SCIENCES PO / SUD OUEST

EN PARTENARIAT AVEC ET AVEC LE SOUTIEN DE

Grand Oral Rudy RICCIOTTI Architecte et ingénieur, grand prix national d’architecture 2006, médaille d’or de l’ Académie d’Architecture 1984 - 2014 • 1984 30 de rencontres ans

en partenariat avec arc en rêve centre d’architecture et la librairie Mollat « Jury » présidé par Benoît LASSERRE, Journaliste à Sud Ouest

Jeudi 29 janvier 2015 1984 - 2014 17h00 – 19h00 • Amphi Montesquieu • Sciences Po Bordeaux 330 ANS0

Introduction

Les Rencontres Sciences Po / Sud Ouest n’ont pas jusque-là accueilli beaucoup d’architectes, le dernier en date fut Christian de Portzamparc. Avec Rudy Ricciotti nous invitons un architecte sur le devant de la scène médiatique française. Il compte parmi ses nombreuses réalisations le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), ouvert en 2013 dans le cadre de capitale européenne de la culture. Splendide geste architectural de résille de béton fibré, le MuCEM qui jouxte le Fort Saint-Jean est devenu en l’espace de quelques mois l’un des sites culturels les plus fréquentés de . Mais nous devons également à Rudy Ricciotti le nouveau département des arts de l’Islam du , le Stade Jean-Bouin, le musée Cocteau à , la passerelle pour la paix de Séoul… Cet adepte militant du béton a donc livré quelques magnifiques constructions et souvent, selon ses propos, en s’écartant des normes standardisées de la modernité. En effet, Rudy Ricciotti se qualifie volontiers de « maniériste1 réactionnaire ». Sans doute faut-il comprendre par là une recherche personnelle et assumée de l’esthétique – la bella maniera -, en marge d’une modernité globalisée qui serait normative. Rudy Ricciotti est passé maître dans le travail ciselé du béton, matériau qui pour lui garantit une chaîne de production courte, locale et qui permet de ne pas délocaliser la main- d’œuvre. Architecte local plutôt que global donc. On l’aura compris l’architecture est politique. Rudy Ricciotti nous dira comment, lui, « l’anarcho-chrétien », il travaille avec les maîtres d’œuvre que sont les maires de nos grandes villes, (il a réalisé et réalise des chantiers dans la métropole bordelaise), mais aussi son attachement à Marseille et à la République. Nos étudiants auront beaucoup de grain à moudre avec cet admirateur du dadaïste Arthur Cravan. Il devrait peut-être nous en rappeler l’énergie et l’impertinence. Cette Rencontre a été préparée par Léna Carlier (4ème année), Andrew De Tinguy (4ème année), Margot Hervée (4ème année), Marine Laborde (4ème année), Émilie Nouvel (3ème année), Nicolas Pastor (3ème année), Henri Pontette (3ème année), Julien Potier (3ème année), Simon Tazi (3ème année), Clémence Vanacker (4ème année), Sophie Yakoub (5ème année). Ils ont été aidés par Francine Fort directrice d’arc en rêve centre d’architecture et par Benoît Lasserre journaliste à Sud Ouest que je remercie bien sincèrement.

Françoise Taliano-des Garets Professeure d’Histoire contemporaine Coordinatrice des Rencontres Sciences Po / Sud Ouest

1 Le maniérisme s’est développé en Italie à partir des années 1520 et s’est ensuite répandu à travers l’Eu- rope. Ce courant pictural qui naît en réaction à l’esthétique de la Renaissance et précède le classicisme se retrouve aussi en sculpture et en architecture. Il se caractérise par son irréalisme, son raffinement. En France il s’est illustré avec l’Ecole de Fontainebleau.

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Biographie

Rudy Ricciotti

Né le 22 août 1952 à Kouba, dans la banlieue d’Alger, Rudy Ricciotti est diplômé de l’Ecole d’ingénieurs de Genève et de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Marseille. Fidèle à ses racines méditerranéennes, il a établi son agence à Bandol, dans une ancienne villa de style italien entièrement restaurée par ses soins. Admirateur des libertés créatrices du maniérisme et du baroque, il se revendique militant du combat contemporain en terre provençale. Ses réalisations marquantes en France comme à l’étranger (la Passerelle pour la Paix sur le fleuve Han à Séoul, la Philharmonie de Potsdam) sont récompensées en 2006 par le Grand Prix National d’Architecture. Depuis 2007, il dirige les éditions Al Dante qui font émerger des écritures contemporaines sous toutes leurs formes (livres, revues, catalogues d’artistes, CD, DVD, performances, expositions…). Il fait partie du comité éditorial de la revue L’Architecture d’aujourd’hui. Il est chevalier de la Légion d’Honneur, officier des Arts et des Lettres et de l’Ordre National du Mérite1.

1 Source: documentation de Radio France ( mars 2013 )

Quelques publications La HQE® brille comme ses initiales sur la chevalière au doigt, Rudy Ricciotti, éditons Le Gac Press, Collection «écrits», 2013 L’Architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Equainville, éditons Textuel, 2013 Conversations imaginaires « ou pas » avec Rudy Ricciotti, Florence Farrow, éditions Un Autre Reg’Art, 2014 En vain, Rudy Ricciotti, éditions Jannink, 2014

- 7 - 1984 - 2014 330 ANS0 Rudy Ricciotti. Pas plan-plan Orateur aux saillies surréelles, cet architecte valorise des bâtis romanesques et maniéristes comme il défend le «made in France». Sur les photos, Rudy Ricciotti prend souvent des airs vide». Rudy Ricciotti se souvient avec jubilation de ces attendrissants d’adolescent attardé. On le sent comme expéditions, lui qui veille attentivement à la sécurité de en attente d’une récompense imméritée, volée aux ses troupes, qu’il adore rassembler pour des fiestas sur tenanciers du bon goût. Son visage ose l’ébouriffade zone. hors d’âge (60 ans), la mélancolie émerveillée, le désarroi Le Français.Neptune a 60 ans et s’évite la barbe fleurie. tendre du minot incompris qui, d’un regard mouillé, Costume de lin froissé et pieds nus dans ses mocassins, adore faire vibrer la corde sensible. il jubile de déguster un verre en terrasse sur le port de A l’approche, l’architecte affirme une matérialité plus Bandol, loin des villes grises et méprisantes. Il apprécie incarnée. L’auteur du Mucem à Marseille, du musée Pasolini et Malaparte, le bleu cobalt et l’or des retables Cocteau à Menton, du Pavillon Noir d’Aix-en-Provence sévillans, Perceval le Gallois de Rohmer mais aussi et du Stadium de Vitrolles, est grand, sec, et fume le Gladiator de Ridley Scott. Il se verrait bien réincarné cigarillo à pleines volutes. Si l’on devait comparer, ça en licorne, fantasme de pureté perverse, mais se sent donnerait un mixte entre deux bêtes de scène, Higelin en phase avec les râleries de ses copains de bistrot et Cali, pour la chevelure en haute voltige et les gestes qui hurlent au «Tous pourris» et qui, au mieux, votent amples de troubadour dopé à l’exaltation. Chasse, Pêche, Nature et autres vieilles traditions peu ragoûtantes. C’est quand Ricciotti commence à parler que la perplexité gagne. Il empoigne à grandes brassées la plus Rudy Ricciotti a poussé à Port-Saint-Louis-du-Rhône, petite interrogation, ferraille en Don Quichotte, armé d’un a fait ses études à Marseille, a installé son agence à vocabulaire caracolant qu’il double d’une mauvaise foi Bandol, y a longtemps vécu avec sa femme et ses trois régalante. Façon Daniel Herrero, le rugbyman au verbe enfants (ingénieur, commerciale, architecte). Séparé, il haut, il tutoie sans réserve, aime que ça rie et que ça crie, réside désormais sur les hauts de . En une vie, engueule et embrasse, parle dru et cru parce qu’il est un il doit avoir bougé d’une centaine de kilomètres. Et, théoricien sujet à exaspérations et un Sudiste suspect son ouvrage s’est longtemps concentré sur le littoral d’exagérations. Il époustoufle d’une culture bien à lui et méditerranéen même si l’étranger commence à le énerve quand il multiplie les nostalgies autobloquantes. solliciter. Toujours, il y a cet accent qui truffe son discours, en Les grands parents italiens fuyaient le fascisme. Le père plombe le sérieux sans qu’il n’y soit pour rien et mine était gaulliste, pour faire bisquer et rager le communisme les soubassements du propos pour les oreilles non familial. Il a voté pour Mitterrand : «Il avait du volume, exercées. La difficulté vient quand, bravant le froid de il avait des couilles.» La fois dernière, il a perdu avec Paris qui évidemment le désole, il supplie : «Essaie de ne Sarkozy. Mais celui qu’on prendrait volontiers pour un pas tomber dans la caricature.» Essayons... anar de droite, se pâme en fait pour le nationalisme Le Camarguais. Neptune a 10 ans. Il lève haut son progressiste. Il a célébré Chevènement. Il prend feu trident et harponne les soles qui palment dans le ressac aujourd’hui pour le Montebourg à marinière. Il l’a chanté ou sommeillent sous le sable. Au retour, il met dans ainsi lors d’une réception : «Arnaud, je vais te tutoyer... son cabas des anémones de mer que sa mère cuira en Ce n’est pas par familiarité, mais, parce que tu es un beignets, goût qu’il retrouve aujourd’hui au Petit Nice, ministre qui mouille le maillot... Tu seras l’un des seuls le trois-étoiles marseillais. On est dans les années 60 à ne pas être carbonisé dans ce gouvernement...» Il y et il grandit en enfant du delta. Il est toujours de cette a chez Ricciotti des remontées très «made in France», Camargue qui voudrait prendre de la hauteur en flamant qu’il refuse de voir flirter avec «la France aux Français». rosi de sel et s’échapper vers le large à la Croc-Blanc, Il s’offusque que certains concours publics soient mais qui se rencogne dans ses rizières frontières quand réservés à des architectes d’ailleurs. Il s’arrange pour ne elle ne se durcit pas en taureau aux attributs bien pendus. faire appel qu’à des sous-traitants locaux. Il dresserait bien quelques barrières douanières. Surtout, cet artiste La maison est un cabanon entre le canal et un étang du béton déplore que le travail fuit par la bonde des aujourd’hui disparu, intégré au port autonome de Fos. délocalisations et que disparaissent les métiers et les Les moustiques font leur ouvrage, preuve qu’on peut savoirs. être du Sud et en être dévoré. Le père a commencé manoeuvre, est devenu maçon, prendra des cours du L’orateur. Dans tout cela, ne pas oublier la part de soir et finira maître d’oeuvre en bâtiment. Il l’entraîne provocation et le goût de la castagne qui font rendre sur les chantiers où l’on se promène alors librement, gorge à toute mesure. Rudy Ricciotti mène des combats «sans casque, sans balustrade», où l’on «enjambe le d’idées intéressants que ses saillies mirobolantes

- 8 - enluminent ou sulfatent. Il défend une création romantique, l’Inquisition. 2) Arthur Cravan. Batailleur et lettré, ce fan expressive, chargée et flingue le minimalisme à la Rem du surréalisme apprécie la destinée romanesque du Koolhaas, vite surnommé «salafisme architectural». Il boxeur dada retrouvé noyé dans le golfe du Mexique. interroge la mode des bâtiments HQE et voilà la doxa 3) «Le Colosse» de Goya. Force qui va et qui parle trop, environnementaliste rhabillée de «fourrure verte». Il ce pugnace s’étonne parfois des coups reçus en retour. se bat contre la «pornographie réglementaire» d’une D’où cette célébration fraternelle du Gulliver du tableau administration tatillonne et ça devient : «Je suis libre espagnol «qui ne pleure pas, ne mendie pas, et regarde d’être couillon, d’être imprudent et ne suis pas courtisan. le monde d’une manière énigmatique». Photo Yann J’ai toujours refusé d’avoir la circonférence de la bouche Rabanier au format exact de la bite du pouvoir. Je ne suis pas En 7 dates fellationniste par instinct mais onaniste par contrition mystique.» 1952 Naissance à Alger. 1980 Diplômé d’architecture. 1994 Le Stadium à Vitrolles. 2006 Grand Prix national Ses amis le décrivent «anxieux, susceptible, caractériel, d’architecture. tendre et affectueux, aimant la mise en danger, combatif à l’extrême». Ajoutons qu’on verrait bien ce flambeur 2013 Livraison du Musée des civilisations de l’Europe flambé se glisser dans la peau de trois personnages et de la Méditerranée (Mucem, Marseille) et du Stade : 1) Giordano Bruno. Non croyant, celui qui se définit Jean-Bouin (Paris). Avril 2013 L’architecture est un sport comme «anarchiste chrétien»vénère le savant brûlé par de combat (Textuel). 12 avril 2013 Exposition à la Cité de l’architecture à Paris. Libération, Luc Le Vaillant, 10 avril 2013

- 9 - 1984 - 2014 330 ANS0 Rudy Ricciotti Si vous étiez... Un accent provençal à couper au couteau, un esprit rebelle toujours prêt à en découdre... Le bad boy de l’architecture vient de signer deux nouveaux bijoux : une médiathèque-centre d’art à Colomiers, près de Toulouse, et le musée Jean-Cocteau, qui ouvrira ses portes en novembre à Menton. Si vous étiez un livre de chevet... Le soleil est aveugle, Un personnage historique... L’orateur romain Marcus de Curzio Malaparte. Je l’ai lu au bord du lac de Garde, Porcius Latro affirmant que «nul n’est bon volontairement». en Italie, les pieds dans l’eau. A la dernière page, j’ai Une rue de Paris... N’importe quel pont du xixe siècle sur pleuré. Malaparte y décrit, avec son écriture surréaliste, la Seine. Ces chefs-d’oeuvre parlent de la mémoire du le combat entre les chasseurs alpins français et italiens travail, des ouvriers, ingénieurs et architectes qui ont fait pendant la Seconde Guerre mondiale. Les colonnes de la beauté de Paris. Sans oublier la très belle passerelle gamins de 16 ans tombant dans les glaciers sous les tirs Solférino, de mon confrère Marc Mimram, injustement d’artillerie, au son de l’accordéon. Insoutenable. critiquée. Un plat d’enfance... J’ai grandi en Camargue, entre les Un animal... La licorne. Un animal énigmatique, silencieux. étangs et le canal, en autiste. Je passais mon été à J’aime la narration, j’exècre le minimalisme. pêcher des soles à la fouine et à attraper des anémones de mer à mains nues. Je les rapportais ensuite à ma Un contemporain du sexe opposé... Catherine Ringer. mère, qui les cuisinait en omelette. Aujourd’hui, je les Pour son arrogance, son parcours du théâtre à la déguste en beignets au Petit Nice, le restaurant de chanson en passant par le porno, son sens de la scène, Gérald Passédat, à Marseille. du texte. «C’est la mort qui t’a assassinée, Marcia.» Il fallait l’écrire ! La provocation, qu’est-ce que c’est ? Un Un juron... Enculé ! sursaut de dignité. Un tableau... Le portrait de Hô Chi Minh, pas celui d’Andy Un objet sur une île déserte... Un frigo avec des glaçons, Warhol, mais une version peinte à l’huile. Ce n’est pas tout simplement. pour l’homme lui-même, mais pour sa belle gueule. Une devise... «La cohérence est la politesse des Une autre nationalité... Je suis bien déguisé en français. imbéciles.» Une phrase qu’avec un de mes amis Une couleur... Le bleu cobalt. A ne pas confondre avec architectes nous avons librement attribuée au marquis de le bleu Klein. Mais le sublime, pour moi, ne se trouve Sade, qui, contrairement à ce que l’on pense, n’écrivait pas ailleurs que dans un retable sévillan entièrement pas que sur le sexe. recouvert d’or. Marion Vignal, L’Express, 6 juillet 2011 Rudy Ricciotti, architecte en béton armé La Cité de l’architecture, à Paris, lui consacre une grande exposition. Marseille inaugurera son MuCEM dans quelques semaines. Qui est vraiment Rudy Ricciotti ? Rudy Ricciotti vu par... Rudy Ricciotti présente le MuCEMRudy Ricciotti fait danser le béton Faut-il tenir un discours, si possible provocant, pour pèle l’âme jusqu’à l’os». L’architecture doit rester libre vendre son architecture? En la matière, Rudy Ricciotti, de ses mouvements pour innover. Comme pour Paul le Camarguais qui porte belle la soixantaine, est un Chemetov et Oscar Niemeyer, le goût de la lutte est le as de l’estocade. Même s’il s’est pacifié, du Stadium socle de sa survie. Que sa «gueule de métèque» énerve, de Vitrolles (1994) au MuCEM de Marseille (2013), ce que son «accent du Sud» horripile, que son «machisme polémiste infatigable navigue entre Don Quichotte et d’opérette» insupporte, il le conçoit. Sans pour autant Gladiator. Son arme fatale? Un vocabulaire décapant laisser ses détracteurs indifférents. Ce sont ceux, « qui de «voleur de poules», quand il parle de «la fourrure ne me connaissent pas, dit-il, qui me détestent d’emblée, verte», cette nouvelle doxa environnementale passée à savoir davantage les hommes que les femmes, moins en une génération à la «terreur verte». Un tutoiement lâches et plus subtiles », ceux qui n’ont rien lu de son sans réserve pour mieux vous attraper quand il part en pamphlet salutaire sur la HQE, Les Renards du temple, croisade contre «la pornographie réglementaire» d’une ou de son dernier manifeste provocant, L’architecture administration toute puissante. Un art de l’exagération est un sport de combat, un portrait truculent mais sans poussant la formule jusqu’au «salafisme architectural» concession de la profession, des hommes politiques et pour mieux flinguer un «minimalisme de supermarché du monde réglementé. Tirage: 4000 exemplaires, épuisé à la Rem Koolhaas», cette «standardisation qui vous en quatre jours. Ricciotti a l’impression d’être incompris,

- 10 - sauf peut-être de certains élus et du ministre Arnaud ans pour le MuCEM et une première mondiale pour la Montebourg qui a vanté les mérites de ce chantre d’une toiture en béton avec inclusion de verre du stade Jean- architecture locale ayant la culture du travail et faisant Bouin, à Paris. «Le béton défend une culture du travail vivre, à la force du poignet, une agence de 30 salariés territorialisé et résiste à la délocalisation des métiers», à Bandol. insiste l’ingénieur Rudy, que son confrère Marc Mimram qualifie «d’authentique constructeur dans la rationalité «Plus proche du psychopathe que du mégalo» lyrique». On aime ou on déteste le discours de cet inconditionnel «Je suis dans l’étriqué, le local» de Pasolini qui joue les rebelles plus par «principe vital que moral ou intellectuel, explique le philosophe Le béton contre l’acier, le face-à-face est radical. Ce sont Jean-Paul Curnier, comme un rejet salutaire de toute deux visions du monde. À chacun son camp. Perdre un obéissance aveugle aux dogmes, a fortiori lorsqu’ils concours comme celui du projet innovant du sanctuaire sont silencieux et tacites, aux idées reçues, au confort de Notre-Dame du Laus est à chaque fois un recul du mental d’un monde en train de s’écrouler». Ses coups progrès. de gueule en guise de défense ne sont que des coups Ce fou de tauromachie, «retour à la sauvagerie partagée de coeur parfaitement assumés. Ce sentimental se sent avec son ami Jean Nouvel», se trouve de par sa nature «plus proche du psychopathe que du mégalo». Mais son bien en France. Voyager ne l’intéresse plus. Il ne croit plus combat pour l’architecture ne peut laisser indifférent, au à ce mythe. «Je préfère construire en Corse plutôt qu’en même titre que son engagement dans l’art, décriant les Chine, plaisante-t-il. Cette période de rétrécissement du oeuvres vidées de substance de Murakami ou d’Adel territoire des signes nourriciers est stimulante.» Pourtant, Abdessemed. Rudy Ricciotti se met en permanence en gagner la commande d’un bâtiment iconique, comme le danger. Son angoisse existentielle est de ne pas se sentir Guggenheim de Frank Gehry à Bilbao ou la tour HSBC de capable de passer à l’acte de bâtir. Il est authentique Norman Foster à Hongkong, ne le ferait-il pas rentrer au dans sa peur de mal faire. «J’ai opté pour le mat et non le panthéon des grands architectes? «Il a trop peu produit, brillant», explique ce fils de maçon, qui est devenu maître insiste le critique d’art Paul Ardenne, il lui faut changer d’oeuvre en bâtiment en prenant des cours du soir. Il d’échelle.» Mais Ricciotti semble s’en désintéresser. préfère «l’épaisseur au bling-bling obsédant d’un Frank «Je suis dans l’étriqué, le local. À la croissance de la Gehry», d’où son travail acharné sur la matière qui porte désillusion correspond celle des désirs esthétiques. Le en elle cette «physicalité» si parlante. On comprend alors décompte du temps semble accroître la pression du pourquoi il a choisi d’explorer le béton, cette matière volume sanguin.» Seule l’adrénaline compte. Vrai ou généreuse qui vous met sur le banc des accusés, en bluff? Ricciotti brouille les pistes en parlant de pêche au poussant toujours plus loin les possibles: huit ans crabe. Avec une sensibilité inégalée, la cinéaste Laetitia pour mener à bien le Pavillon noir d’Aix-en-Provence Masson l’a suivi sur ses terres. Elle a touché l’impossibilité et le département des arts de l’Islam du Louvre, onze de saisir cet être dans son acte de création. Le Figaro, Béatrice Rochebouët, 17 avril 2013

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Partie 1 Le métier d’architecte

Musée des civiliasations de l’Europe et de la Méditerranée crédit photo : http://www.rudyricciotti.com/

L’architecture est un sport de combat ( EXTRAIT ) L’architecte serait-il plutôt le dieu de l’architecture ou son bouc émissaire, son diable? Les deux et pour de mauvaises raisons. La responsabilité de l’architectre est toujours mise en avant par principe syndical. La liste des responsables est aussi longue que celle des ‘‘ participants à une comédie musicale. L’architecte produit le dessin d’un ouvrage programme en amont et en aval. Il est une étape du processus. Le noeud créatif, avec un chapeau sur la tête si l’affaire tourne mal. Pourtant, l’architecture est un outil bienveillant. La cité ne se construit pas seule. L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Équainville, éditons Textuel, 2013, page 54’’

- 15 - 1984 - 2014 330 ANS0 Rudy Ricciotti, l’architecte qui magnifie le béton Ruddy Ricciotti vient de concevoir le nouveau stade Jean-Bouin consacré au rugby et le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille. Le fils de maçon italien devenu l’un des plus grands architectes français préfére le béton «qui inspire» à l’acier. «Que ma gueule de métèque énerve, que mon accent de réaliser le musée des Civilisations de l’Europe et de la méditerranéen horripile, je peux le concevoir, c’est la vie. Méditerrannée (MuCEM) où chacun se présentait: «Rem On n’est pas tous obligés d’être socialement identiques, Koolhaas, Rotterdam». «Zaha Hadid, London». «Steven d’avoir les mêmes mots et les mêmes sourires», lance Holl, New York». «Patrick Berger, Paris». «Rudy Ricciotti, Rudy Ricciotti dans son livre L’architecture est un sport Bandol-sur-Mer». Et toute la table de rire du manque de combat publié aux éditions Textuel. Dans un monde d’ambition». aseptisé, Rudy Ricciotti ose refuser le politiquement Le diplômé de l’école nationale supérieure d’architecture correct. de Marseille revendique une passion pour le béton. L’architecte né en 1952 à Alger a envahi la une de l’actualité «Entre l’acier et le béton, je n’ai pas d’hésitation: je choisis depuis plusieurs mois. La Cité de l’Architecture et du le béton. L’acier n’est pas aimable. Il ne supporte pas les Patrimoine au Palais de Chaillot vient de lui consacrer abîmes métaphyiques, cloue au pilori l’erreur humaine. une exposition titrée «Riccioli Architecte» sponsorisée C’est un matériau intolérant avec les concepteurs», juge par le groupe Lafarge pendant laquelle était projetée un le pourfendeur de «l’autisme des sens» et du «salafisme documentaire de la cinéaste Laetitia Masson baptisé minimaliste» pratiqué par certains de ses plus illustres «l’Orchidoclaste». confrères. Les amateurs de rugby fréquentent depuis fin août «Le béton est bien méphistophélique mais l’on le nouveau stade Jean-Bouin, l’enceinte de l’équipe peut s’arranger. Sable et ciment sont disponibles du Stade Français installée près du Parc des Princes économiquement. Ce n’est pas «une terre rare», un à Paris qu’il a conçue. Les passionnés de culture et produit spéculatif, on peut en fabriquer très facilement tous les autres flânent à Marseille dans le musée des sur toute la planète. C’est un matériau libre de droits. Civilisations de l’Europe et de la Méditerrannée (MuCEM) Personne n’est propriétaire du béton. Pas plus que je ne qu’il a inventé. Des réalisations récentes qui s’ajoutent suis un architecte bétonneur. Je ne travaillle pas le béton, à de nombreuses autres: le stadium de Vitrolles, sa c’est le béton qui me travaille» analyse le prix national première grande oeuvre qui date de 1990, le centre d’architecture en 2006. chorégraphique national d’Aix-en-Provence, la maison Le fils de maçon italien aime les matériaux qui l’enracinent de l’emploi à Saint-Etienne, le pont du Diable à Gignac, dans la terre et la vie des hommes. Ce méditerranéen le musée Cocteau à Menton, le département des arts de dans l’âme qui va à la baston et assure que «l’architecture l’Islam au Louvre... est un truc de brutes», est fasciné par le travail des L’amoureux de tauromachie est devenu l’un des grands autres. Qu’ils soient maçon ou ingénieurs. «Des secrets architectes français en affirmant sa différence. L’enfant m’ont été transmis pas des chefs de chantier ou par qui a grandi dans la Camargue, est resté fidèle à sa des artisans d’exception comme Quenel, ferronnier du région et à la Méditerranée. «La perspective de faire musée Cocteau, puissant inventeur surnommé Vulcain», violence au régionalisme me redonne le goût du terroir», témoignage Rudy Ricciotti . Car l’architecte qui dénonce assène-t-il. Le lutteur iconoclaste a installé son agence la «pornographie d’une réglementation omniprésente», à Bandol dans le Var où il vit et où il puise sa rage de sait que bâtir est une affaire d’hommes qui rêvent de réinventer l’architecture. «Je me souviens du premier défier les dieux et l’éternité. tour de table des architectes pour le concours en vue Le Figaro, Yann Le Galès, 10 septembre 2013

- 16 - Rudy Ricciotti; «Je suis un architecte du xixe siècle» Le rendez-vous était fixé dans son agence à Bandol, mais c’est finalement chez lui que Rudy Ricciotti reçoit L’Express. Tout au bout de la presqu’île de Cassis, face à la grande bleue et aux falaises monumentales. Un paysage puissant, légèrement à l’écart du monde, bien en phase avec cet architecte rebelle qui a toujours voulu prouver que Paris n’était pas le seul lieu de création possible. Et ça lui réussit. C’est lui, le Camarguais, qui a remporté la compétition internationale du très attendu MuCEM, musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, inauguré le 4 juin à l’entrée du Vieux-Port de Marseille. C’est également à lui que la Cité de l’architecture, à Paris, consacre une exposition monographique. L’occasion d’explorer sa philosophie, fondée sur l’art de la construction elle-même. Loin des mots HQE, minimalisme ou conceptuel qu’il a en horreur et qui attisent sa verve lyrique. Pour Ricciotti, l’architecture est un sport de combat. Conversation sur le ring.

Quelle est votre relation à Marseille, où se relie désormais le musée au fort Saint-Jean. Les gens étaient heureux d’être là, de se réapproprier ce territoire. trouve le MuCEM, votre tout dernier projet et C’était touchant. sûrement l’un des plus ambitieux ? J’ai très longtemps vécu ici. J’y ai même été lycéen, Comment imagine-t-on un projet dont on ne puis étudiant en architecture après être passé par une verra l’existence que des années plus tard ? école d’ingénieurs à Genève. Pourtant, je ne me sens Comment être sûr qu’il traverse le temps ? pas spécifiquement marseillais. En revanche, je suis fasciné par la beauté insensée de cette ville, où l’on Il faut travailler dans l’anxiété, dans la peur de mal faire, peut voir, d’un seul coup, en plein été, une bordure de de se tromper. Le plaisir passe après. Quand j’ai dessiné goudron faire apparaître des volutes de fumée. Ce type le MuCEM, il y a onze ans, je ne savais pas le construire. d’image me touche, mais, comme tous les Marseillais, Je n’avais jamais utilisé le béton fibré à cette échelle. je la déteste autant que je l’aime. Marseille, c’est un peu Marc Mimram, qui était dans le jury du concours, m’avait le désert des Tartares. Tu crois que ça va arriver et ça dit : «Ton truc, c’est infaisable, tu mettras des poteaux n’arrive jamais. Tu imagines les cavaliers à l’horizon, le métalliques comme tout le monde.» Nous sommes tumulte... Mais rien ne se passe. Marseille, c’est une ville finalement arrivés à ce que nous voulions. Je dis «nous» du jamais. parce que je ne suis pas seul. Le vrai talent de l’architecte, c’est de savoir tout mettre en musique. Mais, pour y Aujourd’hui, pourtant, ça y est : le MuCEM est arriver, encore faut-il exercer un pouvoir d’attraction, attirer la confiance. Sur un chantier, l’architecte est bel est bien sorti de terre et les attentes sont comme un capitaine de navire, il doit embarquer tout immenses pour la ville, qui semble espérer un le monde. Il faut se mettre en danger soi-même pour nouveau souffle... ne pas mettre en danger les autres. Quand j’ai travaillé sur le département des Arts de l’islam, au Louvre, j’ai dû Marseille n’a pas eu besoin du MuCEM ni du label me transformer en tortionnaire pour faire face à l’inertie «capitale européenne de la culture» pour exister. C’est bureaucratique. Sans quoi le chantier n’aurait jamais la ville de France qui possède le plus grand nombre été terminé. Au MuCEM, ma responsabilité s’arrête à d’artistes par habitant. Elle est éminemment culturelle, la livraison du bâtiment. Je ne me suis pas occupé de mais de manière underground. Ce qui est sûr, c’est qu’il y la scénographie, par exemple, sur laquelle j’avoue avoir a un avant et un après-2013. Le lancement de Marseille- quelques doutes. Provence 2013, au mois de janvier, a réuni 450 000 personnes dans la rue, sans un acte de violence. Cette ville a besoin de tendresse. Marseille, c’est un Quasimodo Pourquoi ? qui en prend plein la gueule. Elle ne s’est jamais relevée C’est tôt pour critiquer, car je n’ai encore rien vu, mais de la décolonisation, comme le Nord - Pas-de-Calais j’ai imaginé ce musée dans un rapport très fort à son ne s’est jamais relevé de la désindustrialisation. Elle environnement. Or, à l’étage, il est question d’installer détient le taux de chômage le plus élevé de France, le des panneaux et d’obstruer les vitres qui donnent sur la produit régional brut le plus bas. Mais ce n’est pas une mer. C’est tout le contraire de ce que j’ai voulu faire. Le raison pour la rabaisser encore plus et ne parler que de problème, c’est que les fonctionnaires de la culture ne la criminalité. En janvier, 15 000 personnes sont venues supportent ni le contexte territorial, ni l’horizon populaire, visiter le chantier du MuCEM sous la pluie. Un cordon ni la violence méditerranéenne, ni la «physicalité» du de parapluies s’était formé sur la passerelle en béton qui monde. Ils préfèrent faire des pipes à l’impérialisme

- 17 - 1984 - 2014 330 ANS0 anglo-saxon et à la dictature minimaliste, surtout s’ils Même chose pour les parois moulées que j’ai laissées sont de gauche ! Pour eux, la culture de la narration est dans les entrailles de l’ouvrage ou pour les structures suspecte. Comme d’être blonde est suspect, pour les racinaires qui descendent jusque dans la mer. J’ai la mysogines. prétention d’avoir un registre et un volume musical très large. Je ne travaille pas avec deux notes, comme les Ah bon... ? Cette critique du minimalisme et minimalistes. Mon architecture est une musique plutôt de l’impérialisme anglo-saxon n’est-elle pas free style. un peu dépassée aujourd’hui ? Vous parlez Est-ce la raison pour laquelle votre style comme si vous étiez un marginal seul contre architectural n’est pas clairement identifiable ? tous, ce qui n’est pas tout à fait le cas... C’est possible. Chaque projet est différent. J’ai cela Je ne suis pas seul à défendre ce point de vue, mais j’ai le en commun avec Jean Nouvel et Francis Soler. Nous courage de le dire, de l’écrire et de prendre des positions sommes tous des architectes du contexte. Mais ce très différentes du courant dominant. Il est vrai que, contexte, il faut l’attraper par le cou, l’étrangler, le secouer quand je dis à mes confrères et amis architectes Francis pour lui faire dire ce qu’il a dans le ventre ! J’utilise Soler ou Marc Barani que je ne suis pas minimaliste, cette discipline pour faire parler le réel et tenter de le ils ne me croient pas. J’ai encore reçu, hier, un texto transformer. Si j’ai un objectif, j’y vais. Je ne lâche pas. de Barani, avec une photo du MuCEM, qui me disait : «Tu vois bien que tu es un minimaliste !» C’est la même D’où vient votre esprit combatif, est-ce un chose quand je dis à Dominique Perrault qu’il n’est pas minimaliste, mais baroque. héritage familial ? Mes parents étaient des immigrés italiens, venus Chacun a sa définition... Vous dites-vous d’Ombrie : cette Italie centrale paysanne, celle qui baisse toujours baroque et maniériste ? les yeux, qui ne parle pas fort. J’ai passé mon enfance sur les chantiers de mon père, maçon. Je le voyais chaque Maniériste, oui. Baroque, non. Je n’ai pas cette prétention. jour, lui et ses confrères, le marteau à la ceinture. Nous, Si je le suis, c’est uniquement dans mon rapport à l’art de les ritals, nous ne savons rien faire d’autre que travailler. construire, dans ma relation à la complexité des savoirs Si j’ai choisi l’architecture, c’est uniquement parce que techniques. Je ne suis pas moderne. Je le sais depuis je voulais exercer un métier de plein air. J’ai été père de que je suis petit. famille à 24 ans, j’ai toujours bossé comme un acharné. C’est simple, dans les années 1980, je n’ai pas pris de Mais qu’est-ce qu’»être moderne» ? congés pendant dix ans. Je travaillais seul à la planche à En architecture, la modernité représente le discours de dessin. C’était avant les ordinateurs. rupture. Toute l’histoire de l’art est fondée sur cette notion. Or je considère que nous sommes dans un tel chaos Quel est le meilleur moment : celui où vous que ce n’est pas la peine d’en rajouter. Il faut au contraire dessinez le projet ? Où vous gagnez le développer des continuités. Cela passe par la recherche concours ? Où vous posez la première pierre ? de récit, d’onirisme, de plasticité. Etre conceptuel aujourd’hui, c’est aussi vieux jeu que d’être moderne. C’est le chantier. J’adore les entreprises, les compagnons C’est comme si vous hurliez : «Je suis démocrate !» au travail. Ensuite, il y a l’ouverture au public. Quand j’ai vu Notez que mes bâtiments sont tous adossés à un acte les Marseillais affluer au MuCEM ce jour de pluie, j’étais de dépassement technique. Je pense savoir faire des ému. Je crois à l’incroyable talent qu’ont les gens pour choses que peu savent faire. décoder l’architecture. Ce musée est déjà un succès populaire. Il a été adopté de manière imprévisible, sans Quoi, par exemple ? attiser aucune critique. Le système structurel du MuCEM, l’enveloppe du stade Tout le monde va vouloir «son Ricciotti», Jean-Bouin, la coque lacérée du musée Cocteau... Les principes constructifs sont partie prenante de chacun de comme Gehry après Bilbao et le Guggenheim... mes projets. N’imaginez pas que la résille de béton fibré La différence entre Gehry et moi, c’est qu’il pille ses qui enveloppe le MuCEM soit juste un petit dessin fait clients, tandis que je construis le MuCEM pour le même comme ça. C’est un travail de couture, extraordinairement tarif au mètre carré que le logement social que je prépare féminin, proche de la broderie. Et cela demande une dans le XVIe arrondissement, à Paris. Soit 2 400 euros prise de risque, car il faut les stabiliser, ces portées. du mètre carré. Je reste un architecte local ! Je ne suis

- 18 - pas dans le consumérisme techno-logique. Je sais faire de l’administration de la cité. C’est toujours une décision de la bonne cuisine avec pas grand-chose. politique qui précède un acte de construction. J’ai une idée de la République très au-dessus de la mêlée Qu’est-ce que la crise a changé pour vous ? gauche-droite. Dans ma vie, j’ai voté alternativement à gauche et à droite, sans aucune difficulté. L’aptitude à réduire ce consumérisme, justement, à pratiquer la désobéissance technologique, porteuse d’économie environnementale. Votre posture de «grande gueule» vous réussit. Au vu du nombre de commandes publiques que Les normes HQE (haute qualité vous avez décrochées ces dernières années, environnementale), qui ont tendance à vous savez parler aux politiques... multiplier les contraintes de construction, Je plais aux maires qui ont du volume. Le politiquement sont-elles toujours votre bête noire ? correct a atteint un tel niveau que, dès qu’on emploie des mots précis, on passe pour une grande gueule. Les Ces normes ont un effet pervers désastreux : elles politiques aiment les gens responsables. Quand ils me obligent à utiliser encore plus de machines ou de voient, ils se disent : il sait ce qu’il dit, il fait ce qu’il dit. Je matières. Les écoquartiers me font beaucoup rire, car suis un républicain, un patriote. Je n’ai pas honte de dire l’empreinte environnementale du bois n’est toujours que j’aime mon pays. pas prouvée. Le béton reste, selon moi, le meilleur des matériaux. Il résulte d’une chaîne courte de production et permet, en plus, de ne pas délocaliser la main-d’oeuvre. Que vous reste-t-il à faire ? Pour les cultureux de gauche, c’est anecdotique, mais Je ne manque pas d’appétit, mais je ne fais pas de pour moi, c’est un vrai projet économique et politique. Je hiérarchie. Un logement social est aussi important pour suis un architecte du xixe siècle, pas de la globalisation. moi qu’un stade de rugby. Ce qui me fascine, c’est qu’il Je me définis d’ailleurs désormais comme un anarcho- y a toujours des gens qui savent faire ce dont on rêve. chrétien. Je suis là pour mener le rêve à sa réalité. Je ne suis pas du tout dans l’utopie. Je pense même que l’utopie est Croyez-vous en Dieu ? un refus du futur. Non. Quelle épitaphe aimeriez-vous lire sur votre Mais chrétien quand même et un peu anar tombe ? donc... Etes-vous d’accord qu’on ne peut pas «Plus que ça, je ne peux pas !» C’est une phrase de être architecte sans être politique ? l’archi- tecte autrichien Adolf Loos qui me fait beaucoup rire. Oui, mais pas forcément de gauche. L’architecte participe L’Express, Marion Vignal, 3 avril 2013

- 19 - 1984 - 2014 330 ANS0 Au J4, la poésie pousse sur le béton Le grand bloc carré de Rudy Ricciotti repose sur une cascade de prouesses techniques Long à émerger, difficile à suivre. La réalisation du sauvages de liane, une série de poutres verticales aux bâtiment J4, le grand bloc carré signé Rudy Ricciotti, formes organiques qui forment la principale armature. a longtemps masqué ses qualités. Il y a quelques mois encore, une histoire de monte-charge mal goupillé avait En phase avec la nature imposé au toit une drôle de bosse semblable à un boa Avec les ingénieurs du chantier, il a mis au point une en train de digérer un boeuf, quand le dessin d’origine technique de moules susceptibles de donner à son prévoyait une stricte horizontalité. L’architecte tempêtait. béton préféré, le béton fibré à ultra-hautes performances Tout compte fait, l’erreur a été digérée, le toit est redevenu (BFUHP), des formes poétiques, quand ce matériau est ce qu’il devait être, strictement plat, comme une mer d’habitude utilisé pour les ouvrages techniques. Aux d’huile sous le soleil du Midi. Cette hésitation constructive 308 poteaux de la grande structure arborescente sont était loin d’être un détail. Car toute la construction du articulés les cinq plateaux, chacun de 52 mètres de MuCEM relève d’un strict génie de l’assemblage, d’une côté, qui forment l’espace du MuCEM. Deux niveaux en série de détails en cascade, détails formels autant que sous-sol permettent de porter à près de 16 000 mètres techniques, chacun conditionnant les autres. carrés la surface du bâtiment. Le toit, cette fameuse quatrième façade des architectes, Les deux autres façades obéissent aux mêmes règles joue de fait un rôle majeur dans l’édifice. Depuis le fort structurelles, sinon qu’en lieu et place de la résille, ce Saint-Jean, il est l’un des accès au MuCEM, grâce à une sont deux surfaces vitrées qui, moins sensibles au passerelle en béton, tendue comme un de ces ponts soleil, délimitent des espaces dévolus notamment à de cristal qui balisent le monde de la science-fiction. l’administration et à la conservation. De l’autre côté, le fort descend, à travers un paysage Simple et sophistiqué, rustique et sensuel, le MuCEM de ruines redessinées avec soin, vers cette grand-voile a sans doute vocation à servir de musée, ce pour quoi, carrée de 72 mètres de côté qui se perd vers la mer. finalement, il a été construit. Car une certaine inquiétude La pierre ocre en deçà du pont, la résille de béton gris au- s’est manifestée à l’idée qu’un excès de lumière puisse delà, juste échancrée pour faire respirer la terrasse que empêcher la présentation des oeuvres sans ajout de jouxte un inévitable restaurant de haut vol. De là, on peut pare-soleil. Mais le choix d’une ville du Sud portait en descendre vers le plancher des vaches en empruntant germe ce type de question et Marseille ne s’est jamais une longue pente régulière dont les segments, façon interdit d’exposer de la peinture. ziggourat, défilent derrière les façades. Cette pente Fallait-il sanctuariser davantage les espaces intérieurs? crée un volume intermédiaire, comme le derme vif d’un Le parti pris de l’architecte laisse aux équipes du MuCEM bâtiment vivant : c’est ici qu’il respire, capte l’air et l’iode, la possibilité de se draper dans toujours plus d’obscurité. négocie avec les rayons du soleil, la chaleur... C’est aussi le lieu où s’expose la structure du MuCEM. Reste un édifice étonnamment en phase avec la nature, au-delà de ses performances techniques. Et puisqu’il Tombant du toit sur les deux flancs exposés au soleil, n’est plus aujourd’hui possible de parler d’architecture la résille en béton protège le bâtiment. Sur ses deux sans évoquer les questions de développement durable, faces, elle est accrochée au coeur de l’édifice par une notons que tout a été fait au MuCEM pour tirer parti multitude de barres d’acier, tirants solidement chevillés de la présence de la mer, ce qui permet de refroidir ou qui rythment le volume ombragé de la pente. Côté coeur, chauffer l’édifice selon l’humeur des occupants et les Ricciotti a élaboré une structure aux allures un peu caprices du ciel. Le Monde, Frédéric Edelmann, 4 juin 2013

- 20 - Rudy Ricciotti : « C’est le soleil qui dicte la construction » Rudy Ricciotti a dessiné le bâtiment J4 du MuCEM en utilisant du béton, son matériau fétiche. Ennemi juré du minimalisme, l’architecte met en avant l’esthétique, cette « noble faiblesse » de ses pairs Prix national d’architecture en 2006 et auteur du bâtiment mythes anglo-saxons et par la vision protestante du J4 du MuCEM, Rudy Ricciotti fait abondamment parler monde. On a peur de prononcer le mot « esthétique de lui. Il est à l’honneur à l’Institut français d’architecture, ». Je trouve cela dramatique. C’est pour ça que je me au Palais de Chaillot, après avoir signé puis livré en 2012 déclare anarcho-chrétien. Je n’ai pas peur de célébrer la l’édifice du nouveau département des arts de l’islam au beauté. Le minimalisme, la déconstruction, ce sont des Louvre. Expérimentateur fasciné par le béton, l’homme névroses qui se soignent avec des neuroleptiques. Sans n’est pas de ceux dont on arrête aisément le débit. faire intervenir l’argent public. Comme ses publications (L’architecture est un sport de Pourtant, en France aussi, il y a des gens qui savent combat, Textuel, 112 pages, 15 euros), ses entretiens faire des choses. Ce qui me fascine, c’est le travail, et peuvent tourner au cataclysme naturel, flot de paroles la mémoire du travail. Je suis plein d’admiration pour les recherchées et polémiques. maçons, pour les ingénieurs. Je les aime et ils m’aiment en retour. Si tu vas sur mes chantiers, c’est une vraie Pour le MuCEM, comment est-on passé du fraternité, comme au XIXe siècle. projet à la réalité? J’ai fait ce bâtiment la peur au ventre, je ne voulais Le mérite est à partager avec les ingénieurs et les surtout pas me laisser coloniser par les idées à la travailleurs du chantier. J’ai eu la confiance de l’Etat et mode. Dos à la France, face à la Méditerranée, ça me celle de tout l’équipage du navire, nous sommes allés au semblait impossible de me comporter en consumériste. combat ensemble. C’est cette unité qui nous a permis J’ai fait un projet qui essaie de marquer cette anxiété. de réaliser la vision initiale, exactement comme je l’avais Son esthétique, sa féminité - je dis « féminité » parce dessinée à l’origine en 2002. Tout était là : la maille que tout le monde le trouve féminin -, c’est là que extérieure, les structures organiques, les circulations. réside l’authentique sensibilité du métier. Quel que Simplement, on ne savait pas encore le réaliser du point soit leur niveau, l’esthétique est la noble faiblesse de vue technique. Je connaissais le BFUHP [béton des architectes. Et lorsqu’ils s’en éloignent, lorsqu’ils fibré à ultra-haute performance], ce béton à la porosité deviennent impérialistes dans le plus mauvais sens du extrêmement faible, entre cinq et dix fois moins qu’un terme, ils sombrent. béton classique. Mais je ne savais pas s’il était possible d’utiliser ces qualités ici. Car on est sur un site très Vous avez une sensibilité marquée par le Sud? agressif et l’on ne pouvait rien laisser au hasard. Je suis méditerranéen, mais être méditerranéen ce n’est pas avoir un extrait de naissance, c’est avoir un extrait Comment est organisé le bâtiment? de voyage. On l’est par conviction, pas par naissance. Le bloc muséal forme un carré de 52 mètres de côté. Si Pour autant je n’aime pas aller à l’étranger : pour moi ça on le met à plat, c’est comme un morceau de tissu qui n’a jamais abouti, à quelques exceptions près comme serait surpiqué en périphérie. Pour les façades, c’est le le Centre international d’art et de culture à Liège ou soleil qui dicte la construction : la résille extérieure de l’auditorium symphonique à Gstaad. béton occupe les deux côtés face au sud, le verre trouve Même en France, ça n’a pas été facile. Le stadium de sa place au nord, où est placée l’administration. Derrière Vitrolles, en 1990, c’était un premier coup. Ensuite, cette façade, la « ziggourat », une rampe qui monte le même si l’exposition actuelle donne une impression long de l’édifice jusqu’à la terrasse. Le bâtiment est ainsi globale, le Pavillon noir à Aix, les arts de l’islam au fait de plusieurs couches. Derrière le verre ou la résille, il Louvre, le stade Jean-Bouin [à Paris], le Musée Jean- y a la rampe, puis la structure porteuse des poteaux de Cocteau à Menton, le mémorial du camp de Rivesaltes, béton, les raidisseurs et, enfin, une voile translucide en ce sont autant de « coups ». Une succession de maille noire. moments qui ont été à chaque fois des étapes, des inventions, un dépassement dans la manière de bâtir. Je Pouvez-vous parler de l’esthétique du MuCEM? suis un architecte constructeur et nous ne sommes pas nombreux en France. En France, c’est devenu vulgaire de parler de volonté esthétique. On a culpabilisé la notion de beauté et on Ce que j’ai apporté, c’est de réapprendre à construire a fini par déclencher son exil du pays. Elle est devenue avec du béton. Je fais parler les parois moulées. Je suspecte. Normal! Nous sommes colonisés par les recycle tout, comme dans une cuisine. Pas de prêt à

- 21 - 1984 - 2014 330 ANS0 l’emploi, je suis un architecte de la proximité, je vais Au stade Jean-Bouin, les riverains avaient la haine au chercher autour de moi chaque élément. Pour les départ, maintenant ils me disent aimer ce spectacle. Et pièces de la résille, par exemple, je suis allé chercher encore, lorsqu’ils le verront la nuit, ce sera comme une l’inspiration au fond de l’eau. Si on les prend une par citrouille magique! une, ça ne marche pas, c’est l’ensemble qui trouve son Mais oui, c’est vrai que je suis dans une sorte de sens et sa poésie. schizophrénie, tendresse ou féminité, et virilité. Je sais qui je suis, d’où je parle, d’où je viens. Il n’y a aucune Etes-vous dans la radicalité ou la sensibilité? violence chez moi, seulement de la passion. Et si on Si je m’en tiens aux réactions des gens, ils peuvent pouvait arrêter de faire de moi un gouailleur pittoresque, refuser au départ, mais ensuite ils adhèrent au projet. comme si ma carrière ne pouvait passer qu’en force, ça serait bien. Le Monde, Frédéric Edelmann, 4 juin 2013

Logements collectifs - Campus, Pessac - crédit photo : http://www.rudyricciotti.com

- 22 - Rudy Ricciotti, révélateur des malaises de sa profession En 2006, Rudy Ricciotti, architecte et ingénieur, né en choix en elle-même politique, un refus de la générosité, 1952 à Alger et désormais établi à Bandol (Var), publiait un un rejet de la poésie ». Une centaine d’architectes, pamphlet assassin sur la haute qualité environnementale. auxquels il s’est joint, ont ainsi déclaré qu’ils refusaient Titre : HQE (éd. Transbordeurs). Texte court, violent, de voir leurs projets publiés dans l’annuel du Moniteur, profus. Pas une démonstration technique, plutôt une prise outil précieux qui recense sans autre critère que la qualité de position que résume la phrase suivante : « L’exigence les meilleures réalisations de l’année. Les responsables environnementale mérite mieux qu’une farce cachant à des Editions du Moniteur ont fulminé, arguant du fait peine une redistribution des pouvoirs pour nous refaire que leurs propos avaient été mal retranscrits par la le film Main basse sur la ville [de Francesco Rosi]. Il n’y presse, notamment par Le Monde. Quelques institutions a pas d’expert HQE, qu’on se le dise, et beaucoup de vouées à l’architecture, comme Arc-en-rêve à Bordeaux, charlatanisme sur une question majeure, qui doit être ont organisé des débats qui n’auront pas consolé les autre chose encore une fois qu’une machine à fabriquer lauréats maltraités ni les perdants courroucés. Et la voix du pouvoir, et en navigant à vue, saquer l’architecte et de Ricciotti n’a cessé de se faire entendre. Récidiviste l’architecture. » Ricciotti relira l’essentiel de ce texte lyrique des déclarations à l’emporte-pièce, familier d’un langage et mal élevé en recevant le 27 janvier 2007 le Grand Prix guerrier et poétique, Ricciotti est à la fois le révélateur national de l’architecture, récompense officielle s’il en est. et le concentrateur de toutes les souffrances de la Moins d’un an plus tard, il tempête contre l’attribution profession. En un an à peine, le constructeur du Centre de l’Equerre d’argent du Moniteur, qui lui a échappé (Le chorégraphique national d’Aix-en-Provence, du futur Monde du 8 novembre), à une voix près, nous dira un Musée des civilisations méditerranéennes de Marseille des membres du jury. Elle est allée au projet serein de (Mucem), des salles d’art islamique du Louvre, lauréat du Nathalie Franck et Yves Ballot, auteurs de l’extension récent concours pour la reconstruction du stade Jean- d’une école à Bordeaux. L’architecte provençal, adulé Bouin à Boulogne, est devenu un personnage central de ou abhorré à proportion de ses provocations, va alors la scène architecturale en France. Il agace, mais il tape focaliser les termes d’un débat qui opposerait les juste. A grandes enjambées, il trace des ponts entre des tenants de projets « modestes et sérieux » aux habitués univers qui sont censéss’ignorer. C’est ainsi qu’il a repris, des « grands gestes architecturaux ». Une architecture éditeur compris (Laurent Cauwet), une maison d’édition supposée invisible, lisse, acceptable immédiatement poétique, Al Dante, qui avait mis la clé sous la porte en par tous, qui serait l’antithèse de celle des stars de la 2006. Les réalisations de Ricciotti portent, elles aussi, profession, puisant dans la boîte à outils faramineuse de ces dimensions multiples, provocatrices, angéliques ou l’ingénierie contemporaine - les techniques permettant diaboliques. Diabolique lorsqu’il construit à Vitrolles une toutes les formes, toutes les audaces. Faux débat salle de concerts (hard) rock qui sera fermée aussitôt évidemment. Le monumental et l’exceptionnel sont qu’ouverte, et aurait contribué, disent ses détracteurs, aussi nécessaires à la ville que la sérénité répétitive à l’élection du lepéniste Bruno Mégret (ce qui est prêter des immeubles et des rues. Mais surtout, l’essentiel de beaucoup au diable). Angélique, lorsqu’il propose le voile la construction échappe dans les faits aux architectes, de ciment presque arachnéen qui enveloppe le futur même si leur signature accompagne tout projet de Mucem, ambigu dans son projet pour le département plus de 170 m2. L’ordinaire des villes et des banlieues des arts islamiques du Louvre, où ce descendant de se rapproche actuellement de ces sous-produits de la maçons italiens érige une sorte de tente bédouine cité américaine, tels que les a remarquablement décrits au coeur du vieux palais royal. Dans tous ses projets, Stéphane Degoutin dans un livre récent (Prisonniers Rudy Ricciotti se fait le défenseur d’une architecture volontaires du rêve américain, Editions de La Villette) : impatiente, périlleuse, où le dialogue entre l’architecte et patchworks formels, maisons préfabriquées sans style ni l’ingénieur, ordinairement fratricide, devient un complot racine, quartiers néo-haussmanniens teintés de gothique contre l’ordinaire de la construction. Non pas, répète-t- vénitien... C’est l’architecture qui rassure après les « il, contre le bâtiment de Nathalie Franck et Yves Ballot, trente glorieuses » et leur floraison de mauvaises HLM, l’Equerre 2007, mais contre les attendus sous-jacents : aujourd’hui dynamitées comme les blockhaus albanais. « Le jury n’a pas parlé d’architecture gesticu latoire. Pour S’il est devenu malgré lui, dit-il, « le porte-parole de moi, ça ne change rien. C’est comme s’il l’avait dit. » tous ces jeunes arc hitectes qui refusent les diktats du Irritant mais tonique, Ricciotti est de ceux qui tentent de Moniteur, c’est pour ajouter dans la même phrase, tout préserver la dimension fondamentalement inquiétante de ça est un faux problème. Ce qui importe, ce n’est pas l’architecture, comme l’ont fait Puget, Boullée, Gaudi, Le une histoire de gesticulation architecturale opposée à la Corbusier... pour s’en tenir à des noms qui ne créeront raison, mais tout ce qu’il y a derrière : une absence de pas de pugilat parmi les professionnels français. Le Monde, Frédéric Edelmann, 27 décembre 2007

- 23 - 1984 - 2014 330 ANS0 Partie 2 Architecture et politique Partie 2 Architecture et politique

Département des arts de l’Islam, Le Louvre crédit photo : http://www.rudyricciotti.com/

L’architecture est un sport de combat ( EXTRAIT ) La véritable question, la seule interrogation fondatrice devant mobiliser toute notre attention, est de déterminer si oui ou non nous sommes en mesure de transformer le réel. Dès lors que l’architecture sert, comme je le crois, à reconstruire le monde, à lui bâtir un futur, il semble ‘‘ évident qu’il ne peut y avoir architecture sans dimension politique en embuscade. Et ce n’est pas rien que de l’accepter. La politique est le jumeau de l’architecture. L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Équainville, éditons Textuel, 2013, page 14’’

- 27 - 1984 - 2014 330 ANS0 Rudy Ricciotti : « architecte, je lutte contre la pornographie réglementaire » Architecte, Rudy Ricciotti est notamment le créateur du Département des arts de l’Islam au Louvre et du « Pavillon Noir » inauguré en 2006. Sa dernière œuvre majeure est le MuCEM, à Marseille, qui devrait être bientôt achevé. Connu pour son franc-parler et ses critiques acerbes contre la bureaucratie et le mauvais goût ambiants, il a accepté de répondre à nos questions. Il nous explique ici sa vision de l’architecture, sa lutte pour l’inscrire dans le local et son optimisme quant à la possible inversion du déclin français.

Contrepoints : Diriez-vous que notre époque le contexte mais je ne suis pas le seul, les architectes français sont talentueux et concernés par ces enjeux de actuelle est marquée par une individualisation société. des styles architecturaux, ou y-a-t-il comme précédemment un trait caractéristique Au fil de vos réalisations et de vos entretiens, commun ? vous pourfendez « la pornographie Le débat n’est pas le style. Notre époque est surtout réglementaire » et ce « bâtard de Mittal qui marquée dans la discipline architecturale par la difficulté détruit 5000 emplois ». Mais le second n’est-il de faire et la difficulté d’être. Tout semble interdire aux pas la conséquence de la première ? (Plus de architectes de rêver de beaux projets, de rêver de liberté et d’initiative. Par voie de conséquence, le métier paraît réglementation, moins d’innovation, moins de difficile à exercer. Être architecte paraît impossible compétitivité, usines fermées) aux architectes. L’énergie à déployer pour faire face Je suis favorable à une architecture de maçons résistant à l’adversité est colossale. Adversité économique et aux gesticulations high-tech et au consumérisme juridique, réglementaire et administrative. technologique. Lorsque l’architecte fait son métier, l’intérêt est de permettre la création de projets L’architecture est un sport de combat est le complexes, pas forcément dans la technologie mais titre de votre dernier livre. S’agit-il d’un combat dans l’« ouvragerie ». Cela signifie alors qu’il appelle de contre le vent dominant des idées de style gros besoins de main d’œuvre fabriquant une mémoire du travail non délocalisable. Ce qui m’intéresse, c’est défendues par vos confrères, et/ou contre la précisément de concevoir des bâtiments dans lesquels pesanteur administrative ? les besoins en main d’œuvre sont importants. Et non L’adversité est présente dans le quotidien de ce beau l’inverse. Mes projets sont souvent complexes et difficiles métier. Les pièges sont permanents. La difficulté à mettre en œuvre, sollicitent une gamme complète de d’être de l’architecture se heurte à la pornographie du compétences, de l’ingénieur à l’ouvrier. Construire ces global. Mais depuis quelques temps, il convient de bâtiments permet de renouveler une mémoire du travail redevenir optimiste, les citoyens ont pris la mesure de et résister à la délocalisation des emplois. notre décadence et de la prédation bureaucratique. Les jeunes sont très avertis. Les défis de l’architecture D’après vous, la seule vraie mission d’un d’aujourd’hui concernent la densité, seule solution si l’on architecte est de « transformer le réel », et veut laisser du terrain non imperméabilisé à nos enfants notamment le réel local. Vous êtes fier, pour ; vous noterez que je ne dis pas naturel, mon exigence est modeste. Le défi de l’architecture de demain est de le Musée des civilisations d’Europe et de la continuer à être un récit compris par chacun et porteur Méditerranée (MuCEM) à Marseille, de n’avoir d’un projet de société. Or le premier combat à mener fait appel qu’à des ouvriers et des matériaux est de se débarrasser des scories d’une néo-modernité présents dans un rayon de 50 kilomètres. tardive et asexuée. Au-delà du style c’est l’attitude qui importe. Je suis un architecte inquiet qui essaye de Pourtant ce que vous avez réalisé n’est pas produire du sens et qui considère la narration et le récit vraiment une copie de la « Bonne Mère ». comme les nourritures utiles. L’architecture doit fabriquer Comment définir ce qui s’inscrit dans le « local du sens, certes, mais aussi être fabrique de cohésion sociale. Aujourd’hui, notre société subit une perte de ce » ? Y a-t-il des critères objectifs ? récit et de cohésion sociale. L’architecture doit servir à Je travaille avec le béton, c’est une affaire de croyance, au célébrer des moments de vie pour contrer ce manque et sens politique et esthétique. On a atteint aujourd’hui un réactiver le désir de vivre ensemble. Mon travail célèbre niveau incroyable d’accélération du déclin du savoir-faire

- 28 - par le biais hégémonique du minimalisme pour lequel collective. Non, il faut être patriote et aimer son pays. j’ai du mépris, non comme phénomène de style mais Je ne suis pas du tout certain que l’étranger soit une comme moteur-accélérateur de la perte des mémoires. solution pour les architectes français. L’inverse l’est Je pense que nous, les architectes, avons très largement assurément conformément à notre tradition d’accueil. contribué à la destruction des métiers et à la destruction de la mémoire du travail. En collaborant à cette extase Un bâtiment que vous auriez aimé réalisé ? Un minimaliste, l’on participe aussi, à notre petit niveau de que vous êtes heureux de ne surtout pas avoir prédateur, à la délocalisation des savoirs. Bientôt il n’y aura plus de menuisiers. Aujourd’hui, un vrai menuisier réalisé ? qui sait faire de bons châssis, des fixes, des ouvrants Le sanctuaire de Notre Dame du Laus dans les Alpes assemblés à noix et à gueule de loup, des beaux détails, de Haute-Provence ; c’était l’engagement humaniste de la belle menuiserie, relève de l’exception ! Ce qui me le plus abouti. Archaïque dans ses matériaux et son préoccupe aujourd’hui, c’est faire des bâtiments dans écriture, savant dans son raisonnement scientifique. Je lesquels il y a un gros coefficient de main-d’œuvre. Ce le regretterai toujours. Par contre le Pôle musical de l’Île qui me fascine, c’est faire des bâtiments sur lesquels Seguin que je viens de perdre est une chance. J’ai été l’intervention de la main-d’œuvre est capitale. Je ne veux épargné de huit années de stress qui m’auraient peut- pas faire des bâtiments comme on fait de la malbouffe être été fatales. de fast-food. Je veux faire des bâtiments complexes à réaliser représentants un gain en termes de recherche Pour finir, quel message aimeriez-vous délivrer et développement. à la jeune génération d’architectes et aux Après F. Mitterrand et sa bibliothèque, J. Chirac architectes en devenir ? et l’IMA, N. Sarkozy n’a aucune réalisation Il est plus facile de faire du business en étant architecte spécifique et l’état des finances publiques cycliste, green, végétarien, non-fumeur, cool, amateur d’art contemporain, ayant bon caractère et politiquement n’incitera pas F. Hollande à en avoir une. Le correct, qu’en étant fouteur de merde et en refusant de temps des Présidents bâtisseurs est-il révolu ? faire des pipes, même sympathiques, conceptuelles ou contemporaines. Mais face à l’exil de la beauté, Peut-être. Il demeure néanmoins que l’économie du BTP à l’épuisement démocratique, à la désintégration est une clef territorialisée de répartition des richesses. européenne, à l’acculturation générique, à la globalisation Que l’argent issu de la fiscalité du travail retourne au et aux pulsions fascistoïdes de la bureaucratie, il convient monde du travail ne me heurte pas. Il faut suggérer à d’être vigilant avec un pistolet à eau chargé de pastis en l’État et à son grand argentier, la Caisse des Dépôts, main, prêt à dégainer. d’engager une politique de grands travaux. L’économie du BTP tire la France vers le haut et consomme surtout Il y a donc de nouveaux chantiers de la raison à ouvrir. français. Y voyez-vous un inconvénient ? Par ailleurs c’est L’architecture comme ombre portée politique appelle une économie qui offre beaucoup d’emplois d’ingénieurs un minimum d’engagement esthétique. Évidemment et cherche sans cesse des maçons et d’autres ouvriers les matériaux mentaux que sont la posture critique, la qualifiés. tension, la violence, le sensuel, le sacré, l’onirique et la radicalité elle-même, pourraient déplacer l’architecture D’après vous, la France est-elle encore une vers un art radical comme l’est la performance poétique terre d’audace, ou faut-il « s’exiler » pour par exemple. L’architecture comme l’art contemporain sont menacés par avachissement intellectuel et anorexie travailler sur de nouveaux projets d’ampleur ? critique. On le voit bien avec l’art contemporain devenu Effectivement l’épuisement européen et surtout français parfois discipline démagogique aux lieux communs les se perçoit. Mais il faut résister à la déprime. Le navire est plus affligeants. Les moteurs de cette triste réalité sont touché mais il faut se battre pour le sauver. L’exotisme la corruption par l’argent d’une part et l’émasculation de l’exil n’est pas un projet. J’aime mon pays et me par la bureaucratie autoritaire de l’autre. Mais c’est suis toujours battu ; ce n’est pas à soixante ans que aux architectes de combattre pour leur liberté, de je vais changer. Il faut libérer les mots et les paroles si se désengluer du niais et du bégaiement rhétorique l’on veut libérer les énergies. Le politiquement correct pour courir quelques frissons exotiques dans l’espace a anesthésié la pensée et déclenché une peur panique libertaire. Contrepoints, PLG, 25 avril 2013

- 29 - 1984 - 2014 330 ANS0 Le coup de gueule des architectes contre les pénalités grandissantes Rudy Ricciotti et David Ventre dénoncent des réglementations qui les asphyxient Même les plus grands, pourtant protégés par leur nom à deux chantiers - un lycée « d’une région de France » et par des commandes prestigieuses, en parlent peu. et des logements pour « un département ». De multiples Ou pas du tout. Il se trouve que les architectes français conflits en cours, font que, dans les deux cas, il attend sont de plus en plus fragilisés, et certains asphyxiés, ses honoraires depuis six ans. David Ventre en tire les par les pénalités qui leur tombent sur la tête, à la suite conséquences : quitter le métier. « Je n’ai qu’un seul de retards de chantiers ou de dysfonctionnements regret : celui de me retirer sans avoir pu mettre en œuvre dans les bâtiments qu’ils ont construits. Jean Nouvel, la maturité de mon savoir. » au cœur de plusieurs conflits, aurait mis la clé sous la L’autre témoignage nous provient de Rudy Ricciotti, porte sans Michel Pélissié qui, en 1994, crée les Ateliers Grand Prix national d’architecture 2006 et provocateur- Jean Nouvel (AJN), agence qu’il préside pour permettre né. Il s’agit d’une lettre adressée le 2 mai 2008 au à l’architecte de poursuivre l’épopée expérimentale qui Centre des monuments nationaux et dont une copie en fera le lauréat du Pritzker 2008. L’expérimentation fait reçue au ministère, dûment tamponnée, circule dans la rarement bon ménage avec les 11 000 textes juridiques, profession. Il y énonce les termes du contrat qui lui est dont Michel Rocard, alors premier ministre, dénonçait proposé pour la poursuite de travaux qu’il a réalisés à déjà le nombre excessif, qui, depuis, a été multiplié par l’abbaye de Montmajour, près d’Arles. Une ahurissante deux. Le 13 juin 2007, le tribunal administratif de Paris succession de pénalités permet de répondre à tous les a condamné Christian de Portzamparc (l’autre Pritzker cas de figure. français), conjointement avec le bureau d’études Thales et diverses sociétés de contrôle et de construction, à payer 2 millions d’euros à l’Etat pour des malfaçons « PIGEON CORVÉABLE » constatées au Conservatoire national supérieur de La réponse de Ricciotti, fleurie, est à la hauteur du musique, à La Villette (Paris). Une facture lourde et personnage : « Je veux bien admettre que ma gueule douze ans de procédure. Ce n’est pas sans fierté que de voleur de poules et mon accent de bâtard méritent Portzamparc annonce : « Le jugement n’a retenu contre peu de considération, mais ce contrat scandaleux et nous que 14 % de responsabilité. » Explication d’un méprisant n’incarne pas l’idée que je me fais de l’Etat, de ancien conseil juridique de l’ordre : « La Mutuelle des la démocratie et de la culture. « Je veux bien admettre architectes français (MAF) est connue pour bien couvrir que les pulsions fascistes et autoritaires puissent amener les problèmes de conception. Résultat, même s’ils n’ont à ce délire psychopathe, paranoïaque et tortionnaire, commis aucune erreur sérieuse, les architectes sont mais je ne veux pas me faire enculer avec le sourire systématiquement condamnés. » Mais la MAF peut sardonique de la Joconde sans protester tout de même. parfois refuser d’assurer un architecte, qui doit alors se « Par voie de conséquence, je vous prie de chercher retourner vers les assureurs classiques, plus méfiants. le pigeon corvéable à merci, plumable à souhait, docile (...). Je veux bien renoncer aux exorbitants 20 000 euros Tous les architectes ou presque, quel que soit leur d’honoraires pour toute cette mission, et ainsi ne rien talent, ont connu des déboires, parfois dramatiques. signer et travailler gratuitement, ce qui me reviendra Deux témoignages éclairent cet aspect méconnu. moins cher. » Le premier est dû à David Ventre, architecte reconnu, primé, et membre du conseil de l’ordre des architectes Hors Ventre et Ricciotti, les architectes restent silencieux de la région Ile-de-France. Intitulé Non merci ! (pourquoi pour trois raisons. D’abord pour ne pas envenimer un peu je me retire de l’architecture), son témoignage est à la plus leurs relations avec les maîtres d’ouvrage. Ensuite, fois émouvant et paroxystique. On en trouve le détail sur ces derniers peuvent hésiter à faire travailler un architecte Internet (www.lemoniteur-expert. com/pdf/non_merci. qui se plaint. Enfin, une telle plainte peut révéler une pdf). En voici le début : « (...) dans ces batailles de faiblesse chez l’architecte : son incapacité à tenir face guerriers, avec ces partenaires qui nous astreignent à à la forêt de contraintes. Déjà, pour accéder seulement leur diapason contentieux et procédural, nous passons aux groupes restreints des concours, les agences tout notre temps à déjouer leurs pièges et perdons peu doivent remplir des conditions décourageantes pour les à peu notre œil, notre main, notre intellect pour guider plus jeunes, comme pour leurs aînés. Conséquence : notre pensée, notre sens pour garder notre humanité. les architectes finissent souvent par s’enfermer dans un Un gâchis ! Pourquoi ? Pour accepter d’être humilié, créneau : musées, écoles, hôpitaux, logement social ou méprisé, ruiné ? » Le désespoir de David Ventre est lié de luxe, usines, prisons... Le Monde, Frédéric Edelmann, 30 juin 2008

- 30 - Rudy Ricciotti : « Je suis jaloux de Bordeaux » L’architecte marseillais qui a conçu la salle de spectacle de Floirac cite la métropole en exemple de réussite. L’accent roule, la faconde et les formules aussi. Rudy d’ouverture ! Ricciotti aime consolider son personnage décalé dans le milieu volontiers policé de l’architecture. Patriote, Avez-vous craint pour votre projet lorsque la défenseur de l’ingénierie et des constructeurs tricolores, il CUB est passée à droite ? a été choisi avec Bouygues et Lagardère pour construire la grande salle de spectacle de l’agglomération bordelaise, Juppé m’avait assuré la continuité républicaine sur le à Floirac. Connu du grand public par la nouvelle aile sujet. Ce n’est pas le cas partout. La mode aujourd’hui du Louvre mais surtout le Musée des civilisations de est de faire des économies. Mais pour les collectivités l’Europe et de la Méditerranée (Mucem) à Marseille. territoriales à qui on demande des efforts, ils ne se Entretien avec un homme séduisant et péremptoire. font que dans la colonne investissements. Pas dans « Sud Ouest ». la colonne de fonctionnement. Mais celle des fonds propres des bureaucraties territoriales n’est jamais Vous attendiez-vous au succès du Mucem ? remise en cause. Lamentable. Rudy Ricciotti. C’est un grand succès populaire, fruit du Comment avez-vous conçu la nouvelle salle de travail de brillants ingénieurs, de brillantes entreprises françaises. Un vrai travail à la française. Ce succès spectacle de l’agglomération bordelaise ? est très touchant parce que les gens se reconnaissent Elle se situe d’abord de l’autre côté de la Garonne : ce dans ce lieu. Chaque fois que je m’y rends, j’ai des n’est pas rien. J’ai essayé de faire le volume le moins témoignages d’affection, me remerciant d’avoir fait ce encombrant possible, pas un projet impérialiste. Un lieu pour cette ville. Je leur rappelle que je n’ai fait que galet, réalisation de béton blanc, assez spectaculaire mon devoir avec l’argent de la fiscalité du travail qui dans sa réalité constructive. Je ne voulais pas de revient à la population. Marseille est un Quasimodo qui bardage métallique, je voulais quelque chose d’un peu reçoit des coups sans cesse, sur lequel on crache et qui digne. ne comprend pas et qui réagit avec un sourire inquiet. C’est-à-dire ? Marseille, capitale européenne de la culture : Je suis très attaché aux valeurs du métier. L’architecture avez-vous senti un véritable élan ? est pour moi une clé de répartition des richesses du Marseille était une ville cultivée avant « la capitale », elle savoir. La tendresse du Mucem, qui n’est que du béton, sera cultivée après. Que les bureaucrates de la capitale c’est que les gens y voient la transpiration, la culture culturelle communiquent là-dessus, exploitant au des métiers, des ingénieurs, des maçons. La salle de maximum ce qui a été initié par d’autres, c’est de bonne spectacles de Bordeaux n’est pas un objet consumériste, guerre. C’est la ville de France où se trouvent le plus fait avec des technologies importées. Elle sera construite d’artistes à l’année. par Bouygues (via sa filiale DV Constructions, NDLR) qui est la meilleure entreprise au monde dans ce domaine. Quel regard portez-vous sur Bordeaux ? « Bordeaux a ceci de désarmant qu’on y réussit les J’adore. C’est une ville magnifique intelligente, brillante. choses facilement » Deux symptômes sont révélateurs pour savoir quand une Cela peut paraître désobligeant à certains mais je suis ville est belle : on y mange bien et il y a de belles femmes. assez patriote. J’aime faire des projets qui renouvellent C’est le cas de Bordeaux et de Lyon. Bordeaux est à les expertises de travail « territorialisé ». L’ingénierie et l’inverse de Marseille une ville préservée, sans violence. la production vont solliciter des pans d’économie du Un côté B.c.b.g avec de l’humour, économiquement pays. Je suis un grand admirateur de l’ingénierie et de privilégiée avec une tradition d’élus de grande qualité. l’entreprise française. Pas besoin d’être colonisé par Que ce soit Juppé ou Feltesse aujourd’hui, j’ai été les mythologies anglo-saxonnes. Je ne me réjouis pas impressionné par leur intelligence de leur volume que des pans entiers de l’économie française passent politique. On ne peut pas dire la même chose à dans des mains étrangères. Alstom, ça donne envie de Marseille. Le seul reproche que je fais à Bordeaux et aux pleurer. Bordelais, c’est qu’ils ne veulent pas goûter d’autres vins que le leur. C’est pénible ! Moi j’aime les vins du sud : Concevoir une salle de spectacle de cette taille, Bandol, Cassis, les vins de l’Hérault, du Gard… Un peu

- 31 - 1984 - 2014 330 ANS0 une première pour vous, a-t-il été compliqué ? Quelle musique écoutez-vous ? Il s’agissait de donner des réponses simples à Je n’écoute que du rock et de la musique classique, Verdi des problématiques complexes. Celles d’une salle en tête. « Dies irae » me tire les larmes à chaque fois. Le de spectacle sont au-delà du fonctionnement rock, c’est les Stones, les Doors, Zappa, les Who, mais scénographique : la sécurité, la circulation et l’évacuation des groupes vivants aussi hein ! Le rock français aussi. rapide, une acoustique d’excellence, le tout avec des Rappelez-vous Téléphone comme c’était bon. Et Noir coûts de construction raisonnables. Je crois savoir le Désir comme c’était fort… Et nous revoilà à Bordeaux ! faire. La salle est faite pour Bordeaux, elle n’est pas banalisée, ce n’est pas un outil commercial. Elle sera Qui aimeriez-vous voir sur la scène de cette gérée par de grands connaisseurs du sujet. Il va y avoir salle ? un très beau restaurant au premier étage, au niveau des fenêtres-fentes et je peux vous dire qu’avec sa vue sur la Ah ben Jagger et Richards, bien sûr. Mais les Stones Garonne, ce lieu marchera toute l’année, en dehors de dans une salle de 10 000, c’est un peu juste… Les l’actualité des concerts. Marseillais d’IAM seraient parfaits, là. Bordeaux est une véritable capitale. La mer, le ski, la campagne, les Que pensez-vous du pont que Rem Koohlaas a vignobles, les femmes, la qualité gastronomique, une économie qui renouvelle les emplois. Des hauts lieux de conçu pour desservir le quartier de la nouvelle culture comme le CAPC avec arc en rêve. Une ville qui salle ? renouvelle son paysage patrimonial. Je n’ai vu qu’une photo sur Internet mais ça me paraît très bien. Bordeaux a ceci de désarmant qu’on y réussit Avez-vous d’autres projets en Gironde ? les choses facilement : une ville programmée pour le Des logements étudiants à Pessac. Domofrance a lancé succès par ses habitants. Assez raisonnables d’un côté un programme de chambres pour étudiants seuls, mais d’une ambition permanente. À Bordeaux, vous avez étudiants en couple, étudiants avec enfants, avec des le miroir d’eau et j’en suis un fan absolu, je vais le voir à logements pour chercheurs, enseignants avec famille, chaque fois que je viens. Sa vocation a été détournée de etc. On aura donc une vraie mixité. Je fais une cité manière géniale par les gens et la mairie de Bordeaux ne étudiante à Pau en même temps mais ça n’a pas été l’interdit pas. C’est là que Juppé est brillant. À Marseille, possible là-bas. Encore un exemple de l’intelligence on interdit aux pêcheurs de se mettre sous l’ombrière de programmatique de Bordeaux. Mais ce que je n’aime Foster sur le vieux port. pas à Bordeaux, c’est le racisme des Bordelais envers les autres vins ! Sud Ouest, Yannick Delneste, 13 mai 2014

- 32 - Il défend avec énergie le « produire en France » et l’emploi local dans le BTP; « Je ne veux rien de chinois sur ce chantier ! » Présent sur le chantier Coudères, hier, l’architecte iconoclaste Rudy Ricciotti n’a pas mâché ses mots «Surtout, pas de matériel chinois sur ce chantier ! Je Sibérie. « Le mélèze produit en France n’est pas de la veux que tout soit compatible avec le droit du travail, qualité qu’il nous faut », explique Alexandre Lacaze, fiscal et social français ! Si c’est pas le cas, ça dégage ! » l’architecte palois associé à Rudy Ricciotti dans ce programme à 11,5 millions d’euros. « Il s’agit de loger les Le chantier en question, c’est celui du « projet Coudères gens comme il faut, dans du classique, du pérenne. Pas », à Pau, qui comprend des locaux associatifs et des de se moquer d’eux », reprend l’architecte de Bandol. logements locatifs (lire ci-contre). Grand prix national d’architecture 2006, le Méditerranéen L’architecte qui ne mâche pas ses mots, n’est autre que volubile tient d’ailleurs à se démarquer des architectes Rudy Ricciotti, l’une des figures françaises de l’art de au trait de crayon prestigieux comme Zaha Hadid. Un construire. Lauréat des projets les plus emblématiques nom connu, à Pau. du moment, de l’aile islamique du Musée du Louvre au Musée des civilisations d’Europe et de Méditerranée, La Britannique d’origine irakienne avait été choisie, l’architecte iconoclaste et un brin provocateur était à initialement, pour construire la médiathèque Pau, hier, pour voir pousser sa première réalisation dans intercommunale de Pau. Mais la coque qu’elle avait la Cité royale. L’occasion de tenir un discours énergique imaginée s’est vite révélée irréalisable techniquement. Et sur la notion de « produire en France » qui se trouve, devant l’envolée des coûts, le sénateur-maire et président justement, au cœur de la campagne pour l’élection de la communauté d’agglomération, André Labarrère, présidentielle. avait été contraint de renoncer à ce projet de plus de 32 millions d’euros pensé pour attirer le regard du monde Main-d’œuvre territorialisée sur Pau. La collectivité avait dû s’acquitter d’indemnités de rupture de contrat, à hauteur de 535 000 €. « Moi, je ne suis pas Front Nat’. Mais je suis Français, je paye mes impôts en France et j’ai envie que mes « Je ne suis pas l’architecte d’un trait, d’une idée… Pas trois enfants puissent, à leur tour, travailler en France. là pour prendre l’argent et disparaître. Ma fierté, c’est Et comme c’est parti, il y a de quoi s’inquiéter ! Alors davantage de faire en sorte que les entreprises qui on va me traiter de réac’ou autre. Mais tant pis. Je suis travaillent sur les chantiers ne perdent pas d’argent et le un architecte patriote et ma responsabilité économique client non plus ! » et sociale consiste à fabriquer des bâtiments qui Pour la Béarnaise d’habitat, Olivier Subra atteste que nécessitent un gros besoin de main-d’œuvre ! Celle l’architecte a su rester dans l’enveloppe financière d’ici, territorialisée, non délocalisable ! Je ne veux pas imposée, sans recourir massivement aux produits de ce qui arrive de Chine tout prêt ! Je veux que le fabriqués à l’autre bout de la terre… maçon fasse son béton sur place. Qu’on protège ces vrais métiers manuels qui se transmettent, ces vraies Rudy Ricciotti et son collègue palois Alexandre Lacaze entreprises du bâtiment sans qui les architectes ne ont en main un gros projet à l’échelle de Pau. À l’angle des sont rien. » rues Baradat et Briand, derrière la polyclinique Marzet, il s’agit en effet de construire 204 logements étudiants qui Et d’expliquer que « le développement durable, il est seront confiés en gestion au Crous (centre régional des là, dans les chaînes courtes de production. L’ardoise œuvres universitaires), ainsi que 24 logements sociaux, de nos murs, elle va venir de la carrière de Bagnères- 120 places de stationnement en sous-sol et des locaux de-Bigorre. Il faut se méfier de certaines inexpertises associatifs. Ces derniers permettront de reloger sur 1 écologiques qui, en réalité, tuent l’emploi ». L’essentiel 300 m² la Maison Coudères des Francas (centre de des matériaux et matériels utiles à la construction des loisirs), qui était déjà présente sur le site, ainsi que le 8 500 m² de locaux commandés par la Béarnaise réseau des assistantes maternelles de Pau (300 m²) d’habitat va donc venir de France, ou d’Europe. Avec aujourd’hui installé rue Foch. Un gros programme, à quelques « entorses » à la règle, par nécessité. 11,5 millions d’euros, dont le bailleur social la Béarnaise d’habitat assure la maîtrise d’ouvrage. Un « anti-Zaha Hadid » Le chantier a démarré en début d’année et se situe Le bois des cadres de fenêtres, du mélèze, arrive de encore au niveau du gros œuvre. Il doit être achevé en juin

- 33 - 1984 - 2014 330 ANS0 2013, indique Olivier Subra, le directeur de la Béarnaise chambres de résidence universitaire, labellisées « basse d’habitat. C’est-à-dire avant que les étudiants qui ont consommation », vont faire environ 17,5 m² et bénéficier besoin d’un logement aient bouclé leurs recherches. Les d’une chaufferie collective. Sud Ouest, Alain Babaud,16 mars 2012

- 34 - LA GLACIÈRE/MONDÉSIR La première pierre des 196 logements du Parc Divona a été posée hier; Nouvelle entrée de ville La livraison est attendue à la fin du premier semestre 2011 Chez DV Construction (1), c’est une tradition : on ne dit foncier. Et des loyers souvent trop élevés par rapport à pas ouvrier mais compagnon. C’est plus chic, moins la solvabilité des ménages. » connoté lutte des classes. Même si le terme n’a rien à voir avec le professionnel accomplissant son tour de France des sièges compagnonniques. « Nous serons vigilants sur la qualité, notamment à la réception des travaux. D’autre part, nous serons Hier donc, peu avant midi, les équipes du chantier présents au niveau de la gestion locative », a martelé du Parc Divona ont cessé le travail plus tôt que prévu le représentant d’ICF. Les 134 logements, gérés par la afin de sacrifier à une autre tradition maison : la pose filiale logement de la SNCF, permettront de fixer dans de la première pierre. Il faut dire que ce programme ce quartier une population à revenus modestes et immobilier n’est pas quelconque. L’îlot 1 du Programme intermédiaires. « Nous nous attacherons à ce que les d’aménagement d’ensemble (PAE) de La Glacière pèse choses se passent du mieux possible dans la durée. 196 logements et 1 600 m² de locaux commerciaux. L’entretien des bâtiments ne sera pas négligé. Pour Il sera mené en deux phases. La Cirmad Centre/Sud preuve, nous allons réhabiliter 25 000 logements dans Ouest a lancé il y a quelques mois la construction les dix prochaines années », plaide-t-il. Beaucoup de des 134 logements collectifs (82 à vocation sociale et promesses qu’il conviendra de convertir dans les faits. 52 logements libres) pour le compte du groupe ICF (1) DV Construction est la filiale régionale de Bouygues Atlantique et de sa filiale Novedis. Suivront bientôt les 62 Construction, spécialisée dans la construction en appartements au bénéfice de Gironde Habitat. bâtiments et travaux publics.

Grands coups architecturaux Rudy Ricciotti : « J’ai appris à dire s’il te plaît » Avant de manier la truelle, le maire de Mérignac s’est Le Parc Divona bénéficie d’une architecture originale. félicité que ce projet se concrétise en dépit des obstacles L’écriture des pignons des bâtiments est directement passés. « Mérignac a connu un essor démographique et inspirée des œuvres du peintre René Magritte. Un grand économique. Le bâti reste en revanche banal », concède nom de l’architecture internationale,Rudy Ricciotti, s’est l’édile. D’où la nécessité de frapper parfois de grands associé au cabinet HPL pour créer ce premier îlot. Il a coups architecturaux. La médiathèque du centre-ville signé entre autres le département des arts de l’Islam au procède de cette logique. Le Parc Divona, aussi. « Il s’agit Musée du Louvre, le Musée des civilisations d’Europe du premier acte de requalification de la porte d’entrée et de Méditerranée, le stade Jean-Bouin à Paris... Hier, Bordeaux-Mérignac. La Glacière est une transition l’architecte varois s’est fendu d’un discours flamboyant. évidente entre ces deux villes. L’axe relie par ailleurs « Pour qu’il y ait qualité d’architecture, il faut un désir Bordeaux au quadrant Ouest (c’est-à-dire l’aéroport, les d’architecture. Nous devons rendre hommage à un zones d’activités) et au bassin d’Arcachon. » maire qui a eu ce désir-là. » Il est décisif, selon lui, de Philippe Casanova, directeur général de DV Construction, considérer la question architecturale comme d’intérêt a souligné l’importance du lien avec la Cirmad Centre/ public.Rudy Ricciotti a loué la valeur de la relation avec Sud Ouest, le développeur immobilier du groupe. « les entrepreneurs. « Nous, architectes, faisons un métier Cela n’a rien à voir avec le métier de promoteur puisque transversal. Nous ne pouvons rien faire sans eux. Il faut la Cirmad n’a pu commencer l’opération qu’après apprendre à travailler avec ce mot magique à la bouche la signature des investisseurs. Du coup, la garantie : s’il te plaît. Il est fini le temps du Moyen Âge où les d’achèvement des programmes engagés dans les délais maçons étaient fusillés. En 30 ans de métier, j’ai appris convenus est totale. » à aimer les entrepreneurs, j’ai appris à fermer ma gueule et à demander gentiment les choses. C’est comme Pas de défiscalisation cela qu’on arrive à avoir de bons résultats. » Et de citer, concernant le Parc Divona, l’emploi de l’enduit à la chaux Autre élément mis en exergue par Philippe Casanova Marmorino utilisé dans les palais italiens, du béton blanc : « La Cirmad ne fait jamais appel à la défiscalisation autoplaçant, des loggias en bois massif assemblées qui induit une spéculation intolérable sur les prix du épaisseur dans épaisseur. Sud Ouest, Olivier Delhoumeau, 16 mars 2010

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Partie 3 Architecture et urbanisme

Future salle de spectacle de Floirac crédit photo : http://www.sudouest.fr/

L’architecture est un sport de combat ( EXTRAIT ) Le renouvellement urbain est une marâtre sourdingue aux notions de réhabilitation, le b.a.-ba du sauvetage patrimonial. Il préfère occuper l’espace avec des ronds-points et des glissières de sécurité. [...] Désormais, toutes les villes sont étranglées par une ceinture de hangars à rez- ‘‘ de-chaussée consommant du terrain agricole où l’on se fait braquer sa paye, de parking en parking, des chaussures au pantalon de jogging, du nain de jardin au matériel informatique, faute d’alternatives, mortes étouffées entre temps par ce nouvel art de vivre. Ce constat, fruit d’une mondialisation que rien n’arrête, n’a rien de nouveau, mais rien de nouveau n’est venu l’enrayer. Ni de la part des acteurs de l’économie ni du côté de ceux de la politique, tous d’accord pour soutenir les valeurs de la République, bien entendu non négociables, pourvu que l’on ferme les yeux sur les modestes entorses faites par chacun au gré des intérêts et des carrières. Après ces passages en machine, la République ressemble plus à une vieille serpillière bonne pour le tapin qu’à une institution respectée. Affolée par ces réalités difficiles à nier, la puissance publique chargée de l’urbanisme, jamais à court d’idées quand il s’agit de conforter ses prérogatives, accomplit alors avec zèle ses devoirs, indispensables à la survie du territoire existentiel qui lui sert de carpette pour se coucher. La dérive à vue des plans locaux d’urbanisme (PLU) et les toquades architecturales des conseils généraux en attestent. [...] Au bout du tunnel, une perte des repères qui engendre le plus naturellement du monde une véritable schizophrénie de la règlementation. En quelques centaines de milliers de ronds-points, nous sommes passés d’une ville européenne dix-neuviémiste magnifique, Paris, Marseille, la rue, les commerces, au mitage du pays sous la férule des petits chefs. Cette réalité n’est pas urbanisation anarchique mais le fruit de l’urbanisation planifiée par notre démocratie. L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Équainville, éditons Textuel, 2013, page 62’’

- 39 - 1984 - 2014 330 ANS0 Les autres Quais à la mode Portés par les futurs pont Jean-Jacques-Bosc et grande salle de spectacles, ces 46 hectares en bord de Garonne vont devenir un secteur clé de l’agglomération

L’endroit n’est encore qu’une cohabitation de Lemoine, Rem Koolhaas prend ses marques dans le programmes de logements à la voirie harmonisée. Les coin : l’architecte hollandais a dessiné le futur pont Jean- Quais de Floirac, zone d’aménagement concerté (ZAC) Jacques-Bosc, esplanade sur l’eau où déplacements créée il y a vingt ans par la CUB, vont pourtant devenir doux et espaces publics sont les stars. « Le débouché un grand quartier mixte d’agglomération. Le nouvel atout du pont sur la rive droite sera à l’image de celui-ci d’une plaine rive droite en révolution, voisin et partenaire avec un grand parvis, explique Michel Duchêne, vice- du périmètre Euratlantique. Profil en trois points clés. président de la CUB chargé de l’urbanisme. Le quai de la Souys y sera raccordé via deux voies de dégagement 1 Un pont, une salle : plein de possibilités desservant le quartier. « Le pont devrait être livré à la fin de l’année 2018. Bus à haut niveau de service ou tram : Ce sont évidemment les deux éléments structurants on devrait savoir en ce mois de septembre quelle option des Quais de Floirac qui les feront passer dans le XXIe est retenue quant au mode de transports en commun siècle de l’urbanisme. La grande salle de spectacles et protégés. le cinquième franchissement de la Garonne alimentent discussions et dossiers depuis plus de dix ans mais les deux projets semblent aujourd’hui sur les rails. 2 Logement : le dense par l’exemple De Vincent Feltesse, qui a initié la démarche, à Alain Après le fiasco du projet privé d’Arena acté il y a deux Juppé, qui lui a succédé en mars à la présidence de la ans et demi (1), la construction-exploitation de la grande CUB, le concept était partagé par les deux adversaires salle de spectacles a été confiée au groupe Lagardère, cogestionnaires : la densification de l’agglomération avec accompagné de Bouygues à la construction et de le million d’habitants en 2020 pour objectif. Le nombre l’architecte Rudy Ricciotti à la conception du « galet de logements prévus sur la ZAC des Quais n’a cessé blanc «. Le premier coup de pioche en 2016 et une d’augmenter au fil des années : de 950 en 2006, il est ouverture à l’automne 2017 restent les dates, mais 2018 passé à 1 400 aujourd’hui. semble plus crédible. Les 500 existants mixent programmes libres et logements Sa seule réalisation bordelaise est justement sur le sociaux, location et accession. Mésolia y a fait sensation coteau regardant la plaine floiracaise. Après la maison

- 40 - en montant sept étages de résidence récemment. « Les polyclinique du Tondu va s’y implanter fin 2017. Au sud de perspectives ne sont pas brisées et les rapports avec la zone, au niveau du parking en silo de salle (Parcub) et le coteau privilégiés, sous la houlette de l’architecte- du gymnase, 20 000 mètres carrés de locaux d’activités programmiste Dominique Petermuller «, explique Marie- verront le jour. Veolia a déjà ouvert une déchetterie Pierre Lauboeuf, chargé de projet Quais à la CUB. nouvelle génération. Alors que LP Promotion réalise actuellement un (1) Les promoteurs ont été incapables de réunir les 30 programme de 45 logements près du centre- 000 mètres carrés de commerces devant servir au ville de Floirac, Aquitanis va monter une résidence financement de la salle dont la CUB leur avait confié le intergénérationnelle juste à côté tandis que deux îlots projet. à l’est vont être investis par Bouygues dans les mois à Lors du dernier Conseil communautaire, deux îlots de venir. la ZAC ont été attribués aux promoteurs CFA Atlantique (10 000 mètres carrés d’activités) et Redman. Pour ce 3 De l’activité pour une vraie mixité dernier, le maire de Floirac Jean-Jacques Puyobrau a Cette nouvelle population va engendrer de nouveaux demandé au président de la CUB de surseoir à cette équipements : un groupe scolaire de 12 classes ouvrira décision. « Avec l’Atelier aéronautique industriel (AIA) de à la rentrée 2016, la ville gérant également un nouveau Floirac et l’Aérocampus de Latresne, nous travaillons gymnase de l’autre côté de la zone. Les Quais de Floirac à un projet de synergie. Une activité pourrait prendre seront aussi un quartier d’activités. On l’annonçait au place sur les Quais de Floirac, en articulation aussi avec début de l’été : à l’arrière de la salle des spectacles, la la mutation prochaine de l’Observatoire sur le coteau «, explique-t-il. À suivre. Sud Ouest,Yannick Delneste, 4 septembre 2014

- 41 - 1984 - 2014 330 ANS0 Pourquoi la salle sera signée Ricciotti Dix ans que le projet patinait. Il sortira de terre en 2017. Plongée dans ce qui a fait pencher la balance Bordeaux était la dernière grande agglomération de Garonne. Là où le groupement a tiré son épingle du France à ne pas disposer d’une salle de spectacle digne jeu, c’est également sur la « politique » qui sera mise en de ce nom. Ce manque sera comblé dans les trois ans oeuvre par les exploitants. Autant de cordes sensibles qui viennent. La Communauté urbaine de Bordeaux qui ont fait la différence. a en effet choisi hier le groupement Lagardère/ DV Construction (Bouygues)/ Rudy Ricciotti pour construire Des détails qui comptent et exploiter une salle de 10 000 places, qui sortira de Des détails qui comptent en somme. Avec notamment la terre d’ici 2017 dans le bas de Floirac, commune de la promesse de reverser 1 % du chiffre d’affaires de la salle rive droite, sur les bords de la Garonne. à des projets culturels et/ou sportifs locaux. Toujours dans une optique « locale », on verra réapparaître des Le plus cher premières parties dans les concerts, pensées comme Le trio Ricciotti-Bouygues-Lagardère a gagné alors qu’il des « tremplins pour les artistes locaux ». Dans les était le plus cher : 49,2 millions d’euros pour construire la cartons, « un grand événement triennal » – soit un grand salle. « Mais nous voulions un geste architectural, une salle concert ou plus – consacré à la production régionale. Sur accueillant de la variété et du sport, et enfin un montage l’aspect sports, la salle pourrait être mise à disposition financier et juridique sécure pour la CUB. C’est le meilleur d’équipes nationales pour s’entraîner et clôturer le tout choix que nous pouvions faire », a expliqué la sénatrice avec des matchs de gala. Par ailleurs, la salle est prête PS Françoise Carton, vice-présidente de la CUB, qui a à ouvrir ses portes à un club local qui évoluerait dans piloté le dossier de la salle de spectacle après l’échec l’élite. En ligne de mire, les basketteurs des JSA ou les du premier projet Arena (lire ci-contre). Côté finances handballeuses de Mios-Biganos-Bègles. Il faut y voir la justement, dans le cadre d’un contrat de concession patte Lagardère, dont le président, Arnaud, est fondu de de travaux publics (nouveauté apparue en 2009), le vrai sport. Et a tissé un réseau très important dans plusieurs coût de la salle est estimé à environ 90 millions d’euros. disciplines. La CUB versera entre 45 et 50 millions d’euros, point final. Le groupement désigné hier assume de son côté la Quid des recalés construction et se rémunère sur l’exploitation pendant 20 Peu d’informations ont filtré sur les recalés. La ans. Les deux autres propositions étaient un peu moins reproduction de leurs projets n’a – pour le moment – chères. Le projet Fayat/ Axel Véga/ Cabannes puis pas été autorisée. Le projet Fayat/ Vega/ Cabannes/ Philippe Stark était à 48 millions d’euros. Celui porté par Stark apparaissait solide financièrement. Tout devait Michel Pétuaud- Létang/ Claude Camus/ Canal Events être financé en fonds propres. Mais les membres de la était à 40 millions d’euros. commission consultative ont été surpris de voir deux moutures très différentes pour un même projet. Était-ce Ce qui a fait la différence une faute de goût ? La configuration en arène n’a semble- Pourquoi la commission consultative et Vincent Feltesse t-il pas convaincu les élus, qui souhaitaient oublier ont porté leur choix sur l’attelage le plus onéreux ? l’expérience infructueuse de l’Arena. Quant au projet Plusieurs éléments ont pesé. Lagardère a sorti l’artillerie Pétuaud-Létang/ Camus/ Canal, il faisait figure de Petit lourde en annonçant un calendrier de 118 dates dès Poucet dans la cour des grands. Il semble que l’aspect la première année (à partir de septembre 2017), soit financier ait été rédhibitoire. En effet, le groupement est un spectacle tous les trois jours : 112 spectacles de arrivé avec une somme modeste (1,5 million d’euros musique et/ou variétés et 6 manifestations sportives (la selon nos informations), le reste du pro jet étant financé salle peut recevoir des matchs de basket, handball, mais par un prêt bancaire qui exigeait une garantie de la CUB. aussi des courses de motocross par exemple). Tous les Fin de l’exception bordelaise Le président de la CUB, trois ans, un « gros événement » est aussi prévu (Coupe le socialiste Vincent Feltesse, qui avait fait la promesse Davis ? Championnat du monde de handball ? Euroligue dans ces colonnes que la salle sortirait de terre, alors de basket ?). Elle comptera 10 000 places (en version que tous les signaux étaient au rouge, était tout à sa concert, avec le public debout sur le parterre et 65 % joie, rappelant que le créneau 2015-2018 sera faste pour de places assises), soit 3 500 de plus que l’actuelle plus l’agglomération. « Il y aura l’arrivée de la LGV, la nouvelle grande salle de Bordeaux, la patinoire de Mériadeck, gare Saint-Jean, le nouveau pont Jean-Jacques-Bosc exploitée par Axel Véga, l’un des deux perdants. Pour signé Rem Koolhaas, et la nouvelle salle de spectacle, l’esthétique, l’architecte varois Rudy Ricciotti a imaginé qui mettra fin à l’exception bordelaise. C’était la seule une sorte de galet en béton blanc, posé au milieu de grande ville qui n’avait pas de grande salle. » Début des la plaine de Floirac, à quelques mètres des rives de la travaux courant 2015, après la nécessaire phase des

- 42 - études techniques, puis livraison de la salle en principe D’autres projets à Bordeaux en septembre 2017 Né en 1952 à Kouba, en Algérie, Rudy Ricciotti est aujourd’hui installé à Bandol, dans le Var. Il cultive une La Cub mise sur un architecte en vogue image d’une grande gueule méridionale toujours en RudyRicciotti est l’un des architectes les plus courus du pétard contre quelque chose (la réglementation, le moment. Un choix très calculé manque d’ornements, l’absence de personnalité…). De même que l’on voyait mal comment la conception Adepte d’un langage désordonné, provocateur, son du futur pont Jean-Jacques-Bosc, à Floirac, pouvait discours est parfois difficile à suivre. Il est aussi l’un des échapper au Néerlandais Rem Koolhaas, celle de la architectes les plus talentueux du moment, inventif et nouvelle salle de spectacle, au même endroit, semblait radical comme Koolhaas, mais sans la raideur froide de promise au varois Rudy Ricciotti. Dans ses commandes ce dernier. C’est ce qu’il y a de plus frappant dans son publiques, l’agglomération de Bordeaux n’échappe pas projet de salle de spectacle choisi par la CUB : il est tout à une tendance de fond qui vise à choisir des architectes en douceur, quand Ricciotti se montre plutôt rugueux. « monétisables ». Les Anglais disent « banckable » : ce « C’est un architecte qui fait des bâtiments qui ne lui que construisent ces architectes stars, ce n’est pas ressemblent pas », dit un connaisseur. Outre le Mucem seulement un bâtiment, cela doit aussi « rapporter » en dont on parle tant, Rudy Ricciotti est aussi l’auteur du terme d’image. Toutes les villes courent après le jackpot nouveau stade Jean-Bouin (Paris), de la Passerelle pour que Bilbao a remporté avec son Guggenheim signé la paix de Séoul ou du Pavillon Noir, à Aix-en- Provence. À Gehry. Rudy Ricciotti est en ce moment la coqueluche Bordeaux, on lui doit une résidence à Mérignac (Divona, des grands donneurs d’ordres. Sa dernière oeuvre – quartier de Mondésir). Il doit aussi livrer un ensemble le Mucem, musée des Civilisations de l’Europe et de regroupant 147 logements et le Service interuniversitaire la Méditerranée – fait la fierté de tous les Marseillais. Il de médecine préventive et de promotion de la santé, à draine un flot conséquent de touristes et d’articles dans Pessac, sur le campus universitaire, avec Domofrance. la presse (c’est le côté banckable). En projet également, un groupe scolaire dans le quartier des Bassins à flot. Sud Ouest, Denis Lherm et Xavier Sota, 20 décembre 2013

- 43 - 1984 - 2014 330 ANS0 Ricciotti, blanc de béton Le célèbre architecte conçoit pour Domofrance un bâtiment audacieux et très mixte. Rudy Ricciotti, l’architecte marseillais, fait confiance aux propriétés du béton blanc autoplaçant qui capte la lumière. Dans le genre délabré bien connu sur le campus, les dix ans. Je fais confiance aux propriétés du béton blanc locaux de la médecine préventive (Siumps) sont assez autoplaçant qui capte la lumière. Surtout, le matériau réussis. De l’extérieur, c’est une sorte de hangar tagué est produit sur place. Je suis un patriote soucieux de qui ne donne pas envie d’entrer. l’emploi local, je ne veux pas de trucs fabriqués en Chine au prétexte que c’est moins cher. Et tant pis si, rien que Tout va bientôt changer. Et pas qu’un peu. Entre la fac pour faire passer la tuyauterie, on va bien s’embêter avec de sciences et Sciences Po, côté pessacais, va pousser le sac de noeuds que j’ai dessiné. Au moins, ça va faire un vaisseau blanc à R + 10 allégé par des niveaux travailler du monde. » différents, avec 1 000 mètres carrés pour le Siumps (lire par ailleurs) en rez-de-chaussée et 150 logements au- dessus. Livraison en 2015 Inscrit dans le cadre de l’opération Campus, le programme « Le vrai développement durable, c’est aussi une morale conçu par Domofrance affiche sa mixité : parmi les du foncier : ici, on réussit à implanter 150 logements logements, 73, du T1 au T4 pour les colocations, seront et des locaux utiles sur une parcelle de 2 600 mètres destinés aux étudiants et aux apprentis en mobilité, 40 carrés », poursuit l’architecte. à des doctorants-chercheurs et 40 autres, du T2 au T4, En l’occurrence, le terrain a été récupéré auprès de à des employés de l’université éligibles au logement l’État moyennant une AOT (Autorisation d’occupation social. Les uns et les autres pourront partager une cour temporaire) de trente ans. Après quoi, l’État redeviendra urbaine de 650 mètres carrés. « C’est quand même plus propriétaire. « Ne pas avoir le foncier à payer nous permet intéressant que d’aligner des cellules de cité U toutes de rester dans des prix attractifs. Le challenge reste pareilles avec un lit une place qui est un tue-l’amour », d’apporter un projet clefs en main et de l’exploiter sur lance Rudy Ricciotti, Grand Prix national de l’architecture. trente ans, quand nous avons plutôt l’habitude d’amortir nos constructions sur... cinquante ans », expose Jean- Fenêtres variées Loup Métivet, directeur de la promotion de Domofrance. Du coup, le bouillant architecte, associé pour l’occasion Les prix de location pour les étudiants, chercheurs et à DV Construction (groupe Bouygues), a imaginé des personnels de l’université sont encore à l’étude. Normal, fenêtres toutes différentes, en hauteur ou en largeur, le premier coup de pioche est prévu à l’été pour une basses ou hautes, et même quelques balcons de formes livraison en 2015. En attendant, c’est l’occasion pour diverses qui rythment la façade. Volontiers à contre- Domofrance, qui gère environ 600 logements pour courant, le Marseillais, à qui l’on doit récemment le les jeunes à Talence et Pessac, de se positionner musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée sur le campus. Le bailleur est également candidat dans sa ville et, plus près de chez nous, la résidence La aux prochains appels d’offres pour les logements Glacière à Mérignac, n’est pas du genre à mettre du bois universitaires qui devraient fleurir sur le campus au fil de partout pour faire vert. « D’abord, l’isolation thermique sa réhabilitation. par l’extérieur, on ne sait pas ce que ça va donner dans Sud Ouest, Catherine Darfay, 4 février 2013

- 44 - L’Escabelle sort de terre La construction d’une résidence de 150 logements surmontant le futur service de médecine préventive vient de débuter. Il y a pour deux ans de travaux. Les parapluies alignés au garde-à-vous par Domofrance se félicitant que les bailleurs sociaux puissent ainsi faire près d’une gigantesque machine, sont passés entre « bouger les lignes ». les gouttes. En revanche, une bourrasque a soufflé de Une autre ligne sert de point de repère, celle du tram qui leur chevalet, les panneaux de présentation de la future passe à côté. Car si l’espace est contraint au point de résidence l’Escabelle, sur le campus : 150 logements perturber la circulation automobile pour deux ans, il n’en avec services, jardin suspendu et la médecine préventive est pas moins stratégique. La proximité des transports au rez-de-chaussée. L’architecte, Rudy Ricciotti, qui en commun va de pair avec la construction à « haute s’était lui-même emporté dans son discours, a fini de performance énergétique » (BBC-Effinergie +), pour les jeter au sol, les poussant du bout du pied. C’était ménager le budget des locataires. manière de redire que l’important n’était pas la... gesticulation architecturale : « A 61 ans, mon obsession, Alain Boudou, président du Pres-Université de Bordeaux, c’est que l’on emploie un maximum de main-d’oeuvre a détaillé trois grandes catégories : étudiants et territoriale. » Refusant de voir les ferronniers condamnés apprentis ; doctorants-chercheurs français et étrangers ; à visser des boulons, pour fixer les profilés expédiés finis personnels du campus, ayant droit à un logement social. de l’étranger par Mittal, avec derrière, la perte de tout le On est donc loin d’une résidence étudiante avec ses reste - compétences, ingénierie et finalement vie sociale chambres monotypes. La taille varie ici entre le T1 et le - il a interpellé le représentant de l’État, Jean-Michel T5/T6, y compris pour les étudiants. Et il n’y a pas que Bédécarrax, secrétaire général de la préfecture : « C’est les colocataires qui sont susceptibles d’en bénéficier : « une cause politique noble et républicaine. » Il faut arrêter de voir les étudiants toujours célibataires. Il y a des couples avec enfants », a martelé Rudy Ricciotti, Ouvertures singulières dont le projet « ouvre une réflexion sur ce que doit être le Il pouvait faire mine de traiter par-dessous la jambe ses logement étudiant. » images de synthèse et son travail d’architecte, car tout le monde fut unanime pour trouver « beau » le futur Mixité en tout genre bâtiment. « Tout à fait d’accord avec vous » (sur le propos Il doit d’abord exister et être en bon état. « Nous étions social), le maire, Jean-Jacques Benoît, a ajouté qu’il lui très en retard et le président Rousset a décidé de donner tardait de voir illuminé la nuit ce vaisseau blanc, dont une impulsion en 2005 », a rappelé Émilie Coutanceau, chaque ouverture semble unique. Pour cela, il faudra conseillère régionale, déléguée à la vie étudiante. Depuis attendre le printemps 2015 et la fin d’un chantier dont on cette date, l’offre a augmenté de 36 %. Sur ce projet posait la première pierre. réalisé par DV construction, filiale de Bouygues, pour un « Des percements multiples et différents qui n’offrent montant de 20,4 millions d’euros, la Région en apporte jamais la même prise de vue de l’intérieur des logements 1,22 million. 5 millions sont fournis dans le cadre de », précise la note de Rudy Ricciotti dans le dossier de l’Opération campus, les prêts s’élèvent à 12,4 millions. Domofrance. Son président, Norbert Hieramente, a Le solde est partagé entre l’État, le Département, la repris les qualificatifs de « beau, innovant et singulier », CUB, Domofrance... Ça aussi, c’est de la mixité. Sud Ouest, Willy Dallay, 18 septembre 2013

- 45 - 1984 - 2014 330 ANS0 Ricciotti : «Ma tête de voleur de poule n’arrange pas les choses» INTERVIEW - Rudy Ricciotti est l’architecte du MuCEM, le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, qui s’ouvre vendredi à Marseille. Mis en examen pour infraction au code de l’urbanisme dans le cadre d’un chantier privé, il répond au JDD. «Je me demande encore si ce que j’ai fait est réussi», marseillaise Keny Arkana, qui à propos ose Rudy Ricciotti à propos du bâtiment vedette du MuCEM, dont il est le concepteur. «Ce bâtiment doit de Marseille 2013 parle de «capitale de la avoir une porosité populaire, c’est-à-dire qu’il doit être rupture», et dénonce une urbanisation destinée partagé. Quand on rentre dedans, on n’est pas obligé à écarter les classes populaires du centre- d’avoir accès aux salles. On peut avoir une promenade ville? ‘démuséifiante’, sous les embruns. Et c’est un parcours gratuit, où on est au-dessus du vide. C’est un territoire Marseille est une ville libre et de caractère. Les mots libéré.» y sont entiers et célébrés dans l’énergie comme I AM. Keny Arkana est une poète. Son texte est très beau. En quoi ce bâtiment sert-il l’idée de civilisation Elle a des couilles et parle juste. A Marseille, fallait pas s’attendre à la pornographie du politiquement correct! de l’Europe et de la Méditerranée? C’est un lieu poreux au plan social avec ses circulations Votre récente mise en examen pour infraction périphériques entre mer et ciel. Il est marqué par la au Code de l’urbanisme vous a «effondré». Elle matité et la fragilité. Il n’est pas architecturé sur le mode impérialiste et de la brillance. Il est une alternative serait même «en train de ruiner votre carrière». identitaire aux mythologies esthétiques de la modernité. Pensez-vous avoir commis des erreurs ou être la cible d’une sorte de règlement de compte? Pourquoi vous référez-vous souvent au poète Vous êtes-vous découvert des adversaires lors Arthur Cravan? de la réalisation du prestigieux MuCEM? J’adore ce poète boxeur de 130 kg, ami de Marcel J’ai commis des erreurs par vanité. Je ne veux plus en Duchamp. Dans les années 1910 il s’était mis au lit avec parler car le traitement médiatique est disproportionné la poète Mina Loy, jeune mariée dont le mari avait 40 ans par rapport à des faits très ordinaires et anecdotiques de plus. Au matin, il écrivit «déçue la mariée se rhabilla». qui concernent beaucoup de citoyens. Je pense que Phrase célèbre à l’image du nécessaire humour utile ma personnalité, notamment mon dernier pamphlet pour conserver une dignité. L’Architecture est un sport de combat (éditions Textuel) et ma tête de voleur de poule n’ont pas arrangé les Que pensez-vous du credo de la rappeuse choses. (rires) Le Journal du Dimanche, Alexis Campion, 2 juin 2013

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Introduction...... 3

Biographie...... 5 Rudy Ricciotti. Pas plan-plan...... 8 Libération, Luc Le Vaillant, 10 avril 2013

Rudy Ricciotti Si vous étiez...... 10 Marion Vignal, L’Express, 6 juillet 2011

Rudy Ricciotti, architecte en béton armé...... 10 Le Figaro, Béatrice Rochebouët, 17 avril 2013

Le métier d’architecte...... 13 L’architecture est un sport de combat ( extrait )...... 15 L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Équainville, éditons Textuel, 2013, page 54

Rudy Ricciotti, l’architecte qui magnifie le béton...... 16 Le Figaro, Yann Le Galès, 10 septembre 2013

Rudy Ricciotti; «Je suis un architecte du xixe siècle»...... 17 L’Express, Marion Vignal, 3 avril 2013

Au J4, la poésie pousse sur le béton...... 20 Le Monde, Frédéric Edelmann, 4 juin 2013

Rudy Ricciotti : « C’est le soleil qui dicte la construction »...... 21 Le Monde, Frédéric Edelmann, 4 juin 2013

Rudy Ricciotti, révélateur des malaises de sa profession...... 23 Le Monde, Frédéric Edelmann, 27 décembre 2007

Architecture et politique...... 25 L’architecture est un sport de combat ( extrait )...... 27 L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Équainville, éditons Textuel, 2013, page 14

Rudy Ricciotti : « architecte, je lutte contre la pornographie réglementaire »...... 28 Contrepoints, PLG, 25 avril 2013

Le coup de gueule des architectes contre les pénalités grandissantes...... 30 Le Monde, Frédéric Edelmann, 30 juin 2008

Rudy Ricciotti : « Je suis jaloux de Bordeaux »...... 31 Sud Ouest, Yannick Delneste, 13 mai 2014

Il défend avec énergie le « produire en France » et l’emploi local dans le BTP; « Je ne veux rien de chinois sur ce chantier ! »...... 33 Sud Ouest, Alain Babaud,16 mars 2012

- 47 - 1984 - 2014 330 ANS0 LA GLACIÈRE/MONDÉSIR La première pierre des 196 logements du Parc Divona a été posée hier; Nouvelle entrée de ville...... 35 Sud Ouest, Olivier Delhoumeau, 16 mars 2010

Architecture et urbanisme...... 37 L’architecture est un sport de combat ( extrait )...... 39 L’architecture est un sport de combat, Rudy Ricciotti, entretien avec David D’Équainville, éditons Textuel, 2013, page 62

Les autres Quais à la mode...... 40 Sud Ouest,Yannick Delneste, 4 septembre 2014

Pourquoi la salle sera signée Ricciotti...... 42 Sud Ouest, Denis Lherm et Xavier Sota, 20 décembre 2013

Ricciotti, blanc de béton...... 44 Sud Ouest, Catherine Darfay, 4 février 2013

L’Escabelle sort de terre...... 45 Sud Ouest, Willy Dallay, 18 septembre 2013

Ricciotti : «Ma tête de voleur de poule n’arrange pas les choses»...... 46 Le Journal du Dimanche, Alexis Campion, 2 juin 2013

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