synthèse

RENCONTRE avec les éditeurs de Bande dessinée

colomiers, 23 mai 2019

Le secteur de la bd connaît une forte croissance, particulièrement tirée par les segments Jeunesse et manga et par le format du roman jouit d’une aura importante. graphique. Il touche de nombreux Celle-ci se manifeste au travers lecteurs de tous âges, y compris des nombreux festivals organisés des jeunes adultes. Ainsi, 53 % des tant au plan national comme le 13-24 ans lisent des albums franco- festival d’Angoulême qu’au plan belges et 51 % lisent des mangas ou local comme celui de Colomiers. des comics. Elle se traduit également par une visibilité internationale accrue La représente un marché pour certains auteurs, français important pour les auteurs de bande et étrangers, découverts et publiés dessinée du monde entier. D’une par des éditeurs français. Toutes les synthèses part, ses éditeurs se caractérisent des Rencontres bd sont par leur curiosité, leur attention L’année prochaine sera très téléchargeables sur www.sne.fr portée aux auteurs et leur savoir- importante pour le secteur, puisque � Agenda faire. D’autre part, la bande dessinée 2020 a été déclarée « année de la � Rencontres bd en région produite et développée en France bd » par le ministre de la Culture. rencontre avec pour les enfants rencontre avec lesles diteurs diteurs de de bande bande dessine dessine et les adolescents La Bande dessinée s’enivre deColomiers, toutes ses 23 sources mai 2019

Adrien Vinay, Romain Pujol, Mathias Vincent, Vincent Petit 9h45-11h et Christophe Brunella ( de gauche à droite ). Nouvelles créations en bd Jeunesse Romain Pujol. Il faut s’adapter à la cible. Certes, ma bd Avni compte plus de pages qu’un album classique, Vincent Petit ( éditions ) mais son petit format permet aux enfants de l’empor- Romain Pujol ( auteur ) ter plus facilement avec eux. J’adapte également le Adrien Vinay ( éditions ) Mathias Vincent ( éditions Le Lombard ) contenu, en limitant le nombre de gags. Animé par Christophe Brunella ( journaliste ) La question de l’âge L’importance de la pagination Christophe Brunella. Comment l’éditeur détermine-t- Christophe Brunella. Alors que l’on se plaît à dire que il la tranche d’âge attachée à un ouvrage ? Est-ce une les capacités d’attention du jeune public sont de plus question de complexité des sujets abordés ? en plus limitées, certains ouvrages qui lui sont destinés Mathias Vincent. Tous les thèmes, y compris les plus deviennent très volumineux. Est-ce un choix éditorial ? actuels comme l’écologie, peuvent être abordés en bd Vincent Petit. Nous considérons que si un enfant Jeunesse. En témoigne le succès de la collection Hubert apprécie une histoire, il trouvera le temps de la lire. Par Reeves nous explique, laquelle a succédé à la collection ailleurs, le nombre de pages a certes augmenté, mais il La petite bédéthèque des savoirs qui s’adressait à un y a désormais moins de cases et de texte par page. Les public plus âgé. ouvrages se lisent donc au moins aussi vite qu’aupara- Vincent Petit. Chez Casterman, nous n’animons pas vant, et avec autant de plaisir ! L’augmentation de la vraiment de collection Jeunesse et adaptons la classifi- pagination ne s’est d’ailleurs pas accompagnée d’une cation par âge, au cas par cas. La série de fantasy Voro, baisse des ventes. La manière de raconter et la façon par exemple, nous semblait clairement pensée pour la de découvrir une histoire ne sont plus celles du milieu jeunesse : son dessin est très rond, l’héroïne a 9 ans et du xxe siècle qui a vu la naissance de la bd de 48 pages rien n’est sexué – même s’il y a de la bagarre ! Nous pour des raisons industrielles. avons donc adapté son format, sa couverture et son Mathias Vincent. Les lecteurs n’ont plus peur du prix à un public de 8-12 ans, même si notre objectif est contenu long. En témoigne l’essor d’un acteur comme Netflix, qui diffuse des séries par saisons complètes et non plus épisode par épisode. De la même façon, les lecteurs de bd ont envie d’en avoir plus et plus vite. Adrien Vinay. Ce mouvement va de pair avec la démo- cratisation du roman graphique, qui a mis un terme à la pagination classique. Il n’y avait donc pas de raison que cette évolution ne concerne pas aussi le public Jeu- nesse. Dans tous les cas, il s’agit avant tout de raconter une histoire. Peu importe le nombre de pages. pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019  rencontre avec pour les enfants les diteurs de bande dessine et les adolescents Colomiers, 23 mai 2019

d’attirer aussi les amateurs de fantasy et de « Games of Adrien Vinay. Si une bd semble trop prescrite, elle thrones ». Au départ, pourtant, il s’agit d’un album fin- risque d’ailleurs d’être rejetée par le public. landais en noir et blanc de 300 pages davantage pensé Romain Pujol. Dans Les lapins crétins ou Avni, les faits pour un public manga ou ado. historiques sont très secondaires, ou alors il y est fait En tout état de cause, nous ne demandons pas aux référence de façon détournée. auteurs de modifier leur récit ou leur dessin pour viser une cible en particulier. Si nous sommes séduits par un Le travail avec les auteurs récit, nous lui faisons confiance. Vincent Petit. Je me considère comme un premier lec- Adrien Vinay. Dupuis utilise le journal Spirou pour teur privilégié – et légèrement intéressé ! Mon travail tester l’accueil du public Jeunesse sur des séries. Nous avec les auteurs ne diffère pas d’un segment à l’autre. avons également fait le pari d’éditer Petit poilu, qui À la lecture d’un projet, j’exprime mes sensations de peut être considéré comme une « bd 1er âge » : muette, lecture ou mes incompréhensions, sous la forme d’in- avec une histoire par page, une planche et 6 cases. terrogations. Ce n’est pas mon rôle d’y apporter des Bien que sans texte, ce format accompagne l’enfant réponses. vers la lecture. Mais il est difficile à vendre. Il n’est pas Mathias Vincent. Nous pouvons mettre le doigt sur ce non plus aisé de capter l’attention des 12-20 ans, a for- qui ne va pas, mais n’étant pas auteurs nous restons tiori avec la concurrence des écrans. D’où l’initiative de très suggestifs. Dupuis de développer des webtoons, diffusés sur Inter- Adrien Vinay. Je procède aussi par questions-réponses, net. Une fois trouvés le bon ton et la bonne histoire, toujours avec bienveillance pour inviter l’auteur à toutes les hybridations sont permises ! prendre du recul. Romain Pujol. Auteur, je cherche avant tout à me Romain Pujol. C’est un travail d’équipe, en effet. Cette faire plaisir, en pensant une création. Ainsi, pour Avni, collaboration a toute son importance. Même si les édi- la tranche d’âge 5-10 ans a été fixée par l’éditeur. J’y teurs ne sont pas créateurs, ils sont souvent inspirants ai quand même glissé des références pour les jeunes pour les auteurs. parents, comme le président éléphant Donald Trompe ! Par ailleurs, il est intéressant de constater que la cible La nouvelle création évolue en même temps que le support. En témoigne Christophe Brunella. Comment caractériser la nou- Titeuf dont la version en dessin animé a rajeuni les lec- velle création en bd Jeunesse ? teurs de la bd. Romain Pujol. Le livre est un objet à part entière. Je cherche toujours à faire partager aux enfants ce que La dimension pédagogique j’ai moi-même ressenti avec certains concepts comme Christophe Brunella. Vous inquiétez-vous de la véra- Kid Paddle et Game Over. D’où l’importance que j’at- cité historique et des références utilisées ? tache à glisser des bonus dans mes bd – par exemple Mathias Vincent. En fiction Jeunesse, même si la une véritable adresse mail permettant d’écrire aux dimension pédagogique a son importance, il s’agit Lapins crétins. avant tout de raconter une belle histoire. Peu importe Vincent Petit. L’objet livre est devenu attirant. Par qu’elle s’inscrive dans l’Histoire. Si l’idée est chouette, ailleurs, les auteurs actuels ont grandi avec des réfé- elle trouvera de toute façon son public ! Une bonne bd rences bien plus diverses que leurs prédécesseurs, qui Jeunesse doit aussi plaire à un public plus âgé – d’où influencent nécessairement leur création. l’utilisation parfois de livret pédagogique, qui Mathias Vincent. La sincérité dans le récit a son rassure les parents. importance également. La bd n’est pas et ne Vincent Petit. Je considère aussi que le saurait être un pur produit marketing. livret pédagogique ou historique en fin Adrien Vinay. De plus en plus, les auteurs d’album est surtout une caution appor- pensent la forme finale de leur objet. Notre tée aux parents ! C’est bel et bien le récit rôle consiste à les accompagner pour que leur qui prime. La bd Jeunesse vise à divertir projet soit la plus belle réussite possible. avant d’instruire.

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Vincent Brunner, Pascal Lafine, Mehdi Benrabah, 11h10-12h30 Claire Pélier et Timothée Guédon ( de gauche à droite ). Le manga, une école de la vie amoureuse ? Au Japon, il existe du manga pour tous les âges. Il existe d’ailleurs une forme de shôjo, le josei, dans laquelle les Mehdi Benrabah ( éditions Pika ) héroïnes sont dans la vie active. La comédie romantique Timothée Guédon ( éditions Kana ) est très développée aussi dans le manga pour garçons. Pascal Lafine ( éditions Tonkam ) Claire Pélier. Le shôjo inspire mes étudiants, y compris Claire Pélier ( directrice de l’École internationale masculins. Peut-être parce qu’en France, nous avons de manga et d’animation de Toulouse ) tendance à mêler les styles : shôjo, shônen et seinein Animé par Vincent Brunner ( journaliste ) ( pour adulte ). Qui plus est, si le shôjo est très axé sur Shônen vs shôjo la romance, celle-ci se retrouve dans toutes les formes Vincent Brunner. Les lectrices françaises sont-elles de manga. demandeuses de mangas romantiques ( shôjo ) ? Pascal Lafine. En effet, les sentiments sont systéma- Timothée Guédon. Le shôjo est quasi exclusivement tiquement présents dans le manga, y compris dans le lu par les filles. Cela réduit donc le lectorat potentiel. shônen. Je dis souvent que la bd française parle à la Chez Kana, la production est d’ailleurs assez stable. tête, tandis que le manga parle au cœur ! Nous lançons environ trois séries par an, en tentant de renouveler les histoires pour casser l’image d’un genre Des codes graphiques et narratifs « pour filles ». Et nous sélectionnons les titres à deux, Mehdi Benrabah. L’une des caractéristiques du shôjo une femme et un homme, pour croiser les regards. est l’introspection. Le graphisme est très codé, avec Au Japon, le shônen ( mangas d’aventure ) est le genre par exemple une récurrence des yeux exorbités pour dominant mais la production shôjo est conséquente souligner l’émotion que vit le personnage. également, au travers d’une ligne éditoriale qui Timothée Guédon. Le graphisme est plus doux que s’adresse à tous les âges. dans le shônen, avec un côté « kawaï » à outrance. Les Pascal Lafine. Souvent, les séries sont plus longues en planches sont moins chargées en décors et détails et shônen qu’en shôjo. Chez Delcourt, Tonkam et Soleil marquent des arrêts sur image quand l’héroïne fait Manga éditent tous deux du shôjo, mais dans des attention à un geste du garçon – une main qui touche styles et avec des sujets très différents. une mèche de cheveux par exemple. L’objectif est de Mehdi Benrabah. Le shôjo est la catégorie qui se vend renforcer l’empathie de la lectrice avec l’héroïne. le moins. Les ventes stagnent à 3 000 ou 4 000 exem- Claire Pélier. Les séparations entre les cases sont plaires en moyenne. Le problème est qu’il n’y a plus souvent matérialisées par un simple trait et non une de titres « locomotive », depuis Fruit basket et Nana. gouttière, pour souligner l’instantanéité temporelle Mais la demande est forte car ces mangas sont les des moments représentés. La trame graphique, avec plus chroniqués par les bloggeuses et les youtubeuses. des petites bulles et des effets de lumière, tend aussi à Depuis l’an dernier, le label « Shôjo addict » nous a per- souligner l’intensité du moment et des émotions. mis d’étoffer notre production afin de témoigner de la Mehdi Benrabah. Autre spécificité, le très petit texte diversité de ce genre. qui figure dans les bulles de pensée et qui complique pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019  rencontre avec les diteurs de bande dessine Colomiers, 23 mai 2019

Toutes les amours sont permises Pascal Lafine. Les histoires d’amour dans le manga se déclinent en dix catégories, des plus courantes ( la fille banale, la fille recluse ) au plus populaires ( l’interdit social, l’amour avec lien de subordination, le harem ) en passant par les plus le travail des lettreurs français ! Le succès de ce gra- adultes ( l’amour à 30 ans, l’amour-amitié, l’apparence phisme s’explique sans doute par le fait que les Japo- physique ) et les amours fantastiques ( la différence et nais ne sont pas un peuple très expressif. l’amour-haine ). Dans I love you, so I kill you, l’amour Pascal Lafine. Souvent, dans le shôjo, la fille partage devient même un virus meurtrier ! un secret avec le garçon, dont elle connaît donc le vrai Mehdi Benrabah. Je précise que le harem concerne visage. D’où l’importance de souligner l’intériorité et des histoires dans lesquelles un garçon a l’embarras du les pensées. choix parmi les filles et des histoires dans lesquelles Mehdi Benrabah. En tout état de cause, chaque une fille est courtisée par de nombreux garçons. manga relève d’une catégorie spécifique, très codifiée, Timothée Guédon. Un autre genre connaît un grand et les codes ne sont jamais mêlés. succès au Japon : le boy’s love, qui traite d’histoires Claire Pélier. Les catégories sont en effet très hermé- d’amour entre garçons – mais qui est exclusivement lu tiques. Il en existe pour tous les âges et sur tous les par un public féminin. En France, c’est encore une niche. sujets, y compris du manga patrimonial. Pascal Lafine. Au sein du boy’s love, les filles appré - Vincent Brunner. L’identification est-elle le moteur cient particulièrement le genre yaoi qui se caracté- premier de l’achat et de la lecture ? rise par une relation dominant-dominé. Initialement, Claire Pélier. Oui. il s’agissait des 50 pages érotiques insérées au milieu Timothée Guédon. Y compris chez les adultes. d’un manga de 200 pages, qui ont finalement pris le Mehdi Benrabah. D’aucuns reprochent au shôjo de pas sur le reste. toujours proposer la même chose. Mais c’est ce qui fait Claire Pélier. Les adolescentes adorent le boy’s love, le succès de ces livres ! Or le rôle de l’éditeur consiste à notamment le yaoi, lorsqu’il n’est pas du tout adapté proposer aux lecteurs ce qu’ils veulent lire, autant qu’à à leur âge ! Je l’explique par le fait que les héros soient leur ouvrir de nouveaux horizons. des garçons, ce qui permet une distanciation. En revanche, autant le boy’s love plaît surtout aux filles, Pour les garçons comme pour les filles ! le girl’s love ou yuri n’est pas vraiment lu par des gar- Vincent Brunner. Comment avez-vous fait pour que çons. Romio vs Juliet, qui est lu par des garçons au Japon, Timothée Guédon. Du fait de la codification extrême s’adresse à un public mixte en France ? du manga, l’appellation shôjo ne comprend jamais du Mehdi Benrabah. Au Japon, cette comédie romantique, boy’s love ou du yaoi. dont la couverture originale laisse pourtant penser à Claire Pélier. Un bibliothécaire qui commande du shô- un shôjo, est diffusée dans un magazine pour garçons. nen ou du shôjo ne risque donc pas de proposer malgré Sans modifier la couverture, nous avons détourné le lui du yaoï à ses lecteurs !. titre choisi ( « vs » au lieu de « et » ) et intégré le visage du personnage masculin dans le logo. Cela nous a per- Vers de nouveaux terrains mis d’élargir la cible. Vincent Brunner. Comment apporter du neuf dans un Claire Pélier. A silent voice, shônen centré sur une rela- genre aussi codifié ? tion entre un jeune homme et une jeune femme malen- Mehdi Benrabah. Sister and vampire contient des tendante, a bien réussi dans ce domaine. Sans doute scènes torrides. C’est en cela que l’édition japonaise grâce à un thème complémentaire, celui du handicap. est intéressante : elle fait en sorte de couvrir le plus Pascal Lafine. Je considère qu’il s’agit d’une comédie grand spectre possible. sociale davantage qu’une comédie romantique. C’est Timothée Guédon. L’originalité d’un titre comme Irré- aussi le cas de You’re lie in April ou Our summer holi- sistible vient du fait que le garçon et la fille forment day. Ce genre se développe rapidement au Japon. un couple dès le premier tome. Ensuite, la thématique Claire Pélier. La comédie sociale est une bonne porte porte donc davantage sur la construction et l’entretien d’entrée pour le lectorat masculin français. de la relation amoureuse. pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019  rencontre avec pour aborder des sujets de socit rencontre avec lesles diteurs diteurs de de bande bande dessine dessine et de vivre ensemble La Bande dessinée s’enivre deColomiers, toutes ses 23 sources mai 2019

Christophe Brunella, Miquel Clémente, Moïse Kissous, Sébastien Gnaedig et Olivier Jalabert ( de gauche à droite ).

14h-15h15 Mehdi Benrabah. Le lectorat est très actif sur les réseaux sociaux. S’il importe d’entendre cette fan base, Quels sont les enjeux il ne faut pas toujours l’écouter si l’on souhaite élargir d’inclusion sociale dépeints la cible. Chez Pika, nous sommes conscients de l’impor- tance des réseaux sociaux, mais nous favorisons aussi dans la bd contemporaine ? la proximité avec les bloggeuses et les youtubeuses, Miquel Clémente ( éditions 6 pieds sous terre ) qui sont fortement prescriptrices. Sébastien Gnaedig ( éditions Futuropolis ) Timothée Guédon. Les lectrices sont très enthou- Olivier Jalabert ( éditions Glénat ) siastes et très communicatives sur les réseaux sociaux, Moïse Kissous ( éditions Steinkis ) et très fidèles à la fois. Pour lancer @ellie, nous avons Animé par Christophe Brunella ( journaliste ) décidé de créer un faux compte Twitter dont l’auteur portait le même nom que le personnage principal du L’inclusion, enjeu éditorial ? manga, pour jouer de ce côté communauté et réseaux Christophe Brunella. L’inclusion est le droit de chacun sociaux. Cette démarche a été validée en amont par à vivre et exister pour ce qu’il est, en quelque lieu que l’éditeur japonais. ce soit. De plus en plus, la bd aborde des questions de handicap, de minorité sexuelle ou d’immigration. S’il fallait n’en lire qu’un… Sébastien Gnaedig. La bd est le média parfait pour Claire Pélier. Mes titres de référence seraient Blue parler du monde qui nous entoure puisqu’elle est spring ride ou L’arcane de l’aube. J’apprécie aussi beau- très intime à la fois dans sa réalisation et dans le lien coup Io Sakisaka. qu’elle peut tisser avec le lecteur. Qui plus est, le des- Mehdi Benrabah. Ce sont d’ailleurs les femmes sin confère un caractère empathique. En tant qu’édi- auteures qui ont révolutionné le genre ! Pour ma part, teur, aider à comprendre l’autre m’intéresse tout par- mon titre favori est La maison du soleil, dont chaque ticulièrement. épisode part de drames du quotidien, avec un dessin Moïse Kissous. La relation à l’autre est la raison d’être très doux. de Steinkis, maison d’édition du groupe éponyme, au Pascal Lafine.Mes titres culte sont Mars, Nana, Honey travers de témoignages, comme dans Tomber dans Clover ou Cheeky love. Dans le genre boy’s love, Love x l’oreille d’un sourd, ou de travaux de recherche, comme Dilemma me plaît beaucoup. Le village global. L’évolution des formes de bd a permis Timothée Guédon. Quant à moi, je recommande Irré- à une nouvelle génération d’auteurs de s’emparer de sistible sur l’histoire du couple ou Lorsque nous vivions cet art, qui est aussi un média. L’anthropologue Ales- ensemble, sur un couple non marié dans les années sandro Pignocchi a ainsi choisi ce format pour faire par- 1960. tager le fruit de ses recherches. pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019  rencontre avec pour aborder des sujets de socit les diteurs de bande dessine et de vivre ensemble Colomiers, 23 mai 2019

Olivier Jalabert. L’inclusion peut aussi être travaillée Des bd Faire sortir la bd de son rayon sous la forme du divertissement, au travers d’œuvres Christophe Brunella. Ce type de bd rencontre-t-il aisé- de fiction métaphoriques. Little bird, par exemple, ment le succès ? relate une errance liée à l’exclusion dans une ambiance Sébastien Gnaedig. Oui et non ! À bord de l’Aquarius, post-apocalyptique. En tant qu’éditeur marqué par la par exemple, a trouvé son public. En revanche, Kéro- pop culture et la bd dite de genre, cette démarche sène, sur le démantèlement du plus vieux camp de m’intéresse particulièrement pour créer un léger déca- manouches français dans une démarche positive, n’a lage et favoriser la prise de conscience. pas intéressé du tout – sans doute du fait des idées Miquel Clémente. Nous travaillons beaucoup avec reçues sur cette communauté. des auteurs qui ont envie de parler d’eux. Dans tmlp, Moïse Kissous. À quelle aune mesure-t-on le succès Temps mort et La petite couronne, la dimension sociale d’un livre ? Le nombre de ventes ne saurait être le émane du récit intime, mais n’était pas en tant que seul critère. Le rôle de l’éditeur consiste aussi à choisir telle l’intention initiale de l’auteur, qui n’entendait d’accompagner des livres plus difficiles, qui peineront pas faire une bd sur les banlieues. Souvent, c’est en à trouver leur public en l’absence de relais mais dont la racontant leurs névroses que les auteurs abordent les qualité leur permet de durer dans le temps. dysfonctionnements de la société. Miquel Clémente. Il arrive que certaines bd soient pri- Sébastien Gnaedig. Certains auteurs ont aussi une mées et connaissent un réel succès d’estime, mais se démarche très active pour porter la voix d’autrui, vendent peu. comme dans les bd de reportage Cher pays de notre Olivier Jalabert. Un indicateur de succès est la pres- enfance ou Gaza 1956, qui mêlent à la fois des faits cription, même si elle ne génère pas toujours des objectifs et des ressentis. ventes. C’est aussi le travail des médiateurs et des bibliothécaires de mettre l’accent sur certains albums. Des bd engagées II est essentiel que ces ouvrages sortent des seules Sébastien Gnaedig. Futuropolis a décidé de prendre librairies spécialisées. position sur certains sujets en appuyant les propos des Moïse Kissous. Ces relais peuvent faire en sorte que auteurs. C’est le cas avec La zad c’est plus grand que ces livres soient diffusés au-delà du public qui a les nous. Il s’agit de montrer la réalité, sans nécessaire- moyens de les acquérir. Par ailleurs, la bd peut abor- ment l’approuver ou la critiquer. Ces bd prennent le der tous les sujets, et tout le monde peut lire de la bd. temps de suivre des chemins de traverse. La question est donc moins celle de la production que Moïse Kissous. À la différence de la fiction qui fait tra- celle de la place accordée en librairie. D’autant que la vailler l’imaginaire, la bd engagée projette le lecteur bd engagée ou thématique attire surtout les non-lec- dans l’imaginaire et la vision du monde de l’auteur. teurs de bd. Le succès de L’Arabe du futur ou de Culo- Le retentissement inattendu de sujets peu partagés, tées témoigne de l’élargissement possible des publics. comme Là où se termine la terre, Chili 1948-1973 ou D’où l’intérêt de tester de nouveaux classements. L’Algérie c’est beau comme l’Amérique, montre que la Sébastien Gnaedig. Il est plus difficile de fidéliser bd porte d’emblée une dimension sensible. ce lectorat. C’est la raison pour laquelle les librairies Olivier Jalabert. La bd est un mode d’expression artis- généralistes sont très importantes pour le catalogue tique dont l’ambition est de servir un propos, qu’il de Futuropolis. s’agisse d’une névrose, d’un témoignage personnel ou collectif ou d’un fait.

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Pauline Mermet, Frédéric Debomy, Thierry Mornet et Vincent Brunner ( de gauche à droite ).

15h30-16h30 de façon différée, par exemple en sombrant dans l’al- La Bande dessinée, coolisme. Tous ceux qui en ont été témoins sont égale- source de résilience ment marqués à vie. face au traumatisme ? Réparer une injustice Frédéric Debomy ( auteur ) Vincent Brunner. Noire raconte la destinée de Clau- Pauline Mermet ( éditions ) dette Colvin, première femme noire américaine à refu- Thierry Mornet ( éditions Delcourt ) ser de laisser son siège à un blanc dans un bus, mais Animé par Vincent Brunner ( journaliste ) effacée de l’histoire officielle au profit de Rosa Parks qui a incarné la lutte contre la ségrégation raciale aux (e S ) raconter après un traumatisme États-Unis. Vincent Brunner. À l’origine, la résilience est un terme Pauline Mermet. Dès que j’ai reçu ce projet, j’ai eu un physique qui traduit la capacité d’un matériau à résis- coup de cœur pour la prose de Tania de Montaigne, ter à un choc. Il a ensuite été utilisé en psychologie, particulièrement bien servie par le dessin d’Amélie d’abord par Boris Cyrulnik. Plateau. Écrire, dessiner et adapter cette histoire était Pauline Mermet. Dans La légèreté, Catherine Meu- aussi une manière de réparer une injustice. Désormais, risse raconte comment elle a perdu la mémoire, son l’un de mes combats consiste à trouver un éditeur amé- attachement à la littérature et le goût du beau après ricain pour que cette bd rayonne dans ce pays. l’attentat contre Charlie Hebdo, et la façon dont elle s’en est sortie par le haut. Elle qui était initialement L’intérêt du recours à la fiction dessinatrice de presse a finalement trouvé un véritable Thierry Mornet. Delcourt aborde la résilience au tra- langage de bd. Sa résilience est donc totale ! vers du divertissement, d’autant que la capacité à se Guantanamo Kid, l’histoire vraie de Mohammed El- dépasser à la suite d’une situation extraordinaire est Gorani, le plus jeune détenu de la prison de Guanta- ce qui caractérise un héros. Dans Motor girl, il est ques- namo, a pleinement participé à la résilience de ce tion d’une ancienne militaire américaine souffrant de dernier, bien qu’il n’en soit pas l’auteur. D’autant que cette bd, dont Mohammed El-Gorani indique qu’elle l’a empli de fierté, va bientôt sortir aux États-Unis. Frédéric Debomy. Son ouvrage Full stop, le génocide des Tutsi au Rwanda évoque le travail d’enquête d’un couple franco-rwandais en insistant sur l’absence totale d’esprit de vengeance de cette quête de justice. En tant qu’auteurs, nous avons souhaité faire ce tra- vail à la mémoire des disparus, mais aussi et surtout pour les rescapés. Si certains d’entre eux parviennent à vivre avec cette histoire, d’autres en meurent encore, pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019  rencontre avec pour aborder des sujets de socit les diteurs de bande dessine et de vivre ensemble Colomiers, 23 mai 2019

syndrome post-traumatique qui s’invente un ami ima- Résister aux pressions ginaire pour faire face à la réalité. Thierry Mornet. Dans Extremity, l’auteur met en scène Pour Robert Kirkman la résilience est un thème récur- une dessinatrice qui perd sa main et fait preuve de rési- rent. Ainsi, dans la série The Walking dead, l’apocalypse lience en refusant la voie de la vengeance qui lui est zombie n’est qu’un premier niveau de lecture et permet imposée par sa famille pour trouver sa propre voie et en fait de montrer comment des humains parviennent à rester elle-même. faire face à une situation extraordinaire. Dans Oblivion La résilience est aussi du côté des auteurs qui osent Song, le contexte est également pour le moins trauma- aller au bout d’un travail journalistique en dépit des tique. Cette série relate en effet la quête d’un homme pressions, comme dans Sarkozy Khadafi. pour retrouver son frère porté disparu, tout comme Pauline Mermet. On pourrait également citer L’affaire 300 000 habitants de Philadelphie disparus dans un des affaires de Denis Robert. monde parallèle et remplacés par des monstres, après que les autorités décident de stopper les recherches. Retrouver le bonheur de vivre C’est une autre manière de décrire la résilience en bd. Pauline Mermet. Je souhaite ici rendre hommage à Frédéric Debomy. La fiction permet de construire une Florence Cestac, fondatrice de la librairie Futuropolis, dramaturgie, de mettre l’accent sur ce qui semble devenue la maison d’édition que tout le monde connaît plus important et de susciter l’empathie. Mais il faut et qui a connu une dépression après avoir quitté les aussi se garder de toute déformation ou du piège des éditions Futuropolis. Avec son travail d’auteur, notam- « trucs » narratifs. Ce n’est pas parce que l’on relate ment dans Les démons de l’existence et ses bd sui- une tragédie, par exemple, qu’il faut construire le récit vantes, elle fait à la fois pleurer et rire, démontrant comme une tragédie grecque ! avec force que l’art peut aider à surmonter les trauma- Dans Turquoise, qui suit une rescapée du génocide du tismes, à survivre et même à redevenir heureux. Rwanda, le récit prend de la distance en mêlant des images lyriques et un texte factuel et froid. L’objectif était d’éviter à la fois la complaisance avec la violence Groupe Bande dessinée du sne et son euphémisation. Lorsque le texte décrit une Président : Moïse Kissous situation insoutenable, l’image est celle d’un paysage Chargée de mission : Flore Piacentino Photos : Franck Alix – comme une caméra qui détournerait le regard. Pour Synthèses : Florence Berthezène/Voyelles montrer le décalage avec le discours utilisé pour racon- Maquette : Alain de Pommereau ter cette histoire, le ton et le graphisme changent. pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019  rencontre avec rencontre avec lesles diteurs diteurs de de bande bande dessine dessine La Bande dessinée s’enivre deColomiers, toutes ses 23 sources mai 2019

contacts professionnels

Éditions Casterman [email protected] http://www.casterman.com

Groupe Delcourt – Delcourt, Soleil [email protected] http://www.editions-delcourt.fr http://www.soleilprod.com

Éditions Futuropolis [email protected] http://www.futuropolis.fr

Éditions Glénat [email protected] journe organise par le sne, http://www.glenatbd.com occitanie livre et lecture Groupe Media-Participations et le pavillon blanc de colomiers Éditions Dargaud [email protected] L’agence régionale Occitanie Livre et Lecture https://www.dargaud.com est une structure interprofessionnelle, centre de ressources et lieu de l’accompagnement des Éditions Dupuis [email protected] acteurs du livre en Occitanie. Depuis ses sites http://www.dupuis.com de Toulouse et de Montpellier, elle accompagne Éditions Kana https://www.kana.fr les acteur(trice)s du livre, notamment par la Le Lombard http://www.lelombard.com formation et la mise à disposition de ressources. Elle anime ses réseaux, encourage les coopérations Urban Comics interprofessionnelles et met en valeur les richesses franç[email protected] liées au livre et à la littérature par des actions https://www.urban-comics.com de médiation. Le Pavillon Blanc de Colomiers réunit Éditions Panini [email protected] une médiathèque et un centre d’art dans un lieu http://www.paninicomics.fr unique où le projet culturel s’allie intimement au projet architectural : le Pavillon Blanc permet à tous Groupe Pika Édition ses usagers, petits et grands, de trouver un espace à Pika Édition, Nobi Nobi !, Édition h2t sa mesure, à ses goûts, sans rupture ni ségrégation. [email protected] http://www.pika.fr Éditions Rue de Sèvres Le groupe Bande dessinée mène des actions [email protected] http://www.editions-ruedesevres.fr de promotion du genre dans toute sa variété : Bande dessinée franco-belge, Mangas, Comics, Éditions Sarbacane [email protected] romans graphiques, etc. Il organise depuis 2015 des http://editions-sarbacane.com rencontres en partenariat avec les centres régionaux du livre pour échanger avec les médiateurs et Steinkis Groupe prescripteurs sur l’accompagnement des lecteurs Jungle!, Steinkis, Vega, Warum-Vraoum dans la découverte de ce secteur composite. [email protected] http://www.steinkis-groupe.com Le Syndicat national de l’édition est l’organe professionnel représentatif des éditeurs français. Avec plus de 700 adhérents, il défend la liberté de publier, le droit d’auteur, le prix unique du livre, la diversité culturelle et l’idée que l’action collective permet de construire l’avenir de l’édition. pour toute citation © sne – Rencontre avec les éditeurs bd, mai 2019 