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Université Jean Moulin (Lyon 3)

Faculté de Droit, 15 Quai Claude Bernard, 69007 Lyon

Thèse pour l’obtention du titre de Docteur en Droit

Arrêté ministériel du 30 mars 1992, modifié par l’arrêté du 25 avril 2002 et par l’arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale.

Discipline : Droit Public

Titre : Le rôle du confessionnalisme dans la vie institutionnelle libanaise

Présentée et soutenue publiquement par : Dani Ghoussoub

Le 9 juillet 2007

Monsieur Thierry DEBARD Professeur de Droit à l’Université Jean Moulin (Lyon 3) Directeur de la recherche

Jury :

Monsieur Guy GUILLERMIN Professeur de Droit à l’Université Pierre Mendès (Grenoble) ; Rapporteur extérieur

Monsieur Michel CLAPIÉ Professeur de Droit à l’Université Montpellier I ; Rapporteur extérieur

Monsieur Emile François CALLOT Professeur de Droit à l’Université Jean Moulin Lyon 3

Remerciements

Je tiens à exprimer mes sincères remerciements à Monsieur le Professeur Thierry DEBARD qui a accepté de diriger mon travail de recherche. Nos discussions et ses remarques avisées ont toujours été des plus constructives. Qu'il trouve à travers cette réflexion toute ma gratitude.

Je tiens également à témoigner toute ma reconnaissance au Professeur Stéphane Doumbé- Billé pour sa contribution providentielle.

Je remercie mes parents pour leur soutien inconditionnel dans les moments les plus difficiles. Leurs encouragements m’ont permis de rêver l’impossible, eux qui n’ont pas eu la chance de poursuivre leurs études au-delà du certificat d’études et qui ont toujours rêvé un autre destin pour leurs enfants. Du plus profond de mon être, je voudrais qu’ils sachent qu’ils ont été mes meilleurs professeurs pour m’avoir appris ce qu’aucune école ne pouvait m’apprendre ; le sens du sacrifice, l’abnégation, la valeur du travail, l’honnêteté, le dévouement, la droiture, la fidélité, la franchise, la probité et la sincérité.

Je remercie enfin ma famille, au sens le plus large du terme, et plus spécialement mon cousin Issam RICHA auprès duquel j’ai beaucoup appris.

A mes parents, Mes frères et sœur, Mon épouse Edita, Et notre enfant à venir …

Avant-propos

1 - Le Liban, pays du Levant (Proche-Orient), est une étroite bande de terre bordée par la mer Méditerranée sur 240 km de côtes. Long de 250 km et large de 25 à 60 km, il est frontalier avec la Syrie sur 376 km et Israël au Sud sur 79 km. Sa superficie est de 10 452 km². Bien qu’il soit d’un relief très varié, la montagne occupe la plus grande partie de son territoire.

On distingue 4 zones successives, orientées parallèlement au rivage :

 l'étroite plaine côtière alluviale, limitée par une côte coupée de promontoires rocheux favorables, depuis les Phéniciens, à l'installation de ports.

 le massif du Mont Liban 1 s'incline lentement vers le sud jusqu'aux monts Galilée et culmine à 3 090 mètres au Qurnat al-Saouda. Des rivières creusent des gorges profondes dans la montagne. Le versant occidental est couvert de forêts de pins et de cèdres.

1 Jabal Loubnan.

 la haute plaine intérieure de la Bekaa2 bien irriguée est le grenier de la région depuis l'antiquité, elle est prolongée par Akkar au nord. Le fleuve Oronte se dirige vers le nord et le Litani y coule en direction du sud.

 Enfin, le massif de l’Anti-Liban, plateau désertique installé à 2 300 mètres d'altitude, est prolongé au sud par le mont Hermon et constitue une frontière naturelle avec la Syrie.

Son emplacement géographique, sa richesse en eau, ses montagnes dominant le Proche- Orient, son ouverture sur la Méditerranée et son climat tempéré, lui donnent une haute importance stratégique, économique, politique et militaire. C’est pour cela qu’il a été le lieu de brassage d’une multitude de civilisations et de cultures.

2 - On estime que le Liban compte une population de 3,8 millions d'habitants répartis sur une base confessionnelle. Les chiffres qui figurent ci-dessous ne sont toutefois pas officiels3.

On retrouve approximativement 40% de chrétiens répartis comme suit :

 800 000 maronites4

2 900 mètres d'altitude. 3 Il n'y a pas eu de recensement depuis le protectorat français. 4 L'Église maronite est une des Églises catholiques orientales. Le chef de l'Église porte le titre de Patriarche maronite d'Antioche et de tout l'Orient. Il a sa résidence à Bkerké au Liban. Le titulaire actuel est Son Éminence le cardinal Mar Nasrallah Boutros Sfeir. Le titre "Mar" veut dire "Monsieur" en syriaque. Dans la tradition maronite ce titre est également donné aux saints. Les patriarches Maronites portent toujours le nom "Boutros" en second prénom, voulant dire Pierre, par référence à Pierre, le fondateur de l'église d'Antioche. Le titre de Patriarche d'Antioche est très disputé et est actuellement porté également par quatre autres chefs d'Église. Les maronites sont des chrétiens qui se sont groupés autour du monastère Saint Maron, qui porte le nom de Maron et qui a été fondé par ses disciples qui conservaient son mode de vie ainsi que ses enseignements. L'influence de ce monastère sur d'autres monastères ainsi que sur les évêchés et les populations chrétiennes de la région n'était pas négligeable. Maron, l'ermite, vécut près d'Antioche vers la fin du IVe siècle. L'Église était alors divisée sur la nature de Jésus. Certains chrétiens affirmaient que l'homme était aussi Dieu ; d'autres, monophysites, ne reconnaissaient que sa nature divine. Maron s'installa alors en montagne pour être à l'écart de ces controverses théologiques et adorer Dieu. Dans sa retraite, Maron découvrit que sa vocation était de vivre avec le peuple. Il quitta donc son ermitage pour dispenser un enseignement spirituel. Ses disciples augmentèrent en nombre. Ils prirent son nom et se nommèrent « les moines maronites ». Maron est mort en 410 (ou en 435 selon les sources). Ses disciples continuèrent sa mission. Sa foi a été confirmée par le concile de Chalcédoine. En 451, au concile de

 350 000 grecs orthodoxes5

 250 000 grecs catholiques6

 80 000 arméniens orthodoxes7

 20 000 arméniens catholiques8

Chalcédoine, les maronites se tiennent à des positions claires et, avec le concile, soutiennent que le Christ est Dieu et homme à la fois, ayant deux natures : divine et humaine. Ils agissent en défenseurs intraitables du concile et de leur alliance avec le pape. C'est alors que les ennemis du concile de Chalcédoine devinrent les ennemis des maronites qui donnèrent 350 martyrs en 517 et commencèrent à gagner le territoire de ce qui allait, par la suite, devenir le Liban par groupes. Historiquement ce fut après cet événement que le terme "maronite" a été employé pour désigner particulièrement les disciples de Maron et plus généralement les personnes qui suivaient la foi de ses disciples. Les habitants du Mont-Liban se sont convertis vers la fin du Ve siècle au christianisme, grâce à quelques disciples de Maron, et devinrent maronites. Le plus connu parmi ces disciples était Abraham de Cyrrhus dont le nom fut donné au fleuve au bord duquel il habita et enseigna au nord de Beyrouth, le fleuve d'Abraham anciennement nommé le fleuve d'Adonis. Les maronites de la montagne libanaise accueillirent leurs frères qui venaient des alentours d'Antioche et ensemble, ils poursuivirent leur mission. 5 L'Église orthodoxe d'Antioche ou Église orthodoxe melkite est une Église orthodoxe autocéphale. Le chef de l'Église porte le titre de Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient, avec résidence à Damas en Syrie (titulaire actuel : Ignace IV Hazim depuis le 2 juillet 1979). Le titre de Patriarche d'Antioche est très disputé et est actuellement porté également par quatre autres chefs d'Église. Le chef de l'Église porte toujours le titre de Patriarche d'Antioche même s'il n'y réside plus. Pendant le VIIe siècle, après la conquête arabo-musulmane, le patriarche résida à Constantinople. En 742, le calife omeyyade al-Hisham autorisa la réinstallation du patriarche à Antioche. En 1185, à l'époque des Croisades, le patriarche orthodoxe dut s'exiler à nouveau à Constantinople. Le retour d'un patriarche orthodoxe à Antioche ne sera possible qu'en 1269, après la prise de la ville par les Mamelouks égyptiens en 1268. En 1342, le patriarche s'installa à Damas. L'Église est organisée en plusieurs archidiocèses dont cinq au Liban. 6 Contrairement aux autres églises orientales, l'Église melchite n'est pas une Église nationale. C'est une Église particulière, dans le sens canonique du mot, répandue dans tout le Proche-Orient arabe et dans une diaspora qui prend de l'ampleur de plus en plus. Elle est l'héritière légitime des trois sièges apostoliques d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem. Ses origines se confondent avec la prédication de l’Évangile dans le monde gréco- romain de la Méditerranée orientale et l'extension du Christianisme au-delà des limites de l'Empire. La formation des patriarcats d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem, les premiers au concile de Nicée (en 325), le troisième à Chalcédoine (en 451), l'ont façonnée et en ont fait une entité territoriale et juridique. L’Église melchite doit son caractère d'Église particulière à deux fidélités, celle à l' Empire de Byzance et celle aux sept premiers conciles œcuméniques. Elle ne prît son nom de Melchite cependant qu'à la fin du Ve siècle. Ce sobriquet avait été inventé par ses détracteurs, les Monophysites, pour stigmatiser sa fidélité à l'empereur Marcien (malka en syriaque) qui avait réuni le concile de Chalcédoine. De nos jours, au point de vue sociologique, I'Église melchite offre une homogénéité ethnique étonnante: son patriarche, son épiscopat, son clergé tant régulier que séculier, ses fidèles sont (surtout) arabes. 7 L'Église apostolique arménienne est une Église orthodoxe orientale autocéphale. Elle fait partie de l'ensemble des Églises des trois conciles. Le primat de l'Église porte le titre de Patriarche suprême et Catholicos de tous les Arméniens, avec résidence à Etchmiadzine (titulaire actuel : Garéguine II depuis le 27 octobre 1999). L'Église apostolique arménienne est aussi connue sous d'autres noms : Église orthodoxe arménienne, Église grégorienne arménienne, Église apostolique arménienne grégorienne. La fondation de l'Église apostolique arménienne est traditionnellement attribuée aux apôtres Thaddée et Barthélémy. Elle vient de fêter, en 2001, son 1700e anniversaire qui en fait la première Eglise de l'Histoire. L'Église arménienne est divisée en quatre entités : deux catholicosats autonomes et deux patriarcats secondaires : Catholicosat d'Etchmiadzine, Catholicosat de la Grande Maison de Cilicie, Patriarcat de Constantinople et Patriarcat de Jérusalem. Cependant le Catholicos d'Etchmiadzine jouit d'une primauté d'honneur. Le petit catholicosat d'Aghtamar a quant à lui disparu lors du génocide.

 25 000 protestants9

 10 000 coptes10

 10 000 chaldéens catholiques11

8 L'Église catholique arménienne ou Église arménienne catholique est une des Églises catholiques orientales. Le primat de l'Église porte le titre de Patriarche de Cilicie des Arméniens, avec résidence à Beyrouth au Liban (titulaire actuel : Sa Béatitude Nersès Bédros XIX Tarmouni, depuis le 7 octobre 1999). Fondée par les Apôtres Barthélemy et Thaddée, évangélisée par saint Grégoire l’Illuminateur, au début du IVè siècle. Le moine Mesrop, en 406, invente l’alphabet arménien et traduit les livres sacrés. Seuls en guerre contre les Perses (451), les Arméniens ne participent pas au concile de Chalcédoine mais le réfutent en 555 au synode de Dwine. Au XI è siècle, à cause de l’invasion mongole, ils s’exilent en Cilicie : le patriarche les suit et réside à Sis. En 1441, un second patriarche est élu à Etchmiadzine. En 1740, Mgr Ardzivian, archevêque d’Alep, est élu patriarche des Arméniens catholiques. Il est reconnu par le pape Benoît XIV en 1742. Il s’installe au Mont-Liban. De 1915 à 1922, un million et demi d’Arméniens sont massacrés par les Turcs. 9 La communauté protestante libanaise n’est pas un tout unifié. En effet, la communauté dite évangélique se trouve être la réunion des fidèles libanais des différentes Églises protestantes (y compris l’Église anglicane) qui, au total, rassemblent autour de 30 000 personnes (en une trentaine d’Églises). Les Églises réformées apparaissent au Liban au cours du XIXe siècle et sont le fruit du prosélytisme de missionnaires étrangers, le plus souvent des missionnaires américains ou britanniques. Au Liban, la communauté évangélique tire son importance de son vaste réseau de maisons d’enseignement dont la plus prestigieuse est sans nul doute l’Université américaine de Beyrouth (qui s’est d’ailleurs longtemps appelée le Syrian Protestant College). En utilisant le mot «évangélique», nous reprenons la terminologie libanaise. Dans le contexte libanais, ce mot fait référence à l’idéal évangélique des Églises reformées (y compris l’Église anglicane) : ce désir d’opérer un retour à la simplicité de l’Évangile primitif. Bien évidemment, ce terme n’est pas très bien choisi parce que le courant High Church de l’Église anglicane ne se caractérise pas tellement par son désir de retour à la simplicité et parce que l’utilisation du mot « évangélique » crée une confusion avec le courant évangélique de certaines Églises protestantes. Il aurait été préférable de parler d’Églises réformées ou d’Églises protestantes (quoi que ce dernier terme pose aussi problème puisque certains se refusent à considérer l’Église anglicane comme une Église protestante). 10 Le terme copte qualifie à la fois une langue, un peuple (au moins en Égypte), un rite et une Église. Il vient du mot grec Aigúptios qui signifie Égyptien, déformé par les Coptes en Kuptios puis, suite aux invasions arabes de 641, en Qibt, prononcé Hipt en Basse-Égypte et Gibt en Haute-Égypte et au Caire. C'est cette dernière forme qui, empruntée par le français, donne l'ethnonyme Copte, lequel sert aussi à désigner la langue. Les historiens admettent que la conversion du temple d'Isis à Philae (Vers 550) marque la fin de la civilisation égyptienne et le début de l'histoire copte. Malgré l'étymologie du mot copte, les coptes ne vivent pas seulement en Égypte. En fait, la majorité des coptes vivent à l'étranger, c'est ce que l'on appelle la diaspora copte. Actuellement, le terme copte désigne les Églises autochtones d'Égypte (tant orthodoxe largement majoritaire, que catholique uniate, de rite Copte mais rattachée à Rome) et la langue liturgique associée ; mais aussi les communautés tant catholique et protestante (héritières des missions), que melkite, toutes trois de taille beaucoup plus limitées (200 000 personnes en tout). La langue copte n'est utilisée que dans la liturgie orthodoxe. La tradition fait remonter l'enseignement copte à Saint Marc, l'un des quatre évangélistes. Enfin, d'un point de vue doctrinal, l'Église copte est préchalcédonienne ou miaphysite. La rupture entre Rome et Byzance d'un côté et l'Église copte de l'autre côté intervient après le concile de Chalcédoine en 451, sans avoir pourtant eu de raisons doctrinales, mais plutôt politiques. L'Église copte comme toute les églises orientales est dirigée par un patriarche appelé également pape car il trône sur l'un des sièges papaux de l'église universelle. Il porte le titre de pape et patriarche d'Alexandrie, ville où le patriarcat fut longtemps localisé, celui-ci est aujourd’hui au Caire dans le quartier de Abbaseya. Le patriarche actuel est Chenouda III. 11 C’est la branche Catholique de l'Eglise d'Orient nestorienne qui avait refusé le Concile d'Ephèse en 431. Le patriarche Jean Simon SOULAKA, élu en 1551, fut reconnu par Rome comme patriarche des Chaldéens. Mais l'union ne sera définitive avec Rome qu'en 1830, lorsque le Pape Pie VIII confirma dans sa fonction le patriarche Jean Hormizd II avec le titre de patriarche de Babylone des Chaldéens. Mossoul était le siège du patriarcat; à présent c'est à Bagdad que réside le patriarche. Le nombre des fidèles chaldéens est évalué à 420 000 de par le monde. Les premiers chaldéens arrivent au Liban à la fin du XIXème siècle, en 1895, pour échapper aux

 10 000 catholiques romains12

Les musulmans constituent approximativement 60% de la population et sont répartis comme suit :

 910 000 chiites13

 451 000 sunnites14

persécutions des Turcs et des Kurdes. Leur nombre devait augmenter à la suite des différentes guerres mondiales pour atteindre actuellement les dix milles. Ils ont deux paroisses à Beyrouth et une à Zahlé. 12 Le catholicisme tel qu'on le connaît dans le reste du monde est également appelé rite latin au Liban. 13 Le chiisme qui regroupe environ 10 % des musulmans constitue l'une des trois principales branches de l’islam avec le sunnisme et le kharijisme. Les chiites pensent que des personnes choisies dans la famille de Mahomet (les Imams) étaient la meilleure source de connaissance à propos du Coran et de l'islam, et les protecteurs les plus fervents de la sunna (tradition) de Mahomet. Les chiites reconnaissent en particulier la succession du prophète par Ali (le cousin et beau-fils de Mahomet, premier homme à accepter l'islam, après Khadija, et aussi le chef de l'Ahl al-Bayt ou « gens de la maison [du prophète] »). Les sunnites reconnaissent au contraire le califat. Les chiites croient que Ali a été désigné comme successeur de Mahomet par lui-même en de nombreuses occasions, et qu'il est donc le dirigeant de droit de la foi musulmane, suivant en cela la décision Divine dictée au Prophète. La principale nomination fut le jour d'al Ghadir et dans de nombreux autres endroits. Le jour d'al Ghadir, après le pèlerinage de l'adieu, le Prophète annonça solennellement et devant des milliers de pèlerins venus du monde entier le discours suivant et l'un des plus importants : « A qui je suis un guide, Ali est son guide. Mon Seigneur, allie de celui qui s'allie à lui, hais celui qui le hait, glorifie celui qui le glorifie, délaisse celui qui le délaisse, et laisse le droit et la justice avec lui où qu'il soit ». Cette différence entre la reconnaissance du pouvoir de l'Ahl al-Bayt ou du calife Abou Bakr a modelé les doctrines chiites et non chiites à propos du Coran, des hadiths et d'autres points. Par exemple, la collection des hadiths reconnus par les chiites se base sur des narrations faites par Ahl al-Bayt alors que les hadiths de narrateurs ne faisant pas partie de la famille de Mahomet sont considérés comme pouvant être discutés (ceux de Abu Huraira par exemple). En dehors des considérations sur le califat, les chiites reconnaissent l'autorité de l'imam (aussi appelé Khalifa Ilahi) en tant qu'autorité religieuse, bien que les différentes branches de l'islam chiite ne soient pas d'accord sur la succession de cet imam et de son successeur (les duodécimains, ismaéliens ou Zaydites par exemple). En tant que mouvement musulman, le chiisme reconnaît l'unicité divine, les textes sacrés du Coran, le Prophète, les cinq obligations fondamentales, le jugement dernier et la résurrection. Les chiites considèrent que le coran a un sens évident et un sens caché, et qu'une recherche ésotérique doit donc être menée sur ce texte. Les Imams sont chargés d'enseigner cette gnose aux fidèles les plus dignes. Cet élitisme fait du chiisme une religion moins égalitaire dans son fonctionnement que le sunnisme, en justifiant l'existence d'un clergé et de niveaux d'initiation qui ne sont pas forcément accessibles à tous les fidèles. Cette tendance est très développée chez les druzes, mais se retrouve aussi chez les duodécimains. Les ismaélites ont un chef suprême reconnu, l'Aga Khan. Les Mustaliens obéissent à un da'i. Les duodécimains en reconnaissent plusieurs, appelés Ayatollah ou Marja: chaque fidèle peut choisir le sien, suivre ses enseignements et lui verser sa contribution (khoums et zakat). Le chiisme accorde une importance particulière au culte des Imams martyrs, Ali, Hassan et surtout Hussein, célébrés aux fêtes de deuil de Moharram. Certains chiites prient en posant leur front sur le sol de Kerbala, ou, s'ils en sont éloignés, sur un petit cylindre plat d'environ 8 à 10 cm de diamètre d'argile de la même terre sainte. 14 L'islam sunnite ou sunnisme est le principal courant religieux de l'islam. Les adeptes de la tradition sunnite sont dénommés sunnis ou sunnites. Il est admis parmi les sunnites que le nom est dérivé du mot sunna qui représente la ligne de conduite du Prophète Mahomet. Une autre interprétation du nom est que cela est dérivé du mot « Sunni » qui signifie un chemin moyen se rapportant à l'idée que le sunnisme est un courant entre le chiisme et le kharidjisme. Au VIIIe siècle quatre grandes écoles juridiques classiques (madhab) rédigent des ouvrages de compilation de leurs théologies auxquels on se réfère encore aujourd'hui. La littérature juridique musulmane ne

 350 000 druzes15

 10 000 alaouites16 cherche plus en général à réinterpréter ces ouvrages qui sont aujourd'hui quasi intouchables, consécutivement à la fermeture des portes de l'ijtihad (interprétation). Toutefois, la situation inédite de fortes minorités vivant en pays non musulman pose des questions auxquelles les livres anciens ne peuvent répondre. Des demandes de réouverture du processus de l'ijtihad ont été lancées par plusieurs personnes. Les quatres grandes écoles juridiques sont les suivantes : L'école hanafite d'Abu Hanifa Al-Nu'man Ibn Thabit. C'est l'école la plus ouverte, car elle insiste sur la liberté d'opinion, le jugement personnel, et la recherche de la meilleure solution (au cas par cas, en fonction des convenances du moment et de l'équité). Il existe donc une forte marge de manœuvre. Le rite insiste sur l'importance des textes et de la tradition. Peu à peu, cette école va perdre de sa capacité à innover et la notion d'ijtihad laisse place à la notion de taqlid (imitation, tradition). Cette école hanafite se retrouve surtout chez les Afghans, Indo-Pakistanais, Albanais, Turqo-Monguyan et Chinois. L’école malékite a été fondée par Mâlik ibn Anas en modélisant la théorie juridique sur les coutumes médinoises au moment où le prophète Mahomet y vivait. Elle met l'accent sur l'importance des savants et du consensus. Une place majeure y est donnée à la coutume. Cette école est surtout présente en Afrique. Cette école a essayé de généraliser l'usage de la sunna en se référant aux usages de la Médine au temps du prophète (aamal ahl al madina). L'interprétation (ijtihad), d'abord recommandée est abandonnée au Xe siècle, ce qui va avoir des conséquences sur cette école également, avec le développement de l'importance des coutumes populaires. Le chaféisme de Muhammad abū àbd allah ben idrīs aš-šāfi`ī (qui est un descendant de la famille du prophète) est un compromis entre les deux écoles précédentes. Cette école valorise la Sunna comme source du droit, et insiste sur le consensus de toute la communauté, mais le point de vue des savants l'emporte, écartant par là l'opinion personnelle. Elle est particulièrement répandue en Égypte, Arabie, Yémen, Koweït, Indonésie, Malaisie, Viêt Nam, Philippines et Thaïlande. L'école hanbalite d'Ibn Hanbal a été fondée non pas par un juriste mais par un traditionaliste qui privilégie la tradition morale sur les solutions juridiques. C'est l'école la plus stricte des écoles sunnites. Elle se base sur une interprétation littérale du Coran et de la Sunna, et restreint le raisonnement par analogie. L'hanbalisme a donné forme au wahhabisme (généreux), une école de pensée qui ne se fonde que sur la sunna. Ces quatre écoles ont des fondements différents mais se reconnaissent les unes les autres. Il est possible pour un croyant de passer de l'une à l'autre, bien que cela soit rarement observé. Les salafistes ignorent ces différences, pour eux, un seul islam existe. 15 Les Druzes forment une communauté issue du chiisme surtout présente en Syrie, en Israël et au Liban. Dans ce dernier pays, la communauté a été dirigée par Kamal Joumblatt, puis, après son assassinat, par son fils Walid Joumblatt. Les Druzes ont joué un rôle majeur durant la guerre civile libanaise entre 1975 et 1990. Il n'y a ni liturgie, ni lieux de culte dans le mouvement druze. La doctrine des Druzes est secrète et n'est révélée aux fidèles qu'après divers degrés d'initiation. Ils croient en la métempsychose. Ils ont des tendances antinomistes, consistant à rejeter la charia et les obligations rituelles qui en découlent. La plupart des musulmans sunnites rejettent les druzes, qui sont considérés comme des égarés. Deux ismaéliens sont à l'origine de ce mouvement : un Persan nommé Hamza, qui affirmait être l'intelligence universelle, et un Turc nommé Ad-Darazî, (dont le nom est à l'origine du terme « Druzes »), qui était l'un des vizirs du calife fatimide al-Hakim bi-Amr Allah (996 - 1021). Al-Hakim a disparu en 1021. Il n’est pas revenu d’une promenade nocturne aux environs du Caire dans les collines de al-Muqattam. Son corps n’a jamais été retrouvé. Certains de ses proches, regroupés autour du vizir ad-Darazî, en firent une incarnation divine, le proclamant occulté. Selon eux, le calife était la dernière et principale incarnation de Dieu (maqâm), titre qu'il s'était d'ailleurs lui-même attribué en 1017, se considérant comme une manifestation de l'intellect universel. C'est ainsi qu'ils fondèrent la secte des Druzes. Cette tendance à diviniser l'imam existait depuis les premiers imâms chiites. L'imâm duodécimain Ja'far as-Sâdiq avait fait brûler les chiites qui avaient voulu le diviniser (vers 750). Certains affirment que loin de combattre cette tendance à le diviniser, al-Hakîm l'aurait encouragée. Si les Druzes eux-mêmes se considèrent comme musulmans, il n'y a pas d'unanimité sur ce plan parmi les théologiens musulmans: la question fut posée aux théologiens de la célèbre université d'Al Azhar au Caire à l'époque où le célèbre chanteur Farid El Atrache, issu de la plus importante famille druze syrienne, se maria avec une musulmane, et il fut alors décidé de considérer les Druzes comme musulmans : par conséquent on leur accordait le droit d'épouser des femmes musulmanes. Au XIXe siècle, ils sont tributaires de l'empire ottoman, mais de fait presque indépendants. Retirés dans les montagnes du Liban, ils se rendirent redoutables, résistèrent longtemps aux attaques des Turcs, et ne furent soumis au tribut qu'en 1588 par le sultan Murad III. La Sublime Porte leur a même accordé en 1842 un chef à leur nation.

Enfin, d’autres confessions existent bien et au Liban mais sont considérées comme quantités négligeables tant le nombre de leurs membres est faible. On y trouve :

16 Les Alaouites ou alawites, également appelés noseïris ou nusayris, sont une branche du chiisme. Aujourd'hui, ils forment environ 10 % de la population de la Syrie et une communauté alaouite existe en Turquie, en particulier à proximité de la frontière syrienne (dans l’ancien sandjak d’Alexandrette). Le chef de l'État syrien (Bachar el-Assad) est alaouite. Les Alaouites professent une doctrine trinitaire : le Ma'nâ (essence divine), le Ism ("Nom, Verbe, la voix prophétique qui révèle le Ma'nâ caché), le bâb (qui joue le rôle d'initiateur aux mystères religieux). Les deux derniers sont les hypostases du premier. Pour les Alaouites, Ali est l'incarnation de Dieu. Il est éternel en sa nature divine et s'est manifesté comme imam du temps. Ils professent la croyance du passage de l'Esprit saint dans la succession des Imams chiites et sont antinomistes : ils rejettent la charia et les obligations cultuelles de l'islam (le pèlerinage à la Mecque par exemple). Leur propre livre saint (le Kitâb al-madjmû') s'ajoute au Coran. La cosmogonie alaouite est plutôt dialectique : au début des temps, les âmes des croyants sont des lumières autour de Dieu et le louent, puis se révoltent en doutant de sa divinité. Elles sont alors précipitées sur terre où elles sont enfermées dans des corps matériels condamnés à la métempsycose. Mais elles ont une chance de se racheter : en effet, Dieu leur apparaît dans l'histoire pour les contraindre à l'obéissance. A chaque théophanie, Il est l'essence (ma'nâ), et est accompagné de deux hypostases qui lui sont subordonnées : le nom (ism) ou voile (hijâb) et la porte (bâb). Le ma'nâ a été Abel, Seth, Joseph, Josué, saint Pierre, et Ali, puis tous les imams jusqu'au onzième, al-Hasan al-'Askarî. Le hijâb, qui voile la vraie nature de Dieu et accomplit sa volonté, a été Adam, Noé, Jacob, Moïse, Salomon, Jésus, Mohamed, et chacun est accompagné d'un bâb, qui révèle la vraie nature de Dieu, intermédiaire entre la divinité cachée et les croyants initiés. La trinité centrale est toutefois celle qui a Ali pour ma'nâ, Mohamed pour hijâb et Salmân al-Fârisî pour bâb. Les onze imams sont les incarnations du mâ'na, leurs hujub sont les califes, et des abwâb révèlent leur nature divine. Ainsi, Muhammad b. Nusayr est-il le bâb du dernier imam. Celui qui reconnaît le mâ'na est sauvé, libérée du cycle, son âme redevient étoile, et retourne à travers les sept cieux vers le ġâya, le but ultime, c'est-à- dire la contemplation (mu'âyana) de la lumière divine. Mais la réincarnation peut être une punition. Car l'âme qui a transgressé les commandements de Ali doit être réincarnée jusqu'à sa purification chez un juif, un sunnite ou un chrétien, ou encore pire, un animal. La religion alaouite est fondée sur le sens caché (bâtin), la masse des fidèles ignorant le sens profond du message divin, réservé aux seuls initiés. Aussi est-il difficile d'avoir des certitudes quant aux croyances des alaouites. Apparemment, en plus d'être dans l'histoire, on retrouve la Trinité principale dans les astres. Ici, les interprétations divergent. Selon René Dussaud, on trouve quatre points de vue différents, qui sont autant de sectes : les Haidariés, qui identifient Mohamed au soleil et Salman à la lune, les Chamaliés, qui identifient Ali au ciel, il a pour demeure le soleil que représente Mohamed, les Ghaibiés, qui pensent que les hypostases, s'étant manifestées, sont maintenant invisibles dans l'atmosphère, et les Kalaziés, qui ont conservé des vestiges des anciens cultes lunaires. En revanche, l'anthropologue anglais Sir Edward Evans-Pritchard fait, comme le père Henry Lammens en 1915, disparaître les Chamaliés, confondus avec les Haidariés. Les alaouites sont circoncis vers un an, et s’ils sont d’une famille de cheikh, leur initiation se fait à 14 ans et dure environ un an. Deux pères spirituels sont désignés pour le jeune homme, puis un cheikh l'instruit. Le ramadan n'est habituellement pas observé, mais on célèbre quand même le Aid al-saghîr. De plus, comme les chrétiens, les alaouites célèbrent l'Epiphanie et Noël, et comme les autres chiites, ils célèbrent l'Achoura, qui commémore le martyr de Hussein à Karbala. Seulement, à la différence de ceux-ci, ils remplacent l'auto flagellation par des libations, au vin ou à l'arak. De tout cela, les femmes sont exclues, et n'ont pas le droit de participer aux rites des hommes. Leur religion populaire garde alors des traces païennes (vénération des hauts lieux, des sources, des arbres verts...). Le culte des saints, comme souvent, est une autre trace païenne, commune aux deux sexes. Comme pour les Druzes, il n'y a pas d'unanimité parmi les théologiens musulmans quant à l'appartenance à l'islam des Alaouites: le juriste hanbalite Ibn Taymiyyah appelait à les massacrer purement et simplement comme apostats, mais le défunt dictateur syrien Hafez el-Assad maria un de ses fils avec une femme sunnite issue de la famille régnante séoudienne, pourtant connue pour son attachement au wahhabisme, une doctrine pour laquelle Ibn Taymiyyah fut une importante source d'inspiration. Le même Hafez el-Assad obtint de juristes libanais tant sunnites que chiites des fatwas reconnaissant les Alaouites comme musulmans, la présidence de la République de Syrie ne pouvant constitutionnellement être assumée que par un musulman. La légitimité de ces fatwas a été contestée.

 Quelques Yézidis (yazidis).

 Une très petite communauté juive 17 vit toujours au Liban. Elle est estimée à 100 personnes. En 2000, le nombre de juifs libanais inscrits à l'état civil est de 5956.

Selon les chiffres officiels communiqués par le ministère de l’intérieur libanais, le nombre d'inscrits à l'état civil en 2000 sur les listes électorales18 se divise comme suit :

 Alaouites : 18 491 (0,7%)

 Arméniens-catholiques : 19 392 (0,7%)

 Arméniens-orthodoxes : 89 649 (3,4%)

 Assyriens19 : 2120 (0,1%)

17 L'émigration des Juifs du Liban a suivi un cours assez différent de celui des Juifs des autres pays arabes. Dirigé par des Arabes chrétiens, le Liban et ses structures politiques permettaient une tolérance relative à l'égard des Juifs. Malgré cette situation relativement favorable, les Juifs se sentirent en danger après la guerre de Kippour, ils émigrèrent alors vers la France, l'Italie, la Grande-Bretagne ou l'Amérique ; une partie d’entre eux s'était établie en Israël en 1967. En 1974, il restait 1 800 Juifs au Liban, en majorité à Beyrouth. En décembre 1976, une source américaine évaluait leur nombre à 500. Aujourd’hui, une centaine de Juifs seulement vivraient encore au Liban, à Beyrouth principalement. Certains disent même qu’il ne resterait que quarante juifs à Beyrouth. La ville abritait autrefois seize synagogues dont la dernière est en piteux état. La synagogue centrale "Maguen Avraham" se trouve au cœur de Beyrouth, tout près des bureaux du Premier ministre. La façade de la synagogue présente toujours les colonnes sur lesquelles sont gravées des Maguen David. "Maguen Avraham" reflétait autrefois la vitalité de la communauté juive. Son toit est aujourd’hui arraché. L’état de la synagogue est à l’image de la communauté, vestige. 18 Il faut toutefois souligner le fait que ces chiffres n’ont fait l’objet d’aucune actualisation depuis bien longtemps. On peut ainsi dénombrer parmi les personnes recensées des personnes qui se sont expatriées depuis des décennies ou encore qui sont décédées. 19 La dénomination ethno-nationale « Assyrien » a été introduite au XIXe siècle par des missionnaires protestants américains et britanniques pour désigner d'abord les chrétiens nestoriens, puis l'ensemble des chrétiens d'Orient parlant un dialecte néo-araméen (chaldéens, syriaques orthodoxes, syriaques catholiques, Assyriens protestants). Elle est surtout utilisée en diaspora et par des non-Assyriens, par exemple en Arménie et en Géorgie où c'était l'ethnonyme officiellement d'usage à l'époque soviétique (Aisor), et par certains mouvements nationalistes "mésopotamiens", qui ont même parfois tenté, par exemple dans les mémorandums remis aux conférences de paix après la Première Guerre mondiale, d'y inclure les Maronites, les Mandéens (Sabéens) et les Juifs targumiques ("Juifs kurdes", néo-araméophones). Il n'y a aucune preuve tangible d'une quelconque filiation "génétique" ou autre entre les habitants de l'Empire assyrien de l'Antiquité (dont sont probablement issus, avec de multiples mélanges, toutes les populations actuelles du Moyen-Orient, quelle que soit leur ethnicité ou leur religion actuelle) et les Assyriens contemporains, mais le mouvement nationaliste assyrien cultive ce mythe national avec, par exemple, l'utilisation de prénoms comme Nabuchodonosor (impensable dans les familles traditionnelles, très attachées à leurs églises, puisqu'il ne s'agit pas d'un prénom chrétien), et la juxtaposition dans les brochures de propagande de profils de bas-reliefs antiques et de photos d'"Assyriens" contemporains. Le Traité de Sèvres en 1920 prévoyait une certaine autonomie pour les "Assyro- Chaldéens" (terme usité à l'époque), dont des délégations avaient assisté aux conférences de paix avec la revendication d'un État assyrien, apparemment promis par Londres en décembre 1917, mais le Traité de

 Chaldéens : 2893 (0,1%)

 Chiites : 910 313 (29,9%)

 Coptes : 83 (0%)

 Druzes : 151 971 (5,7%)

 Grecs-catholiques : 146 644 (5,5%)

 Grecs-orthodoxes : 226 488 (8,5%)

 Juifs : 5956 (0,2%)

 Latins : 11 333 (0,4%)

 Maronites : 606 553 (22,9%)

 Protestants : 18 230 (0,7%)

 Sans confessions : 11 762 (0,4%)

 Sunnites : 450 571 (11,4%)

 Syriaques catholiques20 : 10 076 (0,4%)

Lausanne de 1923 constitua un recul tant pour eux que pour les Arméniens ou les Kurdes, tous sacrifiés au réalisme géopolitique et à la nouvelle division du Proche-Orient entre Turquie kémaliste, mandat français (en Syrie et au Liban) et mandat britannique (en Irak, en Transjordanie et en Palestine). Au Liban, les Assyriens ne bénéficient que d'une représentation parlementaire faible : un seul siège à partager avec les Latins, les Coptes et les Juifs. 20 L'Église syriaque catholique ou Église catholique syriaque est une des Églises catholiques orientales. Le chef de l'Église porte lui aussi le titre de Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient des Syriens, avec résidence à Beyrouth au Liban (titulaire actuel : Sa Béatitude Mar Ignace Pierre VIII Abdel-Ahad depuis le 16 février 2001). L’Église syrienne d’Antioche prend son nom de la ville d’Antioche qui, après la conquête romaine, devint la capitale de la Syrie impériale et fut appelée "Reine de l’Orient". C’est là que s’est formée une des premières communautés de chrétiens (Actes des Apôtres, 11, 19-26) et que pour la première fois, les disciples du Christ furent appelés "Chrétiens" (Ac. 11, 26) . Les apôtres Pierre et Paul séjournèrent dans cette ville cosmopolite, qui offrit aux disciples de Jésus un milieu favorable à leur expansion. Après la destruction de Jérusalem en l’an 70 après Jésus-Christ, Antioche est restée la seule métropole de la chrétienté en Orient et a exercée sa juridiction sur la Syrie, la Phénicie, l’Arabie, la Palestine, la Cilicie, Chypre et la Mésopotamie. L’Église d’Antioche a eu dès le début un fort esprit missionnaire. On lui doit l’évangélisation de la Mésopotamie et de l’Empire perse, auquel cette région fut presque totalement annexée à partir de l’an 363 après Jésus-Christ. Au milieu du IVème siècle, la ville comptait 100.000 fidèles. L’araméen était alors la langue la plus parlée dans cette région et elle est encore utilisée par les chrétiens du Nord de l’Irak, spécialement dans la région de Ninive. Lorsque Constantinople devint la capitale de l’Empire romain, Antioche perdit beaucoup de son importance. Cependant elle connut une nouvelle splendeur sous la domination arabe (VII – VIII ème siècle). Ses missionnaires se rendirent alors en Asie Centrale, en Inde, au Tibet, en Chine, en Mandchourie et à Java. Les années les plus cruciales furent celles de la première guerre mondiale. En 1915, à Tur Abdin, environ 200.000 chrétiens furent assaillis par des bandes de Kurdes fanatisés par la proclamation de la Guerre Sainte. Un tiers d’entre eux périrent massacrés. Les survivants

 Syriaques orthodoxes21 : 14 596 (0,6%)

 Total : 2 649 121 (100%)

Néanmoins, ces chiffres ne tiennent pas compte de la population vivant à l'extérieur du Liban, essentiellement chrétienne en Amérique du Nord, Amérique du Sud et Europe, chiite en Afrique et sunnite dans les pays du Golfe Persique et en Australie. Elle est estimée à plusieurs millions 22 . Par ailleurs ce chiffre ne tient pas compte des quelques 400 000 réfugiés palestiniens au Liban depuis 1948.

3 - Considéré à une époque comme la Suisse du Moyen-Orient, le Liban partage avec celle-ci, outre ses montagnes et son activité bancaire intensive, le raffinement qui se développe ordinairement dans les pays servant de plaques tournantes culturelles et financières.

La raison en est entre autres historique : ceux des Croisés qui avaient pris goût au climat du Liban et y avaient fait souche apprirent vite que le Coran interdisait le prêt à intérêt. Le se réfugièrent en Syrie, au Liban et en Irak. Depuis lors le centre de gravité de l’Église Syrienne se déplaça des régions turques de Tur Abdin, Mardin et Nisibis aux pays arables limitrophes. Il ne resta à Tur Abdin que 15.000 fidèles. 21 L’Église syriaque orthodoxe est une Église orthodoxe orientale autocéphale. Elle fait partie de l'ensemble des Églises des trois conciles (ou orthodoxes orientales). Le chef de l'Église porte également le titre de Patriarche d'Antioche et de tout l'Orient, avec résidence à Damas (titulaire actuel : Sa Sainteté Ignace Zakka Ier Iwas depuis 1980). L'Église syriaque orthodoxe est née en 37 suite à la fondation d'une église par Saint Paul à Antioche. Jusqu'à aujourd'hui Saint Paul demeure le premier Patriarche Syriaque de l'histoire de cette église. Saint Evodius lui succède en 67 après sa mort à Rome. Le chef de l'Église porte toujours le titre de Patriarche d'Antioche même si le siège patriarcal a été déplacé à plusieurs reprises : à Malatya (Monastère Mor Barsawmo) de 1034 à 1293, à Mardin (Monastère Mor Hananyo) de 1293 à 1924, à Homs de 1924 à 1959, à Damas depuis 1959. 22 Vers la fin du XIXème siècle, les chrétiens du Moyen-Orient sont tentés par l'Amérique latine. Les habitants chrétiens des actuels Syrie, Palestine et Liban vont être attirés par l'argent. Cette émigration est très forte et se poursuit jusqu'à la veille de la guerre civile. Aujourd'hui, beaucoup de ces descendants de Libanais ont été assimilés par leur pays d'accueil et ne considèrent plus le Liban comme leur pays, le seul critère de distinction devrait alors être la détention de documents d'identité libanais en bonne et due forme. Beaucoup d'émigrés libanais reviennent au Liban pour leur retraite, et parfois même avant. Il est aussi fréquent que de jeunes libanais partent faire leurs études en Europe, en Amérique du Nord ou en Australie, et retournent au Liban pour travailler. Lorsque la guerre civile éclate au Liban, il n'est plus possible à ce genre d'émigrés de revenir au Liban. De plus, la guerre dure de 1975 à 1990, ce qui provoque la fuite d'un grand nombre de libanais vers les pays où un membre de la famille est présent. Cette émigration du Liban n'est pas faite pour des raisons économiques comme la précédente mais pour fuir la guerre. Cette émigration est aussi différente de la précédente puisqu'elle touche aussi les musulmans du Liban.

christianisme oriental ne s'y opposant pas de son côté, et les besoins de financement existant dans tous les pays du monde, ils développèrent donc des activités de banque et de finance, celles-là même qui étaient refusées en Orient par les musulmans et en Occident par le christianisme occidental. Les chrétiens occupèrent donc au Liban très exactement le créneau qu'avaient beaucoup de juifs en Europe et qu'y auront plus tard les protestants, et cela pour la même raison : coudées franches vis-à-vis des prescriptions de la religion dominante. C'est en effet Charlemagne qui impose l'interdiction de prêter de l'argent à intérêt dès l'Admonitio generalis de 789. En 808 un capitulaire définit l'usure comme le fait de demander plus que ce qui a été reçu. Dès lors le terme d'usure en vient à désigner ce qui correspondait à un intérêt. Charlemagne avait ainsi repris pour le compte de la société civile l'analyse que faisaient les Pères de l'Église puis les théologiens en s'appuyant sur l'Ancien Testament (Exode, 22,24 ; Lévitique, 25,33-37 ; Deutéronome, 23,20, Psaume XV) et l'Évangile de saint Luc (Prêtez sans rien en attendre). Les mesures prises dès le concile de Nicée en 325 sont codifiées au XIIe siècle dans le Décret de Gratien (cause XIV), et précisées au XIIIe siècle par les Décrétales de Grégoire IX. Au XIIe siècle, le théologien Pierre Lombard assimile ainsi l'usure à un vol et en place l'usage dans les interdits du quatrième commandement : Tu ne commettras pas de vol. Il n'est cependant pas possible d'envisager l'essor d'une société sans le recours au crédit, d'autant que la circulation monétaire au Moyen Âge était fort réduite. À défaut des chrétiens, les juifs, exclus de la société chrétienne médiévale, et donc non soumis aux interdits qui frappaient les chrétiens, étaient appelés à jouer le rôle de créanciers, mais très tôt des chrétiens se livrent à leur tour à des opérations qui détournaient les mesures anti- usuraires, par un système de prêts sur gage dissimulés ou par la solution du mort-gage23.

4 - L'arabe est la langue officielle, mais la langue parlée est le dialecte libanais. Le dialecte libanais est singulier mais intelligible avec l'ensemble des dialectes du Levant et possède des accents distincts et des expressions propres dans certaines régions du Liban. L'usage de mots d'origine étrangère (anglaise, italienne, turque et en particulier française) est très courant dans le dialecte libanais.

23 René Moulinas, Les Juifs du pape. Avignon et le Comtat venaissin, Albin Michel, 1992. Danièle et Carol Iancu, Les Juifs du Midi. Une histoire millénaire, Barthélemy éditions, 1995. Jules B. Farber, Les Juifs du pape en Provence, Actes Sud, 2003.

Le français et l'anglais, qui viennent en seconde place, sont compris à des degrés divers par près de 50% de la population. Ce sont, après l'arabe, les langues de lecture préférées des Libanais. L'anglais, dont la popularité s'accroît dans la population, est surtout utilisé dans les affaires.

Notons que l'arménien est parlé par les arméniens au Liban et est parlé par plus de 100 000 personnes dont plus de 80% de confession orthodoxe et moins de 20% de confession catholique.

D'autres langues existent au Liban (le syriaque - la langue liturgique des maronites -, le turcoman, et le kurde) mais leur usage est ultra-minoritaire24.

INTRODUCTION

24 Quelques milliers de locuteurs.

« Le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas ». Cette phrase longtemps attribuée, à tort ou à raison25, à Malraux n’a cessé de faire couler beaucoup d’encre. Elle reflète en tout état de cause une réalité bien contemporaine. L’agitation mondiale qu’a occasionné « l’affaire des caricatures de Mahomet » ou encore le discours du pape à Ratisbonne en offrent une parfaite illustration.

Le fait religieux n’a cependant pas attendu le XXIe siècle pour se manifester au Liban. Il a toujours coexisté avec les instituions libanaises et son importance n’a cessé de croître au fil des siècles jusqu’à donner naissance à un système que l’on peut qualifier de « singulier », où l’appartenance religieuse joue un rôle de premier plan dans une démocratie qui se veut parlementaire.

Dès lors, notre sujet de recherche exige quelques précisions préliminaires permettant d’écarter toute ambiguïté. Des termes tels que « communautarisme », « confessionnalisme » ou encore « religion », seront en effet fréquemment utilisés.

Plusieurs écueils sont ainsi à éviter. En parlant de confessionnalisme au Liban on ne vise pas nécessairement la foi des citoyens libanais, ces derniers pouvant être croyants, agnostiques ou même athées. Ce qui est en cause c’est l’institutionnalisation de la religion.

25 Malraux n’a en effet jamais revendiqué la paternité de cette phrase, bien au contraire. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire « Le Point » du 10 décembre 1975, Malraux nie carrément avoir prononcé la fameuse phrase, déclarant : « On m’a fait dire que le XXIe siècle sera religieux. Je n’ai jamais dit cela, bien entendu, car je n’en sais rien. Ce que je dis est plus incertain. Je n’exclus pas la possibilité d’un évènement spirituel à l’échelle planétaire ». Ce que Malraux récuse, ce n’est pas le religieux ou le spirituel en tant que tels mais le rôle de prophète que les uns et les autres veulent lui attribuer.

Le citoyen libanais n’a d’existence par rapport à l’Etat que du fait de son appartenance à une confession ou à une autre.

Un libanais ne peut pas, par exemple, contracter un mariage civil au Liban26. Pour ce faire, les candidats doivent aller dans des pays voisins dont la législation le permet, tels que la Turquie ou Chypre. Dès lors, c’est la loi du pays où le mariage a été contracté qui est appliquée en cas de litige, et ce, par les tribunaux libanais. Il est curieux de constater que ce problème existe également en Israël27.

La religion, entendue comme l’ensemble de croyances ou de dogmes et de pratiques cultuelles constituant les rapports de l’homme avec la puissance divine, semble ainsi déborder de son cadre classique pour intervenir dans un domaine qui, selon les démocraties occidentales, doit lui rester étranger : la politique. La religion étant, par conséquent, un culte rendu à la divinité, c’est-à-dire les obligations de l’homme envers Dieu, elle ne doit pas intervenir dans les affaires de la Cité. Du moins, pas directement.

Il ne faut ainsi pas confondre religion et foi ; « les fonctions de la religion ne sont pas les mêmes que celles de la foi, le vocabulaire ou les conséquences sur le comportement ne sont pas identiques. La religion comme expression culturelle et institutionnelle de la foi est en rapport avec la foi comme un bâtiment avec l’architecture28 ».

26 Nous reviendrons plus loin sur la question de la tentative avortée de l’institution du mariage civil facultatif au Liban. 27 « Le mariage civil n’existant pas en Israël, un immigrant russe non juif ou un israélien juif laïque qui refuse la coercition du mariage religieux ne peut pas se marier en Israël, même si le conjoint est juif. Pour se marier civilement, il doit donc se rendre à l’étranger. Le mariage est ensuite reconnu en Israël ». D’après Claude Klein, Professeur de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem, « Le Monde, du samedi 13 juillet 2002. 28 Allan W. Eister, Changing Perspectives in the Scientific Study of Religion, John Wiley & Sons, p. XVII et XVIII.

Il ne faut, de même, pas confondre l’Eglise et la religion, l’Eglise étant « une société dont les membres sont unis parce qu’ils se représentent de la même manière le monde sacré et ses rapports avec le monde profane et parce qu’ils traduisent cette représentation commune dans des pratiques identiques29 ».

Par conséquent, l’Eglise ne peut être considérée que comme un organe représentatif de l’ensemble des croyants la composant dans un cadre plus large qui est celui de la société.

Comme l’exprime Julien Bauer, « la foi est la base de l’édifice, la religion son expression dans le monde, l’Eglise son institutionnalisation dans la société30 ».

Par ailleurs, la Cour Permanente de Justice Internationale de la Haye a tenté, dans un avis en date du 31 juillet 1930, une définition de la notion de communauté31 : « d’après la tradition qui a une force particulière dans les pays d’Orient, la communauté apparaît comme une collectivité de personnes vivant dans un pays ou une localité donnée, ayant une race, une religion, une langue et des traditions qui leur sont propres, et unies par l’identité de cette race, de cette religion, de cette langue et de ces traditions, dans un sentiment de solidarité, à l’effet de conserver leurs traditions, de maintenir leur culture, d’assurer l’instruction et l’éducation de leurs enfants, conformément au génie de leur race et de s’assister mutuellement ».

Cette définition semble correspondre à la réalité de la société libanaise, mais une définition encore plus affinée a été donnée par Elisabeth Picard32, plus instruite des réalités du terrain. « Une communauté, écrit-elle, est plus qu’une adhésion à une foi, c’est un cadre social, politique, voire même économique ».

29 Emile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, PUF, 1950, p. 60. 30 Julien Bauer, Politique et religion, PUF, 1999, p. 7. 31 Affaire des communautés greco-bulgares. 32 Elisabeth Picard, Le Liban, Etat de discorde. Des fondations aux guerres fratricides, Flammarion, 2001.

Dans cette perspective, les notions de confessionnalisme et de communautarisme peuvent se confondre même si le communautarisme abrite en lui une grande part de confessionnalisme. C’est la raison pour laquelle lorsqu’on emploie le terme communauté, il faut comprendre communauté confessionnelle.

De l’aveu même de la Délégation de la Commission des Lois du Sénat français, « les rapports sociaux sont en quelque sorte médiatisés par les communautés qui sont autant d’écrans entre l’Etat et les citoyens »33.

Il y a des régions du monde où l’on s’identifie en priorité en fonction de sa religion, l’appartenance à une nation étant reléguée au second rang. S’il existe un exemple particulièrement saisissant de cette réalité, c’est sans doute celui du Liban.

Et cela ne date pas d’hier. Steven Runciman 34 l’a souligné en écrivant l’Histoire des Croisades. « En Orient, écrit-il, pendant des siècles, le nationalisme n’avait pas été fondé sur la race – sauf dans le cas des juifs dont l’exclusivisme religieux avait préservé un sang relativement pur -, mais sur une tradition culturelle, une position géographique et un intérêt économique. La loyauté envers une religion remplaçait désormais les loyautés nationales ».

33 Rapport 111 – 1996/1997 de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français intitulé « quel avenir pour le Liban ? », composée de MM. Jacques Larché, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Michel Rufin et Jacques Mahéas. 34 Steven Runciman, Histoire des Croisades, éditions Dagorno, 1998, p.38.

1. Le confessionnalisme : un héritage de l’histoire

Près d’un millénaire après les croisades, la situation ne semble pas avoir changé au Liban. Comme le relève le rapport de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français35, intitulé « Quel avenir pour le Liban ? », « avant même son appartenance à l’entité libanaise, le libanais se définit ou se détermine par référence à sa confession ».

Comme le souligne Pierre Rondot36, « c’est au terme d’un développement historique prolongé et significatif que le Liban aborde la vie politique moderne ; il s’agit d’une nation façonnée par les siècles. On ne saurait, sans méconnaître les raisons profondes et les conditions nécessaires de son existence, en juger comme une création artificielle récente. Toute étude du Liban moderne exige donc, à la fois, un rappel de son évolution historique et une analyse des éléments sociaux traditionnels qui continuent de jouer un rôle capital dans sa structure. Ainsi les principes sur lesquels la nation s’est édifiée et continue de subsister apparaîtront clairement ; ainsi se justifieront mieux, dans leur réelle sagesse et malgré d’inévitables imperfections, les institutions politiques que l’Etat libanais s’est donné de nos jours ».

Mais d’où vient ce sentiment ? Et pourquoi ce confessionnalisme?

Certains politiciens libanais ont tenté une explication en faisant appel à une théorie qui, pour le moins, est discutable; celle du complot : « Al-Mou’amara »37. La théorie du complot est en

35 Op. Cit. 36 Pierre Rondot, Les structures sociopolitiques de la nation libanaise, Revue française de science politique, année 1954, volume 4 numéro 1, p. 80 – 104. 37 Pour justifier les guerres intestines au Liban, certains ont cru bon de faire intervenir la théorie du complot visant à faire affronter les différentes communautés du pays dans leurs différentes compositions. La thèse la plus répandue est celle d’un complot américano-sioniste visant à déstabiliser le Liban, seule puissance régionale, par son niveau économique et culturel, à pouvoir faire face à un Etat israélien fort et hégémonique. Cette thèse est défendue par une grande partie de musulmans et de courants dits progressistes ou même de gauche, solidaires

effet providentielle ; elle leur permet de se décharger de toute responsabilité et de masquer leur incapacité à mener un projet national dénué de toute attitude partisane. On ne peut en effet pas parler d’un complot unique. La guerre libanaise ne s’est pas jouée uniquement au Liban mais elle a bel et bien dépassé les frontières. Les implications régionales et internationales ont conduit à de multiples changements dans la composition des groupes qui s’affrontaient. Le contexte de guerre froide n’y était pas tout à fait étranger.

Par ailleurs, le confessionnalisme libanais n’est pas le fruit d’un « complot ». Le complot, si tant est que l’on puisse parler de complot, visait à récupérer la fibre confessionnelle afin de la manipuler pour atteindre des objectifs politiques ou stratégiques. Dans cette optique, le confessionnalisme préexistait à tout complot, il ne restait plus dès lors qu’à l’instrumentaliser. Instrumentalisation dont le but ultime était de saper les fondations d’un Etat fort. Le Liban

avec la cause palestinienne et selon lesquels la création de l’Etat d’Israël ne pouvait se faire que si les palestiniens, chassés de leur terre, trouvaient un foyer prêt à les abriter. Ces derniers boutés brutalement hors du territoire jordanien, ne resterait plus que le Liban pour les adopter comme citoyens à part entière, comme le prévoit le Plan Kissinger. Georges Corm, dans Le Liban contemporain (La Découverte, édition 2005), le souligne: « Il faut ici rappeler les cris d'alarme de , chef du parti politique le Bloc national, qui n'a cessé de dénoncer un «complot américano-sioniste», dont Henry Kissinger serait l'inspirateur, qui aurait commencé avec l'invasion de Chypre par la Turquie en 1974 et la division de facto de l'île entre une zone grecque et une zone turque. Chyprianisation du Liban entre chrétiens et musulmans, balkanisation de l'ensemble de la région: c'est ce qu'a dénoncé avec la plus grande constance depuis 1974 cet homme politique resté au- dessus de la mêlée. «Je continue à soutenir, déclarait-il au journal Le Monde le 16 décembre 1975, que nous sommes en présence d'un plan américain visant à la partition du Liban, laquelle conduirait, à plus ou moins brève échéance, à l'éclatement de la Syrie. L'objectif est la création, aux côtés d'Israël, de plusieurs État à caractère confessionnel, des États tampons, qui contribueraient à la sécurité de l'État juif. Bref, le plan est de balkaniser la région. De son côté, l'ex-président de la République libanaise durant les années de troubles 1975-1976, Soleiman Frangié, a affirmé dans plusieurs déclarations à la presse, après avoir quitté le pouvoir, que les États-Unis ont cherché à implanter les Palestiniens au Sud du Liban et à évacuer les chrétiens du Liban vers le Canada; puis, devant les obstacles s'opposant à ce dessein, ils ont cherché à créer un État chrétien au Liban à partir de 1978 [Voir, par exemple, ses déclarations à la revue Al Jamhour le 3 mai 1978, et au journal Al Anouar le 27 août 1979, tous deux paraissant à Beyrouth.]. Il n'a d'ailleurs pas été le seul à le dire dans la région. Ainsi, le prince Hassan, frère du roi Hussein de Jordanie, homme lui aussi de réflexion sereine, écrivait le 3 septembre 1982 dans le Times de Londres: «La perspective d'un éclatement de la Grande Syrie entre druzes, maronites et fondamentalismes chiites et sunnites coïncide avec le développement du Grand Israël. Tout cela implique une aggravation de la souffrance des Palestiniens dépossédés dont le respect des droits est inaliénable et crucial pour la paix durable». Une autre thèse de complot est avancée par quelques courants, majoritairement chrétiens ; thèse selon laquelle la Syrie n’a jamais accepté la création du grand Liban par le protectorat français. La Syrie, bien au fait du fragile équilibre communautaire au Liban, n’aurait pas hésité à semer la discorde pour justifier son intervention et la reprise de son autorité sur un Liban qu’elle n’a jamais reconnu. Cette thèse se serait en partie réalisée si l’on en croit Elizabeth Picard « Les habits neufs du communautarisme libanais ». Elizabeth Picard est directeur de recherches au CNRS à l’Institut de recherches et d’études sur le Monde Arabe et Musulman d’Aix-en-Provence et enseigne aux IEP de Paris et d’Aix. Ses travaux portent sur les dynamiques sociales et la violence politique au Proche-Orient, en particulier au Liban. Elle a publié en 1996, « , a shattered country », « myths and realities of the wars in Lebanon », éditions Holmes & Meier.

était ainsi devenu synonyme de la mise en pratique de la « doctrine de l’Etat faible ». La structure confessionnelle de l’Etat libanais servait dès lors non pas pour le renforcer mais pour l’affaiblir.

En tout état de cause, si complot il y a, qui en est l’instigateur et que gagnerait-il d’une telle manœuvre ? Il y a autant de réponses à ces interrogations que de courants politiques. Et les réponses varient selon les alliances politiques de circonstance. Autant éliminer d’emblée la théorie du complot comme explication scientifiquement plausible du confessionnalisme au Liban.

Un bref rappel historique permet d’écarter définitivement la piste du complot. Au cours du XVe siècle avant notre ère, les Phéniciens s’établirent le long de l’actuelle côte syro-libanaise. Ce peuple de marins, de langue sémitique, y fonda des Cités-Etats (Tyr, Sidon, Byblos). Vers 1300 av. J.-C., l'alphabet phénicien, composé de vingt-deux signes, supplanta le système cunéiforme et se répandit dans le monde méditerranéen38.

A la même époque, ces cités devinrent des «protectorats» égyptiens, puis passèrent sous la domination babylonienne, puis perse. L'indépendance relative de la Phénicie prit fin avec la conquête d'Alexandre en 333 av. J.-C.

Le Liban fut alors intégré dans une vaste zone « syrienne», d'abord sous la domination du royaume hellénistique des Séleucides, avant d'être conquise par les légions de Pompée et intégré à la Provincia , fondée par les Romains en 64 av. J.-C. En 395, lors du partage de l'Empire romain, la Syrie, devenue chrétienne, fut rattachée à l'Empire byzantin. A partir de 636, elle fut partie intégrante de l'Empire arabe.

38 Sur l’ensemble de l’historique, consulter l’Encyclopédie Universelle des Droits de l’Homme (E.U.D.H.), disponible sur le site Internet suivant : http://www.francophonie.org/membres/etats/.

Les querelles théologiques déchiraient les populations, qui se divisaient en sectes. C'est sans doute dès cette époque que s'individualisèrent et commencèrent à s'opposer les différentes communautés. La montagne libanaise devint un territoire refuge; les maronites, des chrétiens de la région d'Antioche, soumis d'abord aux tracasseries des empereurs byzantins puis aux pressions arabes, s'y réfugièrent au VIII e siècle. Elle offrit également l'asile aux chiites (IXe siècle) et aux druzes (XI e siècle). Les musulmans sunnites se répartissaient surtout dans la zone côtière et la Beqaa. La période des croisades fut fortement troublée: les Etats latins occupèrent la côte et la montagne avant d'être chassés par les mamelouks d’Egypte, qui rétablirent l'islam (XIII e siècle).

A partir du XVI e siècle, la domination ottomane ouvrit une nouvelle période. A la tête d'un immense empire multinational, la Sublime Porte n'exerçait pas de contrôle direct. L'autonomie était accordée après le paiement d'un tribut. Dans une certaine mesure, la société libanaise avait alors déjà acquis ses traits les plus marquants. Les très fortes solidarités familiales, proches du clan tribal, se fondaient sur des cousinages aux multiples ramifications. Elles se nouaient autour d'un chef avec qui les intéressés se découvraient une parenté à l'intérieur d'une même confession religieuse: la communauté devint un cadre d'organisation sociale. La montagne libanaise, région pauvre et semi-aride, aux villages fortifiés, était partagée entre les communautés se rattachant aux trois grands ensembles confessionnels: maronite, druze et chiite. Politiquement, cette période fut instable.

A la fin du XVI e siècle, le chef druze Fakhr al-Din II conquit le Mont Liban et contrôla une partie de l'actuelle Syrie et de la Palestine. Au siècle suivant, l'influence druze déclina et ouvrit la voie à celle des maronites : une partie de la dynastie Chihab (ou Chehab) se convertit au christianisme et rejoignit la communauté maronite. Le Liban s'ouvrit à l'Europe pour tisser des liens commerciaux, religieux et culturels.

Au XIX e siècle, le Liban devint le terrain des rivalités entre les grandes puissances européennes. En 1840 éclata un soulèvement contre les abus de Bachir II Chihab et de son suzerain, Méhémet-Ali, vice-roi d'Egypte et maître du pays depuis 1831. Les puissances européennes assurèrent la protection de certains groupes ethnico-religieux. Les affrontements entre druzes et maronites devinrent violents (massacres de maronites en 1860). La France de Napoléon III, qui assurait la protection des maronites, intervint en 1861 et fit reconnaître par les Ottomans l'autonomie du «Mont-Liban». Un gouvernorat autonome maronite, placé sous sa protection, fut créé en 1864.

Dans sa présentation de la Constitution libanaise39, Monsieur le Professeur Antoine Khair40 souligne que « le simple examen d’un texte de constitution n’a jamais suffi à qualifier durablement un régime politique », et que, « cette vérité première semble se vérifier aussi bien [au Liban] que partout ailleurs, sinon davantage ». Dès lors, un examen de l’histoire institutionnelle récente du Liban permettrait de mieux appréhender le texte de l’actuelle constitution libanaise.

Le Liban, sous occupation de l’Empire ottoman depuis 1516, a connu un grand changement depuis la signature des accords franco-britanniques de 191641.

Le Liban d’après l’occupation ottomane pose trois problèmes à la puissance mandataire, la France. Ce pays doit-il exister comme entité politique distincte ? Si oui, quels territoires et quelles populations doit-il contenir ? Enfin, quelle structure lui donner afin de tenir compte de

39 Recueil des Constitutions des Pays Arabes, sous la direction d’Eric CANAL-FORGUES, Centre d’Etudes des Droits du Monde Arabe, CEDROMA, Université Saint-Joseph, Faculté de droit et des sciences politiques, éditions BRUYLANT, Bruxelles, 2000, p. 255. 40 Ancien membre du Conseil constitutionnel libanais, actuel Président de Chambre au Conseil d’Etat libanais et Professeur à la faculté de droit et des sciences politiques de l’université Saint-Joseph (Beyrouth). 41 Ces accords connus sous le nom de Sykes-Picot vinrent liquider la succession de l’Empire ottoman. Ils accordent à la France la partie septentrionale de la Syrie élargie à la Cilicie et au territoire de Mossoul. La révolution Kémaliste permettra à la Turquie de récupérer la Cilicie et Mossoul sera finalement intégré à L’Irak sous mandat britannique, en échange d’une part à l’exploitation pétrolière.

divers éléments rassemblés ? Précisons toutefois que le Pacte de la SDN conclu le 28 juin 1919 et annexé au Traité de Versailles commence par une référence à la justice et à l'honneur. L'article 22 met les colonies et territoires qui ont cessé d'être sous la souveraineté des Etats qui les gouvernaient précédemment sous le système des mandats et précise au paragraphe 4: "Certaines communautés qui appartenaient autrefois à l'Empire ottoman ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnue provisoirement à la condition- que les conseils et l'aide d'un mandataire guident leur administration jusqu'au moment où elles seront capables de se conduire seules". Par ailleurs, la Cour internationale de justice dans son avis consultatif du 2 juillet 195042, analysant alors un autre mandat, rappelle que ce régime n'implique ni cession de territoire, ni transfert de souveraineté au mandataire. Le titre reste donc potentiellement aux mains du peuple. Son exercice est seulement différé. Du même coup il est garanti. Et l'Institut de droit international43 avait affirmé en 1931 que "Les collectivités sous mandat sont des sujets de droit international".

Pour la mystique arabe, le Liban n’est guère qu’une minorité de l’Orient arabe. Il est par conséquent juste et prudent de l’absorber dans l’unité arabe, et de le réunir, sous réserve d’une autonomie plus ou moins étendue, à la Syrie dont il constitue la façade maritime et le débouché naturel 44 . L’idée arabe ne déplaît pas entièrement, à l’époque, à quelques intellectuels libanais émigrés45. Plus nombreux d’ailleurs sont les partisans d’une certaine communauté libano-syrienne46, mais devant les ambitions panarabes ces derniers se rallient progressivement à l’opinion générale du Mont Liban qui réclame l’indépendance.

42 Cour internationale de justice. Avis consultatif du 2 juillet 1950. Statut international du Sud-Ouest Africain. Recueil; pp. 132 et 144. 43 Autorité doctrinale reconnue. 44 Le Congrès syrien réuni à Damas sous Fayçal émet un vote en ce sens le 7 mars 1929. Mais les accords Hussein-MacMahon de 1915 avaient réservé, comme distinct, le cas des régions côtières et donc du Liban. 45 On peut citer en ce sens l’ouvrage de Khairallah T. KHAIRALLAH, Les Problèmes du Levant : Les régions arabes libérées ? Syrie, Irak, Liban. Lettre ouverte à la S.D.N., Paris, 1919. 46 Georges SAMNE, L’Unité syrienne, Correspondance d’Orient, 25 septembre 1917 ainsi que Nadra MOUTRAN, La Syrie de demain, Paris, 1916.

A titre de preuve, le mémoire présenté par le Patriarche maronite Elias Hoayek en date du 25 octobre 1919 à la Conférence de la paix siégeant à Versailles illustre parfaitement les revendications des libanais en faveur de l’indépendance de leur pays47. Les propos tenus dans ce mémoire ne comportent aucune ambiguïté :

« L’indépendance du Liban, telle qu’elle a été proclamée, telle qu’elle est conçue par les libanais, n’est point simplement l’indépendance de fait qui résulte de l’effondrement de la Puissance ottomane, c’est encore une indépendance complète de tout Etat arabe qui se constituerait en Syrie.

Par une conception abusive de la notion de langue, on a voulu confondre le Liban et la Syrie. C’est là une erreur… Les libanais ont toujours constitué une entité nationale, distincte des groupements voisins par ses affinités et sa culture occidentale ».

Ce qui, près d’un an plus tard 48 , allait conduire le général Gouraud, Haut commissaire français en Syrie et au Liban à prononcer les paroles suivantes sur le perron de ce qui allait s’appeler la Résidence des Pins49 : « Je proclame solennellement le Grand Liban, et au nom de la République française, je le salue dans sa grandeur et dans sa force, du Nahr el-Kébir aux portes de la Palestine et jusqu’aux crêtes de l’Anti-Liban ».

47 Cette indépendance a d’ailleurs été promise au Patriarche maronite par Georges Clemenceau le 10 novembre 1919 et agréée le 6 janvier 1920 par Fayçal, qui règne alors à Damas. 48 Le 31 août 1920. Voir sur l’aspect historique de la déclaration du général Gouraud l’excellent entretien accordé par l’historien Adel FREIHA à l’occasion du 65ème anniversdaire de la déclaration par le général Gouraud de l’Etat du Grand Liban, à Magazine du 7 au 13 septembre 1985, n° 1466, pp. 55, 56 et 57, et à An Nahar Arab & International du 2 au 8 septembre 1985, n° 435, pp. 68 et 69. 49 Résidence du Haut commissaire à l’époque du mandat français et de l’ambassadeur de France au Liban actuellement.

Le 24 juillet 1922, la Charte du mandat fut signée en application de l’article 22 du Pacte de la Société des nations (SDN). Cette Charte avait pour but de fixer les conditions dans lesquelles devait s’appliquer le mandat français en Syrie et au Liban50.

L’approbation définitive du mandat par le Conseil de la SDN date du 29 septembre 1923. Une constitution libanaise devait donc voir le jour au plus tard le 29 septembre 1926.

Dès lors, on s’affaire dans les Etats-majors, les correspondances s’intensifièrent entre le Haut commissariat 51 et le Ministère des affaires étrangères à Paris. Ce qui donna lieu à la nomination d’une commission, sous la présidence de Joseph Paul-Boncour52.

Selon Antoine Hokayem53, cette commission fut tiraillée entre deux tendances ; l’une voulait imposer aux Etats sous mandat un texte arrêté à Paris et l’autre voulait associer les populations locales à la mise en place des dispositions constitutionnelles qui allaient les régir.

La deuxième tendance l’emporta et une commission libanaise fut constituée sous la présidence du Président du Conseil représentatif, Moussa Nammour et dont le rapporteur était Chebl Dammous. Cette commission avait dû consulter un certain nombre de dignitaires civils et religieux, les différents ordres des professions libérales, les syndicats ainsi que certains corps considérés comme représentatifs.

50 L’article premier de cette Charte imposait à la puissance mandataire, en l’occurrence à la France, d’établir un statut fondamental régissant les pays sous mandant, en accord avec les autorité autochtones et ce dans un délai de trois ans. 51 Occupé successivement par les généraux Weygand et Sarrailh. 52 Commission dans laquelle siégeaient Robert de Caix, conseiller des autorités françaises établies à Beyrouth, Gilbert Gidel, Professeur à la Faculté de droit de Paris, et un jeune maître des requêtes au Conseil d’Etat qui allait devenir premier Président du Conseil constitutionnel français nommé en 1959 par le général De Gaulle, Léon Noël. 53 Antoine Hokayem, La Genèse de la Constitution libanaise de 1926, Beyrouth, 1996.

Dès le départ donc le clergé fut associé à toutes les procédures et à toutes les consultations visant à mettre en place les nouvelles institutions du Liban. Il ne faut dès lors pas s’étonner de voir apparaître un quota communautaire lors des élections législatives prévues par la Constitution de 1926. La Constitution de 1926 garantit en effet les intérêts du mandataire comme le souligne Jacques Couland54 : « elle proclame certes l’égalité des libanais devant la loi, ainsi que la liberté de conscience, mais contradictoirement, dans son article 95, qui prend appui sur l’article 1er de la Charte du Mandat, elle prévoit « à titre transitoire » une représentation équitable des communautés dans les emplois publics et dans la composition du ministère, sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat. A la fin des années trente, l’ensemble des communautés dispose de statuts personnels reconnus par arrêtés ».

Il aura fallu attendre 1932 pour qu’un recensement permette d’approcher le poids démographique respectif de chacune d’elles55. Un rapport de force 6 contre 5 en faveur des chrétiens sera désormais considéré comme immuable. Sans doute les organisateurs du Grand- Liban estimaient-ils que le système de la représentation proportionnelle des communautés, hérité du Mont-Liban, suffirait à assurer l’entente au sein de cet Etat élargi ; il fut donc adopté. Mais les conditions de son application étaient bien différentes, et singulièrement plus compliquées. Dans l’ancien Petit-Liban, la prépondérance numérique des chrétiens et même des seuls maronites permettait de tirer de la représentation proportionnelle des majorités indiscutables, bases possibles de gouvernement ; il n’en sera plus de même dans le Grand- Liban où aucune communauté ne détiendra la majorité. Dans l’ancien Petit-Liban, la représentation proportionnelle permettait d’équilibrer les sentiments et les intérêts des groupes, mais elle ne constituait pas réellement la base des pouvoirs : le gouverneur était un Chrétien ottoman non libanais, et le Conseil représentatif « proportionnel » n’était que consultatif ; dans le Grand-Liban, elle allait, avec le régime parlementaire obligé de s’en accommoder, servir de support à toutes les institutions de l’Etat et même à l’administration.

54 Dans un article intitulé « l’exception libanaise : confessionnalisme et laïcité », numéro spécial de La Pensée intitulé « Laïcité », n° 342, avril-mai-juin 2005. 55 Pour des éléments comparatifs, voire également Pierre Rondot, Les institutions politiques du Liban – Des communautés traditionnelles à l’Etat moderne, Paris, A. Maisonneuve, 1947.

Déjà dans l’ancien Petit-Liban, les Musulmans, en minorité dans cette province, gardaient hors de celle-ci un lien puissant et dont il tiraient gloire, en raison de leur appartenance à l’Islam, communauté souveraine et en tout cas majoritaire et pratiquement confondue avec l’Etat dans l’Empire ottoman ; mais celui-ci n’était pas un Etat national. Dans le Grand-Liban, les Musulmans, dont le nombre est désormais pratiquement comparable à celui des Chrétiens, ajouteront à ce lien extérieur d’ordre religieux avec la grande communauté de l’Islam un lien d’ordre politique avec l’arabisme représenté par divers Etats nationaux voisins et traduit par la mystique de l’unité arabe.

Le principe de la représentation communautaire proportionnelle s’adaptera cependant, non sans d’abord quelques frictions, aux problèmes du Liban agrandi ; c’est dès lors un régime « communautaire » que vivra celui-ci.

2. Le confessionnalisme : base d’un consensus intercommunautaire

Le « Pacte national56 » de 1943, sur lequel nous reviendrons plus loin, finit par pérenniser le partage communautarisé des pouvoirs au Liban. La présidence de la République revenait ainsi aux chrétiens maronites ; la présidence du Conseil des ministres aux musulmans sunnites et la présidence de la Chambre des députés aux musulmans chi’ites. Par ailleurs, une équation selon laquelle il devait y avoir six députés chrétiens pour cinq députés musulmans au sein du législatif fut retenue et ce, dans un souci de meilleure représentation communautaire57.

L’Accord de Taëf58 finit par renforcer, selon le Professeur Antoine Khair, « une lecture dans le sens d’un régime de consensus communautaire en filigrane, même si le nouvel article 95 [de la présente Constitution mise en place par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990 en application des dispositions prévues par l’Accord de Taëf] parle d’une déconfessionnalisation progressive des institutions en exigeant la formation d’un Comité national devant prendre les dispositions adéquates en vue d’assurer la suppression du confessionnalisme politique ». Et l’éminent Professeur de conclure qu’un « renvoi du projet aux calendes grecques semble donner une idée de son caractère incertain, voire même utopique59 ».

56 Il s’agit d’un accord non écrit conclu entre le Président de la République de l’époque, Béchara el-Khoury et le Premier ministre Riad es-Solh. Accord qui prévoit, entre autres, l’abandon de toute protection étrangère et de toute union amenant le pays à rentrer dans un ensemble plus étendu, qu’il soit syrien ou arabe. 57 D’où la permanence d’un nombre toujours divisible par onze de 1943 à 1990 : 55, 77, 44, 66, 99. 58 Cet accord conclut des discussions entre députés libanais réunis à Taëf, en Arabie saoudite, sous médiation arabe et internationale. Le projet de sortie de crise qu’ils proposent, ratifié par le Conseil de sécurité des Nations Unies, tient en fait d’un accord de compromis entre le leadership traditionnel et les milices. 59 Recueil des Constitutions des Pays Arabes, sous la direction d’Eric CANAL-FORGUES, Centre d’Etudes des Droits du Monde Arabe, CEDROMA, Université Saint-Joseph, Faculté de droit et des sciences politiques, éditions BRUYLANT, Bruxelles, 2000, p. 254.

Ce constat ne fait que renforcer la pertinence de la question de savoir quel est le rôle du confessionnalisme dans la vie politique et institutionnelle libanaise. Les institutions libanaises semblent ainsi tributaires des évolutions démographiques de chaque communauté. Alors que la religion ne joue qu’un rôle accessoire60 dans les démocraties modernes, elle continue à jouer un rôle essentiel, sinon primordial, au pays du Cèdre.

Même si les dispositions de la Constitution libanaise ressemblent à celles des Constitutions des démocraties européennes, il n’en demeure pas moins que l’omniprésence du rôle joué par le confessionnalisme opère un nivellement par le bas de toutes les valeurs consacrées.

Non pas que l’influence de la religion soit néfaste, mais pour une vie politique et institutionnelle plus saine et plus efficace, les libanais ne pourront pas faire l’économie d’une déconfessionnalisation. Car toute réforme entreprise, bien que se référant à l’intérêt national, comporte une base partisane ayant pour référence ultime une certaine appartenance : « assabyia ». D’où, par exemple, la démultiplication des ministères au lendemain de la guerre avec la mise en place de la deuxième République libanaise ; jusqu’à près de 30 ministères pour un pays qui ne compte pas plus de quatre millions d’administrés. A titre d’exemple, Walid Joumblat réclame en 1991 la création d’un « ministère de la Montagne », dont il escompte des bénéfices pour ses administrés druzes, comparables à ceux que a pu tirer du « ministère du sud » (crée en 1984) pour les chiites, et surtout pour son mouvement Amal.

60 C’est le sens de l’ouvrage collectif écrit par Pierre Lathuilière, Michel Barlow, Bernard Comte, Bernard Descouleurs et Marie-Françoise Tinel, intitulé Dieu est-il Laïque ?, publié par Desclée de Brouwer en 1998. Selon ces auteurs, la laïcité ne rend pas la foi muette mais invite le croyant à l’exprimer autrement. Elle le rend attentif à des approches de Dieu ou à des modalités de la vie en en Eglise qu’il ne soupçonnait pas. Ainsi, l’expérience de la pratique de la laïcité peut être vécue comme une chance. Chance de surprendre sa foi confrontée à une mise en œuvre concrète du respect de l’autre et du sens de la liberté de conscience ; chance de voir les questions sur l’existence réveillées, les proclamations de foi renouvelées, les modes de vie ecclésiaux positivement revisités. Mutation culturelle significative, la laïcité ne saurait se confondre à la neutralité. Et elle ne doit pas non plus conduire à une neutralisation de l’humanité face aux questions de son origine, ses choix éthiques, son devenir, son vivre ensemble.

Si certains ont pu affirmer que la religion était l’opium du peuple, dans le sens où elle sert à l’« endormir » et à l’éloigner des affaires de la Cité, on peut constater que la religion est au cœur même des affaires de la Cité au Liban. La fonction publique ainsi que la représentation nationale sont, à titre d’exemple, inféodées à la religion. L’essentiel de la construction institutionnelle libanaise découle du principe d’appartenance religieuse. Il convient de préciser cependant que ce n’est pas la religion en elle-même qui est en cause, mais le sentiment d’appartenance à telle ou telle communauté. Il serait même plus judicieux de parler d’obligation d’appartenance à telle ou telle communauté pour pouvoir prétendre à une quelconque existence institutionnelle.

3. Définition d’une problématique

A l’heure où nous assistons à une montée inquiétante du repli identitaire, et par voie de conséquence communautaire, un peu partout dans le monde et à la difficulté que rencontrent les pouvoirs publics à lutter contre ce fléau, qu’en est-il du Liban dont l’assise institutionnelle procède essentiellement du communautarisme ? Si des démocraties modernes comme la France61, jouissant de bases laïques solides, ont bien du mal à faire face aux revendications communautaristes, comment un petit pays comme le Liban où les forces communautaires occupent le premier rôle sur la scène politique peut-il lutter efficacement contre cette ingérence ?

La question qui se pose, dès lors, est celle de savoir quelle est la nature du régime politique prévu par la Constitution libanaise ? S’agit-il d’une démocratie selon ses propres termes ? Ou d’une théocratie, voir d’une « multi-théocratie »62 ?

Ne serait-il pas plus juste de parler de « démocratie communautaire » qui, malgré l’unité qu’elle prône63, porte en elle les germes de la division.

61 Le rapport de la « Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République » en date du 11 décembre 2003, présenté par le médiateur de la République, Monsieur Bernard STASI, illustre parfaitement cette crainte. 62 La qualification des institutions libanaises a donné lieu à de multiples interprétations, parmi lesquelles : démocratie consociative, fédéralisme personnel ou encore « collège unique » selon l’expression de Pierre Rondot, L’expérience du collège unique dans le système représentatif libanais, Revue française de science politique, année 1957, volume7, numéro1. Pierre Rondot y souligne en effet que parmi les procédés qui ont permis de faire face à la complexité de la société libanaise figure en toute première place l’institution du « collège unique ». 63 1er alinéa du Préambule de la Constitution libanaise : « Le Liban est une patrie souveraine, libre et indépendante, patrie définitive pour tous ses fils, unitaire dans son territoire, son peuple et ses institutions, à l’intérieur de ses frontières fixées dans cette Constitution et reconnues internationalement ».

Nous parlons de « démocratie communautaire » parce qu’en effet il s’agit bien d’une démocratie qui, en apparence, remplit toutes les conditions caractéristiques des démocraties modernes. Mais nous avons qualifié cette démocratie de communautaire car elle demeure tributaire d’un consensus communautaire précaire. L’appartenance confessionnelle reste la clef de voûte du fonctionnement de la démocratie « à la libanaise ».

L’équilibre d’un tel système est tellement fragile qu’il est devenu un contre-exemple pour les pays qui seront tentés de l’adopter. L’administration américaine en Irak n’a-t-elle pas cherché à éviter le risque de « libanisation »64 ? Choisir un système de consensus communautaire ne serait-il pas, en fin de compte, choisir la facilité à court terme au détriment de l’efficacité ? Ou s’agit-il, en fin de compte, de la seule architecture institutionnelle viable dans un contexte aussi complexe que celui du Liban ?

C’est du moins ce qui ressort de l’ouvrage d’Antoine Messara65. L'ouvrage, en langue arabe, constitue un fondement méthodologique et comparé pour l'étude des Pactes au Liban, en tant que catégorie d'édification nationale, et de l'édifice constitutionnel. L'ouvrage tente, dès l'introduction, d'épurer des approches qui nuisent à la compréhension rationnelle de l'édifice constitutionnel libanais. Antoine Messarra écrit : « Le modèle consensuel de gouvernement a été souvent perçu comme une entente inter-élite, alors qu'il s'agit d'une modalité composée d'application de la règle de majorité, laquelle est d'application universelle, mais avec des variantes multiples. Le nouvel article 65 de la Constitution libanaise, amendée le 21 septembre 1990 en vertu de l'Accord d'entente nationale du 5 novembre 1989, relève que les décisions en Conseil des ministres « sont prises par consensus… ». Le consensualisme est un mode de prise de décision et non une compromission inter-élite au sommet sans régulation et en infraction aux normes de l'Etat de droit.

64 Ce que, en définitive, elle n’a pas pu éviter. Depuis 1985, Le Robert définit ainsi le terme libanisation: «Phénomène par lequel un pays connaît une transformation qui le fait ressembler au Liban, où les différentes ethnies, religions, etc., s'affrontent violemment, causant une véritable guerre civile.» Autrement dit, la libanisation, c'est le processus de fragmentation d'un État. 65 al-Nathariyya -l-‘ama fî-l-nizâm al-dustûrî al-lubnanî (Théorie générale du système constitutionnel libanais), Beyrouth, Librairie Orientale, 2005.

L'auteur montre ainsi que la typologie consensuelle n'est pas un régime politique, mais une classification en droit constitutionnel comparé qui comporte de multiples aménagements institutionnels. Parmi ces variantes : l'adoption d'un fédéralisme géographique ou personnel ; la règle du quota de représentation, partielle, fermée ou ouverte, légale ou coutumière ; le recours à des cabinets de coalition sur des bases partisanes et non de sous-cultures ; l'institution d'un régime électoral et d'un découpage évitant l'exclusion des minorités ; l'institution d'une autonomie segmentaire pour certaines affaires (statut personnel, enseignement…), limitée ou plus large, avec des tentatives de conciliation entre droits individuels et droits collectifs…

L'auteur s’interroge enfin : « Quelle est la valeur des Constitutions et des lois si elles sont déconnectées de la philosophie qui les fondent ? Quelle est l'effectivité de l'éducation politique, que nous appelons nationale, à défaut d'une culture qui sert de référence à l'abri des remises en question conjoncturelles ? Le fondement d'une culture d'Indépendance nationale est, paradoxalement, un isolationnisme progressiste : isolationnisme dans le souci de protéger et d'immuniser al-mithâq (Pacte) qui, d'après le sens arabe, lie et engage ; et progressisme dans le rayonnement d'une gestion rationalisée de l'unité dans la diversité, d'un modèle normatif des rapports islamo-chrétiens et d'une arabité démocratique. Les Libanais atteignent l'âge politique adulte quand ils départagent dans leur culture politique entre ce qui revêt un haut niveau de constance, les éventails du changement et aussi les limites. »

Il faut enfin se poser la question de savoir si les libanais ont la maturité politique nécessaire pour se débarrasser de la mainmise des puissants groupes religieux sur la vie politique libanaise66 ? Cette question se complique, d’autant plus, lorsqu’on sait que la vie d’un libanais est jalonnée, bon gré mal gré, par la religion de sa naissance jusqu’à sa mort.

66 L’amer constat fait par Pierre Rondot la veille de la déclaration d’indépendance du Liban reste d’une déconcertante actualité. Ce dernier soulignait en effet que « L’état social des pays du Levant est encore primitif, l’acuité de certains conflits internes et en particulier l’inquiétude souvent justifiée des éléments

Dans un monde où le repli communautaire est devenu une menace quasi permanente au sein même des plus grandes puissances occidentales que l’on croyait préservées par une longue tradition de séparation entre le fait religieux et la sphère publique, l’exemple libanais peut être riche d’enseignements. Au Liban, en effet, le communautarisme est poussé jusqu’à son paroxysme. Il déborde de sa sphère privée pour s’accaparer la sphère publique à tous les niveaux. La démocratie libanaise a ceci d’atypique qu’elle associe deux concepts d’apparence incompatibles pour en faire la base même d’un système politique, ce qui, pour un juriste occidental, peut ressembler à une aberration.

Comment associer, en effet, la démocratie et le communautarisme ?

Ennemi mortel pour les démocraties occidentales, le communautarisme est une composante essentielle de la démocratie libanaise.

Notre sujet de recherche porte sur l’impact du confessionnalisme dans la vie politique et institutionnelle libanaise. Ceci conduit à s’interroger sur les implications du confessionnalisme et/ou du communautarisme dans le fonctionnement de la « démocratie » libanaise. Démocratie que nous avons qualifiée de communautaire car elle reste conditionnée par l’appartenance confessionnelle des citoyens libanais. Ainsi aucun libanais n’a d’existence légale en dehors de son appartenance à telle ou telle confession et, partant, en dehors de son appartenance à telle ou telle communauté. La représentation nationale même est soumise au préalable confessionnel.

minoritaires, l’étroitesse des élites politiques locales et plus encore des cadres techniques, justifiaient la répugnance de la plupart de nos représentants à favoriser une émancipation hâtive. I1 est juste que la plupart de nos Hauts-Commissaires (peut-être tous) ont parfaitement aperçu la nécessité de cette lente et fondamentale construction, et y ont apporté leurs soins ». Pierre Rondot, L’expérience du Mandat français en Syrie et au Liban (1918-1945), extrait de la revue générale de Droit International Public, 1948, n° 3-4, p. 14.

Les sièges au sein du Parlement sont en effet partagés « équitablement » entre communautés. Les plus hautes fonctions de l’Etat ainsi que les emplois dans la fonction publique le sont également. L’état civil est, de même, de la compétence exclusive des communautés confessionnelles qui disposent à cet égard de compétences propres qui sont à la fois judiciaires et juridictionnelles. Les services de l’Etat ne disposant que d’un rôle d’enregistrement et de centralisation. Un libanais est dès lors conditionné par son appartenance confessionnelle du berceau au caveau.

Et pourtant le Liban reste une démocratie qui s’accommode tant bien que mal du fait religieux. Mais pour l’assainissement de la vie publique et pour la modernisation des institutions libanaises la réflexion sur une éventuelle déconfessionnalisation est devenue une nécessité. C’est d’ailleurs devenu un « objectif national »67 à atteindre selon les termes mêmes de la Constitution libanaise. Mais qu’en est-il de cette déclaration d’intention ? Est-elle applicable ? Est-elle souhaitable ?

Pour l’heure, l’appartenance confessionnelle reste déterminante à tous les étages du pouvoir. Il n’y a aucune sphère du pouvoir qui échappe à l’emprise confessionnelle. Au sein même de l’exécutif, la présidence de la République est confiée à un chrétien maronite, la présidence du conseil des ministres à un musulman sunnite et la répartition des portefeuilles ministériels est faite sur la base de l’appartenance confessionnelle. Le législatif n’échappe pas à la règle. La chambre des députés est présidée par un musulman sunnite et sa composition obéit à la sacro- sainte répartition confessionnelle des sièges. Quant au pouvoir judiciaire, la présence confessionnelle y est incontournable du fait que les tribunaux religieux ont compétence exclusive pour tout ce qui relève du statut personnel (mariage, divorce et dans une certaine mesure filiation, successions etc.). La composition même des tribunaux civils obéit à la règle de la répartition confessionnelle. Pour preuve, le Conseil constitutionnel, de création récente, n’a pu y échapper.

67 Alinéa H du préambule de la Constitution libanaise : « La suppression du confessionnalisme politique constitue un but national essentiel … ».

L’intérêt que peut présenter le régime politique du Liban dans la perspective du droit constitutionnel comparé se situe autour de trois questions principales : celle de l’impact du fait communautaire, en tant que donnée humaine et culturelle de base et structure portante de la société libanaise, sur la vie publique du pays, à travers l’insertion des communautés dans l’organisation du pouvoir politique et dans l’ordonnancement juridique de l’Etat ; celle de la nature véritable d’un régime à beaucoup d’égards sui generis, rentrant malaisément dans les catégories constitutionnelles classiques et dans les rubriques de la typologie politique, en raison de l’équation institutionnelle hybride sur laquelle il repose et qui rend difficile la détermination de son statut sur la base des critères distinctifs généralement retenus pour la définition et la classification des régimes politiques ; celle, enfin, de ses chances de viabilité, de sa capacité à surmonter ses infirmités structurelles et ses déficiences fonctionnelles graves et à maîtriser, en même temps, les turbulences et les contrecoups du contexte politique, idéologique et religieux qui cerne et conditionne les destinées de l’Etat libanais68.

Le sujet de notre recherche est d’une grande richesse, ce qui exige une démarche pluridisciplinaire. Il se trouve en effet au carrefour de trois disciplines ; à savoir le droit constitutionnel, le droit comparé et la science politique.

La complexité des institutions libanaises est telle qu’il nous était impossible d’y apporter l’éclairage nécessaire à partir des seules ressources scientifiques disponibles en France. Raison pour laquelle nous avons effectué une démarche empirique sur le terrain tout au long de l’année 2002.

68 Pour une analyse plus approfondie sur la question, consulter Jean Salem, Religion et constitutionnalisme au Liban, un ordonnancement sous hypothèque, lors d’un colloque qui s’est tenu en mai 2000 à l’Université Saint Joseph de Beyrouth sous le thème Droit et Religion.

Mise à part l’importante documentation à laquelle nous avons pu accéder, notre voyage a été marqué par des rencontres d’une grande importance69. Ces rencontres ont contribué à enrichir notre réflexion en nous permettant de nous affranchir des idées préconçues.

Mais on ne saurait être complet sans souligner qu’au consensus interconfessionnel vient se greffer un régime dont la principale caractéristique est le césarisme démocratique70. La lecture simple du texte de la Constitution libanaise ne peut, à elle seule, permettre de qualifier le régime politique. Paré de son vêtement démocratique, le régime politique libanais n’a rien à envier à certaines dictatures ; liberté d’opinion bafouée71, presse muselée, persécution des opposants72, etc73.

69 Avec, entre autres, Monsieur Emile Bejjani, membre du Conseil constitutionnel libanais et Monsieur Antoine Khair, Professeur de droit à l’Université Saint joseph, Président de Chambre au Conseil d’Etat libanais et ancien membre du Conseil constitutionnel libanais.

70 Il est à noter qu’au Liban la violence reste un moyen d’expression politique. Cette violence politique n’est pas toujours le fait de l’Etat ou de ses représentants. Elle peut aussi être le fait d’organisations ou de milices locales ayant des ramifications hors du territoire libanais. 71 Fermeture définitive de la Chaîne de télévision MTV en Octobre 2002, pour « délit d’opinion ». 72 Arrestation de 150 militants de l’opposition le 7 août 2001. Ces militants avaient scandé des slogans hostiles à la présence syrienne au Liban ; ils avaient en effet revendiqué : « liberté, souveraineté et indépendance » et ce, lors de la visité qualifiée d’historique du Patriarche maronite dans la région du Chouf pour y rencontrer Monsieur Walid Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste (PSP). Voir le Journal libanais en langue française, « L’Orient le Jour », du mercredi 8 août 2001. 73 Bien que depuis le départ des troupes syriennes du Liban en 2005 on constate une nette diminution de la répression politique, des violations graves des droits de l’homme se perpétuent. Au fil des ans, Amnesty International a recensé de nombreux cas de torture et autres formes de mauvais traitements dans des centres de détention libanais, en particulier pendant la phase précédant le procès, ces actes visant alors à obtenir des «aveux». À ce jour, l’organisation estime que les autorités n’ont pas mis en place les garanties permettant de protéger les détenus contre les actes de torture et les mauvais traitements. Bien que l’article 401 du Code pénal libanais interdise le recours à la torture et prévoie des sanctions contre les représentants de l'État reconnus coupables de torture ou d'autres formes de mauvais traitements, Amnesty International s’inquiète de la persistance de ces pratiques et de l’absence d’enquêtes menées sur celles-ci. L’organisation s’est à maintes reprises dite préoccupée par la justice militaire du Liban. En effet, les procès se déroulant devant des tribunaux militaires sont loin de satisfaire aux normes internationales d’équité. Ces instances se sont notamment vu attribuer une très large compétence pour juger des civils, au mépris de la législation libanaise ; elles ne détaillent pas les motifs de leurs décisions, et pratiquent une justice expéditive portant atteinte aux droits de la défense. De plus, la plupart des juges siégeant dans les tribunaux militaires sont des officiers de l’armée ne disposant pas d’une formation suffisante en droit. Enfin, les procédures des tribunaux militaires ne sont pas soumises au contrôle d'une autorité judiciaire indépendante, contrairement à l’une des règles les plus élémentaires en matière d’équité. Par ailleurs, le 5 octobre 2006, La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, ont exprimé leur vive préoccupation face au cambriolage des bureaux de l’ONG « Soutien aux Libanais détenus arbitrairement » (SOLIDA), une organisation engagée dans la lutte contre la torture et en faveur du respect des droits de l’Homme. Ainsi, dans la nuit du 4 au

Ce système, un peu atypique, que nous avons qualifié de démocratie communautaire suppose une reconnaissance légale des différentes confessions (Première Partie) ainsi que le prolongement institutionnel d’une telle reconnaissance (Deuxième Partie), avec toutes les conséquences que cela implique tant au niveau de l’organisation des institutions qu’au niveau du fonctionnement politique d’une telle démocratie. Enfin, Comme la nouvelle Constitution libanaise affiche son but de vouloir supprimer le confessionnalisme politique, il sera question de la perspective d’une déconfessionnalisation (Troisième Partie).

5 octobre 2006, le matériel informatique de SOLIDA, contenant des informations importantes, ainsi que de nombreux documents de travail ont été dérobés au siège de l’organisation, à Beyrouth. Ce cambriolage s’est déroulé à la veille d’une conférence de presse à l’occasion de la parution d’un rapport sur les exactions commises par les services de renseignements de l’armée, au sein même du ministère de la Défense, lors des interrogatoires. Ce rapport, intitulé : « le Centre du détention du ministère de la Défense : un obstacle majeur à la prévention de la torture », fait état de l’impunité dont jouissent les auteurs d’actes de violence ou de torture, et trace un bilan dramatique concernant les violations commises ces 14 dernières années dans ce que SOLIDA appelle la "prison sous-sol".

Première Partie La reconnaissance légale des différentes confessions

« Il n’y a rien de plus bassement pratique que la religion ». Jules Renard, Journal.

Pour bien cerner le fonctionnement des institutions libanaises, un observateur avisé doit prendre en ligne de compte plusieurs paramètres à la fois externes et internes. Pour un néophyte, cela relève donc de la gageure. L’analyse des allégeances communautaires ne permet pas, à elle seule, de donner une image fidèle et complète du panorama institutionnel libanais.

La délégation de la Commission des lois du Sénat français a pu, tout au long de son déplacement au Liban, en 1996-1997, « mesurer la très grande complexité de la situation politique du Liban qui apparaît comme un pays indéchiffrable, impénétrable, voire énigmatique ». Et la délégation de conclure que le « Liban est un Etat en butte à la toute puissance des groupes ethniques ou religieux sensibles aux influences extérieures, un Etat qui repose sur un fragile équilibre islamo-chrétien »74.

Il est frappant de constater en effet que le débat politique est biaisé par l’omniprésence du sentiment d’appartenance communautaire. Un sentiment de défiance générale s’est progressivement substitué au sentiment de confiance mutuelle.

74 Rapport 111 – 1996/1997 de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français intitulé « Quel avenir pour le Liban ? », composée de MM. Jacques Larché, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Michel Rufin et Jacques Mahéas.

Dans un pays qui n’excède pas 10452 Km², dix huit communautés légalement reconnues coexistent75. Chacune revendique une représentativité proportionnelle au nombre de citoyens qui la composent. Ceci est rendu possible car chaque libanais est tenu d’adhérer à une communauté, qu’elle soit celle de sa naissance ou de son choix76.

Le choix étant, bien entendu, limité aux dix huit communautés légalement reconnues. La pratique d’autres cultes n’est certes pas interdite mais elle n’entraîne pas pour autant la reconnaissance et la protection auxquelles la Constitution fait référence dans son article 9.

La reconnaissance légale des différentes confessions sous-entend que chaque communauté se réfère à un statut juridique qui lui est propre ce qui, par la même occasion, suppose que des prérogatives spécifiques lui sont accordées.

75 15 communautés sont organisées par des lois et décrets : loi du 2 avril 1951 pour les chrétiens et israélites ; décret-loi n° 18 du 13 janvier 1955, modifié par la décision du 5 mars 1967, pour les sunnites ; loi n° 72/67 du 19 décembre 1967 pour les chiites ; deux lois du 13 juillet 1962 pour les druzes. Les deux communautés restantes ne sont pas légalement organisées en raison de leur faible importance ; il s’agit des Ismaéliens et des Alaouites. 76 Le rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en date du 10 juin 1997 souligne qu’il existe deux formes de confessionnalisme au Liban : le confessionnalisme concernant le « statut personnel » et le « confessionnalisme politique ». Bien qu’il soit loisible, conclut-il, en principe, « à chacun d’adhérer à la confession qu’il juge conforme à ses convictions religieuses, l’appartenance à une communauté se fait, dans la majorité écrasante des situations, par la naissance dans une famille inscrite au registre de l’état civil comme étant de telle ou telle confession. La célébration de mariage devant telle ou telle autorité religieuse, entraînant la soumission du régime matrimonial à sa loi, n’implique pas nécessairement une foi dans la religion en question ou la pratique quotidienne de son culte. Il en est de même de la participation à la vie politique ou de l’accès à la fonction publique ».

Titre Premier – Un statut juridique pour chaque communauté

En proclamant que la liberté de conscience est absolue et que l’Etat respecte toute les confessions et en garantit et protège le libre exercice ainsi qu’il garantit aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux, l’article 9 de la Constitution libanaise ne se limite pas à souligner le respect de toutes les croyances comme le fait l’article premier de la Constitution française. Cette dernière est l’héritière de la loi du 9 décembre 1905, portant séparation des Eglises et de l’Etat, qui affirme dans son article premier que « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées (…) dans l’intérêt de l’ordre public ».

Le Liban qui ne connaît ni séparation entre Eglises et Etat ni aucune forme de laïcité génère un pluralisme législatif assorti d’un pluralisme juridictionnel. En effet, le Liban reconnaissant légalement 18 communautés, donne le droit à chacune de ces communautés de trancher les litiges en matière de statut personnel selon ses propres lois et devant ses propres juridictions. Selon Bahige TABBARA 77 , ancien ministre libanais de la justice, s’interrogeant sur la fonction législative des religions au Liban ; « il s’agit, écrit-il, dans certaines matières, d’une véritable délégation de souveraineté législative au profit des organes compétents de la communauté religieuse concernée ».

Les organes religieux représentatifs de l’une des 18 communautés légalement reconnues jouissent donc d’une délégation de pouvoirs très étendue pour tout ce qui concerne le statut

77 Colloque du Centre d’Etudes et de Recherche du Monde Arabe, CEDEROMA de Beyrouth, « Droit et Religion », mai 2000.

personnel au sens le plus large, avec une exception cependant : le respect de l’ordre public. Il ne s’agirait donc pas d’un blanc-seing octroyé aux autorités religieuses au détriment de l’unité nationale et, partant de l’ordre public. Bien au contraire, dans un pays multiconfessionnel, la démultiplication des législations et des juridictions contribuerait au maintien de l’ordre public et à la consolidation de l’unité nationale.

Dans une étude du Conseil constitutionnel libanais 78, en date du 18 décembre 2002, les congressistes, membres du Conseil, affirment que « le Liban est un pays unitaire dans son territoire, multiconfessionnel dans les composantes de sa population, sa politique et son gouvernement devant toujours tenir compte d’un certain équilibre, salutaire pour sa paix et sa durée ».

Certains auteurs estiment même que ce serait une erreur d’envisager la suppression du confessionnalisme car, associé à la notion de démocratie consociative, il constitue un modèle susceptible de remplacer favorablement, dans toutes les sociétés multiconfessionnelles la démocratie compétitive, où le gouvernement du plus grand nombre peut porter atteinte aux droits des autres groupes. Pour ces auteurs79, les libanais ne doivent éprouver aucune honte en pensant que leur système est archaïque, car il n’y a aucun mal à ce qu’il y ait des groupes sociaux intermédiaires entre le citoyen et l’Etat. La communauté religieuse serait semblable au syndicat, à l’ordre professionnel ou à la collectivité territoriale. Il s’agirait en quelque sorte d’un « fédéralisme personnel ». Ce qui rejoint, par ailleurs, l’avis du Conseil constitutionnel libanais, exprimé lors du Congrès d’Ottawa, qui précise que la Constitution libanaise, unitaire

78 Lors d’un Congrès à Ottawa sur « la fraternité ». 79 C’est le cas du politologue Antoine MESSARA, Théorie générale du système politique libanais, essai comparé sur les fondements et les perspectives d’évolution d’un système consensuel de gouvernement, 1994, Cariscript, Beyrouth, Librairie Orientale, p. 406. Par ailleurs, cet auteur a su trouver d’autres vertus au système communautariste libanais dans d’autres écrits : Le modèle politique libanais et sa survie, essai sur la classification et l’aménagement d’un système consociatif, Publications de l’Université libanaise, VII, 1983 ; La religion dans une pédagogie interculturelle, essai comparé sur le concept de laïcité en éducation et son application aux sociétés multicommunautaires, Francfort, Deutsches Institut für Internationale Pädagogische Forschung, 1988. C’est également le cas de Theodor Hanf, Coexistence in wartime Lebanon, Decline of a State and rise of a Nation, Londres, I.B. Tauris, 1993.

au niveau du territoire, est fédérale au niveau des confessions religieuses composant le peuple libanais.

Pour cette raison et pour tant d’autres, que nous exposerons dans la deuxième partie de cette recherche, les populations des différentes communautés restent soumises, du moins pour ce qui concerne leur statut personnel, à leurs chefs religieux représentatifs, à l’écart et avec l’assentiment, voire même la soumission, des pouvoirs publics.

Il est très difficile de remettre en cause la toute puissance des groupes religieux. Il est vrai qu’ils tirent cette puissance d’une longue histoire qui n’a fait que conforter leur influence et leur légitimité au sein de la population. Sans remonter jusqu’au premières heures du christianisme en Orient où les querelles théologiques (auxquelles se mêlaient le plus souvent des considérations politiques), notamment christologiques ont donné lieu à des évènement sanglants et ont divisé les chrétiens d’Orient, l’arrivée de l’Islam en Syrie et en Palestine en 636 n’a pas mis fin à l’existence des communautés chrétiennes dans la région. Il leur a simplement assigné un statut spécifique, en raison de l’enseignement du Coran qui exige la tolérance envers les « gens du Livre ». Même si cette exigence a souvent été mise à mal, notamment par les Mamelouks, les communautés chrétiennes et juives, qui ne pouvaient pas faire partie de la Oumma80, étaient néanmoins reconnues en tant que sociétés indépendantes, ayant chacune sa propre organisation religieuse, sociale et juridictionnelle. Leurs membres constituaient les Dhimmis81, soumis à une taxe spéciale ; la Jizya. Ce statut servit à préserver leur identité82.

Sous l’Empire ottoman, le Sultan accorde son assentiment à l’élection des patriarches ou des grands rabbins par un Firman83 qui leur donne l’autorité de gouverner chacun sa Millat 84. La

80 Communauté des fidèles constituant la nation islamique. 81 Personnes sous protection ou sous tutelle. 82 J.-M. Billioud, Histoire des chrétiens d’Orient, l’Harmattan, Paris 1995, p.107 et suiv. 83 Autorisation officielle.

protection des chrétiens, et plus particulièrement celle des uniates, c’est-à-dire ceux qui se sont unis à l’autorité de Rome, était renforcée par le régime des capitulations, établi par une série de traités successifs avec le Sultan, inaugurée par François 1er et Suleiman le Magnifique. Ce régime concernait à l’origine les seuls ressortissants catholiques d’Europe, mais s’est étendu progressivement aux membres des Eglises unies à Rome.

Par la suite, toutes les minorités de l’Empire Ottoman ont vu leurs libertés consacrées par les Tanzimats, premières dispositions constitutionnelles, établies sous la pression des puissances occidentales85.

Au Liban, les conflits sanglants qui ont commencé en 1840 entre chrétiens et druzes ont conduit à une nouvelle organisation : le Mont Liban fut divisé en deux circonscriptions. Celle du Nord, à majorité chrétienne, et celle du Sud, à majorité druze, chacune étant administrée par un Kaïmmakam86 de la confession majoritaire. Les heurts s’étant renouvelés, on établit sous le contrôle des puissances européennes concernées par ce qu’on a appelé la question d’Orient le système dit de moutasarrifiat : le Mont Liban était administré par un gouverneur Moutasarref, ressortissant ottoman étranger au Mont Liban, mais de religion chrétienne. Celui-ci était entouré d’un Conseil administratif de douze membres représentant les différentes communautés87. Cette nouvelle organisation privait le Liban d’une partie de son territoire rattachée à la province syrienne de l’Empire ottoman. Territoire que le Liban recouvre le 1er septembre 1920 quand le haut-commissaire français proclame l’Etat du Grand Liban.

Vient ensuite la « Déclaration du Mandat », adoptée le 24 juillet 1922 par le Conseil de la Société des Nation (S.D.N.) en vertu de l’article 22 du Pacte de la S.D.N., qui imposait à la

84 Communauté. 85 Edmond Rabbath, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, essai de synthèse, Beyrouth 1973, p. 69 et suiv. 86 Sorte de préfet. 87 D. Ammoun, Histoire du Liban contemporain, 1860-1943, éditions Fayard, Paris 1997, p. 208.

France, puissance mandataire, l’élaboration, dans un délai de trois ans, d’un statut organique pour le Liban. La puissance mandataire devait, entre autres, respecter les obligations suivantes :

- Instituer « un système judiciaire assurant, tant aux indigènes qu’aux étrangers, la garantie complète de leurs droits », étant entendu que « le respect du statut personnel des diverses populations et de leurs intérêts religieux sera entièrement garanti »88 ;

- S’abstenir de porter atteinte aux droits des communautés, (…) conserver leurs écoles en vue de l’instruction et de l’éducation de leurs membres89 ;

- S’abstenir de « toute intervention (…) dans la direction des communautés religieuses (…) dont les immunités sont expressément garanties »90.

La « Commission législative » mise en place en 1920 par la Puissance mandataire en vertu de la Déclaration du Mandat était composée de membres désignés en fonction de leur appartenance aux différentes communautés ou confessions. De même, le « Conseil représentatif », créé en 1922 et qui a adopté la Constitution de 1926, était formée de représentants élus sur la base de la répartition des sièges entre les communautés.

L’arrêté N° 60/LR du haut-commissaire de France au Liban, daté du 13 mars 1936, consacre le statut des communautés religieuses dites historiques et désigne dans un tableau annexe ces communautés91.

88 Article 6 de la Déclaration du Mandat. 89 Article 8, al.3 de la Déclaration du Mandat. 90 Article 9 de la Déclaration du Mandat. 91 Il s’agit pour les Communautés chrétiennes : Patriarcat maronite, Patriarcat grec orthodoxe, Patriarcat grecque catholique melkite, Patriarcat arménien grégorien (orthodoxe), Patriarcat arménien catholique, Patriarcat syriaque orthodoxe (jacobite), Patriarcat syriaque catholique, Communauté orientale assyrienne orthodoxe, Patriarcat Chaldéen, Eglise latine et Eglise copte orthodoxe. Pour les Communautés musulmanes : Communauté sunnite, Communauté chiite (jaafarite), Communauté alaouite, Communauté ismaélite et Communauté druze. Vient enfin la Communauté israélite.

Cet arrêté avait été précédé par deux tentatives de l’autorité mandataire en vue de limiter les immunités et privilèges dont jouissent les communautés. C’est ainsi que le Général Weygand avait tenté en 1924 d’établir une loi commune de statut personnel. Puis en 1926, le Haut- commissaire Henry de Jouvenel avait esquissé une réforme en confiant aux tribunaux civils le soin de juger les litiges en matière de statut personnel et en réduisant la compétence des juridictions confessionnelles, y compris les tribunaux chari’, aux seules affaires du mariage. Edmond Rabbath 92 rapporte que cette réforme devait être suivie par l’élaboration d’une législation civile de statut personnel et l’institution du mariage civil. Devant les violentes protestations de toutes les communautés, le Haut-commissaire se trouva obligé de rapporter son projet.

Dans l’esprit de son auteur, l’arrêté n° 60/36, complété et modifié en 1938 par l’arrêté n° 146/38, devait constituer la loi organique régissant l’existence et le fonctionnement de toutes les communautés, sans exception. Ces deux arrêtés, outre qu’ils rendaient effectif le principe d’égalité entre les communautés, affirmaient la liberté absolue de conscience ainsi que la liberté de conversion dans les deux sens93.

Les protestations des Ulémas de Damas, ainsi que du Mufti de Beyrouth ne se firent pas attendre. Les masses musulmanes manifestèrent leur opposition avec une violence telle que Gabriel Puaux, succédant au Comte de Martel, ne trouva d’autre issue à la crise que d’écarter les musulmans de l’effet exécutoire des deux arrêtés, lesquels, d’après l’Arrêté n° 53 du 30 mars 1939 « sont et demeurent sans application à l’égard des musulmans ».

Du coup, le champ d’application des arrêtés n°60/36 et n°146/38 s’est trouvé restreint aux seules communautés chrétienne et israélite auxquelles lesdits arrêtés reconnaissent la

92 Op.cit. 93 L’article 11 de l’arrêté n° 60/36 disposait : « quiconque a atteint sa majorité et jouit de son libre arbitre peut, avec effet civil, sortir d’une communauté à statut personnel reconnue ou y entrer et obtenir la rectification des inscriptions le concernant au registre de l’état-civil ».

personnalité morale et en consacrent l’autonomie en matière de statut personnel dans les deux domaines législatif et juridictionnel, ainsi que dans la gestion de leurs biens communautaires.

Vinrent ensuite plusieurs lois consacrées aux différentes communautés formant une mosaïque législative et juridictionnelle pour le moins insolite. Chaque communauté jouit en effet d’une délégation législative pour ce qui concerne son statut personnel et possède ses propres tribunaux religieux seuls compétents pour connaître des conflits entre coreligionnaires.

Il n’existe pas au Liban un code unifié du droit de la famille, le pluralisme législatif est l’un des aspects du pluralisme communautaire. Nous devons à deux licenciés en droit la codification et la traduction des textes juridiques en vigueur concernant le statut personnel au Liban. Il s’agit de Maher Mahmassani et de Ibtissam Messara94 qui ont rassemblé et traduit les textes en vigueur sous le contrôle et la direction de Béchir Bilani95 et de André Decocq96.

On peut classer les textes applicables en matière de statut personnel en trois catégories ; les textes applicables à tous les libanais (Chapitre premier), ceux applicables aux musulmans (Chapitre second) et, enfin, ceux applicables aux non-musulmans (troisième Chapitre).

Chapitre premier- Les textes applicables à tous les libanais

Il faut préciser, de prime abord, que ces textes n’affectent en rien les prérogatives attribuées aux différentes communautés. Tout au plus servent-ils à organiser et à encadrer

94 Maher Mahmassani et Ibtissam Messara, Statut Personnel, Textes en vigueur au Liban, Faculté de Droit et de Sciences Economiques, Beyrouth, Liban, 1970. 95 Conseiller d’Etat, chargé du cours du statut personnel à la faculté de droit de l’Université libanaise et à la faculté de droit de Beyrouth. 96 Professeur de droit à la faculté de droit de Lyon et à la faculté de droit de Beyrouth.

administrativement l’évolution de chaque communauté, à l’exception de la Majallah ottomane, texte qui traite de l’interdiction, consacré aux déficients mentaux.

Section I- Décret n° 8837 du 15 janvier 1932

Il s’agit d’un décret fixant les attributions des agents et des commissions du recensement. Pour comprendre cette norme il faut se rappeler qu’à l’époque le Liban était sous protectorat français. La France voulait effectuer un recensement précis de la population libanaise. Les recensements qui avaient eu lieu à l’époque ottomane dataient en effet de 1902 et de 1911. Et le rapport qui fut adressé à la Société des Nations en 1927, sous la référence C7 N4175 D2, n’était pas spécifique au Liban. Il concernait également l’Etat de Syrie, l’Etat des Alaouites ainsi que l’Etat du djebel druze. Ce rapport qui quantifiait déjà les populations selon leurs appartenances religieuses avait dénombré pour l’Etat du Grand Liban 597 787 habitants, toutes confessions confondues.

Le recensement de 1932, subséquent à ce décret n° 8837, reste le plus précis. Il est toutefois consigné à la Direction générale du recensement et de l’état civil. Il est à la base de tous les chiffres connus à l’heure actuelle. Selon le Recueil de statistiques libanaises de 1963, ce recensement a évalué la population libanaise à 861 399 habitants.

Section II- Loi du 7 décembre 1951

Cette loi est relative à la réglementation et à l’enregistrement des actes de l’état-civil. Elle fut modifiée par la loi du 11 mars 1954 et par la loi du 18 décembre 1956.

Cette loi vise essentiellement l’enregistrement au registre de l’état-civil des actes de naissance, des actes de mariage, de dissolution et de nullité de mariage ainsi que des actes de décès. Cette loi pose également les modalités de changement de domicile et de rite ou de religion.

Section III- Majallah Ottomane97

Il s’agit d’une survivance de l’époque ottomane. Elle traite de l’interdiction, à comprendre mise sous tutelle ou curatelle. Elle vise essentiellement le mineur, l’aliéné, l’imbécile et le prodigue et elle en donne une définition. A titre d’exemple, l’article 978 dispose que « l’imbécile est assimilé en droit au mineur capable de discernement » alors que « l’aliéné, ainsi que le prévoit l’article 979, est assimilé en droit au mineur dépourvu de discernement ».

Chapitre second- Textes applicables aux musulmans

Il s’agit à la fois de textes de source étatique et de textes d’inspiration musulmane. Ils concernent les communautés musulmanes sunnite, chi’ite et druze.

Section I- Les textes étatiques

Ces textes ciblent d’une part les communautés sunnites et chiites et, d’autre part, la communauté druze. L’histoire de chaque communauté et le contexte institutionnel libanais,

97 Magallat al-ahkam al-adliyyah, élaboré entre 1869 et 1876. Il s'agit d'une sorte de Code civil, qui a cependant omis les questions relatives au statut personnel codifiées seulement en 1917. Voir aussi sur ce sujet George Young, Traduction du Corps de droit ottoman, Vol. VI, pp. 305 et suivant, Oxford 1906.

favorable à l’épanouissement des particularismes confessionnels, ne sont pas étrangers à ce pluralisme législatif et juridictionnel.

§ -1- Communautés sunnites et chiites

Ces deux communautés sont concernées, au même titre, par la Loi du 16 juillet 1962 et par le Code de la famille du 25 octobre 1917.

La loi du 16 juillet 1962, portant adoption du projet relatif à l’organisation des juridictions char’is, sunnites et ja’afarites traite de tout ce qui est relatif au pouvoir des juges char’i et des procédures devant être respectées pour l’accomplissement de leur tâche. A titre d’exemple, l’article 242 dispose que « le juge sunnite statue conformément aux leçons les plus reçues du rite de Abou Hanifa… Le juge ja’afarite98 statue conformément à la doctrine ja’afarite… ».

Cette loi traite, par ailleurs, de la procédure de conciliation dans les actions en divorce, de l’acte de mariage, de la liquidation des successions et de la gestion des biens des incapables ainsi que de leur exploitation.

La référence faite, à l’article 242, au rite de Abou Hanifa pour les sunnites et à la doctrine ja’afarite pour les chi’ites peut sembler quelque peu incompréhensible, mais elle est la conséquence directe du schisme qui a touché l’Islam après la mort de Al-Hussein à Karbala (en Irak), en 680.

98 A comprendre le juge chi’ite.

Le droit religieux de l’Islam sunnite s’exprime à travers quatre écoles ou rites différents : « chaféite », « hanbalite », « hanéfite » et « malékite », toutes considérées comme égales. Mais c’est l’école hanéfite qui l’emporte au Liban. Le directeur spirituel de la Communauté est le Mufti de la République élu à vie et dont le rôle est de contrôler l’application de la loi religieuse et de gérer les biens communautaires. Il est secondé, pour ce faire, par un Conseil juridique supérieur. La résidence et l’ensemble des services placés sous l’autorité du Mufti constituent Dar al-fatwa.

Le Chiisme, quant à lui, se définit d’un point de vue historique : il est constitué des partisans de Ali (quatrième Calife après Abou-Bakr, Omar et Othman). Ali, gendre du prophète, avait revendiqué la succession du prophète pour lui et pour ses descendants mâles. L’assassinat de son fils Al-Hussein à Karbala marqua la rupture entre sunnisme et chi’isme. Ce drame est commémoré annuellement par la fête de l’Achoura. En ce qui concerne l’application du droit religieux, ils suivent l’école juridique créée par le cinquième Imam Jaafar99. La communauté

99 Notons ici une particularité de cette doctrine : celle concernant le mariage de « plaisir » ou « temporaire ». L'argument le plus décisif en sa faveur est le verset "A1-Nissa’" (les Femmes), sourate 24: « Puis, de même que vous jouissez d'elles, donnez-leur leur salaire, comme une chose due ». Le mariage de plaisir (zawaj al-moutaa) que les ulémas désignent par le mariage temporaire (zawaj mouakat). Peut-être pour atténuer le sens sensuel du terme ou parce que cette union est un contrat limité dans le temps. Bien que ce genre de mariage est pratiqué dans certains pays à majorité sunnite, sous l’appellation de « zawaj ourfi », les dignitaires sunnites le condamnent, soulignant que cette union a été interdite par le calife Omar. Pas les chiites, qui reconnaissent historiquement que ce mariage a été initialement prévu pour aider les soldats de l’islam, qui partaient en campagne, à supporter l’éloignement… Dans leurs arguments, les ulémas chiites indiquent que le prophète lui- même a permis le mariage temporaire ; aucun homme, qu’il soit calife ou non, ne peut donc l’interdire. En quoi consiste ce mariage temporaire ? Il suffit d’être deux – un homme et une femme bien sûr – et que la femme dise à l’homme : « Je me donne à toi en mariage pour une dot X et pour une durée X. » L’homme répondra par : « J’accepte le mariage. » L’homme paie la dot qu’il doit à sa compagne et le mariage peut être tout de suite consommé. Le cheikh chiite Hussein el-Khechen, professeur à l’Institut islamique charié, indique à L’Orient-Le Jour (Patricia Khoder, avril 2004) que « le montant de la dot peut être symbolique, un crayon ou un briquet, et la durée est d’un minimum d’un mois ». Cette union se passe d’un lieu de vie commun ou de la reconnaissance de la société. Ainsi, on peut se marier de manière temporaire sans jamais présenter son conjoint à sa famille et ses amis, sans jamais en parler… Ce mariage qui n’a pas besoin de témoins, d’un quelconque acte écrit ou encore d’une déclaration auprès du tribunal charié, est bien différent du contrat de mariage permanent chez les musulmans, régi par d’autres lois. D’ailleurs, c’est le seul mariage au monde qui s’achève sans annulation, divorce ou décès du conjoint. Comme c’est un mariage temporaire, le contrat se termine à l’expiration de la durée convenue entre l’homme et la femme. Et s’ils désirent rester ensemble à la fin de cette période déterminée ? « Ils n’ont qu’à renouveler le contrat pour une autre durée limitée dans le temps et une autre dot », relève cheikh el-Khechen, notant que « certains mariages temporaires ont marqué le début d’une véritable histoire d’amour ». « Que d’hommes ont décidé de prendre pour épouse permanente une femme qu’ils avaient choisi comme compagne temporaire ! » lance-t-il. Dans l’islam, un homme qui divorce de sa femme ne peut pas la réépouser, sauf si elle se marie – durant un certain temps – avec un autre. En d’autres termes, elle ne peut pas revenir à son époux – si le couple décide de se réconcilier – sans avoir contracté un autre mariage, qui doit être

consommé avec un autre homme. Cheikh el-Khechen explique dans ce cadre que « de telles mesures sont en vigueur, dans le cadre du mariage permanent, afin de décourager au maximum les couples qui envisagent le divorce ». Au contraire, dans le mariage temporaire, les deux partenaires peuvent tout de suite renouveler le contrat quand sa durée s’achève. Il n’est nul besoin donc que la femme épouse un autre homme pour qu’elle puisse vivre à nouveau avec son partenaire. Citons également d’autres lois qui régissent le mariage de plaisir et qui sont différentes de celles du mariage permanent. Le mariage temporaire n’obéit pas aux lois de l’héritage dans l’islam. Ainsi, l’épouse temporaire n’hérite pas de son mari si ce dernier décède, et vice versa. D’autre part, rappelons que, selon le Coran, un musulman a le droit de prendre quatre femmes, simultanément, pour épouses. Pas dans le cadre du mariage de plaisir, où il peut contracter des unions simultanées avec autant de femmes qu’il le désire. La femme, elle, devrait se contenter dans le mariage temporaire, comme dans le mariage permanent, d’un seul partenaire. Que fait-on en cas d’une naissance ? Cheikh el-Khechen est catégorique : « Un homme devrait reconnaître sa descendance et l’enfant (que l’on appelle communément ibn ou bint moutaa, fils ou fille de plaisir) doit être enregistré au nom de son père. » Mais parfois la réalité n’est pas tout à fait à l’image des principes que l’on défend. En effet, comme le mariage temporaire n’est pas enregistré auprès du tribunal charié et qu’il se passe normalement d’acte écrit, le contrat étant uniquement oral, il est bien difficile pour une femme de prouver la paternité de son époux temporaire. « En cas de litige donc, elle se présente au tribunal charié pour raconter son histoire, et les responsables religieux œuvrent afin de prouver la paternité de l’homme concerné », relève cheikh el-Kechen, soulignant que « cela se fait par le biais d’une enquête, où l’on demande au père présumé s’il a effectivement pris une épouse temporaire ». Et s’il nie en bloc la vérité et que le tribunal ne possède aucune preuve tangible, ça sera la parole de la femme contre celle de l’homme… Qui croire en ce cas ? « La loi ne protège pas les gens stupides », indique simplement Cheikh el-Khechen, qui souligne l’importance de faire valider le mariage de plaisir, en accord avec le conjoint auprès d’un tribunal charié. « Il faut, comme c’est le cas en Iran, que ce genre de mariage soit enregistré auprès du tribunal charié. Un grand nombre de problèmes ont été ainsi résolus dans la République islamique », indique-t-il, ajoutant qu’il « ne faut pas se contenter d’un engagement oral ; les deux partenaires peuvent par exemple signer un contrat entre eux ». Et pour lui, ce sont les femmes qui devraient procéder à cet arrangement afin que la loi puisse les protéger. Il faut souligner que les responsables spirituels chiites encouragent le mariage temporaire pour les femmes dans des cas bien précis. Le décès du conjoint par exemple, notamment pour les femmes des martyrs et les jeunes veuves. Ils n’ont rien contre ce genre d’union, également quand elle est contractée, entre un homme et une femme divorcée ou une femme âgée encore célibataire. Cette union n’est donc pas très recommandée pour les jeunes filles, qui n’ont pas connu d’hommes au sens biblique du terme. D’ailleurs, dans le livre Alam al-Maraa (Le monde la femme) où l’uléma Sayyed Mohammed Hussein Fadlallah expose son point de vue sur certaines notions concernant les femmes, notamment les droits de la femme, sa vie professionnelle, le port du voile, le mariage et le mariage temporaire, on ne conseille pas aux jeunes filles vierges de contracter ce genre de mariage, sauf en cas de « besoins urgents ». «Même si elle est condamnée par la société, la jeune fille devrait être immunisée sur le plan religieux et contracter dans ce cas extrême un mariage temporaire. » Un choix devrait donc être effectué. De plus certaines jeunes filles, croyantes et pratiquantes, décident parfois de contracter un mariage temporaire avec un ami, un fiancé ou un prétendant afin de faire plus ample connaissance. Elles décident cependant, en contractant ce mariage, de ne pas aller jusqu’aux relations sexuelles. « Ce genre de contrat est effectué afin que les jeunes filles puissent sortir en tête-à-tête avec leur amoureux, ou encore lui tenir la main (ce qui est interdit dans certains milieux musulmans). Elles pourront mieux le connaître et contracter avec lui ensuite un mariage permanent », relève cheikh el-Khechen. « L’islam pense aux besoins sexuels de la femme », indique cheikh el- Khechen à L’Orient-Le Jour, précisant que le mariage temporaire aide aussi les veuves et les divorcées à avoir des rapports sexuels sans culpabiliser. Si elles ne culpabilisent pas, pourquoi donc ne parlent-elles pas ouvertement de leur union temporaire ? «Parce que la société n’est pas habituée à ce genre d’union qui n’est pas encore entrée dans les mœurs », répond-il. Bien que le mariage temporaire soit en hausse dans certains milieux chiites libanais, la société le condamne. Ainsi rares sont ceux ou celles qui reconnaîtront avoir contracté une telle union, comparée par certains à l’adultère ou à la prostitution. D’ailleurs, il nous a été impossible de recueillir le témoignage de ceux qui ont pratiqué ou qui pratiquent ce genre d’union. Pourtant, le religieux chiite interrogé assure que « le mariage temporaire est un contrat, tout à fait comme le mariage permanent ». « Ce genre d’union peut régler beaucoup de problèmes, notamment sociaux », dit-il, relevant qu’actuellement « les hommes et les femmes sont mitraillés par des images à connotation sexuelle à longueur de journée, au point qu’ils ne peuvent plus contrôler leurs instincts ». « La charia a trouvé depuis des siècles un cadre adéquat pour que les musulmans puissent assouvir leurs besoins sans pour autant passer outre leurs convictions et leurs valeurs islamiques », note- t-il. Certains sceptiques répondront que le mariage de plaisir n’est autre que la légitimation des rapports sexuels hors mariage dans une société. Au temps des invasions, les soldats de l’islam, qui partaient pour d’autres

est dirigée, au Liban, par le Conseil islamique supérieur des chiites dont le Président doit être un Uléma100.

Le budget des services administratifs des conseils sunnites et chi’ites est pris en charge par l’Etat. En cela, pour les communautés musulmanes, règles applicables et juridictions compétentes présentent officiellement un caractère étatique, mais dans la réalité des faits, ne relèvent que des autorités communautaires101.

En outre, pour ce qui concerne le Code de la famille du 8 muharram 1336102 (25 octobre 1917), il s’agit bien d’un texte étatique datant de l’époque ottomane. Ce Code est toujours applicable à l’exception de ses articles visant les non-musulmans et de ceux abrogés par la loi du 16 juillet 1962 susmentionnée. Il traite du mariage, de ceux dont le mariage est interdit, de la conclusion du mariage, de la parité de condition pour la conclusion du mariage, du mariage vicié et du mariage nul, des effets du mariage, du mahr103 et de la pension alimentaire. De même, ce Code traite de la dissolution du mariage, de la répudiation révocable et irrévocable et de la résiliation du mariage.

§ -2- La communauté druze

La Communauté druze est également soumise à un texte étatique : la loi du 24 février 1948 relative au statut personnel de la Communauté druze. contrées, effectuaient des mariages de plaisir avec des étrangères, des chrétiennes et des juives, le temps de rentrer au pays. Actuellement, les lois du mariage temporaire obéissent toujours aux mêmes règles. Et comme pour le mariage permanent, un musulman peut épouser une non-musulmane. Toutefois, il est interdit à une musulmane, selon la charia, d’épouser, que ce soit d’une manière permanente ou temporaire, un non- musulman… 100 Docteur de la loi. 101 Les communautés chrétiennes et israélites jouissent, quant à elles, d’une autonomie législative et juridictionnelle. 102 Année hégirienne. 103 Il s’agit d’une sorte de dot ou plutôt une somme d’argent que le futur époux doit payer à sa future épouse. Il peut être de deux sortes : le mahr exprès ou le mahr dit d’équivalence.

Cette communauté présente quelques particularités dues en partie à son origine qui remonte au début du XIe siècle, date à laquelle les disciples du calife fatimide d’Egypte Hakim Ibn Nizar, principalement son Vizir Nachtekin Darazi104 avait parcouru les provinces syriennes pour rallier les populations locales aux croyances de Hakim, dans le cadre du conflit qui opposait les fatimides aux abbassides sunnites de Bagdad. Quand vers la fin de son règne, Hakim se proclama l’incarnation de Dieu, sa divinité fut admise par une partie des populations acquises à lui. La doctrine druze sera ensuite élaborée et consignée dans ce qui s’appelle « rasa’il al hikma 105 » par Hamza, al-Mortada et al-Moktana. A la mort de ce dernier, vers 1042, l’admission au sein des croyants fut suspendue et tout prosélytisme interdit. Depuis lors, toute conversion au druzisme est impossible : « on naît druze, on ne le devient pas ».

La doctrine druze reste, pour le moins, hermétique. La communauté druze elle-même est constituée de deux parties ; la plus grande reste celle dite des « juhhal106 » et la plus restreinte est celle des « oqqal 107 ». Quelques faits saillants caractérisent cette communauté : le messianisme (ils attendent le retour de Hakim à la fin des temps), la croyance en la réincarnation et la pratique de la Taqiya108.

Sur le plan communautaire, le directeur spirituel est le Cheikh Aql qui détient les pouvoirs qui lui sont dévolus par la loi du 24 février 1948 relative au statut personnel et au droit successoral, ainsi que la gestion des biens communautaires.

104 Duquel cette communauté tirerait son nom. 105 Lettres de la Sagesse. 106 Les non-initiés. 107 Les sages et initiés. 108 Il s’agit d’une pratique consistant à se plier extérieurement aux contraintes religieuses des nations dominantes tout en conservant la doctrine dans son cœur.

A côté des textes étatiques, les communautés musulmanes, et plus particulièrement la communauté sunnite, sont régies par la doctrine hanafite.

Section II- La doctrine hanafite109

Cette doctrine relative au statut personnel et des successions, plus connue sous la nomination de « Code de Qadri Pacha », n’est pas utilisée uniquement au Liban mais aussi dans d’autres pays comme l’Egypte. Elle traite particulièrement de la paternité et de la filiation, des enfants trouvés, des devoirs des parents envers leurs enfants et vice versa, de l’allaitement, de la hadanah110, des obligations du père envers ses enfants relativement à l’entretien, de la tutelle, de la donation entre vifs et des legs ainsi que des dispositions testamentaires.

On constate donc une superposition de normes régissant le statut personnel de ces communautés rendant leur compréhension quasi impossible pour les néophytes. Ces normes ne visent pas uniquement l’état-civil, mais s’étendent à tout ce qui concerne les successions et la gestion de biens communautaires.

109 Cette école a été fondée par l'Imam `Abu Hanifa à Bagdad (mort en 150 H. / 767 ap. J.C.). Il était d'origine irakienne mais vivait en Perse. Sa jurisprudence prend, comme source première, le Coran, puis les seuls hadiths admis par l'ensemble de la communauté (Abû Hanifa a récusé beaucoup de hadiths qui lui semblaient douteux), partageant le même souci et la même doctrine essentielle que Mâlik en ce qui concerne les fondements du Droit. Il admet également l'opinion personnelle (Ra'y) et l'Ijtihâd (l'effort de recherche personnelle), car Allâh a créé l'homme doué de raison et Il appelle constamment Sa créature intelligente à raisonner. Soutenue par les Abassides, les Seldjoukides et les Ottomans, l'école hanafite s'est enracinée principalement chez les non- arabophones, au Moyen-Orient (principalement en Turquie), en Chine. Considérée par certains commentateurs comme plus « ouverte » que les autres écoles, on lui a reproché aussi parfois une « imitation servile » (taqlîd) des choix juridiques du passé, pouvant figer sa capacité d'adaptation aux réalités contingentes en perpétuelle mutation. 110 Droit de maternité : Expression utilisée par la traduction qui fait référence publiée dans Statut personnel et des successions d’après le rite hanéfite, Alexandrie, imprimerie A. Mourès, 1875, pp. 123-239

Les communautés musulmanes ne sont pas les seules à avoir leurs propres lois et juridictions en la matière. Les autres communautés aussi jouissent, pour ce qui concerne leur statut personnel, d’une totale indépendance législative et juridictionnelle.

Chapitre troisième- Textes applicables aux non musulmans

Ces textes, à l’instar de ceux régissant les communautés musulmanes, se divisent en textes étatiques (Section I) et en textes communautaires (Section II).

Section I- Les textes étatiques

Ils sont au nombre de deux ; la loi du 23 juin 1959 sur les successions des non mahométans et la loi du 2 avril 1951 relative à la compétence des juridictions confessionnelles des communautés non musulmanes.

La loi du 23 juin 1959 est relative aux successions, mais elle ne vise que les communautés non musulmanes. Les musulmans ayant leurs propres normes en la matière. Elle vise essentiellement l’ouverture de la succession et des conditions requises pour succéder, de l’ordre des héritiers et des parts successorales, des dispositions relatives à l’absent, du testament et de sa forme, de la révocation du testament et de sa caducité, de l’acceptation du testament ainsi que de la liquidation des successions.

Quant à la loi du 2 avril 1951 qui délimite les compétences des juridictions confessionnelles des communautés non musulmanes et qui a fait couler beaucoup d’encre, elle se fait l’écho de l’arrêté N°60/36 qui avait invité vainement les communautés à présenter au gouvernement

leurs lois propres. Cette loi a en effet fixé un délai d’un an aux communautés musulmanes afin de rédiger leurs statuts personnels et de les présenter au gouvernement. Dans son article 33, la loi de 1951 reconnaît expressément à ces communautés le droit de légiférer en matière de statut personnel, le rôle du gouvernement se limitant à vérifier la conformité des textes à l’ordre public et aux lois fondamentales de l’Etat et des communautés.

Les textes présentés par les différentes communautés sont restés à l’état de projets, faute de vérification et d’approbation111, mais la jurisprudence de la Cour de cassation a considéré que les projets de statut personnel sont applicables dans la mesure où ils forment une simple codification des usages et coutumes de la communauté, à l’exclusion des dispositions contraires à l’ordre public et aux lois fondamentales.

La loi du 2 avril 1951 a vu le jour pour des motifs politiques et avait pour but d’aligner les attributions des juridictions non musulmanes sur celles, plus larges, des tribunaux musulmans. Elle fut adoptée par un article unique et sans délibération. Outre les attributions couvrant toutes les matières relevant du statut personnel, au sens large, la loi de 1951 a transféré aux autorités communautaires une compétence générale en tout ce qui concerne les wakfs, les institutions d’éducation et d’enseignement, la rédaction et l’enregistrement des testaments et l’homologation des procurations à produire dans les procès, sans compter les affaires ayant trait aux membres du clergé et des ordres religieux. L’exécution des jugements rendus par les juridictions communautaires étant confié au Bureau exécutif auprès des tribunaux ordinaires.

Cette loi qui semble avoir pris les avocats au dépourvu a eu pour effet d’accentuer encore le régime communautaire. Une grève symbolique d’un jour fut observée, le 27 juin de la même année, suivie en août par une proposition de loi de , futur Président de la

111 A l’exception de la communauté copte orthodoxe dont la reconnaissance est intervenue en 1996. Il s’agit de la 18e communauté légalement reconnue au Liban.

République, préconisant l’abrogation de la loi et la réduction des attributions des tribunaux char’i et communautaires.

Ce n’est qu’en octobre 1951 que l’assemblée plénière de l’Ordre des avocats de Beyrouth approuve un projet de loi en trois articles ainsi conçu :

- « La compétence des tribunaux religieux et char’i se limite aux fiançailles et à leur rupture, au contrat de mariage et son annulation, au divorce et à la séparation de corps.

- « Ces tribunaux appliqueront le Code de Procédure Civile et percevront les droits judiciaires en vigueur ».

L’article 3 du projet appelle à l’abrogation de la loi du 2 avril 1951 et de tout autre texte législatif ou réglementaire incompatible avec les dispositions du projet.

L’Ordre des avocats, comme on peut le constater, ne s’était pas contenté d’attaquer la loi de 1951 mais, conséquent avec lui-même, exigea en même temps la réduction des attributions des tribunaux musulmans.

Une grève ouverte fut décrétée pour que le projet de l’Ordre soit transmis à la chambre des députés. Les réactions à l’ordre de grève ne se firent pas attendre. D’un côté, les chefs religieux, toutes confessions confondues, prirent nettement position contre le projet des avocats. Le 24 janvier, les chefs des communautés chrétiennes et juives réunies à Bkerké sous la présidence du Patriarche maronite Arida proclament leur attachement à la loi de 1951 qui constitue « une reconnaissance de leurs droits acquis depuis les siècles les plus anciens », ainsi que leur attachement au principe de l’égalité entre tous les libanais sans distinction de communauté ou de religion. Ils désapprouvent la campagne de dénigrement menée contre les tribunaux religieux et tiennent le gouvernement responsable de toutes les conséquences d’une

modification de la loi. Ensuite, sous la pression des réunions tenues dans les mosquées de Tripoli, l’Ordre des avocats du Liban Nord s’abstient de se rallier au mouvement de grève.

Par contre, les dépêches d’appui, émanant notamment d’étudiants d’université, parviennent à l’Ordre des avocats qui menace de radiation tout avocat qui s’oppose à son projet.

Entre-temps, le gouvernement, successivement présidé par Abdallah Yafi et , évite de prendre parti jusqu’au moment où, le 3 avril, une grève est décrétée dans les quartiers ouest de Beyrouth en opposition au projet des avocats et pour le maintien des attributions des tribunaux char’i.

Le journal Al Nahar rapporte que le chef du gouvernement a fait le tour des souks exhortant les commerçants à ouvrir leurs boutiques car, leur dit-il, « aucun projet ne sera soumis au Parlement sans avoir été auparavant agréé par le peuple ». Le même jour, le Conseil de l’Ordre se réunit et prend acte d’une lettre adressée au Ministre de la justice par le chef de cabinet du Président de la chambre des députés l’informant que ce dernier avait décidé d’inscrire à l’ordre du jour un projet de loi sur le statut personnel transmis par la Commission parlementaire de l’administration et de la justice.

Bien qu’estimant que le projet en question ne réalise pas les vœux progressistes du pays, le Conseil de l’Ordre décide de s’en remettre à la Chambre des députés et de mettre fin à la grève qui aura duré plus de 80 jours sans réaliser aucun de ses objectifs. La loi de 1951 est en effet toujours en vigueur et le projet tendant à la modifier est oublié dans les tiroirs des commissions de la Chambre des députés112.

112 Cette issue malheureuse n’est pas sans rappeler le sort de la tentative du mariage civil facultatif initiée par l’ancien Président de la République Hraoui en 1998 et sur laquelle nous reviendrons plus loin.

La loi du 2 avril 1951 est donc toujours en vigueur et délimite les compétences des juridictions confessionnelles pour toutes les communautés chrétiennes et la communauté israélite et leur donne, par la même occasion, une sorte de délégation de droit de légiférer pour ce qui concerne le statut personnel, au sens le plus large.

Section II- Les textes communautaires

Ces textes visent toutes les communautés non mahométanes. A savoir les communautés chrétiennes dans leur diversité et la communauté israélite. Il faut toutefois opérer une différence entre communautés relevant de l’autorité de Rome et les autres, du moins pour ce qui concerne les chrétiens.

La loi sur le statut personnel des communautés catholiques s’applique en effet aux communautés chrétiennes catholiques suivantes : maronite 113, grecque catholique melkite, arménienne catholique, syriaque catholique, latine et chaldéenne. Outre cette loi sur le statut personnel, les communautés catholiques sont soumises au Motu Proprio « Crebrae Allate » du

113 Avec une particularité insolite au sein de l’église catholique celle concernant le mariage des prêtres maronites. Particularité qui a été souligné lors du synode des évêques en octobre 2005. Les pères synodaux sont apparus divisés sur la question du mariage des prêtres, en particulier lors de la 8e Congrégation générale le 7 octobre, et cela non pas seulement en raison du manque de prêtres que l'Église connaît actuellement. Alors que le patriarche libanais Nasrallah Pierre Sfeir et l’évêque néo-zélandais Mgr Denis George Browne ont invité à ce que la question de l’ordination d’hommes mariés soit réévaluée, le préfet de la Congrégation pour le clergé, le cardinal Castrillon Hoyos, a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une solution. Le cardinal Nasrallah Pierre Sfeir a rappelé en premier lieu que la moitié des prêtres diocésains de l'Eglise maronite libanaise sont mariés. La question de l’ordination sacerdotale d’hommes mariés pour pallier le manque de prêtres, a-t-il reconnu, est "un problème que personne n’ignore" et "mérite qu’on y réfléchisse sérieusement". "Le célibat est le joyau le plus précieux dans le trésor de l'Eglise catholique. "Comment le garder dans une atmosphère érotisée" où, dans les journaux, sur Internet, sur les affiches, dans les spectacles, "tout s'étale sans honte et ne manque pas de blesser la vertu de la chasteté". D'autre part, il a rappelé qu'il ne s'agit pas de permettre le mariage à des prêtres qui ont fait le voeu de célibat. "Il va de soi que, une fois ordonné, un prêtre ne peut plus contracter de mariage". Le patriarche a aussi confié que "le mariage des prêtres, s'il résout un problème, en crée d'autres aussi graves". Et d’expliquer qu’un prêtre marié "a le devoir de s'occuper de sa femme et de ses enfants, leur assurer une bonne éducation, les caser socialement…". Il a aussi constaté qu’un prêtre marié peut difficilement être muté "en raison de l'impossibilité pour sa famille de se déplacer avec lui". En revanche, il a souligné que "ces prêtres mariés ont préservé la foi du peuple dont ils ont partagé la dure vie ", et que "sans eux, cette foi aurait disparu". Il rejoint là l'expérience de l'Église orthodoxe russe durant l'oppression soviétique qui ordonnait prêtres des hommes arrivés à l'âge de la retraite pour maintenir la Divine Liturgie dans les églises restées ouvertes.

22 février 1949 sur la discipline du mariage dans l’Eglise orientale114, le Code canonique latin, les extraits de l’instruction « Matrimonii Sacramentum » de la Congrégation pour la doctrine de la foi du 18 mars 1966 relatifs aux mariages mixtes115 ainsi que le décret de la Congrégation pour l’Eglise orientale du 28 février 1967 relatif aux mariages mixtes entre catholiques et orientaux non catholiques baptisés116. On trouve, par ailleurs, des textes relatifs aux pouvoirs et privilèges accordés aux évêques et les dispenses réservées au Souverain Pontife.

Pour ce qui concerne les communautés chrétiennes non soumises à l’autorité de Rome, il y a une Loi sur le statut personnel pour chacune des communautés suivantes : la communauté grecque orthodoxe, la communauté arménienne orthodoxe, la communauté syrienne orthodoxe et la communauté évangélique du Liban.

La communauté israélite est elle aussi soumise à un texte communautaire régissant son statut personnel et couvrant les domaines prévus dans la loi du 2 avril 1951.

Par ailleurs, une 18e communauté a été reconnue en 1996 ; il s’agit de la communauté copte orthodoxe. Dans l’exposé des motifs de la loi relative à cette reconnaissance, on peut lire ceci : « attendu que … cette communauté a présenté ses statuts au gouvernement conformément à l’article 4 de l’arrêté 60, lesquels sont conformes à la condition prévue à l’article 5 du même arrêté ».

Enfin, dans un contexte de mondialisation et de forte expatriation des ressortissants libanais, qu’en est-il des mariages célébrés entre libanais et ressortissants d’autres pays ? Le Nouveau

114 Cf. texte et commentaire dans l’ouvrage de François Galtier, s.j., Le Mariage, discipline orientale et discipline occidentale ; la réforme du 2 mai 1949, Beyrouth 1950. 115 Traduction française de la Documentation Catholique, n° 1468, 3 avril 1966, col. 577-584. 116 Traduction française de la Documentation catholique, n° 1490, 19 mars 1967, col. 511-514.

Code de Procédure civile libanais donne quelques éclaircissements à ce sujet. Dans son chapitre second relatif à la compétence internationale, ce code prévoit que « la compétence internationale des tribunaux libanais est, en principe, soumise aux dispositions relatives à la compétence interne, sans distinction entre libanais et étrangers »117.

Par ailleurs, les tribunaux libanais sont compétents pour connaître des actions intentées contre toute personne libanaise ou étrangère n’ayant pas de domicile réel ou élu, ou de résidence au Liban lorsque l’objet de l’action est de confier le mineur au titulaire du droit de garde, si le premier se trouve au Liban ou si le second y est domicilié118.

De même, les tribunaux civils libanais sont également compétents pour connaître des litiges nés d’un contrat de mariage conclu à l’étranger entre deux libanais ou entre un libanais et un étranger en la forme civile prévue par la loi du pays concerné. Sont applicables les dispositions des lois concernant la compétence des tribunaux char’is et druzes si les deux époux sont de confession musulmane et l’un d’eux au moins de nationalité libanaise119.

Dès lors, nous pouvons constater quelques difficultés ; selon l’appartenance religieuse des époux, les tribunaux civils peuvent ou ne peuvent pas être compétents. Si les deux époux, après avoir contracté un mariage civil hors des frontières libanaises120 et pour des raisons diverses décident de contracter un mariage religieux au Liban, ce sont les tribunaux religieux qui seront compétent en cas de litige.

Nous pouvons, à ce stade, souligner quelques points :

117 Article 74 du Nouveau code de procédure civile libanais. 118 Article 78 du Nouveau code de procédure civile libanais. 119 Article 79 du Nouveau code de procédure civile libanais. 120 Car en effet le mariage civil n’est pas possible au Liban. Nous reviendrons plus loin, dans la partie consacrée à la déconfessionnalisation, sur la tentative avortée d’institution d’un mariage civil facultatif.

1. L’absence d’unité juridique et juridictionnelle concernant le statut personnel ; 2. L’inégalité entre l’homme et la femme ; 3. L’inégalité entre musulmans et non-musulmans.

C’est aussi le constat fait par Sami A. ldeeb Abu-Sahlieh121 dans son article intitulé « le droit de la famille dans le monde arabe, constantes et défis ». Il prend à cette occasion l’exemple de l’Egypte qui a supprimé les tribunaux religieux en 1955 pour plusieurs raisons :

1. se conformer aux règles du droit public sur la souveraineté de l’Etat dans le domaine législatif et judiciaire ;

2. mettre fin à l’anarchie qui règne à cause de la multiplicité des juridictions ;

3. mettre fin aux plaintes relatives à l’entassement des sentences contradictoires.

Mais la suppression des tribunaux religieux en Egypte ne signifie pas l’unification du code de la famille. Quelques normes d’inspiration musulmane sont applicables à tous les égyptiens quelle que soit leur religion : la loi 119/1952 et les articles 29-51 et 109-119 du Code civil de 1949 relatifs à la capacité, à la tutelle, à la curatelle et à l’interdiction ; la loi 77/1943 sur la succession ab intestat ; la loi 71/1946 sur la succession testamentaire ; les articles 486 à 504 du Code civil relatifs à la donation.

Les autres domaines du droit de la famille restent régis par les lois propres à chacune des 15 communautés religieuses composant la société égyptienne. Mais le désir d’unifier le droit de famille en Egypte fut manifesté à plusieurs reprises. Ainsi, lors des travaux de la Constitution de 1923, Abdel-Hamid Badawi affirme : « je souhaite voir le jour où tous nos actes, même le

121 Docteur en droit, collaborateur scientifique responsable du droit arabe et musulman à l’Institut suisse de droit comparé, Lausanne. Chargé de cours à l’Institut de droit canonique de l’Université de sciences humaines de Strasbourg. Voir aussi Aldeeb Abu-Sahlieh, L’impact de la religion sur l’ordre juridique, cas de l’Egypte, Non- musulmans en pays d’Islam, Editions universitaires, Fribourg, 1979, p. 117-119.

mariage, le divorce et tout ce qui touche au statut personnel, seront régis par un seul système pour que nous vivions tous une vie civile bien organisée et bien normalisée… Nous voulons une politique nationale pure qui ne s’attarde pas, dans sa noble voie, à des religions et des sectes mais qui se dirige toujours vers l’intérêt de la patrie122 ».

Et au Professeur Abu-Haïf de rajouter, en 1927, que « L'évolution va à grands pas vers la compilation de toutes les lois religieuses appliquées dans n'importe quel pays pour en faire une loi unique qui soit une loi nationale pour tous, applicable à tous ceux qui vivent dans le cadre du même pays... L'évolution va dans cette voie malgré la croyance des individus et le souhait des communautés religieuses123 ».

Par ailleurs, la Ligue arabe dont le Liban est membre fondateur, a tenté d’unifier les lois arabes en matière de statut personnel. Le Conseil des Ministres arabes de la justice, créé en février 1981, adopta en effet un plan en vue de l’unification des lois arabes sur la base du droit musulman, tout en tenant compte des « aspirations de modernisation et de développement auxquelles tendent les Etats Arabes dans ces domaines et qui aillent de pair avec les plus modernes conventions et accords internationaux qui organisent ces matières ». Il a pu réaliser un projet adopté dans sa réunion du 4 avril 1988, tenue au Kuweit, ayant pour titre Document du Kuweit portant code arabe unifié du statut personnel. Il s’agit d’un modèle de loi qui n’a été reçu par aucun pays arabe124.

Malgré son nom, ce projet ne comporte que des normes islamiques. Aucun non-musulman ne figure parmi les sept membres de la commission qui l'a rédigé. Qu'en est-il alors des non- musulmans? Aucune réponse n'est donnée à cette question. L'attitude du Conseil découle

122 Ad-Doustour, Maglis Ash-shouyoukh, vol. I, Matba'at Masr, Le Caire 1940, p.21. 123 Abu-Haif, A.: Al-qanoun ad-duwali al-khas fi Uropa wa-fi Masr, Matba'at As-Sa'adah, Le Caire, 2ème édition, 1927, vol. I, pp. 141-142. 124 Texte français dans RDC, vol. 3, janvier 1989, pp. 27-134. Sur l'unification, voir Aldeeb Abu-Sahlieh, S. A.: Unification des droits arabes et ses contraintes, in Conflits et harmonisation: mélanges en l'honneur d'Alfred E. von Overbeck, Editions universitaires, Fribourg, 1990, pp. 177-204.

probablement d'un choix de facilité. L'unification totale du droit de la famille aurait provoqué, sans doute, une levée de boucliers, de la part des communautés chrétiennes et juives qui auraient accusé le Conseil de vouloir les soumettre au droit musulman. Elle aurait aussi amené le Conseil à ouvrir des discussions avec les différentes communautés sur les normes islamiques qui les discriminent.

Enfin, le Conseil aurait dû envisager la participation des membres de ces communautés à la fonction de juge et à celle de témoin, ceci sur un pied d'égalité avec les musulmans, quelle que soit la religion des parties en litige. Et là, il se serait attiré les foudres des Etats conservateurs.

Le projet est discriminatoire dans le domaine du mariage, des successions, etc. Le mémorandum dit: "On ne saurait accepter d'une personne née après la mission de Mahomet autre religion que l'islam". Il cite à l'appui de cette affirmation un verset du coran: "Quiconque recherche, en dehors de l'islam, une autre religion, celle-ci ne sera jamais acceptée de lui" 125 (3:85) . Sommes-nous en face d'un système juridique islamique ou d'un dogme islamique? Est-ce que le législateur arabe cherche à unifier la société à travers une loi unique ou à la diviser en adeptes de la seule religion acceptable et adeptes de religions inacceptables?

Les femmes constituent la moitié de la société. Mais la loi continue à être faite par les hommes. Aucune femme ne figure parmi les sept membres de la commission qui a rédigé ce projet. En plus, bon nombre de dispositions de ce projet vont à l'encontre des résolutions adoptées par le séminaire du Conseil national de la femme libanaise et auquel ont participé 126 des femmes de plusieurs pays arabes .

125Al-Magallah al-‘arabiyyah lil-fiqh wal-qada’, vol. 2, 1985, p. 72. 126 The Status of Women in Arab laws in the light of U.N. International Conventions, studies and recommandations issued at the Seminar held by the National Council of Lebanese Women, May 27-31, 1974, pp. 130-131.

Ce projet ne fut finalement adopté par aucun Etat arabe, et pour cause. Reste que la multiplicité de statuts personnels continue à poser beaucoup de problèmes dans plusieurs pays arabes dont le Liban. Mais il faut souligner que ce problème prend une dimension supplémentaire au Liban, pays où les chrétiens ne sont pas minoritaires et où ils jouent un rôle politique éminent au même titre que les musulmans.

Par ailleurs, l’assise politique du pays étant communautaire, la suppression hypothétique du confessionnalisme en ce qui concerne le statut personnel ne manquera pas d’occasionner de grandes difficultés pour ce qui concerne le confessionnalisme politique, les deux facettes du confessionnalisme libanais étant interdépendantes. C’est, sans doute, la raison pour laquelle beaucoup de partisans de la déconfessionnalisation politique ne remettent pas en cause le confessionnalisme régissant le statut personnel. Lors de plusieurs entretiens avec deux membres du Conseil constitutionnel libanais127, nous avons évoqué à maintes reprises l’idée d’une déconfessionnalisation de la vie politique libanaise. Mes interlocuteurs ne semblaient pas totalement réticents à cette idée, mais faisaient toutefois la différence entre confessionnalisme politique et confessionnalisme à l’égard du statut personnel. L’idée même d’une déconfessionnalisation politique leur semblait plus facile à mettre en œuvre128.

Quelle est donc la raison de cet attachement des communautés à conserver leurs prérogatives juridiques et judiciaires en matière de statut personnel ?

Il n’est certes pas aisé de répondre à cette question. Mais nous pouvons tenter une réponse, sans trop se risquer, en rappelant le souhait qu’entretiennent les différentes communautés de

127 Qui m’ont autorisé à rapporter leur propos sans pour autant citer leur identité car ils m’ont affirmé être liés par le devoir de réserve et qu’il s’agit, par ailleurs, du sujet le plus sensible que l’on puisse aborder au Liban. 128 Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle le soit effectivement. Les deux membres du Conseil constitutionnel m’ont successivement affirmé qu’ils constatent une absence de volonté politique pour former le Comité national chargé de la déconfessionnalisation, prévu à l’article 95 de la Constitution.

conserver un privilège qu’elles détiennent depuis des temps immémoriaux. Nous avons pu constater la force de cet attachement à plusieurs reprises129. Pour Walid Slaiby130 "c'est moins une question de principe religieux qu'une question de pouvoir. Un pouvoir moral car les religieux dominent une partie essentielle de la vie des gens ; un pouvoir politique, car les mariés restent des pions politiques ; un pouvoir financier, car chaque mariage rapporte beaucoup d'argent ; et enfin un pouvoir masculin car les juges religieux sont des hommes".

Le Père Raphaël Eltayf de l'église maronite fait figure d'exception. Pour lui, le mariage civil mettra fin aux distinctions interconfessionnelles. "Nous avons besoin de normes statutaires qui aident à unifier la famille libanaise. Ce sera même une détente pour l'Eglise de ne plus s'occuper des effets du mariage, mais uniquement du sacrement comme tel. Mon opinion n'a pas toujours été bien accueillie. Je sais que certains évêques sont du même avis, mais n'ont pas l'occasion de le déclarer publiquement. En adoptant le mariage civil, le Liban marquera une évolution pour tous les pays arabes".

Nous pouvons aujourd’hui faire le même constat qu’a pu faire Pierre Rondot en 1947. Ce dernier décrivait en effet, dans sa thèse intitulée « Les institutions politiques au Liban », la difficulté de procéder en matière de statut personnel par législation d’ensemble et de principe. « Une mesure isolée, prise à un moment opportun, peut, selon Rondot, passer avec le minimum de réactions ; une réforme générale soulève un faisceau de protestations qui empêchent le plus souvent de la maintenir ».

129 Attachement maintes fois exprimé à l’époque du mandat français et lors de l’adoption de la loi de 1951. 130 Walid Slaiby est coordinateur de la campagne lancée par le Forum national pour le statut personnel civil au Liban. "Le Forum national pour le statut personnel civil au Liban affirme-t-il est né en avril 1998 sur l'initiative du Mouvement pour les droits humains au lendemain de l'échec d'un projet de loi instituant le mariage civil facultatif. Il regroupe des associations, des particuliers, des juges, des avocats, des artistes et des partis politiques. L'objectif est de faire adopter un Code civil des statuts personnels qui autorisera entre autres le mariage civil. L'adoption d'un Code civil créera ainsi une coexistence authentique et profonde : la famille mixte. A long terme, je pense que ce sera même une garantie relative qui atténuera une possibilité de guerre civile. Les lois actuelles causent des souffrances, c'est pourquoi nous considérons qu'il faut une loi capable de garantir le respect de l'égalité".

Dès lors, le Comité national chargé de supprimer le confessionnalisme peut explorer plusieurs pistes131 :

1.Reconnaître aux tribunaux ordinaires le droit de juger en matière de statut personnel tout en appliquant les lois de la communauté des plaidants ;

2.Rattacher tous les tribunaux char’i et religieux au ministère de la justice ;

3.Elaborer une loi civile uniforme dans tous les domaines du statut personnel qui régirait dans une première étape ceux des libanais qui l’aurait volontairement choisie, et régirait ultérieurement tous les libanais sans exception.

Pour l’heure, aucune volonté politique ne semble vouloir toucher aux prérogatives judiciaires et législatives des communautés tant le sujet reste sensible132. Mais avec l’article 95 de la nouvelle Constitution, les libanais disposent enfin d’un outil pour mettre en œuvre la suppression du confessionnalisme, charge aux hommes de bonne volonté d’en faire usage.

Mais la tâche risque d’être périlleuse. Comme le souligne Elizabeth Picard133, la révision induite par la guerre a été radicale. Les identités culturelles collectives sont aujourd’hui reconnues. Elles sont même affichées, et les particularismes revendiqués. L’insécurité, la dispersion des familles, le passage des générations, la perte des repères socio-économiques et, bien sûr, la paralysie, puis l’éclatement de l’appareil d’Etat, ont contribué à revaloriser la communauté religieuse comme marqueur ultime des identités. Et puisque la communauté s’était révélée l’unité résiliente de la structure sociale libanaise, la plus immédiatement

131 Si, bien entendu, une volonté politique arrive à constituer ce Comité. 132 Notons ici quelques échecs de propositions visant à régler la question communautaire et faire avancer la laïcisation du système politique : le programme intérimaire de réforme politique du Mouvement National (août 1975), le document constitutionnel du Président Frangié (février 1976), les propositions du Front Libanais (janvier 1977), les quatorze points du Président Sarkis (mars 1980), le document du haut comité druze (mai 1983), le projet du mouvement Amal (novembre 1983), les conclusions de la réunion de Lausanne (mars 1984), le projet du Président Gémayel (mars 1987) ainsi que le projet de réforme de ( novembre 1987). Voir à cet effet l’excellent article de Joseph Maïla, « le Document d’entente nationale, un commentaire », les Cahiers de l’Orient, n° 16-17, 4ème trimestre 1989 – 1er trimestre 1990, pp. 135-217. 133 Elizabeth Picard, Les habits neufs du communautarisme libanais, Cultures et Conflits, n° 15-16, automne- hiver 1994.

opérationnelle aussi, le système constitutionnel reflétait cette structure et organisait le fonctionnement de ses éléments.

Par une décision en date 25 février 1995, le Conseil constitutionnel nouvellement installé a eu à contrôler la constitutionnalité d’une loi modifiant certaines dispositions de la loi du 16 juillet 1962 relative à l’organisation des juridictions char’i, sunnites et chiites134. A l’appui de leur demande, les requérants soutiennent que la loi n° 406 du 12 janvier 1995 est contraire au principe de la séparation des pouvoirs, clairement énoncé dans la Constitution; qu’elle méconnaît, entre autres, le paragraphe (h) 135 du préambule de la Constitution, ainsi que l’article 20136. La loi n° 406 du 12 janvier 1995 dont l’annulation est demandée est ainsi libellée: « Article unique. – A titre exceptionnel, et pour une seule fois, et contrairement à tout autre texte, le Président du Conseil des Ministres pourra muter le Président de la Haute juridiction jaafarite ou le mettre en disponibilité ».

Après avoir rappelé l’article 20 de la Constitution, le Conseil constitutionnel souligne qu’il résulte de ce texte que les garanties nécessaires doivent être établies par la loi pour assurer l’indépendance des juges et la protection des justiciables. Que la diminution de ces garanties entraîne une violation de la disposition constitutionnelle qui les édicte. Que cette disposition doit être spécialement appliquée aux juridictions char’i sunnite et jaafarite qui comme l’affirme le législateur à l’article 1 de la loi du 16 juillet 1962, constituent une composante du corps judiciaire de l’Etat.

Ensuite, le juge constitutionnel rappelle que l’article 459 de la loi du 16 juillet 1962 dispose que « les juges des tribunaux char’i ne peuvent être transférés, mis en disponibilité ou déférés

134 Il s’agit de la loi n°406 du 12 janvier 1995, publiée au n°4 du journal officiel libanais du 26 janvier 1995. 135 « Le régime est fondé sur le principe de la séparation des pouvoirs, leur équilibre et leur coopération ». 136 Article 20 de la Constitution : « Le pouvoir judiciaire fonctionnant dans les cadres d’un statut établi par la loi et assurant aux juges et aux justiciables les garanties indispensables, est exercé par les tribunaux des différents ordres et degrés. La loi fixe les limites et les conditions de l’inamovibilité des magistrats. Les juges sont indépendants dans l’exercice de leur magistrature. Les arrêts et jugements de tous les tribunaux sont rendus et exécutés au nom du peuple libanais ».

au Conseil de discipline qu’après approbation de la Haute Cour des juridictions char’i ». Et que la loi n° 406 du 12 janvier 1995, dont l’annulation est demandée, modifiant l’article 459 précité, accorde au Président du Conseil des Ministres de déplacer le Président de la Haute juridiction char’i jaafarite ou de le mettre en disponibilité; qu’elle conduit à amoindrir l’indépendance de la justice et diminue les garanties que l’article 20 de la Constitution octroie aux juges et aux justiciables.

Pour conclure, le Conseil constitutionnel considère que la loi n° 406 du 12 janvier 1995, objet du recours, s’avère contraire à l’article 20 de la Constitution, qu’elle viole le principe de l’indépendance du pouvoir judiciaire en portant atteinte aux garanties qui doivent être assurées aux juges et aux justiciables; qu’il convient en conséquence de la déclarer non conforme à la Constitution et de l’annuler.

Ce faisant, le Conseil constitutionnel révèle la véritable nature des juridictions confessionnelles. Il s’agit, en définitive, de juridictions à part entière au même titre que les autres juridictions civiles et pénales.

Par ailleurs, dans une décision plus récente, et plus explicite, en date du 23 novembre 1999 137 , le Conseil constitutionnel réaffirme la garantie constitutionnelle offerte aux communautés concernant « le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux »138. La loi objet du recours donnait en effet, dans son article 12, la possibilité d’élection ou de désignation du Conseil confessionnel de la communauté druze contrairement au principe d’élection prévu au Chapitre 2 de la loi du 13 juillet 1962 relative à la création du Conseil confessionnel de la communauté druze. Le Conseil constitutionnel a considéré que le fait de remplacer le principe d’élection qui représente la garantie fondamentale de

137 Décision portant annulation de la loi n° 127 du 25 octobre 1999, (publiée au journal officiel n° 51, le 28 octobre 1999), relative à la création du Conseil des Chefs des Wakfs Druzes. 138 Article 9 de la Constitution.

l’autonomie de la communauté druze par le principe de désignation ou du moins, le fait d’ouvrir la voie à la désignation, constitue une violation de l’article 9 de la Constitution.

Pour parvenir à cette décision, le juge constitutionnel a suivi un raisonnement faisant intervenir la protection des droits fondamentaux. Il souligne en effet que « s’il appartient au législateur d’annuler une loi en vigueur ou d’amender les dispositions de ladite loi sans que ceci ne constitue une violation de la constitution ou ne soit sujet au contrôle du Conseil constitutionnel, il en est autrement lorsque l’annulation ou l’amendement portent atteinte aux libertés ou droits ayant valeur constitutionnelle ». Et le Conseil de conclure en affirmant « que le législateur se base sur les libertés et droits fondamentaux lors de l’élaboration des textes de loi, il ne peut donc pas amender ou annuler les lois en vigueur qui garantissent lesdites libertés sans les remplacer par des textes les garantissant de manière encore plus complète, ou du moins, de la même manière ». En d’autres termes, le législateur ne peut affaiblir les garanties précédemment adoptées à l’égard d’un droit ou d’une liberté fondamentale en annulant ces garanties sans les remplacer par d’autres ou en les remplaçant par des garanties plus faibles et moins efficaces139.

Ainsi, le communautarisme libanais ne se cantonne pas au simple statut personnel, bien au contraire, il intervient à plus d’un titre dans la vie sociale et politique libanaise et ce, sous la protection bienveillante de la Constitution même et, par voie de conséquence du juge constitutionnel.

139 On voit bien ici l’influence du Conseil constitutionnel français qui, en matière de protection des droits fondamentaux, a depuis longtemps posé le principe du « cliquet anti-retour ». Selon ce principe, « s'il est à tout moment loisible au législateur statuant dans le domaine qui lui est réservé par l'article 34 de la constitution de modifier des textes anciens ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions (...), l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnelle » (Décision 86-210 DC du 29 juillet 1986, AJDA 186, p. 527). Cette règle a reçu application en matière de droit au logement (Décision 94-359 DC du 19 janvier 1995), de droit au développement et à la protection de la famille (Décision 97-393 DC du 18 décembre 1997).

Titre Second – La protection constitutionnelle du confessionnalisme

L’emprise du confessionnalisme est si forte sur les autorités publiques que ces dernières n’osent la remettre en cause de peur de mettre en péril la paix sociale. Ce constat se vérifie par la simple observation scientifique du fonctionnement des institutions libanaises.

Le nouvel article 95 de la Constitution libanaise devait permettre l’installation d’un Comité national ayant pour tâche la suppression du confessionnalisme politique. Il va même plus loin en supprimant la règle de la représentation confessionnelle et en la remplaçant par la spécialisation et la compétence dans la fonction publique, la magistrature, les institutions militaires, sécuritaires et les établissements publics et d’économie mixte et ce, conformément aux nécessités de l’entente nationale. Excepté, bien entendu, les fonctions de première catégorie qui doivent être réparties entre chrétiens et musulmans sans réserver une quelconque fonction à une communauté déterminée tout en respectant les principes de spécialisation et de compétence140.

Avant l’arrivée de ce nouvel article 95, le principe de représentation confessionnelle 141 figurait au rang de principe général du droit libanais dans les recueils de droit administratif, puisqu’il concerne une particularité de la société libanaise.

140 Relevons à cet égard l’incompatibilité entre le principe de spécialisation et de compétence et l’obligation de respect de la répartition communautaire des fonctions. Qu’en est-il du libanais présentant une grande compétence, lors d’un concours pour un emploi dans la fonction publique, mais dont le quota communautaire est atteint ? 141 Mabda’ al tamthil al ta’ifi.

Mais les dispositions contenues dans le texte de la Constitution n’emportent pas obligatoirement application sur le terrain comme le déplore Georges Saad142. La règle de répartition confessionnelle, écrit-il, reste appliquée de nos jours au mépris de la Constitution et en toute bonne conscience, à telle enseigne qu’on se demande s’il ne valait pas mieux garder l’ancien article 95143, jugé plus « honnête ».

Quant au juge administratif, conclut Saad, il doit se conformer au nouvel article 95. Il jettera ainsi la balle dans la cour du « politique » qui sera alors obligé de trouver les solutions politiques adéquates.

On peut faire le même constat pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel libanais. Ce dernier, et malgré son histoire récente, a déjà livré des décisions très audacieuses. Mais serait- il capable de mettre en cause le sacro-saint Confessionnalisme? Rien n’est moins sûr selon Hiam Mouannes144. En marge du texte même de la Constitution et de son préambule, écrit- elle, et en raison du caractère multiconfessionnel de la société libanaise, il existe des règles coutumières qui font du Liban un Etat unitaire fonctionnant sur une base fédérale. Ces règles purement coutumières, s’interroge-t-elle ensuite, feront-elles partie du « bloc de constitutionnalité » ?

142 Georges Saad, Droits de l’homme, droit public musulman, droit administratif libanais, intervention présentée au Colloque International 2001, L’Odyssée des droits de l’homme, Grenoble 22-23-24 octobre 2001. 143 Article 95 avant sa modification par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990 : « A titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat ». 144 Elle est maître de conférences à l’Université de Toulouse I et membre du Centre d’Etudes et de Recherches Constitutionnelles et Politiques (CERCP). Voir, en particulier son article intitulé « Le fonctionnement de l’autorité du Conseil constitutionnel libanais », Droit écrit n° 1, mars 2001.

A cette interrogation, elle semble répondre par l’affirmative. Le juge constitutionnel sera en effet amené à confronter les lois non seulement à la Constitution, mais aussi à une panoplie de pratiques et coutumes institutionnelles sui generis145.

Cette interrogation est d’autant plus légitime que plusieurs dispositions de la Constitution ainsi que du préambule semblent entrer en concurrence avec des coutumes institutionnelles telles que, à titre d’exemple, le principe de la représentation communautaire146.

Le nouveau texte de la Constitution ne comporte-t-il pas une garantie du confessionnalisme tout en prétendant l’éradiquer ? Difficile équilibre que doit opérer, à cet égard, le juge constitutionnel entre « ce qui est » et « ce qui doit être ». Entre, en effet, l’objectif affiché par la Constitution de supprimer le confessionnalisme et les garanties qu’elle offre à ces mêmes confessions, quelle sera l’attitude du juge constitutionnel ?

Il semble que le juge constitutionnel a trouvé la réponse à cette interrogation dans le principe d’égalité. Mais ne serait-il pas plus judicieux de parler de souci d’équilibre en vue de sauvegarder la coexistence ?

Dans cette perspective nous aborderons, en premier lieu, la reconnaissance constitutionnelle des prérogatives confessionnelles (Chapitre premier) puis, en second lieu, le contrôle par le Conseil constitutionnel du respect de ces prérogatives (Chapitre second).

145 Il l’a d’ailleurs fait, bien que timidement, dans une décision concernant une loi n° 530/96 du 11 juillet 1996, relative à l’élection des membres de la Chambre des députés (Décision n° 4-96). Il s’agissait en l’occurrence d’un contentieux électoral dans une circonscription « maronite »où l’élection a été entachée de plusieurs irrégularités et où le conseil constitutionnel libanais s’est largement inspiré de la jurisprudence constitutionnelle française. 146 Par ailleurs, plusieurs autres dispositions de la même Constitution confortent ces coutumes institutionnelles. La Constitution de 1990, issue de l’accord de Taëf, accentue, comme nous le verrons plus loin, le confessionnalisme en prétendant le contenir sinon le supprimer.

Chapitre Premier- La reconnaissance des prérogatives confessionnelles et le principe de représentation confessionnelle.

Il ne faut pas perdre de vue que la construction même de la société libanaise est fondée sur le principe de la coexistence intercommunautaire147. La Constitution libanaise, dans sa première version et dans les différentes modifications qui ont pu suivre, a toujours reconnu la place occupée par les communautés confessionnelles, offrant même, par la suite, les garanties nécessaires pour leur survie et leur protection148.

Pour ce faire, la Constitution reconnaît le droit aux communautés d’avoir leurs écoles. L’article 10 de la Constitution dispose clairement qu’il « ne sera porté aucune atteinte au droit des communautés d’avoir leurs écoles ». Et l’article 95, dans sa nouvelle version issue de la modification apportée par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990, n’y change rien en affirmant que « la règle de la représentation confessionnelle est supprimée » 149 . Les « nécessités de l’entente nationale » semblent compliquer quelque peu l’application de l’article 95. Ne fallait-il donc pas garder l’ancienne rédaction qui était plus conforme aux réalités du terrain150 ?

L’application du principe de répartition confessionnelle a donné lieu à divers abus qu’un rapport remontant à 1927 a relevé sans ambiguïté aucune : « Il n’y a pas de chose plus

147 Le dernier alinéa du préambule de la Constitution (notons que ce préambule fut ajouté à la Constitution par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1991) se fait l’écho de ce principe de coexistence en précisant qu’aucune « légitimité n’est reconnue à un quelconque pouvoir qui contredise le pacte de vie commune » 148 La disposition de l’article 9 de la Constitution est claire à cet égard : « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très Haut, l’Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice…Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». 149 C’est également le cas de l’alinéa 8 du préambule de la Constitution qui érige la suppression du confessionnalisme politique en but national. 150 Voir supra.

nuisible à l’intérêt de l’Etat que le sacrifice de la compétence individuelle sur l’autel des traditions. Parmi celle de ces traditions qui ont causé un tort considérable à l’intérêt général, figure le principe du maintien de l’équilibre confessionnel dans les fonctions de l’Etat. Nul ne doute que l’application de cette politique est cause que le gouvernement s’est privé du concours de nombreuses compétences et capacités. Par contre, des particuliers ont individuellement ressenti les avantages de ce principe, sans profit aucun pour le pays et même la communauté dont ils se réclament. La mise en vigueur de cette politique a, en outre, grevé le trésor de dépenses qui ne sont d’aucune utilité pour l’Etat151 ».

Le principe de représentation confessionnelle au sein de la fonction publique vient compléter les prérogatives législatives et juridictionnelles reconnues aux différentes communautés pour ce qui concerne leur statut personnel 152 . A cela plusieurs raisons, parmi lesquelles la sauvegarde de la coexistence intercommunautaire. Le pays étant hétéroclite dans sa composition, l’administration et les institutions doivent en tenir compte par nécessité d’entente nationale. La règle de proportionnalité communautaire n’a pas été considérée par le Conseil d’Etat libanais comme contraire au principe même de recrutement par concours parce qu’elle s’applique « à un classement des candidats opéré selon la communauté à laquelle ils appartiennent, donnant ainsi la priorité dans la nomination au mieux placé de chaque communauté153 ».

151 Rapport particulier sur le projet de budget de l’intérieur de l’exercice 1927. Rapporteur : Dr. E. Tabet, Session extraordinaire du Sénat, 3ème séance, mercredi 2 mars 1927, J.O. libanais, 1927, p. 18. Voici l’explication de ce phénomène : pour maintenir l’équilibre dans les fonctions d’après le principe de la répartition proportionnelle entre les communautés, on a été fortement amené à la création de plus de postes et de fonctions que ne le commandaient le besoin de l’administration et l’expédition des affaires. Il en résulte que les fonds du Trésor ont été dépensés au nom des communautés, pour servir des intérêts particuliers. Ceci constitue un renversement de la règle politique sociale universelle qui veut que l’intérêt public doit primer l’intérêt particulier. 152 Et ce malgré les dispositions de l’article 12 de la Constitution libanaise selon lesquelles « tous les libanais sont également admissibles à tous les emplois publics sans autre motif de préférence que leur mérite et leur compétence et suivant les conditions fixées par la loi ». 153 C.E.L., Conseil du Contentieux, n° 1197 du 4 novembre 1966, Dlle Chamas, Rec. Chidiac 1967, p. 25. Voir le rapport du président rapporteur et les conclusions du commissaire du gouvernement adjoint qui préconisaient la solution contraire en affirmant que la proportionnelle communautaire ne pouvait s’appliquer lorsque l’administration ne disposait pas d’une liberté de choix, ce qui est le cas lorsque le recrutement se fait par voie de concours ; POEJ 1967, p. 172, note Hassan Rifaat. En France, le principe de l’égalité d’accès aux emplois publics interdit toute forme de discrimination en raison des convictions religieuses des candidats. Le Conseil d’Etat français a en effet annulé dans de nombreux arrêts les décisions interdisant l’accès de certains candidats à

Comme le souligne Fougère, « l’égalité est toujours le but poursuivi mais il s’agit… d’une égalité entre collectivités et non plus entre individus154 ». E fait, « plus que de l’égalité des citoyens devant les fonctions publiques, il vaut mieux parler de celle des communautés religieuses155 ». En effet, la « fonction publique… adhère à la société libanaise par un de ses traits fondamentaux, qui est le confessionnalisme ». Celui-ci « maintient un esprit de clientèle peu conforme aux exigences du service public » et a « pour corollaire inévitable l’intervention des représentants des communautés dans a gestion interne de la fonction publique » qui était ainsi politisée. Ce qui « inspire un système de dépouilles plus proche en fait du spoil-system américain que de la neutralité de l’administration française ou britannique156 ».

Il en est ainsi, par exemple, pour ce qui concerne la justice ou l’armée. Ceci est sans doute la transcription actuelle d’un héritage historique où les communautés ont vécu parallèlement leur différence sur un seul et unique territoire. Mais, à l’heure où le Liban est reconnu « Patrie souveraine, libre et indépendante, Patrie définitive pour tous ses fils, unitaire dans son territoire, son peuple et ses institutions157 », il a fallu répartir équitablement les pouvoirs pour qu’aucune communauté ne se trouve lésée158. Car en définitive, le Liban d’aujourd’hui est une la fonction publique en raison de leurs seules croyances religieuses. C’est ainsi qu’il a été jugé que l’Administration ne peut se fonder sur des motifs tirés des croyances religieuses des candidats (C.E.F., 8 décembre 1948, Dlle Pasteau, Rec., p. 464, S. 1949, III 41, note Rivero, R.D.P., 1949, p. 73, note Waline), de la circonstance qu’ils ont poursuivi leurs études dans des établissements d’enseignement confessionnels (C.E.F., section, 25 juillet 1939, Dlle Beis, Rec., p. 524) ou qu’ils fréquentent, à leurs heures de loisir, un groupement à caractère confessionnel (C.E.F., 3 mai 1950, Dlle Jamet, Rec., p. 247, S. 1951, III, 73, note Delpech) pour leur refuser l’accès à la fonction publique. Cette jurisprudence n’est certes pas transposable au Liban, la décision du Conseil de la fonction publique arrêtant la liste des candidats admis à concourir étant insusceptible de tout recours, y compris le recours pour excès de pouvoir (article 8, alinéa 5 du décret-loi n° 112 du 12 juin 1959). 154 L. FOUGERE, La fonction publique. Etude et choix de textes commentés, Bruxelles, Institut international de Sciences administratives, 1966, p. 184. 155 P. DELVOLVE, L’Administration libanaise, Berger-Levrault, 1971, p. 75. 156 J.-Cl. Douence, L’Administration libanaise à la recherche d’un second souffle, Etudes et documents du Centre de diffusion libanais, Ministère de l’information, Beyrouth, 1973, p. 11. 157 Alinéa premier de la Constitution libanaise. 158 En France le cas est sensiblement différent. En effet, le principe de l’égalité d’accès aux emplois publics, qui « est à la base de l’organisation politique et administrative de la France moderne » (G. JEZE, L’entrée au service public, R.D.P., 1927, P. 419), date de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 dont l’article 6 proclame, pour la première fois, l’égale admissibilité de tous les citoyens « à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Voir également sur ce sujet : J. Garagnon, L’origine du principe de l’égale admissibilité aux fonctions publiques, Sirey, 1956 et Fr. Gazier, La fonction publique dans le Monde, Cujas, 1972.

« République démocratique, parlementaire fondée…sur l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence159 ». Mais il n’en fut pas toujours ainsi, les différentes communautés libanaises ont d’abord connu des périodes où elles vivaient côte à côte sans réelle interaction avant de se rassembler sous la bannière de la coexistence et de s’organiser autour du principe de représentation confessionnelle.

Deux exemples sont particulièrement saisissants à cet égard : celui de la justice et celui de l’armée.

Section I- L’héritage confessionnel de la justice

La tradition juridique est très ancienne au Liban. A l’époque de l’empire Byzantin 160 , Beyrouth était déjà le siège d’une école de Droit très connue : Ecole de droit de BERYTE dont la réputation se répandait jusqu'à Rome au 5ème Siècle. A un point tel que lorsque justinien créa les Institutes, il fit appel à deux juristes de l’école de Béryte.

Au VIIe siècle161, ce fut la conquête arabe et l’arrivée au Liban du droit islamique. On commence à parler dès lors d’un système multiconfessionnel. Le droit musulman ne s’appliquait qu’aux musulmans qui n’ont pas essayé de convertir les autres gens du livre (chrétiens et juifs). Le nouveau pouvoir a ainsi consacré la diversité des statuts et a laissé à chaque communauté la liberté d’appliquer ses propres règles. L’Etat musulman n’a appliqué des règles communes pour tous que dans le domaine du droit financier et du droit public.

159 Alinéa 3 du préambule de la Constitution libanaise. 160 Le Liban vécut plus que deux siècles sous la férule de l’empire Byzantin, de 395 à 624. 161 En 637 de notre ère pour être plus précis.

L’arrivée des Croisés a suivi la conquête arabe. Leur domination a durée 2 siècles162. Les Mamelouks du Caire dominèrent ensuite la région jusqu'en 1516, date à laquelle le sultan ottoman, Selim 1er, attaqua l'Empire du Mamelouk Ghoûri.

La conquête Ottomane a maintenu le système multiconfessionnel. Sous l’empire Ottoman, le système juridique Libanais a remarquablement évolué, et ce en deux phases, grâce au régime politique adopté à l’époque.

Dans un premier temps, vers l’an 1841, les Ottomans ont instauré le féodalisme. Les seigneuries locales s’installent dans la montagne libanaise. Les émirs jouaient le rôle du Sultan, et rendaient la justice.

Dans un second temps, notamment au tout début du XXe siècle, l’empire Ottoman a décidé de moderniser son droit, en intégrant les codes européens. Par voie de conséquence, en 1913 et en association avec la faculté de Droit de Lyon, a été créée une faculté qui préparait les étudiant à la licence Française de Droit, l’Université Saint Joseph (USJ).

A ce niveau, et avant de passer à la dernière étape qu’a connu le Liban avant qu’il ait son indépendance 163 , il faut s’arrêter devant la particularité de la société libanaise multiconfessionnelle et son influence sur le régime juridique.

Jusqu’au XVIIe siècle, tant que les Maronites et les Druzes ne s’étaient pas encore territorialement mêlés, ils avaient chacun leur justice, leurs coutumes judiciaires et leurs droits. Les musulmans de leur côté, suivaient la loi islamique selon les rites adoptés successivement par les Fatimides, les Mamelouks et les Ottomans.

- Les Druzes :

162 De 1098 à 1289. Voir à cet effet Steven Runciman, Histoire des Croisades, éditions Dagorno, 1998. 163 Il s’agit, bien entendu, de l’époque du Mandat français.

A l’exception du domaine des statuts personnels, dont le règlement relevait de la compétence exclusive des juridictions et des chefs religieux Druzes, c’était le droit islamique qui régissait les autres affaires des Druzes notamment dans le domaine du droit civil, commercial et pénal. Les magistrats étaient dotés d’un double mandat. Nommés par les émirs et se voyant attribuer un statut officiel par l’Etat Ottoman, ils appliquaient les règles de la religion Druze sur leurs justiciables dans le domaine du statut personnel, et la loi coranique pour toutes les affaires relevant du droit civil et pénal. Cependant à partir du XVIIIe siècle, l’Empire Ottoman décida de réduire les pouvoirs des Princes druzes en matière de justice. Ces derniers deviennent de simples personnalités politiques. Dès lors, le pouvoir juridique était devenu de la seule compétence des institutions Ottomanes.

- Les maronites :

La particularité du système juridique dans les villes maronites relevait du fait que les musulmans depuis la conquête arabe, n’ont pas imposé les lois coraniques aux autres gens du livre. Les prêtres réglaient les différends par la voie de la médiation et de l’arbitrage en se basant sur des règles simples et coutumières. Cependant, quand les maronites ont commencé à habiter les villes soumises aux druzes, les autorités ecclésiastiques se sont alors arrangées164 de sorte que le Patriarche choisissait les membres du clergé auxquels il voulait attribuer le rôle de magistrat et l’Emir leur accordait l’investiture en les nommant juges.

- Les Etrangers :

Dans le cadre de sa politique étrangère, l’Empire Ottoman avait conclu avec les Etats étrangers des accords afin d’améliorer et de favoriser le commerce165. En contrepartie, l’Etat Ottoman s’était engagé à accorder des privilèges aux étrangers résidant sur son territoire, en faisant en sorte que leur soient appliquées les lois de leurs pays d’origine.

164 Pour ménager, visiblement, l’amour propre de chaque partie. 165 Accords conclus en vertu du Traité de Nissid de 1838.

Néanmoins, à partir de 1885, l’Empire Ottoman166 a décidé d’appliquer uniquement les règles de la Charia sur tout le territoire libanais. L’autorité chrétienne qui a commencé à appréhender que ses fidèles soient jugés par des magistrats musulmans, a accepté la proposition de deux jeunes maronites Béchara el KHOURI 167 et Mouhanna HABIB d’étudier la loi et la jurisprudence islamique 168 pour ensuite l’appliquer et l’enseigner 169 . Ils ont été ensuite nommés magistrats l’un à dans la région de Kesrouane et l’autre à Beit-Eddine dans le Chouf pour examiner en dernier ressort les procès des chrétiens entendus par les magistrats musulmans de province.

- Le mandat français :

Après la première guerre mondiale, le territoire de l’Empire Ottoman (vaincu) fut soumis au partage des puissances alliées 170 . Ainsi le Liban devint protectorat français en vertu du mandat donné à la France par la Société des Nations. Le Liban a dès lors adopté un code franco-suisse préparé par un groupe de juristes franco-libanais. Ce code a été mis en place progressivement. Le Code civil libanais date ainsi du 11 avril 1932 et le Code de la propriété du premier mars 1943.

Avec l’arrivée de la France donc, on assiste à une mise en place d’une véritable infrastructure judiciaire171. Infrastructure qui devait toutefois respecter la composition multiconfessionnelle de la société libanaise. Les autorités religieuses ont ainsi, comme nous l’avons vu, bénéficié d’un véritable pouvoir législatif et judiciaire pour ce qui relève de leur statut personnel. Quant aux autres domaines juridiques, dont les autorités publiques doivent assumer la charge par le

166 Par l’entremise du Moutassarrif Wassa Pacha qui introduisit au Liban la même organisation judiciaire en vigueur dans tous les territoires de l’Empire ottoman. 167 Devenu ensuite le premier président de la première République libanaise indépendante en 1943. 168 Le Fiqh. 169 Jusqu’au moment où la faculté de droit de Beyrouth prît la relève en 1913. 170 La France et la Grande-Bretagne se partagent le Moyen-Orient en vertu des accords de Sykes-Picot de 1917. 171 Ainsi, le 5 décembre 1919, sous la présidence de M. Puech, conseiller judiciaire, entouré du bâtonnier Dumani, des présidents de la Cour d’appel et du Tribunal de commerce, le barreau de Beyrouth s’est réuni pour la première fois en séance plénière dans la salle du Tribunal de commerce à l’effet d’élire le Conseil de l’ordre des avocats.

biais de juridictions civiles, ils devaient assurer une juste répartition des emplois publics en vertu du principe de représentation confessionnelle172.

Comme le relève la Banque mondiale, dans une évaluation du secteur juridique et judiciaire datant de juin 2003, la nomination à la magistrature reste soumise à des considérations intellectuelles ainsi qu’à l’appartenance confessionnelle malgré le besoin d’éliminer les considérations confessionnelles dans le secteur public tel que préconisé par la Constitution de 1990. Cette pratique, souligne la Banque mondiale, reflète la nature fragile du partage de pouvoir entre communautés musulmanes et chrétiennes au Liban. Et la Banque mondiale de conclure que « l’impact le plus immédiat est d’ordre pratique : la limitation des candidats à la magistrature est un problème qui a tendance à se manifester par le manque actuel de magistrats au niveau des Cours d’Appel » 173 . Pour ce qui concerne le principe de représentation confessionnelle, la Banque Mondiale fait deux recommandations : l’une relative à la sélection des magistrats et leur nomination174 et l’autre relative à l’impartialité et à l’indépendance judiciaire175.

On retrouve d’ailleurs ce même principe de représentation confessionnelle dans toutes les administrations publiques. Y compris l’armée. Ce qui n’a pas manqué de poser d’énormes difficultés à maintenir l’ordre lors de la guerre « civile » libanaise.

172 L’article 95 de la Constitution, dans sa première version datant de l’époque du Mandat, disposait qu’en vertu « de l’article 1er de la Charte du Mandat et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère… » 173 A titre d’exemple, un poste à la Cour de Cassation occupé par un juge maronite décédé est resté vacant en raison de l’impossibilité de trouver un autre maronite ayant le même niveau d’expérience. Le plus inquiétant est la manière dont cette pratique mine la sélection basée sur le mérite et la qualité qui sont essentielles à un pouvoir judiciaire impartial. 174 « Les considérations d’appartenance confessionnelle en tant que critère de sélection devraient être abolies dans la mesure du possible afin de maximiser le nombre de candidats disponibles ». 175 « Tout en reconnaissant la problématique de la représentation des communautés au Liban, des mesures pour éliminer le confessionnalisme devraient néanmoins être encouragées en raison de ses effets sur l’indépendance et l’impartialité du système judiciaire ».

Section II- L’héritage confessionnel de l’armée

Avant le 1er août 1945, les forces armées libanaises assimilées aux formations militaires de la région n’avaient aucune caractéristique nationale. De nombreux libanais ont été recrutés par la France aux côtés de syriens et d’arméniens dans la Légion d’Orient, mise sur pied le 15novembre 1916, en vue de combattre les Ottomans durant la première guerre mondiale.

Le 5 juillet 1920, le ministère français de la Défense transforma la Légion d’Orient en « Troupes auxiliaires du Levant » et porta en 1924 jusqu’à 7000 hommes les effectifs de cette nouvelle unité.

Le 20 mars 1930, ce contingent reçut une nouvelle appellation et fut officialisé sous le nom de « Troupes spéciales du Levant » ayant un centre d’instruction implanté d’abord à Homs puis à Damas en 1934.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les 22 000 hommes de cette unité furent engagés sur différents théâtres d’opérations aux côtés des Alliés. Elle se distingua particulièrement à la bataille de Bir Hakeim en 1942.

Le premier juin 1943, à la veille de l’indépendance du Liban, le contingent libanais fut retiré des « Troupes spéciales du Levant » pour constituer la « Cinquième brigade spéciale de montagne ». Le 15 juin 1944, le chef du gouvernement libanais, Riad El Solh, obtint du général commandant les Forces françaises au Liban que le contingent libanais passe sous l’autorité du nouvel Etat. Cet accord ne sera effectif que le premier août 1945, qui sera la date officielle de la naissance de l’armée libanaise.

Telle qu’elle fut créée le 1er août 1945, et malgré les efforts tentés, l’armée libanaise ne put jamais complètement surmonter le confessionnalisme. Le général , son premier commandant en chef, comprit immédiatement que cette division l’empêcherait de servir de socle à l’unification du pays et qu’elle devrait, pour maintenir son unité, se contenter d’assurer le maintien de l’ordre sur le territoire national, sans plus.

L’armée libanaise fut la première à subir les conséquences de l’implantation massive, sur son territoire, des organisations armées palestiniennes chassées de Jordanie en septembre 1970. La situation s’envenima à un point tel que le Président de la République de l’époque, Soleiman Frangié176, engagea la troupe contre les camps palestiniens177. Les accords signés au Caire le 3 novembre 1969 donnant aux palestiniens une large autonomie dans le pays, enlevèrent à ces opérations militaires tout impact significatif.

Ce furent les chrétiens qui perdirent confiance en leur armée et commença dès lors l’éclatement de l’institution militaire. Contestant « le non alignement inconditionnel du Liban à la politique suivie par la plupart des pays arabes et la composition sectaire du commandement de l’armée », un jeune officier musulman, le Lieutenant Ahmad al-Khatib entraînait dans son sillage, le 21 janvier 1976, une importante faction de l’armée. Celle-ci se disloquait d’ailleurs en plusieurs fractions dont une, conduite par le commandant Saad Haddad, fut à l’origine de la milice pro-israélienne connue sous l’appellation de « l’armée du Liban-Sud »178.

176 Il fut Président de la République du 23 septembre 1970 au 23 septembre 1976. 177 Du 2 au 10 mai 1973, l’armée libanaise, soutenue par l’artillerie et pour la première fois par son aviation, attaqua en force les camps palestiniens de Beyrouth (Sabra, Chatila, Tal El Zaatar), de Dbayeh et dans le Békaa- ouest les concentrations de Fedayines cantonnées à Deir el-Achaer et à Aïta al-Fokhar dans la région de Rachaya al-Ouadi. Après trois jours de négociations menées du côté libanais par le Colonel Ahmed al-Hajj et Abou Adnan et Salah Salah pour les palestiniens, un amendement de l’accord du Caire connu sous le nom de l’accord de Melkart, réduisant la liberté d’action des Fédayines au Liban, fut conclu entre les deux parties. 178 Milice qui se disloqua avec le retrait de Tsahal du Liban le 22 mai 2000.

Le général Ibrahim Tannous, nommé commandant en chef de l’armée le 8 décembre 1983 entreprit avec l’aide des américains et des français, de rebâtir une armée moderne. Il instaura un service militaire obligatoire qui porta en moins d’un an les effectifs de l’armée de 18 000 à 34 000 hommes. La restructuration de l’armée fut facilitée par une aide occidentale concrétisée par la présence d’une Force multinationale de sécurité composée de contingents américain, français, anglais et italien séjournant au Liban du 24 septembre 1982 au 31 mars 1984.

Mais les signes avant-coureurs d’une nouvelle dislocation de l’armée apparurent durant l’été 1983, au cours de la « guerre de la montagne ». Les officiers druzes quittèrent leurs unités et se retirèrent dans la caserne de Hammana.

La relève dans la capitale, le 4 février 1984, d’une brigade à majorité musulmane, jugée peu sûre, mit le feu aux poudres. L’armée éclata une fois encore en deux parties : l’une, à tendance musulmane, se replia dans ses casernes et l’autre, à tendance chrétienne, se réfugia dans les zones tenues par les milices de l’est sans pour autant se rallier à elles. Preuve s’il en est de la fragilité d’une armée multiconfessionnelle dans un contexte de conflit interconfessionnel.

La constitution d’un gouvernement d’union nationale entre le 26 et le 30 avril 1984, avec la nomination du général à la tête de l’armée, va favoriser un retour au calme sans pour autant améliorer fondamentalement la situation de cette institution.

La situation s’envenima quand, à la fin de son mandat présidentiel, désigna le général Aoun à la tête d’un gouvernement provisoire de transition afin de préparer l’élection d’un nouveau président. Un conflit d’apparence confessionnel était dès lors ouvert entre un gouvernement civil à l’ouest qui refusait de partir et un cabinet militaire à l’est qui

s’installait à Baabda179. L’accord de Taëf et l’élection d’un Président de la République ont été les éléments décisifs entraînant la fin du régime militaire du général Aoun. Le 13 octobre 1990, les forces gouvernementales libanaises, lourdement soutenues par l’armée syrienne déjà stationnée au Liban, prennent le contrôle du réduit chrétien de Beyrouth-Est, tandis que le général et ses principaux collaborateurs se réfugiaient à l’Ambassade de France. Banni, le général quitta le Liban pour la France au mois d’août 1991.

Depuis, d’importantes réformes de l’institution militaire ont été conduites. L’amalgame des brigades, autrefois confessionnelles, a permis leur déploiement sur tout le territoire. Mais le principe de représentation confessionnelle reste entier. La répartition des fonctions militaires se fait toujours en fonction de l’appartenance confessionnelle180. Comme pour la justice, et toutes les autres administrations publiques, l’institution militaire reste prisonnière du principe de représentation confessionnelle.

Se pose dès lors la question de la contribution du Conseil constitutionnel à la sauvegarde du principe de représentation confessionnelle. En effet, il serait intéressant d’étudier l’attitude de cette nouvelle juridiction face aux objectifs et garanties inscrites dans la Constitution.

179 Le gouvernement du général Aoun avait été réduit, dès ses premiers instants, à trois membres (le général Aoun, le général Edgar Maalouf et le Colonel Issam Abou Jamra), les trois officiers musulmans du Conseil militaire (les généraux Tay Abou Dargham, Koraytem et Loutfi Jaber) ayant immédiatement refusé leurs postes. 180 La « grande muette » reste peu communicative sur ce sujet, comme sur bien d’autres, mais le ministre de la Défense de l’époque, en 1992, M. Michel el-Murr a fourni à la presse le nombre total d’officiers en activité et leur répartition par confession et par grade. Les officiers généraux brigadiers : 88, dont 50 chrétiens (35 maronites, 7 grecs-orthodoxes et 8 grecs-catholiques) et 38 musulmans (12 sunnites, 15 chiites et 5 druzes). Les colonels : 125 dont 72 chrétiens (41 maronites, 21 grecs-orthodoxes et 10 grecs-catholiques) et 53 musulmans (22 sunnites, 21 chiites et 10 druzes). Les lieutenants-colonels : 146 dont 77 chrétiens (39 maronites, 20 grecs- orthodoxes et 18 grecs-catholiques) et 69 musulmans (28 sunnites, 32 chiites et 5 druzes). Les commandants : 370 dont 188 chrétiens (105 maronites, 21 grecs-orthodoxes et 36 grecs-catholiques) et 192 musulmans (84 sunnites, 80 chiites et 28 druzes). Les capitaines : 873 dont 387 chrétiens (242 maronites, 83 grecs-orthodoxes et 62 grecs-catholiques) et 486 musulmans (210 sunnites, 192 chiites et 84 druzes). Pour plus de détails sur ce point, et sur bien d’autres, consulter l’excellent ouvrage de Gérard Figuié, le point sur le Liban, éditions Anthologie, Beyrouth, 1996. L’auteur est en effet Officier supérieur de l’armée française à la retraite. Il a effectué la majeure partie de sa carrière dans les pays du Monde arabe où il a occupé des postes à responsabilité, notamment au sein de l’ONU au Liban de 1978 à 1986 et à l’ambassade de France à Beyrouth de 1986 à 1989.

Chapitre Second - La contribution du Conseil constitutionnel à la sauvegarde du principe de représentation confessionnelle.

Au Liban, le Conseil constitutionnel a vu le jour il y a encore peu de temps; son existence découle en effet, de la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990 qui a remanié en ces termes l’article 19 de la Constitution libanaise de 1926, déjà modifié par la loi constitutionnelle du 17 octobre 1927:

"Article 19 (nouveau): un Conseil constitutionnel sera institué pour contrôler la constitutionnalité des lois et statuer sur les conflits et pourvois relatifs aux élections présidentielles et parlementaires. Le droit de saisir le Conseil pour le contrôle de la constitutionnalité des lois appartient au président de la République, au président de la Chambre des députés, au président du Conseil des ministres ou à dix membres de la Chambre des députés, ainsi qu’aux chefs des communautés reconnues légalement en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux ».

Le texte de la Constitution créant ce Conseil en 1990 s’est donc limité à fixer sa compétence et à indiquer les grandes lignes en matière de saisine, laissant au législateur le soin de se prononcer par un texte de loi sur son organisation, son fonctionnement et sa composition.

La tâche ne fut visiblement pas très aisée, dans un pays sortant d’une vingtaine d’années de remous sanglants et cherchant à régler ses problèmes en essayant d’accéder à un État de droit, déjà bien éprouvé par les querelles civiles que l’on sait.

En effet, aussi bien le Gouvernement181 que le Parlement qui a dû enfin le voter ont pris tout leur temps et l’on attendit quelques années pour voir enfin la loi d’organisation du Conseil constitutionnel promulguée; ce fut la loi n° 250 du 14 juillet 1993, complétée par la loi n° 305 du 21 mars 1994182.

On sut dès lors que ce Conseil sera formé de dix membres dont le choix revient pour une moitié à la Chambre des députés183 et pour l’autre au Conseil des ministres184, le Président devant être élu par ses pairs, convoqués par le doyen d’âge aussitôt leur serment prêté devant le président de la République.

Toutes ces formalités ne furent totalement accomplies que le 4 juillet 1994, date qui marque le début du mandat de la première formation de ce Conseil.

La loi du 14 juillet 1993 eut également le soin de préciser que les membres du Conseil doivent obligatoirement être juristes 185 et que leur mandat de six ans ne serait pas renouvelable186.

Comme le souligne Hiam Mouannès 187 , le mécanisme de contrôle mis en place suscite quelques réserves quant à la volonté réelle du législateur de conférer une indépendance indiscutable au juge constitutionnel. Malgré le fait que l’indépendance du Conseil soit inscrite

181 Qui s’est chargé de préparer le projet de loi et qui remit son ouvrage sur le métier plus d’une fois à travers des commissions ad hoc 182 Ajoutant un alinéa à l’article 3. 183 À la majorité absolue des membres la composant. 184 À la majorité des deux tiers. 185 Magistrats en exercice ou à la retraite, avocats, professeurs des facultés de droits, ayant exercé leur profession pendant vingt ans au moins (article 3 de la loi 250/93). 186 Un tirage au sort au bout de trois ans étant prévu pour la moitié des membres de la première formation afin d’assurer ensuite un renouvellement par moitié tous les trois ans. 187 Op. Cit.

dans les textes188, le doute s’impose quant au caractère effectif de cette indépendance. Notons en effet que la nomination des membres du Conseil est laissée à la discrétion des deux pouvoirs législatif et exécutif. Sans doute aurait-il fallu préciser dans la Constitution même le mode de désignation des membres du Conseil, comme c’est le cas en France, en Allemagne, en Espagne, en Italie ou en Espagne189.

Soulignons également que la composition du Conseil constitutionnel n’a pas échappé au principe de représentation confessionnelle190. Le pouvoir politique se méfierait-il d’une haute juridiction qui risquerait de rendre des décisions politiques ? Toujours est-il que dans sa composition actuelle le Conseil constitutionnel reste soumis au même principe de représentation confessionnelle. Les dix sièges prévus étant égalitairement répartis entre chrétien et musulmans191. Comme il nous a été confié par un ancien membre du Conseil192, la répartition confessionnelle au sein du Conseil constitutionnel n’est que le reflet de la répartition confessionnelle au sein même des institutions libanaises. Est-ce la raison pour laquelle le Conseil est composé de dix membres ? Nombre rendant plus facile la répartition égalitaire des sièges sur une base confessionnelle. Tout porte à le croire.

188 L’article 1er de la loi 250/93 dispose en effet que « le Conseil constitutionnel est une instance indépendante ». Le règlement intérieur du Conseil constitutionnel (publié intégralement par le quotidien Al-Safir du 27 octobre 1994, en langue arabe) précise que « le Conseil constitutionnel est une instance constitutionnelle indépendante à caractère juridictionnel ». 189 Ceci aurait eu pour effet de protéger le Conseil de l’arbitraire des majorités parlementaires. Mais faut-il s’étonner de la place réservée aux parlementaires dans la désignation des membres du Conseil constitutionnel lorsqu’on sait que c’est au Parlement qu’a été confiée la mission de déterminer la procédure de nomination ? Il faut croire que ce dernier ne voulait pas voir la nomination des membres du Conseil lui échapper complètement, car l’article 2 du premier projet (du 19 février 1993) soumis au Parlement prévoyait la composition du Conseil de 10 juges dont 4 désignés d’office, 6 par décret en Conseil des ministres, la présidence étant d’office assurée alternativement pour deux ans par le premier président de la Cour de cassation et le président du Conseil d’Etat. 190 Cet équilibre a été constaté dès la première formation du Conseil (cinq chrétiens et cinq musulmans). Quant à la présidence, elle a été confiée à un juge chrétien (M. Wajdi Mallat, remplacé après sa démission, pour dénoncer l’interventionnisme politique le 2 avril 1997, par M. Amine Nassar le 25 août 1997) et la vice présidence à un juge musulman (M. Mohammed El-Majzoub, remplacé lors du renouvellement triennal par M. Moustapha El- Aouji). Le mandat est renouvelable par moitié tous les trois ans. Pour le premier Conseil, l’alinéa 2 de l’article 4 de la loi 250/93 prévoit qu’à titre exceptionnel le mandat de la première moitié des membres se terminera au bout de trois ans (le mandat est normalement de six ans). Les membres seront tirés au sort. Les cinq nouveaux membres seront désignés par les autorités qui ont désigné les cinq membres sortants. C’est à la suite de cette procédure qu’ont été désignés MM. Hussein Hamdan, Fawzi Abou Mrad, Amine Nassar, Moustapha El-Awji et Selim Jereissati. Ils ont prêté serment, conformément à l’article 5 de la loi 250/93, le 25 août 1997. 191 Les membres actuels du Conseil constitutionnel libanais sont MM. : Amine Nassar, Président, Moustapha El- Awji, vice-Président, Sami Younès, Secrétaire Général, Hussein Hamdan, Chargé des affaires Financières, Afif Mokaddem, Moustapha Mansour, Gabriel Syriani, Emile Bejjani, Faouzi Abou Mrad et Selim Jereissati. 192 Qui n’a pas oublié cependant de se retrancher derrière le sacro-saint devoir de réserve.

Il n’en demeure pas moins que le Conseil constitutionnel libanais a montré à plusieurs reprises son indépendance vis-à-vis du pouvoir politique en rendant des décisions qualifiées d’audacieuses193 dans un climat politique peu favorable.

Plus encore, dans un contexte de mainmise syrienne, le Conseil constitutionnel a eu à contrôler la constitutionnalité d’une loi électorale opérant un découpage des circonscriptions électorales de manière à favoriser les candidats pro-syriens. La loi en question n’a pas manqué de s’attirer les foudres du Conseil qui a relevé de nombreuses inconstitutionnalités194, au premier rang desquelles l’atteinte manifeste à l’égalité des citoyens devant la loi. Mais le pouvoir politique, bien décidé à voir aboutir une loi électorale de circonstance n’a pas manqué de détourner la décision du Conseil en faisant voter par le Parlement une autre loi électorale reprenant pour l’essentiel les dispositions de la loi sanctionnée 195 , mettant le Conseil constitutionnel dans une situation inconfortable de fait accompli.

193 L’exemple de la décision n° 2-95 du 25 février 1995 concernant les tribunaux Char’i est particulièrement saisissant à cet égard. Le Conseil a eu à trancher la question de savoir si les députés qui auraient signé au bas d’un recours pour le saisir de l’inconstitutionnalité d’une loi pouvaient se rétracter par la suite. Deux députés ayant fait l’objet, visiblement, de pressions en vue de retirer leur signature. Le Conseil a répondu par la négative dans une décision ainsi argumentée : « Considérant que les titulaires de la saisine devant le Conseil constitutionnel, limitativement énumérés à l’article 19 de la Constitution, quand ils demandent l’annulation d’une loi inconstitutionnelle, exercent une prérogative que la Constitution leur confère dans l’intérêt général, et qui se trouve ainsi dépourvue de tout caractère litigieux personnel ; qu’un tel recours issu d’un pouvoir constitutionnel devient définitif lors de son inscription auprès du Conseil constitutionnel et ne peut être postérieurement rétracté… ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel libanais a précédé le Conseil constitutionnel français qui a adopté une décision identique en 1996 en refusant toute rétractation en soulignant le caractère nécessairement indivisible de la saisine, l’intérêt à agir étant la seule défense de la Constitution, ce qui justifie également que le Conseil exerce son contrôle sur l’ensemble de la loi soumise à son examen. On ne peut pas, ajoute le Professeur Drago, vraiment utiliser la notion de parties à propos des requérants en contentieux constitutionnel ; Guillaume Drago, Contentieux constitutionnel français, Paris, PUF, collection Thémis, 1998, p. 283. 194 Il s’agit de la décision n° 4-96 du 7 août 1996 portant sur la loi électorale n° 530 du 12 juillet 1996. 195 La nouvelle loi (Loi n°587 du 13 août 1996) a été promulguée par le Président de la République de l’époque, M. Elias Hraoui, et publiée trois jours avant la tenue du premier tour de scrutin, ce qui rendait difficile, sinon impossible, une nouvelle saisine du Conseil constitutionnel et une nouvelle sanction. Voir à cet effet le commentaire de M. Youssef Saadallah El-Khoury, ancien Président du Conseil d’Etat libanais, dans le quotidien « An Nahar » du 6 septembre 1996 ; ainsi que l’excellent ouvrage de Maître Adel Boutros, Le Conseil constitutionnel et le contentieux électoral, édition Al-Halabi, 1998 (ouvrage en langue arabe).

C’est, sans doute, ce qui a fait dire au Professeur Pierre Gannagé196 que « l’efficacité de la mission du Conseil constitutionnel va ainsi dépendre de la conscience de la classe politique dont l’inertie au Liban, plus encore que les recours inappropriés, pourra être redoutée ».

Mais derrière le respect du principe d’égalité, au nom duquel le Conseil constitutionnel libanais n’a pas hésité à annuler la loi électorale n° 530 du 12 juillet 1996, on retrouve le principe de représentation confessionnelle. Le principe d’égalité devenant ainsi le garant du principe de représentation confessionnelle.

Section I- Le principe d’égalité ; garant du principe de représentation confessionnelle.

La Constitution libanaise, promulguée le 23 mai 1926, n’ignorait déjà pas le principe d’égalité puisqu’on a le loisir de lire ce qui suit dans le texte de son article 7: "Tous les libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune".

À la faveur de la révision du 21 septembre 1990, un préambule 197 fut introduit dont le troisième paragraphe reprend la même idée en la précisant. Il y est dit, en effet:

196 Pierre Gannagé, Le Conseil constitutionnel libanais et les Constitutions des pays arabes, colloque du CEDEROMA à Beyrouth 1998, Bruylant, Bruxelles, 1999, p. 261. 197 A l’instar de la position adoptée par le Conseil constitutionnel français, le Conseil constitutionnel libanais n’a pas tardé à reconnaître valeur constitutionnelle au Préambule de la Constitution (Décision n° 4-96 du 7 août 1996 portant sur la loi électorale n° 530 du 12 juillet 1996) suivant ainsi une position largement partagée par la doctrine. Voir à cet effet « Régimes politiques et droit constitutionnel » du Doyen Ebrahim Chiha, édition Al- Dar Al-Jami’ya, p. 408.

"Le Liban est une République démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence."

Voilà donc le principe d’égalité bien placé dans le cadre de l’exercice des libertés publiques, en général, et dans celles des citoyens en particulier.

Les dix députés qui saisirent le Conseil aux fins de voir censurées les dispositions de la loi n° 29 du 12 juillet 1996198 s’inspirèrent d’ailleurs de ce principe en présentant leur recours.

En effet, la loi incriminée prévoyait une répartition des circonscriptions électorales qui n’assurait manifestement pas l’égalité, aussi bien vis-à-vis des électeurs que vis-à-vis des élus.

Dans sa décision n° 4/96 du 7 août 1996, le Conseil eut soin de préciser la valeur constitutionnelle du principe d’égalité en matière électorale et d’en détailler les aspects et les exigences tout le long des principaux considérants199.

198 Portant modification de certaines dispositions de la loi électorale du 26 avril 1960. 199 « Considérant que l’article 24 de la Constitution libanaise stipule que la Chambre des députés est constituée de députés élus dont le nombre et les modalités d’élection sont fixés; que cette disposition se limite à établir les principes qui doivent commander la répartition des différents sièges de la Chambre; Que la Chambre des députés, lors de l’établissement des lois électorales doit cependant, en tout état de cause, observer les principes généraux qui sont énoncés dans l’article 7 de la Constitution comme dans son préambule; Que l’article 7 de la Constitution déclare: "Tous les libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune..". Que le paragraphe C du préambule de la Constitution stipule à son tour: "Le Liban est une république démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens, sans distinction, ni préférence". Que le paragraphe D de ce préambule énonce enfin: "Le peuple est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté qu'il exerce à travers les institutions constitutionnelles...".

Autrement dit, en prononçant cette décision le Conseil Constitutionnel libanais s’est référé en même temps au texte de la Constitution, aux énonciations de son préambule et à la théorie des principes généraux du droit pour ériger en valeur d’ordre constitutionnel, le principe d’égalité appliqué au suffrage et à la représentation politique.

Il ne pouvait pas manquer de le souligner pour un pays ancré dans des traditions d’égalité qui imposent leur respect à tous les plans, y compris le plan constitutionnel lui-même, puisque ces données traditionnelles découlent, à bien les considérer, d’une certaine transcendance démocratique.

Considérant que l’élection constitue l’expression démocratique de cette souveraineté; qu’elle ne peut être démocratique que si sa réglementation est conforme aux principes de la Constitution, notamment au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi; Que la loi est la manifestation d’une volonté générale qui s’exprime à la Chambre des députés; qu’elle ne revêt ce caractère que si elle s’accorde avec les principes généraux de la Constitution; qu’elle doit être ainsi uniforme, la même pour tous les citoyens; que cette uniformité dans le domaine de la loi électorale se réalise par une égalité établie entre tous les suffrages des citoyens, de manière à ce que chaque suffrage ait la même force électorale dans les différentes circonscriptions; Que la crédibilité d’un système électoral se fonde aussi sur le découpage des diverses circonscriptions électorales qui doit garantir à son tour une égalité de représentation. Qu’il est considéré à juste titre que tout découpage doit être opéré sur des bases essentiellement démographiques pour être représentatif d’un territoire et de ses habitants. Considérant que le critère démographique dans le découpage des circonscriptions électorales n’est cependant pas rigide et absolu, qu’il appartient au législateur de lui apporter des atténuations lorsqu’il doit tenir compte de circonstances exceptionnelles; que cependant ces atténuations qui touchent le principe d’égalité ne sauraient être admises que si elles s’inspirent d’impératifs précis d’intérêt général et s’appliquent dans des limites étroites...... Considérant que l’article 24 de la Constitution a, d’autre part, établi la répartition des différents sièges de la Chambre sur le fondement des règles destinées à réaliser avec justice, un équilibre entre les diverses communautés comme entre les différentes régions du pays, de manière à assurer leur représentation adéquate et de préserver leur coexistence commune; Que ces règles auxquelles se réfèrent l’article 24 perdent nécessairement leur signification si la loi électorale, pour le découpage des circonscriptions, ne se fonde pas sur un critère unique applicable dans toutes les régions du pays... qu’elle préserve aussi l’égalité des candidats en leur conférant les mêmes droits, en les soumettant aussi aux mêmes obligations...... Qu’on ne saurait admettre enfin que le législateur donne à des circonstances exceptionnelles et provisoires un caractère permanent, en fondant sur elles des règles stables et générales qui portent atteinte d’une manière durable au principe d’égalité... ».

En se référant, par ailleurs, aux dispositions de l’article 24, il fait allusion200 au « principe proprement libanais de la représentation équitable des communautés de manière à assurer un équilibre auquel on ne peut pas encore se soustraire »201.

Avant même la création récente du Conseil constitutionnel au Liban, la jurisprudence administrative libanaise202 obéissait également à la même démarche, surtout lorsqu’elle se permettait, à certaines occasions, l’équivalent d’un contrôle externe de la constitutionnalité des lois203 ou plus précisément un contrôle de la procédure d’application de la Constitution ou des principes généraux. Mais le décret-loi n° 119 du 12 juin 1959204 relatif au statut du Conseil d’Etat libanais a mis fin à cette pratique en disposant que « le recours en annulation et pour excès de pouvoir ne peut être recevable que contre les décisions réglementaires exécutoires à l’exclusion des décisions à caractère législatif ou juridictionnel ».

La décision du Conseil constitutionnel du 7 août 1996 précitée était la première où le Conseil faisait application du principe d’égalité et de pacte de vie commune. Il devait y revenir par la suite dans d’autres domaines.

200 Même si cela demeure dans les limites d’une certaine discrétion. 201 Voir sur ce point le rapport du Conseil constitutionnel libanais lors du premier congrès de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage l’usage du français (ACCPUF) autour du principe d’égalité, qui s’est tenu à Paris en avril 1997. 202 Constituée essentiellement par les arrêts du Conseil d’État. 203 Il en fut ainsi, par exemple, lorsque par un arrêt du 15 février 1956 le Conseil d’Etat libanais soulignait qu’ « aux termes mêmes de la Constitution, dans le cas de contradiction entre normes, le juge doit faire appliquer la norme hiérarchiquement supérieure. S’il s’agit d’un décret et d’une loi c’est la loi qui s’applique et si cette dernière est en contradiction avec la Constitution, c’est la Constitution que le juge doit faire respecter ». Et la 3ème chambre de la Cour de cassation de préciser, dans un arrêt du 25 avril 1967, que « la Constitution étant la loi fondamentale du pays, elle doit être respectée et les lois ordinaires ne peuvent aller à son encontre ». Mais le législateur a marqué son hostilité à cette immixtion du juge dans son activité par la loi du 28 mars 1933, modifiée par le décret-loi 90/83 du 9 octobre 1983, devenant l’article 2 du Code civil et au terme duquel « les tribunaux ne pourront déclarer la nullité des activités du pouvoir législatif pour cause de non-conformité des lois ordinaires à la Constitution ou aux traités internationaux ». Cette loi fait l’écho de l’article 10 de la loi française des 16-24 août 1790 selon lequel « les tribunaux ne pourront (…) empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, sous peine de forfaiture ». 204 Repris par le décret n° 10434 du 14 juin 1975 mettant en place le nouveau statut du Conseil d’Etat.

Dans une étude du Conseil constitutionnel libanais en date du 18 décembre 2002205, ce dernier a voulu apporter quelques précisions sur le « principe de pacte de vie commune » et celui de « pacte tacite » fondant l’attribution des trois plus hautes fonctions de l’Etat aux trois principales communautés religieuses. Il le fait en ces termes : « Ni le Conseil constitutionnel du Liban ni la doctrine constitutionnelle libanaise n’ont encore eu le recul nécessaire pour voir se développer l’application du principe à des cas d’espèce déterminés, ni se dégager une littérature doctrinale à ce sujet ».

Toutefois, ce principe semble avoir une portée très générale touchant aussi bien les normes que les pratiques constitutionnelles206. « A notre sens, ajoute le Conseil constitutionnel, le pacte de vie commune n’a été introduit dans la Constitution que pour renforcer, consolider et encadrer, comme par pléonasme, les principes d’égalité, de solidarité et de fraternité ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel érige le principe de représentation proportionnelle et équitable en principe général protégé et garanti par la Constitution207 à l’instar du principe d’égalité. Le principe d’égalité serait même le garant du pluralisme confessionnel et de son corollaire le principe de juste représentation confessionnelle.

L’analyse du Conseil constitutionnel libanais n’est cependant pertinente que si l’on suit une logique de protection des minorités. Les droits fondamentaux et individuels sont en quelque sorte occultés au profit des droits accordés aux principales communautés. La protection des droits des minorités ne signifie pas forcément protection des droits des individus composant ces minorités.

205 Congrès d’Ottawa de l’ACCPUF, rapport de la délégation libanaise sur le principe de Fraternité, 18 décembre 2002. 206 Les joutes parlementaires résonnent toujours de son importance. 207 Et par voie de conséquence par le Conseil constitutionnel lui-même.

Section II- Les limites au principe d’égalité en tant que garant du principe de représentation confessionnelle.

L’absence d’uniformité en matière de régimes juridiques des communautés et la différence de traitement qui peut en résulter entre les citoyens libanais, selon qu’ils appartiennent à telle ou telle communauté, n’est pas discriminatoire si l’on se place sur le plan de la protection des minorités. En effet, le danger essentiel que peuvent rencontrer les minorités est l’égalité dans l’uniformisation. Bien qu’une égalité dans la différence existe au Liban, le citoyen est parfois occulté dans cette équation. L’Etat agit comme s’il avait abandonné toutes ses compétences en matière de statut personnel, pire il n’intervient pas pour faire cesser les atteintes qu’un tel système engendre sur les droits fondamentaux de ses citoyens208.

C’est ainsi qu’un citoyen qui abandonne toute appartenance à une communauté, s’il peut se voir appliquer, comme les non-musulmans, la loi civile sur les successions, ne peut jouir de ses autres droits comme celui de se marier209 ou de se présenter aux élections. Un libanais ne peut donc avoir une existence juridique en dehors de l’appartenance à une communauté.

De même, la Constitution ne fait aucune allusion à la protection de certains droits individuels qui pourraient entrer en concurrence avec le régime de telle ou telle communauté ; l’exemple le plus flagrant est celui de l’absence d’allusion à l’égalité entre l’homme et la femme210. Dans un tel système, c’est finalement le citoyen qui se trouve en minorité !

208 Pour une étude des rapports entre droits fondamentaux et religion, voir l’intervention de Léna Gannagé, « Religion et droits fondamentaux dans le droit libanais de la famille », Colloque « Droit et religion », Beyrouth, mai 2000. 209 Du moins au Liban. 210 Il en est ainsi, par exemple, en matière successorale, chez les communautés musulmanes, où la femme n’a pas les mêmes droits que l’homme.

Par ailleurs, l’abandon de toute religion reste pour le moins délicat, sinon impossible. Quoique prévu par l’arrêté 60 LR du 13 mars 1936, qui regroupe, par ailleurs, les agnostiques dans une « communauté de droit commun » régie par la législation civile, cette possibilité est pratiquement annihilée parce qu’aucun texte n’a été adopté pour l’organisation de cette « communauté »211.

Sous l’Empire Ottoman, un changement de communauté n’était possible que dans un seul sens, vers l’islam. Les apostasies des musulmans étaient, par contre, jusqu’au Hatti- hûmayûm212 de 1856, passibles de la peine de mort.

En 1951, compte tenu de l’égalité affirmée entre les communautés au Liban, le législateur a permis le changement de religion à condition de respecter une procédure bien spécifique. A cette fin, le postulant à une nouvelle religion doit adresser au service de l’état civil une demande écrite portant sa signature ainsi qu’une attestation du chef de sa nouvelle communauté certifiant son acceptation dans cette communauté. Le fonctionnaire de l’état civil l’interroge alors devant deux témoins sur sa véritable intention de rallier cette nouvelle communauté. La réponse positive est alors consignée dans un procès-verbal et les registres de l’état civil sont modifiés en fonction.

Certains ont cru pouvoir échapper au système communautaire, du moins s’agissant de son aspect relatif au statut personnel, en profitant de la possibilité offerte par la loi libanaise reconnaissant les mariages civils contractés à l’étranger. Devenu un véritable rituel, le voyage

211 Le Conseil d’Etat libanais, dans deux arrêts du 4 mars et du 4 juin 1976, a estimé que la fondation d’une telle communauté de droit commun nécessite une autorisation préalable du législateur. 212 Rescrit sublime. Le Hatti-humayoum (18 février 1856) essaya de répondre aux désirs exprimés par les puissances européennes. Il reconnaît formellement l'égalité devant la loi et l'impôt, la sécurité des particuliers, le respect de la propriété, l'admission de tous aux emplois publics et au service militaire (ce dernier point ne fut réalisé en pratique que dans des limites fort restreintes), la liberté des cultes; il prescrit la perception directe de l'impôt par l'État, l'égalité des témoignages en justice, l'institution de tribunaux mixtes pour toutes les causes où une partie est étrangère, la suppression, dans les actes officiels, de toute appellation injurieuse pour les non musulmans.

à Chypre est désormais devenu un itinéraire très prisé213, mais pas le seul, pour tous ceux qui cherchent à fuir le mariage religieux et à conclure un mariage bien vite fait à moindres frais. Toutefois, rares sont les couples qui connaissent bien la loi régissant ce type de contrat et les effets juridiques qui en découlent. Car si la loi libanaise autorise et reconnaît le mariage civil contracté à l’étranger, certaines situations échappent aux règles du droit commun libanais et retombent sous la coupe de la juridiction religieuse, notamment en cas de litige ou de succession. En cherchant à échapper aux multiples contraintes du tout communautaire, surtout lorsqu’il y a une dissolution du mariage, interdite par certaines communautés, certains couples se lancent aveuglément dans l’aventure civile sans en connaître les rouages. Mais il n’en reste pas moins que le libre choix laissé aux Libanais par la loi d’opter pour le régime matrimonial qu’ils veulent suppose un libéralisme d’autant plus appréciable à la lumière d’autres systèmes de la région qui restent extrêmement hermétiques.

Cette « échappatoire » juridique, les Libanais la doivent à l’article 25 de l’arrêté 60 L.R. (lois et règlements) de 1936, paru sous le mandat français, qui a autorisé le citoyen à contracter un mariage civil hors du Liban. Cette loi prévoit la création d’une « communauté de droit commun ». Par conséquent, tous ceux qui n’appartiennent pas à une communauté, ou qui désirent abandonner leur communauté de naissance, pourraient adhérer à ce que Maître Ibrahim Traboulsi, avocat à la Cour et chargé d’enseignement à la faculté de droit et de sciences politiques à l’Université Saint-Joseph et à La Sagesse, appelle « la communauté non

213 Qu’est-ce qui séduit autant les couples libanais qui convoitent le mariage civil ? Si la question de «l’aisance» relative à obtenir une dissolution du mariage est, en elle-même, une motivation importante, elle reste toutefois insuffisante. Ainsi, outre les effets juridiques recherchés, une majorité de Libanais opte pour cette formule pour des raisons économiques, voire pour échapper aux multiples contraintes procédurales ou sociales d’un mariage organisé «à la libanaise». Les chiffres sont parlants: pour un couple de deux personnes, une célébration à Chypre ne saurait dépasser les 1000$, une somme qui, par ailleurs, couvre le coût du transport, les frais administratifs (dont 300 $ pour la célébration avec un forfait supplémentaire pour la publication des bans), en plus de la cérémonie organisée pour fêter l’heureux événement. Il faut savoir que l’on peut même choisir la langue de la célébration (l’anglais à Nicosie, le français à Larnaca) et limiter au maximum les frais occasionnés pour la décoration des lieux. La mariée a également la possibilité de louer la robe sur place. Les 2 témoins peuvent être libanais ou, à défaut, chypriotes (cela réduit encore plus les frais de transport). Bref, un véritable «mariage à la carte» vous est proposé sur cette île, paradis de l’économie matrimoniale, où les mariés peuvent même quitter l’hôtel de ville en mobylette, après la cérémonie, comme en témoigne une jeune mariée. Souci d’économie ou originalité? Quant aux formalités, elles suivent un chemin quasiment balisé: les papiers sont envoyés au maire de la ville où a lieu la célébration. Ce dernier les transmet au ministère des Affaires étrangères chypriote qui, à son tour, les communique au consulat libanais chargé de les envoyer au ministère de l’Intérieur au Liban pour inscrire le mariage à l’état civil. Organisé en 48 heures, le mariage est expéditif et simplifié à outrance.

communautaire » ou « de droit commun ». Celle-ci peut ainsi organiser et administrer son statut personnel dans les limites de la législation civile.

Chaque année, des centaines de couples voyagent à l’étranger appartenant parfois à la même communauté ou à des communautés différentes pour conclure leur mariage auprès des autorités civiles, « un choix libre qui comporte implicitement un refus de l’application du droit communautaire seul applicable au Liban à leur statut personnel », explique le professeur Traboulsi. Le mariage civil est reconnu par l’État libanais et c’est le tribunal libanais qui est compétent en la matière.

En cas de litige, ce dernier intervient pour faire appliquer la loi du lieu de la célébration du mariage. Cela suppose que les magistrats soient polyvalents quant à leur connaissance des régimes juridiques étrangers et aux particularités propres à chaque pays qu’ils sont censés mettre en application. « Bien entendu, cette compétence existe chez la plupart d’entre eux. Mais le juge libanais n’est pas un surhomme et peut parfois ignorer certaines nuances », précise Maître Traboulsi, en faisant remarquer qu’au stade actuel, les magistrats libanais sont beaucoup plus spécialisés dans la loi chypriote à cause notamment du nombre élevé de cas qui leur sont soumis.

Contracté à l’étranger, le mariage civil produit tous les effets juridiques qui y sont liés, tels que l’inscription à l’état civil, la légitimité des enfants nés de ce mariage et le droit à la succession214. Toutefois, et c’est là où commencent les complications, c’est la loi religieuse et non civile qui s’applique aux modalités de cet héritage, et ce chez toutes les communautés confondues. Les couples mixtes215 sont vite rattrapés par les régimes communautaires en matière de succession. Mais comme le souligne Maître Traboulsi « ce sont les mariages mixtes célébrés entre chrétiens et musulmans qui posent le plus de problème, puisque la

214 C’est à dire que les enfants issus de ce mariage peuvent bénéficier de l’héritage. 215 Qui essayent souvent de se dérober aux régimes communautaires en optant pour le mariage civil.

différence de religion interdit réciproquement l’héritage entre époux ». Pour les chrétiens, c’est la loi de 1959 relative aux successions qui s’applique, celle-ci étant soumise au droit de la communauté du défunt.

Un autre problème, et de taille cette fois-ci, se pose dans le cas des mariages contractés entre deux musulmans. « Bien que reconnaissant la validité du mariage civil du point de vue de sa forme, le droit musulman n’en admet pas les effets juridiques. Seul le chareh216 s’applique dans ce cas précis », précise Maître Habib Nassar, avocat à la Cour et spécialiste en matière de mariage civil. C’est ce qu’on appelle « le principe de la territorialité de l’islam », le juge libanais n’étant pas compétent pour trancher dans ce cas de figure. Une mesure qui, semble-t- il, vise principalement à décourager les mariages mixtes. « Cette interdiction est liée à la charia qui prohibe à une musulmane d’épouser un non-musulman, l’inverse n’étant pas vrai », affirme Maître Nassar. Ainsi, qu’il s’agisse d’un couple libanais musulman ou d’un couple libanais et étranger217, c’est le tribunal char’i qui est compétent pour trancher le litige. Par conséquent, le couple se retrouve à la case départ et se voit appliquer les règles du droit musulman, « le principe étant que le chareh, qui reconnaît la seule confirmité de la célébration du mariage civil et non le contenu, en rejette tous les effets, dont l’égalité entre les deux époux », indique Maître Nassar. Les « bénéfices » escomptés du mariage civil sont alors « neutralisés par le droit musulman, sur base de l’article 79 du Code de procédure civile qui donne la primauté au chareh ».

À quoi servirait alors le mariage civil entre deux musulmans ? « À rien pratiquement, répond l’avocat. Le problème majeur est que beaucoup de couples musulmans ignorent la loi et croient à tort pouvoir profiter des effets du contrat civil ».

216 Le droit musulman. 217 A titre d’exemple : une Libanaise musulmane mariée à un Turc musulman.

L’égalité voulue entre les différentes communautés confessionnelle ne signifie pas ainsi égalité des membres au sein même d’une communauté. Notamment entre hommes et femmes, principalement chez les communautés musulmanes.

La situation est tout à fait autre lorsqu’il s’agit d’un couple mixte marié civilement. Mais là encore, les exceptions sont de taille et ceux qui les ignorent s’exposent à de grandes complications. Il faut d’abord savoir qu’en tant que principe général, la loi libanaise ne favorise pas un droit communautaire sur un autre. Ainsi, en cas de conflit de compétence et pour éviter qu’un droit religieux ne prenne le dessus sur un autre, c’est l’assemblée plénière de la Cour de cassation – qui est un tribunal civil – qui tranche suivant des règles neutres. «Ici, on respecte la volonté des deux époux », précise Maître Nassar. Toutefois, le problème se pose dès lors qu’il s’agit d’une double célébration, c’est-à-dire lorsque les époux ont choisi de contracter un second mariage, religieux, avant ou après le mariage civil. Seul un accord à l’amiable entre les deux époux peut résoudre la situation et faire valoir le contrat civil.

Autre piège à éviter, la déclaration des biens, qui requiert une vigilance absolue et une connaissance des règles applicables. Selon la loi française, c’est le régime de la communauté des biens réduite aux acquêts qui s’applique automatiquement, à moins que les époux n’aient choisi auparavant le contraire par un contrat spécifique. Même règle à Chypre où les époux doivent, par écrit, demander la séparation des biens avant la célébration du mariage. C’est un point très important qui risque de créer beaucoup de problèmes par la suite, surtout qu’au Liban, c’est le régime de la séparation des biens qui s’applique.

Les témoignages de ceux, de plus en plus nombreux, qui ont fait le choix du mariage civil à l’étranger montrent bien le désir d’échapper à l’emprise exercée par le clergé en matière de statut personnel 218 . Sans doute ignorent-ils les complications qui peuvent survenir dans

218 Lynn Maalouf et Hala Moussawi ont toutes deux emprunté la voie chypriote, par conviction, mais aussi pour éviter les rituels religieux que suppose un mariage effectué au sein de leur communauté respective. Lynn est chrétienne comme son mari d’ailleurs, mais tous deux se disent athées et refusent dès le départ les lois de

certains cas, mais en tout état de cause cela n’atténue pas le désir de voir naître une alternative au statut personnel religieux. Ceci aura l’avantage de renforcer le tissu social en rendant moins problématiques les mariages mixtes et en revalorisant les droits individuels 219 (spécialement ceux de la femme) jusqu’ici dépendant de leur communauté. Comme le souligne le rapport de la Commission Arabe des Droits de l’Homme, « la conception moderne

l’Église. Pour le couple, «ce n’est pas tant le côté légal» qui les intéressait lorsqu’ils ont décidé de se marier civilement, «que le respect des principes qu’ils partagent». Leur choix a d’ailleurs été avalisé par leurs familles respectives qui ont «béni» leur union à Chypre. Pour Hala, une musulmane chiite qui a épousé un grec- orthodoxe, c’est pratiquement pour les mêmes raisons qu’elle a opté, avec son mari, pour Nicosie. «Mon mari est athée et moi agnostique. Nous ne voyons aucun intérêt à nous soumettre au prêtre ou au cheikh pour consacrer notre union. En tant que couple mixte, nos parents n’en ont que plus apprécié cette formule neutre, qui a fini par contenter tout le monde», explique la jeune mariée. Hala raconte, pour l’histoire, comment, à leur arrivée à l’hôtel de ville de Nicosie, le maire a saisi un Coran et une Bible, leur demandant à chacun de prêter serment. «C’était d’autant plus drôle que nous avions tout fait pour fuir ce cérémonial», dit-elle. Mais, les deux époux qui avaient déjà l’esprit à autre chose se sont exécutés sans demander plus de précision sur un «petit détail» qui n’avait d’autre portée que son symbolisme. 219 Sans vouloir entrer dans les méandres de la réglementation propre à chaque communauté, voici tout au moins les dispositions dont l'injustice ou l'anachronisme paraissent les plus flagrants: 1- La tutelle appartient au père dans toutes les communautés (à l'exception de la communauté israélite). De cette reconnaissance exclusive, découlent l'impossibilité pour une mère d'ouvrir un compte bancaire à ses enfants, même si c'est elle seule qui y contribue financièrement; la nécessité d'obtenir l'autorisation du père préalablement au voyage des enfants, y compris avec la mère; l'autorisation du père préalable à la demande d'un passeport... De plus, en cas de décès du père, la mère ne devient pas automatiquement la tutrice de ses enfants! Chez les musulmans, le grand-père paternel des enfants en devient le tuteur légal ou, à défaut, les hommes du côté de la mère (la tutelle sur les biens étant cependant exclue dans ce cas). Chez les chrétiens, il faut distinguer entre orthodoxes et catholiques. Chez les premiers, le grand-père paternel devient tuteur légal en cas de décès du père ou, à défaut, la personne désignée par le tribunal. Chez les seconds, le tuteur est celui que le père a désigné avant son décès ou, à défaut, celui que le tribunal désigne, la mère venant en premier, à moins qu'elle se remarie, puis le grand-père paternel. 2- La garde des enfants: sauf exception, toutes les communautés donnent la priorité à la mère jusqu'à l'âge de 7 ans pour les garçons, 9 ans pour les filles; chez les chiites, la période passe à 2 ans pour les garçons et 7 ans pour les filles, ce qui ne devrait pas étonner étant donné que l'âge du mariage légal de celles-ci est fixé à 9 ans à condition qu'elles aient eu leurs règles, contre 15 ans pour les garçons; chez les catholiques, le tribunal fixe le droit de garde en fonction du meilleur intérêt de l'enfant. 3- Le divorce: chez les orthodoxes, le mari peut demander le divorce, notamment s'il se révèle que la femme n'était pas vierge le jour du mariage, à moins que le mari n'en ait eu connaissance au préalable; si la femme avorte sans la connaissance et le consentement de son mari; si le mari interdit à son épouse de fréquenter un lieu donné ou des personnes de réputation douteuse et qu'elle ne se plie pas à cette interdiction. Chez les sunnites, le droit de demander le divorce est reconnu à la femme, à condition qu'elle demande la osmat lors du contrat de mariage et que le mari accepte. Elle peut également demander la séparation dans certains cas précis. 4- La succession: les communautés non musulmanes sont soumises depuis 1959 à une loi civile qui reconnaît l'égalité entre les successeurs, quel que soit leur genre. Il n'en va pas de même chez les musulmans, chez qui l'homme hérite du double de la part de la femme. Par ailleurs, le mariage entre un chrétien et une musulmane prive celle-ci de son droit d'hériter. C'est aussi le cas du musulman qui épouse une chrétienne. Il faut souligner que le pouvoir juridictionnel détenu par les tribunaux religieux donne lieu à certains abus au détriment de la femme, en matière de pension alimentaire en cas de divorce ou même pour l'obtention du divorce ou de la garde des enfants, y compris dans les cas où la faute du mari est établie.

des droits humains cherche à occuper plus de terrain face aux acquis historiques d'institutions discriminatoires à caractéristique communautaire220 ».

Pour mettre fin à cette situation, on parle de mariage civil au Liban depuis cinquante ans déjà221. Lors de la discussion de la loi du 2 avril 1951, qui a délimité les pouvoirs des autorités ecclésiastiques, plusieurs députés se sont soulevés et ont demandé à instaurer une loi sur un statut personnel civil facultatif au Liban, sans oublier la grève décrétée par l’ordre des avocats de Beyrouth qui s’opposait à son tour aux prérogatives consacrées aux autorités religieuses dans le domaine du statut personnel. Il y a eu ensuite les propositions de M. Raymond Eddé concernant l’instauration du mariage civil au Liban. Mais aucun projet de loi n’a été présenté. À plusieurs reprises, le conseil de l’Ordre des avocats de Beyrouth a souhaité voir appliquer au Liban une loi civile de statut personnel. Dans les années 70, le parti démocrate, qui regroupait parmi ses rangs Émile Bitar, Joseph Moghaizel, Auguste Bakhos, Bassem el-Jisr, élabora un projet sur un statut personnel facultatif au Liban. Le député Bakhos le présenta au Parlement, aucun débat n’a eu lieu sur ce projet. Le Mouvement national, présidé par Kamal Joumblatt, proposa dans un document de réforme (1975-1976) l’élaboration d’une loi sur un statut personnel facultatif ayant pour but de consolider les liens entre Libanais. Ce mouvement ne cachait pas ses idées laïques à tous les niveaux. Les députés adhérant au Parti national syrien déposèrent au Parlement libanais en juillet 1997 une proposition de loi sur un statut personnel facultatif.

Un projet de loi élaboré par un groupe de juristes chargés par l’ancien président Élias Hraoui a été distribué en Conseil des ministres en vue de sa discussion. Ce projet a été publié dans la presse en date du 6 février 1998. C’est la première fois qu’un projet de loi sur ce sujet est adopté et présenté par le chef de l’État. Ce projet s’inspire de plusieurs codes civils: français, belge, suisse, turc et tunisien. C’est un code de « statut personnel libanisé », prenant en

220 Voir le rapport de Violette Daguerre du fin avril 1998 pour la Commission Arabe des Droits de l’Homme (http://www.achr.nu/rep.fr2.htm) 221 Sur l’ensemble de la question, et sur bien d’autres questions relatives au Liban, consulter le site : http://www.libanvision.com/mariage.htm.

compte les aspirations des citoyens, respectant les traditions au-delà des appartenances communautaires. C’est un code complet traitant de tous les sujets ayant trait aux problèmes du statut personnel des Libanais, des fiançailles jusqu’à la succession.

Nous sommes donc loin de la liberté matrimoniale reconnue en France et consacrée par la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ainsi que par le Conseil constitutionnel français. Ce dernier considère en effet que le principe fondamental de la liberté de mariage est une « composante de la liberté individuelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 »222. Nul doute que le Conseil constitutionnel libanais adoptera la même position si toutefois l’occasion lui était donnée de se prononcer.

Autre preuve, s’il en fallait encore, que les libertés et les droits accordés aux communautés court-circuitent les libertés individuelles des membres de chacune de ces communautés est celle concernant l’adoption223. L’article 9 de la Constitution libanaise reconnaissant « aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux », l’adoption est régie par plusieurs lois en fonction des règles de droit de la communauté religieuse à laquelle appartient l’enfant de nationalité libanaise.

Dans la communauté musulmane, par exemple, les lois n’encouragent pas l’adoption, dans la mesure où les liens de filiation entre l’enfant adopté et la famille adoptive ne sont pas reconnus. L’Islam, réfractaire à l’idée d’adoption, préfère utiliser le terme Kafala qui peut se traduire par une sorte de délégation d’autorité parentale. Le Coran est d’ailleurs sans ambiguïté à ce sujet : « Il 224 n’a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Appelez les enfants adoptifs par le nom de leur père ; considérez-les alors comme vos frères

222 Décision 93 – 325 D.C. du 13 août 1993. Voir également à cet effet la décision du 20 novembre 2003. 223 Sur l’ensemble de la question, consulter les Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Liban, Nations Unies, 07/06/96. CRC/C/15/ Add.54. 224 Le « Il » renvoie à Allah.

et sœurs en religion ou vos protégés »225. En matière d’adoption internationale donc, les possibilités d’adopter un enfant musulman au Liban sont quasi impossibles.

Quant à la communauté catholique, l’adoptant doit avoir 40 ans révolus, ce qui n’est pas requis chez les protestants. Les deux communautés semblent toutefois s’entendre sur les 18 ans de différence d’âge nécessaires entre l’adoptant et l’adopté.

Soulignons par ailleurs un autre cas d’inégalité entre homme et femme, celui concernant la transmission de la nationalité libanaise. Une femme libanaise ne peut en effet transmettre sa nationalité à ses enfants si elle est mariée à un non libanais, ce qui n’est pas le cas des hommes. La « Ligue des droits de la femme au Liban » ne cesse de dénoncer cette inégalité et appelle à ce qu’il y soit mis fin.

Mais le confessionnalisme libanais ne se limite pas au statut personnel, il connaît un prolongement institutionnel faisant ressembler les institutions à un patchwork où les représentants des différentes confessions doivent donner l’impression qu’ils représentent, au- delà de leurs coreligionnaires, le peuple libanais dans son ensemble. C’est que l’appartenance confessionnelle est au cœur du dispositif institutionnel libanais. Le partage du pouvoir ainsi que le suffrage des citoyens, pour ne prendre que ces deux exemples, s’articulent autour de l’appartenance confessionnelle.

225 Coran, Sourate 33, Versets 4 et 5.

Conclusion de la première partie.

Les institutions libanaises ne sont pas à une contradiction près pour s’accommoder du confessionnalisme. Ces contradictions se reflètent dans le texte même de la Constitution. Les exemples à cet égard sont nombreux.

L’alinéa 3 du préambule226 de la Constitution libanaise dispose en effet que « le Liban est une République démocratique, parlementaire, fondée sur le respect des libertés publiques et en premier lieu la liberté d’opinion et de conscience, sur la justice sociale et l’égalité dans les droits et obligations entre tous les citoyens sans distinction ni préférence ». L’article 7 quant à lui vient conforter ce principe d’égalité en soulignant que « tous les libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune ».

Dès lors, on peut formuler quelques interrogations, parmi lesquelles :

1. Comment peut-on parler d’égalité lorsque femmes et hommes ne bénéficient pas des mêmes droits, principalement chez les communautés musulmanes227 ?

226 Le Conseil constitutionnel libanais a intégré le préambule de la constitution au « bloc de constitutionnalité » par une décision du 18 septembre 1995, à l’instar du Conseil constitutionnel français qui l’avait fait par la décision liberté d’association du 16 juillet 1971. 227 Il est à souligner la grande discrimination existant entre le droit de la femme et celui de l'homme musulmans. Celui-ci a le droit de choisir son épouse parmi les musulmanes comme parmi celles des "gens du Livre" tandis que la musulmane n'est autorisée à se marier qu'avec un musulman. Voir sur ce sujet l’ouvrage du Père Charles SAAD, Les mariages islamo-chrétiens, l’Harmattan, 2005. Le père Saad, actuellement prêtre auxiliaire à La Valette dans la banlieue de Toulon (sud de la France) prépare actuellement une thèse en droit canonique. Son ouvrage apporte non seulement un éclairage pour le grand public sur ce thème sensible de plus en plus

2. Comment peut-on parler d’égalité lorsqu’on sait qu’une femme libanaise, peu importe la confession à laquelle elle appartient, ne peut transmettre sa nationalité à ses enfants ?

3. Comment peut-on parler de liberté d’opinion et de conscience et ne pas donner, par omission, la possibilité à ceux qui l’entendent de ne pas appartenir à telle ou telle confession tout en conservant leurs droits civils et politiques ?

4. Comment justifier toutes ces inégalités alors même que l’alinéa 2 de la Constitution libanaise dispose que « le Liban … est membre fondateur et actif de l’Organisation des Nations Unies, engagé par ses pactes et par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme » et que, précision non sans conséquences, « l’Etat concrétise ces principes dans tous les champs et domaines sans exceptions ». Cela engloberait-il le domaine réservé du statut personnel ?

A la lumière de ce que nous venons d’exposer, que penser des dispositions de l’article 9 selon lesquelles « la liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux » ?

Le Conseil constitutionnel libanais qui, à l’instar de son équivalent français ne connaît pas la question préjudicielle, ne saura faire l’économie d’une délicate confrontation entre tous ces principes. Encore faut-il que l’occasion lui soit donnée.

fréquemment vécu par de nombreuses familles mais aussi une contribution scientifique incontestable incitant à une réflexion en profondeur.

Deuxième Partie Le prolongement institutionnel de la reconnaissance légale des différentes confessions

Pour bien cerner le fonctionnement des institutions libanaises, un observateur avisé doit prendre en compte plusieurs paramètres à la fois externes et internes. L’analyse des allégeances communautaires ne permet pas, à elle seule, de donner une image fidèle et complète du panorama institutionnel libanais.

La délégation de la Commission des lois du Sénat français a pu, tout au long de son déplacement au Liban, en 1996-1997, « mesurer la très grande complexité de la situation politique du Liban qui apparaît comme un pays indéchiffrable, impénétrable, voire énigmatique ». Et la délégation de conclure que le « Liban est un Etat en butte à la toute

puissance des groupes ethniques ou religieux sensibles aux influences extérieures, un Etat qui repose sur un fragile équilibre islamo-chrétien »228.

Dans un pays qui n’excède pas 10452 Km², dix sept communautés légalement reconnues coexistent229. Chacune revendique une représentativité proportionnelle au nombre de citoyens qui la compose. Ceci est rendu possible car chaque libanais est tenu d’adhérer à une communauté, qu’elle soit celle de sa naissance ou de son choix230.

Le choix étant, bien entendu, limité aux dix sept communautés légalement reconnues. La pratique d’autres cultes n’est certes pas interdite mais elle n’entraîne pas pour autant la reconnaissance et la protection auxquelles la Constitution fait référence dans son article 9231.

Dans ce contexte de toute puissance des groupes communautaires, qui sont autant de groupes de pression sur toute décision politique, il est difficile de trouver un consensus permettant de mettre l’intérêt général en dénominateur commun.

228 Rapport 111 – 1996/1997 de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français intitulé « quel avenir pour le Liban ? », composée de MM. Jacques Larché, Pierre Fauchon, Charles Jolibois, Michel Rufin et Jacques Mahéas. 229 15 communautés sont organisées par des lois et décrets : loi du 2 avril 1951 pour les chrétiens et israélites ; décret-loi n° 18 du 13 janvier 1955, modifié par la décision du 5 mars 1967, pour les sunnites ; loi n° 72/67 du 19 décembre 1967 pour les chiites ; deux lois du 13 juillet 1962 pour les druzes. Les deux communautés restantes ne sont pas légalement organisées en raison de leur faible importance ; il s’agit des Ismaéliens et des Alaouites. 230 Le rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en date du 10 juin 1997 souligne qu’il existe deux formes de confessionnalisme au Liban : le confessionnalisme concernant le « statut personnel » et le « confessionnalisme politique ». Bien qu’il soit loisible, conclut-il, en principe, « à chacun d’adhérer à la confession qu’il juge conforme à ses convictions religieuses, l’appartenance à une communauté se fait, dans la majorité écrasante des situations, par la naissance dans une famille inscrite au registre de l’état civil comme étant de telle ou telle confession. La célébration de mariage devant telle ou telle autorité religieuse, entraînant la soumission du régime matrimonial à sa loi, n’implique pas nécessairement une foi dans la religion en question ou la pratique quotidienne de son culte. Il en est de même de la participation à la vie politique ou de l’accès à la fonction publique ». 231 Article 9 : La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux.

C’est sans doute ce qui a conduit Georges Corm232 à affirmer qu’au Liban, les systèmes de représentativité de la nation sont tels qu’ils empêchent la souveraineté d’exister pleinement et inconditionnellement. En effet, la base de l’ordre public au Liban, souligne-t-il, n’est pas l’Etat, mais la communauté religieuse. L’arrêté 60 L.R. du Haut-commissaire français en 1936 qui institue 14 communautés dites « historiques », les a consacrées comme la base de l’ordre public et comme des organismes de droit public intermédiaires entre le citoyen et l’Etat. Raison pour laquelle le plein exercice de la souveraineté par l’Etat est conditionné par l’accord des autorités civiles et religieuses des différentes communautés historiques ou, du moins, des plus grandes d’entre elles. Le mécontentement de l’une des grandes communautés suffit à paralyser le bon fonctionnement de l’Etat et donne lieu à des marchandages sur l’exercice du pouvoir, incompatibles avec la notion de pleine souveraineté. Preuve s’il en fallait avec la démission début novembre 2006 de cinq ministres chiites du gouvernement libanais. « Nous avons démissionné parce que la majorité insiste pour exercer le pouvoir toute seule » a déclaré le chef du bloc parlementaire du Hezbollah, Mohammad Raad. « Nous ne voulons pas de ministres qui suivent aveuglément la majorité », a-t-il ajouté après l’échec des consultations, entamées le 6 novembre 2006 entre les dirigeants politiques libanais sur un cabinet d’union nationale.

Le Hezbollah et ses alliés chrétiens du « Courant Patriotique Libre » (C.P.L.), du Général Michel Aoun, réclament la formation d’un gouvernement d’union nationale dans lequel l’opposition aurait une minorité de blocage233. La majorité parlementaire, dirigée par Saad

232 Conférence de Georges Corm prononcée le 11.05.05. Université Saint-Esprit de Kaslik, Séminaire « Difficile démocratie au Liban », Contraintes historiques, régionales et internationales dans le fonctionnement de la démocratie au Liban. 233 Selon les dispositions de la Constitution libanaise. Plus précisément l’article 69 (Modifié par la loi constitutionnelle du 17/10/1927, abrogé par la loi constitutionnelle du 8/5/1929, et institué par la loi constitutionnelle du 21/9/1990), selon lequel « Le Gouvernement est considéré comme démissionnaire dans les cas suivants: a) Si le Chef du gouvernement démissionne. b) S’il perd plus que le tiers du nombre de ses membres tel qu’il a été fixé dans le décret de formation. c) En cas de décès du Chef du gouvernement. d) Au début du mandat du Président de la République. e) Au début du mandat de la Chambre des députés. f) Lorsque la Chambre des députés lui retire sa confiance de sa propre initiative ou suite à une question de confiance ». Ce que voulaient les ministres chiites en démissionnant était la démission consécutive du gouvernement mais leur nombre ne correspondant pas au tiers du Conseil des ministres rien ne pouvait obliger le gouvernement à

Hariri, refuse de son côté d’accorder à l’opposition cette minorité de blocage, et voit derrière cette opération une tentative de la Syrie de revenir en force sur la scène politique libanaise.

Aussi, ajoute M. Corm, le texte de la constitution n’est-il pas le vrai texte qui définit la nature de l’Etat au Liban ; l’arrêté de 1936 est celui qui institue l’ordre public à base communautaire. Or, écrit-il, l’Etat souverain est celui où aucun corps intermédiaire n’existe entre l’Etat et le citoyen234. Même dans l’Etat fédéral ceci est vérifié ; simplement dans ce cas, le citoyen répond directement et sans intermédiaire à une double allégeance, celle de l’Etat fédéré auquel il appartient et celle de l’Etat fédéral dont fait partie l’Etat fédéré. C’est d’ailleurs cette situation particulière au Liban, comme Etat à souveraineté conditionnée par l’accord des communautés religieuses, qui a conduit les pères de l’indépendance à imaginer la formule d’un Pacte National de 1943 faisant office de « contrat social », non pas entre les citoyens, toutes confessions confondues, mais entre les communautés principales. La difficulté supplémentaire ici est la confusion qui règne dans l’emploi du mot communauté235.

En tout état de cause, cette confusion des genres entre appartenance confessionnelle et pratique politique a donné naissance à un système politique assez singulier où le partage du pouvoir s’opère sur une base confessionnelle (Titre Premier) et où la religion joue un rôle de premier plan sous la protection de la Constitution (Titre Second).

démissionner, du moins constitutionnellement. Ils ont donc décidé de demander la démission du gouvernement autrement : en mobilisant « la rue » et en assiégeant le siège du Conseil des ministres. 234 Ce qui est discutable à première vue. 235 Ce terme désigne-t-il les deux grands groupes religieux du pays : chrétien et musulman ? Ou désigne-t-il, à l’intérieur de chacun de ces deux groupes, les communautés différentes (sunnites et chiites pour les musulmans ; les druzes inclassables ; les maronites, les grecs orthodoxes et les grecs catholiques et autres communautés minoritaires pour les chrétiens, sans oublier deux communautés juives).

Titre Premier – Le partage du pouvoir sur une base confessionnelle

Il n’est certes pas inutile de rappeler que le partage des différents pouvoirs au Liban, dans la forme que nous connaissons actuellement, remonte au Pacte national de 1943. Malgré quelques entorses236, le Pacte national a été bien respecté dans ses grandes lignes, surtout pour ce qui concerne le partage des pouvoirs sur une base confessionnelle.

C’est sans doute croyant sauvegarder l’intérêt général qu’en 1943 MM. Riad el-Solh et Bechara el-Khouri ont conclu le Pacte national (Chapitre Premier) et c’est en détournant l’esprit du Pacte national, tout en prétendant le renforcer, que l’accord de Taëf fut conclu en 1989 (Chapitre Second).

Chapitre Premier - Le Pacte National de 1943

Le Pacte National tel qu’il fut conclu en 1943 n’est pas le fruit d’une greffe artificielle mais bel et bien d’une longue maturation historique et sociale. Le confessionnalisme qu’il renferme dans son contenu (Section II) n’est que l’aboutissement d’un long processus historique (Section I).

236 Cela concerne en premier lieu le volet consacré à la politique étrangère du Pacte où ce dernier n’a pas été respecté une première fois par le Président Camille Chamoun en 1956 lorsque celui-ci a voulu rallier le Liban à la doctrine Eisenhower ; puis une seconde fois en 1969 lorsque le Premier ministre Rachid Karamé a fait pencher la balance en faveur de la présence armée palestinienne au Liban en concluant les Accords du Caire.

Section I – Le contexte historique du Pacte National

La structure socio-politique du Liban contemporain s’appuie essentiellement sur des éléments traditionnels : communautés d’abord, mais aussi féodalités et clans, qui correspondent à des réalités sociales importantes, bien que non exclusives. Un équilibre complexe, organisé autour d’eux, accroît leur symbiose politique et une certaine cohésion nationale.

Les communautés possèdent et sauvegardent, au Liban, leurs caractères originaux ; elle s’insèrent, chacune à sa manière, dans la nation libanaise qu’elles composent. Même si l’on fait abstraction de leur rôle politique, les communautés apparaissent comme un élément toujours important de l’armature morale du Liban, elles y semblent, dans l’état actuel des esprits et des consciences, aussi indispensables que les familles à l’équilibre social du pays237. Aussi n’est-ce pas le respect des communautés qui peut être en cause dans le Liban de demain, mais les modalités de leur insertion dans les structures politiques ; d’aucuns estiment que les solutions actuelles en la matière sont entachées d’un excès, qu’ils dénoncent comme le confessionnalisme, et qui aboutit, à la limite, à faire dépendre de l’allégeance communautaire ou confessionnelle toute la répartition des emplois et des charges de l’Etat.

Tandis que l’importance des communautés dans le pays et l’Etat est évidente, celle de la féodalité risque de ne pas être suffisamment aperçue ; il faut y insister. On croit volontiers que l’évolution sociale, qui est réelle, a complètement aboli les féodalités. En fait, si dès le XVIIIe siècle l’émirat libanais a lutté avec succès contre les « grands » et abattu quelques hautes têtes, son action a laissé subsister des familles importantes ou simplement notables, qui par des moyens très divers : la richesse, l’intrigue, mais aussi le courage et le dévouement, ont conservé ou reconquis, localement puis dans l’Etat, des moyens de prépondérance. Surtout, en effet, dans les régions montagnardes et rurales, mais aussi, par imprégnation, dans certains quartiers des villes, la vie est demeurée pour une bonne part traditionnelle. Les rapports entre

237 Il est étonnant de constater que ce même constat a été fait en 1954 par Pierre Rondot, Les structures socio- politiques de la nation libanaise, Revue française de science politique, 1954, volume 4, numéro 1, p. 87.

individus et entre groupes restent, sinon réglés, du moins influencés par la coutume tribale et par d’antiques oppositions, constamment renouvelées ou revivifiées, de familles et de clans.

Par ailleurs, la division des factions a toujours opposé au Liban des groupes de populations mixtes, faits d’éléments d’appartenance religieuse variée ; elles ont contribué de la sorte à atténuer les divergences confessionnelles, mais aussi à entretenir l’importance sociale et politique des familles féodales. Jusqu’au début du XVIIIe siècle a prévalu au Liban la vieille division arabe entre Qaisi et Yemeni ; finalement écrasés, ces derniers ont peuplé Beyrouth de leurs débris, circonstance qui a dû accroître le mépris de la montagne pour la ville, mais aussi contribuer à implanter dans celle-ci les mœurs tribales. Aussitôt s’est reconstituée dans le Mont-Liban, sous des chefs druzes, une nouvelle division entre Yezbeki et Joumblati, ces derniers groupant initialement l’opposition aux émirs qui les ont durement frappés ; la famille des Joumblat demeure, jusqu’à nos jours, la grande autorité sociale du Chouf, non sans contestation de la part des Arslan, la famille la plus antique, peut-être du pays238, qui a été épisodiquement l’animatrice d’un tiers-parti.

Des familles de chefs chrétiens, cheikhs, plus rarement émirs, parfois d’origine druze ou chiite, ont avec des moyens plus réduits affirmé leur autorité, surtout dans le Nord ; les réactions populaires du milieu du XIXe siècle, l’influence des anciens émigrés, des succès inégaux dans les affaires ou la vie publique ont fortement ébranlé les classement traditionnels, mais pas complètement ébranlé les positions locales, bases éventuelles de carrières politiques.

En ville même s’exercent des autorités de fait, par l’intermédiaire des abadayes, hommes de main au service de notables ou de clans. Comme le rapporte le journal L’Orient du 4 juin 1950 « la conduite des abadayes de Beyrouth ne diffère pas, toutes proportions gardées, de celle des tribus du Hermel ».

238 Elle a donné à l’arabisme son grand leader : Chékib Arslan.

Ainsi subsistent, relativement solides, des influences féodales fondées sur les mœurs coutumières ; elles ont contribué à introduire dans la vie publique libanaise un personnage original, presque typique : le leader politique ou Zaïm. Né de nécessités locales, économiques et sociales, le zaïm leur survit ou les rétablit à son profit, souvent au détriment de l’Etat. Utile naguère aux débuts de la mise en valeur239, la féodalité aujourd’hui « n’est plus terrienne ; elle est politique, administrative et judiciaire240 ».

Les traces laissées dans les mœurs par l’esprit tribal sont invoquées par les zaïms pour jouer un rôle d’arbitre où il se substitue, avec l’agrément des autorités, aux organes administratifs et judiciaires réguliers. C’est ainsi qu’en 1950 M. Sabri Hamadé, leader chiite du Hermel, d’ailleurs député et président de la Chambre, a fait admettre que les troubles suscités par les Dendaches ne pouvaient être réglés que par un « tribunal tribal » qu’il a présidé. « Un tel compromis », a déclaré M. Henri Pharaon, député grec catholique de Beyrouth, le 21 janvier 1950, « est l’acte le plus inquiétant commis par l’autorité contre la loi et contre elle-même. La justice a été mise au service de l’exécutif ». Ainsi, écrit un grand quotidien de Beyrouth, « les zaïms féodaux n’ont rien réglé… [Ils] ont consolidé les mœurs et la mentalité qui sont à l’origine de la vendetta… [Or] ce sont des hommes au pouvoir… Ne se sont-ils donc servi du pouvoir que pour substituer leur justice à celui de l’Etat et de la loi ? »241

La Charte du Mandat sur la Syrie et le Liban confiée à la France par le Conseil de la Société des Nations le 24 juillet 1922 prévoyait que la puissance mandataire devait élaborer dans un délai de trois ans, à dater de l’entrée en application du mandat, un statut organique pour ces deux pays. C’est en réaction aux revendications violentes des Nationalistes syriens durant

239 A. LATRON, La vie rurale en Syrie et au Liban, Beyrouth, 1936, p. 156. 240 Charles AMMOUN, Retour à la mêlée, Conférence du Cénacle, 1950, IVe année, n° 162, p. 27. 241 L’Orient, 5 août 1950.

l’insurrection de 1925 que la France a été amenée à octroyer au Liban la Constitution de 1926242.

Le texte de référence pour la reconnaissance officielle des communautés243 est un arrêté du 13 mars 1936 du Haut Commissaire de la République Française pour la Syrie et le Liban. L’article 2 de cet arrêté dispose en effet que « la reconnaissance légale d’une communauté à statut personnel a pour effet de donner au texte définissant son statut force de loi et de placer ce statut et son application sous la protection de la loi et le contrôle de l’autorité publique ». C’est sans doute ce qui a conduit Georges Corm à affirmer que l’arrêté de 1936 est celui qui institue l’ordre public à base communautaire.

Le confessionnalisme au Liban n’est donc pas né avec le Pacte national de 1943, mais trouve ses racines dans une période difficile à cerner, et en tout état de cause très éloignée, de l’histoire.

Conclure cependant de l’arrêté du 13 mars 1936 que c’est la France, par l’intermédiaire de son Haut Commissaire, qui a jeté les bases d’un système confessionnaliste serait quelque peu hâtif. Le Liban de l’époque se trouvait bel et bien sous protectorat français, mais ces derniers ne pouvaient que répondre à des attentes qui elles avaient des buts confessionnalistes. Il faut croire que les français, soucieux de conserver une certaine paix civile dans les territoires qui leur ont été attribués par les accords Sykes-Picot, ne pouvaient que donner suite aux revendications des libanais qui, rappelons le, pouvaient sembler légitimes à l’époque.

242 Les travaux furent en effet soumis aux députés qui les entérinent définitivement entre le 23 et le 26 mai 1926. 243 Il serait difficile de préciser la nature de ces communautés comme le souligne Kamal Hamdan dans son ouvrage « Conflit libanais : communautés religieuses, classes sociales et identité nationale », publié à Paris aux éditions Garnier, en 1997.

Ce compromis, édifié par le Liban sous la tutelle distraite ou tatillonne, selon le cas, mais, en l’occurrence, peu pesante et souvent utile du mandat français, allait acquérir son plein caractère national grâce si l’on peut dire, à un soudain et grave conflit avec les représentants de ce mandat. Le 10 novembre 1943, le délégué général de la France combattante, interprétant avec rigueur des instructions du Comité français de la Libération nationale, crut devoir s’opposer par la force à une révision constitutionnelle, votée sans son accord par la Chambre libanaise en vue de limiter ses pouvoirs, et faire arrêter le président de la République, le président du Conseil et plusieurs ministres. Cette attitude extrême put d’autant moins être maintenue que les autorités britanniques doublaient au Liban, comme en Syrie, celles de la France combattante ; le 23 novembre, le général Catroux, envoyé par Alger comme médiateur, faisait libérer les hommes d’Etat détenus, et la vie constitutionnelle était rétablie. Entre temps, les ministres demeurés libres avaient formé dans la montagne un gouvernement de résistance ; les mesures prises contre les premiers personnages de l’Etat avaient suscité une violente indignation parmi les chrétiens comme parmi les musulmans, fortement unis dans un sentiment national commun. Telle fut l’origine du Pacte National de 1943, confirmation passionnée d’une entente déjà ancienne ; il fut, dira plus tard un homme politique et un publiciste musulman du Liban, « consenti par tous les libanais, et constitue le symbole de leur union et de leur fraternité »244.

Il faut souligner toutefois qu’à la base de ce Pacte la carte maîtresse des négociations était l’assise démographique de chaque confession. Or, pour apprécier le poids démographique de chaque communauté, l’outil statistique fait défaut. Le dernier recensement date de 1932, période à laquelle le Liban était encore sous protectorat français, et donnait une majorité importante aux chrétiens (plus de 56 %). En 1986, le Centre Catholique d’Information, CCI, a publié de nouvelles statistiques démographiques selon lesquelles le nombre de chrétiens serait toujours légèrement supérieur à celui de leurs compatriotes musulmans245.

244 Mohieddine NSOULI, dans Beyrouth, 3 février 1949. 245 Centre Catholique d’Information (L’Orient le Jour, 24 octobre 1986).

En 1992, la Direction des statuts personnels du Ministère de l’intérieur publia une répartition de la population libanaise qui reste toutefois très imprécise et ce pour plusieurs raisons :

1. la non radiation d’un grand nombre de personnes décédées durant la période qui s’étend de 1975 et 1990 ;

2. la négligence dans le transfert d’un grand nombre de citoyens mariés dans un même caza ou entre caza et département ;

3. l’existence d’erreurs administratives résultant de la répétition de nombreux noms ;

4. la non radiation de noms d’émigrés ayant quitté le pays depuis de nombreuses années.

Selon des données plus récentes, les musulmans seraient devenus nettement majoritaires (63 % contre 36% pour l’ensemble des chrétiens).

Sans doute le refus d’organiser un nouveau recensement de l’ensemble de la population correspond-il à la volonté de ne pas toucher à l’équilibre institutionnel entre les chrétiens et les musulmans ?

Quoi qu’il en soit, l’accord de Taëf a pris en compte la baisse sensible de la part relative des chrétiens dans la population libanaise en instituant la parité entre chrétiens et musulmans pour la répartition des 108 sièges de la Chambre des Députés qui comprenait auparavant 66 chrétiens pour 33 musulmans et en opérant un transfert de prérogatives, jadis détenues par le Président de la République, vers le Conseil des ministres.

Le Pacte national de 1943, conclu entre Bechara el-Khouri et Riad el-Solh est ainsi devenu la Charte constitutive du Liban.

« La Nation repose ainsi sur un « foedus », un « pacte », comme si elle se limitait à l’expression d’un compromis communautaire, d’un modus vivendi, d’un mode de vie collective »246.

Section II- Le contenu du Pacte National

Pour formaliser247 l’équilibre confessionnel de l’entité libanaise, le Pacte national a débouché sur une répartition des plus hautes fonctions de l’Etat :

246 Edmond Rabbath, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, publication de l’Université libanaise, Beyrouth, 1986. 247 Il convient de souligner que le Pacte national a formalisé le système communautaire mais ne l’a pas crée. La participation au pouvoir des communautés remonte en effet au XIXe siècle, précisément à 1842, époque à laquelle la Montagne libanaise était divisée en deux caïmacamats, l’une druze et l’autre maronite. Le règlement Chekib Efendi dota, en 1845, chaque caïmacamat d’un Conseil représentant les différentes communautés. On y trouvait en effet deux représentants maronites, deux druzes, deux grecs-orthodoxes, deux grecs-catholiques, deux sunnites et un chiite. Les évènements sanglants qui opposèrent les maronites et les druzes en 1860 allaient précipiter l’intervention de l’armée française avec la bénédiction de Napoléon III. Aux Caïmacamats on substitue un régime de Moutaçarrifat dont le Chef est un Moutaçarrif chrétien assisté par un Conseil administratif central

- - aux maronites, la Présidence de la République et le commandement de l’armée ;

- - aux sunnites, la Présidence du Conseil des Ministres ;

- - aux chiites, la Présidence du Parlement ;

- - aux grecs orthodoxes, la vice-présidence du Parlement.

Il ne faut toutefois pas croire qu’avant le Pacte national la distribution de ces postes se faisait en dehors de toute référence à l’appartenance communautaire du candidat. Une participation des différentes communautés au pouvoir s’était progressivement installée, mais de manière souple, sans affectation rigide des postes à telle ou telle communauté248.

La répartition des fonctions au sein du Gouvernement et de l’administration s’est faite selon le principe de la parité et sur la base de l’article 95 de la Constitution de 1926, avant son abrogation par les accords de Taëf : « A titre transitoire et conformément aux dispositions de l’article premier de la Charte du mandat, et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics, et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat ».

Dès les premiers jours de son indépendance, le Liban se présente donc comme une « fédération » de communautés confessionnelles, bien qu’au regard du droit constitutionnel classique, il reste un Etat unitaire. composé de représentants des communautés religieuses. Par la suite, le Mandat français et la proclamation du Grand-Liban n’ont rien changé au principe de représentation communautaire confirmé tant par la composition du Conseil représentatif institué avant le vote de la Constitution que par la Constitution adoptée en 1926. 248 C’est ainsi que le Liban a connu deux Présidents de la République grecs-orthodoxes (, Président de 1926 à 1931 et désigné en 1943) et un protestant (Ayoub Tabet, Président également désigné en 1943). Quant à la Chambre des députés elle a été présidée par un maronite (Moussa Nammour, de juillet 1926 à octobre 1927), deux sunnites (Mouhammad Al-Jisr de 1927 à 1932 et d’octobre 1935 à juin 1937) et trois grecs-orthodoxes (Charles Debbas de 1934 à 1935, Petro Trad de 1937 à 1939 et Habib Abou Chahla de 1946 à 1947). Des maronites ont également assumé la présidence du gouvernement (Auguste Adib et Béchara El-Khoury, 1926 et 1927, Habib Bacha al-Saad de 1928 à 1929 et Emile Eddé de 1929 à 1930).

Historiquement, le Pacte national de 1943, fut un accord jamais signé et rendu public comme tel. Ce fut donc une entente entre un courant maronite favorable à une large ouverture au Monde arabe et un courant sunnite, qui, instruit de l’état d’esprit qui s’était dessiné au lendemain du Traité franco-libanais du 13 novembre 1936, opta pour une coexistence avec les chrétiens dans un Liban indépendant, non étranger au monde arabe qui l’entoure.

L’histoire du Liban, l’action du Mandat, la composition ethnique et démographique du pays avaient déjà polarisé les libanais autour de deux tendances fondamentales.

D’une part, celle des chrétiens favorables à un rapprochement, à tous les niveaux, avec l’Occident. « En dépit du fait que le Mandat fut un état de dépossession et d’exploitation, il n’en comporta pas moins, un aspect sécurisant pour les minorités. Loin d’être un barrage, la mer est un lieu qui relie le Proche-Orient, le Liban en particulier, aux différents pays de civilisation gréco-latine. Tout ceci permit au Liban de garder un niveau culturel et économique dépassant celui de son voisinage »249.

Le Liban était en effet une référence dans la région. Des écrivains et des penseurs de pays avoisinants venaient ainsi faire publier leurs œuvres et vivre au Liban qui leur garantissait une certaine liberté qu’ils ne pouvaient espérer dans leurs pays. Il en est ainsi du poète syrien Nizar Kabbani dont l’œuvre, parfois contestataire, n’a pu être publiée qu’au Liban250.

249 Gérard Figuié, Le point sur le Liban, éditions Anthologie, Beyrouth, 1996, p. 51-54. 250 Cette liberté est toutefois relative, elle est moins affirmée lorsque les sensibilités confessionnelles se sentent atteintes. Un exemple célèbre, remontant aux années soixante, sous le mandat du général Fouad Chéhab, fut l’interdiction à la télévision de l’Athalie de Racine, où la censure crut déceler des manifestations évidentes de « propagande sioniste » ; le général Chéhab, qui attendait devant son téléviseur de voir une pièce qu’il avait, comme tous les collégiens de son temps, étudiée en classe et dont il savait bien que les connaisseurs les plus avertis la tiennent pour le chef d’œuvre peut-être du théâtre tragique français, dut se résigner à encaisser le coup, les griefs invoqués à l’encontre de la tragédie biblique de Racine créant une situation « délicate ». Tout dernièrement, la censure a refusé d’autoriser, à moins que des modifications n’y fussent apportées, certaines

Autour de la deuxième tendance, se rangeaient « les musulmans toujours considérés comme le prolongement culturel et économique du Monde arabe. L’appel à l’unité arabe ne cessera pas de caresser leurs rêves. Leur refus de l’Occident est radical. Au lieu d’être un trait d’union, la mer constitue, pour eux, un barrage qu’il ne faut pas ouvrir aux marchandises, de peur qu’elles ne véhiculent des concepts hostiles à leur vie. Dans cette optique, le Liban n’est pas une entité éternelle, mais, est en fonction des besoins et des intérêts arabes, au service de tout courant unioniste »251.

Le Pacte national fut un dénominateur commun pour ces deux tendances. Les chrétiens consentirent à abandonner toute protection extérieure, en particulier avec la France, et rompirent avec le Mandat. Les musulmans, de leur côté, renoncèrent à toute tentative d’union avec la Syrie. Les fondements d’un Etat furent ainsi posés mais la solution du problème fondamental, celui de l’identité et de l’appartenance nationale, fut oublié soit par négligence soit parce qu’il risquait de poser plus de problèmes que d’en résoudre.

Toujours est-il que cette négligence menace l’équilibre institutionnel libanais bâti ainsi sur des bases dont la solidité reste, pour le moins, incertaine. Peut-on, en effet, concevoir une nation sans identité ?

séquences d’un spectacle de ballets de la troupe de Maurice Béjart, pour des motifs tenant aux costumes des danseurs, jugés non pas indécents mais attentatoires à certaines valeurs religieuses, ces costumes semblant évoquer la tenue vestimentaire des derviches tourneurs dans les danses rituelles soufies. Ni les protestations de la presse, ni celles de Maurice Béjart lui-même, pourtant musulman, et qui refusa de modifier le spectacle, n’y firent rien. Il y a quelques années, toutes les éditions du Coran en langues étrangères, même celles faites sous l’égide d’autorités religieuses musulmanes ou avec leur accord, furent retirées des librairies, le Coran étant insusceptible d’être traduit. Ce qui a conduit le professeur Jean Salem, lors d’un colloque à l’Université St Joseph de Beyrouth en mai 2000 sur le thème de « religion et constitutionnalisme au Liban », à affirmer qu’un « Etat ainsi constamment sur la défensive, parce que conscient de ses infirmités et de ses servitudes et incapable de les surmonter … ne saurait constituer ni un instrument dynamique d’encadrement du corps social, ni un outil fonctionnel, à l’autorité juridique et morale acceptée, de régulation et d’arbitrage entre ses éléments constitutifs, ni, a fortiori, le promoteur d’une authentique reconnaissance entre les familles spirituelles et intellectuelles aussi bien qu’entre les citoyens. 251 Ibid.

Tant que l’appartenance communautaire primera sur l’appartenance nationale est-il possible d’envisager la mise en place d’institutions stables ?

Comme l’affirme Gérard Figuié, « pour les musulmans, l’indépendance du Liban est relative et provisoire. Les Arabes sont des frères qu’il faut aider, qu’ils soient persécuteurs ou persécutés. La fraternité dogmatique cimente cet esprit de corps ». Le Pacte national peut ainsi être rompu dès lors que l’intérêt de la Umma252 l’exige.

Cette affirmation n’est cependant pas définitive et doit être comprise avec beaucoup de nuances et de précautions. Elle s’est effectivement vérifiée partiellement à plusieurs reprises, mais pour en tirer la quintessence il faut analyser en profondeur le monde arabe qui est loin d’être homogène. La Umma est elle-même divisée en plusieurs courants et branches dont les ramifications se prolongent jusqu’au sein de la société libanaise sans pour autant emporter une adhésion unanime à une seule idéologie de l’ensemble des musulmans libanais. Si, par exemple, une partie des chiites exprime une certaine allégeance vis-à-vis de l’Iran253, ce n’est pas le cas de tous les chiites. De même, si une partie des sunnites se tourne vers l’Arabie Saoudite, ce n’est certainement pas le cas de tous les sunnites. On constate, par ailleurs, de profondes divergences entre musulmans chiites et musulmans sunnites.

D’ailleurs l’association des musulmans à la vie de l’Etat libanais ne se fait pas sans lenteurs, hésitations, parfois retours en arrière ; ils sont attirés vers lui par des considérations bien diverses, allant de la possibilité d’une participation très large au pouvoir, voire d’une influence décisive jouant sur les divisions chrétiennes, au désir d’éviter le développement d’un Liban pratiquement « chrétien » en marge du monde arabe ; en sens inverse, ils se trouvent parfois retenus par l’attirance des Etats arabes à majorité musulmane de l’intérieur,

252 La Umma signifie « nation » au sens le plus large du terme, c’est-à-dire la nation musulmane. Les limites géographiques ne sont plus de mise lorsqu’on parle de la Umma. Il n’y a qu’une nation « l’Islam » à laquelle appartiennent « les musulmans ». 253 Principal financier du Hezbollah.

par le sentiment d’une allégeance primordiale au monde arabe, par les déceptions inévitables issues du jeu des institutions libanaises ou des réactions parfois méfiantes ou étroites de l’opinion chrétienne.

Si un sujet a créé une large adhésion musulmane, mais certes pas unanime, il s’agit bien de la cause palestinienne. Mais il ne s’agit pas, là encore, d’une solidarité propre à la communauté musulmane, les communautés chrétiennes s’y étant associées, tout en refusant que les palestiniens utilisent le territoire libanais comme base arrière de leurs opérations.

Par conséquent, et eu égard à la situation géopolitique, la stabilité institutionnelle et politique au Liban reste largement tributaire de la stabilité politique dans la région, le Liban étant ainsi soumis, bon gré mal gré, aux influences extérieures.

Mais la fragilité principale dont souffre le Pacte national reste sa légitimité, somme toute assez limitée, et sa faible valeur juridique. Non pas que les intentions des deux parlementaires à l’origine de ce Pacte soient mauvaises, bien au contraire, mais la complexité du tissu social libanais commandait une démarche plus ambitieuse.

Le Liban étant, comme l’affirme Georges Corm, un « Etat à souveraineté conditionnée par l’accord des communautés religieuses », les pères de l’indépendance avaient conclu un Pacte national en guise de « contrat social ». Contrat qui comporte toutefois de nombreuses lacunes.

En premier lieu, ce contrat est non écrit et sa teneur exacte reste très largement méconnue en dehors des deux protagonistes qui l’ont conclu. Tout juste retient-on la répartition des principales charges de l’Etat et la renonciation des principales communautés à toute allégeance étrangère.

La seconde lacune tient à la qualité des deux personnages ayant conclu ce Pacte. En effet, bien que Béchara El-Khoury et Riad El-Solh fussent députés à l’époque, avaient-ils pour autant la qualité nécessaire pour conclure un tel Pacte ? Leur représentativité parlementaire leur conférait-elle une représentativité nationale ?

Cette question de représentativité appelle celle, plus complexe, de l’interprétation de la notion de communauté. S’agit-il des deux grands groupes religieux du pays254 ou, au sein-même de chacun de ces deux grands groupes, des différentes confessions255 ?

Pour Georges Corm, dans le premier cas, le Pacte de 1943 est un pacte entre chrétiens et musulmans, toutes communautés confondues ; dans le second cas, il n’est qu’un pacte entre maronites et sunnites, puisque ses auteurs sont l’un maronite (Béchara El-Khoury) et l’autre sunnite (Riad El-Solh).

Il n’en demeure pas moins que dans les deux cas, le manque de représentativité des deux personnages historiques qui ont conclu le Pacte entame sa légitimité même. La principale faiblesse de ce Pacte réside en effet dans ce point fondamental.

Les critiques concernant la légitimité du Pacte national n’ont pas pour objet de remettre en cause ou discréditer les intentions de ceux qui l’ont initié. Le Pacte national n’est en définitive que le fruit de la rencontre entre un futur Président de la République256 « maronite à tendance arabe » et un futur Premier ministre257 « arabe à visage libanais ».

254 Chrétiens et musulmans. 255 Sunnite et chiites pour les musulmans ; les différentes communautés chrétiennes ; les druzes et les juifs. 256 Du 21 septembre 1943 au 19 septembre 1952. 257 De 1943 à 1945.

Malgré la relative légitimité du Pacte national, ses deux instigateurs ont toujours voulu lui donner une portée beaucoup plus grande que celle qu’il mérite. C’est ainsi que dans un discours datant du 7 mars 1944, à l’occasion de la commémoration de la naissance du prophète et en présence du Mufti de la République, le Président Béchara El-Khoury définit le Pacte national comme « un engagement sur l’honneur pris par tous les libanais de toutes tendances et de toutes les classes en vue de perpétuer une indépendance vraie, une souveraineté nationale, une sauvegarde de la Constitution du pays ».

Mais cette affirmation du Président El-Khoury ne renforce en rien la légitimité du Pacte étant lui-même l’un des deux instigateurs dudit Pacte et n’ayant obtenu aucun mandat spécial à cet effet.

Ce Pacte n’est en définitive qu’un accord entre deux personnages qui, en dépit de leur dimension historique, n’étaient que des parlementaires ne disposant d’aucune délégation de pouvoirs relative à cet effet.

Par ailleurs, le Pacte lui-même ne fut soumis à aucune approbation populaire par voie de référendum ni même à une quelconque approbation parlementaire. Si tel était le cas, le Pacte aurait acquis, à des degrés divers, une plus grande légitimité car il aurait associé indifféremment toutes les communautés du pays.

De plus, si le Pacte avait été mis par écrit et soumis à un référendum pour ensuite figurer dans le texte de la Constitution, il aurait acquis une valeur juridique incontestable.

L’Etat mis en place en 1943 semblait contenir les germes de son échec. Il avait été placé dans une dynamique d’équilibre précaire qu’un rien pouvait rompre.

L’équilibre sera effectivement rompu et un nouvel équilibre devait émerger par la signature de l’accord de Taëf.

Chapitre II - L’Accord de Taëf et la mise en place de la deuxième République.

C’est en 1989, alors que le Général Michel Aoun était désigné Premier ministre à la tête d’un gouvernement militaire par le Président de la République sortant Amine Gemayel, que certains députés ont pris la route de Taëf, en Arabie Saoudite, pour tenter de trouver une solution aux conflits qui ensanglantaient le Liban.

L’accord trouvé à Taëf marque une rupture par son contenu (Section I), ce qui n’a pas manqué de susciter un certain nombre de réactions (Section II).

Section I – Le contenu de l’accord de Taëf

A la suite d’une proposition de la Troïka arabe258, 58 députés libanais sur 99 se réunissent à Taëf le 30 septembre 1989 pour s’entendre sur un « document d’entente nationale ». C’est ainsi que les députés signent cet accord le 22 octobre 1989. Accord qui régit le Liban d’aujourd’hui et qui a très largement inspiré la Constitution de la deuxième République. L’Accord de Taëf fut en effet ratifié par le Parlement libanais, du moins ce qu’il en restait, le 5 novembre 1989, et intégré à la Constitution par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990.

258 Arabie Saoudite, Maroc et Algérie. Sous les auspices, par ailleurs, de différents autres pays comme la France, les Etats-Unis et la Syrie.

On peut, sans trop s’aventurer, dresser un constat ; prenant en compte le renversement démographique au Liban, la révision constitutionnelle issue de l’accord de Taëf entérine sur le plan juridique la moindre influence des chrétiens et la plus grande place des musulmans, notamment des sunnites.

Ce document prévoit un plan de désarmement progressif des milices et une révision de la Constitution de 1943 pour adapter le système politique libanais au poids démographique actuel des diverses communautés. Cette réforme constitutionnelle a permis de:

 réduire les pouvoirs du Président (chrétien maronite) au profit de ceux du Premier ministre (musulman sunnite) et du Président de l'assemblée (musulman chiite);

 confier le pouvoir exécutif à un Conseil des ministres où les portefeuilles seront également répartis entre chrétiens et musulmans;

 accroître le nombre des députés de 99 à 128 supprimant la supériorité numérique des chrétiens pour atteindre une parité entre chrétiens et musulmans.

Pour le reste, les postes-clés de l'Etat resteront répartis confessionnellement comme par le passé à savoir:

 la Présidence de la République reviendra à un Chrétien maronite,

 la Présidence du Conseil à un musulman sunnite,

 la Présidence de la Chambre des Députés à un musulman chiite.

Il n’est donc pas inutile de rappeler les objectifs et les points de repères fixés par les deux artisans du Pacte national lors de son élaboration en 1943 :

- - « l’indépendance entière et réelle à l’égard des Etats d’Occident, de tous les Etats d’Occident ;

- - l’indépendance entière et réelle à l’égard des Etats d’Orient, de tous les Etats d’Orient ;

- - ni tutelle, ni protection, ni préférence, ni situation privilégiée en faveur de n’importe quel Etat ;

- - la coopération jusqu’à ses limites les plus extrêmes avec les Etats arabes frères ;

- - l’amitié avec tous les Etats étrangers qui reconnaissent notre indépendance et la respectent ».

L’une des idées répandues à propos du Pacte national est le fait qu’il ait été conclu pour une période provisoire. Passée cette dernière, le Liban se verrait dans sa période d’or, celle de l’intégration nationale complète.

Taxé d’être provisoire, le système communautaire dure encore au moment où on assiste actuellement aux préludes du procès du Pacte national lui-même. Cinquante ans après l’élaboration de ce dernier, les révélations faites par la génération des politiciens de 1943 dénotent un jeu politique tendancieux des parties en présence et un franc machiavélisme dans la construction du futur.

La gravité d’une telle situation est qu’elle était perçue par certains comme un fait accompli « incontournable ». Et d’autres renchérissaient en affirmant que les relations privilégiées qui ont été créées avec la Syrie au lendemain de l’Accord de Taëf constituaient pour le Liban le seul moyen d’affronter les multiples défis qui pointent à l’horizon. Cette option revenait pratiquement à engager, d’office, les libanais sur la voie d’une politique d’axe régional, et à les contraindre à un mariage forcé qui placerait le pays du Cèdre à la traîne de son voisin syrien.

Admettre de la sorte que le Liban doit être rattaché à la locomotive syrienne revenait à remettre en question le fondement même du Pacte national, puisque l’une des deux négations de ce Pacte se trouve ainsi reléguée aux oubliettes. Or, cette célèbre double négation qui fut à la base du consensus inter-libanais en 1943 devait servir de point de départ à une consolidation de l’indépendance naissante. Celle-ci s’est trouvée menacée par la conception que certains se faisaient des relations privilégiées.

Pour que le Pacte national soit radicalement et profondément amendé de cette manière, il était impératif qu’un consensus se fasse à ce propos entre les multiples composantes socio communautaires du pays. Car autrement, c’est la raison d’être de l’entité libanaise, et donc son indépendance politique, qui risqueraient d’être ébranlées au gré des interférences régionales. Or, force est de constater que la signature du traité avec la Syrie ainsi que la nature des rapports entretenus entre Damas259 et le pouvoir libanais, ont été le fruit non pas d’une volonté nationale et d’un consensus librement exprimés, mais plutôt le reflet d’un équilibre de forces et d’un contexte régional, tous deux conjoncturels.

S’il est vrai que l’accord de Taëf prévoit que le Liban est un « pays arabe, d’appartenance et d’identité » dont les frontières sont internationalement reconnues, ce qui devrait exclure toute annexion de tout ou partie de son territoire par l’un de ses voisins, la Syrie et a fortiori Israël, il n’en demeure pas moins que cet accord consacre un paragraphe spécifique aux relations libano-syriennes260. C’est sur la base de cette déclaration de principe que les deux pays ont signé le 22 mai 1991 un traité de fraternité, de coopération et de coordination qui est allé

259 L’adoption par l’O.N.U. de la résolution 1559, le 2 septembre 2004, est venue rappeler à la Syrie son obligation de se retirer du Liban. Mais c’est l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005 qui a précipité ce retrait après un soulèvement populaire multiconfessionnel, mais encore une fois pas unanime. Rappelons que les militants du Hezbollah et du Parti Amal, tous les deux majoritairement chiites et fidèles au régime syrien, ont protesté contre ce retrait. 260 « Le Liban, qui est d’appartenance et d’identité arabes, entretient des liens fraternels et d’amitié avec tous les pays arabes. Il entretient avec la Syrie des relations privilégiées qui tirent leur force du voisinage, de l’Histoire et des intérêts fraternels communs ».

jusqu’à la création d’un Conseil Supérieur composé des plus hautes autorités constitutionnelles des deux pays.

La première Constitution libanaise de 1926 avait retenu le principe de l’abolition du confessionnalisme politique dans la mesure où la répartition communautaire des fonctions et emplois publics présentait un caractère transitoire261. L’accord de Taëf reprend à son compte ce principe en affirmant que « l’abolition du confessionnalisme politique est un objectif national primordial qui serait réalisé, par étapes, selon un plan ».

L’article 95 262 de la Constitution a confié l’établissement de ce plan à la Chambre des Députés élus sur une base égalitaire entre les musulmans et les chrétiens qui pourrait délibérer à partir des travaux d’un Comité national présidé par le Président de la République et comprenant en sus du Président de la Chambre des Députés et du Président du Conseil des Ministres, des personnalités politiques, intellectuelles et sociales.

261Article 95 avant sa modification par la loi constitutionnelle du 21/9/1990: « A titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat ». 262Article 95 (Modifié par la loi constitutionnelle du 9/11/1943 et par la loi constitutionnelle du 21/9/1990) : La Chambre des députés élue sur une base égalitaire entre les musulmans et les chrétiens doit prendre les dispositions adéquates en vue d’assurer la suppression du confessionnalisme politique, suivant un plan par étapes. Un comité national sera constitué et présidé par le Président de la République, comprenant en plus du Président de la Chambre des députés et du Président du Conseil des ministres, des personnalités politiques, intellectuelles et sociales. La mission de ce comité consiste à étudier et à proposer les moyens permettant de supprimer le confessionnalisme et à les présenter à la Chambre des députés et au Conseil des ministres ainsi qu’à poursuivre l’exécution du plan par étapes. Durant la période intérimaire: A) Les communautés seront représentées équitablement dans la formation du Gouvernement. B) La règle de la représentation confessionnelle est supprimée. Elle sera remplacée par la spécialisation et la compétence dans la fonction publique, la magistrature, les institutions militaires, sécuritaires, les établissements publics et d’économie mixte et ce, conformément aux nécessités de l’entente nationale, à l’exception des fonctions de la première catégorie ou leur équivalent. Ces fonctions seront réparties à égalité entre les chrétiens et les musulmans sans réserver une quelconque fonction à une communauté déterminée tout en respectant les principes de spécialisation et de compétence.

Dans l’attente de la réalisation de ce plan, la Constitution a institué un dispositif transitoire prévoyant la représentation équitable dans la formation du Gouvernement et la suppression de la représentation confessionnelle, à l’exception des fonctions de la première catégorie, dans la fonction publique, la magistrature ou les institutions militaires et son remplacement « par la spécialisation et la compétence ». A terme, la Chambre des Députés serait élue sur une base nationale et non communautaire.

Il est cependant à noter que depuis 1990, et exception faite de la suppression de la mention de l’appartenance communautaire sur les documents d’identité, le dossier de l’abolition du confessionnalisme politique n’a pas progressé.

Ainsi, comme l’a confirmé un entretien, jugé particulièrement intéressant par le rapport 111- 1996/1997 de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français, avec M. Elie Ferzli, Vice-Président de la Chambre des Députés, le fonctionnement et l’organisation internes de celle-ci demeurent marquées par la logique communautaire. Tel est le cas en premier lieu pour la répartition des fonctions : la présidence revient à un chiite, la vice-présidence à un grec orthodoxe et la présidence de la commission des Lois, la « mère de toutes les commissions », selon M. Ferzli, doit être attribuée à un maronite.

Pour M. Issam Sleiman 263 , les groupes parlementaires ne sont que « l’expression de la structure confessionnelle et clanique du pays ».

La question se pose dès lors de savoir si le système de représentation tel qu’il existe au Liban n’assure pas la reproduction d’une même caste politique pseudo-élitiste traditionnelle, de plus en plus fondée sur le pouvoir des clans et des familles, tellement imprégnée de consensus

263 Issam Sleiman, Equilibre interconfessionnel et équilibre institutionnel au Liban, in le Liban aujourd’hui, 1994, Sous la direction de Fadia Kiwan (CERMOC). M. Sleiman est professeur à la faculté de droit et des sciences politiques et administratives de l’Université libanaise.

qu’elle finit par oublier sa fonction de représentation et, sans transcender les barrières communautaires, parvient, par le consensus, à former une caste homogène dont le seul but serait de se maintenir au pouvoir. Le système pluraliste « consensuel » opérerait alors à la reproduction et à la perpétuation de ses propres structures en permettant une absence de reproduction et de circulation des élites, et empêcherait de facto l’existence d’une légitimité « nationale » qui transcenderait le simple consensus.

Selon le professeur Theodor Hanf264, « l’axe Constitution-loi électorale-Pacte national fonde au Liban un régime consensuel évident. Le pays n’est plus gouverné par une majorité simple mais toujours par une large coalition, chaque communauté importante disposant d’un droit de veto en vertu de la règle de la représentation proportionnelle ». De plus, ajoute le sociologue allemand, le pacte national, et partant Taëf, « imposent une réalité constitutionnelle et démocratique consensuelle, les décisions importantes ne pouvant être prises à la majorité simple, mais uniquement par le consensus et l’unanimité ».

Les institutions politiques libanaises, inféodées par le communautarisme restent ainsi tributaires des aléas démographiques. Déjà lors du Pacte National, la religion majoritaire s’était taillée la part du lion. Cette logique ne s’est pas démentie après l’accord de Taëf.

En effet, le Président de la République, jadis détenteur quasi unique d’un pouvoir exécutif bicéphale, se trouve dépouillé d’une grande partie de ses pouvoirs au profit du Premier ministre dans la Constitution de l’après Taëf.

A l’époque du Pacte National, les chrétiens, alors majoritaires, avaient obtenu la présidence de la République et la part la plus étendue des pouvoirs. Après l’accord de Taëf, la balance

264 Directeur du Centre international des sciences de l’Homme, Byblos, Liban. Il a coécrit avec Nawaf Salam, Lebanon in limbo. Postwar society and state in an uncertain regional environment, Baden-Baden 2003.

démographique s’était penchée en défaveur du clan chrétien, les musulmans étant devenus largement majoritaires.

Ce constat n’échappa pas aux rédacteurs de l’Accord265 qui tinrent compte de ce retournement démographique pour effectuer une redistribution des tâches. Ainsi, de plus larges pouvoirs ont été confiés au Premier Ministre, musulman, au détriment du Président de la République, toujours chrétien Maronite.

Par souci de stabilité politique donc, la distribution des pouvoirs à l’aune des évolutions démographiques est ainsi explicitement adoptée. Or, cette logique est elle-même facteur d’instabilité en ce qu’elle est conjoncturelle et n’étant basée sur aucun principe unificateur et fédérateur. Ce qui n’a pas manqué de susciter un certain nombre de réactions.

Section II – Les réactions à l’accord de Taëf

Lors de l'établissement de l'accord de Taëf, certains opposants libanais le dénoncent, étant selon eux signé à l'apogée de l'occupation syrienne et par un Parlement non réélu depuis près de 15 ans. Parmi eux, le général Michel Aoun, alors premier ministre intérimaire et commandant en chef de l'armée libanaise.

Immédiatement, quelques personnalités politiques libanaises de premier plan font connaître leur opposition à cet accord :

265 Les Syriens, Selon les affirmations de M. Georges Haoui, alors secrétaire général du Parti Communiste libanais, qui avait participé à son élaboration.

 Les communautés musulmanes chiite et druze sont déçues par cet accord car il ne remet pas en cause le pacte national de 1943 qui est à peine retouché au seul profit de la petite communauté sunnite, de façon globale, il n'y a pas d'évolution au niveau du système confessionnel, de la répartition des pouvoirs et de l'armée libanaise.

- – Nabih Berri, chef de la communauté chiite juge que cet accord « scandaleux » ne le concerne ni ne l'engage en rien.

- Walid Joumblatt, chef de la communauté druze estime que « La réunion de Taëf ne servira à rien. Ces vieux députés libanais ne représentent d'ailleurs rien, si ce n'est l'ancien régime, dont nous ne voulons plus » mais il confiait dès le 23 octobre 1989 au journal Le Figaro : « Je vais être convoqué cette semaine à Damas, on va me dire d'accepter l'accord, je n'ai pas le choix ».

 Selon Raymond Eddé, député chrétien en exil à Paris : « En 1976, le Liban était passé sous "mandat" syrien. Depuis le document dit d'"entente nationale", le Liban est devenu une colonie syrienne ».

 Le général Michel Aoun, premier ministre et chef de l'armée libanaise, s'oppose à l'accord qui selon lui entérine la présence de l'armée syrienne au Liban : « Les députés ne sont pas habilités à conclure des traités avec des pays étrangers, cela est du ressort du gouvernement ».

Il est à souligner que non seulement cet accord n’abolit pas le confessionnalisme au Liban, bien au contraire, mais le place implicitement sous tutelle syrienne. Jamais accord ne fut autant contesté car, bien entendu, contestable puisqu’il touche aux fondements même du Pacte national de 1943. La contestation a même gagné les rangs des députés qui l’ont signé, allant jusqu'à le qualifier accord de dupes.

Il en est ainsi, à titre d’exemple, de l’ancien secrétaire général du parti communiste libanais,Georges Haoui266, qui avait pris le chemin de Taëf et qui n’a cessé de dénoncer l’accord qui en a résulté affirmant que ce dernier n’est pas respecté, ni dans ses dispositions ni dans son esprit.

Par ailleurs, les réserves émises à propos du Pacte national, quant à sa légitimité, sont aussi valables concernant l’Accord de Taëf. Les acteurs à l’origine du document d’entente nationale ont tenté de donner plus de légitimité à leur Accord en respectant un certain nombre de formes, parmi lesquelles :

- - l’association à la prise de décision d’une plus large assise communautaire, c’est-à- dire non seulement maronite et sunnite, mais aussi druze et chiite,

- - l’entérinement de l’Accord par le parlement, même si un référendum aurait été plus adéquat.

Mais il n’en demeure pas moins que l’Accord de Taëf souffre d’un manque de légitimité lié en premier lieu au fait que les députés qui ont pris le chemin de Taëf n’agissaient plus au nom du peuple libanais, leur représentativité étant largement entamée car, d’une part, ils étaient élus en mai 1972 pour quatre ans ; leur mandat avait donc expiré depuis plus de 17 ans en 1989. D’autre part, des 99 députés élus en 1972, seulement 58 ont fait le déplacement à Taëf, c’est-à-dire à peine plus que la moitié267. Ce qui entame largement la légitimité et la légalité d’un Accord signé par des députés qui ne représentaient plus personne, sauf peut-être leurs intérêts propres. Car, comme le souligne Georges Corm, « l’idée du partage de la gestion des institutions qui a été systématisée depuis l’instauration de la IIe République a donné lieu au marchandage permanent et à un système de dépouilles (mohasshassa) que s’arrogent les chefs civils communautaires qui est tout à fait antidémocratique et inacceptable ».

266 Il a été assassiné le 21 juin 2005 lors d’un attentat attribué aux services syro-libanais. 267 Sachant qu’en 1989, seulement 70 des députés élus en 1972 étaient encore en vie.

Par ailleurs, les députés libanais n’avaient reçu aucun mandat à cet effet. La conclusion d’un tel accord ne fait pas partie de leurs compétences268. Surtout lorsque l’accord en question revêt la forme d’un « quasi-traité », donnant au pays une nouvelle constitution. Ceci conforte l’idée selon laquelle le pouvoir au Liban serait détenu par une caste politique pseudo-élitiste traditionnelle dont le seul but serait de se maintenir au pouvoir. Les députés réunis à Taëf ont ainsi agi d’une manière, pour le moins, assez peu démocratique. Comme le soutient Philippe Ardant269, « dans les sociétés non démocratiques, le titulaire du pouvoir constituant originaire est le chef, monarque ou dictateur, ou encore le groupe d’individus qui détient le pouvoir. Ils peuvent élaborer selon leur bon plaisir une Constitution sans aucune participation populaire ». La constitution de la deuxième République libanaise, très largement inspirée de l’accord de Taëf, prend ainsi la forme d’une Charte octroyée au peuple libanais qui n’a pas eu son mot à dire ni avant, ni pendant, ni après sa rédaction.

Si les différences doivent constituer une richesse, on constate qu’au Liban elles ne font qu’ériger des obstacles conduisant à une paralysie plongeant le pays dans un immobilisme général. Visant à apporter une certaine stabilité politique, cette Constitution de compromis communautaire n’a cessé de montrer ses limites et sa fragilité et ce, depuis sa création. En raison de la reconnaissance de jure des communautés confessionnelles, le Liban est en fait un Etat « composé, bigarré »270.

Les pouvoirs respectifs des trois présidents sont susceptibles de se neutraliser et de conduire à la paralysie. Le Liban est concrètement dirigé par une sorte de « Troïka » ou, plus précisément, par un triumvirat dont le bon fonctionnement suppose une entente constante

268 Article 52 avant sa modification par la loi constitutionnelle du 21/9/1990: Le Président de la République négocie et ratifie les traités. Il en donne connaissance à la Chambre aussitôt que l’intérêt et la sûreté de l’Etat le permettent. Les traités qui engagent les finances de l’Etat, les traités de commerce et en général les traités qui ne peuvent être dénoncés à l’expiration de chaque année, ne sont définitifs qu’après avoir été votés par la Chambre.

269 Philippe Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, 12ème édition, L.G.D.J., 2000, p. 74. 270 Selon les termes mêmes du rapport de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français intitulé « Quel avenir pour le Liban ? », Rapport 111-1996/1997.

entre le Président de la République, le Président du Conseil des Ministres et le Président de la Chambre des Députés.

La fragilité de cette constitution de compromis communautaire et, par conséquent, des institutions qui en découlent réside à la fois dans son caractère conjoncturel et dans la difficulté de concilier des points de vue différents devant définir une destinée commune. Comment, en effet, bâtir des institutions solides lorsque celles-ci doivent sans cesse obéir aux aléas démographiques et en l’absence d’objectifs communs ?

S’il est vrai que la soumission aux aléas démographiques participe à la fragilité de la Constitution libanaise, il est vrai également que l’absence d’objectifs communs, faisant fi des allégeances communautaires, inscrit cette fragilité dans les mentalités et dans la durée.

Abyssus abyssum invocat, l’abîme appelle l’abîme271. Le confessionnalisme institutionnel au Liban peut ainsi se traduire. En effet, depuis son adoption implicite par le protectorat français, le confessionnalisme n’a cessé de croître et de s’imposer comme unique solution pour un bon fonctionnement des institutions.

Les artisans du Pacte National de 1943, par souci de paix sociale, ont soumis les institutions à des divisions communautaires et ce sur une base démographique. La communauté ayant l’assise démographique la plus large hérite du pouvoir le plus étendu.

Or, cet accord n’avait pas, et ne prétendait pas avoir, une portée éternelle, bien au contraire. Tout au plus était-il conjoncturel. Le confessionnalisme devait disparaître, peu à peu, pour laisser place à un régime sain.

271 Psaume de David (XLI, 8), que l’on emploie pour exprimer qu’une faute entraîne une autre.

Cela aurait, bien entendu, été possible s’il y avait une certaine confiance entre les protagonistes. De part et d’autre la méfiance est omniprésente. Si un projet est lancé par une communauté, il est d’office soupçonné par l’autre d’avoir des visées particulières.

Si l’on poussait ce raisonnement à son paroxysme, on pourrait aisément emprunter ces quelques mots à La Boétie272 : « Ils ne s’aiment pas, mais ils s’entrecraignent ».

C’est sans doute par crainte de voir le pouvoir accaparé par une communauté que le compromis communautaire fut trouvé. Ce compromis crée en effet l’illusion d’une stabilité.

Les principes démocratiques, présents certes, mais sacrifiés sur l’autel du confessionnalisme se trouvent ainsi en péril chaque fois que les intérêts communautaristes sont visés.

C’est d’ailleurs partant de ce constat, que des députés signataires de l’Accord de Taëf ont entendu dénoncer son application - peut-on même dire sa non application - partielle : «Nous nous adressons au roi Fahd, au président syrien Bachar el-Assad, au Conseil de sécurité, à la Ligue arabe pour leur dire que l’accord qu’ils ont soutenu n’a pas été appliqué. L’entente et la véritable réconciliation nationale n’ont pas été réalisées. L’indépendance et la souveraineté du Liban sont bafouées, sa volonté est prisonnière, sa décision annihilée. Nous avons peur pour l’unité de son entité, pour son destin et pour l’avenir de son peuple»273.

La diversité culturelle qui devrait être un facteur d’enrichissement pour le Liban s’est transformée en facteur de division et d’affaiblissement.

272 La Boétie, Discours de la servitude volontaire. 273 Communiqué paru dans le quotidien libanais de langue française « L’Orient le Jour » le 15 décembre 2001.

Cette situation risque malheureusement de perdurer tant que des principes capables de dépasser les velléités communautaristes ne sont pas mis en valeur. La difficulté viendrait donc de l’incapacité à définir des objectifs communs.

Au lieu de constituer un facteur de richesse, le communautarisme libanais constitue, au contraire, un facteur contribuant à la sclérose des institutions. Ce qui tranche, bien entendu, avec le discours officiel.

C’est ainsi qu’au Congrès d’Ottawa274, le Conseil Constitutionnel libanais, répondant à la question de savoir si la Constitution libanaise est unitaire ou fédérale, reconnaît que « le Liban est un pays unitaire dans son territoire, multiconfessionnel dans les composantes de sa population, sa politique et son gouvernement devant toujours tenir compte d’un certain équilibre, salutaire pour sa paix et sa durée ».

Mais que ce soit le Pacte National ou l’accord de Taëf prônant un Etat unitaire n’ont permis d’éradiquer « l’option fédérale » qui semble correspondre à une réalité sociale libanaise.

Chapitre III – L’option fédérale

Présenter le Liban comme une somme de confessions cohabitant dans la gaîté et la bonne humeur serait une erreur. Il s’agit de poser, sans complaisance, les bonnes questions pour tenter de trouver, sans prétention, les bonnes réponses.

274 Congrès tenu le 18 décembre 2002 à Ottawa, au Canada, ayant pour sujet le thème de « la Fraternité ».

Comment faire en effet pour que les différentes composantes de la société libanaise puissent cohabiter et pour faire triompher l’intérêt général malgré les pressions de telle ou telle communauté ?

Peut-on trouver un modèle constitutionnel capable de concilier ce qui, de prime abord, semble inconciliable?

A ces questions, certains jusqu’au-boutistes ont cru trouver une réponse dans l’option de la partition du territoire entre chrétiens et musulmans. Mais cette option fut très vite rejetée tant les résistances dans les deux camps étaient fortes. L’article premier de la Constitution libanaise dissipe tout malentendu à ce sujet en précisant que « le Liban est un Etat indépendant, unitaire et souverain… »

Il ne s’agit pas, en tout état de cause, de la meilleure des solutions. La partition conforte, en effet, la position de ceux qui veulent transformer de manière irrémédiable la diversité de la société libanaise en une inconciliable cohabitation. Céder à la partition territoriale sur une base confessionnelle constitue, en définitive, un aveu d’échec et d’incapacité à trouver un terrain d’entente.

De même, la partition en elle-même n’est pas une solution providentielle. Chrétiens et musulmans sont divisés en plusieurs rites et appartenances qui, au demeurant, peuvent se rejoindre sur certains points.

Il est donc possible de trouver des projets pouvant rassembler une grande majorité de la population libanaise, les intérêts en jeu étant communs. Pour ce faire, il est vrai que parfois il faut sacrifier à quelques concessions. C’est désormais le sort de toute cohabitation.

Un petit regard sur les possibilités offertes par d’autres expériences constitutionnelles peut nous instruire sur les options que peuvent exploiter les institutions libanaises pour améliorer leur fonctionnement.

Une première tentative dans ce domaine revient à s’interroger sur l’Etat libanais. L’Etat peut en effet se définir comme un pouvoir de contrainte, s’exerçant sur une population rassemblée sur un territoire.

Bien longtemps une confusion a été dominante entre nation et groupe humain composant la population. Il ne pouvait exister de population sans appartenance à une nation. Etat et nation se trouvaient ainsi intimement liés.

Le résultat diffère donc du sens que l’on donne à la notion de Nation. Toute une littérature275 a tenté de lui donner un sens en se référant à des éléments objectifs ; une race, une langue, une religion, une culture, une mémoire et une histoire communes. D’autres ont préféré souligner une composante volontariste ; la nation serait le résultat de la libre décision d’individus ayant choisi de s’associer pour un destin collectif commun. Renan n’hésitait pas à affirmer que la nation « c’est un vouloir-vivre collectif ». Pour Malraux la nation serait « la communauté des rêves ». Cette définition intègre une dimension quasi-sacrée. La nation n’est plus désormais un héritage, elle est aussi une ambition.

Une observation objective du Liban contemporain peut conclure à l’absence de la dimension volontariste. Les différentes composantes du peuple libanais n’ont-ils plus de rêves communs ? Leurs rêves sont-ils si différents qu’ils en deviennent inconciliables ?

275 Michelet, Renan, Fustel de Coulanges, Barrès.

De quelque confession qu’ils soient, les libanais ont hérité d’une culture, d’une histoire, d’une langue et d’une mémoire communes. Ils ont donc plus de points communs qu’il n’y paraît. Faut-il pour autant songer à faire du Liban un Etat fédéral pour lui rendre une certaine dynamique ?

L’idée est séduisante, d’autant plus que dans un Etat fédéral on peut bénéficier des avantages qu’offre l’Etat unitaire tout en conservant l’identité de chacune des composantes. Par ailleurs, d’autres Etats unitaires ont déjà fait l’expérience de se transformer en Etats fédéraux. Il en est ainsi, à titre d’exemple, du Mexique, du Brésil et de la Belgique depuis 1993. Il faut souligner que la thèse du fédéralisme avait été avancée depuis longtemps par certains courants de la droite chrétienne. Sans doute savaient-ils le potentiel de chacune des composantes de la population libanaise. Mais cette thèse fut rejetée et continue à l’être par les défenseurs de l’Etat unitaire.

L’Etat fédéral procède de deux motivations différentes. Soit, il résulte de la volonté des Etats indépendants de s’associer 276 . Soit, il trouve son origine dans la dissociation d’un Etat unitaire, découlant de la volonté de donner à ses composantes une certaine indépendance juridique et politique, en reconnaissance de leur spécificité 277. C’est une constitution qui constitue la base de son existence. La répartition des compétences entre l’Etat fédéral et les entités fédérées est définie par la constitution en distinguant compétence de droit commun et compétence d’exception. Dans certains Etats fédéraux278, la compétence de droit commun relève des entités fédérées et dans d’autres279, elle relève de l’Etat fédéral. L’Etat fédéral conduit la diplomatie et négocie les traités. Il est compétent en matière militaire 280 ,

276 A l’origine, les Etats américains se sont associés pour résister aux anglais et conquérir leur indépendance. Edward Countryman, A People in Revolution : The American Revolution and Political Society in New York, 1760-1790, Baltimore, Johns Hopkins UP, 1981. 277 La Belgique. 278 Les U.S.A. par exemple. 279 Le Canada par exemple. 280 Y compris pour déclarer la guerre.

économique et monétaire et de nationalité. Le respect de la répartition des compétences ainsi que la primauté de la loi fédérale est assurée selon un mode judiciaire, par un organe régulateur et protecteur du fédéralisme : une Cour suprême (USA) ou une Cour constitutionnelle (Allemagne). Chaque entité élabore sa propre constitution, dispose d’un pouvoir exécutif281, législatif et sa propre organisation judiciaire. Le droit fédéral s’impose cependant au droit fédéré. Les Etats fédéraux disposent d’un parlement bicaméral282. Les détracteurs de cette forme d’Etat y voient le risque à plus ou moins long terme d’un éclatement de l’Etat, si les représentants de certains sous-ensembles de l’Etat fédéral veulent s’émanciper totalement de l’autorité fédérale. Cela peut se produire si un particularisme régional devient un sentiment national plus fort que l’idée fédérale. Ainsi au Canada, les habitants du Québec, qui sont francophones, se disent québécois avant d’être canadiens. En Tchécoslovaquie, la fédération n’a pas pu empêcher les Slovaques d’obtenir283 la partition de l’Etat, tandis que la partition de la Yougoslavie s’est faite dans la violence. Avant la chute du communisme, cinq nations étaient officiellement reconnues au sein de cet Etat, et la très grande majorité des citoyens se disaient serbes, croates, slovènes ou albanais, 5% de la population se disant yougoslave. La Belgique, démocratie consociative284 et fédérale, est en voie de partition : si les flamands n’ont toujours pas proclamé l’indépendance c’est parce qu’ils souhaitent incorporer aux Flandres, Bruxelles, d’après tous les spécialistes de la Belgique285.

A l’heure actuelle, on assiste dans des Etats fédéraux, tels que les U.S.A. et la Suisse, à un mouvement de centralisation alors que les Etats unitaires s’engagent dans la décentralisation voire le fédéralisme.

281 Gouverneurs aux U.S.A. et en Russie. 282 C’est-à-dire à deux chambres : l’une représentant la population dans son ensemble (Bundestag en Allemagne, Chambre des représentants aux USA), l’autre représentant les entités fédérées (Bundesrat en Allemagne, Sénat aux USA). 283 Heureusement à l’amiable. 284 Consensuelle, du compromis comme le Liban actuel. 285 Lire à cet effet l’ouvrage de Marc Reynebeau, Le rêve de la Flandre ou les aléas de l’histoire, La Renaissance du livre, Bruxelles, 2002.

Pour information, voici la carte dessinée par Antoine Najem en vue d’un Liban fédéral en 1982: 58% du territoire était accordé aux chrétiens. Aujourd'hui, 800 km2 de plus que les chrétiens seraient accordés aux trois grandes communautés musulmanes. En blanc, la zone chrétienne ; en noir, la zone sunnite ; en gris, la zone chiite et la zone druze.

Le groupe gamma qui a fait le projet de , avait insisté sur le fait que le fédéralisme était un idéal pour le Liban mais qui ne pourrait jamais être atteint tant que ses voisins auraient un irrédentisme, donc un environnement hostile, comme l’explique celui qui

était le chef du groupe gamma, Najib Fayad286, et surtout tant que comme le disait Bachir Gemayel, le Liban n’aurait pas un Etat de droit fort, un sentiment national réel et une citoyenneté détachée de toute allégeance clientéliste, communautaire ou autre. L’objectif doit donc être l’instauration d’un Etat de droit et de compétences, d’une démocratie participative et d’un pacte social ainsi qu’une sécularisation préservant la foi, les traditions et les croyances tout en faisant entrer la démocratie dans l’ère de la modernité287. Bachir Gemayel qui donnait sa préférence à la décentralisation, répétait que la forme d’Etat restait une « question de superstructures » dont la maîtrise est largement affaire de juristes qui inventeront aisément les mécanismes nécessaires et surtout de consensus national.

Mais il faut garder à l’esprit qu’un développement inégalitaire des Etats fédérés peut engendrer des tensions difficiles à gérer. Peut être même plus difficiles à gérer que lorsque l’Etat est unitaire.

Un observateur averti peut constater sans grands efforts que le développement d’hypothétiques Etats fédérés au Liban ne sera pas égalitaire. C’est sans doute pour cette raison que l’Accord de Taëf a pris soin de rejeter spécifiquement cette option.

L’Accord de Taëf affirme que par delà son caractère multiconfessionnel, l’Etat libanais est unitaire, ce qui exclut de le transformer en une confédération ou une fédération de communautés confessionnelles. Sur la base de l’appartenance à telle ou telle confession, il ne saurait y avoir ni répartition de population ni partition du pays.

Il y a donc une profonde méfiance à l’égard de toute forme de fédéralisme. La question du fédéralisme est ainsi mise au placard avant même d’être posée. Certaines composantes du

286 Source : http://www.libanscopie.com 287 Comme dans le modèle américain de « religion civile ».

monde politique libanais n’hésitent pas à accuser les partisans du fédéralisme de vouloir la partition du pays.

Pour l’heure, la thèse fédérale n’est certes pas marginale mais reste loin de faire l’unanimité. L’Etat unitaire reste la référence, confortant ainsi l’engagement des libanais visant à vivre ensemble.

Cet engagement n’est cependant pas entier. Force est de constater que la méfiance plane toujours en filigrane derrière toute action ou tout projet politique.

Trouver un projet qui recueille l’adhésion de la collectivité nationale, dans ce climat de méfiance, n’est pas chose aisée. Comment en effet peut-il en être autrement ? Une constitution qui érige le communautarisme en principe général, peut-elle être crédible en prônant l’unité nationale ?

Cette confusion des genres au sein même du texte fondamental n’est sans doute pas étrangère à l’instabilité, devenue chronique, des institutions libanaises. A cet égard, l’affirmation de Georges Naccache288, faite dans les années 1940, selon laquelle « un Etat n’est pas la somme de deux impuissances, et deux négations ne font pas une Nation », reste d’une extrême actualité. En effet, ce constat peut être fait de nos jours sans paraître désuet pour autant ; bien au contraire, certains souligneront sa perspicacité.

S’il est louable de rejeter toute idée de partition territoriale fondée sur une quelconque appartenance communautaire, l’idée même du fédéralisme mérite une plus grande considération. Il nous semble, en effet, que le fédéralisme correspond à une réalité sociétale

288 Georges Naccache, journaliste et écrivain (1904-1972), fondateur du journal l’Orient en 1924.

au Liban et pourrait libérer les forces vives de la nation en les libérant de leurs réticences qui ne font que les paralyser.

Or, malgré les avantages que peut offrir un système de type fédéral au Liban, il reste perçu comme un aveu d’échec. Aveu d’échec de la part de ceux qui ont en charge la construction de l’unité nationale. Cette dernière étant l’ultime idéal à atteindre. C’est d’ailleurs ce à quoi fait référence l’Accord de Taëf, base de la nouvelle Constitution libanaise, en soulignant que « le Liban est une nation souveraine, libre et indépendante, une patrie définitive pour tous ses fils, une et unique, terre, peuple et institutions, dans les frontières délimitées par la Constitution libanaise et reconnues internationalement », avant de souligner plus loin que « la terre libanaise est une et appartient à tous les libanais. Tout libanais a le droit de résider dans n’importe quelle région libanaise pour y jouir de tous ses droits, à l’ombre de la souveraineté de la loi. Il ne peut y avoir de déplacement de population sur la base d’appartenance, ni démembrement, ni partition, ni implantation ».

Par ailleurs, l’Accord de Taëf, précise « qu’il ne peut y avoir de légalité reconnue pour tout pouvoir qui contrevient au pacte de la coexistence ».

Force est de constater, cependant, que si l’unité nationale est un but à atteindre, aucun effort n’est fait en ce sens. Les discours officiels érigent l’unité nationale en priorité des objectifs à atteindre, mais les belles promesses de lendemain fleuri disparaissent dans les alcôves sinueuses de la realpolitik.

A dire vrai, le Pacte national de 1943 portait en lui les germes de la discorde. Etant basé sur un socle dépendant des aléas démographiques et conjoncturels, sa viabilité était compromise. Il devait, en effet, servir de point de départ pour libérer le pays du joug du confessionnalisme. Mais le provisoire a duré engendrant, au passage, des frustrations bien prévisibles. C’est que,

dès le départ, il a été question de s’attaquer aux conséquences du confessionnalisme mais pas au confessionnalisme lui-même. Le navire, ainsi colmaté, ne pouvait pas affronter la houle.

Il est donc utile, sinon nécessaire, de jeter les bases de nouvelles institutions capables de représenter les libanais, dans leur diversité, et de les rassembler autour d’objectifs et d’aspirations communs. La forme de décentralisation la plus adaptée pour le Liban est à notre sens, celle de l’Etat autonomique ou régional comme en Italie et en Espagne qui est une sorte de solution intermédiaire entre l'État unitaire décentralisé et l'État fédéral. Certains les caractérisent d'États en voie de fédéralisation mais celle-ci n’est pas du tout inéluctable. L'État autonomique ou régional essaye de concilier sa forte aspiration à l'unité et la diversité de ses régions. Le plus souvent c'est une forme d'organisation qui succède à l'État unitaire en essayant de compenser l'incapacité de ce dernier à prendre en compte la diversité qui s'exprime au sein du pays. Le régionalisme ou l'autonomisme apparaissent ainsi comme le meilleur moyen de garantir l'unité d'une nation sans pour autant nier sa diversité. L'autonomie des régions dans un État régional ou autonomique n'est pas aussi nette que dans un État fédéral puisque le plus souvent, leurs statuts doivent au préalable être approuvés par le parlement national. En revanche, comme dans les États fédéraux et à la différence des États unitaires, les régions des « États régionaux » ou autonomiques partagent la compétence législative avec le parlement national. Mais ces compétences législatives sont moins étendues et moins garanties que dans les États fédéraux. Quant à la reconnaissance de la diversité régionale par les institutions nationales et à la participation des régions à ces institutions, elles sont également en retrait par rapport à ce que l'on peut observer dans les fédérations.

L’arrêt de mort du Pacte national a été signé à Taëf. Les principes fondateurs de la concorde nationale ont subi un sérieux revers ce jour du 22 octobre 1989. D’où un fort sentiment de trahison partagé par un grand nombre. Au lieu de tirer les leçons des faiblesses du Pacte national, l’Accord de Taëf n’a fait qu’aggraver une situation déjà bien difficile.

L’Accord de Taëf, tout comme le Pacte national, témoigne de l’incapacité des libanais d’imaginer et de mettre en œuvre des institutions politiques libérées de toute référence communautaire. Bien plus, l’appartenance communautaire reste la base de l’édifice institutionnel libanais. Au point qu’une question essentielle se pose : les libanais sont-ils prêts à adopter des institutions dénuées de toute attache communautaire ? Sont-ils prêts à remplacer la référence à la communauté religieuse par la référence à la communauté nationale ?

Or, peut-il en être autrement dans un contexte mondial où les revendications à caractère communautaire ne cessent de se faire pressantes ? Même des pays comme la France, où la laïcité est clairement affirmée et où les institutions ont depuis longtemps rompu les liens avec la religion, éprouvent quelques difficultés à résister 289 . Comment, dans un tel contexte mondial, demander au Liban, où les revendications à caractère communautaire sont encore plus exacerbées, de dépasser les clivages intercommunautaires et d’entamer la déconfessionnalisation politique de ses institutions ?

Rien ne laisse augurer un tel changement en tout cas. Malgré l’intention affichée par la Constitution de la seconde République, fruit de l’Accord de Taëf, d’entamer une déconfessionnalisation des institutions, le confessionnalisme perdure. Plusieurs raisons à cela :

- -L’absence de grands Partis politiques transcommunautaires ;

- -La non création du Comité national chargé de la suppression du confessionnalisme politique290 ;

289 La une de plusieurs hebdomadaires, tels que « Le Nouvel Observateur », « Le Point », « L’Express » ou encore « Marianne », a ainsi été consacrée ces deux dernières années à la religion et à ses implications tant dans le domaine social que dans le domaine des institutions. 290 Préconisé par l’article 95 de la Constitution de la seconde République qui est la transcription des recommandations de l’Accord de Taëf selon lequel « l’abolition du confessionnalisme politique est un objectif national primordial et se fera selon un plan par étapes. La Chambre élue sur la base de la parité entre musulmans et chrétiens aura le soin de prendre les mesures menant à cet objectif et de former un Conseil national présidé par le chef de l’Etat et regroupant, outre le premier ministre et le président de la Chambre, des personnalités du monde socio-politique, culturel et universitaire. La tâche de ce conseil sera d’étudier et de proposer au Conseil des ministres et au Parlement les moyens à mettre en œuvre pour l’abolition, par étapes, du confessionnalisme.

- -La possibilité offerte aux chefs spirituels de saisir le Conseil constitutionnel ;

- -L’élection des représentants de la nation sur une base confessionnelle.

Loin de se limiter au partage du pouvoir, le confessionnalisme bénéficie au Liban d’une reconnaissance désormais constitutionnelle depuis l’Accord de Taëf.

Titre Second – La reconnaissance constitutionnelle du rôle politique des confessions religieuses.

Le fait communautaire, structure de base de la société libanaise, envahit l’espace juridico- politique de l’Etat, investissant et pervertissant l’édifice constitutionnel à tous les niveaux : organisation et fonctionnement du pouvoir, production et gestion du système normatif, statut des droits et libertés. La structure pluricommunautaire de la société libanaise, l’ancienneté et la solidité de son ancrage historique, la diversité de ses modèles et de ses références culturelles imposaient qu’elle fût prise en compte par le constituant et trouvât une expression juridique dans l’aménagement institutionnel de l’Etat et dans son ordonnancement normatif, bien qu’en principe rien n’interdise qu’une société de ce type organise son unité politique dans le cadre d’un Etat laïque. Pourvu que soient sauvegardées et institutionnellement garanties non seulement les différentes expressions de la liberté religieuse proprement dite mais également celles de ses implications et de ses prolongements au plan culturel 291 de manière à donner son plein contenu à la célèbre formule de Cavour292 : Libera Chiesa nel libero Stato (Eglise libre dans l’Etat libre).

Au Liban, l’attachement des communautés confessionnelles à des prérogatives qui, souvent, remontaient à la conquête arabe, leur méfiance à la fois à l’égard de l’Etat et les unes à l’égard des autres, enfin l’hétérogénéité et la fragmentation qu’entraînait sur le plan culturel le fait communautaire, que sa cristallisation séculaire n’avait fait que renforcer, rendaient fort aléatoire son intégration dans le moule uniformisateur d’une laïcité au demeurant inacceptable, dans son principe même comme dans ses conséquences de droit et de fait, par les communautés musulmanes.

291 Ce qui va bien au-delà de la liberté de culte, de la prédication et de l’enseignement religieux. 292 Camillo Benso, comte de Cavour (Turin, 10 août 1810 - Turin, 6 juin 1861) est un homme politique italien, important artisan de l'unité italienne.

Aussi d’autres solutions ont pu prévaloir ; celle de la reconnaissance aux communautés d’un statut constitutionnel et législatif et celle, distincte de ce statut légal et établie en principe à titre provisoire, du confessionnalisme politique, expression institutionnelle de la participation et de l’association des communautés, à travers leurs représentants, à la structure des pouvoirs publics dans leurs différents organes. Il s’ensuit qu’au Liban, la religion, bien loin de relever de la seule sphère privée, investit tous les secteurs de l’espace public. L’existence d’une société plurale fortement particularisée aurait pu conduire à l’établissement d’un Etat fédéral ou, tout au moins, à l’adoption d’une forme poussée de régionalisme ou de décentralisation, analogues à ceux auxquels ont eu recours d’autres Etats, comme constituant un cadre approprié à l’expression de leurs diversités humaines, plus souple que le fédéralisme.

Or, par un paradoxe étrange mais historiquement explicable par le contexte dans lequel a vu le jour la première Constitution libanaise, élaborée et adoptée à l’époque du Mandat français, on mit sur pied un Etat hypercentralisé, inspiré de la tradition jacobine et napoléonienne et conforme au modèle politique et administratif transmis par la France de la Troisième République aux constituants libanais293.

En superposant les structures d’un Etat unitaire centralisé de type classique, selon le modèle français, à celles du régime communautaire et du confessionnalisme politique, on cherchait à concilier les exigences de deux conceptions opposées de la Nation et de l’Etat, les équilibrant et les corrigeant en quelque sorte l’une par l’autre dans un compromis inspiré, pensait-on, d’un sage et prudent pragmatisme, dût-il, par l’hybridisme de son agencement, paraître heurter les principes et les catégories du droit public et de la théorie de l’Etat.

293 Travaillant du reste sous la supervision et avec la participation active du Haut Commissaire de la République, Henri de Jouvenel. Sur ce point, la Constitution est restée pratiquement inchangée depuis sa promulgation en 1926.

Si le rôle politique des confessions religieuses existait avant l’Accord de Taëf294, ce dernier l’a désormais reconnu officiellement en lui attribuant une valeur constitutionnelle. Cet Accord est même allé plus loin en offrant la possibilité aux chefs spirituels de saisir le Conseil constitutionnel295 et en ouvrant la possibilité à la création d’un Sénat où seront représentées les différentes familles spirituelles296.

Il en est de même pour ce qui concerne les députés. L’ancien article 24 de la Constitution ne faisait pas état de la confession des députés297, tout au plus renvoyait-il aux lois électorales en vigueur.

Le nouvel article 24 ne comporte désormais aucune ambiguïté en affirmant qu’en « attendant l’élaboration par la Chambre des députés d’une loi électorale sans contrainte confessionnelle, les sièges parlementaires seront répartis conformément aux règles suivantes : a) A égalité entre chrétiens et musulmans. b) Proportionnellement entre les communautés de chacune de ces deux catégories ».

294 Article 95 (ancien): A titre transitoire et conformément aux dispositions de l’article 1er de la Charte du Mandat et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat. Article 95 avant sa modification par la loi constitutionnelle du 21/9/1990: A titre transitoire et dans une intention de justice et de concorde, les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère sans que cela puisse cependant nuire au bien de l’Etat. 295 Article 19 (Modifié par la loi constitutionnelle du 17/10/1927 et par la loi constitutionnelle du 21/9/1990) … Le droit de saisir le Conseil pour le contrôle de la constitutionnalité des lois appartient au Président de la République, au Président de la Chambre des députés, au Président du Conseil des ministres ou à dix membres de la Chambre des députés, ainsi qu’aux chefs des communautés reconnues légalement en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux… 296 Article 22 (Abrogé par la loi constitutionnelle du 17/10/1927 et réinstitué par la loi constitutionnelle du 21/9/1990) Avec l’élection de la première Chambre des députés sur une base nationale et non confessionnelle, un Sénat sera créé où seront représentées toutes les familles spirituelles; ses attributions seront limitées aux questions nationales d’intérêt majeur. 297 Article 24 avant sa modification par la loi constitutionnelle du 21/9/1990: La Chambre des députés est composée de membres élus; leur nombre et les modalités de leur élection sont déterminés par les lois électorales en vigueur.

Et comme, bien entendu, aucune démarche n’a été accomplie pour l’élaboration d’une loi électorale sans contrainte confessionnelle, la représentativité reste conditionnée par l’appartenance confessionnelle (Chapitre Premier) ; on assiste même à un renforcement du confessionnalisme (Chapitre Second). La candidature de telle ou telle personne au poste de député reste conditionnée par son appartenance à telle ou telle confession reconnue. Ce qui exclut de facto tout candidat athée, agnostique ou n’appartenant à aucune confession reconnue. Un tel candidat n’aurait en fait aucune existence juridique.

Chapitre Premier - La représentation parlementaire sur une base confessionnelle.

Dans un article intitulé « Un sérieux casse-tête : l’abolition du confessionnalisme politique » 298 , Emile Khoury souligne qu’en principe, l’abolition du confessionnalisme politique prescrite dans Taëf devrait être au menu du présent gouvernement pour aboutir à l’élection d’une chambre des députés sur des bases nationales, non confessionnelles, en 2009. Mais l’objectif n’est pas facile à atteindre, affirme-t-il, car il faut d’abord trouver un consensus sur la composition, pour le moins complexe, du Comité national chargé de préparer la mutation. Ce Comité doit en effet réunir, outre le chef de l’Etat qui en sera le Président, le Premier ministre, le Président de la Chambre des députés, des personnalités politiques, intellectuelles et sociales dont la sélection pourrait occasionner d’infinies tractations. Dès lors, la simple annonce de création dudit Comité serait une victoire en soi. Mais les difficultés ne s’arrêteront pas là. Encore faut-il trouver un compromis autour du statut de ce Comité, son mode et son rythme de fonctionnement, etc.

Parallèlement, indique Emile Khoury, il faudra se pencher sur une loi régissant les partis politiques afin de favoriser l’émergence de formations à caractère national, de préférence aux organisations confessionnalisées. Les listes ne seraient ainsi plus formées « sur la base

298 Publié par le quotidien libanais de langue française, « L’Orient le Jour », le 24 mai 2005.

d’alliances de courants confessionnels qui consacrent la prédominance dite démocratique de la majorité numérique confessionnelle, tandis que la minorité confessionnelle reste lésée dans ses droits. Ce qui est contraire au principe même de la coexistence consensuelle sur lequel se fonde ce pays composite ».

Le système électoral (Section I) y est certainement pour beaucoup, ce qui a suscité un certain nombre de critiques (Section II). Le scrutin uninominal à un tour consacre en effet le régime des notables et l’hérédité de la représentation politique dans certaines familles. Ce que dénonce Georges Corm 299 qui affirme que « nous méritons mieux au Liban que la perpétuation de ce régime, incompatible avec l’idée même de démocratie où l’excellence est un critère majeur de choix des gouvernements. Le règne des notables, c’est la transformation de la démocratie en ploutocratie, c’est le contraire de l’esprit républicain ».

Section I – Le choix du système électoral

Les nécessités consensuelles proprement libanaises retentissent sur les institutions. Elles ont rendu indispensable une Assemblée, gage et instrument de la concorde interconfessionnelle, et un pouvoir central vigoureux, adroitement partagé entre les trois communautés majeures qui détiennent l’une la Présidence de la République, l’autre la Présidence du Conseil et la dernière la Présidence de l’Assemblée.

Pour sauvegarder ainsi une Assemblée de concorde interconfessionnelle le mode de scrutin plurinominal (§ -1-) s’est révélé capital, surtout conjugué à un découpage adéquat des circonscriptions électorales qui s’avère de plus en plus difficile (§ -2-).

299 Ibid.

§ -1- Un scrutin plurinominal à un tour

Conformément à la tradition juridique libanaise, le mode de scrutin est plurinominal majoritaire à un tour, avec possibilité de panachage.

Comme la Chambre des Députés est élue sur une base communautaire (64 chrétiens et 64 musulmans), les listes sont en principe composées en tenant compte de la répartition des sièges entre les communautés confessionnelles. Par exemple, le Chouf est représenté par 2 députés druzes, 3 maronites, 1 catholique et 2 sunnites. Si les électeurs usent de leur faculté de panachage, il peut arriver qu'un candidat ayant obtenu la majorité ne soit pas proclamé élu, dans le cas où la confession a déjà fait le plein des sièges qui lui étaient réservés, ce qui confirme la difficulté de concilier le système communautaire avec le principe de base : " Un homme, une voix ".

Les électeurs votent pour des listes de partis qui tiennent compte de la répartition préalable des sièges entre les différentes communautés religieuses. Est déclaré élu tout candidat obtenant la majorité relative des suffrages valablement exprimés non seulement par son groupe confessionnel, mais par l'ensemble des votants de la circonscription concernée. Le panachage est autorisé mais seulement dans le cadre de la même communauté. Les électeurs peuvent, en outre, rayer des listes autant de noms qu'ils le désirent et ne voter en définitive que pour un seul candidat. La représentativité multiconfessionnelle dépend de la dimension de la circonscription: plus celle-ci est vaste, plus elle peut englober des groupes confessionnels divers.

En cas de vacance d'un siège en cours de législature, des élections partielles ont lieu dans les 60 jours, à moins que la vacance ne survienne dans les six derniers mois de la législature. Le vote n’est pas obligatoire.

Les Conditions pour être électeur sont assez similaires à bon nombre de systèmes électoraux dans le monde. Il faut avoir 21 ans révolus, être citoyen libanais, résider au Liban300 et jouir de ses droits civils et politiques. Les empêchements sont les suivants : déchéance des droits civils ou du droit d'être titulaire d'un grade ou d'exercer une fonction publique, condamnation pour délits infamants, interdiction judiciaire, faillite, qualité de membre ou d'employé des forces armées et de la police, état d'arrestation ou internement.

Les Conditions pour être élu sont également assez communes. Il faut avoir 25 ans révolus, être citoyen libanais, jouir de ses droits civils et politiques et, enfin, savoir lire et écrire. Cependant, certaines personnes ne peuvent pas se présenter aux élections législatives ; les membres ou employés des forces armées ou de la police et certains fonctionnaires et autres membres des services publics.

Le dépôt de candidature doit se faire au moins quinze jours avant la date des élections et une caution de 10 000 000 livres libanaises301 doit être versée. Caution remboursable néanmoins si le candidat obtient au moins 10% des suffrages valablement exprimés dans la circonscription.

Les dernières élections se sont déroulées en quatre étapes du 29 Mai 2005 au 19 Juin 2005. Une équipe des Nations Unies a apporté une assistance technique à l'organisation des élections, et l'Union européenne a envoyé plus d'une centaine d'observateurs. C'était la première fois que le Liban acceptait des observateurs étrangers.

300 Ce point suscite bon nombre d’interrogations et de controverses, car beaucoup de libanais ayant émigrés gardent des liens constants et ininterrompus avec leur pays et manifestent leur volonté de participer à la vie politique du pays. Par ailleurs, le nombre de libanais émigrés est selon les estimations supérieur à celui de ceux qui sont restés, ce qui prive de facto plus de la moitié des libanais de participer à la vie institutionnelle du pays. 301 Soit l’équivalent de 7 500 Dollars américains ou 6 000 Euros.

Les électeurs se sont rendus aux urnes le 29 mai 2005 à Beyrouth. La participation à Beyrouth, où l'on compte quelque 400 000 électeurs inscrits, a été d'environ 28 %, soit six points de moins que lors des élections de 2000. Les analystes ont expliqué cette faible participation par l'insatisfaction suscitée par les élections et par l'attente d'une victoire éclatante du Courant du futur. Les élections se sont déroulées dans une paix relative, si l'on excepte de petites querelles entre sympathisants de partis rivaux. Le Courant du futur (listes du martyr Rafik Hariri), conduit par M. , fils de l'ancien Premier ministre assassiné, a remporté les 19 sièges de la capitale, dont neuf sans concurrent. Lors des précédentes élections de 2000, M. Rafik Hariri et ses alliés avaient obtenu 18 des sièges attribués à Beyrouth.

Le 5 juin, 45 % des électeurs inscrits se sont rendus aux urnes dans le Liban Sud. Le Hezbollah et ses alliés, y compris Amal, le parti du Président du parlement sortant, Nabih Berri, ont remporté tous les sièges, dont six sans rival, avec plus de 80 % des voix. L'alliance, connue pour ses politiques pro-syriennes et anti-israéliennes, s'était opposée en 2004 à la résolution 1559 du Conseil de sécurité des Nations Unies, qui demandait le retrait de toutes les forces non libanaises et le désarmement des milices, visant explicitement le Hezbollah et les partisans palestiniens.

La troisième étape a eu lieu le 12 juin avec l'élection des 58 députés du Mont-Liban et de la plaine de la Bekaa. La participation d'environ 50 % a été plus forte qu'à Beyrouth et au Liban Sud. Les candidats du Courant patriotique libre (FPM) soutenus par Michel Aoun, l'ancien chef de gouvernement militaire et Premier ministre par intérim, ont remporté 21 sièges au total. M. Aoun, qui s'est battu contre la Syrie à la fin des années 80, était rentré au Liban le 7 mai après 14 ans d'exil en France, et s'était allié à des candidats pro-syriens. Sa victoire a porté un coup à l'opposition anti-syrienne qui souhaitait que le Président Lahoud, pro-syrien, soit écarté du pouvoir. Le groupe de M. Hariri dans cette région était mené par le chef druze Walid Joumblatt, l'un des principaux dirigeants de l'opposition anti-syrienne. Il a obtenu un siège sans opposition et ses candidats ont remporté les huit sièges du Chouf, région à majorité druze, et 11 sièges dans la circonscription de Baabda-Aley, âprement disputés aux candidats

des listes de M. Aoun. Six autres candidats soutenus par M. Saad Hariri ont été élus, ce qui a renforcé son score dans la région, qui dispose de 25 sièges. Le Hezbollah et ses alliés ont remporté dix autres sièges dans l'est de la plaine de la Bekaa.

La dernière étape de l'élection s'est tenue le 19 juin dans le Liban Nord. Sur les 680 000 électeurs inscrits, 49 % se sont rendus aux urnes. La coalition de M. Saad Hariri a remporté les 28 sièges de la région, ce qui, avec un total de 71 sièges, le rend nettement majoritaire et confirme la victoire aux élections des adversaires de la Syrie.

Selon l'Accord de Taef de 1989, l'Assemblée nationale élit un président du parlement chiite dès que les élections parlementaires sont terminées. A sa séance inaugurale, le 28 juin, l'Assemblée nationale a réélu à sa présidence M. Nabih Berri pour un quatrième mandat consécutif. Le 30 juin, le Président Lahoud a nommé l'ancien ministre des finances de la communauté Sunnite, M. Fuad Siniora, en tant que Premier ministre. Il a été soutenu par la coalition de M. Hariri.

Le scrutin étant majoritaire, sont élus les candidats rassemblant le plus de voix dans chaque confession pour laquelle un poste de député est offert. Un seul bulletin portant les noms des candidats soutenus est glissé dans l’urne. Le système favorise la constitution de listes, que les électeurs ont néanmoins la liberté de panacher. En outre, tous les électeurs, quelle que soit leur confession, votent pour tous les postes de députés à pourvoir.

Le système est ainsi conçu pour assurer une bonne représentation des minorités, à la fois localement et au niveau national. Il s’agit notamment de préserver les intérêts des chrétiens, soutient Eric Verdeil, qui font la spécificité du Liban dans le Moyen-Orient arabe. Ce qui n’est pas l’avis du Conseil des évêques maronites, la plus importante instance religieuse chrétienne du Liban. Ce Conseil a en effet vivement critiqué la loi électorale censée organiser

des élections sur la base de grandes circonscriptions, affirmant qu’elle « met en péril la coexistence » islamo-chrétienne, car elle met les candidats chrétiens à la merci du vote musulman302.

Ce principe de représentation «équitable» au bénéfice des minorités crée des distorsions dans la représentativité des députés en fonction de leur confession et de leur circonscription. Le nombre de députés par rapport aux inscrits par caza varie dans une proportion d’environ 1 à 2 303 . Globalement, les régions sous-représentées sont plutôt des régions musulmanes périphériques, comme le caza de Miniyeh-Denniyeh ou le Sud chiite, mais il existe aussi des régions chrétiennes mal représentées, comme celle de Batroun.

L’impératif de la représentation des minorités conduit à une distorsion bien plus manifeste du point de vue de la représentation communautaire. Le nombre moyen d’inscrits appartenant à la même confession pour un député de cette confession varie ainsi dans un rapport de un à six. L’impératif de la garantie des intérêts des minorités confessionnelles se traduit, globalement, par une représentation non proportionnelle des députés au bénéfice des principales communautés chrétiennes.

302 C’est d’ailleurs ce qu’a exprimé le Patriarche Sfeir à l’occasion d’une manifestation devant le patriarcat maronite de Bkerké le 12 mai 2005 (AFP) « Nous ne voulons pas de divisions. Il faut préserver l'unité nationale avec les musulmans (...) il faut que les chrétiens puissent choisir leurs députés et les musulmans les leurs ». 303 Un tel écart n’est pas particulièrement choquant par rapport à diverses situations de par le monde. En France, pour les élections législatives, ce rapport est de 1 à 4,5. Voir sur ce sujet Michel Bussi et Dominique Badariotti, Pour une nouvelle géographie du politique, Economica-Anthropos, 2004. Cet ouvrage vise à démontrer que le lien entre géographie et vote dépasse le simple « jeu » de l'explication électorale. Le vote constitue une entrée privilégiée pour une nouvelle géographie du pouvoir (une géographie de la démocratie ?). Tout d'abord, il s'agit de définir les liens théoriques entre géographie et démocratie: transition démocratique, individualisation de l'opinion, représentation politique... En particulier, la question de la diffusion de la démocratie en dehors du monde occidental est posée. Ensuite, cet ouvrage propose une analyse de la diversité de l'organisation des élections dans le monde: modes de scrutins, lieux de vote, découpages électoraux, systèmes partisans, démocratie directe. Enfin, les héritages et les renouveaux de l'explication du vote sont abordés, ainsi que les principales méthodologies pour traiter les bases de données électorales.

La République libanaise étant essentiellement un Etat « multicommunautaire », des problèmes très complexes ont fait leur émergence, concernant l’équilibre social et politique et la représentation parlementaire et gouvernementale de groupes très divers et le plus souvent rivaux, dont aucun à lui seul n’est majoritaire sur son territoire.

Le système représentatif libanais, et plus encore son fonctionnement pratique, doivent être considérés dans le cadre de la représentation proportionnelle des communautés, ou « proportionnelle communautaire », dont il apparaît, logiquement et historiquement, comme un complément. La représentation proportionnelle des communautés ou rites dans les Assemblées, traditionnelle dans le Mont Liban dès le milieu du XIXe siècle, a été conservée, au moins provisoirement, dans le Liban moderne, sous l’égide du Mandat français d’abord, puis sous le régime de l’indépendance.

« En effet -- écrit en 1925 un excellent observateur des débuts du Mandat, appartenant d’ailleurs à l’époque à sa haute administration -- il sembla à la Puissance mandataire que briser…brusquement avec le passé…n’aboutirait qu’à aviver les luttes entre les rites, qu’à précisément cantonner les élections dans le seul domaine confessionnel. Au contraire, en assurant à l’avance la répartition équitable des sièges entre les différent groupements religieux, on pourrait espérer que l’on placerait plus aisément les électeurs en présence de leurs véritables intérêts politiques et économiques, devant les grandes questions nationales et internationales à l’ordre du jour, et que l’on écarterait du même coup le danger de consultations populaires sur la base unique et relativement stérile de la plus large représentation du rite… Chaque groupement eut dans chaque Etat le nombre de représentants que lui assignait son importance numérique304 ».

La fixation du nombre de représentants à élire pour chaque communauté et leur répartition dans chaque circonscription électorale ont été réglées en pratique par les dispositions de l’arrêté du haut commissaire de la République française en Syrie et au Liban, n° 1307 du 10 mars 1922305. Selon les termes même de cet arrêté « il est établi un quotient électoral qui s’obtient en divisant le total de la population électorale par le nombre des membres du Conseil représentatif à élire. Dans chaque municipe ou Sandjak, un siège au moins est attribué à tout rite comportant le quotient électoral. Lorsque la division du total des ressortissants d’un rite par le quotient électoral donne une fraction supérieure à la moitié de ce quotient, le rite a cependant droit à un représentant. De même, si le résultat donne un nombre entier augmenté d’une fraction supérieure à la moitié du quotient, le chiffre des membres du Conseil représentatif attribué est égal à ce nombre entier augmenté d’une unité.

304 R. de Fériet, L’Application d’un Mandat. La France, puissance mandataire en Syrie et au Liban, 2e édition, Beyrouth, 1926, p. 77. Sur la représentation communautaire au Liban, voir encore la thèse de Pierre Rondot, Les institutions politiques au Liban, Paris, 1947, en particulier pp. 78-100. 305 Cet arrêté a été maintenu provisoirement en vigueur par l’article 24 de la Constitution de la République libanaise du 23 mai 1926, en vue des élections au Parlement libanais. Il a d’ailleurs été maintenu dans ses grands principes par la dernière loi électorale datant de l’an 2000.

Un siège de membre du Conseil représentatif…sera accordé aux rites minoritaires non représentés et attribué à Beyrouth.

Aucun rite ne peut avoir, pour l’ensemble des circonscriptions, ni plus ni moins de représentants que le nombre auquel lui donne droit le chiffre total des ses ressortissants dans l’Etat, divisé par le quotient électoral. Si la somme des représentants d’un rite dans l’ensemble des circonscriptions de l’Etat dépasse le chiffre fixé par l’alinéa précédent, le siège supplémentaire sera supprimé dans le municipe ou le Sandjak auquel il est attribué par la fraction la plus faible et où le rite est déjà représenté. Au cas contraire, le siège à pourvoir est attribué à la fraction la plus forte ».

En fait, l’équitable rigueur de cette répartition est surtout apparente, en raison non seulement de l’incertitude des recensements, mais surtout de la difficulté de prendre parti sur l’inclusion totale ou partielle des émigrés dans le chiffre de la population électorale. L’opportunité politique conduit souvent, non seulement à accroître le nombre total des députés, comme en 1937 et en 1991, mais encore à modifier de façon plus ou moins empirique leur répartition entre les communautés, comme en 1943 et 1991.

Le scrutin plurinominal suscite toutefois plusieurs réactions. Corm préconise un système électoral basé sur la représentation proportionnelle susceptible d’assurer la représentation de tous les courants politiques existants à l’intérieur des communautés ou transcommunautaire.

Avis que ne partage pas Elie Fayad306 qui reproche à la proportionnelle d’être inapplicable au Liban du fait que le confessionnalisme est quasi impossible à marier avec la proportionnelle

306 Dans un éditorial intitulé : « Au marché des modes de scrutin, quel choix pour le Liban ? », paru le 30 novembre et 1er décembre 2004 dans le quotidien « l’Orient le Jour ».

qui a provoqué l’arrivée dans un certain nombre de pays, y compris la France, de formations politiques jugées peu fréquentables307.

Pour Fayad la circonscription uninominale serait plus adéquate pour le Liban. L’avantage d’un tel mode de scrutin, qu’il soit à un ou deux tours, serait qu’il simplifierait l’élection et qu’il reflèterait bien plus fidèlement l’opinion dans chacune des circonscriptions du pays. De plus il allègerait considérablement les effets néfastes du clientélisme à grande échelle, puisque l’aire où est supposé s’exercer ce clientélisme est par définition réduite. Enfin il mènerait au Parlement des députés plus responsables parce qu’en fin de compte, quel que soit le soutien politique ou financier qu’ils reçoivent d’ici ou là, chacun d’entre eux se présenterait seul devant ses électeurs.

Mais le scrutin majoritaire uninominal est-t-il applicable au Liban ? Ne consacre-t-il pas le fait confessionnel dans le pays ? Une des difficultés majeures, mais pas la seule, que rencontre ce système est celui des circonscriptions en milieu « mixte » où plusieurs confessions coexistent. Sachant que le principe de la représentation confessionnelle est toujours de mise et que, outre qu’il faille maintenir la parité chrétiens/musulmans, il faut respecter les quotas à l’intérieur de chaque communauté. Cette tâche, pour le moins délicate, doit être accomplie par une autorité qui doit faire preuve de neutralité absolue. Autorité qui n’existe pas au Liban.

Pour Eric Verdeil 308 , « la question de la répartition confessionnelle de la population a représenté un point de passage obligé pour décrire une société multiconfessionnelle ». C’est, par conséquent, l’exploitation des listes électorales qui permet de dessiner une carte officielle

307 Extrême droite, mais aussi mouvements alternatifs contestataires ou fantaisistes. 308 Eric VERDEIL, Chargé de recherche 2ème classe, CNRS UMR 5600 «Environnement, ville, société», (universités de Lyon II, Lyon III, St Etienne, ENTPE et INSA de Lyon). A consulter en particulier son article intitulé « Les territoires du vote au Liban » publié dans Mappemonde, n° 78 (2-2005), consultable sur le lien Internet suivant : http://mappemonde.mgm.fr/num6/articles/art05209.html.

des confessions libanaises. Cette carte est en définitive à la base de la répartition régionale des députés309.

La population est en effet répartie entre 17 confessions et une catégorie « autres confessions » sur les listes électorales. Cette catégorie n’est pas prise en compte par le tableau du Ministère de l’intérieur. Mais on peut d’ores et déjà relever quelques incohérences parmi lesquelles, à titre d’exemple : des 5956 juifs inscrits sur les listes électorales il ne reste plus que quelques familles au Liban, preuve s’il en fallait des carences de l’outil de recensement. Depuis celui effectué sous le Mandat français en 1926, aucun recensement officiel n’est venu actualiser les évolutions démographiques du pays. L’outil ne manque cependant pas. Les autorités se limitent à avancer le prétexte de concorde civile. Preuve, encore une fois, que le système de compromis communautaire reste soumis aux aléas démographiques dont on essaye de limiter les conséquences.

309 Voir Antoine Ghossain, « Annexes cartographique », in Fares Abi-Saab, Legislative elections 1996 : The Crisis of Democracy. Beyrouth: Lebanese Centre for Policy Studies, 680p.

Les députés sont répartis par confession en fonction de la distribution communautaire dans chacune des circonscriptions. C’est ainsi que la circonscription de Jbeil est représentée par deux maronites et un chiite.

Le scrutin plurinominal tel qu’il est conçu au Liban impose la composition entre candidats de communautés différentes. Nul ne peut espérer non seulement être élu, mais même simplement voir son nom porté sur une liste, si, outre le soutien des électeurs de sa communauté, il n’a

l’audience d’une autre communauté au moins. Dans la plupart des cas d’espèce, l’opposition résolue d’une communauté, fut-elle minoritaire dans la circonscription, suffirait à faire échec à un candidat d’une autre communauté, fût-il fortement soutenu au sein de celle-ci. De la sorte, les esprits exclusifs ou étroits dont l’horizon est borné au cadre communautaire, les champions trop déterminés d’un rite, les fanatiques dont la pensée est teintée d’un confessionnalisme intransigeant, sont pratiquement écartés de la compétition ou obligés à se modérer de façon constante.

Le scrutin plurinominal amène donc au Parlement des députés à la fois choisis du fait de leur appartenance à telle communauté et élus parce qu’ils ont su atténuer une attache communautaire trop stricte. Ainsi s’expliquent certains traits originaux du parlementarisme libanais.

Le scrutin plurinominal se conjugue par ailleurs avec un découpage des circonscriptions électorales de plus en plus difficile.

§ -2- Le difficile découpage des circonscriptions électorales

Le découpage des circonscriptions électorales participe du principe de sincérité du scrutin. Selon Richard Ghevontian310, « la question du découpage électoral, c’est-à-dire la technique par laquelle le territoire national est divisé en circonscriptions électorales dans lesquelles les électeurs sont répartis pour exercer leur droit de vote est déterminante au plan collectif sur l’expression sincère du corps électoral ». Le découpage électoral du territoire national est

310 Professeur à la faculté de droit et science politique d’Aix- GERJC-CNRS UMR 6055 Directeur de l’IEFEE, Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 13, mars à septembre 2002, études et doctrine, La notion de sincérité du scrutin, p. 65. Voir également Thierry Debard, François Robb, Le caractère équitable de la représentation politique, L'Harmattan, 2004. En procédant à une analyse critique de la législation électorale française, cet ouvrage collectif s'efforce de mesurer la place revenant à chacun dans la préparation et le déroulement des scrutins.

d’une importance capitale dans le fonctionnement d’une démocratie car, si sa finalité et sa mise en œuvre sont détournées, le résultat électoral obtenu ne sera dû qu’à un regroupement artificiel d’électeurs311.

Le Conseil constitutionnel libanais a d’ailleurs sanctionné ce genre de pratique dans une décision en date du 7 août 1996312 concernant une loi du 11 juillet 1996 relative à l’élection des membres de la Chambre des députés. Après avoir précisé que « le peuple est la source des pouvoirs et le détenteur de la souveraineté qu’il exerce à travers les institutions constitutionnelles » et que « l’élection constitue l’expression démocratique de cette souveraineté ; qu’elle ne peut être démocratique que si la réglementation est conforme aux principes de la Constitution, notamment au principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi », le Conseil affirme que la crédibilité d’un système électoral se fonde sur le découpage des diverses circonscriptions électorales de façon à garantir une égalité de représentation.

Le Conseil a par ailleurs considéré que tout découpage doit être opéré sur des bases essentiellement démographiques pour être représentatif d’un territoire et de ses habitants mais que le critère démographique dans le découpage des circonscriptions électorales n’est pas rigide et absolu; qu’il appartient au législateur de lui apporter des atténuations, lorsqu’il doit tenir compte de circonstances exceptionnelles et que ces atténuations qui touchent le principe d’égalité ne sauraient être admises que si elles s’inspirent d’impératifs précis d’intérêt général et s’appliquent dans des limites étroites313.

311 Cette pratique est bien connue sous le terme de Gerrymandering, du nom du gouverneur américain (Gerry) qui avait découpé une circonscription en forme de salamandre pour pérenniser son élection. 312 Décision n° 4-96. 313 Le Conseil constitutionnel libanais rejoint ainsi la position déjà adoptée par le Conseil constitutionnel français qui, en se fondant sur le respect du principe de l’égalité du suffrage, a précisé la portée du principe d’équilibre démographique en le qualifiant de « règle fondamentale » qui doit permettre une égale représentation des populations sans pour autant exiger une stricte proportionnalité. Si le critère démographique est le principe, des écarts de représentation peuvent cependant être admis pour tenir compte d’impératifs d’ordre général précis comme la nécessité d’assurer un lien étroit entre l’élu et l’électeur, ou la prise en compte de la continuité territoriale. Ces écarts doivent toutefois être exceptionnels et limités. Voir à cet effet les décisions suivantes : DC 86-208 des 1er et 2 juillet 1986, DC 86-218 du 18 novembre 1986 (Découpage électoral, GD, n°40) et DC 2000-

La loi attaquée avait adopté des critères différents dans le découpage des circonscriptions électorales. Elle avait en effet érigé les Mohafazats de Beyrouth, du Liban-Nord et de la Bekaa en circonscriptions électorales distinctes. Elle avait ensuite adjoint le Mohafazat de Nabatieh à celui du Liban-Sud pour en faire une circonscription unique. Elle a enfin, dans le Mohafazat du Mont-Liban, considéré chaque Caza comme une circonscription électorale propre.

Le législateur, dans l’article 2 nouveau de la loi attaquée, avait ainsi établi des différences dans le découpage des circonscriptions électorales, en consacrant des discriminations entre les électeurs et les candidats des diverses régions du pays, sans que ces différences ne soient fondées, dans le texte de la loi, sur des considérations exceptionnelles revêtant un caractère d’urgence, ce qui rend la loi attaquée contraire au principe d’égalité énoncé à l’article 7 de la Constitution, comme dans le préambule de celle-ci.

L’article 24 de la Constitution ayant établi la répartition des différents sièges de la Chambre sur le fondement de règles destinées à réaliser avec justice, un équilibre entre les diverses communautés, comme entre les différentes régions du pays, de manière à assurer leur représentation adéquate et de préserver leur coexistence commune perd nécessairement sa signification si la loi électorale, pour le découpage des circonscriptions électorales ne se fonde pas sur un critère unique applicable dans toutes les régions du pays. Le législateur peut recourir pour opérer ce découpage soit au Mohafazat, soit au Casa, soit à un autre mode de délimitation géographique, pourvu qu’il soit uniforme. Cette uniformité assure en effet l’égalité de traitement des électeurs et préserve l’égalité des candidats, en leur conférant les mêmes droits et en les soumettant aux mêmes obligations.

438 du 10 janvier 2001, Loi organique destinée à améliorer l’équité des élections à l’Assemblée de la Polynésie française.

Le Conseil a considéré, en définitive, « qu’on ne saurait admettre que le législateur donne à des circonstances exceptionnelles et provisoires un caractère permanent, en fondant sur elles des règles stables et générales qui portent atteinte d’une manière durable au principe d’égalité ». Et que la loi 530/96, en adoptant des critères différents dans la délimitation des circonscriptions électorales, sans souligner que ces différences sont provisoires, exceptionnelles, justifiées aux yeux du législateur par des circonstances d’une extrême gravité, mettant en cause des impératifs d’intérêt général, se trouve avoir violé le principe constitutionnel d’égalité devant la loi et doit donc être censurée.

Le Professeur Ghevontian souligne à juste titre que dans la plupart des cas c’est au gouvernement et au Parlement que revient le pouvoir de procéder au découpage des circonscriptions électorales314, ce qui lui confère un caractère hautement politique. Il rejoint ainsi l’avis de Philippe Ardant concernant le choix du système électoral315 : « Le choix d’un système électoral, écrit-il, n’est pas neutre, il s’agit d’un choix politique. De même les aménagements techniques qui lui sont apportés, de temps en temps, ici ou là, ne doivent pas faire illusion, le plus souvent ils ne cherchent pas à donner une représentation plus fidèle des courants d’opinion, ils visent avant tout à conserver, et si possible accroître, la représentation, c’est-à-dire la puissance de ceux qui les décident ».

Ce caractère politique est accentué au Liban où le système électoral reflète le compromis entre les confessions en s’efforçant de garantir la représentation de la diversité confessionnelle et régionale à l’échelle de circonscriptions qui sont généralement les cazas316. Les députés représentent à la fois des électeurs d’une confession et d’un caza, mais ils sont généralement élus dans le cadre d’une circonscription plus large. Ainsi, les députés sont toujours dépendants d’un vote pluricommunautaire.

314 En Allemagne cependant, une Commission indépendante peut être associée aux décisions de découpage. 315 Philippe Ardant, Institutions politiques et droit constitutionnel, L.G.D.J., 12e édition, 2000, p. 206. 316 Unités administratives équivalentes aux cantons.

Selon le critère de l’inscription sur les listes électorales, de très forts contrastes de l’implantation géographique des groupes confessionnels peuvent être soulignés. Cette géographie des communautés confessionnelles est héritée des transformations territoriales de la fin de l’Empire ottoman, avec par exemple la croissance de Beyrouth et les mouvements de population qui l’ont accompagnée, comme par exemple les migrations des chrétiens de la Montagne vers la capitale ou l’installation des Arméniens ayant fui les persécutions turques317.

On peut ainsi distinguer des groupes confessionnels localement dominants voire exclusifs, comme les sunnites, les maronites, les chiites, ou plus ponctuellement, les orthodoxes ou les druzes, et des groupes constamment minoritaires. Toutefois, selon les régions, une confession du premier groupe peut très bien se trouver en situation minoritaire.

Les sunnites sont par exemple très présents dans les grandes villes, et sont en particulier nettement majoritaires à Saïda et Tripoli, tout en formant le premier groupe confessionnel à Beyrouth. Dans l’espace rural, les sunnites sont surtout dans les régions septentrionales du Akkar et du Denniyé, ainsi que dans la Bekaa sud et l’Iqlim al-Kharroub, au nord-est de Saïda, où ils occupent des positions majoritaires. Les chiites sont très concentrés dans le Sud (Jabal ‘Amil) et dans la Bekaa nord, où ils sont en position parfois exclusive. Ils sont traditionnellement presque absents des villes, tout en ayant une communauté minoritaire à Beyrouth et dans sa banlieue. Des communautés minoritaires sont implantées dans la région de Jbeil et en Bekaa centrale. Le peuplement druze se concentre dans le Mont-Liban sud (Chouf et région de ‘Aley) ainsi que les piémonts de l’Hermon. Il est parfois fortement dominant et ailleurs plus mélangé. Les alaouites forment, au Nord du Liban, de petits groupes minoritaires situés dans la continuité géographique de leur principal foyer communautaire, le Jabal Ansarieh, en Syrie.

317 Lire à cet effet Xavier de Planhol, Minorités en Islam, Géographie politique et sociale, Flammarion, 1997. Mais aussi Etienne de Vaumas, La répartition confessionnelle au Liban et l’équilibre de l’Etat libanais, Revue de géographie alpine, n°43, p. 511-603.

Les communautés chrétiennes présentent également une forte concentration géographique. Les maronites sont très implantés sur le versant occidental du Mont-Liban. Majoritaires dans le Nord du Mont-Liban, du Kesrouan à la région de Zghorta, ils sont le plus souvent en situation de mixité dans la partie sud, avec des chiites (Sud, Jbeil), des druzes (Chouf, Aley, Metn) ou des orthodoxes (Metn, Koura). Les grecs-orthodoxes et les grecs-catholiques sont en général en position minoritaire dans des implantations qui ne se recouvrent pas complètement. Les grecs-orthodoxes comptent ainsi traditionnellement de fortes communautés dans les grandes villes littorales de Tripoli et Beyrouth. Dans l’espace rural, ils sont en situation de mixité dans le Metn et le Mont-Liban central, ainsi que dans le Sud-Est du pays, dans la Bekaa centrale et dans les plateaux du Akkar. Ils ne sont majoritaires que dans la Koura, au sud de Tripoli. Les grecs-catholiques sont présents, minoritaires, dans les villes de Zahlé, Saïda et Tyr, et plus modestement à Beyrouth. Sinon, ils sont disséminés dans le Sud du Mont-Liban et la Bekaa centrale, ainsi que dans le Nord de la Bekaa. Les deux communautés arméniennes, orthodoxe et catholique, sont concentrées à Beyrouth et dans sa banlieue est, ainsi que dans la Bekaa centrale, depuis leur arrivée d’Anatolie. Les autres communautés chrétiennes, sont surtout à Beyrouth et dans le Mont-Liban central ou la Bekaa centrale.

Pour contrebalancer cette valorisation du fait minoritaire et éviter les surenchères identitaires, potentiellement belligènes ou extrémistes, l’accord de Taef a prévu que ce n’est pas dans le cadre des cazas, ou «petites circonscriptions», généralement assez homogènes sur le plan confessionnel, que les députés seraient élus, mais dans un cadre plus large, théoriquement celui des mohafazas. Cela implique qu’un député ne peut être élu qu’avec l’appui d’un électorat pluri-communautaire. Ce que dénonce justement le Conseil des évêques maronites rassemblant autour de lui une grande majorité de la classe politique chrétienne ainsi qu’une bonne partie de l’opposition musulmane antisyrienne qui a cependant consenti à des élections sur la base de grandes circonscriptions pour ne pas se mettre à dos les deux mouvements chiites318 qui mobilisent le vote.

318 Amal et le Hezbollah.

Pour qu’il n’y ait pas de trop grosses circonscriptions, l’accord appelait à augmenter le nombre de mohafazas qui, de six, est passé à huit en 2003.

Le jeu sur la taille des circonscriptions est par ailleurs une pratique qui permet de préserver des fiefs électoraux. On se heurte ici à la classique manœuvre dite du gerrymandering, que nous avons déjà exposé. Cette question est la plus controversée dans les débats politiques libanais319. L’enjeu est l’adéquation entre un potentiel électoral, lié à des réseaux particuliers (confessions, clientèle politique), et un échelon de représentation. Un tel potentiel peut être,

319 Voir à cet effet Antoine Ghossain, « Annexes cartographique », in Fares Abi-Saab, Legislative elections 1996 : The Crisis of Democracy. Beyrouth: Lebanese Centre for Policy Studies ; Antoine Messara, La géographie électorale au Liban, historicité des Cazas et découpage des circonscriptions, Fondation libanaise pour la paix civile, Konrad Adenauer Stiftung, 2002.

comme l’affirme Eric Verdeil, efficace à l’échelle du caza, voire de deux cazas, mais il sera affaibli dans une circonscription plus large.

Il peut s’agir d’isoler un électorat spécifique dont on veut préserver l’expression politique320. Comme le souligne Elizabeth Picard321, un tel système place le communautarisme au centre des pratiques politiques.

Le décryptage du système électoral libanais dans sa dimension territoriale fait ressortir l’enjeu de la représentation équitable du fait confessionnel, qui passe par une inscription territoriale précisément codifiée. L’articulation entre l’échelle de la représentation confessionnelle et celle du vote, et donc la question du découpage territorial, constituent l’une des clés de compréhension de la lutte politique.

En définitive, comme l’affirme Eric Verdeil, « même s’il s’exerce dans des cadres territoriaux, le vote au Liban, notamment à l’occasion des élections législatives, peut difficilement être considéré comme une information territoriale. La géographie confessionnelle de l’électorat est en fait largement un symbole, en décalage avec les réalités démographiques contemporaines. Un siècle de migrations intérieures et extérieures et, en

320 A titre d’exemple, la petite circonscription du Chouf a plusieurs fois favorisé le leader druze Walid Joumblat. Ce dernier, authentique représentant de ces grandes familles de notables qui dominent leur communauté depuis plusieurs générations, aurait été dépendant d’un électorat composite, incluant une majorité chrétienne et des chiites, à l’échelle de la mohafaza du Mont-Liban, qui aurait pu le mettre en échec. Inversement, une grande circonscription a servi les desseins du leader du parti chiite Amal au Sud ou dans la Bekaa, grâce à un système de listes négociées avec ses alliés et obligés. Dans ces régions, les candidats chrétiens ne peuvent être élus que s’ils font alliance avec les partis chiites qui dominent l’électorat de la région. Globalement, il a été calculé qu’environ un tiers des députés chrétiens sont élus dans des circonscriptions où ils dépendent du vote musulman, alors qu’aucun député musulman ne se trouve dans ce cas. De même, pour les élections de 2000, le caza de Bcharré, de peuplement maronite, largement acquis à l’ancienne milice des Forces libanaises, a été rattaché aux cazas de Denniyé (sunnite) et Akkar (orthodoxes et sunnites y sont majoritaires), au mépris de la géographie et des réalités administratives: aucune route ne relie ces régions montagneuses séparées par des gorges profondes, et le caza de Miniyeh-Denniyeh a été scindé pour l’occasion. Sur cette question, consulter Nicolas Nassif, Les élections de l’été 2000, Monde arabe Maghreb Machrek, n°169, p. 116-127. 321 Op.cit., « Les habits neufs du communautarisme libanais », cultures et conflits, n° 15-16, automne-hiver 1994.

particulier, les exodes et les massacres des années de guerre ont bouleversé cette géographie de référence ».

C’est pour ces raisons et pour tant d’autres que le système électoral libanais ne cesse de subir des critiques.

Section II- Les critiques du système électoral

Le système de la « proportionnelle communautaire » a été étendu au-delà du domaine représentatif. Il existe en effet, comme nous l’avons exposé, une règle traditionnelle, confirmée à titre transitoire par la Constitution et profondément ancrée dans les mœurs, selon laquelle les communautés seront équitablement représentées dans les emplois publics et dans la composition du ministère.

En raison de cette extension, qui a donné lieu à divers abus et qui conduit d’une façon générale à sacrifier la considération de la compétence, au soin de l’équilibre confessionnel, le confessionnalisme est de plus en plus critiqué au Liban, encore que ses censeurs s’accordent le plus souvent à reconnaître qu’en l’occurrence il conviendrait de modifier d’abord les mœurs, avant de toucher aux lois. Bien que déjà ancien, le courant d’idées anticonfessionnel n’a pu encore ébranler le principe de la représentation parlementaire communautaire. Un projet de loi électorale publié dès le printemps de 1925 par le général Sarrail, alors haut commissaire, était ainsi conçu (art.1) : « A l’avenir, il n’est plus tenu compte, dans la répartition des sièges au Conseil représentatif entre les divers éléments de la population libanaise, du groupement de ces éléments en communautés religieuses différentes322 ».

322 Oriente Moderno, 1925, p. 354.

L’opinion libanaise ne fit pas alors l’accueil espéré à ce projet qui ne put être réalisé, mais c’est bien dans ce sens qu’elle devait elle-même, en partie, évoluer. Dès 1933, un « congrès » convoqué par Rachid Nakhlé esquissait une Constitution sans base confessionnelle323. Bientôt le mouvement des Kataeb ou Phalanges libanaises, entend « superposer aux vieux idéaux confessionnels un idéal national324 », et « refuser à la confession religieuse tout caractère de groupement politique » ; « la confession religieuse n’a rien à faire dans l’organisation politique et administrative de l’Etat325 ».

Cependant, précise le chef du mouvement Kataeb de l’époque, : « Nous sommes contre le confessionnalisme politique…mais il ne suffit pas de le supprimer dans les textes. Et même il serait imprudent de le supprimer d’abord dans les textes. Surtout quand on n’a pas prévu exactement ce par quoi on le remplacerait, et dans quelles conditions et avec quelles garanties ce remplacement aurait lieu. C’est des cœurs qu’il faut le déraciner avant tout… C’est par une éducation nationale clairement et nettement libanaise, qu’il faut commencer326 ».

En attendant, le système électoral libanais reste marqué par de fortes alliances claniques (§ -1- ) et donne lieu à ce que l’on peut appeler « la formation de groupes de représentants extra- parlementaires » (§ -2-)

§ -1- Un système électoral favorisant des alliances claniques

323 Oriente Moderno, 1933, p. 433. 324 Premier manifeste, 21 novembre 1932, reproduit dans Connaissance des Kataeb, Beyrouth, p. 78. 325 Action, 20 avril 1941, reproduit dans Phalanges Libanaises, Directives, Beyrouth, 1944, p. 9. 326 Déclaration de M. Pierre Gemayel, janvier 1947, reproduite dans Connaissance des Kataeb, p. 201.

Des dynasties opèrent au sein de chaque communauté donnant l’impression d’un régime féodal, voire même monarchique. A titre d’exemple, de 1943 à 1993 les portefeuilles ministériels ont été occupés par 260 personnes dont certains ont été ministres plusieurs fois.

Si l’on opère un classement par familles, des noms reviennent inéluctablement dans la formation des ministères successifs. Lorsqu’un père disparaît, c’est pour laisser sa place à un successeur qui, pour la grande majorité des cas, est son fils. Un beau sujet d’observation pour des auteurs comme Marc Abélès327.

Ainsi, toujours à titre d’exemple, Saëb Salam laissa sa place à son fils Tamam Salam ; Soleiman Frangié fit de même pour son fils Tony Frangié ; Walid Joumblatt succéda à son

327 Auteur, entre autres, de « Le lieu du politique », Paris, Société d’Ethnographie, 1983 ; « Anthropologie de l’Etat », Armand Colin, Paris, 1990.

père Kamal Joumblatt ; Dory Chamoun prît la suite de son frère assassiné Dany Chamoun qui lui-même avait succédé à son père Camille Chamoun. Takieddine Al-Solh désigna son fils Rachid Al-Solh comme digne successeur et les fils Gemayel, Amine et Bachir succèderont à leur père328.

Etrange phénomène d’hérédité dans une démocratie qui se veut représentative. Ce phénomène n’est sans doute pas étranger au sentiment de défiance vis-à-vis des hommes politiques largement répandu au Liban, encore plus qu’ailleurs.

Il est à noter que ce phénomène d’hérédité coexiste avec une représentation confessionnelle. Ainsi, certaines familles ont représenté une confession pendant des décennies. Est-ce par souci de stabilité ? La longévité favorise-t-elle les alliances permettant d’éviter les crises ?

Rien n’est plus hasardeux lorsqu’on sait que ces familles existaient avant, pendant et après la guerre au Liban.

Il est, par conséquent, aisé de dresser un constat : l’hérédité politique s’accommode bien du système communautariste, lequel favorise la présence de certaines familles.

328 La liste est certes beaucoup plus longue mais, par souci de lisibilité, nous nous limiterons à ces quelques familles.

Ce pouvoir héréditaire qui cultive le népotisme clanique, aux contours bien oligarchiques329, favorise la perpétuation d’une classe politique qui évolue au sein de la communauté qu’elle est censée représenter.

Le pouvoir est ainsi confisqué à petite échelle, bon gré mal gré, par certaines familles. Il en est de même quand il s’agit de politique nationale, les alliances entre familles vont bon train, reléguant souvent l’intérêt national au second plan.

La mobilisation politique reste, comme nous l’avons déjà souligné, dominée par une certaine logique de réseaux à la fois transcommunautaires et transterritoriaux, à plus forte raison lors des élections législatives330.

Par le jeu du scrutin de liste, en vigueur jusqu’à ces derniers mois, les clans locaux se sont insérés dans le déroulement même des consultations électorales. Le chef, ou Zaïm, de la région, est aveuglément obéi de ceux de son clan qui forment la majorité des électeurs de la circonscription. Par voie de conséquence, c’est lui qui décide du choix de ses colistiers. Son omnipotence apparaît surtout dans les ultimes tractations en vue de la formation définitive de la liste. Il détermine les conditions auxquelles les candidats peuvent y figurer, fixe les sommes que ceux-ci devront lui verser et dont nul n’ignore l’importance, entre en pourparlers avec le gouvernement pour tirer de sa position privilégiée le maximum d’avantages contre certaines

329 Le concept appelé « la loi d’airain », utilisé en sociologie pour qualifier la tendance de toute organisation à sécréter une élite oligarchique, se vérifie bien au Liban. Qui dit organisation dit oligarchie. Toute organisation engendre des relations de domination. Des processus de différenciation interne et de division du travail se mettent en œuvre, et à mesure que l’organisation partisane se développe, on voit émerger une bureaucratie peuplée par des dirigeants professionnels. Ceux-ci vont s’appuyer sur la maîtrise des ressources collectives dégagées par l’organisation et vont développer des savoir-faire qui leur permettent de recueillir des mandats et des responsabilités. Ils deviennent presque des chefs inamovibles. Cela signifie que l’organisation crée des dirigeants qui deviennent indépendants des masses et coupés de leur contrôle. C’est, en quelque sorte, un processus de captation du pouvoir. Voir sur ce point, Eva Etzioni-Helevy, The Elite Connection, Cambridge, Polity Press, 1993 et Roberto Michels, Les partis politiques, Flammarion, 1971. 330 Tristan Khayat, « Construction du territoire municipal et aménagement métropolitain à Borj Hammoud », in Favier, Municipalités et pouvoirs locaux au Liban, Collection « Les Cahiers du CERMOC », n°25, 2001, p. 207-225. Pour une analyse plus approfondie du contentieux électoral, voir Adel Boutros, « Le Conseil constitutionnel et le contentieux électoral », éditions Halabi, 1998. (Ouvrage écrit en langue arabe).

concessions électorales, telle que l’admission sur la liste d’un candidat officiel. C’est, comme le souligne Alfred Naccache, « un marché où l’intérêt public est délibérément sacrifié. C’est ainsi que des minorités entières sont représentées par un député dont elles n’auraient jamais voulu… Pour peu que le zaïm s’entende avec l’autorité, l’élection devient une simple formalité administrative331 ».

Mais comme au Liban nous ne sommes pas à une contradiction près, l’Assemblée nationale qui doit rassembler les représentants de toutes les confessions légalement reconnues ne se sent pas légitimement habilitée à résoudre les problèmes d’ordre confessionnels lorsqu’ils se posent à elle. D’où, ponctuellement, l’émergence de « groupes » de travail extra- parlementaires.

§ -2- La formation de « groupes » de représentants extra-parlementaires

Le Liban manque absolument de partis organisés autour d’une idée. Charles Ammoun332 s’interrogeait en ce termes : « Un programme d’action, net et précis, ne heurterait-il pas d’une façon trop évidente certaines situations ; ne risque-t-on pas, par trop de précision, de heurter un des différents facteurs dont la masse compose l’unité libanaise ? ». Un souci instinctif d’équilibre communautaire et plus précisément de concorde islamo-chrétienne rendrait donc plus aisée la formation de « blocs » où les chefs naturels s’insèrent d’eux-mêmes, que celle de partis « à l’occidentale », où prévaudraient des intellectuels et membres des professions libérales.

Une Assemblée intercommunautaire, fonctionnant correctement, apparaît indispensable à tous les libanais, sous réserve de quelques nuances. Pour un éditorialiste maronite du Jour, « c’est le lieu et unique et nécessaire de la représentation confessionnelle, qui est, au Liban, la forme

331 Alfred Naccache, La réforme électorale, Conférences du Cénacle, 1948, IIe année, n° 3-4, p. 49. 332 Charles Ammoun, Retour à la mêlée, Conférences du Cénacle, 1950, IVe année, n° 162, p. 27.

particulière et inéluctable de la représentation des minorités333 ». Pour le directeur sunnite de Beyrouth, « le régime représentatif est le seul capable de forcer l’adhésion au statut libanais de tous les éléments de la population libanaise334 ». On se demande cependant s’il est possible d’appliquer à ce régime « les règles du parlementarisme occidental, alors qu’il n’est que l’expression d’un régime représentatif interconfessionnel, qui n’a pas son pareil ailleurs335 ».

En fait l’Assemblée, grâce aux compromis imposés par le mode de choix des députés, écarte efficacement de son sein tout réel conflit confessionnel ; elle ne comporte jamais de groupe parlementaire à base religieuse ; elle répugne souvent à traiter des questions touchant les communautés, même lorsqu’il s’agit de régler les pouvoirs, comme par exemple à l’occasion de la réforme du statut personnel qui met en jeu l’exercice de la justice.

Les députés sont donc, de par les conditions de leur élection et l’atmosphère de l’Assemblée, moins bien placés qu’on ne pourrait le croire pour être les porte-parole des communautés ; d’ailleurs, les portefeuilles ministériels et les fonctions administratives sont répartis selon le même principe proportionnel que leurs sièges. La charge de « parler pour sa communauté » est donc infiniment partagée ; circonstance qui ordinairement dilue en affaires courantes les revendications confessionnelles, mais risque de les enfler bruyamment en cas de crise.

Aussi l’opinion représentée par la presse, par des congrès ad hoc, voire par des mouvements de foule, par « la rue », apparaît-elle, spasmodiquement du moins, comme un organe de l’expression des communautés. Voici un exemple : mécontents, particulièrement au Liban- Nord, de la lenteur des négociations économiques avec Damas, certains groupements musulmans préparent au printemps 1953 un congrès dont la commission préparatoire lance un

333 Le Jour, 15 novembre 1938. 334 Beyrouth, 30 mars 1939. 335 L’Orient, 6 novembre 1952.

manifeste qui « apparaît comme un véritable désaveu du mandat des députés sunnites par leurs électeurs mêmes336 ».

Pour beaucoup d’observateurs libanais, un équilibre régulier des institutions est difficile à réaliser, car l’Assemblée dépend trop du gouvernement qui fait pression pour son élection. « Le Sérail n’arrive pas à fonder son autorité sur une Assemblée qui n’est émanée que de lui… [Le gouvernement] se noie dans sa propre majorité337 ». « Les Assemblées, note en 1951 un ancien ministre, sont toujours mortes de mort violente, mais n’ont jamais été dissoutes à la suite de conflits majeurs avec l’exécutif. C’était plutôt leur docilité qui les perdait ». En effet l’électeur déçu réclamait le renvoi du député, comme s’il pouvait « lui demander de se montrer indépendant à l’égard des gouvernements quand… [il l’avait] élu précisément parce qu’il jouissait de leur bienveillance… [et] parce qu’on en espérait préférences et avantages… L’électeur n’a pas encore réalisé que son choix est à l’origine de tout pouvoir, que sa liberté est le fondement de la liberté du Parlement laquelle garantit toutes les autres libertés 338».

Dans le mécanisme de l’élection comme dans le comportement de l’Assemblée interviennent en effet puissamment des influences locales, reste ou reconstitution de la féodalité ou manifestations des clans. L’Assemblée est au premier chef impliquée dans les abus du féodalisme. Elle a négligé de voter le statut des fonctionnaires. Aussi un observateur libanais croit-il « toucher ici à l’origine du mal. Le mauvais fonctionnement de notre régime parlementaire a eu pour conséquence une renaissance de l’esprit féodal, véritable obstacle à toute réforme intérieure, à tout assainissement des pouvoirs 339». En effet l’Assemblée semble parfois paralysée par les féodaux ; « celui qui n’a pas vu s’exercer les pouvoirs féodaux dans

336 L’Orient, 18 mars 1953. L’opinion chrétienne, soutenue par beaucoup de musulmans d’esprit moderne, réagira vivement contre l’étroit confessionnalisme islamique de ce manifeste. L’affaire rebondira en novembre avec la publication d’un pamphlet intitulé Moslem Lebanon Today. 337 L’Orient, 12 janvier 1950. Le Sérail est le palais du gouvernement. 338 Alfred Naccache, Le problème constitutionnel, Conférences du Cénacle, Beyrouth, 1947, Ie année, n°2, p.16. 339 L’Orient, 12 août 1952.

l’enceinte même de la Chambre, déclare un ancien vice-président de celle-ci, ne peut se rendre compte des méfaits de cette force réactionnaire340 ».

La nécessité de l’Assemblée en tant que foyer d’entente et de collaboration des représentants des diverses communautés, ainsi que les difficultés diverses qu’elle pouvait éprouver à remplir ce rôle, ont ainsi été, au Liban, perçues de longue date. Sous le régime du décret-loi du 6 novembre 1952 déjà, cette nécessité est réaffirmée, dans les camps les plus opposés : « La Constitution permet d’associer tous les éléments de la population à la gestion des affaires publiques. Il n’est pas nécessaire que des problèmes confessionnels particuliers soient débattus au sein du Parlement pour que celui-ci apparaisse comme le lieu où se résolvent les conflits et les frictions issues de la cohabitation d’une douzaine de communautés différentes. Il suffit que cette assemblée existe… en son sein, toutes les communautés participent à la confection des lois341 ». « L’Assemblée au Liban est à la fois une lieu de réunion politique et un facteur d’union interconfessionnelle342 ».

Mais, sans doute parce que le Parlement, comme on l’a observé, reste souvent timide en ces matières, et parce qu’en sont absents les représentants typiques, les champions véritables des communautés, l’on oublie parfois ou l’on feint d’oublier qu’il existe une Chambre pour jouer ce rôle d’Assemblée intercommunautaire. On se préoccupe dès lors d’organiser une réunion occasionnelle pour le remplir. Ce fut le cas au printemps 1953 : le 16 avril, au cours de conversations tenues chez le chef du mouvement Kataeb, en présence du président même de la Chambre, des députés suggèrent la « création d’une commission intercommunautaire permanente dont les attributions s’étendraient au règlement de la plupart des problèmes nationaux, en canalisant toute revendication de caractère confessionnel ». Il faudra que l’un

340 Gabriel Murr, dans l’Orient, 4 juillet 1950. 341 L’Orient, 21 avril 1953 et 23 janvier 1954. 342 Charles Hélou, dans Le Jour, 17 décembre 1953.

des députés présents, Charles Hélou, rappelle que pareille Assemblée existe déjà et n’est autre que le Parlement343.

Un an plus tard, cependant, Kémal Joumblat, député druze, président du Parti Socialiste Progressiste (P.S.P.), fournit de nouveau l’exemple d’un parlementaire suggérant que les grandes questions confessionnelles soient traitées hors du Parlement. Au cours d’une conférence de presse, il propose entre autre « l’organisation d’un congrès national des partis et groupements pour l’examen de tous les problèmes qui se posent, et notamment : la représentation confessionnelle, l’abolition du confessionnalisme et le recensement général344 ».

Le même homme politique reviendra sur cette idée en 1956. A l’occasion d’une recrudescence de l’agitation confessionnelle dont il réprouve les agents, rappelant « la loi traditionnelle de la politique nationale qui a toujours manié nos problèmes intérieurs avec une réserve, un esprit de tolérance, presque une prudence bien connus », le président du P.S.P. émet les suggestions suivantes : « Il faudrait, en tout premier lieu, rétablir la confiance et la bonne entente entre les représentants des diverses communautés libanaises, grâce à des réunions organisées dans le cadre de congrès nationaux périodiques, où le dialogue des extrémistes de tout bord pourra avoir lieu sur un plan moins officiel que celui du Parlement, et plus élevé que celui de la rue345 ».

Dans une certaine mesure, ce vœu aura trouvé un début de réalisation. En vue de faire face à un renouveau de tension confessionnelle entre Chrétiens et Musulmans, provoqué par un fait sans doute minime mais qui vient après une longue série d’incidents analogues, le vice- président du Conseil, , a convoqué, le 4 septembre 1956, durant les vacances parlementaires, un « congrès national » à son domicile. Dix-huit personnalités chrétiennes et

343 D’après L’Orient, 21 avril 1953. 344 D’après L’Orient, 6 avril 1954. 345 Déclaration publiée par L’Orient, 27 mai 1956.

musulmanes ont répondu à son appel ; après que certaines d’entre elles aient attribué l’agitation à l’absence d’autorité du gouvernement et à certaines attitudes irréfléchies de personnalités parlementaires. Saeb Salam a « proposé aux personnalités présentement réunies de se constituer en Conseil supérieur pour appuyer le gouvernement dans ses décisions en vue d’enrayer les effets du confessionnalisme346 ».

Raymond Eddé, député maronite, et Charles Hélou, anciens députés et ministres, grec catholique et maronite, ont rétorqué qu’il s’agissait là des attributions de la Chambre à laquelle uniquement le gouvernement a des comptes à rendre. Peu après, Charles Hélou communiquait à la presse un texte dans lequel il tentait la synthèse du problème de la représentation. Il le fit en ces termes : « Les communautés, quand elles n’ont pas conscience de s’exprimer assez largement à L’Assemblée politique, ont tendance à se replier sur elles- mêmes, et à l’intérieur de leur propre hiérarchie, pour s’occuper de leurs problèmes. Nous entendre au sein du Parlement, ou cesser même de nous écouter mutuellement au dehors, tel est notre dilemme… La loi électorale sous laquelle nous vivons et qui nous a valu une Assemblée politique élue de surcroît à un scrutin que l’on peut qualifier d’ultraconfessionnel, est en voie d’être réformée… C’est à la lumière de ces vérités premières que la réforme doit être opérée. Déjà dans le passé, les Assemblées de 25 membres nous valaient le transfert des débats politiques jusqu’à l’ombre des mosquées et des archevêchés. Depuis la législature actuelle, c’est à la dixième réunion que nous sommes convoqués dans des domiciles privés pour débattre les questions qui non seulement auraient été résolues au sein d’un Parlement plus large, mais qui n’auraient peut-être même pas eu à se poser347 ».

Un exemple supplémentaire, s’il en fallait encore, est celui plus récent d’un sommet chargé de dissiper les conflits intercommunautaires subséquents à l’annonce de création d’un tribunal international chargé de juger les responsables de l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien premier ministre Rafic Hariri. A l’initiative de Nabih Berri, au demeurant président du Parlement libanais et chef du mouvement chiite Amal, un sommet rassemblant les principaux chefs de

346 L’Orient, 5 septembre 1956. 347 Presse libanaise du 7 septembre 1956.

files de la scène politique libanaise, toutes confessions confondues, est organisé le 2 mars 2006. Cette rencontre a été présentée comme la plus importante depuis les accords de Taëf. Berry a déclaré qu’en cas de réussite, les conclusions de la Conférence « seront considérées comme annexes aux accords de Taëf348 ». Berry a réussi un tour de force en asseyant autour de la table des pourparlers les quatorze principaux leaders musulmans et chrétiens du pays, dans une initiative unique depuis la guerre du Liban (1975-1990) : le sunnite Saad Hariri, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah, l’actuel Premier ministre Siniora, les chrétiens maronites et le général Michel Aoun, le druze Walid Joumblat, etc. Initiative qui n’a pu cependant aboutir. Les divergences étaient tellement profondes qu’elles en devenaient inconciliables.

On voit que, depuis 1953, la tendance à la déviation « paraparlementaire » est constante. Il convient cependant de remarquer que ce sont habituellement des personnalités chrétiennes qui s’y opposent.

Pour remédier aux failles du système électoral libanais, plusieurs propositions ont été avancées. Tout en soulignant la nécessité de prendre en compte les évolutions démographiques et de maintenir des gardes fous souples, Georges Corm 349 préconise la répartition des sièges à égalité entre chrétiens et musulmans, sans la sous-répartition à l’intérieur de ces deux grands groupes.

348 AFP, Beyrouth, le 5 mars 2006. 349 Mais en définitive, pour Georges Corm, il n’y aura pas de réforme démocratique en profondeur au Liban sans que l’arrêté n° 60 L.R. de 1936 ne soit annulé. Les communautés religieuses doivent, en effet, cesser d’être la base de l’ordre public, pour être rendu à leur rôle fondamental, spirituel, culturel et social. C’est d’ailleurs cet arrêté qui continue d’enfermer les laïcs dans la logique perverse de création d’une communauté additionnelle pour ceux qui désirent être soumis un statut personnel de nature civile, ce que l’arrêté avait prévu et qui n’a jamais été réalisé. Université Saint-Esprit de Kaslik, Séminaire « Difficile démocratie au Liban », Contraintes historiques, régionales et internationales dans le fonctionnement de la démocratie au Liban. Conférence de Georges Corm prononcée le 11.05.05.

L’assise confessionnelle des élections libanaises conjuguée à un impératif de découpage territorial ressemble à une équation quasi insoluble. L’opération se complique davantage lorsqu’on sait qu’au fait confessionnel viennent se greffer de nombreuses failles350 :

- - L’obligation de voter à son lieu d’origine et non pas à son lieu de résidence ;

- - L’impossibilité de vote pour les libanais expatriés ayant toujours des liens actifs avec leur pays. Ce qui n’est pas sans conséquence quant on sait qu’il y a deux fois plus de libanais à l’étranger que de libanais résidant dans leur pays ;

- - L’inexistence de contrôle de financement des campagnes électorales ainsi que des partis politiques ;

- - La non mise à jour des listes électorales.

Mais, d’ores et déjà on peut s’interroger sur la portée de ces réformes si elles ne sont pas accompagnées de véritables changements de fond. Ne faut-il pas en effet rompre avec un système qui fait de l’appartenance confessionnelle une condition de la représentation nationale ? Même si la Constitution prétend le contraire351, n’est-il pas légitime de penser qu’un députés libanais est d’abord et avant tout le représentant des électeurs de sa confession 352 . Dans une démocratie moderne, il serait inconcevable de soumettre la représentation nationale à une quelconque condition d’appartenance confessionnelle. A titre d’exemple, la Constitution française se limite à préciser dans son article 3 que la souveraineté

350 Il serait intéressant de consulter à ce sujet le site Internet de l’Association libanaise pour des élections démocratiques : www.ladeleb.org. Site en arabe et en anglais très bien documenté avec des rapports détaillés sur les dernières élections législatives. 351 Article 27 (Modifié par la loi constitutionnelle du 17/10/1927 et par la loi constitutionnelle du 21/1/1947) « Le membre de la Chambre représente toute la Nation. Aucun mandat impératif ne peut lui être donné par ses électeurs ». 352 Soulignons en marge que, sur cette question précise de la représentation, le cas de plusieurs démocraties représentatives occidentales n’est pas fondamentalement différent. En France, par exemple, les députés ont pris l’habitude de se comporter non pas tant en représentants de leur circonscription, mais comme « leur défenseur naturel ». Pour des raisons essentiellement électorales, ils multiplient les liens avec leurs électeurs. De leur côté, les citoyens considèrent l’élu comme « leur » député et attendent de lui qu’il prenne en main fermement leurs intérêts. Il serait intéressant de savoir combien de députés seraient prêts à sacrifier l’intérêt de leurs électeurs à l’intérêt général. Le Conseil constitutionnel français lui-même est hésitant. Dans une décision du 1-2 juillet 1986 (86-208 D.C.) il a qualifié le député comme étant « l’élu d’une circonscription », qui doit entretenir « des liens étroits » avec les électeurs, alors que dans une décision du 15 mars 1999 (99-410 D.C.) il a proclamé que chaque parlementaire « représente au Parlement la Nation toute entière et non la population de sa circonscription ».

nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum et qu’aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.

Dans l’exercice de la souveraineté nationale aucun obstacle ne doit s’ériger devant l’électeur dans le choix de ses représentants, fut-il celui de l’appartenance confessionnelle353. Ceci participe, pour reprendre l’expression du Professeur Ghevontian, de la « sincérité » du scrutin. Mais force est de constater que le confessionnalisme a encore de beaux jours devant lui au Liban tant la classe politique semble être dans l’incapacité d’engager les réformes nécessaires pour le supprimer, malgré les dispositions de Taëf et de la Constitution en ce sens.

La reconnaissance constitutionnelle du rôle politique des confessions religieuses ne se limite pas à la représentation parlementaire, elle va au-delà en donnant la possibilité aux chefs spirituels de chaque communauté de saisir le Conseil constitutionnel et en fixant comme objectif la création d’un Sénat où seront représentées les différentes familles religieuses, ce qui nous conduit à s’interroger si l’on se dirige vers un renforcement du confessionnalisme.

Chapitre second – Vers un renforcement du confessionnalisme.

Cette interrogation est d’autant plus légitime lorsqu’on sait que la Constitution de la deuxième République a donné la possibilité aux chefs spirituels de chaque communauté de saisir le Conseil constitutionnel (Section II) et a fixé comme objectif la création d’un Sénat où seront représentées les différentes familles religieuses (Section I).

353 Cela va à l’encontre du principe de l’égal accès aux postes politiques, principe consacré d’ailleurs dans l’article 7 de la Constitution, ainsi qu’à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Section I – L’objectif de création d’un Sénat représentant les différentes familles religieuses

La Constitution libanaise, dans sa nouvelle rédaction héritée de l’Accord de Taëf, préconise dans son article 22 la création d’un Sénat où seront représentées toutes les familles spirituelles. Mais la création de ce Sénat est soumise à la réunion de deux conditions :

- D’une part, elle ne peut avoir lieu qu’après l’élection de la première Chambre des députés sur une base nationale et non confessionnelle et,

- d’autre part, ses attributions seront limitées aux questions nationales d’intérêt majeur.

La création de ce Sénat peut se concevoir en quelque sorte comme la contrepartie de la déconfessionnalisation prônée par Taëf et par la nouvelle Constitution. Il s’agit, comme le souligne Nabil Maamari354, d’une solution souple qui concilie deux soucis opposés. Ce qu’on prend aux communautés d’une main en supprimant la représentation communautaire à la Chambre des députés, on leur rend, mais à moitié seulement, de l’autre en instituant le Sénat. D’un côté on dépasse le système communautaire en permettant à la Chambre de refléter les véritables aspirations économiques et sociales des citoyens, sans que chaque député soit retranché derrière des positions sectaires, et d’un autre, on ne dépouille pas brutalement les communautés de leur rôle multiséculaire.

L’article 22 de la Constitution a le mérite de limiter la compétence du futur Sénat aux questions nationales d’intérêt majeur, mais cette limite reste, pour le moins, assez floue. Quelles seront en effet ces questions nationales d’intérêt majeur ? La Constitution ne donne malheureusement aucune réponse. Les rédacteurs de la Constitution libanaise auraient pu énumérer les domaines dans lesquels ce Sénat sera compétent à l’instar de l’article 34 de la

354 Nabil Maamari, Communautés religieuses et système politique au Liban, Lavori in Corso, Contributi, n°2, Mars 2003.

Constitution française. Cela aurait pu éviter bon nombre de conflits qui ne manqueront pas de survenir, tant la notion d’intérêt national majeur est sujette à interprétation.

La création de cet éventuel Sénat pose par ailleurs bien d’autres problèmes qui seront tout aussi difficiles à résoudre que ceux concernant la création du Comité chargé de la déconfessionnalisation politique.

Qui sera en effet membre de ce Sénat ? Les membres seront-ils nommés ou élus ? Quel sera le nombre des futurs sénateurs ? Quel sera le rôle exact de ce Sénat ? Pourra-t-il voter des lois ? Etc.

La création de ce Sénat suscite ainsi de nombreuses interrogations auxquelles la Constitution libanaise ne donne aucun élément de réponse.

Une chose est sûre néanmoins ; la Constitution libanaise ne craint pas la contradiction. Tout en posant la déconfessionnalisation politique comme objectif national à atteindre, elle envisage la création d’un Sénat regroupant les différentes familles spirituelles et donne la possibilité aux chefs des communautés reconnues par la loi de saisir le Conseil constitutionnel. Possibilité qui a d’ailleurs été saisie à plusieurs reprises depuis la création du Conseil constitutionnel libanais.

Section II- La possibilité offerte aux Chefs spirituels de saisir le Conseil constitutionnel

Cette possibilité offerte par l’article 19 de la Constitution355 n’est pas sans poser un certain nombre d’interrogations que la doctrine n’a pas tardé à souligner. En donnant la possibilité aux chefs des communautés religieuses de saisir le Conseil constitutionnel au même titre que le Président de la République, le Président de la Chambre des députés, le Président du Conseil des ministres ou dix membres de la Chambre des députés, les rédacteurs de la Constitution leur ont donné un rôle éminemment politique. Ce qui, selon Maamari, constitue un recul par rapport à l’intention annoncée de supprimer le système communautaire, car pour la première fois depuis l’Empire Ottoman, il donne aux chefs des différentes communautés356 un rôle constitutionnel officiel. En effet, depuis le Moutassarrifat, les communautés sont représentées au niveau des institutions politiques par des représentants laïcs désignés ou élus, les chefs spirituels n’agissant que par leur influence morale.

Le Conseil constitutionnel libanais a eu à préciser le contour de la saisine ouverte aux chefs des communautés dans deux arrêts majeurs datant de l’année 1999 et de l’année 2000. Mais une question reste en suspens : qu’en est-il de ceux qui ne veulent appartenir ou ne se reconnaissent dans aucune communauté ? Ils se trouvent de facto discriminés. N’ayant aucune représentation reconnue officiellement, ils ne peuvent à quelque titre que ce soit saisir le Conseil constitutionnel pour faire cesser les atteintes à leurs libertés.

355 Article 19 : « Un Conseil constitutionnel sera crée… Il peut être saisi par le Président de la République, le Président de la Chambre des députés, le Président du Conseil des ministres ou par dix membres de la Chambre des députés, et par les chefs des communautés reconnues par la loi en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice du culte, la liberté de l’enseignement religieux ». Rappelons que la composition même du Conseil constitutionnel libanais n’échappe pas à la règle de la répartition confessionnelle. Le Conseil est formé de cinq membres élus par le Parlement et de cinq autres élus à la majorité des deux tiers, en Conseil des ministres. Au premier tour, les membres élus par le Parlement devront l’être à la majorité absolue. Au second tour, la majorité relative sera suffisante. La nouvelle loi sur le Conseil constitutionnel prévoit, par ailleurs, l’audition de tous les candidats par une commission parlementaire de 14 membres formée, pour moitié, de membres de la commission de l’Administration et de la Justice, et pour une autre moitié, du bureau de la Chambre avec son président, son vice-président, ses deux secrétaires et ses trois questeurs. 356 Ce qui signifie les chefs spirituels de toute la communauté, qui peuvent avoir leur siège en dehors du Liban : en Syrie, en Irak ou en Egypte, et ne pas posséder la nationalité libanaise. Ce cas ne s’est jamais présenté, mais il est fort à parier qu’il trouve une solution à l’article 9 de l’arrêté 60 du 13 mars 1936 selon lequel « les communautés et les établissements ou congrégations qui en dépendent sont représentées dans leurs rapports avec les pouvoirs publics par leur plus haut chef religieux. Dans les cas où celui-ci réside hors des territoires du Levant sous mandat français, il doit obligatoirement déléguer ses pouvoirs à un représentant local ». Mais comme cet article avait été mis en œuvre par la France à l’époque du mandat, il serait curieux de voir que sera l’attitude du juge constitutionnel à son égard sachant qu’il est toujours en vigueur.

L’ouverture de la saisine du Conseil constitutionnel aux chefs des communautés religieuses soulève par ailleurs des questions relatives à l’autonomie de ces communautés lorsqu’elles se trouvent confrontées à l’intervention du pouvoir législatif. En effet les lois portant atteinte à cette autonomie consacrée par des dispositions constitutionnelles spécifiques peuvent toujours faire l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel par la minorité parlementaire qui ne les a pas approuvées. Pourquoi donc avoir donné la possibilité de saisine aux chefs des communautés religieuses ? Les rédacteurs de la Constitution ont-ils souhaité apporter une garantie supplémentaire à l’autonomie des communautés religieuses ou soupçonnaient-ils déjà la passivité des députés qui ont laissé passer nombre de lois anticonstitutionnelles sans présenter aucun recours devant le Conseil constitutionnel ?

C’est, en tout état de cause, le constat fait par Lara Karam Boustany357 dans son intervention intitulée « Le Conseil constitutionnel, protecteur des libertés et des droits fondamentaux ». En huit ans d’existence, affirme-t-elle, le Conseil constitutionnel n’a enregistré que 17 recours en inconstitutionnalité présentés par des députés 358 et que « s’il ne faut retenir qu’une seule chose c’est que de grands ténors de l’opposition y brillent par leur absence ou leur timidité ».

Ce privilège accordé aux communautés religieuses témoigne de l’importance que l’Etat libanais accorde à leur autonomie et à leurs prérogatives. Mais c’est au Conseil constitutionnel que revient la délicate mission d’en fixer l’étendue et les limites. Ce qu’il a tenté de faire dans deux décisions rendues le 23 novembre 1999 et le 8 juin 2000.

357 Professeur à la faculté de droit de l’Université Saint Joseph de Beyrouth, lors d’un séminaire intitulé « Le Conseil constitutionnel libanais : gardien, régulateur, protecteur » tenu en juin 2002. 358 On remarque, par ailleurs, que sur les 105 députés qui ont saisi le Conseil 61 ne l’ont saisi qu’une fois, 25 deux fois, 8 trois fois, 4 quatre fois et seulement 7 plus de quatre fois. Le palmarès revient, bien entendu à Najah Wakim, grande figure de l’opposition et bien connu pour sa diatribe contre l’affairisme des hommes politiques libanais (voir à ce propos son livre écrit en arabe et intitulé « Les mains sales », publié en 1999), qui a saisi le Conseil 10 fois et à Hussein El Husseini 9 fois. Viennent ensuite Moustafa Saad 8 fois, Zaher El Khatib 7 fois, Omar Karamé 6 fois, Mansour El Bon et Nayla Moawad 5 fois.

La décision du 23 novembre 1999 portait sur les wakfs359 de la communauté druze. Bien qu’ils soient de nature foncière et financière le Conseil a considéré que les affaires des Wakfs s’inscrivent au cœur des fonctions assumées par les confessions et sont considérées, par conséquent, comme un sujet religieux.

Pour arriver à ce constat, le Conseil a d’abord précisé que la communauté druze est une communauté musulmane régie par des lois promulguées par le pouvoir législatif360. Ainsi « les musulmans sunnites jouissent d’une autonomie totale en matière religieuse et en matière de Wakfs caritatifs… ».

De même « la communauté musulmane chiite jouit d’une autonomie en matière religieuse et en matière de Wakfs et institutions… »361. Enfin, l’article 1er de la loi du 13 juillet 1962 relative à l’élection du Cheikh Akl de la communauté druze dispose que « la communauté druze jouit d’une autonomie en matière de religion, de wakfs et d’institutions caritatives en ce sens qu’elle est elle-même chargée de leur organisation et gestion conformément aux dispositions spirituelles, aux privilèges confessionnels ainsi qu’aux lois et règlements qui en sont inspirés… »362.

359 Les Wakfs sont les biens meubles, mais surtout immeubles appartenant à l’ensemble d’une communauté. Le requérant demandait l’annulation de la loi n° 127 du 25 octobre 1999 relative à la création du Conseil des Chefs des Wakfs druzes arguant qu’elle soustrait lesdits Wakfs à l’autorité religieuse et les confie à une autorité laïque, ce qui est contraire aux dispositions de l’article 9 de la Constitution et à l’article 2 de la loi sur la création du Conseil confessionnel de la communauté druze promulguée le 13 juillet 1962 qui garantissent à ladite communauté, à travers son chef religieux, son autonomie dans la supervision, gestion et exploitation de ses Wakfs caritatifs, indépendamment de l’autorité politique. 360 Dont la loi du 13/07/1962 relative à l’élection du Cheikh Akl de la communauté druze ainsi que la loi de la même date relative à la création du Conseil Confessionnel de la communauté druze, à l’instar d’autres communautés religieuses musulmanes. 361 Voir la loi n° 72/67 du 19 décembre 1967 portant organisation des affaires de la communauté chiite au Liban. 362 Par ailleurs, le Conseil constitutionnel fait observer que la loi sur le statut personnel de la communauté druze promulguée en vertu de la loi du 24 février 1948 a consacré son chapitre 19 aux Wakfs, ce qui signifie que les affaires relatives aux Wakfs s’inscrivent également dans le cadre des statuts personnels des communautés religieuses.

Après avoir rappelé le contenu de l’article 9363 de la Constitution, le Conseil constitutionnel en déduit que l’Etat reconnaît l’autonomie des communautés religieuses dans la gestion de leurs affaires et intérêts religieux. Par conséquent et vu leur autonomie, les confessions et communautés religieuses indépendantes jouissent également de la personnalité morale.

Le Conseil en déduit ce qui suit :

« S’il appartient au législateur d’annuler une loi en vigueur ou d’amender les dispositions de ladite loi sans que ceci ne constitue une violation de la Constitution ou ne soit sujet au contrôle du Conseil Constitutionnel, il en est autrement lorsque l’annulation ou l’amendement portent atteinte aux libertés ou droits ayant valeur constitutionnelle.

Le législateur se base sur les libertés et droits fondamentaux lors de l’élaboration des textes de loi, il ne peut donc pas amender ou annuler les lois en vigueur qui garantissent lesdites libertés sans les remplacer par des textes les garantissant de manière encore plus complète, ou du moins, de la même manière. En d’autres termes, le législateur ne peut affaiblir les garanties précédemment adoptées à l’égard d’un droit ou d’une liberté fondamentale en annulant ces garanties sans les remplacer par d’autres ou en les remplaçant par des garanties plus faibles et moins efficaces364 ».

363 « La liberté de conscience est absolue. En rendant hommage au Très-Haut, l’Etat respecte toutes les confessions et en garantit et protège le libre exercice à condition qu’il ne soit pas porté atteinte à l’ordre public. Il garantit également aux populations, à quelque rite qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». 364 Le Conseil constitutionnel libanais suit ainsi la jurisprudence déjà consacrée en matière de protection des droits fondamentaux par son homologue français. Cette jurisprudence dite du « cliquet » avait déjà été consacrée par le Conseil constitutionnel français, pour la première fois, lors de l’abrogation de la loi du 12 novembre 1968 par la loi Savary. Il l’a fait en ces termes : « Considérant que si l’abrogation des dispositions de la loi ancienne contraires aux dispositions de la loi nouvelle, ainsi que le maintien en vigueur de la réglementation ancienne jusqu’à son remplacement par une réglementation nouvelle n’appellent pas d’observations du point de vue de leur conformité à la Constitution, en revanche l’abrogation totale de la loi d’orientation du 12 novembre 1968 dont certaines dispositions donnaient aux enseignants des garanties conformes aux exigences constitutionnelles qui n’ont pas été remplacées dans la présente loi par des garanties équivalentes n’est pas conforme à la Constitution ». Depuis, le Conseil constitutionnel français a complété cette jurisprudence par plusieurs autres décisions allant dans le même sens ; voir, à titre d’exemple : décision 210 DC du 29 juillet 1986 relative au statut des entreprises de presse, décision 185 DC du 18 janvier 1985 (loi Chevènement), décision 165 DC du 20 janvier 1984 relative aux libertés universitaires. Pour enfin l’abandonner après les attentats du 11 septembre 2001 et surtout dans une décision datant de 2003. En effet, pour répondre aux auteurs de la saisine qui invoquait sa décision du 13 août 1993, en vertu de laquelle le législateur ne peut réglementer les conditions du droit à l’asile que pour le rendre plus effectif, le Conseil rappelle l’abandon de la jurisprudence de l’effet cliquet, en particulier

Doit-on en déduire pour autant que le respect de l’autonomie des communautés conduit à priver l’Etat de toute possibilité d’intervention dans les matières de statut personnel ? Le Conseil n’a pas eu à répondre directement à cette question mais il donne néanmoins quelques indications dans sa décision du 8 juin 2000. Il l’a fait en ces termes :

« Considérant que si le texte (de la constitution) confère aux communautés religieuses une autonomie dans la gestion de leurs affaires et intérêts religieux, il ne prive cependant pas l’Etat de la prérogative d’élaborer les différentes législations relatives à la réglementation desdites communautés, conformément aux dispositions de la Constitution.

Considérant que le droit de l’Etat à légiférer est un droit de souveraineté puisé du peuple et exercé par l’Etat, à travers des institutions constitutionnelles, sur son territoire ainsi que sur toutes les personnes s’y trouvant.

Considérant que le pouvoir législatif est un pouvoir titulaire et absolu que la Constitution a limité à une seule Assemblée : la Chambre des députés (Article 16 de la Constitution) ».

Ces considérations formulées par le Conseil constitutionnel dépassent par leur généralité les données de l’espèce à l’occasion de laquelle elles ont été formulées. Elles mettent en perspective la nature même des relations de l’Etat et des communautés.

en matière d’asile et estime qu’en l’espèce la loi déférée ne prive pas le demandeur de garanties essentielles, notamment celle de l’examen individuel. Cahiers du Conseil constitutionnel n° 16, Décisions et documents du Conseil constitutionnel, Jurisprudence, Décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, Loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile.

Dès lors, une importante question se pose, comme le souligne le Professeur Pierre Gannagé365 : si en effet l’Etat est le seul titulaire de la souveraineté législative et judiciaire, comment expliquer les attributions des communautés dans les matières relevant du statut personnel ?

A cette question, il a souvent été répondu que les communautés exerçaient leurs pouvoirs par délégation, ce qui est loin d’être satisfaisant. Le principe de délégation ne s’accorde en effet ni avec les données de l’histoire, ni avec l’autonomie propre des communautés, ni avec la souveraineté de l’Etat dont on se demandera comment elle pourrait être déléguée. A cet égard, comme l’affirme le Professeur Gannagé, les attributions des communautés apparaissaient davantage comme des attributions reconnues que déléguées. La notion de reconnaissance a ainsi été souvent utilisée pour fonder les relations de l’Etat et des communautés. L’arrêté 60 L/R du 13 mars 1936 précise bien que les communautés historiques de statut personnel sont des communautés légalement reconnues. Et par ailleurs, l’article 19 de la Constitution confère aux seuls chefs des communautés légalement reconnues le droit de saisir le Conseil constitutionnel.

La notion de reconnaissance permet de bien concilier l’autonomie des communautés avec la souveraineté législative de l’Etat. Elle signifie que les droits des communautés demeurent extérieurs à l’Etat, ayant besoin d’être d’abord approuvés et reconnus avant d’être appliqués et sanctionnés sur son territoire. Cela ne fait aucun doute pour les communautés non- musulmanes dont les droits durant la période ottomane, comme il en est aujourd’hui avaient besoin d’actes de reconnaissance de l’Etat préalablement à leur application.

Cela l’est sans doute moins des droits des communautés musulmanes et druze qui continuent à s’insérer dans l’appareil législatif et judiciaire de l’Etat, mais échappent pratiquement à son emprise et ne peuvent être en fait modifiés qu’avec l’assentiment des communautés.

365 Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint Joseph de Beyrouth et ancien membre du Conseil constitutionnel libanais, dans une présentation intitulée « L’accès des communautés légalement reconnues au Conseil constitutionnel », prononcée en juin 2002 lors d’un séminaire du CEDEROMA sous le titre « Le Conseil constitutionnel libanais : gardien, régulateur, protecteur ».

La notion de reconnaissance qui assure ainsi le respect de l’autonomie des communautés par l’Etat, présente d’autre part l’avantage de laisser à celui-ci une liberté entière pour exercer son pouvoir législatif dans les matières du statut personnel, et introduire ainsi en marge des droits communautaires une législation civile. Il est, par conséquent, normal que l’Etat qui détient la plénitude du pouvoir législatif, puisse agir par l’établissement d’une législation civile. Il l’a déjà fait pour les non-musulmans dans les matières des successions et de la filiation naturelle. Rien ne l’empêche d’étendre le champ de ses interventions. Le respect que la Constitution lui enjoint de porter aux statuts personnels des diverses communautés, ne l’a pas en effet dépouillé de son pouvoir législatif dans les matières du droit de la famille, conclut le Professeur Gannagé.

En rendant ces deux décisions, le Conseil constitutionnel ne s’est pas cantonné à son rôle mais est allé un peu plus loin tout en gardant une certaine mesure. S’il a reconnu le droit des communautés religieuses à une autonomie dans la gestion de leurs affaires et intérêts religieux, il n’a pas pour autant privé l’Etat de la prérogative d’élaborer les différentes législations relatives à la réglementation desdites communautés, conformément aux dispositions de la Constitution.

Mais la frontière reste cependant incertaine entre ce que peut entreprendre le législateur en matière de réglementation des communautés religieuses et le respect des prérogatives constitutionnelles desdites communautés. Ce faisant le juge constitutionnel s’est érigé en arbitre en la matière. Il faudra attendre d’autres décisions pour découvrir, au cas par cas, les limites que le législateur ne peut franchir.

Le Conseil aura, par ailleurs, à se prononcer sur la perspective de déconfessionnalisation366 si toutefois il est saisi d’une question y afférant.

366 Egalement prévue par la Constitution, dans le paragraphe 8 du préambule ainsi qu’à l’article 22, 24 et 95.

Conclusion de la seconde partie

Nécessités internes et externes se sont conjuguées, dans le Liban moderne, pour procurer à des éléments sociaux traditionnels une place éminente dans la nation et un rôle prépondérant dans l’Etat. Sous sa forme classique, la construction nationale libanaise est essentiellement communautaire. La chose publique repose en effet principalement sur les communautés, non d’ailleurs sans ressentir fortement l’influence de la féodalité et l’action des clans367.

Pareille organisation correspond très largement, nous l’avons vu, aux données de l’histoire, au climat social, aux nécessités politiques du moment. Mais l’insertion des éléments traditionnels dans les institutions risque souvent de donner aux structures politiques et administratives un caractère désuet. D’autant plus que ces éléments, gagnant de la sorte en influence, modifient leur comportement : le souci de l’équilibre communautaire dégénère en confessionnalisme ; le respect de l’autorité traditionnelle aboutit au féodalisme, et l’esprit de solidarité des groupes naturels et des clans conduit aux luttes aveugles des clientèles et des blocs.

Aussi l’association des communautés, des féodaux, des clans, presque à chaque échelon et dans chaque organe de l’autorité légale, peut-elle être regardée soit comme une base, encore indispensable aujourd’hui, des pouvoirs, soit comme une servitude de plus en plus lourde imposée par le passé aux institutions du présent et au développement futur de l’Etat. Si les mérites des éléments traditionnels sont souvent soulignés, la critique des excès auxquels ils sont associés s’exprime aisément de manière plus frappante. Un quotidien de Beyrouth a pu ainsi successivement décrire l’Etat libanais comme « une grande coopérative de

367 Voir à cet égard Waddah Charara, Fi Fousoul Loubnan al-taifi, (Aux origines du Liban confessionnaliste), Dar Al Tali, 1998. Ainsi que Fouad Chahine, Al-taifîa fi Loubnan, (Le confessionnalisme au Liban), Dar alhadatha, Beyrouth, 1980. Voir enfin, Riad Samad, Al-taifïa wa lu’bat al-hukum fi Loubnan, (Le confessionnalisme et le jeu du Pouvoir au Liban), Dar Almachrek, Beyrouth, 1977.

communautés » et se plaindre que l’on ne le considérât plus que comme une « coopérative de beys368 ».

Allant plus loin, des mouvements considérés réformistes à l’époque comme ceux des Kataeb et des Najjadés déplorent qu’on en vienne à « considérer l’Etat comme une société anonyme d’exploitation honteuse369 ».

Si justifiées qu’elles puissent être, les critiques ainsi articulées et dont nous avons donné de nombreux exemples, risquent peut-être de provoquer quelque confusion chez des observateurs étrangers incomplètement informés. Elles visent, en effet, spécifiquement, confessionnalisme, féodalisme, esprit de clan, en sorte qu’à travers ces analyses le Liban apparaîtrait aisément comme une simple collection d’éléments sociaux ; communautés, féodalités et groupes divers, plus ou moins associés. Peut-être même que la description des structures libanaises, que nous avons esquissée, aura-t-elle revêtu un caractère trop analytique.

Qu’il nous soit permis donc de souligner ici que le Liban constitue bien, au-delà de ces éléments qui en font partie intégrante, « un ensemble national vigoureux et cohérent, de structure certes originale et même complexe, mais équilibré, et fortement charpenté par une multiséculaire volonté de vivre en commun… Car loin d’être simplement juxtaposées dans une rencontre actuelle, ils [les éléments sociaux du Liban] sont de longue date inclus et imbriqués dans une construction durable éprouvée par le temps370 ». L’ouvrage publié par Dawûd Sayegh est parfaitement éloquent à cet égard. Il souligne les constantes et les variables

368 L’Orient, 9 mai et 25 novembre 1951. Beys est un titre attribué aux chefs féodaux depuis l’époque ottomane. 369 Connaissance des Kataeb, Beyrouth, novembre 1948, p. 195, texte datant du 14 mars 1946. 370 Voir à cet effet l’excellente analyse de Pierre Rondot, Les structures socio-politiques de la nation libanaise, Revue française de science politique, 1954, volume 4, n°1. Qu’il nous soit permis toutefois de préciser que l’analyse faite par Pierre Rondot en 1954 date quelque peu et a subi un sérieux revers qui fut celui de la guerre civile, mais les grandes lignes restent pertinentes.

du système politique et institutionnel libanais, ce qui fait son originalité mais également ce qui constitue ses faiblesses371.

Troisième Partie Les perspectives de déconfessionnalisation

« N’est-il pas vrai que dans peu de temps le Liban redeviendra un verger, et le verger fera penser à une forêt ? » Isaïe, 29 :17.

C’est tout le mal que l’on souhaite à ce petit pays au carrefour de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. Au cœur des grands pays pétroliers, le Liban n’en est pas mais il possède un gisement humain qui fait à la fois sa force et sa faiblesse.

371 Dawûd Sayegh, Al-nizam al-loubnani fi thawabiteh wa tahawulateh (Le système libanais : constantes et variables), Dar Annahar, Beyrouth, 2000. Ouvrage en langue arabe.

Pour l’heure, force est de constater que la diversité humaine n’a fait que le malheur du pays du Cèdre. Il faut ainsi trouver un moyen de faire de cette diversité un atout et non pas un facteur de division. L’idée de communauté confessionnelle doit laisser la place à celle, plus salutaire, de communauté nationale. Pour ce faire, Il est utile d’opérer une transformation radicale des institutions en y introduisant un dénominateur commun susceptible de favoriser l’intérêt national au détriment des intérêts partisans.

L’un des problèmes principaux que pose le confessionnalisme, affirme Nabil Maamari372, c’est qu’il « suppose que chaque citoyen a fait un choix religieux délibéré en faveur de l’une des confessions officielles ».

Le confessionnalisme concernant le statut personnel oblige en effet chaque libanais à se mettre de fait sous la bannière de l’une des communautés reconnues. Les lois de celle-ci régiront alors obligatoirement tout ce qui se rapporte à sa vie familiale373. Le défaut d’un tel système est qu’il ne prévoit aucune place pour ceux qui ne veulent faire allégeance à aucune des confessions présentes. « Sous tous les rapports, écrit Edmond Rabbath, la famille est chose de la communauté. Comme l’individu, elle ne se constitue, se développe et s’éteint qu’autour de l’axe religieux et mental que la communauté lui assigne. L’intervention obligatoire des autorités communautaires, prêtres, cheikhs ou rabbins, doit se produire à tous les stades de sa vie collective 374». Le mariage, à titre d’exemple, demeure une institution purement confessionnelle, dont l’état civil est tenu de prendre acte. La communauté en contrôle, non seulement la formation, mais aussi ses prolégomènes et ses conséquences. Fiançailles, filiation, tutelle, garde des enfants, pension alimentaire sont du seul ressort des autorités communautaires. Le tout forme en définitive la matière du statut personnel relevant exclusivement des juridictions communautaires.

372 Op. Cit. 373 Mais pas seulement, certes. 374 Edmond Rabbath, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, Université libanaise, Beyrouth, 1986, p. 140.

La même difficulté se retrouve par ailleurs au niveau politique. On ne peut ainsi être candidat à un poste politique ou de la haute fonction publique que sous l’étiquette de l’une des communautés et dans la limite des postes impartis à celle-ci375.

Le confessionnalisme empêche par ailleurs la formation de véritables partis politiques car la défense par chacun de ce qu’il croit être les intérêts de sa communauté l’empêche très souvent de prendre conscience des véritables intérêts nationaux.

C’est conscients de ce fait que les différents protagonistes ayant pris part à l’accord de Taëf ont voulu ériger la suppression du confessionnalisme politique en un « but national essentiel » dans la Constitution de la deuxième République libanaise. Pour ce faire ils ont prévu les outils juridiques permettant la déconfessionnalisation (Titre Premier). Il n’en demeure pas moins que les obstacles au processus de déconfessionnalisation restent nombreux (Titre Second) et semblent parfois infranchissables.

375 Ceci va à l’encontre du principe de l’égal accès aux postes politiques et aux fonctions publiques consacré par l’article 7 de la Constitution libanaise qui dispose que « tous les libanais sont égaux devant la loi. Ils jouissent également des droits civils et politiques et sont également assujettis aux charges et devoirs publics, sans distinction aucune », ainsi que par l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques selon lequel « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l'article 2 et sans restrictions déraisonnables: a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l'intermédiaire de représentants librement choisis; b) De voter et d'être élu, au cours d'élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l'expression libre de la volonté des électeurs; c) D'accéder, dans des conditions générales d'égalité, aux fonctions publiques de son pays ».

Titre Premier - Les outils permettant la déconfessionnalisation

Plusieurs théories développées par la doctrine s’affrontent; celle des partisans d’une « démocratie consociative »376, celle des partisans d’une déconfessionnalisation politique et, enfin celle des partisans d’une laïcité pure et simple. La Constitution de la deuxième République semble avoir choisi l’option de la suppression du confessionnalisme politique. Pour ce faire des dispositions constitutionnelles expresses prévoient un processus de déconfessionnalisation (Chapitre premier). Processus devenu nécessaire (Chapitre second).

Chapitre Premier - Les dispositions constitutionnelles prévoyant la déconfessionnalisation

De profondes transformations institutionnelles sont nécessaires pour engager le Liban sur la voie d’une démocratie moderne. C’est d’ailleurs le constat qui est fait par la plupart des observateurs étrangers. Constat selon lequel « les libanais ne pourront plus longtemps repousser la nécessaire réflexion sur la déconfessionnalisation de la vie publique, car l’assise

376 Théorie développée principalement par Antoine Messara, Professeur à l’Université Libanaise, membre du Réseau de Recherche de l’Aupelf-Uref sur «Fondements et limites des libertés religieuses» (1997-2000) et membre fondateur de la Fondation Libanaise pour la Paix Civile Permanente (http://www.kleudge.com/flpcp/default.htm). Dans un dossier sous le titre : « Les 100 qui font bouger le Liban », L'Express international (Paris, no 2592, 8-14/3/2001) on peut lire ce qui suit : « A force d'observer la société libanaise, le sociologue Antoine Messarra a acquis une sorte de détachement bienveillant qui lui permet d'expliquer sans condamner. Observateur infatigable, il a trouvé au Liban matière à approfondir ses thèses sur le pluralisme interactif. Fervent défenseur de la démocratie, ce professeur de sciences politiques a toujours été en première ligne lorsqu'il a fallu défendre les libertés. Messarra ne se contente pas d'enseigner aux Libanais qui défilent dans ses cours depuis des générations le véritable respect de l'autre et la nécessité, pour un régime complexe et fragile comme celui du Liban, d'une représentativité réelle, il organise aussi des séminaires et publie des ouvrages pour tenter de chasser les fantômes qui ont déchiré son pays. Il a lancé, avec la coopération de l'Union européenne, un Observatoire de la démocratie au Liban, gardien vigilant de valeurs rares dans cette région. »

multiconfessionnelle de l’Etat est susceptible de rendre plus difficile l’évolution du Liban vers une démocratie plus moderne »377.

La constitution de la deuxième République prévoit en effet la déconfessionnalisation (Section I) dans des termes pour le moins ambigus. Mais peut-on parler pour autant de laïcité ? (Section II).

Section –I- Une déconfessionnalisation politique

Les artisans de la nouvelle Constitution semblent avoir choisi la déconfessionnalisation politique comme solution. C’est du moins ce qui ressort de la lecture de l’alinéa 8 du préambule qui érige la suppression du confessionnalisme politique au rang de but national essentiel et de l’article 95.

Ces dispositions font ainsi l’écho des directives données par le projet d’entente nationale, plus connu sous l’appellation de l’accord de Taëf, signé en Arabie Saoudite le 22 octobre 1989 par 58 députés libanais dans les conditions que nous avons déjà exposées plus haut.

Cet accord préconisait en effet que « l’abolition du confessionnalisme politique est un objectif national primordial qui exige pour sa réalisation une action programmée par étapes. Le nouveau Parlement élu sur la base d'égalité de sièges entre chrétiens et musulmans devra adopter les décisions adéquates pour la réalisation de cet objectif, et constituer une instance nationale sous la présidence du chef de l'Etat composée, en plus des présidents du Parlement et du Conseil des ministres, de personnalités politiques, intellectuelles et sociales. La tâche de

377 Y compris par la délégation de la Commission des Lois du Sénat français, Rapport 111-1996/1997 intitulé « Quel avenir pour le Liban ? » Op. Cit.

cette instance est d'étudier et de proposer les moyens susceptibles d'abolir le confessionnalisme, et de les soumettre au Parlement et Conseil des ministres, et de superviser l'exécution de la période transitoire. Durant la période transitoire :

1. La règle de la représentation confessionnelle est abolie et le critère de la qualification et de la spécialisation sera retenu dans les fonctions publiques, la justice, les institutions militaires et de sécurité, les institutions publiques et mixtes, les offices autonomes, conformément aux nécessités de l'Entente Nationale à l'exception des fonctions de première catégorie et leur équivalents, qui seront répartis par égalité entre chrétiens et musulmans, sans spécification d'aucune fonction à aucune communauté en particulier.

2. La mention de la confession ou du rite sur la carte d'identité est abolie ».

Mise à part l’abolition de la mention de la confession sur la carte d’identité, aucune démarche n’a été accomplie pour avancer vers une déconfessionnalisation politique. Cette dernière consiste en effet à éliminer le confessionnalisme de la sphère politique tout en conservant bien d’autres prérogatives aux confessions religieuses 378 . C’est donc un compromis visant à instaurer une certaine laïcité applicable à une société composite.

Or, même cette option semble encore susciter une grande méfiance de la part de la majorité des partis politiques et de la part d’une grande partie de la doctrine. A dire vrai, il n’y a que le Hezbollah qui souhaite la voir mise en œuvre comme en témoigne l’entrevue accordée par le mufti Mohammed Hassan Fadlallah, la plus haute autorité chiite au Liban, à la revue de Politique Internationale379. La position du mufti est d’ailleurs loin d’être partagée par Walid Joumblat, la personnalité politique druze de référence. Ce dernier souligne en effet qu’un

378 A titre d’exemple, des prérogatives exclusives dans toutes les matières relevant du statut personnel (article 9 de la Constitution) 379 Politique Internationale, n°107, printemps 2005.

« régime confessionnel est une garantie pour la liberté et la démocratie. L'abolir, dans les circonstances actuelles, reviendrait à coup sûr à tomber dans le diktat du parti unique380 ».

C’est, par ailleurs, le sens de l’allocution du Recteur Sélim Abou à l’occasion de la fête patronale de l’Université Saint-Joseph, le 19 mars 2003. « J’ai profondément réfléchi, dit-il, sur la nature de la société libanaise, les entités qui la composent et le système démocratique parlementaire qui se distingue par des particularités issues de la diversité des communautés. J’ai profondément réfléchi sur la crise libanaise, sur les arrière-pensées qui se cachent derrière les idées prônées par les leaders des communautés, qu’ils soient des leaders politiques, des chefs religieux ou des intellectuels, tout en tenant compte des différences qui les séparent. Il m’est alors apparu que la déconfessionnalisation politique au Liban, que l’abrogation du système communautaire conduirait à un aventurisme susceptible de menacer l’avenir du Liban ou du moins sa stabilité, de créer des circonstances favorables à la recherche, par l’une ou l’autre partie, d’un appui extérieur et, par voie de conséquence, à l’intervention de telle ou telle force étrangère. C’est pourquoi j’exhorte les chiites libanais et souhaite exhorter tous les Libanais à éliminer le thème de la déconfessionnalisation politique de l’action et du discours politiques ; non qu’il soit interdit d’y réfléchir et d’y tendre, mais c’est là un projet à long terme, qui demande des dizaines d’années, en fonction de l’évolution de la société libanaise et de celle des pays arabes environnants ».

L’imam Mohammed Mehdi Chamseddine381, ancien président du Conseil supérieur chiite, soulignait que le Liban ne pouvait se passer ni du consensus ni du pluralisme. Tout en plaidant pour un État civil, il mettait en garde contre une abolition du confessionnalisme mal conçue ou préparée, déclarant que cela pourrait mettre en danger la stabilité, voire le sort du Liban, en poussant des parties locales à demander des renforts à l’étranger. Dès lors l’imam Chamseddine appelait les Libanais, musulmans et chrétiens, à laisser de côté le projet de l’abolition. Sans y renoncer, mais en le considérant comme un objectif pour un avenir lointain. « Car, disait-il, il faudra probablement des dizaines d’années avant que ce projet ne

380 Politique Internationale, n°106, Hiver 2004-2005. 381 Imâm Cheikh Mohammed Mehdi CHAMSEDDINE, Al Wasaya, Beyrouth, Dar An-Nahar, 2002, p.51-53.

mûrisse à la faveur de l’évolution de la société libanaise comme de l’environnement arabe. » Le dignitaire religieux ajoutait que les recommandations de Taëf étaient théoriques, exemplaires. Mais qu’à tout prendre, le système libanais en place était sain, à l’exception de failles qu’on pouvait relever dans les textes ou dans la pratique. Pour lui, le Liban, par sa formule de coexistence, restait un phare, un modèle pour les autres collectivités.

De son côté, le président de la Ligue maronite, l’ancien ministre Michel Eddé, approuve les propos de cheikh Chamseddine en estimant que l’expérience libanaise a permis aux familles spirituelles du pays de vivre politiquement ensemble, d’établir par consensus les bases et les lois organisant la vie de tous les citoyens. Il ajoute que ces familles spirituelles sont censées être représentées d’une manière équilibrée au sein du pouvoir législatif sans qu’une majorité n’écrase une minorité, ou plusieurs. Il rappelle que c’est là le commandement donné par la Constitution qui édicte que l’Assemblée nationale doit se composer à parité égale entre chrétiens et musulmans. Michel Eddé cite le penseur Michel Chiha, qui avait élaboré une bonne partie de la Constitution fondatrice de 1926 et qui jugeait qu’en portant atteinte au principe de la représentation politique sur base communautaire on provoquerait l’émergence de groupes d’action politique revendicatrice à caractère confessionnel aigu. Dès lors, la représentation des familles spirituelles est un pare-feu contre l’exploitation de la religion à des fins politiques particulières. La suppression de cette représentation peut allumer les instincts d’un fanatisme sectaire exacerbé.

Le Parlement doit être la clef de voûte de la démocratie. Il doit cristalliser la volonté de vivre en commun des libanais et incarner le lieu de rencontre de toutes leurs compositions. Il doit enfin garantir la participation de tous à la formation de l’État et à la gestion des affaires publiques. Or quand les familles spirituelles ne sont pas politiquement représentées, alors, selon l’avertissement lancé jadis par Michel Chiha, on verrait l’église et la mosquée prendre la place du Parlement. Michel Eddé note qu’on réclame périodiquement l’abolition du confessionnalisme politique, présenté comme la tare des tares, la source de toute crise, un barrage devant l’unification et l’évolution du Liban. En réalité, souligne l’ancien ministre, le Liban avec sa formule fondée sur la représentation des familles spirituelles, avec son histoire,

acquiert une dimension qui en fait plus qu’un État. Un message au monde, selon l’expression de Jean-Paul II. Il est déraisonnable, poursuit l’ancien ministre, d’abroger la représentation des familles spirituelles à un moment où nombre d’autres pays composites étudient avec intérêt la formule libanaise pour tenter de s’en inspirer dans la solution de leurs crises ou de leurs conflits382. Eddé souligne que la réalité libanaise, fondée sur la pluralité religieuse dans un cadre d’unité de la société comme du pays, a contribué à forger une expérience démocratique issue du principe du consensus et non de la loi du nombre, en consacrant le pluralisme et le droit à la différence, facteurs mutuellement enrichissants. Il conclut en prévenant qu’il ne faut pas confondre entre la représentation des familles spirituelles et ce « confessionnalisme politique dont les véritables objectifs sont le copartage et le clientélisme, ces antonymes de l’État de droit383 ».

Les partisans du statu quo renvoient dos-à-dos l’idée de laïcité et celle de déconfessionnalisation politique. Face à la situation libanaise, il y aurait deux réponses faciles et toutes prêtes. La première consiste à dire que la solution réside dans la laïcité, sans préciser ce qu'on comprend par ce vocable dans une société comme le Liban où le religieux implique, outre la foi, des composantes culturelles et des enjeux de pouvoir. La seconde réponse, devenue un slogan dans le débat politique libanais, consiste à préconiser la suppression du confessionnalisme politique. Notion d'autant plus ambiguë qu'elle se reproduit comme un leitmotiv. Le président Charles Hélou écrivait dans Le Jour, le 18 août 1945, non sans une certaine ironie: "Je supprime le confessionnalisme, tu supprimes le confessionnalisme, il supprime le confessionnalisme… nous supprimerons le confessionnalisme…".

Pas de changement dans cette conjugaison alors que nous écrivons ces lignes, ou plutôt certains ont conjugué la litanie au futur antérieur: J’aurai, tu auras, il aura supprimé le confessionnalisme…, et cela lors de la confrontation des projets de réforme politique entre

382 Il fait ainsi référence à l’Irak, plongé depuis le partage des pouvoirs sur une base confessionnelle dans une quasi guerre civile qui ne dit pas son nom entre sunnites et chiites. 383 Voir à cet égard l’article d’Emile Khoury dans « L’Orient le Jour » du 24 mai 2005, intitulé « Un sérieux casse-tête : L’abolition du confessionnalisme politique ».

1975 et 1990! Aujourd’hui, on conjugue plutôt au futur, en vertu du nouvel article 95 de la Constitution: Je supprimerai, tu supprimeras…! Toute cette approche du problème manque de sérieux juridique et, en tout cas, d’effectivité.

La preuve de l'ambiguïté de la notion est que le nouvel article 95 de la Constitution libanaise amendée en 1990 prévoit la création d'un comité national pour la mise au point d'un programme et des étapes pour "l'abolition du confessionnalisme". Dans l'alinéa précédent du même article, il s'agit de l'abolition du "confessionnalisme politique". Plus de quinze ans déjà et le comité n'a pas été formé, sans doute par crainte de résurgence de conflits où les perplexités conceptuelles des intellectuels se mêlent à des enjeux de pouvoir des politiques.

Comme le souligne le Professeur Messara 384 « quand les réalités religieuses et politico- religieuses libanaises sont appréhendées avec les schèmes de l'intellectuel, elles sont souvent incomprises. L'intellectuel importateur de l'idéologie de l'Etat nation en sort avec un complexe de honte, la honte de l'intellectuel libanais qui se veut moderne, progressiste, laïc… ».

Le champ libanais comprend ainsi deux volets bien distincts:

- Le droit de participation :

Aucun philosophe n'a réduit la démocratie à une équation simpliste: Moitié + 1 = démocratie! La démocratie se situe sur une chaîne de participation. Or il s'avère que l'alternance au pouvoir n'est pas un processus mécanique dans tous les types de société politique. Pour éviter l'exclusion permanente, plusieurs moyens sont envisagés: les systèmes électoraux proportionnels, les coalitions gouvernementales, ou la règle de proporz ou de quota garanti de participation, règle qui peut être rigide ou ouverte, écrite ou coutumière, limitée ou

384 Op. Cit.

extensive… La proporz n'est pas sans risque, mais un système exclusivement concurrentiel comporte aussi ses risques.

- Les libertés de croyance et de culte :

Les articles 9 et 10 de la Constitution libanaise instituent un fédéralisme sur une base personnelle et limitée, en ce qui concerne le statut personnel et le droit des communautés d'avoir leurs écoles. La logique fondatrice du système implique la reconnaissance aux individus du droit de n'appartenir à aucune communauté. L'arrêté 60 LR du 13 mars 1936 prévoit en effet la création d'une communauté de droit commun, mais les instances religieuses, si elles se transforment en "autorités", barrent la voie à l'instauration d'un statut personnel facultatif. Il appartient à la société civile de poursuivre le combat, en faveur d'une religion plus épurée et d'une appartenance socioreligieuse non contraignante.

C'est donc le problème de l'exploitation du sacré dans la compétition politique, distinct de l'existence de rapports entre le spirituel et le temporel, qui doit retenir l'investigation en tant que phénomène qui n'a pas fait l'objet d'études empiriques, ni d'une théorie générale bien qu'il soit aujourd'hui très répandu, surtout dans les sociétés pluralistes et parmi la jeunesse, et qu'il soit générateur de violence à cause du caractère essentialiste et polarisant du sacré.

La particularité du religieux quand il est politisé est qu’il contient une forte charge conflictuelle, parce que les problèmes religieux ne sont pas négociables comme les autres affaires de la vie, et parce qu’ils comportent un haut potentiel de mobilisation. A contrario, la religion dépouillée de la charge polémique, telle qu’elle est exploitée dans la compétition politicienne, contribue à la promotion d’une culture de paix et des droits de l’homme.

On comprend certes la prudence et même la méfiance dans les rapports entretenus entre Droit et Religion. Dans une théocratie, le droit est asservi à la religion dogmatique et dominante.

Dans un régime totalitaire, la religion est refusée, ignorée ou exploitée dans un but de légitimation. Par contre, dans une démocratie, la dialectique du Droit et de la Religion implique deux perspectives:

- -Protéger les libertés religieuses, y compris la liberté de ne pas croire ou de croire à sa manière.

- -Neutraliser l'ingérence conflictuelle de la religion dans la compétition politique. Le principe du « collège électoral unique » au Liban en vertu duquel des candidats de différentes communautés sont élus par des électeurs de différentes communautés se situe dans cette perspective.

Paradoxalement, en reconnaissant les limites de l'effectivité du droit dans les questions politico-religieuses, on garantit mieux la stabilité politique, la légalité et la participation démocratique dans un contexte pluri-religieux. Le débat au Liban sur la règle de la proporz, à savoir le partage communautaire des hautes fonctions, illustre bien la dichotomie entre, d'une part, le juridisme des partisans de la suppression du confessionnalisme politique ou de la laïcisation radicale qui estiment que cette perspective règle foncièrement les problèmes des sociétés multicommunautaires et, d'autre part, les partisans du "flexible droit" qui, grâce à des mécanismes souples et évolutifs, cherchent à mieux endiguer le débordement politique du droit , le politique étant par nature conflit, compétition et mobilisation.

En ce sens la notion même de confessionnalisme est ambiguë et source de confusion conceptuelle entre trois domaines distincts où le droit est appelé à être flexible385 pour mieux assurer son effectivité. La notion renferme, par conséquent, trois problèmes différents:

1. La règle de la proporz ou partage du pouvoir (power-sharing) d'après le Pacte national et l'article 95 de la Constitution. Cette règle comporte au Liban des inconvénients majeurs. Mais le système exclusivement concurrentiel a aussi ses inconvénients.

385 J. CARBONNIER, Flexible droit (Textes pour une sociologie du droit sans rigueur), Paris, LGDJ, 8e éd., 1995.

2. Le régime du statut personnel et de l'enseignement (les articles 9 et 10 de la Constitution). Le régime de l'autonomie, restrictive et sur une base personnelle et non territoriale, est différent de la règle de partage du pouvoir. Sans doute, le régime du statut personnel est fermé et il faudrait l'ouvrir en organisant un statut civil facultatif.

3. La politisation de la religion. Ce problème, indépendant lui aussi de la proporz et du régime des communautés, subsistera même si on supprime la règle de partage du pouvoir. Il faudra trouver des coupe-circuits qui empêchent l'utilisation de l'explosif communautaire.

Entre-temps, le régime libanais continue ainsi à évoluer au gré des rapports de force à caractère démographique et adopte la participation communautaire comme fondement et support de l’union nationale, en attendant l’abolition de la règle confessionnelle. Ce faisant, comme l’écrit le professeur Michel Tabet 386 , il fait preuve de réalisme plutôt que de rechercher une exemplarité peu conforme à la réalité des choses.

Toutefois, l’autonomie de l’Etat doit permettre de soustraire les fonctions étatiques, au plan de l’exercice du pouvoir aussi bien qu’à celui de l’activité normative et de la maîtrise de l’ordonnancement juridique, aux immixtions, ingérences, empêchements ou empiètements de la part des communautés et de leurs instances représentatives. C’est à cette condition que l’Etat pourra disposer véritablement de son ordonnancement constitutionnel, de son espace politique et de son système normatif.

Cette autonomie du champ juridique et politique de l’Etat devrait, comme le préconise Jean Salem387, prendre appui sur le droit naturel consacré par le droit international public388. L’un

386 Président du Conseil supérieur de discipline, Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint Joseph (USJ), Intervention lors d’un Colloque tenu à l’USJ en mai 2000 sur le thème Droit et religion. Intervention sur le thème Religion et Fonction publique. 387 Professeur à la Faculté de droit et des sciences politiques de l’Université Saint Joseph (USJ), Intervention lors d’un Colloque tenu à l’USJ en mai 2000 sur le thème Droit et religion. Intervention sur le thème Religion et constitutionnalisme au Liban, Un ordonnancement constitutionnel sous hypothèque. 388 Voir à cet effet Alain Sériaux, Le droit naturel, collection Poche, 1999.

des principes les plus fondamentaux est celui de la liberté de croyance et de religion avec toutes les conséquences qu’elle entraîne comme autant d’exigences du droit naturel. Les statuts personnels communautaires, au nom de ce même droit naturel, doivent être à leur tour non seulement maintenus et respectés mais garantis contre toute usurpation, dès lors que la loi communautaire cesse de s’appliquer au citoyen contre son gré ou au mépris de ses convictions et des choix de sa conscience. Le fait que les remous suscités par la proposition de l’ancien chef de l’Etat d’instaurer, en matière de mariage, une législation civile à champ d’application facultatif aient fini par prévaloir sur la Constitution et sur l’activité régulière des organes constitutionnels, tenus en échec par l’un d’entre eux 389 , comporte, par-delà l’entrave à l’exercice par l’Etat de ses compétences à l’égard de son système normatif, une violation grave et directe du droit naturel au bénéfice d’une législation religieuse qui refuse de lui reconnaître droit de cité.

A la veille de la Révolution française, Louis XVI, encore monarque de droit divin, « lieutenant de Dieu sur la terre », à la tête d’un Etat officiellement et quasi unanimement catholique, affirmait qu’il ne pouvait refuser à ses sujets non catholiques « ce que le droit naturel ne permet pas de leur refuser ». Les communautés et leurs instances dirigeantes devraient admettre qu’un commandement religieux ou un devoir de conscience pour le fidèle ne sauraient être érigés en obligations légales lorsqu’il découle de cette consécration juridique de la norme religieuse une atteinte au droit naturel, dont le respect s’impose alors comme une limite infranchissable et constitue le fondement du consensus social sur lequel reposent, à son tour, l’édifice institutionnel et son ordonnancement normatif390.

L’Etat libanais pourra alors devenir ce qu’il n’a pas réussi à être jusqu’ici : le promoteur et le régulateur dynamique d’une citoyenneté définie sur la base de valeurs civiques, autour de normes juridiques, et reposant sur l’adhésion commune à un Etat et à ses institutions, pour laquelle suffit l’allégeance politique, sans qu’il y ait besoin de référence à un substrat national ou à une identité culturelle déterminée, étant donné l’impossibilité de mettre d’accord les

389 En l’occurrence le chef du gouvernement de l’époque, Rafic Hariri. 390 Le jusnaturalisme est en effet dominant au XVIIIe siècle…

libanais sur ces questions. L’exemple de la Suisse montre que cette allégeance juridique et politique, minimale mais solide et non contestée, peut suffire à la viabilité d’un Etat. Restreignant, en définitive, le champ du politique, on l’émancipe et on le purifie.

La laïcité pouvait être retenue comme facteur de modernisation des institutions capable de rassembler les libanais autour de projets communs, pour peu qu’on lui donne une chance. Toutefois, l’idée d’une laïcité semble avoir été rejetée d’office tant les réactions qu’elle suscite sont fortes.

Section –II- Mais pas de laïcité

Est-il nécessaire de rappeler la définition offerte par Julien Bauer391 selon laquelle la laïcité suppose que « l’Etat représente tous les citoyens, indépendamment de leur religion ou de leur absence de religion, les Eglises sont des groupements de droit privé, auxquels les fidèles appartiennent par décision volontaire, sans aucune pression ou obligation ».

Dans des conditions idéales, il suffirait d’appliquer cette définition pour obtenir des solutions tangibles. Mais la réalité du terrain recèle d’innombrables embûches, dont la plus importante reste la méfiance mutuelle. Il y a la crainte de voir subsister un confessionnalisme sous-jacent une fois la laïcité adoptée comme terrain d’entente.

La nécessaire réflexion sur la déconfessionnalisation de la vie publique au Liban ne peut donc être reléguée aux oubliettes plus longtemps392. Il en va de la survie même d’un Liban aux institutions modernes dans la tourmente qui afflige la région depuis plusieurs décennies. Cette

391 Julien Bauer, Politique et religion, P.U.F., 1999, p.27. 392 Mais pas seulement, il faut penser la déconfessionnalisation de façon plus globale.

déconfessionnalisation passera-t-elle cependant par l’engagement sur la voie de la laïcité ? Rien n’est moins sûr. Mais si c’est le cas, cette dernière doit toutefois être concertée et bien comprise par tous les protagonistes.

Une laïcité mal préparée conduira, bien entendu, à un résultat contraire à celui pour lequel elle est mise en œuvre. Le critère essentiel pour que cette mise en œuvre soit une réussite reste la bonne volonté qui doit se manifester pour faire triompher l’intérêt général.

Laïcité ne rime pas avec effacement de la religion393, bien au contraire, celle-ci doit être prise en considération en tant que réalité sociologique, au Liban plus qu’ailleurs. Mais il s’agit de rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu394. Le salut terrestre de l’homme ne dépend pas nécessairement de son salut éternel. Or, la croyance veut que le salut éternel soit dépendant du parcours terrestre de chacun. D’où une difficulté de conjuguer l’éternel et le temporel.

Initialement, la laïcité demande un effort d’adaptation pour toute religion. Lorsqu’elle a une visée universelle, embrasse l’au-delà comme l’ici-bas, il lui est malaisé d’accepter de séparer l’un de l’autre. De fait, la laïcité exige un effort d’interprétation pour concilier le dogme religieux et les lois qui régissent la société, ne serait-ce que pour rendre possible la vie ensemble.

Le cadre laïc peut être le lieu de conciliation de cette double exigence. Il doit se donner les moyens de faire coexister sur un même territoire des individus qui ne partagent pas les mêmes convictions, au lieu de les juxtaposer en une mosaïque de communautés fermées sur elles-

393 Voir à cet égard le Site Internet www.alalmana.org, dédié à la laïcité au Liban. Site assez bien documenté et plébiscité par de nombreux internautes libanais résidant au Liban et à l’étranger. 394 Matthieu XXII, 21.

mêmes et mutuellement exclusives. Il est un moyen de faire coexister des individus qui ne partagent pas forcément les mêmes convictions.

Il faut donc éviter l’écueil d’une laïcité précipitée écartant toute référence religieuse car cela aboutirait à « une morale appauvrie et décolorée », selon Emile Durkheim395. « Pour parer le danger, écrit-il, il ne faut pas se contenter d’effectuer une séparation extérieure. Il faut aller chercher au sein même des conceptions religieuses, les réalités morales qui y sont comme perdues et dissimulées ; il faut les dégager, trouver en quoi elles consistent, déterminer leur nature propre, et l’exprimer en un langage rationnel. Il faut en un mot, découvrir les substituts rationnels de ces notions religieuses qui, pendant si longtemps, ont servi de véhicule aux idées morales les plus essentielles ».

La modernisation des institutions libanaises et l’engagement sur la voie de la laïcité doivent donc faire l’objet d’une préparation que l’on peut qualifier de « volontariste », en ce que les protagonistes, une fois d’accord sur le but à atteindre, doivent faire des efforts d’explication, de concertation, de clarification et de vulgarisation auprès des citoyens, qui restent les premiers concernés.

C’est sans doute ce qui a conduit Souheil Farah à affirmer que « la modernisation ne peut réussir que si, en premier lieu, on entame une action de laïcisation des pensées, pour ensuite aboutir à une politique et des institutions laïques »396. Pour ce faire, le Professeur Farah propose de sortir du schéma classique qui consiste à opposer de manière quasi automatique la raison et la foi, le musulman arabe et le chrétien occidental, le mal occidental et le bien oriental, le matérialisme progressiste et le système basé sur les valeurs traditionnelles rétrograde et, enfin, le laïque blasphémateur et le croyant nécessairement contre la laïcité.

395 Emile Durkheim, L’éducation morale, Paris, P.U.F., 1963, p.p. 7-8. 396 Souheil Farah, Professeur à l’Université libanaise ; Al Almana al mouasira (bein dinina oua douniana), édition Le Centre culturel arabe, Beyrouth, 1997, p.p. 112-113. Ouvrage écrit et publié en arabe et dont le titre peut se traduire par : La laïcité moderne ; entre temporel et spirituel.

La laïcité ne s’impose donc pas comme une évidence, pour peu que l’on s’intéresse à la réalité du terrain au Liban. La modernisation des institutions passant nécessairement par la déconfessionnalisation de la vie publique, à court terme, pour aboutir, à long terme, à la laïcité, force est de constater qu’aucun effort n’est fait en ce sens. Bien au contraire, lorsqu’on observe de près la vie politique au Liban, une impression s’impose comme une évidence : la confession, voire même le rite, continue à être utilisée comme une monnaie d’échange dans les tractations politiques.

A l’aune de cette réalité, est-il possible d’envisager la mise en place d’un Etat moderne aux institutions laïques et au fonctionnement respectueux de chacun, non plus pour son appartenance à telle ou telle confession mais, simplement pour son appartenance à la communauté nationale ?

Au-delà de la nécessité de la modernisation des institutions libanaises, il faudrait étudier la possibilité d’opérer cette modernisation. Les quelques partisans de la laïcité au Liban ont-ils, en effet, les moyens de leurs ambitions ?

Hormis la méfiance mutuelle et le manque de bonne volonté politique, rien ne fait obstacle à la mise en place d’institutions laïques au Liban. Or, sans remédier à ces deux problèmes, rien n’est possible.

Un regard sur les différents systèmes adoptés par les Etats modernes peut nous instruire sur les possibilités offertes au Liban en la matière.

Dans la plupart des pays chrétiens, si tant est que l’on puisse les qualifier ainsi, l’Etat et les Eglises agissent chacun dans une sphère qui lui est propre. Mais, comme le souligne Jean Imbert397, « les modalités de la cohabitation entre les forces politiques et les institutions religieuses varient de l’ignorance plus ou moins bienveillante à un accord parfois bien proche de l’absorption pure et simple. Une constitution peut en effet volontairement ignorer le problème religieux sans le favoriser ni le condamner : cette situation est souvent dénommée laïcité, encore que ce terme couvre des réalités parfois fort différentes ».

La constitution des Etats-Unis, rédigée en 1787 à l’issue des évènements du Massachusetts, est ainsi restée volontairement neutre sur le plan religieux, mais la liberté de conscience fut reconnue bien avant le vote du 14ème amendement en 1868. Soulignons au passage que cette liberté de conscience ne s’oppose en rien à la prestation de serments constitutionnels faite sous l’égide de l’autorité divine.

Rappelons, par ailleurs, qu’en France, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 est placée sous les auspices et en présence de « l’Etre suprême ». Déclaration incorporée dans le droit constitutionnel positif de la cinquième République398.

En Belgique, la situation reste quelque peu particulière. La constitution ne s’affiche pas laïque de manière explicite, elle se limite à mentionner, dans son article 16, §1, l’abstention de l’Etat « dans la nomination des ministres d’un culte quelconque » mais elle prévoit le versement d’un traitement à ces mêmes ministres sur fonds publics (art. 117). C’est le résultat du

397 Jean Imbert, Président de l’Académie des sciences morales et politiques, Président honoraire de l’Université de Paris II ; Propos recueillis lors de la 10ème Session de l’Académie internationale de droit constitutionnel intitulée « Constitutions et religions », tenue à Tunis en Juillet 1994, Presses de l’Université des sciences sociales de Toulouse, 1996, p.p.4-5. 398 Depuis la décision du Conseil constitutionnel français 51 DC, Taxation d’office, du 27 décembre 1973.

compromis passé en 1831 entre les catholiques et les libres-penseurs. On rencontre à peu près ce même régime de séparation amiable au Luxembourg et aux Pays-Bas399.

L’Irlande, pourtant peuplée de 90% de catholiques pratiquants, s’est dotée d’un régime de séparation plus strict. La Constitution républicaine de 1937 donne en effet la liste des Eglises reconnues en mentionnant « la position spéciale de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine ». Position qui n’entraîne cependant aucun privilège pour cette Eglise. Le référendum du 6 décembre 1974 a supprimé cette mention tout en maintenant l’interdiction de toute subvention de l’Etat à une religion400.

Il n’existe donc pas une seule forme de laïcité. Cette dernière peut revêtir des formes diverses tant que son essence n’est pas altérée. Le concept de laïcité n’est donc pas uniforme et peut souffrir quelques arrangements pour le rendre plus acceptable. Mais l’essentiel est préservé ; Dieu ne mange pas du même pain que César.

Qu’en est-il des pays musulmans ? Quelle attitude adoptent-ils en la matière ? Un regard sur les Etats membres de l’Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I.) peut nous être d’un grand secours, d’autant que le Liban est membre de cette organisation.

Sur le plan constitutionnel, les différences entre Etats membres sont, pour le moins, considérables. Certains Etats prônent un islam militant alors que d’autres penchent vers la laïcité.

399 Alexis PAULY, Eglise et Etat dans le Grand-duché du Luxembourg, In Revue européenne des relations églises-état - Leuven : Peeters. - Nr. 1995 (vol. 2), p. 67-71; et K. WALF, Eglise et Etat aux Pays-Bas, dans Conscience et Liberté, Berne, 1986, p.p. 118 et 129. 400 R. VILLERS, Le régime des Eglises en Irlande depuis le Disestablishment Act de 1869, dans Eglises et pouvoir politique, Angers, 1987, p.p. 379-395.

Parmi les Etats partisans d’un islam militant, allant même jusqu’à l’intolérance, on peut citer sans prendre trop de risques l’Arabie Saoudite, l’Iran et, dans une certaine mesure, le Pakistan.

En Arabie Saoudite, en effet, l’article premier du Statut Fondamental du Gouvernement établi le 1er mars 1992, et qui tient lieu de Constitution, dispose que « le royaume d’Arabie Saoudite est un Etat arabe islamique jouissant d’une souveraineté entière. Sa religion est l’Islam. Sa Constitution est le livre de Dieu et la Sunna de son Prophète ». Par ailleurs, l’article 7 de ce même statut dispose que le Gouvernement du Royaume d’Arabie Saoudite puise son autorité du Livre de Dieu et de la Sunna du Prophète. La shura et la Chari’a islamique constituent la base de la justice (art.8).

Ce Statut Fondamental va jusqu’à s’ingérer au sein même de la cellule familiale. Le Chapitre III, portant le titre « fondements de la société saoudienne » souligne que « la famille est le noyau de la société saoudienne. Ses membres sont éduqués sur la base du dogme islamique, et ce qu’elle implique comme loyauté et obéissance à Dieu, à son Prophète et aux dirigeants ». A croire que le Royaume est d’essence divine.

En affirmant que « l’objectif de l’enseignement est d’enraciner le dogme islamique dans l’esprit des jeunes », ce statut ne fait pas mystère de sa volonté d’endoctrinement.

Point culminant de la confusion des genres, l’article 23 fait de l’Etat le protecteur du dogme de l’Islam. « Il applique sa Chari’a, ordonne le bien et interdit le mal et assume le devoir d’appeler les gens vers Dieu ». De même qu’il « protège les droits de l’Homme conformément à la Chari’a islamique (art. 26) ».

Le constat que dresse le Professeur Sélim Jahel401 est sans appel ; « l’Arabie Saoudite, écrit-il, assume sans complexe la confusion du religieux et du politique ; des droits de l’Homme, l’Etat ne conserve que ceux que reconnaît la Chari’a ; il récuse de manière franche et ferme la démocratie comme étant une valeur étrangère à sa culture. Un Etat idéologique implique que le pouvoir qui s’y exerce soit de type autoritaire ; il l’est ». Intelligenti pauca402.

La Constitution iranienne n’a rien à envier à celle d’Arabie Saoudite. Elle est en effet fondée sur des considérations strictement religieuses. Les fondements de l’Etat et du régime, l’action qu’ils ont à mener et les moyens qu’ils ont à observer s’inscrivent dans la sphère de l’Islam Chi’ite.

La Constitution pakistanaise du 12 avril 1973 n’est, pour le moins, pas étrangère au fait religieux. Elle définit en effet, de manière claire, le cadre dans lequel évoluent l’Etat et la société dans son préambule : « la souveraineté sur l’Univers entier étant du seul ressort du Tout-puissant, le pouvoir exercé par le peuple du Pakistan doit respecter les limites fixées par Allah… Dès lors, les musulmans doivent respecter les enseignements de l’Islam, contenus dans le Coran et la Sunna, tant dans leur vie individuelle que collective »403.

La situation du Bahreïn n’est guère plus enviable, l’islam y est déclaré « religion d’Etat » et la Chari’a « source principale de la législation »404. Le préambule et l’article 2 de la constitution de l’Etat du Koweït sont identiques à ceux du Bahreïn. Le Statut fondamental du Sultanat

401 Sélim Jahel, Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Extraits d’une étude parue dans : Les Constitutions des pays arabes, Actes du colloque de Beyrouth, 1998, Ed. Bruylant, 1999. 402 Expression latine signifiant : « à qui sait comprendre, peu de mots suffisent ». 403 Texte traduit de l’anglais par nos soins. Version anglaise : « Whereas sovereignty over the entire Universe belongs to Almighty Allah alone, and the authority to be exercised by the people of Pakistan within the limits prescribed by Him is a sacred trust… Wherein the Muslims shall be enabled to order their lives in the individual and collective spheres in accordance with the teachings and requirements of Islam as set out in the Holy Quran and Sunnah… ». 404 Article 2 de la Constitution de l’Etat du Bahreïn qui fait précéder, par ailleurs, son préambule de la fameuse formule « au nom de Dieu le Clément et le miséricordieux. AU nom du Très-Haut, avec sa bénédiction et par sa grâce ».

d’Oman, le Statut fondamental de l’Etat du Qatar ainsi que la Constitution de la République du Yémen reprennent les mêmes dispositions.

Par ailleurs, parmi les Etats membres de l’O.C.I., nombreux sont ceux qui adhèrent à un Islam modéré, se réclamant franchement de la laïcité.

A titre d’exemple, l’article 2 de la Constitution turque de 1982 souligne la forme démocratique de la République de Turquie. De même, au Niger, dont la population est à 90% musulmane, la Constitution du 26 décembre 1992 fait de la séparation de l’Etat et de la religion un principe fondamental (art.4).

Il en est de même pour le Sénégal dont la population est composée de 85% de musulmans. La Constitution énonce dès son article premier que « la République du Sénégal est laïque ».

Certains autres pays comme la Syrie se limitent à énoncer que la religion du chef de l’Etat est l’Islam. En y ajoutant que la religion de l’Etat est l’Islam, pour ce qui concerne la Tunisie (art. 1er).

En tout état de cause l’exemple de la laïcité à la française nous paraît très intéressant pour inspirer une sorte de laïcité à la libanaise. Les raisons à cela sont multiples mais la plus importante reste la longue tradition juridique commune. De plus, l’évolution de la laïcité en France peut s’avérer une source d’inspiration pour un Liban aux appartenances multiples405.

405 Le rapport de la Commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité dans la République, dit Rapport Stasi du nom de son rapporteur, remis au Président de la République le 11 décembre 2003 est particulièrement intéressant à cet égard.

Selon le rapport Stasi « la laïcité, pierre angulaire du pacte républicain, repose sur trois valeurs indissociables : liberté de conscience, égalité en droit des options spirituelles et religieuses, neutralité du pouvoir politique. La liberté de conscience permet à chaque citoyen de choisir sa vie spirituelle ou religieuse. L’égalité en droit prohibe toute discrimination ou contrainte et l’Etat ne privilégie aucune option. Enfin le pouvoir politique reconnaît ses limites en s’abstenant de toute immixtion dans le domaine spirituel ou religieux ». La laïcité traduit ainsi une conception du bien commun. Pour que chaque citoyen puisse se reconnaître dans la République, elle soustrait le pouvoir politique à l’influence dominante de toute option spirituelle ou religieuse, afin de pouvoir vivre ensemble.

La monarchie prérévolutionnaire de droit divin reposait sur des fondements religieux : cérémonie du sacre à Reims, image du Roi lieutenant de Dieu sur terre. Ce système social se caractérisait par le lien institutionnel entre l’Etat et l’Eglise catholique et par la place de celle- ci dans la vie de tous. La Révolution marque l’acte de naissance de la laïcité dans son acception contemporaine. L’autonomie de la conscience, y compris sur le plan spirituel et religieux, est affirmée. Cette notion est si neuve qu’elle est formulée avec prudence à l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». Le 20 septembre 1792, l’Assemblée législative laïcise l’état civil et le mariage. La citoyenneté n’est plus désormais liée à la religion.

Mais l’histoire de la laïcité n’est pas sans crises ni affrontements. L’adoption de la constitution civile du clergé, intervention politique dans le domaine religieux, ouvre de sanglantes fractures. Et c’est avec la loi du 9 décembre 1905 qui sépare les Eglises de l’Etat que la laïcité s’enracine dans les institutions françaises. Les dispositions des articles 1 et 2 de cette loi sont claires : « la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes, sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public ». De plus, « la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… ».

Dans les colonies cependant, où la laïcité française rencontre l’Islam, la politique de la République est marquée par l’ambiguïté. En Algérie, partie intégrante de la République jusqu’en 1962, la loi de 1905 prévoit la pleine application des principes de la laïcité. Mais par le biais de décrets d’application dérogatoires pris par le gouvernement d’Algérie, un régime d’exception est mis en œuvre avec un code de l’indigénat qui maintient le statut personnel musulman ou israélite. L’énonciation de principes républicains laïques et leur application dérogatoire sur un territoire donné sont révélatrices d’une contradiction propre à l’Etat colonial français.

Sur le plan du droit international, c’est la question de la liberté religieuse qui est notamment traitée par des textes tels la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 406 , la Convention pour la lutte contre la discrimination dans le domaine de l’enseignement adoptée sous l’égide de l’UNESCO, les deux Pactes internationaux de l’O.N.U. du 19 décembre 1966 sur les droits civils et politiques, d’une part, et sur les droits économiques, sociaux et culturels, d’autre part. L’Union européenne407 ne comporte pas la mention d’un principe de séparation entre le pouvoir politique et l’autorité religieuse ou spirituelle. Néanmoins, la construction politique de l’Union européenne, qui ne repose sur aucun fondement religieux, correspond en pratique aux exigences de la laïcité, même si au niveau européen on lui préfère le terme de sécularisation.

Quant à la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, son article 9 protège la liberté religieuse, sans toutefois en faire un droit

406 Qui d’ailleurs n’a aucune valeur juridique contraignante. L’article 18 de cette déclaration dispose toutefois que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. 407 Le débat sur la mention des héritages religieux lors des travaux préparatoires du Traité établissant une Constitution pour l’Europe en témoigne bien. Tout au plus se borne-t-il, dans la Partie II intitulée « La Charte des droits fondamentaux de l’Union », à souligner que « consciente de son patrimoine spirituel et moral, l’Union se fonde sur les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité ; elle repose sur le principe de la démocratie et le principe de l’Etat de droit. Elle place la personne au cœur de son action en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice ».

absolu408. L’Etat peut lui apporter des limites à la triple condition que cette ingérence soit prévue par la loi, qu’elle corresponde à un but légitime et qu’elle soit nécessaire dans une société démocratique. Sur le fondement de cet article 9, la Cour a été amenée à traiter de questions qui concernent la laïcité. L’approche de la Cour repose sur une reconnaissance des traditions de chaque pays, sans chercher à imposer un modèle uniforme de relation entre l’Eglise et l’Etat.

Dans l’arrêt Cha’are Shalom ve Tsedek contre France du 27 juin 2000, la Cour a ainsi eu recours à une formule de prudence : «eu égard à la marge d’appréciation qu’il faut laisser à chaque Etat, notamment pour ce qui est de l’établissement des délicats rapports entre les Eglises et l’Etat». L’arrêt Refah Partisi (parti de la prospérité) et autres contre Turquie du 13 février 2003 est à cet égard très représentatif. Le gouvernement turc avait interdit le Refah, parti islamique. La Cour constitutionnelle de Turquie avait estimé que le projet politique du Refah était dangereux pour les droits et libertés garantis par la Constitution turque, dont la laïcité, et qu’il avait des chances réelles de mettre en application son programme s’il accédait au pouvoir. La Cour européenne des droits de l’homme a constaté que la laïcité tenait une telle place dans la Constitution de l’Etat turc qu’elle a admis qu’avait pu être dissous le Rafah sans que la Convention européenne soit violée. Les juridictions nationales avaient donc pu prendre en considération le risque que ce parti présentait pour la démocratie.

A partir de ce raisonnement, la Cour a rendu quelques arrêts sur les questions de laïcité, dans lesquels elle affirme des exigences comparables à celles de la jurisprudence française sur des questions relatives tant aux agents publics qu’aux usagers. S’agissant des agents publics, dans l’arrêt de recevabilité Dahlab contre Suisse du 15 février 2001 relatif à une enseignante du canton de Genève qui avait subi des sanctions disciplinaires parce qu’elle refusait d’enlever le

408 Cet article dispose en effet que « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

voile, la Cour de Strasbourg a rejeté la requête parce que l’interdiction de porter le foulard dans le cadre d’une activité d’enseignement primaire constituait une mesure nécessaire dans une société démocratique. Dans l’arrêt Kalaç contre Turquie du 1er juillet 1997, la Cour a également validé la sanction disciplinaire prononcée contre un militaire se livrant au prosélytisme religieux.

A l’égard des usagers, la Cour a également reconnu la possibilité de limiter le plein exercice de la liberté religieuse. Dans l’arrêt Karadum contre Turquie du 3 mai 1993, la Cour, après avoir relevé l’existence d’un enseignement privé parallèle à l’enseignement public, a admis l’interdiction du port de signes religieux dans les établissement publics d’enseignement supérieur turc, en raison de la nécessité de protéger les femmes contre des pressions.

Dans une décision Valsamis contre Grèce du 6 juillet 1995, elle a estimé qu’une élève ne pouvait invoquer ses convictions religieuses pour refuser de se soumettre au règlement de l’école. Cette jurisprudence montre que la liberté religieuse trouve ainsi des limites dans la confrontation avec les impératifs de la laïcité. Mais la laïcité n’est pas pour autant incompatible, en soi, avec la liberté religieuse telle que protégée par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

D’autre part, il faut que l’administration, soumise au pouvoir politique, donne non seulement toutes les garanties de la neutralité mais en présente aussi les apparences pour que l’usager ne puisse douter de sa neutralité. C’est ce que le Conseil d’Etat a appelé le devoir de stricte neutralité qui s’impose à tout agent collaborant à un service public409. Autant, en dehors du service, l’agent public est libre de manifester ses opinions et croyances sous réserve que ces manifestations n’aient pas de répercussion sur le service410, autant, dans le cadre du service, le devoir de neutralité le plus strict s’applique. Toute manifestation de convictions religieuses

409 Conseil d’Etat, 3 mai 1950, Demoiselle Jamet et l’avis contentieux du 3 mai 2000, Melle Marteaux. 410 Conseil d’Etat, 28 avril 1958, Demoiselle Weiss.

dans le cadre du service est interdite et le port de signe religieux l’est aussi, même lorsque les agents ne sont pas en contact avec le public. Même pour l’accès à des emplois publics, l’administration peut prendre en compte le comportement d’un candidat à l’accès au service public, s’il est tel qu’il révèle l’inaptitude à l’exercice des fonctions auxquelles il postule dans le plein respect des principes républicains.

Sur le plan financier, l’article 2 de la loi de 1905 résume les implications de la laïcité : « la République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ». Cet article a servi de fondement à une appréciation très stricte de la jurisprudence administrative sur toute forme de subventions, déguisée ou indirecte, à une organisation cultuelle 411 , même si le juge administratif a su ménager des exceptions. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a reconnu comme légitime l’inscription au budget communal d’une somme destinée à payer une cérémonie cultuelle pour le retour des morts du front412.

Plus généralement, le droit français a prévu des aménagements permettant de concilier la neutralité de l’Etat avec la pratique du fait religieux. Si la loi de 1905 sépare l’Eglise de l’Etat, elle institue néanmoins des aumôneries dont les dépenses peuvent être inscrites au budget des administrations, services et établissement dont les exigences de fonctionnement risqueraient de ne pas assurer le respect et la liberté religieuse. Il en est ainsi à titre d’exemple pour les armées, les collèges et lycées, les prisons, les hôpitaux. Par ailleurs, afin de préserver le respect de la conscience religieuse dans le cadre d’un enseignement laïc, Jules Ferry avait prévu l’instauration d’un jour vacant en plus du dimanche pour permettre l’enseignement religieux, droit repris à l’article L 141-3 du code de l’éducation. De même, si les cimetières sont laïcisés, la pratique a pu prendre en compte certaines traditions des cultes juif et musulman. Enfin, depuis la loi de 1987 413 , les dons faits aux associations cultuelles bénéficient d’un régime fiscal plus favorable, qui les assimile aux associations reconnues d’utilité publique.

411 Conseil d’Etat, 9 octobre 1992, commune de Saint-Luis. 412 Conseil d’Etat, 6 janvier 1922, commune de Perquie. 413 Il s’agit de la loi n°87-571 du 23 juillet 1987 (J.O. du 24 juillet 1987).

Les exigences d’une neutralité absolue sont donc tempérées par les « accommodements raisonnables » permettant à chacun d’exercer sa liberté religieuse.

Pour autant, le juge judicaire a été amené à nuancer ces principes afin de les concilier avec le respect du contrat de travail et de son exécution. La jurisprudence a ainsi illustré ce conflit possible entre vie professionnelle et personnelle, soit lorsqu’un employeur juge le comportement ou l’attitude du salarié comme constitutifs d’une faute justifiant un licenciement, soit quand un salarié estime qu’il est en droit de faire prévaloir sur le droit positif certaines de ses convictions. En principe, le comportement du salarié dans sa vie personnelle, hors du temps de travail et hors du lieu de travail, ne peut être retenu contre lui par son employeur. Pendant le temps de travail, le salarié est, en revanche, soumis à la pleine autorité de l’employeur. Même s’il conserve évidemment des droits et libertés qui relèvent de sa vie personnelle, et auxquels l’employeur ne peut porter atteinte sans raison et de manière disproportionnée 414 , ses revendications doivent être conciliées avec les obligations contractuelles et l’organisation du travail. Un salarié ne peut ainsi exiger de son employeur le respect de la manifestation de ses convictions religieuses, en l’absence de mention du fait religieux dans le contrat de travail, qu’il s’agisse pour lui de demander le remboursement d’indemnités correspondant à des repas de midi fournis gratuitement par l’employeur, et qu’il s’est abstenu de prendre pour des raisons religieuses415, de refuser d’exécuter son travail d’employé à un rayon boucherie du fait qu’il est conduit à manipuler da la viande de porc416, ou de refuser, pour des motif religieux, de subir une visite médicale réglementaire417.

S’agissant du port du voile, les seuls arrêts émanent des arrêts de juridictions de première instance ou d’appel. Il a été ainsi jugé que le refus d’une salariée, vendeuse dans un centre commercial ouvert à un large public, de renoncer au port d’un voile ostentatoire, à défaut d’un

414 Cour de cassation, chambre sociale, 18 février 1998. 415 Cour de cassation, chambre sociale, 16 février 1994. 416 Cour de cassation, chambre sociale, 24 mars 1998. 417 Cour de cassation, chambre sociale, 29 mai 1986.

simple bonnet, est une cause réelle et sérieuse de licenciement418. Inversement, en l’absence de toute justification valable à l’interdiction du port du voile, et alors que la salariée avait été recrutée en portant ce même voile, le licenciement de le salariée a été annulé comme étant discriminatoire, au sens de l’article L. 122-45 du code du travail419.

L’orientation est donc essentiellement celle d’une approche au cas par cas. Pour l’essentiel, le juge judicaire, s’il reconnaît les droits qu’offre le respect de la liberté de conscience, veille à ce que ces exigences soient conciliables avec la bonne exécution du contrat de travail.

La laïcité est-elle pour autant une particularité hexagonale ? La France est en effet le seul pays européen à avoir explicitement consacré la laïcité dans sa Constitution. Le même terme apparaît dans la Loi fondamentale allemande dont l’article 7 mentionne les écoles « laïques » ; mais le texte lui-même n’a pas de fondements laïques. En effet, il est proclamé en référence à Dieu : « le peuple allemande (…) responsable devant Dieu et devant les hommes ». S’agissant des relations entre l’Etat et les Eglises, trois modèles peuvent être distingués parmi les pays de l’Union européenne.

Le premier, le plus éloigné de l’approche française, correspond aux pays reconnaissant une religion d’Etat. En Angleterre, la Reine, « Supreme Governor », désigne l’Archevêque de l’Eglise anglicane. La Grèce mentionne dans son Préambule la « Sainte Trinité, consubstantielle et indivisible » et consacre l’Eglise grecque-orthodoxe comme religion d’Etat. En Finlande, protestantisme luthérien et Eglise orthodoxe sont des auxiliaires de l’état- civil. Au Danemark, l’Eglise protestante luthérienne reçoit des subventions pour ses activités d’état-civil, de santé et d’enseignement.

418 Cour d’appel de Paris, 18ème chambre, 16 mars 2001, Mme Charni contre Sa Hamon. 419 Conseil des prud’hommes, 17 décembre 2002, Tahri contre Téléperformance France.

Le deuxième modèle combine la séparation des Eglises et de l’Etat avec un statut officiel accordé à certaines religions. En Allemagne, les religions reconnues ont le droit de dispenser un enseignement religieux dans les écoles ; elles perçoivent une part de l’impôt sur le revenu, le Kirchensteuer. Le système autrichien suit la même inspiration. Au Luxembourg, sur le fondement juridique du Concordat napoléonien, les quatre religions, catholique, protestante, orthodoxe et juive sont reconnues.

Le troisième modèle aujourd’hui dominant dans l’Union européenne correspond à un régime de séparation simple entre les Eglises et l’Etat. Avant la France, les Pays-Bas, dès 1795, mettent fin au monopole de l’Eglise réformée. Le régime de séparation, institué en 1798, a été décliné dans les domaines de l’éducation420, de la santé et des affaires sociales. Il repose sur quatre principes : l’Etat ne s’immisce pas dans le contenu du dogme religieux ; il ne s’occupe pas de l’organisation des religions ; il traite également religions et philosophies humanistes ; il n’y a ni religions établies ni religions prohibées. Le Portugal a modifié en 1971 le Concordat de 1940 et a adopté en 2001 une loi sur la liberté religieuse qui étend à toutes les confessions les avantages jusque-là réservés à l’Eglise catholique : exemptions fiscales, rôle d’enregistrement des naissances et des mariages, aumôneries … L’Espagne a connu une évolution comparable ; la Constitution de 1978 d’abord, puis la loi sur la liberté religieuse de 1980 réglementent la séparation du pouvoir politique et des Eglises. En 2000, la Suède met fin au statut d’Eglise d’Etat dont bénéficiait l’Eglise luthérienne.

Au-delà des aspects juridiques, les pays européens connaissent en réalité les même types de mutations liées à la sédentarisation sur leur sol de populations immigrées confessant des religions jusqu’alors non représentées. La France, en raison de l’importance et de l’ancienneté des courants migratoires, y a été confrontée la première. Le Royaume-Uni et l’Allemagne ont suivi. L’Italie, qui favorise les négociations bilatérales entre l’Etat et les Eglises se heurte à l’absence d’interlocuteur représentatif de l’Islam, a suivie avec intérêt la création du Conseil français du culte musulman.

420 Avec un financement égal pour l’enseignement public et confessionnel.

En Allemagne, où les guerres de religion ont été violentes, la liberté religieuse421 est centrale et toute emprise du pouvoir politique exclue. Ces questions relèvent de la compétence des Länder et non du pouvoir fédéral. Depuis les dix dernières années, les difficultés se sont multipliées, notamment à l’école. En Bavière, depuis un arrêt rendu par la cour constitutionnelle422 en 1995, les crucifix peuvent être retirés des salles de classe à la demande d’un élève. Plus récemment, des institutrices ont revendiqué le droit d’enseigner en portant le voile. L’arrêt Ludin rendu le 24 septembre 2003 par le Bundesverfassungsgericht a reconnu implicitement la possibilité d’interdire, par la loi, le port par des enseignants de signes religieux. Les Länder de Bavière et de Bade-Wurtemberg s’apprêtent à adopter une loi en ce sens interdisant uniquement le port du voile islamique par des enseignantes. Enfin, des représentants de la communauté musulmane ont réclamé la possibilité de dispenser, comme les autres confessions, des cours de religion à l’école. Le mouvement du Milli Görüs assure des enseignements de ce type depuis plusieurs années malgré l’opposition de l’organisation officielle de l’Islam turc représenté par le DITIB. Cette évolution se heurte à deux obstacles : la formation des maîtres et l’absence d’interlocuteur représentatif de l’Islam.

Les Pays–Bas, notamment à partir des années 1960, sont allés très loin sur la voie du communautarisme. Toute l’organisation sociale néerlandaise est structurée autour de « piliers », auxquels sont rattachés les individus, notamment en fonction de leur appartenance religieuse ou spirituelle. A Chacun de ces piliers correspond une organisation propre avec ses hôpitaux, ses écoles, ses clubs sportifs, ses journaux, ses syndicats… Les populations immigrées ont été coulées dans ce moule en encourageant les organisations communautaires.

Aujourd’hui, la situation de l’intégration aux Pays-Bas est jugée préoccupante par le gouvernement lui-même à l’issue de plusieurs rapports d’évaluation. Certains chercheurs,

421 Glaubensfreiheit. 422 Le Bundesverfassungsgericht.

comme Herman Philipse423, ont parlé d’une « tribalisation des Pays-Bas424 ». Les populations se regroupent par quartiers communautaires. Les élèves originaires de l’immigration se retrouvent dans les mêmes établissements qualifiés d’« écoles noires ». Cette communautarisation de l’urbanisme inquiète dans un pays où la concentration de la population fait de la maîtrise de l’espace un enjeu politique essentiel. La langue néerlandaise n’est pas maîtrisée. Le brassage entre communautés est très limité, ce que révèle le pourcentage extrêmement élevé de mariages endogames. Cette situation nourrit des tentions raciales, confessionnelles, un regain d’antisémitisme et une exacerbation des tentations extrémistes révélées par le phénomène Pim Fortuyn425.

423 Herman Philipse est professeur de philosophie à l’Université d’Utrecht. Il est l’auteur, en particulier, de Heidegger's Philosophy of Being : A Critical Interpretation, Princeton University Press, 1998. 424 Ttribalisering van Nederland. 425 Wilhelmus Simon Petrus Fortuijn, plus connu sous le nom de Pim Fortuyn, est un homme politique néerlandais, né le 19 février 1948 à Velsen (Hollande septentrionale) et assassiné par un extrémiste antifasciste le 6 mai 2002 à Hilversum (même province). Pim Fortuyn avait étudié la sociologie à l'université d'Amsterdam et devint plus tard maître-assistant en sociologie à l'université de Groningue et à l'Université Érasme de Rotterdam. Son parcours politique fut relativement atypique, puisqu'il fut membre du parti socialiste néerlandais, qu'il tenta en vain d'adhérer au parti communiste néerlandais et, à la fin de sa vie, fonda un mouvement populiste (qualifié d'extrême droite par certains de ses adversaires, étiquette que lui-même récusait formellement). Les positions politiques qu'il prit à la fin de sa vie furent marquées par son hostilité à l'islam et à l'immigration non-européenne aux Pays-Bas. Il basait son discours sur l'argument des différences culturelles et de l'absence de volonté d'assimilation de la part de nombreux immigrants, mais il n'a jamais évoqué de critères de race. De ce fait, Pim Fortuyn répéta à de nombreuses reprises qu'il n'avait rien de commun avec des partis habituellement classés à l'extrême droite tels que le FPÖ en Autriche, le Front national en France ou encore le Vlaams Blok (actuel Vlaams Belang) en Flandre. Il consentait tout juste à se reconnaître comme nationaliste. Son homosexualité affichée contribuait en outre à le garder à distance de nombreux partis connus pour leurs programmes mettant l'accent sur la défense des valeurs familiales. Le 26 novembre 2001, il fut élu lors des élections législatives de 2002, en tant que tête de liste pour le parti Leefbaar Nederland, nouvellement formé. Le 9 février 2002, il déclarait au journal néerlandais De Volkskrant que seize millions d'habitants aux Pays-Bas était un chiffre de population suffisamment élevé, et qu'accepter chaque année l'accueil de 40 000 demandeurs d'asile dans le pays était une politique qui devait cesser. Il dit en outre qu'à ses yeux, l'article 7 de la constitution, qui garantit la liberté de parole, était plus important que l'article premier, qui s'oppose à toute discrimination. Il prit soin, à cette occasion, de prendre ses distances avec les positions exprimées dans les années 1980 par le Centrumpartij, qui prônait alors le départ des étrangers du pays, tandis que lui-même estimait que dès l'instant où ceux-ci étaient suffisamment intégrés, la question de leur présence ne se posait plus. En dépit de ces précautions oratoires, le Leefbaar Nederland déclara qu'il refuserait désormais de le faire figurer sur ses listes. Prenant acte de ce rejet, Pim Fortuyn, dès le 11 février 2002, fonda son propre parti en vue des élections législatives, la Liste Pim Fortuyn (Lijst Pim Fortuyn, LPF), mouvement que rejoignirent rapidement de nombreux membres et sympathisants du Leefbaar Nederland. La section de Rotterdam du Leefbaar Nederland fit sécession et garda Pim Fortuyn comme leader. En mars 2002, elle remporta 36 % des sièges à Rotterdam lors d'élections pour le conseil de district, devenant ainsi le premier parti de la ville après trente ans de domination du parti social- démocrate, renvoyant celui-ci dans l'opposition. Le 6 mai 2002, neuf jours avant les élections générales, Pim Fortuyn fut assassiné par Volkert van der Graaf, activiste d'extrême gauche, militant de la cause animale, alors qu'il sortait des studios d'une station de radio à laquelle il venait d'accorder un entretien dans le cadre de la campagne électorale. Cet assassinat causa une vive émotion dans les Pays-Bas tout entier, la reine Beatrix elle- même faisant part de sa consternation. Peut-être partiellement influencé par l'émotion causée par cet assassinat, le peuple néerlandais accorda 1 614 801 voix à la LPF, ce qui permit l'élection de vingt-six députés à la chambre

Rompant avec le multiculturalisme, le gouvernement néerlandais désire désormais mener une politique volontaire d’intégration 426 dite de « citoyenneté partagée », imposant que les nouveaux immigrants adhèrent aux « valeurs fondatrices de la société néerlandaise ».

En France, tel que l’a souligné le Rapport Stasi, « après un siècle de pratiques et de transformations de la société, le principe laïque est loin d’être devenu obsolète mais il a besoin d’être éclairé et vivifié dans un contexte radicalement différent ».

La laïcité n’est en définitive qu’une règle du jeu institutionnel, c’est une valeur fondatrice du pacte républicain, la possibilité de concilier le vivre ensemble, le pluralisme et la diversité. La laïcité rejoint dans cette perspective le consensus interconfessionnel libanais. Mai elle présente toutefois un avantage incontestable qui réside dans le fait qu’elle rend le pouvoir impersonnel en évitant d’ériger le fait religieux entre le citoyen et le pouvoir. Le fondement principal du Pacte national libanais, à savoir le modus vivendi interconfessionnel, érige l’appartenance confessionnelle en valeur fondatrice du pacte républicain libanais. Dès lors, lorsque les mécanismes régissant le pluralisme et la diversité libanaises sont affectés cela retentit sur le pacte national lui-même rendant l’équilibre institutionnel précaire427.

basse du Parlement (soit 17 % des cent cinquante sièges de l'assemblée). La LPF devint ainsi le second parti néerlandais. Bien qu'intégrée à la coalition gouvernementale de Jan Peter Balkenende, le nouveau Premier ministre chrétien-démocrate, la Liste Pim Fortuyn, privée de son chef, entra rapidement dans une période de turbulences qui aboutit quelques mois plus tard à la dissolution de la chambre basse. Lors des élections de janvier 2003, le parti subit un fort reflux électoral et ne recueillit plus que 549 975 voix (5,7 %) et huit sièges, passant de la deuxième à la cinquième place, et rejoignant ainsi l'opposition. Sa chute électorale continua, lors des élections de novembre 2006, avec plus aucun député élu à la 2e chambre du parlement. 426 Integratiesbeleid. 427 Le rapport Stasi souligne également les difficultés auxquelles la laïcité doit faire face concernant notamment les revendications tendant à faire prévaloir des convictions communautaires sur les règles générales. Il le fait en ces termes : « le principe de laïcité est aujourd’hui mis à mal dans des secteurs plus nombreux qu’il n’y paraît. La commission (commission Stasi) est consciente que les difficultés rencontrées sont aujourd’hui encore minoritaires. Mais elles sont réelles, fortes et annonciatrices de dysfonctionnements, d’autant plus que la diffusion récente et rapide de ces phénomènes est préoccupante. Ces difficultés affectent d’abord les services publics, où elles laissent les agents désemparés. Elles n’épargnent plus le monde du travail ».

Islam et christianisme ne font pas obstacle à des institutions dites laïques. Plusieurs Etats faisant partie de l’O.C.I. ont ainsi fait le choix de la laïcité. De même, le message adressé par le Pape Jean-Paul II aux libanais, lors de sa visite au Liban le 10 mars 1997, ne fait pas obstacle à ce que l’on fasse le choix de la laïcité. Non sans quelques réserves d’usage cependant. La position du Pape s’inscrit ainsi dans une longue tradition de l’église catholique en ce qu’il insiste sur l’importance de la préservation de la dignité humaine et sur la nécessité de participer à la vie politique dans un esprit de convivialité constructive.

C’est ainsi que dans l’encyclique Mit Brennender Sorge du 14 mars 1937, Pie XI affirmait que « …l’homme en tant que personne possède des droits qu’il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la collectivité hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger… ».

L’Eglise catholique ne renonce donc pas à jouer un rôle dans le Monde, même si elle n’entend pas forcément le jouer directement et institutionnellement : « il n’appartient pas aux pasteurs de l’Eglise d’intervenir directement dans la construction politique et dans l’organisation de la vie sociale. Cette tâche fait partie de la vocation des fidèles laïcs agissant de leur propre initiative avec leurs concitoyens »428.

Cela ne fait donc pas obstacle à la mise en place d’institutions laïques, bien au contraire cela rejoint les principes fondamentaux d’un Etat laïque. La séparation de l’Eglise et de l’Etat ne signifie pas la négation de l’Eglise. Il s’agit de délimiter des domaines de compétences bien distincts.

La laïcité est en définitive une garantie pour une véritable union nationale libanaise. Elle protège la foi religieuse et permet d'établir une réelle justice sociale basée sur l'égalité de tous

428 Catéchisme 2442.

les citoyens quelque soit leur appartenance confessionnelle. En remplaçant le principe d’égale représentation confessionnelle par les principes d’égal accès et de méritantisme, la laïcité pourrait contenir le sentiment d’injustice et, par voie de conséquence, peut-être, l’éclatement d’une nouvelle guerre au Liban. En évitant ainsi les contingences d’appartenance confessionnelle, la laïcité pourrait opérer un nivellement par le haut des institutions libanaises en permettant aux plus méritants de diriger le destin du pays. Mais l’inquiétude reste vive et réelle de voir subsister au-delà de la laïcité le sentiment d’appartenance confessionnelle429.

Les défenseurs mêmes du statu quo soulignent quelques imperfections dans le système mais ils ne semblent pas placer la problématique au même niveau. Ce qui ne saurait éviter la réflexion sur la déconfessionnalisation.

Chapitre second - La nécessité de la mise en œuvre du processus de déconfessionnalisation.

Qu’il nous soit permis de citer ici Portalis dans son discours lors de l’adoption du code civil430 en 1804 - tant cette citation est pertinente pour le cas libanais d’aujourd’hui - : « Les esprits ordinaires peuvent ne voir dans cette unité qu'une perfection de symétrie ; l'homme instruit, l'homme d'État, y découvre les plus solides fondements de l'empire. Des lois différentes n'engendrent que trouble et confusion parmi des peuples qui, vivant sous le même gouvernement et dans une communication continuelle, passent ou se marient les uns chez les autres, et, soumis à d'autres coutumes, ne savent jamais si leur patrimoine est bien à eux. Nous ajoutons que les hommes qui dépendent de la même souveraineté, sans être régis par les mêmes lois, sont nécessairement étrangers les uns aux autres ; ils sont soumis à la même puissance, sans être membres du même État ; ils forment autant de nations diverses qu'il y a

429 N’y a-t-il pas en France (où la laïcité jouit de bases très solides), actuellement, un mouvement vers le communautarisme ? 430 Exposé des motifs de la loi relative à la réunion des lois civiles en un seul corps, sous le titre de Code civil des Français, par le conseiller d'État Portalis. Séance du 28 ventôse an XII.

de coutumes différentes : ils ne peuvent nommer une patrie commune. Aujourd'hui une législation uniforme fait disparaître toutes les absurdités et les dangers ; l'ordre civil vient cimenter l'ordre politique».

C’est en quelque sorte pour remédier à des maux similaires à ceux dont souffrait la France postrévolutionnaire que la nécessité de la mise en œuvre du processus de déconfessionnalisation se fait sentir. Sauf que pour le Liban il ne s’agit pas simplement de réformer le code civil, c’est une refonte totale des institutions qu’il faudrait opérer.

Mais il ne s’agit pas de brusquer les choses, il faudra opérer avec prudence et minutie tant les forces réactionnaires restent puissantes au Liban. On ne saurait toutefois éluder plus longtemps le processus de déconfessionnalisation, c’est que la modernisation même des institutions en dépend.

Section I- La modernisation des institutions.

Il ne reste qu’un pas salutaire431 à franchir pour obtenir un Etat complètement dégagé du poids de la religion dans le fonctionnement des institutions. Il convient de préciser toutefois que la religion ne joue pas un rôle direct. C’est à travers l’appartenance de tel ou tel politicien à telle ou telle religion que l’omniprésence de la religion se fait le plus sentir. Etrange situation où la religion et la politique s’imbriquent inextricablement pour donner naissance à un régime dont le fonctionnement s’apparente à un numéro d’équilibriste.

431 La création du Comité national chargé d’étudier et de proposer « les moyens permettant de supprimer le confessionnalisme et à les présenter à la Chambre des députés et au Conseil des ministres ainsi qu’à poursuivre l’exécution du plan par étapes ». Article 95 de la Constitution libanaise.

Pour étudier la possibilité de l’instauration d’un Etat moderne au Liban, il faut remonter à la source du confessionnalisme. Il s’agit comme nous l’avons déjà souligné d’une constitution de compromis communautaire. Constitution censée garantir la représentation du peuple libanais dans toutes ses composantes. Or, cette représentation ne peut-elle se faire qu’à travers une partition communautariste du pouvoir ?

Cette question restera posée tant que la volonté politique fait défaut. Que ce manque de volonté soit intentionnel ou subit, le résultat est identique : la paralysie et la sclérose des institutions.

Sans volonté politique de changement rien n’est possible car la volonté de changement engendre la possibilité de le faire. Et cette possibilité est aujourd’hui devenue une nécessité au Liban.

Devant la sclérose dont souffrent les institutions libanaises et devant la paralysie qu’engendre le communautarisme, un changement radical des pensées est nécessaire. La base de l’édifice sur lequel la nation doit être bâtie ne saurait être bancale car, si cela est le cas, l’équilibre dont doit bénéficier le pays sera précaire, sinon en péril.

La tâche ne sera pas aisée. C’est au prix de grands sacrifices qu’un résultat satisfaisant sera atteint. Les libanais doivent faire preuve d’abnégation et, plus encore, d’audace et de courage. Le chemin vers la modernisation des institutions sera semé d’embûches mais ad augusta per angusta432. C’est en érigeant l’intérêt national au dessus de tous intérêts particuliers que ce résultat peut être atteint.

432 Ce qui signifie : « A des résultats augustes par des voies étroites » : Mot de passe des conjurés au 4ème acte d’Hernani de . On n’arrive au triomphe qu’en surmontant maintes difficultés.

S’il est vrai que « toute nation a le gouvernement qu’elle mérite »433, les libanais méritent beaucoup mieux qu’un gouvernement qui tire son essence d’un compromis communautaire. S’il est vrai que la diversité de la nation libanaise doit constituer une richesse, elle ne doit cependant pas constituer un facteur de divisions. C’est sans doute ce qui a fait dire à Ziad Rahbani434 que « bientôt chaque maison au Liban proclamera son indépendance du reste de la Nation ». Manière de souligner la force des revendications personnelles faisant fi, au passage, des revendications nationales.

D’où l’urgente nécessité de rétablir l’intérêt national et de lui redonner la place qui doit lui revenir. Cela ne peut avoir lieu que si des institutions débarrassées de toute influence du fait religieux sont mises en place. Nul besoin donc de tergiverser en essayant de trouver des moyens de colmater le navire confessionnaliste à la dérive, « la nécessité nous délivre de l’embarras du choix »435.

Le confessionnalisme ne serait pas nécessairement à bannir s’il était seulement un obstacle à la modernisation du pays. Il devrait être permis de faire des choix non-modernistes ou dépourvus d’élégance, s’il était prouvé que la survie d’une société est à ce prix. Les raisons pour tenter de dépasser le confessionnalisme sont ailleurs.

Elles résident dans le fait qu’il s’est avéré bien incapable d’assurer, à long et à moyen terme, une gestion un tant soit peu raisonnable du pays et une paix nationale viable. Nous avons déjà signalé la réputation de souplesse dont, grâce aux bénéficiaires, ce système continue indûment à jouir. On vante son aptitude aux compromis. Mais les compromis dont il s’est montré capable, une fois institué, se limitent toujours aux questions de détail que d’ailleurs on traite si laborieusement que les solutions interviennent souvent trop tard ou bien sont trop chèrement payées. Les grands problèmes, eux, doivent attendre les grands chambardements.

433 Joseph De Maistre a certainement emprunté cette citation d’un verset du Coran qui rappelle aux fidèles qu’ils seront « gouvernés par le gouvernement qu’ils méritent ». 434 Fils de la Diva Feirouz et de la famille des plus grands musiciens libanais « Les Rahbani », Ziad est à la fois musicien de jazz, écrivain et metteur en scène très avant-gardiste. 435 Vauvenargues, Réflexions et Maximes.

Théoriquement, le dépassement du confessionnalisme avait constitué une idée force du consensus qui s’est dégagé pour mettre fin à la guerre civile qui a ensanglanté le Liban de 1975 à 1990. Si relatif qu’il soit, cet acquis ne doit pas être sacrifié. Il est encore possible de partir, en gardant la distance critique dont l’expérience acquise depuis 1990 a confirmé la nécessité, de l’Accord du Taef. Ce dernier a fait l’objet d’une application indissociablement sélective et biaisée. Sans aucunement exclure une révision du texte que l’expérience rend, au contraire, inévitable, il faudra rendre au document sa cohérence, la complémentarité et l’équilibre de ses dispositions principales.

À défaut de certaines garanties et mesures de précaution, la déconfessionnalisation peut, en effet, tourner très aisément à la catastrophe nationale. La représentation de toutes les communautés dans le cheminement vers un horizon laïc doit être très large et indiscutablement légitime. Un parrainage impliquant, sans doute, l’ONU et la Ligue des États Arabes, devra être envisagé. Ce parrainage contribuera à donner aux mesures adoptées un statut international.

Il est possible d’esquisser comme suit les dispositions à élaborer par le Comité national chargé par l’Accord de Taëf436 de dresser le programme de la déconfessionnalisation :

a) L’élaboration d’une nouvelle loi sur la nationalité. Les émigrés libanais réunissant certaines conditions 437 et désireux de récupérer leur nationalité libanaise pourront déposer leurs dossiers. Un réexamen des vagues de naturalisation par les décrets des années 1990 sera effectué afin de vérifier la conformité à la législation en vigueur à l’époque, du sort qui leur a été réservé. Mettant fin au scandale (aujourd’hui unique au monde) qui dure depuis bientôt trois quarts de siècle, on procèdera à un recensement général, en règle, de la population.

436 Et, par conséquent, l’article 95 de la Constitution de la deuxième République. 437 Être né au Liban ou y avoir séjourné pendant un nombre raisonnable d’années, y disposer d’un domicile, etc.

b) La remise sur rails, après l’avoir révisé et complété, du projet de loi civile facultative sur le statut personnel. Tout citoyen devra jouir 438 de la liberté d’appartenir légalement à la communauté de droit public que cette loi instituera et dont le mode d’organisation sera convenablement défini.

c) Une nouvelle division administrative du pays, portant approximativement au double le nombre des départements actuels. On veillera à préserver, dans la mesure du possible, la mixité communautaire et, en même temps, à donner aux grandes communautés des assises régionales, rendant impraticable la mutation de la déconfessionnalisation en discrimination camouflée de certaines communautés par d’autres. Théoriquement contradictoires, ces deux exigences ne semblent pas très difficiles à raccorder sur le terrain: la proportion de telle ou telle communauté ne sera plus dans tel ou tel nouveau département ce qu’elle était dans l’ancien; mais la mixité pourra, en règle générale, être préservé.

d) Une nouvelle loi électorale, d’où la distribution confessionnelle des sièges sera absente. Les circonscriptions électorales coïncideront avec les nouveaux départements. La règle proportionnelle439 sera appliquée après qualification au niveau du caza. L’inscription sur la liste d’électeurs se fera, optionnellement, sur la base du lieu de domicile effectif. Cette liste devenant distincte du registre d’état civil, le transfert de ce dernier ne sera plus requis. L’égalité des chances d’accès aux medias sera garantie pour tous les candidats. Un plafond sera fixé pour les dépenses électorales et un mécanisme de contrôle sera instauré. Des ONG spécialisées seront autorisées à surveiller, sous tous leurs aspects, l’ensemble des opérations électorales; leurs rapports devront être rendus publics. Le recours actuellement en vigueur au conseil constitutionnel sera préservé. Les émigrés libanais ayant conservé leur nationalité seront appelés à exprimer leur vote au consulat libanais le plus proche de leur lieu de

438 Sans préjudice pour ses croyances personnelles en matière de religion. 439 Dont il faudra définir les modalités de fonctionnement et les implications pour l’organisation politique de la société.

domicile. Une révision du nombre de sièges attribués à chaque circonscription sera effectuée, avant chaque échéance électorale, en fonction de l’évolution du nombre d’électeurs inscrits. Enfin une loi déterminera la composition et le mode d’élection du Sénat dont les sièges seront, conformément à l’Accord de Taef, distribués au prorata des communautés.

e) La déconfessionnalisation des trois présidences et des postes ministériels ; le pouvoir exécutif étant maintenu entre les mains du Conseil des Ministres. Cette mesure devra être assortie de la réduction du mandat du Président de la Chambre et de l’allègement des conditions autorisant le Conseil des Ministres à dissoudre la Chambre. Il faudra par ailleurs envisager la possibilité de faire élire le Président de la République par les deux chambres réunies en Congrès et/ou de la possibilité de donner au Sénat la latitude de s’opposer à un choix de la Chambre jugé dangereusement sectaire. Conjuguées avec une réforme du pouvoir judiciaire, visant à assurer l’indépendance de celui-ci et, par conséquent, comportant nécessairement sa déconfessionnalisation, ces mesures constitueront les préliminaires indispensables d’un dépassement de la double définition440 des Pouvoirs. La séparation de ceux-ci ne sera plus alors un vain mot.

f) Des mesures pour rendre effective la déconfessionnalisation de la Fonction publique. Il est à prévoir que les chrétiens continuant de jouir d’un avantage comparatif réel, quoique décroissant, quant à la qualité de leurs formations, le risque, pour eux, de se voir marginalisés, au niveau des postes pourvus par concours, sera bien minime. Toutefois la déconfessionnalisation devra être étendue aux postes de première catégorie. Le pourvoi de ces derniers (et d’autres postes de direction) se fera à la suite d’appels à candidature. Les dossiers déposés seront accessibles au public par l’intermédiaire des medias et d’ONG spécialisées. Ils devront être examinés, en première instance, par des jurys spéciaux de haut niveau et indépendants. Le Conseil des Ministres devra, le cas échéant, justifier publiquement sa dérogation aux recommandations d’un jury.

440 Constitutionnelle et extraconstitutionnelle.

g) Une préparation sociale axée sur le renforcement du lien national. Au niveau politique, on devra débloquer la réflexion sur la Guerre de 1975-1990 et ses prolongements, cette réflexion étant la voie obligée vers une véritable réconciliation nationale. Une nouvelle loi sur les partis politiques devra être promulguée, qui favorisera la formation de partis susceptibles d’échapper aux exclusivismes communautaires. Plus importante encore est la limitation du parasitage de l’État par les organisations politiques cultivant le confessionnalisme: parasitage qu’incarne le clientélisme et la politique de quotas communautaires appliquée aux services publics. Le financement des organisations politiques devra faire l’objet d’un contrôle strict, visant surtout à juguler, par le tarissement de ses moyens, l’immixtion étrangère dans la structuration et la conduite politiques de la société. Dans les ONG menant une activité sociale ou culturelle, la mixité intercommunautaire fera l’objet de mesures gouvernementales d’encouragement et les sources de financement, d’un contrôle adéquat. Les mêmes principes de convivialité guideront le développement et la réforme de l’enseignement public441. Il en ira de même de la politique de l’État dans divers autres domaines: habitat, information, culture, etc.

Mais si la déconfessionnalisation est devenue un objectif national il n’en demeure pas moins qu’elle rencontre encore de nombreux obstacles.

441Regroupement non-ségrégatif des écoles, distribution des enseignants sans égard pour les appartenances communautaires, déghettoisation de l’Université Libanaise, etc.

Titre Second – Les obstacles au processus de déconfessionnalisation.

Il est possible et nécessaire de débarrasser la vie politique libanaise et, par voie de conséquence, les institutions des contraintes confessionnelles auxquelles elles sont soumises. Il en va de la survie du pays.

Mais la question qui se pose reste celle de la faisabilité. Les libanais ont-ils en effet les moyens de leurs ambitions, voire même se donnent-ils les moyens d’accomplir les changements nécessaires ? Sont-ils prêts à retrousser leurs manches pour sortir leur pays de l’ornière du confessionnalisme ou préfèrent-ils se complaire dans un statu quo ?

Ignorent-ils que l’on ne peut bâtir une nation sur un malentendu, et encore moins sur un statu quo ? Si la possibilité et la nécessité d’un changement existent, peut-on en dire autant du plus important, et sans lequel rien n’est possible, à savoir la volonté politique ?

On constate, en tout état de cause, une forte contradiction entre les pratiques institutionnelles et les dispositions constitutionnelles concernant le processus de déconfessionnalisation (Chapitre premier). Processus également mis en péril par un environnement idéologique et géopolitique défavorable (Chapitre second).

Chapitre premier – Des dispositions constitutionnelles et des pratiques institutionnelles contradictoires.

« On ne doit jamais confondre la religion avec l’Etat : la religion est la société de l’homme avec Dieu ; l’Etat est la société des hommes entre eux. Or, pour s’unir entre eux, les hommes n’ont besoin ni de révélation, ni de secours surnaturels ; il leur suffit de consulter leurs intérêts, leurs affections, leurs forces, leurs divers rapports avec leurs semblables ; ils n’ont besoin que d’eux-mêmes »442. C’est ainsi que le citoyen Portalis s’était exprimé pour justifier le Concordat.

Les libanais sont-ils prêts à s’émanciper du poids de la religion ? Sont-ils prêts à mettre la religion de côté lorsqu’il s’agit des rapports des hommes entre eux ?

Sont-ils enfin prêts à reprendre pour leur compte l’affirmation d’Eugène Fournière443 faite au lendemain de l’adoption, en France, de la loi portant séparation de l’Eglise et de l’Etat ?

« Pour notre compte, écrit-il, et pour celui de toutes les nations d’Europe qui aspirent à la liberté politique et à la justice sociale, nous tentons en France une expérience inouïe. Nous voulons fonder l’ordre politique, social et moral sur la raison, la science et la délibération. Nous avons brisé toutes le traditions et nous sommes plus libérés et dénués de tout que les premiers pionniers d’Amérique, qui du moins avaient emporté leur bible avec eux. Notre école est sans Dieu et notre village sans prêtre. Nous avons pour règle unique la conscience individuelle ouverte à toutes les critiques et pour unique régulateur le Code pénal ».

442 Discours, rapports et travaux inédits sur le Concordat de 1801, Paris, 1845, p. 86. Le texte appartient au Rapport du citoyen Portalis, conseiller d’Etat, chargé de toutes les affaires concernant les cultes, devant le corps législatif, sur les articles organiques de la convention passée à Paris, le 26 messidor an IX, entre le Gouvernement français et le Pape. 443 Eugène FOURNIERE, La crise socialiste, Paris, 1908, p. 353.

Entendre de telles paroles dans la bouche d’un homme politique au Liban aujourd’hui relève, sans être ironique, de la science-fiction. Nul ne peut tenir de tels propos sans s’attirer aussitôt les foudres de ceux, très nombreux, qui sont allergiques à toute idée progressiste.

En définitive, pour faire aboutir la déconfessionnalisation des institutions au Liban, il n’est nul besoin d’être anticlérical. Il faut savoir avancer sans attiser les susceptibilités confessionnelles.

Une réaction identique à celle de la contre-révolution française n’est pas à écarter. Il est vrai qu’un changement aussi radical dans une société aussi traditionaliste ne peut être opéré sans susciter une méfiance quasi-épidermique.

La pensée de la contre-révolution peut très bien être résumée par les propos de Stéphane Rials qui évoquait Joseph de Maistre en ces termes : « ce qu’il conteste le plus durement dans le constitutionnalisme à prétention rationnelle des jacobins, ce n’est pas tant la quête violente d’une uniformisation illusoire ou le mépris des règles d’expérience éprouvée, que l’orgueil proprement anti-divin d’une démarche qui consiste à vouloir reconstruire l’homme social et politique à partir des seules lumières de la raison ».

D’ailleurs l’attitude de la contre-révolution, en France, trouve, parfois, des échos dans les Etats musulmans. Le raisonnement est, toujours, aussi simple et aussi radical : une vérité énoncée par la religion ne peut être découverte, et encore moins contestée, par la raison. Il en découle une subordination de la raison à la religion.

Dès lors, la constitution est soit inutile, parce qu’elle ne peut innover, soit tout au plus d’intérêt limité parce qu’elle ne fait que reproduire les prescriptions religieuses ou au mieux s’en faire l’écho. En d’autres termes, il ne peut y avoir de prescriptions constitutionnelles ou juridiques en dehors du cadre fixé par la religion.

La situation n’est certes pas identique au Liban où il n’existe pas de religion d’Etat et où la raison est censée prédominer. L’omniprésence de la religion persiste néanmoins dans le fonctionnement des institutions ainsi que dans la conscience collective. Le sentiment d’appartenance à telle ou telle communauté reste très affirmé.

Même les plus grands écrivains libanais tels que Gibran Khalil Gibran ou Amine Rihani se sont attirés les foudres de l’Eglise pour avoir osé critiquer son prestige444.

La déconfessionnalisation des institutions libanaises se heurte ainsi à deux obstacles majeurs ; d’une part, le Liban évolue dans un environnement idéologique et géopolitique défavorable et, d’autre part, les dispositions constitutionnelles relatives à la déconfessionnalisation et les pratiques institutionnelles restent pour le moins contradictoires.

La Constitution libanaise contient plusieurs dispositions relatives à la déconfessionnalisation. Ces dispositions sont en grande partie inspirées de l’accord de Taëf445. La Constitution de la

444 Le meilleur exemple à cet égard est la nouvelle écrite par Gibran intitulée « Khalil alKafer » que l’on peut traduire par « Khalil le blasphémateur » ; ainsi que le livre intitulé « al mekari wal kahin » de Rihani, que l’on peut traduire par « le maquignon et le curé ». 445 En effet, dans son volet relatif aux réformes politiques, l’accord de Taëf érige l’abolition du confessionnalisme politique en objectif national primordial qui doit s’effectuer par étapes dont la première est « la suppression de la règle de la représentation confessionnelle dans les administrations, dans la magistrature, dans les institutions militaires et sécuritaires, à l’exception des postes de la première catégorie ou équivalents, dans les institutions, mixtes ou les offices autonomes, ces postes de première catégorie devant être répartis à égalité entre chrétiens et musulmans, sans toutefois qu’un poste soit exclusivement réservé aux uns ou aux autres ». L’autre étape étant celle de la « suppression de la mention relative à l’appartenance communautaire et au rite sur les papiers d’identité » (Voir le journal « L’Orient le Jour » du 24 octobre 1989). Il est à noter que

deuxième République libanaise n’a fait que retranscrire les recommandations faites par ce document dit « d’entente nationale ». Mais pour ce qui concerne l’application de ces recommandations, les responsables tant politiques que communautaires n’éprouvent aucune urgence.

Notons que les pratiques institutionnelles contredisent fortement les dispositions constitutionnelles visant la déconfessionnalisation. C’est que le sentiment d’appartenance confessionnelle est tellement enraciné dans les mentalités qu’il empêche la création de véritables partis politiques (Section I) et annihile toute volonté d’émancipation du fait religieux (Section II).

Section –I- Absence de partis politiques

On définit un parti politique comme étant une organisation qui rassemble des citoyens unis par une philosophie ou une idéologie commune ayant pour but de promouvoir et de mettre en œuvre un projet politique commun446. Qu’ils soient des partis « de cadres », des partis « de masse » ou des partis « d’électeurs », le rôle essentiel des partis politiques est de participer à l’animation de la vie politique.

Au Liban, ces « partis » qui sont censés être les intermédiaires entre le peuple et le pouvoir ne le sont pas447. Au lieu de remplir leur fonction de direction pour mettre en œuvre un projet global de société, on les voit engagés dans une voie utilitariste en opposition à la voie

seule la suppression de la mention d’appartenance confessionnelle a été effectuée, le sujet suscitant moins réticences car ne touchant pas aux prérogatives essentielles des communautés. Pour le reste, les réformes tardent à venir et les différents protagonistes semblent se complaire dans un statu quo qui permet un fonctionnement minimal des institutions. 446 Voir à cet effet l’ouvrage de Jean-Pierre LASSALE, Les partis politiques aux Etats-Unis, P.U.F., 1996. 447 C’est du moins l’avis de Lara Saadé, LIBANOSCOPIE du 17 mai 2006, Les partis politiques au Liban sont ils des “partis " ?

doctrinale et ne sont plus, comme l’a bel et bien dit Jean Baudouin448, « des lieux de débats mais de véritables entreprises chargées de promouvoir des spécialistes de la conquête du pouvoir ».

Dans un ouvrage publié en 1998, comportant les résultats d'une recherche collective et les actes des 10e et 11e séminaires organisés par la Fondation libanaise pour la paix civile permanente, en coopération avec la Fondation Konrad Adenauer, le professeur Antoine Messarra 449 , coordinateur de la recherche, souligne dans l'introduction que « poser le problème des partis politiques à un moment où les Libanais ne sont pas encore guéris des partis 450 c'est pénétrer au coeur de la construction démocratique d'après-guerre. Cette construction, si nécessaire pour la survie du Liban pluraliste que nous connaissons, est menacée. Dans le Liban d'aujourd'hui, la participation politique, pourtant indispensable à la reconstruction dans tous les domaines, est en crise, pour plusieurs raisons, après plusieurs années de mobilisation politicienne, de militarisation milicienne effrénée, d'illusions et de désillusions, autant libanaises qu'arabes ».

Les partis et leurs organisations militaires ou paramilitaires ont rempli en effet, par le passé, des fonctions, ou ont été acculés malgré eux à les remplir, mais la garantie de l'avenir ne peut se fonder sur la reproduction de structures qui transforment le Liban en un prêt-à-porter conflictuel.

Une triple menace justifie la réflexion en profondeur sur les partis :

1. La société civile, formée principalement des associations non directement liées à l'appareil étatique, y compris les associations primaires (famille, tribu, communauté...), ne peut à elle

448 Pierre Baudouin, Les idées politiques contemporaines, Presse Universitaire de Rennes, coll. « Didact science politique », 2002. 449 Partis et forces politiques au Liban. Engagement et stratégie de paix et de démocratisation pour demain, Beyrouth, Librairie Orientale, 1998. 450 Les années de guerres ayant saccagé et discrédité les partis, eux-mêmes victimes d'une conflagration qui au fond les dépasse.

seule protéger la démocratie qui risque d'être de plus en plus érodée par un Etat qui, en raison d'une conjoncture régionale, n'est pas maître de ses décisions.

2. L'inégalité dans la représentation partisane au Parlement doit être compensée par d'autres groupements afin d'éviter ses répercussions sur les équilibres libanais fondamentaux.

3. La continuation du système des partis sur des clivages exclusivement communautaires offre le terrain fertile à la confessionnalisation de tous les problèmes à l'avenir et à la reproduction de la guerre, dans sa dimension interne, par les mêmes moyens. De grandes organisations partisanes ont vécu et persisté, en alimentant la peur et la prétention à protéger les Libanais contre un danger qui provient de l'autre et à récupérer des droits de l'autre. Il est normal et démocratique que dans une société multireligieuse, il y ait des organisations confessionnelles qui expriment des intérêts légitimes de leurs adhérents, mais il n'est pas normal que dans une société où les relations intercommunautaires sont solides, grâce aux traditions de convivialité, à l'exiguïté du territoire et aux intérêts culturels et socio-économiques enchevêtrés, que des partis communautaires accaparent la scène publique et usurpent d'autres types d'intérêts. Le danger majeur pour le Liban réside moins dans le confessionnalisme, que dans la politique confessionnelle d'une élite partisane au sommet.

Même si la plupart des partis politiques libanais affirment aujourd'hui être opposés, soit au confessionnalisme politique, soit au confessionnalisme dans son ensemble, peu de mesures concrètes ont été mises en branle pour faire reculer le mode de structuration confessionnaliste451. On peut croire que cela est lié au fait que la grande majorité des partis politiques libanais recrute le gros de leur clientèle politique à l'intérieur d'une communauté- confession précise. A titre d'exemple, le Parti socialiste progressiste, malgré son discours en faveur d'une totale laïcisation de la vie politique libanaise, recrute principalement sa clientèle à l'intérieur de la communauté druze; le Hezbollah à l'intérieur de la communauté chiite alors que le Parti phalangiste se compose surtout de maronites. Cela étant dit, ces clivages confessionnels n'expliquent pas à eux seuls la politique libanaise. En effet, d'autres clivages se superposent à ceux-ci. Notons, par exemple, les divisions régionales — Nord, Sud, Centre

451 Quelques essais de sécularisation ont été tentés mais ont systématiquement échoué : nous pensons ici aux tentatives d'instauration d'un mariage civil ou d'un statut personnel civil non obligatoire.

(Mont-Liban), Békaa…—; quasi tribales — certaines familles, parfois d'origines très anciennes, regroupent une clientèle politique presque captive : nous pensons ici aux familles Assad, Frangié, Gemayel, Karamé, Khazen, Joumblatt... —; et idéologiques.

Il n’est pas possible de se baser sur les concepts traditionnels de la gauche et de la droite pour classer les partis libanais452. De même qu’il apparaît difficile de les classer en partis de cadres ou en partis de masse dans la mesure ou la plupart de ceux qui s’élèvent contre les structures du régime en place se considèrent généralement comme des partis de masse.

Par contre, un classement basé sur la doctrine du parti et son attitude vis-à-vis du nationalisme libanais peut être pris en considération. En effet la doctrine d’un parti s’analyse à partir de documents programmes mais également à partir de ses prises de positions dans la vie politique libanaise et face au Monde arabe, à l’Occident et au conflit arabo-israélien. Basé sur ces critères, l’analyse des partis politiques libanais fait apparaître plus clairement ceux qui réfutent toute idée de nationalisme liabanais, ceux qui optent sans réserve pour ce principe et ceux qui prônent un nationalisme arabe qui a une étendue géographique déterminée et englobe une histoire et des systèmes de valeur différents. A partir de ces éléments on peut, pour simplifier le problème, parler de partis pour ou contre le système politique établi.

1. Les partis soutenant les structures de l’Etat

Les Phalanges libanaises453 ont été fondées en 1936 par Pierre Gemayel, George Naccache (journaliste) et Charles Hélou (ces deux derniers quitteront rapidement la formation). Le mouvement s'oppose alors à la présence de la France au Liban. Il collabore notamment avec le groupe sunnite al-Najjadah en 1943 pour obtenir l'indépendance.

452 On parle d’équivalence entre la gauche, le progressisme et l’islam d’un côté et entre la droite, le révisionnisme et la chrétienté de l’autre, alors qu’il s’est avéré que rien n’est plus faux. .Al Kataëb Al Lubnaniyya الكتائب اللبنانية 453

Les phalanges font prévaloir une idéologie multiconfessionnelle dans un cadre national unitaire se réclamant plus des anciens Phéniciens, l'un des premiers peuples du Liban, que des Arabes. En pratique, les phalanges sont un mouvement maronite et considéré comme tel par la majorité des musulmans libanais. Bien que nationaliste et conservateur, la formation prône un État démocratique avec une forte participation chrétienne.

Le Parti socialiste progressiste454 est un parti politique libanais. Il a été fondé en 1949 par le chef druze Kamal Joumblatt. Celui-ci meurt en 1977, très probablement assassiné par l'armée syrienne, suite à la découverte d'un projet soupçonné de Joumblatt portant sur l'assassinat de chrétiens des montagnes libanaises. C'est son fils Walid qui lui a succédé à la tête du parti.

Bien que le parti soit officiellement laïc, il représente majoritairement la communauté druze. Il est membre de l'Internationale socialiste. Aujourd'hui, le parti se considère comme anti- syrien et pro-occidental.

Le parti national libéral 455 est un parti politique libanais créé par le président Camille Chamoun qui l'a dirigé jusqu'à sa mort en 1987. Son fils Dany lui succède jusqu'à son assassinat en 1990. L'autre fils de Camille, Dory, prend la place de son frère et est encore aujourd'hui le chef du parti.

Le parti se dit laïc. Néanmoins, il est à grande majorité chrétienne et a pris part à la guerre du Liban dans le camp chrétien contre les milices palestiniennes de l'OLP et leurs alliés libanais.

.الحزب التقدمي االشتراك ,PSP 454 .Hizbu-l-waTaniyyīni-l-aHrār حزب الوطنيين األحرا 455

Le Parti Démocratique Libanais est un petit parti politique libanais prosyrien, fondé et présidé par l’ancien député et ministre druze Talal Arslan. Ce parti est populaire auprès d’une certaine frange de la population – notamment druze – du Mont-Liban, mais sa force reste incomparablement inférieure à celle du Parti Socialiste Progressiste du rival historique de la famille Arslan, Walid Joumblat.

Les Najjadé est un parti politique libanais fondé dans les années trente. Il fut à l'époque populaire au sein de la communauté sunnite, notamment à Beyrouth. En 1943, pendant quelques semaines, le parti a été unifié avec son rival maronite, le parti Kataëb de Pierre Gemayel, afin de montrer l'unité libanaise réclamant l'indépendance du pays à l'égard de la France. Adnan Hakim, fondateur du parti, a été député sunnite de Beyrouth entre 1968 et 1972.

En 1975, les Najjadé ont refusé de prendre part à la Guerre du Liban, ce qui a entraîné l'érosion de leur base populaire. Aujourd'hui le parti se résume à une petite organisation, sans réelle base populaire.

Le Mouvement du Renouveau Démocratique 456 est un mouvement politique fondé en juillet 2001, par une cinquantaine d’hommes politiques, intellectuels, journalistes et universitaires libanais. Figurent parmi les membres fondateurs Nassib Lahoud, qui occupe depuis 2001 la présidence du mouvement, Bassem Jisr (vice-président entre 2001 et 2005), Misbah Ahdab (vice-président depuis 2005), Antoine Haddad (secrétaire général du mouvement), Camille Ziadé, Nadim Salem, Wafic Zantout, Mona Fayad, Ziyad Baroud et Malek Mroué.

.حركة التج ّدد الديمقراطي 456

Le Mouvement du Renouveau Démocratique est une formation politique en phase de construction. Il représente un cadre de travail politique dont le but est de dégager un espace libanais de libertés et de démocratie, et de créer un espace civil aconfessionnel dans la société libanaise. Son but est la réforme continue de la vie politique libanaise par une approche de la citoyenneté et une réhabilitation du politique qui engagerait le pays sur la voie de la justice et de la modernité, tout en reconstruisant la souveraineté et l'indépendance de l'Etat. Pour ce faire, le Mouvement du Renouveau Démocratique cherche à influer sur l'ensemble des politiques nationales intéressant la société libanaise au travers d'une intervention active et ciblée visant l'enrichissement du débat public en vue de l’émergence d’un discours laïc, moderne et modéré.

Le mouvement de la gauche démocratique 457 est un parti politique libanais fondé en septembre 2004. Il est né d'une scission avec le parti communiste libanais due à l’abandon des idées marxistes. Il est formé d'intellectuels de la gauche libanaise, anciens communistes, qui ont abandonné les idées marxistes. Le parti attire aussi des étudiants. Il préconise le style européen de la social-démocratie visant à réduire le fossé entre riches et pauvres tout en respectant l'économie de marché.

Le MGD, faisant parti du Bloc du 14 mars, possède un siège à l'assemblée nationale, celui du député Elias Atallah. Le 2 juin 2005, dans un attentat à la voiture piégée, le journaliste , co-fondateur du MGD, est victime d'un attentat qui lui coûta la vie.

Les Forces libanaises458 sont un parti politique, ancienne milice chrétienne, qui joua un rôle majeur dans la guerre civile qui ravagea le Liban de 1975 à 1990. Quand la guerre civile fut terminée, le mouvement se transforma en parti politique avant d'être interdit en 1994 et de voir les activités de ses militants sévèrement réprimées par les gouvernements prosyriens

.ĥarakatu-l-yasāri-d-dimuqrātī ,حركة اليﺴاﺭ الدﻳﻤوﻗراﻃي ,MGD 457 .القوات اللبنانية 458

jusqu'à « la révolution des cèdres » qui conduisit au retrait des troupes syriennes en 2005. Le mouvement est officiellement laïc, mais dans les faits il a toujours été supporté par les chrétiens uniquement, et plus spécialement par les Maronites.

Le Henchak459, parti social-démocrate arménien, est l'un des principaux partis politiques représentant la communauté arménienne. Au Liban, le Henchak a été historiquement proche des partis de gauche, particulièrement du Parti socialiste progressiste, et a montré de la sympathie à l'égard de la cause palestinienne. Durant les affrontements de 1958, le Henchak s'est allié à l'ancien Premier ministre Saëb Salam, Kamal Joumblat et les autres partis de gauche, contre l'alliance de droite entre le Président Camille Chamoun, les Kataëb et le Dashnak (Tachnag), l'autre grand parti arménien.

Les Gardiens des Cèdres est un parti nationaliste libanais et une milice qui a pris part à la Guerre du Liban, sous le leadership d’Etienne Sacr (connu sous son pseudonyme Abou-Arz). Le parti se déclare comme laïc, bien que ses positions le rapprochent beaucoup du maronitisme politique et intellectuel radical.

La milice fut créée dans les quelques années précédant le déclenchement de la guerre civile au Liban en avril 1975. En septembre 1975, les Gardiens des Cèdres rendent public leur premier Communiqué opposé à la partition du Liban, puis le second Communiqué annonça la position anti-palestinienne radicale du parti. Les Gardiens des Cèdres sont profondément opposés à l’arabisme et à l’identité arabe du Liban et intègrent en 1976, le Front libanais, regroupant les partis de la droite chrétienne libanaise.

459 autres orthographes: Henchag, Hentchak, Hentchag, Huntchag.

La «Fédération révolutionnaire arménienne» 460 est un parti politique arménien. Le Dashnak fut fondé en 1890 à Tiflis (actuelle Tbilissi en Géorgie), en tant qu'organisation nationaliste et sociale-démocrate. Ses fondateurs étaient le marxiste Christofor Mikaelian, le populiste Rostom Zarian et le bakouniniste Simon Zavarian. Leur objectif est l'émancipation de l'Arménie ottomane. Le Dashnak n'appelait pas à l'indépendance, mais à des réformes. C'était néanmoins une organisation révolutionnaire, qui organisa des actions armées. La plus connue est l'occupation de la Banque ottomane à Constantinople en 1896. Cette même année, le Dashnak participe comme observateur au quatrième Congrès de la Deuxième Internationale Socialiste et y présente son programme461. Le Dashnak est aujourd’hui un parti jouissant d’une grande influence au sein des arméniens libanais.

Le Courant patriotique libre462 est un mouvement politique libanais fondé en 1992 par le général Michel Aoun, alors en exil en France. La naissance du Courant s'est faite dans une conjoncture délicate au Liban autour de plusieurs thèmes : la résistance à l'offensive militaire syrienne, la libération, le retour à l’Etat de droit et la reconstruction de la nation libanaise. Nombreux sont les libanais exilés en France en 1990, toutes confessions confondues, qui avaient contribués à la création du parti. Le Courant patriotique libre a perdu de sa crédibilité et bon nombre de ses militants à cause de son alliance toute récente avec le Hezbollah ouvertement prosyrien.

Le Courant du Futur463 est un mouvement politique fondé par l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri. Il est dirigé depuis l'assassinat de ce dernier par son fils, Saad Hariri. Le Courant du Futur est la principale composante de l'Alliance du 14 Mars et dispose depuis les élections parlementaires de 2005 du plus grand bloc parlementaire (36 députés sur les 128 qui

460 Hay Heghapokhakan Dachnaktsoutioun, en abrégé Dashnak ou Dachnak. 461 Gaïdz Minassian, Guerre et terrorisme arménien, Presses universitaires de France, 2002 (ouvrage issu d'une thèse de doctorat en sciences politiques). Yves Ternon, Les Arméniens - Histoire d'un génocide, Seuil, Points Histoire, Paris, 1996. .Al Tayyar Al Watani Al Horr - التياﺭ الوطني الحر - CPL 462 .Tayyar Al Mustaqbal ,تياﺭ الﻤﺴتقبل 463

composent le Parlement libanais). Le premier ministre (actuel premier ministre) et de nombreux autres ministres sont issus du Courant du Futur.

Actuellement, deux tendances coexistent au sein du mouvement, les partisans de Saad Hariri, majoritaires et pro-occidentaux, et les partisans de sa tante Bahia plus consensuels à l'égard de la Syrie.

Marada est un parti politique du Liban et une ancienne milice. Il est dirigé par Soleimane Frangié Jr. Il regroupe des maronites des montagnes du nord du Liban, qui se considèrent comme les descendants des Mardaïtes. El-Marada, n'est plus aujourd'hui une "milice". Il est devenu, comme les Forces libanaises, un parti politique. Il est proche du bloc de la résistance et du développement, le bloc prosyrien, avec entre autres le Hezbollah, Amal, le parti social nationaliste syrien, et s’est allié à Michel Aoun au sein du bloc de la réforme et du changement.

Le Bloc National est un parti politique libanais fondé en 1947 par l’ancien Président de la république Émile Eddé. A la mort de ce dernier, son fils, Raymond Eddé, ancien ministre et député, en prend la présidence. Le Bloc National s’est opposé à l’accord du Caire de 1969 qui a autorisé les actions militaires lancées par les Fedayins palestiniens contre Israël à partir du territoire libanais. Refusant de prendre part à la guerre civile, le Bloc National s’est opposé aussi bien à l’occupation syrienne qu’à l’occupation israélienne.

Présent particulièrement au sein de la bourgeoisie chrétienne modérée et chez les avocats, ce parti connaît des soubresauts depuis le décès de Raymond Eddé en 2000. Au poste de « Amid » (doyen), lui a succédé son neveu, Carlos Eddé, inconnu dans la politique libanaise et ayant vécu précédemment au Brésil. De nombreux cadres ont quitté depuis le parti. Le Bloc

National fait partie aujourd’hui de l’alliance du 14 mars, lancée après l’assassinat de Rafiq Hariri.

Amal464, fondé le 20 janvier 1975 est une milice du mouvement des dépossédés créée par l'imam Moussa Sader. L'acronyme Amal est généralement utilisé pour désigner le mouvement et signifie espoir en arabe. Amal est devenu l'une des plus importantes milices musulmanes durant la guerre civile libanaise. Il s'est fortement développé, de part ses liens très forts avec le régime islamique d'Iran, et les 300 000 réfugiés internes chiites du Liban Sud après les bombardements israéliens du début des années 1980. Son Chef Nabih Berri est aujourd’hui le Président de la Chambre des députés.

2. Les partis contre les structures de l’Etat

Le Parti social nationaliste syrien465, connu aussi sous le nom donné par la France de Parti populaire syrien (PPS) ou de Saadiste ou encore au Liban de Parti nationaliste, est un parti politique laïc créé en 1932 à Beyrouth qui préconise une grande nation syrienne.

Territorialement, cette vision de la Syrie comprend le Liban, la Syrie, la Palestine, la Jordanie, l'Irak, le Koweït, Chypre en plus du Sinaï en Égypte, la Cilicie en Turquie et Chatt-el-Arab en Iran. Elle considère qu'il n'existe que quatre nations arabes, dont la Syrie. Les autres étant l'Arabie, l'Égypte et le Maghreb. Le PSNS est responsable de deux tentatives de coup d'État : en juin 1949 et le 31 décembre 1961.

.acronyme arabe d'afwâju l-muqâwamati l-lubnâniya, détachements libanais de résistance ,أمل 464 .الحزب الﺴوﺭي القومي االجتﻤاعي ,PSNS 465

À l'instar d'autres partis, le PSNS établira sa milice et prendra part aux combats durant la guerre libanaise.

Le parti Baas466 est créé en 1947 à Damas et a pour but l'unification des différents États arabes en une seule et grande nation.

Après de nombreux événements (dont la scission du parti en deux et l'exil de ses fondateurs), le Baas arriva au pouvoir en Syrie (1963-1966 puis de 1970 jusqu'à nos jours) et en Irak (1963, chassé la même année puis de 1968 à 2003). Cependant, l'idéologie originelle n'est plus qu'un lointain souvenir pour ces deux branches du Baas.

La doctrine baassiste combine socialisme arabe et nationalisme panarabe. La laïcité est un autre pilier du Baas. , figure historique, reconnaît la place prépondérante de l'Islam dans l'essor de la nation arabe, mais pense que seul un état laïc permettra de regrouper toutes les composantes d'une nation arabe très divisée sur le plan confessionnel. La devise du parti Wahdah, Hurriyah, Ishtirrakiyah signifie « unité, liberté, socialisme ». « Unité » se rapporte à l'unité panarabe, « liberté » souligne la liberté vis-à-vis des intérêts occidentaux en particulier, et « socialisme » fait référence spécifiquement au socialisme arabe opposé au marxisme, se fondant sur la personne (et non l'individu).

Le Mouvement du Peuple est un parti politique libanais, créé en 2000, par l'ancien député Najah Wakim et un groupe d'intellectuels, de journalistes et de syndicalistes des mouvances de la gauche radicale et du nationalisme arabe.

.« renaissance » ,البعث 466

Le Mouvement du Peuple s’est particulièrement opposé aux politiques économiques de Rafiq Hariri et du Courant du Futur et adopte des positions alter-mondialistes, anti- américaines et anti-israéliennes radicales. Aujourd'hui, le Mouvement se place dans l'opposition prosyrienne sur l'échiquier politique libanais, en totale opposition à la majorité parlementaire issue de l'Alliance dite du « 14 Mars » et construit une alliance avec le Hezbollah, le Courant Patriotique Libre et le parti nationaliste social syrien.

Le Mouvement du Peuple jouit d'une certaine popularité au sein de la jeunesse, notamment à l'Université Américaine de Beyrouth, mais celle-ci est bien inférieure à celle enregistrée lors des premières années d'existence du mouvement, au début des années 2000. Le Mouvement n'est plus représenté au Parlement depuis 2000, après l'échec de Wakim aux élections de 2005 et son retrait cinq ans plus tôt.

Les Mourabitoun467, Mouvement Nassérien Indépendant, est un parti qui s’est développé durant la Guerre du Liban, dirigé par Ibrahim Qoleilat. Ce mouvement nationaliste arabe fut largement un mouvement sunnite, bien qu’au plus fort de son implication dans la guerre, ses 3000 combattants comprenaient aussi des druzes et des chiites. Les Mourabitoun furent membre du Mouvement national dirigé par Kamal Joumblat et allié aux forces palestiniennes au Liban, opposés aux milices chrétiennes. Ils prirent part aux batailles de Beyrouth Ouest, Saïda et Tripoli.

La Jamaa Islamiya est un groupe politique islamiste de la mouvance des Frères musulmans, présents dans de nombreux pays musulmans. Ils se sont installés au Liban à partir de 1952, durant le séjour en exil à Beyrouth de Moustapha Sabaï, superviseur général des Frères musulmans syriens, durant le régime de Adib Chichakli. L'idéologie islamiste s'est alors répandue dans plusieurs villes sunnites du Liban, notamment Tripoli, avec l'apparition de figures charismatiques locales, parmi lesquelles l'ancien député fondamentaliste Fathi Yakan.

467 Les Sentinelles.

Le Hezbollah468 fondé en juin 1982 est un mouvement politique chiite libanais possédant une branche armée qui est à son origine et qui fut créée en réaction à l'invasion israélienne du Liban en 1982, en s'appuyant sur un financement iranien et syrien.

Les "Ahbach"469 ou plus exactement l'Association des Projets de Bienfaisance Islamiques est une organisation religieuse musulmane et sunnite fondée en 1930 au Liban par le cheikh Ahmad al-'Ajuz.

Le Parti Communiste Libanais fut créé, le 24 octobre 1924, par un groupe d’ouvriers et d’intellectuels dans la ville de Hadath dans la banlieue sud de Beyrouth. Il prit le nom de "Parti du peuple" avant de rejoindre le Komintern en 1927 après avoir changé de nom. Il deviendra le "Parti Communiste". Le parti était le parti des communistes libanais et syriens, et il fut divisé en 1964 en Parti Communiste Libanais et Parti Communiste Syrien. Il participa a la Grande Révolution Syrienne en 1925, et ses dirigeants furent arrêtés et son journal interdit. Le parti entre dans la clandestinité jusqu’en avril 1930 : date du deuxième congrès du parti. Son influence aujourd’hui est assez limitée. Son projet politique pour le Liban est le suivant :

=> La suppression du confessionnalisme politique et autre ;

=> La réforme socio-économique dans le but d’asseoir la justice sociale ;

=> L’opposition à toutes les formes de corruption que nous trouvons dans l’administration, la justice et la sécurité et qui croissent dans le giron des quotas confessionnels ;

.« ḥizbu-llāh, « Parti de Dieu حزب هللا 468 469 Appellation péjorative qu'on trouve parfois aussi avec l'orthographe "ahbaches", "ahbash" ou "habaches".

=> Le vote d’une loi électorale démocratique sur la base de l’unification du Liban en une seule et unique circonscription, la proportionnelle, le vote à 18 ans et le renforcement du rôle des femmes en politique ;

=> La possibilité de la création d’un Sénat pour représenter les différentes confessions religieuses et politiques du pays.

Ce multipartisme effréné n’est-il pas un révélateur des divisions profondes qui traversent la société libanaise ? La présence quasi-exclusive de partis ayant une forte teinte confessionnelle n’est pas le seul obstacle à l’émancipation du fait confessionnel voulue par la Constitution libanaise, le manque de volonté politique sérieuse semble compromettre la mise en oeuvre du processus de déconfessionnalisation.

Section II- Absence de volonté politique

Au-delà des réticences des uns et des autres l’intérêt général doit triompher pour qu’enfin le Liban bénéficie d’une stabilité politique lui permettant de garantir un avenir sans tensions communautaristes.

Au Liban, comme le souligne le rapport du Comité pour l’élimination de la discrimination raciale du 10 juin 1997, il existe deux formes de confessionnalisme : le confessionnalisme concernant le statut personnel470 et le confessionnalisme politique*

* Note : Répartition des pouvoirs entre Président de la République, Premier ministre et Président du Parlement, ainsi que la répartition sur une base confessionnelle des 128 sièges au sein même du Parlement

470 Mariage, filiation et dans une certaine mesure les successions. Dans ces domaines, seul le Tribunal religieux est compétent.

Musulmans Chrétiens

Sunnites 27 Maronites 34 sièges sièges

Chiites 27 Grecs orthodoxes 14 sièges sièges

Druzes 8 Grecs catholiques 8 sièges sièges

Alaouites 2 Evangéliques 1 sièges siège

Arméniens orthodoxes 5 sièges

Arméniens catholiques 1 siège

Minorités* 1 siège

 Le terme minorités recouvre les Latins, les Syriaques (orthodoxes ou catholiques), les Chaldéens, les Assyriens (autrefois appelés Nestoriens), les Coptes et les Israélites.

A titre d’exemple, une première tentative d’introduction du mariage civil a été opérée par l’ancien Président de la République Elias Hraoui. Tentative aussitôt contrée par le lobbying religieux voulant garder un quasi-monopole en la matière. Or, au lieu de s’armer de bonne volonté pour faire aboutir ce projet, il faut souligner, non sans ironie, qu’il s’est armé de

résignation. Il y a sans doute trouvé de quoi « alléger tous les maux auxquels il n’est pas permis de remédier »471.

Car s’il est vrai qu’il est possible d’appartenir à telle ou telle religion au Liban, il n’est pas moins vrai que cette possibilité devient une obligation lorsqu’il s’agit de mariage (ou, par voie de conséquence, de divorce). Le mariage civil n’existant pas, l’adhésion à tel ou tel rite est obligatoire pour pouvoir contracter un mariage. Ceux désireux de se marier civilement n’ont qu’à s’expatrier le temps des noces.

Or, donner la possibilité de contracter un mariage civil, sans pour autant abolir le mariage religieux, aurait été un premier pas, certes timide, vers une émancipation du tout religieux.

L’adoption472, étant dans le domaine du statut personnel, obéit elle aussi aux prescriptions dogmatiques de tel ou tel culte. Ainsi, en raison de la présence de plusieurs communautés religieuses dans le pays, la pratique de l’adoption au sens français du terme ne trouve pas consensus. En droit libanais, l’adoption relève de la compétence législative et juridictionnelle des communautés religieuses reconnues par l’Etat. Soulignons que l’article 9 de la Constitution libanaise donne « aux populations, à quelques rites qu’elles appartiennent, le respect de leur statut personnel et de leurs intérêts religieux ». En ce sens, l’adoption est régie par plusieurs lois en fonction des règles de droit de la communauté religieuse à laquelle appartient l’enfant de nationalité libanaise. Ainsi, chacune des collectivités musulmane, chrétienne ou israélite a ses propres règles et coutumes reconnues par la jurisprudence.

471 Levius fit patientia quidquid corrigere est nefas : « la résignation allège tous les maux auquel il n’est pas permis de remédier » : maxime philosophique d’Horace (Odes, I, 24, 19). 472 Nous reprenons ici l’exemple de l’adoption pour illustrer un autre aspect ; celui de l’inégalité de traitement en la matière concernant les différentes confessions.

Dans les communautés religieuses musulmanes, en effet, les lois n’encouragent pas l’adoption dès lors que les liens de filiation entre l’enfant adopté et la famille adoptive ne sont pas reconnus. On utilise plutôt le terme Kafala pour traduire la prise en charge d’un enfant par une famille musulmane. Contrairement à l’adoption, cette institution renvoie à une délégation d’autorité parentale qu fait que l’Islam n’adhère pas à l’idée d’adoption : « Il n’a point fait de vos enfants adoptifs vos propres enfants. Appelez les enfants adoptifs par le nom de leur père ; considérez-les alors comme vos frères et sœurs en religion ou vos protégés »473. En matière d’adoption internationale donc, les possibilités d’adoption d’enfants musulmans au Liban sont restreintes.

En ce qui concerne les autres communautés, bien qu’existantes, les lois en matière d’adoption diffèrent également. Pour les communautés catholiques, par exemple, l’adoptant doit avoir 40 ans et plus, ce qui n’est pas requis dans le droit protestant. Les deux communautés semblent s’entendre toutefois sur les 18 ans de différence d’âge nécessaires entre l’adoptant et l’adopté. Autre exemple, la communauté catholique interdit l’adoption d’un enfant si ce n’est par deux époux. L’enfant conserve cependant, quelque soit le contexte de l’adoption, sa nationalité libanaise.

En définitive, le Liban n’autorise l’adoption que pour les membres de certaines de ses communautés et selon les lois qui les régissent474.

Un autre exemple peut être, par ailleurs, donné pour souligner le poids du fait religieux et son implication dans le fonctionnement des institutions. L’article 19 de la Constitution libanaise donne en effet « le droit de saisir le Conseil (constitutionnel) pour le contrôle de la constitutionnalité des lois au Président de la République, au Président de la Chambre des députés, au Président du Conseil des ministres ou à dix membres de la Chambre des députés,

473 Coran, Sourate 33, versets 4 et 5. 474 Nation Unies, Observations finales du Comité des droits de l’enfant : Liban. 07/06/1996. CRC/C/15/Add.54.

ainsi qu’aux chefs des communautés reconnues légalement en ce qui concerne exclusivement le statut personnel, la liberté de conscience, l’exercice des cultes religieux et la liberté de l’enseignement religieux ». C’est en se fondant sur cet article que, par deux fois, le Conseil constitutionnel fut saisi475 par le chef de la communauté druze, autrement appelé « Cheikh Akl ». Et par deux fois le Conseil a reçu son recours, les lois en question portant sur la réorganisation du Conseil confessionnel druze et sur les wakfs.

Un dernier exemple, s’il en fallait encore un, est celui de l’éducation. En 1990, l’Accord Taef, mettant fin à quinze ans de guerre civile au Liban, spécifiait que les programmes scolaires devraient être réformés pour renforcer « l’appartenance nationale, la fusion des citoyens, l’ouverture spirituelle et culturelle » et que les manuels, notamment ceux d’histoire et d’éducation civique, devraient être réécrits. Cette tâche s’est révélée particulièrement ardue et il semblerait que de nombreuses écoles aient purement et simplement abandonné l’enseignement de l’histoire. Celles qui ont continué utilisent des manuels qui n’ont pas été révisés depuis plus de trente-cinq ans, et qui s’arrêtent à la guerre d’indépendance en 1943. Résultat : pour la génération d’étudiants d’aujourd’hui, la violente guerre civile qui a éclaté en 1975 est un trou noir.

Aujourd’hui, près de 60 % des élèves libanais fréquentent des écoles privées, généralement considérées comme meilleures que les écoles publiques, et entièrement géré par des ONG et des institutions religieuses. S’il est vrai que le système éducatif est centralisé, il n’y a pas pour autant de politique ni de stratégie officielles pour l’éducation. Dans une révision des programmes scolaires de 1968, les références à la nation libanaise ou à l’identité libanaise ont été éliminées – les écoles étant laissées libres de promouvoir leurs propres vues sur l’identité de l’Etat.

475 Décision du 23-11-1999 et décision du 08-06-2000

En 1994, éducateurs et législateurs ont décidé de créer de nouveaux manuels qui combleraient les lacunes et feraient la promotion de l’idée d’identité nationale. « Mais la société libanaise est une mosaïque de quelque 17 communautés, dont les maronites, les druzes, les sunnites, les chiites et les grecs orthodoxes sont les principaux groupes religieux. Les experts n’ont pas pu s’accorder sur l’identité qui devait prévaloir sur les autres ni sur les perspectives à donner au récent conflit », explique Nemer Frayha, ancien président du Centre éducatif pour la recherche et le développement. « C’était une tâche très difficile, en raison de l’immense arsenal idéologique présent dans l’esprit des gens et dont, il fallait tenir compte », a déclaré le professeur Antoine Messara au quotidien français Libération476. Il ajoute : « Nous avons essayé de respecter les différences et de présenter les divers points de vue de façon à ce que les étudiants puissent se forger leur propre opinion ». Deux comités spécialisés et six ans de discussion et de compromis plus tard, l’écriture des manuels put enfin commencer, et les manuels destinés au primaire ont été achevés en septembre 2001.

Mais le ministre de l’Education, explique Nemer Frayha, « a suspendu leur distribution car il n’était pas d’accord avec le titre d’une leçon pour la classe de 9e sur la nature de la conquête arabe de 636 après J.-C. de ce qui est aujourd’hui le Liban. Il pensait que les dates clés retenues de l’arrivée des différents peuples jetaient un discrédit sur les Arabes en les faisant passer pour des envahisseurs ». Un autre comité fut alors formé pour réviser les nouveaux manuels. Mais, déclare Nemer Frayha, « à ce jour, rien n’a été fait ».

La suppression du confessionnalisme politique ne recueille pas l’unanimité. Mis à part les leaders de la communauté chiite aucune autre communauté n’y adhère. Les chiites, convaincus d’être devenus majoritaires477, sont ainsi assurés de s’accaparer une plus grande partie du pouvoir. Les autres communautés, bien au fait des réalités du terrain, restent attachées à ce que nous avons qualifié de démocratie communautaire. Les différentes

476 Le 7 janvier 2003. 477 Bien qu’aucune étude démographique sérieuse ne soit venue confirmer ce fait. Le dernier recensement officiel avait été fait du temps du protectorat français et les maronites étaient alors majoritaires. Mais il semblerait que la tendance démographique se soit renversée depuis.

composantes de la société libanaise semblent avoir peur de jouer le jeu démocratique. Ils sont convaincus que les électeurs voteront par affinité confessionnelle plutôt que sur des projets d’envergure nationale. C’est la raison pour laquelle un consensus a émergé. Consensus selon lequel un ajournement de la suppression du confessionnalisme politique serait préférable. Le peuple libanais n’a pas été jugé assez mature par ses leaders pour l’exercice d’une démocratie débarrassée du fait religieux.

C’est probablement la raison pour laquelle les recommandations de la Constitution libanaise relatives à la déconfessionnalisation n’ont jamais été suivies d’effet.

Ce qui est regrettable cependant c’est l’absence totale de volonté politique en la matière. S’il est vrai que la Constitution libanaise érige, dans son préambule, la suppression du confessionnalisme politique en but national essentiel, il est tout aussi vrai qu’elle confie cette mission à la Chambre des députés 478 qui doit prendre les dispositions adéquates pour y parvenir, suivant un plan par étapes.

Pour ce faire, un Comité national devait être constitué et chargé d’étudier et de proposer les moyens permettant de supprimer le confessionnalisme. Or, depuis la signature de l’accord de Taëf et l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution libanaise ce Comité n’a toujours pas vu le jour. La création d’un tel Comité n’est même pas embryonnaire et reste pour le moins hypothétique tant la volonté politique fait défaut.

Ce Comité devait avoir pour mission d’engager la réflexion sur les éventuelles réformes à accomplir pour supprimer le confessionnalisme. Or, aucun consensus n’a pu aboutir, ni sur la composition de ce Comité ni sur les objectifs à atteindre. De ce fait, la création de ce Comité reste, pour l’heure, un vœu pieu.

478 Article 95 de la Constitution.

Il en est de même de la représentation nationale qui devait, à terme, avoir une assise nationale et non plus confessionnelle. Dès lors, un Sénat479 représentant toutes les familles spirituelles devait voir le jour. Mais ni l’un ni l’autre de ces objectifs n’a été atteint.

La pratique institutionnelle postérieure à la loi constitutionnelle du 21 septembre 1990 n’a retenu que les dispositions transitoires qu’elle tend à pérenniser.

De l’article 24 de la Constitution, la pratique n’a retenu que la moitié. Celle prévoyant que « les sièges parlementaires seront répartis à égalité entre chrétiens et musulmans, proportionnellement entre les communautés de chacune de ces deux catégories et proportionnellement entre les régions ». Avec tout ce que ces recommandations exigent comme habileté politique dans l’élaboration des lois électorales480.

La première partie de cet article 24, qui de loin est la plus déterminante, et qui prévoit « l’élaboration par la Chambre des députés d’une loi électorale sans contrainte confessionnelle » reste à l’état de déclaration d’intention. Tout comme le premier alinéa de l’article 95 qui prévoit que « la Chambre des députés élue sur une base égalitaire entre les musulmans et les chrétiens doit prendre les dispositions adéquates en vue d’assurer la suppression du confessionnalisme politique ».

La question se pose d’autant plus qu’une fois les causes du dévoiement de la nation identifiées, il ne reste plus qu’à y remédier pour qu’enfin rendre au Liban la stabilité politique, seule garante de sa survie. Bien plus, qu’il nous soit permis de s’interroger sur la réalité de la

479 Sénat dont les attributions seraient limitées aux questions nationales d’intérêt majeur. Article 22 de la Constitution libanaise. 480 Comme nous l’avons déjà souligné, les lois électorales au Liban ne cessent pas de susciter la défiance du plus grand nombre tant le découpage électoral du territoire s’avère délicat.

volonté exprimée dans la Constitution libanaise. S’agit-il d’une volonté réelle ou d’une simple mention visant à faire taire les sceptiques ?

Ce n’est pas parce que la suppression du confessionnalisme politique est érigé en but national par le préambule de la constitution libanaise que tout est mis en œuvre pour y parvenir. Depuis l’adoption de la nouvelle constitution rien n’a été fait en ce sens. On peut même aller jusqu’à affirmer le contraire. Les susceptibilités dans les différents camps vont grandissant. On essaye de ménager les susceptibilités des uns et des autres au lieu d’en éliminer les causes.

Par ailleurs, la composition complexe de la société libanaise n’aide pas à atteindre les objectifs fixés par une constitution qui donne l’impression d’être de plus en plus idéaliste dans un coin du monde où la realpolitik anéantit tout idéal.

Le principe de l’abolition du confessionnalisme politique et administratif a suscité et suscite encore l’inquiétude, voir l’hostilité des communautés chrétiennes, comme en témoigne le communiqué final du Synode des églises libanaises réuni à Rome en décembre 1995 : « passer à l’allégeance nationale, par delà notre allégeance communautaire, exige que s’affirme un régime politique qui associe pleinement chaque communauté aux décisions nationales afin qu’aucune n’impose à la nation ce qui ne convient qu’à une communauté et ne correspond pas aux traditions des autres communautés… Ce régime s’accommode donc d’une démocratie consensuelle et ne peut être à la merci d’une idéologie majoritaire ».

Autant dire que le système actuel, régi par ce que nous avons qualifié de « constitution communautaire », reflète bien l’incapacité, voire même, le refus d’un réel changement. Ce statu quo autour du modus vivendi constitue le principal obstacle à la déconfessionnalisation des institutions libanaises. En filigrane de ce refus il y a une défiance bien ancrée dans l’inconscient collectif des différentes composantes de la société libanaise. Toute action, fut-

elle entreprise pour servir l’intérêt général est aussitôt suspectée, par les opposants à celui qui la mène, de servir des intérêts particuliers.

S’il est vrai que la méfiance est mère de sûreté, il est également vrai que « la défiance justifie la tromperie d’autrui »481. Ne vaut-il pas mieux être trompé que de vivre éternellement dans la défiance, « fille de la lâcheté et mère de la dissension »482.

Rien en effet ne peut être entrepris ni accompli sans l’émergence d’une certaine confiance mutuelle basée sur des principes réunissant l’ensemble des composantes de la société libanaise.

La souveraineté et l’indépendance seraient-elles suffisantes pour bâtir un nouveau Liban ? Faut-il renouveler l’erreur commise lors du Pacte National de 1943 ? Faut-il remplacer le processus de déconfessionnalisation par un ersatz d’entente interconfessionnelle ?

Faut-il rappeler que l’entente nationale issue du Pacte national n’a pas survécu au conflit israélo-palestinien. N’est-il pas vrai que chrétiens et musulmans ont choisi des camps différents ? Au lieu d’adopter une position commune, les différentes composantes de la société libanaise ont changé de camp au gré de l’évolution du conflit au moyen-orient. De guerres intestines en guerres fratricides, les uns et les autres ont fait le pari de rallier telle ou telle cause au détriment de la seule et unique cause valable ; la cause nationale.

Dès lors, il faut se poser la bonne question : le sentiment d’appartenance communautaire n’est-il pas plus fort que celui d’appartenance nationale ? Or, dans l’affirmative, comment

481 La Rochefoucauld, Maximes. 482 Bossuet.

faire pour restaurer l’union nationale et, par voie de conséquence, faire primer le sentiment d’appartenance nationale à celui d’appartenance communautaire.

Si cet impératif a été reconnu à la fois par l’accord de Taëf et par la nouvelle constitution libanaise, rien n’a été entrepris en ce sens. Il y a, à l’évidence, un manque délibéré de réflexion et de volonté politiques à cet égard. D’où une certaine sclérose qui frappe les institutions libanaises et le manque d’ambition nationale des dirigeants, plus soucieux de préserver leurs postes qu’à apporter aux libanais la stabilité d’un système enfin débarrassé des contingences communautaires.

A cela vient se greffer un problème rendant toute réforme encore plus difficile. Il s’agit du système héréditaire au sein même des institutions républicaines. Nous avons déjà souligné ce problème. Comment en effet confier l’avenir du pays à une classe politique plus soucieuse de préserver le pouvoir dans le giron familial que d’apporter les réformes nécessaires à la survie de la nation.

Ce phénomène héréditaire existe dans les différentes communautés. Les accords ainsi conclus entre les héritiers issus de différentes communautés revêtent vite le caractère d’accords intercommunautaires. Il n’appartient donc pas au clergé de s’immiscer directement dans la vie politique, les représentants politiques de telle ou telle communauté s’en chargent bien.

C’est cette confusion des genres qui menace la stabilité du Liban et rend l’instauration d’un système débarrassé du confessionnalisme politique quasi-impossible. Les députés, représentants du peuple, sont d’abord et avant tout représentants de leur propre communauté. Ils s’expriment en premier lieu au nom de la communauté qu’ils représentent au lieu d’être les porte-voix de la nation. Bien qu’ils prétendent le contraire, force est de constater que, par la disposition même des choses, les revendications de tel ou tel représentant sont d’abord

perçues comme étant des revendications de telle ou telle communauté, ou de telle ou telle région483.

C’est cet écueil qu’ont essayé d’éviter le gouvernement provisoire irakien, assisté du gouvernement américain, dans la rédaction d’une nouvelle constitution pour l’Irak. Ils ont pris, pour ce faire, l’exemple du Liban comme une erreur à éviter, sans pour autant y parvenir.

Le Liban doit redevenir le symbole d’une démocratie moderne au sein du monde arabe et doit reconquérir sa place d’exemple à suivre dans la région. Mais cette mission risque d’être pour le moins difficile dans un contexte idéologique et géopolitique de plus en plus défavorable.

Chapitre Second - Un environnement idéologique et géopolitique défavorable

Qu’en est-il du Liban dans sa structure institutionnelle pour le moins hétéroclite ? Peut-il conserver sa particularité dans un environnement de plus en plus islamisé et dont certaines composantes veulent le voir basculer dans le giron des Etats islamiques ?

Ces interrogations, légitimes, contiennent un début de réponse. Le Liban est en effet un pays multiconfessionnel garantissant la liberté de conscience pour tous, dans la limite, bien entendu, du respect de l’ordre public. Aucune religion n’est proclamée religion d’Etat et aucun livre sacré n’est érigé en source de lois. Tout au plus, les religions jouent-elles leur rôle pour ce qui concerne le statut personnel. Pour autant, le Liban doit faire face à une réalité géopolitique complexe (Section I) donnant des signes peu encourageant (Section II) pour un éventuel processus de déconfessionnalisation.

483 Ce point est d’une grande importance lorsqu’on sait qu’au Liban l’occupation du territoire suit en grande partie un découpage confessionnel.

Section I- Une réalité géopolitique complexe

Les membres de la délégation de la Commission des Lois du Sénat français se posaient déjà la question en 1997 dans leur rapport 111-1996/1997. « L’exception libanaise, soulignaient-ils, fondée sur la convivialité de dix-sept confessions religieuses peut-elle perdurer dans un environnement de plus en plus islamisé et en tout cas marqué par le conflit israélo-arabe ? »

L’interrogation était d’autant plus perspicace que le voyage s’était déroulé alors que le Liban était sous la coupe de Damas. Ce que les sénateurs n’ont pas omis de souligner en précisant que « la décision de se rendre au Liban n’a pas été prise sans une certaine hésitation, car elle pouvait apparaître comme un cautionnement donné à la présence syrienne sur le sol libanais ».

Les termes choisis par les sénateurs sont, pour le moins, prudents. A croire qu’ils ne voulaient pas heurter la sensibilité des partisans de la collaboration, alors au pouvoir, tout en pointant du doigt une situation bien inconfortable que subit un pays ami. L’exercice relevait, bien entendu, d’un numéro d’équilibriste, mais il avait le mérite de mettre l’accent sur les maux dont souffre le pays du cèdre. Il avait surtout le mérite de ne pas oublier le contexte régional dans lequel évolue le Liban.

Que penser en effet d’un pays qui après avoir désarmé toutes les milices laisse ses armes à une seule organisation : le Hezbollah484. Milice placée sur la liste noire des organisations

484 En effet, comme le prévoit l’accord de Taëf dans sa partie relative à « l’instauration de la souveraineté de l’Etat libanais sur l’ensemble du territoire », la dissolution de toutes les milices libanaises et non libanaises est de mise. L’accord souligne effectivement que « les armes seront remises à l’Etat libanais dans un délai de six mois à dater de l’approbation du document d’entente nationale, de l’élection d’un président de la République, de la mise sur pied d’un cabinet d’union nationale et de la promulgation constitutionnelle des réformes ».

terroristes par les Etats-Unis et qui ne cache pas son intention de vouloir reproduire au Liban le schéma iranien, à savoir mettre en place une République islamique.

Cette milice aurait sans doute été désarmée à l’instar de toutes les autres si la Syrie ne s’était pas opposée à son démantèlement. Ce qui, bien entendu, n’est pas le cas des milices qui luttaient contre la Syrie. Financé et armé par l’Iran, le Hezbollah est également soutenu par la Syrie et, par voie de conséquence, sa survie ne repose donc pas uniquement sur la volonté des libanais.

D’une milice prenant part aux guerres intestines, le Hezbollah est devenu l’unique organisation de résistance face à Israël revendiquant, à ce titre, une place qu’il estime lui revenir de droit au sein des institutions.

Par ailleurs, la montée du fondamentalisme islamique dans la région n’arrange rien aux affaires de ceux qui veulent éviter que le Liban sombre à nouveau dans le tourbillon de la discorde.

Précisons toutefois que tous les Etats arabes n’ont pas accordé la même portée à la référence constitutionnelle islamique. Deux grandes options peuvent être distinguées. L’affirmation que l’islam est religion d’Etat ou religion de référence se retrouve dans toutes les constitutions ; même la constitution de la République populaire du Yémen, qui se voulait marxiste, a suivi l’ensemble des pays arabes en stipulant à l’article 46 de sa constitution que « l’islam est religion d’Etat » … et que « la liberté des cultes est garantie » …

Mais plusieurs Etats vont plus loin et soulignent, comme dans les Emirats arabes unis (art. 7 de la constitution de 1971) que « l’Islam est la religion officielle de l’Union et la charia est la

source principale de la législation » (art. 16) ; on retrouve des termes à peu près identiques dans les constitutions du Soudan, d’Egypte, de Syrie, etc. La charia est présentée comme étant la source principale, ou l’une des sources des lois de l’Etat, sans qu’il soit précisé s’il s’agit de ses principes généraux ou de ses dispositions particulières.

Rien de tel dans la constitution libanaise, tout au plus accorde-t-elle une trop grande importance à l’appartenance de tel ou tel à telle ou telle communauté. Ce n’est pas tant la religion en elle-même qui pose problème c’est son institutionnalisation politique à travers l’appartenance communautaire.

Mais il convient de préciser en outre que la seule lecture d’une constitution ne peut nous instruire sur l’attitude de l’Etat à l’égard du phénomène religieux. A titre d’exemple, la constitution française de 1958 dispose simplement que la République est laïque, mais le caractère constitutionnel de la liberté de croyance ne fait aucun doute si l’on se réfère à ce qu’il est convenu d’appeler « le bloc de constitutionnalité », qui inclut la déclaration des droits de l’homme de 1789 et spécialement son article 10 selon lequel « nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ». On retrouve cette même disposition reprise mot pour mot à l’article 9 de la constitution libanaise.

Par ailleurs, en France la religion catholique, la religion protestante et la religion juive, bénéficient de faveurs fiscales ou de subventions plus ou moins déguisées qui vont bien au- delà de la simple liberté religieuse reconnue dans une République dite laïque. Ce qui est également le cas au Liban où les religions bénéficient de ces mêmes faveurs, alors que rien ne prévoit cela dans la constitution.

En Inde où la laïcité est inscrite dans la constitution, c’est par une loi ordinaire de février 1986 que le Parlement a interdit aux femmes divorcées musulmanes d’exiger une pension alimentaire, introduisant ainsi le caractère obligatoire du code islamique à l’égard du statut personnel des musulmans485.

Si l’affirmation de Malraux selon laquelle le XXIe siècle sera religieux ou ne sera pas est vraie pour l’Occident486, elle l’est encore plus pour l’Orient. Au Moyen et Proche-Orient en effet, l’appel à la religion est souvent fait pour répondre à des crises qui doivent demeurer dans la sphère politique.

C’est ainsi, par exemple, que des organisations extrémistes n’hésitent pas à utiliser des références religieuses pour mener leurs actions qui n’ont rien de religieux. Un large usage est fait pour justifier ou pour expliquer des actions qui, religion mise à part, relèvent purement et simplement du terrorisme487.

Cet extrémisme n’est, en tout état de cause, pas réservé à l’islam, même si c’est l’extrémisme islamiste qui est le plus visible. En effet, quelle est la différence entre un extrémiste juif, un extrémiste musulman ou un extrémiste chrétien ? Il n’existe aucune sinon le livre auquel ils se réfèrent. La force de leur attachement et l’absurdité de leurs actions sont tout à fait identiques. Mais la dimension du martyr que l’on trouve dans l’islam extrême peut susciter une réaction de rejet plus grande.

485 Il s’agissait d’une épouse répudiée à soixante-treize ans, Shah Bano, à laquelle son mari refusait la pension alimentaire en se fondant sur la charia : la Cour suprême avait donné raison à la femme, au nom de la laïcité inscrite dans la constitution. Et c’est donc en toute connaissance de cause que le Parlement a modifié la constitution par une loi imposant la charia. A cet égard, lire l’article de O. ROY, intitulé « Les voies de la réislamisation », paru dans Pouvoirs, n°62, 1992, p. 89, n°2. 486 L’exemple du port du voile n’est que la partie visible d’un problème qui plonge ses racines dans un océan d’incompréhensions mutuelles où les crises identitaires le disputent à un réel choc culturel. 487 Les exemples à cet égard sont légion.

Or, la théorie sioniste488 n’a rien à envier par son absolutisme à l’absolutisme musulman, même si la dimension obscurantiste est moins affirmée.

C’est d’ailleurs le choc de tous ces absolutismes qui embrase la région depuis bien plus d’un demi-siècle. Le problème libanais est donc loin d’être exclusif. Il relève, en partie, d’une situation régionale fortement instable et dont la solution ne lui appartient pas entièrement. Mais il n’en demeure pas moins qu’une position unifiée de l’ensemble des libanais, dans leurs différentes appartenances, participera fortement à consolider leur place dans un processus régional qui semble leur échapper.

C’est dans cet environnement idéologique et géopolitique, pour le moins hostile, que les libanais doivent se frayer un chemin les conduisant vers l’émancipation du fait religieux, devenu synonyme de handicap tant l’attachement à telle ou telle communauté tend à les séparer. C’est donc dans l’union, répondant à des aspirations communes, qu’une stabilité pourra émerger. Cela exige, bien entendu, nombre de sacrifices individuels mais dont l’ensemble des libanais en cueillera le fruit.

Conscient de ce fait, la Constitution de la deuxième République libanaise en fait l’écho au paragraphe 8 de son préambule en érigeant la suppression du confessionnalisme politique en but national essentiel pour la réalisation duquel il est nécessaire d’œuvrer suivant un plan par étapes. Mais il convient de souligner que rien n’est, ou n’a été fait en ce sens depuis qu’elle a été adoptée. Simple omission ou manque de réflexion et de volonté politiques ?

488 Ce sont les penseurs allemands (Moïse Hess, Rome et Jérusalem, 1862) et russes (Léon Pinsker, L’auto- émancipation, 1882) qui lancent véritablement le mouvement. Le journaliste viennois Theodor Herzl (L’Etat Juif, 1896) aura le mérite d’en établir la théorie. Herzl part en effet de quatre hypothèses : l’existence d’un peuple juif, l’impossibilité de son assimilation par les sociétés qui l’hébergent, son droit à la Terre Promise, l’absence de droits de tout autre peuple sur cette terre. Mais l’acception du terme sionisme ne cessera de s’élargir tout au long du XXe siècle. Dès la création de l’Etat d’Israël, il désignera couramment tout ce qui s’applique à celui-ci. Il sera même employé, souvent de manière péjorative, et en tout cas de façon inexacte, pour désigner telle et telle activité des communautés juives dans le monde. Voire à cet effet l’excellent ouvrage d’Alain Duret, Moyen-Orient, crises et enjeux, Le Monde éditions, 1994-1995, p. 34.

Dès 1957, le Premier ministre israélien évoquait l'idée de dépecer le Liban sur des bases confessionnelles. Dans un article publié, en février 1982, par la revue de l'Organisation sioniste mondiale Kivunim (Directions)489, Oded Yinon, un journaliste israélien qui avait travaillé pour le ministère israélien des Affaires étrangères, exposait que la stratégie d'Israël devait consister à favoriser l'éclatement des pays arabes sur des bases confessionnelles ou ethniques. Il soutenait que le plan de décomposition du Liban en petits cantons confessionnels, à laquelle les israéliens travaillaient depuis la fin des années 60 avec la complicité de certains extrémistes maronites, devait être appliquée à tout le monde arabe, notamment à l'Irak490, à la Syrie491, à la Jordanie492 et à l'Arabie saoudite qui devait être amputée de ses provinces pétrolières et ramenée à une mosaïque tribale. Dans un entretien avec Paul Balta, dans Le Monde du 17 août 1982, un dirigeant irakien, Tarek Aziz, prédisait " Pour que ce plan d'atomisation réussisse pleinement, il faut s'attaquer à la pièce maîtresse du dispositif, l'Irak, seul pays de la région qui possède en même temps l'eau et le pétrole et qui poursuit son développement avec détermination. Il faut donc commencer à ébranler l'Irak et c'est ce à quoi l'on s'emploie depuis plus de vingt ans …".

La théorie bien connue avancée, depuis longtemps, par les stratèges israéliens a été tout simplement reprise et actualisée par les cercles néoconservateurs qui inspirent la diplomatie de l'administration Bush. Le projet de remodeler le Proche-Orient par une politique de " chaos constructeur " fut conçu dans les années 1990 puis exposé par George Bush II lors d'un discours prononcé le 26 février 2003, quelques jours avant l'agression des Etats-Unis contre l'Irak. Connue sous le nom de l' " Initiative de Grand Moyen-Orient "493, cette doctrine vise au remodelage d'un prétendu Grand Moyen-Orient regroupant un vaste ensemble d'Etats du Maroc à la frontière chinoise, avec les pays arabes, Israël, la Turquie, l'Iran, l'Afghanistan et le Pakistan.

489 Sous le titre " Une stratégie pour Israël dans la décennie 1980 ". 490 Trois Etats sunnite, kurde et chiite. 491 Trois Etats alaouite, druze, sunnite. 492 Une partie pour les bédouins et l'autre pour les Palestiniens. 493 Greater Middle East Initiative.

Si cette théorie494 a fait l'objet de nombreux commentaires, on a moins fait écho aux projets de redécoupages géographiques qui l'accompagnent. Pourtant, depuis le début des années 1990, les experts connaissaient l'existence de nouvelles cartes pour le " Grand Moyen-orient ". Dans sa livraison de juin 2006, la revue militaire états-unienne Armed Forces Journal, publie un article, signé par le lieutenant-colonel de réserve Ralph Peters, dont le titre est évocateur : How a better Middle East would look 495 . Selon Ralph Peters, un ancien spécialiste du renseignement et membre du think tank496 néoconservateur Project for the New American Century, les nouvelles frontières " doivent se remodeler en fonction du critère ethnique et confessionnel " et il propose à l'appui de sa thèse une nouveau redécoupage des frontières dont les grandes lignes sont les suivantes :

- constitution d'un Grand Liban englobant la côte méditerranéenne de la Syrie jusqu'à la frontière turque ;

- création d'un Etat kurde comprenant le nord de l'Irak, le nord-ouest de l'Iran et le sud- est anatolien ;

- éclatement de l'Irak qui, outre la perte de sa région septentrionale, serait divisé entre un petit Etat sunnite arabe et un grand Etat chiite qui annexerait la région saoudienne du Hasa (entre l'émirat de Koweït et la péninsule de Qatar), où les chiites ne sont d'ailleurs pas majoritaires, l'Arabistan (actuel Khouzistan iranien, peuplé d'Arabes… sunnites !) et la zone de Bouchir ;

- formation d'une grande Jordanie au détriment de l'Arabie saoudite, laquelle perdrait également la région des Villes Saintes de La Mecque et Médine (Etat autonome) et l'Asir (au profit d'un Yémen agrandi).

- outre sa région kurde l'Iran perdrait le Baloutchistan qui deviendrait indépendant mais récupérerait la région Afghane de Herat.

494 Qui tend tout simplement à asseoir, avec la participation d'Israël, l'hégémonie américaine dans cette partie du monde qui détient 65% des réserves de pétrole et près d'un tiers des réserves de gaz. 495 " Comment améliorer le Moyen-Orient ". 496 Groupe de réflexion.

- le Pakistan serait considérablement réduit avec la séparation du Baloutchistan et une extension de l'Afghanistan dans les régions pachtounes.

L'auteur reste prudent sur les nouvelles frontières d'Israël mais on comprend que toute perspective d'un Etat palestinien est exclue. Les deux grands perdants seraient l'Irak et l'Arabie saoudite, c'est-à-dire deux des plus importants pays arabes. Le monde arabe serait donc morcelé selon des découpages surréalistes qui conduiraient à des querelles et des divisions sans fins.

De fait, ce nouveau " Grand Moyen-Orient " conçu sur des découpages confessionnels, nationaux et ethniques très arbitraires ne serait pas plus sûr que l'actuel. Au contraire, il deviendrait une véritable poudrière. Mais cela ne semble pas perturber Ralph Peters qui déclarait dans une conférence prononcée en 1997 : " Le rôle imparti de facto aux forces des États-Unis consistera [dans le futur] à tenir le monde pour la sauvegarde de notre économie et ouvert à notre assaut culturel. À ces fins, nous devrons commettre un bon paquet de massacres ". Peters est également l'auteur d'une autre formule lapidaire qui résume bien l'idéologie des néoconservateurs : " Gagner signifie tuer497 ".

Selon le chercheur Pierre Hillard498, " les propositions de Ralph Peters et les appels lancés à un changement radical des frontières du Moyen-Orient ne sont évidemment pas le résultat des réflexions d'un seul homme soucieux d'occuper son temps. De nombreuses études ont été lancées au sein des instances militaires américaines comme dans de nombreux think tanks appelant à revoir les limites frontalières de ces Etats ". A cet égard, il est à noter que Ralph Peters est membre du Project for the New American Century, un think tank néoconservateur et pro-israélien présidé par William Kristol, dont l'objectif est la promotion de la domination mondiale américaine et qui rassemble les principaux dirigeants de l'administration Bush : Dick Cheney, Donald Rumsfeld, Elliot Abrams, Lewis Libby, un proche de Benyamin

497 Armed Forces Journal, septembre 2006. 498 Voir Balkans Infos, septembre 2006.

Netanyahou, et Paul Wolfowitz, actuel directeur de la Banque mondiale qui a été la cheville ouvrière de l'occupation de l'Irak499.

Le Liban est une « caisse de résonance » régionale et internationale. De fait, le Liban porte le fardeau d’une évolution historique marquée par les épisodes sanglants du conflit israélo- palestinien, mais aussi par la montée en puissance de l’Iran, l’affaiblissement diplomatique du régime syrien, sans parler des inconséquences américaines qui ont exacerbé en Irak les fibres communautaires et religieuses. Preuve s’il en fallait encore que la politique libanaise se joue hors du Liban, la crise ouverte entre les différentes factions libanaises autour de l’établissement d’un tribunal international chargé de juger les responsables de l’assassinat de Rafic Hariri le 14 février 2005500.

Les alliés libanais de Damas, écrit Michael Young, aimeraient améliorer les liens entre les deux pays mais le souvenir du meurtre de Hariri reste trop présent pour leur permettre de réussir. Les partis libanais sont seulement tombés d'accord sur le fait de ne pas laisser le pays servir de base pour menacer le régime syrien. De leur côté, l'Egypte et l'Arabie saoudite veulent à tout prix éviter la chute du régime d'El Assad. Officiellement ces deux pays se montrent favorables à l'enquête de l'ONU mais, en privé, leurs dirigeants ont lourdement insisté pour que le gouvernement libanais relâche la pression sur la Syrie.

Au Liban, les adversaires de Damas ont résisté à cette exigence mais l'attitude des Egyptiens et des Saoudiens montre bien que les dirigeants arabes ne souhaitent pas la chute des despotes de la région. L'approche de l'Egypte et de l'Arabie saoudite est radicalement différente de celle des deux puissances occidentales très influentes au Liban, les Etats-Unis et la France.

499 Voir à cet égard l’article de Charles Saint-Prot, Directeur de l'observatoire d'études géopolitiques OEG, intitulé La nouvelle carte américaine du Proche-Orient. Site Internet : www.etudes-geopolitiques.com 500 Voir à cet effet l’article de Michael Young, analyste politique spécialisé dans le Moyen-Orient, basé à Beyrouth, site-web: www.project-syndicate.org, intitulé Le Liban toujours victime de son environnement géopolitique, écrit le 24 avril 2006.

Washington et Paris soutiennent l'enquête de l'ONU où qu'elle mène. Néanmoins, ces quatre pays conviennent que l'influence syrienne au Liban doit être contenue.

Ce qui explique qu'ils se montrent favorables, au moins en théorie, au désarmement du Hezbollah exigé par la résolution 1559 du Conseil de sécurité, même si leurs points de vue divergent sur la manière d'y parvenir. Un autre problème régional, celui de l'Irak et de l'escalade de la violence entre sunnites et chiites, a un impact sur la politique intérieure libanaise. Les sunnites et les chiites libanais501 sont loin d'en être à ce stade mais depuis peu la tension entre elles est littéralement palpable. Hariri était le principal dirigeant politique sunnite, et après son assassinat, les deux communautés ont adopté à l'égard de la Syrie des positions diamétralement opposées. Le fossé entre chiites et sunnites au Liban illustre les divergences régionales encore plus vives qui existent entre les pays arabes à majorité sunnites (notamment l'Arabie saoudite) soutenant Saad Hariri, le fils du Premier ministre assassiné, et l'Iran qui appuie le Hezbollah.

En Arabie saoudite, les chiites sont concentrés dans l'est du pays qui recèle l'essentiel des gisements pétroliers. Les Saoudiens, s'inquiétant à l'idée que la discorde entre chiites et sunnites en Irak ne s'étende à l'ensemble du monde arabe, encouragent Hariri à ne pas rompre le dialogue avec le Hezbollah, la principale force chez les chiites libanais. L'Arabie saoudite et l'Egypte craignent que si l'Iran parvient à se doter de l'arme nucléaire, les chiites finissent par dominer la région. Entre-temps, la détérioration du climat entre Téhéran et Washington, du fait de la controverse nucléaire et du jeu iranien en Irak, a pour résultat que les pays arabes se retrouvent pris dans un étau.

Au même titre que les Libanais qui payeraient les conséquences d'une éventuelle attaque américaine ou israélienne contre les installations nucléaires iraniennes : le Hezbollah pourrait

501 Les deux principales communautés du pays en raison de leur poids démographique et des relais dont elles disposent dans la région.

alors frapper Israël à partir du sud du Liban. Le Hezbollah interprète la résolution de l'ONU qui demande son désarmement comme un complot du gouvernement Bush pour l'affaiblir et afficher la suprématie américaine dans la région. L'organisation chiite refuse de désarmer face à la «menace israélienne» mais le Hezbollah a si souvent modifié sa définition de cette menace que l'on peut se demander s'il acceptera jamais de déposer les armes. L'Iran étant soucieux de ne pas aggraver les tensions dans le pays, le Hezbollah a récemment accepté d'inscrire cette question sur l'ordre du jour des négociations de politique intérieure. Mais il est peu probable que la discussion débouche sur un véritable désarmement, au moins à court terme.

Enfin, les Libanais ne doivent pas seulement manœuvrer en fonction de considérations de politique régionale et internationale. Ils doivent aussi prendre en compte la politique intérieure américaine. Quel que soit le jugement sur la guerre en Irak, force est de constater que la présence américaine dans ce pays a aidé Beyrouth quand il s'est agi de déjouer les tentatives de la Syrie pour reprendre pied au Liban et, parallèlement les manœuvres de certains pays arabes pour contraindre le Liban à composer avec un régime qui ne s'accommode pas de sa souveraineté.

Si les Américains quittent l'Irak, ils risquent de se désintéresser de la situation libanaise. Dans cette hypothèse, qui d'autre que la Syrie et l'Iran en retirerait les bénéfices ? Un tel dénouement serait évidemment sans doute satisfaisant pour certains éléments de la société libanaise, en particulier le Hezbollah. Mais la grande majorité des Libanais aspirent à un Liban en paix, qui puisse se libérer de l'isolement international et se dégager de l'activisme caractérisant l'Iran et la Syrie. Le Liban a toujours été ballotté par les secousses de son environnement géopolitique. Et, contre la volonté des Libanais, il risque, encore une fois, de servir d'arène à des conflits régionaux destructeurs.

Dans ce contexte régional et international instable, les institutions libanaises, elles-mêmes bâties sur un équilibre précaire, sont sensibles aux moindres interférences extérieures.

L’attribution des principales charges institutionnelles en fonction de l’appartenance confessionnelle rend l’unité nationale plus que fragile en ce que les sensibilités de telle ou telle communauté confessionnelle tendent à favoriser sur le plan national telle ou telle vision extranationale. Les chrétiens sont ainsi plutôt sensibles aux propositions occidentales. Les sunnites semblent trouver dans l’Arabie saoudite un allié historique. Les chiites s’appuient quant à eux sur l’aide logistique et financière iranienne 502 . Les visées stratégiques des différents sponsors étrangers étant parfois radicalement différentes, cela se traduit sur le plan national par une instabilité institutionnelle chronique devenue congénitale. Le découpage institutionnel national est fait d’une façon telle, qu’à moins de renoncer à toute ingérence étrangère de la part de toutes les factions libanaises, il est impossible de conduire une politique cohérente. On retrouve ici les fondements du Pacte national de 1943.

En tout état de cause, la polémique suscitée par l’établissement d’un tribunal international chargé de juger les responsabilités dans l’attentat qui a coûté la vie à l’ancien premier ministre Hariri n’est qu’un signe peu encourageant parmi tant d’autres.

Section II- Des signes peu encourageants.

La modernité du Liban est perçue comme le résultat d’un compromis communautaire. Cet État s’est construit sur la reconnaissance des confessions503, la conciliation des intérêts et les passions nationalistes de chaque communauté confessionnelle 504 . La confessionnalité imprègne le système politique, judiciaire et les collectivités locales. Il y a un équilibre entre les religions incarné par une sorte de fédération de communautés confessionnelles. En 1989, l’accord de Taëf impose une République démocratique parlementaire fondée sur le principe

502 Il serait toutefois opportun de souligner que les sensibilités qu’elles soient chrétiennes, sunnites ou chiites ne sont pas unanimes vis-à-vis des appuis étrangers. 503 Les communautés confessionnelles officiellement reconnues appartiennent aux trois grandes religions: le christianisme, l’islam et le judaïsme. 504 Edmond Rabbath, La formation historique du Liban politique et constitutionnel, Beyrouth, Publication de l’Université libanaise, 1986, p. 3.

du respect des libertés publiques, de la liberté d’opinion et de croyances. Concrètement, l’accord de Taëf met fin à la guerre civile qui sévissait depuis 1975 au Liban et impose une suppression graduelle du confessionnalisme politique. Néanmoins, c’est par l’intermédiaire de la communauté religieuse que l’individu acquiert l’identité libanaise505.

Toutefois, trois problèmes inhérents à ce système confessionnel sont identifiables: la présence de différentes communautés religieuses sur le même territoire crée des tensions intérieures suivant l’évolution des conflits internationaux; l’équilibre des populations est précaire avec d’importants flux migratoires; le problème de discrimination de ce système est lié à l’obligation des individus de s’identifier à leur foi afin de participer à la vie politique ou encore pour fonder une famille506. En fait, l’identification de l’individu à son groupe est indispensable pour sa reconnaissance sociale.

La laïcité en France s’est imposée comme un des principes fondateurs de l’État. Cette laïcisation reconnaît néanmoins la liberté de religion, de conscience et le droit à la vie privée. La laïcité est par ses origines un principe de droit public qui «caractérise un État dans lequel toutes les compétences politiques et administratives sont exercées par des autorités laïques sans participation ni intervention des autorités ecclésiastiques et sans immixtion dans les affaires religieuses507». Toutefois, cette laïcité n’est pas généralisée à l’ensemble de la France et certains accommodements sont observables. À ce titre, l’État subventionne largement l’enseignement libre en rémunérant les enseignants; il est obligatoire de laisser un jour par semaine vacant pour permettre l’instruction religieuse par les Églises508; la France admet la présence d’aumôneries dans certains lycées, dans l’armée, dans les hôpitaux et les prisons; la laïcisation n’est pas appliquée à l’Alsace-Moselle509 où les ministres du culte sont

505 Issa Wachill, «Confessions et pouvoir au Liban» dans René Gallissot, dir. État démocratique ou confessionnel? Autour du conflit Israël/Palestinien, Paris, Éditions l’Harmattan, 1994, p. 63. 506 Ibid., p. 72. 507 Yves Madiot «Le juge et la laïcité», Pouvoirs, 75 (décembre 1995), p. 74. 508 Guy Durand, Le Québec et la laïcité. Avancées et dérives, Montréal, Éditions Varia, 2004, p. 23. 509 Qui, rappelons-le, était encore allemande en 1905.

rétribués par l’État comme les fonctionnaires. Par conséquent, même lorsqu’elle est vécue dans l’une de ses formes les plus radicales, la laïcité est sujette à certains accommodements.

Dans un article intitulé « Les vieux parrains du nouveau Liban510 », Alain Gresh souligne que « L’observateur ne peut qu’être frappé par ce fait : les mêmes dirigeants responsables de la guerre civile, dont la plupart ont collaboré avec la Syrie avant de retourner leur veste, se maintiennent sur le devant de la scène. Pas une figure politique nouvelle n’est apparue ces derniers mois, et les Gemayel, Joumblatt, Hariri, Frangié, Chamoun, etc., continuent de dominer le jeu. Aucun d’entre eux n’avance la moindre proposition pour réformer un système politique fondé sur le confessionnalisme, le clanisme et la corruption. Leur seul slogan – « Les Syriens sont responsables de tous les maux du Liban » – s’alimente aux rumeurs les plus folles – 800 000 familles syriennes seraient branchées sur le réseau électrique libanais sans jamais payer leur consommation... Et la corruption ? « Nous l’attribuons aux seuls Syriens, confie un économiste, comme nous rejetions tous nos malheurs sur les Palestiniens en 1983. Et, du coup, personne ne s’interroge sur les sommes volées par des responsables libanais. Comment la dette a-t-elle pu passer, entre 1992 et 1998, sous le premier gouvernement Hariri, de 3 à 18 milliards de dollars ? »

Tandis que les partis multiconfessionnels de gauche (Parti communiste, Organisation d’action communiste, etc.) s’affaiblissent, la plupart des autres formations s’organisent plus que jamais sur une base confessionnelle : Amal et le Hezbollah « représentent » les chiites ; les sunnites, privés de leader national, se sont regroupés autour de Rafic Hariri ; le Parti socialiste de M. Walid Joumblatt n’a de socialiste que le nom, caractérisé avant tout par l’appartenance druze de ses membres. Quant aux maronites, ils se sont « unis » depuis 2000 dans un groupe dit de Kornet Chéhouan, qui regroupe les Forces libanaises d’extrême droite, le Courant patriotique du général Michel Aoun (rentré au pays début mai après un exil de près de quinze

510 Le Monde diplomatique, édition de juin 2005.

ans), l’ancien président de la République Amine Gemayel, le Parti national de la famille Chamoun et quelques élus indépendants.

Dans ce système, les fils succèdent aux pères, et les relations claniques comptent plus que les solidarités politiques. C’est vrai pour la vie publique comme pour les médias. Marginalisés et divisés depuis les accords de Taëf, les dirigeants traditionnels maronites ont vu leur rôle éclipsé par le patriarche Nasrallah Boutros Sfeir. Celui-ci est reçu à Washington et à Paris, en tant que représentant de « la communauté maronite ». Il est partie prenante de toutes les négociations en cours et donne son avis sur tout, y compris sur la loi qui organise les élections. Avec le conseil des évêques maronites, il la condamne, car les chrétiens « éliront seulement 14 de leurs députés, alors que les autres 50 députés seront élus par des musulmans grâce au système des listes511 ». Ainsi, pour Mgr Nasrallah, le nouveau Liban devrait sans doute créer des collèges électoraux séparés, les maronites votant pour les maronites, les druzes pour les druzes, etc. Peut-on dès lors parler de réelle démocratie.

Loin d’être réconciliées, les communautés s’observent avec méfiance. L’absence de projet clair pour la réforme du pays a caractérisé les grandes mobilisations et les divisions sur la loi électorale le confirment, chacun tendant à préserver les intérêts de « sa » communauté. Les propositions d’introduire une dose de proportionnelle pour « ouvrir » le système ont été rejetées par toutes les forces – à l’exception d’Amal et du Hezbollah.

Joseph Samaha, du quotidien Al-Safir, est l’un des rares éditorialistes à ne pas avoir sombré dans une vision idyllique. « Nous n’avons pas assisté à l’émergence d’un sens nouveau de l’unité nationale, mais plutôt à des démarches parallèles des différentes communautés qui ont créé l’illusion optique de l’unité. »

511 The Daily Star, Beyrouth, 12 mai 2005.

Ainsi, ce qui a fait descendre les sunnites massivement dans la rue le 14 mars 2005, c’était autant la volonté de connaître la vérité sur l’assassinat de Rafic Hariri que la peur suscitée par la grande manifestation chiite du Hezbollah le 7 mars : celle-ci avait regroupé plusieurs centaines de milliers de personnes, dont nombre de déshérités des quartiers sud de la capitale qui s’étaient « emparés » d’un centre-ville réservé à la bourgeoisie sunnite ou chrétienne.

Parler d'identité au Liban, renchérit Carole Dagher512, « revient à parler de communauté. Car les Libanais, dans leur ensemble, n'ont pas encore arrêté leur identité propre commune, et ce, depuis l'édification du Grand-Liban, proclamé le 1er septembre 1920 par le Haut-commissaire français au Levant, le général Henri Gouraud. La guerre libanaise qui a éclaté en 1975 devait être en quelque sorte l'expression violente, absolue, irrationnelle et logique à la fois, de cette recherche identitaire ».

Au Liban, l'individu se définit en effet par rapport à sa communauté car, comme l'écrivait le constitutionnaliste libanais Edmond Rabbath, "le peuple libanais est organiquement formé au premier degré, non d'individus revêtus de la qualité de citoyens, mais de communautés. De telle sorte que le Libanais ne saurait exister en tant que citoyen indépendant, mais uniquement comme membre de la communauté à laquelle il appartient du fait de sa naissance ou, très exceptionnellement, par son libre choix".

Quant aux communautés elles-mêmes qui constituent l'infrastructure humaine et sociologique de l'Etat libanais, elles n'ont pas encore trouvé une plate-forme nationale qui les relie. Parce qu'il existe, dans chaque communauté, une sorte de vocation ancestrale à la formation d'une nation spécifique. Aussi, la longue guerre du Liban a-t-elle été la phase du repli identitaire513 lequel devait culminer avec l'apparition sur le terrain de mini-Etats confessionnels de facto, dont les bras armés furent les milices. En deçà des conflits politiques qui ont alimenté la

512 Confluences Méditerranée N°6, Printemps 1993, Le Liban à la croisée du repli et de l'ouverture intercommunautaire. 513 Appelons-le, dans le cas du Liban, repli communautaire.

guerre, la grande fêlure libanaise correspondait à l'existence de deux projets culturels différents qui s'affrontaient: le musulman tourné vers l'héritage coranique et l'arabisme, et le chrétien sensible aux chants d'un ailleurs culturel, focalisé sur l'Occident.

La guerre finie, les barricades levées, les points de passage rouverts, la soudure géographique entre les différentes régions libanaises a lieu. Depuis le départ du général Aoun au début des années 1990, c'est physiquement la fin de l'ère des replis identitaires. L’abolition des lignes de démarcation entre les différentes régions du pays s'est accompagnée d'un phénomène d'extraversion; un tourisme interlibanais devait prendre son essor, surtout parmi les jeunes générations de la guerre ayant vécu cloîtrées dans leur ghetto communautaire et régional. Les Libanais des différentes régions et de confessions diverses ont appris à faire connaissance. On se souvient encore des premières réactions d'étonnement, de rejet ou de panique des habitants du quartier résidentiel d'Achrafieh514 à la vue des femmes musulmanes voilées venues du Beyrouth "musulman" de l'ouest et qui s'aventuraient timidement, elles aussi impressionnées, dans ce qui était pour elles le microcosme de l'Occident chrétien et vers lequel convergeaient au temps du cantonnement, tous les fantasmes, d'attirance et de ressentiment, mélangés.

Mais en même temps que se sont amorcés la découverte intercommunautaire et l'échange interrégional, le sentiment de l'appartenance confessionnelle connaît une recrudescence profonde, en dépit des déclarations publiques et des apparences. C'est que, l'accord de Taëf qui a opéré une refonte institutionnelle en réduisant substantiellement les prérogatives du Président de la république (qui est traditionnellement chrétien maronite) au profit du Conseil des ministres, présidé par un musulman sunnite, a clôturé la guerre libanaise en nourrissant chez les chrétiens, et en particulier les maronites, le sentiment amer et inquiétant d'en être les vaincus. Sentiment renforcé par la compétition sourde et implacable que se livrent aujourd'hui les deux communautés musulmanes du pays, sunnite et chiite515 dans l'exercice du pouvoir légué par le Président de la république, maronite.

514 Bastion chrétien de Beyrouth. 515 A travers le chef du gouvernement sunnite, et le président de l'Assemblée nationale chiite.

Cette joute politico-constitutionnelle pernicieuse au sommet de l'Etat se double d'une redoutable course au profit et à l'investissement foncier entre les régions à dominante sunnite ou chiite, ce qui a pour effet l'exacerbation du sentiment confessionnel, au sens le plus étroit du terme, c'est-à-dire quasiment tribal. Chaque nomination de directeur ou même de simple fonctionnaire à un poste de l'administration centrale entraîne une polémique sans fin et génère des tensions intercommunautaires.

Et pourtant, à l'heure où se développe, dans les faits, une confessionnalisation outrancière, le débat politique libanais est animé par un leitmotiv explosif: l’abolition du confessionnalisme politique, stipulé dans l'accord de Taëf et la Constitution, ce qui aurait pour effet de bouleverser toute la configuration sociopolitique du pays. Brandie essentiellement par les cercles islamiques, elle signifie, que les postes au sein des institutions de l'Etat et dans les administrations publiques ne seront plus répartis proportionnellement au volume des communautés, mais sur la base du critère de la compétence. Les élections législatives seraient, elles aussi, soumises à cette uniformisation simplificatrice.

A première vue, cette aspiration apparaît parfaitement légitime et semble conforter l'acheminement vers la laïcité. En fait, elle exclut la laïcité. En effet, aux yeux des communautés musulmanes, l'individu resterait soumis aux lois du statut personnel musulman (le mariage civil n'existe pas) et resterait donc socialement et mentalement "confessionnalisé" tandis que les fonctions officielles ne seraient plus réparties entre les communautés. En clair, l'infrastructure sociodémographique de l'Etat serait communautaire mais pas la superstructure, la base mais pas le sommet. Les chrétiens voient dans cette proposition une tentative à peine voilée de mainmise sur l'ensemble des rouages de l'Etat, d'autant plus que certains chefs religieux musulmans, surtout chez les chiites, ont avancé le concept controversé de "démocratie du nombre", ce qui veut dire un renversement de la minorité chrétienne au profit de la majorité musulmane, dont la communauté chiite constitue le "gros des troupes". Ce qui

revient aussi à bouleverser la raison d'être du Liban qui est d'être une "démocratie consociative" pour reprendre les termes du constitutionnaliste Antoine Messara.

Face à cette situation, les chrétiens de tous bords y compris des figures de proue d'anciens partis laïcs prosyriens ou nationalistes arabes, serrent les rangs avec, derrière eux, la communauté druze minoritaire et historiquement co-fondatrice de la patrie libanaise avec les maronites. La tentation du "repli communautaire" pointe à nouveau, confortée par l'équation suivante: les chiites516, et les sunnites517 se disputent la précellence de leurs prérogatives constitutionnelles respectives, tandis que les chrétiens maronites ont vu de leur côté, leur nombre, leur poids économique et financier et leur importance politique décroître avec une rapidité effarante, pendant que leur grand parti historique les "Kataëb" vole en éclat sous le coup des luttes intestines.

Selon Ahmed Beydoun518 « au cours de ces dernières années, un son de cloche est devenu plus insistant. On nous propose, écrit-il, de distinguer un confessionnalisme malin, à force d’être excessif, d’un autre bénin qui serait la modération même car il consisterait en la sauvegarde de la diversité, des libertés et des valeurs, également sublimes, que l’on rattache couramment à la formule libanaise. Ce qui est nouveau par contre c’est la tendance des adeptes de ce discours à isoler nominalement le confessionnalisme de certains phénomènes dont s’alimentaient précisément l’argumentation anti-confessionnaliste et le sentiment d’embarras des pro-confessionnalistes. Ainsi s’est-on mis à expliquer que la racine du mal ne résidait pas dans le confessionnalisme mais bien plutôt dans le clientélisme, tout en prétendant ou en laissant entendre que le second ne procédait nullement du premier ».

516 Qui ont le nombre pour eux. 517 Qui ont la puissance financière (la fortune de Rafic Hariri, à la fois chef du gouvernement et promoteur des plus grands projets de reconstruction du Liban est estimée à près de 9 milliards de dollars). 518 Dans un article intitulé « Le confessionnalisme au Liban, linéaments d’une réforme annoncée », écrit en février 2002 et publié sur le Site « Heuristiques libanaises », le jeudi 16 mars 2006.

Or, à isoler ainsi un objet de l’un de ses modes d’apparition, l’on ne se trouve guère avancé dans la recherche d’un remède. Susceptible certes de se manifester dans un contexte autre que celui du confessionnalisme, le clientélisme ne peut jamais se passer d’une assabiya519 qui le couve. Le confessionnalisme n’étant au départ qu’une des figures possibles de la assabiya, le clientélisme a pu, au cours de l’histoire contemporaine du Liban, procéder de lui autant que d’autres assabiya dont surtout celle du clan et celle de la région ou de la localité. Cependant, les circonstances de la guerre du Liban et celles de ses lendemains ont tendu à réduire l’efficience de ces dernières assabiya au bénéfice de la prééminence déjà confirmée du confessionnalisme en tant que support des pratiques clientélistes. S’il demeure donc légitime de maintenir la séparation conceptuelle en question, la raison de cette légitimié est bien le fait que le clientélisme est nécessairement étranger au confessionnalisme là où ce dernier fait défaut et qu’il peut ne pas procéder exclusivement du confessionnalisme là où d’autres assabiya prédominent. Jamais ladite séparation ne peut tabler, dans son principe, sur l’idée que le règne du confessionnalisme puisse se passer de clientélisme. Au surplus, le clientélisme n’est pas l’unique fléau issu du confessionnalisme pour qu’il soit possible, en éliminant le premier, d’absoudre ce dernier de tous ses péchés.

Parmi les manifestations importantes de la confessionnalisation généralisée, depuis la guerre, citons les faits suivants:

1- Le renforcement de l’influence des autorités religieuses ou simplement des hommes de religion qui désormais occupent des places-clés sur la scène politique. Par les moyens matériels dont elles disposent, ces autorités font main basse également sur divers aspects de la vie sociale, entraînant ainsi la marginalisation du rôle de l’État et de celui des forces laïques. Conjuguée à leur généralisation à toutes les communautés, l’orientation spontanément confessionnelle des oeuvres sociales que ces autorités contrôlent520 tend à approfondir les clivages communautaires dans le pays.

519 L’assabiya peut se traduire par le sentiment d’appartenance. 520 Et surtout des établissements d’enseignement.

2- L’aggravation de ce même effet, notamment par le fait qu’il n’est plus compensé par d’autres facteurs qui traditionnellement permettaient la promotion de la mixité intercommunautaire. Le rétrécissement des zones de résidence mixtes, la répartition en ghettos de beaucoup d’établissements et de services publics, la décentralisation des marchés et la multiplication des agences de toutes sortes, etc. rendent de plus en plus rares les possibilités de contact entre des Libanais de diverses appartenances communautaires. Certains de ces phénomènes sont le fruit d’une évolution normale, d’autres, au contraire, font partie du legs de la guerre.

3- La confirmation du caractère rural du régime politique libanais, considéré dans sa totalité. Ce caractère est maintenu essentiellement par la loi électorale. À sa base, nous trouvons le fait que certaines grandes communautés se reconnaissent dans une origine géographique: soit une zone de la Montagne ou de la périphérie à laquelle elles s’identifient historiquement; d’où le désir d’associer à cette origine l’essentiel de leur représentation politique. D’autres communautés sont originellement concentrées dans les villes. Profitant volontiers de la motivation passéiste des autres, que d’ailleurs elles partagent, elles réduisent les villes dont elles accaparent pratiquement la représentation à une sorte de gros villages. Les vagues de l’exode rural refluant à chaque échéance électorale vers leurs lieux de naissance, les villes sont livrées en proie à la logique des origines, logique qui privilégie nécessairement les critères de l’appartenance familiale et confessionnelle. Or, ce sont les apports humains qui, venus de loin pour faire de la ville leur espace de confluence, font qu’une ville devient une ville. Ils y constituent le sel de la citadinité et, en se livrant à elle, lui confient, en fait, les rênes de la modernisation. Laisser des villages quasi-vides captiver la plus grosse part de la représentation politique revient à réduire celle-ci au traitement de problèmes sans envergure que soumettent aux parlementaires des individus souvent établis en ville mais dont le vote peut leur servir de carte d’accès au député de leur région d’origine. À leur tour, les grands problèmes des villes se trouveront déborder, de toute part, la représentativité politique de leurs élus. Le traitement de ces problèmes deviendra l’apanage du noyau central du Pouvoir.

Logique d’origine donc et non pas de vie. Le vote et la représentation du citoyen se trouvent ainsi être largement cantonnés non pas là où vit le citoyen mais là où il est né et sera enterré.

4- L’évolution du système vers un contrôle communautaire plus serré des individus. On assiste, en effet, à une collectivisation sans précédent des pratiques cultuelles. Dans certaines communautés, les occasions pouvant faire l’objet d’une commémoration collective ont fait l’objet d’un nouveau recensement. Des anniversaires qui jadis passaient inaperçus ont été renfloués afin d’allonger la liste des jours de l’année où l’appartenance confessionnelle commune est rappelée aux publics visés. On cherche à multiplier les occasions où, au cours d’une célébration, l’assistance est appelée à répéter de concert des formules ou des gestes emblématiques. Les progrès vite banalisés des techniques audio ont permis de rendre véritablement agressive pour les gens d’autres obédiences521 la diffusion, à l’extérieur du lieu de culte, des cérémonies, des appels à la prière ou des récitations. Aussi n’est-il pas surprenant que les non-conformistes se sentent devenir des renégats. Ils voient l’expression de leur pensée autant que l’exercice de leur style de vie condamnés au secret ou repoussés vers des espaces de plus en plus étriqués. Bien entendu, la pression est plus sensible dans les villages, dans les banlieues et dans les quartiers mono-communautaires des villes. Les espaces véritablement publics ont vu leurs limites se rétrécir à partir des années de guerre. Les individus en rupture de communauté s’y réfugiaient, mais aussi les organes de presse un tant soit peu pluralistes, les maisons d’éditions libérales, les tribunes soucieuses de préserver une certaine indépendance, etc. On a souvent souligné le fait que le confessionnalisme réduisait l’ambition des individus aux limites de la part de leur communauté. Les membres de 14 communautés sur 18 ne peuvent normalement espérer dépasser le rang de ministre.

À un autre niveau, 17 communautés sur 18 doivent désespérer d’enfanter, un jour, un commandant en chef de l’Armée, un gouverneur de la Banque centrale, un recteur de l’Université Libanaise, etc. S’il est vrai que ces exclusivismes entretiennent bien des frustrations collectives, on peut parier, toutefois, que, ressentis individuellement, ils ne tuent

521 Mais aussi pour les adeptes du même rite, convaincus qu’il n’est pas indispensable d’en faire autant. Nous faisons référence ici aux haut-parleurs qui dès l’aube appellent les croyants à la prière.

personne. En fait, en limitant la concurrence, ils nuisent beaucoup plus au bon sens et aux fonctions elles-mêmes qu’aux individus qu’ils paraissent brimer. C’est plutôt ailleurs, c’est-à- dire dans l’état de siège mental dans lequel on les cantonne et dans les mobilisations auxquelles on les assujettit, qu’il faut chercher les empêchements à l’émergence d’individus- citoyens. Il ne faut pas trop s’étonner non plus de voir ces empêchements se transformer souvent en servitude volontaire. Cet état de fait ne manque toutefois pas d’adeptes. Le confessionnalisme jouit, surtout depuis les années de guerre, d’une grande popularité. Et ce sont ses détracteurs qui manquent cruellement. À un point tel qu’il est légitime de se demander si la démocratie fait au Liban l’objet d’une réelle aspiration.

Cela ne manquera pas de soulever quelques problèmes à l’avenir : pour ne citer que l’exemple le plus notoire522 ; le Liban actuel compte, selon les estimations les plus courantes, environ deux musulmans pour un chrétien. Ne voulant, pour rien au monde, faire face à cette réalité, les chrétiens – mais, aussi, les musulmans bénéficiaires du statu quo – préfèrent dormir sur la règle du cinquante cinquante. Tout au plus essaye-t-on de dissimuler maladroitement cette réalité: dénigrement de la loi du nombre, exaltation du régime supposé être une démocratie consociative, rappel de la nécessité de laisser aux chrétiens d’Orient ce petit pied-à-terre où, à la différence de tous les pays arabes, ils jouissent d’une possibilité réelle de manifester leur présence civilisationnelle, etc.

Dans une démocratie, la loi du nombre ne peut être ainsi cavalièrement éludée. On peut imaginer une règle de pondération pour garantir à des minorités le droit d’avoir voix au chapitre ou leur éviter d’être sous-représentées. C’est tout autre chose que la règle du 2 contre 1! Déjà des musulmanes et des musulmans osent se rebeller, au nom de l’égalité, contre la loi coranique qui, en matière de succession, octroie “au mâle la part de deux femelles”. On comprend que la maxime “à un chrétien, la part de deux musulmans” devienne, à la longue, insoutenable.

522 Et le moins souvent évoqué.

La même maxime n’est d’ailleurs pas appliquée à la répartition des parts entre maronites et grecs orthodoxes, par exemple, ou entre druzes et chiites. Or si, de l’extérieur, le Liban offre, au regard pressé, l’évidence d’un société islamo-chrétienne, il apparaît, de l’intérieur 523 , comme fait de dix huit communautés confessionnelles bien plutôt que de deux communautés religieuses.

On ne peut, d’autre part, s’empêcher de noter qu’avant de pouvoir baptiser convenablement “démocratie consociative” leur contrat politique, il reste aux communautés libanaises beaucoup de preuves à produire de leur éloignement du mode d’organisation et de mobilisation tribal, de leur respect des droits et des libertés des citoyens524.

Enfin, l’argument tiré de la situation régionale des chrétiens, s’il répond à une réalité indéniable, ne peut emporter la conviction des musulmans libanais. Pourquoi accepteraient-ils en effet de faire les frais d’un rééquilibrage régional, quand ceux qui le réclament sont précisément les premiers à refuser de subir les retombées des fléaux qui handicapent la région?

Preuve s’il en fallait encore que la déconfessionnalisation ne se fera pas dans un futur proche le tollé soulevé par le projet de réforme visant à instituer le mariage civil. Les lois du statut personnel au Liban sont en effet variablement injustes à l'égard des femmes, non seulement elles établissent une distinction entre l'homme et la femme, mais entre les femmes elles mêmes établissant des barrières entre les citoyens. Ce qui est en contradiction avec les principes de la démocratie et la Charte internationale des Droits de l'Homme. La solution passera par l'adoption d'une loi sur le statut personnel basée sur la Charte des droits de l'Homme pour tous les Libanais. Une telle loi pourra être facultative laissant le choix aux citoyens525.

523 Du moins en temps de paix! 524 Dont elles confisquent, d’office, au nom de l’appartenance confessionnelle, l’être sociopolitique. 525 Huquq al-Insan, Les droits de l’Homme, Newsletter issued by the Lebanese Association For Human Rights, 1st year, N° 2, April 1991 (en arabe).

Le 2 février1998, et après une longue consultation, un projet de loi sur le mariage civil facultatif a été présenté au Conseil des ministres. En présence du Président de la République et à sa demande526, le Conseil était invité à voter le projet qui devait être adopté par une majorité de 21 ministres avec abstention du premier ministre de l’époque M. Hariri qui ne le soutenait pas.

L'adoption par le Conseil des ministres de la loi suscite dans le pays un large débat sur la question, et l’alliance "sacrée" entre les religieux retrouve son élan d'antan où tous ensemble, ou presque, condamnent sans relâche le mariage civil. Pour le grand Mufti du Liban Muhammed Rachid al-Kabbani sa "position, comme celle de dar al-fatwa, de la charia et des Libanais musulmans et chrétiens, exprimée par leurs chefs spirituels, est de refuser le mariage civil (...). La question fut abordée en 1951, elle a provoqué ce qu'elle a provoqué et il ne faut plus revenir sur cette question (...). Les limites (hudud) sont les limites de la religion et de la famille, si ces limites sont violées, on ne peut rester les mains croisées (...) le mariage civil facultatif rend l'interdit licite et interdit le halal."

Connu pour ses positions rigides, le grand Mufti a trouvé l'occasion de devenir une superstar du conservatisme. Fort du soutien de ses paires des autres confessions, il prononce avec vigueur une fatwa, déclarant "apostats et hors de l'Islam tous ceux qui acceptent le principe du mariage civil, même facultatif527".

Muhammed Ali Jozo, Mufti du Mont-Liban, déclare de son côté que "L'objectif du projet n'est pas l'abolution du confessionnalisme, mais l'abolution de la religion" 528 . AbdelAmir

526 En vertu de l'article 53, alinéa 11 de la Constitution. 527 Voir les journaux libanais du 23/03/1998. 528 As-Safir, 31/03/1998. La chercheuse universitaire Dalal El-Bizri souligne dans ses articles, qui prennent position pour le mariage civil, que le plus grand nombre de réactions négatives ont été manifestées par les religieux sunnites (An-Nahar 19 janvier 1998). Nous signalons le changement de certaines positions à la suite du

Qabalan, Vice-président du Conseil Supérieur Islamique Chiite, a considéré le projet comme une atteinte à l’Islam et au Christianisme appelant d’accorder la priorité à la situation économique difficile529.

Pour sa part, le Comité spirituel des Druzes s'est réuni à Abyya le 20 mars1998 déclarant son attachement à l'ancien statut personnel et son refus de l'application du mariage civil sur les Druzes530.

L’Archevêque Bishara Al-Rai observe lui aussi que le mariage civil est en désaccord avec le mariage chrétien, l'un des fondements sacrés de l'église, mais réclame le mariage civil obligatoire pour tous les non-croyants afin de combattre l'anarchie morale531.

Monseigneur Sfeir rejoint également les autorités religieuses musulmanes pour dénoncer le projet de loi.

Contrairement au Hozballah, à Al-Jama'a al-Islamyyia, au parti al-Najjada et au Congrès Populaire qui le rejettent catégoriquement, la position affichée par l'ancien premier ministre, Salim Al-Hoss est plus nuancée; ce qui est aussi le cas de l'Union Chrétienne Démocratique Libanaise. Ils attribuent leur opposition au projet aux circonstances que traverse le pays. vote du Conseil des ministres. Il est important de souligner la position de l'archevèque Georges Khodr, un opposant au confessionnalisme, qui soutient l'idée et le projet du mariage civil et déclare: "qui a le pouvoir d’imposer la parole de Dieu dans les domaines de l’Etat, de la société et de la lecture de l’histoire, et d’établir les rapports entre l’Eternel et l’historique"? (An-Nahar; 28/03/1998). Ce projet de loi est accepté par les Grecs catholiques et le Conseil des patriarches et des cardinaux catholiques pour les non croyants (An-Nahar, 4/04/1998). Ajoutons la remarque importante de M. H. Al-Amin, magistrat auprès du tribunal jaafarite, qui nous rappelle la position de Cheikh Al-Alayli: "La chari’a n’impose pas la présence d’un religieux lors de la célébration du mariage, il suffit d’établir un contrat pour que le mariage soit reconnu (…). En islam il est possible d’établir le mariage devant une institution civile" (An-Nahar, 11/03/1998). Il est utile à ce propos de rappeler la position de Cheikh Al-Alayli : "le contrat de mariage en Islam,écrit-il, est un contrat civil dans tous les sens du mot" ( Aina -l- khata’ (Où est la faute), 2ème édition Al-Jadid, 1992, Beyrouth, p.117). 529 Al -Anwar, the internet Edition, 21/03/1998. 530 As-Safir, 21/02/1998. 531 As-Safir, 31/03/1998.

En revanche, les ONG des droits de l'Homme, le Comité des droits des Femmes et plusieurs groupes d'avocats du Nabatyeh au Sud jusqu'à Tripoli au Nord, ainsi qu’un nombre important d’universitaires et d’intellectuels aussi bien que des tranches de la population chrétienne et musulmane, dont une bonne part de femmes, ont appuyé le projet.

Les grandes forces politiques ont pris également position pour le projet : le Conseil National Libanais, le Parti Progressiste Socialiste, le Bloc National, le Parti National Social Syrien, le Parti Communiste, Mouvement Amal, le Parti Kataib, le Parti des Nationalistes libéraux, le Parti Laic Démocratique, le Parti Démocratique Populaire, le Courant National Libre, le Parti Arabe Démocratique ainsi que le Parti des Travailleurs. L'argument de ces formations étant que le mariage civil est un contrat entre deux individus lié aux libertés de la personne lesquelles sont consacrées dans la Constitution et reconnues par la Charte Internationale des Droits de l'Homme.

Onze partis politiques ont organisé une réunion de travail le 3 avril 1998, ayant abouti à la constitution de deux comités: l’un chargé des contacts et de la mobilisation et l'autre de l'élaboration d'un projet de loi qui sera remis au président de la République.

Trois prises de positions de responsables politiques appuyant le projet méritent d'être signalées: celles du Président de la République , du Président du Parlement Nabih Berri et de l'ancien Premier Ministre alors en exil le Général Michel Aoun.

Le Président Hrawi déclare que son mariage a été célébré à l'église, et pose la question: "est- ce une raison valable pour obliger les Libanais à faire de même? (…). C'est un acte héroïque, dit-il, pour le religieux de convaincre son propre fils que le mariage civil est interdit (...).

Petits, nous n'avions pas le droit, nous Maronites, de dire bonjour aux Orthodoxes, mais le monde a changé, même à Rome chez le Pape le mariage civil est légal532".

Dans une interview accordée à An-Nahar, le Général Aoun décrit comme "artificielles, anarchiques et dévergondées les positions des adversaires du mariage civil. Ce projet qui n'est que facultatif, consacre l'article 16 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme que le Liban a voté (…). Le principe du mariage civil facultatif est une réponse à quelques difficultés rencontrées par nos concitoyens. Les prises de positions négatives tentent de présenter le mariage civil comme une forme de libertinage sexuel". Il ajoute, "le Patriarche défend la position de l'église mais il faut avoir présent à l'esprit que le mariage civil n’a jamais été accordé avec le consentement de l'église. On peut dire la même chose des pays islamiques où le mariage civil obligatoire a été adopté contre l'avis des religieux". A ceux qui assimilent le mariage civil à l'adultère, Aoun répond que "c'est une critique de Dieu, car elle signifie que le Très-Haut a trop retardé les législations des religions révélées consacrées au mariage, par conséquent, les humains sont tous des enfants de l'adultère533".

Nabih Berri a présenté ainsi la situation au Liban : "Nous sommes ivres du confessionnalisme jusqu'à la cervelle (...). Les gens ont peur de trouver un trou dans le "mur de Berlin" qui est le confessionnalisme, les gens ne pleurent pas la religion mais le confessionnalisme. Ce qui nous rappelle les cérémonies d'Achoura où personne ne pleure le martyre d'Al-Hussein mais le manque de pâtisserie534".

La crise du mariage civil a réactivé les cicatrices de la guerre civile et la société libanaise continue de payer le prix de ses petites guerres à large échelle. Déchirée au plus profond d'elle-même et privée de ses moyens de défense, cette société n'arrive toujours pas à reconstruire intelligemment son avenir. Le confessionnalisme n'est pas seulement aujourd'hui

532 As-Safir, 31/03/1998. 533 An-Nahar, 3/04/1998. 534 Al-Anwar, 21/03/1998.

un de ses traits caractéristiques le plus rétrograde, il reste une "valeur refuge" dans un pays où on a confisqué les rêves faisant croire à une cohésion sociale qui n'est que superficielle. La sécurité communautaire a pris le pas sur la sécurité sociale, où l'identification communautaire bloque toute tentative de renouvellement civique.

La fin du confessionnalisme au Liban n'est pas une question de chirurgie esthétique, c'est de la médecine d'urgence qu'il s'agit; et dans ce processus, le mariage civil est une étape incontournable. "Si la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit de la protection de la société et de l'Etat (…) l'homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont droit de se marier et de fonder une famille. Ils ont des droits égaux au regard du mariage, durant le mariage et lors de sa dissolution535".

535 Article 16 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

Conclusion de la troisième partie

Bien que la Constitution de la deuxième République libanaise, inspirée très largement de l’Accord de Taëf, érige la déconfessionnalisation en but national essentiel aucune avancée n’a été faite en ce sens. Même la tentative d’instauration d’un mariage civil facultatif a échoué tant les résistances des autorités religieuses étaient fortes536.

L’autonomie culturelle des communautés, organisée par la Constitution et reposant ainsi sur un statut à valeur juridique supra-légale, implique nécessairement l’existence d’organes représentatifs de celles-ci, ce qui rend indispensable l’institution d’une deuxième chambre, où les représentants de chaque communauté seraient élus par leurs coreligionnaires. Le confessionnalisme politique sous sa forme actuelle pourrait alors être supprimé, bien qu’un système de rotation des présidences soit souhaitable au moins pour un certain temps. Moins figé que le système actuel, il ne devrait pas faire obstacle à la dynamique démocratique de l’alternance résultant des changements de majorité politique dont l’absence a constitué un des facteurs structurels des déficiences fonctionnelles du système politique du Liban.

Après trois quarts de siècle d’existence dans ses institutions constitutionnelles, l’Etat libanais, chargé de fautes autant qu’accablé de malheurs, indulgent aux premières et désarmé devant les secondes, n’a pas mis à profit l’infortune, toujours attribuée à l’action de l’étranger, pour se pencher sur ses vices constitutifs et ses dysfonctionnements, auxquels il n’a pas su, ni vraiment voulu, remédier, se réfugiant quant le secouait une crise brutale dans des expédients qui ont tôt fait d’épuiser leurs maigres vertus et dans des réformettes toujours manquées avec, à l’horizon, les signes avant-coureurs d’une de ces secousses qui entrecoupaient périodiquement un lent processus d’involution fonctionnelle.

536 On ne parle même pas de laïcité qui reste pour l’heure bien assez hypothétique.

Dans ses structures actuelles, l’Etat libanais est manifestement incapable de s’acquitter de sa fonction d’encadrement de la société et de régulateur des antagonismes et des divergences qui, dans tout Etat, traversent le corps social et qui, au Liban où ils revêtent une acuité plus grande, requièrent des solutions de nature institutionnelle auxquelles le pouvoir a préféré l’illusoire confort des faux compromis. Si, comme l’affirme Jean Salem 537 , « le Liban, longtemps décrit par l’étranger comme la perle de l’Orient, ne parvient pas à s’arracher à ses fatalités historiques, à ses contradictions dans l’organisation de l’Etat, et à tout ce que les erreurs et l’incurie des hommes ont ajouté aux inadéquations institutionnelles, il n’y aura plus qu’à faire graver sur les murs restaurés et flambant neufs de nos édifices publics le vers sur lequel s’ouvre le troisième chant de l’Enfer de Dante : « vous qui entrez, laissez ici toute espérance » ».

Conclusion générale:

537 Jean Salem, Religion et constitutionnalisme au Liban, un ordonnancement constitutionnel sous hypothèque, Op. cit.

Dans son édition du samedi 13 mai 2006, le Figaro titrait en première page : « le cri d’alarme des chrétiens d’orient », soulignant au passage les multiples pressions auxquelles sont soumises les minorités chrétiennes d’orient. Persécutions diverses des coptes égyptiens de la part des fondamentalistes appartenants aux « frères musulmans ». Interdiction d’accès aux hautes fonctions et diverses discriminations à l’égard des chrétiens turques. Enlèvements et assassinats en chaîne des minorités chrétiennes d’Irak… Et la liste est longue. Au point que l’on assiste à un défilé des hauts dignitaires des Eglises d’orient à l’Elysée, à la mi-mai 2006, pour y chercher un hypothétique soutien.

La situation des chrétiens libanais est certes différente, mais en sera-t-il ainsi longtemps dans un environnement de plus en plus conflictuel ? Nous serions tenté de répondre par la négative, mais force est de constater que ce que nous avons qualifié de « démocratie communautaire », malgré les multiples failles qui la caractérisent, permet bon gré mal gré de sauvegarder le partage équitable du pouvoir et la participation de la grande majorité des composantes de la population dans la prise des décisions. Cela ne se fait pas sans poser de multiples difficultés quant au fonctionnement de cette démocratie communautaire. Elle doit en effet être consensuelle pour ne pas être considérée comme tendancieuse.

La disposition du préambule de la Constitution libanaise selon laquelle le Liban est une Partie souveraine et unitaire dans son territoire, son peuple et ses institutions est plus une aspiration qu’un constat d’une réalité.

Il en est de même d’une autre disposition de ce même préambule qui est loin de faire l’unanimité, celle qui fait du Liban un Etat « arabe dans son identité et son appartenance »538. L’identité libanaise est tellement parcellaire qu’elle ne peut souffrir une telle réduction.

538 Il est à noter que ce préambule a été ajouté par la loi constitutionnelle du 21 septembre 1991, période à laquelle le Liban était encore sous le joug de Damas.

Dans un article intitulé « enracinement et distanciation », l’anthropologue libanais Sélim Abou539 a en effet très bien su exprimer la complexité de l’identité libanaise. Il l’a fait en ces termes:

« Le cas du Liban est complexe. Il ne suffit pas de dire que l’identité culturelle du Liban n’est pas celle de l’Égypte, de la Jordanie ou de la Syrie, ce qui est une évidence. Il faut pouvoir l’analyser telle qu’elle est vécue par le Libanais. Or, celui-ci se réfère nécessairement à quatre niveaux d’identification. Il est et se veut libanais, partageant les traits communs à tous ses concitoyens. Mais il n’est libanais qu’en tant que chrétien ou musulman, car la religion est ici un facteur d’ethnicité producteur de modèles culturels, comme la langue l’est ailleurs, que l’individu concerné soit croyant ou non. Ce n’est pas tout : il ne s’identifie aux traditions chrétiennes ou islamiques qu’à travers sa «communauté rituelle» qui fonctionne comme un groupe ethnoculturel restreint : le chrétien est maronite, grec orthodoxe, melkite, arménien, syriaque, latin etc. Le musulman est sunnite, chiite ou druze. À l’autre extrême, suivant qu’il est musulman ou chrétien, il manifeste une préférence pour le monde culturel arabe ou le monde culturel occidental. Dans la vie de tous les jours, le Libanais s’identifie spontanément par l’une ou l’autre de ces quatre appartenances et les modèles qu’elle mobilise, suivant la situation à laquelle il doit faire face ici et maintenant. Cela ne signifie pas que les appartenances ont, de soi, la même densité ou la même signification culturelle, mais simplement que l’individu les négocie, consciemment ou inconsciemment, en fonction de leur rentabilité relative dans une situation donnée ».

Dans un tel contexte, comment trouver un trait d’union ou un dénominateur commun permettant aux libanais de se réunir sous la seule bannière nationale laissant, au passage, les bannières partisanes ? La réponse à cette question n’est certes pas aisée, mais les libanais ne peuvent pas faire l’économie d’importantes réformes s’ils veulent voir émerger un nouveau Liban doté d’institutions modernes capables de répondre aux aspirations de ses citoyens.

Le 18 septembre 2004, le Rassemblement canadien pour le Liban540 organisait une rencontre entre experts des systèmes canadiens et libanais. Cette réunion avait pour objectif de

539 Sélim ABOU. « Enracinement et distanciation », Cedrus Libani, 55, automne 1997, p. 64.

s’inspirer du modèle canadien afin de trouver des façons d’améliorer la démocratie libanaise, notamment en ce qui a trait à la prise en compte de la diversité541.

C’est ainsi que six experts 542 , bien au fait des questions concernant des sociétés « composites », se sont réunis une journée entière dans un hôtel montréalais pour débattre

540 Une organisation canadienne à but non lucratif, indépendante et faisant la promotion des droits de la personne. 541 Il est à noter cependant que même au Canada qui a longtemps fait figure de modèle en matière d’intégration, l’exclusion et le racisme font surface avec l’arrivée massive de nouveaux immigrants non européens. C’est du moins ce qui ressort d’un article du journal « The Walrus », édité à Toronto et reproduit dans le « Courrier International » numéro 839 du 30 novembre au 6 décembre 2006. Dans cet article intitulé « Les canadiens doutent, la fin du rêve multiculturel », l’auteur Alan Gregg, Président du Strategic Counse, l’une des plus importantes sociétés d’études de marché et de sondages du Canada, s’interroge en ces termes: « les démocraties libérales déourvues d’un système de valeurs fédérateur sont-elles capables de satisfaire les besoins de sociétés de plus en plus hétérogènes ? ». Il cite par ailleurs le Premier ministre Wilfrid Laurier qui avait dit en référence aux immigrants nouvellement arrivés : « Que chacun se tourne vers le passé, mais que chacun porte surtout son regard vers l’avenir. Que chacun voie la terre de ses ancêtres, mes aussi la terre de ses enfants ». Il faut dire qu’au Canada une forte polémique a eu lieu à la mi-novembre 2006 lorsque Mario Dumont, chef du Parti Action démocratique du Québec, s’en est pris à ce que l’on appelle au Canada « l’accomodement raisonnable ». En vertu de ce concept élaboré par les tribunaux, pour garantir l’égalité de tous, l’Etat doit s’adapter aux demandes des minorités si leurs requêtes ne causent pas de tort indu à la société. Mais plusieurs décisions récentes ont été très décriées : parmi celles-ci, le droit accordé aux élèves sikhs de porter le Kirpan (un poignard rituel) à l’école ; la recommandation faite aux policières montréalaises de s’effacer derrière leurs collègues masculins lorsqu’elles ont affaire à des juifs orthodoxes ou le refus d’une clinique publique de laisser assister des hommes à des cours prénataux pour ne pas heurter une clientèle immigré et religieuse. Les propos du politicien, qui dénonce l’aplat- ventrisme de la majorité devant les exigences des minorités, reflètent sans doute les inquiétudes d’une partie non négligeable de la population. Si la plupart des commentateurs dénoncent des propos populistes, certains se félicitent de voir ce sujet tabou enfin abordé. 542 Claude Denis, Directeur du Centre d’études en gouvernance et professeur à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa. Il est l’auteur de nombreux articles sur la question autochtone canadienne, dont « We Are Not You. First Nations and Canadian Modernity » (1997). En politique canadienne, il s’intéresse également aux minorités francophones et aux conflits liés aux nationalismes. : "Urban Natives and the Nation: Before and After the Royal Commission on Aboriginal Peoples" (with C. Andersen), Canadian Review of Sociology and Anthropology, 40:4 (Novembre 2003), 373-390 ; L’Alberta et le multiculturalisme francophone : témoignages et problématiques, Edmonton, Centre d’études canadiennes de la Faculté Saint-Jean et Association multiculturelle francophone de l’Alberta, 2002, édité par Claude Couture et Josée Bergeron avec la collaboration de Claude Denis ; We Are Not You: First Nations and Canadian Modernity, Broadview Press, Collection Terra Incognita, 1997. Paul Kingston, Professeur associé au International Development Studies and Political Science, Professeur associé en science politique à l’université de Toronto, Paul Kingston a obtenu un doctorat de l’université d’Oxford ( Royaume-Uni ) avant de travailler pour le Programme des Nations Unis pour le développement ( PNUD ) à Damas ( Syrie ). Il s’est ensuite consacré à l’enseignent à l’université de Toronto. Kingston est un spécialiste de la politique et de l’histoire du Proche-Orient. Il s’intéresse plus particulièrement aux liens existants entre la religion et la politique. Kingston a écrit plusieurs articles sur le Liban, dont « Patrons, Clients and Civil Society: the Politics of the Environment in Postwar Lebanon », Arab Studies Quarterly, hiver 2001. Christian Leuprecht, Department of Political Studies, Queen’s University, Kingston, Ontario. Né à Munich (Allemagne). Depuis 2003, il est chercheur au département de sciences politiques et économiques du Collège militaire royal du Canada (Kingston, Ontario). Leuprecht est également chercheur associé au Institute for Intergovernmental Relations du School of Policy Studies (Queen’s Univesity). Leuprecht est un expert en démographie comparative. John McGarry, Professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur le nationalisme et

sous le thème : «Apprendre de la diversité canadienne pour aider le Liban à bâtir un système qui mise sur sa propre diversité ». Les débats se sont tenus en anglais. Les principaux objectifs de l’atelier étaient :

 D’avoir une meilleure compréhension des systèmes canadien et libanais.

 De comprendre comment ces deux systèmes tirent profit de leur diversité.

 D’identifier des éléments clés du système canadien qui pourraient être transposés au système libanais afin de l’améliorer.

 D’émettre des recommandations précises qui seront soumises à des ONG libanaises et à des politiciens impliqués dans le processus de réforme du système libanais ainsi qu’au Ministère canadien des Affaires étrangères.

la démocratie, Department of Political Studies, Queen’s University, Kingston, Ontario. Originaire de Belfast John McGarry a vécu sa jeunesse en Irlande du Nord avant d’obtenir son doctorat au Canada, à l’université de Western Ontario, où il y a par la suite enseigné la science politique de 1989 à 1998. McGarry s’est taillé une réputation mondiale comme chercheur dans le domaine du nationalisme. Auteur prolifique, il a dirigé la rédaction de «Northern Ireland and the Divided World» (2001) et a co-dirigé de nombreux ouvrages dont «The Future of Kurdistan in Iraq»,2004. Razmik Panossian est Directeur du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique. Il s’agit d’un organisme non partisan lié au Parlement canadien et ayant pour mission la promotion des droits de la personne et de la démocratie dans le monde. Comme professeur ses champs de spécialisation incluaient le nationalisme, les conflits ethniques et de la démocratisation de l’ex- URSS. Panossian a rédigé de nombreux articles sur la politique arménienne contemporaine et sur le Caucase du sud : The Armenians: From Kings and Priests to Merchants and Commissars, Columbia University Press, 2006; "The Armenians" traces the evolution of Armenia and Armenian collective identity from its beginnings to the Armenian nationalist movement over Gharabagh in 1988. En plus d’être un conférencier de renommée internationale, Panossian travaille également comme consultant auprès des gouvernements du Royaume-Uni, du Canada et des États-Unis. Actuellement, il s’intéresse surtout aux questions de démocratisation et de droits de l’Homme au Moyen-Orient. Marie-Joëlle Zahar est une spécialiste des problématiques liées aux guerres civiles (résolutions de conflits, instauration et maintien de la paix). Son aire de recherche privilégiée est le Liban et les Balkans. Elle a publié de nombreux articles sur l’après guerre libanaise : “Reframing the Spoilers Debate, ” dans John Darby et Roger MacGinty (directeurs), Progressing Toward Settlement, Palgrave, publication anticipée 2002; "Peace By Unconventional Means: Lebanon's Ta'if Agreement," dans Stephen John Stedman, Donald Rothchild, et Elizabeth M. Cousens directeurs Ending Civil Wars: The Implementation of Peace Agreements, Boulder: Lynne Rienner, août 2002; "Protégés, Clients, Cannon Fodder: Civilians in the Calculus of Militias", dans Managing Armed Conflicts in the Twenty-first Century, numéro spécial de la revue International Peacekeeping 7, 4 (hiver 2001) ; "Is All the News Bad News for Peace? Economic Agendas in the ", International Journal 56, 1 (hiver 2001).

Après avoir longuement débattu, les experts ont identifié plusieurs éléments manquants au Liban pour qu’une démocratie transparente et pluraliste puisse s’y épanouir. Parmi ces éléments, soulignons :

1) le manque d’élan dans le désir de vivre ensemble du peuple libanais ;

2) la trop grande acceptation de la violence comme mode d’expression politique;

3) le recours, trop souvent considéré comme acceptable, à des acteurs extérieurs pour faire avancer ses revendications politiques ;

4) la contestation de la légitimité de l’État libanais. Les experts ont également cerné un certain nombre d’obstacles à l’épanouissement d’une démocratie transparente et pluraliste au Liban. Il est ici question :

1- des limites imposées par un contexte régional hostile aux aspirations légitimes du Liban ;

2- de la trop grande rigidité du système libanais, en particulier sur le plan électoral ;

3- des traditions bien établies du clientélisme et du confessionnalisme ;

4- de l’insensibilité des élites politiques envers les problèmes sociaux, notamment la mauvaise répartition de la richesse ;

5- de la corruption et du manque de transparence ;

6- de la propension à considérer l’Autre comme un adversaire ;

7- de la mauvaise définition des groupes en cause dans le système libanais.

À partir de ces constats, les universitaires se sont mis d’accord sur la rédaction des huit recommandations qui, tout en s’inspirant du modèle canadien, cherchent essentiellement à insuffler une nouvelle vigueur à la démocratie libanaise :

1. Poursuivre l’application des clauses clés de l’accord de Taëf, notamment :

a. La consolidation des prérogatives du Conseil économique et social

b. La décentralisation administrative

c. La déconfessionnalisation du système politique

d. Le retrait de toutes les armées étrangères et le démantèlement des milices

2. Créer un espace légal non confessionnel.

3. Soutenir des thèmes d’intérêt général tels que la justice sociale par le biais d’organisations non gouvernementales à grande représentativité.

4. Établir un lien direct entre citoyens et institutions étatiques par l’établissement d’un poste de « protecteur du citoyen ».

5. Garantir l’imputabilité et la transparence des institutions étatiques en créant un poste d’auditeur général indépendant.

6. Promouvoir la citoyenneté par le biais de programmes portant sur les questions locales.

7. Promouvoir et encourager la population, par le biais de l’éducation civique, à exiger l’imputabilité des représentants élus.

8. Promouvoir des activités culturelles intégratives.

Reste que l’essentiel, et sans lequel rien ne sera possible, fait défaut. Il s’agit en effet de la bonne volonté. Malgré les déclarations de bonnes intentions contenues à la fois dans la Constitution libanaise et dans les discours politiques, les avancées sur le terrain restent, pour le moins, quasi-inexistantes. Comme l’avait si bien affirmé le Cardinal de Retz dans ses

Mémoires, « Il y a très loin de la velléité à la volonté, de la volonté à la résolution, de la résolution au choix des moyens, du choix des moyens à l’application ».

Bibliographie

Pour une meilleure lisibilité des références bibliographiques nous avons choisi une classification permettant de faire apparaître les ouvrages en langue française, les articles et ouvrages en langues étrangères et les articles et publications en langue française.

Ouvrages en langue française :

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Articles et Ouvrages en langues étrangères :

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