grand- duc, qui avait très tôt penché pour Henri IV. Le roi de France préserverait mieux l'indépendance de la Toscane que l 'Espagne, laquelle dominait l'Italie, au nord par le Milanais, au sud par le royaume de Naples et une bonne partie du reste par ses pistoles. Le projet d'une union avec la couronne de France avait eu tout le temps de mûrir. # . Les démarches du grand-duc étaient conduites par les intérêts et la politique. Très tôt, compte tenu de la situation en Italie, Ferdinand avait joué la carte française, même celle de Henri de Navarre contre les Espagnols : méritoire lucidité en un temps où les troubles de France faisaient de Henri IV un prince contesté en Europe et dans son propre royaume. De longues négociations, entamées dès 1594, avaient conduit à la conversion du roi, puis à Toscaneson absolution avait activement par le pape, contribué le 17 septembre à l'avancement 1595. Le de grand-duc cette affaire. de Par ailleurs, il apparaissait clairement qu'il fallait un héritier au roi de France pour prévenir le retour des guerres civiles, que ne manquerait pas d'amener une succession contestable. A cette fin, il fallait d'abord obtenir du pape qu'il accepte de prononcer la nullité du premier mariage du roi, celui qui l'avait uni à la sœur de Henri III, Marguerite de Valois, fille de Catherine de Médicis, que l'on appelait familièrement la reine Margot. En 1599, de nouveaux contacts furent pris avec le grand-duc Ferdinand, qui s'entremit activement dans les négociations avec la cour de Rome. Brûlart de Sillery, qui avait négocié à Vervins pour Henri IV la paix avec les Espagnols en 1598, fut envoyé en ambassade à Rome. Passant par Florence, il ne manqua pas de prendre conseil du grand-duc, auquel il fit des ouvertures en vue d'un mariage de Henri IV avec sa nièce Marie. Clément VIII, désormais bien disposé, désigna trois juges pour instruire la cause : le cardinal de Joyeuse, l'archevêque d'Arles et l'évêque de Modène, nonce apostolique en France, qui déclarèrent nul le premier mariage de Henri IV, parce que contracté entre une princesse catholique et un prince héréti- que, parce que les deux époux avaient des liens de parenté trop proches au regard des interdits du droit canon et, enfin, parce que la reine Marguerite y avait été contrainte, ce qu'elle avait accepté de confesser par écrit.
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