Égypte/Monde arabe

10 | 2013 Les élections de la révolution (2011-2012)

Clément Steuer (dir.)

Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/ema/3083 DOI : 10.4000/ema.3083 ISSN : 2090-7273

Éditeur CEDEJ - Centre d’études et de documentation économiques juridiques et sociales

Édition imprimée ISBN : 978-2-905838-81-0 ISSN : 1110-5097

Référence électronique Clément Steuer (dir.), Égypte/Monde arabe, 10 | 2013, « Les élections de la révolution (2011-2012) » [En ligne], mis en ligne le 19 décembre 2013, consulté le 23 septembre 2020. URL : http:// journals.openedition.org/ema/3083 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ema.3083

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Le paradoxe des élections égyptiennes de 2011-2012 est qu’il s’agit d’élections « fondatrices », dont les effets institutionnels ont tous été annulés avant terme. Entre les deux séquences révolutionnaires du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013, les électeurs égyptiens se sont en effet rendus cinq fois aux urnes, pour approuver deux textes constitutionnels depuis lors annulés, élire deux assemblées aujourd’hui dissoutes, et choisir un président de la République désormais démis de ses fonctions. Ces différentes opérations électorales n’en demeurent pas moins les premières élections libres organisées au sortir de six décennies d’autoritarisme, et elles ont contribué – plus sans doute que tout autre événement – à renouveler les acteurs du jeu politique égyptien et à bouleverser leurs pratiques. Les contributions rassemblées dans cette livraison d’Égypte/Monde arabe se concentrent surtout sur les élections législatives, qui constituent un enjeu crucial dans la renégociation en cours du pacte liant l’État égyptien à la société. Leurs auteurs – de jeunes chercheurs issus de différentes disciplines des sciences sociales – ont traité durôle des représentations dans la phase de transition, mais aussi de la création de nouveaux partis politiques issus de plusieurs secteurs de la société, et enfin de la reconfiguration des enjeux politiques locaux. Les articles réunis dans ce dossier montrent ainsi comment ces élections, à la fois baromètre et enjeu des transformations en cours, occupent une place centrale dans cette période charnière de l’histoire égyptienne. Paradoxically, even though the Egyptian elections of 2011-2012 are regarded as being “founding elections”, all their results have since been annulled. Between the two revolutionary moments of the 25th January 2011 and the 30th June 2013, five elections were conducted in : two were held in order to approve constitutional documents, which have since been canceled, two others focused on the election of members to two assemblies, which have since been dissolved, and one was held in order to elect the president of the Republic, thereafter ousted. Nevertheless, these various electoral activities still constitute the first to be organized after six decades of authoritarianism, and they contributed–most probably more than anything else–to the revival of Egyptian political players and to changes in their practices. The contributions gathered in the present volume of Égypte/Monde Arabe focus mainly on the Parliamentary elections, which are a crucial element in relation to the current balance in relations between the Egyptian and society. The authors–young researchers from many disciplines within the social sciences field–address the role of representations in a period of transition, the creation of several political parties which have stem from numerous sections of civil society, and the reconfiguration of power balances at the local political level. While the 2011-2012 elections represent a barometer of the ongoing political changes, they also constitute the actual heart of the struggle between the various political players during this crucial period of Egyptian history.

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SOMMAIRE

Des élections révolutionnaires ? Clément Steuer

Première partie : Le rôle des représentations dans un paysage politique en recomposition

Political Representation and Legitimacy in Egypt: The Making and the Reception of Claims during the Parliamentary Elections 2011 Sarah Wessel

Discours présidentiels : Une analyse des prestations de trois candidats à la présidentielle sur le plateau d’un talk show Omneya Nour Eddin Khalifa

Deuxième partie : Le passage au politique : succès et échecs d'une politisation de la société civile

Le parti Nûr dans les élections parlementaires de 2011-2012 Alaa Al-Din Arafat

Les Frères musulmans au sortir de la semi-clandestinité : le parti de la Liberté et de la Justice dans les élections législatives Amal-Fatiha Abbassi

Revolutionary, creative, heterogeneous and unorganized: young Egyptians facing elections Azzurra Meringolo

Le rôle des confréries soufies durant les élections législatives de 2011 en Égypte : quelques réflexions préliminaires Costantino Paonessa

Troisième partie : La révolution dans les urnes : la reconfiguration des enjeux locaux, entre politisation et permanence des anciennes logiques

Les stratégies de campagne des partis politiques au niveau local : étude comparée de trois circonscriptions Clément Steuer

Les élections législatives de 2011 à Port-Saïd Fayçal Homsy

La campagne d’Al-Misriyyîn Al-Ahrâr chez les chiffonniers de Manchiyit Nâsir Gaétan du Roy

Entre le savant et le politique : la campagne électorale de ‘Amr Hamzâwî dans les élections législatives égyptiennes de l’automne 2011 Giedre Sabaseviciute

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Varia

Les femmes algériennes au Parlement : la question des quotas à l’épreuve des réformes politiques Belkacem Benzenine

Minorités et liberté religieuse dans les Constitutions des États de l’Orient arabe Nael Georges

Le sauvetage des monuments de Nubie par l’Unesco (1955-1968) Chloé Maurel

Annexes Baudouin Long et Clément Steuer

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Des élections révolutionnaires ?

Clément Steuer

1 Tout comme les élections de 2011-2012 présentent des éléments de nouveauté mais aussi de continuité avec les opérations électorales conduites sous Moubarak, le dossier présenté dans ce numéro d’Égypte/Monde arabe se situe à la fois dans le prolongement et dans la rupture par rapport aux travaux qui l’ont précédé1. Dans leur prolongement, car des élections législatives ont été régulièrement organisées en Égypte depuis 1979, et que leur étude a fourni des instruments théoriques indispensables à l’analyse des opérations électorales dans ce pays. Dans la rupture, parce que les scrutins de 2011-2012 se sont tenus dans des conditions différant radicalement du cadre autoritaire qui prévalait auparavant, et qu’ils posent en conséquence des questions jusqu’alors inédites à ceux qui se sont donné pour tâche de les analyser.

2 Les travaux précédents avaient souligné l’importance de la dimension clientéliste du vote dans les élections législatives, même si l’on pouvait déjà observer certains mécanismes de politisation à la marge2. Sans remettre en cause ce cadre théorique, le numéro d’Égypte/Monde arabe consacré aux élections de 20053 avait élargi la perspective en direction d’acteurs des élections auparavant négligés – les médias et les juges – et insisté sur des dimensions de l’acte électoral alors en progression constante en Égypte : les fraudes et les violences. Or, si la révolution du 25 janvier 2011 n’a pas fait disparaître du jour au lendemain les notabilités locales et leurs réseaux, ni les représentations dominantes du rôle du député, elle a néanmoins profondément modifié le contexte politico-juridique dans lequel se sont déroulées les élections auxquelles elle a conduit. La multiplication de nouveaux partis politiques – résultant de la réforme de la loi des partis (28 mars 2011)4, mais aussi de l’anticipation par les acteurs de la tenue d’élections libres et transparentes –, les nouvelles règles électorales5, la quasi- disparition de la police, la baisse du sentiment d’impunité concernant la fraude et les violences électorales, l’augmentation enfin de la participation, ont fait des différents scrutins organisés en 2011-2012 des élections de rupture avec l’ancien régime. C’est pourquoi l’on peut les qualifier – dans le vocabulaire de la transitologie – d’élections « fondatrices »6.

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Le bouleversement du cadre juridique

3 De fait, elles ont été conduites dans le but de tourner la page d’un régime autoritaire, afin de transmettre le pouvoir à des civils régulièrement élus. Suite aux manifestations de janvier-février 2011 qui ont entraîné la démission du président Moubarak, le Conseil supérieur des forces armées (CSFA) s’est en effet emparé du pouvoir dans l’objectif explicite de conduire le pays vers la démocratie dans un laps de temps très court (on parle alors d’organiser des élections législatives et présidentielles en six mois). C’est dans cette perspective que le pouvoir militaire a suspendu la Constitution de 1971, dissous les deux chambres élues en 2010 (l’Assemblée du peuple et l’Assemblée consultative), et s’est attribué les pouvoirs législatif et exécutif jusqu’à l’élection d’un nouveau Parlement et d’un président de la République. Une série d’amendements à la Constitution7 a ensuite été présentée au peuple par référendum, dès le 19 mars 2011, et a été approuvée par 77 % des électeurs (soit 14 millions d’individus), avec un taux de participation de 41 %. Ce référendum a ainsi constitué le premier rendez-vous électoral de cette période de transition, et il présentait certaines des caractéristiques qui marqueront les scrutins suivants : abandon des listes d’inscrits – falsifiées sous l’ancien régime – au profit d’une identification des électeurs par la seule carte nationale d’identité ; taux de participation élevé (par rapport aux standards de l’ancien régime) ; baisse spectaculaire du nombre d’incidents violents.

4 Mais le sort réservé aux résultats de ce référendum augurait également de ce qui allait arriver aux quatre opérations électorales suivantes, qui ont consacré deux chambres des représentants désormais dissoutes, un président de la République depuis lors démis de ses fonctions et placé en détention, et enfin une Constitution aujourd’hui suspendue. Le 30 mars 2011, le CSFA promulgue une « déclaration constitutionnelle », véritable feuille de route décrivant les étapes de la transition vers un pouvoir civil démocratiquement élu, ainsi que le rôle des différentes institutions à chacune de ces étapes. Si la plus grande partie des articles qui ont fait l’objet du référendum du 19 mars sont intégrés dans ce document provisoire, celui-ci comporte également de nombreuses dispositions ad hoc, et contredit même l’une des révisions constitutionnelles approuvées par le peuple une dizaine de jours auparavant en rétablissant la possibilité de déférer des civils devant les tribunaux militaires.

5 Deux jours plus tôt, le 28 mars 2011, le CSFA avait par ailleurs réformé la loi des partis, ce qui allait entraîner une rapide mutation du système partisan égyptien. La loi n°40 de 1977, qui avait introduit le multipartisme en Égypte, contenait un certain nombre de limitations demeurées pour l’essentiel identiques jusqu’au lendemain de la chute de Moubarak. En particulier, cette loi avait mis en place la commission des partis, véritable verrou juridique permettant au pouvoir exécutif de contrôler l’accès au champ politique légal. Cette commission était en effet dominée par des membres nommés directement par le président de la République, ainsi que par certains ministres y siégeant de plein droit (dont le ministre de l’Intérieur). Au moment où la révolution éclate, son président n’est autre que le secrétaire général du parti national démocratique (PND)8, Safwat Al-Charîf. Or, cette institution dispose d’un véritable droit de vie et de mort sur les organisations partisanes égyptiennes : non seulement son imprimatur constitue-t-il une condition dirimante pour leur création, mais encore peut- elle geler leur activité ou les dissoudre sous divers prétextes, allant de la menace à la sécurité de l’État jusqu’à l’éloignement par rapport aux objectifs originels du parti. Ses

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décisions sont certes susceptibles de recours devant le Conseil d’État, mais cette procédure est longue et complexe. Surtout, la loi de 1977 prévoit une longue liste de motifs, dont certains extrêmement flous, pour refuser la création d’un parti politique. Aussi cette commission dispose-t-elle dans les faits d’un pouvoir quasi-discrétionnaire, dont elle use dans le meilleur intérêt du régime. L’effet le plus spectaculaire de ce contrôle exercé par le pouvoir sur l’offre politique est l’exclusion des islamistes du jeu politique légal, alors même que ceux-ci disposent d’une large assise au sein de la population.

6 La principale innovation apportée par la loi du 28 mars 2011 est la rupture de la courroie de transmission reliant le pouvoir à la commission des partis, désormais composée uniquement de juges statuant en toute indépendance. Par ailleurs, cette réforme supprime certains des critères les plus vagues, notamment l’obligation de formuler un programme politique apportant quelque chose de neuf au système partisan égyptien. Cette « obligation de nouveauté » constituait l’un des motifs de refus le plus souvent employé par la commission au cours des dernières années. Enfin, la commission des partis dispose désormais d’un délai de trois mois pour rendre sa décision, faute de quoi la demande de création est automatiquement acceptée (aucune limitation de la sorte n’existait sous l’ancienne législation). Le seul point sur lequel la révision de 2011 alourdit les conditions de création des partis porte sur le nombre minimal de membres exigé. Celui-ci passe en effet de 1 000 à 5 000. Cette nouvelle restriction semble cependant bien dérisoire dans le contexte issu de la chute de Moubarak, et elle n’empêche pas les partis politiques de se multiplier au cours des mois qui suivent. Significativement les deux premiers partis officiellement reconnus sous l’empire de la nouvelle législation sont le parti de la Liberté et de la Justice (PLJ), émanation des Frères musulmans, et le parti Nûr, branche politique de la principale organisation salafiste égyptienne, la Da‘wa salafiya9. Les nouveaux partis nés de cette réforme se mettent alors en ordre de bataille pour affronter les échéances électorales prévues comme autant d’étapes jalonnant la transition du pays vers la démocratie.

7 La « déclaration constitutionnelle » proclamée par le CSFA le 30 mars 2011 prévoit notamment l’élection d’un nouveau Parlement (chambre basse puis chambre haute), à l’issue de laquelle le pouvoir législatif sera dévolu à l’Assemblée du peuple, le CSFA conservant le pouvoir exécutif et un droit de veto sur les lois jusqu’à l’élection d’un président de la République. Parallèlement, le Parlement élu aura pour tâche de former une assemblée constituante de 100 membres chargés de rédiger une nouvelle Constitution avant de la soumettre à référendum. C’est dans ce cadre constitutionnel que vont être organisées les différentes échéances électorales, après adoption d’un dispositif légal organisant les scrutins, à commencer par les élections législatives.

8 Depuis 1990, les Parlements égyptiens ont été élus exclusivement au scrutin majoritaire binominal10 à deux tours, ce qui a contribué à renforcer les notabilités locales au détriment des partis politiques. De fait, le nombre d’indépendants élus au Parlement n’a cessé d’augmenter au cours de ces deux décennies, sans mettre toutefois en danger l’hégémonie du PND car, une fois élus, la plupart d’entre eux s’empressaient de rallier ce parti : leur qualité d’indépendants ne tenait qu’au fait que le PND leur avait refusé son investiture11. Les élections constituaient ainsi un mécanisme concurrentiel au moyen duquel le parti au pouvoir laissait les électeurs désigner l’homme le plus fort de la circonscription, sans remise en cause de sa propre domination12. Elles permettaient d’objectiver la puissance des différents notables en lice, en la ramenant à leur capacité

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à mobiliser leurs électeurs, capacité elle-même fonction des différents moyens à leur disposition (fortune personnelle, grand nombre d’employés, appartenance à une famille puissante, accès aux centres de prises de décision, etc.) Dans cette configuration, le PND était, davantage qu’un parti, la toile tissée par les différents réseaux locaux (tribaux, familiaux, affairistes, etc.) ayant prêté allégeance au pouvoir central. Niché au cœur de cette toile, ce dernier puisait sa légitimité et l’obéissance des citoyens dans sa capacité à coordonner et organiser à son profit la puissance sociale exprimée dans ces réseaux locaux et incarnée par les députés du PND. Dans ces conditions, on comprend pourquoi le pouvoir n’a jamais renoncé à sa capacité à interdire l’accès de l’offre politique à d’indésirables challengers, qui n’auraient eu d’autres moyens à leur disposition que de proposer aux électeurs des biens politiques sous la forme de programmes électoraux, minant ainsi à terme l’assise clientéliste servant de fondement au régime.

9 Si la chute de Moubarak, puis la dissolution du PND par décision de justice le 16 avril a désorganisé ces réseaux et les a momentanément privés de leur capacité à agir au plan national13, elles ne les a pas fait disparaître pour autant, et la question qui se pose alors est celle de la capacité des partis politiques nouvellement créés à les combattre victorieusement dans les urnes. Au niveau juridique, cette question a suscité deux débats concernant d’abord le mode de scrutin, et ensuite une éventuelle interdiction, pour les anciens membres du PND, de briguer un mandat électif durant une période déterminée.

10 Alors que le scrutin individuel favorise notoirement les patrons locaux, le scrutin de liste est réputé plus favorable aux partis politiques, puisqu’il leur accorde le privilège de sélectionner les candidats, en même temps qu’il incite les électeurs à se positionner sur des enjeux nationaux, programmatiques sinon idéologiques. Le 30 mai 2011, le CSFA dépose un avant-projet de loi électorale prévoyant de réserver deux tiers des sièges au scrutin binominal, et le tiers restant à la proportionnelle. L’idée d’un scrutin mixte s’impose alors de fait, le débat portant désormais sur la proportion de sièges à attribuer à chacun des deux modes de scrutin. Les partis politiques font naturellement pression en faveur d’une part plus importante réservée au scrutin de liste. Ils seront entendus, puisque le 7 juillet, le gouvernement parle de 50/50, avant que le CSFA n’adopte finalement le 24 septembre une loi électorale dans laquelle les proportions initiales ont été inversées : un tiers des sièges seulement est réservé aux candidats individuels, alors que deux tiers sont attribués aux listes composées par les partis politiques14. Mais l’un des effets inattendus de ce compromis de dernière minute est que, le nombre de circonscriptions réservées aux candidats individuels diminuant15, leur superficie s’accroît mécaniquement. Dès lors, ces circonscriptions deviennent immenses, bien au- delà de la zone d’influence exercée par la plupart des notables locaux. Leurs moyens individuels étant bien insuffisants pour leur permettre de mener seuls campagne à une telle échelle, ceux-ci sont dès lors condamnés à abandonner tout espoir d’être élus, à moins de se tourner vers les seules organisations disposant de la visibilité et des troupes nécessaires pour mobiliser des électeurs à travers l’ensemble de la circonscription : les partis politiques. Par ailleurs, cette loi abaisse l’âge minimal des candidats à la députation de 30 à 25 ans et impose la présence d’au moins une femme sur chaque liste, sans préciser en quelle position celle-ci doit se trouver16. Enfin, la loi électorale prévoit de diviser l’Égypte en trois zones comprenant chacune neuf gouvernorats, et votant successivement : les opérations électorales sont ainsi échelonnées en trois étapes de deux tours pour les élections à l’Assemblée du peuple,

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qui dureront de ce fait un peu plus de six semaines (28 novembre 2011 – 11 janvier 2012)17.

11 Quant aux différentes dispositions anti-fulûl, elles ont rapidement fait long feu, et n’ont jamais eu à ce jour la moindre effectivité. Une semaine avant le coup d’envoi des législatives, le 21 novembre 2011, le CSFA avait fini par se résoudre à promulguer une loi interdisant aux personnes condamnées pour « corruption de la vie politique » d’accéder à toute charge publique pour une période de cinq ans. Mais en raison même de son caractère tardif, cette loi était demeurée sans effets, les candidatures ayant déjà été à cette date enregistrées et approuvées par le haut comité électoral. En avril 2012, l’Assemblée du peuple a voté à son tour une loi dite « d’isolement politique » interdisant pour dix ans toute charge publique aux anciens dirigeants du régime de Moubarak18. Mais le 14 juin de la même année, la Haute Cour constitutionnelle (HCC) avait prononcé sa nullité19, trois jours avant le second tour de la présidentielle pour lequel s’était qualifié Ahmad Chafîq, dernier premier ministre de Moubarak. Enfin, la Constitution de 2012 disposait en son article 232 l’interdiction pour les anciens membres du PND de se présenter aux élections présidentielles et législatives pour une période de dix ans. Mais cette Constitution a été suspendue au lendemain de la destitution de Mohammed Morsi le 3 juillet 2013, sans qu’aucune élection n’ait jamais été organisée sous son empire.

Le déroulement des élections et leurs résultats

12 Si les élections législatives ont bien lieu suivant le calendrier et selon les modalités prévues, elles ne se déroulent pas moins dans un contexte de défiance, les acteurs de la révolution soupçonnant le CSFA de chercher à conserver le pouvoir, ou tout au moins à le transmettre aux Frères musulmans, qui apparaissent alors comme des alliés objectifs de l’armée, dont ils partagent l’ambition de freiner le développement et l’approfondissement du processus révolutionnaire. Depuis le mois de février, plusieurs accrochages ont opposé périodiquement manifestants et forces de l’ordre. L’épisode le plus dramatique de cette séquence a été le massacre de plusieurs dizaines de manifestants coptes devant l’immeuble de la télévision d’État, le 9 octobre 2011. Les médias publics ont sur le moment cherché à imposer une lecture confessionnelle de l’événement, malgré la solidarité manifestée immédiatement par les manifestants de la place Tahrir, qui avaient alors rejoint le lieu des affrontements pour prêter main-forte à leurs compatriotes chrétiens. Néanmoins, ce sont les événements dits « de la rue Muhammad Mahmûd » qui marquent une nouvelle phase dans les relations entre le pouvoir militaire et la jeunesse révolutionnaire : le 19 novembre – soit neuf jours avant le commencement des opérations électorales – des heurts meurtriers opposent manifestants et forces de l’ordre à l’entrée de cette rue menant au ministère de l’Intérieur depuis la place Tahrir. Durant une semaine, ladite place se remplit d’opposants au régime réclamant le départ immédiat du CSFA au profit d’un gouvernement de salut public composé de civils, tandis que les affrontements se poursuivent dans la rue susnommée, faisant au total plus de cinquante morts parmi les manifestants. Un calme précaire est finalement restauré trois jours à peine avant le début des élections de l’Assemblée du peuple. Quelques semaines plus tard, en plein milieu du processus électoral, d’autres épisodes sanglants auront lieu dans la capitale, au cours des événements dits « de la rue des Ministères ».

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13 Les élections à l’Assemblée du peuple (majlis al-cha‘b) se sont tenues en trois phases, échelonnées entre le 28 novembre 2011 et le 11 janvier 2012, chaque phase étant organisée en deux tours, eux-mêmes étalés sur deux jours20. Sur l’ensemble du scrutin, le taux de participation fut en moyenne de 54 % (plus élevé durant les premiers tours, et plus faible durant les seconds), soit presque 28 millions d’électeurs mobilisés21. Avec 37,5 % des suffrages exprimés (soit plus de dix millions de voix) pour la Coalition démocratique, le PLJ contrôle à lui seul 216 sièges (soustraction fait des 22 sièges remportés par les autres membres de la Coalition), soit 42,5 % des fauteuils de l’Assemblée du peuple. De son côté, l’alliance des partis salafistes rassemble 27,8 % des suffrages exprimés (plus de 7,5 millions d’électeurs) et occupe 127 sièges à l’Assemblée du peuple (112 pour le parti Nûr, 12 pour le parti Construction et Développement et 3 pour Al-Asâla22), soit 25 % du total. Si l’on ajoute à cela les résultats du parti islamiste modéré Al-Wasat (10 sièges, avec 3,7 % des voix, soit près d’un million d’électeurs) et du parti islamique du Travail (1 siège)23, les différentes formations islamistes contrôlent 354 siège, soit près de 69,7 % des fauteuils de l’Assemblée du peuple, et ont recueilli plus de 19 millions de voix, soit environ 69 % des suffrages exprimés24. Avec 9,2 % des suffrages exprimés (près de 2,5 millions de voix), le parti libéral Wafd devient le principal parti de l’opposition parlementaire, en parvenant à occuper 38 sièges, soit 7,5 % de l’Assemblée du peuple. Il est talonné par la coalition du Bloc égyptien, qui rassemble plusieurs partis libéraux et socialistes, et qui parvient à rassembler 8,9 % des suffrages exprimés, contrôlant ainsi 6,9 % des sièges25. L’opposition dispose donc de seulement 122 sièges, toutes tendances confondues26, soit 24 % de l’Assemblée du peuple27, et a obtenu les suffrages de plus de 30 % des électeurs (près de 8,5 millions d’individus).

14 L’élection de l’Assemblée consultative (majlis al-chûrâ) a été beaucoup moins disputée que celle de l’Assemblée du peuple. Cela s’explique par le fait que les prérogatives de cette chambre haute sont traditionnellement quasi-inexistantes dans le dispositif institutionnel égyptien. Par ailleurs, de nombreux partis ont décidé de boycotter ces élections, du fait des tensions persistantes entre le pouvoir et les manifestants28. C’est aussi du fait de ces tensions que le calendrier pour ce scrutin a été resserré, ces élections se déroulant entre le 29 janvier et le 22 février 201229. Ces différents facteurs expliquent le relatif désintérêt des électeurs, dont à peine 12 % se sont mobilisés (un peu moins de 6,5 millions d’individus). Avec près de 2,9 millions de voix (45 % des suffrages exprimés), le PLJ conquiert 105 des 180 sièges pourvus au suffrage universel. Les salafistes recueillent de leur côté plus de 1,8 millions de suffrages (28,6%), ce qui leur permet d’occuper 45 sièges. L’ensemble des partis de l’opposition représentés dans cette chambre haute rassemble un peu plus d’un million de voix, soit 16,7 % des suffrages exprimés30 (8,5 % pour le Wafd, 5,4 % pour le Bloc égyptien, 1,5 % pour le parti de la Paix démocratique et 1,3 % pour le parti de la Liberté31), et 26 sièges sur les 180 mis aux voix32, tous obtenus au scrutin de liste. Enfin, quatre indépendants parviennent à se faire élire sur les sièges réservés au scrutin individuel.

15 Aux termes de la déclaration constitutionnelle du 30 mars 2011, ce sont les membres élus de ces deux assemblées33, soit 678 députés (498 à l’Assemblée du peuple et 180 à l’Assemblée consultative) qui doivent élire les 100 membres du comité chargé d’élaborer la nouvelle Constitution. Théoriquement, celle-ci devrait être rédigée en 60 jours, soit avant l’élection présidentielle, dont les dirigeants du CSFA ont promis qu’elle serait terminée avant le 30 juin 2012. Le 26 mars, le Parlement élit les 100 membres de

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la commission constituante, dont la composition est immédiatement critiquée pour sa non-prise en compte de la diversité de la société égyptienne : la moitié de ses membres sont des députés, et elle ne comporte que 6 femmes et 5 chrétiens. Surtout, elle est largement dominée par les islamistes (66 membres). Pour toutes ces raisons, elle est dissoute par la justice administrative quinze jours plus tard. Le 7 juin 2012, une deuxième commission constituante est élue par le Parlement. Elle ne comporte plus que 39 députés, mais les partis de l’opposition accusent les islamistes de chercher encore à s’assurer le contrôle de la majorité de cette commission, et engagent une nouvelle action en justice.

16 Les élections présidentielles ont débuté entre temps. Un premier tour a été organisé les 23 et 24 mai 2012, qui a vu s’affronter 13 candidats. Seuls six d’entre eux sont parvenus à franchir la barre des 1 %, dont l’avocat et intellectuel islamiste Muhammad Salîm Al-‘Awwâ, avec 1,01 % des suffrages exprimés (soit moins de 250 000 voix). Les cinq autres candidats étaient tous considérés comme ayant une chance de se qualifier pour le second tour : l’ancien ministre des Affaires étrangères et secrétaire général de la Ligue Arabe, Amr Moussa, a réuni 11,1 % des voix (plus de 2,5 millions de suffrages), l’ancien Frère musulman ‘Abd Al-Mun‘im Abûl-Futûh (soutenu notamment par le parti Nûr et le Wasat) est parvenu à rassembler sur son nom près de 17,5 % des suffrages exprimés (plus de 4 millions d’électeurs), et le nassérien Hamdîn Sabâhî se hisse à la troisième place avec 4,8 millions de suffrages en sa faveur (20,7%). Les deux candidats qualifiés pour le second tour sont le général Ahmad Chafîq, ancien ministre de Moubarak nommé chef du gouvernement durant la révolution du 25 janvier, qui obtient 23,7 % des suffrages (5,5 millions de voix), et le candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, qui se place en tête avec une courte avance (24,8 % des voix, soit 5,7 millions d’électeurs). Le taux de participation s’élève à 46 % (plus de 23 millions de votes valides), et est donc plus faible que durant les législatives, mais plus élevé que lors du référendum de mars 2011. Ainsi, le second tour, organisé les 16 et 17 juin, voit s’affronter les deux candidats les moins consensuels : Ahmad Chafîq est largement perçu comme le candidat de l’armée et, au-delà, de l’ancien régime, tandis que Mohammed Morsi est le candidat des Frères musulmans, une organisation toujours illégale, qui contrôle déjà la majorité du Parlement, qui a eu l’occasion de montrer au cours des derniers mois qu’elle faisait peu de cas des revendications de l’opposition, et qui a précédemment rompu plusieurs engagements solennels pris aux lendemains du départ de Moubarak, dont celui de ne pas présenter de candidat à la présidentielle34 ! C’est alors qu’une décision de justice vient encore dramatiser davantage les enjeux du scrutin.

17 Le 14 juin 2011 en effet, soit une semaine jour pour jour après l’élection de la commission constituante par le Parlement et deux jours avant le commencement du second tour de la présidentielle, la HCC déclare inconstitutionnelle la loi électorale ayant servi de cadre à l’élection de l’Assemblée du peuple, au motif que la possibilité laissée aux partis de présenter des candidats sur les sièges pourvus au scrutin binominal constitue une rupture de l’égalité des candidats au détriment des indépendants35. En application de ce jugement, l’Assemblée du peuple est dissoute par le CSFA. Le processus transitionnel sort alors du cadre tracé par la déclaration constitutionnelle du 30 mars 2011. Celle-ci avait en effet prévu que le CSFA disposerait du pouvoir législatif jusqu’à l’élection d’une assemblée (il l’a donc perdu en janvier) et du pouvoir exécutif jusqu’à l’élection d’un président. La dissolution de l’Assemblée du peuple provoque donc un vide juridique, que le CSFA s’empresse de remplir dès le 17

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juin – alors que les bureaux de vote ne sont même pas encore fermés – en promulguant une déclaration constitutionnelle complémentaire aux termes de laquelle il récupère les pouvoirs législatifs en attendant qu’une nouvelle Assemblée du peuple soit élue. Au passage, ce document limite les prérogatives du futur président de la République, et prévoit que dans l’hypothèse où la commission constituante élue dix jours plus tôt se révélerait incapable de mener sa tâche à bien dans les six mois, ou serait à nouveau dissoute par décision de justice, il reviendrait au CSFA d’en composer une nouvelle.

18 Dès le lendemain 18 juin, la Confrérie annonce la victoire de son candidat Mohammed Morsi. Ce n’est pourtant qu’une semaine plus tard, le 24 juin, que la commission électorale délivre les résultats officiels : Mohammed Morsi l’emporte avec 51,7 % des suffrages exprimés (13 230 131 électeurs), contre 48,3 % pour Ahmad Chafîq (12 347 380 voix). Le taux de participation s’est élevé par rapport au premier tour pour atteindre quasiment 52 %, ce qui est comparable aux chiffres constatés durant les législatives. Le nombre de bulletins invalides augmente néanmoins significativement entre les deux tours (passant de 1,7 % à 3,2%), ce qui peut s’interpréter comme la manifestation d’un refus d’une partie de l’électorat de choisir entre un général et un islamiste. Le 30 juin, les dirigeants du CSFA honorent formellement leur promesse en remettant le pouvoir exécutif à un président civil régulièrement élu. Celui-ci voit néanmoins ses attributions sévèrement limitées par la déclaration constitutionnelle du 17 juin, et est contraint de cohabiter avec un CSFA qui s’est arrogé le pouvoir législatif. Dès lors, la commission constituante devient un enjeu central pour les Frères musulmans : si elle est une nouvelle fois dissoute par la justice, ils perdront cette fois-ci définitivement la main sur le processus de rédaction de la Constitution.

19 Certes, le 12 août 2012, Mohammed Morsi promulgue à son tour une déclaration constitutionnelle, par laquelle il s’attribue toutes les prérogatives échues au CSFA le 17 juin, mais cette victoire est néanmoins réversible, et le pouvoir des Frères musulmans toujours à la merci d’une décision de justice qui viendrait annuler la déclaration constitutionnelle du 12 août et dissoudre la constituante. Échaudés par la dissolution de la précédente constituante ainsi que par celle de l’Assemblée du peuple, les islamistes perçoivent comme parfaitement crédible un tel scénario judiciaire, d’autant que les six mois impartis par le CSFA sont quasiment écoulés et que la Constitution n’est pas terminée. Au sein de la constituante en effet, les opposants aux Frères musulmans ont l’impression de ne pas être entendus, et se retirent progressivement de la commission, considérant que seule la justice parviendra désormais à empêcher les islamistes de rédiger une Constitution uniquement conforme à leurs intérêts et à leur vision du monde. C’est donc pour se prémunir contre une profession judiciaire perçue comme majoritairement hostile que Mohammed Morsi promulgue le 22 novembre une nouvelle déclaration constitutionnelle visant non seulement à accorder un délai supplémentaire à la commission constituante, mais également à la placer à l’abri de toute décision de justice. Cette étrange immunité est en outre accordée aux décisions du président de la République lui-même, ainsi qu’à l’Assemblée consultative. Mais cette fois-ci, Mohammed Morsi est allé trop loin, et cette nouvelle décision se heurte à un front uni de l’opposition, qui organise d’importantes manifestations dans les rues du pays, au cours desquelles plusieurs locaux du PLJ sont incendiés. Face à l’ampleur de cette contestation, le pouvoir change de stratégie, et la commission constituante boucle ses travaux dans la précipitation dans la nuit du 30 novembre, et le texte est soumis à référendum les 15 et 22 décembre 2012.

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20 Pour cet ultime scrutin, le taux de participation s’effondre à 32,9 %, et le texte n’est approuvé que par 63,8 % des suffrages exprimés (soit un peu plus de 10,5 millions de voix, contre 6 millions qui le rejettent). Si le pouvoir est ainsi parvenu à faire adopter sa Constitution, il a également créé à cette occasion un fossé infranchissable le séparant dorénavant de son opposition. Enfin, le 2 juin 2013, la HCC consacre la victoire des Frères musulmans en statuant que, bien que la composition de la commission constituante ait été entachée d’inconstitutionnalité, cela ne remet pas en cause la validité de la Constitution elle-même, puisque celle-ci a été régulièrement approuvée par le peuple lors du référendum de décembre. Dans un second jugement rendu le même jour, la HCC juge inconstitutionnelle la loi électorale ayant conduit à l’élection de l’Assemblée consultative (pour les mêmes raisons qui avaient motivé sa décision du 14 juin 2012 contre l’Assemblée du peuple). Mais elle lui reconnaît par ailleurs son droit constitutionnel de siéger et de légiférer jusqu’à ce que l’Assemblée du peuple soit à nouveau en mesure d’assumer ses fonctions. Les Frères musulmans remportent ainsi la dernière manche de ce qui apparaît cependant désormais comme un combat d’arrière- garde, alors que le pays retient son souffle dans l’attente des manifestations du 30 juin.

Le renforcement des partis et la fragile victoire des islamistes

21 Et en effet, les résultats de ces différentes élections et des batailles judiciaires y afférant apparaissent rétrospectivement comme une victoire à la Pyrrhus pour les Frères musulmans. Si ces derniers ont remporté régulièrement tous les scrutins organisés par la feuille de route du 30 mars 2011, ils se sont vu rapidement confisquer les fruits de ces victoires successives. L’Assemblée du peuple a ainsi été dissoute par la HCC en juin 2012, tandis que l’Assemblée consultative, le président de la République et la Constitution ont été respectivement dissoute, renversé et suspendue dans les jours qui ont suivi le coup d’État du 3 juillet 2013. Cette « sortie » de la feuille de route ne remet cependant que partiellement en causes le caractère fondateur des élections de 2011-2012 : d’abord parce que lorsque celles-ci se sont déroulées, les acteurs étaient loin d’anticiper le destin qui attendait les nouvelles institutions élues, et ensuite parce que ces élections demeurent les premières élections libres organisées en Égypte suite au départ de Moubarak. Elles ont été marquées par une modification des pratiques et un bouleversement des rapports de force appelés à laisser des traces durables dans la vie politique égyptienne. Il convient cependant de s’interroger sur les causes de ce faux-départ, et le dossier présenté ici apporte des pistes permettant de comprendre pourquoi le processus transitionnel annoncé le 30 mars 2011 a finalement été avorté.

22 La principale nouveauté des élections de 2011-2012 ne tient pas tant aux règles électorales (le mode de scrutin mixte avait présidé aux législatives de 1987, les élections de 2000 et 2005 avaient déjà été organisées en trois phases, et les présidentielles de 2005 avaient vu pour la première fois s’affronter plusieurs candidats) qu’au fait que pour la première fois, toutes les composantes de la société ont pu s’en servir comme véhicule pour tenter de pénétrer l’arène politique. Ces élections ont ainsi été dominées par de nouveaux acteurs (81,2 % des élus à l’Assemblée du peuple l’étaient pour la première fois, alors que ce taux tournait autour de 62 % pour les trois scrutins précédents36) regroupés dans de nouveaux partis (23 partis sont représentés dans cette assemblée, dont 19 n’existaient pas ou étaient interdits avant la révolution). C’est ainsi

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que l’on a pu voir des catégories jusque-là exclues du champ politique se mobiliser en vue d’obtenir par le vote une représentation parlementaire : organisations salafistes, confréries soufies, syndicats indépendants, mouvements de jeunesse, etc. Bien sûr, toutes ces entreprises n’étaient pas promises au même succès, mais les articles présentés dans ce numéro par Azzurra Meringolo (sur les jeunes de la révolution) et Costantino Paonessa (sur les confréries soufies) montrent que des forces très minoritaires, voire marginales dans les urnes, disposent d’une capacité de mobilisation en fonction d’objectifs politiques bien supérieure à ce que pourrait laisser supposer la simple lecture de leurs résultats électoraux. Par ailleurs, ces élections ont apporté leur lot de surprises (le score des salafistes aux législatives, celui de Hamdîne Sabâhî au premier tour des présidentielles), la société égyptienne se découvrant ainsi dans ses divisions et ses rapports de force internes à l’occasion de ces scrutins.

23 Mais d’une manière plus générale, ce sont les partis qui semblent sortir grands gagnants de ces élections, puisque sur l’ensemble des 678 membres élus des deux chambres, il n’y a que 26 indépendants (22 dans la chambre basse et 4 dans la chambre haute), soit 3,8 % des effectifs. Ces résultats tranchent avec la faiblesse des organisations partisanes constatée lors des élections législatives organisées sous l’ancien régime37. Sommes-nous en train de passer d’un système de notables, caractérisé par la faiblesse de l’État et des partis, à un système à État faible et partis forts, dans lequel les futures élections seraient appelées à être systématiquement dominées par les « machines politiques » que seraient devenus les Frères musulmans et la Prédication salafiste ? Nous nous garderons ici de tirer de telles conclusions, par trop hâtives et prématurées, surtout au regard des événements politiques qui ont secoué l’Égypte au cours de l’année qui a suivi l’élection de Mohammed Morsi. D’autant qu’il convient de souligner que les partis politiques égyptiens se sont inégalement autonomisés par rapport aux différents milieux sociaux et militants dont ils sont issus. Ainsi, si le parti des Égyptiens libres par exemple, a su, comme le laisse entrevoir l’article de Gaétan du Roy dans ce volume, se ménager une marge d’autonomie en s’appuyant sur divers réseaux interconnectés – les entreprises de Nagîb Sâwîris (en particulier Orascom), l’Église copte et le tissu associatif chrétien –, le PLJ reste de son côté extrêmement dépendant de l’organisation des Frères musulmans, et Amel-Fatiha Abbassi dresse dans ce numéro un tableau implacable des différents modes de subordination qui soumettent concrètement le parti à la Confrérie.

24 Cette absence d’autonomie du parti des Frères musulmans par rapport à l’organisation- mère constitue sans doute une importante cause de leur échec au pouvoir. De fait, le rôle de la Confrérie dans le régime de Mohammed Morsi n’a pas été contesté uniquement au nom de la légitimité révolutionnaire, de l’État de droit et de la nécessaire protection des minorités – même si ces différents éléments ne doivent bien sûr pas être négligés – mais également au nom de la légitimité des urnes dont se prévalaient pourtant les Frères musulmans. En effet, l’un des arguments de leurs opposants était que si Mohammed Morsi avait bien été régulièrement élu, le Guide suprême ne disposait pour sa part d’aucun mandat électif. De par son organisation verticale et hiérarchisée, la Confrérie usurpait ainsi la volonté populaire en soumettant les élus du peuple – à commencer par le président de la République lui- même – à un centre de décision opaque et foncièrement anti-démocratique. La force même des Frères musulmans constituerait ainsi en même temps leur principale faiblesse, le poids organisationnel, humain et financier de la Confrérie obérant une

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éventuelle autonomisation du PLJ, pourtant condition essentielle à une pleine intégration des Frères musulmans dans le jeu politique.

25 Le dossier consacré à ces élections comporte dix articles38, et est divisé en trois parties, traitant d’abord du rôle des représentations dans un paysage politique en pleine recomposition, puis du « passage au politique » de plusieurs secteurs de la société civile, au sein desquels émergent des entrepreneurs politiques cherchant à les représenter politiquement à travers la création d’un ou plusieurs partis, et enfin de la reconfiguration des enjeux locaux, entre politisation et permanence des anciennes logiques.

26 Les deux articles présentés dans la première partie de ce dossier s’intéressent au rôle des représentations et des discours dans le processus de transition vers la démocratie39. Leurs auteurs soulignent la nécessité d’appréhender cette transition en privilégiant un point de vue empirique, et de renoncer aux a priori normatifs que peuvent charrier les définitions de concepts aussi génériques que ceux de démocratie, d’autoritarisme, ou encore de sphère publique.

27 L’article de Sarah Wessel analyse ainsi les différents types de légitimité qui s’affrontent sur la scène politique égyptienne. Pour ce faire, elle mobilise notamment la notion de cadre (frame), et observe qu’à compter de l’été 2011 le cadre religieux a pris le pas sur le cadre révolutionnaire, autrement dit que la question de la place de la religion dans la société a alors supplanté celle de l’accomplissement des objectifs de la révolution. L’auteur montre également que les manifestations de novembre 2011 visaient à délégitimer, avant même leur coup d’envoi officiel, des élections organisées par un pouvoir militaire. Ce faisant, elles ont contribué à affaiblir la légitimité du processus de transition dans son ensemble, ainsi que la représentativité des futurs vainqueurs du scrutin. Dans cette situation, la coalition de la Révolution continue s’est trouvée particulièrement mise en porte-à-faux, du fait de sa participation à un processus électoral contesté par sa base et son électorat potentiel. En tant que vainqueurs annoncés de ces élections, les Frères musulmans se sont quant à eux tenus prudemment à l’écart de manifestations qui desservaient leur but. Enfin, si le pouvoir militaire a de son côté défendu la légitimité du processus jusqu’à son terme, il n’a paradoxalement pas hésité à dénoncer le manque de représentativité du Parlement une fois celui-ci élu.

28 Omneya Nour Eddin Khalifa analyse pour sa part les discours des trois candidats arrivés en tête du premier tour de la présidentielle de 2012, tels qu’ils ont été formulés sur le plateau d’un talk-show programmé spécialement pour l’occasion. Ces trois candidats sont Mohammed Morsi, Ahmad Chafîq et Hamdîn Sabâhî, respectivement champions de l’islam politique, de l’ancien régime et de la révolution. La principale thèse de l’auteur est que les candidats islamiste et révolutionnaire disposaient d’un programme plus précis que celui de l’ancien ministre de Moubarak, et paraissaient bien davantage que lui ouverts au débat et à la discussion de leurs programmes politiques. Le premier mérite de cet article est de faire ressortir clairement les trois projets alors en compétition pour l’avenir de l’Égypte : la transformation révolutionnaire, la perpétuation de l’ancien régime sous une forme plus démocratique et enfin le conservatisme religieux. Mais ce que cette contribution éclaire également rétrospectivement, ce sont les raisons de la déception suscitée par le style de gouvernement de Morsi. Si une grande partie de l’opinion, qui lui avait pourtant apporté son soutien au second tour de la présidentielle, s’est retournée si rapidement

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et si violemment contre lui, c’est aussi parce que son attitude au pouvoir tranchait radicalement avec celle qui avait dominé sa campagne électorale. Après avoir mis en scène sa volonté d’ouvrir le débat autour de son programme en direction de toutes les composantes de la société égyptienne, il s’est révélé une fois élu comme le représentant d’une faction désireuse avant tout de s’assurer le contrôle de l’appareil d’État à son bénéfice exclusif. L’amère sensation d’avoir été victimes d’une supercherie a ainsi alimenté puissamment la contestation à l’égard de la Confrérie.

29 La deuxième partie de notre dossier met l’accent sur le rôle et les stratégies des entrepreneurs politiques opérant avec des fortunes diverses dans différents milieux sociaux40. Si le succès des islamistes dans le champ politique peut paraître à première vue éclatant, nous verrons qu’il comporte néanmoins d’importantes limites, qui n’ont sans doute pas encore fini de produire leurs effets sur la scène politique égyptienne. À l’inverse, le difficile passage au politique des organisations de la jeunesse révolutionnaire et des confréries soufies ne doit pas nous conduire à sous-estimer leur capacité d’influence réelle. Alaa Al-Din Arafat nous entraîne dans une exploration de la galaxie salafiste égyptienne. La rapidité avec laquelle celle-ci a donné naissance à des partis capables de réaliser de très importants gains électoraux a d’autant plus surpris les observateurs qu’avant la révolution, le courant salafiste était perçu comme piétiste et apolitique. L’auteur nous rappelle qu’en réalité, l’attitude des salafistes envers la politique a toujours varié en fonction des circonstances, et ne s’est jamais résumée à une hostilité de principe à l’encontre de toute participation à la vie publique. En conséquence, les positions adoptées par les différentes organisations salafistes à l’égard de la révolution se sont échelonnées entre la condamnation sans appel et le soutien sans ambages. Inversement, l’auteur souligne que même après la chute de Moubarak, tous les salafistes ne se sont pas ralliés à l’idée de créer des partis politiques. Concernant leur succès électoral inattendu, Alaa Al-Din Arafat montre comment les salafistes ont su s’organiser pour se répartir les circonscriptions, et au-delà, sont même parvenus à s’entendre avec les Frères musulmans pour limiter la compétition au sein du camp islamiste. La supériorité organisationnelle des islamistes leur a donc assuré un avantage décisif sur leurs adversaires libéraux au cours de ces élections. Enfin, il convient de rappeler à la suite de l’auteur que, malgré l’interdiction de recourir dans la campagne électorale à des slogans basés sur la religion, les partis salafistes ont fait « un 30 usage massif des symboles religieux ». De son côté, Amel-Fatiha Abbassi se pose la question de l’autonomie du PLJ par rapport 31 à l’organisation des Frères musulmans, notamment dans l’exercice de deux fonctions traditionnellement dévolues aux partis dans les systèmes démocratiques : la sélection des candidats et la mobilisation des électeurs. L’auteur rappelle en effet que les dirigeants du PLJ, puis ses candidats aux législatives et enfin son candidat à la présidentielle, ont tous été élus par l’assemblée consultative (majlis al-chûrâ) des Frères musulmans. Les responsables du parti, comme ceux de la Confrérie, justifiaient cette situation de subordination par la jeunesse du parti, créé dans l’urgence au printemps 2011, dans l’optique d’affronter des élections à brève échéance. À l’instar des salafistes, quoique dans une mesure sans doute moindre, les Frères musulmans n’ont pas hésité à mobiliser l’argument religieux dans leur campagne électorale. Cet argument religieux était couplé à une politique de fidélisation des classes populaires via le contrôle

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d’associations caritatives, d’hôpitaux et de centres de la zakât, qui sont alors devenus autant de lieux de diffusion de matériel militant aux couleurs du PLJ. La structure hiérarchique de la Confrérie lui a en effet permis de distribuer un matériel de campagne homogène à l’échelle nationale, et de mener campagne dans les médias, à commencer par ceux qu’elle contrôlait directement. D’un autre côté, son maillage territorial serré lui a permis de déléguer la gestion et l’animation de sa campagne de terrain à des militants habitant les quartiers visés. Les Frères musulmans sont ainsi parvenus à articuler le national et le local afin de mobiliser les électeurs en faveur des candidats du PLJ.

32 L’article d’Azzurra Meringolo dresse un constat symétrique à celui d’Amel Abbassi, en montrant que les principales caractéristiques des organisations de la jeunesse révolutionnaire – à savoir la décentralisation, l’hétérogénéité idéologique et l’usage de nouvelles technologies – ont fait à la fois leur force dans les rues et leur faiblesse dans les urnes. L’auteur défend néanmoins la thèse selon laquelle ces mouvements ont en fait joué dans les élections un rôle bien plus important qu’il n’y paraît, et en tout cas sans commune mesure avec leur faible poids électoral. Elle illustre abondamment cette thèse en rappelant l’implication de ces organisations dans les mouvements anti-fulûl, dans les campagnes de boycott (particulièrement dans l’entre-deux tours des élections présidentielles), dans les manifestations dénonçant les comportements abusifs du pouvoir, et enfin dans les activités de monitoring des processus électoraux41.

33 Enfin, Costantino Paonessa part du constat d’un paradoxe, celui de l’échec du « soufisme politique ». Comment expliquer que dans un pays où les confréries soufies rassemblent de 12 à 15 millions d’adeptes, celles-ci n’aient pas réussi leur passage au politique ? L’auteur montre que cette impuissance politique du soufisme égyptien plonge ses racines dans l’histoire de la construction de l’État moderne, au XIXe siècle. En effet, les réformes successives des Waqf-s depuis cette époque ont entraîné une perte de ressources financières pour les confréries soufies, avec pour conséquence une érosion de la place privilégiée qu’elles occupaient auparavant dans l’offre de services éducatifs, médicaux et sociaux. Ainsi, si la construction de l’État s’est faite au détriment des confréries soufies, son recul a en revanche favorisé par la suite les mouvements islamistes, qui ont su remplir le vide en construisant patiemment, depuis la seconde moitié des années 1970, les réseaux de services qui ont rendu possible leur triomphe électoral. Par ailleurs, l’État égyptien a sans cesse cherché, depuis la fin du XIXe siècle, à s’assurer le contrôle des confréries soufies. Du fait de cette situation, et de l’existence de mouvements islamistes puissants et perçus comme une menace pour eux, les acteurs du soufisme se sont divisés sur la question du soutien à apporter à l’ancien régime ou à la révolution. Ces divisions, ainsi que la faiblesse organisationnelle du principal parti soufi, le parti de la Libération égyptienne, ont résulté en une dispersion des voix soufies entre plusieurs forces politiques42. Pire, non seulement les candidats soufis étaient dispersés entre plusieurs partis et coalitions, mais encore n’ont-ils été soutenus par aucune des confréries les plus importantes. Ce sont au final surtout de petites confréries qui ont donné naissance à de petits partis soufis, ne disposant que « d’une faible autonomie par rapport à leurs milieux confrériques respectifs ».

34 La troisième et dernière partie de ce dossier s’intéresse à la reconfiguration des enjeux locaux43, et les articles qui la composent cherchent à faire la part entre la permanence des anciennes logiques clientélistes et la brusque poussée de politisation induite par les

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changements apportés au contexte politico-juridique par le soulèvement de janvier 2011 et ses suites.

35 L’article de Clément Steuer repose sur une étude comparée de trois circonscriptions électorales (au cœur de la capitale, sur le canal de Suez et dans le delta du Nil), et met en évidence l’influence de la médiatisation et de la précision progressive des règles du jeu sur les stratégies de campagne adoptées par les partis politiques dans chacune de ces circonscriptions. L’auteur examine en effet l’impact de ces facteurs nationaux sur les situations politiques et les rapports de force locaux. Ce faisant, il souligne l’incertitude qui planait sur les scrutins de 2011-2012, dans un contexte où le peuple était appelé à élire des institutions sans connaître l’étendue de leurs pouvoirs constitutionnels, ni même selon quelles procédures précises la Constitution serait finalement rédigée. Il met également en lumière la faiblesse de l’impact des campagnes médiatiques sur les résultats finaux, celles-ci se révélant impuissantes à pallier la faiblesse du dispositif militant sur le terrain. Mais si les médias ne font pas l’élection, ils contribuent néanmoins pour une large part à la politisation du vote et à la nationalisation des enjeux.

36 À partir de son enquête menée durant les élections législatives dans la circonscription de Port Saïd, Fayçal Homsy estime de son côté que le choix des électeurs est principalement guidé par trois considérations : l’ancrage local du candidat, son rapport à la religion, et enfin sa réputation, ce dernier critère étant le plus généralement obtenu par une combinaison des deux premiers. Si cet article confirme le sentiment général selon lequel la question religieuse aurait pris le pas sur l’accomplissement des objectifs de la révolution durant ces premières élections post-moubarakiennes, son principal intérêt est de montrer à quel point les enjeux politiques locaux demeurent très important dans la détermination des choix de l’électorat. Enfin, son originalité tient à ce qu’il témoigne de l’émergence en Égypte d’un vote féminin anti-islamiste.

37 Gaétan du Roy, quant à lui, s’intéresse à la campagne du parti des Égyptiens libres – proche de l’Église copte – dans le quartier des chiffonniers du Muqattam, majoritairement chrétien. Son article repose sur une enquête ethnographique de longue durée, et sur une solide connaissance du quartier, de ses institutions religieuses, et de son tissu associatif. L’auteur montre que la configuration locale des pouvoirs a été déstabilisée par la révolution du 25 janvier, notamment du fait de la remise en cause du pouvoir temporel de l’Église sur les fidèles, publiquement critiqué dans le sillage de la dénonciation de la mauvaise gestion des associations de développement qui lui étaient liées. Mais si la révolution a entraîné une contestation du rôle politique de l’Église, l’organisation d’élections libres a paradoxalement renforcé ce rôle, en faisant du vote copte un enjeu politique d’importance44, alors même que l’institution ecclésiale demeure encore aujourd’hui la mieux placée pour mobiliser et canaliser ce vote. Dans ce contexte, le parti des Égyptiens libres se construit localement, à la croisée des logiques notabiliaires, de la politisation du militantisme associatif, et de l’intervention de l’Église en matière de vote communautaire chrétien45. Adossés à une structure politique nationale, les membres de l’équipe de campagne du parti demeurent dépendants des prêtres et des notables locaux pour atteindre et mobiliser la communauté, mais entendent bien se donner à terme les moyens de se passer d’eux, et de s’assurer le monopole de la mobilisation et de la représentation de la communauté. Pour ce faire, un des moyens à leur disposition est la politisation du vote via les processus de montée en généralité mis en œuvre par les militants du parti à partir de la

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dichotomie islamistes/séculiers. L’auteur souligne ainsi les paradoxes de ce processus : « Ce qui a connecté les coptes du Muqattam à la politique nationale a bel et bien été le communautarisme ».

38 Enfin, l’article de Giedre Sabaseviciute est consacré à la campagne d’un individu, le politiste ‘Amr Hamzâwî, élu dès le premier tour dans une circonscription du Caire alors qu’il cumulait les handicaps : détenteur d’une seconde nationalité (allemande) ; universitaire, et comme tel présumé « coupé des réalités » ; fiancé à une artiste renommée. L’auteur nous montre comment ce candidat des « jeunes de la révolution » a su construire et utiliser sa notoriété médiatique pour transformer ces handicaps en autant d’atouts. Le champ médiatique égyptien a en effet été bouleversé par la révolution, au profit notamment des médias privés. Ceux-ci ont en conséquence joué un rôle important durant la première phase de la transition, dans la promotion des « nouvelles élites politiques et intellectuelles », régulièrement invitées à s’exprimer dans les pages opinions des journaux et sur les plateaux des talk-shows des chaînes télévisées. ‘Amr Hamzâwî est ainsi rapidement devenu une vedette de l’ère nouvelle, et a su se saisir de toutes les tribunes possibles pour construire son image : de sa liaison avec une actrice il a fait l’étendard de la liberté amoureuse contre le conservatisme religieux et social, de ses longues années passées à l’étranger une preuve de sa non- compromission avec l’ancien régime, et de son statut de « parachuté » à Héliopolis une posture de rupture avec les pratiques clientélistes. En effet, ce candidat a eu beau jeu de dénoncer les « députés de service », et d’insister sur la dimension nationale de son programme, revendiquant la neutralité religieuse de l’État, la lutte contre les discriminations et la protection de l’État de droit. Néanmoins, si cette stratégie a porté ses fruits, c’est d’abord parce que la circonscription d’Héliopolis lui offrait un cadre favorable, avec de nombreux quartiers aisés pouvant aisément se passer des « services » de leur député, et une importante communauté chrétienne « naturellement » séduite par le libéralisme du candidat.

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VANNETZEL M., 2008, « Les voies silencieuses de la contestation : les Frères musulmans égyptiens, entre clientélisme et citoyenneté alternative », Raisons politiques, n° 29, p. 23-37.

NOTES

1. Nous tenons à remercier ici tout particulièrement Elham Naïm, ancienne directrice des publications au Cedej, qui a contribué à l’élaboration de ce numéro depuis les commencements. 2. Voir Sandrine Gamblin (dir), Contours et détours du politique en Égypte, Les élections législatives de 1995, Paris, L’Harmattan-Cedej, 1997 ; Diane Singerman, Avenues of participation, Le Caire, The American University in Cairo Press, 1997 ; Sarah Ben Nefissa et Alâ’ Al-dîn Arafat, Vote et Démocratie dans l’Égypte contemporaine, IRD-Karthala, 2005 ; Patrick Haenni, L’ordre des caïds : conjurer la dissidence urbaine au Caire, Paris, Karthala- Cedej, 2005 ; Marie Vannetzel, « Les voies silencieuses de la contestation : les Frères musulmans égyptiens, entre clientélisme et citoyenneté alternative », Raisons politiques, n° 29, 2008.

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3. Florian Kohstall et Frédéric Vairel (dir.), « Fabrique des élections », Égypte/Monde arabe, vol. 3, n° 7, 2011. Ce dossier avait également montré que, malgré le faible taux de participation, les élections organisées sous Moubarak affectaient la société dans son ensemble. 4. Que Florian Kohstall et Frédéric Vairel qualifient à juste titre de « césure » dans la préface du numéro d’Égypte/Monde arabe consacré aux élections de 2005 (ibid. p. XIII- XIV). 5. J’ai montré ailleurs que l’adoption d’un mode de scrutin mixte avait favorisé les partis politiques au détriment des candidats indépendants (Clément Steuer, « Le printemps des partis ? Le rôle des organisations partisanes égyptiennes dans la mobilisation électorale », Confluences Méditerranée, n° 82, 2012). 6. “ Founding elections”. Généralement définies comme les premières élections compétitives et multipartites visant à pourvoir des fonctions officielles d’importance nationale au sortir d’une période d’autoritarisme (Guillermo O’Donnell, Philippe C. Schmitter and Laurence Whitehead, Transitions from Authoritarian Rule : Tentative Conclusions about Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986, p. 57). Pour une discussion de l’exceptionnalité de telles élections, et de leur impact sur les systèmes partisans, voir Gary Reich, “The Evolution of New Party Systems: Are Early Elections Exceptional?”, Electoral Studies, vol. 23, n° 2, 2004. 7. Huit articles de la Constitution de 1971 sont amendés et un supprimé, afin notamment de rétablir le contrôle du pouvoir judiciaire sur le processus électoral (supprimé par la réforme constitutionnelle de 2007), de limiter à deux mandats consécutifs de quatre ans la durée maximale au pouvoir d’un président de la République, de placer le recours à l’état d’urgence sous contrôle du Parlement et du peuple, et de supprimer la possibilité de déférer des civils devant des tribunaux militaires. Les amendements proposés prévoient également d’assouplir les conditions pour se porter candidat à la présidentielle (sauf en matière de nationalité, où ces conditions sont au contraire durcies), de confier à la Haute Cour constitutionnelle le contentieux électoral, et de contraindre le président à choisir un vice-président dans les 60 jours qui suivent son entrée en fonction. Enfin, un amendement prévoit que le futur Parlement élu aura 60 jours pour écrire une nouvelle Constitution. Il s’agit donc de dispositions prévues pour être transitoires. 8. Issu de l’Union socialiste arabe – l’ancien parti unique du temps de Sadate – en 1978, le PND est demeuré hégémonique jusqu’à sa dissolution par la justice le 16 avril 2011. Depuis 1981, il était présidé par Hosni Moubarak en personne. 9. « Prédication salafiste ». Voir l’article de Alaa al-Din Arafat dans ce numéro. 10. Et non uninominal, les électeurs étant invités à choisir deux noms au lieu d’un seul. Chaque circonscription devait en effet élire deux députés, dont l’un au moins appartenant à la catégorie « ouvriers et paysans ». 11. Les candidats de ce type étaient généralement désignés comme « indépendants sur les principes du PND ». 12. Sur la description de ces mécanismes, voir notamment S. Ben Nefissa et A. Al-dîn Arafat, op. cit. 13. D’où le sobriquet de fulûl (lit. « Restes d’une armée en déroute ») qui a alors été attribué en dérision aux anciens du PND.

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14. Ainsi, l’Assemblée du peuple sera composée de 508 membres, parmi lesquels 332 élus au scrutin de liste et 166 au scrutin binominal (et 10 nommés par le pouvoir exécutif). L’Assemblée consultative, de son côté, sera composée de 270 membres, parmi lesquels 90 seront nommés par l’exécutif et 180 élus (120 à la proportionnelle et 60 au scrutin individuel). 15. Seulement 83 circonscriptions pour les élections à l’Assemblée du peuple, chacune élisant deux députés, dont l’un au moins doit appartenir à la catégorie « ouvriers et paysans ». 16. Et ce malgré le quota de 64 sièges théoriquement réservés aux femmes dans l’Assemblée du peuple en vertu de la déclaration constitutionnelle. Au final, seules 9 femmes seront élues dans cette chambre basse, soit 1,8 % du total de ses membres… 17. De leur côté, les élections de l’Assemblée consultative seront finalement organisées en seulement deux étapes (voir infra). 18. Nommément, les anciens vice-présidents et premiers ministres de Moubarak, ainsi que les anciens présidents et secrétaires généraux du PND. 19. Au motif qu’elle visait des personnes en particulier, empiétant ainsi sur les prérogatives du pouvoir judiciaire. Le propre de la loi est en effet de mettre en place des règles de portée générale, à charge pour les juges de les appliquer ensuite aux cas particuliers. 20. Ainsi, le premier tour de la première phase a-t-il été organisé les 28 et 29 novembre 2011, et le second tour les 5 et 6 décembre. De même, la deuxième phase s’est tenue les 14-15 et 21-22 décembre, et la troisième les 3-4 et 10-11 janvier 2012. Les seconds tours ne concernaient que les sièges pourvus au scrutin individuel pour lesquels aucun candidat n’avait obtenu la majorité absolue lors du premier tour. La première phase a été organisée dans les gouvernorats du Caire, d’Alexandrie, d’Assiout, de Damiette, du Fayoum, de Kafr Al-Cheikh, de Louxor, de la Mer Rouge et de Port-Saïd. La deuxième phase a vu voter les gouvernorats d’Assouan, de Beheira, de Beni Souef, de Charqiya, de Gizeh, d’Ismaïliya, de Menufeya, de Sohag et de Suez. Enfin, la troisième et dernière phase a été organisée dans les gouvernorats de Dakahleya, de Gharbeya, de Marsa Matrouh, de Minia, de la Nouvelle Vallée, de Qalyubiya, de Qena, et du Nord et du Sud Sinaï. 21. Pour les résultats détaillés et commentés de ces élections, se reporter à Rabî‘ ‘Amrû Hâshim (dir.), Intikhâbât majlis al-cha‘b 2011/2012 (Les élections à l’Assemblée du peuple, 2011-2012), Le Caire, Centre d’études politiques et stratégique d’Al-Ahrâm, 2012. Cet ouvrage collectif apporte également d’importantes précisions sur le contexte politique et juridique dans lequel ces élections se sont déroulées, ainsi que sur les candidats en lice et leurs programmes politiques. 22. Sur ces différentes formations salafistes, voir l’article d’Alaa Al-Din Arafat dans ce numéro, ainsi que le tableau en fin de volume. 23. Voir tableau en fin de volume. Ce dernier parti était membre de la Coalition démocratique. 24. Ces derniers chiffres doivent néanmoins être – légèrement – nuancés, du fait que la Coalition démocratique comportait dans ses rangs des partis non-islamistes, tels que Karâma, ou encore Ghad Al-Thawra (cf. tableau en fin de volume). 25. Soit 35 sièges, répartis comme suit : 17 pour le parti égyptien social-démocrate, 14 pour le parti des Égyptiens libres, et 4 pour le Tagammu‘ (cf. tableau en fin de volume).

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26. Libéraux, socialistes, nassériens, mais aussi jeunes de la révolution et anciens du PND ! 27. Le lecteur attentif aura constaté que nous arrivons ainsi à un total de 476 sièges pour la majorité et l’opposition, soit seulement 93,7 % de l’Assemblée du peuple. Il faut en effet y ajouter 22 candidats sans étiquettes pour arriver à un total de 498 députés. Dix autres députés seront ensuite nommés par l’exécutif, ce qui porte le nombre de membres de cette assemblée à 508. C’est par rapport à ce dernier chiffre que sont calculés les divers pourcentages indiqués supra. 28. Les considérations financières ont sans doute joué un grand rôle dans cette décision de boycotter le scrutin, les partis ayant beaucoup investi dans les élections à l’Assemblée du peuple et n’ayant plus les moyens de s’offrir une nouvelle campagne (entretien avec Husâm Khalaf, trésorier du parti Wasat, 2 juin 2013). Étant donné les dépenses induites par une campagne électorale à l’échelle nationale, et la faible importance politique de l’Assemblée consultative, le bilan coûts/avantages d’une éventuelle participation militait ainsi largement en faveur du boycott. 29. Ces élections ont ainsi été organisées en seulement deux phases. La première a vu voter les gouvernorats du Caire, d’Alexandrie, d’Assiout, de Dakahleya, de Damiette, du Fayoum, de Gharbeya, de Menufeya, de la Mer Rouge, de la Nouvelle Vallée, de Qena, et enfin du Nord et du Sud Sinaï. Le premier tour de cette phase a eu lieu les 29 et 30 janvier 2012, et le second les 5 et 6 février. La seconde phase a été organisée les 14-15 et 21-22 février, dans les quatorze gouvernorats restants : Assouan, Beheira, Beni Souef, Charqiya, Gizeh, Ismaïliya, Kafr Al-Cheikh, Louxor, Marsa Matrouh, Minia, Port-Saïd, Qalyubiya, Sohag et Suez. 30. Nous arrivons ainsi à un total cumulé de 90,3 % des voix pour la majorité islamiste et l’opposition libérale. Les 9,7 % restants se sont portés sur des candidats indépendants et sur des partis qui n’ont pas obtenu suffisamment de voix pour être représentés dans cette assemblée. 31. Voir le tableau en fin de volume. 32. Répartis comme suit : 14 pour le Wafd, 8 pour le Bloc égyptien, 3 pour le parti de la Liberté et 1 pour le parti de la Paix démocratique. 33. À l’exclusion donc des députés nommés par le pouvoir exécutif. 34. Les dirigeants de la Confrérie s’étaient également engagés à ne pas présenter de candidats dans plus de 50 % des circonscriptions pour les élections législatives... Notons néanmoins que la dissolution de la première commission constituante le 10 avril 2012 a probablement joué un rôle déterminant dans le revirement des Frères musulmans concernant leur participation à l’élection présidentielle. Sentant que la mainmise sur le processus de rédaction de la Constitution risquait de leur échapper, ils ont sans doute estimé qu’il serait plus prudent de contrôler les deux pouvoirs, exécutif et législatif, afin de sortir gagnants dans tous les cas de figure, que le futur régime soit parlementaire ou présidentiel. 35. Rappelons que cette disposition, adoptée par le CSFA au dernier moment, avait pour but explicite de contrecarrer les fulûl... (Voir notamment l’article de Sarah Wessel dans ce numéro). La décision de la HCC ne s’en inscrit pas moins dans une jurisprudence constante depuis 1987. Sur ce sujet, voir l’article très précis et bien documenté de Nathalie Bernard-Maugiron, « Les juges et les élections dans l’Égypte post-Moubarak : acteurs ou victimes du politique ? », Confluences Méditerranée, n° 82, 2012.

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36. Abû Rîda Muhammad ‘Alî, « Al-Tarkîba al-siyâsiya wal-ijtimâ‘iya li-a‘dâ’ majlis al-cha‘b 2011/2012 » (« La composition politique et sociologique de l’Assemblée du peuple, 2011-2012 », in Rabî‘ ‘Amrû Hâshim (dir.), op. cit. On constate également un rajeunissement des effectifs parmi les députés de la révolution. 37. Symptomatiquement, les partis politiques – qui occupaient encore une place importante dans l’ouvrage collectif dirigé par Sandrine Gamblin en 1997 – sont totalement absents (à la seule exception du PND) du sommaire de la livraison d’Égypte/ Monde arabe consacrée aux élections de 2005, et parue en 2011. Or, les partis sont de retour dans le présent numéro, et constituent le principal sujet de la majorité des articles figurant dans notre dossier. 38. À une exception près (l’article d’Omneya Nour Eddin Khalifa, qui porte sur la campagne des présidentielles), tous ces articles traitent des élections à l’Assemblée du peuple. Cette prééminence du principal scrutin législatif peut s’expliquer par des raisons d’ordre à la fois théorique (les élections législatives existent en Égypte depuis 1979, et ont donc été davantage étudiées que les présidentielles, qui ont connu un seul précédent sous l’ancien régime, en 2005) et pratique (de par la taille des circonscriptions, il est possible de faire un travail de terrain au plus près de l’élection d’un député, alors que l’élection présidentielle se déroule sur une circonscription unique, à l’échelle de tout le pays). Quant aux élections à la chambre haute, elles semblent ne pas avoir suscité davantage d’intérêt parmi les chercheurs que parmi les électeurs, et pour des raisons sans doute comparables (peu d’enjeux institutionnels et absence d’une véritable concurrence du fait du faible nombre de candidats). 39. La précédente livraison d’Égypte/Monde arabe consacrée aux élections de 2005 avait déjà mis l’accent sur les représentations (voir l’article de Nefissa Hassan Dessouki, « Représentations du rôle du député chez les électeurs égyptiens : le cas des circonscriptions 24 et 25 de Hélouane », in F. Kohstall et F. Vairel, op. cit.) et les médias (voir les articles de Enrique Klaus, « Une presse en campagne : la “presse nationale” et l’élection présidentielle égyptienne » et de Hossam Tammam, « Les Frères musulmans et les médias aux élections parlementaires de 2005 : le cas d’Alexandrie », in ibid.), dans un tout autre contexte politique et juridique. 40. En 2006, Critique internationale a publié un dossier coordonné par Myriam Aït-Aoudia et Jérôme Heurtaux consacré à la place tenue par les partis politiques dans les changements de régime. Les différentes contributions rassemblées dans ce dossier avaient mis en évidence le rôle crucial, pour la construction des nouvelles organisations partisanes, des réseaux militants préalablement constitués durant la période autoritaire, ainsi que l’importance des batailles autour des catégories juridiques pour définir normativement le parti, et donc la forme organisationnelle reconnue légitime pour intervenir dans le champ politique (Myriam Aït-Aoudia et Jérôme Heurtaux (dir.), « Partis politiques et changement de régime », Critique internationale, vol. 1, n° 30, 2006). 41. Un intéressant parallèle pourrait ici sans doute être dressé avec la situation analysée par Hélène Combes dans le cas mexicain, la lutte contre les fraudes électorales ayant constitué depuis les origines une activité centrale dans la construction et la légitimation du Parti de la révolution démocratique (Hélène Combes, « Un cas d’école : Fraudes électorales et instrumentation du vote dans la transition politique mexicaine », Genèses, vol. 4, n° 49, 2002).

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42. Ainsi, la création du parti de la Libération égyptienne a été fermement condamnée par le président du conseil des confréries soufies, instance officielle du soufisme égyptien. 43. Étant entendu que le local constitue un point de vue privilégié pour observer les relations liant le politique au monde social (Cf. Frédéric Sawicki, « Questions de recherche : Pour une analyse locale des partis politiques », Politix, vol. 1, n° 2, 1988). 44. L’émergence d’un vote copte, aiguillé par les consignes de vote de l’Église, pouvait déjà être observé en 2005 (Alain Roussillon, « Les coptes à la marge », Égypte/Monde arabe, vol. 3, n° 7, 2011). Ces tendances se sont encore accentuées six ans plus tard. Surtout, les enjeux de l’élection sont bien plus élevés en 2011 qu’en 2005, augmentant ainsi mécaniquement l’importance du réservoir de voix potentiellement à la disposition de l’Église. 45. En ceci, cet article s’inscrit dans la démarche initiée par Frédéric Sawicki, qui invitait dès 1988 à « s’efforcer de repérer les principaux réseaux sociaux qui constituent le milieu partisan local » (Frédéric Sawicki, op. cit.)

AUTEUR

CLÉMENT STEUER Clément Steuer est politiste, chercheur associé au CEDEJ et membre du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO). Il travaille actuellement à l’Institut oriental de l’Académie des sciences de République tchèque. Il a également été jeune docteur du laboratoire Triangle, et a été soutenu par une bourse de la région Rhône-Alpes pour ses recherches sur les élections égyptiennes. Il a notamment publié en 2012 Le Wasat sous Moubarak aux éditions de la Fondation Varenne. Clément Steuer is a political scientist, associate researcher at the CEDEJ, and member of the Research Union on the Middle East. He is currently employed by the Oriental Institute of the Academy of Sciences of the Czech Republic. In addition, as a young academic of the Triangle laboratory, he was being supported by a grant from the “Région Rhône-Alpes” in order for him to undertake research on the Egyptian elections. His monograph, Le Wasat sous Moubarak, was published by the Fondation Varenne publishing house in 2012.

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Première partie : Le rôle des représentations dans un paysage politique en recomposition

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Political Representation and Legitimacy in Egypt: The Making and the Reception of Claims during the Parliamentary Elections 2011

Sarah Wessel

Introduction: The Legitimate, Illegitimate Parliamentary Elections1

1 On 1st of October 2011, seven weeks before the parliamentary elections, the military chief of staff, Sami Enan, met members of the Democratic Coalition2. The meeting was held hours after scuffles broke out in . The outcome was an agreement on a new election law to allow political parties to field candidates in the one-third of seats that had previously been reserved for independent candidates3. This agreement was welcomed by many political parties and other groups4, 5, 6. On 21st of January the results of the parliamentary elections were announced and the Carter Centre stated after its election witnessing mission: “(...) the results appear to be a broadly accurate expression of the will of the voters”7. Nevertheless a few days after the first gathering of the newly elected parliament, thousands of Egyptians were demonstrating in front of the Television Towers of Maspero and on Midan Tahrir. The following slogans were chanted over and over again: “If here is someone from the , then he should leave right now. We do not want you here”. The parliament operated for a few months only: On the 14th of June 2012, the Supreme Constitutional Court (SCC) ruled that the amendments to the election law were not legal. The Supreme Council of the Armed Forces (SCAF) dissolved the parliament and assumed the responsibilities until a new one is elected8. Many considered this as a Military soft coup9. To date (March 2013) a replacement parliament is yet to be elected.

2 These related scenarios are difficult to explain with most theories that deal with political representation: Theories on political representation usually focus on elections

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to explain the legitimacy of representatives by equating political representation with democratic representation10. Elections are here usually understood as a kind of ritual, which creates the legitimacy of the representatives and reproduces democracy. Taking this equation for granted, the explanation for the given scenario could be that Egypt is in a transformation process in which procedures like the elections can be free and fair and therefore legitimate, but that authoritarian power relations, structures and institutions are still in existence and too influential to have a “real democracy”. At the first glance, this might not be wrong to state. However, this explanation assumes that democratic and authoritarian structures are two independent “systems” that are divided and competing, but not interrelated.

3 Starting from the assumption, that legitimacy is the product of the static facts of elections, the complex changes and interlinked developments concerning political representation and legitimacy cannot be explained. Like the initially given scenario indicates, in times of transformation, in which the constitution is contested, in which elections might not be considered as being representative, in which institutions as the High Court are considered from many Egyptians as being from the “old regime” and therefore not legitimate - the construction or the making of representation and even the making of legitimacy is much more controversial and dynamic.

4 In this paper I will argue, that we have to overcome the implicit division between “democratic” and “authoritarian systems” in order to analyse the controversial and dynamic construction of representation and the making of legitimacy in Egypt in a period of transformation. Therefore I will first present a theory on political representation, which focuses on the practices of politics and is more empirical driven instead of using a normative approach11. Consequently, I will show how legitimacy is negotiated and renegotiated during the parliamentary elections 2011/2012 in Egypt. On the one hand I hope to contribute to the new theoretical approaches on political representation by trying to adapt them. I also try to make sense of different interrelated events and scenarios during the parliamentary elections and the transformation process in Egypt in general, that often seem confusing at a first glance. On the other hand I hope to foster a discussion about normative driven theories and their impacts: Approaching legitimate political representation from an empirical point of view might enable a more dense analysis of political practices and shed light on more subtle authoritarian structures and decision-making processes that are also part of every democracy.

Political Representation, Legitimacy and Claims

5 Michael Saward looks at political representation through the lens of representative claims12. Like Nancy Schwartz13 or Andrew Rehfeld, he approaches legitimate political representation from an empirical perspective. Rehfeld argues: “political representation has a robust non-normative descriptive sense, that is, it describes facts about the political world without necessarily appealing to normative standards of legitimacy or justice”14.

6 Saward understands political representation as a multisided process of claim-making and the reception and the judgment of the claims15. Starting from this approach, democratic elections can only be considered as a snap shot that shows the acceptance of certain claims at a certain moment. The process of making claims and receiving

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claims starts before the elections and continues after the elections. This approach stresses a new way of looking at political representation with a focus on the interplays and reciprocal effects between different actors or groups - on the ways would - be representatives make their claims, how they frame them, and how these claims are received and accepted. Consequently, legitimacy is here understood as acceptance of people and groups, which is changing over time and can be institutionalized in different ways, depending on current conditions16.

7 Using this approach raises the following questions: How are claims made and received before, during and in the aftermath of elections? From which groups of people are they accepted or rejected and why? What are the interplays and reciprocal effects between the claim-making and the claim-receiving? Where can we identify ruptures/changes or even contradictions of claim-making and claim-receiving? How can these be explained?

8 In order to answer these questions I will focus on the claim-making and claim-receiving of the four coalitions that were established during the election process in Egypt: The Democratic Alliance (led by the Freedom and from the Muslim Brotherhood), the Egyptian Bloc (led by the Party of the Free Egyptians, the Islamic Coalition (led by the Party of Light from the Salafis) and the Alliance to Complete the Revolution (led by the Social Alliance Party)17.

Claim-Making Strategies of Parties and Claim- Receiving

9 It is obvious that financial resources and the organizational structure of parties play a crucial role to bring the claims to the public, to get access to a broad audience. The four coalitions were led by the parties with the biggest amount of financial resources and therefore had better chances to win more seats in the elections18. The financial and organizational discrepancy between the coalitions was immense. This discrepancy was also reflected in the streets: While the Democratic Alliance with the Freedom and Justice Party strongly dominated the streets in Cairo with its banners and posters, the Alliance of Completing the Revolution hardly could afford to hang up banners and posters, probably also due to the lack in their organizational structure. The Party of the Free Egyptians, which was founded by the billionaire Naguib Sawiris19 instead, was one of the first that started their election campaign by putting huge advertisings at exposed sites as skyscrapers and highways20.

10 Besides the financial and organizational sources that enable the parties and enhances their possibilities to bring their claims forward, the question of how the parties render their claims is crucial to understand how the impression of presence was created. I will give now three examples of the reciprocity between claim-making and claim-receiving that are embedded in certain discourses and frames: The revolution frame, the religion frame and the discourse about legitimacy itself, elaborating on the scenario given in the introduction.

The Revolution-Frame: Catch the fulul

11 Since January 2011 the “revolution” became a constant, which was used as benchmark to assess would-be representatives. During the parliamentary election every candidate

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who claimed to be a future legitimate representative therefore had to refer somehow to the revolution and how he/she was participating in it. Someone, who was in the old system of Mubarak, had to explain how he or she supported the revolution much more than someone, who was not in the old system, in order to show that he is following new ideas that are associated with the revolution. Different campaigns against the fulul, the so-called remnants of the old regime, appeared. Youth movements spread lists with names of the fulul and started the initiative “Catch the fulul”21.

12 Consequently, the history of a party and its members and which role they played in the past and during the political upheavals was strongly shaping their claims. While the earlier opposition parties, like the Wafd Party, were considered from most of my informants as part of the regime while the religious parties, the Party of Light and the Freedom and Justice Party, my informants referred to as the Muslim Brotherhood and the Salafis, were mainly considered as the real opposition to the “Mubarak-system”.

13 For the liberal parties it seemed to be much more difficult to gain acceptance from the people - even when they were not considered as fulul - for mainly three reasons: (1) The concept of liberalism was not easy to understand, (2) the names of the parties sounded very similar, what confused people, and (3) they did not have a past as a “real” opposition during Mubarak time in the eyes of many people. This was one of the main reasons, why they built their campaigns around famous figures in Egypt that are well known for a long time and had a past as Naguib Sawiris, Anwar Sadat, Muhammad al- Sawy, Amr Hamzawy. Anwar Sadat stated: “The people do not care very much about programs. People are more interested in persons than in political parties. People vote the people they know. This is why I am promoting my name and my party is behind me”22. This also explains why the liberal parties, although they had almost all a similar program did not make one big party: they were depending on creating a past through famous individuals that could be considered as anti-fulul23.

14 The discourse about fulul deeply influenced the procedures of the elections. It was mainly due to the fear that former members of the resolved National Democratic Party could win many votes of the one-third of seats that had been reserved for independent candidates that led to the negotiations of the political parties with the SCAF and to the amendments of the election law as mentioned above24, 25. The parties and several activists hoped that the amendments would lower the chances of the fulul to win seats in the elections26. To summarize: Only because the discourse about the fulul was so present and strong amongst the population, it could be used to legitimize claims that finally changed the election law.

The Religious Frame: When acceptance becomes visible

15 A first turning point considering religious discourses was 29th of July when demonstration on Midan Tahrir started, in which mainly supporters of the Muslim Brotherhood and the Salafis participated, while secular political groups and movements disappeared27. The collective(s) had been there before, but it was the first time that it raised a claim in the public. It made the religious movements and supporters visible and it became clear, that they would play an important role in politics. Many people were completely surprised by the big amount of Muslim Brotherhood and especially Salafi supporters. Ayman, 30, who accompanied me to the demonstrations turned out to be completely surprised by the huge number of Salafis

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we recognized there around 3 pm. “I was not aware that we have Salafis in Egypt at all, and now look at this”, he said28. We were standing in front of a stage, where some few members of secular groups, that had decided to stay on Tahrir, held the Koran in the air, to show the approaching group of Salafis, that also for them Islam and religion is meaningful. The big group of Salafis shouted “Islamiya, Islamiya”, meaning that they want an Islamic State. The atmosphere became more and more tense. The last few members of the secular groups decided to leave. We left Tahrir and realized dozens of busses around Tahrir, in which mainly Salafis were sleeping inside. Ayman explained to me that the busses brought the demonstrators from the villages and other cities to Tahrir, what indicates that they were very well organized.

16 Until this day the narrative of a secular and liberal youth revolution was prevalent29. Since the demonstrations the presented discourses in the media and the statements of my interview partners changed: The question of the role of Islam within a democracy increased tremendously. Many of my interview partners stated that they have to think anew about the role of the Islam in politics. Some of them, who were in favour of an islamistic state started to question this idea, since they realized that there might be religious political groups, that were too extreme from their point of view, but could be a crucial force in shaping the changing state institutions and structures.

17 A second turning point was the demonstrations on Maspero of mainly Coptic people that were violently turned down on 9th of October. They stipulated the discussion about the relation between Muslims and Christians in Egypt. The day of Maspero, Mustafa (30) and Sherif (35) went with me to the Tahrir Lounge, a cultural centre close to Midan Tahrir and around half a mile away from the Television buildings of Maspero to a presentation from the Costa Salafi, the youth group of the Salafis. During the presentation we heard loud noises from outside and we got instructions that on our way home we should avoid the 6th of October bridge, because they were violent demonstrations in front of the Television building. We left around 10 pm and asked people what had happened. We got involved in several discussions, mainly with men between 30 and 40. In all the discussions the men said: There are Christians demonstrating at Maspero. There is gunfire and violence. What do they want? We always lived together and there were never problems between Muslims and Christians’ 30.

18 The discourses on the relation between Muslims and Christians and the role of Islam in politics were reflected in the election campaigns from the parties. Many parties framed their campaigns in terms of Islamic religion. This was not surprising for the Freedom and Justice Party, which used slogans like “Islam is the solution”31 on banners and posters or the Party of Light, even when this was officially forbidden32. But also many secular parties framed their election campaigning events in religious terms, although they explicitly opposed raising religious slogans33. An interesting example is the Egyptian Bloc, which is led by the Party of the Free Egyptians, founded by the Coptic Naguib Sawiris34. The election campaign event of the Egyptian Bloc that was held in Mahalla al-Kubra on 9th of December 2011 started with a Quran recitation from the Imam, which took around twenty minutes. After the Quran recitation the shabab al- thaura was praised and a minute’s silence was made in commemoration of the martyrs of the revolution. Then the politicians held their speeches. After every speech a moderator was explaining how the speech was related to Islam. Also a Sheikh was holding a speech, in which he stated that the coalition is not anti-religious. Some

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speakers quoted newspaper articles of other Sheikhs and Imams who were emphasizing that it is not haram (religiously forbidden) to vote for the Egyptian Bloc35.

19 Competing with other religious parties that obviously had a lot of supporters the Egyptian Bloc tried to fix their reputation as “secular”, but “Christian” party. They needed to show that especially Islam plays an outstanding role for them. By doing so they could also position themselves as party, which is following religious ideas, but might not be as “extreme” in their religious thinking as other parties.

20 It was a crucial question from many of my interview partners, if they as Muslims could vote for a secular party and was founded by a Christian. Several of my Muslim interview partners that voted for them because they were “in favour of a secular state” told me about their experiences in the polling stations in Cairo Downtown: Manal (31) stated: “I went to the polling station and asked the people outside and inside whom they are voting for. All of them answered: The Muslim Brotherhood. When I started to discuss with them and told them that I vote the Egyptian Bloc, they asked me, if I am not Muslim”36.

21 According to these examples, religion seemed to play an outstanding role in gaining acceptance from the people. Otherwise the Egyptian Bloc could just have outlined its idea of liberalism and secularism and there would not have been the need to render the whole event mainly in terms of Islamic religion. Also the reactions to Manal and the others would have been different. I want to stress that also many of my Muslim interview partners finally voted for the Egyptian Bloc, not necessarily because they were in favour of a secular state, but because they considered the prevalent religious political parties as too extreme concerning their religious ideas. Consequently, the — mainly due to the Maspero-incident and the appearance of new Islamic collectives and parties — changing discourses on Islam deeply influenced the voting decision of my interview partners.

Competitive claims from demonstrators during the parliamentary elections: Legitimate or illegitimate elections?

22 On the 18th November 2011, a few days before the first election round, demonstrations on Midan Tahrir and in other parts of Egypt began37. Two main demands seemed to dominate the demonstrations: The withdrawal of the controversial constitutional principles proposed by Deputy Prime Minister Ali El-Selmy38 and the handover of power of the SCAF to civilian rule no later than April 201239. They culminated in violence mainly on Muhammad Mahmoud Street and led to a big number of people that intended to boycott the elections: “How do you want me to vote, when the parliament will have no powers if the military is still in charge?” said one of the protesters Mustafa Shaath (30)40. The trust of people in the SCAF that had already suffered immensely due to its reactions on Maspero steadily decreased during the demonstrations, because of the violence against the demonstrator on Muhammad Mahmoud Street.

23 I was surprised that also many of my political active interview partners disqualified the protests on Tahrir. Heba (26), who is organizing public events for different political groups, just came back from talks with demonstrators on Muhammad Mahmoud Street, when she stated: “I do not understand what is going on at the moment. The people on Tahrir this is not shabab al-thaura. I think this is baltageya (“thugs”). This is not the

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revolution. We did our revolution in January. I am so confused. But we need the elections now41”.

24 Menna (26), who witnessed from the AUC building the incidents on Muhammad Mahmoud Street, agreed with the protests. She said: “You know, most of my friends are supporting the Military Council. But after what happened in Muhammad Mahmoud I told them: If you do not understand what is going on at the moment, then we cannot be friends anymore. On Muhammad Mahmoud youth is fighting against the SCAF and they are better youth then you or me”42. She expressed that she considers the constitution is illegal and considered the Military council as not being the legitimate representative.

25 It is interesting to state that two different informants that talked to demonstrators on Muhammad Mahmoud labelled them in opposing ways: as the “real shabab al-thaura” and as the opposite from it, as baltageya. Also many of my other interview partners were using the signifier shabab al-thaura or baltageya to legitimize or delegitimize the protests.

26 The parties and the Military council had to react to these competing claims. They profoundly contested their role as current or future legitimate representatives. The parties suddenly did not only have to explain why they as a particular party would be good representatives compared to the other parties. They had to make a stand regarding the legal frame, the constitution and also to the revolution in order to show that their future role as representatives would be legitimated. By participating in the elections the parties and coalitions implicitly agreed on the legal frame and they were facing the problem, that they could have been considered as not real revolutionaries in the eyes of people.

Parties (implicit claims) Demonstrators (explicit claims)

Recognizing the legal frame (constitution) Not recognizing the legal frame (constitution)

Military Council is the legitimate representative Military council is not legitimate representative

Elections will represent the people Elections will not represent the people

27 It was particular difficult for the Completing the Revolution Alliance43 to react to the demonstrators. The Coalition was made up in October in order to bring the “Voices of Tahrir and the revolutionary Youth to the Parliament”44. So the coalition had to prove that they listen to the voices of the Tahrir that were mainly refusing the legal frame. At the same time it was still accepting the legal frame. Amr Hamzawy as the most prominent member of the coalition stopped his official election campaigning for a while in order to show his support for the demonstrations and then turned back to his campaign45. Stopping his campaign was part of his campaign.

28 The Muslim Brotherhood followed a different strategy: They avoided participating in the demonstrations on Midan Tahrir. In order to show that they are a kind of revolutionaries they made other demonstrations for the rights of the Palestinian people46.

29 Also the reaction of the Military council was interesting: On the one hand the Military council said during the uprisings in November, that it has to fight against the

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demonstrations in order to defend the election process. After the elections the SCAF said that the parliament in this way is not representative enough when it comes to write the constitution47.

30 It was not sure until the day of the elections, if they will take place at all. When 52% from the eligible voters dropped their voice in the ballot box there was no discussion at all about the question, if the parliament could be declared as illegitimate due to the amendments of the law that the SCAF had agreed on due to the pressure of the parties and demonstrating groups. When the parliament was dissolved from the SCAF, it was not clear if the member of the parliaments would accept this decision and when the recently elected president Muhammad Mursi decided to hold a meeting in the parliament48 after its declared dissolve, it was completely unclear to the public how this meeting would end: As a counter-coup against the SCAF, declining the authority of the High Courts or/and simply as a presentation of his new gained power49.

Conclusions

31 By approaching the question of legitimacy from an empirical understanding, using claims and the acceptance of claims as an analytical tool, I aimed to demonstrate that legitimacy of political representation is not mainly the result of the static fact of elections – legitimacy could rather be understood as acceptance of people and groups, which is changing over time and can be institutionalized in different ways, depending on current political discourses.

32 The ways claims are brought forward depends on the prevalent discourses: A claim will be more successful when it refers to a certain argument or stream within a discourse that seems to have the support or the acceptance of most of the people and groups. Claims can be raised from “real” groups, like the Salafis. In fact, they became a collective by raising a claim and henceforth needed to be considered as a serious political player. But collectives can also be created through a discourse itself, like the fulul – none claimed to be a fulul. It is important to note that both groups (as well as the shabab al-thaura or the baltageya) are incorporated into a general discourse and became “discursive collectives” or “empty signifiers”, through which the discourse changes. The fulul discourse enabled people to discuss what is good and bad for a society – the fulul as symbol for the old regime, associated with corruption and oppression versus the shabab al-thaura as symbol for freedom of expression and purity. The appearance of the Salafis as a collective changed the discourse about the role and the limits of Islam in politics. It was demonstrated how different parties referred to these discourses and how they used them to gain acceptance from the people. Raising claims is therefore not only a symbolical struggle of political groups in order to gain acceptance of the people – they change the ways people reflects on their society and consequently how they perceive themselves – this changes not only their decision whom to elect, what and whom to accept, but also influences their all-day routine in dealing with other people.

33 The example of the change in the election law clearly shows that claims can turn into fundamentally important political decisions concerning “legitimacy” itself, when the claim is supported through a discourse that most of the people seem to share, i.e. to accept. There might have been other strategic reasons for the political groups to demand the change of the election law, but by referring to the danger of the fulul, they could successfully enforce their claim. In comparison to most states of Europe, in Egypt

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institutions like the High Court and the institutions that decide over laws also have to raise claims in order to appear legitimate – they actively have to create the fiction of legitimacy. In Europe they only have to keep their status.

34 Focussing on the making of legitimacy from an empirical perspective seems very complex and challenging. In this paper I could provide only a few examples of how parties and groups frame their claims and how they were accepted or negotiated. One could question the representativeness of the given examples, chosen frames and groups. Other important considerations were not discussed, like the ways, how people gain their information that influences their opinions about claims.

35 However, important insights could be won: Firstly, the making of legitimacy turns out to be a highly sensitive, fluid and often paradoxical process. Secondly, by analysing how the discourses or frames of claims change, a deeper understanding of the political culture can be developed. As it is hard to foresee coming events, this understanding seems to be the only ground on which one can make sense of events. It is important to note, that discourses are also influencing the ways, how events are post-rationalized. The first weeks after the parliamentary elections the elections and procedures could be read as a story of success: High turnout of voters, apparently free and fair etc. This presented story of success completely ignores that the day before the elections none knew, if they will take place at all. Thirdly, every group or person, elected or not, can make claims, can gain acceptance and can therefore be political influential.

36 Using an empirical-driven approach entails a danger though: It makes it hard to set up normative standards to which the actual political system can be compared. On the other hand these normative standards were mainly developed in a certain context (mainly Europe) at a certain time in order to foster democratization, since the main question was: How should a democracy look like? Political and cultural conditions were incorporated in these normative theories without explicit reflection on it. In order to enable a more critical perspective on political systems, whether they are considered as democracies or not, theories on political representation now need to focus more on the practices of a state: Informal structures and persons and groups that might not have a position in the democratic system can be very influential even in “modern democracies”.

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NOTES

1. The provided data for this analysis are the result of a field research started in June 2011 and is still ongoing until December 2013. 200 semi-structured, in-depth interviews and discussions lasting from 15 minutes to three hours were conducted mainly in Cairo, Bahariya, Mahalla al-Kubra and Luxor. The interview partners are from various social layers (e.g. students, bedouins) and were chosen along criteria like educated/not- edcuated, male/female, religious/not-religious, Copt/Muslim, city/countryside, supporter of the revolution/supporter of the old system etc.). With 15 fixed persons interviews were conducted several times during the research period. In the paper all names of interview partners are changed. The chosen quotes are representing narratives that appeared in different interviews several times. 2. The Democratic Coalition consisted of groups from different political parties as the Freedom and Justice Party and the liberal Wafd Party. 3. Supreme Council of the Armed Forces, Decree-Law 123/2011 4. like the Democratic Coalition and the Tagammu Party, see: International Foundation for Electoral Systems (IFES) 01.11.2011, p. 3 5. Ahram Daily online 1.10.2011, Egypt military rulers agree to amend election law 6. Ahram Weekly online 13.-10.10.2011, Political row over religious slogans 7. Carter Center 24.01.2012, p.1 8. Aljazeera English online 14.06.2012, Egypt court orders dissolving of parliament 9. Hossam Bahgat, a human rights activist, stated: “Egypt just witnessed the smoothest military coup. We'd be outraged if we weren't so exhausted”. (See: BBC News Middle East online 14.06.2012, In quotes: Egypt court rulings reaction) 10. Hanna Pitkin, who was shaping and influencing theories on political representation over decades, stated in a speech on the occasion of her retirement as professor in 2004: “Like most people even today; I more or less equated democracy with representation or at least with representative government”, 2004, p. 336. 11. Theories that equate political representation and democratic representation usually set up a list of normative criteria in order to assess the democratic stage a political systems is in, like free and fair elections, strong civil society, gender equality and so on. In fact this equation is a very modern phenomenon: “Only in the English Civil War and then in the eighteenth-century democratic revolutions did the two concepts become linked”, Pitkin 2004, p. 335. The theories were developed mainly in Europe in a context of democratization and the main question that people were concerned with was: How should a democracy look like? Consequently, normative

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criteria to measure the democratization process were developed. The crisis of political representation theories then mainly occurred in a context in which more and more non-democratic representative institutions and NGOs appeared in the global field. (Rehfeld 2006, p. 1) Also the building of political supra-institutions within the European Union, which are criticized as not being representative due to the lack of electoral structures and for other reasons, strengthened the doubts about the normative approaches, since they did not include informal structures or the influence of not- elected institutions and organizations. Mair 2010, p. 20-35, Especially the democratic elections of the Hamas in 2006, whose outcome was highly discussed and not accepted from different countries, Bjornlund 2007, p. 122, started a process of rethinking the meaning of legitimate political representation. I would also argue that a trigger for the slow turn from normative driven theories to empirical driven theories was the emerge of self-reflection about the meaning of cultural values, fostered by the discussions after the attacks on the 11th September 2001 in New York and publications like Huntington’s “Clash of Civilizations”. 12. Saward defines a claim as follows: “Some individual or collective agent constructs or makes the claim – a ‘maker’. And the thing represented is an idea of it, not the thing itself, which is better called a ‘referent’ (if the politician makes himself the ‘subject’ who stands for an ‘object,’ the object is his idea of his constituency rather than the referent, which is all the other things the constituency is, or might be). All of this needs, and has, an ‘audience,’ which receives the claims and accepts, rejects, or ignores them”, 2010, p. 36. 13. Schwartz states, that “political representation can be conceived as an ongoing founding, as the constitution of community”, stressing the idea that representation has to be understood as set of practices and events, and not as “making something present” as many theorists have asserted, 1988, p. 53. 14. Rehfeld 2006, p. 2 15. Saward 2010, p. 2 16. Following Max Weber acceptance in this context is understood as ‘will to obey’ “Gehorchen wollen”, see: Weber 1980, p. 122 17. Jadaliyya online 16.11.2011, Egypt Elections Watch: Use with Caution, p. 3 18. Jadaliyya online 16.11.2011, Egypt Elections Watch: Use with Caution, p. 3 19. Forbes online 03.10.2010, The World's Billionaires: #374 Naguib Sawiris 20. Own observations 21. www.emsekflol.com: Youth of 6 April, the Movement to Apprehend the Remnants, the Alliance of Youth of the Revolution, the Movement of Youth for Justice and Freedom, the National Center of Popular Councils; see: Tahrir Documents 02.11.2011, Capture the Remnants: The Black List. 22. Interview conducted on the 19.11.2011 in the museum of Anwar Sadat, Mit Abu al- Kum, Nile Delta 23. A very strong tool from the parties to present themselves a anti-fulul was to claim to represent the shabab al thaura, the youth of the revolution, which is considered as the driving force of the revolution and therefore as being good and pure. Every party stated to have shabab al-thaura amongst their members. This strategy allowed them to incorporate the positive values the shabab al-thaura was associated with.

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24. The Daily Star online 02.10.2011, Egypt parties to review army vote concessions 25. International Foundation for Electoral Systems (IFES) 01.11.2011, p. 3 26. Egypt Independent online 17.06.2012, SCAF expands its power with constitutional amendments 27. Al-Masry al-Youm online 29.07.2011, Tahrir updates: 28 secular parties and coalitions pulling out from square, and: Egypt Independent online 02.08.2011, After show of force, Islamists debate role of religion in politics 28. Several of my informants made exactly the same statement. 29. El-Mahdi, 11.4.2011, Orientalising the Egyptian Uprising 30. Also see: Ahram Daily online 01.11.2011, Reconstructing 's Bloody Sunday: al-Ahram online investigation 31. Al-Masry al-Youm , 06.11.2012, Elections campaigning played out in Eid 32. Reuters 09.10.2011, Egypt generals ban using religious slogans in vote 33. Ahram Weekly online 13.-10.10.2011, Political row over religious slogans 34. Carnegie Endowment for International Peace 21.09.2011, Al-Masriyeen al-Ahrrar, Free Egyptians Party 35. Own observations 36. The interview was conducted at the first day of the parliamentary elections, 28.11.2011, in front of a polling station in Downtown, Cairo. 37. Ahram Daily online18.11.2011, Live Updates: Egypt's 'Friday of One Demand' as it unfold 38. Draft Declaration of the Fundamental Principles for the New Egyptian State, 11.2011 39. Daily News Egypt online18.11.2011, Thousands rally in Tahrir on Friday of 'Protecting Democracy' 40. The Egyptian Gazette online 27.11.2011, Egypt braces for protests on eve of elections 41. Interview was conducted in the afternoon of the 24.11.2011, near Midan al-Tahrir 42. Interview was conducted in the morning of the 24.11.2011, Zamalek 43. Carnegie Endowment for International Peace online 02.11.2011, Istikmal al-Thawra, Completing the Revolution Alliance 44. Al-Masry al-Youm online 25.10.2011, The Revolution Continues Coalition hits the ground running 45. Ahram online 20.11.2011, Several political figures and coalitions boycott campaigning after police crackdown in Tahrir 46. The Daily News Egypt online 25.11.2011, Supporters of Al-Aqsa freedom gather at Azhar 47. Al-Masry al-Youm online 08.12.2012, Egypt's rulers: Parliament won't be representative 48. Egypt Independent online 09.07.2012, Monday's papers: Morsy checkmates SCAF over Parliament 49. Ahram Weekly online 12.-18.06.2012, Inching towards a showdown?

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ABSTRACTS

In times of transformation and extreme fluidity in which the sources of legitimate political representation like elections, constitutions etc. are contested, alternative theoretical understandings of political representation and legitimacy need to be developed in order to explain change. Starting from the assumption that elections are only a snapshot that show acceptance at a certain moment, the article explores the making and the reception of claims during the parliamentary elections 2011/12 in Egypt. The following questions are raised: How can we think about legitimate political representation for a better understanding of the transformation process in Egypt? How can we explain the changes and developments concerning political representation during the parliamentary elections 2011? The provided data are the result of a field research started in December 2010 containing in-depth interviews with a wide range of actors.

À une époque de grandes transformations durant lesquelles les sources habituelles de légitimité telles que les élections, les constitutions, etc. sont contestées, le besoin se fait sentir de développer de nouvelles théories de la représentation politique et de la légitimité pour comprendre et expliquer le changement. Partant du postulat que les élections ne sont qu’un instantané montrant ce qui est accepté à un moment donné, cet article s’intéresse à la formulation et à la réception des revendications pendant les élections législatives égyptiennes de 2011-2012. Les questions suivantes sont examinées : Comment pouvons-nous penser la représentation politique légitime afin de mieux comprendre le processus de transformation en cours en Égypte ? Comment expliquer les changements et les développements concernant la représentation politique durant ces élections ? Les données examinées ont été recueillies durant un travail de terrain débuté en décembre 2010, au cours duquel nous avons réalisé des entretiens approfondis avec une grande variété d’acteurs.

INDEX

Keywords: Legitimacy, Claims, Political Representation, Political Culture, Revolution Mots-clés: légitimité, revendications, représentations politiques, culture politique, révolution

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SARAH WESSEL Sarah Wessel, born 1981 in Speyer, Germany; 2003-2009 Study and graduation in Social Anthropology, Islamic Studies and Political Science at the University of Muenster (Germany); 2005/06 Study and research in Egypt; 2009 Master Thesis on: “The representation of the Egyptian Economy in German Newspapers – an Ethnological Analysis”; Since 2010 PhD student at the University of Hamburg in Political Science; Since June/2011 in Egypt for field work; Associated to the Cairo University; Current title of the PhD: “Political Representation and Legitimacy in Post- revolutionary Egypt”. Sarah Wessel, née en 1981 en Allemagne, prépare une thèse d’anthropologie culturelle à l’université de Hambourg. Elle vit en Égypte depuis décembre 2010 pour réaliser son travail de terrain, dans le cadre de son étude portant sur : « La construction de la légitimité dans l’Égypte post-révolutionnaire : une approche des représentations “par le bas” »

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Discours présidentiels : Une analyse des prestations de trois candidats à la présidentielle sur le plateau d’un talk show

Omneya Nour Eddin Khalifa Traduction : Clément Steuer

1 Cet article examine un échantillon de discours politiques égyptiens, constitué par six épisodes d’un talk show sur le plateau duquel ont été invités l’ensemble des candidats durant l’élection présidentielle de mai-juin 2012. Il essaye de montrer comment ces différents candidats ont présenté et débattu leurs programmes politiques et leurs visions pour réformer le pays. Le talk show analysé s’intitule « L’Égypte élit son président », et a été diffusé sur le canal télévisé CBC, peu avant le premier tour de l’élection qui s’est tenu en mai 2012. Il s’agit d’un programme télévisé se présentant comme un espace d’information et de discussion autour des programmes présidentiels, à destination des électeurs égyptiens. Ces élections – les premières présidentielles organisées depuis la révolution du 25 janvier – ne doivent pas être confondues avec les simulacres de démocratie qui avaient lieu sous l’ancien régime1, en particulier du fait du pluralisme qu’elles ont autorisé. Trois candidats ont été sélectionnés pour cette étude en fonction de leurs résultats au premier tour : il s’agit des trois candidats arrivés en tête, qui représentent trois positions politiques différentes, puisqu’il s’agit de Hamdîn Sabâhî, révolutionnaire, , islamiste, et Ahmad Chafîq, figure de l’ancien régime.

2 Le programme télévisé étudié visait à fournir aux électeurs les moyens d’exercer leur vote de manière éclairée et informée : tous les candidats à la présidentielle ont été invités pour deux épisodes (quatre heures au total) afin de discuter de leurs programmes. Les participants à l’émission étaient tenus de respecter les autres candidats ainsi que les règles d’attribution du temps de parole et de répondre à toutes les questions posées. Les débats ne portaient ni sur des questions personnelles ni sur des scandales, mais se centraient exclusivement sur les programmes électoraux et les

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projets de réformes. Un groupe de partisans du candidat assistait à l’émission dans les studios, mais ne participait pas au débat. La discussion des programmes électoraux était conduite par un panel d’experts dans différents domaines (principalement des professeurs d’université). De leur côté, les téléspectateurs n’étaient pas conviés à participer aux débats, excepté au moyen d’un vote électronique (via SMS ou Facebook) portant sur l’une des questions posées durant l’épisode. Bien que l’on puisse déplorer que des débats similaires ne soient pas conduits hors périodes électorales, ce programme a offert une opportunité d’exercer l’opinion publique à la formulation de programmes de réforme pour un changement national. Selon nous, cette émission a ainsi participé à la construction d’une sphère publique en Égypte, et son étude met en évidence les différences de styles de langage entre les différents candidats.

3 Au Moyen-Orient, la notion de sphère publique est d’un usage malaisé. De fait, elle est souvent employée comme équivalent à celles de société civile et d’espace public2. Comme l’écrit Seteney Shami : « La région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord semble constituer un terrain peu propice à l’étude du concept de sphère publique, ce dernier étant lourdement pollué par les principes normatifs habermasiens de débat critique, de consensus, de raison délibérative et de démocratie bourgeoise... Ainsi, les représentations tant universitaires que médiatiques de la région dépeignent le public uniquement sous les traits de masses passives et pacifiées ou de foules en colère (les premières devenant les secondes de manière inexpliquée) »3. Certes, la libéralisation politique et la diffusion de moyens de communication modernes au Moyen-Orient depuis la fin des années 1990 ont permis la constitution d’un espace de communication électronique transnational relativement ouvert, que certains travaux désignent comme une « nouvelle » sphère publique arabe4. Ainsi, décrivant la sphère publique créée par Al-Jazira, Marc Lynch écrit que la sphère publique arabe pourrait bien devenir l’un des principaux facteurs contribuant à la manière dont les peuples du Moyen-Orient négocieront les changements politiques dans les années à venir5. Cependant, d’autres chercheurs (Hahn 2007) pensent que, du fait de l’autoritarisme de l’État et du conservatisme du public, la sphère publique n’est pas encore parvenue à s’enraciner dans le monde arabe6. De son côté, Salwa Ismail estime que loin d’être neutre, la sphère publique arabe est travaillée par des subjectivités forgées par les rapports de force7. De ce fait, le nouveau paysage médiatique arabe ne pourrait pas être appréhendé comme une sphère publique8. Nous allons voir cependant que le programme télévisé qui fait l’objet de cet article participe à sa manière à la constitution d’une sphère publique égyptienne.

4 Concernant le langage adopté par les candidats à la présidentielle, plusieurs travaux ont souligné que les candidats pouvaient différer fortement sur ce point9. Ainsi, une étude a mis en évidence le fait que les candidats américains concourant pour la présidentielle de 2004 utilisaient différents styles linguistiques10. Une autre a montré que Barack Obama était prudent, proche des faits et très concentré, alors que John McCain usait d’un style plus personnel, plutôt partisan, et avait tendance à enjoliver les faits11. Concernant le cas égyptien, Michele Dunne a conduit une analyse des discours de Hosni Moubarak montrant que ces derniers reflétaient parfaitement le conservatisme des politiques égyptiennes en matière d’ouverture démocratique12. En effet, comme l’a montré Salwa Ismail, les fluctuations du discours politique égyptien (al-hiwâr13) se cristallisent autour des changements survenant dans les structures traditionnelles de la vie politique. Aussi l’ancien régime poursuivait-il une politique de gestion et de contention, bloquant toute initiative politique et édictant les règles du jeu

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au nom de la légalité et au détriment de la légitimité14. Dans le nouveau contexte issu de la révolution du 25 janvier, il devient possible de mettre en évidence les différences entre plusieurs candidats à la présidentielle, représentant divers choix de société pour l’avenir de l’Égypte. Ces différences apparaissent quant au recours à un langage religieux et/ou émotionnel, au rattachement à un courant idéologique, à la façon de s’adresser au public, à la description des programmes électoraux, et à la manière de présenter les opposants politiques. Enfin, il faut noter l’existence de certains points communs entre les trois candidats retenus pour former notre échantillon.

L’utilisation d’un langage religieux et/ou émotionnel

5 L’ensemble du discours de Mohammed Morsi – lié aux Frères musulmans et au parti de la Liberté et de la Justice (PLJ) – était marqué par son appartenance à la mouvance islamiste. Cependant, les deux autres candidats ont eux aussi fait abondamment usage de références islamiques, supposées aptes à créer une connexion avec le public. Ainsi, Hamdîn Sabâhî a commencé son discours par un verset du Coran : « La victoire vient de Dieu », et a tenté de se poser en représentant de l’identité islamique et d’attirer à lui les électeurs sensibles à l’argument religieux : « Avec mon élection, Dieu achèvera le bienfait qu’il a accordé à ce pays avec la révolution. L’Égypte complétera la victoire de la révolution avec ma victoire aux élections présidentielles. Cela sera la victoire de la révolution, et l’Égypte ne cherchera pas à la poursuivre au-delà ». Ahmad Chafîq a essayé lui aussi de se présenter comme un candidat pieux, indiquant que son père l’avait élevé dans la foi musulmane. Il affirma cependant par ailleurs que l’application de la charî‘a n’était pas possible dans l’immédiat.

6 Hamdîn Sabâhî a utilisé un langage très émotionnel dans le but de se mettre en phase avec les citoyens égyptiens ordinaires : « Je salue les citoyens égyptiens... Ceux qui représentent les dirigeants et les éducateurs de la nation (…). Je salue les plus vertueux, ceux qui nous ont permis de participer à ces élections libres : les martyrs de la révolution du 25 janvier, ainsi que leurs familles dignes et courageuses (…). Je me présente au peuple égyptien en tant que citoyen égyptien ordinaire, qui partage les rêves de la population : Pain, liberté, justice sociale et dignité humaine, sans aucune discrimination, sous les auspices d’un État civil, moderne et démocratique, capable de protéger la dignité de tous les Égyptiens et de les rendre fiers de leur pays ».

7 Mohammed Morsi a lui aussi eu recours à un langage très émotionnel afin de mobiliser les électeurs : « Je fais un serment à tous mes très chers citoyens égyptiens, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’Égypte : Je vous servirai toujours, aiderai tous les groupes de travailleurs, de paysans et de professionnels, les hommes et les femmes, les fils et les filles, à accomplir notre projet de Renaissance (…). Je travaillerai jour et nuit pour toutes ces personnes. Je promets de ne plus dormir plus de quatre heures par jours ». Il s’est adressé aux jeunes en disant : « Les jeunes tiennent une grande place dans mon cœur, mes filles et mes fils, la colonne vertébrale de la Renaissance. Je vous rencontrerai en personne, dans toutes les places, les organisations et les universités. Ma porte vous sera toujours ouverte, jour et nuit... Quand quelqu’un me dit qu’il m’aime profondément, je le crois. L’amour est le nom de l’ère à venir au cours de laquelle nous accompliront la Renaissance, que Dieu m’en soit témoin ».

8 Au contraire, Ahmad Chafîq a insisté sur son rôle dans l’armée durant la guerre d’Octobre et sur ses succès dans les différentes fonctions publiques qu’il a assumées. Il

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conclu son intervention avec une courte phrase s’adressant à tous les Égyptiens, sans chercher particulièrement à mobiliser leurs émotions : « À tous les Égyptiens, où qu’ils se trouvent, je demande leur confiance. Je servirai la justice, la sécurité et un développement équilibré. Je promets que l’État sera respectable et j’emploierai mon expérience et tout mon pouvoir au bénéfice de notre très chère Égypte et de ses citoyens, dans l’action et non dans les discours. Que Dieu nous aide ! » Il ne parvint pas à vendre aux Égyptiens un grand projet de développement national, ni a créer un débat public permettant de donner une légitimité à l’ancien régime. Contrairement aux autres candidats, il n’a pas eu recours à des arguments émotionnels en s’adressant aux Égyptiens. Par ailleurs, il n’a pas réussi à cacher le fait que sa longue carrière militaire ne l’avait pas habitué à être à l’aise avec l’idée d’accepter de débattre librement de son programme électoral.

Le rattachement à un courant idéologique

9 Le candidat des Frères musulmans, Mohammed Morsi, s’est dépeint comme un candidat révolutionnaire et a particulièrement insisté sur son projet de Renaissance. Il n’a pas mis en valeur sa carrière personnelle, mais a cherché à faire passer le message selon lequel il est lié à une puissante organisation, le PLJ, et à la longue histoire du mouvement des Frères musulmans. Il n’a pas été présenté une seule fois sous un jour personnel tout au long des deux épisodes du programme qui lui ont été consacrés. Par contre, une collection de clips vidéos a été diffusée durant le show pour présenter les Frères musulmans, ce qui tendait à souligner l’idée selon laquelle Mohammed Morsi représente une organisation.

10 De son côté, Hamdîn Sabâhî se réclamait d’une légitimité issue de sa longue histoire dans l’opposition. Le public s’est ainsi vu rappeler le célèbre débat public qui l’avait opposé au président Sadate lorsqu’il était étudiant, ainsi que les multiples détentions qu’il a subies en tant qu’opposant aux régimes de Sadate puis de Moubarak. Son rôle de député d’opposition a également été souligné, ainsi que ses responsabilités au sein du parti Karâma et du mouvement .

11 Enfin, le général Ahmad Chafîq se prévalait au contraire d’une légitimité héritée de son parcours militaire et des ses réalisations en tant que ministre de l’Aviation civile (il a été notamment fait mention de la reconnaissance internationale dont ont bénéficié ses succès à ce poste). Il a également semblé chercher à légitimer ses aspirations en indiquant qu’il disposait d’un diplôme dans le domaine des études islamiques.

La manière de s’adresser au public

12 Hamdîn Sabâhî s’appuyait beaucoup sur l’idée d’être un homme comme les autres, qui était exprimée par son slogan de campagne15. Il utilisait ainsi le ton de l’empathie, et se présentait comme un adepte du projet national nassérien et de l’esprit qui l’animait. Il s’appuyait essentiellement sur des appels à l’émotion, démontrant qu’il n’était pas corrompu en déclarant publiquement l’état de ses finances personnelles avant de commencer sa campagne présidentielle. Il a également mis en scène son empathie avec les citoyens égyptiens en indiquant qu’il avait souffert d’une infection hépatique et avait été soigné comme n’importe quel égyptien, ce qui lui permettait de comprendre

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les souffrances endurées par le peuple. Enfin, il a souligné le fait que sa campagne était financée par les volontaires qui soutenaient son programme.

13 Le candidat Mohamed Morsi a eu lui aussi recours à des formulations affectives, se dépeignant comme un « paysan ordinaire, issu de la glaise des fermes égyptiennes ». S’il a mentionné le fait qu’il avait étudié aux États-Unis, c’était pour indiquer qu’il avait formulé le projet de Renaissance à cette occasion. Il a utilisé un langage très émotionnel, déclarant notamment : « Je vous prie de lire notre projet, d’essayer de le faire vôtre et de le discuter avec nous. Je souhaite que nous travaillions tous main dans la main pour accomplir ce projet, qui n’appartient pas seulement à une partie de la société ». Son langage corporel était alors très marqué, le candidat saisissant le dossier du projet, et demandant à tous les groupes de la société de l’embrasser.

14 Enfin, Ahmad Chafîq ne s’est pas livré à ces manifestations d’empathie avec le public. Il s’est fortement appuyé sur ses réalisations en tant qu’ancien commis de l’État. Ses discours n’étaient pas aussi éloquents et inspirés que ceux de ses deux concurrents. Cela peut s’expliquer au moins partiellement par son manque d’expérience militante. Il s’est dépeint comme un personne très stricte, insistant sur sa volonté d’appliquer strictement la loi. Il a également avancé l’idée que sa longue carrière militaire lui avait permis de s’assurer une vie confortable, et qu’il ne serait donc pas tenté par la corruption.

La description des programmes électoraux

15 Hamdîn Sabâhî a présenté son programme électoral comme le fruit du travail d’un groupe de scientifiques égyptiens croyant au futur de l’Égypte. Il a appelé à des discussions publiques autour de son projet : « Nous croyons que ce programme est un organisme vivant qui va continuer de croître et de se développer, et de bénéficier de toutes les discussions ouvertes ». Celui-ci prévoyait notamment la mise en place d’un système de sécurité sociale financé par l’argent public, ainsi que la possibilité d’investir librement : « Plus aucun investisseur corrompu ne sera toléré en Égypte » ; « La justice sociale consiste à donner aux Égyptiens les plus pauvres leur part de la richesse nationale ».

16 Le projet de Renaissance16 des Frères musulmans était basé sur l’expérience des islamistes au pouvoir dans plusieurs autres pays. Ce projet prévoyait de réformer différents secteurs, tels que la santé et l’éducation. Il faisait sien le modèle économique néolibéral et ne prévoyait pas de fournir à la population des prestations sociales financées par l’impôt. Dans cette vision, le rôle de l’ État serait d’organiser et superviser les différents secteurs de la société. Le projet était présenté comme le fruit du travail d’une puissante organisation, celle des Frères musulmans, qui avait pour l’occasion réuni un large comité d’experts. Mohamed Morsi présentait ce programme comme « un projet pour tous les Égyptiens », et appelait tous les groupes de la société à débattre à son sujet. Il disait espérer d’avantage de contributions de la part des différents experts présents sur le plateau, même après la fin du show. Il exprimait ainsi une forte croyance dans le succès de ce programme, et dans sa capacité à rassembler une large part des électeurs. Si cette volonté d’ouvrir le débat représente un moyen d’élargir la sphère publique qui doit être encouragé, il ne faut pas oublier que – comme le soulignait notamment Olivier Roy – les islamistes, Frères musulmans et salafistes confondus, ne sont pas connus pour leur attachement à la démocratie, et qu’ils placent

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toujours la religion au cœur de leur agenda17. Or, le moyen par lequel ce projet de réforme serait articulé à la construction d’un État islamique n’a jamais été présenté clairement par ses partisans.

17 Enfin, le projet de réforme présenté par Ahmad Chafîq n’était pas aussi structuré ni débattu que ceux des deux autres candidats. À plusieurs occasions, le groupe d’experts présents sur le plateau a indiqué que certaines sections n’étaient pas clairement formulées, et que si certains problèmes étaient bien mis en évidence, leurs solutions n’apparaissaient pas à la lecture du document. Ce programme était principalement basé sur les principes économiques néolibéraux, avec une « tolérance zéro pour la corruption », le rôle de l’État étant d’organiser et de coordonner les différents secteurs d’activité, mais aussi de protéger les droits des travailleurs. Le candidat a là aussi moins cherché à atteindre affectivement son auditoire que ses deux concurrents, utilisant un langage plus professionnel. Bien que le cœur des réformes économiques présentées dans ce programme ne différait pas substantiellement de celles défendues par Mohamed Morsi, il semble que Ahmad Chafîq ait échoué, au cours de ce show, à créer un débat public autour de son projet, qui aurait permis à son audience de s’y rallier. Contrairement aux deux autres candidats encore, il n’a pas présenté ce programme comme le fruit d’un travail collectif, mais comme le résultat de son expérience personnelle dans différentes charges publiques. Ce projet apparaît ainsi comme un travail individuel, moins sujet à débat que les deux précédents. Cela rappelle l’analyse que Peterson avait formulée au sujet des deux discours entrelacés par les gouvernements de l’ancien régime pour défendre les privatisations et la montée en puissance du capitalisme entrepreneurial. Le premier présentait les entreprises comme un enjeu national, en se concentrant sur les dangers économiques et politiques guettant les pays incapables de demeurer compétitifs sur les marchés internationaux. Le second les présentait comme une opportunité nationale, soulignant que les profits par elles réalisés servaient l’objectif national d’un développement socio-économique durable et profitant à tous18. Cette vision du monde ne parvenait pas à lier le débat à un projet national auquel l’audience aurait pu s’identifier.

La présentation des opposants politiques

18 D’une manière générale, les points négatifs mis en avant par les candidats lorsqu’ils évoquaient leurs concurrents ne relevaient pas des attaques personnelles relatives à de quelconques scandales, permettant ainsi de débattre sainement des problèmes publics19.

19 Les points négatifs mis en avant par les opposants de Hamdîn Sabâhî portaient sur sa santé, ainsi que sur sa carrière professionnelle. En effet, il travaillait comme indépendant dans le domaine du conseil en communication, mais n’avait jamais occupé aucune fonction administrative. Pour sa part, Hamdîn Sabâhî était opposé à l’élection d’un président se réclamant de l’islam politique. Pour lui, les partis politiques islamistes ne sont pas de purs mouvements religieux, et aucun musulman ne devrait se proclamer plus pieux que les autres. Il a également déclaré que si un même parti contrôlait les pouvoirs législatif et exécutif (les Frères musulmans disposaient alors d’une majorité au Parlement), cela créerait les conditions d’une nouvelle dictature.

20 Les autres points négatifs mis en avant pour s’opposer à la candidature de Mohamed Morsi étaient les relations alors entretenues par les Frères musulmans avec les

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partisans de l’ancien régime. En réponse, Mohamed Morsi a admis que les Frères musulmans avaient commis plusieurs erreurs : annoncer qu’ils ne participeraient pas aux élections présidentielles avant de changer d’attitude, et ne pas accorder aux autres forces politiques suffisamment de place dans la commission constituante. Il a également déploré l’incapacité des Frères à faire entendre leurs discours à certains secteurs de la société.

21 Enfin, le principal reproche adressé à Ahmad Chafîq a été sa participation à l’ancien régime. Il a répondu à cela qu’il avait été appelé à devenir premier ministre durant le soulèvement car il représentait le courant réformiste au sein du gouvernement. Il a déclaré qu’il avait pris ses distances avec l’ensemble des groupements partisans afin de mieux servir le pays, et que des forces libérales soutenaient sa candidature. Il a également clairement annoncé que s’il était élu président, il ne pardonnerait pas Hosni Moubarak pour ses crimes. Enfin, il a tenté de justifier ses relations avec l’ancien régime en disant qu’il était au service de l’Égypte, et non d’une personne.

Les vues partagées par les trois candidats

22 Les trois candidats semblaient avoir des visions similaires sur plusieurs questions discutées durant le show, à savoir la politique étrangère, le rôle de l’armée et les droits de l’homme.

23 D’abord en matière de politique étrangère : ils s’accordaient à penser que l’Égypte pourrait jouer un rôle plus important dans la région (Afrique et/ou Moyen-Orient) à condition qu’elle consolide son économie. Ils ont tous exprimé leur objectif de développer des relations plus équilibrées avec les États-Unis. Ils se sont par ailleurs engagés à maintenir des relations diplomatiques avec Israël dans le cadre des accords de Camp David. Enfin, ils ont tous les trois promis de venir en aide au peuple palestinien.

24 Concernant leur position à l’égard du Conseil supérieur des forces armées, les trois candidats ont promis à leurs membres une issue sécurisée, les prémunissant contre toute mise en cause dans les crimes commis avant la révolution, sans doute en rétribution pour leur soutien à ladite révolution. Ils ont également indiqué qu’ils acceptaient que l’armée joue un rôle économique en demeurant impliquée dans l’industrie et les projets de développement.

25 Enfin, les trois candidats se sont engagés à défendre les droits de l’homme. Hamdîn Sabâhî a été le plus ouvert sur cette question, puisqu’il a plaidé pour que tous les secteurs de la société égyptienne soient impliqués dans le processus de rédaction de la Constitution et jouent un rôle dans la vie politique. Le discours de Mohamed Morsi a montré qu’il entendait appliquer les droits de l’homme dans le cadre de la charî‘a : « Le Parlement, après consultation de Al-Azhar, sera responsable de l’application de la charî‘a ». Il a déclaré que certaines questions seraient ré-ouvertes à la discussion par le Parlement, telles que l’excision, l’âge du mariage pour les femmes et la mixité à l’école. Il a affirmé soutenir les droits des femmes et des chrétiens, mais toujours dans le cadre de la charî‘a. Il a également défendu une liberté de la presse « responsable ». Pour sa part, Ahmad Chafîq n’a pas présenté de vision concrète des droits de l’homme, ce qui a été noté par les experts présents sur le plateau : son programme n’évoquait ni les droits des femmes, ni l’art, ni la culture, ni les médias.

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Conclusion

26 Pour Olivier Roy, le Moyen-Orient n’est pas enfermé dans un choix opposant dictature « séculière » et totalitarisme « islamique ». Cet auteur considère que nous assistons aujourd’hui au début d’un processus d’ancrage de la démocratie dans les sociétés arabes20. À son niveau, le talk show étudié ici a essayé de contribuer à l’information des électeurs. Ce programme a invité tous les candidats à la présidentielle, accordant à chacun deux épisodes pour un total de quatre heures de discussion de leurs programmes électoraux. Il a ainsi fourni une occasion unique de discussion publique des plus importantes questions concernant un pays en transition. Des programmes similaires devraient être conduits en dehors des moments électoraux, afin de fournir une plate-forme permettant un débat public sur des questions critiques. Ils pourraient également être organisés pour élargir les discussions entourant la rédaction de la Constitution, ou pour la formulation d’un projet national de réforme.

27 Chaque candidat a essayé de s’adresser à différents secteurs de la société, et de se légitimer aux yeux des électeurs en présentant son parcours (d’opposant, d’islamiste ou d’homme d’État). Si les trois candidats ont montré des divergences importantes sur la question des droits de l’homme, au-delà de leur ralliement de principe à la notion, ils se sont accordés sur le fait que l’armée devait continuer à jouer un rôle important et à jouir de ses privilèges juridiques et économiques. Enfin, ils semblaient tous les trois partager les mêmes orientations en matière de politique étrangère. Les candidats islamistes et révolutionnaires ont davantage fait appel aux émotions des spectateurs, ce qui peut s’expliquer par leur long passé militant. Cela peut sans doute également expliquer les difficultés qu’ont connues les Frères musulmans lorsqu’ils sont parvenus au pouvoir et ont cherché à gérer le pays : leurs dirigeants n’avaient jamais été en charge de hautes fonctions publiques auparavant, et manquaient de l’expérience nécessaire à l’exercice du pouvoir. Bien que montrant un fort attachement à leurs idées, les candidats révolutionnaires et islamistes ont également fait preuve d’une forte volonté d’ouvrir leurs programmes à la discussion. Ce débat public leur a sûrement permis de renforcer la légitimité de leurs projets de développement. Espérons que cette tendance à l’ouverture et au débat se maintienne dans la société. Ahmad Chafîq a échoué sur ce point et s’est montré incapable de faire de son programme une base pour une discussion publique, reflétant ainsi les pratiques habituelles de l’ancien régime.

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NOTES

1. La scène politique égyptienne a en effet été longtemps décrite comme une simple façade pour la démocratie, avec des partis d’opposition dépourvus de tout pouvoir et de toute capacité d’action. Rappelons qu’avant la révolution, les partis politiques autres qu’islamistes se sont montrés incapables de susciter la participation des citoyens, de construire un soutien populaire et de mobiliser une base sociale suffisante pour apparaître comme une alternative crédible. Le cadre légal mis en place par le régime ne les incitait pas à fusionner ou à former des coalitions, ni à faire davantage que de manœuvrer pour obtenir des gains limités et de court terme sous forme de positions électives (Jeremy Jones, Negotiating Change: The New Politics of the Middle East, London, I.B.Tauris & Co. Ltd, 2007, p. 21). Ainsi, rien n’avait vraiment changé au niveau du régime politique depuis le temps du parti unique, l’Union socialiste arabe (Philip Marfleet, “State and Society”, inRabab El Mahdi and Philip Marfleet (eds),Egypt: The Moment of Change , London and New York, Zed Books, 2009, p. 16-17). Notons néanmoins que destalk showstels que Al-Bayt BaytaketMisr El-Nahârdah

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sont apparus sur la télévision nationale égyptienne en 2005, avec des présentateurs tels que Tâmir Amin et Mahmûd Sa ‘ad. Ils critiquaient le régime d’une manière jusqu’alors inédite à la télévision publique. 2. Seteney Shami, Publics, Politics and Participation: Locating the Public Sphere in the Middle East and North Africa, New York, Social Research Council, 2009, p. 29. 3. Ibid., p. 14-15. 4. Cf. Muhammad I. Ayish, “Political communication on Arab world television: Evolving patterns”, Political Communication, vol. 19, 2002, 2008 ; Kai Hafez, “Mass media in the Middle East: Patterns of political and societal change”, in Kai Hafez (ed), Mass media, politics and society in the Middle East, Creskill, NJ, Hampton, 2001 ; Mohammed El-Nawawy and Adel Iskandar, Al-Jazeera: How the Free Arab News Network Scooped the World and Changed the Middle East, Cambridge, Westview Press ,2002 ; William A. Rugh, Arab mass media, Westport, CT, Praeger, 2004 ; Marc Lynch, Voices of the New Arab Public: Iraq, Al Jazeera and Middle East Politics Today, New York, Columbia University Press, 2006 ; Mamoun Fandy, Uncivil war of words: Media and politics in the Arab world, Santa Barbara, CA, Praeger, 2007 ; Erik C. Nisbet and Teresa A. Myers, “Anti-American Sentiment as a Media Effect? Arab Media, Political Identity, and Public Opinion in the Middle East”, Communication Research, vol. 38, n° 5, 2011. 5. M. Lynch, op. cit. 6. Olivier Hahn, “Cultures of TV News Journalism and Prospects for Transnational Public Sphere”, in Naomi Sakr (ed.), Arab Media and Political Renewal: Community, Legitimacy and Public Life, London, I.B. Tauris, 2007. 7. Salwa Ismail, “Islamism, Re-Islamization and the Fashioning of Muslim Selves: Refiguring the Public Sphere”, Muslim World Journal of Human Rights, vol. 4, n° 1, 2007. 8. Mohamed Zayani, “The Challenges and Limits of Universalist Concepts: Problematizing Public Opinion and a Mediated Arab Public Sphere”, Middle East Journal of Culture and Communication, vol. 1, 2008. 9. Cf. Tessa Ditonto “The outsider and the presidency: Framing Clinton and Obama in the 2008 Democratic presidential primary race”, Paper presented at the annual meeting of the Midwest Political Science Association, Chicago, IL, April 2009 ; Adam Eitmann, “Fighting words: How Barack Obama’s campaign uses oratory to trespass on Republican-owned issues”, Paper presented at the annual meeting of the Southern Political Science Association, New Orleans, LA, January 2009 ; Roderick P. Hart and Elvin Lim, “The language of space and time in American politics”, Paper presented at the annual meeting of the American Political Science Association, Chicago, IL, September 2004 ; William L. Benoit, “Topic of Presidential Campaign Discourse and Election Outcome”, Western Journal of Communication 67, 2003 ; W. L. Benoit, “Political Party Affiliation and Presidential Campaign Discourse”, Communication Studies, vol. 52, 2004 ; R. P. Hart, Campaign talk: Why elections are good for us, Princeton, NJ, Princeton University Press 2002 ; Adam F. Simon, The Winning Message: Candidate Behavior, Campaign Discourse, and Democracy, New York, Cambridge University Press, 2002. 10. Richard B. Slatcher, et al., “Winning words: Individual differences in linguistic style among U.S. presidential and vice presidential candidates”, Journal of Research in Personality, vol. 41, 2007. 11. R. P. Hart and Colene J. Lind, “Words and Their Ways in Campaign ’08”, American Behavioral Scientist, vol. 54, n° 4, 2010. Par ailleurs, la campagne de Barack Obama recourrait à une approche rhétorique en deux volets, insistant sur les politiques proposées et les revendications thématiques, tout en minimisant l’importance des sujets plus polémiques (Kevin Coe and Michael Reitzes, “Obama on the Stump: Features and Determinants of a Rhetorical Approach”, Presidential Studies Quarterly, vol. 40, n° 3, 2010). 12. Michele D. Dunne, Democracy in Contemporary Egyptian Political Discourse, Amesterdam/ Philadelphia, John Benjamins Publishing Company, 2003, p. 127.

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13. Hiwâr signifie « dialogue » en arabe, et désigne ici le dialogue entre les différentes forces politiques et le régime. 14. S. Ismail, “State-society relations in Egypt: Restructuring the political”, Arab Studies Quarterly, vol. 17, n° 3, 1995. 15. Wahîd minnâ : « l’un d’entre nous » (NdT). 16. Al-Nahda (NdT). 17. Olivier Roy, “The Transformation of the Arab World”, Journal of Democracy, vol. 23 n° 3, 2012, p. 6. 18. Marc Allen Peterson, Connected in Cairo: Growing up cosmopolitan in the modern Middle East, Indiana, Indiana University Press, 2011, p. 178. 19. Dans le monde moderne, les débats politiques connaissent une augmentation du niveau de négativité (Voir par exemple Luciana Carraro and Luigi Castelli, “The implicit and explicit effects of negative political campaigns: Is the source really blamed?”, Political Psychology, vol. 31, 2010 ; Joel Weinberger and Drew Westen, “RATS, we should have used Clinton: Subliminal priming in political campaigns”, Political Psychology, vol. 29, 2008 ; Richard R. Lau, Lee Sigelman and Ivy Brown Rovner, “The effects of negative political campaigns: A meta-analytic reassessment”, Journal of Politics, vol. 69, 2007 ; Eva Walther, Benjamin Nagengast, and Claudia Trasselli, “Evaluative conditioning in social psychology: Facts and speculations”, Cognition and Emotion, vol. 19, 2005 ; Paul S. Martin, “Inside the black box of negative campaign effects: Three reasons why negative campaigns mobilize”, Political Psychology, vol. 25, 2004 ; Jan De Houwer, Sarah Thomas and Frank Baeyens, “Associative learning of likes and dislikes: A review of 25 years of research on human evaluative conditioning”, Psychological Bulletin, vol. 127, 2001). 20. O. Roy, op. cit., p. 6.

RÉSUMÉS

Cette étude propose une lecture de discours politiques égyptiens, à travers une analyse qualitative de six épisodes du talk show intitulé « L’Égypte élit son président », présentant trois différents candidats à la présidentielle de 2012. L’analyse inclut des éléments de présentation de soi, la discussion des différents programmes de réformes proposés par les candidats, et leurs positions concernant les relations de pouvoir, la politique étrangère, les droits de l’homme et leurs relations avec leurs opposants politiques. Les candidats étudiés ont été retenus pour cette analyse parce qu’ils sont ceux ayant obtenu le plus de voix lors du premier tour de l’élection, et qu’ils représentent trois courants politiques distincts : la révolution, l’islam politique, et l’ancien régime. Les résultats montrent que le candidat islamiste et le candidat révolutionnaire semblent davantage ouverts à la discussion de leur programme. Ils font preuve d’un fort attachement à leurs idées et d’une volonté de débattre, et offrent une présentation systématique de leurs programmes politiques.

This study proposes a reading into Egyptian political discourse, using a qualitative discourse analysis of six episodes of the TV show Egypt Elects the President, presenting three different candidates during the 2012 Egyptian presidential election campaign. The analysis included elements of: self presentation, discussion of proposed reform programs, power relations, foreign policy, human rights and relation with political opponents. Candidates were selected according to highest voting rates and to represent different political stances: Revolutionary, Islamist and

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Former Regime. The results show that Revolutionary and Islamist candidates seemed to be more open for discussion of their programs. They held a strong embrace to their ideas and a strong will for discussion, offering more systematic representation of their electoral programs.

INDEX

Mots-clés : analyse du discours, sphère publique arabe, talk shows, candidats à la présidentielle, élections présidentielles égyptiennes de 2012 Keywords : Discourse Analysis, Arab Public Sphere, TV Talk Shows, Presidential Candidates, Egypt Presidential elections 2012

AUTEURS

OMNEYA NOUR EDDIN KHALIFA Omneya Nour Eddin Khalifa est professeur assistante à l’université Ain Shams, au Caire. Elle a également été post-doctorante à la City University de Londres en 2012. Ses recherches concernent les médias publics, la réforme de la télévision publique et la notion de sphère publique. Elle a également travaillé comme consultante et experte en communication pour plusieurs projets de développement. Omneya Nour Eddin Khalifa is Assistant Professor at Ain Shams University, in Cairo. She also was a Visiting Post-doc researcher at City University in London in 2012. Her research interests involve Public Media, Public TV reform and Public Sphere. She worked also as a Communication Expert and Consultant for several development projects.

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Deuxième partie : Le passage au politique : succès et échecs d'une politisation de la société civile

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Le parti Nûr dans les élections parlementaires de 2011-2012

Alaa Al-Din Arafat Traduction : Clément Steuer

1 La révolution de 2011 a représenté pour les mouvements salafistes une occasion d’investir la scène politique égyptienne. Auparavant, la plupart d’entre eux étaient opposés à toute participation directe au jeu politique, même si certaines écoles salafistes affichaient une position plus nuancée sur ce sujet. Le rôle politique des salafistes après la révolution peut essentiellement être appréhendé à travers la construction expresse de leurs partis politiques et leur participation réussie aux élections parlementaires, en coordination avec les autres partis islamistes, et en particulier celui des Frères musulmans, le parti de la Liberté et de la Justice (PLJ). Pour comprendre le succès spectaculaire remporté par le parti Nûr lors de ces élections, il convient d’abord de revenir sur le rôle que les salafistes ont joué dans la révolution, avant de nous intéresser à la construction de ce parti et à la manière dont il a géré sa campagne électorale.

Les salafistes et la révolution de 2011

2 La plupart des salafistes ont évité de se joindre au mouvement durant la révolution, principalement par peur de la répression. Cependant, leur position à l’égard de ces manifestations variait d’une école à l’autre, et opposait également vieille garde et nouvelle génération. Trois éléments sont de nature à éclairer la timidité des salafistes à l’égard du processus révolutionnaire. Premièrement, beaucoup de prêcheurs salafistes pensent qu’ils ne doivent pas s’opposer publiquement au pouvoir, afin de ne pas porter atteinte à l’unité et à la cohérence de la nation islamique (Umma). De manière générale, les cercles salafistes égyptiens ont toujours été divisés sur le degré de l’allégeance due par les musulmans à leurs dirigeants. Un des principaux leaders salafistes nous déclarait ainsi : « Nous avons pensé tout au long des dix dernières années que le bon musulman devait obéir à ses dirigeants. Dieu changera notre régime si nous commençons nous-mêmes par changer. Si nous nous opposons au pouvoir, l’Égypte

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pourrait souffrir d’une guerre civile, ce qui serait une catastrophe ! »1 En conséquence, comme l’écrit Richard Gauvain, « c’est une sérieuse erreur que de les décrire comme des amis du régime. La vaste majorité des salafistes évitaient traditionnellement de critiquer le gouvernement de Moubarak, car faire autrement aurait pu conduire à la guerre civile »2. Deuxièmement, certains salafistes s’inquiètent des conséquences possibles d’une participation à la révolution, en particulier dans le cas où celle-ci échouerait. Ils ont le sentiment que le régime les punirait alors en s’attaquant à leurs organisations caritatives et religieuses3. Troisièmement, certains salafistes défendent ce qu’ils ont appelé « l’initiative salafiste pour la réforme », qui définit leur position politique. Le projet de réforme présenté en 2009 par le sheikh Sa‘îd ‘Abd Al-‘Azîm, de l’école salafiste d’Alexandrie4, est un exemple typique de cette initiative5. Dans ce texte, ‘Abd Al-‘Azîm proclame que son école n’est pas hostile à l’idée d’une succession héréditaire au profit de Gamâl Moubarak. Il y rejette par ailleurs les idées d’alternance et de démocratie. Le sheikh Yâsir Burhâmî exprime la même position en appelant ses partisans à ne pas s’impliquer en politique, car dans un contexte d’asymétrie des forces en présence, une telle participation forcerait les salafistes à établir des compromis sur leurs principes. Ainsi, si le contexte politique était amené à changer, les salafistes pourraient participer à la vie politique sans compromettre leurs principes6, à la seule condition que des fatwas appropriées viennent légaliser cette participation.

3 En fait, il est possible de classer les positions adoptées par les salafistes envers la révolution de 2011 en trois catégories. Le premier groupe, conduit par les sheikhs Mahmûd Al-Misrî, Mustafâ Al-‘Adawî et Muhammad Husaîn Ya‘qûb, s’est opposé à la révolution, tout comme l’association Ansâr Al-Sunna7. Le deuxième groupe a adopté une attitude ambigüe, hésitant dans son positionnement à l’égard la révolution, et évoluant au rythme des modifications des rapports de force sur le terrain. Le troisième groupe, qui a soutenu la révolution, inclut certains des plus importants leaders salafistes tels que Muhammad Hasan.

4 Concernant le premier groupe, notons que les porte-parole d’Ansâr Al-Sunna – la plus puissante organisation salafiste en Égypte – ont dénoncé le soulèvement. Mustafâ Al-‘ Adawî, par exemple, a listé plusieurs raisons de ne pas participer aux manifestations : leurs revendications sont matérielles, et non religieuses ; elles ne prennent pas pour modèle le comportement du Prophète ; elles sont fondamentalement immorales à cause de la fraternisation (ikhtilât) entre les hommes et les femmes, sur la place Tahrîr et ailleurs. Un autre sheikh salafiste populaire, Muhammad Husaîn Ya‘qûb, a ordonné à ses partisans de rester dans les mosquées ou de prier à leur domicile. Concernant le second groupe, si Yâsir Burhâmî, de l’école salafiste d’Alexandrie, a pris position contre l’insurrection8, la jeune génération de cette école a de son côté pris part aux manifestations. Enfin, il faut compter dans les rangs du troisième groupe certains salafistes qutbistes, en particulier parmi les membres de l’école salafiste du Caire9. Dans les quartiers populaires de Chubrâ et Imbâba, par exemple, des sheikhs salafistes prétendent avoir prêché durant le soulèvement dans des mosquées locales dont l’entrée leur est en temps normal interdite, et y avoir donné des sermons encourageant les jeunes à prendre part à l’insurrection. Cela aurait d’ailleurs provoqué de furieux échanges avec les représentants de Ansâr Al-Sunna présents dans le voisinage. Enfin, il faut compter parmi les membres de ce troisième groupe l’un des plus célèbres sheikhs salafistes du pays, Muhammad Hasan. Bien que ce dernier, contrairement à Al- Qaradâwî, n’ait pas explicitement appelé au jihad pour renverser le régime, il a

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publiquement exprimé sa sympathie pour la cause des manifestants, et a exhorté le gouvernement à ne pas réprimer les manifestations10.

5 Par ailleurs, de nombreux salafistes ont rejoint les manifestants, comme on peut aisément le constater sur les photos et vidéos des événements de la place Tahrîr, où les salafistes sont aisément reconnaissables avec leurs longues barbes et leurs slogans religieux (Il y avait même un groupe de jeunes femmes salafistes manifestant sur la place). J’y ai moi-même passé de longs moments à discuter avec des amis salafistes au sujet de la forme qu’ils souhaitaient voir prendre à l’État après le départ de Moubarak. En outre, l’école salafiste du Caire a soutenu la révolution depuis le commencement. Son père spirituel, le sheikh Muhammad ‘Abd Al-Maksûd, a appelé les salafistes – femmes comprises – à participer aux manifestations opposées au régime despotique de Hosni Moubarak. Il a été le seul parmi les leaders salafistes de premier plan à apparaître sur la place dès le 29 janvier. Cette apparition a comme il se doit enflammé ses partisans, qui se sont rendus toujours plus nombreux sur la place lors des jours qui ont suivi. De jeunes salafistes extérieurs à l’école du Caire ont eux aussi commencé à manifester à cette occasion11, et l’on peut dire que l’attitude de Muhammad ‘Abd Al- Maksûd a forcé l’école d’Alexandrie à changer d’attitude. Cette dernière a donc finalement participé à sa manière à la révolution, notamment en appelant à la formation de comités populaires12, en particulier à Alexandrie et Kafr El-Sheikh. Ses membres ont également collaboré avec l’armée pour protéger des bâtiments publics et des propriétés appartenant à des chrétiens. Cette école ne s’est cependant jamais ralliée ouvertement à la révolution, ce qui lui a fait perdre le contrôle d’une partie de la jeunesse salafiste, et a fait apparaître des contradictions au sommet de l’organisation : alors que Al-Muqdim soutenait la participation de l’école d’Alexandrie à la révolution, Burhâmî s’y opposait et niait tout désir des salafistes de s’impliquer dans les événements. Cependant, dans les semaines et les mois qui ont suivi la révolution, les salafistes se sont totalement investis dans l’arène politique, et ont fondé trois importants partis salafistes.

La fondation du parti Nûr

6 On peut distinguer trois positions parmi les salafistes concernant la participation à la vie politique égyptienne post-Moubarak. La première consiste à rejeter toute idée de participation en raison du manque de culture et de compétence politiques des salafistes. La seconde vise à profiter de l’ouverture de la scène politique égyptienne en créant des partis politiques salafistes. Cependant, les tenants de cette position tiennent à séparer nettement la prédication de la politique afin de pas répéter les erreurs des Frères musulmans. En conséquence les cadres du parti doivent selon eux être formés pour devenir de véritables professionnels de la politique. Enfin, il existe une position médiane, approuvant l’idée de participer à la vie politique, mais considérant que les mouvements salafistes ont besoin d’une période de transition le temps de former leurs cadres, de consolider leur organisation et d’élargir leur base électorale. Durant cette période, les salafistes devraient jouer le rôle d’un groupe d’intérêt à travers des actions de lobbying13.

7 Une semaine seulement après la démission de Moubarak, la Prédication salafiste a commencé à tenir des conférences et des meetings pour discuter de la question de la participation des salafistes à la vie politique. Le premier de ces meetings a été organisé

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dans leur bastion de Marsa Matrouh, mais le plus important a eu lieu à Mansoura, le 18 février 2011. Cette rencontre a ouvert la voie à la création de partis salafistes. À cette occasion, Muhamad Hasan a demandé aux salafistes de revoir leur position concernant le boycott des élections et des manifestations, d’envisager de participer à la vie politique, et de présenter des candidats aux élections législatives et présidentielles. À la suite de ce meeting, quatre partis salafistes ont été créés en quelques mois : Al-Nûr (la Lumière), Al-Fadîla (la Vertu)14, Al-Asâla (l’Authenticité)15 et le parti de la Construction et du Développement.

8 Le parti Nûr est une émanation directe de la Prédication salafiste, basée à Alexandrie. Il est dirigé par des prêcheurs et des intellectuels salafistes, tels que son président ‘Imâd ‘ Abd Al-Ghafûr16 et son parrain intellectuel Yâsir Husaîn Burhâmî 17. Le parti a été officiellement reconnu par la commission des partis le 12 juin 2011, une semaine après la création du PLJ, branche politique des Frères musulmans. Al-Nûr dispose de 40 sections dans la seule ville d’Alexandrie, 30 à Damiette, 20 à Giza, et au moins une dans chacun des autres gouvernorats. Bien que ‘Abd Al-Ghafûr affirme que les finances du parti proviennent uniquement des cotisations de ses membres, beaucoup pensent qu’il reçoit des subsides de certains États du Golfe18.

9 Le programme du parti19 inclut huit chapitres consacrés respectivement à la culture et l’identité, la politique, l’économie, la santé, l’éducation, la politique étrangère, la sécurité et enfin les politiques sociales. Il appelle à construire un État moderne basé sur le respect des droits et la coexistence pacifique de tous les citoyens. Il revendique la liberté d’expression, l’indépendance de la justice, la liberté de créer des partis et le renforcement de l’administration locale. Il rejette aussi bien l’idée d’un État théocratique que celui d’un État hostile à la religion, étranger aux racines et à l’identité culturelle du pays. La démocratie doit être établie dans le cadre de la charî‘a, et l’alternance du pouvoir doit être assurée par le moyen d’élections libres et honnêtes. Cependant, ce programme appelle à l’implémentation des hudûd (châtiments corporels) dans le code pénal (ce à quoi s’oppose le parti Fadîla), et à la limitation de la liberté d’expression selon les règles de la charî‘a20. Concernant le domaine des relations internationales, le parti soutient une politique étrangère basée sur le respect mutuel, des relations équilibrées et la coexistence pacifique. Il rejette la notion de choc des civilisation et appelle à la criminalisation de la violation des droits d’autrui par la force. Si le programme du parti évite de mentionner Israël, il affirme sa volonté de respecter les traités et conventions signés par l’Égypte. Ce document insiste également sur l’idée que c’est la science, et non pas le sécularisme, qui est la clef de la modernité. La plateforme économique du parti se réclame des principes islamiques de la zakât, des waqfs et de la finance islamique, qui prohibe l’usure. Le programme du parti prévoit par ailleurs l’établissement d’un salaire minimum, d’un système de protection sociale universel, et d’un droit à l’éducation pour tous. Il appelle à l’augmentation du commerce avec les pays arabes, à la régulation des marchés, au développement des infrastructures, mais n’évoque pas la question des impôts.

10 Il existe en fait trois motivations derrière la création de partis politiques par les organisations salafistes. La première est que les salafistes désirent être représentés au Parlement. Comme le dit ‘Imâd ‘Abd Al-Ghafûr : « Nous voyons qu’une large fraction du peuple égyptien embrasse les idées des courants islamistes et salafistes. Ces individus méritent d’avoir quelqu’un au Parlement pour représenter leurs intérêts »21. La seconde motivation à établir de tels partis est la crainte des salafistes envers une potentielle

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répression les visant spécifiquement au lendemain des élections législatives et présidentielles, en particulier dans l’hypothèse où des forces libérales ou séculières accéderaient au pouvoir. Ainsi, l’établissement de partis salafistes a pu être considéré par ses promoteurs comme un moyen de défendre le mouvement et son existence22. Enfin, la dernière motivation derrière la création de partis salafistes est la volonté de conserver l’article 2 de la Constitution23 et de défendre le caractère islamique de l’État. Ceci m’a été confirmé par l’un des principaux dirigeants salafistes, qui m’a déclaré : « Nous sommes en principe opposés à la création de partis politiques, mais nous allons en créer un afin de maintenir l’article 2 de le Constitution intact et de protéger le caractère islamique de l’État. Nous sommes contraints d’avoir un parti, malgré nos propres désirs »24.

Le parti Nûr et les élections législatives de 2011-2012

11 Si les partis islamistes se sont précipités pour participer aux élections parlementaires de 2012, c’est avant tout parce qu’il s’agissait d’élire un Parlement chargé de rédiger la Constitution du pays. De son côté, le PLJ a créé, en juin 2011, une alliance électorale baptisée la Coalition démocratique, rassemblant plusieurs partis de toutes tendances idéologiques. La plupart de ces partis – dont Al-Nûr et Al-Asâla – ont quitté la coalition au prétexte que le PLJ ne leur laissait pas suffisamment de sièges sur ses listes de candidats25. Un Bloc islamiste fut alors créé, regroupant le parti Nûr, le parti de la Construction et du Développement, et le parti Asâla. À lui seul, le parti Nûr a fourni 610 candidats à cette coalition (477 pour l’Assemblée du peuple et 133 pour l’Assemblée consultative), soit plus de 85 % du total. Pour leurs parts, le parti de la Construction et du Développement et Al-Asâla n’ont concouru respectivement que pour 45 et 40 sièges. Étant donné le fort ancrage populaire du parti Nûr à Alexandrie, le parti Asâla prit la décision de lui laisser la totalité des sièges dans ce gouvernorat. La plupart des candidats de ce parti – y compris son leader ‘Âdil ‘Afîfî – se présentèrent dans la région du Caire.

12 L’annonce, par le Bloc islamiste, de sa volonté d’investir soixante femmes pour candidater à ces élections a fait l’objet d’âpres controverses, car de nombreux salafistes sont opposés au droit de vote des femmes, sans même parler de leur droit à se porter candidates. Le leader du parti Nûr, ‘Imâd ‘Abd Al-Ghafûr, rappela alors que l’un des principes fondateurs du parti est la condamnation de la mixité sexuelle, et que la décision de présenter des candidates a été rendue nécessaire uniquement par la loi électorale qui avait imposé un quota de femmes pour les sièges attribués au scrutin proportionnel. Il souligna également que les candidates du Bloc islamiste avaient été cantonnées aux dernières positions sur ces listes, et avaient en conséquence très peu de chances d’accéder à la députation.

Le programme électoral

13 Le programme électoral du parti insiste en particulier sur la nécessité de préserver l’identité de la nation en maintenant l’article 2 de la Constitution, et de rendre ce dernier effectif en implémentant la charî‘a dans le droit positif, de manière progressive et en respectant la nature du peuple égyptien. Il est ainsi prévu de mettre en place une législation destinée à encourager les banques islamiques et les prêts sans intérêts,

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notamment en faveur des dirigeants de PME. Ce programme prévoit également le renforcement du rôle d’Al-Azhar et la désignation de son sheikh par élection, et non plus par nomination. Il comporte par ailleurs des dispositions visant à combattre l’analphabétisme et à défendre la langue arabe. En outre ce document préconise de garantir la liberté d’expression, à l’exception des atteintes à Dieu et aux lois islamiques. Concernant le tourisme, le programme du parti vise à le rendre compatible avec la charî‘a, notamment en interdisant la mixité sexuelle sur les plages. Il prévoit également d’encourager le développement du tourisme médical26.

14 Dans le domaine de la politique étrangère, ce programme prône le soutien au projet d’un marché unique arabe, considère la cause palestinienne comme partie intégrante de l’influence stratégique de l’Égypte, et appelle à respecter les traités signés par l’ancien régime, tout en se réservant le droit d’en réviser les clauses considérées comme injustes (notamment les accords sur l’exportation de gaz en direction d’Israël). Le programme prévoit également le renforcement des liens avec l’ensemble des pays africains considérés comme représentant une profondeur stratégique pour l’Égypte, et préconise la substitution des importations européennes par leur équivalent africain. Il encourage par ailleurs le développement des investissements au Soudan, en particulier dans le domaine agricole. Enfin, il prévoit le renforcement des relations avec les pays du bassin du Nil, afin de parvenir à une solution équitable pour la question des eaux du fleuve27.

15 Le volet économique de ce programme vise à améliorer l’efficacité de l’économie égyptienne en adoptant des lois favorisant l’investissement et en créant une organisation destinée à soutenir les PME et à éliminer les charges administratives qui pèsent sur elles. Il appelle également à soutenir le développement durable, et à décourager la corruption, notamment par l’adoption de lois anti-monopole28.

La sélection des candidats

16 De manière générale, les salafistes ont adopté des critères extrêmement sophistiqués pour choisir leurs candidats aux élections de 2011-2012. Pour commencer, ils ont étudié chaque circonscription électorale, identifiant quelles sont les mosquées salafistes et lesquelles ne le sont pas, avec l’idée de coopérer avec ces dernières au cours de la campagne. Ils ont conduit des sondages d’opinion au niveau de chaque circonscription afin d’identifier leurs problèmes spécifiques. Ils ont également divisé chaque zone électorale en fonction du niveau de vie des habitants de chaque quartier, et en appliquant d’autres critères, tels que l’implantation des grandes familles et l’étendue de leur zone d’influence (en particulier en Haute Égypte et dans les campagnes), ainsi que l’identification des quartiers comportant une forte concentration de professions intellectuelles. Ils ont enfin cherché à se rallier ceux des salafistes qui refusent par principe de joindre les partis politiques, en leur demandant de participer à leur campagne électorale en tant que simples volontaires.

17 Afin d’éviter les conflits entre les différents candidats islamistes, ils ont choisi leurs candidats en fonction de leur poids réel dans leur circonscription. Selon Târiq Al- Zumir, membre du conseil consultatif du groupe islamique, trois corps consultatifs islamiques ont mené un calcul dans chacune des circonscriptions, afin de déterminer qui était le candidat ayant le plus de chance de l’emporter parmi ceux proposés par les trois partis du Bloc salafiste, mais également par le PLJ. Ainsi, dans la circonscription de

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Al-Matariya, il y a eu une importante compétition opposant trois candidats islamistes, jusqu’à ce que plusieurs sheikhs et personnalités locales interviennent pour arbitrer, conduisant deux des candidats potentiels à se retirer au profit du troisième29.

18 Il est important de noter que le PLJ et le parti Nûr ont choisi certains de leurs candidats en raison de leur appartenance tribale, en particulier au profit de la tribu Al-Ja‘afar du gouvernorat d’Assouan. Le parti Nûr, par exemple, a sélectionné les candidats du Bloc islamiste parmi les différents clans de cette tribu, plaçant ainsi Mûsa Ahmad Yûnis en tête de sa liste, « exactement comme le faisait le PND auparavant »30. Le parti Nûr a ainsi su non seulement éviter les conflits entre ses membres, mais aussi ouvrir ses listes au bénéfice des grandes familles et des tribus. Dans cet objectif, le parti a créé un collège électoral chargé de désigner les candidats. Ce collège rassemblait entre sept et onze membres dans chaque gouvernorat. Le parti Nûr a ensuite fait savoir sur sa page Facebook qu’il accepterait les candidatures de toute personne partageant la vision et les objectifs du parti. Enfin, les membres des collèges électoraux ont conduit des élections internes afin de sélectionner les candidats les plus appropriés31.

La campagne électorale

19 La campagne électorale constitue la pierre angulaire du processus électoral et du succès ou de l’échec des partis politiques. Elle est constituée de plusieurs activités visant à obtenir le maximum de soutiens dans une circonscription donnée. Une des activités de campagne les plus importantes est celle consistant à élaborer des slogans définissant l’identité et le programme du parti, et démontrant sa capacité à se faire l’écho des attentes de la population. Or, le haut conseil électoral avait interdit l’usage de slogans religieux dans la campagne électorale, afin de ne pas mettre en péril l’unité nationale. Il a également défendu de faire campagne dans les mosquées, les universités ou les écoles. Malgré ces interdictions, il est avéré que le parti Nûr a fait un usage massif des symboles religieux dans sa campagne, tout en exhortant les électeurs à voter en faveur d’un « candidat musulman ». Il a également fait un usage direct et indirect des mosquées, notamment durant l’Aïd, où elles ont servi à distribuer des cadeaux aux électeurs, en même temps que du matériel de campagne en faveur du parti et de ses candidats. Les militants d’Al-Nûr ont également distribué massivement des tracts et des brochures comportant des symboles et des arguments religieux. Leur interprétation de la charî‘a interdisant aux salafistes d’afficher des photos de femmes, le visage de leurs candidates – sur leurs tracts et leurs affiches – était remplacé par une rose ou par le logo du parti.

20 Les salafistes ont également eu recours à des clips vidéos dans leur campagne électorale, ainsi qu’à Internet – et en particulier à Facebook – afin de séduire l’électorat le plus jeune. Le parti Nûr a par ailleurs organisé des meetings électoraux et des marches. Ainsi, le parti organisa en juillet 2011 une série de trois conférences visant à faire connaître son programme. La première se tint à Minûfiya, devant une assemblée de plus de 5 000 salafistes. Yâsir Burhâmî, vice-président de la Prédication salafiste, y expliqua que la divergence les opposant aux libéraux tenait au refus manifesté par ces derniers d’appliquer la charî‘a. Dans le gouvernorat de la Nouvelle Vallée, plus de 300 membres de la Prédication salafiste assistèrent au congrès fondateur du parti. Enfin, Al- Nûr organisa à Alexandrie une conférence intitulée : « La révolution économique égyptienne est rationnelle ». Ses organisateurs exhortèrent les participants à fonder la

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première Chambre islamique de commerce, et annoncèrent l’inauguration d’une commission économique visant à réunir le capital nécessaire à la formation de cette Chambre. Plus tard, au début du mois de décembre, le parti Nûr organisa une conférence à Assouan pour évoquer la question du tourisme, sous la présidence de l’un des porte-parole du parti, Nâdir Bakkar, et d’un représentant de la Chambre du tourisme. Par ailleurs, le parti Nûr a organisé sa première conférence sur la question du rôle des femmes en politique, afin de faire cesser les critiques concernant sa position sur le sujet. Durant cette conférence, intitulée « Le rôle des femmes dans la vie politique égyptienne », Yâsir Burhâmî a déclaré que la fonction de député est réservée aux hommes, et que l’accession d’une femme à un tel poste est contraire à la charî‘a. Il a néanmoins ajouté que la présence de « femmes musulmanes » à l’Assemblée était un moindre mal, toujours préférable à l’abandon de leurs sièges à des députés non- islamistes.

21 Les salafistes ont également eu recours à des fatwas délivrées par leurs sheikhs les plus influents, notamment pour établir que le vote en faveur de candidats non-salafistes était un pêché dont l’électeur devrait répondre après sa mort. Le parti Nûr a d’ailleurs régulièrement invité des prêcheurs salafistes parmi les plus populaires pour prendre la parole dans ses meetings électoraux et ses conférences. Ainsi, le sheikh Muhammad Hasan a été invité à s’exprimer lors d’une conférence du parti organisée dans le stade de Sohag devant plus de 10 000 spectateurs. Afin de faire démonstration de sa coordination avec les Frères musulmans, le parti Nûr a par ailleurs invité certains des membres dirigeants du PLJ, tels que Muhammad Al-Baltâgî, dans ses événements électoraux. Plusieurs candidats du parti Nûr utilisèrent également des personnalités d’Al-Azhar, et posèrent avec le costume de l’institution sur les photographies illustrant leur matériel de campagne.

22 Enfin, le parti Nûr n’a pas hésité à s’en prendre à la réputation de ses adversaires, en particulier libéraux, en les décrivant comme des incroyants. Les sheikhs salafistes ont ainsi mené dans leurs discours de nombreuses charges contre l’élite égyptienne sécularisée, dépeinte comme condescendante et méprisante à l’égard du peuple et des valeurs de l’islam : « Ils pensent que ce sont eux, et eux seuls, qui peuvent nous représenter et parler en notre nom, déclare le sheikh Cha‘abân Darwîch. Ils ne sont pas venus dans nos rues, n’ont pas vécu dans nos villages, n’ont pas marché dans nos hameaux, n’ont pas porté nos vêtements, n’ont pas mangé notre pain, n’ont pas bu notre eau polluée, n’ont pas vécu dans les caniveaux où nous vivons et n’ont pas expérimenté la vie de misère et de labeur du peuple. Frères ! Les salafistes, les dirigeants du parti Nûr, ont toujours appartenu à la majorité silencieuse »32.

La gestion de la compétition entre candidats islamistes

23 Le parti Nûr et le PLJ ont veillé à minimiser la compétition entre leurs candidats respectifs en établissant une coordination électorale à cet effet, en particulier pour les sièges attribués au scrutin individuel. Les partis salafistes et le PLJ se sont ainsi mis d’accord sur un « code déontologique » auquel tous leurs candidats devaient souscrire. Ce code avait été rédigé par l’organisation de la loi islamique pour les droits et la réforme (OLIDR), qui regroupe des universitaires azharites et des dirigeants salafistes tels que Abû Ishâq Al-Huwînî, Târiq Al-Zumir (Al-Gamâ‘a Al-Islamiya), Muhammad Hichâm Râghib (Al-Tablîgh wal-Da‘wa) et plus récemment Khairat Al-Châtir (Frères musulmans). Le parti Wasat33 et le parti de la Libération égyptienne (soufi)34 n’ont pas

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pris part à cet accord. D’après Yâsir Burhâmî, les circonscriptions électorales ont été réparties entre les partis salafistes et plusieurs candidats salafistes indépendants. La direction des Frères musulmans était alors informée de ces arrangements afin de désamorcer de potentiels conflits et d’éviter de présenter plus d’un candidat islamiste par circonscription, pour ne pas diviser le vote en faveur de l’islam politique. L’OLIDR a par ailleurs créé un comité juridique chargé de s’assurer que les candidats allaient agir en conformité avec les lois encadrant les élections. Ce comité était également chargé d’arbitrer les conflits entre les parties prenantes35.

24 L’OLIDR a légitimé son « code déontologique » à grand renfort de fatwas. Elle a également décrété que l’achat et la vente de votes étaient un pêché, une trahison, et une falsification de la volonté populaire, et qu’accepter de l’argent en échange de sa voix était de la corruption. Lors d’une conférence très suivie, l’OLIDR rendit publiques d’autres interdictions, mettant en garde contre le recours aux rumeurs et aux mensonges. Elle souligna également le besoin de coordination entre les candidats islamistes et appela les candidats indépendants à se retirer de la course dans toutes les circonscriptions dans lesquelles il y aurait plus d’un candidat islamiste36. « Pour cette raison, déclare Nâdir Bakkar, un comité a été formé par le PLJ, le parti Nûr et l’OLIDR afin de convaincre les candidats ayant de faibles chances de remporter des sièges de se désister en faveur des candidats islamistes les mieux placés, dans le but de permettre au plus grand nombre possible d’islamistes de siéger au Parlement et de rédiger une Constitution reflétant l’identité de l’État. Cependant, l’OLIDR a échoué à maintenir une telle coordination entre le PLJ et le parti Nûr concernant la répartition des sièges individuels. La principale raison de cet échec est le refus du PLJ de retirer ses candidats en faveur du parti Nûr. Le parti décida alors de lui rendre la pareille et de ne renoncer à aucun siège en faveur du PLJ »37.

25 Malgré tout, les deux parties ont respecté le « code déontologique » tant qu’il leur permettait de défendre leurs intérêts, et l’ont ignoré uniquement dans le cas contraire. La bataille électorale opposant le parti Nûr au PLJ oscilla en conséquence entre coordination et compétition. Bakkar admet ainsi volontiers que son parti a abandonné la circonscription de Al-Raml au candidat des Frères musulmans Subhî Sâlih38. Le parti Nûr s’est également retiré de la course pour le siège fi’ât en jeu à Port Saïd, laissant la circonscription au candidat du PLJ Akram Al-Châ‘ir, l’idée étant de ne pas risquer de fragmenter le vote islamiste face à un candidat libéral d’envergure nationale, George Ishâq39. En outre, le secrétaire général du parti Nûr de Gharbiya m’a confirmé que le parti avait décidé de ne pas présenter de candidat sur le siège « ouvriers et paysans » de la circonscription de Tanta, au profit du sheikh Al-Sayyid ‘Askar40. La coordination entre les mouvements islamistes a néanmoins généralement échoué, notamment dans le gouvernorat d’Alexandrie41, bastion de la Prédication salafiste. Dans de nombreuses circonscriptions à travers l’Égypte, le principal concurrent du PLJ fut le Bloc islamiste, représenté par le parti Nûr : citons les circonscriptions de Al-Duqqî et Imbâba42 à Giza, la circonscription du 6 Octobre43, celle de ‘Aîn Chams et Al-Matariya44, ainsi que Nasr City45. De nombreux exemples de cet affrontement opposant les deux principales forces islamistes peuvent également être relevés dans le Delta46 ainsi qu’en Haute Égypte47.

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Conclusion

26 Si le succès des Frères musulmans lors des élections parlementaires de 2011-2012 n’a surpris personne, il est clair que le poids électoral des salafistes avait été largement sous-estimé. Alors que ‘Abd Al-Ghafûr lui-même s’attendait à ce que son parti obtienne de 10 à 15 % des sièges à l’Assemblée du peuple48, il en a finalement conquis 122 sur 498, soit près de 25 %. La plupart de ces sièges ont été remportés au scrutin de liste, dans des zones traditionnellement considérées comme des bastions salafistes, telles qu’Alexandrie, le Caire, Kafr El-Sheikh et Damiette. Inversement, les salafistes n’ont pas remporté beaucoup de sièges individuels, surtout si l’on compare leur performance à celle du PLJ en la matière.

27 La rapide ascension du parti Nûr a produit une véritable onde de choc, dans un pays où la minorité chrétienne représente plus de 10 % de la population. Mais les citoyens coptes ne sont pas les seuls à s’inquiéter du succès électoral des salafistes. Beaucoup de membres des classes moyennes et supérieures, bien que musulmans, perçoivent le rigorisme salafiste comme une menace pour leur mode de vie et leurs libertés individuelles. Cependant, contrairement à beaucoup de politistes qui accueillent ces résultats avec inquiétude, je suis d’avis que la libre expression de leurs opinions par les salafistes contribuera à limiter la diffusion de leurs idées, car contrairement aux Frères musulmans, ils ne cachent pas leurs réelles convictions derrière une terminologie et une rhétorique modernistes. La participation des salafistes à la vie politique conduira certainement à la fragmentation de ce courant de pensée, mais également à leur acculturation aux règles du jeu régissant la vie politique, passant notamment par le recours aux négociations et aux compromis avec les autres forces politiques, en particulier libérales et séculières. Plus ils seront impliqués dans la vie politique, plus ils se verront contraints d’abandonner leurs vérités catégoriques et leurs comportements intransigeants. Pour l’instant, leur ralliement à la démocratie est purement tactique et instrumental, puisqu’ils perçoivent cette dernière comme un ensemble de procédures qui leur permettra de parvenir au pouvoir sans rien abandonner de leur idéologie et de leur mode de vie. Cependant, le poids de la réalité fera qu’avec le temps, ils se laisseront probablement gagner par les valeurs et l’éthique de la démocratie.

28 Néanmoins, le principal challenge pour les partis islamistes, en particulier pour le parti Nûr, est de parvenir un jour à mobiliser les électeurs sans recourir à l’opposition entre la religion et la sécularisation. En effet, la motivation religieuse est sans doute l’une des principales raisons expliquant le vote en faveur des partis islamistes lors des élections de 2011-2012, et ces partis vont devoir parvenir à rassembler autant d’électeurs dans le futur, même dans le cas où cette motivation religieuse faiblirait. Les partis démocrates- chrétiens d’Europe ont été confrontés au même problème il y a quelques décennies, lorsque le facteur religieux a commencé à perdre de son influence sur le comportement des électeurs. Mais dans l’immédiat, l’ensemble des partis islamistes – et pas seulement les salafistes – doit apprendre à gérer les questions de gouvernance, et notamment celles ayant trait au partage du pouvoir.

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BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Entretien avec un dirigeant salafiste, 12 mai 2012. 2. Richard Gauvain, “Be Careful What You Wish For: Spotlight on Egypt’s Muslim Brotherhood and Salafis Organizations after the Uprising”, Political Theology, vol. 12, n° 2, 2011, p. 176-177. 3. Entretien avec un dirigeant salafiste, 14 mai 2012. 4. L’école salafiste d’Alexandrie, connue sous le nom de la « Prédication salafiste », a été fondée à Alexandrie dans les années 1970. Les fondateurs de la Prédication salafiste sont à l’origine de la création du parti Nûr quelques mois après la révolution de 2011. 5. Pour plus de détails, voir ‘Alî ‘Abd Al-‘Âl, « L’initiative salafiste pour la réforme, une vision idéologique pour le changement » (en arabe), 20 novembre 2009, http:// www.muslm.net/vb/showthread.php?t=367836, consulté le 22 juin 2013. 6. Sous l’ancien régime, les Gamâ‘ât Islâmiya avaient adopté la même position que l’école d’Alexandrie au sujet de leur participation à la vie politique. Elles affichaient ainsi leur intérêt et leur capacité à participer à la vie publique si les conditions le permettaient, mais considéraient que cela n’arriverait pas de sitôt étant donné la force du régime autoritaire en Égypte. Voir Nathan Field and Ahmed Hamem, “Salafism Making Inroads in Egypt”, Arab Reform Bulletin, 9 mars 2009, p. 4.

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7. Ansâr Al-Sunna a été créée par sheikh Muhammad Hâmid Al-Fiqqî en 1926. Elle dispose de 200 branches réparties dans l’ensemble du pays. 8. R. Gauvain, op. cit. 9. L’école salafiste du Caire a été fondée dans les années 1970. Le fondateur de cette école, le sheikh Muhammad ‘Abd Al-Maksûd, a été l’un des fondateurs du parti Asâla quelques mois après la révolution de 2011. 10. Jonathan Brown et al., “Post-Revolutionary Egypt: New Trends in Islam”, 6 octobre 2011, http://carnegieendowment.org/files/ 100611_transcript_PostRevolutionaryEgypt1.pdf, consulté le 22 juin 2013. 11. Entretien avec un jeune militant salafiste, 5 février 2011. 12. Ces comités étaient chargés d’assurer la sécurité suite à l’effondrement de la police (NdT). 13. Ahmad Sâlim Abû Fahr, « La participation politique des salafistes, entre choix et contraintes », in ‘Amr Ahmad (dir.), Les options politiques des salafistes, (en arabe), Centre arabe pour les études en humanités, Le Caire, 2011. 14. Ce parti avait été fondé par ‘Âdil ‘Abd Al-Maqsûd ‘Afîfî. Suite à des querelles de personnes, ce dernier l’a quitté pour créer Al-Asâla dont il est aujourd’hui le principal dirigeant. 15. Malgré les différences idéologiques séparant Al-Nûr de Al-Asâla, ce dernier dépend des activités et du dynamisme du parti Nûr pour assurer son propre succès. 16. ‘Abd Al-Ghafûr est un intellectuel salafiste d’envergure, qui a joué un grand rôle dans l’entrée en politique du courant salafiste. 17. Yâsir Burhâmî est un prêcheur salafiste de premier plan, dont le père avait été emprisonné pour son appartenance aux Frères musulmans lorsqu’il avait 17 ans. Il a étudié la médecine à l’université d’Alexandrie alors que l’islamisme radical était en pleine expansion. Il a alors milité dans les cercles salafistes étudiants. Il n’occupe aucune position officielle dans le parti Nûr, mais prend régulièrement la parole dans ses rassemblements et joue un rôle important dans la formulation de son idéologie. 18. J’ai moi-même souvent entendu cette allégation durant mon travail de terrain, mais personne n’a jamais été en mesure de la prouver. Par ailleurs, la campagne électorale du parti Nûr semblait très modeste en comparaison avec celles du PLJ ou des partis libéraux. 19. Voir le programme (en arabe) sur le site du parti : http://alnourparty.org/ 20. Andrea Teti, “Political Parties and Movements in Post-Revolutionary Egypt”, ISPI Working Papers, n° 42, 2011. 21. Soraya Sarhaddi Nelson, “Islamist Parties Proliferate in Post-Mubarak Egypt”, 15 novembre 2011, http://www.npr.org/2011/11/15/142301980/islamist-parties- proliferate-in-post-mubarak-egypt, consulté le 23 juin 2013. 22. Entretien avec un dirigeant salafiste, 11 mai 2012. 23. Cet article stipule que les principes de la charî‘a constituent la source principale de la législation. 24. Entretien avec des dirigeants salafistes, 20 avril 2011. 25. Dans le cadre de la Coalition démocratique, le PLJ collaborait avec des partis séculiers et libéraux, afin de rendre son identité islamiste moins menaçante aux yeux

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de l’opinion égyptienne et de la communauté internationale. La domination du PLJ sur cette coalition était néanmoins écrasante. La Coalition démocratique a pu réunir jusqu’à 40 partis, mais seuls 11 en sont demeurés membres jusqu’aux élections. 26. Al-Yawm Al-Sâbi‘, 2 novembre 2011. 27. Ibid. 28. Ibid. Voir aussi Al-Tahrîr, 26 octobre 2011, et Al-Ahrâm, 14 novembre 2011. 29. Al-Fagr, 11 septembre 2011. 30. Rûz Al-Yûsif, 20 novembre 2011. 31. Entretien avec un membre dirigeant du parti Nûr, 22 juin 2012. 32. David D. Kirkpatrick, “In Egypt, a Conservative Appeal Transcends Religion”, New York Times, 10 décembre 2011. 33. « Le parti du Centre » (NdT). 34. Voir l’article de Costantino Paonessa dans ce volume. 35. Amani Maged, “One hand in the elections”, Al-Ahram Weekly, 17-23 novembre 2011. 36. Ibid. 37. Al-Misrî Al-Yawm, 28 novembre 2011. 38. Rûz Al-Yûsif, 15 novembre 2011. 39. Al-Fagr, 2 décembre 2011. Voir aussi l’article de Fayçal Homsy dans ce volume. 40. Al-Misrî Al-Yawm, 26 décembre 2011. Voir aussi l’article de Clément Steuer dans ce volume. 41. La bataille électorale à Alexandrie a été très dure, en particulier pour les sièges réservés au scrutin binominal. Notons que les partisans d’Al-Nûr sont plus nombreux à Alexandrie – bastion traditionnel du salafisme égyptien – que ceux des Frères musulmans. 42. Al-Misrî Al-Yawm, 14 novembre 2011. 43. Riham Ibrahim, “Competition among Religious Parties Confirms that Political Islam is Solution!”, International News, 1er novembre 2011. 44. Al-Masâ’, 6 décembre 2011. 45. Al-Misrî Al-Yawm, 19 novembre 2011. 46. Voir par exemple Al-Dustûr, 9 janvier 2012, ou encore Al-Misrî Al-Yawm, 26 novembre 2011. 47. Riham Ibrahim, op. cit. 48. Al-Badîl, 16 novembre 2011.

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RÉSUMÉS

Cet article s’intéresse à la spectaculaire ascension du salafisme, et en particulier du partiNûr , sur la scène politique égyptienne. Il examine d’abord le rôle des salafistes dans la révolution de 2011, avant d’analyser les raisons expliquant la création de partis politiques salafistes, et notamment celle du parti Nûr , dont il présente les principales lignes du programme politique. Enfin, il s’interroge sur le rôle de ce parti dans les élections législatives de 2011-2012, et montre l’habileté dont il a fait preuve en établissant coordinations et alliances avec les autres partis islamistes, en particulier le parti de la Liberté et de la Justice des Frères musulmans.

This paper explores the blatant rise of Salafism, and especially the Al-Nûr party (NP), in Egyptian politics. It examines first the Salafists’ role in the 2011 revolution. Then, it analyzes the very reasons behind the establishment of Salafist parties in general and the NP in particular. It presents also the main lines of the latter’s platform. Finally, it examines the NP’s role in the 2011-2012 parliamentary elections, and how clever it was in managing electoral coordinations and alliances with other Islamist parties, especially with the Freedom and Justice party of the Muslim Brotherhood.

INDEX

Keywords : Salafism, Salafist Call, Islamism, Al-Nûr party, Muslim Brotherhood Mots-clés : salafisme, prédication salafiste, islamisme, parti Nûr, frères musulmans

AUTEURS

ALAA AL-DIN ARAFAT Alaa Al-Din Arafat est chercheur en relations internationales et en science politique. Il a été chercheur invité à la School of Oriental and African Studies de Londres. Il a notamment publié en 2012, and the Future of Democracy in Egypt (Palgrave). Alaa Al-Din Arafat is a researcher in the fields of international relations and political science. He was a former Associate Researcher at the London School of Oriental and African Studies. Amongst other things, he has published in 2012, Hosni Mubarak and the Future of Democracy in Egypt (Palgrave).

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Les Frères musulmans au sortir de la semi-clandestinité : le parti de la Liberté et de la Justice dans les élections législatives

Amal-Fatiha Abbassi

1 Les élections législatives de 2011-2012 se sont déroulées dans un champ politique en cours de redéfinition et de recomposition, avec comme nouvelle et principale caractéristique l’émergence de nouveaux partis politiques dit islamistes1, parmi lesquels le parti de la Liberté et de la Justice (Al-Hurriya wal-‘Adâla). Ce parti a été fondé par la Gamâ‘a2 des Frères musulmans, dont l’existence est toujours considérée comme illégale selon la loi égyptienne. Malgré son statut de mouvement interdit « Mahzûrâ »3, le régime de Moubarak a autorisé la participation des Frères musulmans aux élections syndicales, locales et législatives. En effet, le régime exerçait alors une certaine forme de régulation des résultats4, par des pratiques de trucages et d’arrestations arbitraires, le refus d’accorder des dossiers de candidatures5, ou encore des violences dans les bureaux de votes. En dépit de ces restrictions, la Gamâ‘a a accepté les règles du jeux et a participé aux élections législatives, locales et syndicales, car l’objectif n’était pas seulement de gagner les élections mais d’exister et d’affirmer sa présence dans le champ politique. Les Frères musulmans ont ainsi saisi l’opportunité d’ouverture6 voulue par le régime en place en 2000 et en 2005. Ils remportèrent dix-sept sièges à l’assemblée du peuple en 2000 et, chose inattendue, quatre vint-huit en 20057. Les Frères musulmans ont tenté d’imposer leur légitimité par les urnes comme acteur politique à part entière, légitimité que le régime leur avait refusée sur le terrain partisan. Avec cette présence remarquable au parlement, ils devinrent la première force d’opposition au gouvernement.

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Les frères musulmans : sortie de la semi-clandestinité

2 La question de la transformation de la Gamâ‘a des Frères musulmans en un parti politique, ou celle de la création d’un parti, n’est pas nouvelle. Si ce dernier a tardé à voir le jour, c’est d’une part à cause de la politique d’exclusion menée par le régime de Moubarak envers Les Frères musulmans, et d’autre part à cause d’un conflit idéologique à l’intérieur même de la Gamâ‘a : fallait-il l’orienter vers la prédication (al-da‘wa), ou vers la politique ? La création du parti Al-Wasat8 par des personnalités membres des Frères musulmans, avec à leur tête Abû ‘Alâ’ Madhî, illustre parfaitement cette divergence9.

3 Après le changement politique du 25 janvier 2011, la question de l’avenir de la Gamâ‘a10 est à nouveau d’actualité. De même, la création d’un ou de plusieurs partis politiques fait débat11 entre les militants et les dirigeants. La décision finale est revenue à l’assemblée consultative générale de la Gamâ‘a (majlis al-chûrâ al-‘âm), qui a décidé de créer un seul parti, le parti de la liberté et de la justice (PLJ). Cependant, la relation entre la Gamâ‘a et le parti n’a pas été clairement définie. Le parti est considéré comme la vitrine politique de la Gamâ‘a (al-dirâ‘ al-siyâsî lil-Gamâ‘a). Sur les différentes affiches du PLJ, une phrase rappelle qu’il a été créé par la Gamâ‘a : « le parti de la liberté et de la justice est un parti fondé par les Frères musulmans pour tous les Égyptiens ». Plusieurs interrogations se posent alors : dans quelle mesure le parti de la liberté et de la justice peut-il être indépendant de la Gamâ‘a ? Comment le parti va-t-il mener la campagne électorale des élections législatives ? Et quel sera le rôle de la Gamâ‘a dans cette mobilisation ?

4 Le PLJ s’est présenté aux élections en formant une alliance avec d’autres partis politiques, appelée l’alliance démocratique (al-tahâluf al-dîmuqrâtî)12. Il a déclaré au départ qu’il ne souhaitait pas une majorité parlementaire et qu’il viserait seulement 30 % des sièges, cela pour garantir une certaine harmonie et un équilibre politique. Ce message avait pour but de rassurer l’opinion publique égyptienne et internationale, car les nouveaux députés ont pour mission d’élire l’assemblée constituante, une étape décisive dans la situation de transition vers la démocratie enclenchée par la révolution du 25 janvier 2011.

La création du PLJ : le choix des dirigeants et des candidats

5 Selon son directeur de campagne, Husayn ‘Abd Al-Ghanî, le nom du parti de la liberté et de la justice a été choisi pour deux raisons. D’abord pour rendre hommage à la révolution du 25 janvier 2011 dont l’une des revendications était « la liberté et la justice », la seconde raison résidant dans la représentation de ces deux principes fondamentaux dans l’islam13.

6 À sa formation, le parti a été présenté comme un parti madanî, c’est-à-dire civil, dont la référence était fondée sur la charî‘a islamique, ouvert à tous les Égyptiens dans toute leur diversité. Mohammed Morsi, alors dirigeant du parti et membre du bureau politique des Frères musulmans, a affirmé lors d’une conférence de presse : « le parti de la liberté et de la justice est un parti politique civil (madanî) et non théocratique »14. La connotation de la notion de madanî s’inscrit à la fois dans l’opposition au régime

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militaire (‘askarî), et dans le refus de la séparation du religieux et du politique, al-‘ilmâniyya. Le PLJ et Al-Wasat sont les seuls partis politiques s’identifiant comme des partis à la fois madanî et à référence islamique15.

7 La sélection des dirigeants et des candidats du parti a été le fait de l’assemblée consultative générale de la Gamâ‘a des Frères musulman. C’est ainsi qu’ont été nommés les principaux dirigeants du parti : Mohamed Morsi16, président, ‘Isâm al-‘Iryân17, vice- président, et Sa‘d al-Katâtnî18, premier secrétaire. Quant au choix des candidats, il s’est déroulé de la manière suivante : soit directement par la nomination de l’assemblée consultative générale de la Gamâ‘a, soit indirectement. En effet dans certains gouvernorats, où plusieurs candidats se sont proposés, il y a eu un vote interne des responsables des sections et des bureaux locaux19 de la Gamâ‘a. Puis la liste des candidats a été soumise à l’assemblée consultative générale, qui a étudié ces candidatures avant de prendre sa décision. Selon Hilmî al-Ghazâr, tête de liste du parti dans le gouvernorat de Giza, cette méthode de sélection se justifie : « nous étions contraints de procéder de la sorte car, entre la création du parti, les dates des élections et la campagne électorale, nous n’avions pas le temps de créer et d’organiser le parti comme il se doit. Mais à partir de l’année prochaine, c’est par des élections internes au parti que le choix des candidats s’effectuera »20. Le processus adopté pour le choix des dirigeants et des candidats du parti est, à notre sens, un indicateur majeur dans le rapport qui s’établit entre la Gamâ‘a et le parti.

8 Le parti a présenté ses candidats selon les deux modes de scrutin prévus par la loi électorale : le scrutin de liste et le scrutin uninominal. On compte alors 164 nouveaux candidats et 52 anciens candidats ou parlementaires Frères musulmans. Ce choix n’est pas fortuit car l’objectif était, d’une part, d’initier des nouveaux candidats à l’exercice de la vie politique, et d’autre part, de permettre aux plus expérimentés d’occuper des postes dans le parti, afin de consolider sa formation. Cela laissait donc le choix à ceux qui le souhaitaient de présenter leur candidature.

Le PLJ : campagne électorale et projet politique

9 Le service média et communication de la Gamâ‘a a mis en place deux campagnes : la première campagne avait pour objectif de normaliser le PLJ dans l’espace politique égyptien et de le faire connaître auprès des électeurs. La seconde campagne a été consacrée à la mobilisation électorale.

10 Husayn ‘Abd Al-Ghanî a déclaré : « La préparation de la campagne électorale s’est effectuée en plusieurs étapes. Nous avons d’abord commencé par organiser des ateliers de travail au niveau de chaque gouvernorat pour définir les objectifs, les stratégies, les moyens et méthodes. Car aujourd’hui, les élections sont différentes. Par exemple, le nombre d’électeurs est de six à huit fois plus important que celui des années précédentes. Dans cette masse électorale, nous avons les abstentionnistes et les coptes ; il faut les mobiliser et gagner leur vote. D’un autre côté nous avons de la concurrence : avant nous étions les seuls à revendiquer l’Islam comme référence, aujourd’hui il y a plusieurs partis : Al-Wasat, Al-Nûr, Al-Binâ’ wal-Tanmiyya... »21. L’enquête que nous avons menée dans le gouvernorat de Giza lors de la campagne électorale a confirmé l’inquiétude des membres du parti. Cette inquiétude était due aux stratégies de mobilisation mises en place, dont l’objectif principal était de capter l’intégralité du

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public sensible au projet islamique (islâmî) tout en essayant de mobiliser les électeurs coptes.

11 Le financement du parti et de la campagne électorale a été assuré par la Gamâ‘a. Cela a été confirmé par son vice-président Khayrat Al-Châtir : « Nous venons de créer le parti, il faut du temps pour qu’il puisse créer ses propres ressources, et c’est tout naturellement que la Gamâ‘a finance le parti et la campagne électorale ». 22 Le programme électoral du parti a été rédigé par les responsables du bureau politique de la Gamâ‘a. Ce programme est largement inspiré de celui des Frères musulmans de 2005. Il relate dans sa globalité les différents problèmes politiques, économiques et sociaux et propose des solutions, sans préciser les moyens qui peuvent être mis en place pour les résoudre. Lors de la campagne électorale, les principaux objectifs évoqués étaient : • Fonder un État civil basé sur la charî‘a islamique et ses principes : la consultation (al-chûra), la justice, la liberté... • Exercer la politique selon des principes de moralité et non selon l’adage « la fin justifie les moyens ». • Garantir la liberté de pensée, de culte, de rassemblement, de former des partis politiques et des journaux. • Garantir l’égalité des chances sans discrimination d’appartenance religieuse, de couleur ou de sexe. • Travailler pour la renaissance du pays, qui commence par la formation de l’individu aux niveaux psychologique, intellectuel et physique. • Mettre en place un système de valeurs spirituelles et morales sur lesquelles se fondent les institutions médiatiques, l’éducation, la culture, Al-Azhar et l’Église. • Résoudre les problèmes de chômage, réviser les salaires et fixer un barème de salaires. • Faire face à la corruption, réformer et développer les appareils administratifs de l’État. • Rétablir la sécurité en réformant l’appareil policier et former les policiers tout en impliquant les citoyens dans la réalisation de la sécurité publique. • Garantir une vie décente à tous les citoyens (droit au logement, aux soins...) • Réformer le système éducatif et favoriser la recherche. • Appuyer les centres de jeunesse et clubs sportifs et cultiver l’énergie des jeunes d’une manière positive en les impliquant par exemple dans le bénévolat. • Enfin, en ce qui concerne les relations internationales, avec les États-Unis, l’Europe et Israël, le parti déclare développer les relations avec l’étranger d’une manière équilibrée, respecter les accords internationaux et ratifier certains d’entre eux si cela est dans l’intérêt du pays.

12 Le slogan, « L’islam est la solution », brandi par les Frères musulmans lors des élections de 2005, résume l’idée principale de leur programme : l’islam est un projet à la fois politique et social. Ce slogan n’a pas été repris de manière officielle, mais il l’a été dans les CD audiovisuels de propagande distribués lors de la campagne, où il a été utilisé comme argument. D’autres nouveaux slogans sont également déployés. Ils sont de deux genres : d’une part des slogans généraux visant un public plus large : « Nous apportons le bien (al-khayr) à l’Égypte » ou « Ensemble, nous participons à l’évolution de la Umma, à la construction du pays, tous ensemble nous réalisons ces objectifs », et d’autre part des slogans spécifiques, comme celui adressé à la communauté chrétienne, par exemple : « Nous respecterons les coptes et leurs droits, ils sont nos partenaires dans le pays ». Ces points résument les grandes lignes du programme électoral. On constate, à la lecture du programme dans son intégralité, et dans les discours des candidats lors de la campagne électorale, le manque de visibilité, voire l’absence d’une politique

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intérieure élaborée. De même, concernant la politique étrangère, la vision reste floue, et quand elle est évoquée, elle est limitée à la relation avec Israël et les États-Unis.

13 En dehors de l’appui financier et technique de la Gamâ‘a au parti, ce sont les ressources humaines, autrement dit le Tanzîm23 de la Gamâ‘a et l’étendue de son réseau, qui sont mis au service du parti. Ce sont eux qui contribuent à l’organisation et à la constitution des groupes chargés de mener campagne pour le PLJ.

Les ressorts d’une technique de mobilisation : le tanzîm, stratégie de proximité et de maîtrise politique du territoire

14 La notion d’individu (al-fard) est centrale dans la Gamâ‘a. Elle est le pivot du Tanzîm, dont la définition ne réside pas seulement dans sa structure organisationnelle et fonctionnelle, mais aussi dans la formation des militants. En effet le programme éducatif de la Gamâ‘a dans ses différentes étapes ne porte pas uniquement sur l’acquisition du savoir religieux : l’aspect relationnel du militant est également évoqué. Il s’agit de la capacité à agir et à interagir avec son environnement, à construire un réseau et à le maintenir. C’est ce que résumait son fondateur, Hasan Al-Bannâ, dans ses écrits : « une idée ne peut exister sans une force qui la dynamise et la protège ». La délégation de la campagne électorale du PLJ à la Gamâ‘a ne s’explique pas seulement par la connaissance et l’expérience du terrain de celle-ci. Cela garantit également au parti le vote de l’électorat habituel des Frères musulmans, tout en visant un nouvel électorat sensible au projet islamique.

15 Afin de saisir la mise en œuvre du dispositif de mobilisation officiellement mené par le PLJ, nous avons suivi la campagne électorale dans les 2e et 3 e circonscriptions du gouvernorat de Giza,24 où les élections ont eu lieu les 14 et 21 décembre 2011. Le site d’observation couvre trois quartiers : Doqqi, Agouza et Imbâba. Au-delà de la spécificité économique (taux de pauvreté et chômage) et sociale (éducation, alphabétisation, niveau d’études et professions) de ces quartiers, on peut noter l’existence de moyens ou petits quartiers populaires annexés à ces circonscriptions tels que Mît-‘Ukba, Der Al- Nahl, Al-Hitiyya.

16 Les militants du PLJ sont ceux de la Gamâ‘a, parmi lesquels on trouve aussi des sympathisants des Frères musulmans qui participent volontairement à la campagne du parti. L’équipe de campagne électorale est composée dans chaque quartier de deux groupes : un groupe de femmes et un groupe d’hommes. Tous habitent le quartier dans lequel ils mènent campagne. Le groupe de femmes compte de jeunes étudiantes et des femmes au foyer âgées de 18 à 40 ans, dont le niveau d’études varie entre le baccalauréat et le diplôme universitaire. Les femmes ne sont jamais seules sur le terrain, où elles sont toujours accompagnées d’un responsable du bureau du parti et d’un ou deux militants. Ce groupe opère le matin de 10h à 15h, avec à sa tête une responsable. Cette dernière est également responsable de la section des femmes dans le parti et dans la Gamâ‘a. Elle organise et dirige des réunions qui ont lieu deux fois par semaine, ouvertes seulement aux membres de la Gamâ‘a. Elle fait le lien entre la section des femmes, les responsables généraux des sections de la Gamâ‘a et le parti au niveau de la circonscription. Quand au second groupe, il est composé d’hommes âgés de 18 à 60

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ans. Ils sont étudiants, ouvriers ou avocats. Ils poursuivent la campagne de 17h à 23h. Avec une telle organisation, le terrain est occupé de manière permanente.

17 Le parti possède des bureaux dans chacun des quartiers étudiés, qui sont majoritairement des quartiers populaires. Les équipes de campagne qui couvrent ces circonscriptions comptent généralement les mêmes militants, à l’exception des quartiers étendus comme Ard-Al-Liwâ’ et Imbâba. Selon le responsable de la campagne électorale, cela est dû à leur grande superficie et à la distance géographique qui les sépare des autres quartiers. Il nous semble que cela peut s’expliquer aussi par le fonctionnement et la stratégie même de la Gamâ‘a qui repose sur la formation et la gestion des réseaux locaux, car mener la campagne sur un terrain familier, c’est donner la possibilité à des militants d’user de la proximité déjà instaurée avec les habitants dans le processus de mobilisation. Cela leur permet aussi de couvrir toutes les zones, d’affirmer une force collective et de mettre en scène une hégémonie locale face aux autres partis politiques, notamment islamistes. Dans certains quartiers comme Ard-Al- Liwâ’ et Imbâba où la présence salafiste est importante, la mobilisation est quasi quotidienne, notamment dans les mosquées et à travers les associations qui leur sont annexées.

Mobilisation électorale et stratégie d’approche

18 Il existe une seule campagne électorale menée à la fois pour les listes et les candidats individuels du parti. Le format des affiches et des autocollants a été uniformisé à l’échelle nationale, tout comme les slogans. Néanmoins le choix des approches de mobilisation revient aux responsables de régions, de zones, et de quartiers. Les méthodes sont ainsi adaptées selon les spécificités sociales et professionnelles des habitants. À Doqqi et Agouza par exemple, où résident des catégories socio- professionnelles supérieures, les meetings du PLJ se déroulent dans des salles de conférence. Des distributions de tracts et des cortèges de voitures ont lieu dans les grands axes de ces quartiers (rue Al-Tahrîr, Al-Nîl...). Le programme du parti est distribué sous forme de CD audiovisuel, lequel est envoyé avec le journal publicitaire Al- Wasît. Le CD contient, en plus du programme du parti, l’historique de la Gamâ‘a, le rôle politique des Frères musulmans par le passé et la biographie des candidats.

19 Par opposition, dans des quartiers populaires comme Imbâba, les militants vont à la rencontre directe des électeurs, en faisant du porte-à-porte, en distribuant des tracts dans les cafés et les petites ruelles, en organisant des meetings populaires en plein air, ou encore en organisant des défilés afin de faire connaître le candidat. Ce dernier ne s’y rend jamais seul, il est toujours accompagné de membres de la Gamâ‘a et de l’équipe, ainsi que de familles appartenant aux Frères musulmans et habitant le quartier. C’est l’équipe connaissant le quartier qui est responsable de préparer l’itinéraire du candidat. Cependant, le déroulement de la visite est négocié avec les habitants, ainsi que leur présence durant la marche. C’est à la fois un élément mobilisateur et une garantie de sécurité, notamment dans les quartiers populaires.

20 De nombreux électeurs sont informés continuellement, par SMS et à travers les réseaux sociaux, des différentes manifestations. Le parti a par ailleurs créé sa propre chaîne télévisée Misr 25 et diffuse son propre journal quotidien, La Liberté et la Justice (al- hurriyya wal-‘adâla), tous deux financés par la Gamâ‘a. Ils ont largement contribué à la

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mobilisation électorale et à faire connaître le parti. Des spots publicitaires ont aussi été diffusés sur des chaînes privées et publiques.

Le dispositif de mobilisation : du formel à l’informel

21 La mise en œuvre de l’expérience politique de la Gamâ‘a lors de la campagne électorale du PLJ l’a conduit à déployer une seconde forme de mobilisation électorale. Elle est informelle et se réalise à deux niveaux différents : celui du quartier et celui du foyer et de l’environnement familial.

La mobilisation à l’échelle du quartier

22 Les Frères musulmans sont présents dans les quartiers à travers les mosquées et les associations caritatives, souvent annexées à ces dernières. Elles sont généralement financées et dirigées par des membres des Frères musulmans, ou par des proches considérés comme partisans de la Gamâ‘a. Nous avons mené notre enquête pendant la campagne du premier tour des élections législatives dans une petite mosquée25 de Ard- Al-Liwâ’, où un public bien spécifique est ciblé.

23 Mariam, 35 ans, femme au foyer, mère de trois enfants, diplômée de science de charî‘a à la faculté Al-Azhar, est la responsable de la section des femmes au niveaux du quartier dans la Gamâ‘a et dans le parti. Durant les élections, les thèmes des leçons sont adaptés au contexte électoral. Par exemple, après la fin d’un cours qui a porté sur le prophète Muhammad, les quatre califes et sur leurs qualités d’hommes de foi et de dirigeants, elle s’adresse ainsi au groupe : « Comme vous le savez, tout le pays se prépare pour les élections législatives, il faut aller voter, c’est un devoir, c’est une obligation individuelle “fard ‘ayn”26. Il est de notre devoir non seulement d’aller voter mais aussi de faire le bon choix car il y a plusieurs candidats et partis. Nous, le parti de la liberté et de la justice, présentons aussi des candidats. Si vous souhaitez des renseignements venez nous voir dans notre bureau ». Mariam distribue à la fin les tracts présentant les candidats27. Cet extrait de nos notes de terrain n’est qu’un exemple parmi d’autres de situations durant lesquelles nous avons constaté la mobilisation fréquente du répertoire religieux dans la construction argumentative du discours de la campagne électorale, allant du simple militant aux candidats têtes de listes.

24 Le vote est défini comme un devoir religieux dont l’accomplissement doit s’accompagner d’une prise de conscience de la responsabilité de l’électeur et de son acte de vote. En effet, les Frères musulmans, comme d’autres partis politiques de référence islamique tels le parti salafiste Al-Nûr, considèrent l’acte de vote comme un témoignage (Chahâda) devant Dieu. L’électeur sera donc responsable le jour du jugement dernier de son choix électoral. Nous avons établi le même constat lors de la distribution des tracts dans le secteur de Al-Mahkam, dans le quartier de Imbâba. Lorsque des passants refusaient de prendre les tracts ou répondaient : « Non, je ne voterai pas pour les Frères musulmans », le militant que j’accompagnais n’insistait pas pour convaincre l’électeur de voter pour le candidat du PLJ, mais se contentait de dire une seule phrase suivie d’une prière : « quel que soit le choix que tu feras, choisis le plus vertueux (Al-Aslah)28, “Allâhuma wallî umûrna man yasluh” ». Cette dernière formule signifiant que Dieu fera élire le plus vertueux.

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25 Cette stratégie discursive est employée d’une manière directe ou indirecte. Dans le premier exemple, l’électeur est amené à identifier directement le candidat du PLJ comme le candidat vertueux. Dans le second cas tout candidat est susceptible de l’être. L’articulation entre le discours politique et le registre religieux dans la campagne électorale du PLJ reflète cette double identité de la Gamâ‘a, marquée par sa vocation religieuse et son expérience politique.

26 Un autre genre de dispositif est déployé, cette fois dans un autre quartier annexe appelé Al-Hihitiyya, dans le quartier al-Agouza. On y trouve une association islamique caritative, l’association pour le développement de la société civile (tanmiyât al-mujtama‘ al-madanî). Elle offre des aides aux plus démunis par la redistribution de al-zakât29, offre des cours de soutien scolaire et de Coran etc., et réalise des activités au profit des habitants du quartier en partenariat avec d’autres organismes, comme cette journée de consultation médicale par exemple, à laquelle nous avons pu assister. La visite, organisée par les militants de la Gamâ‘a, a lieu dans les locaux de l’association précitée. Après avoir enregistré les données du patient, le responsable de l’événement lui remet un carton du parti avec son nom et son prénom inscrits dessus, et, sur cette même carte, un résumé des objectifs du parti soulignés en gras : • Le citoyen égyptien sera considéré comme le noyau central dans le développement économique. • Les services de santé seront garantis à 20 millions de citoyens. • Les problèmes des jeunes seront résolus grâce à un appui physique et intellectuel. • Le parti s’engage à résoudre les problèmes liés à la petite enfance. • Une réforme globale sera mise en place pour que l’Égypte reprenne une place de valeur parmi les autres pays.

27 En prenant cette petite carte, certains restent indifférents (ce qui peut s’expliquer par leur éventuel analphabétisme), d’autres la lisent et s’interrogent. De cette manière, la discussion est entamée dans la salle d’attente sur le parti, les élections et les candidats. Comme ce fut le cas par exemple lors d’une journée de consultation médicale gratuite organisée par les militants Frères musulmans d’Agouza dans les locaux de l’association. Il y avait des médecins généralistes, des dentistes, des ophtalmologues, etc. C’est le réseau des médecins membres ou proches des Frères musulmans qui est mobilisé. Le suivi est assuré à 60 %, et prend notamment en compte l’achat des médicaments, les analyses ou encore les opérations.

28 Lors d’un entretien avec l’une des responsables de l’association sur la collaboration avec les militants Frères musulmans, celle-ci nous explique la situation du quartier : « Ici 70 % des personnes sont pauvres, une personne travaille pour nourrir deux familles à la fois, ils n’ont pas les moyens d’aller chez le médecin. On est les seuls dans le quartier et l’État ne fait rien. On n’a aucun financement ni aide de sa part. Nous nous débrouillons avec nos propres moyens, en collaborant avec les Frères musulmans, pour rendre service aux habitants du quartier »30. L’inefficacité des services publics, voire leur absence dans plusieurs villes et villages égyptiens, a favorisé la présence des associations caritatives notamment islamiques. Elles jouent un rôle non négligeable dans les élections. Elles affichent souvent leur soutien à un candidat ou un parti politique. L’association précitée affichait clairement son soutien au PLJ. De leur côté, les Frères musulmans contribuent avec leur propre réseau social à différents projets caritatifs, comme la « solidarité sociale » (al-takâful al-ijtimâ‘î), consistant à accorder et à suivre – après étude du dossier social – des aides financières, des micro-crédits, des

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aides au mariage, des allocations de rentrée scolaire, ou encore des aides lors des événements religieux comme pour le Ramadan ou les fêtes religieuses, etc. Ces pratiques sont considérées comme une manière de fidéliser un public ciblé, pour le mobiliser le jour des élections, ce que Sarah Ben Néfissa appelle le « clientélisme électoral islamique »31.

29 Les entretiens informels réalisés avec des électeurs32 à proximité des bureaux de vote dans le gouvernorat de Giza nous ont conduit à identifier deux catégories de vote. La première s’inscrit dans le registre du clientélisme islamique, où le vote pour les candidats des Frères musulmans est à la fois justifié par leur expérience et leurs compétences politiques, mais aussi par leur investissement de plusieurs années dans les quartiers. D’ailleurs, plusieurs électeurs ont déclaré bénéficier des aides qu’ils octroient. Le choix électoral est conçu comme un devoir envers les Frères musulmans. Cette logique électorale n’est pas nouvelle : dans ses travaux sur les Frères musulmans, Marie Vannetzel33 a montré son émergence en le qualifiant de « vote intermédiaire » qui se placerait entre le vote clientéliste et le vote individuel. La seconde catégorie de vote s’apparente à un « vote identitaire »34 : les candidats sont identifiés par leur appartenance religieuse et leur tendance. De cette façon, le candidat du PLJ est identifié comme un Frère musulman, de même qu’un candidat du parti Al-Nûr est défini comme salafiste. Ce critère de choix électoral s’effectue dans l’objectif de soutenir le « projet islamique ».

30 Au delà de ces deux catégories qui opèrent dans le champ électoral égyptien, il nous semble également pertinent de nous interroger sur la transformation des représentations et des imaginaires politiques qui émergent et de voir jusqu’où ces deux catégories de vote vont pouvoir se maintenir.

La mobilisation à l’échelle intra et extra-familiale

31 Lors du deuxième tour des élections législatives, tous les membres de l’équipe de campagne, hommes et femmes, furent conviés à une réunion dans le bureau du parti à Al-Agouza35. Une discussion de deux heures fut entamée entre les responsables et les militants pour préparer la campagne de l’entre-deux tours. L’une des recommandations donnée aux militants fut d’activer leurs réseaux – famille, amis, voisins et collègues –, à l’instar de Fatma, une femme de 42 ans, diplômée en droit à l’université du Caire et mariée à un riche homme d’affaires. Elle a intégré les Frères musulmans à l’université, alors qu’elle avait 20 ans.

32 Fatma a décidé de devenir observatrice durant l’opération électorale pour se rendre utile, dit-elle, dans la Gamâ‘a et le parti. Elle nous a obtenu une autorisation d’observateur, et c’est ensemble que nous avons visité les bureaux de votes dans le gouvernorat de Giza durant les élections législatives. Avec Fatma, nous avons rendu visite à sa sœur et à sa nièce dans le quartier de Mohandessin. Fatma a essayé de convaincre sa sœur de voter pour le PLJ. Au bout d’une heure, celle-ci a semblé convaincue. Mais Fatma a voulu s’assurer que sa sœur irait voter. C’est pourquoi, le lendemain, elle l’a conduite elle-même au bureau de vote. Quant à sa nièce, jeune étudiante de 22 ans à l’université américaine, elle a décidé de s’abstenir. Fatma n’a pas réussi à la convaincre. C’est ensuite vers ses anciennes amies de l’université et vers des voisins que Fatma s’est tournée, en les invitant chez elle pour une après-midi. Elle a

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entamé la discussion autour des élections, du vote, et a discuté le choix électoral de chacune36.

33 Selon la logique du Tanzîm, chaque militant opère à son niveau et selon son environnement social, professionnel et familial (amis, quartier, syndicat, université...) . L’ancrage social de la Gamâ‘a et sa politique de proximité, dont le principal objectif est de cultiver les relations de l’individu avec le groupe et de les maintenir dans la durée, ont ainsi constitué un atout majeur dans la mobilisation électorale du PLJ. Le score réalisé par ce parti dans ces élections est ainsi dû au soutien de la Gamâ‘a des Frères musulmans. L’analyse du dispositif de mobilisation nous démontre le rôle déterminant de cette organisation dans la formation du parti et dans la mobilisation politique et électorale lors des élections législatives. L’analyse de ce dispositif nous a également permis de comprendre la pratique politique du PLJ, encore marquée pour le moment par l’empreinte de la Gamâ‘a. Cela nous confirme que ses contours ne sont pas encore déterminés et que les frontières entre la Gamâ‘a et le parti restent floues. Le prochain défi que devra affronter le parti de la liberté et de la justice, actuellement au pouvoir, sera de définir son rapport à la Gamâ‘a, dont la situation juridique est illégale. Sera-t-il capable de fabriquer sa propre identité politique ?

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Nous employons ce terme dans le cadre de la définition d’« islamisme » donnée par Olivier Roy, où l’islamisme part du principe que le pouvoir politique est indispensable à la mise en place d’une société islamique. Ce faisant, il promeut l’islam comme « idéologie politique ». O. Roy, L’échec de l’islam politique, Paris, Le Seuil, 1992, p. 85-87. 2. Fondée par Hasan Al-Bannâ en 1928, elle prend au départ la forme d’une confrérie, puis elle devient un mouvement avec une vision réformatrice dont l’objectif était de faire appliquer la charî‘a et de revenir aux traditions morales islamiques par la prédication (al-da‘wa). Les Frères musulmans entrent sur la scène politique en 1984 et en 1987 et réalisent de bons résultats aux élections législatives en s’alliant notamment avec le parti Al-Wafd. Ils parviennent à contrôler les conseils d’administration de plusieurs syndicats. Tout au long des années quatre-vingt à quatre-vingt-dix ils acquièrent une nouvelle expérience. C’est les Frères musulmans qui se sont auto- appelés Gamâ‘a dans les années soixante-dix. Ils déclarent alors : « Nous sommes une Gamâ‘a et non un parti ». (Amr Elshobaki, Les Frères musulmans des origines à nos jours, Paris, Karthala, 2009, p. 118) Du fait de l’absence de vocable français rendant compte des notions de Gamâ‘a et de Tanzîm, nous emploierons la terminologie arabe. 3. Des plaintes ont été déposées à l’encontre de la Gamâ‘a, demandant sa soumission au régime associatif ou sa dissolution. Le tribunal administratif ne s’est toujours pas prononcé à ce sujet, les séances ont été ajournées à deux reprises. La situation de la Gamâ‘a sera finalement examinée le 21 mars 2013. 4. Sandrine Gamblin (dir.), Contours et détours du Politique en Égypte. Les élections de 1995, Paris, L’Harmattan/Cedej, 1997. 5. À titre d’exemple : le cas de ‘Azzâ Al-Garf, candidate des Frères musulmans dans le gouvernorat du 6 octobre, dont le dossier a été refusé sans raison valable lors des élections législatives de 2010. 6. Voir Jean-Noël Ferrié, L’Égypte entre démocratie et islamisme. Le système Moubarak à l’heure de la succession, Paris, Autrement, 2008. 7. Iman Farag, « Corrompre, fidéliser : les ressorts “légitimes” de la compétition électorale Égyptienne », in Florian Kohstall et Frédéric Vairel (dir.), « La fabrique des élections », Égypte monde arabe, vol. 3, n° 7, 2011. 8. Il s’agit d’un parti à référence islamique. Il a vu le jour en 1996. Cependant la Commission des partis politiques refusa de lui accorder une autorisation à trois reprises : en 1996, en 1998 et en 2004. Il fut légalement créé le 19 février 2011, voir à ce sujet Clément Steuer, Le Wasat sous Moubarak. L’émergence contrariée d’un groupe d’entrepreneurs politiques en Égypte, Clermont-Ferrand, Fondation Varenne/LGDJ, 2012. 9. Voir l’entretien réalisé par Hossam Tammam avec Abû ‘Alâ’ Madhî, le dirigeant du parti Al-Wasat « le Centre », Les changements des Frères musulmans. La fragmentation des idéologies et la fin du Tanzîm (Tahawulât Al-Ikhwân al-muslimîn. Al-Tafakuk al-aydiyûlûjiyât wa nihâyât al-tanzîm), Le Caire, Madbûlî, 2006, p. 117. 10. Dans certains pays, comme en Jordanie et au Maroc, la situation juridique de la Gamâ‘a des Frères musulmans est légale. Elle a engendré des partis politiques dont les relations et frontières sont clairement déterminées. Le champ politique est ainsi bien séparé de celui de la prédication (al-da‘wa).

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11. Plusieurs militants ont rencontré des membres de l’assemblée consultative générale de la Gamâ‘a (majlis al-chûrâ al-‘âm), notamment Mohamed Morsi – alors chef du bureau politique de la Gamâ‘a – en proposant de former plusieurs partis, s’opposant ainsi à la décision de l’assemblée consultative générale. Ces militants ont tous été exclus de la Gamâ‘a. Entretiens réalisés avec certains de ces militants le 15 janvier 2012. 12. Cette alliance s’est formée en juin 2011 entre 43 partis de tous bords politiques : islamistes, de gauche et libéraux. Mais ils n’ont pas réussi à trouver un compromis au sujet de la représentation de chaque parti et de son classement sur les listes. Et plusieurs d’entre eux se sont ensuite retirés, 12 partis seulement se sont présentés aux élections sur la liste d’al-tahâluf al-dîmuqrâtî. 13. Entretien réalisé à Madînat Nasr, le 12 novembre 2012. 14. Le 19 juin 2011. 15. La loi des partis promulguée en mars 2011 par le Conseil Supérieur des Forces Armées interdit la formation des partis politiques sur une base religieuse. On relève donc une ambiguïté dans la formulation de cette loi quant à la notion de « base religieuse », étant donné la référence religieuse à partir de laquelle plusieurs partis islamistes ont été formés. 16. Avant de diriger le parti, Mohamed Morsi était membre du bureau politique des Frères musulmans. Il a exercé le métier de professeur au département de génie de l’université de Zagazig. Député à l’assemblée du peuple de 2000 à 2005 et ancien candidat aux élections législatives de 2010, il a mené la campagne électorale des Frères musulmans lors des élections législatives. Il fut aussi le candidat du parti pour l’élection présidentielle en 2012 où il a été élu au second tour avec 51,73 % des voix face à l’ancien premier ministre Ahmad Chafîk. Il est ainsi le cinquième président égyptien et le premier président civil dans l’histoire contemporaine de l’Égypte. 17. Médecin et responsable du bureau politique des Frères musulmans jusqu’en 2011, il a occupé la fonction de député à l’Assemblée du peuple de 1987 à 1990. Il a été élu député en 2011-2012 à la seconde chambre du parlement (majlis al-chûrâ). Il a depuis été nommé conseiller du président Mohamed Morsi. 18. Professeur en microbiologie à l’université de Minia et membre du bureau administratif des Frères musulmans, il a été nommé président du groupe parlementaire des Frères musulmans de 2005 à 2010, puis porte-parole de la Gamâ‘a en 2010, avant d’être nommé président de l’Assemblée du peuple en 2012. Depuis la dissolution de cette dernière, il a été élu président du PLJ. 19. Voir l’organigramme de la Gamâ‘a des Frères musulmans, dans A. Elshobaki, op. cit., p. 27. 20. Entretien réalisé avec le candidat Hilmî Al-Ghazâr, tête de liste du PLJ, le 6 décembre 2011. 21. Entretien réalisé à Madînat Nasr, le 12 novembre 2012. 22. La seule réponse qui nous a été donnée au sujet de la provenance du financement est celle des cotisations des membres de la Gamâ‘a des Frères musulmans. Son financement peut en effet provenir de l’étranger, notamment par des hommes d’affaires affiliés à cette dernière. Entretiens réalisés à Madînat Nasr, le 12 novembre 2011.

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23. Les travaux réalisés jusqu’ici sur les Frères musulmans ont défini le Tanzîm comme une organisation hiérarchique. Cette définition ne prend pas en compte la fonctionnalité du Tanzîm sur le terrain. En effet, l’enquête de terrain et la lecture de la littérature frériste nous conduisent à appréhender le Tanzîm comme une structure organisationnelle de type hiérarchico-fonctionnel. 24. Le nombre d’habitants du gouvernorat est de 5 millions. Quelques temps après sa création, soit en fin 2011, le PLJ comptait 24 448 adhérents, et 23 823 adhérents en 2012. Données recueillies le 12 décembre 2012 lors d’un entretien avec un des responsables du parti dans le secrétariat du gouvernorat de Giza. 25. À noter que la loi électorale de 2011 interdit toute propagande politique dans les lieux de cultes. 26. La jurisprudence islamique distingue deux genres d’obligation. La première est une obligation individuelle (fard ‘ayn) comme la prière, le jeûne, l’aumône, etc. La seconde est une obligation collective (fard kifâya) comme le jihâd par exemple. Quand elle est proclamée, il suffit qu’elle soit accomplie par une partie des musulmans pour que le reste de la communauté soit dispensé de cette obligation. 27. Notes de terrain, 28 novembre 2011. 28. La traduction en français est loin de rendre compte du signifiant Al-Aslah, car en arabe il désigne plusieurs qualités : il s’agit d’un homme de foi, vertueux, de bonne conduite et digne de confiance. 29. L’aumône. 30. Notes de terrain, 15 octobre 2011. 31. Sarah Ben Nefissa et Alâ’ Al-dîn Arafat, Vote et démocratie dans l’Égypte contemporaine, Paris, IRD-Karthala, 2005, p. 182. 32. La question posée aux électeurs était : « Pour qui avez-vous voté ? Et pourquoi ? » 33. Marie Vannetzel, « “Ils nous ont déjà essayés !” Clientélisme et mobilisation électorale frériste en Égypte », Politique africaine, n° 108, 2007, p. 47-66. 34. Tewfik Aclimandos, « Splendeurs et misère du clientélisme », in F. Khostall et F. Vairel (dir.), op. cit., p. 212-215. 35. Notes de terrain, 16 novembre 2011. 36. Notes de terrain, 17, 18 et 19 novembre 2011.

RÉSUMÉS

L’un des changements politiques majeurs en Égypte, après le 25 janvier 2011, fut la création de partis politiques sur la base de références religieuses. Parmi eux, le parti de la Liberté et la Justice (PLJ), créé par la Gamâ‘a des . Ce parti a obtenu lors des premières élections législatives post- Moubarak 42,7 % des sièges de l’Assemblée du peuple (chambre basse du Parlement). La réflexion menée dans cet article a pour objectif de saisir la sortie des Frères musulmans de la semi-

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clandestinité et leur participation officielle dans l’espace politique Égyptien. Ainsi, l’analyse porte d’une part sur la formation du PLJ et sur sa campagne électorale, et d’autre part sur le rapport qu’entretient la Gamâ‘a avec ce parti, particulièrement en termes de pratiques politiques. Cette approche s’appuie sur un travail de terrain réalisé dans les 2ème et 3ème circonscriptions du gouvernorat de Giza

One of the major change in Egypt following the January 25th Revolution was the creation of several political parties based upon a religious reference framework. Amongst them, the Freedom and Justice party (FJP), founded by the Muslim Brothers’ Gamâ‘a. This party managed to gain 42,7% of the seats of the People Assembly (lower house of the Parliament) during the first post-Mubarak parliamentary elections. This article examines the Muslim Brothers’ way out their previous semi-clandestinity, and their official participation to the Egyptian political arena. It analyzes first the establishment and the electoral campaign of the FJP, and then the relation between the latter and the Gamâ‘a, concerning particularly its political practices. This study rely on a fieldwork within the 2nd and 3rd districts of the Giza governorate.

INDEX

Mots-clés : Frères musulmans, partis politiques, élections législatives, mobilisation électorale, clientélisme Keywords : Muslim Brothers, Political parties, Electoral mobilization, Clientelism

AUTEUR

AMAL-FATIHA ABBASSI Fatiha-Amel Abbassi est doctorante en science politique à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en- Provence, et a été chercheuse au CEDEJ de 2006 à 2007, puis de 2010 à 2013. Sa thèse est consacrée aux Frères musulmans après le 25 janvier 2011. Ses travaux antérieurs portaient sur les groupes islamistes et les discours jihâdistes en Égypte. Fatiha-Amel Abbassi is a PhD candidate in political science at the Political Sciences Institute of Aix-en- Provence (France). She has been a researcher at the CEDEJ from 2006 to 2007, and then from 2010 to 2013. Her PhD thesis is devoted to the Muslim Brothers after the January 25th Revolution. Her previous studies were about Islamist groups and jihâdist discourses in Egypt.

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Revolutionary, creative, heterogeneous and unorganized: young Egyptians facing elections

Azzurra Meringolo

1 For decades, Egyptian presidents used the expression ibnâ’î, i.e. my sons, when they referred to the population they represented. Eighteen months after Mubarak’s fall, the neo-elected president Mohammed Mursi preferred to address to them as al-muwâtinîn, i.e. citizens. If even maybe only to some extent, Mursi’s refusal to use the patriarchal vocabulary of his predecessor reflects an important change in Egyptian political frame. Those Egyptians who did not accept to be called sons by their dictator became every day more and more active in the political arena, transforming their passivity into participation. Among these new citizens we find, above all, young people, who made their debut in Egyptian political life.

2 Based on a fieldwork, this paper investigates which role revolutionary Egyptian youth1 played in the electoral process. Even if some revolutionaries questioned the validity of these elections organized under military rule, for the first time in their life, many young revolutionary Egyptians showed a political activism never seen before. To sum up, this work focuses on an urban context and tries to investigate the role, the strategies and the contribution young Cairo activists gave to the electoral process.

3 With the help of an interdisciplinary approach, and using a wide selection of flyers, debates records (television, radio, live conferences and informal meetings), personal interviews, newspaper articles, social networks’ posts, street graffiti and artistic productions as primary sources, this research highlights different aspects of a very complex reality.

Egyptian youth facing transition’s challenges

4 , Ahmed Maher, Wael Ghoneim and other young women and men who organized and took part in 2011 revolt, grew up in the 90’s, when first neo-liberal

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economic policies were implemented. These measures showed their uselessness came of age during the last decade, when the consequences of and economic deregulation were evident and when the International Monetary Fund’s austerity interventions and the World Bank’s structural-adjustment programs – established to favor foreign donors and creditors – started to show their negative effects. Even if liberalization and privatization processes determined positive macro-economic data – in 2002-2006, Egypt’s GDP increased 5% and in 2007 it reached its peak with 7%2 – there was a constant deterioration of labor market conditions that squeezed the middle class and young people. Youth unemployment rate increased from 9.8% in 1998 to 14.4% in 20063.

5 Although the revolt had a transgenerational feature, in such a delicate situation and pushed by discontent4, the young generation became the main protagonist of the revolt. During the last ten years, young Arabs gradually took conscience of important socio-cultural issues and started to play a major role in politics through new opposition forms. We witnessed to what Asef Bayat called a "non-social movement", able to transform itself in a more structured organization or in a simple political movement according to events. Bayat talks about collective actions taken by non-collective actors, in the sense that a large number of ordinary people triggered a deeper social change, even though these actions were rarely guided by an ideology or recognizable leaderships and organizations5. Moreover, non-collective actors used all means available, as well as courage and creativity, to raise their voice, facing all kinds of difficulties just to be heard, seen and to express their concern6.

6 The leading role of young people cannot be fully understood without considering both the human development rates presented by UN-sponsored reports in 2003 and the growth in the use of Internet in the region. Supported by the UNDP7, the Arab Human Development Reports stated that the Arab cultural production of these past few years represented an economic resource for a large number of young people and that the Web was one of the most important means of cultural improvement. Between 2002 and 2008, in the Arab world the use of the Web increased 1176.8%, compared to 290% for the rest the world, and in 2010 Egypt’s Internet users were the highest number in the region, counting 12,568,900 Egyptians, 18.7% of all Arab Internet users8.

7 As one of the main actors in the old regime’s overthrow, young people gained the admiration of many Egyptian citizens, of all ages. Although the generation gap often takes a stereotyping form – “our” generation versus “theirs”, the “fearful” generation versus the “courageous” one – social divisions were left aside to give room to a new connection between old and young people9.

8 Before and during the first phase of the revolution, young protesters were not linked to Islamist movements. Bayat, indeed, talked about post-Islamist revolution, a sort of indigenous political reform marked by a blend of democratic principles and, possibly, religious sensibilities10. Nevertheless, after Mubarak’s fall and with the birth of Islamist (hizb Al-Hurriya wal-‘Adâla) and Salafist (hizb Al-Nûr) parties, young revolt initiators and well-known young representatives started to use the Web as a real political tool. At first, the Web was a unifying arena used to spread subversive messages and organize secret meetings but then, during the transitional period, it became a platform for a wider debate and a virtual space where to share more articulated political messages.

9 During the first days of transition, the heterogeneous group of young Egyptians, the core of the street’s revolt, had to deal with issues regarding its structure, such as its

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internal organization and the lack of leadership. In fact, favoring an informal political participation, to some extend this group distanced itself from the classical, organized opposition scheme. In contrast to the worn-out forms of party affiliation in the Arab world, young Egyptians set a new, spontaneous model of political engagement, as many other young Arabs during the Springs. Divisions, once again, sneaked in the youth movement, which split into multiple expressions – youth groups, political parties, bloggers and Internet activists, civil society organizations – mostly uncoordinated, divided by ideological, strategic and social differences11. Certainly, the main characteristics of the Egypt’s youth movement – flexibility, decentralization, ideological heterogeneity of their members, use of new technologies to communicate – were the major strength during the anti-Mubarak’s protest because they involved a large number of young people without any political affiliation, unifying young Egyptians against the regime and accelerating a break with the old system12.

10 At the same time, these factors became elements of weakness when young Egyptians decided to approach the electoral dynamics. Due to their political inexperience and inability to transform their revolutionary message into political practice, final election results did not represent a success for young people in their first appointments with the ballots. Nevertheless, it would be unfair to judge youth contribution to the transition by only looking at the electoral performances. Thus, considering youth participation to the political process as one of the most innovative element in the Egyptian Spring, this paper underlines the great contribution young revolutionary Egyptians gave to the electoral process, influencing its debates and taking part to all its stages through political pluralism and original strategies.

Ready for electoral debut

11 This paper focuses on one of the most important and active aspects of political participation: elections. In this paragraph, great attention will be given to parliamentary elections because young activists had more opportunities to take part in the electoral process in this particularly important appointment than in the previous referendum and the following presidential elections. Some young revolutionary forces, such as shabâb al-thawra, the Revolution Youth Coalition (RYC), showed their limits and weaknesses.

12 RYC took its first steps in Tahrir square, in early February 2011, and more than twenty five political movements, parties and groups were involved in it, as well as independent activists and protesters who chose this coalition to be the voice of their revolutionary demands13. Even if all these movements agreed about major requests – bread, freedom and social justice – they soon faced problems that undermined the coalition’s stability. According to the blogger Zeinobia, the biggest RYC’s “sin” was to limit the revolt to Tahrir square, neglecting the population’s demands. Moreover, all members could not overcome their political principles and differences to reach common goals14. Thus, at the beginning of the parliamentary election process, coalition participants enrolled in different parties and its power sharply decreased.

13 More than fifty RYC members ran for parliamentary elections, a quarter of the number the Coalition announced during a press conference in September 2011 at the syndicate of journalists in Cairo. In this occasion, RYC also called for an electoral coalition of revolutionaries to fight against members of the old regime who were trying to stay in

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power. Among RYC candidates, there were also former MB youth members, such as Islam Lofty, founder of Al-Tayyar Al-Masri – Egyptian Current Party – that, running in the Giza district, stands for a centrist and more liberal version of Islamic politics. In addition, some candidates ran both as RYC affiliates and as independents, like blogger and activist Abdel Rahman Fares who run in Fayoum. Among the names belonging to the revolutionary forces should be mentioned other candidates from the Al-ʻAdl – Justice – party, such as Mustafa El Naggar and Ahmed Shoukry, former members of the National Front for Change. Different from other young candidates, Shoukry ran in a district out of Cairo15. Coming from a famous family of politicians, he was one of the few young candidates that already had some kind of experience in politics because he previously ran, unsuccessfully, in 2010 elections. Among Al-ʻAdl candidates, there was also Dalia Zaida, and the award-winning journalist and blogger, executive director of the Cairo-based Ibn Khaldun Centre for Development Studies. One of the youngest revolutionary candidates was the twenty-five year old Mahmûd Mubârak, who ran for elections in the heart of Upper Egypt big clans, in Qena district.

14 Well known bloggers and activists, under different political flags, took part in what were perceived as the most important elections in Egypt’s modern history since the 1920s. Heliopolis district provides an example of competition among revolutionary candidates. Blogger Mahmoud Salem, also known as Sandmonkey, ran against Asmaa Mahfouz, the activist famous for her Youtube video, that helped mass demonstrations to spark off, one week before the beginning of the revolt. In the same district we find Amr Hamzawy too. Even if he was older than the other two bloggers, this Western- educated political analyst was considered part of the revolutionary movement. The increasing competition is one of the elements that showed how the presence of these three candidates split the vote16. The race was finally won by Hamzawy, but the competition was in part influenced by Mohamed Mahmoud’s street clashes that took place between the army and the revolutionaries, one week before the elections. Even if the ballot papers had already been printed, Mahfouz declared the withdrawal of her candidacy. An increasing number of young revolutionaries that previously declared to support Salem called for the boycott of elections held under military rule and in such a violent mood. “It is not possible to think that our first free elections take place in such an atmosphere” said in a personal interview Shahir George Ishâq, another young revolutionary candidate from Kefaya17, running in the East Cairo district for the Al- Masriyyin Al-Ahrâr – Free Egyptians – party. Nevertheless, in this occasion the boycott movement did not significantly influence the overall process, the majority of revolutionary candidates in the end decided to run and young electors went to the polls.

15 Even if at the end their results were not successful, young revolutionaries’ political involvement represents an historical record that will be important for future elections. It also confirms that, when the revolt left room to political competition, the heterogeneous group of revolutionaries that had been ready to fight against the big common enemy, was not able to stay under the same political flag. In its dissolution communiqué, published on July 8th, RYC admitted that its participation to the elections was not a success : The Coalition at the time was not able to enter the elections as a group. Some of its members preferred to enter the elections on the Egyptian Bloc list, and some others on the Revolution Continues Alliance list ; some entered the elections running for independent seats. This was not conducive to creating a situation whereby

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everyone that might have been nominated for the list of a single electoral alliance could have run in the elections18.

Supporting presidential candidates

16 Young revolutionary candidates were not the only ones the Egyptian youth decided to support. sometimes, young people preferred to vote for older candidates who, still considered revolutionary, were perceived more prone to success. Amr Hamzawy and Amr Shobaki, the director of the Arab Forum for Alternative who ran as a liberal independent, were two of the most supported parliamentary candidates. Also Gamila Ismail, a hardened political activist, TV journalist and ex-wife of opposition leader , received the support of young revolutionaries and an important number of young women decided to take part in her campaign.

17 Moving from parliamentary to presidential elections, Bouthayna Kamel was another woman who received support from young people. An anti-regime and anti-military journalist, Kamel is also founder of Shayfeen – we are watching you – an organization that spreads awareness on political institutions. She wanted to become the first female candidate in the history of Egyptian presidential elections, but she did not collect sufficient votes to present her candidacy and she finally supported Hamdeen Sabbahi. Together with Abdel Monein Aboul Foutouh and , Sabbahi was the young revolutionaries’ favorite candidate.

18 Observing RYC’s behavior, since the beginning it was clear that there was a group – Al- Tayar Al-Masri – that supported Aboul Foutouh, and another one that did not promote any particular candidate. With the help of a number of public figures, this second group tried to set up a presidential team that gathered all revolutionary candidates together. Neither these attempts nor the sessions held with the five major candidates were helpful. As a result, some members chose to boycott the elections, some others continued to support Aboul Foutouh. At a later time, when the idea of a presidential project seemed already failed, the rest showed their support for Hamdeen Sabahi19.

19 Concluding campaign events confirmed division among young revolutionaries. On May 18th, Aboul Foutouh met his supporters at the Al-Gazeera Youth center in Zamalek, during an event attended by a cross-section of Egyptian population. Middle class, liberal and moderate Islamist families, as well as young Christians, went on a march to reach the center. Youth presence was impressive and, during the meeting, Aboul Foutouh received the endorsement of activist , considered one of the most important organizers of the January 25th demonstration. Visiting Sabbahi’s headquarters, it was evident that the majority of people involved in his campaign were young Egyptians that took part in the revolt, members of April 6th movements, Kefaya activists and nationalists. The role of young people was also clear on the bus tour across Cairo districts that closed Sabbahi’s campaign. “Officially our movement did not support any candidate, but the majority of us is campaigning for Hamdeen. He is the only one able to achieve Tahrir goals” said in a personal interview Mona, an April 6th member, part of the bus staff. Some hours later, also another young woman at Amr Moussa press conference described herself as an April 6th member and supporter of Moussa. When a journalist asked her to provide further details about her role in the movement, she declined to answer, rising doubts about the honesty of her words. This episode confirms that, speaking in the name of revolutionary forces became a common

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attitude shared by all candidates. Nevertheless, covering the campaign, it was evident that those who attended Moussa20 and Ahmed Shafîq’s conferences were not as young and revolutionary as the Sabbahi and Fothou’s supporters.

20 The first turn’s results were perceived as a failure and they threw young revolutionaries into such confusion that the number of those who called for a boycott increased21, as doubts and debates. Both Shafîq and Moussa22 were perceived as the less revolutionary candidates. Young Egyptians faced three options : boycott, invalidate their vote or choose Mursi. The majority of RYC’s members decided to boycott, but some from the Al-Tayyar Al-Masri and April 6th finally supported Mursi. His electorate increased and, on the eve of the run-off, the Egypt’s highest court declared the Parliament invalid and the country’s interim military rulers promptly took full legislative authority, triggering chaos and confusion about the leadership. Sarah Al- Sirgany was one of the revolutionary activists who openly explained why she chose to support Mursi : Even if [he] wants to model Egypt to the Saudi or Iranian conservatism, which is socially, economically and politically impossible, it would take them more than ten years to do so. Any new president from outside the regime will have to battle second, third and fourth-tiers of regime beneficiaries, even just to replace them with equally corrupt but loyal officials. Taking over power, much less enforcing a complete social and political change, would take years23.

21 Blogger Zenobia had a similar opinion: If I want to revolt against Mursi, [rather than Shafîq] it will be much easier to get support from the army and the police as well many sectors in the society. I voted for Mursi and I hate and refuse the Muslim Brotherhood and their program (…) I know that I will be opponent to him and his brotherhood24.

22 As shown by the posts, both Al-Sirgany and Zeinobia considered Mursi a less dangerous candidate and a more distant figure to the previous regime. Thus, the lesser of the two evils. With a heavy heart and with small hope that their vote really helped Egypt’s transition, from the first day of Mursi’s presidency, Egyptian young revolutionaries started to reorganize themselves to find a democratic strategy through which they could achieve all Tahrir’s goals.

Revolution watchdogs

23 While participating and supporting different candidates, revolutionary Egyptian youth constantly watched over the revolt’s evolution. During the transition, young revolutionaries strongly criticized the Security Council of Armed Forces’ (SCAF) behavior, denouncing the candidacy of some people linked with the old regime, and following voting and counting operations. Carrying out original and creative activities, they continued their supervisory activity even after Mursi’s victory.

24 Activists decided to use their cameras as a weapon to show soldiers’ misbehavior and criticize army’s violence. During October and December 2011 clashes in Mohamed Mahmoud and Qasr Al-Aini streets, Hossam Al-Hamalawy used his blog and twitter account to repeat one of his slogans to his followers: “In dictatorship, independent journalism by default becomes a form of activism, and the spread of information is essentially an act of agitation25”.

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25 In the same period, a group of activists who wanted to denounce SCAF’s transgressions started a new campaign called 3askarKazeboon – soldiers are liars. The main goal of this campaign was evident: to show the atrocities perpetrated by the army. But 3askarKazeboon also implicitly highlighted the importance of public space and its use to voice political dissent. The idea was simple and easy to put in practice. Activists chose a place where to screen all videos, graffiti stencil models and pictures regarding human rights abuses. The only thing left to do was hyping the event on Twitter and Facebook. Usually the event started out with a screening of the videos, followed by marches through the streets of Cairo. Citizens held pictures and distributed website stickers of the campaign and fliers to bystanders, passing cars and pedestrians. This was usually accompanied by conversations and debates with skeptical and curious citizens. 3askarKazeboon spread across the entire country. In this case too, its organizers belonged to a completely decentralized movement with no hierarchy. According to Omar Al-Sabh, a political sciences’ student at the American University in Cairo : A year after the initial uprising, we are still drenched in a war of information. It is unfortunate that there are some who believe that the revolt is over. However the truth of the matter is that we are still struggling against a state and a system that refuse to raze the establishment of exerting power through violence. Alternative media, strategic use of public space, civilian marches, and the internet are the only tools that the revolutionary force has at its disposal to affect change26.

26 During the parliamentary elections’ campaign, political groups and activists including April 6th and RYC also launched Emsekflol.com, a website that listed members of ex- National Democratic Party27 (NDP) leaders and important candidates, local councils and NDP headquarters in all Egyptian governorates. The website also includes the names of those parties founded by the fulûl, the NDP remnants.

27 The struggle against the fulûl continued during the presidential campaign, when revolutionary activists strongly criticized Moussa and Shafîq’s candidacy. A couple of days before the elections, Cairo’s graffiti artists offered a sarcastic rebuttal of city’s authorities, painting a fulûl graffiti on Mohamed Mahmoud’s wall, combining the faces of various figures together. Half of it represented Marshall Tantawi, and the other half Hosni Mubarak. Behind them, stood Moussa and Shafîq28.

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28 Another artistic initiative was Mosireen, a film collective born during the Egyptian revolution with the purpose to film, archive and share visual information. It was widely known that Egypt’s state-run or private media had done such a bad job on the coverage of last year’s Egyptian uprising, from Tahrir Square to other protests across the country. Mosireen came out to change this attitude. Mosireen’s YouTube channel had more than three million views and was ranked as the most visited non-profit channel ever in Egypt, and the most viewed in January 2012 in the whole world29.

29 Young activists also monitored parliamentary and presidential electoral processes in order to denounce fraud, in front of and inside the voting centers, and during the voting counting phase. Shayfeen was one of the most active organizations. Members of its staff placed in front of the voting centers and distributed fliers with their call center numbers, inviting electors to denounce any kind of fraud. In their headquarters, they received some calls and they sent staff members to shed some light on the alleged cases. Even if they received calls from all across the country, they were able to check only the biggest urban centers. At the end of the parliamentary elections, they denounced important cases of fraud – both from the Brotherhood and ex-NDP candidates; during the presidential elections, instead, they did not publish any report about relevant illegal operations.

30 As soon as Mursi was appointed president, tireless activists promoted the Morsimeter, an interactive website used to evaluate the president’s political performance. Its creator was Zabatak, a non-profit initiative for a bribery-free, corruption-free and safe Egypt30. According to the official Facebook page, this was an “initiative to document and monitor the performance of the new Egyptian president [to] monitor what has been achieved from what he had promised in his program during his first 100 days in power.” Above all a tool for the population and the media, Morsimeter included five categories: security, traffic, bread, sanitation and fuel. Some of the sixty-four challenges included: identifying police corruption, installing modern traffic control systems, providing performance incentives for bread bakery inspectors, establishing penalties for improper disposal of waste and establishing penalties for fuel smugglers.

Conclusions

31 This paper shows that, as well as main actor of the revolt, the revolutionary youth played an important role in the electoral process too. After decades of political disaffection, their participation was one of the most innovative aspects in voting. With different intensity, involvement and forms, they took part in the political scenario as an informal and spontaneous protagonist, even if they showed to be a heterogeneous group divided by different political ideas and strategies. Although they appeared uncoordinated and unorganized, they all desired to make the difference in the transitional process.

32 At least in urban areas, their enrollment really influenced politics, organizing campaigns and facing ballots. In addition, aware of the transition’s risks and mindful of the recent past of the country, they became the revolution caretakers. Thanks to activism, fantasy, ability with arts and technology, they used original strategies that, together with the more traditional ones, turned out to be strong weapons for their struggle.

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33 In the short run, young revolutionary forces did not learn the lesson and they arrived to the presidential elections more divided and without a common candidate. Nevertheless, most recent debates have shown that there is a wide ongoing reflection among young revolutionaries who, unsatisfied with the election results, wanted to work together and create a coalition that could represent their interests. RYC’s declarations show that they are aware of their ideological heterogeneity, they know that decentralization and the lack of leadership became elements of weakness when it was time to approach electoral dynamics.

34 As a result, in order to transform their message into political practice, revolutionary young members have to face some challenges. Will they be able to conduct their opposition role in a democratic – internally and externally – way? How will they transform ideas into effective political actions? Will they be able, saving their flexibility, to coordinate their strategies and find a winning one? Will they pass from squares to political institutions? And if so, how will they use their original weapons in traditional politics?

35 After decades of disaffection, youth contribution to political life is something extremely good for Egyptian society. According to the novelist Alaa Al-Aswany, “for too many decades Egypt was a country sitting on the bench. A corrupted coach took to the field the eldest player, leaving the best on the bench. These one have incredible potential, but they never had the opportunity to play.31” Nowadays they have this opportunity but, before winning, they still need to practice.

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UNITED NATION DEVELOPMENT PROGRAM, 2003, Arab Human Development Report 2003, http:// hdr.undp.org/en/reports/regionalreports/arabstates/Arab_States_2003_en.pdf.

NOTES

1. If not specified, when I refer to Egyptian youth, I talk about revolutionary Egyptian young people. 2. Gilbert Achcar, “Egypt’s Recent Growth: An ‘Emerging Success Story?ʼ”, Development Viewpoint, n° 22, 2009. 3. Ragui Assaad, “Labor Supply, Employment And Unemployment In The Egyptian Economy, 1988-2006”, in R. Assaad (ed.), The Egyptian Labor Market Revisited, Cairo, American University in Cairo Press, 2007, p. 17. 4. Silvia Colombo, “Giovani e democratizzazione in Egitto dopo la Primavera araba: un nuovo paradigma di partecipazione politica?”, Rivista Italiana di Sociologia, vol. 3, n° 5, 2012, p. 57. 5. Asef Bayat, Life as Politics. How Ordinary People Change the Middle East, Amsterdam, ISIM/ Amsterdam University Press, 2010, p.14. 6. Ibid., p. 26. 7. United Nation Development Program, Arab Human Development Report 2003, http:// hdr.undp.org/en/reports/regionalreports/arabstates/Arab_States_2003_en.pdf, (Last access September 2012). 8. Internet World Stats, http://internetworldstats.com/, (Last access September 2012). 9. Selim H. Shahine, “Youth and the revolution in Egypt”, Anthropology Today, vol. 27, n° 2, 2012, p. 2. 10. A. Bayat, op. cit., p. 14. 11. S. Colombo, op. cit., p. 63-64. 12. Maria Cristina Paciello, La Primavera Araba: Sfide e Opportunità Economiche e Sociali, Roma, Consiglio Nazionale per l’Economia e il Lavoro, 2011, p. 58. 13. It was formed by several politically oriented movements, such as liberal – El-Baradei support campaign, Democratic Front Party and April 6th –, Islamist – Muslim Brotherhood (MB), MB Youth and ex-MB Youth –, leftist – Revolutionary Socialists, Tagammuʻ Party Youth –, and social- democratic – Justice and Freedom Youth. 14. “Farewell Revolt Youth Coalition”, Egyptian Chronicles, July 2nd 2012, http:// egyptianchronicles.blogspot.it/2012/07/farewell-revolt-youth-coalition.htm,l (Last access September 2012). 15. The same did Abdel Rahman Ezz. 16. At the beginning, Salem was running as an independent candidate but, as soon as he understood that he needed the support of campaigners, he joined the Al-Masriyyin Al-Ahrar, the Free Egyptian party led by the Coptic tycoon Naguib Sawiris, and he officially faced Hamzawy, the candidate of Misr Al-Hurra, the Egypt (See the article of Giedre Sabaseviciute in this issue). 17. Ishâq is the son of the Coptic founder of Kefaya, the Egyptian movement for change which, prior to the 2011 revolution, was supported by many Egyptian’s political organizations. Kefaya was founded in 2004 as a platform to protest against Mubarak’s presidency and the possibility he might seek to transfer power directly to his son, Gamal ; it was against political corruption and stagnation too.

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18. This declaration was posted on the coalition’s Facebook page on July 8 th, https:// www.facebook.com/photo.php?fbid=422755627776801&set=a. 165714020147631.50568.165263783525988&type=1, (Last access October 2012). 19. Ibid. 20. Before the first run, young revolutionaries described both Shafîq and Moussa as fulûl, remnants of the old regime, but after the run-off, they declared that Moussa was not so involved in Mubarak’s circles. 21. Final official turn-out statistics did not show a lower turnout in run-off elections. 22. The first one was a former Egyptian Foreign Minister and Secretary General of the Arab League, and the latter was Prime Minister during the last Mubarak’s government. 23. Sarah el-Sirgany, “Why I’m voting”, June 17th 2012, Egypt Monocle, http://egyptmonocle.com/ Emonocle/why-im-voting/, (Last access October 2012). 24. Zeinobia, “Voting girl: 2012 Presidential Election”, June 17th 2012, Egyptian Chronicles (Blog post), http://egyptianchronicles.blogspot.it/2012/06/voting-girl-2012-presidential- elections.html, (Last access October 2012). 25. Arabawy, (Blog post), http://www.arabawy.org/, (Last access October 2012). 26. Al-Masrî Al-Yawm, January 18th, 2012. 27. Hosni Mubarak’s party. 28. Cairo authorities removed the original drawing with Tantawi and Mubarak only. So artists repainted it adding Moussa and Shafîq in the background. 29. Al-Ahram on line, September 23 rd, 2012, http://english.ahram.org.eg/NewsContent/ 5/32/53436/Arts—Culture/Film/Mosireen-Media-Collective-calls-for-donations-onli.aspx, (Last access September 2012). 30. Al-Masrî Al-Yawm, June 25th 2012. 31. Personal interview, February 16th 2011.

RÉSUMÉS

Cet article examine le rôle joué par la jeunesse égyptienne dans le processus électoral. Même si certains révolutionnaires ont contesté la validité d’élections organisées sous un régime militaire, beaucoup de jeunes révolutionnaires égyptiens ont fait montre à cette occasion d’un militantisme politique jamais vu auparavant. Centré sur le milieu urbain, cette étude s’intéresse au rôle, aux stratégies et aux contributions apportées par les jeunes militants cairotes aux différentes étapes du processus électoral. Leurs modes de participation ont constitué l’un des aspects les plus innovants de ces élections, et bien qu’ils soient apparus non-coordonnés et inorganisés, ils ont tous cherché à faire la différence dans le processus de transition. Grâce à leur militantisme, leur imagination, et leurs compétences artistiques et technologiques, ils sont devenus les gardiens de la révolution et ont développé des stratégies originales qui, combinées avec des stratégies plus traditionnelles, se sont révélées des armes efficaces dans leur combat.

This paper investigates which role revolutionary Egyptian youth played in the electoral process. Even if some revolutionaries questioned the validity of elections organized under military rule, for the first time in their life, many young revolutionary Egyptians showed a political activism never seen before. Focused on an urban context, this work investigates the role, the strategies and the contribution young Cairo activists gave to all the different steps of the electoral process.

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Their participation was one of the most innovative aspects in voting, and although they appeared uncoordinated and unorganized, they all desired to make the difference in the transitional process. Thanks to activism, fantasy, ability with arts and technology, they became the revolution caretakers and they used original strategies that, together with the more traditional ones, turned out to be strong weapons for their struggle.

INDEX

Mots-clés : jeunesse égyptienne, chabâb al-thawra, élections égyptiennes, 6 avril, jeunesse révolutionnaire Keywords : Egyptian youth, Shabâb al-thawra, Egyptian election, April 6th, Revolutionary youth

AUTEUR

AZZURRA MERINGOLO Azzura Meringolo est docteur en relations internationales. Journaliste et chercheuse, elle s’est établie au Caire durant l’été 2010 et a rejoint le CEDEJ pour une recherche de terrain portant sur l’anti-américanisme égyptien après le 11 Septembre. Sa thèse a reçu le prix Maria Grazia Cutuli. Elle a couvert les événement qui ont conduit à la révolution du 25 janvier 2011 pour le compte de journaux italiens et internationaux. Elle a publié en juin 2011 un livre intitulé I ragazzi di Piazza Tahrir. En 2012, elle a obtenu le prix du journalisme Ivan Bonfanti pour l’un de ses reportages. Elle est coordinateur scientifique pour Arab Media Report et chercheuse à l’IAI, Istituto Affari Internazionali. Azzurra Meringolo holds a PhD in international relations. Engaged in journalism and research, in Summer 2010, Azzurra landed in Cairo and joined the CEDEJ for her field research on post 9-11 Egyptian anti- Americanism. With her thesis, she won the prize Maria Grazia Cutuli. She witnessed and covered for Italian and international newspapers the events that led to the outbreak of January 25th revolution. In June 2011, she published a book entitled I ragazzi di Piazza Tahrir. For her reportage, she won the 2012 journalistic price Ivan Bonfanti. She is a scientific coordinator of Arab Media Report and a researcher at the Italian Istituto Affari Internazionali, IAI.fr

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Le rôle des confréries soufies durant les élections législatives de 2011 en Égypte : quelques réflexions préliminaires

Costantino Paonessa

1 En Égypte, environ 12 à 15 millions de musulmans appartiendraient à des confréries soufies1, réparties en 68 confréries officielles placées sous la direction du Conseil supérieur des confréries soufies (Al-Majlis Al-A‘lâ li-l-Turûq Al-Sûfiyya). Il faut y ajouter les confréries non reconnues, affiliées ou non à des groupes légaux, et dont le nombre est difficile à estimer.

2 Cet énorme potentiel que représente la mystique organisée a depuis longtemps été l’objet de tentatives de contrôle (du reste jamais complétement réussies) par le pouvoir. D’ailleurs ce n’est pas un hasard si l’Égypte est aussi le seul pays arabe où l’existence d’ordres mystiques a une base légale très précise2.

3 Définies notamment comme des institutions quiétistes3, ouvertes, tolérantes, insistant sur la conviction individuelle4, les confréries égyptiennes ont toujours été tenues en suspicion par le pouvoir d’État. S’il est vrai que l’attitude politique des confréries, à partir de la fin du XIXe siècle, peut être présentée comme celle de la recherche d’alliances avec le pouvoir (gouvernement, partis, puissance occupante)5, il est également vrai que ce dernier a toujours cherché le soutien des personnalités issues du milieu religieux des confréries.

4 Depuis Nasser, et puis durant les années Moubarak, les confréries soufies, outre leur légitimisme politique sur le plan national, n’ont jamais semblé s’intéresser directement aux jeux politiques, ni n’ont cherché à jouer un rôle « officiel » lors des élections, malgré le nombre important de leurs adhérents. Cependant, elles ont toujours accordé leur soutien au parti au pouvoir. En retour, le gouvernement leur a concédé pleine liberté pour organiser leurs réunions et réaliser leurs activités6. En outre, le régime leur

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a toujours assuré une protection contre les attaques des islamistes, depuis toujours très hostiles à l’égard du soufisme7.

5 Si la chute de Moubarak n’a pas fait disparaître du jour au lendemain un « système » autoritaire trentenaire, l’ordre politique du pays n’en a pas moins subi, après la révolution du 25 janvier, de profondes transformations qui ont modifié l’équilibre interne du pouvoir et ont abouti à la naissance d’un véritable processus politique. Entre autres, le choc révolutionnaire a entraîné l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène politique, et le renouvellement formel et programmatique des formations plus anciennes.

6 Les soufis n’ont pas échappé à ce processus, même si la plupart d’entre eux n’ont jamais perdu l’occasion de se présenter - au moins au niveau du Conseil supérieur des confréries soufies - comme faisant partie des principaux défenseurs des vieilles structures et de l’ordre existant. Face aux menaces des discours salafistes, la grande majorité des confréries, généralement hostiles à l’islamisme, ont voulu confirmer leur allégeance au pouvoir en signe de reconnaissance et de gratitude. Cependant, loin de constituer un mouvement homogène, les soufis égyptiens sont divisés en plusieurs courants qui n’ont pas manqué de manifester à plusieurs reprises leurs désaccords et mécontentements face aux actions du Conseil supérieur des confréries soufies.

7 Ce travail est d’abord limité dans sa visée, il ne traite, pour l’essentiel, que des aspects les plus formels de l’activité politique des partis soufis ; or, ceux-ci ne peuvent prendre leur véritable signification que si on approfondit mieux leur rôle en tant que corps social dans le contexte – urbain et rural – dans lequel ils s’enracinent et dont ils expriment certaines aspirations. En effet, en moins d’un demi-siècle, l’organisation sociale en Égypte et dans les pays arabes s’est diversifiée et complexifiée. Avec la multiplication de nouveaux espaces d’activité et de vie collective, de nouvelles hiérarchies sont apparues, de nouvelles couches sociales se sont constituées, ainsi que de nouveaux acteurs. Toutes ces données en perpétuelles transformations, à la base de la révolution de 2011, ont abouti à la formation de nouvelles règles du jeu social et politique, de nouvelles valeurs (cristallisées principalement autour des revendications de liberté, de justice sociale et de réformes démocratiques) et constituent des enjeux autonomes de luttes et de conflits.

8 Le processus en cours pousse ainsi à la reconstruction d’un champ théorique trop longtemps focalisé sur une approche « verticale » consacrée à l’analyse du rôle de la seule institution étatique. Il devient désormais indispensable d’affiner l’observation et de prendre en compte l’analyse des luttes que l’institution examinée – dans notre cas un ou plusieurs partis soufis – doit conduire pour conquérir un espace propre, non seulement en termes numériques, mais également en termes de consensus et d’ hégémonie culturelle (pour reprendre le vocabulaire gramscien) pour contrebalancer les valeurs des autres organisations, souvent « dominantes » (Frères musulmans et salafistes). Par ailleurs, les débats et les polémiques autour du soufisme, ses doctrines et ses pratiques dévotionnelles, sont des débats sur l’identité sunnite et la définition même de l’islam ; ce sont des conflits entre une conception pluraliste et souple de l’orthodoxie sunnite et des mouvements puritains et littéralistes.

9 Ce travail, en second lieu, reste incomplet parce que les sources utilisées sont encore très éparpillées et lacunaires ; il manque encore, par exemple, la constitution d’un corpus documentaire croisant sources écrites et sources « virtuelles ». Il est bien connu que dans un contexte d’histoire du temps présent, où le chercheur vit en temps réel les

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événements qu’il analyse, il peut bénéficier de l’apport de sources variées et abondantes. Les sources que j’ai utilisées sont, soit écrites – la presse et les communiqués distribués sur le terrain – soit « virtuelles » : sites Internet, réseaux sociaux, images, sources audiovisuelles ou orales. Je me suis appuyé en outre sur mon expérience accumulée au cours des deux dernières années que j’ai vécues en Égypte.

10 L’objectif de cette contribution est d’analyser le rôle du « soufisme égyptien » dans le nouvel ordre politique issu de la Révolution du 25 janvier, en analysant les continuités et les évolutions de ses expressions. La conception du soufisme, partagée par l’historiographie européenne pendant le XXe siècle, qui consiste à considérer celui-ci comme menacé de disparition imminente8 a été remise en cause 9. Il est aujourd’hui admis que la plupart des raisons invoquées pour expliquer ce déclin (changements sociaux, sécularisation, montée des courants réformistes et modernistes) se sont révélées erronées. Au XXIe siècle les confréries ne semblent pas être de simples éléments résiduels de la société pré-moderne et restent toujours un des facteurs structurants de l’Egypte d’aujourd’hui, et même une des principales formes d’organisation sociale.

11 L’objectif, donc, est de poser les jalons d’une approche contextuelle qui consisterait à spécifier le rôle des différents « acteurs soufis » et à étudier leur position dans le nouveau climat politique où ils sont obligés d’interagir avec d’autres acteurs et groupes politiques et sociaux.

12 Nous procèderons comme suit. Nous commencerons par un examen des conflits qui ont éclaté à l’intérieur du Conseil supérieur des confréries soufies avant la révolution du 25 janvier. La chose n’est pas sans importance car les fractures et les mécontentements autour de cette institution sont parmi les facteurs plus importants qui ont poussé une partie de ces confréries à participer directement et de manière autonome à la vie politique égyptienne post-Moubarak. On peut également voir dans l’affaire de la nomination du nouveau cheikh du Conseil, un des nombreux signes de contestation de la politique autoritaire de l’ancien régime à partir de 2004. Puis nous nous intéresserons aux nouvelles formations politiques qui, plus ou moins explicitement, font référence au soufisme : leur création, leur évolution idéologique et programmatique pendant la phase de transition sous la direction de l’armée, jusqu’aux élections parlementaires de novembre 2011. Enfin, l’analyse des résultats électoraux sera le point de départ pour clarifier le rôle et l’avenir du « soufisme politique » dans un contexte social et politique totalement renouvelé.

13 Il convient de préciser, cependant, que pour la compréhension des dynamiques de ces partis, au moins dans cette première tranche de leur existence, il est impossible ne pas tenir compte de la relation entre la lutte à l’intérieur du Conseil supérieur des confréries et le combat proprement politique. Les deux aspects sont parallèles et parfois complémentaires.

Les antagonismes internes au Conseil supérieur des confréries soufies

14 Force est de constater l’échec de ce que l’on peut appeler « soufisme politique », c’est-à- dire de la tentative des soufis de participer directement, avec leurs propres organisations partisanes, à la vie politique égyptienne. Malgré leur nombre, la faiblesse de leur organisation politique et leur manque d’unité ont fortement limité leur impact

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sur les événements politiques. Leurs voix, courtisées par les différentes forces politiques, se sont dispersées entre plusieurs partis de l’échiquier égyptien.

15 Les déclarations dissonantes qui ont émané des rangs des confréries à l’intérieur du Conseil supérieur des confréries soufies depuis la chute de Moubarak témoignent de fortes différences internes. Ces divisions, tout à fait naturelles entre les confréries soufies, se sont accrues à l’intérieur du Conseil supérieur des confréries soufies depuis 2008 et, comme pour les autres organisations ou formations politiques, la révolution les a fait éclater au grand jour avec deux importants événements10 : le premier est le sit-in commencé par une dizaine de confréries durant le mois de mai 2011 en face du siège du Conseil supérieur des confréries soufies pour demander la destitution du cheikh ʻAbd Al-Hâdî Al-Qasabî, chef du Conseil, et avec lui de tous les anciens membres du parti national démocratique (PND) ; le deuxième est la fondation en septembre 2011 d’un parti politique, le hizb Al-Tahrîr Al-Masrî, qui comprend la tarîqa ʻAzâmiyya et d’autres confréries « mineures ». Quelque temps plus tard, une autre formation politique a été créée par le cheikh Târik Al-Rifâʻî, chef de la tarîqa Rifâʻiyya, une des plus grandes confréries du pays, avec le nom de hizb Sawt Al-Hurriya.

16 Comme je viens de le dire, les rivalités au sein du Conseil des confréries soufies remontent à novembre 2008, c’est-à-dire au moment de l’élection du nouveau président du Conseil suite à la mort du cheikh Ahmad Kamâl Yâsîn (21 novembre). En Égypte, la mystique organisée est réglée par la loi 118/1976. Aux termes de cette loi, le Haut Conseil des confréries soufies est élu pour un mandat de trois ans par l’assemblée générale des cheikhs des confréries soufies au siège du gouvernorat du Caire, à ʻAbdîn. Le Conseil est aujourd’hui composé de 10 membres élus parmi les cheikhs des différentes tarîqa, plus 5 membres représentant respectivement Al-Azhar – nommé par le cheikh d’Al-Azhar –, le ministère des Waqf-s, le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Culture, choisis par les ministres, et un représentant de l’autorité locale, en l’occurrence du Gouvernorat du Caire. Les décisions sont prises à la majorité.

17 Le jour suivant la mort du cheikh Yâsîn, les membres du Conseil supérieur des confréries soufies nommèrent l’aîné d’entre eux, le cheikh ‘Alâ’ Abû-Al-ʻAzâyim (67 ans) cheikh de la confrérie ʻAzâmiyya11, pour combler le vide du pouvoir en attendant les nouvelles élections. En effet, la tradition à l’intérieur du Conseil était que le plus âgé des membres élus du Conseil soit nommé président. Mais le régime a foulé aux pieds cette habitude. Trois jours après la nomination du cheikh Abû-Al-‘Azâyim, une réunion s’est tenue en la présence de tous les membres du Conseil. En dépit des règles internes, le cheikh ʻAbd Al-Hâdî Al-Qasabî, membre du Conseil supérieur des confréries soufies depuis seulement dix ans, fut élu président12. Le nouveau cheikh cumulait cette haute charge religieuse avec des fonctions nettement plus politiques, puisqu’il était aussi membre du PND et membre du conseil de la Shûra (chambre basse du Parlement), pour le gouvernorat de Tanta. Le régime, peut-être préoccupé d’assurer ses arrières pour un passage en douceur des pouvoirs au fils du président Moubarak, avait réussi à influencer les élections du Conseil qui a accepté la candidature du cheikh Al-Qasabî. Cheikh de la confrérie Qasabîyya Khalwatiyya, officiellement reconnue en 1980 et fondée par son père, le cheikh Ahmad Al-Qasabî, il est le petit-fils du cheikh Hasan Al-Qasabî, un des ῾ulamâ’ les plus connus de ceux issus de la mosquée Al-Qasabî de Tanta au XXe siècle. Ahmad Al-Qasabî fut gouverneur de Gharbiyya (de 1973 à 1982) et ancien cheikh du Conseil supérieur des confréries soufies de 1994 à 1997.

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18 Suite à cette décision un groupe de cheikhs opposés au nouveau président - à la tête duquel on retrouvait le cheikh ‘Alâ’ Abû ‘Azâyim de la confrérie ῾Azâmiyya - constitue le Front de la Reforme Soufie (Jabhat Al-Islâh Al-Sufî) pour contester toute ingérence du pouvoir dans un domaine qui devait selon eux rester à l’écart de la politique.

19 Le Front de la Réforme soufie a alors décidé de contester la nomination d’Al-Qasabî en déposant des plaintes auprès des autorités gouvernementales compétentes. Du point de vue juridique on contestait la légalité de la confrérie Qasabîyya et de 13 autres 13 en raison de l’absence d’une dispense explicite du ministre des waqf-s, prévue par l’art. 27 de loi 118/1976. Du point de vue politique la question de l’ancienneté du nouveau cheikh revêtait une importance particulière, parce qu’elle représentait la rupture de fait d’une règle non écrite en usage à l’intérieur du Conseil, même si l’article 7 de la loi 118/1976 dispose que : « le cheikh suprême des ordres soufis est nommé par décret présidentiel parmi les membres élus du Conseil Suprême des confréries soufies, après consultation du Conseil ». Le pouvoir judiciaire, cependant, a retardé la délivrance du jugement légal et les autorités ont manœuvré pour ne pas donner de réponse claire à la question qui continuait de rester en suspens.

20 Mais la querelle ne s’arrête pas là, puisque lors des élections parlementaires de 2010 le cheikh Abû Al-‘Azâyim, annonça, en signe de défi, sa candidature contre le candidat gouvernemental Fathî Surûr, président sortant de l’Assemblée du peuple et homme fort du PND. Cependant, il décida de se retirer, annonçant son soutien à Surûr et présentant sa candidature comme un message envoyé au régime de Moubarak, dont l’intervention dans les affaires religieuses de la communauté soufie était, pour lui, inacceptable14. Malgré cela le président Moubarak décida d’intervenir directement dans le dossier, en nommant par décret (décret 70 du 10/04/2010) Al-Qasabî cheikh du Conseil supérieur des confréries soufies. En réponse, le Front de la Réforme soufie déposa un recours auprès du Tribunal administratif du Caire pour bloquer le décret, car il ne spécifiait pas la durée de la période de la présidence.

21 Les divisions internes au Conseil des confréries ne s’arrêtent pas ici. Un autre recours, cette fois-ci devant le Conseil d’État du Caire, fut présenté quelques mois plus tard, le 11 janvier 2011, par dix confréries du Front de la Réforme soufie, exigeant une décision de justice pour bloquer le verdict des élections du nouveau Conseil effectuées le 8 janvier. Le 4 janvier, la Cour administrative du Caire interdit à cinq confréries soufies15 de participer aux élections, parce que dépourvues de la nécessaire autorisation du ministère des Waqf-s et de la Mosquée Al-Azhar. Malgré cela, ces mêmes confréries, indifférentes à l’avis du juge, participèrent aux élections. Par conséquent, en signe de protestation lors des élections, dix cheikh du Conseil décidèrent de quitter leur poste. Parmi eux16 il y avait les deux plus importants représentants du Front de la Réforme soufie, c’est-à-dire le cheikh Al-ʻAzâyim de la tarîqa Al-ʻAzâmiyya, le cheikh ʻAbd Al- Khâliq Al-Chabrâwî de la tarîqa Al-Chabrâwiyya et le cheikh Muhammad Al-Charnûbî de la confrérie Charnûbiyya.

La formation des partis « soufis »

22 Comme tous les autres Égyptiens, les affiliés des confréries soufies ont participé de façon autonome à la révolution du 25 janvier, et les plus jeunes ont rejoint les manifestations de la place Tahrir avec leurs pairs, même s’ils n’étaient pas aussi visibles

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que les membres d’autres groupes, en raison de l’absence de signes distinctifs caractérisant leur apparence physique et vestimentaire.

23 Dès les premiers jours, les jeunes révolutionnaires, en réclamant « la chute du régime », visaient également les institutions religieuses officielles et leur discours de soutien – direct ou indirect – au régime. Comme toute institution religieuse officielle, notamment Al-Azhar et l’Église copte, le Conseil supérieur des confréries soufies a maintenu son soutien « silencieux » au régime durant la révolution, bien que le « peuple » ait alors clairement prêté peu d’attention aux prises des positions de ces institutions.

24 Dans ce sens, le mouvement du 25 janvier contribua de manière décisive à bouleverser les logiques internes aux confréries soufies et à faire éclater les hostilités en leur sein. Le processus de délégitimation du Conseil supérieur des confréries soufies, amorcé peu avant la crise révolutionnaire, a atteint son paroxysme durant et surtout après la crise, lors d’un moment de « colère » collective qui fit véritablement rupture.

25 Ainsi, le premier cheikh soufi à prendre position en faveur de la révolution et contre le régime de Moubarak est le cheikh ‘Alaa Abû Al-ʻAzâyim qui, en tant que représentant du Front de la Réforme soufie, accuse le 15 février 2011 dans une conférence de presse publique le régime de Moubarak « de corruption, clientélisme et de manque d’éthique » 17. Toujours dans la même période, et malgré l’interdiction de former des partis sur une base religieuse, l’idée de constituer une formation politique pour représenter les soufis égyptiens sur une base civile – le parti de la Tolérance sociale – est rendue publique18. Peu de temps après, le nom de cette formation fut changé en parti de la Libération Égyptienne (Al-Tahrîr Al-Masrî)19.

26 Dans un communiqué appelé « Objectifs du parti de la Libération Égyptienne dans la période révolutionnaire et pour le succès de la révolution », ses membres revendiquent : la création d’un tribunal révolutionnaire chargé de juger les personnes accusées de corruption ; la liberté d’organiser des partis politiques indépendants sans conditions ni restrictions ; la fin de la corruption politique ; la constitution d’un comité révolutionnaire composé de 12 membres – un représentant des forces armées, les plus hautes instances judiciaires du pays, trois personnalités publiques indépendantes, cinq jeunes révolutionnaires – chargés de diriger le processus de transition (la commission doit désigner un nouveau président par intérim – qui nommerait le gouvernement et abolirait l’état d’urgence – et annoncer l’élection d’une Assemblée constituante chargée d’élaborer une nouvelle Constitution qui sera soumise à référendum) ; le retrait de la vie politique des membres de l’ancien PND pour une période de cinq ans ; la restructuration du ministère de l’Intérieur20.

27 Ces revendications soulignent l’adhésion au mouvement révolutionnaire qui a conduit à la déposition de Moubarak. Cependant, elles se caractérisent également par l’absence de demandes politiques précises et la disponibilité à collaborer pour une transition dans la stabilité, annoncée par le Conseil suprême des forces armées à partir de son premier communiqué du 10 février. Le manque de référence au rôle de l’armée, aussi bien que la modération des attaques contre le président déchu et les anciens membres du PND, reflètent la ligne politique du nouveau parti, qui se présente avec des positions pragmatiques assez modérées, sinon conservatrices. Très sensible aux calculs politiciens, cette orientation n’est pas le résultat d’une quelconque confusion accidentelle due aux circonstances. C’est plutôt le produit de la peur de la montée en puissance des islamistes qui amène le parti soit à se montrer modéré envers le régime qu’il prétend combattre, soit à préférer la négociation politique à la confrontation. Une

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tendance, du reste, qu’il partage avec la majorité des formations politiques du moment, y compris les Frères musulmans. En effet, déjà le 10 février 2011, le cheikh ‘Azâ’mi prend ses distances avec la place Tahrir quand – au moment où ʻUmar Sulayman est chargé par le président Moubarak de l’essentiel de ses pouvoirs – il appelle ses adeptes à cesser l’occupation. Par la suite le parti semble afficher sa confiance dans le processus de transition guidé par le Conseil suprême des forces armées tout en tâchant de rester ancré dans le camp révolutionnaire21. Cette prudence explique l’absence, dans le communiqué (cf. infra), de toute référence à la situation politique contemporaine, alors même qu’au moment du référendum constitutionnel de mars 2011, les soufis du Front, comme d’autres mouvements réformistes et libéraux, se sont alignés sur l’appel à la « Constitution d’abord » en s’opposant encore une fois aux forces islamistes qui exigeaient les « élections d’abord »22. Cette position était motivée par le fait que les amendements constitutionnels ouvraient la voie à la tenue d’élections législatives dans un délai très proche, permettant aux organisations les mieux structurées, notamment les islamistes, de l’emporter. La différence avec les mouvements de contestation de la jeunesse, qui souhaitaient une nouvelle Constitution pour marquer une véritable rupture avec le régime, est donc idéologiquement très significative. Ces derniers, en effet, voyaient le référendum comme une manœuvre de l’armée pour se doter d’une certaine légitimité démocratique, et pour tenter d’arrêter rapidement le processus révolutionnaire.

28 Dans les débats sur le référendum, les partisans du rejet de la réforme constitutionnelle faisant partie de l’opposition « laïque », ont surtout insisté sur la question de l’« État civil » (dawla madaniyya)23. En effet, la propagande islamiste a détourné l’attention de l’électorat égyptien, en faisant croire que le vote portait sur la place de l’islam en Égypte. Dans cette optique, il faut souligner que le message social et révolutionnaire en provenance de la rue s’effaçait peu à peu profit d’une insistance sur le concept d’État civil. On le voit particulièrement dans la prudence avec laquelle ces partis et organisations civiles ont traité d’un côté la question du rôle des militaires au pouvoir, de l’autre le thème de la justice sociale24. Le parti de la Libération, qui depuis sa fondation se définit comme « civil » et « réformateur », a clairement rejoint le camp des non-islamistes, déclarant son soutien à l’État civil, sans toutefois en préciser le sens. Cette position correspondait, pour l’essentiel, à maintenir le statu quo et donc à ne pas toucher à l’article 2 de la Constitution du 197125.

29 Le programme du parti, publié sur Facebook le 2 mars 2011 avec le titre « Objectifs permanents du parti de la Libération Égyptienne », énonce les objectifs et la stratégie de l’organisation, et identifie les fins prioritaires qui s’imposent26. Ils peuvent être résumés ainsi : le déblocage du système politique et la démocratisation de toutes les institutions du pays ; le développement de la participation à la vie politique ; un nationalisme « défensif » visant à protéger les intérêts et la paix du pays – y compris la « création d’une armée forte » ; la promotion de la compétitivité et de la productivité de l’économie selon les règles du libre marché ; la durabilité socioéconomique du processus de développement et le développement du capital humain.

30 En même temps les désaccords à l’intérieur du Conseil supérieur des soufis deviennent toujours plus forts et visibles. Le 11 août, une mobilisation populaire (milyuniyya) est organisée sur la place Tahrir par le parti Al-Tahrîr Al-Masrî et d’autres groupes 27 (en réponse aux rassemblements massifs des forces islamistes) et appelant à l’établissement d’un « État civil ». Face à la menace des salafistes qui se manifeste partout dans le

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Moyen-Orient – y compris à travers des attaques armées visant les tombeaux des saints vénérés par les soufis – ces derniers demandent une réponse sécuritaire et politique pour faire face à tout attentat contre leur confession et leurs lieux de culte. Bien que commencée sous le slogan « tous pour l’amour de l’Égypte », la manifestation des soufis a été une occasion, encore une fois, de s’élever contre le cheikh du Conseil supérieur des soufis et de réclamer sa démission, la dissolution du Conseil, son épuration des membres de l’ancien régime, et sa réforme complète, particulièrement à travers une réhabilitation scientifique et intellectuelle des cheikhs.

31 Le mécontentement provoqué par le nouveau parti à l’intérieur du Conseil supérieur des soufis est profond. Le 20 février 2011, le cheikh Al-Qasabî, qui n’a toujours pas démissionné de son poste en dépit des protestations, émet un communiqué dénonçant « l’idée d’établir des partis religieux, incluant des confréries soufies », étant donné que « la création d’un parti religieux en Égypte n’est pas compatible avec la nature de la société égyptienne ». Sur la même ligne, il déclare le 11 mars 2011 que « la création d’un parti soufi ne relève ni des objectifs ni des aspirations du Conseil», en soulignant que les soufis « ne ressemblent pas aux autres factions et groupes islamistes qui luttent pour prendre le pouvoir »28. Beaucoup plus dure est la réponse à la manifestation d’août, quand le Conseil publie une déclaration (bayân) annonçant une action en justice contre tous les cheikhs, fidèles et disciples de confréries soufies qui ont pris part au rassemblement de la place Tahrir ou qui participeront à des manifestations sans une autorisation claire du Conseil29. Encore plus clairement, dans un communiqué en date du 19 septembre 2011, le Conseil supérieur des confréries soufies annonce sa position sur les prochaines élections parlementaires en rappelant que « le Conseil n’a fondé aucun parti qui s’appelle parti de la Libération Égyptienne, ni n’a aucun rapport avec lui. D’ailleurs, le Conseil avait précédemment rejeté la création d’un parti politique. Il est néanmoins permis aux cheikhs de travailler dans un parti en tant que citoyens, sans évoquer le nom soufi »30.

32 Le soufisme égyptien post-révolutionnaire se trouve ainsi ballotté entre divers courants et partis.

33 À côté de l’institution officielle qu’est le Conseil supérieur des confréries soufies, on retrouve au moins trois organisations et trois partis. Le premier mouvement s’appelle « Coalition des soufis égyptiens ». Il a été fondé par Moustafa Zayed, secrétaire de la confrérie Rifâʻiyya, avec un certain nombre de jeunes responsables soufis. Le mouvement appelle à la réforme du soufisme égyptien à tous les niveaux et à une restructuration du Conseil supérieur des confréries soufies, dont il respecte néanmoins l’autorité. Ce mouvement dénonce les facteurs de déclin du soufisme égyptien que constituent selon lui la structure organisationnelle des confréries, le bas niveau culturel de leurs adeptes et de leurs cheikhs, et enfin leur éthique religieuse et sociale. Ces jeunes soufis revendiquent également une démocratisation de la transmission de la fonction de cheikh en lieu et place de sa transmission héréditaire. Les autres mouvements sont la « Coalition des jeunes soufis », qui s’inspire des autres « coalitions des jeunes » et qui semble garder son autonomie par rapport aux autres groupes soufis, et l’« Association des jeunes soufis », qui se présente plutôt sous forme de groupes Facebook.

34 Le 8 septembre 2011, la Commission des affaires des partis politiques, présidée par le juge Muhammad Mitwallî, légalise le hizb Al-Tahrîr Al-Masrî, présidé par Ibrâhîm Zahrân31. En octobre, la même Commission autorise la formation du parti Al-Nasr, dont

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le président est Muhammad Salâh Zâyid ῾Abd Al-Munʻim. Plusieurs confréries en font partie, dont la Châdiliyya et la Jaʻfiriyya. Enfin, le dernier parti servant d’expression politique à une confrérie soufie est le parti Sawt Al-Hurriya fondée par le cheikh Târiq Al-Rifâʻî, cheikh de la tarîqa Rifâʻiyya.

Analyse d’un échec électoral

35 Lors des élections législatives de 2011-2012, le secrétaire général du parti de la Libération Égyptienne (Al-Tahrîr Al-Masrî) annonce que l’organisation présentera aux élections 53 candidats, dont 6 femmes et 3 coptes, dans sept gouvernorats32. Néanmoins ils n’ont réussi à présenter de candidats qu’à la deuxième phase des élections, dans le gouvernorat de Suhâg (le pourcentage du parti a été de 0,3 % sur 303,071 votes) et dans le gouvernorat de Charqiyya (où le pourcentage du parti a été de 0,8 % sur 1,197,875 votes)33. Aucun d’entre eux n’a été élu au parlement34. De son côté, le hizb Sawt Al- Hurriya a préféré participer à la coalition Al-Kutla Al-Misriyya, en présentant dix de ses candidats sur les listes du parti Al-Misriyyûn Al-Ahrâr, avec quatre autres candidats indépendants35. La « Coalition des soufis égyptiens » a également participé aux élections, avec 27 candidats indépendants appartenant à six confréries différentes36.

36 Quelles sont les raisons qui ont conduit aux mauvais résultats des partis « soufis » aux élections parlementaires ? Entre 2011 et 2012, les Égyptiens se sont rendus aux urnes à de multiples reprises. Le calendrier électoral serré a laissé peu de temps à la préparation de la campagne électorale et des élections en général. Dans ces circonstances, le manque d’expérience des soufis dans la vie politique officielle a été fondamental. Beaucoup de citoyens qui ont adhéré aux partis soufis ne possédaient aucune expérience politique, et très peu d’entre eux avaient participé de façon active à des organisations politiques. Aussi ont-ils fait preuve d’une très mauvaise organisation dans les processus de préparation et de mise en place des listes de candidats. Le parti Al-Tahrîr Al-Masrî, qui avait au départ annoncé sa participation au Bloc égyptien (Al- Kutla Al-Misriyya), a abandonné la coalition en raison de désaccords sur les positions des candidats dans les listes peu de temps avant le début des élections. En même temps, les désaccords sur le choix des candidats, entre les responsables du parti au niveau central et ceux des antennes locales, ont mené à des retards dans l’annonce officielle des listes de candidats. De ce fait, le parti a seulement été en mesure de présenter des candidats lors des deuxième et troisième étapes. Un autre exemple – gouverné cette fois par une logique d’alliance contre les islamistes - nous est donné par le cheikh Târiq Al-Rifâʻî de la confrérie Rifâʻiyya, candidat sur les listes du parti des Égyptien Libres37 (Misriyyîn Al- Ahrâr) qui a renoncé à sa candidature dans le gouvernorat de Giza la veille des élections, et s’est désisté en faveur du candidat indépendant ‘Amr Chubakî.

37 Si les partis soufis se caractérisent par leur manque de clarté programmatique, le même constat peut être fait à propos de leurs structures organisationnelles internes. Comme beaucoup d’autres partis, au-delà de la rédaction de règlements visant à en organiser la vie interne, leur fonctionnement reste toujours très hiérarchique. Une insuffisance qui ne peut être expliquée seulement par le manque d’adhérents et de structures locales.

38 L’autre problème, bien plus grave, a été le manque d’unité des confréries au niveau politique. S’il reflète principalement la profonde fracture au sein du Conseil des confréries soufies, ce manque d’unité a entrainé sur le plan « électoral » un manque de coordination des confréries entre elles, ainsi que l’absence d’un leadership clair et

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commun. Les candidats présentés n’ont pas eu l’approbation collective des ordres soufis, ni du Conseil supérieur, ni des plus grosses confréries. Leurs candidatures ont été soutenues principalement par diverses petites confréries. Ainsi les partis jouissaient d’un faible autonomie par rapport à leurs milieux confrériques respectifs. Par conséquent, et toujours à cause de leur manque d’unité, les partis soufis ont également échoué dans le recrutement des candidats même dans les territoires où les soufis sont traditionnellement enracinés comme la Basse Égypte et le Sa‘îd. Enfin, étant donné que les plus grandes confréries du pays sont arrivées aux urnes sans aucune consigne de vote, leurs voix courtisées par l’ensemble des formations politiques se sont dispersées entre plusieurs partis.

39 Outre ce déficit organisationnel, les partis soufis ont payé leur manque de moyens humains et financiers. Encore une fois, ces partis se sont montrés très dépendants des structures et des moyens confrériques pour mobiliser les électeurs. Mais les confréries ne sont pas les seules institutions musulmanes du pays, et sont en concurrence avec d’autres groupes, porteurs de différents projets sociaux et politiques. Le tarissement de leurs sources de revenus, comme ceux des waqf-s par suite des réformes successives depuis le XIXe siècle 38, a entraîne la perte de la place privilégiée qu’elles occupaient dans l’offre de services éducatifs (surtout dans l’enseignement de la religion), médicaux et sociaux.

40 Cependant, si les partis soufis n’ont pas réussi à mobiliser « de façon traditionnelle » des légitimités issues de l’extérieur du champ politique, ils n’ont pas davantage été capables de profiter des nouvelles stratégies électorales que le contexte juridique et politique issu de la révolution a rendues possibles. Ces dernières années, Internet et la presse ont connu un essor extraordinaire qui s’est matérialisé par la publication de nombreux journaux et sites Internet officiels ou indépendants et la multiplication de blogs lancés par des jeunes souvent affiliés à une organisation ou un parti politique. C’est dans ce climat que les partis soufis s’emploient à être actifs sur Internet, avec des résultats cependant peu satisfaisants. Ainsi, pour le parti Al-Tahrîr Al-Masrî, on peut distinguer entre deux sortes de sites Internet : un premier site que l’on peut qualifier d’officiel parce qu’il parle du parti et en son nom (inactif depuis plusieurs mois) et deux pages Facebook, et un deuxième site, celui de la revue de la confrérie ‘Azâmiya, qui s’occupe aussi du parti et de politique. Cette situation s’explique en partie par le fait que les nouveaux partis soufis ne disposent pas de jeunes militants organisés pour s’engager dans la campagne électorale comme concepteurs et diffuseurs de l’information. À ce propos, il est particulièrement remarquable de noter que le parti Al- Tahrîr Al- Masrî a eu de mal à attirer la jeunesse soufie. Par ailleurs, la Coalition des jeunes soufis et l’Association des jeunes soufis se sont empressées de retirer leur soutien à ces partis suite à la faillite du premier tour électoral, en faveur de Al-Kutla Al- Misriyya ou de la coalition de gauche Al-Thawra Mustamirra39.

Quelques remarques conclusives sur la déconstruction d’une « fausse image » des confréries soufies

41 Comme l’a fait remarquer Chanfi Ahmad, la progressive institutionnalisation et marginalisation des confréries – commencées au début du XIXe siècle par les premières élites de l’État indépendant –, et la montée exceptionnelle de l’ « islam politique »

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durant les dernières décennies, ont pu conduire spécialistes et non spécialistes à prédire leur disparition40. Et pourtant il n’en a rien été. Non seulement les confréries soufies n’ont pas disparu, mais elles se revigorent en s’adaptant au monde moderne et à la mondialisation des espaces, aussi bien sur le plan doctrinal que sur celui de l’organisation. En même temps, il est apparu clairement que le poids du soufisme politique, en tant que contrepoids aux forces islamistes, a été largement surestimé41. Les élections parlementaires de 2011 et 2012 ont bien confirmé cette image.

42 On peut dire, en effet, que le soufisme politique est aujourd’hui dans une impasse, même s’il reste un facteur potentiel de mobilisation populaire. Cette impasse a différentes origines : elle provient des apories d’un projet politique et social encore très faible lorsqu’il se trouve confronté à une réelle compétition politique ; mais aussi du fait que, durant ces dernières décennies, les Frères musulmans, concurrencés par le salafisme, ont constitué la principale expression de l’islam politique, tandis que les autres acteurs islamiques se sont plutôt présentés comme une force d’appoint, inévitablement conservatrice, des régimes ; mais encore du fait, enfin, qu’une situation stable et durable de marginalisation latente a souvent entraîné la religiosité soufie vers des formes communautaires, individuelles, parfois « standardisées », détachées d’une véritable participation au monde extérieur aux confréries. En outre le passage au politique d’une partie très minoritaire des soufis égyptiens a mis en évidence le fait que le contrôle de la base humaine, vrai pilier des confréries, leur échappe complétement ou n’est pas aussi évident qu’il y paraît.

43 Mais cette impasse n’est pas seulement une donnée que nous formulons à partir des résultats électoraux, de leur échec dans le paysage politique national ou de l’analyse de leurs programmes électoraux. Elle se lit surtout, en négatif, dans la tentative menée par les organisations soufies de se présenter à l’opinion publique soit en tant que force « apolitique » – parfois « indifférente » ou « détachée de la politique » –, soit comme force « laïque » et « alternative », parce qu’opposée à l’idéologie et aux stratégies islamistes. Or, ces deux stratégies de présentation de soi se conforment à des stéréotypes persistants utilisés par les adversaires du soufisme. Je n’en citerai ici que quelques-uns.

44 Tout d’abord, ces présentations font l’impasse sur la diversité des histoires, des croyances, des personnalités, des intérêts des acteurs qui sont rangés dans la catégorie « soufisme » ou « soufi ». Comme j’ai essayé de le démontrer, elles simplifient à l’extrême un phénomène beaucoup plus complexe, où entrent en jeu divers aspects et divers acteurs. Deuxièmement, l’idée selon laquelle les soufis se seraient toujours désintéressés – plus ou moins explicitement – des questions politiques qui, au contraire, ont été au centre des réflexions et des activités des « oppositions » au pouvoir, a permis un tir nourri contre eux. En réalité, on sait de longue date que l’apolitisme des confréries soufies est très relatif. Certes, il est probable que la religiosité telle que certains soufis et certaines confréries l’ont vécue peut se montrer favorable à l’acceptation des pouvoirs en place. En même temps on a pu constater à plusieurs occasions que les pouvoirs prêtent volontiers un soutien tantôt officiel, tantôt discret aux dignitaires religieux comme les soufis. Tout cela, cependant, n’autorise pas à dire que les soufis sont indifférents à la vie sociale ou politique, comme le disent et le répètent trop facilement beaucoup de musulmans et d’Occidentaux après la vague du réformisme et du modernisme. Tout d’abord, parce qu’à travers des réseaux, notamment clientélistes, apparemment informels mais en réalité bien structurés, les

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confréries ont réussi à influencer, depuis toujours, la politique égyptienne. Ensuite, il a été amplement démontré que si le pouvoir en Égypte a utilisé les confréries soufies selon ses intérêts, les cheikhs des confréries ont à leur tour amplement profité des possibilités que leur laissait le pouvoir pour consolider leur autorité sur leur confrérie ou pour se lancer dans la politique42.

45 Troisièmement, l’image des soufis comme gardiens – nécessairement « modérés » – de l’orthodoxie d’un islam tolérant et idéologiquement hostile à l’islam des islamistes est d’autant plus prégnante que le discours des « soufis réformistes » présente volontiers le soufisme comme un enseignement de purification de l’âme et d’acquisition des vertus musulmanes, se faisant plus discret sur les aspects « mystiques » de la doctrine43. On a assisté, dans la campagne électorale, au renouveau des dynamiques oppositionnelles dans lesquelles l’instrumentalisation politique de la religion se présente sous forme d’une stricte division entre « différents islams ». Plus important encore, cette perception est de plus en plus intériorisée par le « soufisme politisé », à tel point que ses représentants n’ont pas hésité – au moins au début – à rejoindre une formation politique, Al-Kutla Al-Misriyya, expression du courant laïque et libéral, au sein duquel ils représentaient le seul parti d’inspiration religieuse. La chose ne manque pas de surprendre si l’on considère que les formes populaires de religiosité relevant des modes traditionnels et locaux d’expressions de l’islam, et dont le soufisme se nourrit, ont été depuis toujours l’objet de sévères critiques de la part des réformistes de toutes tendances et des libéraux laïcs, qui les assimilent à la pauvreté, à l’ignorance, et à la culture populaire. Mais évidemment, dans le cadre des élections, nous assistons à une réhabilitation d’un « soufisme standardisé », pour essayer de contrecarrer l’islam politique et le fondamentalisme. Par ailleurs, il est vrai qu’en politique, les libéraux et les sécularistes ont des points communs avec les soufis : plutôt libéraux en politique et en économie, ces derniers sont inquiets de la puissance de l’islamisme dans un pays où ils craignent de devoir rester dissimulés pour un certain temps encore.

46 Enfin, l’idée que les confréries, avec leurs structures, leurs hiérarchies religieuses et leurs centres de pouvoirs – surtout dans le monde rural –, pouvaient être facilement transformées en hiérarchies politiques s’est révélée erronée. Chefs de familles célèbres et puissantes, véritables clans, les cheikhs soufis détenaient au-delà de l’autorité religieuse, une potentielle autorité économique, sociale et politique. En réalité, les élections parlementaires illustrent au niveau local, dans la campagne électorale comme dans les résultats du scrutin législatif, la faible propension des électeurs à se mobiliser ou à se laisser mobiliser en terme confrériques. En effet, dans les circonscriptions « à forte densité soufie » les voix des électeurs ne se sont pas reportées sur leurs condisciples de la confrérie. Ce qui montre que les confréries, aujourd’hui, ne peuvent plus compter uniquement sur l’adhésion automatique des groupes sociaux. L’émergence de nouvelles classes et couches sociales, de nouveaux acteurs aussi (femmes, jeunes et notamment étudiants), le phénomène d’individualisation de l’affirmation religieuse et la dislocation du tissu « traditionnel », ont profondément changé les rapports entre la confrérie et la structure sociale traditionnelle. Des données différentes aboutissent à la formation de nouvelles règles du jeu social, de nouvelles valeurs, et constituent des enjeux autonomes de confrontations et de conflits. La culture de la domination et de la force, mais aussi du clientélisme et de la fidélité, ne suffit plus à expliquer la politique égyptienne post-révolutionnaire, ni les enjeux électoraux. Dans notre cas le cha‘ab égyptien à la recherche d’un projet politique n’a pas ou très peu été attiré par les confréries. De fait, cela signifie que l’obtention d’un

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soutien électoral, tout comme la résolution des conflits, passe désormais par le consensus et la persuasion.

Conclusion

47 Les questions qui se posent sont les suivantes : quel est l’avenir de la mystique « politisée », ou du « soufisme politique », en Égypte au cours de la période à venir, surtout à la lumière de l’échec électoral subi par les partis « non religieux » lors des élections parlementaires puis des élections présidentielles, face à la supériorité écrasante des islamistes en tant que force hégémonique ? Quel rôle sera amené à jouer le soufisme dans la nouvelle configuration égyptienne ? Et encore, comment préserver son identité ?

48 Autant ce rôle était bien assis durant l’ère précédente, autant il risque désormais de se trouver soit, dans le cas du Conseil soufi, limité à une place « institutionnelle » dont l’activité sera encore moins indépendante, objet de consignes strictes et très coercitives, soit de se trouver placé, dans le cas des « partis soufis », dans le sillage des clivages et des antagonismes politico-religieux d’une Assemblée « démocratiquement » élue, au sein de laquelle les islamistes risquent encore une fois d’avoir la majorité et d’imposer leur logique. De même, la faible cohésion des confréries n’est pas un facteur positif dans les jeux politiques et électoraux, surtout à un moment où il faut faire face à des mouvements très bien organisés et fortement influents.

49 La faiblesse et le blocage des partis politiques soufis et en même temps leur inexpérience, leur fragilité interne, leur flou idéologique et enfin leur image brouillée aux yeux de l’opinion publique, incitent à réfléchir d’abord sur leurs choix politiques et enfin à l’opportunité même de créer des formations politiques qui se définissent comme « soufies ». Dans ce sens les partis soufis pourraient se transformer en purs partis politiques où l’aspect communautaire et confrérique serait mis au second plan. On peut, certes, formuler des hypothèses concernant le maintien de ces partis, leur fusion, ou leur union dans une coalition. Mais l’épreuve des prochaines élections sera sans doute la plus significative pour la définition du positionnement des forces politiques soufies dans le champ politique, et surtout pour en évaluer l’ampleur et la portée.

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Weismann I., 2005, “The politics of popular religion : Sufis, Salafis, and Muslim Brothers in 20th Century Hamah”, International Journal of Middle East Studies, vol. 37, n° 1, p. 39-58.

NOTES

1. Ces chiffres sont à prendre avec précaution, d’abord par manque de sources objectives, ensuite parce que le nombre d’adhérents à une confrérie est notamment très difficile à estimer du fait de la structure même de cette institution.

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2. Rachida Chih, Le soufisme au quotidien. Confréries d’Égypte au XXe siècle, Paris, Sindbad, 2000, p. 32. 3. Fred de Jong, “Aspects of the Political Involvement of the Sufi Orders in Twentieth- Century Egypt (1907-1970)”, in Gabriel Warburg and Uri M. Kupferschmidt, Islam, Radicalism and Nationalism in Egypt and the Sudan in 20th Century, New York, Praeger, 1983, p. 183-212. 4. Le politologue égyptien marxiste Samir Amin écrit : « Il reste qu’il faut s’attendre à des luttes violentes entre courants religieux islamistes en Égypte. Car l’ilam historique dominant est “soufi”, et les confréries rassemblent aujourd’hui 15 millions de fidèles. Un islam ouvert, tolérant, insistant sur la conviction individuelle plutôt que sur la pratique des rites (“il y a autant de voies vers Dieu que d’individus” disent-ils). Le soufisme égyptien a toujours été tenu en suspicion par les pouvoirs d’État » (S. Amin, « 2011 : Le printemps arabe ? », Politique Actu, 17 mai 2011, http://www.politique- actu.com/dossier/2011-printemps-arabe-samir-amin/271652/ 5. F. de Jong, op. cit. 6. En vérité, depuis les années 90, et surtout 2000 les célébrations soufies ont été de plus en plus soumises à des mesures de restrictions, notamment dans l’usage de l’espace urbain, et dans les modalités même de leur organisation. Notamment les mawlid-s au Caire, ou dans le sud de l’Égypte, officiellement, au nom de considérations sécuritaires. 7. Un lieu commun de la science politique veut que ce qu’on appelle « islamisme » s’oppose au soufisme. Cependant, plusieurs études n’ont pas manqué de contredire ce postulat en soulignant la rigidité de la différentiation (Itzchak Weismann, “The politics of popular religion : Sufis, Salafis, and Muslim Brothers in 20th Century Hamah” , International Journal of Middle East Studies, vol. 37, n° 1, 2005, p. 39-58 ; Youssef Belal, « Mystique et politique chez Abdessalam Yassine et ses adeptes », Archives de sciences sociales des religions, vol. 135, 2006, p. 165-184). Nous sommes bien conscients, donc, des limites d’une telle dichotomie mais dans un but de simplification (l’usage du terme est d’ailleurs amplement controversé) nous avons décidé de ne pas nous écarter de la manière dont la science politique traite le phénomène dit « islamiste » (Bruno Étienne, « L’Islamisme comme idéologie et comme force politique », Cités, vol. 2, n° 14, 2003, p. 45-55). 8. Il existe un vaste ensemble d’orientalistes et d’historiens qui ont parlé du « déclin » du soufisme. Voir, par exemple : Arthur J. Arberry, Sufism: An Account of the Mystics of Islam, London, George Allen and Unwin Ltd., 1950 ; John Spencer Trimingham, The Sufi Orders in Islam, Oxford, Clarendon Press, 1971 ; Fritz Meier, « Soufisme et déclin culturel », in Robert Brunschvig (ed.), Classicisme et déclin culturel dans l’histoire de l’Islam. Actes du Symposium international d’histoire de la civilisation musulmane, Bordeaux, 25-29 juin 1956, Paris, Besson et Chantemerle, 1957 ; Michael Gilsenan, “Some Factors in the Decline of the Sufi Orders in Modern Egypt”, The Muslim World, n° 67, 1967, p. 11-18. 9. Voir : R. Chih et Catherine Mayeur-Jaouen (dir.), « Le soufisme à l’époque ottomane », Cahier des Annales islamologiques, vol. 29, 2010, p. 9-19. 10. Ammar Ali Hassan, Political Role of Sufi Orders in Egypt after the January 25 Revolution, Al-Jazeera Network, 2011, http://studies.aljazeera.net/ResourceGallery/media/ Documents/ 2011/8/23/201182385744117734Political%20role%20of%20sufi%20orders%20in%20egypt.pdf

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; Jonathan Brown, “Salafis and Sufis in Egypt”, in J. Brown et al. (eds), Post-Revolutionary Egypt: New Trends in Islam, Washington D.C., Carnegie Endowment for International Peace, 2011. 11. Rabha ʻAllâm, chercheur au “Al-Ahram Center of Political and Strategic Studies”, a parlé de la confrérie ‘Azâmiyya comme « the most politicized order in terms of opposing the old regime ». Fondée au Soudan par un cheikh égyptien, Sayyid Muhammad Mâdî Abû Al-‘Azâyim (1869 – 1937), qui joua un rôle important dans le débat sur le califat (il se montra hostile au transfert du califat contre la position officielle du cheikh suprême des confréries soufies) et dans la lutte anti-britannique. Elle fut la seule confrérie, durant la guerre de Palestine (1948–1949), à armer et à envoyer au front un certain nombre d’adeptes. Cette confrérie s’imposa rapidement comme le porte-parole d’un énergique soufisme réformiste. Voir R. Chich, op. cit., p. 36. 12. Parmi les raisons qui justifiaient le « coup d’État » commis à l’intérieur du Conseil supérieur des confréries soufies, il y avait aussi la suspicion selon laquelle le cheikh ‘Azâyim et sa confrérie étaient manipulés par l’Iran. D’autre part, la confrérie a souvent été accusée d’avoir appelé les Égyptiens à suivre la foi chiite. Ce qui n’est pas du tout étrange, si l’on tient compte du fait que la ‘Azâmiyya a été la première confrérie égyptienne a célébrer la naissance de ʻAlî ibn Abû-Tâlib. Il faut toutefois rappeler que l’équation entre soufisme et chiisme et surtout entre cheikh de confrérie et imâm chiite fait partie de l’arsenal traditionnel des arguments avancés par les adversaires du soufisme. 13. Entre autres les tarîqas : Jâzûliyya, Sâwiyya-Khalwatiyya, Tijâniyya, Khalwatiyya- Châdiliyya, Jaririyya, Hâchimiyya, Jaʻfariyya Ahmadiyya, Khatîbiyya, Hisafiyya. 14. Le dernier président qui est intervenu directement dans les affaires du Conseil des soufis est Nasser. Le cheikh Ahmad Al-Sawî fut démis de ses fonctions en 1957 et remplacé par le cheikh Muhammad Mahmûd ʻIlwân qui dirigea le Conseil durant tout l’époque nassérienne (Pierre-Jean Luizard, « Le soufisme égyptien contemporain », Égypte/Monde arabe, vol. 1, n° 2, 1990, op. cit., p. 47-48). 15. Les confréries sont : Tijâniyya, Jazûliyya, Hâchimiyya-Khalwatiyya, Sâwiyya- Khalwatiyya, Disûqiyya – Muhammadiyya. 16. Les cheikh s sont : le cheikh ‘Abd Al-Khâliq Al-Chabrâwî de la confrérie Al- Chabrâwiyya, le cheikh Muhammad Al-Charnûbî de la confrérie Charnûbiyya, le cheikh ‘Isa Al-Jûharî de la confrérie Al-Jûhariyya, le cheikh Mustafâ Al-Sâfî de la confrérie Al- Hâchimiyya Al-Châdiliyya, le cheikh ʻAlî Al-Khudhîrî de la confrérie Al-Saʻîdiya, le cheikh Hânî Al-Imbâbî de la confrérie Al-Imbâbiyya, le cheikh Muhammad Yûsif Marwân de la confrérie Al-Marwâniyya Al-Khalwatiyya, le cheikh Sayyid Al-Dhahbî et le cheikh ‘Abd Al- Bâqî Al-Habîbî de la confrérie Al-Habîbiyya. 17. En réalité la confrérie ‘Azâmiyya dont le cheikh Abû Al-‘Azâyim est le chef ont soutenu la révolution égyptienne dès les premiers jours. Ces communiqués sont présents sur Internet dans le site de la revue de la confrérie Al-Islam Watan (« L’Islam est une patrie »). http://www.islamwattan.com/ 18. Al-‘Arabiyya, 17 février 2011, http://www.alarabiya.net/articles/ 2011/02/17/138082.html 19. Al-Masrî Al-Yawm, 03 mars 2011, http://www.almasryalyoum.com/node/338369 20. Le communiqué est présent sur la page Facebook du parti. Il a été publié sur le site le 2 mars 2011 : https://www.facebook.com/HizbalTahriralMisry.

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21. La position du parti est bien expliquée dans le bayân de la confrérie ʻAzâmiyya, numéro 8 du 19 juillet 2011. Il déclare : « Nous, en dépit de notre soutien aux révoltes de la place Tahrir, ne sommes pas contre le Conseil militaire. Néanmoins nous présentons nos réclamations au Conseil Militaire en sa qualité de tuteur du pays à l’heure actuelle ». 22. Sarah Ben Néfissa, « Trajectoires transitionnelles et élections en Tunisie et en Égypte », Confluences méditerranée, vol. 3, n° 82, 2012, p. 9-27. 23. S. Ben Néfissa, « Temps électoral, temps révolutionnaire et idiome islamiste en Égypte », in « La gouvernance en révolution(s) », Chroniques de la Gouvernance 2012, Paris, ECLM, 2012, p. 205-215. 24. Dans ce sens il faut dire que la position du parti de la Libération Égyptienne (Al- Tahrîr Al-Masrî) reproduit les thèses de Al-Azhar et du Conseil supérieur des confréries soufies. À ce propos voir le numéro 404 (juin 2012) de la revue Al-Tassawuf wal-Islâm qui s’appelle Al-Islâm wal-dawlâ al-madaniyya. 25. Masress, 6 août 2011, http://www.masress.com/rosaweekly/120819 26. Le communiqué se trouve sur la page Facebook du parti. La date de publication est le 2 mars 2011. 27. Al-Ahrâm, 7 août 2011, http://digital.ahram.org.eg/articles.aspx? Serial=594552&eid=701 28. Al-Misriyyûn, 1er novembre 2011, http://www.almesryoon.com/news.aspx?id=51426 29. Al-Yawm Al-Sâbiʻ, 1er novembre 2011, http://www.youm7.com/News.asp? NewsID=473267&SecID=97 30. Al-Tasawwuf, n° 398, janvier 2012. 31. Al-Watan, http://www.elwatannews.com/news/details/277 32. Al-Masrî Al-Yawm, 25 octobre 2011, http://www.almasryalyoum.com/node/508659 33. Voir le site officiel du « Conseil judiciaire supérieur pour les élections », http:// www.elections2011.eg/index.php/statistics/lists-results-on-map 34. Ces données ont finalement été confirmées par le président du parti, Ibrâhîm Mustafâ Zahrân, dans un entretien privé. Les deux candidats sont Zaynab Muhammad dans le gouvernorat de Sohag et Fahmî Abâza dans Charqiyya. 35. Al-Masrî Al-Yawm, 6 novembre 2011, http://www.almasryalyoum.com/node/512465 36. Les confréries sont : la Rifâ‘iyya, la Barhâmiyya, la Saʻîdiyya, la Disûqiyya, la Muhammadiyya, la Naqchbandiyya, la Jâzûliyya, la Muhammadiyya Châdhiliyya, la Hâmidiyya Châdhiliyya. 37. Al-Yawm Al-Sâbi‘, 5 novembre 2011, http://www1.youm7.com/News.asp? NewsID=546159&SecID=97 38. Le début de la systématisation et de l’institutionnalisation des confréries soufies date du XIXe siècle, plus précisément du règne de Muhammad ‘Ali. En 1812, le vice-roi promulgua un firman attribuant au cheikh Muhammad Al-Bakrî une autorité exclusive sur toute la mystique. Sur l’institutionnalisation de la mystique en Égypte voir F. de Jong, 1978, Turuq and Turuq-Linked Institutions in Nineteenth-Century Egypt, Leiden, Brill. 39. Al-Youm Al-Sâbi῾, 2 octobre2011, http://www3.youm7.com/News.asp? NewsID=545721

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40. Ahmed Chanfi, « Introduction : le renouveau de l’islam soufi », Archives de sciences sociales des religions, vol. 135, 2006, p. 9-15. 41. Il faut rappeler à ce propos que les confréries soufies ont déjà été utilisées par le régime de Nasser pour combattre l’opposition menée par les Frères Musulmans. À ce propos, voir : F. de Jong, “Opposition to Sufism in Twentieth-Century Egypt (1900-1970): A Preliminary Survey”, in F. de Jong and Bernd Radtk (eds.), Islamic Mysticism Contested. Thirteen Centuries of Controversies and Polemics, Leiden, Brill, 1999, p. 310 ; F. de Jong, “Aspects of the Political Involvement of the Sufi Orders”, op. cit., p. 161. 42. P.-J. Luizard, op. cit., p. 72. 43. R. Chih, « Un soufi réformiste, le cheikh Muhammad Hasanayn Makhlûf (1861-1936) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, n° 95-98, 2002, p. 203.

RÉSUMÉS

Les premières élections législatives égyptiennes suivant la révolution de 2011 ont été les plus compétitives de tous les temps. Des dizaines de nouveaux partis politiques étaient prêts à remplir le vide laissé par la disparition de Moubarak et du parti national démocratique. Dans ce nouveau contexte, une minorité de confréries soufies se sont mobilisées. Ainsi, plusieurs partis pro-soufis sont apparus sur la scène politique, et des sheikhs soufis de premier plan ont rompu avec leur tradition d’« apolitisme » en participant ouvertement à l’arène politique. Ce processus a été encouragé par de vieilles rancunes à l’encontre du Conseil suprême des confréries soufies, le spectre de l’islam politique et la peur de l’hostilité des salafistes. Ils semble cependant, étant donné leurs mauvais résultats électoraux, que les partis pro-soufis se révéleront incapables de transformer en influence politique la forte présence des confréries soufies au sein de la société égyptienne. Cet article présente les premiers résultats d’une analyse des programmes électoraux et des campagnes menées par les principaux partis soufis, en se concentrant sur l’impact des facteurs historiques, mais aussi de celui du processus révolutionnaire et de la complexe « transition du pouvoir » sur leurs stratégies politiques. Par ailleurs, cet article se saisit de l’occasion pour s’interroger sur le soufisme contemporain, ses permanences et ses changements.

The first Egyptian parliamentary election after the 2011 revolution was more competitive than ever before. Dozens of new parties were ready to fill the political gap of the post-Mubarak era. In this new context, a minority of Sufi brotherhoods was also mobilized. So far, various political pro-sufi parties have turned up on the scene and prominent Sufi sheikhs broke with their “apolitical” tradition by openly participating in the political arena. Old grudges against the leadership of the Supreme Council of Sufi Orders, the spectrum of political Islam and the fear of Salafists’ hostility have encouraged this process. It seems likely, however, that in view of the bad election results, the pro-sufi parties will be incapable to extend the ubiquity of the brotherhoods in Egyptian society into real political influence. This article presents a preliminary analysis of electoral programs and campaigns of the principal Sufi parties, focusing on the impact of the historical background, the revolutionary process and the complex phase of “power transition” on their political strategies. Moreover, this is an occasion to reflect on Sufism today and its developments and continuities.

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INDEX

Mots-clés : soufisme, sheikhs, confréries, politisation, partis Keywords : Sufism, Sheikhs, Brotherhoods, Politicization, Political Parties

AUTEUR

COSTANTINO PAONESSA Costantino Paonessa est inscrit à l’université La Sapienza de Rome, où il termine une thèse portant sur « l’antagonisme entre la Salafiya et le soufisme en Égypte à la fin du XIXe siècle et début du XXe siècle à travers le cas du sheikh Muḥammad Amîn Al-Kurdî ». Costantino Paonessa is a PhD candidate at the Roma university La Sapienza. His thesis concerns the “antagonism between Salafiya and Sufism in Egypt at the end of the 19th century and at the beginning of the 20th century through the case of the sheikh Muḥammad Amîn Al-Kurdî”.

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Troisième partie : La révolution dans les urnes : la reconfiguration des enjeux locaux, entre politisation et permanence des anciennes logiques

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Les stratégies de campagne des partis politiques au niveau local : étude comparée de trois circonscriptions

Clément Steuer

1 Lors des élections législatives de 2011-2012, les partis égyptiens ont pu – pour la première fois – remplir trois des fonctions qui leur sont habituellement dévolues dans les systèmes démocratiques : l’agrégation des intérêts (à travers la rédaction des programmes électoraux), la sélection des candidats, et la mobilisation des électeurs1. Ils ont ainsi joué un rôle central dans ces élections, à tel point que la Haute Cour constitutionnelle, considérant que la loi électorale avait avantagé les partis au détriment des candidats indépendants, a prononcé un jugement entraînant la dissolution de l’Assemblée du peuple. Et en effet, sur 498 députés élus dans cette assemblée, seuls 22 étaient des indépendants2. Cette domination sans partage des partis politiques au niveau national ne doit cependant pas masquer la diversité des situations locales. C’est en effet localement que les échéances électorales jouent le rôle le plus crucial dans la construction des organisations partisanes3. Or, la nature et la quantité des différentes ressources à la disposition d’un parti donné peuvent grandement varier d’une circonscription à l’autre. Par ailleurs l’usage fait de ces ressources n’est pas forcément identique en fonction du contexte local. Dans cet article, nous nous fonderons sur une comparaison effectuée entre trois circonscriptions égyptiennes élisant leurs représentants à l’Assemblée du peuple pour mettre en lumière l’influence de deux variables exogènes sur la stratégie locale des organisations partisanes4 : le degré d’incertitude pesant sur l’élection, et l’importance relative des différentes circonscriptions dans les médias nationaux.

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Un niveau d’incertitude tendanciellement décroissant

2 Les élections législatives égyptiennes de 2011-2012 ont ceci de particulier que, pour la première fois depuis la fin de l’expérience libérale, il n’était pas possible de savoir avec certitude, en amont du scrutin, quelle serait l’orientation majoritaire du futur parlement élu5. Cette incertitude portait également à la fois sur les règles juridiques6, les conditions dans lesquelles allait s’exercer l’acte de vote, la composition du corps électoral, le rôle de l’Assemblée du peuple et la durée de son mandat. Concernant d’abord les règles juridiques, la loi électorale avait fait l’objet d’âpres négociations entre le pouvoir militaire et les forces politiques. Elle a été amendée à plusieurs reprises, rendant même nécessaire une révision de la déclaration constitutionnelle7. De nombreux points avaient été laissés à l’appréciation du haut comité électoral8, et ont fait l’objet d’informations changeantes et parfois contradictoires dans la presse, mais également de rumeurs récurrentes. L’attribution des sièges se fera-t-elle au plus fort reste ou à la plus forte moyenne ? (Ce sera au final au plus fort reste) Peut-on se porter candidat à la fois à l’Assemblée du peuple et à l’Assemblée consultative9 ? (Il s’avérera que non) L’abstention sera-t-elle sanctionnée par une amende ? (Oui, mais cette mesure n’a pas été appliquée) Cette incertitude juridique est chose habituelle dans l’histoire électorale égyptienne, et elle affecte aussi bien la stratégie des candidats (avec des phénomènes d’asymétrie dans l’accès aux informations) que le comportement des électeurs (l’existence d’une sanction financière pour les abstentionnistes constitue une incitation au vote pour les catégories les plus démunies de la population), mais aussi le travail de tous les acteurs contrôlant le bon déroulement du scrutin10.

3 De son côté, l’incertitude quant au contexte dans lequel s’exerce l’acte électoral porte avant tout sur le degré de violence et de fraudes auquel s’attendre durant ces élections. Ces deux instruments faisaient en effet partie de l’arsenal de l’ancien régime. Au cours des deux dernières décennies, violences et fraudes semblaient s’être « privatisées »11, dans le sens où elles étaient moins organisées par l’État que par les candidats eux- mêmes, mobilisant leurs clientèles ou achetant les services de voyous (les fameux baltagiyya) pour dissuader les électeurs de se rendre aux bureaux de vote dans les quartiers réputés leur être hostiles. De la même manière, les fraudes de ces dernières années étaient en grande partie organisées par les candidats eux-mêmes, notamment à travers l’achat de voix, mais parfois aussi par le vol et la destruction d’urnes. De ce fait, la chute des dirigeants du régime et la dissolution du parti national démocratique (PND) ne garantissaient pas à elles seules la fin de ces pratiques ni même leur diminution. La mobilisation de l’armée, de la police et de la justice, ainsi que la présence de nombreux observateurs nationaux ou internationaux, mandatés par les ONG et les candidats, a finalement permis une réduction spectaculaire des pratiques caractéristiques de l’ancien régime, et notamment des violences physiques. L’incertitude entourant cette échéance électorale a également joué ici un rôle pacificateur, en privant les acteurs coutumiers de ces pratiques du sentiment d’impunité qui les habitait jusqu’alors. Ce dénouement ne doit cependant pas occulter le fait qu’avant le premier tour de scrutin, le niveau de violence et de fraude à attendre de ces élections demeurait une grande inconnue.

4 L’incertitude caractéristique de ce scrutin portait également sur l’étendue et la composition du corps électoral, puisqu’il était impossible d’anticiper tant le taux global de participation que celui des différentes catégories sociales. Jusqu’alors, les élections

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égyptiennes mobilisaient surtout les catégories les plus défavorisées, cible prioritaire des agents électoraux chargés d’acheter des voix pour le compte des candidats fortunés12. À la veille du scrutin, personne n’était en mesure de prévoir le niveau de participation des classes moyennes, d’autant que plusieurs mouvements révolutionnaires avaient appelé au boycott des urnes suite aux événements de la rue Muhammad Mahmûd13. Enfin, l’incertitude portait sur le futur parlement lui-même. Du fait de l’absence de précédents et des lacunes du recensement, les instituts de sondage se trouvaient en effet dans l’impossibilité de constituer des échantillons représentatifs, et leurs approximations reflétaient surtout la notoriété des différents partis en lice. Bien qu’annoncé en tête des sondages, le parti de la Liberté et de la Justice (PLJ)14 n’en était pas moins sous-estimé dans les différentes enquêtes d’opinion, mais moins que la coalition salafiste, à laquelle les sondeurs n’accordaient pas 10 % des intentions de vote. Inversement, les partis libéraux du Wafd (annoncé deuxième) et des Égyptiens libres étaient surestimés par ces mêmes instituts. S’il était ainsi impossible, du moins avant la première phase du scrutin, de se représenter la composition du futur parlement, son rôle et la durée de son mandat faisaient également l’objet de diverses spéculations. Sa nature constituante était ainsi diversement appréciée, certains candidats affirmant à leurs électeurs que son rôle se limiterait à la rédaction de la Constitution, à l’issue de laquelle il serait dissous. Cependant, le gouvernement avait publié quelques semaines avant le premier tour de scrutin un « Document constitutionnel » prévoyant que seul un cinquième des membres de la future constituante serait nommé par les députés, les 80 % restant devant être désignés par le conseil supérieur des forces armées (CSFA). Ce document ayant suscité des manifestations de masse et le renvoi du gouvernement, le rôle exact du parlement dans le processus de rédaction de la Constitution demeurait l’objet d’un rapport de force à l’issue encore incertaine alors même que les électeurs se rendaient aux urnes pour l’élire. Du fait de cette situation extrêmement tendue, l’incertitude pesait même sur la tenue des élections aux dates annoncées. La plupart des observateurs pariaient en effet sur un report des échéances, jusqu’à ce que celles-ci soient finalement solennellement confirmées par le haut comité électoral, en présence de membres du CSFA, quelques jours à peine avant le commencement de la première étape.

5 Néanmoins, du fait de l’organisation des élections en trois phases successives15, cette incertitude se réduisit progressivement. Suite à la tenue des élections dans la première zone, les règles du jeu se sont précisées, les comportements admis se sont distingués de ceux qui étaient absolument proscrits ou simplement tolérés, le corps électoral s’est dessiné, et il est devenu possible de faire des projections sur la composition de la future assemblée. Lorsque la dernière phase a commencé, la domination des islamistes au sein du parlement était un fait acquis, et la justice avait déjà eu l’occasion de prononcer l’invalidité du scrutin dans certaines circonscriptions, rendant ainsi effective la distinction entre pratiques légales et illégales dans le cadre de la nouvelle législation. Cette diminution de l’incertitude entourant le scrutin au cours des trois phases successives des élections est due tant à la circulation des informations via les différents médias qu’à l’expérience cumulée des divers acteurs participant à l’organisation de ces élections : ainsi, les juges surveillant les bureaux de vote ont participé à chacune des trois phases, et de nombreux observateurs et journalistes ont également circulé au cours de l’ensemble du processus. Les candidats eux-mêmes ont pu profiter de cette expérience, en tout cas ceux appartenant à des partis implantés nationalement, car ces

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derniers mobilisaient une partie de leurs cadres et militants pour participer successivement à la campagne dans trois zones différentes.

6 Mais si l’incertitude se réduit ainsi progressivement, elle ne disparaît pas pour autant, ne serait-ce que parce que la question de l’étendue des pouvoirs constituants du parlement n’a pas encore reçu de réponse définitive. Néanmoins, en suivant le déroulement des élections dans trois circonscriptions votant successivement, il devient possible de mettre en lumière les effets de cette incertitude sur le comportement des acteurs concernés. Il apparaît ainsi progressivement que la violence électorale est en très net recul par rapport aux élections des années 2000. Par ailleurs, les taux de participation et les résultats obtenus dans les premières circonscriptions à voter permettent de se faire une idée plus nette des rapports de force, ce qui influe sur le positionnement des partis en lice. Enfin, la baisse progressive de l’incertitude conduit à une certaine normalisation des pratiques électorales. Ainsi, alors que lors du premier tour de la première étape, tous les partis et candidats font ouvertement campagne à l’entrée même des bureaux de vote, cette pratique se réduit considérablement par la suite. Les grandes organisations (surtout les Frères et les salafistes) se concentrent alors sur les bureaux des quartiers les plus peuplés. Lorsque des observateurs ou des représentants des autorités signalent à des militants que leur activité est illégale, ils font mine de le découvrir et de s’excuser, puis recommencent une fois que la personne qui les a réprimandés a le dos tourné. D’autres adoptent des techniques plus discrètes pour éviter les rappels à l’ordre, tel ce balayeur poussant sa brouette dans les rues de Tanta, faisant surgir dans sa main gauche une poignée d’autocollants aux couleurs du parti de la Réforme et du Développement lorsqu’il passe devant un bureau de vote, et les distribuant aux personnes croisant sa route. Ces manœuvres dilatoires montrent toutefois qu’une pratique encore admise par tous le 28 novembre 2011 a été grandement délégitimée en quelques semaines à peine. Certaines exceptions à la règle semblent néanmoins encore couramment admises. Ainsi, dans le village de Mahallat Minûf, dans la circonscription de Gharbiyya, un candidat local faisait ouvertement campagne à la porte même de sa maison, à quelques mètres du bureau de vote, avec sa famille et ses proches. Alors qu’une observatrice déplorait cet état de fait devant un homme du village qui lui demandait si elle avait constaté des irrégularités, celui-ci lui a répondu : « Ah mais ce n’est pas pareil : lui, il est d’ici ! »16.

Présentation des trois circonscriptions étudiées

7 L’enquête de terrain a pris pour objet trois circonscriptions votant successivement : Qasr Al-Nîl, dans le centre-ville du Caire (28 novembre – 6 décembre), Suez, au sud du canal (14-22 décembre), et la première circonscription de Gharbiyya, dans le delta du Nil (3-11 janvier). Outre l’échelonnement dans le temps du processus électoral, ces trois circonscriptions se distinguent nettement quant au traitement médiatique dont elles ont respectivement bénéficié17. Ainsi, les luttes électorales se déroulant dans la circonscription de Qasr Al-Nîl, au cœur de la capitale, sont traditionnellement très médiatisées. Au cours des dernières élections, cette tendance a encore été accentuée du fait que cette circonscription abrite la place Tahrir, ainsi que la rue Muhammad Mahmûd, où des affrontements meurtriers ont opposé plusieurs jours durant policiers et manifestants au cours des deux semaines précédant le premier tour des élections. Il en résulte que les principaux candidats ont été très présents dans les médias nationaux

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au cours de la campagne, et beaucoup moins dans les rues. De son côté, la ville de Suez, du fait de son rôle de symbole national (au moins depuis l’occupation israélienne de 1967) et révolutionnaire (les affrontements de janvier 2011 y ont été particulièrement meurtriers18), a attiré l’attention des médias, tant nationaux qu’étrangers19 durant les élections législatives. Cet intérêt pour Suez, sans être comparable avec la situation prévalant à Qasr Al-Nîl, a attiré dans la ville plusieurs leaders nationaux de premier plan. Durant les quinze jours que j’y ai passés, j’ai ainsi pu assister à un meeting de Abû Al-‘Ilâ Mâdî et ‘Isâm Sultân, les dirigeants du Wasat venus soutenir leurs candidats locaux, à une conférence de Ayman Nûr, de passage à Suez pour inaugurer les nouveaux locaux du Ghad Al-Thawra et soutenir ses candidats, et enfin à un discours de ‘Abd Al- Mun‘im Abûl-Futûh20, en campagne pour les élections présidentielles de mai-juin 2012. Enfin, comparée aux deux précédentes, la première circonscription de Gharbiyya (Tanta, Kafr Al-Zayât, Bassiûn et Qutûr) intéresse relativement peu les journalistes. C’est en effet la ville ouvrière de Mahalla, dans la deuxième circonscription du gouvernorat, qui joue le rôle de symbole révolutionnaire dans cette région, tandis que le gouvernorat voisin de Minûfiyya, d’où est originaire la famille de Moubarak ainsi que plusieurs caciques de l’ancien régime, est présenté comme un bastion contre- révolutionnaire.

8 Cette différence de traitement médiatique a d’ailleurs des répercussions sur les conditions de l’enquête. Ainsi, à Qasr Al-Nîl, l’ensemble des candidats a adopté une attitude d’évitement à l’égard de l’enquêteur. Contactés par téléphone ou dans la rue durant leurs bains de foule, ils lui ont demandé de les rappeler pour ensuite filtrer ses appels, ou bien ont donné des rendez-vous jamais honorés. Extrêmement sollicités par les journalistes, ces candidats n’ont en effet pas de temps à consacrer à un chercheur qui ne travaille pas dans l’immédiateté. Surtout, dans un contexte extrêmement tendu où des affrontements meurtriers opposent la police à des manifestants réclamant la chute du régime militaire, les candidats les plus exposés médiatiquement sont à la merci du moindre faux pas. En conséquence, ils sont enclins à voir dans un enquêteur étranger une source potentielle d’ennuis, d’autant que les plus hautes autorités de l’État, et une partie des médias, interprètent alors les événements comme le résultat de menées déstabilisatrices fomentées par l’étranger pour diviser l’Égypte. À Suez, où les candidats sont moins dépendants de leur image dans les médias nationaux, et où les élections se déroulent alors que le calme est revenu place Tahrir, la plupart des candidats se laissent approcher facilement, seuls les salafistes et les fulûl21 mettant en œuvre les habituelles stratégies d’évitement à l’égard de l’enquêteur. Enfin, à Gharbiyya, les candidats et militants de tous les courants ont manifesté une attitude de relative ouverture à mon endroit, y compris les favoris du scrutin22.

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Figure 1 : Le mur dressé par l’armée rue Muhammad Mahmûd quelques jours avant le début du premier tour, dans le but de mettre fin aux affrontements, isole la place Tahrir du quartier de ‘Abdîn, coupant la circonscription de Qasr Al-Nîl en son milieu (21 janvier 2012)

9 Les trois circonscriptions étudiées ici diffèrent également au niveau de leur taille. Suez est la plus réduite des trois, avec une circonscription au scrutin de liste qui se confond avec la circonscription au scrutin binominal direct à deux tours. Seuls six députés y ont été élus (quatre sur les listes, et deux sur des sièges individuels). La circonscription de Qasr Al-Nîl est plus étendue, puisqu’elle s’est vue octroyer huit sièges à attribuer au scrutin de liste (3e circonscription du Caire) et qu’elle est divisée en deux circonscriptions pour le scrutin individuel. Elle est donc représentée à l’Assemblée du peuple par douze députés (huit élus au scrutin de liste et quatre sur des sièges individuels). Dans le cadre de cette enquête, je n’ai suivi les élections au scrutin binominal que dans une seule des deux circonscriptions, celle qui correspond à Qasr Al- Nîl (6e circonscription du Caire), laissant de côté le quartier du Muqattam, rattaché au centre-ville dans le cadre du scrutin de liste, mais composant une circonscription à part dans le cadre du scrutin individuel23. Enfin la première circonscription de Gharbiyya est la plus étendue des trois, puisqu’elle dispose de dix sièges au scrutin proportionnel. Divisé en deux circonscriptions de dix sièges chacun au scrutin de liste, le gouvernorat de Gharbiyya est divisé en cinq circonscriptions élisant chacune deux députés au scrutin individuel. Parmi ces cinq circonscriptions, je n’en ai suivi qu’une seule, celle à laquelle appartenait la ville de Tanta (1er circonscription), où j’étais basé durant la troisième étape du scrutin.

10 Les tableaux suivants montrent les résultats des élections dans chacune des circonscriptions étudiées24 :

Tableau 1 : Résultats des élections au scrutin de liste à Qasr Al-Nîl (3e circonscription du Caire)

Parti ou Résultats exprimés en fraction du Nombre de sièges obtenus par chaque coalition corps électoral parti ou coalition

PLJ 39,94 % 3

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Bloc Égyptien 18,33 % 2

Wafd 14,67 % 1

Nûr 14,52 % 1

La révolution 3,45 % 1 continue

Wasat 2,93 % 0

Total des sièges 8

Tableau 2 : Résultats des élections au scrutin de liste à Suez

Parti ou Résultats exprimés en fraction du Nombre de sièges obtenus par chaque coalition corps électoral parti ou coalition

Nûr 45,55 % 2

PLJ 26,84 % 1

Bloc égyptien 8,37 % 1

Wasat 5,13 % 0

Wafd 4,63 % 0

Total des sièges 4

Tableau 3 : Résultats des élections au scrutin de liste dans la 1er circonscription de Gharbiyya

Résultats exprimés en fraction Nombre de sièges obtenus par Parti ou coalition du corps électoral chaque parti ou coalition

Nûr 29,7 % 3

PLJ 28,7 % 3

Wafd 13,8 % 2

Bloc égyptien 7,4 % 1

Réforme et 4,6 % 1 Développement

La révolution 3,3 % 0 continue

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Wasat 1,9 % 0

Total des sièges 10

Tableau 4 : Députés élus au scrutin individuel à Qasr Al-Nîl (6e circonscription du Caire), Suez et dans la 1er circonscription de Gharbiyya

Circonscription Siège Nom du député Parti

Qasr Al-Nîl fi’ât Muhammad Abû-Hâmid Bloc Égyptien

Qasr Al-Nîl ouvriers et paysans Mustafâ Farghalî PLJ

Suez fi’ât ‘Abbas ‘Abd Al-‘Azîz PLJ

Suez ouvriers et paysans Hâmid Nûr Al-Dîn Nûr

Gharbiyya I fi’ât Muhammad Al-Fiqqî Wafd

Gharbiyya I ouvriers et paysans Al-Sayyid ‘Askar PLJ

11 Dans ces élections, la fortune ne suffit pas pour obtenir un siège. Ainsi des candidats très riches, ayant dépensé beaucoup d’argent dans leur campagne, sont balayés dès le premier tour (comme Magdî ‘Uthmân à Suez, ou Muhammad ‘Urabî à Gharbiyya) ou battus au second (Muhsin Fawzî sur le siège « ouvrier et paysan » de Qasr Al-Nîl). Même cumulé à la notoriété, l’argent ne suffit pas toujours. Ainsi, la très médiatisée Nihâl ‘ Ahdî, jeune femme de 28 ans, membre de la direction du Jazîra Sporting Club25 et candidate du Wafd dans la 6e circonscription du Caire, est battue dès le premier tour. Il est vrai que beaucoup de candidats parmi les plus riches sont soupçonnés, à tort ou à raison, de collusion avec l’ancien régime26. Mais même Gamîla Ismâ‘îl, candidate fortunée, présentatrice vedette de la télévision, et ex-femme du candidat à la présidentielle de 2005 Ayman Nûr27, a échoué dès le premier tour malgré le soutien de la coalition révolutionnaire28. Dans ces élections, la formule gagnante pour remporter un siège en individuel consistait à cumuler d’importantes ressources personnelles, une réputation non-entachée de compromission avec l’ancien régime, et le soutien d’une organisation puissante tant sur le plan national que dans la circonscription visée.

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Figure 2 : Rue Al-Jaych, à l’entrée de la ville de Suez. Les banderoles à l’effigie des candidats occupent tout l’espace disponible (9 décembre 2011)

12 Dans les trois circonscriptions étudiées, les partis sont amenés à faire campagne dans des conditions extrêmement différentes. Ainsi, Qasr Al-Nîl est une circonscription entièrement urbaine, traditionnellement bourgeoise, mais qui a été étendue par la nouvelle loi électorale. Des quartiers aisés (Zamalek, Garden City) y côtoient des zones de peuplement beaucoup plus populaire (Bulâq, ‘Abdîn, Mûskî, jusqu’au Muqattam et son fameux quartier des chiffonniers). Du fait des événements de la rue Muhammad Mahmûd, la campagne électorale y tourne court, stoppée par les combats de rue. Ainsi, la principale arène électorale y est-elle l’espace médiatique lui-même, où s’affrontent les candidats les plus célèbres. La circonscription de Suez, quant à elle, se caractérise par une coupure nette entre un seul pôle urbain, la ville de Suez, et la campagne environnante29. Le marché électoral y est mis en scène et structure l’espace sur une seule rue (la rue Al-Jaych), autour de la place Arba‘în, au cœur des affrontements de janvier 2011. La plupart des partis et candidats font campagne dans cet espace réduit, sous des tentes dressées pour l’occasion, où l’électeur peut rencontrer les candidats eux-mêmes ou leurs partisans, lire tracts et programmes politiques, et assister à des projections de films de campagne, voire à des meetings électoraux. L’espace y est saturé d’affiches, de banderoles et de véhicules de campagne aux symboles des candidats circulant sans relâche en diffusant slogans et chants à la gloire de leurs favoris. Des rassemblements et des marches (masîra) ponctuelles viennent compléter le tableau30. À la sortie de la prière du vendredi, les fidèles sont assaillis par des dizaines de militants de toutes obédiences venus distribuer des tracts sur le parvis de la mosquée. Enfin, la première circonscription de Gharbiyya est de son côté organisée autour de quatre pôles urbains, davantage insérés dans le tissu rural que la ville de Suez31. La campagne électorale y est moins concentrée, plus diffuse. Le rôle politique des notables y paraît davantage assumé que dans les environnements urbains. Ainsi, le candidat du Wafd au siège individuel fi’ât est un chef d’entreprise, présenté comme un homme d’affaires davantage qu’un politicien professionnel32. Des familles connues ou des professions (le personnel médical de tel hôpital, par exemple) impriment à leurs propres frais des banderoles indiquant qu’elles soutiennent tel ou tel candidat (généralement celui du PLJ), aussi bien dans les villages que dans le centre-ville de Tanta. Autre exemple : lors d’un meeting du Bloc égyptien dans le village de Sibirbây, le parti met en avant le candidat issu de ce village présent sur sa liste, en tenue traditionnelle azharî33.

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Figure 3 : Devant le local de la confrérie à Tanta, une banderole déployée par une personnalité locale fait savoir qu’elle soutient les candidats des Frères musulmans (6 janvier 2012)

La stratégie des partis et coalitions en lice dans les trois circonscriptions

13 Dans la circonscription de Qasr Al-Nîl, et contrairement à la plupart de ses concurrents, le PLJ ne mise pas vraiment sur la carrure médiatique de ses candidats, à l’exception peut-être de l’indépendant libéral Wahîd ‘Abd Al-Magîd, coordinateur général de la « Coalition Démocratique » qui rassemble une trentaine de partis autour des Frères musulmans. De par sa position dans la campagne nationale, Wahîd ‘Abd Al-Magîd est particulièrement visible dans les médias, et il occupe la première place sur la liste du PLJ. Dans cette circonscription, les Frères font une campagne de terrain, occupant l’espace avec leurs bannières plastifiées, leurs tracts dans les rues et chez de nombreux commerçants, et les voitures munies de haut-parleurs rappelant aux électeurs que « le parti de la Liberté et de la Justice est le parti des Frères musulmans »34. Moins présents dans les médias que leurs adversaires, ils le sont davantage dans la rue. Surtout, ils sont en avance, n’attendant pas le coup d’envoi de la campagne officielle. Les événements de la rue Muhammad Mahmûd achèveront d’ailleurs de réduire à néant les chances de leurs concurrents de rattraper leur retard. Cette stratégie permet à leur liste de se classer au premier rang, avec près de 40 % des suffrages exprimés, et à leurs candidats de se qualifier pour le second tour sur les deux sièges en jeu au scrutin binominal. Parmi les circonscriptions étudiées, c’est à Suez que la confrérie est la plus faible. Si la tête de liste du PLJ, Ahmad Mahmûd, est une personnalité unanimement respectée, les Frères musulmans n’ont commencé à s’organiser dans cette ville qu’après le retrait des troupes israéliennes, au milieu des années 1970. Ils ont alors eu à faire avec la concurrence des salafistes, qui s’y sont au contraire développés précocement35. Par

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ailleurs, la confrérie a échoué à s’implanter en milieu ouvrier – fait que reconnaissent d’ailleurs volontiers ses partisans –, ce qui ne peut que jouer en sa défaveur dans une circonscription où l’industrie occupe une place centrale. Du fait de ces faiblesses, le parti de la Liberté et de la Justice a du mal à tenir ses alliés. Ainsi, alors même que la troisième position sur la liste du PLJ est occupée par une candidate du parti libéral Ghad Al-Thawra, ce parti a laissé deux de ses membres se présenter sur les sièges individuels36, contre les deux candidats que le PLJ y présente au nom de la coalition démocratique, alliance électorale à laquelle appartient pourtant le Ghad Al-Thawra. Rassemblant à peine plus du quart des électeurs sur leur liste, les Frères n’obtiennent qu’un seul siège à la proportionnelle, et un second sur le siège individuel des fi’ât. Par contre, leur candidat au siège « ouvrier et paysan » ne parvient pas à se qualifier pour le second tour. Enfin, à Gharbiyya, les Frères musulmans semblent jouer à domicile. Leur campagne s’appuie particulièrement sur les services qu’ils rendent à la collectivité. Ainsi, ils disposent à Tanta d’une école, d’une mosquée, d’une pharmacie et même d’un opticien, concentrés autour de ce qui constitue le cœur de leur dispositif dans la ville, l’hôpital Tîba. Ce système, particulièrement bien rôdé dans ce gouvernorat, leur permet à la fois de fidéliser leurs sympathisants des classes moyennes en leur fournissant un travail37 et de mobiliser en leur faveur les citoyens des classes populaires en les soignant et en éduquant leurs enfants pour un prix modeste38. Il faut d’ailleurs ajouter à ce dispositif médical et éducatif un volet proprement caritatif, passant par le contrôle d’ONG de développement et de centres de la zakât39. L’autre pilier de l’influence frériste dans la circonscription est le réseau d’écoles azharites, qui scolarisent de nombreux écoliers dans le Delta. L’université d’Al-Azhar dispose d’une faculté de droit musulman dans le village de Sibirbây. Si les Frères ne contrôlent pas l’institution d’Al-Azhar, ils sont néanmoins largement représentés parmi son corps professoral. Leur candidat individuel pour le siège « ouvrier et paysan », le sheikh Al-Sayyid ‘Askar est d’ailleurs un ancien dirigeant de premier plan de l’institution, au niveau national. L’efficacité de leur dispositif permet aux Frères de rassembler près de 30 % des voix sur leur liste, arrivant ainsi juste derrière le parti Nûr, et conquérant trois sièges de députés sur les dix pourvus à la proportionnelle. Surtout, Al-Sayyid ‘Askar rallie sur sa personne plus de 50 % des suffrages dès le premier tour. Il est vrai qu’il n’a pas eu à affronter de candidat salafiste, suite à un accord de désistement réciproque passé entre le PLJ et le parti Nûr : le siège « ouvrier et paysan » pour le premier et le siège fi’ât pour le second.

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Figure 4 : Fresques peintes sur la façade de « l’école de la génération musulmane »40, contrôlée par les Frères musulmans, à proximité de l’hôpital Tîba de Tanta (2 janvier 2012)

14 Parmi les trois circonscriptions étudiées, la coalition salafiste a réalisé sa plus mauvaise performance dans la circonscription urbaine de Qasr Al-Nîl, où elle n’a obtenu que 15 % des voix au scrutin de liste (se classant ainsi au quatrième rang) et où aucun de ses candidats n’a pu accéder au second tour sur les sièges individuels. Les salafistes ont en effet réalisé leurs meilleurs scores dans les zones rurales, telles que le gouvernorat de Gharbiyya41, où ils sont arrivés en tête du scrutin de liste avec près de 30 % des voix. Par ailleurs, leur unique candidat sur un siège individuel, Midhat Mich‘al, s’est aisément qualifié pour le second tour. Celui-ci a néanmoins été victime d’une manœuvre politique des Frères musulmans, qui ont appelé à voter pour son adversaire Muhammad Al-Fiqqî, candidat du Wafd, après s’être placés à l’abri des représailles de leur ancien allié en parvenant à faire élire dès le premier tour leur candidat sur le siège « ouvrier et paysan »42. Mais c’est dans la circonscription de Suez que les salafistes réalisent leur score le plus impressionnant. Avec 45,55 % des voix, leur liste fait presque deux fois mieux que le PLJ, et leur permet de conquérir deux sièges sur les quatre attribués à la proportionnelle dans la circonscription. Leurs candidats se qualifient par ailleurs au second tour sur les deux sièges individuels. Si Muhammad ‘Âdil, membre du parti Construction et Développement43, est finalement battu par le candidat du PLJ sur le siège fi’ât, le salafiste Hamî Nûr Al-Dîn parvient à arracher le siège « ouvrier et paysan » à l’ancien député ‘Abd Al-Hamîd Kamâl, candidat du parti de gauche Al-Tagammu‘, disposant pourtant de nombreux soutiens en milieu ouvrier. Dans cette circonscription, en effet, les salafistes disposent d’une implantation ancienne, symbolisée par le sheikh Hâfiz Salâma qui avait pris la tête de la résistance à l’occupation israélienne suite à la défaite de 1967. Ils ont pu en outre profiter des faiblesses de l’organisation frériste, ainsi que des erreurs des partis concurrents, qui ont concentré l’essentiel de leurs forces dans le centre-ville de Suez, négligeant ainsi la campagne environnante44.

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15 Le vieux parti libéral du Wafd, issu de la révolution de 1919 visant à libérer l’Égypte de la tutelle britannique, représente traditionnellement les intérêts de la bourgeoisie terrienne, dont l’influence sociale a beaucoup diminué depuis la révolution de 1952. Peu implanté à Suez, il y obtient moins de 5 % des voix au scrutin de liste, et n’y remporte aucun siège. À Qasr Al-Nîl et Gharbiyya, il réalise de bien meilleurs scores, avec près de 15 % des voix et respectivement un et deux sièges au scrutin de liste. Sur les sièges individuels, le Wafd opte pour deux stratégies opposées dans ces deux circonscriptions. À Qasr Al-Nîl, il accorde son investiture à la jeune et médiatique Nihâl ‘Ahdî, sans véritable expérience politique et ancienne détentrice d’une carte du PND. L’attention des médias est encore renforcée par la présence d’une seconde candidate jeune et non-voilée, la présentatrice de télévision Gamîla Ismâ‘îl. Les journalistes se plaisent alors à mettre en scène un supposé duel entre les deux femmes, parfois présenté comme une manifestation de « jalousie féminine ». Cette stratégie de médiatisation s’avère au final peu payante, puisque Nihâl ‘Ahdî échoue à se qualifier pour le second tour. Au contraire, dans la première circonscription de Gharbiyya, où il a su s’attirer l’estime de la jeunesse révolutionnaire en refusant de se prêter au recyclage de tout ce qui pourrait s’apparenter à un fulûl, le Wafd accorde son investiture à un homme d’affaires d’âge mûr, membre du comité central du parti, Muhammad Al- Fiqqî. À la tête d’une entreprise de commercialisation de matériel médical, avec un pied au Caire et un autre à Tanta, investissant une partie de ses bénéfices dans des activités caritatives, cet homme présente toutes les caractéristiques du notable de province, capable une fois élu de mobiliser une partie des ressources du centre au profit de sa circonscription. En outre, il est parvenu à habiter ce rôle tout en conservant une réputation sans taches en matière de corruption et de compromissions avec l’ancien régime. Bien qu’impliqué dans l’organisation du parti à l’échelon national, il fait campagne à part, dans son propre local, distinct – mais à proximité – de celui du Wafd. Il n’est d’ailleurs jamais fait mention de ce dernier sur le matériel de campagne du candidat, néanmoins capable de mobiliser les ressources du parti en plus des siennes propres en faveur de sa candidature. Sans débauche apparente de moyens, cette stratégie le mène au second tour, où l’appui des Frères musulmans, désireux de réduire l’influence de leurs concurrents salafistes dans le gouvernorat, lui permet de l’emporter face au candidat du parti Nûr.

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Figure 5 : Affiches de campagne de Gamîla Ismâ‘îl (à gauche) et de Nihâl ‘Ahdî (à droite), dans le quartier de Zamalek (25 novembre 2011)

16 Le Bloc égyptien est une coalition de partis rassemblant le parti des Égyptiens libres (créé par l’homme d’affaires copte Nagîb Sâwîris), et deux partis socialistes : le parti égyptien social-démocrate et le Tagammu‘. Alors que la coalition démocratique présente partout des listes aux couleurs du seul PLJ – sur lesquelles ont été répartis des candidats des partis alliés –, et que la « coalition pour l’Égypte » (salafiste) fait de même avec le parti Nûr, le Bloc égyptien a opté pour la formule inverse. Les partis qui le composent se sont réparti les circonscriptions (50 % pour les Égyptiens libres, 40 % pour les sociaux-démocrates et 10 % pour le Tagammu‘), présentant partout des listes homogènes, aux couleurs de la coalition45. Dans chacune des trois circonscriptions étudiées, c’est le parti des Égyptiens libres, économiquement et politiquement libéral, qui a conduit les listes du Bloc46. Il y a obtenu un succès variable, avec un siège de député à Gharbiyya (7 %) et un autre à Suez (8 %). C’est à Qasr Al-Nîl que le parti a réalisé son meilleur score, en se classant au second rang, avec 18 % et deux députés élus au scrutin de liste. Dans la sixième circonscription du Caire, le parti est en outre parvenu à faire élire un candidat individuel au siège fi’ât, Muhammad Abû Hâmid, alors âgé de 38 ans. Sans expérience politique préalable à la révolution, celui-ci a longtemps milité dans une ONG de développement. Lorsque le parti des Égyptiens libres est créé en 2011, il devient membre de son comité central et participe à la rédaction de son programme. Bon connaisseur de la religion musulmane, il se présente comme le candidat du dialogue inter-religieux et de l’État civil. Très présent dans les médias, son positionnement lui permet de rassurer les chrétiens sans s’aliéner ses coreligionnaires musulmans. Nombre de ces derniers, vivant dans les quartiers aisés de la circonscription, considèrent d’ailleurs les islamistes comme une menace pour leur mode de vie, et sont en conséquence enclins à accorder leur voix à un libéral. Sa jeunesse enfin, et son discours sans concessions à l’égard des brutalités policières, lui attirent la sympathie des électeurs révolutionnaires, surtout après l’élimination de Gamîla Ismâ‘îl, lors du second tour qui l’oppose à un candidat frériste. Le parti des Égyptiens libres a pourtant adopté des stratégies très similaires dans les trois circonscriptions, composant ses listes en recrutant des petits notables locaux, sans se montrer trop regardant sur leur rôle politique passé. Cette stratégie a permis au parti

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de disposer de relais locaux dans plusieurs quartiers de chaque circonscription où il se présentait, et de les utiliser pour faire rapidement connaître auprès des électeurs le nom, les grandes lignes du programme et les symboles de l’organisation. En fait, la différence entre les résultats obtenus par ce parti à Qasr Al-Nîl et dans les deux autres circonscriptions reflète l’écart entre les résultats globaux qu’il a enregistrés lors de la première phase de ces élections et les deux suivantes. Si cet écart peut sans doute en partie s’expliquer par le caractère beaucoup plus urbain des premières zones à avoir voté, il semblerait cependant que l’essentiel soit ailleurs. C’est sans doute ici que la réduction de l’incertitude au cours des étapes du scrutin a produit ses effets les plus spectaculaires. Se classant troisième, derrière le PLJ et le Nûr, lors de la première phase, le Bloc Égyptien est également apparu à cette occasion comme « le parti des chrétiens ». Il est vrai que ses candidats avaient beaucoup joué sur cette corde auprès des électeurs coptes, et que le soutien de l’Église au Bloc, et en particulier au parti des Égyptiens libres, n’avait pas fait l’objet de beaucoup de mystères. Les islamistes ont alors commencé à utiliser cet argument contre le Bloc. Par ailleurs, la médiatisation à desservi cette coalition en la réduisant à sa figure médiatique la plus visible, l’homme d’affaires chrétien Nagîb Sâwîris, et à ses maladresses47. De ce fait, durant la deuxième étape des élections, beaucoup d’électeurs libéraux ont commencé à identifier le Bloc égyptien comme un parti confessionnel, au même titre que les partis islamistes. Ses résultats ont alors décru au profit du Wafd, qui s’est ainsi hissé à la troisième place, alors qu’il n’avait été que le quatrième parti lors de la première phase des élections.

Figure 6 : Deux banderoles du Bloc égyptien devant une église à Suez. Le message se veut sans équivoque (9 décembre 2011)

17 Avec près d’un million d’électeurs, et seulement une dizaine de députés, le parti islamiste modéré du Wasat48 a occupé la cinquième place lors de ces élections. Néanmoins, il n’a obtenu aucun siège dans les trois circonscriptions étudiées ici. Ce parti était quasiment absent de Gharbiyya, où il a tout juste été en mesure de composer

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une liste, mais pas de mener campagne en sa faveur. Son score n’y atteint même pas la barre des 2 %. De manière plus surprenante, la campagne menée par le Wasat à Qasr Al- Nîl était très modeste, et semblait manquer de moyens. Sa tête de liste, ‘Amrû Fârûq, un jeune quadragénaire travaillant dans une société de communication, n’est pas parvenu à se faire une place dans un espace déjà saturé de jeunes candidats fortement médiatisés. Au niveau national d’ailleurs, la campagne médiatique du Wasat a été davantage axée sur la presse papier que sur la télévision, ce qui dénote sans doute un relatif manque de moyens financiers (les publicités dans les journaux coûtent moins cher que la diffusion de clips de campagne sur les chaînes privées). Il n’y a qu’à Suez que ce parti a su occuper le terrain dans la rue, en dressant sa tente de campagne dans un lieu hautement symbolique – devant les ruines calcinées du commissariat de la place Arba‘în –, en faisant circuler en permanence plusieurs véhicules de campagne, en distribuant en abondance tracts et drapeaux aux couleurs du parti, en organisant enfin un meeting sous les auspices de ses dirigeants nationaux. Ces efforts lui ont permis de dépasser le seuil symbolique des 5 % au scrutin de liste, faisant ainsi du Wasat le quatrième parti de Suez. La configuration locale – mise en scène d’un marché électoral s’inscrivant dans l’espace physique de la rue – a sans doute bénéficié à ce parti disposant d’une identité programmatique forte, et misant sur la compétence et la respectabilité de ses candidats davantage que sur leur fortune personnelle et leur ancrage local. Cependant, seuls quatre sièges étant en jeu à la proportionnelle, ce relatif succès ne s’est pas traduit par l’envoi d’un député à l’Assemblée du peuple.

Figure 7 : La tente de campagne du Wasat à Suez (9 décembre 2011)

18 Les partis issus du défunt PND étaient absents à Qasr Al-Nîl, et si le parti des Conservateurs et le parti de la Liberté49 ont présenté chacun une liste à Suez, ils n’y ont quasiment pas fait campagne et leurs voix cumulées ne franchissent pas la barre des 2 %. Dans la première circonscription de Gharbiyya, les choses sont légèrement

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différentes : à eux deux, ces partis rassemblent plus de 5 % des voix. Il faut dire que la tête de liste du parti de la Liberté en est un des dirigeants nationaux, ancien député PND, et qu’il n’a pas hésité à mettre de l’argent dans sa campagne. Par ailleurs, parmi les trois circonscriptions étudiées, seule celle-ci voit le parti de la Réforme et du Développement obtenir un siège, avec presque 5 % des voix. Or, même sans être issue directement de l’ancien parti hégémonique, cette organisation a partie liée avec certains responsables de l’ancien régime. Quelques mois plus tard, c’est dans le gouvernorat de Gharbiyya que Ahmad Chafîq, l’ancien ministre de Moubarak, réalisera ses meilleurs scores au second tour de la présidentielle.

19 Enfin, la coalition de « la révolution continue » n’a réussi à obtenir qu’un seul siège dans les trois circonscriptions qui nous intéressent ici. C’est à Qasr Al-Nîl que cette coalition a pu, avec moins de 4 % des voix, envoyer un député à l’assemblée grâce à la règle du plus fort reste. Dans cette « circonscription du feu et du sang », où la révolution continuait bel et bien quelques jours encore avant le premier tour du scrutin, l’alliance électorale des partis et organisations révolutionnaires a joué le jeu de la médiatisation en soutenant la candidature de la présentatrice vedette Gamîla Ismâ‘îl au siège fi’ât, mais aussi en confiant la tête de sa liste à l’actrice Taysîr Fahmî. Si, avec près de 20 % des voix, la première a manqué de peu sa qualification au second tour, le score obtenu par la liste révolutionnaire demeure décevant étant donné le contexte. « La révolution continue » a obtenu un score quasiment équivalent dans la première circonscription de Gharbiyya, où sa liste rassemblait des jeunes révolutionnaires libéraux, socialistes et islamistes, et était conduite par un membre du parti du Courant égyptien50. Enfin à Suez, ville-symbole de la révolution, la coalition révolutionnaire n’a paradoxalement pas présenté de liste. En effet, il s’est avéré que l’un des membres pressentis pour y figurer, la militante ouvrière Nâhid Marzûq, avait autrefois appartenu au PND du fait de ses responsabilités locales dans le syndicat ouvrier officiel. C’est pour cette raison que les autres membres de la coalition se sont retirés de la liste. Membre du parti de la coalition socialiste, Nâhid Marzûq a finalement fait campagne en individuel pour le siège « ouvriers et paysans ». Un autre candidat révolutionnaire, Ahmad Fathî, membre d’un mouvement de jeunes propre à la ville de Suez51, s’est également porté candidat, ainsi que Sa‘ûd ‘Umar, ouvrier retraité proche des socialistes révolutionnaires. Aucun des trois n’a cependant réalisé de score significatif.

Conclusion

20 La baisse relative de l’incertitude au cours des trois étapes du processus électoral a sans doute eu pour premier effet de diminuer le poids électoral du Bloc égyptien, et en particulier du parti des Égyptiens libres. Par ailleurs, lorsqu’il est apparu que la force des partis islamistes dans les urnes avait été largement sous-estimée, certains candidats et certaines organisations ont jugé utile d’islamiser quelque peu leur image. Ainsi, lors du meeting du Wasat à Suez, la tête de liste du parti, ‘Isâm Chibl, a scandé de virulents « Allâh akbar ! » afin de chauffer la foule. Durant la troisième étape des élections, à Gharbiyya, le parti des Égyptiens libres s’est montré très soucieux de corriger son image de « parti des chrétiens » : la musique de campagne diffusée par les camions et dans les meeting reprenait une chanson dont le refrain débutait par « Bismillâh, bismillâh, Allâh Akbar... »52. Lors d’un meeting de ce parti dans le village de Sibirbây, comportant pourtant une forte minorité copte, un seul orateur chrétien a pris la

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parole, pour à peine quelques minutes. A contrario, des sheikh d’Al-Azhar y ont abondamment cité le Coran, y compris le fameux verset déclarant que Dieu n’a pas engendré53.

21 L’effet le plus visible de la médiatisation de certaines circonscriptions est qu’elle a conduit de nombreux partis à se fourvoyer dans leurs choix stratégiques. Ainsi, la loupe médiatique braquée sur Qasr Al-Nîl et « le grand souk électoral »54 implanté au cœur de Suez ont en partie masqué le patient travail de terrain mené par les Frères musulmans et les salafistes depuis des années (constitution d’un réseau d’institutions sociales, contrôle des mosquées) et durant la campagne (les militantes islamistes notamment, ont réalisé un important travail de porte-à-porte, visant principalement les femmes au foyer). Cet écart entre la mise en scène de la campagne et la réalité a été particulièrement brutal à Suez. Du point de vue des militants faisant campagne au centre-ville, le parti Nûr se présentait comme un parti parmi d’autres, disposant d’une tente de campagne sur la rue Al-Jaych où l’on pouvait récupérer des tracts électoraux. L’observateur extérieur, journaliste ou chercheur, n’échappait d’ailleurs pas à cette illusion. L’annonce des résultats y a donc provoqué un choc, tant la disproportion des forces en faveur des salafistes était inattendue. Au final, dans les trois circonscriptions étudiées, seul Muhammad Abû Hâmid à Qasr Al-Nîl semble avoir profité de sa notoriété médiatique, et encore a-t-il bénéficié lui aussi du travail de proximité réalisé par les militants du parti des Égyptiens libres dans le cadre de la promotion de leur liste.

22 Si l’influence des médias doit être relativisée, car elle ne remplace pas plus le travail de terrain que la proximité avec les électeurs et la capacité à leur rendre des services, elle ne doit néanmoins pas être négligée. Les circonscriptions au scrutin de liste étaient très larges, et les électeurs ne connaissaient pas la plupart des candidats. Dès lors, l’image du parti ou de la coalition s’est avérée déterminante dans leur choix. Les atouts médiatiques du Wafd et du Bloc égyptien ne sont ainsi sans doute pas étrangers à leur capacité à s’imposer comme les deux principales forces d’opposition parlementaire à la majorité islamiste. Le Wafd est en effet le seul, parmi les partis libéraux, à disposer d’un journal quotidien, et son président, Al-Sayyid Badawî, possède en propre un autre quotidien, Al-Dustûr, et une chaîne de télévision, Al-Hayât. Comparativement aux autres partis libéraux, le Wafd et le parti des Égyptiens libres disposent en outre d’une force de frappe financière impressionnante, qui s’est traduite principalement par la diffusion de clips télévisés et la location de panneaux publicitaires grand format. Bien que disposant d’autres moyens d’atteindre les électeurs, les islamistes ont dû se battre eux aussi sur ce front, en participant aux différents talk-shows55 et en diffusant eux aussi des clips de campagne sur les chaînes de télévision et les réseaux sociaux56. Les autres partis ont eu beaucoup de difficultés à faire face à cette débauche de moyens, même si quelques personnalités ont su tirer leur épingle du jeu médiatique, notamment parmi les candidats identifiés comme des révolutionnaires57.

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NOTES

1. Encore qu’ils aient dû partager cette dernière fonction avec d’autres organisations (Frères musulmans, Prédication salafiste, voire entreprises privées, etc.) Cf. Clément Steuer, « Le printemps des partis ? Le rôle des organisations partisanes égyptiennes dans la mobilisation électorale », Confluences Méditerranée, n° 82, 2012. 2. Certains d’entre eux étaient d’ailleurs des membres de partis politiques qui ont enregistré leur candidature en tant qu’indépendants... 3. Voir notamment le travail désormais classique de Stein Rokkan et Henry Valen, “The Mobilization of the Periphery: Data on Turnout, Party Membership and Candidate Recruitment in Norway”, Acta Sociologica, 1962, vol. 6, n° 1-2. 4. Leur influence sur le comportement des électeurs ne peut quant à elle être appréhendée, en l’absence de données économiques, démographiques et sociologiques fiables sur chacune des

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circonscriptions étudiées, et sur la répartition des votes à un niveau plus fin que celui de la circonscription. Le décompte des bulletins s’est en effet fait au niveau de la circonscription pour les élections législatives, et non pas bureau de vote par bureau de vote. 5. Depuis l’introduction du scrutin majoritaire en 1990, il existait néanmoins une incertitude au niveau local, croissante dans le temps, à mesure que les candidatures des « indépendants sur les principes du PND » se multipliaient. Dans les années 1990-2000, il y a toujours davantage de concurrence entre des candidats indépendants qui, presque tous, rejoindront le PND une fois élus. L’hégémonie du parti dominant au parlement demeure ainsi garantie, bien que les noms des députés victorieux soient soumis aux aléas du scrutin. 6. Ce qui constitue en revanche un élément de continuité par rapport aux précédentes élections. Voir le numéro d’Égypte/Monde arabe, 2011, vol. 3, n° 7, coordonné par Florian Kohstall et Frédéric Vairel. 7. Le 25 septembre 2011, l’article 38 de la déclaration constitutionnelle est amendée afin de prémunir contre tout recours judiciaire la décision d’attribuer les deux tiers des sièges au scrutin de liste. 8. L’article 39 de la déclaration constitutionnelle dispose que cet organe doit être composé uniquement de juges, et qu’il est responsable de la supervision des élections et référendums, depuis l’annonce du calendrier électoral jusqu’à la proclamation des résultats. Sa formation et sa composition relèvent de la loi. 9. Le parlement égyptien est bicaméral : il est composé d’une chambre basse, l’Assemblée du peuple (majlis al-cha‘b), chargé de voter les lois, et d’une chambre haute, l’Assemblée consultative (majlis al-chûrâ), ne disposant traditionnellement d’aucun pouvoir contraignant, comme son nom l’indique. 10. Par exemple, la décision prise à la dernière minute d’organiser chaque tour du scrutin sur deux journées au lieu d’une seule a contraint ces acteurs à s’organiser dans l’urgence. L’auteur de cet article a ainsi accompagné un juge au marché de ‘Ataba à la veille du premier tour, pour acheter le matériel nécessaire à une mise sous scellés des urnes pendant la nuit séparant les deux jours d’ouverture des bureaux de vote ! 11. Voir Iman Farag, « Corrompre, fidéliser : Les ressorts “légitimes” de la compétition électorale égyptienne », Égypte/Monde arabe, vol. 3, n° 7, 2011. 12. Voir notamment Lisa Blaydes and Safinaz El Tarouty, “Women’s Electoral Participation in Egypt: The Implications of Gender for Voter Recruitment and Mobilization”, The Middle East Journal, 2009, vol. 63, n° 3. 13. À partir du 19 novembre 2011, des affrontements meurtriers ont opposé plusieurs jours durant les forces de l’ordre à des manifestants réclamant le départ immédiat du CSFA au profit d’un gouvernement de transition animé par des civils. Soldés par une cinquantaine de morts, ces combats de rue n’ont cessé que quelques jours avant l’ouverture du scrutin. Ils se déroulaient pour l’essentiel à l’entrée de la rue Muhammad Mahmûd, qui permet de rejoindre le ministère de l’Intérieur depuis la place Tahrir. 14. Le parti des Frères musulmans. 15. Voir la chronologie en fin de volume. 16. Huwa ibn al-balad. Littéralement : « c’est un enfant du pays ». 17. Le choix de ces trois circonscriptions est en grande partie le fait du hasard et des opportunités : possibilités matérielles d’y demeurer pour une période de deux semaines, présence d’informateurs locaux sur place, etc. Les différences entre ces trois terrains sont donc apparus a posteriori, et n’ont pas joué un rôle déterminant dans leur sélection. 18. Par ailleurs, au troisième jour de la révolution, la veille de l’effondrement de la police, Suez était la seule ville du pays à manifester, alors que le calme était temporairement revenu dans le reste du pays.

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19. Cette circonscription est d’ailleurs la seule où j’ai été amené à travailler en collaboration avec des journalistes de la presse francophone. 20. Pour une brève présentation des partis et candidats à la présidentielle, se reporter au tableau en fin de volume. 21. Voire la définition dans le lexique en fin de volume. 22. C’est la seule circonscription où j’ai pu approcher les futurs vainqueurs, puisque j’ai interrogé le fils de Muhammad Al-Fiqqî, le candidat du Wafd élu député sur le siège fi’ât (« autres catégories » : les candidats qui ne sont ni ouvriers ni paysans) au deuxième tour, et mené un entretien avec le candidat du PLJ, le sheikh Al-Sayyid ‘Askar, élu dès le premier tour au siège réservé aux « ouvriers et paysans ». 23. Sur les élections au Muqattam, voir l’article de Gaétan du Roy dans ce numéro. 24. Pour une présentation des différents partis mentionnés ici, se reporter au tableau en fin de volume. 25. Club de sport emblématique de la bourgeoisie cairote. 26. Muhammad ‘Urabî et Muhsin Fawzî sont effectivement d’anciens députés du PND. Nihâl ‘Ahdî a eu sa carte au parti, sans jamais y exercer de responsabilités ni y briguer de mandat. Quant à Magdî ‘Uthmân, même si aucun élément sérieux ne semble le désigner comme fulûl, sa campagne dispendieuse a fait jaser à Suez sur l’origine de sa fortune. 27. Alors président du parti libéral Ghad, Ayman Nûr avait été le principal opposant à Hosni Moubarak lors des premières élections présidentielles pluralistes de l’histoire égyptienne. 28. Elle est arrivée 3e sur le siège fi’ât, battue de peu par le candidat du PLJ ‘Amrû Khidr, et celui du Bloc égyptien Muhammad Abû Hâmid. 29. Comme Port-Saïd et Ismaïlia, la ville de Suez a été fondée au moment du percement du canal, et est tournée prioritairement vers le grand large, ce qui l’isole de son arrière-pays. Sur les villes du canal et leur particularisme, lire la thèse de Frédérique Bruyas, De la re-construction régionale à formation d’un territoire du canal de Suez : Acteurs et enjeux, thèse de géographie soutenue en novembre 2002 à l’université François Rabelais de Tour. 30. À peu de chose près, cela ressemble beaucoup à la description faite par Sandrine Gamblin des élections législatives de 1995 à Louxor (« Familles, pouvoir et territoires : les élections législatives de 1995 dans une circonscription de Haute-Égypte », in S. Gamblin (dir.), Contours et détours du politique en Égypte. Les élections législatives de 1995, Paris, L’Harmattan/Cedej, 1997). Les élections organisées sous le régime autoritaire ont ainsi permis de forger tout un répertoire de pratiques, aujourd’hui réinvesties par les acteurs dans un contexte juridico-politique grandement différent. 31. Pour Jacques Berque, la densité du tissu rural du Delta interdit une rupture franche entre les villes et les campagnes dont elles sont issues. Les villes du delta du Nil s’inscrivent ainsi dans un continuum qui va du rural à l’urbain (Jacques Berque, L’Égypte, Impérialisme et Révolution, Paris, NRF Gallimard, 1967). Delphine Pagès-El Karoui nuance et précise ce point de vue : si les petites et moyennes villes du Delta sont composées de « citadins des champs » (c’est-à-dire qu’elles comportent une part importante d’agriculteurs parmi leur population active), ce n’est plus le cas des villes importantes de la région telles que Tanta. Cette dernière n’en a pas moins conservé des liens étroits avec le monde agricole : elle constitue un marché pour les produits de l’agriculture, et ses industries sont principalement liées à l’exploitation des richesses naturelles. Enfin, elle joue un rôle de relais entre le pouvoir central et les campagnes environnantes, pour lesquelles elle constitue également un centre de services (Delphine Pagès-El Karoui, Villes du delta du Nil. Tantâ, Mahalla, Mansûra, Cités de la densité, Paris, CEDEJ/KARTHALA/IISMM, 2008). 32. « Il est économique, pas politique » (Huwa iqtisâdî, mich siyâsî), me dira son fils rencontré dans son local de campagne. J’ai par la suite entendu plusieurs fois cette formule pour le désigner, que mon interlocuteur le déplore ou s’en réjouisse. 33. Ce village aggloméré à Tanta abrite un grand centre universitaire azharite. 34. Hizb Al-Hurriya wal-‘adâla huwa hizb Al-Ikhwân al-muslimîn.

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35. Voir infra le rôle historique du sheikh Hâfiz Salâma dans la ville. 36. Il s’agit de Tal ‘at Al-Khalîl (sur le siège fi’ât) et de Muhammad Abû Masr (« ouvriers et paysans »). 37. Janine A. Clark, “Movement Theory and Patron-Clientelism: Islamic Social Institutions and the Middle Class in Egypt, Jordan and Yemen”, Comparative Political Studies, vol. 37, 2004. 38. Marie Vannetzel, « “Ils nous ont déjà essayés !” Clientélisme et mobilisation électorale frériste en Égypte », Politique africaine, vol. 108, 2007. 39. J’ai eu l’occasion d’expérimenter indirectement les attentes suscitées par les Frères en termes de services à la population, lorsqu’un homme m’a interpellé dans une rue de Tanta, disant m’avoir aperçu au local de campagne de Al-Sayyid ‘Askar (ce qui était exact). L’homme avait perdu une jambe et avait été soigné à l’hôpital Tîba. Après s’être excusé de me demander cela, il m’a dit qu’il avait besoin d’argent pour nourrir sa famille, et qu’il venait de se rendre au service de la zakât et au local du candidat du PLJ, mais que les deux étaient actuellement fermés. Bien loin de mettre en avant ma qualité d’occidental censément fortuné pour me demander de l’aide, il a ainsi insisté sur notre proximité supposée commune avec la confrérie, laissant ainsi entendre qu’un geste de ma part relèverait de la nature de la relation que cette dernière a noué avec ses électeurs. Lié d’une manière ou d’une autre aux Frères musulmans, j’étais censé, moi aussi, « faire le bien ». 40. Madâris al-jîl al-muslim. 41. Si tous les partis et candidats affichaient leur matériel de campagne dans les grands centres urbains, et même à l’entrée des gros bourgs de Gharbiyya, leurs traces disparaissaient progressivement à mesure que l’on s’enfonçait dans les zones les plus rurales, laissant les salafistes occuper seuls ce terrain avec les affiches appelant à voter pour le parti Nûr et ses candidats. 42. Al-Masrî Al-Yawm, 4 janvier 2012. 43. Binâ’ wa-Tanmiya. Allié aux deux partis salafistes Nûr et Asâla, ce parti est issu des Gama‘ât islâmiyya, mouvement islamiste qui avait mené une lutte armée contre le régime jusqu’au milieu des années 1990. Ses membres ont par la suite renoncé à l’usage de la violence durant leurs années de prison, et se sont ralliés à l’idée de mener un combat politique en adoptant la forme partisane. 44. À l’exception d’un candidat présent sur la liste du Wafd, aucun de mes enquêtés n’a cru bon d’insister, au cours de nos entretiens, sur les problèmes de la paysannerie. Les thèmes les plus évoqués par les différents candidats étaient la question ouvrière, la santé et l’éducation, ainsi que les enjeux nationaux (place de la religion dans la Constitution, défense des libertés publiques et individuelles, lutte contre la corruption, etc.) 45. Néanmoins, la campagne nationale dans les médias, en grande partie financée par la fortune de Sâwîris, tendait à assimiler le Bloc dans son ensemble au seul parti des Égyptiens libres. 46. À Suez, le Bloc égyptien n’a pas présenté de candidats individuels, laissant ainsi le champ libre à l’ancien député ‘Abd Al-Hamîd Kamâl, membre du Tagammu‘. 47. Il lui a notamment été reproché une atteinte à la religion musulmane après qu’il a publié sur Twitter, en juin 2011, un dessin représentant Mickey et Minnie Mouse vêtus à la mode salafiste. Malgré ses excuses, il a été poursuivi en justice par un avocat membre du parti Nûr, avant d’être finalement acquitté en mars 2012. 48. Le terme Wasat signifie « centre ». Dans le vocabulaire islamique, il est lié aux notions de justice (‘adl), et de modération (i‘tidâl), formées sur la même racine (Cf. C. Steuer, « S’approprier un nom pour occuper un espace : Le parti du centre en Égypte », Mots. Les langages du politique, n° 101, 2013). 49. Respectivement hizb Al-Muhâfizîn et hizb Al-Hurriya. Ces deux partis ont – avec d’autres – servis de véhicules aux anciens du PND les plus compromis avec l’ancien régime.

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50. Fondé par la fraction révolutionnaire des jeunes Frères musulmans, en désaccord avec l’attitude prudente de l’organisation-mère à l’égard du régime militaire. 51. Takâtul chabâb Al-Suwîs, « La coalition des jeunes de Suez ». 52. « Au nom de Dieu, Dieu est le plus grand... » 53. Plaçant la filiation divine du Christ au cœur de leur foi, les chrétiens ne peuvent bien évidemment adhérer au contenu de ce verset. 54. L’expression est de Myriam Catusse, « Économie des élections au Maroc », Maghreb-Machrek, n° 168, 2000. 55. Sur l’affrontement entre le candidat islamiste et ses adversaires sur les plateaux de télévision au cours de la présidentielle, voir l’article de Omneya Nour Eddin Khalifa dans ce numéro. 56. Dans ces clips, le PLJ se présentait à la fois comme le produit de la révolution de 2011, et comme l’héritier de l’histoire longue des Frères musulmans, enfin à portée du pouvoir après des décennies de persécutions. Le parti Nûr avait de son côté réalisé un clip musical, sur fond de nachîd chantant les louanges du parti, qui a eu un grand succès auprès des électeurs. Le PLJ est allé jusqu’à produire un morceau de rap à sa gloire, avec un succès bien plus mitigé. 57. Voir à ce sujet l’article de Giedre Sabaseviciute dans le présent numéro, ainsi que Samer Soliman, 2012, « Les nouvelles forces “civiles” égyptiennes face au défi électoral », Confluences Méditerranée, vol. 82, p. 161-169.

RÉSUMÉS

Cet article d’ethnographie électorale se base sur une comparaison effectuée entre trois circonscriptions égyptiennes élisant leurs représentants à l’Assemblée du peuple (Qasr Al-Nîl, Suez et la première circonscription de Gharbiya) pour mettre en lumière l’influence de deux variables exogènes sur la stratégie locale des organisations partisanes : le degré d’incertitude pesant sur l’élection, et l’importance relative des différentes circonscriptions dans les médias nationaux.

This article of electoral ethnography rely on a comparison between three Egyptian electoral districts during the 2011-2012 parliamentary elections (Qasr Al-Nîl, Suez and Gharbiya). It emphases the influence of two external factors explaining the local strategy of the political organizations : the level of uncertainty and the relative weight of the district within the national medias.

INDEX

Mots-clés : partis politiques, niveau local, circonscriptions électorales, incertitude, médias nationaux Keywords : political parties, local level, electoral districts, uncertainty, national medias

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AUTEUR

CLÉMENT STEUER Clément Steuer est politiste, chercheur associé au CEDEJ et membre du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO). Il travaille actuellement à l’Institut oriental de l’Académie des sciences de République tchèque. Il a également été jeune docteur du laboratoire Triangle, et a été soutenu par une bourse de la région Rhône-Alpes pour ses recherches sur les élections égyptiennes. Il a notamment publié en 2012 Le Wasat sous Moubarak aux éditions de la Fondation Varenne. Clément Steuer is a political scientist, associate researcher at the CEDEJ, and member of the Research Union on the Middle East. He is currently employed by the Oriental Institute of the Academy of Sciences of the Czech Republic. In addition, as a young academic of the Triangle laboratory, he was being supported by a grant from the “Région Rhône-Alpes” in order for him to undertake research on the Egyptian elections. His monograph, Le Wasat sous Moubarak, was published by the Fondation Varenne publishing house in 2012.

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Les élections législatives de 2011 à Port-Saïd

Fayçal Homsy

1 Port-Saïd fut créé en 1859 sous le règne du Khédive Saïd. La ville est située sur un terrain gagné sur le Lac Manzala au sud et sur la Mer méditerranée au nord alors que le canal de Suez, achevé en 1869, borde la ville à l’est. Port-Saïd, qui compte près de 600 000 habitants, est intrinsèquement lié à la vie du canal, point de passage stratégique du commerce mondial. La ville reste marquée par sa configuration d’origine, avec une division encore flagrante entre le quartier des étrangers et le quartier arabe (ces dénominations sont d’ailleurs toujours utilisées).

2 Port-Saïd a entretenu une relation conflictuelle avec le régime de Moubarak, en protestant contre les tentatives répétées du Caire d’annuler son statut de zone franche, du fait, selon la légende, de la haine que l’ex-président vouerait à Port-Saïd depuis ce qui fut présenté comme une tentative d’assassinat lors de son passage dans la ville le 6 septembre 1999. Cette version des faits serait selon les habitants un mensonge, l’homme s’étant selon eux approché du convoi présidentiel pour transmettre une liste de requêtes, avant de se faire tuer par le service de protection du raïs. C’est cette histoire qui est racontée aux enfants et aux visiteurs.

3 Cependant Port-Saïd a aussi profité de la nouvelle politique économique de libéralisation et de la volonté des gouvernements successifs d’en faire un hub régional du commerce maritime mondial. Les usines du QUIZ1, notamment de textile, le tourisme, les services maritimes sont parmi les activités économiques les plus importantes de la ville, tout comme le commerce de produits importés sans droits de douanes. Ainsi, la ville est logiquement dépendante de la stabilité politique et économique du pays.

4 La mobilisation sociale à Port-Saïd lors de la révolution fut timide, bien que des manifestations aient eu lieu et que des bus d’habitants de la ville aient fait le voyage tous les vendredis jusqu’à la place Tahrir.

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Résultats des élections législatives de novembre 2011 au majlis al-cha‘b, la chambre basse

Port-Saïd (un seul district – 6 Nombres de % de votes sièges sièges) votes

Listes 4

Liberté et Justice 95 532 32,66 1

Al-Nûr 61 136 20,69 1

Al-Wafd 41 059 13,89 1

Al-Wasat 38 080 12,88 1

Le Bloc égyptien 28 510 9,65 0

Le Parti national 6 681 2,26 0

L’Union arabe 5 704 1,93 0

La Révolution continue 4 388 1,85 0

La Révolution égyptienne 4 388 1,48 0

Candidatures individuelles

51 (victoire au Akram Al-Châ‘ir (Liberté et Justice) 147,024 1 premier tour)

Al-Badrî Farghalî (Indépendant de 1 (victoire au 87,972 13 gauche) – ouvrier second tour)

‘Alî Fûda (Al-Nûr) - ouvrier 37,825 31 0

5 L’objet de cet article est de rendre compte des logiques et motivations expliquant les résultats des élections législatives de novembre 2011 (premières élections après la chute du régime de Hosni Moubarak) à Port-Saïd, véritable ville-circonscription.

6 Ainsi sur la base d’entretiens avec divers candidats ou responsables politiques de Port- Saïd, et sur la base de discussions avec les habitants, trois principaux critères semblent expliquer le choix des électeurs : l’implantation locale, l’intégrité morale et la religion du candidat.

7 Nous montrerons dans cet article comment ces trois critères sont mis en avant dans le discours des électeurs et comment ils expliquent les résultats des élections.

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À la recherche du responsable politique vertueux : le succès des médecins islamistes

8 À Port-Saïd, l’assurance des islamistes était palpable. Leur campagne fut humble, sans grands rassemblements publics, sinon des jeux de connaissance sur le Coran organisés pour les enfants à la plage. Le responsable politique du parti des Frères musulmans, Galâl Samîr, affirmait ainsi : « Nous prévoyons pour notre parti et ses alliés de l’Alliance démocratique de 40 à 50 % des suffrages. Pour toutes les mouvances islamistes, ce sera sûrement aux environ de 60 »

9 Au regard de la rapide visibilité politique des entrepreneurs sociaux de la confrérie, il semble que les islamistes aient bien réussi à capitaliser sur le terrain politique ce qu’ils ont investi depuis de nombreuses années dans leurs activités caritatives, qui leur ont permis de conquérir une large assise sociale

10 Akram al-Châ‘ir, candidat indépendant des Frères musulmans, ainsi que les têtes de listes islamistes sont des médecins. Leur succès n’est pas anodin. Des électeurs interrogés à la sortie des urnes ont affirmé avoir voté salafiste car la tête de liste est un « bon médecin qui fait beaucoup de khayr (faire le bien) », soit des consultations gratuites pour les pauvres. Le médecin revêt une importance capitale pour le citoyen égyptien : il est l’intellectuel affable qui paraît bon du fait de son accessibilité, pourtant normale et rentable. À l’évidence, l’échec du précédent régime à assurer un minimum de service public de santé contribue à ce succès électoral des médecins islamistes, qui personnifient par ailleurs à merveille le slogan de campagne national des Frères musulmans, « faire le bien en Égypte ».

11 La réputation de tel ou tel candidat occupe une place décisive dans les débats politiques des habitants de la ville. Le témoignage d’un jeune commerçant sympathisant islamiste, ayant un ami se présentant aux élections en indépendant, illustre assez bien cette logique : « Mon ami bien que barbu n’a aucune chance, il se lance en politique sans avoir effectué du travail social au sein d’une association pour se faire une réputation. Personne ne le connaît ! »

12 Le travail au sein d’une association caritative, professionnelle ou encore sportive est plus qu’une simple preuve de la légitimité et de l’honnêteté des intentions du candidat, il serait non seulement un moyen de se rendre visible sur le terrain, mais aussi la voie unique de sélection des représentants de la nation.

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13 Si les activités socio-caritatives sont un gage de l’honnêteté du candidat, elles représentent aussi une façon de gouverner, un programme politique fondé, non pas sur la solidarité, mais sur la générosité désintéressée des élites économiques, comme le laissent entendre les propos du candidat socialiste Al-Badrî Farghalî : « le socialisme en Égypte en 2011 c’est la recherche de l’égalité véritable et non pas une simple intensification de la charité religieuse ».

14 Dans le discours des partisans des islamistes, il ressort parfois un enthousiasme dû au fait qu’ils anticipent le règne prochain des vertueux. Leurs espérances se construisent non seulement sur la future moralité irréprochable de leurs représentants politiques, mais aussi sur le règne futur des pieuses victimes des injustices de l’ancien régime, qui accéderont enfin à la dignité.

15 L’idée de transformation de la société par le haut est un facteur majeur dans la décision de voter pour des candidats islamistes. La plupart des électeurs interrogés affirment ainsi que Moubarak avait réussi à pervertir un pays entier par un processus en cascade : la corruption de l’élite rejaillissait sur tous les pans de la société, permettant par exemple au fonctionnaire de demander un bakchich, car il se disait « pourquoi pas moi ? ». Ce phénomène serait selon eux réversible par l’élection à la tête du pays d’un exemple de vertu. Ce discours est représentatif d’une décision de vote qui se base sur le comportement et la moralité, et explique pourquoi même certains croyants modérés ou des personnes ne cherchant pas à vivre selon les règles du Coran, ont voté salafiste ou Frères musulmans.

16 La réputation et la popularité issues d’actions sociales au service des habitants de la circonscription, qui ont si bien réussi aux médecins islamistes de Port-Saïd, renvoie à une préoccupation plus large de l’électorat. Cette préoccupation est un quasi-réflexe du citoyen : les habitants de Port-Saïd veulent un député qui soit un produit de leur ville et qui défende leurs propres intérêts.

La demande de proximité

17 Entre enjeux nationaux et intérêts locaux, les électeurs de Port-Saïd ont fait leur choix. Le candidat s’il veut l’emporter, doit prouver son enracinement local dans son programme politique et son propre parcours. Concernant les candidats de la mouvance islamiste, la discipline de parti et la centralisation des mouvements politiques suscitent la méfiance des électeurs. Celle-ci paraît justifiée au regard de l’hésitation, lors d’un entretien, de Galâl Samîr à confirmer la prépondérance des intérêts de Port-Saïd sur le programme politique national des Frères musulmans : « Q : Pourriez-vous défendre les intérêts des habitants de Port-Saïd y compris contre votre propre parti ? R : L’intérêt de Port-Saïd rejoint l’intérêt du pays »

18 Ainsi les tracts récapitulant les programmes des candidats font la part belle aux enjeux socio-économiques de la ville ou pire, embrassent l’égoïsme local. La proposition politique la plus partagée par les candidats aux législatives est la très populaire obligation pour les usines de la ville de systématiquement réserver un proportion des emplois offerts aux habitants de la ville. Port-Saïd serait victime, selon Girgis Grîs candidat sur la liste du Bloc égyptien (pourtant libéral) d’une trop forte immigration des campagnes, qui tirerait les salaires à la baisse et qui dégraderait les conditions de travail offertes :

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« il faut également s’assurer que les emplois dédiés au commerce et à l’exportation reviennent aux habitants de la ville »

19 Ainsi, dans les conversations des habitants, Tahrir, la Constitution et le maréchal Muhammad Husayn Tantâwî2 sont bien loin. Les problèmes locaux de logements, de voirie, ou encore d’éducation sont les principaux débats animant la campagne électorale. Les candidats ont ainsi longuement insisté lors d’entretiens, sur ces différentes préoccupations des habitants :

20 Le débat autour de la création d’une ville nouvelle qui permettrait de répondre à la pénurie de logements et de terrains constructibles disponibles. L’affairisme immobilier étant un sport national en Égypte, cette question du logement est la préoccupation principale et favorite des habitants de la ville. Elle renvoie également à la question du mariage des jeunes de Port-Saïd, rendu difficile à cause du prix des logements. Ainsi, Mahmûd Tantâwî, candidat indépendant, affirmait que : « la politique de développement urbain est à revoir, notamment le projet de ville nouvelle à l’est du Canal, les ingénieurs affirment que les terrains ne sont pas constructibles »

Le responsable politique des Frères musulmans à Port-Saïd, Galâl Samîr.

Affiches de campagne des candidats du parti des Égyptiens libres, dont Girgis Grîs et Rîhâm Sulaymân. Les seules affiches rescapées sont situées dans les quartiers riches, le portrait de la candidate sans voile et à la chevelure couleur platine a amusé les hommes de la ville et agacé les islamistes.

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21 Au sujet de la ville nouvelle, Girgis Grîs expliquait qu’il faudrait : « revoir la gestion des terres et mettre en œuvre le projet de ville nouvelle (le projet devra être porté par des entreprises privées expertes en la matière) »

22 Alors que pour Al-Badrî Farghalî : « le projet de ville nouvelle doit être abandonné car beaucoup de choses restent à faire à Port-Saïd même »

23 La protection du statut de zone franche est également une préoccupation majeure, notamment pour le « bazâr » (rue al-Tujârî) et les usines textiles de la ville. Tous les candidats ont dit vouloir le défendre et ont affirmé avoir le soutien de leur parti, niant d’éventuelles hésitations face aux avantages que la zone franche procure à Port-Saïd au détriment du reste du pays. Ainsi pour Mahmûd Tantâwî : « la zone franche est la priorité, il faut la préserver et la défendre au sein du Parlement en jouant sur les subventions que devra verser l’État en cas de non renouvellement du statut (environ 3mds de L.E) »

24 C’est également l’opinion de Girgis Grîs et de Rîhâm Sulayman, des Égyptiens libres (liste Bloc égyptien), qui préconisaient : « en ce qui concerne Port-Saïd il faut préserver notre zone franche et revenir sur l’article 5 du règlement de 2002 prévoyant un renouvellement du statut tous les deux ans par décision administrative. Le statut de Port-Saïd ne fait pas débat au sein du parti, tout le monde nous soutient »

25 De même que pour Al-Badrî Farghalî, candidat socialiste et partisan de la zone franche : « Port-Saïd doit être un carrefour de la Méditerranée »

26 La sécurité est devenue une obsession non seulement à Port-Saïd mais dans l’Égypte tout entière. Des rumeurs d’enlèvements ou de meurtres sont colportées dans toute la ville, l’incendie des commissariats ou d’autres bâtiments officiels et la présence d’armes à feu est désormais fréquente, du fait du retrait de la police. L’insécurité, qui menace l’activité économique, inquiète les parents et les commerçants dont certains affirment

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même qu’elle est la conséquence directe des tourments politiques et des manifestations permanentes au Caire. Cette inquiétude est à prendre en compte selon Mahmûd Tantâwî qui affirme que: « la sécurisation du pays est primordiale pour relancer l’économie. »

Affiche de campagne d’un candidat indépendant, un supposé fulûl. Des habitants du quartier affirment vouloir voter pour lui car ils connaissaient son père qui « était très serviable. Son fils doit aussi l’être ».

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Al-Badrî Farghalî, candidat ouvrier indépendant élus après le deuxième tour, dans son QG de campagne, un kahwâ de la rue al-Talâtîn.

27 Candidats du parti des Égyptiens libres, Rîhâm Sulayman et Girgis Grîs souhaitent une réforme de l’appareil sécuritaire pour garantir son efficacité : « La sécurisation entendue comme réforme et efficience de la police est primordiale pour accompagner la relance de l’économie égyptienne »

28 Alors que Galâl Samîr, responsable de Port-Saïd au sein des Frères musulmans répond à la question « Allez-vous tenter de préserver l’esprit de la révolution ? », par : « Les gens veulent la stabilité »

29 - Enfin, le travail des jeunes est également un thème majeur de cette campagne. Les candidats ont tous affirmé en entretien que créer des emplois pour la jeunesse égyptienne était la réponse logique et attendue à la révolution de janvier. Notamment Mahmûd Tantâwî, qui voit dans la lutte contre le chômage des jeunes le fondement du rôle du député : « le futur député devra travailler sur la Constitution, il devra également essayer d’influencer le gouvernement afin d’obtenir pour sa circonscription des projets d’emploi et des programmes sociaux pour la jeunesse. Mon slogan de campagne est : « Je me rappellerai de toi ». Les causes de la révolution sont sociales »

30 Cette absence de communication sur des enjeux proches des préoccupations des habitants et sur ses attaches locales contribuent à expliquer l’échec électoral de George Ishâq. Le témoignage suivant d’un habitant de la ville illustre une opinion alors massivement partagée à Port-Saïd : « ah bon il est né ici ? Pourtant il n’a jamais vécu ici, on ne le voit pas, sauf à la télévision. Son discours est trop national. Il passe tout son temps au Caire. J’ai des amis coptes, mais lui il ne croit pas en Dieu »

31 Cette dernière partie du témoignage est représentative du troisième facteur de ces élections : le rôle de la religion. La candidature de Georges Ishâq, de religion copte et

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fondateur du mouvement Kifâya, a sans aucun doute souffert de l’absence combinée de ces deux conditions décisives pour les habitants : la proximité et la religion.

Le facteur religieux à Port-Saïd : les difficultés des candidats libéraux et la méfiance des femmes envers les islamistes

32 Alors que la réputation (y compris de piétée religieuse) et l’attache locale du candidat et des idées qu’il défend sont des éléments brandis par les habitants de Port-Saïd quand ils expliquent leur choix, le facteur religieux est quant à lui plus discrètement abordé.

33 Interrogés sur les trois principales listes de partis libéraux, trois discours sont tenus par les électeurs, expliquant leurs faibles scores :

34 Concernant la coalition « la Révolution continue », elle serait trop « jeune », trop mal organisée, et souffre de la mauvaise perception des échauffourées entre les manifestants et l’armée.

35 Concernant le Wafd, il lui est le plus souvent reproché de s’être compromis avec l’ancien régime et de faire partie des fulûl3. Son relatif bon score serait, selon des habitants interrogés, à mettre au compte de sa clientèle et de l’alternative qu’il représente au courant de l’islam politique.

36 Concernant le Bloc égyptien il fut, tout au long de la campagne électorale précédant le premier tour, victime d’une perception négative dont il n’est pas arrivé à se défaire. Ainsi le nom de Nagîb Sâwîris, homme d’affaires copte, fondateur et financier des Égyptiens libres, revenait de façon constante dans les conversations des habitants. Ceux-ci, suite à une polémique causée par un tweet humoristique, lui reprochent d’être hostile à l’islam. L’opposition idéologique du Bloc égyptien aux partis islamistes a été perçue comme étant une opposition confessionnelle. De nombreux habitants de Port- Saïd, hommes et femmes, ont témoigné de discours tenus par certains imams lors des prêches du vendredi, appelant à ne pas voter pour le Bloc et pour Georges Ishâq car se serait « harâm » et car un bon musulman doit être solidaire avec les membres de sa communauté. Ainsi Rîhâm Sulayman des Égyptiens libres, relatait l’anecdote suivante : « mon mari était dans une mosquée pour la prière du Vendredi et il a entendu le Cheikh dire aux fidèles lors du prêche de ne pas voter pour les Égyptiens libres car nous sommes un parti copte, et de ne surtout pas voter en faveur d’une femme qui s’affiche sans voile ! »

37 Pour les candidats du Bloc égyptien, se dédouaner de toute accusation d’impiété ou de confessionnalisme était presque devenu un réflexe. Ainsi à la question « Pourquoi êtes- vous candidat de ce parti ? Quelqu’un vous a-t-il convaincu de vous présenter aux élections avec les Égyptiens libres ? », Girgis Grîs répondait : « c’est nous qui volontairement nous sommes entendus pour représenter le parti à Port-Saïd. Nous avons la conviction que ce parti est le seul qui propose d’allier patriotisme, démocratisation et efficacité gouvernementale. Et puis, toutes les religions ont la même base morale, ce parti n’est pas contre l’islam ou contre la religion en général. Nous sommes pour la préservation du deuxième article de la Constitution »

38 Les candidats du Bloc égyptien ont aussi dénoncé l’utilisation par les partis islamistes de la religion comme argument de campagne :

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« nous dénonçons la non-application des décisions de la Haute Commission des Élections concernant l’interdiction d’utiliser la religion dans le discours politique et comme slogan. Ici même, à Port-Saïd, des affiches arborent en grand « l’islam est la solution ». Aussi nous faisons face à une simplification et à un dénigrement du terme libéral »

39 Le rôle de la religion dans ces élections se manifeste également par la méfiance affichée par de nombreuses femmes à l’égard des islamistes. Si la large victoire de ces derniers ne permet pas de parler d’un rejet massif de la part des femmes, l’on observe néanmoins une crispation de celles d’entre elles qui ne votent pas islamistes. Une femme voulant en convaincre une autre de ne pas voter salafiste utilisera des arguments portant sur les droits des femmes ; droit de ne pas porter le voile ou le niqâb, droit au travail, égalité entre l’homme et la femme au sein du mariage, droit de divorce : « Les salafistes veulent imposer le niqâb aux musulmanes et même le voile aux coptes ! Tu te rends compte ! »

40 Ce discours peut également s’adresser à l’occasion aux hommes : « Ah bon tu vas voter salafiste ? Tu n’aimes donc pas les femmes ? »

41 Les signes de ce phénomène sont nombreux, cependant sa portée reste à évaluer. Les femmes acceptent, et même pour la plupart, soutiennent le discours islamiste sur la place de la femme dans la société. Cependant, une immixtion directe dans l’équilibre de leurs ménages ou dans leurs rapports avec les hommes en général serait, d’après elles, une déclaration de guerre. Une femme portant le voile intégral affirmait ainsi : « Je veux que ma fille puisse se marier ! Je ne voterai pas pour les islamistes »

42 Alors qu’une autre, exaspérée, relatait l’anecdote suivante : « Un marchand, alors que je réglais mes courses, m’as scruté de haut en bas puis - alors que je suis voilée !- m’a tendu un petit livre sur la femme en Islam »

Conclusion

43 Au-delà des insaisissables logiques personnelles, se sont bien la réputation, la proximité et la piété ou même la confession des candidats qui ont déterminé le vote des habitants de la ville. Ces critères, mis en avant par les habitants durant la campagne, peuvent être jusqu’à un certain point systématisés pour expliquer les raisons du succès de certains et de la défaite d’autres.

44 Le résultat des élections législatives a surpris beaucoup d’habitants de Port-Saïd. Beaucoup ont confié avoir le sentiment d’avoir étés trop mobilisés contre les libéraux, notamment contre Georges Ishâq. Les habitants s’attendaient à un deuxième tour entre lui et Akram al-Châ‘r. Ils ont avoué avoir fait barrage à un candidat qui s’est révélé avoir une plus faible assise électorale qu’ils se l’imaginaient.

45 Si le thème de l’inaction des anciens députés Frères musulmans, lancé par les libéraux, n’a pas pris durant la campagne, les habitants ne pardonneront pas aux islamistes l’absence d’avancées sociales visibles lors de prochaines élections. Cet avertissement, de nombreuses fois entendu, vaut également pour les salafistes dont les électeurs attendent un discours ou des actions de transformation radicale sans compromission avec les modérés, et au profit des plus musulmans d’entre eux.

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L’affiche du parti Al-Nûr a fait rire ses opposants et embarrassé ses partisans. Exposer sa barbe aux quatre coins de la ville ne serait pas ce que l’on attend d’un salafiste.

NOTES

1. Le 14 décembre 2004, l’Égypte a signé un protocole avec Israël et les États-Unis portant sur les zones industrielles qualifiées (QUIZ). Ce protocole favorise l’accès des produits égyptiens sur les marchés américains sans taxes douanières ni quotas déterminés, à condition que le composant israélien ne dépasse pas les 11,7 %. La première étape, au gouvernorat de Port-Saïd, commence par 22 usines qualifiées et un volume d’exportation dépassant 59 millions de dollars et une main-d’œuvre évaluée à 26 000 ouvriers. http://www.sis.gov.eg/Fr/Story.aspx?sid=660 2. Le maréchal Muhammad Husayn Tantâwî était alrs le chef du Conseil supérieur des forces armées qui fut à la tête du pouvoir exécutif jusqu’aux élections présidentielles de 2012. 3. Cadres de l’ancien régime de Moubarak. Voir le lexique en fin de volume.

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RÉSUMÉS

Rédigé en novembre 2011 dans le cadre de l’étude par le CEDEJ du déroulement des premières élections législatives post-révolutionnaires en Égypte, cet article s’appuie sur la rencontre avec des personnalités politiques de Port-Saïd, et sur des impressions recueillies auprès des habitants de la ville pour comprendre quels ont été les enjeux et problématiques qui ont influé sur les résultats électoraux de la circonscription. Il en résulte que ce sont les réputations de moralité des candidats, ainsi que les problématiques locales et la religion qui ont déterminé le vote des habitants de Port-Saïd et marqué la campagne électorale.

Drafted in November 2011, part of the CEDEJ study of the first parliamentary election in Egypt after the Revolution, this article emphasizes on interviews with candidates of the Port Said district, and on impression and remarks of the inhabitants of the city to understand what were the stakes and the problems which influenced the results of the election. As a result, it is the reputations of morality of the candidates, as well as local issues and religion that determined the vote of the inhabitants of Port Said and dominated during the election campaign.

INDEX

Mots-clés : élections, Port-Saïd, 2011, Parlement, Frères musulman Keywords : Elections, Port Said, 2011, Parliament, Muslim Brotherhood

AUTEUR

FAYÇAL HOMSY Fayçal Homsy a été stagiaire, assistant du directeur du CEDEJ, de septembre 2011 à janvier 2012. Il est diplômé en Affaires Publiques de Sciences Po Paris et de l’INALCO. Fayçal Homsy was an intern, assistant to the director of the CEDEJ from September 2011 to January 2012. He has a master in Public Management from Sciences Po Paris.

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La campagne d’Al-Misriyyîn Al-Ahrâr chez les chiffonniers de Manchiyit Nâsir

Gaétan du Roy

1 La révolution du 25 janvier a constitué une véritable onde de choc pour l’Égypte qui a atteint jusqu’aux quartiers périphériques de la capitale1. L’influence de l’événement a même été ressentie au sein de communautés qui n’ont pas participé activement au soulèvement ou qui ne l’ont pas soutenu. Cet article voudrait le montrer à travers le cas du quartier de chiffonniers de Manchiyit Nâsir, où la révolution est venue bouleverser l’équilibre des pouvoirs. L’impulsion provoquée par « les 18 jours » du soulèvement a été retraduite dans des enjeux locaux liés à la structure professionnelle des chiffonniers et à la configuration sociale de leur quartier. Le jeu politique et associatif local était depuis longtemps verrouillé par l’Église, les associations de développement et les notables cooptés par le parti national démocratique (PND). La majorité des habitants du quartier de chiffonniers sont chrétiens, mais ces derniers sont pourtant minoritaires dans le quartier de Manchiyit Nâsir pris dans son ensemble. Ils ne sont donc pas isolés de leur environnement musulman, même si leur concentration en contrebas de la falaise du Muqattam, ainsi que leur profession atypique, les coupent quelque peu du reste du quartier informel – aujourd’hui le plus dense de la capitale2. Il s’agira ici de présenter ce réseau d’associations et d’églises, puis de décrire les remous qu’a connus le quartier suite à la révolution et, enfin, d’expliquer comment le parti Al-Misriyyîn Al- Ahrâr (« les Égyptiens libres ») s’est implanté chez les chiffonniers en s’appuyant sur un groupe de jeunes désireux de s’impliquer dans la vie de la cité. Leur inspiration partage sans doute beaucoup de traits avec celle des jeunes de la place Tahrir, mais elle est d’emblée mise à l’épreuve de l’action politique partisane dont les contraintes nécessitent souvent de faire des compromis avec les idéaux. En conclusion, on insistera sur les spécificités du cas étudié à partir desquelles des enseignements plus généraux pourront être tirés concernant les recompositions du paysage politique local et sur la sociologie électorale du vote copte.

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Le pouvoir au quartier

2 Le quartier à la veille de la révolution est structuré par une série de pouvoirs locaux. Au niveau social de base, il y a d’abord les familles élargies, les clans3. Leur rôle a bien entendu évolué et leur prégnance s’est largement affaiblie4. Mais, peut-être un peu plus qu’ailleurs au Caire, les clans ont gardé une certaine cohésion. L’activité de zabbâlîn (éboueurs ou chiffonniers) a beaucoup restreint la diversification de la communauté qui est restée essentiellement endogame5, ce qui explique pourquoi l’écrasante majorité des habitants de ce quartier proviennent du village de Der Tesa près d’Assiout6.

3 Le monastère d’Abûnâ Sam‘ân représente un autre pôle de pouvoir. Celui-ci a rencontré les chiffonniers en 1974. Son hagiographie mentionne que le chiffonnier qui venait ramasser ses poubelles à Chubrâ, alors qu’il n’était pas encore prêtre, lui demandait régulièrement de venir parler de Dieu au sein de sa communauté. Or, un jour, de cette même année, c’est le Seigneur lui-même qui lui ordonna de se rendre à Manchiyit Nâsir. Il s’y rendit en effet et noua des liens qui perdurent jusqu’à aujourd’hui avec les zabbâlîn. Le récit qui constitue désormais la « légende » du prêtre mentionne que les hommes, avant son arrivée, étaient brutaux et alcooliques et qu’Abûnâ Sam‘ân les a adoucis en leur faisant connaître la « vraie » religion. Au fur et à mesure des années, le prêtre s’est taillé une solide réputation de prêcheur et d’exorciste. Il a surtout construit un important lieu de culte, le monastère de Saint-Sam‘ân aujourd’hui l’un des espaces sacrés les plus connus du Caire et dans lequel il organise de grandes cérémonies œcuméniques notamment avec les Évangéliques égyptiens7. Abûnâ Sam‘ân a choisi ses trois prêtres assistants au sein de trois familles différentes dans le quartier. S’il a renforcé l’autonomie du prêtre par rapport au patriarcat, ce choix a exposé l’Église à l’accusation de favoritisme en inscrivant le monastère dans le jeu des rivalités familiales. Et, dès lors, les prêtres assistants sont régulièrement soupçonnés par les habitants de monter des affaires grâce à leur position ou d’aider leurs proches dans des projets commerciaux. Ainsi l’Église a été accusée de mélanger intérêts spirituels et temporels et les prêtres de céder à la tentation de défendre des intérêts bassement matériels8.

4 Les bailleurs de fonds extérieurs ont toujours considéré Abûnâ Sam‘ân comme le leader des chiffonniers. Le cabinet égyptien Environmental Quality International (EQI), venu implanter, au début des années 1980, des projets de développement dans le quartier grâce à des financements de la Banque Mondiale a dû passer par lui. Sœur Emmanuelle s’est installée à la même époque dans un segment du quartier qui n’avait pas été touché par l’action du prêtre. En 1984, Sœur Emmanuelle et EQI ont créé ensemble l’association pour la protection de l’environnement (APE), qui devait gérer une usine de compost. Le but de cette fondation était également d’échapper à l’influence de Sam‘ân, en s’appuyant sur les réseaux tissés par la religieuse française dans « sa » partie du quartier. L’APE fut de cette manière le premier pôle d’influence à échapper à l’influence du prêtre. L’association s’est ensuite transformée en centre de formation et de travail pour les femmes du quartier. À sa tête avait été choisie une femme influente de la bourgeoisie copte Yusriyya Lûza Sâwîris, la mère de Nagîb9. Sa protection a été très utile aux zabbâlîn : elle a ainsi permis au quartier de chiffonniers de Tûra (près de Ma‘âdî), d’éviter d’être rasé dans les années 9010.

5 Cinq notables du quartier ont tenté leur chance en se présentant à diverses élections locales dans les années 1990 et 2000, certains avec succès. Il semble que tous ces

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notables aient été, à un moment ou à un autre, propulsés sur la scène politique par le père Sam‘ân. Celui-ci a servi de relais local au PND, soutenant les candidats du parti en échange de divers services11 – au titre desquels la possibilité de construire le « monastère ». Au début des années 1990, la construction de la route qui permit l’accès au monastère a été facilitée par l’intervention du député de Manchiyit Nâsir, Muhammad Îbrâhîm Sulaymân, qui était également ministre du Logement12. Le PND de Moubarak autorisa même le prêtre à lancer certains de ses protégés dans la course aux élections locales. Son pouvoir temporel s’est ainsi affirmé au fur et à mesure des années, grâce en particulier à l’action de l’Association des chiffonniers qu’il a toujours contrôlée, sans en être jamais le chef officiel. Le prêtre est ainsi devenu aux yeux de beaucoup d’égyptiens le représentant des chiffonniers du Muqattam. Abûnâ Sam‘ân n’hésite d’ailleurs pas, pour marquer sa solidarité avec la communauté, à se présente lui-même comme un simple chiffonnier et à apposer la mention al-zabbâl (« le chiffonnier ») à sa signature de documents officiels13. Par ailleurs, il dispose de réseaux chez les Protestants égyptiens et peut ainsi avoir accès aux groupes évangéliques nord- américains. De même, il a développé de nombreux liens au sein de la diaspora copte.

6 Parmi les autres lieux d’influence, il convient de mentionner l’ONG Rûh al Chabâb (« l’Esprit de la jeunesse ») créée en 2004 par une ancienne volontaire de l’APE, Layla Iskandar. Elle avait pour objectif de former des jeunes du quartier à l’ouverture d’ateliers de recyclage. L’ONG, contrôlée par deux familles, est de ce fait vulnérable à la critique selon laquelle elle favoriserait des clans déterminés plutôt que la communauté des chiffonniers dans son ensemble14. Le président du conseil d’administration est un notable qui s’est présenté à diverses élections locales sous l’étiquette du PND et qui est apparu à plusieurs reprises dans les médias égyptiens en se présentant comme le représentant (naqîb) des chiffonniers15.

7 Des jeunes scolarisés, ayant pour certains étudié à l’université, ont participé aux activités de ces diverses associations. Les activités d’inspiration catholique (scouts, Jeunesses Ouvrières Chrétiennes…) introduites dans le sillage de sœur Emmanuelle et de volontaires issus des écoles catholiques latines, comme le Collège des Frères de la Salle, ont introduit un modèle d’engagement fondé sur l’autonomie de la personne couplée à l’idée d’une action déconfessionnalisée, donc ouverte aux musulmans16. De nombreuses initiatives, animées par différents groupes, souvent issus ou liés aux collèges catholiques, se sont succédé durant les années 1980 et 1990. Les ONG ont également offert l’opportunité à des jeunes de développer des compétences leur permettant de s’engager au sein de la vie sociale du quartier. Certains y ont appris à mener des études sur divers aspects de la vie sociale (vie de famille, hygiène, éducation etc.) ou sur le travail des chiffonniers dans le but d’améliorer les conditions de vie des habitants. Face à ces initiatives, l’implication au sein de l’Église a proposé un autre modèle d’action, davantage centré sur le service à la communauté copte, à travers différentes activités allant du catéchisme et de l’organisation de groupes de prière, au scoutisme ou encore au service aux handicapés. Les serviteurs (khuddâm) évoluent au sein de l’Église, sous la supervision directe des prêtres17. Souvent les parcours se sont croisés : il n’est pas rare que parmi ces jeunes volontaires, certains aient participé à la fois aux activités des ONG et à celles de l’Église. Cela étant, le fait de servir à l’Église du père Sam‘ân et de l’avoir comme père spirituel et surtout père confesseur, rend difficile un engagement dans le quartier hors de son champ d’influence, car l’engagement au sein de son église constitue également une sorte d’allégeance au prêtre. Certains sont restés actifs dans le domaine du « service social » mais ce sont essentiellement des

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jeunes femmes. En effet les salaires sont si bas qu’il est difficile d’en vivre. Les jeunes filles sont moins payées que les hommes, ce dont les associations profitent, et ce type de travail au sein du quartier est souvent le seul que leurs pères – puis leurs maris – acceptent qu’elles exercent.

La révolution

8 Les chiffonniers n’ont participé à la révolution qu’en lui témoignant une certaine sympathie – une sympathie nuancée par la crainte qu’elle n’accouche de graves menaces pour les coptes. Les notables du quartier liés au PND, parmi lesquels le futur candidat du parti des Égyptiens libres18, ont certes essayé durant le soulèvement de recruter parmi leurs clients des hommes de main (baltajiyya) mais ceux-là ont préféré rebrousser chemin avant d’arriver à la place Tahrir d’ailleurs dissuadés par les prêtres du monastère. En revanche, dans l’élan du soulèvement du 25 janvier, l’Association des chiffonniers, de même que l’ONG Rûh Al-Chabâb ont été la cible de manifestations organisées par des habitants du quartier. L’ONG venait de recevoir un million de dollars de la fondation Bill Gates et beaucoup de gens se demandaient ce que devenait tant d’argent. De même, le mécontentement contre l’Association des chiffonniers s’est vite étendu au monastère du fait de ses liens avec le père Sam‘ân. Lors d’une tentative de conciliation à l’église, Sam‘ân s’est fait insulter en public – chose difficilement imaginable quelques mois auparavant. En fait le prêtre a lui-même créé le maillon faible qui l’a rendu vulnérable à la critique. En effet rien ne se passait à l’Association sans son accord19 et les services que celle-ci rendait se faisaient de plus en plus discrets de sorte qu’elle ressemblait davantage à une annexe du monastère qu’à une association professionnelle. L’accusation peut donc s’appuyer sur plusieurs points d’appui : le souci d’Abûnâ Samʻân pour son église avant celui des chiffonniers, voire – mais le pas est rarement franchi -, la défense de ses intérêts particuliers au détriment de sa vocation ecclésiale. En tout état de cause, l’absence de confiance des chiffonniers dans les associations et institutions supposées les aider ou défendre leurs intérêts a pu s’exprimer au grand jour à l’occasion de la révolution.

9 En effet, le soulèvement a déstabilisé l’équilibre précaire d’un clientélisme de plus en plus critiqué à Manchiyit Nâsir. Le 8 mars 2011, cependant, une tragédie est venue étouffer cette contestation. Pour protester contre l’incendie de l’église de Sûl (dans une banlieue du Sud du Caire), des jeunes du quartier sont descendus bloquer l’« autostrade », un important axe routier qui passe entre Manchiyit Nâsir et la Cité des morts20. Très vite, les choses se sont envenimées car des conducteurs de microbus ont appelé leurs familles du quartier voisin de Sayida ‘Aycha, sur fond de diffusion d’une rumeur selon laquelle les coptes auraient incendié une mosquée du quartier21. L’armée est venue « s’interposer » laissant treize morts sur les flancs du Muqattam parmi lesquels neuf chrétiens22. À côté des martyrs de la révolution, les coptes ont commencé à revendiquer leurs propres martyrs auxquels s’ajouteront ceux d’Imbâba le 9 mai et surtout de Maspero (nom du bâtiment de la télévision publique) le 9 octobre 2011 – jour où l’armée égyptienne fera une vingtaine de victimes coptes. Cependant, s’il faut croire les témoignages de proches d’Abûnâ Sam‘ân, celui-ci ne les considère pas comme de véritables martyrs – c’est-à-dire au sens religieux du terme23. Ils ont désobéi à ses appels au calme et sont morts dans une bataille rangée, et pas pour la foi du Christ. Les activistes de l’Union des Jeunes de Maspero (Ittihâd Chabâb Maspero) ont par contre

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souhaité enrôler les morts du Muqattam dans la légion des martyrs coptes, en brandissant les portraits des victimes du massacre lors d’une marche à Chubrâ24. L’une de leur figure tutélaire, le père Matyâs Nasr, rédacteur en chef du journal La Légion Thébaine (Al-Katîba Al-Tibiyya) reproche d’ailleurs au prêtre du Muqattam son attitude conciliante avec les autorités et son refus de participer à ces marches de protestation25. Cet événement est généralement absent des récapitulatifs réguliers de la presse d’opposition sur les exactions de l’armée après la chute de Mubarak26. Les victimes du Muqattam ne sont pas devenues des « martyrs » de la révolution dans l’imaginaire des « jeunes révolutionnaires » contrairement à ceux de Maspero27. En revanche, ils ont reçu officiellement le statut de martyr de la révolution et l’indemnité qui l’accompagne dans ce qui ressemble fortement à un échange de bons procédés entre le père Sam‘ân et l’armée28. Celui-ci a voulu éviter la confrontation ouverte avec les autorités et a chargé un avocat d’obtenir pour les victimes ce statut qui permettrait à leurs familles de toucher une compensation29. Le jour du drame se déroulait un talk-show de la chaîne copte CTV. Un jeune du quartier, en direct au téléphone, expliquait, affolé, que l’on était en train de leur tirer dessus. À la question de savoir qui exactement leur prenait ainsi pour cible, il répondit, « Al-jaych », l’armée. Le lendemain, le père Sam‘ân se rendait dans la même émission pour bien préciser que ce n’était pas l’armée qui avait tué les jeunes victimes la veille tout en indiquant, dans le même temps, que les munitions extraites des corps n’étaient pas des munitions conventionnelles. Il mettait de la sorte l’armée en garde en sous-entendant qu’il savait ce qui s’était passé et en détenait des preuves30.

10 Deux jours après les incidents, une apparition de la Vierge eut lieu au Muqattam. Dans la montée qui mène au monastère des chrétiens ont le regard tourné vers l’horizon : ils la voient ou du moins, semble-t-il, une lumière blanche. Des prières s’élèvent vers Um Al-Nûr, la Mère de la Lumière comme les coptes surnomment la Vierge. Je me rends ce jour-là au monastère accompagné de deux membres du groupe dont il sera bientôt question dans cet article. Ils passent d’un pas rapide sans jeter un coup d’œil aux témoins de la vision – ils n’y croient pas une seconde. Ils y voient juste une manière de se rassurer après le choc du 8 mars. Dans le même temps les chrétiens rassemblés en sit-in en face de la télévision d’État (Maspero), pour protester contre les attaques visant les coptes, apprennent la nouvelle qu’ils interprètent comme un signe que la Vierge ne les abandonne pas31. Or Sam‘ân coupera court à toute possibilité de s’appuyer sur cette apparition pour mobiliser la communauté en ne la reconnaissant pas. Cette attitude est d’ailleurs assez cohérente avec sa volonté d’éviter la confrontation avec les autorités, alors qu’une apparition reconnue et « homologuée » aurait pu attiser les tensions32.

11 Un avocat du quartier, un ancien candidat aux élections locales que Sam‘ân avait refusé de soutenir quand il s’était présenté, a été à la pointe du mouvement de contestation contre l’Église. Il a été l’un des plus ardents critiques du rôle du monastère et de l’Association des chiffonniers au moment de la contestation des organisations du quartier. Il a choisi d’être le candidat du Wafd aux élections alors que l’Église soutenait clairement les Égyptiens libres. Ce parti est celui qui a le mieux réussi à incarner les aspirations des coptes. Il a négocié son ancrage local avec l’église du père Sam‘ân et semble avoir agi de la sorte à l’échelle du pays, du moins dans les quartiers et les régions où les chrétiens sont nombreux. Le prêtre a désigné, en accord avec le parti, l’un de ses protégés et ancien élu local pour être présent sur la liste en tant que « travailleur33 » à une position difficilement éligible (sixième). Le candidat, commerçant aisé, a été choisi pour son appartenance à une grande famille du quartier selon une

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logique mêlant ‘asabiyât (solidarités traditionnelles) et notabilité locale. Tout cela s’est fait dans une relative improvisation. Avant l’annonce officielle des listes, peu de gens savaient quels rescapés de l’ancien régime (fulûl) se présenteraient, quels « grands » des familles (kibâr Al-‘âilât) tenteraient leur chance. Les chrétiens, rassemblés par la perception d’un « danger » islamiste, se sont soudés autour de la liste et, dans leur très grande majorité, ont voté pour le Bloc Égyptien (la coalition incluant les Égyptiens libres). La personnalité du candidat a été très vite éclipsée par le parti et sa jeune équipe de campagne, beaucoup plus politique et se situant au-dessus des solidarités familiales. À cette occasion, les deux personnalités les plus marquantes du groupe se sont rendues compte par hasard qu’elles appartenaient à la même famille. Toute la stratégie du parti a été de faire une campagne politique, en insistant sur l’enjeu que constituait l’écriture de la nouvelle constitution.

12 Le 19 novembre, un meeting électoral s’est tenu dans le quartier34. La question du lieu de rassemblement avait été débattue la veille par l’équipe de campagne. Ils avaient déjà organisé des réunions dans un café pour présenter le parti. Mais les femmes ne pouvant et ne voulant pas se rendre dans un tel lieu, l’option ne pouvait plus être poursuivie. L’église ne convenait pas mieux, de même que les diverses associations du quartier qui entendaient rester neutres vis-à-vis de la campagne. En effets les lieux de ce quartier sont particulièrement chargés par la logique clientéliste et les différents conflits qu’elle génère. Du coup il devient difficile d’investir ces lieux de pouvoirs locaux de nouveaux projets ou de nouvelles idées. Par exemple tout de suite après la révolution, un groupe de « jeunes » (trentenaires pour la plupart) qui feront ensuite partie de l’équipe de campagne des Égyptiens libres s’est réuni dans le but de « faire quelque chose » au profit de la communauté. Cette volonté de probité était une réaction face au discrédit touchant les diverses associations. L’objectif concret n’était pas clairement défini. Les jeunes ont commencé par organiser des réunions dans la rue pour débattre des amendements à la constitution avant le référendum du 19 mars 2011 qui devait décider de leur adoption. Ils ont ensuite rencontré une entreprise étrangère chargée du ramassage des ordures pour tenter de voir s’il était possible de trouver avec elle un arrangement qui permettrait de faire droit au travail des « petits » chiffonniers et de passer outre les intermédiaires qui sous-traitent avec les entreprises et ne redistribuent pas équitablement les profits35. Leurs premières réunions se sont tenues dans une église du quartier36. Or, il y avait parmi eux un ancien notable lié au PND. Du coup, un autre notable PND, issu d’une autre famille, est venu voir le prêtre pour lui faire savoir qu’il considérait cela comme un soutien implicite à son adversaire. En conséquence l’accès de l’église fut refusé au groupe.

13 C’est donc finalement la rue qui s’est imposée pour accueillir le meeting électoral. Le groupe avait décidé d’accueillir les participants en musique et avait opté, après avoir envisagé des chansons nationalistes à la gloire de l’Égypte, pour des chants chrétiens nationalistes (tarânîm wataniyya). Une centaine de personnes assistent à l’événement. L’inquiétude face à la poussé islamiste est palpable. Un homme prédit 70 % des voix pour les partis se réclamant de l’islam politique37. Un autre demande à Tal‘at, le responsable de l’organisation du meeting, comment ils pourront distinguer les candidats musulmans modérés (al-muslimîn al-mu‘tadilîn) qui se présentent sous le label indépendant des candidats islamistes. Tal‘at lui explique alors qu’il doit surtout voter pour un candidat qui lui apporte quelque chose, qui soit honnête etc. Il privilégie par principe l’approche politique, mais précise que le parti donnera en temps voulu le nom des candidats indépendants qu’il soutient. Un homme s’écrie alors « on ne veut pas des

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noms, on veut des symboles38 ! ». La conférence se veut didactique, ses organisateurs insistent sur la priorité du politique, sur l’importance de l’enjeu constitutionnel par rapport à la délivrance de services individuels ou collectifs. « Le service viendra ensuite » dit la coordinatrice de campagne, Munâ Munîr, une femme extérieure au quartier et active dans le service social39. Le message est répété lorsqu’un homme prend la parole pour se plaindre des traditionnels problèmes d’eau et d’électricité que rencontrent les quartiers informels égyptiens. Régulièrement les intervenants répètent les noms du Bloc égyptien et son symbole, l’œil (ramz al-‘ayn) pour que le gens les retiennent. Quelques personnes se lancent dans un discours militant sur la nécessité d’obtenir « nos droits » et de voter pour élire l’assemblée qui dessinera l’Égypte de demain. Le « nous » semble désigner les coptes sans que ce soit jamais explicite et permet au discours de se maintenir dans ce que Cyrille Lemieux appelle la « grammaire publique », c’est-à-dire la montée en généralité permettant de s’appuyer sur des principes partageables par des tiers40. Une candidate musulmane du parti présente à la conférence impliquait la nécessité de se maintenir dans ce registre. Cela n’a pas empêché l’un de ceux qui avait tenu ce discours politique sur la nécessité de l’engagement pour défendre « nos » droits, de faire un commentaire à son voisin, peu amène à l’égard des musulmans, en venant se rasseoir. Cet aparté lui permettait d’exprimer un sentiment brut à l’abri de l’exigence de justification du discours public41.

14 La conférence a aussi servi à mettre en place une certaine logistique du vote. En effet, les votants devaient vérifier sur le site Internet du Haut conseil électoral dans quelles écoles ils allaient devoir se rendre pour voter. Mais alors que beaucoup s’attendaient à être convoqués dans l’école du quartier, les habitants ont été dispersés dans les établissements scolaires de Manchiyit Nâsir, Darb Al-Ahmar et de la Cité des morts. La connaissance des lieux de vote impliquait d’abord d’avoir accès à Internet puisque seul le site du Haut Conseil électoral délivrait ce type d’information. L’équipe du parti a alors mis un ordinateur portable à la disposition des électeurs et a indiqué qu’une permanence se tiendrait au QG de l’équipe de campagne. Il a de même été annoncé que les Égyptiens libres mettraient à la disposition des électeurs des microbus pour les conduire aux différentes écoles. Ceux qui étaient inscrits en Haute Égypte seraient ainsi transportés en autobus aux frais du parti42. La nécessité de sortir du quartier pouvait décourager les bonnes volontés, surtout les femmes ou les jeunes filles obligées souvent de voter dans d’autres bureaux que les hommes de leurs familles43. Tal‘at a donc précisé que les électeurs seraient conduits aux lieux de vote puis immédiatement ramenés chez eux à la sortie des urnes. Les détails pratiques du vote ont ensuite été précisés.

15 L’importante mobilisation des coptes ne résulte pas seulement de ce travail de sensibilisation. L’Église a pesé de tout son poids pour diriger les voix de ses fidèles vers le parti Al-Misriyyîn al Ahrâr. Mais au-delà de cet objectif commun, les relations se sont avérées difficiles entre l’équipe de campagne et Abûnâ Sam‘ân. En effet celui-ci a essayé d’imposer successivement un de ses proches, puis deux anciens relais locaux du PND à la tête de l’équipe de campagne. La coordinatrice des Égyptiens libres a tenu bon en refusant que le parti soit dominé par la logique clientéliste du prêtre. Elle est parvenue à imposer Magdî, un jeune du quartier travaillant pour Orascom qui a réussi à maintenir à la fois la distance et la coordination entre le parti et l’Église. Le choix des candidats individuels44 illustre à son tour la tension entre l’Église et les Égyptiens libres. Ceux-ci, en effet, ont dû changer la paire de candidats qu’ils avaient décidé de soutenir pour s’aligner sur le choix du monastère. Le choix s’est donc porté, pour le siège « travailleur », sur un fulûl notoire, député sortant ayant rendu des services à l’Église,

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d’une part, et, d’autre part, sur un candidat « autres catégories » (fi’ât), un chrétien connu pour avoir financé le programme de soutien aux démunis de l’Église, les Frères du Seigneur (ikhwât al-rab)45. Il semble donc que le père Sam‘ân ait souhaité maintenir sa marge de manœuvre clientéliste en choisissant lui-même les indépendants qui lui seraient le plus favorables. L’un des membres de l’équipe de campagne a décrit cet alignement sur les candidats de l’Église comme un choix « stratégique », le parti ayant absolument besoin du soutien du monastère dans la course électorale. La même personne note pourtant une distinction fondamentale entre l’équipe de l’Église et la leur. Ceux de l’Église ont soutenu les Égyptiens libres parce qu’ils pensent que c’est un devoir religieux tandis que lui-même comme l’équipe du parti sont mus par des motivations politiques. Il pense même que l’Église a dû recevoir de l’argent pour soutenir les candidats individuels. Cette accusation, invérifiable, exprime un rapport de méfiance vis-à-vis de l’Église, voire une tentative d’émancipation vis-à-vis de son autorité, même si l’équipe de campagne au Muqattam était entièrement chrétienne et s’adressait quasi exclusivement à des électeurs chrétiens46. L’équipe du parti a continué à être active après les élections législatives, consciente de la nécessité de tisser des liens avec des musulmans. Mais la méfiance semble toujours dominer. Plusieurs fois, mes interlocuteurs m’ont expliqué que si un musulman peut bien tenir des propos modérés, on ne sait jamais ce qu’il pense vraiment. On le voit, la prise de distance par rapport au cadre communautaire est rendue difficile par le rapport de méfiance avec l’Autre musulman. Mais la confiance vis-à-vis des églises du quartier et des associations locales ne se porte guère mieux. Cet exemple, certes circonscrit, montre la difficulté pour les coptes de prendre leur autonomie par rapport au clergé, tant la sortie du cadre communautaire peut apparaître comme une perspective incertaine47.

16 Au deuxième tour, on devait départager les candidats indépendants. Les électeurs devaient choisir entre Haydar Bughdâdî le député sortant PND et Nâsir ‘Uthmân, un Frère musulman, pour le siège alloué aux « ouvriers ». Par ailleurs Khâlid Muhammad un autre Frère musulman, était opposé au salafiste Muhammad Ahmad Jâbir pour les « autres catégories ». Le 3 décembre se tient donc une réunion du parti pour savoir quelle attitude adopter. Il ne fait plaisir à personne de soutenir Bughdâdî, ce proche d’Ibrahîm Sulayman, longtemps député de Manchiyit Nâsir. Mais le groupe prend l’option de se ranger derrière « le meilleur des pires ». Il faut dire qu’il part de l’information, fausse, que Haydar est opposé à un salafiste, alors qu’en réalité il doit s’imposer face à un Frère. Ils semblaient cependant de bonne foi ; il est donc envisageable que ce soit le candidat ex-PND qui ait entretenu cette confusion pour rendre son soutien plus acceptable par l’équipe de campagne. Pour celle-ci, il s’agissait donc d’appeler à voter pour un fulûl contre un salafiste et pour un frère contre un salafiste48. Rappelons qu’à l’occasion du deuxième tour, il était nécessaire de voter pour deux candidats sous peine de voir invalider son vote. Magdî, le chef d’équipe, précise bien que ceux qui ne veulent pas « descendre » n’y sont pas obligés. Deux jeunes filles arrivent plus tard et se joignent à la réunion. Elles représentent le monastère. Elles ont l’air d’en savoir plus que le parti sur l’organisation de ce deuxième tour. Celle qui prend la parole connaît par exemple le nombre de voitures que le candidat Haydar mettra à la disposition des électeurs pour les emmener voter. Elle craint cependant de nuire à l’Église en faisant la campagne du candidat de manière trop ostensible. Magdî propose dès lors qu’ils descendent ensemble de manière à ce qu’ils soient associés au parti et non à l’Église. L’autre jeune fille dit à un moment concernant Haydar, il est suffisant qu’il respecte nos prêtres (kifâya biyihtirim Al-âba’ bitu‘nâ). La dichotomie islamiste/ civil

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(madanî) semble écraser toute autre considération. Un ancien élu du quartier au conseil local me confiera qu’en effet Haydar a une réputation d’homme à femmes, qu’il est connu pour traîner dans les cabarets, mais du coup, ajoutera-t-il, « on est sûr qu’il n’est pas un islamiste ! ».

17 La veille du deuxième tour le candidat Haydar vient rendre une visite de courtoisie au QG du parti. Il leur fait un discours pour les remercier. Il commence par dire son attachement au père Sam‘ân – « mon père spirituel » – ainsi qu’au quartier de Manchiyit Nâsir – « je suis un serviteur de première catégorie du quartier des chiffonniers ». Il dit également son attachement à l’État civil contre les Frères et les salafistes mais il retombe vite dans le registre des services accomplis, énumère ceux qu’il a rendus au quartier et au père Sam‘ân, notamment dans une affaire récente opposant le prêtre aux autorités locales pour sauver des familles menacées d’expulsion. Il met également en avant son ancienne collaboration avec Ibrahîm Sulaymân (ex- député de Manchiyit Nâsir) et affirme qu’ils ont apporté l’eau courante dans le quartier. Haydar insiste également sur sa proximité avec les gens simples : il roule en Peugeot 504, donne aisément son adresse et son numéro de téléphone. Bref, il mélange tous les registres qui font la campagne électorale : le service, forme d’échange qui dominait avant la révolution et qui n’a pas disparu, l’attachement affectif, de l’ordre d’une adâb (politesse) égyptienne, « une mise en forme socialement acceptable de l’échange49 » dont on ne peut faire l’économie, et, enfin, le politique évoqué rapidement à travers la défense de l’État civil, registre émergeant, lié à la polarisation entre « islamistes » et « libéraux »50.

18 De manière intéressante, ce deuxième tour a été marqué par l’entrée en scène des anciens fulûl du quartier qui avaient été marginalisés par le scrutin de liste et qui se faisaient jusqu’alors discrets. On peut imaginer que Haydar les a payés ou qu’il leur a promis un soutien pour une élection future. C’est leur statut même de notable-courtier qui était en jeu. Ils ont donc acheté des voix et promis de faire voter leurs affidés (Al-nâs bitu‘hum). De manière intéressante, le seul candidat issu du quartier qui se présentait comme individuel, Harîs Tawfîq, et que l’Église avait refusé de soutenir, faisait partie de cette entrée en scène des fulûl. La veille pourtant il expliquait furieux que Haydar avait insulté les chiffonniers en les traitant de baltajiyya au moment de l’incident de mars 2011 ; de même, il accusait l’un des prêtres de l’église d’Abûnâ Sam‘ân de le soutenir uniquement « parce qu’il avait des intérêts personnels avec Haydar ». Il a même lancé une pétition contre ce prêtre, pris comme le bouc émissaire du choix du père Sam‘ân, l’accusant d’avoir « vendu ses enfants » pour son profit personnel51. Harîs Tawfîq a d’ailleurs recueilli un nombre honorable de voix dans le quartier. Le lendemain, le candidat malheureux appelait à voter pour Haydar et achetait la voix à 50 guinées pièce, a-t-on raconté. Finalement les deux indépendants liés à la Confrérie des Frères musulmans l’ont emporté au second tour. Les Égyptiens libres ont ensuite décidé de boycotter les élections du majlis Al-Chûrâ, le Conseil consultatif, considérant que les règles n’avaient pas été respectées durant les élections de l’Assemblée du peuple et que le Haut conseil électoral ne prenait pas en considération les nombreuses plaintes déposées contre les Frères musulmans.

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Sur le service et la politique

19 Le soir du premier tour, Munâ Munîr vient faire le débriefing de la journée avec l’équipe de campagne du Muqattam. Elle parle déjà de l’avenir, notamment de la suite des élections52 à laquelle elle leur demande de participer fort de leur expérience acquise récemment. Elle évoque ensuite la contrepartie du vote des habitants de Manchiyit Nâsir suite aux élections. Elle leur apprend que le parti pense créer une association pour rendre des services aux habitants des quartiers qui les ont soutenus. Munâ Munîr annonce que cette future association couvrira toute l’Égypte. Ce projet finalement n’a pas vu le jour. Le parti a plutôt aidé la création de l’association du groupe dont nous avons parlé plus haut et qui a pour but d’agir dans le quartier des chiffonniers. Magdî m’a confié que la motivation principale de son engagement était de pouvoir agir au niveau local, même s’il dit adhérer totalement au projet politique du parti. Il semble que Magdî et le reste de l’équipe soient motivés par l’idée de servir « vraiment » les gens. Pas comme les autres associations accusées de ne chercher que leur profit. Ils prétendent du coup faire réellement ce que ces associations ont été incapables d’accomplir. Dans les faits, jusqu’à présent, ils organisent exactement les mêmes activités pratiquées depuis toujours par les associations du quartier53. Magdî souligne notamment l’importance de l’éducation pour qu’on cesse d’utiliser des symboles pour guider le vote des gens. Les grands problèmes à surmonter sont selon lui « l’ignorance » et l’arriération (Al-takhalluf).

20 L’essentiel ne semble pas résider dans les buts de l’action mais plutôt dans l’inspiration de celle-ci et le fait de se faire connaître et reconnaître pour pouvoir agir. « On va donner un sac, deux sacs, trois sacs [de nourriture]… » confie Magdî et ensuite les gens sauront qui ils sont, un lien de confiance sera établi. Il faut, pour exister en tant que groupe, avoir une identité reconnaissable et pouvoir fournir des services. ʻismat explique, par exemple, que l’élément déclencheur dans la création de l’association officielle a été l’apostrophe du consultant de la compagnie de ramassage des déchets – « vous êtes qui ? » – qui était une manière de s’interroger sur leur capacité à vraiment représenter les zabbâlîn. Ils sont aussi habités par le rejet du clientélisme, que ce soit celui du monastère ou des notables du quartier. Ce n’est pas un hasard si la plupart d’entre eux sont liés soit à l’autre église du quartier, soit à une église située hors du Muqattam. Ils envisagent cependant cette prise de distance avec les anciennes pratiques de manière progressive. Par exemple, à ses débuts, le groupe qui voulait créer une association après la révolution et qui a finalement rejoint l’équipe du parti, comptait parmi ses membres un ancien notable-courtier dont personne ne pensait qu’il était particulièrement honnête ni désireux de défendre l’intérêt général de la communauté. Un membre du groupe confiait cependant qu’ils avaient besoin de s’appuyer sur lui parce qu’il avait des relations54 et qu’il gardait une importance dans la société, du fait même que « les gens » pensaient que les choses n’avaient pas changé55. Les membres de l’équipe ont donc été pris dans une contradiction – rejeter cet homme- symbole du passé, représentant tout le contraire de ce qu’ils voulaient faire, ou reconnaître qu’ils avaient besoin de lui pour exister sur le terrain. Ils ont finalement pu s’en défaire grâce au soutien du parti qui les a aidés à concrétiser le projet d’association. La même logique sert à justifier le choix du candidat pour la liste du parti : il faut bien s’appuyer sur la société telle qu’elle est, et il faut donc quelqu’un de « populaire » qui peut également mobiliser son clan. La prochaine fois, ils l’assurent, ils

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choisiront un candidat sur le critère des compétences politiques. Cette nouvelle génération voudrait faire prédominer les principes de la « grandeur civique », c’est-à- dire le principe politique selon lequel « les citoyens renoncent à leur singularité et se détachent de leurs intérêts particuliers pour ne regarder que le bien commun56 ». Mais dans le même temps, ils pensent (à raison) que la société fonctionne toujours selon le modèle domestique57 dominé par les solidarités traditionnelles, les hiérarchies et les liens clientélistes basés sur les relations personnelles de fidélité et de confiance. Toute la difficulté pour des jeunes dans un quartier populaire du Caire est de trouver des appuis matériels et symboliques à leur action pour mettre en œuvre l’inspiration qui les habite. En l’occurrence, le groupe a fini par bénéficier de l’appui du parti. La question de savoir si ce sera l’occasion de mettre en œuvre leurs aspirations à un changement dans la pratique politique ou si le paternalisme du parti viendra seulement remplacer celui de l’Église, et le clientélisme partisan prendre la place de celui du PND, reste ouverte.

Conclusion

21 On a pu voir à l’œuvre dans la campagne électorale l’actualisation des potentialités et des tendances qui trouvent leurs racines dans la vie associative, religieuse et politique de ce quartier. Elles laissent entrevoir des recompositions du système clientéliste local, voire sa remise en cause, sans que l’on puisse d’ores et déjà savoir quels nouveaux arrangements parviendront à stabiliser la vie du lieu. Cela d’autant plus que l’on ne sait pas encore comment seront organisés les pouvoirs locaux58. Le parti, par exemple, devra trouver une manière de pérenniser sa présence dans le quartier. On peut voir dans la création d’une association parallèle à la formation politique, qui rendrait les services attendus par les habitants en échange de leur soutien, la volonté de rivaliser avec les Frères sur le terrain associatif en reprenant leurs manières de faire.

22 Toute la campagne du parti s’est faite sur l’idée qu’il fallait désormais faire de la politique, que le service n’était pas ce qui importait en premier lieu. Il fallait s’unir pour voter pour une assemblée constituante au sein de laquelle les Égyptiens libres se battraient pour un État civil et qui serait dissoute par la suite. Ce qui a connecté les coptes du Muqattam à la politique nationale a bel et bien été le communautarisme. Ils ont voté aux législative pour se défendre en tant que communauté, se sentant menacés par les Frères musulmans. On peut tout de même nuancer ce constat en notant que des liens commencent à se tisser avec les musulmans libéraux, qui tout autant que les chrétiens se sentent menacés par les islamistes. À l’inverse les enjeux économiques, urbains ou participatifs semblent – dans l’esprit des jeunes que nous avons vu se lancer en politique – se situer principalement au niveau local. On peut donc se demander quel rôle la structuration communautaire de la société égyptienne jouera dans la politique locale et surtout comment ce niveau de pouvoir trouvera à s’articuler avec le niveau national ?

23 Il semble que Sawîrîs ait conçu le parti en mobilisant le réseau caritatif et commercial du groupe Orascom pour s’implanter dans les quartiers. Cependant le recours systématique aux Églises locales montre que cet ancrage était encore trop superficiel pour permettre une véritable implantation dans les quartiers populaires. Il est apparu que seule l’Église était capable de recenser les électeurs – ce qu’elle s’est mise à faire au Muqattam quelques semaines avant les élections – en mobilisant le réseau des khuddâm,

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les « serviteurs » qui aident l’Église dans ses nombreuses tâches (activités sportives, catéchisme, administration, etc.). Il faudrait bien entendu comparer avec les campagnes menées dans des régions essentiellement musulmanes pour voir comment le parti a présenté son projet. En tout état de cause, le grand défi de cette formation politique sera, à l’avenir, de faire face au soupçon ou à l’accusation d’être le parti des chrétiens.

24 Jusqu’à présent le « vote copte » avait été quasi inexistant. Le PND comptait très peu de candidats chrétiens sur ses listes, le Wafd un peu plus. Mais il s’agissait la plupart du temps d’hommes influents qui avaient les qualités nécessaires pour gagner une élection du point de vue clientéliste et pour lesquels certains ont sans doute voté parce qu’ils étaient chrétiens59. Mais pour parler de « vote copte » il faut à mon sens que les chrétiens aient un poids réel et global dans une élection à l’échelle du pays – ce à quoi nous avons assisté lors de la dernière législative et sans doute plus encore lors de la présidentielle. Du fait de la pluralisation de l’offre partisane, les coptes peuvent désormais peser dans le résultat d’une élection et sont désormais courtisés en tant qu’électeurs. Pour l’instant, la crainte des Frères musulmans a plutôt encouragé les chrétiens à suivre les consignes de leur Église, ou en tout cas à se ranger derrière le choix qu’ils percevaient comme celui de leur communauté. Mais il est possible que les choses évoluent par la suite dans d’autres directions. Par exemple, lors de l’élection présidentielle, le père Sam‘ân n’a pas hésité à soutenir Chafîq, alors qu’une partie des coptes – quelques-uns au Muqattam et beaucoup plus dans la jeunesse des classes moyennes et supérieures – ne voulaient pas voter pour le candidat de l’ancien régime auquel ils ont souvent préféré le nassérien Hamdîn Sabâhî. Il faudra également être attentif à l’évolution de la participation des coptes aux divers scrutins. Il semble qu’elle a été relativement forte pour les premières législatives d’après-révolution. Mais le sentiment, largement partagé, est que la fraude a été massive. Cette impression est liée notamment à la surestimation de leur propre nombre par les chrétiens égyptiens : on entend souvent des coptes dire qu’ils sont entre 15 et 20 millions, parfois plus, alors qu’ils sont sans doute plus proches de 3,5 millions60. Par ailleurs les résultats largement favorables aux islamistes pourraient décourager une participation à des scrutins qui semblent, aux yeux de certains, perdus d’avance.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Je souhaite vivement remercier Julia Varga qui a partagé son expérience de terrain au Muqattam, en tant que cinéaste. Nos conversations ont enrichi cet article de nombreuses informations et m’ont permis de tester mes idées et de les reformuler. 2. Voir David Sims, Understanding Cairo. The Logic of a City Out of Control, Cairo/New York, The American University in Cairo Press, 2010, p. 115. Le quartier compte 451 000 habitants avec une densité de 1 925 habitants par hectare, dont à peu près 30 000 chiffonniers. 3. Celles-ci sont originaires du village en Haute Égypte. Elles sont désignées par des noms dont les membres ignorent le plus souvent l’origine. 4. Comme le montre Catherine Miller à propos de quartiers populaires de Giza, C. Miller, « Réseaux et territoires migrants de Haute Égypte à Giza (agglomération du Caire) », in Isabelle Berry-Chikhaoui et Agnès Deboulet (dir.), Les compétences des citadins dans le Monde arabe : penser, faire et transformer la ville, Paris-Tours-Tunis, Karthala/ URBAMA/IRMC, 2000. 5. Beaucoup de familles ne voulant pas que leur enfant se marie avec un zabbâl. C’est le cas surtout pour marier leur fille qui devrait dès lors aller vivre dans ce quartier. Cette contrainte s’affaiblit aujourd’hui mais reste présente néanmoins. 6. Cela n’empêche pas le phénomène de dilution des ‘assabiyyât (les solidarités traditionnelles), on dit plus souvent des baladiyyât qui désigne les solidarités liées au lieu d’origine. 7. Le monastère n’en est pas réellement un mais est nommé comme ça du fait de sa taille imposante et en référence aux églises taillées dans la falaise du Muqattam faisant référence aux communautés monastiques et aux ermites des anciens temps. 8. Ceci dit la thématique de la « corruption du clergé » commence à se frayer (timidement) un chemin au sein de la communauté, essentiellement dans les classes moyennes ou supérieures réformistes et intellectuelles. Cela vaut lorsqu’il s’agit d’une accusation globale portant sur la « corruption du clergé » car au niveau local la critique – en comité restreint uniquement – de tel ou tel prêtre est non seulement possible mais courante. Ici nous distinguons dénonciation et critique, la première ayant un caractère public, reste très rare alors que la critique est courante. Pour ce que j’ai pu en observer sur mon terrain, la critique reste cantonnée aux prêtres locaux et exclut radicalement toute critique à l’encontre du patriarche. Sur la dénonciation on se reportera aux travaux de Luc Boltanski avec Yann Daré et Marie-Ange Schiltz, « La dénonciation », Actes de la recherche en sciences sociales, vol. 51, 1984, p. 3-40. Pour une dénonciation de la corruption du clergé par un historien copte, en anglais (ce qui est évidemment important), voir l’interview de Magdi Guirguis sur le site de l’American University in Cairo, http://www.aucpress.com/t-enewsletter-guirguis-april2012.aspx, consulté le 7 octobre 2012 : « All of the bishops are living a luxurious life, in large villas with

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intercom, many driving either a Mercedes or a Jaguar and owning at least three mobile phones. Currently the bishop in Fayoum does not allow any Copts there to celebrate their wedding party outside the church. He ordered them not to celebrate weddings in clubs, hotels, or even at home. Those who violate his decision are fined LE 2000 ». 9. Nagîb Sâwîris est un richissime homme d’affaires égyptien. La fortune familiale remonte à son père Unsî qui a fondé le groupe Orascom mais ses fils l’ont fait fructifier chacun dans des domaines différents. Nagîb a développé la société de télécommunications Mobinil. Il a lancé en 2009 la chaîne satellitaire ONTV qui s’est fait connaître pour sa promotion des idées libérales. En 2011, il a créé le parti Al-Misriyyîn Al-Ahrâr. 10. Voir Wendy Walker, The Torah Zabbaleen. From Tin Shacks to High Rises, Association for the Protection of the Environment, Cairo, 2005. 11. Je l’ai vu appeler à voter en 2009 pour un candidat lors d’une réunion de jeunes hommes. Il s’agissait de pourvoir à la vacance d’un siège au Majlis Al-Chûra (équivalent du Sénat). Pour se faire une idée de l’importance du leader religieux au niveau local, signalons seulement l’impressionnant cortège d’officiels qui viennent saluer Sam‘ân lors de sa messe de Pâques. Chose normale en Égypte mais ces officiels sont particulièrement nombreux au monastère Saint-Sam‘ân. 12. Il est aujourd’hui en prison. Il a été mis en cause après la Révolution pour diverses fraudes et malversations. 13. Ils sont plusieurs à utiliser des tournures inclusives, comme cette responsable d’une ONG active dans le quartier, issue de la bourgeoisie copte, qui dit « nous » quand elle parle des chiffonniers. À côté du prêtre plusieurs acteurs prétendent parler au nom des zabbâlîn. 14. Aujourd’hui le dirigeant de l’association (qui est « un fils du quartier ») tente de mettre sur pied un syndicat des chiffonniers mais il est confronté au problème de l’absence totale de confiance en son association. Cela pose la question plus large, qui est centrale en sciences politiques, de la construction de la confiance après des changements politiques radicaux, surtout quand les acteurs semblent parler des « langues » différentes : celle du développement, de la religion, des solidarités familiales ou professionnelles etc. 15. Voir par exemple l’émission Misr Al-Nahârda du 29 septembre 2010, http:// www.youtube.com/watch?v=SVrq0Wn8dlc, consulté le 7 mai 2012. 16. L’engagement des catholiques se devait d’être déconfessionnalisé pour toucher les coptes et le prosélytisme avait achevé d’être abandonné dans ces années 80-90, voir Claude Prudhomme, « De la mission aux ONG de solidarité internationale. Quelle continuité ? », in Bruno Duriez, François Mabille et Kathy Rousselet (dir.), Les ONG confessionnelles. Religion et action internationale, Paris, L’Harmattan, 2007. Ce modèle catholique entre en tension avec les activités organisées par les coptes du fait que le plus souvent ces dernières sont purement communautaires. Sur l’action des frères catholique latins au Caire voir Mathilde Coussy, Les congrégations religieuses catholiques latines au Caire, modalités et objectifs d’une implantation en milieu musulman, mémoire d’anthropologie de l’université de Provence Aix-Marseille, 2009. 17. Sur l’importance de cet engagement du khâdim dans la construction du cadre communautaire copte voir Dina El Khawaga, « L’affirmation d’une identité copte. Saisir

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un processus en cours », in Christian Décobert (dir.), Itinéraires d’Égypte. Mélanges offerts au père Maurice Martin, Le Caire, IFAO, 1992. 18. Les Égyptiens libres ( Al-Misriyyîn Al-Ahrâr) font partie du Bloc égyptien, (Kutla misriyya) qui regroupe aussi les partis Al-Misrî Al-Dimukrâtî Al-Ijtimâ‘î (social-démocrate) et le Tagammu‘ (parti du Rassemblement, réunissant diverses tendances de la gauche nationaliste, un parti qui existe depuis 1976, et qui faisait partie de l’opposition cooptée). La stratégie de cette coalition a été de mettre de plus en plus l’accent sur l’identité du Bloc, laissant au second plan les différents partis impliqués dans la coalition. Les partis se sont partagé les circonscriptions en évitant de se présenter les uns contre les autres. 19. Le témoignage cité dans l’étude d’Elena Volpi d’un zabbâl: « In the Gama‘iyya there is no freedom of opinion. Father S. has total power, and when he knocks on the table everybody shuts up, and the board meeting is over » (Volpi, “Community organization and development among the Zabbaleen of Moqattam”, Cairo Papers in Social Science, vol. 19, n° 4, 1997, p. 26). De manière très classique en Égypte c’est un général qui dirige officiellement l’association. 20. C’est déjà ce mode d’action qui avait été choisi par les chiffonniers pour protester contre l’arrivée des sociétés étrangères chargées de la collecte des déchets sans que les zabbâlîn aient été pris en compte dans les arrangements avec l’État égyptien. Voir sur cet épisode Soazig Dollet, Une communauté traditionnelle face à la modernité : le cas des zabbâlîn du Caire, mémoire de science politique de l’université d’Aix-Marseille III, 2003. Ils y ont eu de même recours lorsque les autorités égyptiennes sont venues pour abattre leurs cochons en mai 2009. 21. Certains vont même jusqu’à affirmer que c’est l’armée elle-même qui a fait courir le bruit ; intervention de Marîze Tadrus au colloque Narrating the , 20 février 2012, Université du Caire. 22. D’après les chiffres donnés par le ministère de la Santé. 23. Il a pourtant affirmé qu’ils étaient bien des martyrs à l’occasion de l’enterrement. CTV : http://www.youtube.com/watch?v=aJ1Qwavvwnk, consulté le 17 octobre 2012. 24. Vidéo amateur, http://www.youtube.com/watch?v=aHU8fIVNjPI, consulté le 7 mais 2012. 25. Entretien avec le père Matyâs Nasr, 3 octobre 2011. Ce mensuel est uniquement distribué dans les églises n’ayant pas d’autorisation officielle de publication. La tendance pourrait être qualifiée d’ethno-nationaliste dans le sens où l’identité copte et l’égyptienne sont décrites comme ne faisant qu’une et in fine les coptes sont décrits comme les vrais Égyptiens. La publication est surtout consacrée à dénoncer les « persécutions » dont sont victimes les coptes, et à honorer la mémoire des martyrs. Matyâs est l’un des inspirateurs de l’Union des jeunes de Maspero, qui se sont fait connaître après la Révolution par leurs sit-in devant le siège de la télévision égyptienne que l’on appelle Maspero. Voir sur cette tendance Sebastian Elsässer, The Coptic Question in Contemporary Egypt. Debating National Identity, Religion and Citizenship, thèse de doctorat de l’université libre de Berlin, 2011. 26. On peut y voir plusieurs explications : un manque d’intérêt pour les chiffonniers, voire un véritable dédain à leur endroit ; le fait que l’événement soit arrivé très vite après la chute de Moubarak et constituait, en outre, le premier massacre commis par l’armée.

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27. Une exception cependant avec ‘Alâ’ ‘Abd Al-Fattâh, le célèbre blogueur et activiste qui décida d’assister à la messe du Noël copte, le 6 janvier 2012, à l’église du Muqattam expliquant qu’il venait ainsi honorer la mémoire des martyrs oubliés de Manchiyit Nâsir. Il précisa bien qu’ils furent les premiers à tomber sous les balles de l’armée. Sur la chaîne CBC : http://www.youtube.com/watch? v=AkgSo2en214&playnext=1&list=PLF90A670816CD9A31&feature=results_main 28. Une commission a d’abord été formée pour identifier les martyrs de la révolution afin de pouvoir les indemniser. Ensuite un Conseil des martyrs a été mis en place par le Conseil militaire en juin 2011. Au fur et à mesure des événements, les gouvernements successifs ont pu, au coup par coup, ajouter de nouveaux martyrs à la liste. La tendance a été d’accorder le statut de martyr de manière très large pour tenter de calmer la contestation. Lorsque le Parlement a été élu, le montant des compensations pour les martyrs a été l’objet de nombreux débats et d’une substantielle augmentation. Voir http://www.egyptiandependent.com/news/new-secretary-generAl-martyr-s-council- has-no-plan-action 29. L’avocat en question raconte dans un talk-show diffusé sur Coptic TV les difficultés pour faire reconnaître les morts du Muqattam comme des martyrs de la Révolution et les différentes étapes administratives pour y parvenir : le 8 mars 2012, http:// www.youtube.com/watch?v=BgycM3yUUU4 30. http://www.youtube.com/watch?v=lQKsGm4rc44, CTV, le 10 mars 2011. 31. Vidéo visible sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=o6rc5X0w7u8. De même la personne qui a annoncé l’apparition du Muqattam enjoint les chrétiens présents à Maspero à chanter toute la nuit pour qu’elle leur apparaisse également. Voir la vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=1fe2uqYa0Vo 32. Cela va également dans le sens de ses conceptions religieuses influencées par les courants évangéliques, favorisant le contact direct entre le fidèle et son Créateur sans intermédiaires. Sur les apparitions de la Vierge voir l’article d’Angie Heo, “The Virgin Made Visible: Intercessory Images of Church Territory in Egypt”, Comparative Studies in Society and History, vol. 54, n° 2, 2012. Heo note la même réaction après le meurtre de plusieurs coptes en janvier 2010 devant une église de Najaʼ-Hammâdî en Haute Égypte. Une apparition s’ensuivit mais fut vite « étouffée », « to deflect attention from the church » (p. 373-374). 33. Nous rappelons que le système électoral égyptien prévoit un certain nombre de sièges réservés aux ouvriers et paysans. 34. D’autres meetings étaient programmés mais ont été suspendus à cause des incidents violents de la rue Muhammad Mahmûd. 35. Cette rencontre a été rendue possible grâce à une réalisatrice qui – faisant un film sur ce groupe – leur a présenté une doctorante qui travaillait sur la question de la gestion des déchets. 36. L’église de la Vierge et de Saint Abâ-Nûb. Elle est située à l’autre extrémité du quartier par rapport à celle du père Sam‘ân et n’a pas de très bonnes relations avec ce dernier. 37. Ce qui suscita après coup l’ironie des deux chercheurs présents, dont l’auteur de ces lignes, lesquels ont été moins bien inspirés que cet Égyptien. 38. En effet chaque candidat voit figurer un symbole à côté de son nom sur les affiches électorales et bulletins de vote afin de permettre aux illettrés de s’y retrouver.

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39. De la même manière une vidéo réalisée par le Haut conseil électoral défendait la même distinction entre politique et service. Elle a été diffusée sur des chaînes de télévision et sur le site du Conseil. Elle racontait une petite histoire sous forme de dessin-animé. Il s’agissait d’une métaphore. C’est comme quand on va chez le médecin. On peut discuter et prendre un jus d’orange avec le docteur mais l’essentiel est de se faire soigner. Donc on doit d’abord se faire soigner et ensuite on peu accessoirement discuter et partager une boisson. La politique locale était en effet dominée jusqu’à il y a peu par la question du service. Les conseils locaux « majlis mahallî », avaient vraiment très peu de pouvoir et le député du parlement (majlis Al-Cha‘b) faisait en réalité de la politique locale, car il était presque impossible de faire de la politique nationale au parlement (du moins jusqu’à ce que les Frères musulmans y fassent irruption à l’occasion des élections de 2005 et « politisent » le parlement). L’enjeu était surtout, pour le député, de rendre des services dans les quartiers de sa circonscription afin d’assurer leur réélection. Les quartiers informels étant ceux qui ont le plus besoin des services de l’État (eau, électricité, égouts, écoles publiques…), ce sont également ceux qui attendent le plus de leurs députés. Voir Sara Ben Néfissa, « La vie politique locale : les mahalliyât et le refus du politique », in Vincent Battesti et François Ireton (dir.), L’Égypte au présent : inventaire d’une société avant révolution, Paris, Sindbad, 2011. 40. Cyrille Lemieux, Le devoir et la grâce, Paris, Economica, 2009, p. 76-81. 41. Ce que Cyrille Lemieux appelle la « grammaire naturelle », ibid., p. 81-85. 42. Cela peut concerner les habitants du quartier nés en Haute Égypte et également l’importante main d’œuvre « saisonnière » qui travaille dans les ateliers de recyclage. Tous presque, y compris les saisonniers, sont originaires de la région d’Assiout. Un notable expliquait même qu’il avait été présenté le parti dans le village de Dîr Tesa dont la majorité des chiffonniers du Muqattam sont issus. 43. Il est à noter qu’après la Révolution et les incidents confessionnels dans le quartier, plusieurs pères de familles ont refusé de laisser sortir leurs filles pour se rendre à l’école secondaire (il n’y en a pas dans le quartier et la plupart d’entre elles sont scolarisées à ‘Abbâsiyya) ou à l’université. 44. Rappelons qu’un tiers des candidats étaient élus au scrutin individuel, alors que deux tiers l’étaient au scrutin de liste. Le découpage électoral était d’ailleurs différents pour les listes et pour les individuels. 45. Ce qui n’a pas empêché le candidat fi’ât que le parti a renoncé à soutenir au profit des candidats choisis par l’Église de venir distribuer devant le monastère des petits cartons de campagne à son effigie mais aussi à celle du saint éponyme de l’église, Sam‘ân. 46. En effet le parti n’avait pas de bureau local, dans le reste de Manchiyit Nâsir et l’équipe n’a fait campagne que dans le quartier des chiffonniers. 47. Sur une présentation de l’espace public égyptien structuré par l’appartenance communautaire voir Laure Guirguis, Les coptes d’Égypte. Violences communautaires et transformations politiques (2005-2012), Paris, IISMM/Karthala, 2012. 48. Le carton distribué par le parti Nûr pour le second tour encourageait à voter pour Nâsir ʻUthmân, le frère musulman contre Haydar Bughdâdî. 49. Patrick Haenni, L’ordre des caïds : conjurer la dissidence urbaine au Caire, Paris, Karthala-Cedej, 2005, p. 157. À la même page : « En d’autres termes, dans l’échange clientélaire, le vocabulaire de l’affection, qu’il se fasse d’un côté, selon les répertoires

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de l’amitié et de l’altruisme et, de l’autre, selon ceux de la soumission et du respect, est sans doute une occultation des fondements de l’échange. Gardons-nous d’y voir pourtant une “fausse conscience” ». En effet dans notre cas personne n’est dupe : Haydar veut les voix des chrétiens et le parti pense qu’il vaut mieux voter pour un escroc qu’un islamiste. 50. Même si les Frères avaient déjà contribué à politiser l’acte électoral lors de précédentes élections, voir Marie Vannetzel, « Les voies silencieuses de la contestation : les Frères musulmans égyptiens, entre clientélisme et citoyenneté alternative », Raisons politiques, n° 29, 2008, p. 23-37. Par ailleurs l’appartenance à la classe ouvrière a également joué un rôle dans le vote, lors d’élections précédentes, par exemple à Hilwân, voir Élisabeth Longuenesse, « Logiques d’appartenance et dynamiques électorales dans une banlieue ouvrière. La cas de la circonscription 25 à Helwân », in Sandrine Gamblin (dir.), Contours et détours du politique en Égypte. Les élections législatives de 1995, Paris, L’Harmattan-Cedej, 1997, p. 229-266. Sur la polarisation entre islamistes et libéraux nous mettons des guillemets tant ces termes sont polysémiques et disputés dans le contexte post-révolutionnaire. Mais on peut néanmoins affirmer, au moins pour le cas qui nous occupe que « libéral » tel qu’utilisé par les acteurs désigne souvent l’absence de référence à l’application de la loi islamique en politique et l’opposition aux forces islamistes. 51. Il évitait en effet d’attaquer de front le père Sam‘ân, qui de toute évidence était la source de cette décision de soutenir Haydar en s’attaquant au prêtre qui avait porté la décision. Cette attitude se retrouve à plusieurs niveaux et moments après (et avant) la révolution. Par exemple l’équipe du parti critique l’implication politique de Sam‘ân en politique mais exempte le pape des mêmes critiques. On retrouve aussi cette tendance dans la volonté de certains de faire porter les « dérives » du régime de Moubarak à son entourage ou à son épouse. Attaquer celui qui incarne l’institution semble soit trop risqué pour soi-même, soit menacer celle-ci de manière trop radicale. 52. Rappelons que les élections se déroulaient en plusieurs phases successives à travers l’Égypte. 53. Sur la ressemblance des différents services proposés par les associations de quartier : « Car qu’ont en commun un syndicat professionnel, une mosquée, islamiste ou non, un centre de jeunes, une antenne du PND et une association de développement ? Ils sont, avant tout autre chose, appréciés parce qu’ils rendent des services, services au demeurant étonnamment semblables : cours d’alphabétisation, de rattrapage scolaire, de religion, médiation des conflits, accès à l’emploi, soutien financier, prestations médicales, organisation de cérémonies de mariage, etc. Répertoire sans aucun doute dominant du lien politique au niveau du quartier » (P. Haenni, op. cit., p. 158). 54. Comme le note bien Janine Clark : « […] a large degree of an association’s success depends on its members’ ability to get around impediments trough informal arrangements and social networks that incorporate state officials » (J. A . Clark, “Social Movement Theory and Patron-Clientelism: Islamic Social Institutions and the Middle Class in Egypt, Jordan, and Yemen”, Comparative Political Studies, vol. 37, 2004). 55. Une autre « croyance » cette fois mise en avant pour expliquer le vote islamiste est que les Égyptiens ne réfléchissent plus quand on leur parle avec des arguments religieux et du coup votent comme on le leur demande le vendredi précédant le scrutin à la mosquée. Par exemple Tal‘ât de l’équipe du parti affirme que même les chrétiens

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agissent de la sorte. Il nuance cependant et ajoute que ce n’est pas tout à fait la même chose. « Nous » on milite pour un parti civil, on veut que l’Église reste à l’écart de la politique. Cette idée de l’autorité quasi absolue de la « religion » sur les comportements est souvent couplée avec l’idée que cette obéissance aveugle va de pair avec l’ignorance ou l’arriération. Sur le vote au Fayoum une enquête nuance cette idée de l’irrationalité des électeurs, voir Egypt Independent, 10 avril 2012, http://www.egyptindependent.com/ opinion/who-do-egypt%E2%80%99s-villagers-vote-and-why 56. Luc Boltanski et Laurent Thévenot, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991, p. 138. 57. Ibid., p. 116-126. 58. La nouvelle constitution consacre un certain nombre d’articles (art. 183-192) à la question de l’administration locale et des Conseils locaux. Le principe de la décentralisation y est affirmé mais les compétences restent très vagues et le système électoral est renvoyé à une future loi. 59. Voir L. Guirguis, op. cit., p. 217-223. Par exemple malgré l’appel lancé par le pape Shenouda à voter pour Moubarak en 2005, le PND n’inscrira que 2 coptes sur 444 candidats à la députation (Alain Roussillon, « Les coptes à la marge », Égypte/Monde arabe, vol. 3, n° 7, 2011, p. 11). Samir Soliman pense quant à lui que le vote des coptes commençait de plus en plus à être courtisé dans les dernières années de la décennie 2000. S. Soliman, “The Radical Turn of Coptic Activism. Path to Democracy or to Sectarian Politics?”, Cairo Papers in Social Sciences, vol. 29, n° 2/3, 2009, p. 149-150. 60. Catherine Mayeur-Jaouen et Brigitte Voile, « Les paradoxes du renouveau copte dans l’Égypte contemporaine », in Bernard Heyberger (dir.), Chrétiens du Monde arabe : Un archipel en terre d’Islam, Paris, Autrement, 2003, p. 164. L’estimation de ces auteurs se base elle-même sur celle argumentée par Youssef Courbage et Philippe Fargues, « Chrétiens et juifs » dans L’Islam arabe et turc, Paris, Payot, 1997.

RÉSUMÉS

Cet article est le fruit d’un terrain dans la communauté des chiffonniers (zabbalîn) de Manchiyit Nâsir durant les élections législatives de 2011. La plupart des zabbalîn sont coptes. Cette étude s’intéresse à la campagne du parti des Égyptiens libres située dans le contexte des réseaux de pouvoir locaux : des associations de développement, l’Église et des jeunes du quartier souhaitant participer au changement social après la révolution. Cette étude minutieuse de l’engagement politique et des luttes de pouvoir dans un quartier informel permet de saisir les enjeux locaux et la manière dont ils s’articulent avec la politique nationale. L’article tente également de mettre en perspective la dialectique du conflit et de la solidarité au sein de la communauté copte.

This article is based on a fieldwork in the garbage collectors (zabbalîn) neighborhood of Manchiyit Nâsir, during the legislative election of 2011. Most of the zabbalîn are Copts. This study deals with the Free Egyptians party’s campaign put in the context of local networks of power including development associations, the Church and some young people eager to change their community after the revolution. This careful examination of the political work on the field in an

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informal area highlights the local stakes and how they articulate with national politics. Furthermore the article underlines the dialectic of conflict and solidarity within the Coptic community.

INDEX

Keywords : Copts, Informal, Garbage collectors, Associations, Muqattam Mots-clés : coptes, informel, chiffonniers, associations, Muqattam

AUTEUR

GAÉTAN DU ROY Gaétan du Roy est doctorant au CEDEJ et à l’université de Louvain-la-Neuve. Son doctorat porte sur les usages de la tradition et des ressources d’une théologie de la rédemption individuelle au sein de la tendance charismatique chez les coptes orthodoxes. Cette recherche se base sur l’étude approfondie d’un lieu de culte et de l’histoire du prêtre qui l’a créé dans le quartier de chiffonniers du Muqattam. Gaétan du Roy is a PhD candidate at the CEDEJ and at the Louvain-la-Neuve university. His doctoral study is about the uses of tradition, and the resources of an individual redemption theology within the charismatic tendency of the Orthodox Coptic religion. This research relies on an extensive study of a place of worship and of the history of the priest who created it in the garbage collectors neighborhood of the Muqattam.

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Entre le savant et le politique : la campagne électorale de ‘Amr Hamzâwî dans les élections législatives égyptiennes de l’automne 2011

Giedre Sabaseviciute

1 Le présent article est consacré à l’étude de la campagne électorale organisée par ʻAmr Hamzâwî, chercheur et professeur en science politique, dans le cadre de sa candidature aux élections législatives, lancées en novembre 2011 pour élire le premier Parlement égyptien après la démission de Moubarak. Candidat dans la 4e circonscription électorale, incluant les quartiers résidentiels de Héliopolis, Al-Nuzha, Madînat Al- Churûq et Madînat Badr, Hamzâwî a réussi à remporter une victoire écrasante avec 53,75 % de voix recueillies au premier tour, battant ainsi son principal rival, Muhammad Abu Al-ʻAzm, candidat du parti de la Liberté et de la Justice, bras politique des Frères musulmans. Et pourtant, au premier abord, la victoire de Hamzâwî s’annonçait difficile. Libéral occidentalisé, détenteur d’une double nationalité égyptienne et allemande, résidant de longue date à l’étranger, fiancé à une femme du milieu artistique, se prononçant sur des sujets tabous, dépourvu d’appuis locaux dans sa circonscription électorale et, d’une manière générale, dépourvu d’expérience politique, ʻAmr Hamzâwî réunissait autant d’attributs considérés comme disqualifiants dans le jeu politique égyptien. Qualifiée de « blague » par les vétérans de la politique tels que feu Talʻat Al-Sâdât1, la candidature de Hamzâwî a fait l’objet de nombreuses campagnes de diffamation tout au long de sa campagne électorale.

2 Cependant, au lieu de me préoccuper d’analyser globalement les raisons de sa victoire électorale, je souhaite ici porter l’attention sur les stratégies d’argumentation et les types de légitimation politique qu’il a mobilisées dans sa campagne, afin de justifier sa vocation à se présenter. Je m’interrogerai sur les manières dont il a joué sur différents registres de présentation de soi, alternativement puisés dans sa notoriété médiatique et

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son identité d’universitaire libéral, tout en prenant en considération la configuration politique égyptienne nouvelle créée par la démission de Moubarak, qui a favorisé sa victoire. On verra comment, en fin de compte, en recourant à diverses stratégies argumentatives et symboliques, Hamzâwî a réussi à convertir en atouts puissants des attributs perçus comme des handicaps dans la compétition électorale. Le cas de ʻAmr Hamzâwî est instructif dans la mesure où il reflète des mutations dans les pratiques électorales en Égypte : des stratégies électorales autrefois inconcevables ont obtenu lors de ce scrutin un succès écrasant et inattendu. À partir d’un corpus constitué par l’étude ethnographique de sa campagne sur le terrain à Héliopolis, des entretiens réalisés avec les volontaires engagées dans cette campagne, du décryptage de ses discours lors de ses apparitions publiques – conférences et talk-shows politiques – et de l’analyse de ses articles publiés dans les quotidiens Al-Churûq et Al-Masrî Al-Yawm, je tenterai de mettre à jour les différents répertoires de mobilisation électorale du candidat Hamzâwî.

Le peoplisation de la compétition politique à l’heure de l’hégémonie médiatique

La reconfiguration de la scène médiatique égyptienne

3 Avant de passer aux modalités de la construction de la notoriété médiatique de ʻAmr Hamzâwî, il convient de donner un aperçu rapide de la recomposition de la scène médiatique égyptienne après la chute de Hosni Moubarak en février 2011. En se positionnant contre le mouvement de protestation à ses débuts, les médias gouvernementaux – audiovisuels et presse écrite –, se sont condamnés au discrédit, conduisant ainsi à un renversement des positions de pouvoir au sein du champ médiatique2. Si, au début du mouvement de protestation, ce furent principalement les chaînes satellitaires panarabes, comme Al-Jazîra et BBC Arabic, qui assurèrent la couverture des événements de Tahrîr, après la démission de Moubarak en revanche, les chaînes de télévision locales ont tenté de reprendre le relais pour s’imposer comme « les médias de la révolution ». En l’occurrence, certaines chaînes privées ont gagné la confiance des manifestants après avoir réussi, à travers des débats télévisés, à influer directement le cours des événements de Tahrîr. Pour rappeler les épisodes les plus marquants, ce sont les larmes de l’activiste Waël Ghoneim versées en direct lors du talk- show « Dix heures du soir » (al-‘âchira’ masâ’an) sur Dream Two qui auraient relancé, le 7 février, un mouvement de protestation alors en voie d’essoufflement. De même, la confrontation, le 2 mars, entre le romancier ‘Alâ’ Al-Aswânî et le Premier ministre Ahmad Chafîq, dans l’émission télévisée « Notre pays en Égyptien » (baladnâ bi-l-masrî) sur ONTV a conduit Ahmad Chafîq à annoncer sa démission le lendemain. De plus, en consacrant une série de débats sur le rôle néfaste de la télévision officielle dans la révolution du 25 janvier, les chaînes privées ont cherché à montrer qu’elles étaient plus objectives et plus proches du mouvement de contestation3.

4 Afin de rassurer la société sur sa loyauté à l’égard de la révolution, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) – aux commandes du pays immédiatement après la chute de Moubarak –, a entrepris une relative libéralisation du marché privé de l’audiovisuel. À côté des acteurs bien établis comme Dream TV, ONTV, Mihwar TV, Hayât TV, le marché a accueilli seize nouveaux entrants, parmi lesquels les chaînes Tahrîr, Al-Bayt Baytak,

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Modern Huriya, Egypt 254. Ces chaînes ont réussi à séduire de larges pans de l’audience grâce aux talk-shows, format privilégié de l’émission politique en Égypte. Le recours aux talk-shows a offert le moyen de contourner l’interdiction faite aux chaînes privées de diffuser des bulletins d’information politiques – activité réservée aux chaînes gouvernementales. En devenant la seule source crédible d’information aux yeux de l’opinion contestataire, les médias privés ont acquis une influence considérable. Cette influence s’est notamment mesurée dans leur capacité à promouvoir les nouvelles élites politiques et intellectuelles de l’ère révolutionnaire. Les chaînes privées ont agi sur la définition de l’agenda politique et donné une tribune médiatique aux figures intellectuelles et politiques constamment invitées sur les plateaux télévisés. En fournissant un accès à la sphère de la discussion publique à ces heureux élus, elles ont directement contribué à accroître leur visibilité auprès d’un public en quête de nouvelles autorités intellectuelles. On pourrait même aller plus loin et suggérer que c’est la télévision privée qui a produit « les leaders de la révolution », et cela en l’absence de leadership révolutionnaire clairement identifié5.

5 À côté des médias audiovisuels, les pages d’opinion de la presse dite indépendante, à l’avant-garde desquelles se situent les quotidiens Al-Masrî Al-Yawm, Al-Churûq et Al- Dustûr, ont joué un rôle comparable. Dès le déclenchement de la contestation, les lecteurs ont porté un intérêt particulier à la rubrique « opinion » pour pouvoir s’orienter dans la nouvelle configuration politique à l’aide des analyses fournies par les intellectuels6. À titre d’exemple, la page « opinion » d’Al-Churûq a accueilli, en février- mars 2011, trente-deux nouveaux contributeurs, dont une partie étaient des anciens contributeurs qui, inspirés par la chute de Moubarak, ont de nouveau repris la plume7. Écrire dans Al-Churûq en ce moment historique était incontestablement le meilleur moyen de se faire entendre et d’affirmer une position par rapport aux événements en cours. Dans une Égypte post-Moubarak obsédée par la chasse aux « rescapés » de l’ancien régime (fulûl), la valeur de l’intellectuel a fini par se mesurer à son degré d’intégrité révolutionnaire. Par conséquent, les pages « opinion » de la presse indépendante sont devenues l’espace idéal pour affirmer sa fidélité aux valeurs de la révolution, pour justifier ses décisions politiques ou corriger une réputation souillée par des prises de positions antérieures ou des liens avec le système Moubarak8. Les figures issues de diverses sphères d’activités, les professionnels des médias (Yusrî Fûda, Lâmîs Al-Hadîdî), les écrivains (Khâlid Al-Khamîsî, Bahâ’ Tâhir), les universitaires (Muʻtaz Abdullâh, ʻAmr Chûbakî), les blogueurs (ʻAla’ ʻAbd-al-Fatâh, Tâmir Muwâfî), les hommes politiques (ʻAlî Al-Silmî) et les religieux (Anbâ Mûsâ, ʻAli Gumʻa’) ont trouvé dans les pages-débats le moyen de faire connaître leurs opinions et de s’imposer comme les références intellectuelles de la période.

6 L’interpénétration des milieux journalistiques et intellectuels constitue, certes, une caractéristique permanente du champ intellectuel égyptien, les médias offrant aux intellectuels de nombreux débouchés leur permettant de toucher un public plus étendu que celui de l’écrit. Néanmoins, avec l’explosion du marché des talk-shows, et grâce à de nombreuses passerelles entre les plateaux télévisés et la presse écrite, les professionnels des médias, les hommes politiques, les activistes de la société civile et même les hommes d’affaires propriétaires de chaînes télévisées se sont posés en « faiseurs d’opinion » pour prétendre au statut prestigieux d’« intellectuels ». À l’heure où les personnalités publiques ayant un accès privilégié aux médias s’autorisent de plus en plus à intervenir sur des questions publiques, les frontières entre le champ journalistique et intellectuel se brouillent : des personnalités publiques se retrouvent

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sur un banc d’invités dans tel ou tel talk-show ; elles sont animatrices de telle autre émission, et contributrices dans la page « opinion » des grands quotidiens égyptiens.

La construction de la notoriété médiatique de ʻAmr Hamzâwî

7 La construction de la notoriété médiatique de ʻAmr Hamzâwî semble suivre le schéma décrit précédemment : succès académique à l’étranger, notoriété dans les médias internationaux, passage par la page « opinion » des grands quotidiens indépendants égyptiens – et, enfin, lancement d’un talk-show personnalisé, qui, en assurant un accès à une large audience, constitue le comble de la visibilité, et par là même, de l’influence de l’intellectuel.

8 Né au Caire en 1967, ʻAmr Hamzâwî s’est forgé sa renommée académique en Europe. Diplômé en science politique de l’Université du Caire en 1988, il voyage à la Haye, aux Pays-Bas, pour y faire son Master. Il en obtient deux, l’un à l’Institut des Sciences Sociales à la Haye, le second à l’Université d’Amsterdam. Hamzâwî se déplace ensuite à Berlin, où il obtient un doctorat en science politique à l’Université Libre de Berlin en 2002. Il se marie en Allemagne et devient père de deux enfants. Recruté au sein d’un think tank américain, la Fondation Carnegie pour la paix internationale en 2005, ʻAmr Hamzâwî est nommé en 2008 directeur de recherche au Carnegie Middle East Center à Beyrouth, poste qu’il occupera jusqu’en 2010. C’est au sein de la Fondation que Hamzâwî, spécialisé dans le processus de démocratisation au Moyen-Orient et le rôle des mouvements islamistes, se construit la réputation d’un héraut de la démocratie et d’un expert en matière de transition démocratique. Dans le cadre de ses fonctions à Carnegie, Hamzâwî écrit plusieurs rapports dénonçant le verrouillage du système politique égyptien, les campagnes systématiques d’intimidation des Frères musulmans et l’institutionnalisation de la transmission héréditaire du pouvoir par les amendements constitutionnels de 2007. Ces publications lui ont valu une contre- attaque immédiate dans la presse gouvernementale : il s’est vu accusé de ternir l’image de l’Égypte à l’étranger, de servir de relais entre les Frères musulmans et l’administration américaine9, d’avoir échangé sa nationalité égyptienne contre la nationalité allemande et de suivre la voie d’un autre intellectuel « vendu à l’étranger », Saʻd Al-Dîn Ibrâhîm10. À la suite de cette campagne de presse, la personne de Hamzâwî suscita l’intérêt des services de sécurité. Des agents se seraient rendus à l’université du Caire pour s’enquérir de la date de son retour – un avertissement qui poussa Hamzâwî à annuler son intervention au sein d’une conférence organisée par la bibliothèque d’Alexandrie. Il renonça à se rendre en Égypte pendant la période 2007-200811. Ainsi, Hamzâwî s’est construit la réputation d’un intellectuel critique du régime de Moubarak, intégré dans des cercles académiques, et dépourvu de toute ambition politique. Néanmoins, ce capital accumulé à l’étranger constitua aussi le point majeur de la vulnérabilité de sa candidature, offrant à ses détracteurs l’occasion de lui lancer deux types d’accusations : la méconnaissance de l’Égypte, d’une part, et l’action au service des intérêts étrangers, d’autre part. À l’ère du soupçon et de la prolifération des théories du complot, la carrière à l’étranger de Hamzâwî n’a pas manqué de faire naître rumeurs et accusations, contraignant celui-ci à déployer des stratégies d’argumentation et de légitimation afin de convertir ce handicap en atout.

9 Dès l’année 2006, ʻAmr Hamzâwî commença à gagner en notoriété dans les médias internationaux grâce à ses interventions fréquentes à titre d’expert en politique

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égyptienne dans les émissions diffusées par les chaînes satellitaires panarabes Al-Jazîra et BBC Arabic, ainsi que par ses articles d’opinion bimensuels publiés dans le quotidien Al-Hayât. Pendant l’été 2010, Hamzâwî s’investit sur la scène intellectuelle égyptienne avec des contributions quotidiennes dans la page d’opinion d’Al-Churûq, qu’il transforme après le déclenchement du mouvement de protestation, en courts commentaires sur la situation intitulés « De la place Tahrîr ». Après la démission de Moubarak, Hamzâwî s’associe à plusieurs initiatives lancées par les intellectuels en vue de créer une instance susceptible de jouer un rôle d’interlocuteur auprès du CSFA et de formuler une stratégie de transition politique « sécurisée »12. Enfin, il se voit proposer par le Premier ministre d’alors, Ahmad Chafîq, le poste de ministre de la Jeunesse – offre qu’il refuse. Depuis lors, la personne de ʻAmr Hamzâwî devient omniprésente dans l’espace public : il évolue d’un talk-show à un autre, d’une table-ronde à une conférence, et participe à des initiatives politiques sans lendemains. Bref, il s’investit pleinement dans les nouveaux réseaux de sociabilité des intellectuels. Réputé pour son éloquence, son charisme et son contact facile – qualités recherchées par les médias –, mais aussi pour sa rigueur et la pertinence de ses analyses politiques, Hamzâwî est sollicité aussi bien par les chaînes télévisées que par les organisateurs de conférences académiques. Enfin, au début du mois de septembre 2011, Hamzâwî lance son propre programme de talk-show, « Discussion égyptienne » (Kalâm misrî) sur CBC, qu’il arrête au bout de sept émissions pour « ne pas transformer l’émission en outil de propagande au service de sa candidature ».

10 Sur fond de surexposition médiatique, la révélation publique de sa liaison avec l’actrice et chanteuse Basmâ Ahmad Darwîch, après l’attaque de leur véhicule par des malfaiteurs dans une banlieue cairote en plein mois de Ramadan, poussa Hamzâwî à jouer la carte du people. Si, au début, il nia catégoriquement l’existence de la liaison, la relation fut reconnue après la publication, dans le quotidien Al-Churûq, d’un plaidoyer de l’intéressé pour la « liberté personnelle de choisir l’objet de son amour, quelles que soient ses origines ou le milieu professionnel dont il est issu13 ». Écrit dans un langage sincère et touchant, l’article a été inévitablement lu comme une déclaration d’amour à « la reine de son cœur », Basmâ. Au lendemain de la parution de l’article, l’événement fut au centre des discussions des talk-shows, des articles de presse, des réseaux sociaux, alors que sur Youtube se multipliaient les chansons composées à la gloire de Hamzâwî et de Basmâ14. Il devint ainsi un héros romantique auprès d’une partie de la jeunesse égyptienne, si bien que ses détracteurs eurent du mal à trouver des contre-arguments sans tomber dans un conservatisme vieille école. Le couple n’hésita plus à s’afficher ensemble en public dans les marches de protestation, les plateaux télévisés et même dans le cadre des tournées électorales à Héliopolis, étant sûrs d’attirer des foules de jeunes séduits par l’opportunité d’assister à une histoire d’amour en direct.

11 Cette mise en scène de la vie privée permit à Hamzâwî de conforter son identité libérale. En défendant la liberté amoureuse, Hamzâwî parvint à transformer son histoire personnelle en acte politique. En définitive, il réussit à s’imposer dans les milieux politiques comme une personnalité controversée, courageuse et prête à défier les conventions sociales, au nom d’une vision politiquement libérale de la société.

La campagne sur le terrain

12 « Un nouveau commencement pour la nouvelle Égypte » (bidâya jadîda li-misr jadîda), c’est avec ce slogan conçu à travers un jeu de mots – la nouvelle Égypte étant le nom

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arabe de Héliopolis – que Hamzâwî débarqua sur le terrain de la compétition électorale. S’insérant parfaitement dans les priorités de l’Égypte de l’après Moubarak, le thème de la rupture constituait l’axe majeur de sa campagne. Il chercha à incarner la rupture aussi bien par le choix des supports matériels de sa campagne que dans les stratégies argumentatives déployées pour justifier sa candidature. Cette volonté de rupture se révèle notamment dans son refus explicite d’incarner le rôle du député tel qu’il était conçu traditionnellement chez les électeurs égyptiens. Ce rôle traditionnel s’incarne dans quatre registres du pouvoir : le pouvoir politique, fondé sur la proximité du candidat à l’État et sur sa capacité à fournir des services à ses électeurs ; le pouvoir financier, garantissant la prédisposition du candidat à apporter un secours matériel aux pauvres ; le pouvoir familial, s’appuyant sur la logique de l’ancrage local et de la proximité du candidat et de sa famille avec les électeurs de la circonscription ; et le pouvoir religieux, grâce auquel le candidat dispose d’une légitimité à représenter ses mandants en tant que groupe confessionnel15.

13 Dans les élections précédentes, le critère essentiel de la légitimité du candidat se fondait sur les relations que ce dernier entretenait avec l’État. Le succès électoral était conditionné par la capacité du candidat à mobiliser ses réseaux personnels pour offrir des services aux habitants. La figure du notable local, proche des cercles du pouvoir et disposant d’un bilan solide en matière d’action sociale, médicale et éducative, traduisait l’idéal-type du candidat vainqueur16. Avec la chute de Moubarak, c’est la légitimité révolutionnaire qui devient la ressource principale des candidats – fondée, elle, sur leur distance critique avec l’ancien régime. Cette nouvelle configuration politique a permis à Hamzâwî de construire son discours électoral sur le refus de la figure du député « pourvoyeur de services ». Il fait ainsi de nécessité vertu. Il n’était pas issu de Héliopolis et il ne disposait pas d’appuis locaux dans cette circonscription. Ce qui pouvait apparaître comme un handicap dans la compétition électorale a donc été transformé en atout. Le candidat s’est ainsi lancé dans la critique d’une représentation politique fondée sur les « circonscriptions naturelles » (dâ’ira tabîʻiya) établies en fonction de critères démographiques, sociologiques et historiques. D’après Hamzâwî, cette forme de représentation encourage les candidats à s’appuyer sur leurs réseaux locaux de solidarité, favorisant ainsi le clientélisme. Il explique que sa décision de se présenter pour le siège individuel d’Héliopolis se fonde « sur un choix conscient ». Se refusant à exploiter « des relations personnelles ou familiales ou une présence sur le terrain », il promeut la vision « d’un programme électoral et d’un projet politique ». Selon lui, « la logique de la circonscription naturelle a produit les parlements les plus corrompus en Égypte : les parlements des “députés de services”(nuwâb al-khidma) qui fournissaient des services à un nombre restreint d’habitants, des parlements minés par le favoritisme et la corruption rampante, et cela tout au long des vingt dernières années ! »17. Il souligne aussi au cours de sa campagne que le candidat aux législatives n’est pas un candidat local mais le candidat de toute la nation (nâ’ib al-umma), chargé d’œuvrer au bien-être de l’ensemble des habitants de sa circonscription par le biais du travail législatif au Parlement. « Dans les législatives, il faut rompre avec la logique de la circonscription naturelle »18, conclut-il.

14 La sélection des thématiques mises en avant dans les meetings électoraux tenus par Hamzâwî à Héliopolis a été faite pour conforter cette image de « candidat de la nation ». Si, à l’instar de la majorité des programmes présentés, celui de Hamzâwî comportait deux volets, national et local, les priorités nationales dominaient. Arrêtons-

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nous tout d’abord sur ses engagements au niveau local. D’une manière générale, Hamzâwî insiste sur trois dossiers : le problème des embouteillages, de la propreté et de la préservation d’un héritage architectural qui a fait la réputation d’Héliopolis. Hamzâwî propose d’étendre la ligne de métro de Héliopolis pour le relier à Nuzha et d’organiser des campagnes de nettoyage et d’embellissement du quartier en partenariat avec des entreprises privées. Pour remédier à la situation des habitats les plus défavorisés, à Manchiyat Al-Bakrî, Mantiqat Al-Badr, Haykestep et Maydân Al- Gâmi’, il convient, selon lui, de construire des écoles et des hôpitaux publics. Il faut aussi développer des centres pour la jeunesse et assurer une formation technique et industrielle afin de remédier au problème du chômage – tout cela en s’appuyant sur les initiatives privées, à travers les investissements d’hommes d’affaires locaux et de propriétaires d’usines19. Il convient de noter que cette volonté d’impliquer des hommes d’affaires dans son projet de développement visait à mobiliser les appuis locaux dont il était dépourvu. Cependant, malgré l’intérêt accordé aux préoccupations locales, ce sont surtout les problématiques nationales qui forment la base du message politique. Les nouveaux enjeux politiques de l’après Moubarak, liés à l’espoir de voir naître un nouvel ordre politique, orientent la sélection des thèmes : rédaction de la nouvelle Constitution, garantie de la laïcité de l’État, protection de l’État de droit et de l’égalité des droits des citoyens, lutte contre la discrimination, etc. C’est sur ces sujets que Hamzâwî a conduit son discours de mobilisation sur le terrain en donnant à ses conférences et à ses discours une visée éducative, incluant une pédagogie du libéralisme politique, des leçons sur les enjeux de l’acte électoral et de la participation politique, une explication de la mission du député au Parlement, du rôle des institutions dans un système démocratique et de la nécessité du dialogue avec les groupes islamistes.

15 Ce thème de la rupture s’est reflété non seulement dans le choix des thématiques mais aussi dans sa manière de conduire la campagne sur le terrain. Il dénonce ainsi ce qu’il nomme « la propagande négative » caractérisée par le dénigrement systématique des candidats rivaux et l’arrachage de leurs affiches électorales20. Il fait signer aux candidats de la circonscription une « charte d’honneur » (mithâq al-charaf) en faveur d’une campagne honorable. Il se veut facilement accessible dans sa permanence de la place San Fatima à Héliopolis. Il promeut la transparence grâce à la diffusion quotidienne de courtes vidéos sur Youtube, dans lesquelles il raconte ses journées de campagne. Il marque aussi sa différence avec ses rivaux en ayant recours à un dispositif électoral plus discret que celui de ses concurrents. Des affiches simples, avec un papier plastifié au lieu des bannières traditionnelles en tissu, ont été suspendues en des points stratégiques de Héliopolis, sans sacrifier à la saturation du sur-affichage. De même, Hamzâwî a évité les processions bruyantes accompagnées de véhicules diffusant de la musique populaire, préférant clôturer sa campagne avec une tournée dans le quartier en bus panoramique. C’est sur ces ressources, coûteuses et inhabituelles, qu’a porté la critique de ses rivaux, qui l’ont accusé d’être « un riche venu de l’Allemagne ».

16 Toutefois, le choix d’Héliopolis s’explique en termes stratégiques : Héliopolis est la circonscription où le projet politique de Hamzâwî avait les plus fortes chances de mobiliser l’électorat. Deux facteurs ont particulièrement favorisé sa candidature : la composition socio-économique et confessionnelle de Héliopolis et le nouveau système de découpage des circonscriptions mis en place par le code électoral de septembre 2011. Outre Héliopolis, les quartiers qui composent la 4e circonscription – Madînat Badr, Madînat Al-Churûq et Al-Nuzha – sont des « villes nouvelles » situées en plein désert,

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qui accueillent majoritairement une population aisée. Par conséquent, l’insignifiance démographique des habitats présentant des besoins urgents de services (pour en mentionner quelques uns : Mantiqat Al-Badr, Haykestep, Maydân Al-Gâmi’) a affaibli la pratique clientéliste de l’échange – « une voix contre un service ». En outre, l’importante communauté chrétienne que compte Héliopolis semblait prédisposée à voter pour Hamzâwî, dans la mesure où son rival principal était le candidat islamiste du parti de la Liberté et de la Justice, bras politique des Frères musulmans, Muhammad Abû Al-ʻAzm. Pour ne pas risquer la dispersion des voix, il vallait mieux voter pour Hamzâwî que pour Muhammad Salâh, candidat des « Égyptien Libres », parti fondé par l’homme d’affaires copte Nagîb Sâwîris, associé traditionnellement à l’électorat copte. À cet égard, l’importance accordée à la question copte par Hamzâwî dans son discours électoral n’est pas surprenante. Outre l’intérêt porté au problème de la discrimination à l’égard des coptes, et à leur exclusion du jeu politique, notamment dans ses articles publiés dans le quotidien Al-Churûq21, ce fut à la cathédrale Saint-Marc à ʻAbâsiyya, et en présence d’évêques coptes, que Hamzâwî a annoncé, en mars 2011, la fondation du « parti Égyptien Démocratique et Socialiste » – parti auquel il s’associa mais dont il se retira ensuite. Sa participation à une chorale de Noël dans une église à Héliopolis acheva le processus d’auto-identification de l’électorat copte à la figure de Hamzâwî en créant une (utile) confusion sur ses liens supposés avec le parti des Égyptien Libres22.

17 Enfin, l’élargissement des circonscriptions provoqué par le nouveau découpage électoral (9 circonscriptions pour le gouvernorat du Caire) marginalise les notables locaux et favorise les personnalités connues au niveau national. Cette notoriété pouvait être acquise soit grâce aux médias, soit grâce à des ressources financières suffisantes pour se faire connaître à l’échelle d’une circonscription. C’est ici qu’intervient l’importance de l’exposition médiatique de ʻAmr Hamzâwî : grâce à la télévision, il était déjà connu à Héliopolis bien avant le lancement de sa campagne électorale. Conscient de l’importance de son image construite par les médias, Hamzâwî exploita sa renommée médiatique. En se présentant sur le terrain accompagné de sa compagne Basmâ, il a réussi à transformer ses tournées électorales en un show, une sorte de spectacle, baigné dans une ambiance de fête et de bonne humeur, attirant une masse d’électeurs potentiels désireux de voir « en vrai » une vedette de la télévision. C’est également sa notoriété médiatique qui a permis à Hamzâwî de se passer d’ancrage local. La crédibilité politique acquise grâce à son activisme après le départ de Moubarak a été renforcée par les médias, qui lui ont conféré l’influence politique lui permettant de remporter la victoire électorale. C’est ainsi qu’en choisissant les personnalités dignes de participer à la discussion publique, les médias ont accompli un véritable travail d’ « investiture » d’une nouvelle élite politique, à l’heure où les anciennes élites ont été délégitimées par la situation révolutionnaire.

Heurs et malheurs de l’universitaire en campagne électorale

Assurer l’intégrité révolutionnaire : le calvaire contre les rumeurs

18 Ce qui suit est consacré à l’étude des stratégies argumentatives que ʻAmr Hamzâwî a employées pour justifier sa candidature et pour contrer deux types d’accusation qui lui étaient adressées : son caractère de « khawâga23 » lié à son séjour à l’étranger, consacré

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par l’acquisition de la nationalité allemande, et son parachutage sur la scène politique. La nouvelle configuration politique créée par la chute de Moubarak a fourni des arguments puissants pour contrer ce type d’accusation : la sphère politique ouverte par « la révolution du 25 janvier » était destinée à accueillir de nouveaux acteurs, en particulier ceux qui en avaient été exclus auparavant. « La révolution du 25 janvier » formait au moment des élections législatives la base de la légitimité de toute action politique – on avait du mal, en effet, à trouver des forces politiques actives se revendiquant explicitement du régime de Moubarak. Dès lors, les candidats ont fondé leur légitimité politique sur leur engagement dans le soulèvement populaire et leur distance à l’État comme gages de leur « intégrité révolutionnaire ». D’une manière générale, on peut garantir son « intégrité révolutionnaire » de deux façons : soit en mettant en avant une opposition au régime de Moubarak dans les années précédant sa chute, avec pour comble d’efficacité l’arrestation et le séjour en prison (sort subi par les intellectuels activistes du mouvement Kifâya et des militants Frères musulmans) ; soit en excipant d’une absence physique dans le pays pendant la période autoritaire, garante de l’immunité face à toute accusation de compromission politique. Les trajectoires de Muhammad Al-Barâdʻî et de ʻAmr Hamzâwî remplissent cette dernière condition. Il va sans dire que la première voie, comportant davantage de souffrances et de sacrifices, est porteuse de meilleures chances politiques. Hamzâwî a puisé dans les deux types d’argumentation : il s’est présenté comme un activiste, un opposant, en tant que tel sujet à la répression du régime, et comme un intellectuel ayant acquis à l’étranger le savoir et la compétence nécessaires pour la construction de « la nouvelle Égypte ».

19 Le séjour à l’étranger est une arme à double tranchant : en fonction du public auquel on s’adresse, il peut constituer aussi bien un préjudice qu’un atout. Si l’éducation et l’expérience acquises à l’étranger confèrent au candidat une certaine couleur de modernité, rimant avec ouverture d’esprit et compétence, le séjour en dehors d’Égypte peut nourrir une accusation d’ignorance vis-à-vis des réalités de la société égyptienne. On devient coupable de préférer le confort de l’étranger au partage des souffrances du peuple, voire de trahir la patrie et d’être à la solde de l’étranger. Cette perception contradictoire est sans doute liée au rapport ambivalent « d’amour-haine » qu’entretient la société égyptienne avec ce qu’elle désigne comme l’Occident. En partant de ce constat, Hamzâwî a du jouer sur plusieurs facettes de sa biographie pour exposer les raisons de ses choix, afin d’agréger effectivement les groupes et les soutiens les plus divers.

20 Tout d’abord, Hamzâwî a insisté sur le fait que son départ en Europe avait été motivé par la quête d’un savoir et d’une compétence qu’il se promettait de mettre au service de l’Égypte. Le prix de l’exil n’a pas signifié la perte de contact avec les réalités égyptiennes, puisque Hamzâwî a souligné que son travail au sein de l’institut Carnegie, consacré au dossier égyptien, lui a permis d’acquérir une bonne connaissance de la situation politique de l’Égypte. De surcroît, il a acquis aux États-Unis une expertise en matière de transition démocratique. Dans un talk-show salafiste, « Misr Jadîda » (Nouvelle Égypte), Hamzâwî explique en ces termes les raisons de son départ d’Égypte à l’animateur de l’émission, la vedette salafiste Khâlid ʻAbdallah : « Mon passage dans ces trois pays (Pays-Bas, Allemagne, États-Unis) était lié au travail académique qui portait continûment sur l’Égypte. Je me suis spécialisé dans la science politique, la philosophie politique, l’étude des transitions démocratiques. Tous mes articles ne concernent que

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l’Égypte (…). En toute honnêteté et objectivité, j’ai énormément profité de mon expérience à l’étranger. L’expérience académique et celle de la vie dans un nouveau contexte est bénéfique : (elle invite à l’ouverture des horizons et du regard. Et nous ne devons pas en avoir peur : je n’ai pas peur de regarder l’Autre (l’Occident), mais je dialogue avec lui et je profite de ses connaissances ». En plus de lui avoir donné l’occasion de manifester l’existence d’un avantage, lié à son « ouverture à l’Autre » par rapport à son interlocuteur Khâlîd ʻAbdallah, son séjour à l’étranger lui a permis également de se forger une réputation d’opposant au régime égyptien par l’exercice de la plume. C’est à cause de ses articles publiés par la Carnegie ou par la presse anglophone que Hamzâwî aurait été contraint à l’exil volontaire entre 2007 et 2008. Il possède ainsi un équivalent du séjour en prison sur la terre natale, ce qui renforce sa prétention révolutionnaire. Pour contrer l’accusation de « parachutage », Hamzâwî rétorque qu’il a toujours été proche de l’Égypte à travers ses contributions dans les quotidiens Al-Masrî Al-Yawm et Al-Churûq24 et son expérience à la Carnegie, dont « peut s’enorgueillir chaque universitaire25 ». Et même si cela n’était pas le cas, « chaque citoyen égyptien a le droit de décider à tout moment de s’intéresser aux affaires publiques et politiques, et personne d’autre ne peut l’en priver sous prétexte de son absence dans la vie politique antérieure ». « La révolution n’est la propriété de personne26 », tranche-t-il.

21 Revenant sans cesse dans les débats électoraux, l’affaire de la double nationalité de ʻAmr Hamzâwî a constitué un véritable talon d’Achille. La décision prise pendant son séjour à Berlin de renoncer temporairement à sa nationalité d’origine pour accéder à la nationalité allemande a été mal perçue par une large partie de la société égyptienne, imprégnée d’un fort sentiment national. Parce qu’il n’était pas possible de transformer cet handicap en atout, Hamzâwî a été contraint de renoncer à sa nationalité allemande, décision qu’il annoncera le 17 novembre 2011, juste après l’ouverture officielle de la campagne électorale le 8 novembre. Les retards pris dans cette décision ne furent pas sans conséquence, et provoquèrent, dans un climat de rumeurs sur sa non-éligibilité au Parlement, le dépôt de nombreuses plaintes contre sa candidature ainsi que des demandes exprimées par les hommes politiques visant à interdire les porteurs de la double nationalité de se présenter aux élections27. Brandissant l’acte officiel du renoncement à la nationalité allemande dans ses apparitions publiques, Hamzâwî mena une véritable guerre contre ces rumeurs, qui mettaient en cause sa loyauté à l’égard de la patrie.

Se servir de l’identité d’universitaire

22 L’argumentation visant à exploiter la ressource universitaire s’est surtout déployée dans les contributions de Hamzâwî au journal Al-Churûq. Hamzâwî a mis en avant deux attributs associés à l’identité d’universitaire : sa qualité d’expert, de dépositaire d’un savoir technique sur les façons de mener une transition démocratique, d’une part, et sa qualité d’impartialité, permettant de créer une impression de distance à l’égard du jeu politique, d’autre part. Hamzâwî a converti un capital intellectuel accumulé à l’Université en capital politique. Ce transfert du savoir académique vers le champ politique s’exprima, tout d’abord par l’emploi dans ses articles d’Al-Churûq d’une langue savante tirée du lexique de la science politique. En se parant des atours de la science, et donc de la vérité, le discours savant a un effet social certain, conférant à celui qui le prononce « le monopole du point de vue légitime28 ». En employant le langage de la

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science politique, Hamzâwî se dota de l’autorité et de la légitimité pour « parler politique » à partir de sa position d’expert. Au langage s’ajoutèrent les idées politiques que Hamzâwî présenta sous la forme de « recommandations ». Il s’autorisa en effet, dans ses articles d’Al-Churûq, à dicter, point par point, des recommandations au Conseil militaire pour le guider dans le processus de la transition politique. Il agit de même à l’endroit du ministère de l’Intérieur pour remédier au vide sécuritaire dont souffrait la société égyptienne et prodigua des conseils aux candidats engagés dans la course aux élections29. Ainsi, en mettant en avant sa qualité d’expert en politique, Hamzâwî suggérait que son savoir sur la transition démocratique lui fournissait la légitimité nécessaire pour conduire, lui-même, ladite transition.

23 Puisque le savoir et la science prétendent à l’impartialité, l’identité de l’universitaire a également permis à Hamzâwî à construire l’illusion de l’objectivité et de la prise de distance à l’égard du jeu politique. En tant qu’expert en science politique, Hamzâwî a commenté les tractations menées par les autres candidats comme s’il se situait à l’extérieur du champ politique. Ainsi, il adressa des critiques aux candidats coupables de ne pas suffisamment exposer leurs options politiques à l’opinion publique, de passer d’un parti à l’autre ou de se présenter aux élections à titre individuel30, critiques auxquelles il opposait sa propre confession sur les raisons qui l’avaient poussé à quitter le parti Égyptien Démocratique et Socialiste, à adhérer à la liste du Bloc Égyptien et à s’en retirer ensuite, à créer son propre parti politique – l’Égypte de la liberté – mais à se présenter, en fin de compte, à titre individuel aux élections31. Ses critiques à l’égard de l’élite politique égyptienne, « manquant de professionnalisme » et « incapable de travailler en équipe », s’inscrivaient dans la même veine, de même que celle de « l’étroitesse de la vision » des acteurs politiques dans leur poursuite d’intérêts particuliers en lieu et place de l’intérêt général32. Même dans les yawmiyât (le journal quotidien) qu’il lança à l’occasion de l’ouverture de sa campagne électorale et dont le but était de « sauver l’universitaire, de maintenir la rationalité de la réflexion et la capacité à faire son autocritique », Hamzâwî s’attacha à dénoncer le caractère non démocratique des pratiques électorales déployées par ses rivaux33. Enfin, l’identité de savant lui servit de refuge lorsque la tension entre sa figure d’homme politique et celle d’universitaire devenait insurmontable. À plusieurs reprises, Hamzâwî exprima la difficulté de concilier les deux aspects de son identité. À la différence d’un intellectuel, qui doit faire preuve de liberté de pensée et de désintéressement, la liberté de l’homme politique est restreinte par les attentes de sa base électorale. Le lancement des yawmiyât dans Al-Churûq fut précisément une tentative pour concilier ces deux identités en portant un regard réflexif sur le déroulement de sa campagne. Cependant, lorsque Hamzâwî était exposé à la critique à cause de ses prises de position, il se réfugiait dans l’identité de l’intellectuel en invoquant la liberté individuelle. Ainsi, dans sa réponse à une attaque lancée par son propre camp en réaction à sa participation à l’émission salafiste de Khâlid Abdallah, il confia : « Dans ces moments, je reviens à ma vie antérieure, à la vie d’un universitaire, d’un chercheur et d’un écrivain, qui corrige et précise ses idées en toute liberté, sans être sujet à des pratiques dictatoriales qui visent à le faire taire ou à l’interdire. Devant moi, le chemin est encore long pour m’habituer à la vie politique et, peut être ne m’y habituerai-je jamais34 ».

24 Il faut noter, cependant, que le recours à la légitimité universitaire dans le combat politique était probablement une conduite inconsciente, imputable à sa double identité d’intellectuel et d’homme politique, et aux tensions qu’elle générait. Camoufler les

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armes du combat politique en instruments d’analyse est une conduite, si l’on en croit Pierre Bourdieu, propre au champ intellectuel et scientifique35, qui se fonde sur un type spécifique de légitimité dont jouissent les intellectuels, en particulier dans les cultures où ils continuent de bénéficier d’un grand prestige social. Le capital universitaire dont sont gratifiés les universitaires leur permet d’user de la force symbolique de la science pour se poser en juge du jeu politique. Toutefois, au cours de sa carrière politique, Hamzâwî semble avoir assumé de plus en plus son identité de professionnel du politique au détriment de la figure de « l’intellectuel libre » qu’il incarnait auparavant. Si Hamzâwî s’était distingué comme un défenseur de la doctrine du libéralisme, prêt à défier les conventions sociales, son engagement dans le jeu politique institutionnel a eu pour résultat un certain infléchissement de sa radicalité initiale. L’événement marquant fut sa participation à l’émission salafiste Misr Jadîda, évoquée précédemment, qui fut une véritable onde du choc dans les milieux libéraux. Si son consentement à participer à une émission opposée aux libéraux était manifestement un acte de courage, ses prises de positions contre le mariage civil dont il était, auparavant, le défenseur36, de même que sa promesse de respecter la loi islamique dans la législation, ont été perçues comme une compromission avec les courants islamistes. Aux accusations qui ont suivi l’émission, Hamzâwî a répondu par deux articles où il a défendu ses positions comme conformes à l’essence du libéralisme tout en accusant ses critiques d’ignorance, leur reprochant de se comporter comme les islamistes qui refusent le dialogue37. L’investissement de Hamzâwî dans une identité politique était manifeste dans l’argumentaire avancé pour justifier son renoncement à défendre les principes contraires à la loi islamique. Il invoquait, à cet égard, sa vocation à représenter l’ensemble des Égyptien en sa qualité de député, et la responsabilité politique qui en découlait : « À un aucun moment, ni lors d’une aucune rencontre, je n’ai appelé à des pratiques contredisant la loi islamique. Je n’y ai pas appelé et je les refuse d’une manière claire, comme les refuse toute personne raisonnée en Égypte, surtout si cette personne raisonnée veut pratiquer la politique, parce qu’elle connaît l’importance de la loi islamique et de ses principes pour les Égyptiens38 ». En énonçant son refus de défendre des principes qui vont à l’encontre des valeurs des Égyptiens, au motif qu’il est appelé, en tant que député au Parlement, à tous les représenter, Hamzâwî s’éloigne de sa figure d’intellectuel libre, prêt à défier les traditions, et s’approche de celle d’un homme politique, appelé à modérer ses perspectives pour élargir sa base électorale.

Conclusion

25 En période électorale, une des qualités essentielles des candidats est leur capacité à être connu et reconnu par les électeurs. À cet égard, les médias, aussi bien les chaînes télévisées que la presse dite indépendante, se sont révélés des vecteurs incontournables pour faire connaître les nouvelles personnalités sur la scène politique bouillonnante de l’après Moubarak. En fournissant l’accès à leurs plateaux télévisés à certaines personnalités, les chaînes télévisées ont contribué à accroître leur visibilité et leur influence auprès du public en contribuant ainsi à l’investiture des candidats. La peoplisation de la compétition électorale que suggère l’examen de la campagne de Hamzâwî pourrait bien constituer un trait constant des élections à venir, compte tenu du rôle grandissant que jouent les médias sur la scène politique. L’importance du facteur médiatique dans les élections réside dans le fait qu’il contribue à marginaliser,

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ne fut-ce que dans certaines circonscriptions électorales comme Héliopolis, le facteur de la notabilité locale qui est le principe traditionnel de la légitimité électorale. Cela a permis à Hamzâwî d’organiser sa campagne électorale sur le terrain autour du thème de la rupture d’avec les pratiques corrompues héritées de l’ancien régime, et de se forger l’image d’un initiateur de pratiques purement démocratiques.

26 Cette figure a été appuyée par son identité d’universitaire armé de savoir et de compétence pour mener à bien la transition démocratique. Le prestige scientifique dont jouissait Hamzâwî a été d’autant plus puissant qu’il a été acquis en Occident, ce qui constitue, certes, un sérieux handicap lorsque le soupçon est de mise, mais confère également une certaine autorité à son détenteur, fondée sur l’idée de la qualité de l’enseignement et de la recherche scientifique en Europe. Si sa double identité d’homme politique et d’universitaire était une source de tensions et de contradictions, elle lui a apporté un certain avantage : elle lui a permis d’alterner ses positionnements par rapport au champ politique, et d’agir en universitaire, situé en dehors du champ politique, quand il s’agissait de commenter et d’évaluer le jeu politique, mais aussi de se transformer en homme politique, appelé à représenter la nation au Parlement. Dans la mesure où les champs intellectuel et académique se parent des apparences de la liberté d’expression et de pensée, ils sont moins sujets au discrédit que le champ politique, par définition corrompu et corrupteur. Cette double identité d’universitaire et d’homme politique en rejoint une autre, non dépourvue, elle aussi, de tensions internes : celle du révolutionnaire-député au Parlement, que Hamzâwî a dû assumer après sa victoire électorale. Dans le contexte où s’affrontent deux types de légitimité, celle de Tahrîr et celle du Parlement, que peut devenir un révolutionnaire élu au Parlement ? C’est cette difficulté à concilier ces deux types de légitimité qui explique les atermoiements du discours de ʻAmr Hamzâwî.

BIBLIOGRAPHIE

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NOTES

1. Neveu du président assassiné Anouar Al-Sadate, Talʻat Al-Sâdât a été membre du Parlement en 2005-2010. Après le départ de Hosni Moubarak, il a assuré la direction du parti National Démocratique en espérant le réformer, mais le parti a été dissous peu après. Ensuite, il a fondé son propre parti, le parti National Égyptien. Il est brutalement décédé en en novembre 2011, juste après le lancement de sa campagne électorale. 2. Enrique Klaus, « Les journalistes face à la révolution. L’histoire de la presse égyptienne », La Vie des Idées, 21 octobre 2011, http://www.laviedesidees.fr/Les- journalistes-face-aux.html?lang=fr (accédé en février 2012). 3. À titre d’exemple, une discussion sur « L’Avenir des médias en Égypte » diffusée dans un débat télévisé « Le dernier mot » (âkhir kalâm) en mai 2011 sur ONTV : http:// www.youtube.com/watch?v=fs5Z_MZ0Lms (accédé en février 2012). L’indépendance et le caractère révolutionnaire des chaînes privées sont discutables. Chaque chaîne privée a sa propre sensibilité vis-à-vis d’un mouvement de contestation lui-même hétérogène, et rares sont celles qui osent ouvrir le débat sur des questions impliquant les activités de l’armée. La liberté des animateurs des talk-shows est toujours soumise à des restrictions, comme en témoigne la suspension de l’émission âkhir kalâm par son animateur Yusrî Fûda en signe de protestation contre la censure, et le licenciement de Dîna ʻAbd Al-Rahmân après ses critiques adressées au CSFA. L’appartenance des chaînes privées aux hommes d’affaires enrichis sous le régime de Moubarak, et dont certains, à l’instar de Nagîb Sâwîris, ont un agenda politique, font que l’indépendance des chaînes privées demeure très relative. 4. À partir du mois de septembre 2011, le CSFA a gelé l’octroi de nouvelles licences à des chaînes privées. 5. Un exemple significatif de la récupération médiatique des figures associées à la contestation puis de leur conversion en « leaders de la révolution » est offert par le cas de « l’imâm révolutionnaire » Mazhar Châhîn. Imâm de la mosquée stratégique d’Omar Makram, située à Tahrîr et transformée en hôpital improvisé lors des affrontements, Mazhar Châhîn s’est illustré par ses sermons du vendredi prononcés directement sur la place. En septembre 2011, Mazhar Châhîn est invité par la chaîne CBC pour animer un talk-show « Des Gens et des gens » (Nâs wa Nâs). 6. Fathî Abû Hatab, manager des communautés en ligne d’Al-Masrî Al-Yawm, cité par H. Klaus, op cit. 7. Cette observation repose sur l’examen des auteurs d’articles d’opinion parus dans Al- Churûq entre le 11 février 2011 et 30 mars 2011. 8. À ce titre, on peut évoquer les exemples de ʻAlî Al-Silmî, ancien vice-Premier ministre dans le second cabinet de ʻIsâm Charaf (3 mars-21 novembre 2011), et de ʻImâd Abû Ghâzî, directeur du Conseil supérieur de la Culture à l’époque de Moubarak et ministre de la Culture dans le cabinet de ʻIsâm Charaf jusqu’à sa démission le 20 novembre 2011. ʻAlî Al-Silmî, auteur d’un « document constitutionnel » controversé qui immunisait l’armée contre le contrôle parlementaire, a commencé à écrire dans Al- Masrî Al-Yawm à partir du 27 décembre 2011, après avoir quitté son poste de vice- Premier ministre. Quant à ʻImâd Abû Ghâzî, contesté dans les milieux de la culture à cause de sa proximité avec l’ancien régime, ses articles paraissent dans Al-Churûq à partir de janvier 2012.

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9. A. Mûsâ, « Secrets de l’ouverture des négociations entre les États-Unis et les Frères musulmans » (Asrâr fath hiwâr bayn al-wilayât al-mutahida wa gamâʻat Al-Ikhwân), Al- Ahrâm, 14 avril 2007, http://www.ahram.org.eg/Archive/2007/4/14/INVE11.HTM (accédé en février 2012). 10. Mustafa Ragab, « L’Allemand ʻAmr suit Saʻd Al-Dîn Ibrahîm » (Rûz Al-Yûsif, 21-27 avril 2007. Saʻd Al-Dîn Ibrahîm est le fondateur du Centre d’études Ibn Khaldûn sur le développement (ICDS) ainsi que de l’Organisation Arabe pour les droits humains (AOHR). Accusé d’être à la solde de l’Occident en raison du recours d’ICDS à des fonds américains, Saʻd Al-Dîn Ibrahîm a été condamné à deux ans de prison pour avoir « insulté l’Égypte ». 11. S. Ahmad Salâma, « ʻAmr Hamzâwî et la sécurité » ( ʻAmr Hamzâwî wal-amn), Huriyitnâ, 9 mai 2007, http://www.horytna.net/Articles/Details.aspx?AID=450 (accédé en février 2012). 12. Parmi ces initiatives, on peut mentionner la création, le 4 février 2011, du Conseil des sages de la révolution (lajnat hukamâ’ Al-Thawra) dont ʻAmr Hamzâwî fut le porte- parole. Soupçonné de vouloir s’imposer aux manifestants de Tahrîr, le Conseil se dissout le 8 février après la publication de quatre communiqués adressés au CSFA. 13. A. Hamzâwî, « Je doute » ( achuk), Al-Churûq , 18 août 2011, http:// www.shorouknews.com/columns/view.aspx? cdate=18082011&id=1ac8b95a-7917-4fa7-9c96-a57a69b60cb2 (accédé en février 2012). 14. On pourrait citer en exemple une chanson rap intitulée « Je doute » ( achuk), composée par le rappeur égyptien 7orus, dans laquelle il prend la défense de Hamzâwî http://www.youtube.com/watch?v=bInvoyQDo7Y&fb_source=message (accédé en mars 2012). 15. Néfissa Hassan Dessouki, « Représentations du rôle du député chez les électeurs égyptiens : le cas des circonscriptions 24 et 25 de Hélouane », dans Florian Kohstall et Frédéric Vairel (dir.) « Fabrique des élections », Égypte/Monde arabe, vol. 3, n° 7, 2011. 16. Sarah Ben Nefissa et Alâ’ Al-dîn Arafat, Vote et démocratie dans l’Égypte contemporaine, Paris, IRD-Karthala, 2005. 17. Propos tenus lors de sa conférence organisée dans le cadre de sa campagne électorale à l’hôtel Sonesta, Héliopolis, novembre 2011. 18. A. Hamzâwî, « Sur ce qui se passe sur la scène politique » (Baʻd ma yadûr fi-l-sahât al- siyâsiyya), Al-Churûq, 25 octobre 2011. 19. Conférence de presse donnée à l’occasion du lancement de son programme électoral intitulé « La circonscription, l’exemple pour le pays », tenue le 13 novembre 2011. Hamzâwî a amorcé la mise en œuvre de ces projets en rendant visite, le 11 janvier 2012, au maire du Caire, ʻAbd Al-Qawî Khalîfa. 20. Cet engagement a été compromis par ses propres volontaires, qui ont collé des affiches de Hamzâwî au dessus de celles du candidat rival Muhammad Saʻd Abû Al- ʻAzm. Hamzâwî s’est vu contraint de lui présenter ses excuses officielles. 21. Par exemple, A. Hamzâwî, « Aux chrétiens d’Égypte » (Ilâ masîhiyî misr), Al-Churûq, 8 mars 2011, « Le droit à la patrie des chrétiens et des musulmans » (Haq al-watan bî- masîhiyîha wa-muslimîha), Al-Churûq, 12 octobre 2011. 22. Plusieurs électeurs rencontrés à Héliopolis étaient convaincus à tort que Hamzâwî était le candidat du parti des Égyptien Libres de Nagîb Sâwîris.

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23. Khawâga est un des termes employés pour désigner « l’étranger » en Égypte. Sur « le complexe du Khawâga » dans les milieux intellectuels égyptiens, voir A. Roussillon, « Intellectuels en crise dans l’Égypte contemporaine », dans Gilles Kepel et Yann Richard (dir.), Intellectuels et militants de l’islam contemporain, Paris, Seuil, 1990. 24. Conférence publique de ʻAmr Hamzâwî à l’hôtel Sonesta, 13 novembre 2011. 25. A. Hamzâwî, « Les défauts de la politique et des médias. La drame de la tromperie et de la surenchère » (Nawâqis al-siyâsa wal -iʻlâm. Ma’asât al-tahâyul wal-muzâyada), Al- Churûq, 26 septembre 2011. 26. A. Hamzâwî, « La Monopolisation de la révolution » (Ihtikâr al-thawra), Al-Churûq, 19 juillet 2011. 27. Le président du parti National Égyptien, Talʻat Al-Sâdât, demanda le 15 novembre 2011 d’interdire aux porteurs d’une double nationalité de se présenter aux élections. 28. Pierre Bourdieu, Langage et pouvoir symbolique, Paris, Seuil, 2001, p. 331-377. 29. Voir respectivement les articles publiés dans Al-Churûq par Hamzâwî, « Les Affaires de la transition démocratique » (Chu’ûn al-tahawul al-dîmuqrâtî), 20 juillet 2011, « La crise sécuritaire… État de lieux et recommandations » (Al-Azma al-amniya… tawsîf wa- tawsiyât), 14 septembre 2011, « Quelques maladies de l’élite politique » (Baʻd amrâd al- nukhba al-siyâsiyya), 21 octobre 2011. 30. A. Hamzâwî, « Quelques remarques sur les partis et les candidats qui se présentent à titre individuel » (Ba’ad mulâhazât al-ahzâb wal-murachahîn ʻalâ al-maqâʻid al-fardiyya), Al- Churûq, 17 octobre 2011. 31. A. Hamzâwî, « La remise au point de l’auto-évaluation politique » (Iʻâdat al-zabt bi- wasla al-zât al-siyâsiyya), 2 parties, Al-Churûq, 19 et 20 octobre 2011. Il convient de noter, en passant, que les tergiversations des partis politiques avant les élections ont été dues à l’environnement légal changeant et indécis, et que les acteurs politiques ont opéré leurs choix en fonction des chances que l’environnement légal leur offrait de remporter les élections. 32. A. Hamzâwî, « Quelques maladies de l’élite politique » (Baʻd amrâd al-nukhba al- siyâsiyya), Al-Churûq, 21 octobre 2011 ; « Le jeu politique » (Al-Luʻba al-siyâsiyya), Al- Churûq, 16 octobre 2011. 33. A. Hamzâwî, « Les élections parlementaires 2011 et le journal quotidien d’un candidat universitaire » (Intikhâbât barlamâniyya 2011 wa-yawmiyât murachah akâdîmî), Al-Churûq, 10 novembre 2011. 34. A. Hamzâwî, « La Dictature au nom du libéralisme » (Diktâtûriyya bi-ism librâlîyya), Al-Churûq, 18 janvier 2012. 35. P. Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Éditions de Minuit, 1984. 36. Dans un talk-show « Al-Qâhira Al-Yawm » (Le Caire Aujourd’hui) diffusé en mai 2011, Hamzâwî s’était prononcé en faveur du mariage civil. En novembre, Hamzâwî réapparaissait dans la même émission pour clarifier sa position en expliquant qu’il ne défendait le droit au mariage civil que pour les cas suivants : le mariage entre un Égyptien et une femme étrangère et le cas du deuxième mariage des femmes chrétiennes. Les extraits des émissions sont sur Youtube : http://www.youtube.com/ watch?v=EUl4lghEZRI et http://www.youtube.com/watch?v=I_7cjVbB1IU&sns=em (accédé en février 2012).

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37. A. Hamzâwî, « La Dictature au nom du libéralisme », op. cit. ; « Les Libéraux dans leurs demeures » (Lîbrâliyyîn fî manâzilihim), Al-Churûq, 22 janvier 2012. 38. ʻAmr Hamzâwî dans un talk-show « Misr Jadîda » (La Nouvelle Égypte), diffusé sur la chaîne de tendance salafiste Al-Nâs en janvier 2011.

RÉSUMÉS

Le présent article est consacré à l’étude de la campagne électorale organisée par ʻAmr Hamzâwî, chercheur et professeur en science politique, dans le cadre de sa candidature aux élections législatives tenues en Égypte en novembre 2011. Libéral occidentalisé, détenteur d’une double nationalité, résidant de longue date à l’étranger, dépourvu d’appuis locaux et d’expérience politique en Égypte, ʻAmr Hamzâwî réunissait des attributs disqualifiants dans le jeu politique égyptien. À partir de l’étude ethnographique de sa campagne à Héliopolis, de ses discours publics et articles parus dans la presse égyptienne, cet article vise à mettre à jour les différents répertoires de mobilisation électorale du candidat Hamzâwî.

The present study examines the electoral strategies employed by Egyptian academic and political scientist ʻAmr Hamzâwî in the last parliamentary elections held in Egypt fall 2011. As a liberal intellectual linked to a foreign think-tank and largely devoid of previous political experience and therefore lacking significant local support in his constituency, Hamzâwî presented a number of disqualifying conditions for a traditional electoral game in Egypt. Based on his public speeches, talk shows, articles as well as on an ethnographic research of his electoral campaign launched in Heliopolis, this paper seeks to explore the argumentative strategies employed by Hamzâwî to transform the flaws of his candidacy into powerful assets in the electoral competition.

INDEX

Keywords : Hamzâwî, Elections, Intellectuals, Medias, Liberal Mots-clés : Hamzâwî, élections, intellectuels, médias, libéral

AUTEUR

GIEDRE SABASEVICIUTE Giedre Sabaseviciute est doctorante en sociologie à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, associée au CEDEJ depuis 2011. Elle est en train de mener une thèse sur les intellectuels égyptiens lors du coup d’État de 1952. Giedre Sabaseviciute is a PhD candidate in the field of sociology at the École des Hautes Études en Sciences Sociales in Paris. She is also an associate researcher at CEDEJ since 2011. Her PhD thesis concerns the Egyptian intellectuals during the 1952 coup.

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Varia

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Les femmes algériennes au Parlement : la question des quotas à l’épreuve des réformes politiques*

Belkacem Benzenine

1 Le 10 mai 2012 marque une date importante dans l’histoire des femmes en Algérie. Les élections législatives organisées en ce jour ont en effet permis à 146 femmes d’accéder à l’Assemblée populaire nationale (APN, chambre basse du Parlement1), soit un taux de 31,6 %, alors qu’il n’était que de 7,7 % auparavant, puisque seulement 29 femmes ont siégé dans la précédente législature (2007-2012). Ainsi, avec les résultats des élections de mai 2010, l’Algérie occupe le premier rang dans le monde arabe et le 28ème rang à l’échelle internationale en matière de la représentation des femmes aux parlements nationaux2.

2 Cette avancée est la conséquence de la loi organique du 12 janvier 2012 adoptée en application de l’article 31 bis de la Constitution, telle qu’amendée en 2008. Cet article stipule que « l’État œuvre à la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues ». Il s’agit d’une reconnaissance constitutionnelle qui consacre le renforcement de la participation des femmes aux assemblées élues, et contribue à la promotion de l’égalité entre les sexes. La présence des femmes sur les listes électorales a été pour la première fois un enjeu central dans ces élections législatives, un enjeu qui se situe à la confluence des attentes des femmes et de la volonté du pouvoir politique de promouvoir la représentation politique féminine. L’idée sous-jacente est qu’une forte présence des femmes dans les assemblées élues est à la fois la clé de leur autonomie et l’accomplissement du rôle de l’État dans la consolidation du principe d’égalité.

3 Notre contribution vise à montrer comment se pose la question de la représentation politique des femmes algériennes en s’intéressant particulièrement à la loi organique sur les quotas adoptée en 2012. Elle s’interroge également sur les éventuelles conséquences de la forte présence féminine au Parlement, sur la vie politique et sur la condition des femmes en Algérie. L’adoption d’une loi imposant des quotas pour les femmes est-elle la consécration d’un féminisme d’État ? Une telle loi était-elle

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nécessaire ? En quoi cette loi pouvait-elle contribuer à optimiser les compétences des femmes ? Comment les partis politiques ont-ils réagi ? Comment les mouvements féminins ont-ils pesé dans les débats relatifs à cette loi ? Ces questions se rapportent à l’expérience algérienne en matière de quota de femmes, et aux problèmes soulevés par la classe politique et les femmes elles-mêmes quant à l’application de cette loi.

Les femmes et la politique dans le contexte des élections législatives de 2012

4 Les élections législatives de mai 2012 se sont déroulées dans un contexte marqué par de fortes contestations sociales. Sur le plan politique cependant, l’Algérie n’a pas subi les pleins effets du Printemps arabe. Le pouvoir en place, surtout depuis l’arrivée de Bouteflika à la présidence de la République en 1999, a relativement réussi à faire face au mouvement de protestation politique. L’organisation des élections dans les délais constitutionnels a représenté pour le pouvoir une opportunité de se doter de la légitimité nécessaire (étant entendu que le régime algérien est « un autoritarisme électoral au sein duquel la pratique politique se caractérise par son aspect limité »3). En outre, les élections législatives de 2012 ont été pour le régime une occasion de faire montre de sa volonté de réaliser le changement ambitionné par le peuple, et ce à travers les urnes. Dans un processus dit de réformes politiques, décidées par le pouvoir et s’inscrivant dans une tentative d’apaiser les protestations politiques, le pouvoir en place annonce, par la voix du Président de la République, qu’il s’apprête à « réviser l’ensemble de l’arsenal législatif sur lequel reposent les règles de l’exercice démocratique et le libre choix des citoyens »4. Parallèlement, le pouvoir œuvre à travers la distribution de la rente à contenir la protestation sociale et politique. La réforme menée est une manière de répondre aux revendications de la classe politique et de la société civile en faveur d’un changement pacifique du régime. Cette réforme semble donc être menée sous la pression de l’opinion internationale et nationale. Dans cet « arsenal de réformes », la place de la femme algérienne dans les instances politiques est valorisée. En effet, le Président annonce à cette occasion que le « dépôt et la promulgation de la loi organique relative à la représentation des femmes au sein des assemblées élues interviendront avant les prochaines échéances électorales » (les législatives de mai 2012). Cette loi, dont il sera question ci-dessous, fait de la représentation des femmes dans les assemblées élues un objet de réforme politique et institutionnelle. Elle complète les amendements des lois concernant les partis politiques, les associations, le régime électoral et l’information, toutes adoptés par le Parlement au début de l’année 2012.

5 Cet intérêt pour les droits politiques et civiques des femmes a pris en effet un relief particulier depuis le début des « révolutions arabes ». En Algérie, bien que le mouvement de contestation politique et social soit limité, géographiquement et numériquement5, la mobilisation des femmes en a été une composante non négligeable. C’est pour le pouvoir algérien l’occasion d’accélérer une réforme amorcée en 2008, lorsque la Constitution a été amendée pour instaurer un nouvel article 31 bis permettant l’augmentation « des chances d’accès des femmes à la représentation dans les assemblées élues »6. Comme l’attestent les chiffres, la présence des femmes dans les institutions publiques et dans les sphères de prise de décision en Algérie est très faible. Trois femmes seulement détiennent des portefeuilles ministériels au gouvernement.

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Elles n’occupent que 7,7 % des sièges à l’Assemblée Populaire Nationale de 2007, seules 7 femmes (toutes désignées par le Président de la République) siègent dans le Conseil de la Nation composé de 144 membres5, seules trois femmes sur 1 451 sont élues maires (suite aux élections de 2007), et une seule femme sur 48 est désignée au poste de wali (préfet).

6 Les députés opposés au projet de loi ont d’emblée reproché au gouvernement d’imposer un quota pour les femmes au Parlement alors que celui-ci ne fait pas de même quant à la désignation aux postes à responsabilités. Lors de ces débats, le député Ahmed Hasnaoui, pourtant affilié au parti du Front de Libération Nationale, membre de la coalition gouvernementale, a demandé au gouvernement d’adopter en contrepartie une autre loi imposant un quota de 30 % des femmes dans le gouvernement, dans les postes de wali (préfet), de chefs de dâ’îra (sous-préfets), au Conseil de la Nation, et même dans les tribunaux et les conseils juridiques. En effet, la sous-représentation des femmes, qui témoigne des inégalités entre les sexes, ne reflète pas la réalité socio-professionnelle des femmes algériennes. Car la forte présence des femmes dans des secteurs importants comme l’éducation, la santé, l’administration et la justice atteste de leur participation vitale à l’activité sociale et économique. À cela s’ajoute un taux important de scolarisation des filles : dans l’enseignement supérieur, leur présence dépasse 50 % de l’effectif estudiantin, et dans certaines spécialités, comme les lettres et les sciences humaines, ce taux dépasse les 60 %.

7 En instaurant dans la Constitution un article qui confirme la volonté de l’État de donner aux femmes une place considérable dans les assemblées élues, le pouvoir tient compte de leur sous-représentation, mais aussi de leur rôle dans la vie sociale et économique. Sont également loués sa participation à la guerre de libération et « ses sacrifices et sa résistance extraordinaire pendant de longues années face à la machine meurtrière et destructive de la décennie noire »7. Une telle reconnaissance du rôle des femmes se révèle nécessaire pour obtenir leur soutien pour le processus des réformes, et surtout pour assurer une forte participation des femmes dans les élections législatives et locales organisées en 2012. Dans sa campagne visant à mobiliser les Algériens pour se rendre massivement aux urnes, surtout après l’appel au boycott lancé par quelques associations et partis politiques, le Président Bouteflika a mis l’accent sur la participation des femmes pour réussir ces élections8. Il a ainsi incité les responsables des partis et de l’administration à « tenir compte de l’esprit et de la lettre de la Constitution qui vise essentiellement à encourager la femme à participer à la vie politique et élargir sa contribution à l’édification démocratique ».

8 Dans un contexte particulier, marqué sur le plan national et régional par un fort mouvement de contestation du pouvoir politique et de protestation sociale, la réussite des élections législatives est devenue pour le pouvoir un enjeu majeur afin de rétablir sa crédibilité et consolider sa légitimité politique. Dans une étape qu’il qualifie de « décisive dans l’histoire du pays », le Président s’adresse à nouveau à ses concitoyens, deux jours avant les élections, pour les persuader d’aller voter. Il appelle ainsi les Algériens, « femmes et hommes, à être à la hauteur des défis qui s’imposent au pays pour affirmer [leur] engagement et [leur] mobilisation collective, et répondre à l’appel de la nation », c’est-à-dire à voter. Il ne rate pas l’opportunité de souligner que les élections législatives de 2012 se distinguent des précédentes par « une forte présence des femmes sur les listes de candidatures, favorisée par l’évolution démocratique dans notre pays ».

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9 C’est dire combien le discours officiel a fait des élections législatives une bataille pour le renforcement de sa légitimité, et de la forte présence des femmes sur les listes électorales un argument allant dans le sens de la consolidation du principe d’égalité entre les sexes. Ainsi, le renforcement de la représentation des femmes dans les assemblées élues est considéré comme une évolution démocratique, mais une évolution qui s’impose selon la logique, la stratégie et les objectifs propres au pouvoir. Sans aucune concertation avec les mouvements féminins et féministes, ni avec les partis politiques, le gouvernement présenta son projet de loi comme relevant de ses attributs constitutionnels, et émanant de la volonté de réforme menée par le chef de l’État. Les femmes algériennes apparaissent ainsi dans le discours du gouvernement comme un groupe homogène. Les positions et propositions qui avaient été présentées par les femmes et par les associations défendant leurs droits politiques et civiques, à l’occasion du débat (en appelant à un changement réel du statut des femmes dans la sphère politique, sociale et économique)9, n’ont pas été prises en compte.

10 Il importe également de souligner que des dynamiques internationales et nationales complexes ont été favorables à une telle loi. Car elle se situe dans la continuité des politiques publiques mises en œuvre par l’État algérien afin de promouvoir le statut social des femmes10. Ces politiques répondent, en effet, aux exigences des conventions internationales, notamment la « Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes », ratifiée en 1996 par l’Algérie avec des réserves, et le suivi et application de la déclaration et du Programme d’action de Beijing, qui considère que « les femmes, l’exercice du pouvoir et la prise de décision sont parmi les domaines critiques dans les plans et les stratégies ».

Les quotas de femmes : l’avènement d’une loi

11 En quoi une loi sur les quotas de femmes dans les élections peut-elle contribuer à leur rendre justice ? En quoi peut-elle contribuer au changement politique ?

12 Le débat sur les quotas de femmes dans les parlements et les assemblées locales n’a cessé ces deux dernières décennies de susciter de nombreuses controverses. Les hommes comme les femmes sont divisés sur la question. Les arguments contre les quotas et en sa faveur se structurent autour de deux idées principales : l’égalité et la représentation.

13 En effet, le pouvoir politique algérien a mis en exergue, en instaurant l’article 31 bis cité ci-dessus, le principe de la représentation. Toutefois, celle-ci ne prend pas la forme d’une « politique des idées », dans le sens d’Anne Phillips11, c’est-à-dire d’une présence par laquelle se traduisent effectivement les revendications et les intérêts des femmes, quelles que soient leurs divergences. Car dans le discours officiel, l’accent est surtout mis sur « la présence en nombre » des femmes. Or, la représentation des femmes dans les instances politiques ne peut être réelle et efficace que si les inégalités de fait dont elles sont victimes sont corrigées à travers les politiques et les actions gouvernementales. Dans cet esprit, le mouvement féminin et féministe en Algérie12 considère que la situation des femmes algériennes constitue une injustice « par rapport au rôle historique que les femmes algériennes ont joué dans la vie politique du pays », qu’elle n’est pas en conformité avec les avancées enregistrées en matière de droits sociaux et économiques des femmes, et qu’elle crée un sentiment d’exclusion et une contradiction13.

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14 En 2006, des représentantes de partis politiques, d’associations féminines et d’institutions publiques discutant la question de la représentation égalitaire des femmes dans les institutions politiques et publiques ont revendiqué : • l’instauration d’un quota de présence (au minimum de 30 %) de femmes sur les listes des partis politiques et son corollaire, une sanction financière en cas d’infraction ; • l’obligation de généraliser la formule à toutes les formes de scrutin, y compris les scrutins à caractère local. C’est en effet à ce niveau que s’exerce la vraie démocratie représentative, et les femmes ne doivent pas en être exclues (ce sont les auteurs qui soulignent).

15 Selon les associations féminines algériennes, il est temps de « rendre effectif le principe d’égalité politique et publique entre hommes et femmes ». La responsabilité qui pèse sur le gouvernement et l’obligation juridique qui lui incombe sont celles de faire de la loi sur les quotas des femmes un mécanisme qui achemine vers la consécration du principe d’égalité complète entre les hommes et les femmes. C’est dire que pour les associations algériennes de défense des droits des femmes, le renforcement de la présence féminine dans les assemblées élues ne devrait pas être une fin en soi, mais le commencement de l’application de mesures égalitaires en faveur des femmes, en tenant compte de leurs compétences et de leur forte présence dans la sphère publique.

16 Ainsi, pour Fadhéla Chitour, féministe, membre du Réseau Wassila qui fédère plusieurs associations de défense des droits des femmes, cette loi « n’a aucun sens tant que les droits des citoyens ne sont pas respectés, tant que la femme n’est pas considérée comme partie intégrante de la vie publique, comme individu à part entière. Quelle valeur peut avoir cette “reconnaissance” et cette “promotion” sans l’abrogation du code de la famille, qui maintient la femme dans une infériorité infamante ? »14. La présidente de l’association Djzairouna (association des familles des victimes du terrorisme), Mme Cherifa Kheddar, qui est aussi la porte-parole de l’Observatoire des violences faites aux femmes, estime que « le nombre, important ou symbolique, de députées ou de ministres en politique, n’est pas ce qui réglera les discriminations vécues au quotidien par les femmes »15.

17 Annoncée officiellement depuis le remaniement de la Constitution de 2008, la représentation des femmes dans la vie politique a été axée sur les assemblées élues seulement16. Cependant, en faisant de la représentation des femmes dans ces assemblées un domaine relevant des lois organiques, le pouvoir algérien a décidé de la placer au-dessus des lois ordinaires17 : c’est un geste de sa part pour souligner l’importance qu’il accorde au sujet. Il répond ainsi, comme nous l’avons montré plus haut, d’un côté aux revendications des associations de défense des droits des femmes18, et de l’autre, aux recommandations et critiques des organisations onusiennes et des ONG19. Mais force est de constater qu’il a fallu attendre pas moins de trois ans pour que cette loi organique soit adoptée. Cela montre au moins la difficile maturation de cette loi, ainsi que la lente prise de conscience de la part du pouvoir politique de l’importance de prendre les mesures nécessaires pour permettre une représentation politique équilibrée des femmes. Notons d’ailleurs que la prise de conscience de cette nécessité n’est pas synonyme d’une conscience de genre qui, selon la définition de Manon Tremblay, « traduit le fait de reconnaître que le sexe (c’est-à-dire le fait d’être une femme ou un homme) modèle d’une façon importante la relation qu’une personne entretient avec la société politique dans laquelle elle évolue »20. Enfin, soulignons que si l’adoption de l’article 31 bis a été adoptée en 2008, c’est également en raison d’une conjoncture spécifique. Le remaniement constitutionnel de 2008 visait en effet avant

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tout à permettre au Président de la République de se présenter pour un troisième mandat, et à renforcer ses pouvoirs.

Les étapes du processus d’adoption de la loi

18 L’adoption de cette loi organique a été particulièrement complexe et a suscité de vifs débats dans le Parlement et dans les partis politiques.

1. L’avant-projet de la commission

19 La commission créée en mars 2009 par le Président de la République pour la préparation de l’avant-projet – sous la responsabilité du ministre de la Justice, garde des Sceaux – était composée en majorité de femmes. Les membres de la commission étaient des juges à la Cour suprême et au Conseil d’État, des universitaires (sociologues, politologues, juristes) et des personnalités représentant des ministères et des institutions étatiques ayant trait à la condition des femmes. En attribuant la mission de concrétiser l’article 31 bis de la Constitution au ministère de la Justice, et non pas au ministère de la Condition féminine, qui a pourtant a été le précurseur de la loi sur les quotas, le pouvoir algérien a mis en avant le caractère politique de cette loi en lui donnant une portée importante.

20 L’avant-projet de loi présenté au gouvernement était composé de 12 articles. Il prévoyait que les listes des candidats dans les assemblées populaires communales et de wilayas, ainsi qu’à l’assemblée populaire nationale, devaient comprendre un nombre de citoyennes égal au moins à 30 % de l’ensemble des candidats inscrits sur la liste. Mais le plus important dans cet article, c’est que les candidats des deux sexes doivent être classés alternativement dans l’ordre de présentation de liste. Cela donne aux femmes la chance d’être élues à un taux qui ne sera pas inférieur à 30 %. Le non-respect de ces quotas entraîne le rejet des listes21. Loin de se borner à la question des quotas dans les assemblées élues, comme il est prévu dans l’article 31 bis, l’avant-projet apporte des proposition allant jusqu’à exiger des partis politiques que « la composition de l’organe délibérant et de l’organe exécutif du parti politique (…) doit comprendre au moins 30 % de citoyennes choisies parmi les membres du parti », sous peine de se voir refuser l’agrément par le ministère de l’Intérieur.

21 Dans une autre mesure, visant à inciter les partis à présenter le plus grand nombre de femme, le projet de loi a prévu des aides financières spécifiques de l’État selon le nombre de femmes élues. Le même article a été adopté dans la loi organique finale.

2. L’adoption du projet de loi par le gouvernement

22 Le projet de loi organique a été adopté lors du conseil des ministres présidé par , le 28 août 2011. Il confirme que la proportion de candidates ne pourrait être inférieure au tiers, mais réserve cette condition aux communes de plus de 20 000 habitants, dont le nombre est de 792 (sur 1541 communes). Le représentant du gouvernement, ici le ministre de la Justice, justifie cette restriction par la crainte de ne pas trouver de candidates dans les petites communes à cause de l’emprise des traditions et des coutumes. En outre, le projet du gouvernement n’oblige pas les listes des partis politiques et des indépendants à classer les deux sexes alternativement,

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comme le recommandait le projet de la commission. Il confirme cependant la règle du tiers des sièges réservés aux candidates, selon leur classement nominatif sur la liste concernée. Enfin, le projet adopté par le gouvernement souligne que « dans le cas où une liste obtient deux sièges seulement, ces derniers seront répartis entre les deux sexes, selon le classement nominatif des candidats ».

3. L’adoption de la loi par le Parlement

23 Si, au sein du gouvernement, l’adoption de la loi organique est passée avec des modifications qui ne touchent pas au fond du texte, le débat dans les deux chambres du Parlement, et surtout au sein de l’APN, a entraîné de vives controverses. Il révèle de grandes divergences au sein des partis politiques quant à la représentation des femmes. Les débats témoignent, parfois jusqu’à la caricature, de la sensibilité que revêt cette question.

24 Dans un raisonnement prenant en compte les réserves, voire le refus de certains partis politique d’adopter la loi organique telle qu’elle a été présentée par le gouvernement, la commission des affaires juridiques et administratives et des libertés, instance chargée d’examiner la loi avant sa présentation au Parlement (composée dans sa majorité des députés représentants des partis conservateurs et islamistes), a touché à l’efficience même de la loi. Conscient de la complexité de cette dernière, le rapporteur de la commission appelle les députés à la « sagesse et la rationalité », à la « responsabilité et la solidarité », au « calme » et à la « sérénité ». C’est dire à quel point le projet de loi a été l’objet d’âpres critiques dans la classe politique et d’un minutieux examen par le gouvernement, qui rarement, et peut être jamais, n’a vu un projet de loi organique qu’il a présenté susciter tant de différends.

25 En effet, la commission a préféré un projet de loi qui réduit le quota des femmes dans les assemblées élues au cinquième au lieu du tiers. Encore une fois, la question des coutumes et des traditions a été mise en exergue pour justifier cette régression. Les membres de la commission ont également justifié cela par la difficulté de trouver des femmes candidates. Ont été également convoqués les facteurs religieux, sociaux et culturels qui marquent les rapports sociaux de sexes en Algérie. Ainsi, comme l’écrit le juriste Nouredine Saadi, les femmes algériennes font face à un « obstacle fait de pathos religieux, coutumier ou ancestral, qui oppose une tradition assimilée à soi-même, à l’authenticité, contre l’universel, considéré comme l’autre, l’agresseur »22.

26 Malgré la position de la commission juridique, le ministre de la Justice a défendu le principe de l’obligation d’un tiers de femmes dans les listes de candidatures. Dans un discours se voulant ouvert, rigoureux et pédagogique, le représentant du gouvernement a fait l’éloge du rôle de la femme dans la société en défendant le principe des quotas pour femmes, en vigueur dans 87 pays. Le pourcentage de 30 % proposé par le gouvernement a été défendu pour être comparable à celui de la présence des femmes dans la fonction publique. Le projet de loi s’inscrit, selon le représentant du gouvernement, dans le cadre évolutif et moderniste de la société algérienne. Défendant avec opiniâtreté et fermeté son projet, le ministre appelle les députés à assumer leurs responsabilités devant « l’histoire et leur conscience », un appel inaccoutumé dans l’histoire de la législation algérienne de la part d’un membre du gouvernement.

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27 Après les débats qui ont suivi les interventions des députés et du ministre, les deux parties (gouvernement et députés) sont arrivées à un compromis instaurant les quotas des femmes dans les assemblées élues de la manière suivante : 1. Élections de l’Assemblée Populaire Nationale : 20 % lorsque le nombre de sièges est égal à 4 sièges, 30 % lorsque le nombre de sièges est égal ou supérieur à 5 sièges, 35 % lorsque le nombre de sièges est égal ou supérieur à 14 sièges (trois wilayas sont concernées) 40 % lorsque le nombre de sièges est égal ou supérieur à 32 sièges (seule la Wilaya d’Alger a autant de sièges) 50 % pour les sièges de la communauté nationale à l’étranger. 2. Élections des assemblées populaires communales (APC) : 30 % pour les assemblées populaires communales situées dans les chefs-lieux des dâ’îra et au sein des communes dont le nombre d’habitants est supérieur à vingt mille (20 000) habitants. 3. Élections des assemblées populaires de wilayas (APW) : 30 % lorsque le nombre de sièges est de 35, 39, 43 et 47 sièges. 35 % lorsque le nombre de sièges est de 51 à 55 sièges.

4. L’avis du Conseil Constitutionnel

28 La priorité est donnée au nombre de femmes sur les listes électorales en premier lieu et en second lieu, à leur positionnement sur ces listes. Le modèle de représentation est donc fondé sur le nombre de sièges de chaque circonscription électorale. Étant donné que les circonscriptions sont pourvues en sièges en fonction du nombre d’habitants, cette loi instaure une sorte de « discrimination territoriale » (notamment en ce qui concerne les APC) justifiée par des arguments sociaux et culturels.

29 Malgré cette modification, l’essentiel demeure toutefois, pour le gouvernement, de permettre aux femmes d’être présentes dans les assemblées élues. Le Conseil Constitutionnel admet d’ailleurs que cette disposition contestée a été adoptée « pour éviter que les listes électorales dans ces APC ne soient rejetées si elles ne comportent pas un nombre suffisant de femmes en raison de contraintes socio-culturelles ». Le juge parait ainsi en quelque sorte accepter la situation « socio-culturelle », sans inciter le gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour y faire face.

30 Sur saisine du Président de la République, la loi organique a en effet été déférée au Conseil Constitutionnel afin de contrôler sa conformité à la Constitution. Si le juge constitutionnel ne change pas la loi sur le fond, il émet néanmoins un avis qui touche à sa forme, et plus précisément à son intitulé. Il estime en effet que le titre de « loi organique fixant les modalités d’élargissement de la représentation des femmes dans les assemblées élues » constitue « une omission qu’il y a lieu de corriger au libellé et à l’article 1er de la loi organique », en conformité avec l’article 31 bis de la Constitution, qui parle de « la promotion des droits politiques de la femme en augmentant ses chances d’accès à la représentation dans les assemblées élues ». Finalement, le libellé de la loi organique a été rédigé comme suit : « loi organique fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues ».

31 En évoquant, dans la Constitution et la loi organique, l’augmentation des « chances des femmes », la législation algérienne adhère au principe des quotas non pas dans le sens

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de l’égalité entre les sexes, mais dans celui de l’augmentation méthodique du nombre des femmes élues. La loi en question néglige la répartition équilibrée des hommes et des femmes sur les listes des candidatures aux élections de l’APN, des APC et des APW. Car c’est 46 % du corps électoral qui se voit représenté par un taux qui varie de 20 % à 50 %23. Il ne s’agit donc pas de l’application du principe d’égalité, mais d’une mesure politique imposant aux partis politiques de contribuer au renforcement de la représentation des femmes dans les assemblées élues, sans qu’il n’y ait aucune mesure de la part du gouvernement dans les postes qui ressortent de ses propres compétences, sauf en ce qui a trait à la fonction publique24. Il ne s’agit pas d’une question de représentativité des femmes dans la vie politique et publique, ni même d’une forme de discrimination positive à l’égard des femmes, mais d’une réponse à l’exigence qui s’impose aux États ayant signé des traités internationaux, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ratifiée par l’Algérie en 1996, ainsi que la déclaration de Pékin25. La réaction de l’Algées femmes et assurer leur représentation égale à tous les niveaux de responsabilité au sein des institutions nationales et international26. Même s’il n’y est pas prévu de sanction contre les pays n’ayant pas respecté leurs engagements, la question de l’égalité des sexes a pris de l’ampleur dans les rapports des institutions onusiennes et des ONG œuvrant pour la défense des droits des femmes et de l’homme. Dans le même temps, l’enjeu électoral pour le pouvoir en place était autre que la présence des femmes dans le Parlement, puisque le renforcement de la présence au Parlement du FLN, soutenu publiquement par le Président de la République, a constitué son principal objectif, dans le but d’assurer la pérennité et la stabilité du régime.

La position des parlementaires face à la question des quotas

32 Il convient de remarquer tout d’abord qu’avant la loi organique sur les quotas des femmes dans les assemblées élues, la question de la place des femmes dans la vie politique n’avait guère été discutée par les parlementaires27. Au sein des deux chambres du Parlement, aucune proposition de projet n’avait été présentée dans ce sens par les députés. Tout a donc commencé avec l’instauration de l’article 31 bis de la Constitution en 2008. C’est donc la volonté politique qui a primé, grâce notamment à l’autonomie dont dispose l’exécutif dans le choix des moments et des lieux de son intervention. Mais la volonté n’est pas tout, car même si elle émane du constituant ou du législateur, « elle doit être conjuguée à d’autres facteurs, accompagnée d’une mobilisation et d’une sensibilisation des hommes et des femmes en faveur du changement des rapports sociaux de genre »28.

33 Les débats sur ce sujet ont reflété les positions politiques et idéologiques très divergentes des partis politiques, en traduisant les projets de société dont ils sont les porteurs. Le parti des Travailleurs, opposé à toute idée de quotas pour les femmes, bien qu’il ait voté l’amendement de la Constitution introduisant l’article 31 bis, s’est opposé au projet de loi organique. Selon la porte-parole du parti, Mme Louisa Hanoune, « le système du quota de femmes aux assemblées élues peut entraîner des dérives et ne sert pas les intérêts de la femme, qui a arraché ses droits par les armes durant sa participation à la Révolution »29. Elle l’a même qualifié « d’escroquerie politique, de scandale et de mascarade »30. Toutefois, et contrairement aux autres partis, elle ne

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justifie pas son opposition aux quotas par le poids des coutumes et traditions, mais par l’idée qu’il n’appartiendrait qu’aux partis eux-mêmes de présenter, volontairement, des femmes sur leurs listes électorales. Le parti des Travailleurs se veut d’ailleurs précurseur en ce domaine. Pour les élections législatives de 2007 déjà, il a présenté 17 femmes comme têtes de listes. En 2012, près de la moitié de ses listes ont été conduites par des femmes. Ce parti est celui qui a présenté le plus grand nombre de femmes aux élections législatives et, sur les 31 femmes élues au Parlement, 10 l’ont été sur ses listes. En s’opposant à la loi des quotas, le parti critique les politiques gouvernementales en matière de droits féminins, puisque l’urgence, selon son porte-parole, est de « lever les obstacles devant les femmes dans le code de la famille et dans la précarité ». L’attachement à l’idée d’égalité et le risque d’institutionnaliser les différences entre les sexes sont deux arguments avancés par le parti pour justifier sa position.

34 Les débats sur les quotas ont pris une orientation à caractère polémique du fait qu’ils touchent à la question du statut des femmes dans la société et dans la vie politique, et également à l’image que se font de la femme les partis politiques et les députés. Trois éléments principaux ont ainsi été mis en avant pour légitimer la position des députés : les traditions et les coutumes de la société, le manque d’expérience et de compétences parmi les femmes, et l’importance d’une application progressive de toute procédure visant à augmenter la présence des femmes dans les assemblées élues. Zohra Drif Bitat, personnalité historique et vice-présidente jusqu’en 2011 du Conseil de la Nation31, deuxième chambre du Parlement, a vertement critiqué ces différents arguments. Selon elle, il s’agit de prétextes illusoires : « les femmes instruites sont en force dans les différentes régions du pays : 45 % des magistrats sont des femmes, le taux de réussite des filles à l’examen du baccalauréat était de 65 % en 2010, contre 35 % pour les garçons ». Selon elle, le taux de représentation féminine de 30 % est « le seuil minimum à adopter pour enclencher une dynamique à même de consacrer le principe de parité » 32.

35 Par ailleurs, la loi sur les quotas posait un « problème » relatif au communautarisme. Les représentants de la communauté mozabite implantée dans la wilaya de Ghardaïa (au sud du pays), connue pour sa rigueur pour tout ce qui a trait aux traditions et à la religion, se sont manifestés contre la loi. Au nom du Conseil des Notables qui représente la haute référence ibadite de l’Algérie33, la loi est contestée parce qu’elle n’est pas conforme aux traditions d’un pays dont « la plupart des régions demeurent conservatrices et considèrent que le rôle des femmes se réduit à la sphère familiale pour jouer le rôle d’épouse et de mère… » En imposant des quotas pour les femmes, cette loi est jugée « extravagante et discriminatoire envers les hommes »34. Mais la position du Conseil des Notables n’a pas fait l’unanimité, et des voix discordantes sont allées jusqu’à contester sa représentativité et sa crédibilité35.

36 Ces débats révèlent également des postures politiques et sociales relevant d’un système de domination. Un député issu du Mouvement pour la Société de la Paix (de tendance islamiste), a ainsi déclaré : « Nous devons être réalistes et objectifs : il s’agit d’incorporer les femmes dans des domaines pour lesquels elles ne sont pas prêtes et où, de plein gré, elles ne veulent pas être impliquées »36 (Kamel Guergouri, MSP). D’autres se sont exprimés contre la loi avec virulence, n’hésitant pas à mobiliser un discours ouvertement machiste et patriarcal, tels ce député déclarant : « Mais où est l’homme en Algérie ? A-t-il disparu ? Est-il temps d’adopter une loi organique qui féminise l’homme ? Telle est la réalité. Ce projet de loi va créer une discorde (fitna) entre les

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hommes et les femmes… La femme dispose déjà de tous ses droits dans la société. Ils sont à 100 %. Si vous [le gouvernement] lui ajoutez les 20 % que vous ôtez à l’homme, ce taux devient alors 120 %… Serions-nous plus juste que Dieu ? La femme a-t-elle besoin d’être membre dans les assemblées élues ou d’être députée ? La femme algérienne, digne, noble et respectueuse, a besoin des choses plus intéressantes que cela… » (Mestfai Ben Attallah, FLN). Cette position reflète une vision stéréotypée et subjective du rôle de la femme algérienne dans la société, présume que la situation des femmes est idéale, et justifie même cette situation par le fait qu’elle serait la volonté de Dieu. Pour les tenants de cette position, la question des quotas est un « faux débat », puisqu’il n’y a pas de problème lié à la condition des femmes.

37 Toutefois, d’autres on mis en avant, dans les débats parlementaires, la question de l’émancipation sociale et culturelle de la femme. Certains députés considèrent que le problème des femmes en Algérie est en premier lieu social, et que les efforts doivent se porter sur cet aspect : Le système des quotas obligatoires, tel qu’il a été adopté par certains pays diffère selon les caractéristiques culturelles propres à chaque nation. Il ne peut en aucun cas permettre aux compétences féminines de progresser, puisque la priorité sera donnée à l’appartenance sexuelle au lieu de la compétence. Cela va contribuer à prolonger la situation actuelle, et à accumuler les problèmes de mauvaise gestion dont souffrent plusieurs assemblées élues… (Mohamed Mahmoudi, MSP)

38 Le même discours est repris par des députés qui ne voient pas l’intérêt d’une telle loi, même parmi ceux appartenant à l’Alliance présidentielle : Quel avantage une telle loi peut-elle apporter à la femme dans l’Algérie profonde ? Que peut-elle changer dans le quotidien des millions de femmes malheureuses, ou dans leurs foyers ? (…) Les femmes aspirent à une vie digne dans laquelle l’enseignement et la protection sociale seront assurés, ainsi qu’à un logement décent et du travail pour leurs enfants. Elles aspirent à une vie respectable qui les éloigne de la pauvreté et de la misère. Décorer le Parlement avec quelques femmes députées ne les sert en rien (Mahdi Kassimi Hassani, RND).

39 Quant aux députés de l’opposition, certains d’entre eux doutent des intentions du pouvoir et estiment que la position de la commission juridique, qui ne s’oppose que rarement aux projets de lois présentés par le gouvernement, est une ruse employée par ce dernier pour réduire la représentation des femmes du tiers au cinquième et édulcorer ainsi les dispositions de la loi sur les quotas : Le gouvernement visait dès le début un pourcentage de 20 % et comptait sur les députés pour cela, tout en se présentant comme étant plus progressiste que les élus du peuple. C’est une ruse qui a pour objectif d’enjoliver le pouvoir, lequel a pratiqué une politique discriminatoire à l’égard des femmes (Tareq Mira, RCD).

40 De la même manière, un député du parti islamiste Nahda considère le projet de loi comme une tentative du pouvoir de se dérober aux réformes réelles et de dissimuler l’échec de ses politiques de développement : Les députés de l’Alliance [qui constituent la majorité] ont refusé récemment une proposition du parti Nahda visant à accorder une allocation aux femmes au foyer, et tentent aujourd’hui de gagner de l’argent à travers ce projet, par le biais des candidatures féminines. C’est une corruption légitimée (Mohamed Ahdibi, Nahda).

41 Pour l’opposition, c’est donc l’occasion de régler ses comptes avec le gouvernement. La loi sur les quotas des femmes est considérée comme une fuite en avant de ce dernier, qui a échoué à tenir ses promesses et à réaliser le programme présidentiel de développement. Les réformes engagées n’ont pas constitué une avancée dans le

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processus de changement et de démocratisation. Le programme présidentiel de développement, quant à lui, n’a pas donné les résultats escomptés. Le débat parlementaire sur les quotas des femmes été l’occasion de mettre l’accent sur d’autres problèmes liés à la situation des femmes algériennes, comme les conditions de travail, les salaires, la désignation des femmes à des postes à responsabilités, etc.

42 Mais la parité n’a guère été revendiquée dans tous ces débats, qui se sont concentrés sur les obstacles liés à la candidature des femmes et à la difficulté de les mobiliser dans les partis politiques et dans la campagne électorale, ou sur la condition des femmes en général. La loi n’a pas inscrit l’obligation de l’alternance homme et femme (ou femme et homme) sur les listes de candidatures. Dans un régime électoral proportionnel, c’est surtout cette mesure qui permettrait de réaliser la parité dans la représentation des femmes. Le principe de citoyenneté, comme élément contribuant non pas à l’augmentation de la présence des femmes mais à leur émancipation dans la sphère politique, a également été ignoré. La loi organique est loin de contenir une conception de la citoyenneté, pleine et entière, en tant que dynamique consolidant le principe d’égalité, selon lequel les femmes participent à la vie de la société en tant que membres à part entière. C’est en effet à cette condition que peut s’exercer la citoyenneté pratique, « notamment à travers la représentation et la participation politiques qui fournissent à l’individu la capacité d’avoir de l’influence sur l’espace public »37.

43 En outre – en dépit de la volonté de quelques partis politiques, qui, bon gré mal gré, se trouvent dans l’obligation de respecter la loi après son adoption et de présenter des femmes sur leurs listes électorales –, trouver des candidates est une tâche difficile pour eux à cause de la très faible proportion de femmes en leur sein. L’on comprend mieux ainsi les raisons pour lesquelles les députés et les chefs de partis politiques ont été amenés à s’opposer à la loi organique. Considérée comme problématique pour les partis politiques, l’imposition d’un quota féminin représente le côté ambivalent de cette loi. Moussa Touati, chef du Front National Algérien, considère que cette loi obligera les partis « à proposer la candidature de femmes n’ayant aucune relation avec les programmes et les idées des formations politiques. Ce fait induira un recul du niveau politique au sein du prochain Parlement, car les partis ne disposant pas de compétences féminines se retrouveront obligés de proposer des candidates ordinaires »38. Faisant le lien entre la date de la présentation de la loi et les émeutes qui ont secoué le pays en 2011 pour des raisons sociales et économiques notamment, il estime que les autorités « veulent faire diversion avec cette histoire de quota dans le but de détourner l’attention des véritables problèmes qui se posent à la société »39.

44 Les contraintes des partis ont ainsi été prises en compte dans l’élaboration des listes de candidatures, puis dans le déroulement de la campagne électorale. Certaines affiches ont été posées sans même les photos des femmes, notamment dans les villes intérieurs et du Sud, mais également dans quelques villes anciennes comme Tlemcen. Même des partis de tendance laïque se sont abstenus d’afficher les photos de leurs candidates, par mesure de compromis avec les traditions locales, comme par exemple le FFS dans la wilaya de Ghardaia.

45 Ces phénomènes sont à mettre en relation avec le fait que l’enjeu électoral en Algérie est soumis à un jeu social dans lequel « agents sociaux, appareils partisans, intermédiaires, instances formelles et informelles, pouvoirs local et central » interfèrent dans « l’offre de la représentation parlementaire »40. Ce jeu commence avec l’ouverture des candidatures. Les femmes algériennes subissent donc les règles

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imposées par le « système » électoral non institutionnel, mais social, culturel et économique.

Après la loi : un premier bilan

46 Durant toutes les étapes des élections, les femmes – qui représentent plus de 45,5 % du corps électoral et la moitié de la population – ont été très courtisées par les partis politiques en tant que candidates, mais également comme électrices. Malgré les inquiétudes qui ont accompagné les débats concernant la campagne électorale des législatives de 2012, la présence des femmes dans ces élections a été significative. Pas moins de 7 700 femmes se sont portées candidates, soit un taux de candidature de 30 %. Leur forte présence dans des secteurs comme l’éducation, la santé et la justice a permis aux partis politiques de trouver des candidates potentielles.

47 Cette présence féminine a par ailleurs entraîné un rajeunissement des candidatures : plus de 62 % des candidates ont moins de 40 ans, alors que ce taux est de 44 % seulement chez les hommes. La très faible présence des femmes dans les rangs des partis politiques a en outre entraîné de nombreux parachutages politiques de candidates, fait marquant de ces élections. De ce fait, des critères comme le niveau scolaire, la fonction, la popularité et l’origine des candidates ont primé sur les convictions politiques et l’appartenance partisane. En effet, l’activité des femmes algériennes constitue, selon une grande enquête sur l’intégration socio-économique féminine, un facteur favorable pour leur engagement dans l’espace politique et associatif et pour l’exercice de leur droit de vote et de se porter candidates41. Toutefois, « au moment de la confection des listes de candidatures, la désignation de femmes a tendance à ressembler plus à un artifice qu’à un choix réfléchi en faveur de leur promotion »42. Cela correspond, toutes propositions gardées, à la critique formulée par Janine Mossuz-Lavau à l’encontre de « la politique de présence », qui s’exprime à travers les lois des quotas et de la parité : « Comme si on allait choisir les candidats hommes parmi les militants des partis politiques et les candidates femmes dans une sorte de no man’s land, hors des organisations, hors des formations politiques »43.

48 Compte tenu des résultats de ces élections, les 146 sièges obtenus par les femmes, soit 31,6 % du total, marquent une étape décisive dans leur histoire sociale et politique. L’importance de ces résultats nous amène à poser la question du rôle des femmes dans le futur Parlement. Comment peuvent-elles s’imposer dans une assemblée qui, depuis l’indépendance, a été un champ de législation réservé aux hommes ? Quelle forme prendra la représentation féminine ? Cette augmentation de la représentation parlementaire des femmes aura-t-elle des répercussion dans la vie sociale, économique et politique ? Le tiers des sièges obtenu par les femmes algériennes constitue ce que Drude Dahlerup appelle « le seuil critique », à partir duquel une minorité est en mesure d’influencer le travail parlementaire44. Les intérêts spécifiques des femmes en seront-ils mieux défendus ?

49 Si le contexte dans lequel la loi sur les quotas a pris place est celui des réformes politiques, il importe de situer les changements qui en résultent dans la même perspective. Or, si les réformes et le changement ont été revendiqués par le bas, la loi des quotas a été imposée par le haut. À l’inverse des débats sur les quotas et la parité dans les pays européens (en France notamment), qui ont été marqués par une forte implication des mouvements féministes et de la classe intellectuelle45, le cas de l’Algérie

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s’est limité à des controverses politiques dans lesquelles les partis défendaient non seulement leur représentation au Parlement, mais aussi leur place dans la vie politique de l’après « Printemps arabe ». Le résultat obtenu – qui n’a été enregistré dans aucun pays arabe, y compris ceux qui ont connu des révolutions renversant les régimes en place comme la Tunisie, l’Égypte ou la Lybie – marque une autre « exception algérienne ». Toutefois, l’action du gouvernement algérien, agissant pour les femmes sans les femmes, est loin d’une forme de féminisme d’État46, comme c’était le cas en Tunisie sous le règne de Bourguiba puis de Ben Ali47 (le féminisme d’État a été problématisé par des auteurs comme Cynthia Nelson, dans sa biographie de Doria Shafik, par Baudouin Dupret et Nathalie Bernard-Maugiron, par Islah Jad, etc.), car ici, la représentation des femmes n’est pas pensée à partir du principe de l’égalité entre les sexes.

50 L’avis du Conseil Constitutionnel mentionné ci-dessus, qui dénomme la loi des quotas « loi organique fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues » résume le mieux, semble-t-il, les objectifs du pouvoir politique algérien. Augmenter les chances d’accès des femmes à la représentation dans les assemblées élues, est la manière par laquelle le pouvoir répond aux pressions internationales et aux revendications des mouvements féminins et féministes. Il s’inscrit ainsi dans le cadre de « l’espace de la cause des femmes » qui, selon la définition de Laure Bereni, se constitue entre lesdits mouvements, le « pôle partisan » (commissions femmes des partis politiques), et le pôle « institutionnel » (instances chargées de défendre les femmes à l’intérieur de l’État)48. Par ailleurs, le pouvoir se montre attentif aux recommandations et exigences des instances internationales concernant la cause des femmes.

51 Cependant, le renforcement de la représentation des femmes dans le champ politique s’est vu limité aux assemblées élues sans favoriser l’accès des femmes algériennes à l’ensemble de la vie politique49. La loi organique n’a prévu aucune formule pour l’amélioration progressive de la place des femmes au Parlement en vue d’atteindre la parité. Elle ne prévoit pas non plus de dispositions transitoires différenciant la première application des futures échéances électorales. Or, les quotas doivent être, comme le préconise l’Union Interparlementaire « une mesure palliative temporaire, destinée à favoriser l’émergence d’une nouvelle culture aboutissant à la présence équilibrée de femmes et d’hommes tant au Parlement qu’au sein des instances dirigeantes des partis politiques ». Mais au lieu de la parité qui consacre la présence équilibrée, c’est le principe de l’équité introduit par le ministre et les parlementaires qui constitue le fondement de la loi. Même le concept d’égalité, tel que contenu dans la Constitution algérienne, ne traduit, selon certaines analyses, que l’idée d’une égalité formelle : « En d’autres termes, alors que le principe d’égalité correspond à une justice arithmétique (commutative, absolue), traitant tous les individus comme schématiquement égaux, le concept d’équité correspond à une notion de justice proportionnelle (distributive). Ce concept définit un traitement différent selon les personnes ou les groupes »50.

52 Enfin, notons que le gouvernement n’a pas pris de mesures complémentaires visant à donner « plus de chances » aux femmes d’être présentes dans la vie politique. En témoigne la composition du nouveau gouvernement issu de ces élections : sur 36 membres, le nombre de femmes est resté le même que dans celui du gouvernement précédent, soit trois femmes ministres (dont une ministre déléguée). Sur les douze

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commissions parlementaires, une seule est présidée par une femme (éducation, enseignement supérieur, recherche scientifique et affaire religieuses). Seul un groupe parlementaire sur les six que compte l’APN est présidé par une femme, en l’occurrence celui du parti des Travailleurs.

53 La question qui se pose aujourd’hui est celle des conséquences de cette politique des quotas au Parlement sur les droits des femmes (sur l’égalité de genre notamment) et sur le processus de réformes politiques. Les femmes députées peuvent-elles agir, pour paraphraser Simone de Beauvoir, comme des « sujets souverains » et autonomes plutôt que comme un « sexe représenté » ?

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SAÏ F. Z., 2012, « Femmes africaines et politique : éléments pour une approche comparative », in BENGHABRIT-REMAOUN N. & BENZENINE B. (dir.), Les femmes africaines à l’épreuve du développement, Oran, Éditions du CRASC, p. 99-132.

TREMBLAY M., 1996, « Conscience de genre et représentation politique des femmes », Politique et Sociétés, n° 29, p. 93-137.

NOTES

*. L’auteur remercie les évaluateurs anonymes de la première version de cet article pour leurs lectures attentives et leurs remarques et suggestions. 1. La deuxième Chambre algérienne, le Conseil de la Nation, n’est pas concernée par la Loi organique. Le ministre de l’Intérieur argue que l’élection des membres du Conseil de la Nation par scrutin indirect ne permet pas la mise en place de mécanismes semblables à l’élection des membres de l’APN, des assemblées populaires communales (APC) et de wilayas (APW). 2. Selon les données de l’Union Interparlementaire publiées le 1er février 2013. 3. Louisa Dris Aït Hamadouche et Chérif Dris, « De la résilience des régimes autoritaires : la complexité algérienne », L’Année du Maghreb, vol. VIII, 2012, p. 280. 4. Discours du Président à la nation, 15 avril 2011. 5. Voir sur ce sujet Salim Chena, « L’Algérie dans le “Printemps arabe” entre espoirs, initiatives et blocages », Confluences Méditerranée, vol. 77, n° 2, 2011. 6. Il convient de rappeler qu’une réforme des codes de la famille et de la nationalité, qui ont représenté des avancées pour les droits des femmes en Algérie, avait précédé cet amendement constitutionnel. Cf. Ghania Graba et Zoubida Haddab, « Femmes-objets ou femmes-sujets : les enjeux du Code de la famille en Algérie », in Amsatou Sow Sidibe et al. (dir.), Genre, inégalités et religion, Paris, Éditions des Archives Contemporaines – AUF, 2007.

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5. Selon l’article 131 de la Constitution, « Les membres du Conseil de la Nation sont élus pour les deux tiers au suffrage indirect et secret parmi et par les membres des assemblées populaires communales et des assemblées populaires de wilaya. Un tiers des membres du Conseil de la Nation est désigné par le Président de la République parmi les personnalités et compétences nationales dans les domaines scientifique, culturel, professionnel, économique et social ». 7. Discours du Président Bouteflika, 23 février 2011. 8. Le taux officiel de participation était de 43 % avec 1 704 047 bulletins nuls sur un nombre de votants de 9 339 026. 9. Voir sur ce sujet Feriel Lalami, Les Algériennes contre le code de la famille, La lutte pour l’égalité, Paris, Presses de Sciences Po, 2012. 10. Comme l’adoption de la « Stratégie nationale pour la promotion et l’intégration de la femme » en 2008, le « Plan national d’intégration des femmes », et la « Stratégie nationale de lutte contre la violence à l’égard des femmes ». 11. Anne Phillips, The Politics of Presence, Oxford, Clarendon Press, 1995. 12. Il est représenté notamment par l’Association des Femmes Cadres Algériennes (AFCARE), le Rassemblement contre la hogra (l’oppression) des femmes algériennes (RACHDA), l’Association des Femmes Algériennes pour le Développement (AFAD) et le Centre d’Information et de Documentation sur les Droits de l’Enfant et de la Femme (CIDDEF). 13. CIDDEF, Mémorandum pour une représentation égalitaire des femmes dans les institutions politiques et publiques, 2006, p. 4. 14. Cité dans El Watan, 17 octobre 2011. 15. Idem. 16. Les membres des deux chambres se sont réunis comme le prévoit la Constitution pour voter les amendements. 500 voix étaient pour, 21 (celles du parti de l’opposition RCD) contre et 8 abstentions. 17. La loi organique est adoptée à la majorité absolue des députés et à la majorité des trois quarts des membres du Conseil de la Nation (la chambre haute). Elle est soumise à un contrôle de conformité par le Conseil Constitutionnel avant sa promulgation (Art. 123 de la Constitution). 18. C’est ce qu’admet le gouvernement algérien dans le troisième et le quatrième rapports périodiques de l’Algérie sur la mise en œuvre de la convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (mai 2009 et mars 2012). 19. À titre d’exemple, Mme Rashida Manjoo, rapporteuse spéciale des Nations-Unies sur la violence contre les femmes, ses causes et ses conséquences, déclare suite à sa visite en Algérie en octobre 2010, à propos des mesures prises par la gouvernement algérien pour la promotion des droits des femmes, que : « En dépit de ces avancées, des progrès restent à faire, notamment dans les domaines de l’interprétation et de l’application ». Elle ajoute : « Au cours de mes rencontres avec des victimes, des témoignages indiquent plusieurs tentatives visant à contourner l’esprit de la loi, donnant lieu à d’autres discriminations et injustices ». HTTP://WWW.UN-ALGERIA.ORG/EVENEMENT/RAPPORTEUSE2010/ COMMUNIQUE.PDF

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20. Manon Tremblay, « Conscience de genre et représentation politique des femmes », Politique et Sociétés, n° 29, 1996, p. 99. 21. Ce rejet a déjà été décidé par la loi. 22. Nouredine Saadi, La Femme et la loi en Algérie, Alger, Bouchene, 1991, p. 29. 23. Les 50 % ne concernent que les sièges de la communauté nationale à l’étranger, qui sont au nombre de 8 seulement (sur 462). 24. Il faut rappeler que la proportion de femmes dans la fonction publique est de 31 %. 25. « Renforcer le rôle des femmes et assurer leur représentation égale à tous les niveaux de responsabilité au sein des institutions nationales et internationales susceptibles de définir ou d’influencer les politiques relatives au maintien de la paix, à la diplomatie préventive et aux activités connexes… » 26. Il s’agit de la session qui a eu lieu entre le 17 janvier et le 4 février 2011, durant laquelle 37 questions ont été posées au gouvernement algérien dont quatre concernent la participation politique et la participation à la vie publique des femmes. 27. L’APN a organisé, le 3 mars 2010, une journée parlementaire incluant plusieurs thèmes ayant trait aux rôles des femmes dans les assemblées élues et à leurs perspectives futures à la lumière des changements qu’a connus l’Algérie, afin d’améliorer la place et le rôle de la femme dans la promotion des institutions nationales. 28. Fatima Zohra Saï, « Femmes africaines et politique : éléments pour une approche comparative », in Nouria Benghabrit-Remaoun et Belkacem Benzenine (dir.), Les femmes africaines à l’épreuve du développement, Oran, Éditions du CRASC, 2012, p. 114. 29. La Tribune, 7 juillet 2012. 30. L’Expression, 27 novembre 2011. 31. Madame Zohra Drif Bitat est une figure du militantisme féminin algérien. Elle était parmi les femmes « héroïnes » de la guerre de libération algérienne. Après l’indépendance, elle devient avocate, puis désignée comme membre du Conseil de la Nation (parmi le tiers présidentiel). 32. El Watan, 25 novembre 2011. 33. Ce Conseil constitue une autorité civile, sociale et politique. Il est composé des personnalités notables, des représentants des associations actives, des élus locaux et des députés de la communauté. 34. El Khabar, 10 octobre 2011. 35. C’est la position par exemple de M. Kamel Eddine Fekhar, militant pour la défense des droits de l’homme, élu local et ancien membre du Front des Forces Socialistes (parti d’opposition depuis 1963). Selon une déclaration de M. Fekhar « le Conseil des Notables du M’zab n’est pas le tuteur des citoyens de Ghardaïa, il est par contre l’œil et l’oreille du pouvoir central dans la région, sans réel ancrage. Pourquoi ce Conseil ne s’exprime- t-il jamais quand les citoyens subissent les dépassements des autorités ? » (El Watan, 25 octobre 2012). 36. Toutes les citations des députés sont extraites du journal officiel des débats de l’APN, n° 249-250-251, novembre 2011. 37. Bérengère Marques-Pereira, « Quotas ou parité : Enjeux et argumentation », Recherches féministes, vol. 12, n° 1, 1999 , p. 104.

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38. El Moudjahid, 1er Mars 2012, p. 4. 39. Le Midi Libre, 8 septembre 2011. 40. Mohammed Hachemaoui, « La représentation politique en Algérie entre médiation clientélaire et prédation (1997-2002) », Revue française de science politique, vol. 53, n° 1, 2003 , p. 36. 41. Nouria Benghabrit-Remaoun (dir), Femmes et intégration socioéconomique, étude réalisée par le Centre de recherche en anthropologie sociale et culturelle (CRASC) pour le compte du ministère délégué chargé de la Famille et de la Condition féminine, 2006. 42. Nouria Benghabrit-Remaoun, « Femmes en politique : une minorité en émergence », in Hassan Remaoun (dir), L’Algérie aujourd’hui. Approches sur l’exercice de la citoyenneté, Oran, Éditions du CRASC, 2012, p. 156. 43. Janine Mossuz-Lavau, Femmes/Hommes. Pour la parité, Paris, Presses de Science Po, 1998, p. 91. 44. Drude Dahlerup, “From a Small to a Large Minority: Women in Scandinavian Politics”, Scandinavian Political Studies, vol. 11, n° 4. 45. Jacqueline Martin (dir.), La parité : enjeux et mise en œuvre, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail ; Laure Bereni, « Des quotas à la parité : féminisme d’État et représentation politique (1974-2007) », Genèses, n° 67, 2007. 46. Le féminisme d’État constitue une réponse aux revendications des mouvements féministes à travers des mécanismes et des institutions publiques qui ont pour but de rendre concrète et réelle l’égalité entre les hommes et les femmes sur tous les plans de la vie sociale, politique et économique, tout en œuvrant à l’amélioration de la condition des femmes. Voir Joni Lovenduski et al. (ed.), State Feminism and Political Representation, Cambridge, Cambridge University Press, 2005. 47. Sana Ben Achour , « Féminisme d’État : figure ou défiguration du féminisme ? », Mélanges Mohamed Charfi, Tunis, Centre de Publication Universitaire, 2001. 48. Laure Bereni, « Quand la mise à l’agenda ravive les mobilisations féministes. L’espace de la cause des femmes et la parité politique (1997-2000) », Revue française de science politique, vol. 59, 2009, p. 302. 49. Réseau Euro-Méditerranéen des droits de l’Homme, « Réformes politiques » ou verrouillage supplémentaire de la société civile et du champ politique ? Une analyse critique, Copenhague, 2012, p. 39. 50. Amine Khaled Hartani, « Femmes et représentation politique en Algérie : Virtualités constitutionnelles, solutions normatives possibles », CIDDEF, HTTP://WWW.CIDDEF-DZ.COM/ PDF/AUTRES-PUBLICATIONS/ARTICLE2-FEMMES-ET-REPRESENTATION-POLITIQUE-EN-ALGERIE.PDF, 2003, consulté le 23 janvier 2014.

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RÉSUMÉS

La loi des quotas pour les femmes, dite « loi organique fixant les modalités augmentant les chances d’accès de la femme à la représentation dans les assemblées élues », a été adoptée par le Parlement algérien en 2012. Le pouvoir l’a présentée comme faisant partie du processus des réformes politiques. Toutefois, cette loi était attendue depuis l’amendement de la Constitution en 2008. Ce papier tente en premier lieu de mettre l’accent sur le débat politique et parlementaire sur la loi organique. En second lieu, il est question d’esquisser un premier bilan de cette loi, permettant, malgré toutes les critiques des politiques et des féministes, de classer l’Algérie au premier rang des pays arabes en matière de représentation féminine au Parlement.

The so-called “Organic law defining the modalities to raise the woman chances to gain access to the representation inside elected assemblies”, or law for a feminine quota, has been voted by the Algerian Parliament in 2012. The executive power presented this law as a part of the political reform process, even if it took four years to prepare it after the 2008 Constitutional reform. This articles tries to highlight the political and parliamentary debate about this organic law. Then, it examines the first outcomes of this law, which – despite all the critics formulated by politicians and feminists – allows Algeria to rank first amongst the Arab countries on the matter of feminine representation inside Parliament.

INDEX

Keywords : Quotas, Political representation, Reform, Equality, Citizenship Mots-clés : quotas, représentation politique, réforme, égalité, citoyenneté

AUTEUR

BELKACEM BENZENINE Belkacem Benzenine est chercheur au Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle (Oran, Algérie). Il travaille sur la place des femmes dans la vie politique dans les pays arabes. Il a codirigé (avec Amar Mohand Amer) Le Maghreb et l’indépendance de l’Algérie (Karthala, 2012). Belkacem Benzenine is a researcher at the National Research Center in Social and Cultural Anthropology (Oran, Algeria). He is studying the place of women in the political life of the Arab countries. He co-edited (with Amar Mohand Amer) Le Maghreb et l’indépendance de l’Algérie (Karthala, 2012).

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Minorités et liberté religieuse dans les Constitutions des États de l’Orient arabe

Nael Georges

1 La mise en place des constitutions modernes dans les États de l’Orient arabe1 a débuté après la décolonisation ottomane et l'instauration des mandats français et anglais. C’est à partir de cette époque que – sans abandonner intégralement les traditions religieuses – la modernité juridique ainsi que l’adoption des structures constitutionnelles modernes ont commencé à être adoptées. Certaines minorités religieuses ont su se saisir de cette modernité comme d'un instrument utile à leur émancipation. Revendiquant désormais leurs droits et leurs libertés en tant que citoyens à part entière, elles ont été amenées à jouer un rôle important dans le renforcement du panarabisme qui caractérise aujourd’hui la majorité des textes constitutionnels du monde arabe2.

2 Le débat sur les dispositions constitutionnelles concernant notamment la place de la religion et la question de la citoyenneté ont récemment resurgi dans le contexte des révolutions arabes. Certaines réformes constitutionnelles récentes ont touché les constitutions syrienne, jordanienne et égyptienne. Le Liban a été ajouté aux États examinés dans cet article en raison de l’importance démographique de ses communautés religieuses et de la forte influence du confessionnalisme religieux sur ses dispositions constitutionnelles. Celles-ci sont en principe introduites sur une base égalitaire, ce qui constitue un cas unique dans l'Orient arabe.

3 Cet article apporte des éclairages sur les droits fondamentaux des citoyens ainsi que sur la place des religions dans les différents textes constitutionnels des États de l’Orient arabe, en mettant en lumière leurs principales faiblesses. La variété des situations en termes d'enjeux politiques nécessite d'esquisser un travail comparatif montrant les spécificités de chaque État. Il s’agit de contribuer à identifier au sein de chaque système constitutionnel, notamment suite aux récentes réformes, les éléments favorables et défavorables au respect de la liberté religieuse et de l’intégration des minorités religieuses.

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4 Cet article se propose d’examiner, dans un premier temps, les garanties constitutionnelles de la protection des droits de l’homme, y compris des personnes appartenant aux minorités religieuses, dans les textes constitutionnels des États susmentionnés. Ces garanties constituent un moyen de mesurer le degré de protection nationale des droits de l’homme. Néanmoins, la complexité de textes constitutionnels nous conduira, dans un second temps, à faire des remarques générales sur leur crédibilité.

La protection des droits des minorités dans les constitutions

5 Les États de l’Orient arabes ne reconnaissent pas l’existence de minorités sur leur territoire3, et le terme « minorité » n’est jamais cité dans leurs textes constitutionnels. Néanmoins, la protection des droits de l’homme, en général, et des droits des minorités religieuses, en particulier, est assurée par deux principales catégories de droits fondamentaux. Il s’agit, d’une part, des dispositions relatives au principe de l’égalité, et d’autre part, des dispositions concernant les libertés, notamment religieuses.

Le principe de l’égalité

6 Le principe de l’égalité est affiché dans toutes les constitutions des États de l’Orient arabe, sous des formes variant d’une constitution à l’autre. Dès sa rédaction en 1926, la Constitution libanaise garantit les droits fondamentaux de l’homme. En dépit des défauts qui la caractérisent4, elle assure la reconnaissance des chrétiens libanais comme citoyens à part entière. Elle permet leur participation à la vie politique et publique au Liban, sans pour autant exclure les autres communautés musulmanes de ces avantages. Cela constitue une exception pour les chrétiens de l’Orient arabe par rapport à leur situation dans d’autres États arabo-musulmans, où leur accès à certains postes clés est limité. L’alinéa C du préambule introduit « l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence ». De même, l’article 7 garantit l’égalité des citoyens, non seulement devant la loi, mais aussi dans la jouissance des droits civils et politiques5. À la différence des autres constitutions dans le monde arabe, celle du Liban est fondée sur le principe de la représentation religieuse. L’article 24 assure le partage des sièges parlementaires à égalité entre chrétiens et musulmans. L’article 95 reprend cette disposition pour confirmer la parité entre chrétiens et musulmans dans la composition de la Chambre des députés et la formation du gouvernement6.

7 L’actuelle constitution syrienne de 2012, comme celle de 19737, garantit le principe de l’égalité, notamment dans le préambule ainsi qu’en vertu des articles 19 et 26 et 33. Ce dernier fait référence au principe de citoyenneté et proclame l’égalité entre les citoyens en droits et en devoirs sans aucune distinction, y compris celle fondée sur la religion. L’État garantit en vertu du même article l’égalité des chances de tous les citoyens. La Constitution jordanienne8 va dans le même sens en affirmant, en son l’article 6, non seulement l’égalité entre les Jordaniens devant la loi, mais aussi en l'interdiction toute distinction entre eux, pour ce qui est de leurs droits et de leurs devoirs, que celle-ci soit fondée sur la race, la langue ou la religion. Le même article affirme que l’État garantit l’égalité des chances pour tous les jordaniens9. Il faut ajouter que la Jordanie réserve des quotas aux minorités chrétiennes dans le système électoral,

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afin qu’elles soient représentées de manière proportionnelle10. Il est remarquable que ce pourcentage dépasse leur poids démographique, ce qui montre une tolérance envers cette minorité11.

8 La Constitution égyptienne de septembre 1971 garantit l’égalité entre les citoyens sur le plan politique et juridique12. Le nouveau texte constitutionnel de 2012 affirme dans son préambule l’égalité entre les citoyens et les citoyennes. Cependant l’article 33 de ce même texte prévoit l’égalité entre les citoyens devant la loi, en droits et en devoirs publics, sans faire explicitement mention du motif de la religion ou le sexe. Tel est aussi le cas de l’article 6 ; celui-ci fait référence au principe de la citoyenneté « qui assure l’égalité entre les citoyens en droits et en devoirs publics ». L’article 55 concerne le droit de chaque citoyen d’être électeur et éligible, et définit la participation à la vie publique comme un devoir national pour les citoyens. Néanmoins, cet article doit être appliqué « conformément aux dispositions de la loi »13; ce qui signifie, en vertu de l'article 2, l’influence de la Charîʻâ en tant que source principale de législation.

9 Il ressort que l’égalité juridique, c’est-à-dire l'égalité « devant la loi en droits et en devoirs » est un terme commun entre toutes les constitutions étudiées14. Par conséquent, l’interdiction de la discrimination entre les non-musulmans et les musulmans devrait embrasser toutes les lois en vigueur dans les États susmentionnés. Telle n’est pas le cas puisque les législations de ces États, à l’exception du cas libanais, intègrent certaines dispositions juridiques discriminatoires à l’égard des non- musulmans, notamment en matière de statut personnel15 et quant à l’accès à certains postes clés.

La liberté religieuse

10 Les libertés et les droits individuels sont inclus dans plusieurs dispositions des textes constitutionnels susmentionnés. L’ancienne constitution égyptienne de 1971, comme celle de la Jordanie, garantissait la liberté de croyance et la liberté d’exercice du culte16. La Constitution actuelle de Jordanie exige en outre la conformité des pratiques religieuses avec l’ordre public et les bonnes mœurs (art. 14). Le nouveau texte constitutionnel égyptien garantit dans son article 43 la liberté de croyance ainsi que la pratique du culte et l’établissement de lieux de culte pour les religions révélées17. Celles-ci sont, d’après la doctrine musulmane, l’islam, le christianisme et le judaïsme, et non les autres religions qui sont postérieures à l’arrivée de l’islam telle que le Bahaïsme.

11 La Constitution syrienne de 197318 énonce dans son article 35 la garantie de la liberté de croyance, le respect par l’État de toutes les religions, et l'exercice de la liberté de culte dans les limites de l'ordre public. Le nouveau texte de 2012 affirme également le respect de la liberté religieuse et de celle du culte, toujours dans les limites de l’ordre public et de celles prévues par la loi19.

12 L’alinéa C du préambule de la constitution libanaise affirme « le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience […] ». En vertu de l’article 9, la liberté de conscience est absolue ; l’État doit prendre des mesures positives pour respecter toutes les confessions ainsi que la protection du libre exercice du culte « à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public ». À cette « liberté absolue »20 de la conscience s’ajoute dans ce Préambule la mention de l’attachement du Liban à l’ONU et à ses pactes21 ainsi qu’à la Déclaration de 1948 22. Ces garanties sont

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absentes dans les autres constitutions de l’Orient arabe comme nous l’avons constaté. Cela explique que le changement de religion, que ce soit vers l’islam ou depuis l’islam, est admis au Liban, tandis que les autres États de l’Orient arabes ne reconnaissent que la conversion à l’islam ; tout musulman qui tente de se convertir à une autre religion est sujet à une accusation d’apostasie.

13 Les communautés religieuses bénéficient depuis l’instauration des constitutions libanaise et jordanienne, d’une autonomie en matière de statuts personnels23. Tel n’est pas le cas des anciens textes constitutionnels en Égypte et en Syrie. Il a fallu attendre les récentes réformes constitutionnelles dans ces deux États pour garantir l’autonomie du statut personnel de certaines communautés religieuses24. Néanmoins, la nouvelle constitutionnel égyptienne ne garantit que l’application des dispositions législatives chrétiennes et juives aux non-musulmans, sans rétablir les tribunaux religieux qui ont été abolis en vertu de la loi égyptienne 462/195525.

14 On ne peut qu’insister enfin sur l’importance de ces dispositions constitutionnelles pour la formation des grands principes des droits de l’homme et surtout l’instauration de la notion de citoyenneté et l’intégration des personnes appartenant aux minorités religieuses. Néanmoins, en révision les textes constitutionnels, nous relèverons certains défauts vis-à-vis du respect des droits de l’homme, en général, et les droits des minorités religieuses, en particulier ; ce qui fera l’objet la deuxième partie de cet article.

La crédibilité contestée des constitutions

15 La fragilité de textes constitutionnels des États de l’Orient arabe apparaît essentiellement à travers l’influence de l’islam. La réticence de ces constitutions face à la charte internationale des droits de l'homme26 constitue une autre faiblesse qui mérite d’être abordée.

L’islam dans les constitutions des États du Machreq

16 Le droit positif a ainsi profondément influencé les constitutions de l’Orient arabe, en particulier sur la question de l’égalité de tous sans aucune distinction, notamment religieuse. Tel n’est pas le cas de la loi musulmane qui, elle aussi, a laissé son empreinte sur ces constitutions. En effet, l’influence de la Charîʻâ affecte le principe de la neutralité de l’État, l’égalité entre les musulmans et les non-musulmans ainsi que les libertés surtout religieuses. Introduire une religion d’État et considérer la Charîʻâ comme source de législation, voire sa source principale, a amené à l’instauration de certaines dispositions internes discriminatoires à l’encontre des non-musulmans, notamment dans le domaine du statut personnel27.

17 Mis à part le Liban, dont la Constitution n’énonce aucun lien entre l’État et l’islam, tous les États de l’Orient arabe font une telle référence, dans des formes qui varient d’un État à l’autre. En Syrie, la nouvelle constitution de 2012, comme celle de 1973, proclame dans l’article 3 que la religion du Chef d’État doit être l’islam. Tout en admettant qu’une telle clause constitue une atteinte portée aux droits sociopolitiques des autres communautés religieuses, il est important de rappeler que la non-figuration de l’islam comme religion de l’État en Syrie constitue un cas quasi-unique dans le monde arabe. Ajoutons que les deux Constitutions syriennes susmentionnées prévoient en leur article

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3 que le fiqh (doctrine) islamique est l’une des sources principales de la législation, à la différence de l’ancienne Constitution de 1950 où le fiqh musulman était la source principale de la législation.

18 La situation en Égypte est plus complexe, et sa constitution de 1971 comme celle de 2012 sont plus islamisées que leurs équivalent syriens. Ces deux textes constitutionnels prévoient en effet que l’islam est la religion de l’État28 et que les principes de la Charîʻâ29 constituent la source principale de la législation, alors que la plupart des constitutions arabes n'en font que l'une des sources de la législation 30. Le nouveau texte constitutionnel égyptien, en son article 219, fait de la jurisprudence des écoles juridiques sunnites des sources d’interprétation pour la Charîʻâ. Cette clause constitue une atteinte aux droits des autres communautés religieuses musulmanes, comme l'école chîʻte. Enfin, cette nouvelle constitution est caractérisée par un large emploi du vocabulaire religieux31, et son article 4 fait d'al-Azhar32 une autorité religieuse exclusive et consultative quant aux questions relatives à la Charîʻâ33. Les tentatives de chrétiens égyptiens et des opposants libéraux pour rejeter ces dispositions constitutionnelles se sont révélées vaines en raison de la mainmise des islamistes sur le processus d'élaboration de la constitution.

19 Quant à la Constitution Jordanienne, elle déclare en son article 2 que l’islam est la religion de l’État. La Charte nationale de 1990 prévoit par ailleurs que la loi musulmane est la source principale de la législation. En vertu de cette constitution, les tribunaux appliquent les règles de la loi musulmane. La Charîʻâ est donc retenue « en tant qu’ensemble de normes se suffisant à elles-mêmes »34. En outre, la constitution prévoit une clause relative au Roi qui doit être musulman, sain d’esprit, né d’une épouse légitime et de parents musulmans (art 28, e).

20 À ces clauses mentionnant expressément l’islam, s’ajoutent certaines dispositions se référant implicitement à la Charîʻâ à travers des notions telles que celle de « solidarité » et de formules définissant la « famille comme la base de la société »35. De même, l’autonomie du statut personnel des non-musulmans, assurée comme nous l’avons constaté dans toutes les constitutions actuelles des États de l’Orient arabe, trouve sa source dans la Charîʻâ36. Cette autonomie est à l’origine de l’instauration d’un système de pluralisme juridico-législatif dans le domaine des statuts personnels. Certes, ce système assure une indépendance législative et juridictionnelle37 aux communautés non-musulmanes, évitant ainsi l’application de la loi musulmane à leurs affaires familiales. Néanmoins, il est également à l’origine de la conversion à l’islam de non- musulmans puisque cette conversion constitue parfois une solution pour échapper aux clauses abusives de certaines dispositions législatives canoniques38, ou encore pour bénéficier de certains avantages de la loi musulmane39.

Les constitutions face à la charte internationale des droits de l'homme

21 La ratification par les États de l’Orient arabe de certains instruments internationaux des droits de l’homme a marqué un progrès et une ouverture quant à leur volonté de promouvoir ces droits. Cependant, une transposition limitée des engagements internationaux est remarquée sur le plan national. Pourtant, l’objet principal de l’élaboration des dits instruments internationaux est d’assurer une protection efficace des droits de l’homme sur le plan interne des États adhérents. Cela ne se réalise pas

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sans, d’une part, l’insertion des dispositions de conventions internationales dans l’ordre juridique interne de ces États, et d’autre part, l'admission du principe de la primauté des traités internationaux sur le droit national40.

22 Certaines constitutions des États de l’Orient arabe reconnaissent la supériorité des traités tandis que d’autres nécessitent l’adoption de lois spécifiques pour donner à un traité international, même ratifié, force de loi. La constitution jordanienne ne contient aucune disposition consacrée expressément aux rapports entre les traités internationaux et les lois nationales. Cependant la Cour de cassation, dite al-tamyîz, est intervenue pour donner aux conventions internationales une valeur supérieure vis-à- vis de la loi jordanienne41. Deux autres arrêts de la même Cour, en 2001 et 2005, viennent également confirmer la supériorité de ces conventions42.

23 L’article 151 de l’ancienne Constitution égyptienne prévoit que « le Président de la République conclut les traités et les communique à l’Assemblée du Peuple accompagnés d’un exposé adéquat. Ils auront force de loi après leur conclusion, leur ratification et leur publication, conformément aux conditions en vigueur »43. L’article 145 de la nouvelle constitution égyptienne de 2012 a repris ces dispositions en exigeant également l’aval de l’Assemblée du Peuple et du Conseil consultatif (Majlis al-Chûra) avant l’adoption d’un traité. Celui-ci ne doit pas être, en vertu du même article, contraire aux dispositions de la Constitution. Il faut ajouter que l’attribution aux traités de la force de loi leur octroie une valeur législative et non une valeur constitutionnelle suprême44. Cela signifie que les dispositions de ces traités risquent d’être écartées dans le cas de l’adoption d’une loi postérieure, si celle-ci est en conflit avec lesdites dispositions45.

24 À l’instar de l’Égypte, la Constitution syrienne attribue le pouvoir de conclure les traités au chef de l’État. Toutefois, la Constitution syrienne ne dit rien sur la supériorité ou non des traités sur les lois internes46. Le Liban est le seul État de l'Orient arabe à avoir incorporé la DUDH, suite à un amendement de la constitution en 1990. Son préambule stipule désormais que « le Liban est […] membre fondateur et actif de l’Organisation des Nations Unies, engagé par ses pactes et par la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’État applique effectivement ces principes dans tous les champs et domaines sans exception ». En outre, le Liban affirme, à travers sa jurisprudence nationale que la convention l’emporte sur la loi interne en cas de conflit47.

25 L’insertion des dispositions de ces conventions dans l’ordre juridique interne n’est pas non plus satisfaisante. Nous nous limiterons ici à montrer les manquements au PIDCP, puisque celui-ci a été ratifié par tous les États abordés dans cet article48, d’une part, et qu'il contient les principaux droits liés aux minorités religieuses, d’autre part. Certains droits qui sont prévus dans ce pacte ne trouvent pas leur équivalent dans les constitutions susmentionnées. Il s’agit de la protection des minorités (art. 27), de la liberté d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction de son choix (art. 18), et de la protection de l’enfant sans aucune discrimination (art. 24). De même, l’interdiction de l’appel à la haine nationale, raciale ou religieuse qui constitue une incitation à la discrimination, ainsi que l’interdiction de l’hostilité ou de la violence (art. 20), ne sont pas mentionnées dans les constitutions étudiées49. Le droit au mariage, qui inclut le droit au choix du conjoint sans distinction (art. 23), ne figure pas dans la majorité des constitutions arabes50. L’égalité devant les tribunaux et les cours de justice, un droit prévu par l’article 14 du PIDCP, n’a pas fait l’objet de garanties dans les constitutions examinées, à l’exception de la Constitution libanaise51. Pourtant, ce droit assure une

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garantie essentielle et fondamentale pour les minorités religieuses d’Orient en raison du pluralisme des statuts personnels52.

26 L’analyse de textes constitutionnels des États de l’Orient arabe montre que ceux-ci ne sont ni complètement théocratiques, ni parfaitement laïcs. Or, cette situation ambiguë n’est pas viable à long terme, et le monde arabe fait actuellement l’objet d’une profonde réforme politico-juridique. Les années à venir dessineront un nouveau paysage politique et juridique dans cette région, et laisseront en conséquence leurs empreintes sur le respect des droits de l’homme, dont ceux des minorités religieuses.

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- Reform Policies of the Syrian Penal System, Strategic Research & Communication Centre, mars 2012, 28 p.

- Les droits des minorités chrétiennes au Levant, Revue El-Machriq, N° 1, janvier-juin 2013, pp. 21-37, (en arabe).

- L’interdiction du divorce et la conversion de chrétiens d’Égypte à l’Islam, Évangile et liberté, N° 259, mai 2012.

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- Les chrétiens d’Orient arabe face à un faible système régional de protection des droits de l’homme, Revue El-Machriq, N° 1, janvier-juin 2011, pp. 23-48, (en arabe).

NOTES

1. L’Orient arabe est également appelé Machrek (Levant) par opposition au Maghreb (Couchant). 2. Le panarabisme – ou nationalisme arabe – constitue une idéologie concurrente au panislamisme, qui vise à une forte intégration des Arabes non-musulmans, en évitant le clivage religieux entre les citoyens. Néanmoins, l’attachement de certains régimes à l’arabité, notamment celui de la Syrie, a affecté les droits culturels, surtout linguistiques, des non-arabes comme les Arméniens, les Assyriens et les Kurdes. 3. Certaines minorités sont reconnues implicitement du fait de l’existence d’un statut légal les concernant comme les chrétiens, tandis que d’autres n’ont aucune existence légale comme les témoins de Jéhovah. 4. Cf. infra.

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5. L’article 12 réaffirme l’égale admissibilité aux emplois publics de tous les citoyens « sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence et suivant les conditions fixées par la loi ». 6. Il est vrai que l’islam n’a aucune prééminence, contrairement à la situation des autres États de l’Orient arabe, cependant le système confessionnel susmentionné empêche la représentation de nombreux citoyens à certains postes compte tenu de leur non-appartenance à la communauté appropriée. Ce système nuit également à l’unité nationale, au développement économique et renforce le confessionnalisme. 7. Cette constitution de 1973 garantit le principe de l’égalité dans les articles 25 et 26. Ceux-ci proclament l’égalité des citoyens devant la loi, en droits et en devoirs (art. 25). L’État garantit aussi l’égalité des chances de tous les citoyens, qui se voient ainsi reconnaître le droit, en vertu de l’article 26, « de participer à la vie politique, économique, sociale et culturelle de la manière réglementée par la loi ». 8. Elle a été proclamée le 8 janvier 1952 et a depuis fait l’objet de plusieurs modifications. 9. Cette Constitution reconnaît aussi à tous les jordaniens le droit au travail (art. 23), le droit de créer des associations (art. 16), ainsi que le droit d’accès aux fonctions publiques conformément aux lois (art. 22), ce qui renforce la participation de tous les citoyens à la vie publique de l’État. 10. La loi électorale de juillet 2001 a porté le nombre de députés élus de 80 à 104, parmi lesquels 9 sièges réservés aux chrétiens. 11. Il n’existe pas en Jordanie de système de nomination des députés chrétiens, à la différence de la situation en Égypte où la représentation des chrétiens dépend souvent d’une nomination par le président de la république et non d’une élection. Par ailleurs, cette représentation en Égypte n’est souvent pas proportionnelle à leur nombre. Cf. Ibrâhîm Saʻd al-Dîn, “The Copts of Egypt”, Report for Minority Rights Group International, 1996, p. 16. 12. L’article 8 de cette constitution prévoit que « l’État assure l’égalité des chances pour tous les citoyens ». Sur le plan juridique, la Constitution de 1971 assure l’égalité en stipulant dans son article 40 que « les citoyens sont égaux devant la loi. Ils ont les mêmes droits et les mêmes devoirs publics, sans distinction de race, d’origine, de langue, de religion ou de conviction ». La modification de la Constitution égyptienne en 2007 mérite d’être mentionnée. Elle fait de la citoyenneté un pilier fondamental du régime constitutionnel égyptien. Ceci a été perçu comme une disposition favorisant l’égalité entre les musulmans et les non-musulmans dans cet État. Cf., l’article premier du texte modifiant la Constitution égyptienne, Journal officiel égyptien, n°13, 31 mars 2007, http://www.alexcham.org. 13. Cet article réintroduit les mêmes dispositions de l’article 62 de l’ancienne constitution de 1971. 14. L’égalité des chances, qui constitue un autre aspect de l’égalité juridique, est également un terme commun à toutes les constitutions susmentionnées, à l’exception de la Constitution libanaise qui utilise la formule d'« égale admissibilité aux emplois publics ». 15. Les statuts personnels comprennent les questions relatives aux mariage, divorce, testament, succession, etc.

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16. Cf. L’article 46 de l’ancienne Constitution égyptienne et l’article 14 de la Constitution jordanienne. Cette dernière prévoit, dans son article 7, que la liberté personnelle est garantie. Cette disposition concernant la liberté personnelle a été introduite dans le nouveau texte constitutionnel égyptien en vertu de l’article 34. 17. L’importance de cette disposition vient du fait que les chrétiens d’Égypte, à la différence de leurs coreligionnaires dans l’Orient arabe, rencontrent des difficultés particulières relatives à la construction et à la rénovation de leurs lieux de culte. 18. Elle a été adoptée par référendum le 12 mars 1973. 19. Cf. Les articles 3 et 42. 20. La première constitution égyptienne de 1923 prévoyait également dans son article 12 que « la liberté de croyance est absolue ». 21. Il s’agit du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC). 22. Cf. Infra. 23. Les affaires de statut personnel des chrétiens en Orient arabe sont, en principe, réglées par leurs tribunaux ecclésiastiques qui appliquent le droit canonique. L’article 9 de la constitution libanaise exige que l’État garantisse « aux populations le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». Quant à la Constitution jordanienne, elle prévoit, en détail, la division des tribunaux et l’indépendance juridique des communautés confessionnelles. En vertu de l’article 99, les tribunaux jordaniens sont de trois sortes : civils, religieux et spéciaux. L’article 104 divise les tribunaux religieux en deux, les tribunaux de droit musulman d’un côté, et les conseils des communautés confessionnelles de l’autre. Les deux anciennes constitutions jordaniennes de 1928 et de 1946 prévoyaient également l’attribution aux conseils confessionnels des questions relatives au statut personnel des chrétiens. 24. Cf. L’article 3 alinéa 4 de la constitution syrienne et l’article 3 de la nouvelle constitution égyptienne. 25. Mis à part cette interdiction d’établir de tribunaux religieux pour les non- musulmans, l’Égypte est le seul État dans l’Orient arabe à appliquer la Charîʻâ sur les chrétiens non-unis en communauté et en confession comme dans le cas où un conflit judiciaire surgit entre un copte-catholique et un arménien-catholique. Pour plus de détails voir Faraj Tawfîk, op. cit., p. 73 et s. 26. Cette charte est constituée par les instruments internationaux des droits de l'homme, en particulier la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et les deux pactes de 1966 (PIDCP et PIDESC). 27. De plus, l’influence de l’islam rend vaine les clauses constitutionnelles affirmant l’appartenance de la souveraineté au peuple. En effet, attribuer une religion à l’État signifie que la souveraineté du peuple a pour limit la souveraineté de Dieu. 28. Cette clause a été prévue par toutes les constitutions égyptiennes, à l’exception de celle de 1958. 29. Il faut rappeler que la formule retenue par la Constitution syrienne « le fiqh islamique est une source principale de la législation » n’a pas la même valeur que la formule énoncée dans la Constitution égyptienne qui considère la Charîʻâ comme la source principale de la législation. D’après Bernard Botiveau, « la référence à la Charîʻâ peut devenir facilement contraignante alors même qu’elle ne fait qu’énoncer un

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principe général ; en revanche, la simple référence au fiqh, considéré comme une source parmi d’autres, situe l’interprétation du droit dans un cadre très large ». 30. La rédaction initiale de l'article 2 de la constitution de 1971 était : « la Charîʻâ constitue une source de législation ». Néanmoins, l'amendement constitutionnel de mai 1980 en a fait « la source principale ». 31. Cf. Les articles 10, 11, 60 et 70. 32. Al-Azhar est une institution sunnite située au Caire ; elle est à la fois une mosquée et une université coranique. 33. L’article 4 prévoit aussi qu’al-Azhar est chargée de « prêcher l'islam en Égypte et dans le monde entier ». 34. Cf. AMOR Abdelfattah, 1994, « La place de l’Islam dans les constitutions des États arabes ; modèle théorique et réalité juridique », Islam et droits de l’homme, Economica, Paris, p. 25. 35. Cette formule figure dans l’article 10 de la Constitution égyptienne, l’article 20 de la Constitution syrienne et l’article 6, 4 de la Constitution jordanienne. 36. Le Coran admet cette autonomie car les chrétiens et les juifs possèdent des livres révélés par Dieu : « Que les gens de l’Évangile rendent la justice d’après ce que Dieu y a révélé. Ceux qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a révélé sont les pervers » (5; 47). 37. À l’exception de l’Égypte. 38. L’interdiction de divorce dans certaines communautés chrétiennes est l’une des principales raisons de conversion à l’islam. Évangile et liberté, N° 259, p. 4. 39. Cette conversion est essentiellement effectuée pour obtenir la garde de l’enfant lors d’un divorce, attribuée au parti musulman en cas de conflit, ou bien pour épouser une musulmane, lorsque ce type de mariage mixte est interdit en vertu de la législation égyptienne. Pour plus de détails, voir GEORGES Nael, « L’islamisation des chrétiens en Orient arabe dans le système du pluralisme juridico-législatif ». Conscience et liberté, N° 71, février 2012, pp. 16-26. Ce même système renforce l’appartenance religieuse au lieu de l’appartenance nationale et porte atteinte au principe d’égalité devant la loi et les tribunaux, ainsi qu’au principe de la souveraineté de l’État en tant que seul organe législateur. 40. En vertu de la Convention de Vienne sur le droit des traités ; les engagements internationaux prévalent sur le droit interne. L’article 27 de cette Convention précise qu’« une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ». L’avis consultatif de la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI) date du 4 février 1932, déclare qu’« un État ne saurait invoquer sa propre constitution pour se soustraire aux obligations que lui imposent le droit international ou les traités en vigueur ». CPJI, affaire Traitement des nationaux polonais à Dantzig, avis consultatif, Série A/B, n°44, p. 24. 41. La Cour a déclaré qu’« en principe ce sont les dispositions législatives internes en vigueur qui devraient être appliquées à moins qu’il y ait des dispositions contraires dans un traité ou un accord international. Cette règle n'est pas affectée par la postériorité ou l'antériorité de la loi interne par rapport à l’accord international ». Cf. l’arrêt de la Cour de cassation jordanienne n° 38/1991, publié dans le journal de l’ordre ةميق قوقحلا » ,des avocats, 1er janvier 1992. Cité par MDANAT Nafis, mars 1996 تايرحلاو فرتعملا اهب يف روتسدلا يندرﻷا : ةسرد ةيليلحت » «( La valeur des droits et des libertés reconnus par la constitution jordanienne : étude analytique »), Mu’tah journal

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for research and studies humanities and social sciences series, vol 11, n° 1, p. 273, notre traduction. 42. Il s’agit de l’arrêt de la Cour de cassation jordanienne n° 847/2001 du 8 juillet 2001 et du jugement n° 1962/2004 du 18 janvier 2005. 43. Les dispositions de cet article ont remplacé l’ancien article 125 de la constitution de 1964. 44. Concernant la place qu’occupent les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme en Égypte, voir le rapport périodique, présenté par l’Égypte, au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, CERD/C/384/Add.3, 11 avril 2001, p. 11 et s. Cf. aussi les troisième et quatrième rapports périodiques conjoints présentés par l’Égypte au Comité des droits de l’homme, CCPR/C/EGY/ 2001/3, 15 avril 2002, p. 11 et s. Il faut ajouter que la Cour suprême égyptienne n’a pas reconnu la valeur obligatoire de la DUDH ; elle a affirmé que cette déclaration n’a qu’une valeur législative et non constitutionnelle. 45. Néanmoins, certaines lois adoptées postérieurement aux traités prévoient une clause permettant la survie des dispositions des conventionnes internationales. Ces lois mentionnent explicitement que leurs applications ne mettent pas fin aux engagements internationaux. Tel est le cas du Code civil égyptien n° 131 de 1948 qui prévoit expressément, dans son article 23, que les dispositions du traité international priment en cas de conflit avec ses dispositions. Le Code civil jordanien prévoit la même disposition dans son article 24. 46. Il nous semble que les traités ont force de loi à l’instar du cas égyptien. Ceci a été affirmé par le ministre de la justice syrien dans une déclaration publique prononcée le 4 mai 2010, lors de la 44e session du Comité contre la torture. 47. ABDERRAZAK Moulay Rachid, 1997, Les droits de l’enfant dans les conventions internationales et les solutions retenues dans les pays arabo-musulmans, Recueil des cours / Académie de droit international de La Haye, p. 56. 48. L’Égypte est le seul État de l'Orient arabe à mettre en cause certaines dispositions des Pactes de 1966 en faisant une déclaration ambiguë lors de sa ratification. Ainsi l’Égypte a déclaré : « Vu les dispositions de la Charîʻâ islamique, vu la conformité du Pacte avec lesdites dispositions … [le Gouvernement égyptien accepte lesdits Pactes, y adhère et le ratifie] ». L’ensemble des citations des déclarations et des réserves émises par les États parties aux instruments internationaux sont disponibles sur le site de la Collection des traités des Nations Unies, http://treaties.un.org 49. Cependant des telles dispositions sont introduites dans les lois internes. 50. La Haute Cour constitutionnelle égyptienne a rendu un arrêt stipulant que le droit de choisir son conjoint figure implicitement dans la constitution. La Cour déclare : « Le fait que certains textes constitutionnels omettent d’énoncer le mariage en tant que droit, et ce qui en découle nécessairement comme droit au choix du conjoint, n’empêche pas son affirmation. Cela ne signifie pas en effet que ces textes ignorent leur contenu ou qu’ils laissent le législateur libre de décider des restrictions à imposer à l’exercice des ces droits. Ces deux droits sont étroitement liés au domaine de la vie privée, garanti par la constitution de la république arabe d’Égypte dans son article 45, selon lequel la vie privée des citoyens est inviolable et est protégée par la loi […] ». Arrêt n° 23/16e du 18 mars 1995. Cité par BERNARD-MAUGIRON Nathalie, 1999, La haute

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cour constitutionnelle égyptienne et la protection des droits fondamentaux, thèse de droit, Paris X, p. 417-418. 51. Pour des considérations probablement liées à la Charîʻâ, l’interdiction de l’esclavage (art. 8), l’égalité en droits entre l’homme et la femme (art. 3), et l’abolition de la peine de mort (le deuxième Protocole facultatif du PIDCP) ne sont pas non plus garanties par ces constitutions. En revanche, certains droits sont introduits dans les constitutions susmentionnées, malgré leur absence dans le PIDCP, telle que l’indépendance de la magistrature, comme le dispose l’article 74 de la Constitution égyptienne, l’article 97 de la Constitution jordanienne, l’article 132 de la Constitution syrienne et l’article 20 de la Constitution libanaise. 52. Ce système constitue, comme nous l’avons constaté, une entrave à la mise en place de l’égalité juridique.

RÉSUMÉS

Les changements en cours dans le monde arabe ont entraîné des réformes constitutionnelles radicales dans plusieurs États arabes. De telles réformes s’avèrent nécessaires non seulement pour respecter les droits et les libertés des citoyens, mais aussi du fait de leur impact direct sur la stabilité politique, le processus de paix, et les transformations démocratiques. Cet article a pour objectif de mettre en lumière les dispositions constitutionnelles relatives à la liberté religieuse et aux droits des minorités religieuses dans les pays arabes du Moyen-Orient. Il traite essentiellement du rôle de l’islam et de la Loi islamique (charî‘a) ainsi que de leur impact sur les questions relatives aux droits de l’homme.

The current changes in the Arab world have led to a radical constitutional reform in some Arab states. Such reform is essential not only to respect the rights and freedom of the citizens, but also because of its direct impact on political stability, peace process and democratic changes. This paper aims to shed light on constitutional provisions related to freedom of religion and religious minorities’ rights in the Arab countries of the Middle East. It deals essentially with the role of Islam and the Islamic law (sharî‘a) as well as theirs impacts on human rights issues.

INDEX

Keywords : Religious freedom, Minorities, Sharî‘a, Middle East, Human rights Mots-clés : liberté religieuse, minorités, charî‘a, Machreq, droits de l’homme

AUTEUR

NAEL GEORGES Nael Georges est docteur en droits de l’homme. Il est actuellement enseignant-chercheur à l’université Paris-Sud. Il est très impliqué dans la recherche en droit arabe et musulman ainsi que dans la protection des droits de l’homme et le dialogue interreligieux. Auteur d’un livre intitulé

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Le droit des minorités. Le cas des chrétiens en Orient arabe, il a fait également paraître plusieurs articles dans des revues scientifiques sur la religion et les droits de l’homme. Nael Georges is a Doctor in Human rights. He is currently researching and teaching at Paris-Sud university. He is very implicated in the research in the field of the Arabic and Muslim Law, as well as in the Human rights protection and the dialogue between religions. He has published a book entitled Le droit des minorités. Le cas des chrétiens en Orient arabe, and several articles in scientist journals about religion and Human rights.

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Le sauvetage des monuments de Nubie par l’Unesco (1955-1968)

Chloé Maurel

1 L’Unesco (organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture), créée en 1945, a vu son action dans le domaine du patrimoine prendre de plus en plus de place dans son programme au fil du temps. Le sauvetage des monuments de Nubie, au sud de l’Égypte, à savoir les temples d’Abou Simbel, construits au temps de Ramsès II au XIIIe siècle avant notre ère, a été effectué de 1955 à 19681. Ce sauvetage reste comme l’une des actions opérationnelles de plus grande ampleur réalisées par l’Unesco. Il lui a conféré un prestige durable.

2 La présente étude qui retrace cette campagne de sauvetage se fonde sur les archives conservées au siège de l’Unesco à Paris : rapports de l’Unesco, articles de presse, et surtout échanges de correspondance entre les protagonistes du projet.

3 L’intérêt d’une telle étude est de retracer, dans toute leur complexité, les étapes qui ont été nécessaires pour aboutir à ce sauvetage, de montrer comment l’Égypte et plusieurs autres pays, malgré les tensions politiques liées notamment à la crise de Suez et à la guerre d’Algérie, y ont collaboré, sous l’égide de l’Unesco, et comment un vaste réseau intellectuel et technique transnational s’est mis en place, associant archéologues, égyptologues, techniciens, hommes politiques, diplomates, agents culturels et en particulier agents de l’Unesco, autour de cet objectif commun. Le rôle de certains acteurs-clés, comme l’égyptologue française Christiane Desroches-Noblecourt, le ministre de la culture égyptien Saroïte Okacha, et le directeur général de l’Unesco René Maheu, sera mis en évidence. Ainsi, cette étude s’inscrit au carrefour de l’histoire des relations internationales et de l’histoire culturelle.

4 Comment l’Unesco a-t-elle été amenée à agir en faveur des temples de Nubie ? Comment s’est déroulé le sauvetage de ces temples et comment les multiples difficultés ont-elles pu être surmontées ? Comment s’est articulée l’action des différents protagonistes et que révèle cette campagne de sauvegarde sur la place et le rôle de l’Égypte dans les relations internationales de l’époque ? Quelles ont été les répercussions de cette opération dans l’opinion publique mondiale ? Il s’agira ici de

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retracer les études préliminaires, l’appel international de l’Unesco pour les monuments de Nubie, le sauvetage des temples, les difficultés multiples, le rôle des États-Unis, et le sauvetage de Philae.

Les études préliminaires

5 En 1955, Nasser, qui vient d’arriver au pouvoir en Égypte, décide de construire le haut barrage d’Assouan, d’une importance économique vitale pour ce pays dont le désert représente environ 90 % de la superficie. Pour Habib Ayeb, « la construction du haut barrage d’Assouan a été un des effets positifs de la guerre froide », et cette entreprise redessine les relations entre l’Égypte et le Soudan, indépendant depuis 19562.

6 La construction du barrage d’Assouan fait aussi peser des menaces sur les temples de Nubie, puisque la mise en place du barrage doit entraîner la formation d’un immense lac artificiel de 5 000 kilomètres carrés, le lac Nasser. La zone destinée à être engloutie comprend non seulement les temples d’Abou Simbel et de Philae, mais aussi d’innombrables autres monuments et témoignages historiques et artistiques datant de la préhistoire jusqu’à l’époque médiévale : gravures, inscriptions rupestres, une dizaine de temples et de chapelles rupestres, une dizaine de temples construits3.

7 Initialement, l’Unesco n’avait pas prévu de sauver les monuments de Nubie. Il s’agit au début, sur la demande du gouvernement égyptien, d’envoyer des missions d’archéologues pour faire des relevés afin de garder la trace de ces monuments avant qu’ils ne disparaissent. Sur l’impulsion de l’Unesco, des missions archéologiques de différents pays font des fouilles approfondies des différentes zones de la région. Les États participants sont très intéressés par la possibilité d’envoyer des missions, et rapidement, les demandes de concessions de fouilles affluent4. Ces fouilles donnent lieu à des résultats importants5. Cependant, de fortes rivalités se développent entre les missions nationales pour l’attribution des zones de fouilles les plus intéressantes et la délimitation de ces zones (problèmes de délimitation et de chevauchements)6. Il y a aussi parfois, sur une même zone, des rivalités entre les missions chargées de l’étude préhistorique et celles chargées de l’étude égyptologique. Ces rivalités, peu constructives, consternent Louis Christophe, agent de l’Unesco envoyé sur place : « la campagne de Nubie n’est pas une foire d’empoigne. Il y a du travail pour tous les spécialistes. […] Ne travaillons-nous pas tous dans le même but, un but scientifique ? »7.

8 La participation de l’URSS aux fouilles, annoncée mais pas confirmée, reste incertaine jusqu’en 1961, ce qui inquiète l’Unesco, qui lui a concédé le terrain de Wâdî ʻAllâqî. En effet, étant donné les nombreuses offres des États d’envoyer des missions de fouille, presque toute la Nubie égyptienne est désormais répartie entre les différentes missions d’archéologues. « Il ne reste pratiquement plus de terrains à fouiller en Nubie égyptienne ; aussi ne devons-nous pas risquer que Wâdî ʻAllâqî nous reste sur les bras », comme l’observe un autre fonctionnaire de l’Unesco responsable de ce programme, M. van der Haagen ; c’est finalement très tardivement que l’URSS confirme son intention et entreprend des fouilles dans cette zone8. L’URSS devient dans ces années un acteur majeur au Moyen-Orient et notamment en Égypte : la superpuissance communiste a séduit Nasser en s’engageant à financer le barrage d’Assouan et Hélène Carrère d’Encausse parle pour les années postérieures à 1967 de « pax sovietica » au Moyen Orient9.

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9 À la supervision des fouilles s’ajoute le fait que l’Unesco contribue en 1955 à la création du « centre de documentation et d’études sur l’histoire de l’art et la civilisation de l’Égypte ancienne », le CEDAE, au Caire, constitué d’archéologues, d’architectes des monuments, de dessinateurs, de photographes. L’égyptologue française Christiane Desroches-Noblecourt10, conservatrice du département égyptien au musée du Louvre, prend une part active à son élaboration, en collaboration avec le gouvernement égyptien. L’Unesco envoie des experts travailler au CEDAE et y former du personnel égyptien, et dote le centre d’un équipement moderne. Ce centre mène d’importants travaux de reconstitution documentaire sur les témoignages artistiques de la zone de Nubie menacée de submersion11. Ces travaux contribuent à la prise de conscience de l’immense richesse archéologique de cette zone, jusqu’alors mal connue à cause de sa situation excentrée, au cœur du désert. Une évolution se produit alors dans l’esprit des fonctionnaires de l’Unesco et des chercheurs participants : l’idée de sauver ces monuments émerge.

10 En avril 1956, sur l’impulsion de Christiane Desroches-Noblecourt, le comité international pour les monuments, les sites d’art et les fouilles archéologiques recommande à l’Unesco de lancer un appel pour le sauvetage de ces monuments. Mais la crise de Suez qui éclate quelques mois plus tard empêche l’Unesco de donner suite à cette recommandation. En 1957, au conseil exécutif de l’organisation, le représentant de l’Égypte, M. ʻAwad, prône la mise en place d’une aide internationale pour la sauvegarde des monuments de Nubie, mais sans succès ; la conjoncture politique y est alors défavorable, dans le contexte de la guerre d’Algérie (le Gouvernement provisoire de la république algérienne, GPRA, étant installé au Caire)12, et des conséquences de l’expédition franco-britannique à Suez. À la suite de cette expédition, qui a beaucoup nui aux relations franco-égyptiennes, les fonctionnaires de l’Unesco présents en Égypte ont été assignés à résidence puis évacués en Crète par l’ONU. Les actions de l’Unesco en Égypte sont interrompues. Seule Christiane Desroches-Noblecourt poursuit ses travaux au Caire. Elle connaît cependant des dissensions importantes avec l’égyptologue égyptien Ahmad Badawî, nommé administrateur général du CEDAE, et avec le directeur de l’Institut français d’archéologie orientale (IFAO).

11 Le règlement du sort des monuments de Nubie se fait donc lentement et après beaucoup d’incertitudes et de problèmes, et grâce aux efforts de Christiane Desroches- Noblecourt, qui s’emploie activement à convaincre le gouvernement égyptien et les fonctionnaires de l’Unesco, dont plusieurs sont initialement réticents à l’idée du sauvetage de ces monuments13.

L’appel international pour les monuments de Nubie

12 En avril 1959, sur les conseils de Christiane Desroches-Noblecourt, Saroïte Okacha, le ministre de la culture égyptien, adresse au directeur général de l’Unesco, Vittorino Veronese, une demande pour que cette institution internationale devienne l’intermédiaire officiel pour obtenir une aide internationale, scientifique et technique de grande envergure afin de déplacer les monuments de Nubie susceptibles de l’être et d’intensifier les relevés documentaires pour ceux impossibles à déplacer. Le gouvernement égyptien offre de céder aux parties qui auront effectué des fouilles dans la zone menacée au moins la moitié des produits de leurs fouilles, et se déclare prêt à céder certains temples et une collection d’antiquités. Vittorino Veronese, conseillé par

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le Français René Maheu qui est favorable à une telle entreprise, accepte. Okacha, Maheu, et Christiane Desroches-Noblecourt, qui joue le rôle d’intermédiaire entre les deux, sont les trois personnalités qui, par leur motivation pour ce projet, ont joué un rôle moteur pour en permettre la réalisation malgré tous les obstacles politiques14.

13 L’Unesco organise alors en septembre 1959, en coopération avec le ministère égyptien de la culture, une première mission de deux spécialistes, l’Allemand Knecht et l’Italien Gazzola, ainsi qu’un voyage en Nubie pour informer archéologues, responsables de musées, historiens de l’art, architectes des monuments historiques, et experts internationaux15. L’Unesco réunit en octobre 1959 un groupe d’experts international qui dresse des listes de priorité pour les monuments à sauvegarder, en plaçant en premier Abou Simbel et Philae, affirmant que leur disparition serait « une perte irréparable pour le patrimoine culturel de l’humanité »16. La presse internationale accorde un écho important à la demande du gouvernement égyptien, ce qui éveille l’intérêt de l’opinion publique17. En 1959, le conseil exécutif, après des divisions sur la question de savoir s’il vaut mieux établir le principe d’une contribution financière obligatoire ou volontaire des États, choisit le principe d’une contribution volontaire (c’est-à-dire non obligatoire, son versement étant laissé à la libre initiative des États)18.

14 L’appel pour les monuments de Nubie est lancé par le directeur général de l’Unesco le 8 mars 196019, au cours d’une séance présidée par André Malraux, à un moment où la conjoncture politique internationale est redevenue favorable à une telle entreprise, bien que l’Égypte n’ait pas encore renoué ses relations diplomatiques avec l’Angleterre, la Belgique et la France20. En France, l’appel est appuyé par le ministre Maurice Couve de Murville (ancien ambassadeur au Caire)21, et par André Malraux, ministre d’État chargé des affaires culturelles, qui, en mars 1960, dans un discours prononcé à l’Unesco, loue la « hardiesse magnifique » de la campagne, qui fait de la Nubie « une vallée de la Tennessee de l’archéologie »22. Peu après, Christiane Desroches-Noblecourt contribue elle-même, par des négociations avec notamment Saroïte Okacha (alors ministre de la Culture d’Égypte), à la reprise des relations diplomatiques entre la France et l’Égypte, au moyen d’une large subvention de la France à la campagne, et de l’acceptation du gouvernement égyptien de dégeler l’argent des Français spoliés (à la suite de la nationalisation du canal de Suez en 1956 et de la crise qui a suivi) et de le mettre à la disposition de la sauvegarde23.

15 Au fil de la campagne de Nubie, le rôle joué par l’Unesco a progressivement évolué : alors que l’organisation devait initialement jouer seulement un rôle d’intermédiaire entre le gouvernement égyptien, les autres gouvernements donateurs et les entreprises qui se chargeraient de l’opération matérielle, elle s’est impliquée de plus en plus dans l’organisation du sauvetage, jouant en fait un rôle beaucoup plus important que celui d’intermédiaire. Sur la décision prise par le Comité international d’action en mai 1960, l’Unesco étend sa responsabilité à l’ensemble des travaux de sauvetage24.

Le sauvetage des temples

16 La campagne de Nubie a souffert de retards et de problèmes d’organisation, dus notamment à la lourdeur administrative des mécanismes mis en place (comité international d’action, comité exécutif, comités nationaux dans les différents États, comité de contrôle composé d’ingénieurs, haut comité international, comité d’honneur…), institutions créées ad hoc25.

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17 En 1962, les autorités égyptiennes craignent que « dans la masse de comités et de rapports, la campagne de Nubie ne finisse par être submergée avant les monuments eux-mêmes »26. Les comités nationaux, qui sont créés par plusieurs États sur l’impulsion de l’Unesco en vue de susciter des financements, s’avèrent souvent peu efficaces, ne comportant pas assez de personnalités de la finance, de l’industrie ou de la vie économique du pays, comme le recommandait l’Unesco27. Le comité consultatif mis en place par l’Unesco n’est pas non plus efficace ; il se réunit de moins en moins après 1962, à cause de l’obstruction du gouvernement égyptien, dans le cadre de la rivalité entre celui-ci et l’Unesco pour la responsabilité de la campagne28. Louis Christophe souligne le « malaise évident » qu’entraîne cette situation et estime en 1963 qu’il est « du devoir de l’Unesco d’étudier sérieusement ce problème pour suggérer au gouvernement de la RAU [République arabe unie] le moyen de sortir de l’impasse »29. En septembre 1963, M. Gysin, agent de l’Unesco, déplore : « je dois me demander si notre comité existe toujours »30. Finalement, les efforts de l’Unesco aboutissent à la tenue d’une nouvelle session du Comité en décembre 1963, mais celui-ci ne joue pas le rôle de supervision qu’il aurait dû jouer31. La campagne a été rendue difficile non seulement par les problèmes de relations entre l’Unesco et le gouvernement égyptien, mais aussi par les réticences de nombreux États à participer à son financement32.

18 Malgré toutes ces difficultés administratives, la campagne avance grâce à la détermination du DG de l’Unesco, René Maheu, des agents de l’Unesco qui y œuvrent, et du gouvernement égyptien. L’appel lancé par le DG de l’Unesco en 1960, les actions de promotion comme la « semaine des antiquités de Nubie » (1963), l’exposition internationale itinérante sur Toutankhamon, et le soutien de personnalités, ont permis une prise de conscience par la communauté internationale de l’urgence de sauver les temples de Nubie et la récolte de contributions volontaires importantes33.

19 Le site d’Abou Simbel devient à partir de mars 1964 un gigantesque chantier international où ingénieurs, ouvriers et administrateurs de toutes nationalités travaillent de concert34. Les temples sont découpés en blocs au fil hélicoïdal (fil en forme d’hélice, inventé en 1854 par un ingénieur français, Eugène Chevalier, permettant de trancher de la pierre), soulevés un par un et déplacés. Tous les monuments, inscriptions et reliefs rupestres situés en Nubie égyptienne et soudanaise sont inventoriés, toutes les fresques de la période chrétienne sont détachées des murs et transportées en lieu sûr, tous les sites sont prospectés. Les deux grands temples sont reconstitués à 64 mètres au-dessus de l’ancien site, à l’identique et dans la même orientation, de telle sorte que le soleil puisse avoir le même jeu qu’autrefois sur la façade et à l’intérieur du sanctuaire35. En outre, de nombreux autres temples sont déplacés et reconstruits ailleurs, chacun par les soins d’un État36.

20 Les travaux préparatoires ont été longs et laborieux pour parvenir à la solution technique retenue. D’autres solutions, comme celle d’un barrage en terre autour des temples, d’un mur, d’un exhaussement des temples huit mètres plus haut, d’un détournement du cours du Nil par deux barrages et de l’ouverture à la dynamite d’un nouveau lit plus à l’ouest, de la mise en place d’un dock flottant, ont été envisagées mais n’ont finalement pas été retenues, soit à cause de leur coût trop élevé, soit à cause de l’aspect esthétique, soit à cause du danger. Les tenants de ces différents projets se sont longuement affrontés. Le choix du lieu où réinstaller les temples déplacés a aussi prêté à controverse : valait-il mieux les laisser en Nubie, ou les implanter plus au Nord, plus près des grands centres touristiques ?37 Christiane Desroches-Noblecourt évoque

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les « interminables discussions » et les « différends » entre spécialistes au sujet des différents systèmes envisagés, les « discussions enfiévrées » qui ont présidé à la décision du plan d’action38. En outre, la tâche était urgente, étant donné la montée des eaux du lac de retenue, ainsi que des crues exceptionnelles du Nil en août 196439.

21 Il est notable d’observer que l’Unesco s’est beaucoup plus préoccupée du sort des monuments que de celui des habitants de la région ; la construction du barrage entraîne en effet un déplacement massif de population, puisque l’apparition du lac Nasser oblige les Nubiens à abandonner leurs foyers et leurs terres et à être transférés vers les localités de Kom Ombo et d’Esna, où ils sont logés dans des baraquements et où leur avenir s’annonce incertain. Seul un groupe d’ethnologues égyptiens et américains mène une enquête ethnologique sur les traditions de ces populations, qui apparaissent destinées à disparaître40 ; et les équipes de l’ASFEC (Arab States Fundamental Education Centre, centre éducatif de l’Unesco situé à Sirs Al-Layân en Égypte) s’efforcent de collaborer à la planification urbaine de ces nouvelles cités de Kom Ombo, mais sans grande efficacité semble-t-il41.

Des difficultés multiples

22 Les difficultés ont porté en particulier sur le financement de l’opération. L’Unesco s’est divisée sur les moyens d’obtenir les fonds nécessaires à l’opération : faut-il y œuvrer par une campagne de promotion dans le grand public, ou plutôt par une campagne ciblée en direction des grandes fortunes ? Pour William Farr, agent de l’Unesco, il serait « entièrement irréaliste de croire que ces activités d’information et de publicité pourraient en elles-mêmes conduire a des contributions spontanées d’argent à l’échelle nécessaire ». Farr estime que la promotion en direction du grand public ne sert à rien et qu’il faut consacrer toute l’action en direction des gros donateurs potentiels42. Le prince Sadruddin Aga Khan, secrétaire exécutif du comité international d’action, est du même avis et déplore en 1962 que l’exposition Toutankhamon, si elle est « un très gros succès sur le plan culturel », « ne rapporte absolument rien à la campagne » sur le plan financier alors qu’elle avait été conçue en partie pour rapporter des fonds43. Quant à Constantin Christofidis, professeur d’histoire de l’art à l’université de Syracuse aux États-Unis, chargé par son université d’une mission à Abou Simbel, il incite l’Unesco à renoncer à « viser à atteindre l’Américain moyen, parce que l’Américain moyen ne s’intéresse pas assez aux choses de l’art », mais à concentrer la « propagande » sur les milieux universitaires américains44.

23 Finalement, l’Unesco mène son action de promotion dans différentes directions. Le « Comité américain pour la campagne de Nubie » promeut la campagne de façon très organisée, en direction des différents publics, en utilisant les journaux, les revues, la radio, la télévision, mais aussi les institutions culturelles, l’industrie, les canaux éducatifs, les groupes civiques. Cependant, des obstacles persistent, comme l’observe M. Lassalle, directeur du Comité américain, soulignant « l’apathie des égyptologues américains pour le projet, parfois transformée en ouverte hostilité », la mauvaise image relative de l’Égypte aux États-Unis, et « l’opinion prévalente qu’une aide étrangère, intensifiée de façon énorme dans les derniers mois par la création d’agences gigantesques à Washington, serait une obligation “morale”des citoyens américains pour élever le standard de vie des populations dans les pays les moins privilégiés » ; en outre, les activités de l’Unesco seraient perçues comme « désorganisées et confuses »

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par l’opinion américaine45. Un des facteurs qui ont diminué la réussite de la campagne de promotion est l’exagération systématique à laquelle se livre l’Unesco dans ses publications et brochures de promotion, notamment au sujet de la valeur des objets découverts46.

24 Au début de l’année 1963, l’Unesco lance un nouvel appel aux États membres pour combler le déficit du budget destiné à la Nubie. Plusieurs États y répondent, poussés principalement par la volonté d’en retirer du prestige ; c’est le cas de la France, dont le but est de « tire[r] un regain de prestige qui pourrait faciliter [son] action culturelle », et de ne pas se laisser éclipser par les autres pays comme les États-Unis, la RFA, les Pay- Bas, le Royaume-Uni47. Les États rivalisent ainsi dans les fouilles et dans l’aide financière48. Ce sont les États-Unis qui sont les plus actifs dans ces deux domaines49.

25 Comme l’évoque Michel Prévost, ancien fonctionnaire de l’Unesco, tout au long de la campagne de Nubie se poursuit « une campagne de dénigrement » de la part de nombreux journalistes ; l’Unesco s’emploie inlassablement à les « rassurer », à les convaincre que l’opération est bien en cours et va réellement aboutir ; elle y œuvre notamment par l’organisation de voyages de journalistes sur le Nil50. L’Unesco s’efforce de désamorcer les réticences souvent très importantes et tenaces de l’opinion et des États, par de nombreux voyages de hauts fonctionnaires de l’Unesco, qui vont directement parlementer, avec conviction et détermination, avec les fonctionnaires gouvernementaux et avec les personnalités concernées, dans les États51.

26 Par ailleurs, cette campagne de Nubie a donné lieu à toutes sortes de difficultés au cours de son déroulement : erreurs, malentendus, désaccords, critiques, rivalités entre États… Ainsi, l’Unesco a financé entre 1960 et 1962 d’importantes fouilles en vue de retrouver le tombeau d’Alexandre le Grand, à partir de documents qui sont des faux fournis par un imposteur, Stelio Comoutsos. Cette imposture contribue à discréditer l’Unesco aux yeux des archéologues, comme l’observe l’égyptologue français Louis Christophe52. Cette campagne donne lieu aussi à des détournements d’argent53. Par ailleurs, le nettoyage des temples d’Abou Simbel, effectué avec trop peu de soin, entraîne l’effacement de nombreuses traces intéressantes, et fait perdre de leur éclat aux couleurs54 ; en outre, des dommages sont faits sur certains blocs, entraînant l’apparition de fissures55.

27 Une des ambiguïtés de cette opération a été le fait que l’Égypte semblait « vendre » ses temples antiques aux États, se débarrasser de son patrimoine culturel pour mener à bien son développement économique. Pour riposter à ce reproche lancé par Israël, l’Unesco et le gouvernement égyptien ont bien pris soin d’éviter le terme de « vente ». En échange de leur participation au sauvetage, les États reçoivent des temples et des objets en « contrepartie », il ne s’agit pas d’une « transaction commerciale », d’une « dissociation du patrimoine culturel égyptien » mais bien plutôt d’une « extension nouvelle de son rayonnement »56. Dès avril 1959, Christiane Desroches-Noblecourt déplore dans une lettre à Maheu « des pressions de toute sorte » intervenues concernant les dons d’objets aux États57. Ceux-ci suscitent rapidement l’intérêt de nombreuses institutions, notamment américaines (musées et universités), qui se manifestent alors auprès de l’Unesco pour proposer leur participation58.

28 Ainsi, en échange de leur participation au sauvetage et au déplacement de ces temples, les États-Unis se voient offrir les temples de Derr et de Dendur, la France celui d’Amada (ce qui se fait avec beaucoup de difficultés techniques et de retards)59, la RFA celui de Kalabchâ (cette opération se fait avec beaucoup de succès)60. La perspective de recevoir

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des temples Nubiens suscite en certains cas l’enthousiasme de la population, comme c’est le cas de la ville d’Indio, en Californie, très désireuse de recevoir le temple de Derr ; une association « Temple Derr for Indio » est créée, menant campagne pour l’obtention de ce temple, faisant valoir que par son climat d’oasis dans le désert, et par sa topographie, qui se rapprochent de ceux de la Nubie, la ville d’Indio conviendrait particulièrement bien à une telle transplantation. L’Unesco n’est pas opposée à un tel transfert, mais le seul problème est de « trouve[r] le moyen d’accepter cette offre sans qu’elle fasse figure d’achat »61. Beaucoup de complications et de retards se produisent62. De même, en 1965, McCullough, directeur du comité national américain pour la campagne, explique à Ali Vrioni, fonctionnaire de l’Unesco et directeur de la campagne de Nubie, que les musées américains sont très intéressés par l’idée d’aider la campagne de Nubie par des dons, et même par de fortes sommes, mais seulement à condition qu’ils reçoivent, en échange de leurs dons, des objets d’antiquités de valeur ; c’est donc d’un achat déguisé qu’il s’agit63. Son successeur à la tête de ce comité, M. Lassalle, s’inquiète lui aussi de la mise en place d’« une sorte d’opération de chantage » de la part des institutions américaines pour l’obtention des contreparties64.

29 De la part du gouvernement égyptien, motivations économiques et motivations patrimoniales entrent en concurrence ; en effet, pour des raisons économiques, les terrains soumis aux fouilles doivent être rapidement mis en culture, dans le cadre du programme national de récupération agricole. Pour permettre cela, un instrument moderne est testé qui permet de sonder la terre à la recherche de vestiges, sans la creuser ; cette méthode présente l’avantage d’être rapide et de permettre de mettre une terre en culture rapidement si elle est jugée ne pas contenir de vestiges archéologiques65.

30 Le déroulement des fouilles connaît des difficultés à cause de rivalités entre États, par exemple entre l’Égypte et la RFA66, et entre l’Égypte et les États-Unis67. La campagne donne lieu aussi à une collaboration parfois harmonieuse entre États, comme entre le Soudan et l’Égypte68. Pourtant, cela n’était pas gagné d’avance étant donné qu’une longue inimitié opposait l’Égypte et le Soudan, la Nubie apparaissant comme une pomme de discorde entre eux (« la Nubie antique était l’ennemie intime de l’Égypte », écrit Marc Goutalier)69.

31 Des malentendus et des désaccords, de nature juridique, se produisent entre l’Unesco et le gouvernement égyptien au sujet de la signature des contrats, en 1961 : le gouvernement égyptien exige que l’Unesco devienne partie contractante, et fournisse une contribution prélevée sur son propre budget ; or cela a été exclu par l’Unesco70. Les relations difficiles entre l’Unesco et le gouvernement égyptien s’expliquent en partie par la diversité des interlocuteurs de l’Unesco au sein du gouvernement égyptien, interlocuteurs qui n’ont pas tous la même position sur le sujet, et en particulier par une dissension entre Saroïte Okacha et Chihâta Âdam71, et par la démission en 1962 du prince Sadruddin Khan, qui était un des fervents soutiens de la campagne72. En outre, de vives oppositions à l’encontre du projet se développent au sein de la commission nationale égyptienne pour l’Unesco ; son président, Kamâl Husayn, qui est aussi ministre de l’Éducation nationale, est hostile à la campagne73.

32 Il semble néanmoins que la campagne ait, par la coopération internationale qu’elle a impliquée, contribué à un apaisement des tensions entre États arabes et États occidentaux74. Ainsi, il apparaît que cette campagne patrimoniale a permis d’aplanir les

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relations, restées jusque là teintées d’hostilité réciproque, entre d’un côté l’Égypte et d’un autre côté la France et le Royaume-Uni à la suite de l’expédition de Suez de 1956.

Le rôle important des États-Unis

33 L’évolution progressive de la position des États-Unis vis-à-vis de la campagne de Nubie a contribué au succès de celle-ci. Les États-Unis étaient initialement hostiles à l’idée de participer à son financement75, de même que l’URSS, qui estimait que puisqu’elle a assumé le financement du haut barrage d’Assouan, elle n’aurait pas à contribuer au sauvetage des monuments76. L’Unesco mène une tâche longue et persévérante de persuasion auprès du gouvernement américain et des riches milieux privés américains, en particulier au moyen du très dynamique « comité américain pour la préservation d’Abou Simbel » (American Committe to Preserve Abu Simbel). L’Unesco et ce comité ne négligent aucun effort pour séduire ces milieux : diffusion de rapports et de coûteuses photographies couleurs à l’intention des milieux spécialisés, conférences, rencontres, projections de films, expositions à l’intention du grand public, exposé des intérêts économiques de l’opération à l’intention des milieux économiques, création de vêtements de luxe et de bijoux sur le thème de l’Égypte pour toucher les milieux fortunés77, etc.

34 Ces efforts s’avèrent fructueux78. L’exposition « Les Trésors de Toutankhamon », inaugurée en novembre 1961 à Washington, est un grand succès. Elle reçoit une couverture exceptionnelle de la part de la presse et de la télévision, elle donne lieu à de nombreux lunchs officiels rassemblant d’importantes personnalités comme Jacqueline Kennedy. Partout où elle circule aux États-Unis, elle est apparemment un succès « colossal » et contribue à une prise de conscience importante de la part de la population américaine79. La diffusion du film Cléopâtre, qui sort en 1962, est assortie, aux États-Unis, d’un court-métrage sur les monuments de Nubie avant le générique, ainsi que d’un message d’Elisabeth Taylor au public du monde entier en faveur de la campagne80. Cette campagne se révèle un succès dans le public américain81. De nombreuses entreprises américaines se montrent très intéressées82. L’action de collecte de dons est très fructueuse dans ce pays, mais son transfert se heurte à des problèmes juridiques (taxes, devises), ce qui cause des retards83.

35 Le gouvernement américain est de plus en plus intéressé par la campagne au fil du temps. En février 1961 se déroule au département d’État une conversation confidentielle entre Vittorino Veronese et le secrétaire d’État américain, concernant les aspects politiques de la campagne. Veronese s’efforce de convaincre les États-Unis de participer, faisant valoir les avantages politiques et financiers qu’ils en retireraient84. Le Congrès américain, initialement hostile à la campagne, tend à s’y rallier à partir du message de Kennedy au Congrès à ce sujet en 196185. Cette année-là cependant, les relations politiques entre les États-Unis et l’Égypte sont très tendues, à cause de la question d’Israël et de la politique de la RAU de non-alignement86.

36 En novembre 1963 sont signés deux accords, l’un entre l’Unesco et le gouvernement égyptien, l’autre entre l’Unesco et les États contractants. Mais des doutes subsistent alors toujours sur la contribution des États-Unis, et sur le sort des temples d’Abou Simbel, puisque le gouvernement américain refuse de signer l’accord, subordonnant cette signature à l’accord préalable du Congrès87. En mars 1963, Paulo de Berrêdo Carneiro, président du comité exécutif, et René Maheu adressent un télégramme

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solennel et pathétique au président des États-Unis, lui demandant instamment de soutenir la campagne, soulignant l’urgence, étant donné la montée des eaux88. En juin 1963, le président Kennedy approuve la participation des États-Unis au projet de sauvetage des temples. Il y a à cela un intérêt économique pour cet État, puisque sa participation sera versée en livres égyptiennes obtenues de la vente du blé américain à la RAU89. Ce n’est qu’en octobre 1964 que le représentant américain au conseil exécutif annonce enfin officiellement la décision positive du gouvernement américain90.

37 En 1965, Harry C. McPherson, assistant secrétaire d’État américain, se dit convaincu de l’intérêt pour les États-Unis de participer au sauvetage des temples. En effet, une telle aide « augmenterait les occasions pour les Américains d’influencer les idées et actions dans le monde arabe en direction de la modération, de la coopération et de la stabilité » 91. De même, en 1967, le président Johnson se félicite de la réussite du comité américain pour la campagne de Nubie à récolter d’importantes sommes et affirme que cette campagne constitue « un excellent exemple de partenariat créatif entre le gouvernement égyptien et l’industrie américaine »92.

Des découvertes fructueuses

38 Les fouilles donnent lieu à de nombreuses découvertes : ainsi, la mission archéologique polonaise découvre une basilique copte, en pierre et briques rouges, aux murs recouverts de fresques byzantines du VIIe siècle, enfouie à 20 mètres sous les vestiges d’une forteresse islamique du XVIIe siècle, près de la ville de Faras au Soudan 93. La mission de Turin découvre treize tombes rupestres dans la région de Dehmit, des graffitis rupestres préhistoriques, et des inscriptions hiéroglyphiques sur des roches94. La mission de l’université de Chicago met au jour une nécropole de la protohistoire, au sud d’Abou Simbel, jamais ouverte encore ; les missions de Boston et de Yale découvrent la tombe d’un chef Nubien, Heka-Nefer, dans la région d’Ikhmindi ; la mission italienne met au jour une ville nobade (Nubie chrétienne), édifiée entièrement en pierres sèches95 ; l’Américain Simpson découvre, sur le site de Toschké-Ermenneh, deux statuettes funéraires dans la tombe d’un prince d’Aniba du Nouvel Empire nommé Heka-Nefer, en schiste, très bien conservées96.

39 Toutefois, les rivalités se déchaînent concernant la paternité des découverte archéologiques ; ainsi en 1963, Louis Christophe déplore que « les savants américains publient leurs rapports dans des revues étrangères » ; « cela est tout-à-fait contraire à l’esprit dans lequel nous travaillons ». Il estime qu’il faudrait plutôt « grouper dans une publication unique toutes les recherches effectuées en Nubie ». « Malgré mes efforts, je n’arrive pas, vous le constaterez, à obtenir de mes collègues qu’ils respectent […] les termes de leur contrat »97.

L’inauguration des temples d’Abou Simbel

40 Les temples d’Abou Simbel, entièrement reconstruits, sont inaugurés en septembre 1968, lors d’une cérémonie au pied des temples dans leur nouveau site. Si les déplacements des petits temples (et notamment celui de Kalabchâ), ont connu souvent des retards98, en revanche le sauvetage d’Abou Simbel est terminé en avance sur les prévisions (vingt mois plus tôt)99. À leur inauguration, René Maheu, directeur général de l’Unesco, prononce un discours emphatique100 : « Nous sommes venus, Ô Roi, ajouter

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notre travail au tien pour préserver ta quête d’éternité. […] Nous avons pieusement dressé ta gigantesque majesté et recomposé la suave beauté de ta reine avec l’escorte hiératique des divinités tutélaires. […] Grâce aux efforts de tous, te voici, sauf, prêt à reprendre, intact, sur la barque d’Ammon, ton voyage au long des siècles vers le soleil levant de chaque lendemain »101. En outre, à l’inauguration, il est donné lecture d’un chapitre du Coran102. Ainsi, l’Unesco confère à cette inauguration une connotation quasi-religieuse.

Le sauvetage de l’île de Philae

41 La sauvegarde de Philae peut être évoquée plus brièvement car elle a été menée sur le modèle de celle d’Abou Simbel. L’île de Philae, surnommée « la perle de l’Égypte », comporte un temple d’Isis, une colonnade et un édifice de l’époque de Trajan. Cet ensemble, situé en aval du haut barrage d’Assouan, et en amont de l’ancien barrage, est submergé pendant les deux-tiers de l’année. Les variations incessantes du niveau de l’eau exercent sur la pierre une action d’usure très grave. En 1908, Pierre Loti avait écrit un roman sur la détérioration progressive de ces temples, La mort de Philae.

42 Dès 1955 est envisagée l’idée d’isoler l’île pour la sauver103. Sous l’impulsion de l’Unesco, plusieurs projets en ce sens sont étudiés à partir de 1959. Celui qui est initialement retenu consiste à réunir les îlots par une série de petits barrages mettant ainsi à l’abri de la montée des eaux l’île de Philae, de préférence à un autre projet prônant le démontage des temples puis leur remontage sur la même île après l’avoir exhaussée de quelques mètres. Finalement c’est une autre solution qui est préférée : le transfert des monuments sur l’île voisine d’Agilka, plus élevée104.

43 En 1968, René Maheu lance un appel pour le sauvetage de Philae, sur le modèle de celui lancé pour Abou Simbel. Des comités spécialisés sont créés, et des contrats sont établis, de manière analogue à ce qui avait été fait pour la campagne précédente. Le financement est obtenu beaucoup plus facilement que pour Abou Simbel, bénéficiant du précédent réussi que constituait cette opération. En revanche, la mise en œuvre concrète de l’opération entraîne des « discussions sans fin et des incidents de toute sorte » comme le souligne Christiane Desroches-Noblecourt105.

44 Ce n’est qu’en 1972 que commencent les travaux. La guerre du Kippour en 1973 entraîne leur interruption provisoire. Ils connaissent des difficultés (pénurie de matériel, dysfonctionnements dans l’organisation du travail) et prennent un important retard106. Un problème qui a contribué à affecter cette opération a été le remplacement en cours de route d’une grande partie de ses responsables : ainsi, René Maheu quitte l’Unesco en 1974, Nasser meurt en septembre 1970 ; Okacha est écarté du pouvoir par le successeur de Nasser, Anouar Al Sadate ; M. van der Haagen, G. Rosi, Piero Gazzola, fonctionnaires de l’Unesco qui ont participé activement aux deux campagnes, meurent avant la fin de celle de Philae107. Malgré tout, le sauvetage des temples de Philae est mené à bon port et achevé en 1978.

45 La campagne de Nubie, menée et réussie malgré de nombreuses difficultés logistiques, administratives, et politiques, a constitué un grand succès pour l’Unesco. Ce succès a contribué à rehausser son image de marque. En 1968, au moment de l’inauguration des temples d’Abou Simbel, l’Unesco est au summum de sa popularité et connaît son âge d’or, sous la direction de René Maheu. Le sauvetage des temples de Nubie a infléchi

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l’orientation postérieure des actions de l’Unesco vers la protection du patrimoine. En 1972, l’organisation adopte la convention internationale sur le patrimoine naturel et culturel mondial, et à partir de cette date est constituée la liste des sites classés au patrimoine mondial de l’Unesco, liste qui est devenue aujourd’hui une des activités les plus médiatiques et les plus réussies de l’institution.

46 De plus, cette campagne de Nubie révèle un aspect remarquable de la politique égyptienne sous Nasser, à savoir la préoccupation de ce pays pour son patrimoine. Cette préoccupation entre parfois en conflit avec l’objectif de développement économique, mais les autorités égyptiennes s’efforcent d’articuler les deux. En outre, par cette action patrimoniale qui prend des dimensions internationales, l’Égypte assied sa place sur la scène internationale : cette campagne permet à l’Égypte d’entretenir et même d’améliorer ses relations avec certains pays comme la France, et d’accroître sa visibilité et son rayonnement dans le monde, notamment grâce à l’intense campagne de promotion menée parallèlement au sauvetage des temples.

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NOTES

1. Sur la protection du patrimoine en Égypte, cf. Omnia Aboukorah et Jean-Gabriel Leturcq (dir.), « Pratiques du patrimoine en Égypte et au Soudan », Égypte/Monde arabe, vol. 3, n° 5-6, 2009, et en particulier l’article d’Aymé Lebon, « Réutilisation des monuments historiques à des fins didactiques, culturelles ou artistiques ». Sur le patrimoine culturel en général, cf. Françoise Benhamou, Économie du patrimoine culturel, Paris, La Découverte, 2012, qui analyse le patrimoine culturel comme un bien culturel global. 2. Habib Ayeb, « L’Égypte et le barrage d’Assouan. Que serait l’Égypte sans ce très grand barrage ? », Hérodote, vol. 4, n° 103, 2001. 3. En 1842 est construit le barrage de Muhammad ʻAlî au nord du Caire. C’est le premier d’une série dont le plus important a été le premier barrage d’Assouan, construit par des ingénieurs anglais en 1902. Des besoins croissants en eau et en terres nouvelles ont amené les autorités égyptiennes à élever le niveau de ce barrage à deux reprises, en 1912 et en 1934. 4. Archives de l’Unesco, 069 (62) N/A 02 (100), II : lettre de van der Haagen à Christophe, 7 avril 1961 ; 069 (62) /A 02 (100) CA12/86, III : lettre de Christophe à Gysin, 1er fév. 1963 ; exposé du représentant du directeur général de l’Unesco devant le comité consultatif, 2-5 déc. 1963. Dans cet article, sauf mention contraire, les documents d’archives mentionnés viennent des archives de l’Unesco. 5. 069 (62) N/Christophe : note de Christophe, n° 1664, 25 sept. 1962 : Christophe estime que « la campagne internationale de sauvegarde des monuments nubiens peut d’ores et déjà être, sur le plan spécialement archéologique, considérée comme un succès » ; 14 pays ont envoyé une ou plusieurs missions scientifiques pour faire des fouilles en Nubie, et plusieurs ont fourni des experts au centre de documentation. Il observe que « toute la Basse-Nubie est partagée entre les différentes missions de fouilles », et qu’« une grande partie du travail est déjà achevée ». 6. En 1961 les institutions savantes se renvoient la balle pour la réalisation de l’étude préhistorique de la Nubie égyptienne, qui ne les intéresse pas (069 (62) Nubie : 93 A 52 (62) : lettre de Christophe à Jan van der Haagen, 29 mars 1961). 7. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02. CA 120/29, II : lettre de Christophe à Zbynek Zaba, 18 déc. 1963. 8. 069 (62) Nubie, IV : déclaration de M. Piotrowski, 28 mai 1960 ; lettre de Jan van der Haagen à Ali Vrioni, 28 avril 1961 ; lettre de Maheu à A.G. Koulagenkov, 13 juin 1961. 9. Hélène Carrère d’Encausse, La politique soviétique au Moyen-Orient, 1955-1975, Paris, Presses de Sciences-Po, 1975 ; chapitre III : « Pax Sovietica ».

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10. Sur Christiane Desroches-Noblecourt, cf. Clara Dupont-Monod, « Christiane Desroches-Noblecourt, la pharaonne », L’Histoire, n° 271, 2002, p. 28. 11. L’équipement consiste en laboratoires photographiques, en une agence d’architecture antique et en des bureaux d’enregistrement et de recherches ; l’Unesco se charge aussi de l’équipement technique du bateau-laboratoire. Hassan Nafaa, L’Égypte et l’Unesco, thèse de science politique, Paris I Panthéon-Sorbonne, 1977, p. 564-567. 12. Ibid., p. 567. 13. Christiane Desroches-Noblecourt, La Grande Nubiade, ou le parcours d’une égyptologue, Paris, Stock-Pernoud, 1992, p. 130-133, 139-140, 143-148, 152-164, 169-179 : elle convainc Maheu, Jan van der Haagen, l’Égyptien Hannâ Sabâ, alors conseiller juridique de l’Unesco, Mustafa ʻÂmir, administrateur général du CEDAE, et Louis Christophe ; 069 (62) N/Christophe : note de Christophe, n°1664, 25 sept. 1962 ; 062 (62) Nubie I : note confidentielle de J. Thomas du 29 mai 1959 ; compte rendu de la réunion du 17 juin 1959. 14. Michel Prévost, L’île des Uneskimos, Mémoires d’un ancien fonctionnaire de l’Unesco, 1949-1983, 1996, dactylographié, non publié, conservé aux archives de l’Unesco, p. 74-75. Cf. 54 EX/24, p. 2 ; Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 180-181. « Ce grand patriote, lettré, passionné de musique classique, soucieux d’enrichir constamment ses déjà vastes connaissances, était un militaire de carrière, fils d’un général et compagnon de Nasser, dont il fut le “pilier culturel” ». Okacha avait aussi été un officier de la Révolution égyptienne ; 062 (62) Nubie, I : mémorandum de Jan van der Haagen au DG, 30 juill. 1959 ; X 07.83 Veronese, II : Le Journal d’Égypte, 2 fév. 1960, p. 1-2 : « Pour sauver les trésors de la Nubie » ; « Le président a reçu hier M. Veronese ». La presse égyptienne fait l’éloge du ministre de la culture égyptien, S. Okacha, de sa « lutte de diplomatie, de ténacité et d’enthousiasme inlassable au service de cette Idée », de son « don de persuasion », de « conviction ». 15. H. Nafaa, op. cit., p. 568-570. Cf. doc 54/EX/24, annexe ; et doc 55/EX 7, annexe 11 ; 062 (62) Nubie, I : lettre de Saroïte Okacha à Veronese, 6 avril 1959 ; Ch. Desroches- Noblecourt, op. cit., p. 180-199. 16. 54 EX/24, p. 2 ; 54 EX/décision 4-7 ; 55 EX/7, annexe 1, p. 6-7, cité dans H. Nafaa, op. cit., p. 571-572. 17. H. Nafaa, op. cit., p. 573, 575 : 55 EX/SR 19, p. 208. 062(62) Nubie, I : réponse de Veronese à Saroïte Okacha, non datée. 18. 61 EX/SR.25, p. 305 ; cité dans H. Nafaa, op. cit., p. 584 ; 60 EX/SR 11, p. 92, cité dans H. Nafaa, op. cit., p. 578-579. 19. Cf. un article publié peu après cet appel : Pierre du Bourguet, « Pourquoi sauver les monuments de Nubie ? », Études, 1960, p. 247-255. 20. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 213 ; H. Nafaa, op. cit., p576-577. 21. Archives diplomatiques françaises, série Cabinet du ministre, Couve de Murville, carton 180 : lettre de M. Couve de Murville à Veronese, 8 mars 1960 ; note pour le Cabinet du ministre de la DGACT, 21 nov. 1962, ; docs. cités par Gaëlle Bourreau, La politique française à l’Unesco durant la période gaullienne, 1958-69 : l’Unesco, un instrument pour le prestige français, maîtrise d’histoire, Paris I Panthéon-Sorbonne, 2002, p. 33-35.

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22. Archives Unesco, dossier biographique d’André Malraux ; discours d’A. Malraux, « L’acte par lequel l’homme arrache quelque chose à la mort », 8 mars 1960 (reproduit dans le Courrier de l’Unesco, mai 1960, p. 9-11). 23. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 216. 24. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, I : lettre de Maheu à Okacha, 27 avril 1962 ; H. Nafaa, op. cit., p. 576, 602. Cf. 11 C/PRG/9, p. 6 ; 069 (62) N/Christophe : lettre de Veronese à Okacha, 18 juill. 1960 : en juill. 1960, Veronese écrit à Okacha que le Comité international d’action, en mai 1960, a estimé que l’Unesco ne devrait pas se limiter au rôle d’intermédiaire mais que la responsabilité de l’Unesco devrait s’étendre à toute l’entreprise jusqu’à l’achèvement des travaux ; Veronese y est favorable. 25. Le comité consultatif d’experts est chargé d’étudier les offres de participation transmises au gouvernement égyptien, de le conseiller sur leur emploi et sur la répartition des contreparties offertes en reconnaissance de l’aide internationale (H. Nafaa, op. cit., p. 601) ; H. Nafaa, op. cit., p. 607-609 ; 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, I : rapport du comité de contrôle du projet de surélévation des temples d’Abou Simbel, 1e session, Paris 9-13 oct. 1961 ; Al-Ahrâm, 11 oct. 1961 : « Cinq ingénieurs internationaux seront chargés d’établir les conditions nécessaires à la surélévation d’Abou Simbel » ; Al-Ahrâm, 8 déc. 1961 : « Un haut comité international présidé par Hasan Zakî pour superviser les opérations de sauvegarde d’Abou Simbel » ; 069 (62) /A 02 (100) CA12/85A, I : 22 déc. 1959 : rapport de réunion dans le bureau du DG : le comité international sera composé de 20 ou 30 personnalités choisies en fonction de l’équilibre géographique et culturel, et appartenant au monde de la culture, de la technique et de la finance ; de nombreuses personnalités importantes (rois, reines…) sont contactées pour faire partie du comité international (nombreuses lettres de Veronese) ; mémo de Maheu au DG, 24 fév. 1960 ; US National Commission, Newsletter, 23 janv. 1961, vol. VIII, n°2, p. 1 ; H. Nafaa, op. cit., p. 599. 26. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, I : lettre de Vrioni à J.K. van der Haagen, 12 avril 1962. 27. (62) /A 02 (-4) CA12/98 : lettre d’Ali Skalli au DG, 14 avril 1960 ; liste des membres du Comité national suisse, et récapitulatif des comités créés au 21 nov. 1960 ; lettre de Vrioni à Thomas, 23 juin 1960. 28. 069 (62) /A 02 (100) CA12/86, III : lettre du service des monuments de la Nubie à Louis Christophe, 18 mars 1963 ; lettre de Gysin à Christophe, 19 juill. 1963 ; lettre de Christophe au service des monuments de Nubie, 11 août 1963. 29. 069 (62) /A 02 (100) CA12/86, III : lettre de Christophe au service des monuments de Nubie, 13 août 1963 : « Tout se passe comme si le gouvernement de la RAU voulait mettre le Comité consultatif devant un fait accompli : la signature du contrat pour le découpage d’Abou Simbel afin de ne plus remettre en question le problème de sa sauvegarde » ; lettre de Vrioni à Christophe, 14 août 1963. 30. 069 (62) /A 02 (100) CA12/86, III : lettre de Gysin à Christophe, 5 sept. 1963. 31. 069 (62) /A 02 (100) CA12/86, III : lettre de Christophe au Service des monuments de Nubie, 31 août 1963 ; lettre de Christophe au Service des monuments de Nubie, 18 nov. 1963 ; 069 (62) N/A 02 (100), II : lettre de Veronese à Hermann J. Abs, 6 avril 1961. 32. En 1959, la correspondance entre J. van der Haagen et Ch. Desroches Noblecourt témoigne des difficultés de communication et des tensions entre l’Unesco et le gouvernement égyptien (ex : 069 (62) Nubie A 06 : lettre de van der Haagen à Desroches Noblecourt, 26 oct. 1959).

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33. 069 (62) N/Christophe : Al-Ahrâm, 31 août 1963 : « Eugene Black présidera aux USA la campagne de donations pour la sauvegarde des monuments de Nubie » ; 062 (62) Nubie, I : réunion d’experts internationaux pour la sauvegarde des sites et monuments de la Nubie menacée, Le Caire, 1-11 oct. 1959 ; 069 (62) N/Christophe : Al-Ahrâm, 3 avril 1963 : « Un appel adressé aux membres du Rotary dans le monde entier par le ministre de la Culture et de l’Orientation nationale en faveur de la sauvegarde des temples d’Abou Simbel. Le ministre invite un demi-million de Rotariens à participer à la sauvegarde » ; 069 (62) N/Christophe : lettre de Christophe au service des monuments de la Nubie, 13 avril 1963 ; Al-Ahrâm, 10 avril 1963 : « Le Congrès des Antiquités à Tunis étudiera “La semaine des Antiquités de Nubie” » ; Le Progrès égyptien, 1er mai 1963 : « L’Irak apportera une large contribution au sauvetage des monuments de Nubie. Une “semaine” sera consacrée à ce projet dans tous les pays arabes » ; 069 (62) N/Abou Simbel/1 114. CA 120/97 : note de M. Wallett, 20 janv. 1965 ; les époux Kennedy soutiennent la campagne. 34. H. Nafaa, op. cit., p. 611. 35. Hélène Trintignant, La protection internationale des biens culturels en temps de paix, thèse de droit public, Montpellier, 1974, p. 103-107 ; 069 (62) N/Christophe : Le Progrès égyptien, 23 fév. 1963 : « Les marbriers de Carrare attendus bientôt au Caire pour soumettre aux responsables leur projet de sauvetage d’Abou Simbel ». 36. 069 (62) N/Christophe : Al-Ahrâm, 24 avril 1963 ; Le Progrès égyptien, 18 avril 1964 : « Un musée archéologique serait créé à Assouan ». 37. 062 (62) Nubie, I : lettre de Georges Post à Okacha, 12 sept. 1959 ; IV : réunion d’experts internationaux pour la sauvegarde des sites et monuments de la Nubie menacée, Le Caire, 12 nov. 1959, compte rendu ; 069 (62) N/Christophe : Le Progrès égyptien, 17 fév. 1963 : « Sous le signe d’Abou Simbel » ; Al-Ahrâm, 24 avril 1963 ; 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, II : Le Progrès égyptien, 6 juin 1963 : « Hier, sous la présidence de M. Hasan Zakî, première réunion des experts chargés de l’examen des projets de sauvetage des temples d’Abou Simbel » ; 069 (62) /A 02/17 CA12/85A : compte rendu de la réunion d’experts internationaux concernant la sauvegarde des sites et monuments de la Nubie ancienne, 20 sept. 1959 ; 069 (62) Nubie/Abou Simbel, II : documents techniques, comme le rapport du comité de spécialistes scandinaves du 2 juin 1961 ; télégramme de Saroïte Okacha à Maheu, 20 juin 1961 ; note confidentielle du 21 juin 1961 ; Le Progrès égyptien, 17 juin 1961 ; Le Monde, 22-23 janv. 1961 : « À l’Académie des inscriptions et des Belles Lettres : la sauvegarde du temple d’Abou Simbel » ; Le Monde, 24 janv. 1961 : « À l’Académie des inscriptions et des Belles Lettres : M. Schaeffer dénonce le danger du projet italien pour la sauvegarde d’Abou Simbel » ; New Scientist, n° 234, 11 mai 1961 : lettre de l’égyptologue A.J. Arkell ; H. Nafaa, op. cit., p. 582-586 ; H. Trintignant, op. cit., p. 92-94. 38. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 200-210, 270-272. 39. 069 (62) N/Christophe : lettre de Christophe au service des monuments de la Nubie, 13 avril 1963 ; Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 270-271. 40. Nubie/BUR, 1967-86 : Nubie/13, annexe I, p. 12-13 : déclaration du représentant de la RAU, lors de la 13e session du comité exécutif, 14-16 mars 1967 ; 069 (62) N/ Christophe : Al-Ahrâm, 5 nov. 1961 : « L’émigration des habitants de Nubie commencera en juillet 1963 » ; Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 236 : elle évoque ces populations « vouées à une réinstallation dans de tristes cités à Kom Ombo et autour d’Assouan ».

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41. Archives de l’ONU, RAG-2/330, box 108 : lettre de Bogdan Theodorovic à Perez- Guerrero, non datée, 4 p., p. 3-4 : « poor planning ». Sur les Nubiens, cf. Frédérique Fogel, Mémoires du Nil. Les Nubiens d’Égypte en migration, Paris, Karthala, 1997 ; F. Fogel, « Des Nubies, des Nubiens : traditions scientifiques et locales de l’identité », Égypte/Monde arabe, vol. 1, n°24, 1995. 42. 069 (62) /A 02 (-4) CA12/98 : lettre de William Farr à Vrioni, 14 déc. 1961. 43. 069 (62) /A 02 (-4) CA12/98 : mémo confidentiel de Vrioni à van der Haagen, 23 mars 1962. 44. 069 (62) N/Christophe : Le Progrès égyptien, 15 fév. 1963 : « Une porte où frapper : les universités américaines pourraient encore financer le sauvetage d’Abou Simbel ». 45. 069 (62) N/A 02 (73) : mémorandum de Lassalle, 26 nov. 1961 : « Draft for a public relations program ». 46. 069 (62) N/A 02 (73) : mémorandum de Lassalle à Salsamendi, 13 déc. 1961 ; lettre de Lassalle à van der Haagen, 8 janv. 1962. 47. 12 C/6, 4.1 ; archives diplomatiques françaises, série cabinet du ministre, Couve de Murville, 180 : note pour le cabinet du ministre de la DGACT, Francois Charles-Roux, 18 janv. 1964 ; note de la DGACT sur la sauvegarde du temple d’Amada, 24 mars 1964 (docs cités par G. Bourreau, op. cit., p. 33-35). 48. 56 EX/SR 8, p. 62-63 ; cité dans H. Nafaa, op. cit., p. 580 ; H. Nafaa, op. cit., p. 587 ; 069 (62) Nubie/Abou Simbel, II : lettre confidentielle de Maheu à Saroïte Okacha, 2 août 1962. 49. 56 EX/SR 8, p. 62-63 ; cité dans H. Nafaa, op. cit., p. 580 ; 069 (62) Nubie Abou Simbel, III : lettre d’A. Vrioni au secrétaire de la délégation permanente de l’Espagne, 23 janv. 1963 ; H. Nafaa, op. cit., p. 617. 50. M. Prévost, L’île des Uneskimos, op. cit., p. 76-78. 51. H. Nafaa, op. cit., p. 613-614 ; 069 (62) Nubie Abou Simbel, III : mémo de J. Thomas à Maheu, 15 juill. 1959 : en 1959, l’Unesco ayant appris que James Rorimer, directeur du Metropolitan Museum of Art de New York avait « certains doutes et appréhensions à l’égard de l’intervention de l’Unesco », envoie Jean Thomas pour le faire changer d’avis, le convaincre. Les deux hommes ont « un entretien très long et très franc », au cours duquel Thomas estime avoir réussi à « rassurer » Rorimer ; 069 (62) N/Christophe : Al- Ahrâm, 6 janv. 1963 : « Les délégués de l’Unesco visitent les pays pour les inviter à la coopération en faveur de la sauvegarde des monuments » ; 069 (62) Nubie Abou Simbel, III : Le Monde, 27 janv. 1962, p. 9 : « Pour des raisons techniques et financières, la décision du gouvernement égyptien de mettre en adjudication les travaux d’Abou Simbel semble prématurée » ; 069 (62) N/A 02 (73) : Lassalle à van der Haagen, 8 janv. 1962 : Lassalle souligne l’hostilité générale des milieux des musées et des égyptologues aux États-Unis pour la campagne de Nubie et est exaspéré de voir que l’Unesco ne veut pas l’admettre. 52. 069 (62) N/Christophe : lettre de Christophe à Asabuki, 16 janv. 1962 ; lettre de Christophe à Rosi, 15 mars 1962. 53. 069 (62) N/Christophe : mémo de Christophe à van der Haagen, 12 mars 1962. 54. 069 (62) N/Christophe : lettre de Christophe à Vrioni, 5 déc. 1962. 55. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02. CA 120/29, III : comité de contrôle, 13 e session, 16 nov. 1966 ; mais globalement l’opération de découpage et de transport est satisfaisante

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(069 (62) N/Abou Simbel/A 02. CA 120/29, III : lettre de Christophe à V. Nenadovic, 25 oct. 1967 ; lettre de Christophe à Chihâta Âdam, 19 janv. 1968). 56. 069 (62) /A 02/17 CA12/85A : rapport confidentiel de la réunion d’experts internationaux concernant la sauvegarde des sites et monuments de la Nubie ancienne, non daté ; rapport de la réunion d’experts internationaux concernant la sauvegarde des sites et monuments de la Nubie ancienne, 20 sept. 1959. 57. 062 (62) Nubie, I : lettre de Ch. Desroches-Noblecourt à Maheu, 8 avril 1959. 58. 069 (62) Nubie, IV : plusieurs institutions américaines (ex. : Peabody Museum, University of California, The Bruce Museum dans le Connecticut) écrivent à l’Unesco en nov. 1959 ; 069 (62) N/Christophe : lettre de Vrioni à Christophe, 17 janv. 1961 ; 069 (62) N/A 114/113 (73) : lettre de Froelich Rainey, directeur du musée de l’université de Pennsylvania, à Maheu, 15 mars 1960 ; lettre de Froelich Rainey à Saroïte Okacha, 14 oct. 1960. 59. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 238-245. La France prend en charge le temple d’Amada, monument d’aspect mixte (moitié grotte, moitié construction par assises de pierre), grâce aux démarches de Desroches-Noblecourt auprès du général de Gaulle ; les études pour le déplacement de ce temple prennent du retard à cause des incidents franco-égyptiens de déc. 1961 ; les experts français ont du mal à se décider entre divers procédés (déplacement par translation, par flottaison, ou encore démontage et remontage sur un nouveau site). Finalement la France commence le déplacement dans la seconde moitié de l’année 1964 (069 (62) Nubie, IV : CUA 10803, 29 juill. 1963 ; déclaration de M. Cain à la 60e session du conseil exécutif ; lettre de relance du ministre de la culture égyptien, Abdel Kader Hatem, 5 août 1963 ; lettre de van der Haagen à Maheu, 6 mars 1964 ; lettre d’Olivier de Sayve à Vrioni, 22 juin 1964). 60. 069 (62) N/Christophe : Le Progrès égyptien, 28 avril 1963 : « Le gouvernement américain étudie le projet de la RAU tendant au sauvetage d’Abou Simbel. Une décision rapide doit être prise à ce sujet, déclare le sous-secrétaire du département d’état américain » ; Al-Ahrâm, 2 déc. 1963 ; 069 (62) N/Abou Simbel/1 114. CA 120/97 : message du Président Johnson sur Abou Simbel, 29 avril 1967 ; X07.21/43-15 A562 : Germany, Briefing for DG, non signé ni daté ; Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 236-237. 61. 069 (62) N/A 875 (73) : lettre de Yassu Gauclère à Christophe, 22 fév. 1961. 62. 069 (62) N/A 875 (73) : lettre de la Indio Chamber of Commerce au DG, 16 déc. 1960 ; lettre de Yassu Gauclère à Christophe, 22 fév. 1961 (citation) ; note manuscrite anonyme ; réponse de Wilson à la Indio Chamber of Commerce, 17 janv. 1963. La correspondance se poursuit pendant plusieurs années entre l’Unesco et l’association « Temple Derr for Indio » ; lettre de ʻAbd Al-Munʻim Al-Sâwî, sous secrétaire d’État de la RAU, à Maheu, 19 avril 1964 ; lettre de Chihâta Âdam au ministre de la Culture et de l’Orientation nationale de RAU, 9 juin 1964. 63. 069 (62) N/Abou Simbel/1 114. CA 120/97 : lettre de Mc Cullough à Vrioni, 8 juin 1965 ; réponse de Vrioni à Mc Cullough, 8 juill. 1965. 64. 069 (62) N/A 02 (73) : mémo confid. de Lassalle à Salsamendi, 2 avril 1962. 65. 069 (62) N/Christophe : Le Progrès égyptien, 2 mai 1963 : « Une nouvelle méthode de recherche archéologique va bientôt être appliquée en Égypte et dans le Moyen Orient : le “Mighty Midget”(moustique puissant) épargnera effort, temps et argent ». 66. En déc. 1961, la presse égyptienne affirme que 50 des pierres du temple de Kalabchâ ont été détruites pendant leur débarquement en Nubie à cause de l’inexpérience des

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ouvriers chargés du débarquement de ces pierres (069 (62) N/Philae, III : Al-Ahrâm, 15 déc. 1961 : « Les pierres du temple de Kalabchâ ont subi un accident grave. La destruction de 50 pierres antiques pendant leur débarquement en Nubie »). Le gouvernement de RFA dément et dénonce les « mauvaises intentions » de la presse égyptienne (lettre de Christophe à van der Haagen, 20 déc. 1961). J. van der Haagen estime que cette campagne calomnieuse dans la presse est due à l’hostilité de la presse égyptienne contre M. Choukry et contre S. Okacha (lettre de van der Haagen à G. Bersu, 26 déc. 1961). En fév. 1962, Okacha fait insérer dans la presse un rectificatif et un communiqué élogieux sur les efforts du gouvernement de RFA dans sa participation au projet (lettre de Okacha au DG, 1er fév. 1962). 67. 069 (62) N/A 114/113 (73) : lettre de Desroches-Noblecourt, 3 sept. 1962. Des lettres de Christophe confirment ce jugement. 68. 069 (62) N/Philae, III : lettre de Christophe au service des monuments de Nubie, 5 déc. 1962. 69. Marc Goutalier, « La proximité et ses limites dans les relations égypto- soudanaises », Confluences Méditerranée, vol. 4, n° 75, 2010. 70. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, I : réponse de Okacha, 3 oct. 1961 ; lettre de Maheu à Okacha, 22 sept. 1961 ; lettre d’Okacha au DG, 3 août 1961 ; lettre de Okacha au DG, 16 sept. 1961. 71. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, I : lettre de Vrioni à J. van der Haagen, 12 avril 1962 : Vrioni estime avoir la « certitude » que les lettres adressées par l’Unesco à Okacha sont en fait « étudiées uniquement par Shehata Adam ». 72. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02, I : lettre de Vrioni à J. van der Haagen, 12 avril 1962 ; 069 (62) /A 02 (-4) CA12/98 : mémo confidentiel du 23 mars 1962, de Vrioni à van der Haagen ; archives diplomatiques américaines, Decimal file, RG59, entry CDF 1960-63 : box 822 : mémorandum de conversation avec Sadruddin Khan et John Barrow, 15 fév. 1961. 73. 069 (62) Nubie Abou Simbel, III : mémo de la division des musées et monuments à Maheu, du 22 sept. 1959, et du 23 sept. 1959. 74. 069 (62) N/A 57 Nubie : 4e conférence archéologique de la Ligue arabe, à Tunis, 17-29 mai 1963, rapport de L. Gomes Machado, 20 juin 1963. 75. M. Prévost, op. cit., p. 80. 76. Archives privées de Vittorino Veronese, institut Luigi Sturzo, carton 32 : lettre de J. Thomas à Veronese, 4 sept. 1960. 77. 069 (62) N/A 02 (73) : New York Times, 20 janv. 1962 : « Land of Nile New Source For Fashion » ; lettre de la Commission nationale américaine à Lassalle, 23 janv. 1962. 78. 069 (62) N/Abou Simbel/A 02. CA 120/29, II : lettre de Vrioni à Maheu, 24 mai 1962 : Vrioni fait un voyage en Espagne où il s’efforce, par des conversations avec diverses personnes, d’influencer le gouvernement espagnol pour qu’il donne un crédit supplémentaire pour Abou Simbel ; Veronese, carton 32 : lettre de J. Thomas à Veronese, 4 sept. 1960 : J. Thomas affirme avoir « trouvé beaucoup de changement depuis un an » dans la position du département d’état américain et du congrès américain au sujet de la Nubie ; 069 (62) N/A 380.383/858, II : mémo de Christophe au service des monuments de Nubie, 29 fév. 1964 ; lettre de Christophe à l’administrateur général du centre de documentation, 19 nov. 1963 ; 069 (62) N/Abou Simbel/1 114 : lettre d’Ali Vrioni à Elmandjra, 4 fév. 1965 ; rapport « The rescue of the Temples, a

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statement prepared for The Old Dominion Foundation, by The American Committe to Preserve Abu Simbel », 12 avril 1965 ; ex. : efforts auprès de Westinghouse Electric International, Radio Corporation of America, The Bank of America, The Ford Motor Company, The Getty Oil Company, The Singer Company, Sacony-Mobile Oil Company ; le comité américain comprend des grands noms des milieux industriels, savants, politiques, du spectacle, intellectuels, universitaires, etc. ; correspondance entre Max Mc Cullough, directeur du comité américain, et Ali Vrioni, directeur de la Campagne de Nubie (1965) ; lettre de Rodolphe J.A. de Seife à Vrioni, 4 août 1966 ; lettre de Rodolphe J.A. de Seife à Vrioni, 7 oct. 1966 ; lettre de Seife à Vrioni, 14 déc. 1966 ; lettre de Seife à Maheu, 10 fév. 1967 ; lettre de Seife à Maheu, 23 fév. 1967 ; Maheu à Seife, 14 mars 1967 ; 069 (62) N/A 02 (73) : lettre de F. Reinhardt à Okacha, 9 août 1960 ; Okacha à F. Reinhardt, 16 août 1960 ; compte rendu du meeting du US national committee for the preservation of the Nubian monuments, 14 oct. 1961 ; lettre de Lassalle à Muhammad Habîb, 18 déc. 1961. 79. 069 (62) N/A 02 (73) : lettre de John A. Pope à Lassalle, 7 nov. 1961 ; lettre de Brew à Maheu, 5 fév. 1962 ; lettre de Lassalle à van der Haagen, 8 déc. 1961. 80. 069 (62) /A 02 (-4) CA12/98 : mémo confidentiel de Vrioni à van der Haagen, 23 mars 1962. 81. 069 (62) /A 02 (-4) CA12/98 : lettre de J.O. Brew à Veronese, 9 sept. 1960 ; archives diplomatiques américaines, Decimal file, RG59, entry CDF 1960-63 : box 824 : lettre de G. Shuster à Dean Rusk, 15 déc. 1961, p. 4-5 ; ibid., box 827 : lettre confid. de G.N. Shuster à Dean Rusk, 1er oct. 1962. 82. 069 (62) N/A 114/113 (73) : note de Christophe, 4 mars 1961. 83. 069 (62) N/Abou Simbel/1 114 : lettre de Rodolphe J.A. de Seife à Vrioni, 4 août 1966 ; lettre de Seife à Vrioni, 28 fév. 1967 ; 069 (62) N/A 114/113 (73) : note de Louis Christophe, 28 nov. 1960. 84. Archives diplomatiques américaines, Decimal file, RG59, entry CDF 1960-63 : box 822 : mémorandum de conversation, confid., entre le secrétaire d’État et Veronese, 16 fév. 1961. 85. 069 (62) N/A 114/113 (73) : lettre de Christophe à van der Haagen, 9 sept. 1961 ; lettre de Okacha à Maheu, 16 oct. 1961 ; Le Progrès égyptien, 21 oct. 1961 : « M. Humbert Humphrey, membre de la commission des affaires étrangères du Sénat américain, actuellement au Caire, discutera avec les autorités responsables des projets de sauvetage des monuments de Nubie » ; Le Progrès égyptien, 22 oct. 1961 : « Entretiens de M. Humphrey avec le Dr. Okacha et M. H.Z. Sabrî » ; Le Progrès égyptien, 20 mai 1964 : « Le refus de la commission budgétaire américaine de participer au sauvetage des temples égyptiens. Une attitude hostile à la RAU, mais qui nuira au patrimoine archéologique du monde entier » ; Al-Akhbâr ; lettre de Veronese à Philip H. Coombs, 17 avril 1961 ; Congrès, 26 sept. 1961, n° 171 ; lettre confid. d’Edmundo Lassalle à Maheu, 28 sept. 1961 ; New York Times, 13 sept. 1961 : « House Unit Kills Funds For Egypt’s Monuments ». 069 (62) N/A 02 (73) : New York Times, 28 sept. 1961 : « US Votes Funds to Save Nile Arts » ; lettre de John A. Wilson à Maheu, 29 sept. 1961 ; lettre de Lassalle à van der Haagen, 2 fév. 1962 ; mémo confid. de Lassalle à Salsamendi, 2 avril 1962 ; Veronese, carton 32 : discours de Veronese, « L’Unesco face aux problèmes d’aujourd’hui », 8 mai 1961 ; 56 EX/ SR 8, p. 62-63, cité dans H. Nafaa, op. cit., p. 580.

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86. Archives diplomatiques américaines, box 824 : télégramme de Badeau (Le Caire) au secrétaire d’État, 20 nov. 1961. 87. H. Nafaa, op. cit., p. 589-592. 88. 069 (62) Nubie Abou Simbel, III : télégramme de Carneiro et Maheu au président des États-Unis, 8 mars 1963 : « anxiously ». 89. 069 (62) Nubie Abou Simbel, III : Al-Ahrâm, 18 juin 1963. 90. H. Nafaa, op. cit., p. 593. 91. 069 (62) N/Abou Simbel/1 114 : lettre de Harry C. McPherson à Hartford, non datée : « the American interest in the preservation of the temples of Abou Sembel » ; « it increases opportunities through which Americans can influence ideas and actions in the Arab world in the direction of moderation, cooperation and stability ». 92. 069 (62) N/Abou Simbel/1 114 : message du Président Johnson sur Abou Simbel, 29 avril 1967 : « an outstanding example of creative partnership between your Government and American industry ». 93. 069 (62) Nubie, IV : Unesco Features, 15 mars 1963 ; Unesco Features, 11 fév. 1964 ; lettre de la commission nationale polonaise pour l’Unesco à Maheu, 23 mars 1972. 94. 069 (62 )Nubie, IV : dossier Turin CA 120/37. 95. 069 (62) N/A 114/113 (73) : Le Progrès égyptien, 13 avril 1963 : « La tombe découverte en Nubie par la mission américaine date de 1500 av. J.C. » ; Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 233. 96. 069 (62) N/A 114/113 (73) : rapport de mission de Christophe à Toschké-Ermenneh, 12 mars 1961. 97. 069 (62) N/A 114/113 (73) : mémo de Louis Christophe au service des monuments de Nubie, 16 fév. 1963 ; l’Américain Solecki a publié son rapport de ses recherches en Nubie dans la revue Man, vol. 62, nov. 1962. 98. 069 (62) N/Philae, III : mémo n° 795 ; télégramme n° 1227, 29 janv. 1965. L’inauguration du temple de Kalabchâ, prévue initialement en mai 1964, est repoussée à fév. 1965. 99. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 272. 100. H. Nafaa, op. cit., p. 595-596. 101. DG/68/14, p. 2-3. 102. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 330-331. 103. H. Trintignant, op. cit., p. 95-96 ; Courrier de l’Unesco, oct. 1961, p. 16-20 ; numéro spécial sur Philae en décembre 1964 ; déc. 1968, p. 48-55 ; fév. 1960, p. 34-37. 104. 069 (62) N/Philae, III : lettre de Christophe au service des monuments de Nubie, 23 oct. 1966 ; Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 211-212 ; 069 (62) /A 02/17 CA12/85A : rapport confidentiel de la réunion d’experts internationaux concernant la sauvegarde des sites et monuments de la Nubie ancienne, 12 nov. 1959 ; en 1960 le gouvernement des Pays-Bas fait des études préliminaires pour le sauvetage de Philae. La mise en service du nouveau barrage d’Al-Sadd-Al-ʻÂlî, entraînant des oscillations journalières rapides de 6 mètres au niveau des temples de Philae, aura pour conséquence si rien n’est fait de scinder les temples en deux au niveau de l’eau. Les Pays-Bas proposent de construire trois digues et une station de pompage. (069 (62) N/Philae, II : « Exposé sommaire des études préliminaires réalisées sur l’initiative du gouvernement des Pays-

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Bas en vue de la protection de l’île de Philae », oct. 1960). En 1964, il est décidé que les Pays-Bas assureront les travaux de sauvegarde du temple de Philae, à partir de 1967, par la construction de deux barrages qui permettront le retrait de l’eau et l’assèchement complet du temple (069 (62) N/Philae, II : Le Progrès égyptien, 2 nov. 1964 : « Les Pays-Bas assumeront les travaux de sauvegarde du temple de Philae. L’opération commencera en 1967 et coûtera six millions de livres ») ; H. Nafaa, op. cit., p. 597-611, 618-619. 105. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 397-428 ; H. Nafaa, op. cit., p. 597 ; Nubie/BUR, 1967-86 : Nubie/17, p. 6, annexe 2 : appel de Maheu pour la sauvegarde des temples de Philae, 6 nov. 1968. 106. H. Nafaa, op. cit., p. 597 ; Nubie/BUR, 1967-86 : UNESCO/ NUBIA/CE/XXII/3 (rapport sur la sauvegarde des monuments de Philae présenté par le gouvernement d’Égypte : état d’avancement des travaux exécutés depuis mars 1973, 9 nov. 1973, p. 3 : « observations relatives aux retards »). 107. Ch. Desroches-Noblecourt, op. cit., p. 397-406.

RÉSUMÉS

L’Unesco, créée en 1945, a vu son action dans le domaine du patrimoine prendre de plus en plus d’importance dans son programme au fil du temps. Cette organisation a supervisé le sauvetage des monuments de Nubie (temples d’Abou Simbel notamment) au sud de l’Égypte de 1955 à 1968. Ce sauvetage s’est fait grâce à la coopération de nombreux pays. Il s’inscrit dans le cadre de la politique internationale menée par Nasser et révèle l’attention de celui-ci pour le patrimoine égyptien. Il a accru le prestige de l’Égypte, ainsi que de l’Unesco, sur la scène internationale.

Unesco, created in 1945, developed along the years a growing action in the field of world heritage. It supervised the saving of the Nubian monuments (Abu Simbel notably) in the South of Egypt from 1955 to 1968. It was done thanks to the cooperation of many countries. This action is part of the international policy led by Nasser and it reveals Nasser’s interest for heritage. It increased the prestige of Egypt and of Unesco on the international stage.

INDEX

Mots-clés : Égypte, Unesco, patrimoine, coopération internationale, Abou Simbel Keywords : Egypt, Unesco, Heritage, International cooperation, Abu Simbel

AUTEUR

CHLOÉ MAUREL Chloé Maurel, normalienne, agrégée d’histoire, docteur en histoire contemporaine de l’université Paris I, chercheuse associée à l’IHMC (CNRS/ENS), est l’auteur notamment de : Histoire de l’Unesco.

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Les trente premières années (1945-1974), Paris, L’Harmattan, 2010. Ses champs de recherche sont l’histoire culturelle, l’histoire des Nations unies et l’histoire globale. Chloé Maurel has a PhD in contemporary history (Paris I Panthéon-Sorbonne). She is an associate researcher at IHMC (CNRS/ENS). She published a book on the history of Unesco: Histoire de l’Unesco. Les trente premières années (1945-1974), Paris, L’Harmattan, 2010. She works in cultural history, history of the UN, and global history.

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Annexes

Baudouin Long et Clément Steuer

Les principaux partis politiques et candidats dans les élections

Baudouin Long et Clément Steuer1

Les coalitions électorales

Poids Nom de la Descriptif Principaux partis membres à coalition l’Ass.2

Coalition démocratique – Au départ, large alliance d’union nationale. Suite à de Alliance Liberté et Justice ; Al-Karâma ; Ghad multiples défections, la démocratique pour Al-Thawra ; Parti islamique du Coalition démocratique est l’Égypte ; Travail ; Al-Hadâra ; Parti égyptien devenu un rassemblement de 47,8 % Democratic arabe socialiste ; Parti de la partis de différentes tendances Alliance for Egypt ; Réforme ; Parti de la Génération politiques, mais clairement démocratique dominé par les Frères فلاحتلا musulmans يطارقميدلا نم لجأ رصم

Coalition islamiste ; Islamic Coalition – Alliance des principaux partis Al-Nûr ; Construction et 25,4 % ; salafistes développement ; Al-Asâla

ةلتكلا ةيمﻼسﻻا

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Bloc égyptien ; Coalition de partis séculiers Parti des Égyptiens libres ; Parti Egyptian Bloc ; visant à contrebalancer le poids égyptien social-démocrate ; Al- 7 % des partis islamistes Tagammu‘ ةلتكلا ةيرصملا

La Révolution Parti de l’Alliance populaire continue ; Alliance de partis et de socialiste ; Courant égyptien ; Revolution mouvements de jeunesse ayant Coalition des jeunes de la Continues Alliance quitté le Bloc égyptien suite à la Révolution ; Parti socialiste – Alliance to décision de certains des 2 % égyptien ; Parti égyptien de la Complete the principaux partis le composant Liberté ; Parti de l’Égalité et du Revolution ; de nommer des fulûl comme Développement ; Parti de l’Alliance candidats égyptienne ةروثلا ةرمتسم – لامكتسا ةروثلا

Les partis politiques

La Coalition démocratique

Président et/ou Poids Date de Parti Descriptif personnalités à création dirigeantes l’Ass.3

Parti de la Liberté et de la Justice ; Parti des Frères 2011 Mohamed Morsi 43,4 % Freedom and Justice Party ; musulmans

بزح ةيرحلا ةلادعلاو

Issu d’une scission du Al-Karâma (la Dignité) ; parti arabe démocratique nassérien. L’une des Hamdîn Sabâhî, Dignity Party ; 1996 1,2 % principales forces de Amîn Iskandar l’opposition au régime بزح ةماركلا avant la révolution

Ghad Al-Thawra (Lendemain de la Révolution) ; Issu du Ghad (créé en 2004) dont il a fait Revolution’s Tomorrow Party 2011 Ayman Nûr 0,4 % scission après une longue – Ghad El-Thawra Party; lutte interne بزح دغلا ةروثلا

Parti libéral. Cherche à se Al-Hadâra (La Civilisation) ; Muhammad positionner entre les Civilization Party ; 2011 ‘Abd Al-Mun‘im 0,4 % islamistes et les Al-Sâwî sécularistes بزح ةراضحلا

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Parti du Travail – Parti Parti islamiste de islamique du Travail ; 1978-2000, tendance nationaliste, Labour Party – Egyptian reprise de anciennement socialiste. Magdî Husayn 0,2 % Islamic Labour Party ; l’activité du Héritier du mouvement parti en 2011 des années 1930-1940 بزح لمعلا يرصملا – بزح Jeune Égypte لمعلا يمﻼسﻻا

Parti arabe socialiste Parti socialiste et 1977, d’Égypte ; islamiste, voué à la autorisé en Wahîd Al-Uqsarî 0,2 % Egyptian Arab Socialist Party ; défense des principes de 1992 la révolution de 1952 بزح رصم يبرعلا يكارتشﻻا

Parti de la Réforme ; Parti fondé par de jeunes ‘Atiya ‘Adalân, Egyptian Reform Party ; 2011 0,2 % salafistes Khâlid Mansûr بزح حﻼصﻹا

Parti socialiste et anti- Parti de la Génération impérialiste. Programme démocratique ; axé principalement sur le Democratic Generation 2002 développement de Nâgî Al-Chahâbî 0 % Party ; l’agriculture et l’intégration des pays des بزح ليجلا يطارقميدلا bassins du Nil

Indépendants affiliés ; Affiliated Independents ; 1,8 %

نولقتسم

La Coalition islamiste

Président et/ou Date de Poids à Parti Descriptif personnalités création l’Ass. dirigeantes

Al-Nûr (La Lumière) – Parti Nour ; Salafiste, branche politique Al-Nour Party – Party 2011 ‘Imâd ‘Abd Al-Ghafûr 22,4 % de la Prédication salafiste of Light ;

بزح رونلا

Construction et Développement ; Salafiste, branche politique Târiq Al-Zumr, Building and 2011 2,4 % de Al-Gamâ‘a Al-Islâmiya Safwat ‘Abd Al-Ghanî Development Party ;

بزح ءانبلا ةيمنتلاو

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Al-Asâla Créé par les salafistes de (L’Authenticité) ; ‘Âdil ‘Abd al-Maqsûd 2011 l’école du Caire, après qu’ils 0,6 % ; ‘Afîfî aient quitté Al-Fadîla بزح ةلاصﻷا

Le Bloc égyptien

Président et/ou Poids Date de Parti Descriptif personnalités à création dirigeantes l’Ass.

Parti égyptien social- démocrate ; Parti de centre-gauche issu de la Egyptian Social Muhammad Abûl- 2011 révolution, composé de 3,4 % Democratic Party ; Ghâr nombreux intellectuels بزحلا ىرصملا ىطارقميدلا ىعامتجﻻا

Parti des Égyptiens Parti de tendance libérale, libres ; fortement opposé à l’islam 2011 Nagîb Sâwîris 2,8 % Free Egyptians Party ; politique. Qualifié de parti des coptes par ses opposants بزح نييرصملا رارحﻷا

Al-Tagammu‘ (Le Rassemblement) – Rassemblement Parti qui rassemblait avant la national progressiste ; révolution la plupart des courants socialistes égyptiens. Tagammu – National 1978 Rif‘at Al-Sa‘îd 0,8 % Un des principaux partis de Progressive Unionist l’opposition parlementaire Party ; avant la révolution بزح عمجتلا ينطولا يمدقتلا يودحولا

La Révolution continue

Président et/ Poids Date de ou Parti ou organisation Descriptif à création personnalités l’Ass. dirigeantes

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Parti de l’Alliance populaire socialiste ; Parti issu de la révolution. Socialist Popular Alliance Plusieurs de ses membres Abûl-‘Izz Al- Party –Social Alliance 2011 1,4 % fondateurs sont issus du Harîrî Party ; Tagammu‘ بزح فلاحتلا يبعشلا يكارتشﻻا

Créée en février 2011, au lendemain du départ de Coalition des jeunes de la Moubarak, cette coalition visait Révolution ; à coordonner les activités de Coalition of the Youth of plusieurs partis et organisations 2011 Ziyâd Al-‘Alîmî 0,2 % the Revolution – Revolution révolutionnaires. Elle s’est auto- Youth Coalition ; dissoute en juillet 2012, considérant que l’élection de فﻼتئا بابش ةروثلا Mohamed Morsi marquait la fin de la période de transition

Parti égyptien de la Liberté – L’Égypte de la liberté ; Parti libéral voué à la défense de 2011 la justice sociale et de l’égalité ‘Amr Hamzâwî 0,2 % Egypt Freedom Party ; entre les citoyens بزح رصم ةيرحلا

Parti de l’Égalité et du Développement ; Taysîr Fahmî, Equality and Development 2011 Centre-gauche Ahmad Abû 0,2 % Party ; Bakr

بزح ةاواسملا ةيمنتلاو

Al-Tayyar Al-Masrî (Courant Muhammad Al- égyptien) ; Créé par de jeunes Frères 2011 Qasâs, Islâm 0 % Egyptian Current Party ; musulmans dissidents Luftî بزح رايتلا يرصملا

Parti socialiste égyptien ; Parti issu de la révolution, de Ahmad Bahâ’ Socialist Party of Egypt ; 2011 0 % tendance marxiste Al-Dîn Cha‘bân بزحلا يكارتشﻻا يرصملا

Parti de l’Alliance égyptienne ; Libéral, soutient la candidature Muhammad Al- 2011 0 % Egyptian Alliance Party ; d’El-Baradei Gîlânî

بزح فلاحتلا ىرصملا

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Autres partis islamistes

Président et/ou Poids Date de Parti Descriptif personnalités à création dirigeantes l’Ass.

Al-Wasat (Le Centre) ; Parti islamiste modéré. Créé par 1996 Al-Wasat Party – The des Frères musulmans dissidents. (légalisé Abûl-‘Ila Mâdî 2 % Center Party ; Cherche à se positionner entre les en 2011) islamistes et les sécularistes بزح طسولا

Parti salafiste, créé pour Al-Fadîla (La Vertu) ; représenter politiquement l’école ; 2011 du Caire. Ses principaux leaders Mahmûd Fathî 0 % ont néanmoins rapidement quitté بزح ةليضفلا le parti pour créer Al-Asâla

Parti de l’Unification arabe ; Parti islamiste créé par des Muhammad Al- Arab Unification 2011 0 % dissidents du parti du Travail Sakhâwî Party ;

بزح ديحوتلا يبرعلا

Al-Riyada (Le Pionnier) ; Parti islamiste modéré. Créé par Haytham Abû – 2011 des Frères musulmans dissidents 0 % Khalîl Leadership Party ; sur le modèle du Wasat

بزح ةديرلا

Autres partis libéraux

Président et/ou Poids Date de Parti Descriptif personnalités à création dirigeantes l’Ass.

Nationaliste libéral et Al-Wafd (La Délégation) – Le séculier. Le plus ancien parti Néo-Wafd ; égyptien. Fondé en 1919 par Al-Sayyîd Al- 1978 7,6 % Wafd Party ; Sa‘ad Zaghlûl, interdit sous Badawî Nasser, puis ré-autorisé sous بزح دفولا ديدجلا Sadate

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Parti libéral fondé en 2009 par des dissidents du parti du Réforme et Développement ; Front démocratique. A Muhammad 2009, Reform and Development fusionné en 2011 avec le parti Anwar ‘Ismat Al- légalisé 1,8 % Misruna Party ; Misruna créé quelques mois Sâdât, Raymond en 2011 plus tôt par l’homme Lakah حﻼص ةيمنتلاو انرصمإ بزح لا d’affaires franco-égyptien Raymond Lakah

Centriste, proches des Al-‘Adl (La Justice) ; mouvements Mustafâ Al- Justice Party ; 2011 révolutionnaires. Créé à 0,4 % Nagâr l’origine par des proches بزح لدعلا d’El-Baradei

Parti de la Paix démocratique – Parti démocratique pour la Centre-gauche. Cherche à se paix ; 2005 positionner entre les Ahmad Al-Fadâlî 0,4 % ; islamistes et les sécularistes

بزح مﻼسلا يطارقميدلا

L’Union égypto-arabe ; Parti séculier qui prône ‘Ummar Al- Egyptian Arab ; 2011 l’union de l’Égypte avec le 0,2 % Mukhtâr Hamîd Soudan بزح داحتﻻا يرصملا يبرعلا

Parti libéral. À l’origine créé Parti du Front démocratique ; par des dissidents du PND, il devient rapidement l’un des Usâma Al- Democratic Front Party ; 2007 0 % partis les plus fermement Ghazâlî Harb opposés au régime de بزح ةهبجلا ةيطارقميدلا Moubarak

Parti de l’Égypte moderne ; Modern ; 2011 Parti libéral Nabîl Di‘bis 0 %

بزح رصم ةثيدحلا

Partis regroupant d’anciens membres du PND

Poids Date de Président et/ou Parti Descriptif à création personnalités dirigeantes l’Ass.

Parti national d’Égypte ; Tal‘at Al-Sâdât (élu président Ancien du du PND après la révolution ; National Party of 2011 1 % PND mort en novembre 2011), Egypt ; Tawfik Okasha بزح رصم يموقلا

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Parti de la Liberté ; Anciens du Freedom Party ; 2011 ‘Abd Allâh Al-Ach‘al 1 % PND بزح ةيرحلا

Parti conservateur ; 2006-2010. Centre-droit, Conservative Party ; Reprend son anciens du Akmâl Qurtâm 0 % activité en 2011 PND بزح نيظفاحملا

Parti du Citoyen Muhammad Ragab (élu égyptien ; Anciens du secrétaire général du PND 2011 0 % Egyptian Citizen Party ; PND après la révolution), Salâh Hasab Ullâh بزح نطاوملا يرصملا

Parti de l’Union ; Anciens du Union Party ; 2011 Husâm Badrâwî 0 % PND بزح داحتﻻا

Parti du Commencement ; Anciens du 2011 Mahmûd Husâm 0 % Beginning Parti ; PND

بزح ةيادبلا

Partis soufis

Président et/ou Date de Poids Parti Descriptif personnalités création à l’Ass. dirigeantes

Parti de la Libération égyptienne ; Principal parti soufi. Egyptian Liberation 2011 Essentiellement issu de la Ibrâhîm Zahrân 0 % Party ; confrérie ‘azâmiyya

بزح ريرحتلا يرصملا

Parti de la Victoire ; Parti soufi, issu notamment Muhammad Salâh ; 2011 des confréries châdiliyya et 0 % Zâyid ja‘fariyya بزح رصنلا

Parti de la Voix de la Liberté ; Parti soufi, issu de la Voice of Freedom 2011 Târiq Al-Rifâ‘î 0 % confrérie rifâ‘iyya Party ;

بزح توص ةيرحلا

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Autres partis socialistes

Président et/ou Poids Date de Parti Descriptif personnalités à création dirigeantes l’Ass.

Créé en 1922, interdit sous Parti communiste égyptien ; Nasser, ce parti survit dans la clandestinité avant de ; 2011 Salâh ‘Adlî 0 % réapparaître au grand jour à l’occasion de la fête des بزحلا يعويشلا يرصملا travailleurs, le 1er mai 2011

Parti démocratique des Ce parti d’extrême-gauche a Ouvriers – Parti ouvrier été fondé par des membres de l’organisation des Socialistes démocratique ; 2011 Kamâl Khalîl 0 % révolutionnaires. Il est Workers Democratic Party ; soutenu par la fédération des syndicats indépendants بزح لامعلا يطارقميدلا

Parti nassérien – Parti arabe démocratique nassérien ; 1984, L’un des principaux partis de Arab Democratic Nasserist autorisé l’opposition parlementaire Sâmih ‘Âchûr 0 % Party ; en 1992 avant la révolution بزحلا ىبرعلا ىطارقميدلا يرصانلا

Autres partis et organisations révolutionnaires

Président et/ Poids Date de ou Parti ou organisation Descriptif à création personnalités l’Ass. dirigeantes

Mouvement de jeunes créé au printemps Mouvement des Jeunes du 6 avril ; 2008 pour soutenir les ouvriers des usines Ahmad Mâhir ; April 6th Youth Movement ; 2008 0 % textiles de Mahalla qui Asmâ’ Mahfûz avaient organisé une ةكرح شابش 6 ليربأ journée de grève le 6 avril

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Mouvement créé en 2010 autour de El- Baradei, visant à Association nationale pour le Mohamed El- rassembler sans changement ; Baradei ; Hamdî 2010 exclusive les 0 % National Front for change ; Qandîl ; ‘Abd opposants au régime Al-Galîl Mustafâ dans l’objectif ةيعمج ةينطو رييغتلل d’obtenir des réformes démocratiques

Ce mouvement, rassemblant toutes les tendances de Kefaya – Mouvement égyptien pour le l’opposition au changement ; régime, a été créé 2004 George Ishâq 0 % Egyptian Movement for Change ; pour protester contre le projet de Gamal ةيافك – ةكرحلا ةيرصملا نم لجأ رييغتلا Moubarak de succéder à son père à la tête de l’État égyptien

Socialistes révolutionnaires ; Mouvement d’extrême-gauche Kamâl Khalîl, Revolutionary Socialists ; 1995 0 % inspiré par le Sâmih Nagîb trotskisme نويكارتشﻻا نويروثلا

Ce parti rassemblait une dizaine de Parti de la Révolution égyptienne ; mouvements Egyptian Revolution Party ; 2011 révolutionnaires Târiq Zîdân 0 % préexistants dans le بزح ةروثلا ةيرصملا but de participer aux élections

Les candidats à la présidentielle

Nom Descriptif Soutiens partisans Résultats

24,8 % (1er Mohammed Professeur en ingénierie. Président tour) Morsi Parti de la Liberté et de la Justice du parti de la Liberté et de la Justice 51,7 % (2nd دمحم يسرم tour)

Général de l’Armée de l’Air. Ministre 23,7 % (1er Ahmad Indépendant, soutenu de l’Aviation depuis 2002. Nommé tour) Chafîq officieusement par l’État Premier ministre durant les derniers nd profond et par l’Église 48,3 % (2 دمحأ قيفش jours du règne de Hosni Moubarak tour)

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Hamdîn Opposant au régime depuis l’époque Sabâhî de Sadate, alors qu’il était étudiant. Al-Karâma 20,7 % Député d’opposition de 2000 à 2010 نيدمح يحابص

‘Abd Al- Ancien membre dirigeant des Frères Mun‘im Abûl- musulmans. Exclu en 2011. Leader Al-Wasat, Al-Nûr, Construction et Futûh étudiant dans les années 1970. 17,5 % Développement Secrétaire général de l’union des دبع معنملا وبأ syndicats des médecins arabes حوتفلا

Ancien ministre des Affaires Amr Moussa étrangères (1991-2001). Ancien Indépendant. Soutenu 11,1 % secrétaire général de la Ligue arabe notamment par le Wafd ورمع ىسوم (2001-2011)

Avocat et intellectuel islamiste Indépendant. Soutenu dans un Muhammad indépendant. Ancien secrétaire premier temps par le parti Salîm général de l’Union internationale des Wasat, avant que celui-ci ne se Al-‘Awwâ 1,01 % intellectuels musulmans. Président rallie finalement à la de l’association « Égypte pour la candidature de ‘Abd Al-Mun‘im دمحم ميلس culture et le dialogue » Abûl-Futûh اوعلا

Avocat, spécialisé dans la défense Indépendant, soutenu par des Khâlid ‘Alî des travailleurs et la lutte contre la mouvements de travailleurs et 0,58 % corruption d’étudiants دلاخ يلع

Abûl-‘Izz Al- Député du Tagammu‘ sous Moubarak, Harîrî Parti de l’Alliance populaire puis de la Révolution continue en 0,17 % socialiste 2011 وبأ زعلا يريرحلا

Hichâm Al- Juge, vice-président de la Cour de Bastâwîsî Cassation. Opposant au régime de Al-Tagammu‘ 0,13 % Moubarak ماشه يسيوطسبلا

Mahmûd Hommes d’affaires. Ancien officier Indépendant. Dirigeant du parti Husâm 0,10 % de police du Commencement دومحم ماسح

Muhammad Fawzî ‘Aysâ Parti de la Génération Officier de police 0,10 % démocratique دمحم يزوف ىسيع

Hisâm Khayr Allâh Ancien général des renseignements Parti démocratique pour la paix 0,09 % généraux ماشه ريخ هللا

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 259

‘Abd Allâh Al- Ach‘al Professeur de droit international à Al-Asâla 0,05 % l’université américaine du Caire دبع هللا لعشﻷا

Les principaux candidats à la présidentielle empêchés de se présenter

Motif d’annulation Nom Descriptif Soutiens partisans de la candidature

Homme d’affaires. Khayrat Al- Généralement considéré Privé de ses droits Châtir comme le numéro 2 des Parti de la Liberté et de la civiques suite à une Frères musulmans, derrière le Justice peine de prison sous تريخ Guide suprême Muhammad l’ancien régime رطاشلا Badî‘

Il aurait été le candidat Hâzim Cheikh salafiste. Son soutien à « naturel » des principaux Salâh Abû la révolution lui a valu une partis salafistes, qui se sont Double nationalité Ismâ‘îl grande popularité auprès ralliés à ‘Abd Al-Mun‘im Abûl- de sa mère d’une fraction de la jeunesse Futûh suite à l’annulation de مزاح حﻼص sa candidature وبأ ليعامسإ

Chef du service de Omar Nombre insuffisant renseignements sous l’ancien Indépendant. Relais dans Souleiman de signatures de régime. Nommé vice- l’État profond et parmi les soutien (30 000 président durant le partisans de l’ancien régime رمع signatures requises) soulèvement de janvier 2011 نامميلس

Principal opposant à Hosni Privé de ses droits Ayman Nûr Moubarak lors des élections civiques suite à une Ghad Al-Thawra présidentielles de 2005 peine de prison sous نميأ رون (environ 7 % des voix) l’ancien régime

Glossaire des élections égyptiennes

Clément Steuer

Opérations électorales

ةيبرعلا Translitération Français English

تاباختنا Intikhâbât Élections Elections

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 260

تاباختنﻻا ةيسائرلا Les élections The presidential Intikhâbât al-ri’âsa présidentielles elections تاباختنا ةسائرلا

Les élections The parliamentary تاباختنﻻا ةيناملربلا Al-intikhâbât al- parlementaires elections barlamâniya تاباختنﻻا ةيعيرشتلا Les élections The general législatives elections

ءاتفتسا ماع Istiftâ’ Référendum Referendum

شرم ّ ح Murachah Candidat Candidate

Elector بختنم Muntakhib Electeur Voter

تيوصت Polls Taswît Scrutin عارتقا Ballot

Vote توص Sût Vote Suffrage

ةقرو تيوصتلا Waraqat al-taswît Le bulletin de vote Ballot paper

Sundû’ قودنص Urne Ballot box Sundûq

روباط Tâbûr File d’attente Queue area

ةنجل تاباختنﻹا Lignat al-intikhâbât Le bureau de vote The polling station لحم عارتقﻻا

District ةرئاد Dâ’îra Circonscription Constituency

يضاق Qâdî Juge Judge

زرف Farz Dépouillement Vote counting

ةلوجلا يلوﻷا Al-gûla al-ûlâ Le premier tour The first round

The second round ةلوجلا ةيناثلا Al-gûla al-tâniya Le second tour The run-off election

La (première, seconde, The (first, second, Al-marhala (al-ûlâ, al- troisième) étape third) stage ةلحرملا ( يلوﻷا , ةيناثلا , ةثﻼثلا ) tâniya, al-talâta) La (première, seconde, The (first, second, troisième) phase third) phase

فاكنتسا Istinkâf Abstention Abstention

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I’bâl Participation لابقإ Voter) turnout) Iqbâl (électorale)

ةلمح ةيباختنا Hamla intikhâbiya Campagne électorale Electoral campaign

Campagne en faveur ةياعد Di‘âya Political campaign d’un parti

جمانرب Barnâmig Programme Program جمارب Barâmig Plateforme Platform

Meeting Meeting ةودن Nadwa Réunion Gathering

Marche March ةريسم Masîra Défilé Procession

Slogan راعش Cha‘âr Slogan Motto

Hymnes religieux Islamic religious ديشن Nachîd musulmans hymnody

Modes de scrutins

ةيبرعلا Translitération Français English

Ma’‘ad دعقم (Siège (au Parlement Maq‘ad Seat يسرك Fauteuil présidentiel Kursî (fam.)

درف Fard Individu Individual

ةمئاق Qâ’ima Liste List

Single-member ماظن ليثمت ةيبلغﻷا حشرتلاب يدرفلا Scrutin majoritaire district باختنا يدرف Nizâm fardî Scrutin individuel Single-member

ماظن يدرف constituency

باختنا ةمئاقلاب ةيبسنلا Proportional Scrutin de liste representation ليثمت يبسن Nizâm nisbî Scrutin proportionnel ماظن يبسن PR

Workers and لامع نيحﻼفو Umâl wa-felâhîn Ouvriers et paysans‘ peasants

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 262

“Other categories” « Autres catégories » “Professionals” تائف Fi’ât « Professionnels » (ni (neither workers nor ouvriers, ni paysans) peasants)

Institutions

ةيبرعلا Translitération Français English

Destûr روتسد Constitution Constitution Dustûr

“The Constitutional Al-wathîqa al- « Le document ةقيثولا ةيروتسدلا Principles dustûriya constitutionnel » Document”

CSFA ‘ Al-maglis al-u lâ lil- Conseil supérieur des SCAF سلجملا ىلعﻷا تاوقلل ةحلسملا quwât al-musalaha forces armées Supreme Council of سلجملا يركسعلا Al maglis al-‘askarî Conseil suprême des the Armed Forces forces armées

Ra’îs al-gumhûriya Le président de la The president of the سيئر ةيروهمجلا Ra’îs al-jumhûriya République Republic

Maglis سلجم Assemblée Assembly Majlis

Assemblée Consultative Maglis al-chûrâ consultative Assembly سلجم ىروشلا Majlis al-chûrâ Conseil consultatif Shura Council Chambre haute Upper house

Maglis al-cha‘b Assemblée du Peuple People Assembly سلجم بعشلا Majlis al-cha‘b Chambre basse Lower house

Member of بئان Nâ’ib Député Parliament

ناملرب Barlamân Parlement Parliament

Assemblée Constituent ةيعمجلا ةيسيسأتلا Al-ligna al-tâ’sisiya constituante Assembly ةنجللا ةيسيسأتلا Al-tâ’sisiya Commission Constituent

ةنجللا ةيروتسدلا constituante Committee

ةظفاحم Muhâfaza Gouvernorat Governorate

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 263

Maglis mahallî Local Council سلجم لحم ّي Conseil local Majlis mahallî Local Assembly

يضاق Qâdî Juge Judge

Lignat al-ahzâb La Commission des The Political Parties ةنجل بازحﻷا Lijna al-ahzâb partis Commission

La Haute commission électorale The High Elections Al-ligna al-‘uliyâ lil- Le Haut conseil Commission ةنجللا ايلعلا تاباختنﻼل intikhâbât électoral The Elections Le Haut comité Commission électoral

The Supreme Presidential La commission pour Elections Lignat al-intikhâbât ةنجل تاباختنﻻا ةيسائرلا les élections Commission al-ri’âsiya présidentielles The Presidential Elections Commission

The High La Haute Cour Al-mahkama al- Constitutional ةمكحملا ةيروتسدلا ايلعلا constitutionnelle dustûriya Court La Cour suprême The Supreme Court

Maglis al-dawla سلجم ةلودلا Conseil d’État Council of State Majlis al-dawla

لاقتنﻹا The transition Al-intiqâl La transition ةرتفلا ةيلاقتنﻹا The period of Al-fatra al-intiqâliya La période transitoire ةلحرملا ةيلاقتنﻹا transition

ةيطارقميد Dîmuqrâtiya Démocratie Democracy

ةلود ةيندم Dawla madaniya État civil Civil state

ةلود ةيمﻼسا Dawla islâmiya État islamique Islamic state

ةلود ةيركسع Dawla ‘askariya État militaire Military state

Nizâm ‘askarî ماظن يركسع Hukm al-‘askar Régime militaire Military regime مكح ركسعلا (fam.)

State Security نمأ ةلودلا Amn al-dawla La sécurité d’État Service

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Organisations politiques et mouvements collectifs

ةيبرعلا Translitération Français English

ميظنت Tanzîm Organisation Organization

ةعامج Gamâ‘a Groupe Group

ةيعمج Gam‘iya Association Association

ONG NGO Munazama ghîr ظنم ّ ةم ريغ ةيموكح hukûmiya Organisation non- Non-governmental gouvernementale organization

Trade-union ةباقن Niqâba Syndicat Syndicate

بزح Hizb Parti Party

Local (de campagne, d’un رقم (Maqar Office (of a party parti)

Cadre (d’un parti, d’une رداك Kâdir Executive organisation)

Member (of a party, a Membre (d’un parti, d’un وضع Udû committee, an‘ comité, d’une organisation) organization)

طشان Nâchit Militant Activist

فلاحت Tahâluf Alliance Alliance

تا ّ دح Ittihad Union Union

فﻼتئا I’tilâf Coalition Coalition

Gabha ةهبج Front Front Jabha

Bloc ةلتك Kutla Bloc Block

Courants politiques

ةيبرعلا Translitération Français English

يمﻼسا Islâmî Islamiste Islamist

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 265

يناوخا Ikhwânî « Frériste » Ikhwani

Salafist يفلس Salafî Salafiste Salafi

يبطق Qutbî Qutbiste Qutbist

يلاربيل Lîberâlî Libéral Liberal

يرصان Nâsirî Nassérien Nasserite

يكارتشا Ichtirâkî Socialiste Socialist

يعويش Chîyû‘î Communiste Communist

يروث Thawrî Révolutionnaire Revolutionary

Feloul Felûl لولف Partisans de l’ancien régime Remnants of the old regime Fulûl Lit. « Restes d’une armée en déroute »

لدتعم Mu‘tadil Modéré Moderate

رطتم ف Mutatarraf ّ Extrémiste Extremist دشتم ّد Mutashaddid

Fraudes et violences politiques

ةيبرعلا Translitération Français English

ريوزت Tazwîr Fraude (électorale) (Electoral) fraud

Al-mâl al- لاملا يباختنﻻا ”L’argent électoral » “The electoral money » intikhâbî

« Huile et sucre ». Expression “Oil and sugar”. Expression désignant le fait pour un candidat referring to the distribution رّ◌ تيز كسو Zayt wa-sukkar de distribuer des cadeaux aux of gifts to the electors of its électeurs de sa circonscription district prior to an election

تامدخ Khadamât Services Services

La bonté Al-Khîr The goodness ريخلا « Le « bien Al-Khaîr The generosity La générosité

ةرهاظم Muzâhara Manifestation Demonstration

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 266

Battle تاكابتشا Ichtibâkât Affrontements Clashes

Voyous ةيجطلب Baltageya Thug Hommes de main

Religion

ةيبرعلا Translitération Français English

ملسم Muslim Musulman Muslim

يمﻼسا Islâmî Islamique Islamic

يفوص Sûfî Soufi Sufi

ةعيرش Charî‘a Loi islamique Islamic law

Islamic obligatory charitable ةاكز Zakât Impôt islamique giving

La bonté Al-Khîr The goodness ريخلا « Le « bien Al-Khaîr The generosity La générosité

Don religieux inaliénable, placé en فقو Waqf Religious endowment usufruit

Plus haute autorité religieuse The highest Islamic authority in musulmane en Égypte, Al-Azhar est Egypt. Al-Azhar is a mosque, a رهزﻷا Al-Azhar à la fois une mosquée, une university, and a nationwide université et un réseau d’écoles network of religious schools as religieuses well

Cheykh خيش Cheikh Sheikh Chaykh

ىوتف Fatwâ Avis religieux Religious legal advice

Concertation ىروش Chûrâ Consultation Conseil

ةوعد Da‘wa Prédication Preaching

‘Ebtî يطبق Copte Copt Qibtî

يحيسم Masîhî Chrétien Christian

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ةسينك Kenîsa Église Church

اباب Bâbâ Pape Pope

كيرطب Batrîk Patriarche Patriarch

سيسق Qasîs Prêtre Priest نهاك Kâhin

ديشن Nachîd Hymnes religieux musulmans Islamic religious hymnody

Désordre Jumble طﻼتخا Ikhtilât Promiscuité Promiscuity

Divers

ةيبرعلا Translitération Français English

لجر يسايس Ragul siyâsî Homme politique Politician

لجر لامعأ Ragul a‘mâl Homme d’affaires Businessman

كفم ّر Mufakkir Intellectuel Intellectual

Chiffonnier Garbage collector يلابز Zabâlî Éboueur Waste collector

يفحص Sahafî Journaliste Journalist

Aghazat al-i‘lâm ةزهجأ مﻼعﻹا Média Media Ajhaza al-i‘lâm

ةروث Thawra Révolution Revolution

Al-thawra al- ةروثلا ةداضملا La contre-révolution The counter-revolution mudâda

The old regime Al-nizâm al-sâbi’ ماظنلا قباسلا L’ancien régime The old system Al-nizâm al-sâbiq The former regime

Khamsa wa-‘ashrîn ٢٥ رياني Janvier January 25 25 yanâîr

٣٠ وينوي Talâtîn yûnyû 30 Juin June 30

Marga‘iya islâmiya ةيعجرم ةيمﻼسا Référence islamique Islamic reference Maja‘iya islâmiya

Égypte/Monde arabe, 10 | 2013 268

Laïcité ةيناملع Almâniya Secularism‘ Sécularisme

يندم Madanî Civil Civil

Mugtama‘ madanî عمتجم يندم Société civile Civil society Mujtama‘ madanî

Solidarité tribale Tribal solidarity ةيبصع Asabiya‘ Solidarité mécanique Mechanical solidarity

Solidarité entre personnes Solidarity between people originaires d’un même village, coming from the same d’une même région, et ةيدلب ,Baladiya village or the same area rassemblés dans un même living now in the same quartier à la suite de l’exode neighborhood rural

ةليبق Qabîla Tribu Tribe

رابك تﻼئاعلا Kubâr al-‘â’ilât « Grandes familles » Big-name families

ةجاوخ Khawâga Étranger Foreigner

Ligân Cha‘abiya ناجل ةيبعش Comités populaires Popular committees Lijân Cha‘abiya

Interdit روظحم Mahzûr Forbidden Prohibé

Chronologie

Clément Steuer 2010 14 décembre : Fin des élections à l’Assemblée du peuple. L’opposition – Frères musulmans compris – est laminée, et le parti national démocratique (PND) s’assure 97 % des sièges de la chambre basse. 2011 25 janvier : Importantes manifestations dans plusieurs villes d’Égypte réclamant la démission du président Hosni Moubarak. 11 février : Le vice-président Omar Souleiman annonce la démission du président Moubarak et le transfert de ses pouvoirs au Conseil supérieur des forces armées (CSFA). 13 février : Le CSFA dissout les deux chambres du Parlement et suspend la Constitution de 1971. Il s’attribue les pouvoirs législatifs, et annonce que des élections seront organisées dans les six mois. 16 février : Le CSFA désigne une commission de huit membres, dirigée par Târiq Al- Bishrî, pour amender la Constitution de 1971.

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26 février : La commission Al-Bishrî propose de réviser la Constitution de 1971 en amendant huit articles et en en supprimant un neuvième. 19 mars : Référendum portant sur la révision de la Constitution de 1971. 28 mars : Nouvelle loi des partis. La commission des partis est désormais composée uniquement de juges indépendants du pouvoir politique. 30 mars : Le CSFA promulgue une déclaration constitutionnelle fixant la feuille de route pour la période de transition. Il est prévu d’élire d’abord un Parlement, chargé de désigner une commission constituante de 100 membres qui rédigera une nouvelle constitution. Celle-ci sera ensuite proposée à la ratification populaire par référendum. 16 avril : La justice dissout le PND. 30 mai : Publication d’un avant-projet de loi électorale pour les élections législatives. Un système électoral mixte est envisagé, avec deux tiers des sièges pourvus au scrutin individuel et un tiers au scrutin de liste. 6 juin : La commission des partis accepte officiellement la création du parti de la Liberté et de la Justice (PLJ). 12 juin : La commission des partis accepte officiellement la création du parti Al-Nûr. 5 juillet : La commission des partis accepte officiellement la création du parti des Égyptiens libres. 7 juillet : Nouveau projet de loi électorale pour les élections législatives. Il est désormais prévu d’attribuer la moitié des sièges au scrutin individuel et l’autre moitié au scrutin de liste. 24 septembre : Promulgation de la loi électorale pour les élections législatives. Un tiers des sièges seulement seront pourvus au scrutin uninominal, contre deux tiers au scrutin de liste. 9 octobre : Plusieurs dizaines de manifestants coptes sont massacrés par l’armée devant les bâtiments de la télévision d’État (Maspero). 19-26 novembre : Événements dits « de la rue Muhammad Mahmûd ». 28-29 novembre : Premier tour de la première phase des élections de l’Assemblée du peuple (Le Caire, Alexandrie, Assiout, Damiette, le Fayoum, Kafr Al-Cheikh, Louxor, la Mer Rouge et Port-Saïd). 5-6 décembre : Second tour de la première phase des élections de l’Assemblée du peuple. 14-15 décembre : Premier tour de la deuxième phase des élections de l’Assemblée du peuple (Assouan, Beheira, Beni Souef, Charqiya, Gizeh, Ismaïliya, Menufeya, Sohag et Suez). 16-23 décembre : Événements dits « de la rue des Ministères ». 21-22 décembre : Second tour de la deuxième phase des élections de l’Assemblée du peuple. 2012 3-4 janvier : Premier tour de la troisième phase des élections de l’Assemblée du peuple (Dakahleya, Gharbeya, Marsa Matrouh, Minia, la Nouvelle Vallée, Qalyubiya, Qena, le Nord Sinaï et le Sud Sinaï). 10-11 janvier : Second tour de la troisième phase des élections de l’Assemblée du peuple. 29-30 janvier : Premier tour de la première phase des élections de l’Assemblée consultative (le Caire, Alexandrie, Assiout, Dakahleya, Damiette, le Fayoum, Gharbeya, Menufeya, la Mer Rouge, la Nouvelle Vallée, Qena, le Nord Sinaï et le Sud Sinaï).

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1er février : À l’issu d’un match de football organisé à Port Saïd, près de 80 supporters du club cairote Al-Ahly sont massacrés par des supporters du club adverse, Al-Masry. Les autorités de Port Saïd et la police sont accusées de complicité dans cet événement, une partie de l’opinion les suspectant d’avoir cherché à punir les supporters d’Al-Ahly pour leur soutien à la révolution. 5-6 février : Second tour de la première phase des élections de l’Assemblée consultative. 14-15 février : Premier tour de la seconde phase des élections de l’Assemblée consultative (Assouan, Beheira, Beni Souef, Charqiya, Gizeh, Ismaïliya, Kafr Al-Cheikh, Louxor, Marsa Matrouh, Minia, Port-Saïd, Qalyubiya, Sohag et Suez). 21-22 février : Second tour de la seconde phase des élections de l’Assemblée consultative. 26 mars : Les membres de la commission constituante sont désignés par les 678 membres élus du Parlement. 10 avril : Le Conseil d’État dissout la commission constituante. 23-24 mai : Premier tour des élections présidentielles. 7 juin : Une seconde commission constituante est élue par le Parlement. Elle dispose de six mois pour rédiger un projet de constitution. 14 juin : Dissolution de l’Assemblée du peuple suite à une décision de la Haute Cour constitutionnelle. 16-17 juin : Second tour des élections présidentielles. 17 juin : Le CSFA promulgue une déclaration constitutionnelle complémentaire aux termes de laquelle il récupère les pouvoirs législatifs en attendant qu’une nouvelle Assemblée du peuple soit élue. Ce document limite également les prérogatives du futur président de la République, et prévoit que dans l’hypothèse où la commission constituante se révélerait incapable de mener sa tâche à bien dans les six mois, ou serait à nouveau dissoute par décision de justice, il reviendrait au CSFA d’en composer une nouvelle. 24 juin : Proclamation des résultats officiels des élections présidentielles. 30 juin : Mohamed Morsi devient le premier civil élu président de la République arabe d’Égypte. 12 août : Mohamed Morsi promulgue une déclaration constitutionnelle aux termes de laquelle il s’attribue toutes les prérogatives échues au CSFA le 17 juin. Il place par ailleurs en retraite anticipée les dirigeants du CSFA, dont le maréchal Husayn Tantâwî, alors ministre de la Défense. Le général ‘Abd Al-Fatâh Al-Sîsî est nommé pour le remplacer. 22 novembre : Déclaration constitutionnelle accordant un délai supplémentaire de deux mois à la commission constituante, et la plaçant à l’abri de toute décision de justice. Cette immunité est par ailleurs également accordée l’Assemblée consultative et aux décisions du président de la République. 23 novembre : Manifestations de l’opposition contre la déclaration constitutionnelle. 24 novembre : Les plus importants partis d’opposition se rassemblent au sein d’un Front du Salut national, qui appelle à manifester jusqu’à l’annulation de la déclaration constitutionnelle. 30 novembre : La commission constituante achève ses travaux. Le projet de constitution doit désormais être approuvé par référendum. Les manifestations se poursuivent. 6 décembre : Des affrontements meurtriers opposent partisans et adversaires des Frères musulmans devant le Palais présidentiel. 9 décembre : Annulation de la déclaration constitutionnelle du 22 novembre.

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15 décembre : Première phase du référendum constitutionnel. 22 décembre : Seconde phase du référendum constitutionnel. 2013 2 janvier : En vertu de la Constitution de 2012, l’Assemblée consultative dispose désormais du pouvoir législatif jusqu’à ce qu’une nouvelle Assemblée du peuple soit élue. 25 janvier : Deuxième anniversaire de la révolution. Des affrontements éclatent entre la police et les manifestants. 26 janvier : Procès du massacre de Port Saïd. 21 personnes sont condamnées à mort. Des affrontements éclatent dans la ville portuaire, faisant plusieurs dizaines de victimes. 27 janvier : L’état d’urgence est proclamé dans les trois villes du canal de Suez, et un couvre-feu y est imposé. 21 février : L’Assemblée consultative adopte une loi électorale. Les élections de l’Assemblée du peuple doivent être organisées du 22 avril au 24 juin 2013. 6 mars : La Cour administrative du Caire invalide la loi électorale. Les élections de l’Assemblée du peuple sont ajournées sine die. 2 juin : La Haute Cour constitutionnelle statue que la commission constituante et l’Assemblée consultative ont été désignées sur des bases légales non-constitutionnelles. Le jugement reconnaît néanmoins la validité de la Constitution de 2012, et autorise l’Assemblée consultative à légiférer jusqu’à l’élection d’une nouvelle Assemblée du peuple. 30 juin : À l’appel du mouvement Tamarrud des millions de manifestants réclament des élections présidentielles anticipées. 3 juillet : Mohamed Morsi est destitué par son ministre de la Défense ‘Abd Al-Fatâh Al- Sîsî. Le président de la Haute Cour constitutionnelle, ‘Adlî Mansûr, est désigné pour lui succéder. La Constitution de 2012 est suspendue. 8 juillet : Le président ‘Adlî Mansûr promulgue une déclaration constitutionnelle fixant la feuille de route pour la nouvelle période de transition. Il est prévu d’amender la Constitution et d’adopter ces amendements par référendum avant de procéder aux élections législatives et présidentielles.

NOTES

1. Les principales sources utilisées pour ces tableaux sont : ‘Amrû Hâshim Rabî‘ (dir.), Intikhâbât Majlis al-cha‘b 2011/2012 (Les élections à l’Assemblée du peuple, 2011-2012), Le Caire, Centre d’études politiques et stratégique d’Al-Ahrâm, 2012 ; Jacopo Carbonari, “Map of Egyptian political parties”, 17 novembre 2011, http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/dmas/dv/ dmas20120125_02_/dmas20120125_02_en.pdf, consulté le 10 octobre 2013 ; « Intikhâbât r’iâsa Misr (Les élections présidentielles égyptiennes) », Al-Ahrâm, http://gate.ahram.org.eg/MalafatType/ 175/index.aspx, consulté le 10 octobre 2013 ; “Parties and Alliances”, Carnegie Endowment for International Peace, http://egyptelections.carnegieendowment.org/category/political-parties, consulté le 10 octobre 2013 ; “Parties & Movements”, Jadaliyya et Ahram Online, http:// www.jadaliyya.com, consulté le 10 octobre 2013.

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2. Pourcentage obtenu en rapportant le nombre de députés de chaque coalition au nombre total (498) d’élus à l’Assemblée du peuple de 2012. 3. Pourcentage obtenu en rapportant le nombre de députés de chaque parti au nombre total (498) d’élus à l’Assemblée du peuple de 2012.

INDEX

Mots-clés : partis politiques égyptiens, coalitions électorales, candidats, glossaire, chronologie Keywords : Egyptian political parties, Electoral coalitions, Candidates, Glossary, Chronology

AUTEURS

CLÉMENT STEUER Clément Steuer est politiste, chercheur associé au CEDEJ et membre du Cercle des chercheurs sur le Moyen-Orient (CCMO). Il travaille actuellement à l’Institut oriental de l’Académie des sciences de République tchèque. Il a également été jeune docteur du laboratoire Triangle, et a été soutenu par une bourse de la région Rhône-Alpes pour ses recherches sur les élections égyptiennes. Il a notamment publié en 2012 Le Wasat sous Moubarak aux éditions de la Fondation Varenne. Clément Steuer is a political scientist, associate researcher at the CEDEJ, and member of the Research Union on the Middle East. He is currently employed by the Oriental Institute of the Academy of Sciences of the Czech Republic. In addition, as a young academic of the Triangle laboratory, he was being supported by a grant from the “Région Rhône-Alpes” in order for him to undertake research on the Egyptian elections. His monograph, Le Wasat sous Moubarak, was published by the Fondation Varenne publishing house in 2012.

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